CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DES RELATIONS ENTRE
LES DEUX VILLES
Par sa position géographique, le département de
Matam est une zone tampon entre le Sénégal et la Mauritanie.
Cette configuration fait que cette partie du Fouta est tournée sur le
plan économique et social vers la région de Gorgol. Les relations
qui unissent les villes sénégalaises de la vallée et leurs
voisines mauritaniennes sont fondées sur l'histoire et la
géographie des deux pays et sur la diplomatie entamée par les
Etats.
I. Des relations assises sur un socle historique fort
et raffermies par la proximité géographique :
1.1. Le ciment de l'histoire :
La vallée du fleuve Sénégal a toujours
constitué un lieu d'échanges entre les populations riveraines et
cela depuis l'époque des royaumes (Walo et Fouta Toro). Avant la
colonisation ces deux marges frontalières aujourd'hui
séparées, ont appartenu aux mêmes royaumes. Les royaumes du
Walo et du Fouta Toro ont tous regroupé les deux rives du fleuve. Pour
résister aux agressions étrangères les populations de la
vallée ont crée des royaumes et confédération de
royaumes qui ont assuré la protection dans cet espace. A cet effet la
population Wolof et Toucouleur du Fouta Toro ont pendant longtemps vécu
ensemble avec les Maures du Trarza et du Brakna auxqu'elles ont payé des
tributs pour assurer leur protection. La dynastie des `' Laam Taaga» qui
régna sur le fleuve Sénégal est d'origine mixte, Peul et
Berbère. Et son pouvoir était basé sur la vallée du
Gorgol. Les Peul `'Dénianké» ont aussi régné
trois siècles sur le Fouta englobant les deux rives. Ces rois du Fouta
« les Satiguis » sont installés à Goumel sur le
Gorgol44.
En outre les transhumances entre les deux rives du fleuve
étaient très fréquentes. En saison sèche, les Peul
de la rive gauche conduisaient leurs troupeaux sur la rive droite. Mais aussi
les éleveurs de l'actuelle Mauritanie traversaient le fleuve pour faire
«naygal» (vaines pâtures) sur les champs de décrue
récoltés de l'autre coté du fleuve. Ces deux rives
étaient
44 Santoir (C) : Le conflit
mauritano-sénégalais : la genèse, le cas des Peul de la
haute vallée du Sénégal. Centre OSTROM, cahier science
humaine 26-4-1990. Pages 553-576.
UCAD - Département de géographie, Mémoire de
maîtrise de Géographie présenté par M. Barka BA 2010
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« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
complémentaires : la rive droite moins peuplée
était favorable à l'élevage en période humide et la
rive gauche disposant d'un plus vaste arrière pays plus humide
conservait toujours des pâturages en période de sécheresse.
Des migrations de travail conduisaient les Peul de la Mauritanie vers le
Sénégal. La rive gauche constituait, avec la population plus
importante et surtout l'existence de l'axe Matam-Linguère-Dakar ; un
débouché important pour le commerce du bétail. Ainsi les
mauritaniens fréquentaient régulièrement la piste à
bétail menant à Dakar45.
La vallée du fleuve Sénégal, dans son
ensemble a toujours été intégrée dans un commerce
régional de proximité. On y notait un échange de produits
agricoles contre des produits de l'élevage, de pèche et
d'artisanat. Cette complémentarité entre agriculteurs, pasteurs,
pêcheurs et artisans est un fait qui a réglementé les flux
commerciaux autour du bassin du fleuve. Ainsi « le commerce des grains est
particulièrement important entre les populations sédentaires de
la vallée du fleuve Sénégal et les populations
berbères de la Mauritanie actuelle »46.
Pendant la colonisation les deux Etats actuels ont
été sous la domination de la même métropole. Le
Sénégal et la Mauritanie ont été administrés
ensemble à partir de Saint Louis. Ainsi des fonctionnaires
sénégalais sont envoyés en Mauritanie pour servir
l'administration coloniale. Les circonscriptions de Kaédi, Sivé
et de Maghama, à forte population Halpular, étaient
administrées de la même façon que la rive gauche, avec
à leur tête des fonctionnaires noirs. L'intégration
horizontale permettait une libre circulation des hommes et des biens dans les
colonies sous-tutelle de l'AOF.
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