UNIVERSITE DE LYON
UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE
LYON
Le « mouvement du 20 février » au
Maroc Une étude de cas de la coordination locale de Rabat
|
Chapouly Romain Mémoire de Master
2 CODEMMO
2010 - 2011
Jury : Karine Bennafla et Montserrat Emperador
Contact :
romain.chapouly@hotmail.fr
Remerciements
Ce mémoire est dédié aux militants du 20
février, et particulièrement à ceux qui, à Rabat et
ailleurs, ont consacré régulièrement de leur temps pour
répondre à mes questions et éclairer ma
compréhension des événements.
Je tiens à remercier toute l'équipe du CESEM de
Rabat, pour m'avoir accueilli en stage durant la période de Mars
à Juillet 2011, et particulièrement son directeur Driss Ksikes et
la rédactrice en chef de la revue Economia, Laetitia Grotti.
Un remerciement particulier revient à Mohamed Laalami
pour son aide précieuse à la traduction. Sans oublier tous ceux
qui, de près ou de loin, m'ont témoigné de leurs
encouragements et contribué à alimenter ma réflexion :
Mouhcine et Houria Ayyouche, Houda Ait Idder, Marwa El-Chab, Mohamed Yazami,
Mohamed El-Boukili, Michel Péraldi, Abdelahad Sebti, Elabadila Chbihna
Maaelaynine, Moustapha El-Guemri, Fouad Abdelmoumni, Abdeslam Adib... et bien
d'autres.
Merci enfin à Brice et Nathalie, spécialistes
ès orthographe, pour leur relecture salvatrice.
Introduction
Au début de l'année 2011, au moment où la
Tunisie et l'Egypte s'engageaient dans un processus révolutionnaire
historique, le Maroc est lui aussi rentré en ébullition sociale.
Avec ses formes propres et tout son héritage politique, le Maroc a bel
et bien suivi la séquence de propagation qui a touché la plupart
des pays arabes avec des nuances d'intensité. Le Maroc, dans son
contexte singulier, est une de ces nuances.
Depuis l'ouverture politique à la fin du règne
d'Hassan II et la transition avec son héritier Mohamed VI, le Maroc se
situe dans les limbes de la typologie des régimes politiques qui
exaspèrent les tenants de la politologie1. Ni purement
autoritaire, dans le sens où le concept de << transition
démocratique », s'il s'est aventuré à postuler une
temporalité linéaire plus que douteuse sur l'évolution
d'un régime autocratique vers la démocratie, n'en a pas moins
montré quelques signes effectifs d'évolutions, disons vers plus
de << souplesse ». Ni pleinement démocratique pour autant,
car le régime marocain reste fermement ancré sur des dispositifs
contrariant en permanence les principes de base d'un système
démocratique, au premier rang desquels la << souveraineté
populaire » qui demeure exclue du débat, puisque c'est en effet le
roi et sa cour (et non le droit) qui détiennent la <<
compétence de la compétence », c'est-à-dire qui
prennent l'initiative des grandes politiques et décident en dernier
recours. Dans ce contexte singulier, que d'aucuns présentent comme une
<< exception marocaine » sur fond de paysage politique arabe, un
mouvement de contestation généralisée porté par la
jeunesse marocaine s'est attelé à reconfigurer le champ de la
contestation et à exposer tous les griefs redevables au régime
marocain, dans le domaine social et politique. Entamé le 20
février 2011, ce mouvement de contestation entend depuis lors construire
un projet alternatif (en dehors et dedans le politique) ainsi que
reconquérir les espaces de diffusion d'une parole contestataire,
censée balayer les discours d'opposition en trompe-l'oeil et proposer
une alternative à l' << unanimisme transitologique » qui
imbibe le corps social marocain ainsi que la quasi intégralité du
corps politique.
1 Dabène O, Geisser V, Massardier G (dir.),
Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au
21e siècle. Convergences Nord-Sud, Paris, La Découverte,
Recherches, 2008, 334 p
Nul doute que le << printemps arabe >> a
provoqué une sorte d'événement générateur
à l'origine d'un renouveau dans les cycles de protestation et d'une
reconfiguration du politique sur la scène marocaine. Pourtant au Maroc,
il s'agit moins d'un événement initiateur qu'un
événement permettant la réactivation d'un potentiel de
contestation en veille (<< abeyance structure >> concept
utilisé par Verta Taylor2) qui a trouvé les motifs de
son renouveau dans une dynamique de cristallisation des contentieux dont les
événements tunisiens et égyptiens, bien que
configurés différemment, en sont les modèles d'inspiration
(diffusant une sorte de << vérité de l'action >>). Ce
qui a démarré le 20 février 2011 au Maroc est certes
à plus d'une titre une modalité nouvelle de protestation, une
action collective inédite entreprise sur un terrain hybride entre le
social et le politique, mais ne constitue pas outre mesure un
phénomène révolutionnaire, étant donné la
temporalité longue dans laquelle les mobilisations et les
événements s'inscrivent ainsi que la proportion encore
minoritaire de la population dont le mouvement a réussi à
susciter l'adhésion. A bien des égards la contestation marocaine
actuelle est le prolongement sous une autre forme d'une activité de
protestation déjà présente3 : la
nouveauté réside en ce que cette force de contestation plurielle
est désormais conglomérée et inscrite dans une
temporalité et un espace synchronisés. Cependant que les forces
en présence, les types d'individus participants et surtout les appareils
de militantismes demeurent relativement inchangés. << Relativement
>> car en effet si les forces visibles marquent la réalité
d'un prolongement dans la manière de conduire le mouvement de
contestation, il demeure des aspects qui soulignent toutefois des
transformations notables : l'apparition de nouveaux types d'alliances, de
nouvelles manière de mobiliser (usage des réseaux sociaux) et
cette dichotomie singulière du mouvement entre un groupe <<
agissant >> (les coordinations locales du << 20 février
>>, qui sont composées en majorité de jeunes militants) et
un groupe << soutenant >> (les comités d'appuis, très
expérimentés, qui sont composés de structures associatives
et partisanes). Cette configuration nouvelle offre une place inédite
à la << jeunesse >> (en tant qu'elle a constitué un
effet de vérité dans les cas tunisien et égyptien) dans
l'acte de décider, et selon des modalités de décisions qui
rompent avec les pratiques antérieures : refus de la
2 Taylor Verta, La continuité des
mouvements sociaux : la mise en veille du mouvement des femmes, in O.
Fillieule (dir.), Devenirs militants. Approches sociologiques du
désengagement, Paris, Belin, 2005
3 Vairel Frédéric, L'ordre
disputé du sit-in au Maroc, Genèses, n°59, 2005/2, p
47-70
bureaucratie et laboratoire d'expérimentation de la
<< démocratie directe >> (cette dernière se
présentant tantôt en vertu, tantôt en
nécessité).
En d'autres termes, le << marché >> de la
contestation au Maroc n'a pas acquis de nouvelles parts, mais il s'est
doté en revanche d'un nouveau type d'organisation qui, dans son plus
notable aspect, tend à concentrer les forces d'une manière
unanime. D'un marché émietté, nous sommes donc
passé à un marché beaucoup plus unifié ou en tout
cas manifestement à tendance oligopolistique (pour filer la
métaphore). Cette innovation peut être porteuse, par la
reconfiguration générale qu'elle permet, d'un accroissement des
effectifs participants ou bien, sans aller jusque là, de transformations
dans les référentiels idéologiques (ce qu'il est entendu
de considérer dans le champ des possibles). L'un serait le
résultat rapide d'un changement du rapport de forces par le nombre,
l'autre d'une endurance, une transformation du rapport de forces par le temps.
Pour résumer cette alternative en des termes politiques, il s'agit soit
de la révolution (renversement du régime), soit d'une <<
guerre de positions >> de type gramscien où
hégémonie et contre-hégémonie se font face et
opèrent des déplacements dans l'ordre culturel.
Dans sa substance syncrétique, le mouvement du 20
février réactive la rhétorique révolutionnaire en
la déclinant sur un mode démocratique, plaçant
l'engagement de l'individu << citoyennisé >> au coeur d'un
processus collectif de changement dont le combat pour les << valeurs
>> constitue le principal leitmotiv. Et pourtant le mouvement semble
davantage se mouvoir sur la ligne gramscienne de reconquête des
légitimités idéologiques sur le registre des
libertés et de la démocratie (qui subsume au passage la question
du partage des richesses, la lutte contre la corruption, la transparence
etc..), que sur la thématique (désuète) de la
conquête du pourvoir et du << grand soir >>
rédempteur. Cette << guerre de position >> inaugurée
par le mouvement du 20 février se veut la construction d'un projet
alternatif renouvelé capable de d'opposer un << contre
modèle >> à celui que dispense le régime
makhzénien, qui comme le démontre Mohamed Tozy, est
spécialisé dans la production d'un lexique et d'une praxis de la
domination.
Car en effet l'histoire contemporaine de l'opposition
démocratique au Maroc est celle d'une élite progressiste qui
ne parvient jamais complètement à se constituer en <<
volonté générale >> et déterminer une
majorité à exercer une force de défection à
l'encontre de
l'appareil monarchique, tout comme les éléments
de contre-hégémonie qu'elle met en place ne parviennent jamais
à ériger des barrières assez hautes pour se
prémunir de son absorption par la force hégémonique,
incarnée par le système monarchique et plus largement par ce
qu'il est convenu d'appeler le Makhzen4 (prolongement du
système monarchique dans l'Etat marocain moderne) . Le <<
mouvement du 20 février » est la dernière tentative en date
pour ériger ces hautes barrières imperméables, dans le but
de mûrir une contre-hégémonie à même
d'organiser la détermination d'une majorité contre l'ordre
établi. Davantage dans l'optique d'un basculement des
référentiels (un combat pour la défense de valeurs)
plutôt que pour un renversement de régime qui n'aurait pour
conséquence que l'immédiateté du changement politique sans
le contenu des transformations culturels, c'est-à-dire les motifs de l'
<< agir » et les modalités du << faire ».
Quand nous saisissons le champ des mouvements sociaux au
Maroc, le caractère relatif que Pierre Bourdieu concédait
à l'autonomie de tout champ social nous apparaît clairement. Car
même si les temporalités, les objectifs et les
procédés s'insèrent dans des logiques distinctes, les
mouvements sociaux sont intimement liés aux enjeux qui prévalent
dans le champ politique. Doit-on pour autant céder à la formule
tautologique de G. Mauger selon laquelle << l'absence de
définition du mouvement social fait [...J parti de sa
définition »5 ?
Le mouvement du 20 février a tout d'un mouvement
politique mais qui n'aurait que les habits d'un mouvement social pour exister
et s'exprimer. Sa structuration même le fait entendre comme un mouvement
social plutôt que comme un mouvement politique. Alors que le projet est
somme toute révolutionnaire (il s'agit de changer la pratique et les
formes légitimes du pouvoir) l'organisation du mouvement est elle
déjà embarquée dans les formes prises par les NMS (faible
structuration, pas d'emprise dans le système économique, faibles
ressources, répertoire d'action à faible incidence). En d'autres
termes, ce mouvement est singulier, partout où on veut le voir il se
situe ailleurs, dans une sorte de configuration hétérotopique de
la contestation, à la fois dans le social et
4 Sur les multiples sens à donner au terme
<< Makhzen » voir Tozy Mohamed, Monarchie et islam politique au
Maroc, Paris, Presses de Sciences Po, 1999, 304 p
5 Mauger Gérard, Pour une politique
réflexive du mouvement social, in Cours-Salies Pierre, Vakaloulis
Michel, Les mobilisations collectives : une controverse sociologique,
Paris, PUF, 2003, p33
dans le politique, ou plutôt situé sur cette digue
instable qui sépare deux eaux et qu'il tente de briser.
Le mouvement du 20 février est donc un de ces cas de
figure qui interrogent l'analyse des mouvements sociaux. Si l'on
considère l'origine et la forme prise par le mouvement, alors on peut le
considérer comme un mouvement social : il est une émanation du
social (c'est-à-dire qu'il a pris naissance en dehors du système
politique institutionnel) et n'a pas pour objectif final la prise du pouvoir
par le jeu de la compétition électorale. En revanche il ne
s'inscrit pas non plus dans le champ propre de la <<
société civile >>, ce n'est pas une association ni
même un regroupement d'associations, et si l'on considère ses
revendications rien ne peut nous laisser dans l'équivoque : ce sont des
revendications éminemment politiques, c'est-à-dire que le coeur
du discours protestataire se porte à un niveau systémique, et non
à des arrangements sectoriels dans l'ordre institué. Ainsi, ni
tout à fait << social >> dans le sens où les
thématiques qui l'animent sont essentiellement d'ordre politique, ni
tout à fait politique dans le sens où il s'exclut lui-même
d'une participation au jeu institué par les règles politiques
marocaines, le mouvement du 20 février se situe à mi-chemin.
Parce qu'il se coupe des enjeux qui sont propres au champ politique, sans pour
autant se couper de ses thèmes rhétoriques, le mouvement du 20
février se veut être avant tout le déploiement d'un espace
de militantisme << citoyen >>, à partir duquel les
participants se rassemblent pour défendre des valeurs et constituer un
<< acte de résistance >>, c'est-à-dire
<< la volonté de nuire aux puissants
>>6. Il s'agit donc de s'éloigner du politique
pour paradoxalement mieux s'en approcher et le saisir, dans un idéal de
pureté, de dépouillement des éléments encombrant la
réflexion autour de l'intérêt général, que
sont au sein du champ politique les échéances électorales
et la course à la captation des ressources.
Tout mouvement social de ce type, c'est-à-dire à
vocation générale, se fonde en premier lieu dans sa dimension
collective sur un principe éthique, d'attitude morale, que d'aucuns
appellent une << attitude citoyenne >>. Nous entendons par cette
<< attitude
6 Bennani Chraïbi Mounia, << Exit,
voice, loyalty et bien d'autres choses encore... >>, in Fillieul O,
Bennani Chraïbi M, (dir) Resistances et protestations dans les
sociétés musulmanes, Presses de Sciences Po, 2002, p58
morale >> le fait que les participants, qui ne sont pas
directement touchés par un grief, soulèvent un problème
collectif, pointent un dysfonctionnement, une injustice, ou une indignation qui
« scandalise >>, et dont la réaction est l'effet d'un
positionnement sur une échelle de valeurs, et non le fruit d'une vision
stratégique de prise de pouvoir ou de captation de ressource.
L'adhésion à cette forme d'action collective est
conditionnée par un « oubli de soi >> qui se
révèle par la faible disposition de l'action entreprise à
garantir des rétributions pour l'investissement des militants. C'est
fondamentalement ce qui distingue un mouvement social «
généraliste >> d'un mouvement social « corporatiste
>>, même s'il ne faut pas dans ce domaine ériger des
frontières trop étanches, et penser que les mouvements de
protestation générale sont épurés de toutes formes
d'intérêts individuels et de rivalités militantes, car il
est comme ailleurs un espace dans lequel chacun souhaite faire fructifier son
« capital >> investi et obtenir des rétributions,
fussentelles symboliques. Surtout aussi qu'il s'agit ici d'une action
collective dont on peut supposer que les fruits ne se récoltent pas tout
à fait dans le champ où on les cultive.
On observera clairement la distinction signalée entre
mouvement social à portée générale et mouvement
social corporatiste dans le cas marocain, par cette désynchronisation
apparente entre les activités de l'association des diplômés
chômeurs et celles du 20 février à partir de sa
création. Les diplômés chômeurs, parce
qu'essentiellement motivés par des promesses de rétribution des
efforts investis dans la visibilité du groupe protestataire (notamment
un poste dans la fonction publique), n'ont donné aucun signaux tangibles
de ralliement à la cause des févriéristes, et continuent
leurs activités protestataires routinières (manifestations,
sit-in, flash mob, ...) presque comme si rien dans l'espace de la contestation
sociale marocaine n'avaient changé. Cela ne veut pas dire pour autant
qu'il existe une imperméabilité structurelle entre ces deux
collectifs militants, ni qu'ils se retrouvent en situation de rivalité,
chacun a d'ailleurs intérêt à ce que l'autre continue son
activité (dans la mesure où tout deux ont intérêt
à ce que la pression sur l'Etat marocain s'accroisse), simplement on ne
peut mettre ces deux mouvements dans la même catégorie, leurs
logiques d'action étant par trop différentes. En effet aucun
févriériste n'a a priori un quelconque motif matériel
à participer à des formes d'actions toujours susceptibles
d'être réprimées, si ce n'est d'appartenir à un
collectif réuni autour de la défense de valeurs (ce qui du point
de vue de l'estime de soi n'est certes pas rien, mais qui matériellement
n'apporte pas beaucoup). Au contraire du diplômé chômeur
pour lequel le collectif sert d'emblée d'appui à la satisfaction
d'un
intérêt individuel (l'obtention d'un emploi), non
que le risque répressif pour le diplômé chômeur
n'existe pas, mais qu'il est cependant gratifier individuellement.
L'ANDCM7 s'est d'ailleurs constituée sur cette logique de
capitalisation/rétribution de l'investissement militant. Cette
institutionnalisation de la rémunération du risque et de l'effort
permet aux plus investis dans les actions du collectif de gagner des places sur
les listes d'attente des emplois à pourvoir dans la fonction
publique.
