Assia Djebar ou l'ancrage dans l'entre-deux : l'ici et
tout l'ailleurs ou l'impossible retour, dans La Disparition de la langue
française (2003).
BELLALEM AREZKI Université de Bejaia
Quelle patrie ai-je moi ? Ma terre, à moi, où
est-elle ? Où est la terre où je pourrais me coucher ? En
Algérie, je suis étrangère et je rêve de la France ;
en France, je suis encore plus étrangère et je rêve
d'Alger. Est-ce que la patrie, c'est l'endroit où l'on n'est pas
?1. Bernard Marie Koltès, Le Retour au
désert.
D'emblé nous précisons au début de cet
article qu'il s'agira d'une impression de lecture de l'avant dernier roman en
date d'Assia Djebar (La Disparition de la langue
française2), dans lequel nous poserons l'oeil sur
quelques considérations évoquées dans l'intitulé,
à savoir : l'ancrage dans l'écriture
(l'entre-deux), le titre du roman (quelle disparition?), l'exil et la
nostalgie, et l'impossible retour (du je à l'autre).
S'intéresser à Assia Djebar, c'est partir
à la découverte d'une femme écrivain
méditerranéenne hors du commun, non seulement pour l'ampleur de
son oeuvre aux multiples facettes mais aussi pour sa renommée
internationale par de nombreuses récompenses et prix. Encore, parler de
Djebar comme romancière serait réducteur, car elle l'est certes,
mais elle est aussi historienne, journaliste, poétesse, essayiste, sans
oublier ses réalisations théâtrales et
cinématographiques, ce qui fait la richesse de son oeuvre. Par ailleurs,
cette richesse réside aussi dans les thèmes obsessionnels qu'elle
aborde. D'abord, la guerre d'Algérie, mais aussi l'Algérie tout
court : son pays d'origine, son passé, son présent et son avenir.
Son passé douloureux, présent frustrant et son avenir incertain
et inquiétant, ensuite sa francophonie ou son expérience
vécue de la langue française comme l'écrit Annie Gruber :
«seul legs de la colonisation dont elle s'empare avec fierté
pour lui donner une place essentielle dans son travail d'écrivain,
écrivain en langue française, en marge de l'arabe et de la langue
de souche, [...], de la langue berbère»3, ses
multiples discours sur l'altérité, sa double quête d'un
espace pour la langue maternelle dans l'écriture, d'une part, et d'un
espace pour sa « langue marâtre » dans sa langue maternelle,
d'autre part, et enfin, l'expression d'un exil douloureux et d'un impossible
retour, douleur que l'écriture seule peut apaiser comme l'écrit
CLERC Jeanne-Marie : «L'écriture n'est plus déni de
communication, fuite loin du pays natal : elle permet la découverte
d'une communication plus profonde et plus essentielle qui transcende les
frontières et la mort»4. Ces thèmes
récurrents et omniprésents dans son oeuvre ne sont ni neutres ni
anodins mais profondément et intimement liés à sa vie et
à son expérience personnelle, et au-delà, font de Djebar
une irréductible qui, inlassablement, comme l'écrit A. Gruber :
«dit (non) ou mieux crie (non), un (non) de refus, d'opposition, de
résistance, d'affrontement, de révolte aussi à tout ce qui
l'indigne : l'opposition d'un Etat au pouvoir trop lourd, ou d'une tradition
religieuse qu'elle perçoit pervertie par rapport à ses origines
et qu'elle dénonce comme trahie et (
plombée)»5.
1- DJEBAR Assia, op.cit, p. 181.
2- DJEBAR Assia, La Disparition de la langue
française. Paris, Albin Michel, 2003.
3- GRUBER Annie, « Assia Djebar, l'irréductible
», in, Amoralité de la littérature, morales de
l'écrivain, acte du colloque international organisé par le centre
« Michel Baude - Littérature et spiritualité » de
l'Université de Metz, les 26 et 27 mars 1998. Paris, 2000, p. 114.
4- CLERC Jeanne-Marie, Assia Djebar. Ecrire, transgresser,
résister. Paris : L'Harmattan, 1997, p. 30.
5- Ibid, p. 114.
|