PARTIE I : RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE
1) Epidémiologie des maladies de l'Esca et du
Black Dead Arm 1.1 Contexte et nuisibilité
L'Esca, le Black Dead Arm (BDA) et l'Eutypiose2,
sont considérés comme les principales maladies du bois de la
vigne (Larignon, 2004-a). Ces maladies de dépérissement sont
associées à la présence de différents champignons,
capables de dégrader les tissus ligneux. Très dommageables pour
la pérennité du patrimoine viticole, elles concernent la
charpente des souches et compromettent le maintien et la
longévité de l'outil de production (Larignon, 2004-b). Elles sont
présentes dans les principales régions viticoles du monde (Figure
1). A l'étranger, d'autres maladies du bois proche de l'Esca se
manifestent : maladie de Petri, Black Goo et Esca «juvénile»
(Guérin, 2004). En France, selon Dubos (2002), ces maladies concernent
toutes les régions viticoles et affectent une part grandissante du
vignoble. Cet auteur estime que l'Esca est en passe de devenir le
problème phytosanitaire le plus important des vignobles
européens.
Selon l'observatoire national des maladies du bois mis en
place en 2003 sur 612 parcelles, 65% des parcelles présentent au moins
un symptôme d'Esca et/ou de BDA (Herlemont, 2004-a). Les
conséquences économiques et financières sont
particulièrement graves : coût de la recherche et de la lutte
préventive, pertes liées à la diminution du rendement,
pertes liées à la mort des ceps. Cette mortalité au
vignoble peut nécessiter un renouvellement des plants pouvant atteindre
plus de 10% (Grosmann, 2008). Cet aspect n'est pas ignoré des
investisseurs qui exigent aujourd'hui un bilan sanitaire avant toute
transaction patrimoniale (Dubos, 2002).
Les répercussions sur la qualité oenologique
sont également importantes : production excessive à
l'échelle du pied (si les ceps détruits ne sont pas
remplacés et que le rendement à la parcelle est maintenu au
même niveau), ou au contraire rajeunissement des parcelles (si des
remplacements importants sont effectués), entrainant dans les deux cas
une dépréciation de la qualité des vins. On note
également le risque d'abandon des cépages les plus sensibles, ce
qui pourrait entrainer une perte de la typicité des vins des
régions concernées (Larignon, 2009).
Depuis l'interdiction de l'utilisation de l'arsénite de
sodium en 2001 dans tous les pays viticoles pour des raisons de toxicité
humaine et environnementale (Spinosi et al., 2009), les viticulteurs
redoutent une recrudescence de ces maladies, notamment vis-à-vis de
l'Esca, étant donné l'absence de méthodes de lutte
alternative efficace actuellement disponible (Larignon, 2009).
2 Identifiée en France à la fin des
années 70, l'Eutypiose est la maladie la mieux connue mais reste encore
difficile à combattre en dépit des travaux réalisés
par de nombreuses équipes portant sur différents thèmes :
épidémiologie, relation hôte-parasite, méthodes de
lutte (Larignon, 2004-a). On note que BIVB a restreint le champ de cette
étude aux maladies de l'Esca et du BDA.
1.2 Eléments historiques
1.2.1 Historique de l'Esca
L'Esca est une maladie cryptogamique connue depuis très
longtemps. Les écrits de la période gréco-romaine en
faisaient déjà mention (Dubos, 2002). Son origine a longtemps
été indéterminée et attribuée à un
accident d'ordre physiologique, désigné sous le nom de folletage.
(Rolland, 1873 ; Ravaz, 1898). En 1905-1906, Ravaz semble être le premier
à avoir réalisé, qu'une maladie possédant les
mêmes caractéristiques que le folletage était
déjà connue (Surico, 2009). Celle-ci était
désignée auparavant sous le nom de << iska >> en
Grèce (Pavlou, 1906). Ce n'est qu'à la fin du
XIXème siècle que cette forme fut attribuée
à un champignon et de ce fait distinguée du folletage (Larignon,
2005) En 1922, le terme << Esca >> a été introduit
par Viala pour désigner cette maladie (Larignon, 2004-b).
1.2.2 Historique du BDA
Ce dépérissement est encore peu connu en raison
de sa récente identification, et peu d'équipes travaillent
actuellement sur cette maladie (Larignon, 2004-a). Le terme << Black Dead
Arm >> a été introduit par Lehoczky en 1974 pour
désigner la maladie dans le vignoble de Tokaj en Hongrie. L'expression a
ensuite été reprise par Cristinzio (1978) et Rovesti et
Montermini (1987) lors de leurs études respectives en Italie. La maladie
a été identifiée en France en 1999 dans le vignoble du
Médoc (Larignon et al., 2000). Elle s'est étendue
rapidement aux autres régions viticoles françaises, et il semble
qu'elle soit présente dans les vignobles des zones à climats
méditerranéens et tempérés. Le BDA a souvent
été confondu avec l'Esca en raison d'une symptomatologie
convergente au niveau du feuillage. Son émergence est probablement
liée au respect de l'interdiction de l'arsénite de sodium
prononcée en 2001 (Dubos, 2002).