Néanmoins à côté de cette
observation dichotomique opposant désintérêt/
intérêt à l'action collective, il existe surtout des formes
de protestation hybride où l'intérêt immédiat (et
matériel) à l'action vient rejoindre des principes
d'intérêt général. Telles les tansikiyates contre la
vie chère, qui de 2006 à 2008 ont rassemblé dans tout le
Maroc des milliers de protestataires autour des problèmes d'augmentation
des prix des biens de première nécessité8. En
sortant dans la rue munis des factures d'eau et d'électricité
pour prouver l'augmentation scandaleuse des prix, les participants aux <<
tansikiyates » (coordinations) n'ont pas fait que protester contre un
dommage vécu individuellement, mais s'en sont pris également
à la logique politico-économique qui a présidé
à la réforme de privatisation des services d'eau et
d'électricité. Ou de même, lors de certaines manifestations
des coordinations de diplômés chômeurs où l'on peut
lire et entendre des slogans à portée générale
appelant à la préservation des services publics marocains, et qui
ici font rejoindre intérêt individuel et fondement éthique
de l'action collective9. Ainsi tous les mouvements de protestation
à vocation générale ne sont pas dénués
d'intérêts propres aux individualités composant le
collectif, et tous les mouvements à vocation corporatiste n'existent pas
sans une dose d'éthique d'intérêt générale,
l'un et l'autre s'alimentant mutuellement. Ces points communs participent
à l'inscription de ces mouvements de nature différente dans un
espace partagé, celui du << mouvement social ».
On le voit, les logiques de << justice sociale »
entretiennent avec les mouvements sociaux des liens consubstantiels, qui
nous incitent à penser qu'un élément d'éthique
à vocation
7 Association nationale des diplômés
chômeurs marocains, fondée en 1991
8 Zaki Lamia, Maroc : dépendance
alimentaire, radicalisation contestataire, répression autoritaire,
Etat des résistances dans le Sud - 2009. Face à la crise
alimentaire, CETRI, décembre 2008
9 Trois coordinations de diplômés
chômeur ont même participé ponctuellement aux tansikiyates
contre la vie chère dans la ville de Bouarfa entre 2006 et 2008
générale se glisse toujours d'une manière
ou d'une autre dans les motifs de l'adhésion individuelle à
l'action collective. En revanche l'amalgame consistant à réunir
sous la même dénomination des actions collectives de protestation
au motif qu'elles sont nées dans le << social » ne peut que
porter à confusion et à se méprendre dans l'analyse.
Certains mouvements sont corporatistes dans leur vocation première, et
n'entretiennent quasiment aucun lien avec d'autres mouvements, alors que
certains sont davantage disposés à entretenir des liens plus ou
moins forts avec d'autres mouvements et d'autres champs, et dans des
configurations encore très diverses. Ce fut le cas des tansikiyates
contre la vie chère dont la porosité avec le champ partisan
était notoire, mais dans une logique encore toute différente
aussi celui du 20 février. Cette porosité est essentiellement due
à la << multipositionnalité » des militants, dont
l'activité et le capital se meuvent et se bonifient sur plusieurs champs
et temporalités. C'est en cela que le concept d' << espace des
mouvements sociaux »10 forgé par Lilian Mathieu nous
semble pertinent pour sortir de l'impasse à laquelle est destinée
l'analyse des mouvements sociaux en termes de << champ », qui
contraint son contenu à des règles propres, à une
homogénéité et un hermétisme que la
diversité et la labilité des mouvements sociaux ne peut
satisfaire.
Un des points importants où se cristallisent les
divergences dans l'analyse des mouvements sociaux réside dans la
question de l' << intentionnalité » de l'action. Pour
certains chercheurs, comme Jean-noël Ferrié et Baudouin
Dupret11, qui suivent une filiation wittgensteinienne, la question
de la politisation (c'est-à-dire l'intentionnalité politique de
l'action) d'un mouvement ne peut être cherchée ailleurs que dans
le discours même des acteurs en situation12. Ainsi
plutôt que d'élaborer ou suivre des concepts théoriques les
auteurs nous invitent plutôt à étudier << ceux
des gens dont on analyse l'activité »13.
La question de l'intentionnalité est évidement un
problème sociologique crucial, et identifier la nature des motifs qui
président à la conduite d'une action (individuelle et
10 Mathieu Lilian, L'espace des mouvements
sociaux, Politix, n°77, 2007, p131-151
11 Dupret Baudouin et Ferrié Jean-Noël,
L'idée d'une science sociale et sa relation à la science
politique, Revue française de science politique, 2010/6 Vol. 60, p.
1159-1172.
12 << ce qui permet de qualifier l'action, c'est
l'intention des membres » Ibid. p1164
13 Ibid. p1161
collective) ne va pas de soi. Quand bien même une cause
est désignée comme leitmotiv, le cadre générale de
l'action, a fortiori collective (donc plurielle), est d'emblée
vouée à l'instabilité, au changement. Le contexte et les
acteurs en présence subissent en cela des altérations de nature,
qui dévient les motifs et transforment les intentions au gré des
évolutions. De même, le cours de l'action est en même temps
la création d'un espace où les possibilités sont en
attentes ; des protagonistes investissent l'espace où s'en retirent, des
propositions et contre-propositions reconfigurent en permanence les enjeux
stratégiques, produisant in fine l'activation ou la
désactivation d'une myriade de motifs et d'intentionnalités.
C'est en ce sens qu'un mouvement de résistance ou de contestation, ne
peut se réduire à une forme arrondie d'intentionnalité
axiale qui attendrait d'être cueillie, une intentionnalité pure
qui ignorerait par exemple la présence de déterminations
satellites qui, bien que non nécessairement apparentes (car
dilués dans le collectif), peuvent constituer une somme non
négligeable d'intérêts individuels sans lesquels le
collectif, qu'on croyait solidement bâti sur son axe, s'effondre.
L'intelligibilité qui préside à la fabrication du sens par
les acteurs dans les actions menées n'épuise pas pour autant le
phénomène social, en tant qu'il peut être l'objet d'une
multitude de regards et d'appréciations, s'il l'on admet nonobstant, les
approches pluridisciplinaires.
Selon Ferrié et Dupret, << la
qualification [des acteurs] est souveraine »14.
Vis-à-vis d'un phénomène social, personne ne peut donc
prétendre voir autre chose que ce que les acteurs étudiés
ont déjà dénommé souverainement. On ne pourrait
donc par conséquent qualifier de << politique » une action
collective conduite par des acteurs qui ont pris le soin de préciser au
préalable qu'il ne s'agit pas d'un acte politique. Si au demeurant nous
souscrivons à l'invitation de Ferrié et Dupret, suggérant
de se rapprocher au maximum de ce que nous dit le terrain et les acteurs
engagés dans un phénomène social pour le comprendre et
saisir son intention, le cas du mouvement du 20 février nous offre
pourtant l'occasion de réfléchir sur les limites de cette
approche par l'intentionnalité des acteurs. Car en effet aussi
homogène et unitaire qu'il apparaisse dans ses intentions collectives,
le mouvement porte néanmoins en lui des éléments qui
contredisent cette unité du discours et de la pratique. Notamment, comme
mentionné plus haut, sur la question de savoir s'il s'agit d'un
mouvement social ou d'un mouvement politique (ce
14 Ibid. p1165
qui n'est pas qu'une simple question de terminologie, car il
s'agit bien là de savoir si le champ politique est exclu d'emblée
ou bien s'il persiste une volonté de reconquérir ce champ par des
voies détournées). Si des acteurs du mouvement affirment
s'inscrire dans la logique des mobilisations sociales situées en dehors
du champ politique, d'autres en revanche affirment le contraire en
décrivant leur acte de contestation comme éminemment politique.
D'autres enfin ne voient pas d'inconvénient à situer leur action
dans un entre-deux qui amalgame la logique politique et celle du mouvement
social. La fréquentation des acteurs dans cette « salle des
machines » du mouvement, l'observation de ses dispositions
concrètes, nous montrent donc plutôt une superposition
d'intentionnalités, qui le révèle
hétérogène et contradictoire. Le fait de sonder
l'intentionnalité des acteurs, de les faire parler sur l'action qu'ils
mènent, et le fait de saisir le phénomène social d'une
manière plus théorique (disciplinaire) et plus extérieure,
répondent tous deux à des logiques de nature différente,
et mettent en lumière des éléments certainement
hétérogènes, mais qui ne sont pas nécessairement
voués à s'annihiler mutuellement.
Le caractère inédit (et perturbant) de ce
phénomène de mobilisation sociale tient principalement à
l'équation déséquilibrée qui opposent l'importance
de l'événement (huit mois de mobilisation dans plus de 80 villes
marocaines) à la difficulté objective de sa lecture (qui ? quoi ?
où ? comment ?), rendant le lieu exacte de son influence relativement
flou et donc mal situé. Quand à cela s'ajoute l'opposition entre
une pratique publique du discours qui, contraint par
l'hétérogénéité des alliances, atteint
l'acmé du laconisme, et une incontinence verbale dans les sphères
privées des différents lieux militants et groupes composant le
mouvement, l'analyse traditionnelle du discours basée sur un
matériau écrit et unanime trouve rapidement et logiquement ses
limites. Ainsi peut-on réellement comprendre un phénomène
social de ce type en faisant l'économie des outils d'analyse de
l'anthropologie ? Il semble que non, car l'enjeu de l'événement
acquiert véritablement sa visibilité et sa pertinence à
l'intérieur des situations concrètes où les acteurs
négocient et élaborent les chantiers de la mobilisation. C'est
davantage l'observation empirique du mouvement en train de se faire, en train
d'exister dans sa complexité rhizomique faite de présences
contradictoires, de chairs charismatiques, de paroles plurielles, d'attitudes
expertes ou dilettantes, qui forment le matériau de base permettant
d'appréhender l'identité et le sens de ce mouvement de
contestation, plutôt que la somme des traces
laissées sur les lieux autorisés de sa visibilité.
Notre travail de terrain réalisé a Rabat durant
la période de Juin a Juillet 2011 ne prétend nullement a
l'exhaustivité d'une enquête ethnographique, mais se veut une
contribution a la compréhension sociologique d'un
phénomène de « mobilisation contestataire » assez
inédite dans la configuration politique marocaine. La démarche
accomplie dans cette approche du mouvement du 20 février souffre
d'évidentes carences avant tout d'ordre temporel et spatial : le terrain
d'enquête se situe uniquement a Rabat et sur un créneau
s'étalant de Juin a Juillet 2011. Cette ponctualité de
l'observation n'autorise guère a asseoir des enseignements
généraux sur un phénomène qui occupe tout le
territoire marocain et ce depuis février 2011. Par ailleurs les
informations récoltées, si elles suffisent a priori a bâtir
une ligne de réflexion sensée, demeurent tout a fait
dépendantes d'une part de subjectivité. Celle-ci touche tant
l'observé que l'observateur, dans des contextes largement
dépendants d'éléments contingents, et où une part
du sens tend toujours a s'échapper, notamment dans des situations
où les enjeux sont a géométrie variable et leur saisie
entravée par le détour d'une langue étrangère.
Nous ne pouvons, dans la forme actuelle, prétendre a
saisir le mouvement du 20 février dans sa totalité, a la fois
spatiale, temporelle et thématique. Les points d'approches d'un tel
phénomène sont particulièrement nombreux, et nous n'avons
pas voulu produire une synthèse de toutes les thématiques
possibles. D'où peut-être le sentiment a la lecture que la
présente analyse laisse de côté des
événements importants et des pants entiers de réflexion.
Au vu des données récoltées il nous a semblé que
l'angle le plus pertinent et intéressant a dégager serait celui
de la description de la « genèse » du mouvement, afin de
comprendre ce moment singulier où le collectif prend corps, se codifie,
s'oriente et s'équilibre. La manière dont le mouvement du 20
février émerge, s'organise concrètement et formule son
identité est une facette du mouvement que l'on ne saisit pas très
bien si l'on en reste a une lecture macroscopique. Nous voulions donc retracer
l'exactitude des événements et y inscrire les méthodes et
les incarnations du militantisme rendues visibles dans les lieux d'existence du
collectif (réunions, AG, manifestations) en combinant analyse
interprétative et description factuelle. Ceci de manière a
formuler dans un second temps une sorte d'inventaire des divers profils
militants disponibles, afin de montrer la pluralité des
trajectoires militantes et des modes d'entrée dans le mouvement.
Le présent travail consiste ainsi à saisir la
forme de mobilisation militante telle qu'elle s'est incarnée dans la
ville de Rabat, en essayant d'alterner les regards macroscopique et
microscopique. Les observations faites, notamment au niveau des effectifs
militants, de la composition et du fonctionnement des manifestations et des AG,
ne suffisent donc pas à saisir l'ensemble des pratiques contestataires
et des compositions militantes comprises sous le nom de « 20
février » au Maroc. Le mouvement, bien qu'unitaire sous son
appellation unique au niveau national, montre de multiples variations locales
(plus de 100 coordinations) qui sont autant d'occasion de représenter la
pluralité et les contrastes des contextes sociaux et politiques au
Maroc.
Chapitre 1 : Genèse du « mouvement du 20
février »
Le « mouvement du 20 février » au Maroc a
pris son nom suite à la réussite d'une mobilisation nationale
à laquelle plus de 50 villes marocaines ont participé ce dimanche
20 février 2011. Ce mouvement n'est pas une création ex
nihilo ou l'émanation d'une structure particulière, il est
le produit d'un rassemblement d'initiatives plurielles et l'aboutissement d'une
escalade de mobilisations qui se sont greffées sur les
temporalités des mobilisations arabes de décembre 2010 à
février 2011. L'épure de ce qui deviendra à partir du 20
février un mouvement autonome et unifié, se trouve dans
l'enchevêtrement entre des initiatives virtuelles (via des groupes
Facebook essentiellement) et des mobilisations de rue (sit-in et
manifestations). L'élément déclencheur des mobilisations
marocaines de 2011 est incontestablement les situations tunisienne et
Egyptienne. Ces deux événements majeurs relayés par les
médias arabes satellitaires, violents autant
qu'insoupçonnés, d'une rapidité et d'une radicalité
surprenantes, ont concrétisé l'hypothèse d'un changement
politique possible dans ces régimes dictatoriaux par l'effet d'une
mobilisation populaire de masse. Les semaines de manifestations et de
répressions sanglantes qui ont suivi l'immolation du Tunisien de Sidi
Bouzid, Mohammed Bouazizi le 17 décembre 2010, ainsi que les
mobilisations colossales de la place Tahrir au Caire, ont
réactivé immédiatement comme par capillarité tous
les réseaux et les cercles de la scène contestataire au Maroc.
Au Maroc le « cyber-activisme » a aussi son
histoire15, qui débute en 2007 avec les dénonciations
sur la toile de faits de corruption d'agents de police, d'une manière
analogue à Khaled Saïd en Egypte (qui lui le payera de sa vie),
mais à la différence de ce dernier le sniper marocain n'a jamais
été identifié. Le Web est apparu très tôt au
Maroc comme un espace inédit, anarchique et masqué, une sorte
d'hétérotopie (au sens foucaldien) en deux dimensions,
un lieu d'informations alternatives, de rencontres et de débats, qui
s'est superposé à une scène politique par trop
engoncée dans la bienséance et surtout victime
d'indifférence. Cet espace ni complètement virtuel ni
complètement réel, à partir duquel a germé
anarchiquement toute une nébuleuse de paroles dissidentes qui n'avaient
auparavant nul lieu d'expression, est souvent perçu comme le nouvel
espace
15 Ksikes Driss, Genèse du cyber-activisme
au Maroc, Economia, Cesem, Rabat, n°12, juillet-octobre 2011,
p80-83
du militantisme de la nouvelle « génération
numérique ». Les sites d'e-journalisme, les sites de plaidoyer et
d'informations alternatives, les blogs, les forums de discussion, et
dernièrement les réseaux sociaux, composent cette toile dense
à partir de laquelle semble s'organiser une nouvelle forme de
contre-pouvoir, une contre-hégémonie citoyenne sur le terrain de
l'omniscience communicationnelle. On présente souvent à cet
égard le jeune mouvement de protestation marocain comme le produit de
cette nouvelle culture numérique dissidente. Mais dans cet espace
horizontal, dans cet immense océan d'informations, de prises de parole
et d'échanges d'opinions, on est en droit de se demander comment
l'armature d'une mobilisation concrète réussi-t-elle à
émerger.
Contrairement à une image reçue, les mouvements
de protestations et surtout leurs capacités à faire structure et
s'organiser, ne proviennent pas en premier lieu du virtuel, mais bien du
réel, sur la base de structures militantes expérimentées
et rodées au fonctionnement des expressions publiques de la
contestation. Penser que le mouvement du 20 février est une pure
émanation du cyber-activisme, opérant une rupture ontologique et
épistémologique dans le registre protestataire c'est se fourvoyer
dans l'extrapolation excessive d'un phénomène inédit. Tout
comme le fait de penser qu'une « génération indignée
» a trouvé dans ses motifs de révolte le levier d'une
protestation spontanée, est une généralisation qui occulte
une arrière scène plus complexe et étoffée. Comme
le souligne L. Mathieu, cela revient à créer un raccourci et
à « conférer à l'engagement une dimension
spontanée et impulsive qui fait écran à tout ce que
celui-ci doit à une socialisation particulière16
». Les cas tunisien et égyptien mériteraient qu'on s'attarde
davantage sur les soubassements organisationnels et les dispositifs militants
qui ont rendu possible par exemple les premières manifestations de Sidi
Bouzid, ou encore l'organisation logistique des mobilisations du Caire. Loin de
dénier aux nouveaux outils de communication et autres réseaux
sociaux virtuels une place cruciale dans ces événements
inédits, l'intention est ici de pointer du doigt l'envers du
décor, l'événement sans le mythe qui l'accompagne, pour
comprendre sans raccourci comment une mobilisation contestataire prend corps et
réussit. Le cas marocain est particulièrement éloquent en
la matière, car il s'est joué entre fin 2010 et février
2011 une sorte de va-etvient entre des structures militantes et des
réseaux virtuels jusqu'à ce que l'hybridation
16 Mathieu Lilian, Les ressorts sociaux de
l'indignation militante, Sociologie, Vol.1, 2010/3, p305
prenne forme dans une configuration spécifique : un
mouvement national sans bureau central, avec des coordinations locales
autonomes dans chaque ville, une organisation de soutien au niveau national (en
plus des comités locaux de soutien rassemblant différents
organismes de la société civile avec l'appui de certains
syndicats et partis politiques), une plateforme de communication basée
sur les réseaux sociaux numériques (essentiellement Facebook,
mais aussi Twitter et Youtube) et enfin une collection pléthorique de
<< cyber-relais >> (sites Internet et blogs) notamment le site
Mamfakinch.com.
