1.1.2. Le règlement des problèmes entre
populations frontalières :
Toutefois, si dans les départements de
l'intérieur, une solution s'applique facilement pour trancher les
contentieux, elle est plus impérieuse dans un département
limitrophe où l'antagonisme relève non seulement de
circonscriptions administratives différentes mais aussi d'Etats
différents50.
Parmi ces différends, nous relevons d'abord la
problématique et la solution aux divagations des champs ensuite, le
règlement de certaines affaires civiles et pénales survenant
très souvent entre populations frontalières.
.
a) Règlement de litiges entre agriculteurs et
éleveurs :
La divagation, le problème le plus récurrent
dans cet espace transfrontalier, a pour acteurs les cultivateurs
sénégalais et les éleveurs mauritaniens. Ceci
découle du fait que certaines populations de Matam Sénégal
continuent de cultiver des terres situées sur la rive droite du fleuve
Sénégal. Ce problème peut survenir aussi lors des
déplacements des pasteurs mauritaniens vers le Sénégal.
Durant leurs passages, il arrive que les troupeaux venus de Matam Réo
dévastent des champs sénégalais.
La solution à ce problème aurait
été plus facile si les différends opposaient deux
compatriotes. Si tel n'est pas le cas, la solution qui s'impose à
l'autorité administrative est dès lors difficile eu égard
aux textes en vigueur. Si les problèmes sont résolus par la
dépossession des cultivateurs sénégalais de leurs terres
ou par une interdiction aux éleveurs mauritaniens de traverser le
fleuve, cet arbitrage pourrait compromettre l'intégration des deux
peuples. Le dédommagement appelle aussi d'autres solutions non soumises
aux textes nationaux. Ceci n'est possible que dans l'application du droit
international qui n'entre pas dans les attributions des autorités
administratives. Le souci de sauvegarder le bon voisinage entre les deux
espaces
50 Diouf (G.S).Les implications économiques
sociales et administratives de la situation frontalière d'un
département sénégalais : le cas de Nioro du Rip,
ENAM.1989
UCAD - Département de géographie, Mémoire de
maîtrise de Géographie présenté par M. Barka BA 2010
69
« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
frontaliers, empêche les autorités
administratives à recourir au droit international. La pratique de la
conciliation et de la concertation apparait comme la seule solution. De ce
fait, à chaque fois qu'un problème de ce genre survient le
préfet du département de Matam le soumet à son homologue
mauritanien pour qu'ils trouvent ensemble une solution. Ainsi ces
autorités apportent des solutions à des problèmes
d'essence diplomatique dans l'absence de textes et de chartes. Cette pratique
de résolution de problèmes par conciliation et concertation est
de coutume dans cette région. Les problèmes entre mauritaniens et
sénégalais ne se limitent pas aux différends entre
agriculteurs et éleveurs, ils s'étendent aussi aux affaires
civiles et pénales.
b) Solution apportée aux affaires civiles et
pénales :
Les relations transfrontalières sont très
intenses dans ces marges frontalières au point que les populations des
deux rives croient évoluer dans `' une aire géographique
territorialement et administrativement homogène» (Diouf, 1989).
Ces relations et enchevêtrement des intérêts ont des
conséquences. Ainsi, il en résulte des différends
liés aux affaires civiles et pénales.
La résolution des affaires civiles et pénales
opposant les populations frontalières incombent aux autorités
administratives à qui elles sont portées souvent en premier
ressort.
Cependant il faut souligner une certaine différence
dans le mode d'administration des deux Etats. En effet, dans cette partie de la
Mauritanie l'autorité administrative est confondue à
l'autorité judiciaire. Ce qui n'est pas le cas dans le
département de Matam Sénégal. Cette différence est
souvent source de malentendus entre les autorités
transfrontalières. Néanmoins, dans l'intérêt de la
sauvegarde de la cohésion sociale, les autorités administratives
se transforment en arbitres voire en diplomates qui ont pour but de rapprocher
des positions opposées plutôt d'être des défenseurs
farouches de l'ordre public.