1.3 Symptomatologie
1.3.1 Caractéristiques
générales et différences entre les deux
maladies
Selon Larignon (2007), l'Esca et le BDA sont des syndromes qui
présentent une grande similitude de symptômes foliaires,
observables en général à partir de juin pour le BDA, et
juillet pour l'Esca. Il existe une très grande variabilité
d'expression de ces maladies. De façon générale, les
symptômes les plus visibles sont caractérisés par des
colorations du feuillage et des dessèchements (formes lentes : photos
2-3 et 8-9), alors que les symptômes les plus graves conduisent à
d'importants flétrissements (formes foudroyantes : photos 1 et 7).
D'après les travaux de Larignon et Dubos (2001-a), on
peut distinguer l'Esca et le BDA en étudiant sur les feuilles le
détail des expressions symptomatologiques de leurs formes lentes
respectives. Pour les symptômes d'Esca sur cépage noir, les
digitations rouges observées entre les nervures sont bordées d'un
liseré jaune alors que celui-ci est absent dans le cas du BDA (photos 2
et 8). On note également que les symptômes de BDA sont d'un rouge
vineux alors que ceux de l'Esca sont plus clairs. Sur cépage blanc,
seule la couleur des digitations permet de différencier les deux
maladies (absence du liséré jaune caractéristique de
l'Esca autour des digitations). Les digitations sont d'un jaune plutôt
blanc pour l'Esca alors que le jaune est plus vif pour le BDA (photo 3 et 9).
Il est également possible d'observer les deux faciès sur la
même plante, sur le même rameau, voire sur la même feuille
(photo 4).
Un suivi des feuilles tout au long de la période
végétative a montré que les tissus de couleur rouge vineux
(typique du BDA) s'éclaircissaient pour devenir rouge clair, puis
présentaient à leur
1988 1989 1990 1991 1992 1993
A nnées d'observation
60
50
Souches avec symptOmes (%)
40
30
20
10
0
30,4
21,5
30,8
26,8
51
14,1
Photo 1 : Forme sévère foudroyante de
l'Esca (apoplexie)
Source : Larignon (2009) -
Figure 2 : Taux de souches présentant des
symptômes de la forme lente de l'Esca en septembre Document
non publié (Etude menée en Charentes de 1988
à 1993 sur des parcelles d'Ugni blanc non traitées)
Source : Desaché etal. (1994)
Photo 2 : Evolution de l'expression symptomatologique de
l'Esca Photo 3 : Evolution de l'expression symptomatologique de
l'Esca
sur cépage noir (forme lente) sur cépage
blanc (forme lente)
Source : Larignon (2009) - Document non publié Source
: Larignon (2009) - Document non publié
(I)
(III)
(V)
Photo 4 : Double faciès Esca / BDA sur feuille
Source : Larignon (2009) - Document non publié
Symptômes d'Esca (forme lente)
Symptômes de BDA (forme lente)
Photo 5 : Symptômes d'Esca sur fruit Photo 6 :
Symptômes d'Esca sur bois
Source : Larignon (2009) - Document non publié
(I: nécrose caractéristique ; II: stade précoce ; III :
nécrose sectorielle)
Source : Larignon (2009) - Document non publié
périphérie des jaunissements (Larignon et Dubos,
2001-a). Cette observation suggère à Lecomte et al.,
(2006-a) que le faciès BDA peut être une phase transitoire de
l'expression de la forme lente de l'Esca. Des études sur le profil
anthocyanique de feuilles atteintes par le BDA ou par l'Esca, à des
stades précoces d'expression foliaire, montrent qu'ils sont
différents et signes de dérèglements spécifiques du
métabolisme foliaire (Larignon et al., 2003).
1.3.2 Symptomatologie de l'Esca
D'après Larignon (2009), l'Esca est
généralement observé sur des vignes âgées
d'au moins 8 ans et les symptômes sont très fluctuants d'une
année sur l'autre. En effet, au vignoble, un cep infecté une
année peut très bien se comporter de façon asymptomatique
l'année suivante (Dubos, 2002). La figure 2 illustre cette
variabilité interannuelle dans l'expression de la maladie. Les premiers
symptômes apparaissent, selon les régions, de fin juin à
mi-juillet. Ils se manifestent régulièrement durant toute la
période végétative et touchent soit toute la plante, soit
un seul bras, soit un ou quelques rameaux.