A partir de décembre 2010, au moment où la
situation s'enlise en Tunisie et que le mouvement populaire prend de l'ampleur,
la blogosphère17 marocaine s'active et des groupes Facebook
se créent. Deux thématiques concentrent les discussions sur la
toile : soutenir la Tunisie et envisager un mouvement de protestation au Maroc.
Rapidement un groupe Facebook sort du lot par le nombre de posts et de membres,
il s'appelle << Des Marocains qui s'entretiennent avec le Roi
>>18. Le Maroc, jusque là épargné dans
les différents groupes de soutien à la Tunisie (puis l'Egypte)
fait son entrée dans l'arène des << cyber-débats
>>. Nouveauté notable, le souverain chérifien fait l'objet
- sans détour - d'un questionnement de fond sur les fondements
politiques du Maroc. Un premier stade est franchi : soulever la question de la
monarchie, en tant que régime d'essence non démocratique qu'il
faut réformer. En vérité tout l'argumentaire en faveur
d'une réforme démocratique de la monarchie marocaine était
déjà dans les starting-blocks, les groupes Facebook n'ont fait
que sortir des questionnements qui réclamaient leur juste moment.
<< Des Marocains qui s'entretiennent avec le Roi >>, cet
intitulé nous révèle deux choses. D'abord l'automatisme de
la saisie du roi pour résoudre un problème politique, nous
verrons par la suite que cette forme d'évocation du roi
disparaîtra du répertoire des << févriéristes
>> au cours de la mobilisation. Le deuxième élément
réside dans la manière d'interpeller le roi : il ne s'agit pas
d'une incantation, d'un appel à ce que le Roi se
17 L'usage des blogs est très
développé au Maroc, il existe même depuis 4 ans une
association nationale des blogueurs Marocains (ABM), qui a eu un rôle
politique au moment des élections municipales de mai 2009 (surveillance
des bureau de vote et dénonciation des phénomènes de
tricheries par postage de vidéos et d'articles)
18 Traduction de l'arabe (NB : les groupes Facebook
et notamment ceux des coordinations du 20 février sont tous en arabe
dialectale (darija) ou classique, les discussions écrites se font la
plupart du temps en darija, quoique le classique soit aussi utilisé, et
le français également mais dans une moindre mesure)
saisisse d'un problème, mais il s'agit bien de la
volonté d'instaurer un dialogue, << face to face »
pourrait-on dire, avec les jeunes marocains, ce qui est en soi un appel
à rompre avec les règles séculières du protocole
royal qui veut que l'on s'adresse au Roi en passant d'abord par des
intermédiaires. Ces << intermédiaires » en question
sont les acteurs des officines royales, des proches du Roi qui composent un
véritable cabinet politique non constitutionnel. Ce groupe qui en
appelle à une discussion directe avec le Roi Mohamed VI constitue la
première ébauche de ce qui deviendra à partir de Janvier
le groupe Facebook << Liberté et Démocratie Maintenant
», quittant le registre de l'évocation royale pour adopter celui de
la mobilisation citoyenne.
Alors que les réseaux sociaux s'activent et <<
marocanisent » progressivement sur la toile les événements
politiques tunisien et égyptien, la rue entame également son
entrée en scène à partir d'une autre source, plus
traditionnelle. C'est en effet à partir du réseau associatif que
les premières mobilisations de rue prennent corps. Un rassemblement
d'associations de plaidoyer organise des manifestations et sit-in à
Rabat devant les ambassades tunisienne et Egyptienne entre fin décembre
et le mois de janvier19. L'Association Marocaine des Droits Humains
(AMDH), figure institutionnelle et emblématique de la lutte
démocratique au Maroc, prend la tête de ce consortium, et sera en
cela à l'avant-poste de la mobilisation du 20 février. Peu
nombreux (quelques centaines) ces précurseurs de la mobilisation
marocaine sont assez facilement réprimés lors de leurs sorties
publiques. Cependant, plus qu'aucun autre lieu, celui des rassemblements de
soutiens aux révoltes arabes, fonctionne comme un véritable
espace de rencontre pour les jeunes militants venus faire entendre leur voix.
On retrouve dans ces toutes premières manifestations les individus qui
constitueront l'épicentre de la mobilisation à venir. Des figures
comme celles d'Oussama El-Khlifi (jeune militant USFP dissident) ou de Najib
Chaouqi (jeune militant de la cause laïque qui s'est fait connaître
avec le mouvement MALI) par exemple ne quitteront plus le devant de la
scène dans les mois qui suivront, cependant que la question du
leadership du mouvement rencontrera un sort singulier, nous y reviendrons.
19 Trois manifestations de soutien à la Tunisie
et quatre en faveur de l'Egypte
1) Du virtuel au réel : réseaux sociaux et
réseaux militants
Avant même la chute du régime de Ben Ali en
Tunisie, un groupe Facebook fait son apparition sur la toile marocaine,
<< Liberté et Démocratie Maintenant ». Attirant un
nombre conséquent de membres ce groupe constitue la première
véritable plateforme de rassemblement des paroles contestataires et qui
conduira à l'organisation d'une marche nationale le 20 février
2011. On doit noter que ce groupe rassemble des individus préalablement
politisés, et n'a pas engagé un processus de politisation, on y
retrouve surtout les jeunes mobilisés dans les manifestations de soutien
aux peuples tunisien et égyptien. A présent les gens mettent des
visages sur les noms.
La construction par étape d'un << espace public
virtuel » est le pendant de la constitution d'un nouvel espace de
protestation réel. Les organisations de la lutte démocratique
réactivent leurs appareils militants et entament une mise en
réseau que les outils de communication modernes permettent
d'accélérer et d'ouvrir plus largement. Mais ce relais virtuel
n'est pas l'émanation des structures elles-mêmes, mais des
individualités qui les composent, et qui en faisant cela s'en
découplent quelque peu. Par ailleurs l'espace public virtuel n'est pas
un lieu qui viendrait retenir les individus dont les motivations militantes
potentielles n'auraient pas été séduites par les
possibilités offertes sur la scène associative ou partisane. Au
contraire les premiers groupes Facebook constituent un espace qui rassemble
avant tout des individus ayant déjà une expérience
militante ou bien l'intention d'un engagement concret. Bien sûr tous les
visiteurs et contributeurs des groupes virtuels ne sont pas des militants, mais
ceux qui effectuent le passage du virtuel au réel sont en revanche des
individus ayant déjà acquis au préalable une motivation
d'engagement résultant d'expériences de politisation
antérieures. Le virtuel n'est pas un espace de socialisation politique
qui se suffirait à lui-même, il n'est pas un lieu où on
s'engage. En cela l'espace virtuel ne peut pas faire l'économie d'une
socialisation militante << traditionnelle » dans ce processus qui
est communément appelé << le passage au réel de
l'action protestataire ». Les individus passant d'une logique de
discussion politique virtuelle à une logique d'engagement militant
inscrit dans la durée, sans avoir au préalable
expérimenté d'autres formes de mobilisations sociales ou
politiques, sont des cas extrêmement rares, et à vrai dire plus un
mythe qu'une réalité.
La spécificité de l'espace public virtuel est
l'ouverture et l'anonymat, ce qui autorise tout un chacun à circuler
sans crainte sur les pages électroniques et à en discuter
librement la teneur. Cette pratique est répandue dans tout le Maroc, et
particulièrement au sein des populations urbaines âgées
entre 15 et 35 ans. La circulation quotidienne dans cet espace virtuel
constitue l'usage tout à fait normal des jeunes utilisateurs d'Internet,
socialisés dans cette configuration qui a de spécifique et
d'attrayant le fait de ne pas reproduire les contraintes de la parole qui
sévissent dans l'espace public réel ; une «
réalité » à l'intérieur de laquelle tout
reprend son ordre, tout se hiérarchise à nouveau.
A quoi sert donc cet espace public virtuel s'il ne permet pas
la politisation et l'engagement ? A vrai dire, et au-delà du mythe de la
conscientisation par médias électroniques interposés, cet
espace permet deux choses essentielles: en premier lieu il permet de faire
bénéficier aux individus d'un espace d'anonymat qui autorise une
pratique sans risque de la liberté de parole. Ainsi on avance ses
positions et ses idées avec beaucoup plus de franchise. D'autre part il
constitue pour des militants souvent cloisonnés ou
éparpillés, un espace inédit d'unification des
discussions, qui joue un rôle providentiel d'accélérateur
de rencontres. Cette capacité d'agrégation des réseaux
sociaux est à retenir si l'on veut comprendre comment il a suffi de
quelques jours pour diffuser les appels à la mobilisation, constituer
des coordinations locales, synchroniser des plateformes de revendications et
organiser des manifestations hebdomadaires dans plus de 100 villes du Maroc
pendant plus de sept mois. La combinaison des réseaux militants
préalablement disponibles et des réseaux sociaux
électroniques est la clé pour comprendre cette réussite
organisationnelle.
Revenons-en aux groupes concrets qui se constituent courant
janvier 2011. A partir de ces premières manifestations de
solidarité avec la Tunisie et l'Egypte, et à la fin de chacune
d'elles, des jeunes individus (la plupart des jeunes militants associatifs ou
partisans, ou encore des jeunes sans étiquettes mais qui se sont
illustrés dans des collectifs ad hoc) se rassemblent en divers groupes
(selon les affinités de chacun) et discutent à bâton rompu
des possibilités d'organiser un mouvement de protestation de grande
ampleur au Maroc. Ces groupes ne sont pas cloisonnés, au contraire les
individualités voyagent d'un groupe de discussion à l'autre, on
pourrait dire que ces groupes sont simplement des réunions
momentanées et totalement informelles à
l'intérieur desquelles chacun sondent les intentions
d'autrui et avance ses propres propositions. Le coeur des échanges se
situe sur la question des modalités organisationnelles de ce qui est
encore un mouvement hypothétique : la forme de la structure, les
alliés potentiels, la cible, et bien sûr les revendications.
Evidemment, il ne saurait s'agir d'une reprise des formes de mobilisations que
le Maroc a connu ces dernières années, structurées autour
de personnes charismatiques et pilotées par des organisations
chevronnées qui font autorité dans ce domaine. L'idée est
de reprendre à son compte les modalités opérationnelles
qui ont fait la singularité tunisienne et égyptienne, et pour ce
faire il faut que la « jeunesse » se prenne en main et mette en place
une forme d'organisation inédite capable de rassembler la contestation
autour de mots d'ordre citoyens qui puissent parler à toute la nation
marocaine, et d'abord aux plus démunis, à ceux que le
régime exclut en premier.
Alors que des initiatives individuelles se multiplient sur
Internet, avec plus ou moins d'échos et de succès, à
l'instar d'une vidéo postée sur Youtube par Oussama El-khlifi
appelant le peuple marocain à se révolter. Vidéo qui a
reçu un succès d'audience au vu du nombre de visionnages, et qui
contribuera autant à la mise sous projecteurs d'ElKhlifi qu'à
éclairer le chemin à suivre quant aux modalités de
communications du futur mouvement. Parallèlement à ces
initiatives, les militants de la jeunesse des partis d'opposition de gauche, y
compris la jeunesse USFP (parti de gauche modérée qui compte
quelques ministres dans le gouvernement actuel d'Abass al-Fassi), entament des
discussions en interne. Mais ce n'est pas du champ politique conventionnel que
viendront les premières initiatives à l'origine du mouvement du
20 février. Les militants des partis ne rejoindront massivement le
bateau qu'une fois celui-ci mis à flot. Une des toutes premières
réunions de jeunes militants se tient à Rabat (dans le
Café Italia du centre ville) à la fin du mois de janvier et
après une manifestation contre le régime d'Housni Moubarak. Sept
personnes composent cette première réunion, ils sont sans
étiquettes, du moins leurs présences n'engagent
qu'eux-mêmes, individuellement. En sortira quelques décisions
prises d'un commun accord, comme la création d'une chaîne Youtube
et la fabrication de tracts appelant les marocains à se tenir
prêts et à consentir à la nécessité d'un
mouvement de grande ampleur au Maroc, dans le sillage des pays arabes
voisins.
Pour le moment tout se passe à Rabat, la capitale
marocaine est le coeur politique du royaume, et l'avenir d'un mouvement
national se joue ici dans ce lieu où convergent toutes les structures
d'oppositions et tous les sièges des grandes organisations de la
société civile marocaine, qui sont autant de réservoirs de
militants, formés et diplômés, aptes à concevoir un
dessein national. Les réseaux sociaux et les groupes Facebook jouent en
parallèle le rôle de relais des débats et des esquisses de
projets auprès des habitants des villes de province. Internet est aussi,
nous l'avons souligné, un bon moyen pour les militants rabatis de se
tenir au courant des forces disponibles dans les diverses contrées du
royaume.
La date de la sortie publique du mouvement de protestation
marocain est le fruit d'un processus de décision combinant l'espace
virtuel et l'espace réel. Les gens mobilisés ici ou là
dans des lieux bien réels de la capitale marocaine, utilisent la
plateforme que constitue le groupe Facebook « Liberté et
démocratie maintenant » pour mettre d'accord tous les militants qui
sont sur le pied de guerre. Le 27 janvier une date est trouvée et
publiée ce jour même par les administrateurs sur le mur du groupe.
Ce sera le 27 du mois de février. Les raisons qui ont motivé ce
choix et les modalités de cette décision ne sont pas clairement
identifiables. A ce propos la part relative d'arbitraire dans certaines
décisions prises au cours de la mobilisation est récurrente et
nous le verrons donnera lieu à des contentieux. La gestion des rapports
de forces dans des contextes où les décisions importantes
à prendre reposent sur des modalités à faible contrainte
(démocratie directe, unanimité...) donne lieu à des
moments de tensions dont on ne sait exactement s'ils fragilisent le collectif
ou s'ils le renforcent. Toujours est-il que cette date, censée
intervenir le plus rapidement possible sur le terrain marocain en profitant de
l'effet d'escalade de la situation régionale, provient aussi du constat
réalisé dans les lieux de militance réels de la
nécessité de prévoir au moins un mois de préparatif
afin d'ajuster le programme et de mobiliser toutes les régions du Maroc.
Rapidement pourtant la date ne convient pas, car elle correspond à la
date anniversaire de la République Arabe Sahraoui Démocratique,
coïncidence négligeable si la problématique sahraouie ne
servait pas de prétexte systématique pour accuser tout mouvement
protestataire d'accointance avec le mouvement sécessionniste du front
Polisario. Le risque était grand de voir le jeune mouvement marocain
décrédibilisé immédiatement dans l'opinion.
Plutôt que faire démarrer la manifestation inaugurale au mois de
mars, on préférera sacrifier une semaine de préparatif. A
la fin du mois de janvier la date du dimanche 20 février est
retenue, elle donnera son nom au mouvemen,t qui a
désormais une page Facebook, fusionnant ainsi les groupes
éparpillés.
Début février, avant même la chute
d'Housni Moubarak, un groupe de jeunes militant se solidifie et entame des
réunions de concertation régulières, à la suite
d'un sit-in de protestation contre le président égyptien. Il
s'agit du groupe des jeunes de l'AMDH. Parmi ces jeunes, la majorité
d'entre eux se connaît déjà, ils sont ou bien membres ou
bien << amis » de l'AMDH. Néanmoins dans ce premier cercle
concret des artisans du << mouvement du 20 février » qui
compte à cette étape des événements entre 20 et 30
personnes, tous les participants ne sont pas membres de l'association.
Cependant tous bénéficient du local du siège central de
Rabat pour tenir leurs réunions. De quoi parle-ton dans ces rencontres
et réunions informelles ? Tout simplement des manières
concrètes de mettre le feu aux poudres au Maroc. Les modalités
concrètes de la mobilisation, ses cadres politiques et
idéologiques, ses piliers revendicatifs, ses principes
intrinsèques, et les préparatifs finaux ont nourri les
débats et ont mûri pendant deux semaines dans les locaux de l'AMDH
occupés chaque soir par une trentaine de jeunes militants Rabatis.
Il est extrêmement important de souligner la place
cruciale prise par ce groupe des jeunes de l'AMDH (et de tous ceux qui, non
membres, se réunissent avec eux) dans les événements
contestataires marocains de l'année 2011. L'AMDH est l'association de
plaidoyer pour la démocratie, la plus radicale, la plus puissante et la
plus chevronnée au Maroc. Elle bénéficie d'un rayonnement
étendu et dense dans toutes les régions du Royaume. C'est
principalement ce réseau, composé de 92 sections et de 12 000
adhérents sur l'ensemble du Maroc, qui va permettre cette
synchronisation quasi immédiate des mouvements locaux du << 20
février » à partir de cette date. D'autres structures
nationales contribueront à cela, c'est à n'en pas douter, mais
aucune d'entre elles ne peut se prévaloir d'un tel réseau, et
d'une telle capacité fédérative sur l'ensemble d'un
territoire aussi saccadé que celui du Maroc. La probité de
l'association, son abnégation et les sacrifices que ses membres ont
consenti depuis des décennies sur le terrain des luttes sociales et
politiques, confèrent à l'AMDH une autorité
inégalée dans le domaine du plaidoyer pour la démocratie
et les droits de l'homme. Son rayonnement politique bien que situé
à l'extrême gauche tend à transcender les clivages
idéologiques et partisans de la gauche. Mais les rivalités
politiques demeurent toutefois,
c'est ce qui fonde la présence concomitante au Maroc de
plusieurs organisations de droits de l'homme, issue de scissions ou de
créations ex nihilo. Car en effet, il serait incomplet de
souligner la seule dimension civile des organisations des droits de l'homme en
laissant de côté leur dimension politique. On peut dire
qu'à plus d'un titre ces organisations civiles sont le reflet à
peine déformé de bien des querelles partisanes, qui trouvent sur
le terrain des droits de l'homme une arrière-cour disponible pour
extrapoler leurs contentieux. C'est la rivalité qui existe par exemple
entre l'AMDH, proche des structures du parti de la Voie Démocratique, et
l'OMDH (organisation marocaine des droits de l'homme), plus proche des
positions du centre gauche20.