Ceci s'applique au règlement de certains litiges
concernant le commerce les vols et les mariages etc.
o Les litiges liés au commerce : Les
flux commerciaux entre Matam Sénégal et Matam Réo ont
entrainé l'établissement des relations très
poussées entre commerçants maures et petits revendeurs du
département de Matam. Les grossistes mauritaniens fournissent de la
marchandise aux détaillants sénégalais qui revendent dans
le marché local. De cette situation apparaissent un créancier qui
est le grossiste mauritanien et un débiteur, le petit revendeur
sénégalais. Dès fois, on peut constater un non respect des
engagements pris par le débiteur. Alors le créancier
décide de porter l'affaire devant le
UCAD - Département de géographie,
Mémoire de maîtrise de Géographie présenté
par M. Barka BA 2010 70
« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
préfet qui, s'il ne trouve pas un compromis renvoie le
créancier à la gendarmerie pour déposer une plainte.
Au Sénégal, un différend opposant un
commerçant et un revendeur trouve sa solution dans l'application du code
des obligations civiles et commerciales (COCC). Dans un cas de différend
opposant deux personnes de nationalités différentes, le juge fait
recours au Droit International Privé (DIP). Mais dans la plupart des cas
elles choisissent la conciliation à la place de l'arbitrage.
Pour garder un climat sain de cohabitation l'autorité
somme au débiteur de payer la somme due et dans les meilleurs
délais.
Un problème d'argent peut aussi lier un ouvrier
sénégalais à un mauritanien. En effet, l'ouvrier
après avoir travaillé pour un habitant de Matam Réo reste
souvent longtemps sans recevoir son dû. Ainsi il décide de porter
l'affaire devant les autorités. Si l'autorité administrative
mauritanienne saisit la question, elle use de ses compétences juridiques
pour convoquer l'employeur et le somme de rembourser l'argent dû.
o solution apportée aux vols : Les
litiges transfrontaliers liés aux vols ne sont pas très
fréquents dans cette zone. Mais il arrive souvent qu'un
sénégalais opère un vol en Mauritanie ou qu'un mauritanien
en fasse de meme au Sénégal. Un voleur qui traverse la
frontière pour accomplir son forfait est généralement
extradé par un agent de sécurité. Dans tous les cas le
butin est récupéré et remis au propriétaire.
Cependant il n'est pas surprenant de rencontrer des sénégalais
dans les prisons mauritaniennes ou des mauritaniens arrêtés par
les services de sécurité sénégalais.
o les règlements des litiges matrimoniaux :
Le brassage existant entre les populations frontalières
résulte des liens de parenté entretenus par des unions
conjugales. De ce fait les mariages entre mauritaniens et
sénégalais sont très fréquents. Ces mariages se
font le plus souvent religieusement. Ils sont très rarement
déclarés auprès des officiers de l'état civil. Mais
quand un problème surgisse entre époux, ils saisissent
l'autorité administrative du domicile conjugal. L'autorité
administrative consciente que légalement ses compétences sont
limitées en matière d'état civil mais soucieuse d'un
règlement pacifique des conflits matrimoniaux, recourt à la
pratique de la conciliation. C'est ainsi que dans la plupart des cas, le
plaignant ou la plaignante, est renvoyé(e)
UCAD - Département de géographie,
Mémoire de maîtrise de Géographie présenté
par M. Barka BA 2010 71
« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
chez les détenteurs de coutumes qui avaient
célébré l'union. Les liens de parenté favorisent le
règlement des litiges matrimoniaux de façon pacifique.
Si l'affaire contentieuse est assortie de la
responsabilité de garder les enfants entre divorcés, il est
devenu admis dans cet espace que `'Si les enfants n'ont pas encore atteint
l'âge d'aller à l'école, la garde incombe à la
mère. Au dessus de cet âge la garde revient au père».
Cette solution s'apparente certes à celle donnée par le code de
la famille du Sénégal, mais se conçoit de façon
tacite le long de la frontière sénégalo-mauritanienne.
|