Cette maladie se présente dans le vignoble sous deux
formes. La forme foudroyante (ou « apoplectique ») est
caractérisée par un dessèchement brutal et total de la
végétation -fruits, feuilles et rameaux- (photo 1). La forme
lente se manifeste selon deux modalités, suivant la couleur du
cépage impliqué (photos 2 et 3). Sur cépage noir, on
observe à la surface du limbe de petites taches jaunâtres, qui
vont rougir et prendre une teinte rouge clair, puis griller. Sur cépage
blanc, la forme lente se manifestera sous la forme de petites taches de couleur
jaune, plutôt blanche, à la surface du limbe. Ces taches vont
s'agrandir, fusionner et griller, pour ne laisser qu'une bande verte le long
des nervures principales. Sur les fruits, un retard dans la maturation des
raisins est observé, il peut s'accompagner d'un flétrissement et
d'un dessèchement (photo 5) (Larignon, 2009). Ces symptômes sont
en association ou non avec les symptômes foliaires (Chiarappa, 1959).
Au niveau du bois, la lésion caractéristique de
l'Esca est une nécrose claire et tendre en position centrale qui est
constituée de plusieurs zones (photo 6-I). Au centre, on trouve un bois
clair et friable (A), plus connu sous le nom d'amadou ou pourriture blanche.
Cette zone est délimitée par un liseré noir (B). Entre le
bois sain et le liseré, on observe une nouvelle zone de couleur
brun-rose, de faible épaisseur (C). Cette nécrose
caractéristique est précédée par un autre type de
symptôme : une nécrose brune et dure en position centrale (photo
6-II). Il est parfois également possible d'observer une nécrose
sectorielle de couleur brune -caractéristique de l'Eutypiose- (photo
6-III). Ces différents types de lésion peuvent tout à fait
apparaitre sur un même cep. On peut également observer des
ponctuations noires (correspondant à des vaisseaux
nécrosés) (Larignon et Dubos, 1997).
1.3.3 Symptomatologie du BDA
Le BDA peut être observé sur des vignes
âgées d'au moins trois ans. Les symptômes apparaissent
tôt en saison, de fin mai à mi-juillet selon les régions
viticoles, et se manifestent de façon régulière tout au
long de la période végétative. Ils peuvent toucher soit
toute le plante, soit un seul bras ou encore un ou plusieurs rameaux (Larignon,
2009).
Il existe deux formes de cette maladie : une forme
sévère -apoplexie- (photo 7) et une forme lente, qui conduisent
à une chute prématurée des feuilles. La forme
sévère (défoliation brutale) est différente de la
forme apoplectique de l'Esca. Il peut subsister quelques feuilles à
l'extrémité des rameaux (Larignon et Dubos, 2001-a). La forme
lente se manifeste selon deux modalités, suivant la couleur du
cépage impliqué (photo 8 et photo 9). Sur cépages noirs,
on observe des petites taches d'un rouge vineux à la surface des limbes
des feuilles. Ces taches vont s'agrandir, fusionner, puis prendre
P (
P S
Photo 14 : Nécrose sectorielle du BDA
Source : Larignon (2009) - Document non publié
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Photo 11 : Symptômes du BDA sur inflorescence et
fruit Photo 13 : Coupe transversale au niveau de la bande brune
Source : Larignon (2009) - Document non publié Source
: Larignon (2009) - Document non publié
une teinte feuille morte en ne laissant qu'une bande verte le
long des nervures principales (Larignon, 2009). Sur cépages blancs, On
observe tout d'abord la formation de taches jaunes de couleur vive, qui vont
griller. Ces taches vont s'agrandir, fusionner pour ne laisser qu'une bande
verte le long des nervures principales. On note que d'autres faciès
peuvent également être aperçus (photo 10) : on peut ainsi
observer une perte de la turgescence de la feuille, qui va conduire à la
formation de nécroses plutôt orange, ne laissant progressivement
qu'une bande verte le long des nervures principales. A un stade très
évolué, lorsque les feuilles ne sont pas tombées, les
derniers tissus qui restaient verts commencent à jaunir. Selon la
gravité de la maladie et la période à laquelle elle se
manifeste, elle peut toucher les inflorescences ou les fruits (photo 11),
conduisant à leur dessèchement (Larignon, 2009).
Au niveau du bois, à partir d'un rameau malade,
l'enlèvement de l'écorce (qui se détache facilement
à la main) révèle la présence d'une bande brune qui
part du rameau malade et qui descend jusqu'au niveau de la soudure, voire dans
le porte-greffe (photo 12). Cette bande brune peut se former de part et d'autre
d'une nécrose sectorielle et se traduit ensuite soit par la
présence de taches noires, soit par la formation d'un
chancre3 (Larignon et Dubos, 2001-a). En coupe transversale, on
observe la bande brune (photo 13). Si on agrandit cette zone, on observe
à côté de la bande brune, un secteur dans lequel les
vaisseaux du bois sont obstrués par une substance jaunâtre. La
quantité de vaisseaux obstrués est vraisemblablement responsable
de la forme plus ou moins sévère de la maladie. On peut
également observer des nécroses sectorielles (photo 14). Elles
peuvent être confondues avec la nécrose de l'Eutypiose, mais il
existe toutefois quelques différences, notamment en ce qui concerne la
couleur. Pour le BDA, la nécrose est un peu plus grise et ne
présente pas de stries brunes (Larignon, 2009).
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