Néanmoins la régularité et
l'efficacité du travail de l'AMDH, ses prises de positions
indéfectibles à l'égard de l'exigence démocratique,
son intransigeance quant à la critique du système
makhzénien, lui confère une confiance que les jeunes
contestataires marocains (très suspicieux en matière
d'instrumentalisation) ne sont pas prêts d'attribuer à n'importe
qui.
Comme nous l'avons souligné le groupe de l'AMDH est
très hétéroclite, et les individus qui le composent ne
sont pas tous liés à l'extrême gauche. Cependant il est
à noter que l'existence concomitante d'autres groupes de jeunes
militants (qui ne sont pas venus immédiatement rejoindre celui de
l'AMDH) est à mettre sur le compte d'une certaine méfiance
à l'égard de cette association très proche (voir
intimement liée) au parti de la Voie Démocratique ( Annahj
Addimocrati, en arabe) héritier du parti clandestin marxiste
Ilâ al-Amâm. Ces individus regroupés en marge du groupe de
l'AMDH, et quoique communiquant avec lui, soupçonnaient l'association de
jouer masquée le rôle de relais de la Voie Démocratique
pour prendre le leadership de la mobilisation en devenir.
Les premières réunions qui ont lieu à
l'AMDH sont au début très discrètes, la direction de
l'association n'est pas immédiatement mise au courant de cette
initiative. Cependant une fois informée, la direction a laissé
toute latitude à ce groupe pour s'organiser de manière autonome.
L'action autonome des jeunesses égyptienne et tunisienne a
fabriqué
20 Pour un tableau exhaustif du champ des droits de
l'homme au Maroc, voir Rollinde Margueritte, Le mouvement des droits de
l'Homme au Maroc. De l'engagement national à la lutte pour la
citoyenneté, Paris, Karthala-Institut Maghreb-Europe, 2002, 506p
un effet de vérité que les cadres de l'ancienne
génération de l'AMDH ont tôt fait d'entériner. Et
c'est à partir de ce contrat tacite passé entre les leaders
organiques et les jeunes militants en herbe que prendra forme la structure
dichotomique du mouvement : d'une part un cadre décisionnel
laissé à la discrétion des assemblées
générales du mouvement indépendant, d'autre part un
comité d'appui rassemblant les structures d'opposition traditionnelles.
Le comité national d'appui rassemble un collectif de plus de 100
organisations de la société civile, accompagnées des
grandes centrales syndicales (UMT, CDT, ODT, SNESUP, UNEM) et de partis
politiques (PSU, PADS, Annahj Addimocrati, CNI, al-Badil al-Hadari, Hizb
al-Oumma, al-Adl wal-Ihssan)21. Ce comité d'appui au
mouvement du 20 février n'a pas de pouvoir décisionnel, il sert
de bailleur pour les divers frais d'organisation du mouvement, et de caution
symbolique en appuyant les décisions prises par les assemblées
générales du mouvement. Contrairement au mouvement du 20
février qui n'existe que par ces coordinations locales, le comité
d'appui relève d'une structure nationale avec un comité
exécutif composé de 16 personnes (dont Mohamed Aouni et
Abdelhamid Amin). En outre la plupart des coordinations locales du 20
février sont épaulées par des comités de soutien
locaux (qui fournissent une aide matérielle).
A Rabat les jeunes du groupe de l'AMDH veulent reproduire les
conditions de ce qui a constitué la force des mobilisations tunisienne
et égyptienne : mobiliser la jeunesse, faire du neuf, du
spontané, de la révolte citoyenne. Pour cela il faudra montrer
par tous les signes possibles qu'une jeunesse indignée existe au Maroc
et qu'elle compte se mobiliser de manière autonome avec les nouvelles
recettes du XXIè siècle. Donc le corollaire immédiat de
ces premières conditions est une exclusion de facto des
dispositifs de décisions des anciennes structures associatives qui ont
modelé les manières de faire dans le paysage de la contestation
marocaine depuis 40 ans. Une exclusion amicale s'entend, une prise de distance
nécessaire en tout cas afin que la mobilisation marocaine montre qu'elle
est neuve, qu'elle se fonde sur de nouveaux motifs, qu'elle n'est pas un
énième avatar des survivances marxistes-révolutionnaires,
mais qu'elle est justement le signe d'un changement dans les règles du
jeu, et marque l'avènement d'une nouvelle génération qui
prétend à la citoyenneté comme droit le plus
21 Notons l'absence de l'USFP. Il est tout de
même étonnant de constater la forte implication de la jeunesse du
parti dans un mouvement qui conteste un gouvernement (et un système)
auquel participe ce même parti. Ce paradoxe est manifestement un
symptôme du décalage existant entre les jeunes militants et les
apparatchiks de l'USFP.
fondamental. Cette mobilisation souhaite aussi montrer qu'elle
est prête à mettre un point final à la lente
décennie de tergiversations politiques et de consensus mou autour des
attributions de pouvoir entre l'Etat makhzénien et l'Etat moderne,
c'est-à-dire entre les dispositifs démocratiques, faiblement
dotés en compétences souveraines et les prérogatives
royales qui perpétuent le monopole de court-circuitage des
décisions politiques et administratives derrière une vitrine
constitutionnelle.
Les quinze jours de préparation sont intenses, le
premier noyau militant est solide et rassemblé dans un lieu, le
siège central de l'AMDH, qui restera pendant quelques temps le QG du
mouvement. La plateforme revendicative est constituée, les slogans sont
répertoriés, et la structure graphique du mouvement
standardisée. Le ton visuel est très sobre, un fond noir sur
lequel est inscrit << mouvement du 20 février »
décliné en trois langues : arabe, tamazight,
français22. En province les coordinations locales prennent
forme, grâce au rôle d'intermédiaires indispensables que
jouent les comités locaux de l'AMDH, accompagnés d'autres
structures associatives (comme l'association AttacMaroc très
présente à Agadir et à Tanger). Le compte à rebours
de la mobilisation nationale est lancé précisément le 14
février au moment où la première vidéo23
du mouvement du 20 février est postée sur Youtube et sur la page
Facebook du groupe << mouvement du 20 février ». Cette
première vidéo met en scène une dizaine de jeunes
militants qui, un à un, déclinent les raisons de leur
participation à la manifestation du dimanche 20 février, en
commençant tous leur discours par << Ana maghribi » (je suis
marocain) suivis des motifs de la mobilisation.
Une des particularités du mouvement du 20
février dans l'espace des mouvements protestataires marocains repose sur
la désynchronisation entre le cadre programmatique et la
temporalité de l'action. Dans le fonctionnement classique d'une
mobilisation sociale, un programme de revendications précède
toujours le moment de l'action (manifestations, grèves,
pétitions...). Or le processus d'établissement d'une charte
commune ou d'un programme de revendications connaît un sort ambigu dans
le cas du mouvement du 20 février. Dans un souci d'autonomie
laissée au local, le premier noyau
22 Pour un aperçu des affiches, tracts, et
divers support de communication du mouvement voir en annexe
23 Toutes les vidéos du sont disponibles sur la
chaîne Youtube du mouvement :
www.youtube.com/user/mouvement20fevrier?blend=21&ob=5
de Rabat a concocté une << plateforme
revendicative >> minimale publiée sur la page Facebook du
mouvement et annoncée le 17 février en conférence de
presse. Mais rapidement au cours de la mobilisation et de la constitution des
coordinations locales un litige apparaît au niveau de la première
revendication qui appelle à transformer la << monarchie
exécutive >> en << monarchie parlementaire >>. En
particulier deux groupes de militants (Annahj Addimocrati et al-Adl wal-Ihssan)
s'opposent à l'inscription du terme << monarchie parlementaire
>> dans la plateforme revendicative. De février à
août il y a eu au total quatre plateformes programmatiques
différentes. Ces changements sont dus essentiellement à des
divergences lexicales, mais ce conflit de vocables n'est pas si symbolique que
cela. Conserver le mot << monarchie >> ou le supprimer change
objectivement la tonalité de la protestation. Au final dans la
quatrième plateforme, l'appel à une << monarchie
parlementaire >> est définitivement remplacé par l'appel
à une << constitution démocratique >>. Mais cependant
l'expression << monarchie parlementaire >> ne disparaît pas
complètement. Bien qu'elle ne figure plus dans la plateforme, la formule
persiste en revanche ailleurs, dans d'autres lieux. On la retrouve ainsi
à de nombreuses reprises dans des banderoles de cortège, dans des
slogans et lors d'interviews journalistiques dans la bouche de
différents militants du mouvement. Ainsi, on le voit objectivement, le
mouvement du 20 février ne s'est pas basé sur une charte claire,
un programme solide et unanime (<< à l'ancienne >>
pourrait-on dire) mais plutôt sur des formules générales et
chancelantes. En réalité, et cela fait partie de la
nouveauté, le mouvement n'a pas eu besoin de cela pour exister. Sa force
motrice réside bel et bien ailleurs, dans un impératif
d'autonomie locale et dans une sorte d'indignation collective, un enthousiasme
partagé par une jeunesse militante qui veut en découdre avec un
système. Cette volonté de changement, qui est une sorte de
<< volonté sans objet >> naviguant à tâtons,
illustre bien l'esprit d'acéphalie (un corps marchant sans tête)
qui guide le mouvement depuis le début, et qui constitue à force,
sa motricité intrinsèque, en même temps qu'elle en souligne
les limites. Toujours est-il qu'en dépit des variations sur les termes
employés, le mouvement du 20 février vise bien des objectifs
généraux dont on peut identifier trois tendances : Une
réforme du régime absolu (il s'agit d'une volonté de faire
basculer le lieu d'exercice de la souveraineté du palais vers les
citoyens) qui comprend une critique de la << corruption oligopolistique
>> ; une lutte contre les politiques néo-libérales qui
maintiennent les inégalités sociales ; et enfin une critique
radicale du système partisan (et des appareils bureaucratiques).
L'ensemble reste assez vaste et général pour qu'un maximum de
gens puisse y adhérer au niveau national, et
pour que les coordinations locales puissent facilement y joindre
des problématiques locales.
Le Dimanche 20 février 2011 il pleut sur Rabat, mais
cela n'empêche pas une mobilisation importante d'avoir lieu24.
Les affiches du mouvement sont là, quoique encore peu homogènes,
les supports de communication sont à ce stade essentiellement de
l'artisanat individuel, les participants confectionnant des pancartes où
figurent les motifs de leur mécontentement : fin de la corruption, fin
du despotisme, revendication pour une vraie démocratie...etc. La
mobilisation est un succès dans tout le Maroc, bien qu'elle n'ait pas
rassemblé autant que souhaité (environ 150 000 manifestants sur
l'ensemble du territoire, on est donc loin des scénarios tunisien et
égyptien). Le succès se trouve ailleurs pourtant, dans la
synchronisation des lieux, la simultanéité des manifestations. En
effet 54 villes25 ont organisé des manifestations ce dimanche
20 février, répondant directement à l'appel de la
coordination de Rabat. Dés lors les coordinations se multiplient en
province. Le 24 avril, c'est-à-dire seulement deux mois après le
début de la mobilisation, ce seront 110 villes qui organiseront des
manifestations par le biais des coordinations locales. Un site Internet,
www.mamfakinch.com,
créé dans la foulé du 20 février et
indépendant du mouvement, se charge de récolter toutes les
informations relatives aux événements et manifestations du
mouvement dans tous le Maroc. Créé à l'étranger,
sur le modèle de l' « e-journal » alternatif tunisien Nawaat
qui a accompagné la révolution tunisienne, le site Mamfakinch se
veut une plateforme d'informations et d'analyses censée pallier la
désinformation des médias officiels. Il produit également
un « suivi en temps réel » et un « mapping » de
toutes les manifestations marocaines hebdomadaires, avec à chaque fois
les chiffres de participation et des vidéos
illustratives.
Mamfakinch.com s'avère un outil essentiel dans la communication
et la coordination du mouvement.
Le mercredi 9 mars, soit 17 jours après la
première manifestation du mouvement du 20 février, le roi
Mohamed VI fait un discours à la télévision nationale. Sur
le ton calme et désincarné qu'on lui connaît, il fait
entendre qu'il comprend le mécontentement
24 Pour un récit détaillé des
manifestations du dimanche 20 février voir Tel Quel n°462, 26
février-4 mars
25 Chiffres officiels du ministère de
l'Intérieur
populaire et partant décide de mettre sur pied une
commission chargée d'élaborer un projet de réforme
constitutionnelle dont la mouture finale sera soumise à
référendum.
Comme le soulignent L. Zaki et A. Tourabi le mouvement du 20
février « apparaît un temps divisé sur
l'interprétation à donner à cette initiative >>
Mais il continuera néanmoins à appeler à la mobilisation
au motif de « la nature non démocratique de la procédure
de nomination des membres de la commission constitutionnelle consultative par
le roi, qui rappelle la pratique de la "Constitution octroyée",
utilisée par Hassan II en 1962, 1992 et 1996, celle-ci avait finalement
eu pour effet de garantir la mainmise du pouvoir royal sur le champ
politique >>26.
2) Implication des jeunesses partisanes
Les lendemains de cette journée de mobilisation vont
changer la donne. La réussite de la mobilisation va inciter une jeunesse
partisane à massivement rejoindre les rangs. Même si l'implication
de certains jeunes des partis de gauche était déjà
à l'oeuvre dans les prémisses du 20 février, c'est surtout
après cette date que le mouvement se gonfle d'un effectif militant
supplémentaire. Ces nouveaux militants, fraîchement
débarqués des partis, dés lors s'identifient au mouvement,
le gratifient de leurs réseaux, de leurs compétences militantes,
mais aussi de leurs querelles de chapelles. Comme l'indiquent
L. Zaki et A. Tourabi « ces partis comptent certes
peu de militants encartés, mais ces derniers sont
expérimentés, rompus aux techniques de mobilisation et aux
face-à-face avec les forces de l'ordre, et constituent donc à ce
titre des soutiens centraux durant les mobilisations. Par ailleurs, ils sont
souvent multipositionnés et ont une forte capacité de
mobilisation au sein des syndicats de gauche et du tissu associatif
>>27. Les jeunesses des partis de gauche, qu'elles aient ou
non participé à la première manifestation, rejoignant
massivement le noyau pionnier du mouvement, intègrent également
les groupes privés
26 Tourabi Abdellah, Zaki Lamia , Maroc : une
révolution royale ?, Mouvements, n° 66, 2011, p102
27 Ibid, p 99
Facebook28. Celui de la coordination de Rabat
compte autour de 150 membres à la mijuillet. C'est aussi une
période où les cercles s'agrandissent d'une façon telle
que rapidement les participants vont être filtrés. On s'assure
(par une sorte de parrainage) que les militants qui pénètrent les
cercles de discussions (sur les groupes Facebook ou dans les réunions)
sont dignes de confiance et ne sont pas des agents des renseignement (ou de
quelconques mouchards du régime). Mais cependant le principe d'ouverture
du mouvement à tous les citoyens prévaut sur l'impératif
de confiance. La pratique du filtrage se déplace au niveau des
responsabilités organisationnelles (les comités), qui agissant le
plus souvent en secret (et à huis clos) sont désignés en
AG parmi les militants les plus méritants (ceux qui ont fait leurs
preuves) cependant qu'un turn-over est institué pour freiner toute
tentative de monopolisation des postes clés.
L'ouverture du mouvement à tous les citoyens marocains
désireux de contribuer au changement politique offre une occasion pour
les partis politiques de la gauche de renouer avec l'action politique non
partisane, comme certains partis l'avaient fait entre 2006 et 2008 pendant les
mobilisations locales contre la vie chère. Il faut bien dire qu'à
cet égard tous les partis ne sont pas logés à la
même enseigne. Annahj Addimocrati est évidemment le parti
politique qui fait de la participation au mouvement social sa priorité
(le parti ne participe pas au processus électoral). En terme
d'éloignement du << mouvement social », l'USFP remporte la
palme, cependant que certains de ses jeunes militants les plus radicaux ne s'en
soient jamais éloignés complètement. Il n'est nullement
surprenant de voir que les jeunes militants USFP qui ont participé
à ces espaces de renouvellement de la question sociale - au sein des
coordinations locales contre la vie chère ou dans le Forum Social
Marocain - sont naturellement ceux qui ont ensuite pris part au mouvement du 20
février. Le parti de l'USFP offre une image particulièrement
intéressante de l'évolution binaire d'un parti de masse,
symptomatique d'une ambivalence qui travaille le parti depuis plus d'une
décennie, et qui trouve avec l'avènement du 20 février
prétexte à clarifier les positions et donc à accentuer les
tensions internes. L. Zaki et A. Tourabi notent fort à propos, <<
Les tergiversations de la direction de l'Union socialiste des forces
populaires (USFP) sur l'attitude à adopter
28 Chaque coordination locale du mouvement du 20
février possède son groupe Facebook privé. A
l'intérieur de ces groupes ne peuvent entrer que ceux qui ont
reçu la permission des administrateurs, il faut donc montrer patte
blanche pour devenir membre du 20 février et avoir ainsi accès
aux informations et au fil des discussions.
par rapport au mouvement du 20 février donnent
à voir les divisions en son sein >>29. Cette
ambivalence du parti est à comprendre par le fait qu'il n'a pas connu
qu'une forme de « notabilisation >> (comme on le
répète souvent), mais qu'il a su gardé nolens
volens, dans les rangs de ses bases militantes, un noyau de jeunes
militants, plus proches des positions révolutionnaires des fondateurs
que celles de la direction actuelle du parti. Ainsi, bien malgré lui, le
parti de l'USFP n'a pas su contrarier complètement ses bases, et c'est
cette étonnante fidélité qui permet au parti de garder
actuellement un pied dans le mouvement social. Par ailleurs, bien que nombreux
et puissants au sein du 20 février les jeunes de l'USFP ne sont pas pour
autant tous d'accord sur les positions à adopter. Un nombre non
négligeable de jeunes ittihadis se situe sur l'aile
modérée du mouvement, appelant toujours à des formes
tempérées de mobilisation, afin de ne pas trop s'écarter
des limites tolérées par le parti (qui rappelons-le participe au
gouvernement d'Abbas el-Fassi). Une position qui tranche avec celles d'al-Adl
walIhssan et d'Annahj Addimocrati, fervents adeptes d'options
révolutionnaires et d'une confrontation directe avec le Makhzen. La
période de positionnement sur la question du référendum
constitutionnel consommera la rupture entre le 20 février et une
certaine frange de la jeunesse ittihadie. A partir de Juillet (après que
le référendum ait validé le projet constitutionnel) on
assiste à des scènes étonnantes à l'occasion de
plusieurs manifestations, où certains militants USFP, hier participant
aux cortèges, se retrouvent au café Balima à siroter des
limonades en regardant médusés défiler, quelques
mètres plus loin, les manifestants du 20 février sur l'avenue
Mohamed V.
Le PSU apparaît comme le parti de gauche parlementaire
qui a su le mieux gérer sa relation avec le mouvement social. Le parti
dirigé par Mohamed Moujahid, a été extrêmement actif
dans les « tansikiyates contre le hausse des prix >> entre 2006 et
2008. Ce combat pour des questions économiques dans un cadre
extra-électoral a crédité le parti d'un gain de confiance
au sein des forces sociales. Et en investissant ainsi le champ social dans plus
de quatre-vingt villes du pays, le parti a également contribué au
processus de politisation de cet espace contestataire. La participation du PSU
aux tansikiyates est une volonté préméditée de
reconstruire la gauche par le bas. Cette volonté est une réponse
stratégique à l'effondrement du capital de sympathie des
marocains pour la politique, dont les élections législatives de
2007 en sont le symptôme.
29 Tourabi Abdellah, Zaki Lamia , Maroc : une
révolution royale ?, Mouvements, n° 66, 2011, p 100
A l'inverse, la stratégie de l'USFP visant à
reconquérir des sièges à la chambre des
représentants a consisté à solliciter l'appui des notables
locaux (rétribués en sièges au parlement), quitte à
brader la cohérence idéologique du parti et à tourner le
dos aux bases militantes. Il nous semble que le travail antérieur
effectué par le PSU pour parvenir à une unification de la gauche,
dont le G3 est l'illustration (PSU, PADS, CNI30), ainsi que l'effort
consenti à faire un retour nécessaire dans l'espace des
mouvements sociaux, est - tout comme l'intégrité de ses
fondateurs, à l'image de l'incorruptible Mohamed Bensaïd Aït
Idder - à l'origine de son gain de popularité auprès des
jeunes militants du 20 février.
Au final au sein du 20 février, les positions des
militants par rapport au champ politique font le grand écart. Certains
militants adhèrent aux schémas classiques de la politique tels
qu'ils prévalent, et ne souhaitent nullement s'en couper. Ils
émettent certes des critiques mais ne disqualifient pas le
système dans son entier (c'est le cas des USFPistes). D'autres sont plus
critiques, notamment au regard de ce à quoi a conduit la participation
gouvernementale de 1998 : nous avons là les militants de l'alliance du
G3 : PSU, PADS, CNI. Cette attitude labile du G3 est charnière, car elle
circule entre la participation ou le boycott de la politique traditionnelle.
Encore un point où la position du G3 sur la question de la participation
ou non aux prochaines élections législatives sera
décisive. Par ailleurs certains autres militants disqualifient le
système partisan totalement mais ne sont pas anti-parlementaristes pour
autant (c'est la position de la plupart des « indépendants »).
La position des militants d'Annahj s'inscrit également dans un refus de
cautionner les institutions de la « démocratie bourgeoise »,
sans pour autant disqualifier la modalité politique que
représente le « parti ». Enfin une dernière position
observable est celle que partagent les militants d'extrême gauche
d'obédience « basiste ». Ceux-là n'officient dans aucun
parti, pour la raison qu'ils renoncent à participer à un
système partisan voué à l'instrumentalisation par le
pouvoir central. Largement présent dans les syndicats (notamment l'UNEM)
et les associations (comme ATTAC-Maroc), les « basistes »
représentent une nébuleuse, un collectif dilué et peu
identifiable, qui s'investit essentiellement dans les mouvements de
protestation locaux (d'où l'appellation « basistes »). Ils
sont en cela de fervents adeptes de la démocratie directe et de la
décentralisation radicale des instances de décision au niveau de
la
30 PSU, parti socilaiste unifié ; PADS : parti
de l'avant-garde socialiste ; CNI : congrès national ittihadi
société. Il est à noter que les positions
à l'égard de la monarchie subissent le même
éclectisme, dont les tergiversations relatives à la composition
des revendications de la plateforme du mouvement sont le
révélateur.
Nous pouvons in fine faire état de la
répartition des forces disponibles dans la coordination de Rabat comme
suit : sur la base d'une présence régulière en AG
située entre 50 et 60 personnes, une dizaine de militants appartiennent
à l'USFP, une dizaine également sont au PSU ou au PADS, cinq
militants viennent d'Annahj Addimocrati, une dizaine de militants sont
liés à al-Adl wal-Ihssan, quatre militants sont affiliés
à l'association ATTAC-Maroc, et enfin 2 militants viennent du mouvement
« Baraka »31 . Le reste des effectifs composant les AG
relève des militants sympathisants ou indépendants, soit une
quinzaine d'individus. Ainsi l'observation empirique nous montre bien la
prégnance des militants encartés et donc redevables d'une
socialisation politique opérée en partie au sein de formations
politiques classiques. Nous sommes donc assez loin de l'idée selon
laquelle ces nouvelles mobilisations et ces nouveaux forums seraient l'apanage
de « néo-militants », d'un collectif composé
d'individus idéologiquement et politiquement vierges.
Il ne peut donc s'agir d'un mouvement qui s'émancipe
complètement des règles de la politique classique, pour investir
un chemin radicalement alternatif, mais ce n'est pas non plus un mouvement
absolument entenaillé par le champ partisan. Tout d'abord parce qu'il
existe bel et bien des forces indépendantes qui refusent cette mainmise,
et en second lieu parce que le champ partisan est à ce point
hétérogène et conflictuel qu'il ne peut en lui-même
conduire à l'acceptation de règles unanimes. Le mouvement n'est
pas autre chose, en somme, qu'un équilibre fragile de forces
convergentes autant que divergentes, et qui se trouve présentement dans
une configuration de convergence, largement suscitée par l'élan
unificateur du « printemps arabe ». Mais cette convergence, qui
semble être contrariée de toute part et fonctionner sur le
principe de l'unanimité silencieuse par la grâce d'un ennemi
ciblé en commun, peut à tout moment se défaire. La
particularité du mouvement du 20 février repose pourtant sur ce
fait
31 Affilié au parti islamiste PJD, le
mouvement « Baraka », s'est opposé à la position du PJD
qui a appelé officiellement, en la personne se son leader Abdelillah
Benkirane, à ne pas participer au mouvement du 20 février.
ambivalent : quoi qu'une division du mouvement paraisse non
seulement possible mais quasiment inéluctable, en revanche une fois
défait le mouvement semble être en mesure, à la
manière du rhizome, de se reconstruire à tout moment. Ses effets
paraissent avoir marqué la réalité sociale d'une trace
indélébile, comme un système créateur d'une
nouvelle culture de la mobilisation, et dont les éléments
participant gardent en mémoire les référentiels communs.
Il y a donc un << esprit 20 février » qui n'est pas
près d'épuiser les ressorts du mouvement social marocain, et qui
semble même s'incarner comme la nouvelle formule du politique, à
laquelle le champ partisan conventionnel ne pourra pas échapper.
Une chose est sûre, alors que les leaders politiques de
la génération précédente connaissent entre eux
beaucoup de tensions, liées aux expériences passées de
désunions et de scissions, il y a dans la nouvelle jeunesse de gauche un
puissant désir d'unification, que les partis politiques pourront
utiliser comme un levier pour rebondir électoralement. Mais il faut
aussi compter sur ce fait nouveau : les jeunes partisans ont acquis une place
dans le 20 février qu'ils n'ont jamais pu acquérir au sein de
leur parti. Sur le plan politique, en participant à cette vaste
mobilisation les militants du 20 février ont désormais un temps
d'avance sur les appareils partisans, car ils ont gagné en
expérience, ils ont acquis un ample réseau de camarades
multipositionnés ; ils ont capté en somme un véritable
pouvoir supplémentaire. Leur retour dans l'espace partisan proprement
dit ne se fera certainement pas sans l'imposition de certaines conditions. Des
changements substantiels vont probablement avoir lieu à
l'intérieur des directions des partis de gauche. C'est ce que les
militants rencontrés dans la coordination de Rabat aiment à
appeler << la 20févriérisation des partis ». Ainsi le
mouvement du 20 février plutôt que d'être uniquement
perçu comme un espace politique alternatif, qui exclut d'un même
geste le makhzen et son opposition officielle en proposant une nouvelle
configuration du politique, doit être appréhendé davantage,
nous semble-t-il, comme un espace protestataire dans lequel une nouvelle
élite militante tente de se construire une légitimité (une
identité propre, un réseau militant inédit, et une
expérience éprouvée collectivement à même de
forger une mémoire générationnelle) pour peut-être
reconquérir une place et une force propositionnelle dans le cadre des
formations politiques classiques.
3) Construire le collectif et l'adversaire : les antidotes
contre le Makhzen
William Gamson32 donne à l'action collective
trois dimensions qui conditionnent son avènement. L'injustice, qui est
le cadre éthique primordial motivant le sentiment de devoir agir, pour
réparer un grief ou un dysfonctionnement. L'identité, qui
formalise le cadre dans lequel s'opposent les rivalités de valeurs ou
d'intérêts. Et l'agencement, qui est une mise en situation
concrète de l'action à un moment où l'opportunité
d'agir est rendue possible.
Dans le cas de la mobilisation du mouvement du 20
février, ces trois dimensions trouvent un contenu substantiel. En
premier lieu, le sentiment d'une injustice est unanime, il est la clé de
voûte d'un mouvement qui a réussi à prendre
immédiatement grâce à ce sentiment d'indignation reconnu. A
cet égard M. Bennani Chraïbi et O. Fillieul parlent quant à
eux d'un << cadre d'injustice partagé »33. Ce
cadre d'injustice est le référentiel commun d'identification
à un grief ou à une situation inique qu'il faut rectifier. Dans
le cas du 20 février il ne s'agit pas d'un cadre faisant
référence à un préjudice vécu directement
dans la vie de ceux qui se mobilisent, mais se présente plutôt
comme un cadre identifiant le refus de voir la perpétuation d'une
structure d'iniquité systémique. Qu'il s'agisse de la corruption,
de la prédation économique, de l'incurie politique, du principe
de soumission, tous ces éléments composent la cadre
général identifiant les motifs de la mobilisation et auxquels les
participants adhèrent unanimement et spontanément. Ce cadre ne
fait pas l'objet d'une construction intellectuelle, il est spontanément
identifié, il est d'une simplicité radicale qui n'attend pour
rencontrer l'adhésion que le sentiment d'en partager les principes
élémentaires et de devoir agir en conséquence pour les
rendre effectifs. Le temps de l'action, c'est-à-dire le moment où
un sentiment d'injustice se meut vers l'édification d'une
stratégie d'action pour remédier au problème, rejoint la
dimension de l'agencement. Le sentiment d'injustice et le mécontentement
social n'est pas neuf au Maroc, il imbibe une partie
32 Talking politics, Cambridge University
Press, 1992, 292p,
33 Bennani-Chraïbi Mounia et Fillieule Olivier,
Résistances et protestations dans les sociétés
musulmanes, Presses de Sciences Po << Académique »,
2003, p116
importante de la population (des classes les plus
défavorisées aux catégories moyennes
déclassées) cependant que les opportunités de porter
publiquement ce mécontentement requiert un moment particulier, un
agencement à même d'organiser la protestation dans une situation
où les instances de pouvoirs sont susceptibles de l'entendre, soit
qu'elles se trouvent dans une posture d'ouverture ou plus simplement dans une
situation de faiblesse. L'opportunité de l'action collective est donc
une condition nécessaire de mise en mouvement d'un sentiment
d'injustice, qui est un motif toujours en situation de latence, un motif en
sursis qui réclame son heure.
L'expérience de la frustration vis-à-vis
d'aspirations démocratiques non satisfaites, apparaît comme le
mobile de base poussant à la contestation. Cette frustration qui
s'éprouve dans le sentiment d'inachevé, répond directement
à ce que L. Mathieu dénomme le << décalage entre
la nature du discours délivré par l'institution et la
réalité observable des attitudes et des comportements
»34. Ce décalage a atteint, au fil des mobilisations
sociales, un point d'orgue, qui a mis la dernière pierre à un
lent processus de défection, désormais quasi irréversible,
tant le socle commun à l'origine du lien entre ces jeunes participants
réside dans la mise hors jeu des appareils de pouvoirs traditionnels.
Cette radicalité du changement s'illustre dans le slogan <<
mamfakinch ! », autrement dit << plus de concession ! ». Le
pouvoir institué est inconditionnellement rejeté, cette
inconditionnalité de l'exclusion est le ciment du mouvement parce qu'il
a été le plus fort motif de rassemblement. Revoir cette position
serait prendre un grand risque de dissolution du mouvement. A cet égard,
les forces les plus éloignées de cette pierre angulaire, celles
qui n'en admettaient pas nécessairement l'intangibilité, sont
celles qui sont justement assez rapidement sorties du mouvement, pour rejoindre
in fine les règles du jeu proposées par le pouvoir
central (illustré par la participation de certains jeunes de l'USFP au
référendum constitutionnel).
Dans le mouvement du 20 février il y a la
volonté de créer un récit du << nous »
fondateur, qui puisse à la fois réexaminer l'histoire <<
officielle » de la nation marocaine post-indépendance et
réexaminer les possibilités de salut collectif, en reprenant
l'équation politique de l'époque de l'indépendance pour en
changer les variables, afin de sortir de cette ornière qui
désamorce toute tentative démocratique depuis l'avènement
du
34 Mathieu Lilian, Les ressorts sociaux de
l'indignation militante, Sociologie, Vol.1, 2010, p308
Maroc indépendant. C'est ici, nous semble-t-il, que se
situe précisément la substance révolutionnaire du
mouvement. Réexaminer l'histoire politique d'un pays est le geste le
plus radical qu'un mouvement protestataire puisse réaliser. Le passage
d'une protestation sociale contre la vie chère et le chômage, pour
la défense des services publics ou pour la libération de
détenus politiques, à un mouvement national qui propose de
réexaminer la légitimité même du pouvoir
institué, est le signe manifeste qu'à l'aune du « vouloir
collectif » un changement dans l'ordre de la revendication a
été opéré, et qu'un passage du social au politique
a objectivement été effectué.
L'expérience de l'instrumentalisation et de la
récupération des mouvements contestataires par le régime
agit comme un traumatisme dans l'esprit des févriéristes. Une
phobie de la récupération s'installe très tôt dans
les coordinations locales, qui refusent d'être associées ou de
défiler à côté d'organisations
soupçonnées de collaborer avec le Makhzen. Cette phobie
présente dans le subconscient du mouvement a indiscutablement
été à l'origine de la construction du mouvement sur un
mode acéphale. L'insaisissabilité étant portée
comme condition première pour se prémunir du Makhzen et de ses
alliés masqués, c'est toute l'organisation du mouvement, son
identité et son mode de fonctionnement, qui en ont été
marqués. Liquide et anonyme, le mouvement peut ainsi éviter
d'être entièrement compris, saisi, et anticipé, de telle
sorte qu'une récupération se révèle impossible.
A cette exclusion de toute compromission possible avec le
système makhzénien, s'associe une méthodologie de
l'organisation collective constituée en anti-thèse de
l'autocratie. Il parait naturelle qu'un mouvement contestataire qui se
construit contre un régime considéré comme dictatorial ne
puisse le faire que sur des principes de fonctionnement horizontaux et
démocratiques, en dépit de quoi il ne ferait que reproduire le
système qu'il conteste.
Le mouvement des jeunes févriéristes ne souhaite
aucune identification possible par le makhzen, il ne souhaite ni parler sa
langue, ni réveiller quelques réminiscences historiques qui
permettraient au prédateur de repérer et identifier sa proie afin
de mieux préparer son attaque. Volontairement ou malgré-lui (il
s'agit de comprendre ce qui motive ses partisans à agir de la sorte :
est-ce un subconscient, ou est-ce déterminé ?), le mouvement
préfère rester dans l'indicible, le flou, et se déployer
telle une pieuvre
évanescente, insaisissable, multiple, et tentaculaire,
ouvrant de petites brèches mais sur tous les fronts, glissant dans les
failles du régime un poison inconnu. La désorganisation apparente
du mouvement - autant cognitive que pratique - ne le rend pas vulnérable
pour autant, du moins pas tout à fait. Certes en tentant de
s'émanciper des structures classiques d'opposition, et en refusant
d'incarner une forme de proposition politique claire et concrète, le
mouvement augure un renouveau dont il n'est pas sûr qu'il reçoive
une adhésion unanime au sein même des catégories de la
population réfractaires à l'autocratie. La manière dont la
presse d' << opposition >> (ou du moins critique à
l'égard du régime) a traité les mobilisations du 20
février, partagée entre l'enthousiasme et le désarroi, est
révélatrice de l'ambivalence et de la circonspection qui habitent
ces catégories de la population à l'égard du 20
février. Mais cependant cette imprécision du mouvement, ce
mélange contradictoire des forces contestataires (de l'extrême
gauche à l'islamisme), cette application à demeurer imperturbable
sur le terrain du << refus >>, sont au final les seuls moyens
trouvés pour se prémunir contre une récupération du
régime. Se déterminer sur une proposition précise de
réforme est non seulement difficile au regard du large spectre
idéologique qui compose le mouvement, mais ce serait aussi ouvrir une
brèche dont le régime pourrait se servir pour déguiser une
réforme à moindre frais. A titre d'exemple, la demande d'un
changement constitutionnel inscrite dans la première plateforme du
mouvement a été subtilement utilisé par le régime
pour réagir rapidement (le roi fait son discours le 9 mars) en chargeant
une commission d'élaborer un nouveau projet constitutionnel.
Après le 9 mars en effet, le mouvement du 20 février s'est
essentiellement évertué à se battre contre ce projet, en
revendiquant en guise de riposte des élections démocratiques pour
une assemblée constituante. Mais il était presque trop tard. Le
régime, outillé de son appareil de propagande, avait
réussi à faire passer le mouvement du 20 février pour une
bande de radicaux inconséquents. On le voit, même en se
prémunissant au maximum contre les dispositifs de neutralisation de la
contestation du régime, celui-ci sait utiliser toutes les failles. La
suite des événements portés par le 20 février est
une succession de variations sur le thème du << refus >>
à l'encontre de ce processus de réforme constitutionnelle.
4) Capitaliser les luttes : effets de vérité
et redéploiement
Dans l'arrière-plan du mouvement protestataire actuel,
il y a bien sûr l'influence des mouvements sociaux antérieurs qui
ont impacté les manières concrètes d'occuper la rue, de
créer du collectif, d'investir le social. Mais à vrai dire, dans
le mouvement actuel on ne peut comprendre la confiance mise en
l'efficacité des nouveaux outils sociaux d'Internet si l'on n'a pas
à l'esprit combien ils se sont révélés efficaces
dans un passé très proche. Le mouvement MALI35 de 2009
est la première expérience marocaine du passage des
réseaux sociaux à la réalité d'une mobilisation
protestataire. Ce « Mouvement alternatif pour les libertés
individuelles », créé par quelques cyberactivistes
désireux de soulever le tabou de la laïcité au Maroc, est un
pur produit des réseaux sociaux. En marge des organisations de la
société civiles (bien que soutenu par certaines structures de
plaidoyer), ce collectif formé de quelques dizaines de militants a
organisé - via la page du groupe Facebook - un pique-nique en plein
ramadan durant l'été de l'année 2009, afin de protester
contre la criminalisation des « non pratiquants » et de
défendre d'une manière plus générale le droit
individuel de ne pas suivre un précepte religieux. Cette action
protestataire a reçu un accueil plutôt circonspect dans la presse
marocaine, a mis en branle les services de sécurité de l'Etat, et
a attisé les rancoeurs et la haine de la part de certains groupes
politiques conservateurs ou islamistes, allant jusqu'à proférer
des menaces de mort à l'encontre des « déjeuneurs ».
L'événement en lui-même a davantage engendré la
polémique qu'ouvert un débat d'idées sur la question de la
laïcité au Maroc. Mais ce qui nous intéresse ici c'est
l'effet de vérité que la méthode de mobilisation a
projeté sur le champ de la protestation au Maroc. En effet, l'espace du
numérique et des réseaux sociaux s'est soudain
révélé être un levier performant pour créer
du collectif à partir du virtuel, afin de détourner les
différents tabous prévalant dans l'espace public. On retrouvera
d'ailleurs les fondateurs du groupe MALI à la pointe des
événements du 20 février. Nous verrons en troisième
partie, à travers les trajectoires de jeunes militants, comment
l'expérience MALI a été vécue par certains d'entre
eux.
35 Sur la factualité des
événements, voir l'enquête réalisée par
l'hebdomadaire marocain « Tel quel » n°391, 26 septembre - 2
octobre 2009
Pour compléter la compréhension de la
genèse du 20 février nous aimerions faire également un
bref détour sur ce qui nous semble avoir été comme une
préfiguration, ou en tout cas une expérience qui a directement
projeté ses réussites pratiques sur l'esprit du mouvement du 20
février : le mouvement social des tansikiyates36 contre le
vie chère. Ce moment de mobilisation, particulièrement actif sur
la période allant de 2006 à 2008, illustre à la fois la
manière dont le << localisme » a gagné en terme de
modalité opérationnelle, et comment l'alliance de forces sociales
et politiques a permis de solidifier une unité protestataire
inédite. Et enfin comment l'échec partiel du mouvement,
lié aux modalités de cette union, a projeté ses
enseignements sur le mouvement actuel du 20 février.
En octobre 2005, une première expérience de
protestation contre la hausse des prix rassemblant un large spectre de la
gauche a lieu dans la ville d'Ouadzem. Des militants de gauche et la section
locale de l'AMDH organisent des manifestations sporadiques sous le slogan
<< Ne touche pas à mon pain ». D'autres petites coordinations
naîtront ailleurs dans toute la périphérie37
marocaine, et auxquelles viennent se joindre des structures comme ATTAC-Maroc,
le PSU, Annahj Addimocrati, et le PADS. Le mouvement s'essouffle peu à
peu, mais renaît pourtant très rapidement après l'adoption
de la loi de finance de 2006 qui fait augmenter le prix de l'eau et de
l'électricité dans toutes les villes du royaume. Cette
augmentation du prix de l'eau et de l'électricité se
répercute sur d'autres biens de première nécessité
(comme la nourriture ou le prix des transports en commun). A partir de
septembre 2006, un mouvement social d'ampleur national se met en route, alors
que les forces sociales et politiques classiques sont focalisées sur les
élections à la chambre des conseillers. Le siège de l'AMDH
à Rabat reçoit un nombre important de plaintes et d'appels
à l'organisation d'un mouvement de protestation contre la hausse des
prix. Après un temps de réflexion sur la légitimité
d'une intervention de l'AMDH sur ce domaine d'ordinaire chasse gardée
des syndicats, l'organisation en vient à considérer cette
augmentation des prix comme une atteinte à un certain nombre de droits
fondamentaux. Elle décide dés lors d'appeler à une
alliance des
36 << Tansiqiyât mahaliya » signifie en arabe
<< coordinations locales », nous utilisons l'abréviation
<< tansikiyates »
forces démocratiques. Trois partis rejoignent le
collectif : Annahj Addimocrati, le PSU et le PADS, et trois syndicats
également : l'UMT, la CDT, et l'ODT. Cette alliance qui se
décline dans toutes les villes sujettes aux protestations (environs 90
coordinations en tout) donnera naissance à un fonctionnement
décentralisé du mouvement, les coordinations locales
bénéficiant d'une large autonomie opérationnelle, et
encadré par un << comité national de suivi >>
composé de onze personnes, dont la majorité sont des militants
qui affectionnent les méthodes basistes. Depuis les années 2000,
les << basistes >> gagnent en importance au sein des mouvements
sociaux dans la périphérie du Maroc (Tanger, Oujda, Guercif,
Bouarfa, Sidi Ifni, Sefrou...). Les courant basistes (Qaïdistes)
apparaissent dans les années 1980, à une période où
le centralisme, l'Etatisme et la bureaucratie subissent une puissante critique
au sein de la gauche révolutionnaire : Le courant basiste <<
al-Kourass >> apparaît en 1984. Le courant basiste <<
al-Qaïdi >> apparaît en 1986, et les basistes progressistes
appelés << al-Moumanîne >> apparaissent en 1989.
Agissant en satellites autonomes en marge d'Annahj Addimocrati à partir
de 1995, les basistes investissent les syndicats étudiants et ouvriers,
ainsi que les organisations de la société civile. Si les
années 1990 voient grandir la mainmise des islamistes sur l'UNEM, les
années 2000 sont en revanche témoins de la remontée des
militants marxistes radicaux au sein du syndicat étudiant, qui viennent
contrebalancer le pouvoir des islamistes (à Fès, Marrakech, Oujda
et Agadir notamment).
Les tansikiyates reprennent donc le flambeau des luttes
sociales, dans lesquelles les structures politiques et sociales traditionnelles
(partis et syndicats), bien que parties prenantes, sont quelques peu
reléguées à la marge, et ne disposent en tout cas plus des
manettes de pilotage. Ces mobilisations d'ampleur nationale recréent un
lien entre la région Casablanca-Rabat et les régions
périphériques du Maroc. A cet égard il est à noter
que les différents efforts de synchronisation et de <<
coordination >> des actions entre les différentes villes
touchées par le mouvement, seront facilités par l'usage
d'Internet. Nous ne sommes, à ce stade, pas encore à l'heure de
l'usage massif des << réseaux sociaux >> mais cependant la
pratique des << mailing list >> et des << groupes Yahoo
>> (regroupant des milliers de militants des tansikiyates) se diffuse, et
contribue à faire de l'usage d'Internet une pratique indispensable dans
la boite à outils des mouvements protestataires.
Les émeutes de Sefrou en septembre 2007 (quelques jours
après les élections législatives), ont alerté le
ministère de l'Intérieur sur la nécessité de
contrôler les coordinations locales contre la vie chère. Il
fallait que ces coordinations puissent avoir une structure centralisée
susceptible d'être mieux contrôlée et avec laquelle le
ministère serait plus apte à négocier. La mainmise des
radicaux sur les structures décentralisées n'a pas fait peur
qu'au ministère, mais également aux partis politiques
engagés dans le mouvement. Lors de la quatrième rencontre
nationale des « tansikiyates » de Casablanca en mars 2008, le
mouvement, qui avait jusque là réussi à transcender les
clivages, a buté sur un litige opposant deux groupes, celui des partis
de gauche et celui des « basistes », au sujet de la stratégie
à suivre. Les premiers souhaitant une structuration décisionnelle
au niveau national, les seconds refusant catégoriquement cette
proposition. La force des « basistes » repose sur le local,
dépourvus de structure au niveau national, ils n'ont de prise sur le
mouvement social que dans la mesure où celui-ci s'incarne localement.
Cette gauche révolutionnaire basiste rassemble de nombreux courants
très divisés entre eux (léninistes, maoïstes,
trotskistes de la IVe internationale, anarchistes...) mais qui ont cependant
réussi à s'entendre pour bloquer les « réformistes
». Ainsi la méfiance des basistes à l'égard des
structures politiques nationales, perçues comme prédatrices et
porteuses d'une volonté de contrôler le mouvement, a fini par
affaiblir le collectif qui s'est scindé en deux (créations de 2
secrétariats nationaux distincts). Les événements de Sidi
Ifni de 2008, avec le blocage du port par les chômeurs et les violents
affrontements avec les forces de l'ordre qui s'en sont suivis, illustrent le
délitement d'un collectif initialement porteur d'un projet pacifique et
politiquement alternatif.
Les tansikiyates étaient alors composées de
différentes forces sociales et politiques qui, bien que réunies
en un collectif, conservaient leurs étiquettes à
l'intérieur de celui-ci. Les partis politiques, les associations et les
syndicats montraient leurs couleurs, et chacun avançait son pion en
espérant tirer la meilleure épingle du jeu. Cette manière
de constituer le collectif par superposition de structures a favorisé
les rivalités d'intérêts et les conflits politiques,
jusqu'au point d'aboutir à la désarticulation des coordinations
et au délitement de l'unité initiale. Trois ans plus tard cet
échec devait servir d'enseignement lors de la formation des toutes
premières coordinations du mouvement du 20 février.
L'impératif d'union ne devait plus succomber à la tentation
hâtive d'amalgamer toutes les structures derrière un collectif.
Celui-ci devait exister sui generis, au détriment des
structures. Seuls les individus, les « citoyens », pouvaient en
devenir membre. De telle sorte qu'une répétition
du scénario funeste de 2008 aurait plus de difficulté à se
produire. L'union des organisations classiques (représentées en
tant que telles) a trouvé tout de même à se former, mais en
marge du mouvement, dans ce qui a été baptisé le conseil
national d'appui au mouvement du 20 février. Les organisations qui
composent ce conseil d'appui sont des institutions rodées à la
gestion d'un mouvement social. Dans cette combinaison classique et
émérite on retrouve les mêmes acteurs quasi institutionnels
de la société civile qui composaient les coordinations contre la
vie chère. L'organisation interne est elle aussi des plus classiques, il
y a une cohérence organisationnelle, des statuts, des portes paroles,
une hiérarchie, des responsables, en somme une véritable <<
bureaucratie ».
En définitive les tansikiyates contre la vie
chère, augurent, après le fort taux d'abstention aux
législatives de 2007, un véritable renouvellement des formes de
l'action politique38. Si le mouvement s'épuise en 2008 dans
une crise de confiance liée aux rivalités de chapelles, les
méthodes << basistes » d'autonomie locale et les formes
horizontales de prise de décision gagneront le répertoire
d'actions et les modalités d'organisation, que le mouvement du 20
février se chargera de réactiver.
38 << De fait, la déconsidération des
syndicats et partis signale moins une crise de la participation politique,
corroborée par le faible taux de participation électorale, qu'un
renouvellement des modes d'action politique », in Bennafla Karine,
Emperador Monserrat, Le Maroc inutile redécouvert par l'action
publique : le cas de Sidi Ifni et de Bouarfa, Politique Africaine,
n°120, décembre 2010, p76-77
5) Société civile et politique : les
transformations dans l'ordre du discours et de la pratique
Les tansikiyates du 20 février sont directement issues
des expériences de mobilisations sociales antérieures, qui ont
réussi à projeter leurs effets de vérité dans les
nouveaux modes de mobilisation et d'organisation du collectif. L'insertion de
la lutte dans le local, ainsi que cette absence de cerveau centralisateur
officiel et statutaire, tant au niveau national qu'au niveau des coordinations
locales, sont le résultat direct des bouleversements de la scène
protestataire, mais aussi plus profondément des transformations
cognitives et pratiques opérés au sein de la
société civile.
En effet il serait difficile de comprendre comment un
mouvement comme celui du 20 février a pu apparaître au Maroc, dans
les formes et les singularités qu'ont lui connaît, sans porter un
regard attentif sur les évolutions de la société civile et
les changements dans l'ordre du discours (mais aussi de la pratique) dans le
domaine de l'action publique. Des concepts << démocratiques »
distillés au niveau international, tels que la << bonne
gouvernance », la délibération collective, la transparence,
la lutte contre la corruption, la décentralisation du pouvoir etc...
vont jouer un rôle dans la mise en incohérence des discours et des
pratiques politiques au Maroc. Ne pas voir que c'est dans ce contexte que toute
une génération a grandi et a baigné son intellect, ce
serait se couper d'une compréhension de ce qui fait le liant symbolique
et culturel parmi les militants du 20 février. Toute cette mise en
discours des injonctions à la dilution du pouvoir dont le régime
marocain s'est autorisé, notamment depuis le changement de règne,
à en reprendre l'esprit (si ce n'est dans la pratique du moins dans le
registre discursif) s'illustre parfaitement dans la rhétorique de la
<< transitologie ». Il est certain que le discours porté
à l'égard de la << transition démocratique »
sert autant d'outil de dissimulation pour un régime qui souhaite
<< tout changer pour que rien ne change », que de réels gages
de changement ouvrant des brèches à l'intérieur de la
carapace autoritaire du régime, et que des volontés collectives
présentes dans la société civile ont su parfois utiliser
à bon escient. Il serait par conséquent dommage de ne pas prendre
en compte ces changements dans l'analyse d'un mouvement de protestation comme
celui du 20 février. Car en effet à bien des égards le
mouvement du 20 février est l'enfant de cette
injonction démocratique, portée autant par les
institutions internationales et leur corollaire l'idéologie
développementaliste, (relayées par les mass medias, notamment les
chaînes satellitaires panarabes), depuis plusieurs décennies, que
par la société civile marocaine, dont la digestion du discours
sur la << bonne gouvernance », en remplacement du discours
révolutionnaire, a réussi à impulser des changements dans
le registre de l'action publique39. Depuis plus de vingt ans, en
effet, les autorités marocaines se sont réappropriées
à nouveaux frais la rhétorique démocratique. Les chantiers
de la << régionalisation avancée » sont un exemple
d'inscription des politiques publiques dans ces nouveaux dispositifs
démocratiques, mais qui cependant ne sont pas sans cacher des
volontés de distorsion, notamment à l'égard du
règlement de la question saharienne. C'est donc dans ce contexte
d'injonction à l'adoption des modalités de gouvernance moderne,
qui a généré une forme d'hybridation du régime
marocain (fait de dispositifs démocratiques inédits et conservant
tout de même les outils d'annihilation de ces mêmes dispositifs)
que les structures militantes (associatives et partisanes) ont
évolué. Les travaux d'Eric Cheynis sur les transformations du
militantisme associatif sont à ce propos très
instructifs40.
L'évolution des modalités de l'action
associative, illustrée par E. Cheynis (entre autres dans le cas de
l'Espace Associatif), révèle l'introduction de deux
éléments déterminants dans l'acculturation à de
nouvelles méthodes et de nouvelles pratiques : tout d'abord l'ouverture
des associations de plaidoyer aux financements internationaux à partir
des années 1990, qui opère un moment de rupture avec
l'époque où l'idéologie anti-impérialiste obligeait
les organisations politiques de gauche à demeurer absolument autonomes
vis-à-vis des éventuels financements
étrangers41. Le corollaire de cette
39 Catusse Myriam, Vairel Frederic, Question
sociale et développement : les territoires de l'action publique et de la
contestation au Maroc, in Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et
action publique, Politique Africaine, n° 120, décembre 2010, p
5-23
40 Cheynis Eric, L'Espace des transformations
de l'action associative au Maroc. Réforme de l'action publique,
investissements militants et légitimation internationale,
thèse de doctorat de sciences sociales, Université Paris I
Panthéon-Sorbonne, 2008, 607 p
41 Si l'année 2000 est une date
charnière dans la succession monarchique, le tournant annoncé de
la politique marocaine, elle inaugure aussi un changement sur le terrain
associatif. Pour la première fois une association comme l'Espace
associatif, composée d'anciens prisonniers politiques et militants
d'extrême gauche, engage un partenariat avec l'USAID dans un programme de
formation à destination d'associations rurales.
arrivée massive de financements étrangers
(européens et américains essentiellement) a été la
professionnalisation et la salarisation des personnels travaillant au sein des
grandes associations, avec également l'introduction des logiques
managériales (rationalisation des modes de fonctionnement). Dans le
contexte international la question du développement local se voit
couplée à la cause des droits de l'homme, qui devient dés
lors une catégorie d'intervention des bailleurs de fonds internationaux,
mais aussi de l'Etat marocain (le Conseil Consultatif des Droits de l'Homme est
créé en 1990). La participation à l'action publique de
cette nouvelle offre associative composée d'anciens militants, se
combine au maintien d'un positionnement militant et contestataire. Les
associations deviennent des partenaires de l'Etat, des prestataires de services
inscrits dans le projet de développement national, mais conservent pour
certaines dans leur identité une dimension de plaidoyer politique. On
assiste également à des changements conséquents dans le
registre lexicologique: le << développement démocratique
>> remplace la << révolution >>, le <<
changement social >> remplace la << lutte des classes >>.
Toute une nouvelle rhétorique est venue adoucir les tonalités
politiques inscrites dans le militantisme associatif, sans pour autant les
vider de leur substance. Et cela bien sûr afin d'être
présentable dans les dossiers de subventions des bailleurs
internationaux (institutionnels ou privés), qui sont en
général, il faut bien l'avouer, assez récalcitrants
à l'idée de participer au financement d'une guérilla
marxiste.
A cette transformation des référentiels
cognitifs et idéologiques dont la société civile marocaine
actuelle s'est faite le véhicule, s'ajoutent les évolutions
corollaires des rapports de l'individu au collectif. Nous avons affaire avec le
20 février à une de ces nouvelles formes d'organisation qui sied
parfaitement à l'individu moderne, celui qui refuse toute appartenance,
toute hétéronomie. Comme l'indique S. Bronowski << Les
structures souples sont plus efficaces parce que les individus refusent
désormais de se rapporter à l'organisation sur le mode de la
soumission ou de l'appartenance >>42. Si la <<
souplesse >> structurelle du 20 février repose sur divers
facteurs, il est cependant notable que les transformations dans l'ordre du
rapport de l'individu au collectif y sont pour quelque chose.
42 Bronowski Samuel, Voix discordantes, actions
concordantes, Raisons politiques, Presses de Sciences Po, 2008/1,
n°29, p142
D'autre part, les << bricolages culturels »
qu'observe M. Bennani Chraïbi dans la jeunesse marocaine des années
199043, n'ont fait depuis que poursuivre leur route vers davantage
d'hybridation. La politologue note à ce propos : << Dés
lors sous le signe de la libéralisation et de l'expérimentation,
se démultiplient les possibilités de circulations entre des
univers hétérogènes. La palette du bricoleur et les voies
de socialisation sont beaucoup plus variées. Un adolescent peut camper
avec toutes sortes d'islamistes, mais aussi participer aux activités
d'associations oil il a le loisir de s'initier à d'autres
référentiels »44. C'est en effet à
une société urbaine de moins en moins cloisonnée, et des
individus de plus en plus ouverts sur l'extérieur et autonomes
vis-à-vis des structures collectives d'appartenance (famille, clan), que
l'on doit cette << culture syncrétique », dont le mouvement
du 20 février nous offre une photographie saisissante.
Cet aspect des transformations des repères cognitifs et
des modalités de l'<< agir » dans le registre des collectifs
protestataires, mériterait une analyse sociologique beaucoup plus
conséquente. Dans le sillage des travaux d'E. Cheynis consacrés
à l'analyse du renouveau des modalités du militantisme dans le
champ associatif marocain, il serait instructif de dresser les
évolutions du militantisme partisan, notamment au sein de la jeunesse,
afin de compléter la compréhension de ce qui apparaît comme
le profil militant majoritaire dans le mouvement de protestation actuelle : un
<< militantisme multipositionné ».
43 Bennani Chraïbi Mounia, Soumis et
rebelles : les jeunes au Maroc, CNRS éditions, Paris, 1994, 335p
44 Economia, Rabat, n°6, juin - septembre 2009,
p133
6) Tansikiyate et démocratie horizontale :
nécessité ou projet ?
Il nous reste à évoquer le fonctionnement des
tansikiyates du 20 février, et notamment celle de Rabat. Rappelons que
le mouvement s'est organisé de telle sorte qu'une prise de pouvoir par
une force politique particulière soit rendue impraticable.
Premièrement en refusant l'existence d'une entité
représentative du mouvement au niveau nationale (principe d'autonomie et
de décentralisation), deuxièmement en n'acceptant la
représentation d'aucune structure dans le mouvement (les militants
investissent le 20 février en qualité de « citoyens »),
et troisièmement en interdisant l'usage du vote en AG.
Alors que les manifestations dominicales de Rabat rassemblent
un cortège composé en moyenne de 2000 personnes (sur le base de
nos observations faites entre juin et juillet) et un éventail
d'âge très large, les assemblées générales
(AG), quant à elles, ne sont composées que d'une soixantaine de
personnes dont la moyenne d'âge se situe entre 16 et 35 ans. Ce «
jeunisme » caractéristique des AG provient de la volonté
initiale des fondateurs de créer un mouvement dirigé par la
« jeune génération », perçue, à tort ou
à raison et en tout cas sous l'influence directe des
événements tunisien et égyptien, comme la population la
plus apte à changer le système. Révolutionner le
régime suppose en effet de changer au préalable les
méthodes de lutte et le personnel préposé à cette
lourde tâche. La virginité supposée de la jeunesse serait
donc cette qualité indispensable pour se débarrasser en premier
lieu des obstacles idéologiques et méthodologiques imbibant la
culture de l'ancienne génération de militants. Cette
exclusivité du pouvoir décisionnel réservée
à la jeunesse a justement produit la dichotomie du mouvement
décrite plus haut (un mouvement de jeunes épaulé par un
comité d'appui). Mais ce monopole du pouvoir par la jeunesse
relève de l'accord tacite avec les structures associatives et partisanes
et leurs dirigeants, et ne repose pas sur des règles précises (il
n'y a pas de chasse au vieux, ni de filtrage au faciès !). A ce propos,
il faut bien le dire, quelques rares individus présents dans les AG
contrarient la juvénilité d'usage, puisqu'il arrive en effet que
quelques quadragénaires investissent parfois les lieux.
Depuis le début du mouvement du 20 février,
l'assemblée générale de ses membres est l'instance
où se prennent les décisions. Celles-ci concernent
essentiellement l'organisation des manifestations et des divers rassemblements
publics hebdomadaires, la composition des comités (comité de
manifestation, de communication, de slogans, de veille...), ainsi que les
grandes lignes stratégiques à adopter. Le plus souvent en AG les
militants s'accordent sur un programme de manifestations mensuel, que les
comités sont chargés de rendre effectif.
Dans les premières semaines de la mobilisation, les AG
de la coordination de Rabat ont lieu au siège de l'AMDH, mais plus tard
d'autres lieux vont servir de QG pour les assemblées du mouvement, comme
le siège du syndicat UMT ou celui de la CDT, tous deux situés au
centre ville de Rabat. Après les manifestations de rue, l'AG est le
deuxième lieu où se rencontrent les militants. Un
troisième lieu de rencontre militante est à mentionner. Ce
troisième espace de rencontre équivaut à la face
immergée de l'iceberg févriériste : le lieu pluriel des
rencontres informelles. En effet ce troisième lieu est celui où
les militants de chaque tendance se rencontrent pour discuter dans un «
entre soi » des modalités stratégiques, des
opportunités politiques, ou simplement faire des bilans et
réfléchir ensemble sur les aspects positifs et négatifs
qui se dégagent des événements. Ce sont aussi des moments
où l'on essaye de convaincre en aparté untel ou untel de choisir
telle ou telle position, de souscrire à telle ou telle tendance qui se
profile au sein du mouvement. Bien que ce soit des moments inidentifiables et
des lieux imprécis, tout à fait informels, ils sont cruciaux pour
les militants févriéristes. Ils y trouvent en effet de quoi
échanger et exprimer ce qu'ils ne peuvent faire en AG pour cause de
bienséance (les AG sont des espaces décisionnels fragiles, un mot
de trop, un faux-pas et l'ont peut facilement, en heurtant une
sensibilité, bloquer le mouvement). C'est ainsi que les cafés
populaires du centre ville font bien souvent office de lieu de rendez-vous pour
les groupes de militants. Le café de l'hôtel Balima, exactement en
face du Parlement, est particulièrement fréquenté par les
militants du 20 février. Les terrasses de ce café accueillent
quotidiennement des groupes de jeunes militants qui semblent s'agrandir au fil
des heures et palabrer infiniment, commentant la presse, la prochaine
manifestation où la dernière AG.
Alors que pendant les manifestations tout est
réglé à l'avance, et tout semble se
dérouler comme un rituel répétitif, les AG sont bien
plus anarchiques, bruyantes et
cacophoniques parfois. Si la manifestation est le lieu
où tout le monde est unanime et synchrone, l'AG est celui où la
divergence règne mais où tout le monde doit finalement parvenir
à se mettre d'accord. C'est donc un lieu où l'on fabrique du
collectif, et où bien souvent on s'évertue plutôt à
le réparer, à rafistoler les points d'accrochage. Si
l'adhésion collective est l'objectif final, celle-ci ne s'obtient pas
sans épreuves tumultueuses. L'absence de l'usage du vote comme outil de
décision rend le processus de mise au diapason collective lent et
laborieux. La modalité choisie est celle de l' « unanimité
sans vote », c'est-à-dire que l'AG ne finit que lorsque la
totalité des membres s'accordent sur les thématiques mises
à l'ordre du jour (l'ordre du jour étant décidé en
début d'AG). Un bureau chargé de superviser l'AG est mis en place
au tout début de celle-ci, et une personne en particulier (le
modérateur) est chargée à chaque AG de distribuer la
parole et de veiller à ce que les temps de parole ne soient pas
dépassés. En général une minute de parole est
accordée à chacun des militants désirant intervenir sur
les sujets soulevés. A raison d'une cinquantaine de participant en
moyenne dans les AG de Rabat, dont le tiers prend en général la
parole (dépassant évidemment à chaque fois la minute
allouée) et sur trois, quatre ou cinq thématiques
différentes ; sans compter les tours de paroles qui suivent les
décisions, le déroulement d'une AG est nécessairement
très long. A titre d'exemple l'AG du 25 juillet, particulièrement
houleuse à cause d'une dissension interne liée à des
accusations mutuelles d'instrumentalisation, a rassemblé une soixantaine
de personnes et a duré plus de cinq heures (de 18h à 23h environ,
au siège de l'UMT).
A l'intérieur de ces AG, le participant a
indéniablement l'impression de peser dans la décision,
d'être un élément important car toujours capable de
provoquer une instabilité, et non d'être un participant auxiliaire
dont le principal rôle serait d'avaliser des décisions qui sont
prises de toute façon ailleurs et qui ne souffrent d'aucune
possibilité de remise en cause. Cette instabilité, toujours
susceptible d'être causée par un élément
isolé, génère cette responsabilité
éprouvée collectivement. Par ailleurs plus l'organisation grandit
et prend en cohérence, plus l'individu participant gagne en importance
en devenant l'architecte indissociable de cette mise en cohérence
collective. Il serait illusoire de croire que les AG mettent tous les
participants d'accord, au regard du large spectre idéologique que
connaît le mouvement, cela relève de l'utopie. Simplement il y a,
fortement présente, une culture du compromis qui, posée en
postulat de la stabilité du mouvement, invite les militants à
composer avec les desiderata de
chacun. Le consensus et les facilités
décisionnelles sont rendus possibles par une forte adhésion
individuelle et par un moment très porteur, celui du contexte du
printemps arabe. Nous ne sommes pas dans l' << affirmation de soi »,
mais dans la mise à disposition de soi (de ses compétences, de
ses réseaux) au sein d'une action collective locales aux visées
nationales, et dont les perspectives sont incertaines. Les mêmes
personnes, un an plus tôt, n'auraient sans doute jamais pu se mettre
d'accord sur des questions qui sont actuellement tranchées aujourd'hui.
C'est un moment de syncrétisme dans le champ contestataire marocain, et
dont les jeunes militants sont les artisans moteurs. Evidemment cette culture
du compromis ne règle pas tout, les divergences apparaissent tout de
même de manière récurrente.
La modalité décisionnelle adoptée par les
coordinations, souvent érigée en emblème comme
l'incarnation de la forme démocratique optimale, semble pourtant au
final moins voulue que subie. L'acéphalie et l'horizontalité sont
toutes deux avancées comme les éléments centraux de
l'identité du 20 février, comme autant de signes ostensibles
marquant la rupture avec les façons de faire bureaucratiques et
inégalitaires prévalant dans les partis, mais en
réalité ces éléments idéalisés sont
surtout des pis-aller. Il s'agit davantage d'un fonctionnement minimaliste
visant avant tout à préserver la virginité
idéologique du mouvement des prédations partisanes et de
l'influence du nombre présagé de chaque tendance, que d'une pure
volonté de dépasser une modalité démocratique
considérée comme désuète. Il y a en effet dans ce
processus horizontal qui se veut démocratique, une évidente part
d'arbitraire et d'inégalité d'accès à la
décision. Comme le formulent pertinemment P. Corcuff et L. Mathieu
<< se réclamer d'un fonctionnement « horizontal » et
« en réseau » ne suffit pas à garantir l'égal
accès de tous à la prise de parole et à la
décision, lesquelles ont toutes les chances d'être
réservées aux seuls individus disposant d'une compétence
militante suffisante pour se sentir autorisés à intervenir dans
les débats et, ce faisant, de produire des rapports de
dépossession et de domination d'autant plus efficaces qu'ils sont
niés »45. Le pouvoir existe toujours, on peut le
diluer mais pas l'abolir. Le mouvement du 20 février est en train
d'expérimenter dans un même moment l'alternative au pouvoir et ses
limites organisationnelles. Partout où l'on souhaite échapper aux
problématiques liées à la
45 Corcuff Philippe et Mathieu Lilian , Partis et
mouvements sociaux : des illusions de « l'actualité » à
une mise en perspective sociologique , Actuel Marx, 2009/2 n° 46,
p72
question du pouvoir (comme structure opérationnelle et
doctrinale) celles-ci reviennent en force immanquablement et peut-être
plus violemment.
Chaque AG est une sorte d'enceinte où les paroles
militantes expertes rivalisent de formules pour emporter l'adhésion du
grand nombre, les corps et les paroles charismatiques s'incarnent chez des
leaders que tout refuse à reconnaître comme tels. Alors que les
militants en herbe tentent de donner une tournure performative à leurs
paroles, que l'horizontalité démocratique du mouvement leur
autorise presque. L'AG de Rabat du 25 juillet (au siège de l'UMT) est
emblématique de cette théâtralisation des paroles et des
corps. Effet cathartique peut-être de cette agora où l'on donne en
spectacle la dissension dans une sorte d'intrigue en attente de sa
résolution annoncée. Axée ce jour là sur la
problématique de l'indépendance du mouvement, la polémique
qui remplit la salle suit la tenue de réunions organisées
à la seule initiative d'al-Adl et d'Annahj, suspectés de vouloir
court-circuiter les décisions prises lors de l'AG du 11 juillet, qui
disposait notamment de l'organisation de la prochaine manifestation en date du
31 juillet. Dans leur volonté d'occuper un maximum l'espace public,
certains militants de la coordination de Rabat en désaccords avec ces
positions organisent deux AG (le vendredi 15 juillet et le lundi 18) toutes
deux boycottées par une grande partie des févriéristes de
Rabat continuant, quant à eux, de se référer aux
décisions initiales du 11 juillet. Ce lundi 25 juillet, après
deux manifestations (17 et 24 juillet) auxquelles a participé
massivement la coordination de Salé, et qui ont été
boycottées par beaucoup de militants de la coordination de Rabat,
l'heure est au règlement de compte. L'AG qui débute fait
apparaître au grand jour les différences idéologiques et
stratégiques, qui naguère n'étaient qu'en suspend,
pudiquement cachées derrière un voile de bienséance. Au
bout d'une heure le ton monte, on s'échauffe de toutes parts. Le
modérateur de la séance, à la manière d'un chef
d'orchestre faisant face à une mutinerie de musiciens, s'égosille
au milieu de l'auditoire, tente de faire taire les bavards, et de faire cesser
les imbroglios. On accuse ici les leaders « autoproclamés » de
prendre des décisions individuelles (O. Khlifi, militant de Salé
qui est la coqueluche de la presse, avait fait la veille une déclaration
à titre individuel qui engageait le mouvement dans son ensemble alors
qu'aucun membre n'est autorisé à prendre des décisions
individuelles au nom du 20 février). On accuse ailleurs des groupes de
vouloir secrètement récupérer le mouvement par quelques
pernicieuses combines. Certains pointent du doigt les islamistes d'al-Adl
wal-Ihssan, les accusant de vouloir utiliser la coordination de Salé
pour influer sur les décisions de Rabat et de pousser
à la provocation du régime. Les islamistes accusent les «
athées » du MALI de vouloir étouffer la présence et
les sacrifices concédés par les adlistes, afin de garantir une
essence laïciste au mouvement. Certains veulent multiplier les sorties
publiques du mouvement, augmenter la pression sur le régime quand
d'autres militants (indépendants en l'occurrence) veulent
impérativement une clarification des positions du mouvement avant
l'organisation d'une manifestation supplémentaire. On en vient parfois
aux mains, on s'attrape par le col à quelques reprises, front contre
front on essaye d'intimider les rivaux du regard. Et puis contre toute attente
tout finit bien, peu à peu tout s'apaise, les énervés vont
prendre l'air, on se met à rire et à se prendre par
l'épaule, on se tempère, quelques individus viennent calmer
l'assistance et les camarades encore campés sur leurs positions. Et
finalement la coordination réunie en AG finit par prendre des
décisions pour que la réunion se termine au bout de cinq heures :
On annonce une manifestation prévue pour le 31 juillet, un
communiqué de presse pour le mercredi 27 juillet (que le comité
de communication sera chargé de rédiger), et un programme
spécial pour le mois du Ramadan (qui advient en août) basé
sur des rassemblements publics réguliers après l'iftar et la
tarawih.
Ainsi dans le mouvement du 20 fevrier, il y a toujours des
modalités décisionnelles, mais celles-ci reposent sur quelque
chose qui ne suffit jamais par lui-même : l'échange, la
transparence et la confiance. Sans dispositif contraignant, une structure peut
vaciller rapidement, car elle est tiraillée par des forces qui ne disent
pas leur nom (la paranoïa peut s'installer et remplacer la confiance). Une
petite défaillance dans le système tacite, peut provoquer de
grands dommages pour la stabilité du mouvement (comme l'illustrent l'AG
du lundi 11 juillet et celle du 14 juillet).
La question du leadership du mouvement du 20 février
est un autre grand thème dont il faut dire quelques mots. Cette question
a fait couler beaucoup d'encre dans la presse marocaine, nourrissant autant de
questions légitimes que de fantasmes. Dans une société
marquée par la force d'attraction de personnages charismatiques,
où le pouvoir s'incarne et s'illustre par des visages,
l'acéphalie du mouvement du 20 février provoque
l'incompréhension voire le soupçon. Deux exemples tirés
des événements orchestrés par le mouvement du 20
février peuvent être mis en exergue pour illustrer la
manière dont l'impératif de l'acéphalie et la lutte contre
les ambitions individuelles est gérée.
Saïd Benjebli, est un jeune militant marocain, ancien
détenu et ancien militant d'al-Adl wal-Ihssan, et qui a fait parti des
premiers cercles de févriéristes. Alors qu'il s'imposait comme
une des figures motrices du mouvement, il a lancé le 17 avril de sa
propre initiative un appel à constituer un mouvement structuré au
niveau national et dont manifestement il briguait le leadership. Son initiative
a été condamnée sans appel par les coordinations du 20
février, et il s'est soudainement retrouvé tout seul, interdit de
prise de parole dans les AG, et désormais
décrédibilisé. Une sanction qui est tombée comme un
avertissement pour les éventuelles tentatives individuelles de
court-circuiter les instances collectives dans le but avoué ou non de
prendre le contrôle du mouvement. Un autre exemple d'application des
règles « anti-césaristes » du mouvement se
présente le dimanche 26 juin pendant une manifestation à Rabat.
Alors que la police bloque le cortège dans l'avenue Mohamed V,
Abdelhamid Amin, figure charismatique de l'AMDH et d'Annahj Addimocrati, prend
subrepticement la parole au mégaphone et à gorge
déployée appelle à un sit-in. Les jeunes militants
févriériste de la coordination de Rabat lui reprocheront plus
tard ce vieux réflexe de leader, dont F. Vairel nous explique les
usages46, mais qui n'a plus court sous les drapeaux du 20
février. Les jeunes de la coordination sont attachés à ce
que ce soit eux qui prennent les décisions et les initiatives pour
parler en public dans les manifestations organisées par le 20
février. Bien d'autres litiges liés au leadership sont apparus au
cours de la mobilisation et pourraient être mentionnés. Mais si
les ambitions individuelles de certains sont avérées, la
paranoïa du mouvement l'est aussi certainement, causée par
l'ambiguïté même de son fonctionnement. Rien ne permet
véritablement à l'intérieur d'un mouvement qui postule
l'autogestion et la démocratie directe, de distinguer
l'inévitable part du quiproquo ou de la maladresse (dans ce contexte de
flou réglementaire) de celle de l'instrumentalisation
délibérée.
On le voit, la démocratie directe et l'organisation
horizontale du mouvement sont autant d'éléments structurant
l'identité du collectif févriériste que des instruments
servant de palliatifs à son manque d'homogénéité
idéologique et stratégique parmi ses membres, et pouvant bien
souvent se retourner contre l'efficacité même du mouvement.
46 Vairel Frédéric, L'ordre
disputé du sit-in au Maroc, Genèses, n°59, 2005/2, p
47-70
Fouad Abdelmoumni résume bien la tension
présente au sein du 20 février entre ce désir de
construire des alternatives politiques et l'impératif de baser la
mobilisation sur des modalités d'action efficientes, des principes
crédibles et un collectif solide. « On a besoin d'agoras dans
lesquelles l'essentiel est la prise de parole, la libre expression
individuelle, dans un cadre horizontal où chaque parole de citoyen
compte de manière égale. Mais il serait naïf de
prétendre que la gestion d'une lutte sévère pour changer
une telle situation politique puisse se faire sans des organisations solides et
structurées. Les coordinations sont nécessaires, mais ce n'est
pas suffisant. Il faut des organisations qui transcendent le local. Et cela ne
se fera pas sans l'implication des forces sociales traditionnelles. Il faut des
espaces de délégation, il faut que des grandes décisions
puissent se prendre à la majorité. L'organisation actuelle du 20
février n'est pas une modalité optimale de la démocratie.
Mais il y a un processus d'apprentissage à l'oeuvre, et donc un
processus de fabrication du collectif où on commet des erreurs, car
l'apprentissage c'est faire des erreurs et les corriger >> 47
Ainsi contrairement à son intention initiale le
mouvement du 20 février a davantage pris la forme d'un mouvement de
<< militants >> que de << citoyens >>, dans le sens
où des militants, certes jeunes mais déjà
positionnés, sont venus investir un créneau protestataire rendu
possible par les échos familiers provenant de Tunisie et d'Egypte. En
voulant reconstituer les éléments ayant prouvé leur
efficacité chez les pays voisins, le mouvement a certes réussi
à s'égrainer sur l'ensemble du territoire marocain, et a
inauguré indubitablement un renouveau des formes de mobilisations
protestataires, en s'émancipant des structures et des modalités
opératoires traditionnelles, mais cependant sans jamais réaliser
la massification attendue, l'avènement d'une volonté
générale aussi crédible que celles observées dans
les cas tunisien et égyptien. Fouad Abdelmoumni résume ainsi la
situation actuelle et les perspectives de mutation : << L'objectif
sera désormais de transcender totalement la petite minorité
agissante, car si le mouvement ne dépend que des militants «
professionnels », il y a de fortes chances pour qu'il stagne et
s'empêtre dans les rivalités, réduisant
inévitablement sa force de frappe et sa capacité d'influencer
l'orientation des réformes à venir ».
47 Interview de Fouad Abdelmoumni, militant de l'AMDH
et membre du comité national d'appui, réalisée à
Rabat le 15 juillet 2011
Enfin il faut signaler que l'idée initiale d'appeler le
citoyen à prendre en charge son avenir et en insérant le
mouvement dans une logique << localiste », a réveillé
au bout de quelques mois de mobilisation, quelques << structures
endormies » dans le corps social. A Rabat la réactivation par la
coordination du 20 février des << comités de quartier
» dans les zones les plus défavorisées de la ville, est sans
doute le signe que des mutations du mouvement et des formes d'adaptation aux
contraintes et aux limites des actions jusque là menées, sont en
marche. Un travail d'observation et d'analyse reste à mener dans ce
domaine.
Chapitre 2 : Occuper l'espace public : manifestations et
slogans
1) Les manifestations de rue, sit-in et rassemblements
Il est 20h passée ce dimanche 31 juillet et dans le
centre ville de Rabat la manifestation organisée par le mouvement du 20
février prend doucement le chemin de la dispersion après l'ultime
discours d'un des organisateurs adressé par mégaphone à la
foule rassemblée devant le parlement marocain. L'avenue Mohamed V est
remplie de manifestants sur son artère ascendante, de l'autre
côté sur les terre-pleins et les trottoirs s'agglutinent les
passants qui paraissent curieux devant ce spectacle de protestation publique.
Regards neutres et silencieux, cette manifestation bruyante mais pacifique les
intrigue apparemment assez pour les stopper dans leurs trajets. Mais cependant
la frontière est bien là, présente sur ce lieu contigu
entre la posture muette du spectateur dégagé et l'exercice
bruyant de vocalise accompagné des frappements de main rythmés
auxquels s'appliquent les << mounâdilîn » (les
militants). Puis, alors que les forces auxiliaires48 établies
autour du rassemblement entament un mouvement pour progressivement
accélérer la dispersion de la foule, quelques groupes de jeunes
militants enthousiastes improvisent au milieu de l'avenue des sortes de danses
où une dizaine d'individus en cercle et se tenant par les épaules
tourne frénétiquement à pas chassés (ou en sautant)
en déclamant des chants de résistance en choeur. A quelques
mètres de cette étonnante scène de ronde effervescente,
sur le terre-plein de l'avenue, des groupes d'hommes de différents
âges installent les tapis de prière en rangs serrés pour
accomplir << salât al-maghrib », la prière du soir.
Deux scènes radicalement différentes se font donc face, deux
rituels qui chacun à leur manière figurent comme un retour
à la source liturgique de l'identité des sous-groupes composant
le mouvement commun, celui du << 20 février ». Ce dernier a
ses rituels propres, ses règles respectées et suivies par la
communauté, mais ils n'épuisent pas ceux des différentes
cultures militantes qui le composent, et qui naturellement
réapparaissent une fois la communion févriériste
48 Corps de police qui compose le plus souvent
l'essentiel des forces de l'ordre déployées dans les situations
de manifestations, rassemblements et sit-in dans les villes marocaines.
achevée. Comme l'écrit M. Emperador <<
La manifestation est le lieu où le groupe se définit. Elle
est le résultat de luttes de sens, et d'objectifs concurrents
répercutant les engagements individuels et collectifs
»49. Mais c'est aussi, comme l'illustre l'observation
ci-dessus, le lieu de visibilité des singularités qui se cachent
derrière l'union, car << chacun des groupes manifestants se
trouvent confronté à la nécessité de mettre en
oeuvre, de diffuser en son sein et d'institutionnaliser des façons
propres de faire corps, qui se cristallisent dans des formes
spécifiques »50.
L'occupation de la rue, qu'elle prenne la forme d'une
manifestation classique ou d'un rassemblement fixe (sans déplacement de
cortège), est l'activité centrale du mouvement du 20
février. Comme la plupart des mouvements sociaux de protestations, la
voie pacifique choisie pour exprimer le mécontentement restreint le
répertoire d'actions à ces quelques variations sur le
thème de la << démonstration du nombre », dont les
régimes démocratiques sont en générale sensibles.
La forme hybride du régime marocain, engagé dans des processus de
démocratisation (notamment depuis le changement de règne) en
conservant des appareils chargés de contourner les dispositifs
démocratiques, offre une mise en pratique éloquente de cette
ambiguïté dans le cas de la gestion, par les appareils
sécuritaires, des manifestations du 20 février. Observe-t-on
ainsi, comme pour le cas des diplômés chômeurs, <<
une levée de la coercition à l'égard des expressions
publiques du mécontentement au Maroc »51 ? Il faut
croire en tout cas que le régime s'est engagé sur une gestion
<< pacifique » du conflit, et grâce à cette image il
s'est attaché les faveurs de l'UE (dont les pays membres n'ont pas tari
d'éloges sur l'intervention du roi) et d'un certain nombre de
personnalités de la société civile marocaine proche du
mouvement des droits de l'homme (notamment Driss al-Yazami). Cette image d'une
gestion pacifique des événements contestataires,
avérée par le faible nombre de morts et de blessés durant
les événements, ne doit cependant pas laisser sous silence les
multiples cas de répression, d'enlèvement, de torture et
d'intimidations. Toujours sporadiques, détournés des voies
classiques, les modes de répressions des militants protestataires sont
toujours présents, et relèvent de l'arbitraire des
différents appareils de sécurité dont
49 Emperador Montserrat, Les manifestations des
diplômés chômeurs au Maroc : la rue comme espace de
négociation du tolérable, Genèses, 2009/4 n° 77,
p 46
50 Soutrenon Emmanuel, Le corps manifestant. La
manifestation entre expression et représentation,
Sociétés contemporaines, n°31, 1998, p 46
51 Emperador Montserrat, Les manifestations des
diplômés..., op cit, p31
dispose le régime. Il est certain que ce dernier,
engagé auprès de partenaires internationaux (comme l'UE avec le
<< statut avancé >>), prendrait des risques trop importants
à réprimer durement un mouvement dont le risque de propagation
insurrectionnelle demeure encore bien en-deçà du seuil
systémique.
Dans l'espace de la protestation au Maroc, nul doute que les
mouvements de diplômés chômeurs et l'exercice boulimique de
la manifestation qu'ils pratiquent depuis 20 ans ont progressivement
creusé un sillon dans lequel a pu se loger un spectre beaucoup plus
large de mouvements de protestation. Il faut bien reconnaître au
mouvement des diplômés chômeurs d'avoir essuyé les
plâtres de la répression policière jusqu'à ce que
des niveaux de tolérance et de dialogue identifiables apparaissent.
Comme l'explique M. Emperador, cette récurrence de la manifestation a
posé en quelque sorte les jalons de la protestation à moindre
risque et offert un standard des modes opératoires de la manifestation
sur la voie publique dans le Maroc de l'après Hassan II. La protestation
dans l'espace public a ainsi acquis, à force de
répétition, un caractère routinier qui a modelé un
espace de protestation relativement équilibré entre seuil de
tolérance de l'appareil répressif étatique et
visibilité des mobilisations revendicatives. L'autodiscipline des
manifestations et sit-in des diplômés chômeurs ont
institutionnalisé une pratique pacifique (dont la forme était
auparavant perçu par l'Etat uniquement comme dangereuse car propice au
désordre) incitant à une transformation corollaire des modes
opératoires des forces de l'ordre. << Le verrouillage complet
de la rue ou l'exercice d'une violence physique létale sont impensables
aux yeux des militants à cause de leurs effets négatifs sur
l'image de l'État. En effet, l'« acceptation » des
manifestations valide publiquement la rhétorique de
démocratisation des autorités >>52. La
protestation publique n'était dés lors plus perçue comme
une entreprise subversive, mais comme catégorie légitime (ou
tolérable) dans l'ordre de l'action publique53. Les
politiques publiques ont en quelque sorte été progressivement
contraintes à prendre en compte (sinon laisser apparaître) le
<< voice >> du mécontentement, quand celui-ci reste
néanmoins circonscrit à l'intérieur d'un cadre
limité par des lignes rouges qu'il ne faut pas franchir au risque de
briser le pacte tacite avec les autorités. Cependant comme le
52 Ibid, p39
53 Catusse Myriam, Vairel Frederic, Question
sociale et développement : les territoires de l'action publique et de la
contestation au Maroc, Politique africaine, n° 120, décembre
2010, p 5-23
note M. Emperador, « les limites du tolérable
définies par les agents de l'État sont instables
»54.
Les militants du 20 février ont éprouvé
à plusieurs reprises « cette instabilité des limites du
tolérable », bien que les motifs du dépassement du
tolérable soient eux-mêmes très abscons et
vraisemblablement relèvent plus de l'ordre de l'arbitraire que d'une
stratégie de délimitation claire. Toujours est-il que la sortie
dans les lieux publics est, pour les militants, une prise de risque non
négligeable, en premier lieu parce qu'elle met en visibilité les
personnes participantes (les services de renseignement photographient
scrupuleusement les moindre rassemblements contestataires), et en second lieu
parce que ces sorties ne sont pas soustraites à un risque toujours
latent de répression policière et d'emprisonnement. Durant la
mobilisation de février à août, très peu de
manifestations organisées par le mouvement du 20 février ont fait
l'objet d'une autorisation préalable de la wilaya (préfecture).
La stabilité relative des rassemblements et manifestations, est due au
pacifisme appliqué et à l'autodiscipline des manifestants, ainsi
qu'à la routinisation des parcours à laquelle les
autorités se sont habituées. En effet, les manifestations de la
coordination de Rabat organisées dans le centre ville ont toujours suivi
le même parcours, de sorte que les forces de l'ordre avaient une bonne
connaissance des lieux et des moyens d'encadrer les cortèges. En
revanche lorsque les manifestations sont organisées dans les
périphéries de la ville, dans les quartiers populaires, les
forces de l'ordre sont alors plus enclines à faire usage de la force. Du
reste, le caractère a priori illégal de toute les sorties du
mouvement est une marge de manoeuvre délibérément
laissée à la discrétion des appareils de
sécurité pour réprimer en cas de besoin (l'Etat peut
toujours invoquer l'illégalité d'une marche pour légitimer
une vague de répressions ou d'arrestations).
La rue est l'espace privilégié de la
visibilité du mouvement. Les sorties doivent donc être
impeccables, contrôlées et doivent afficher le mieux possibles les
messages que veulent faire passer les militants : qu'il s'agisse des slogans ou
de la forme même du déroulement de la manifestation, censée
véhiculer un message d'unité et de protestation pacifique. Un
faux pas en ce lieu équivaut à une perte en
légitimité tant sont rares les
54 Emperador Montserrat, Les manifestations des
diplômés..., op cit, p 46
autres lieux d'expressions susceptibles de corriger les erreurs
survenues dans les manifestations.
La manifestation est non seulement un moyen d'expression et un
lieu de mise en visibilité d'une volonté collective, mais elle
est aussi pour le mouvement lui-même le meilleur moyen de savoir ce qu'il
pèse. Comme le fait remarquer E. Soutrenon, << d'une certaine
manière, la mobilisation physique permet au groupe de se compter et de
savoir sur qui - et sur combien de personnes - il peut compter
»55.
Le sit-in est bien souvent la seconde étape des
manifestations. Dans les manifestations du centre ville de Rabat, le
rassemblement se fige et la marche prend fin devant ce qu'elle considère
comme sa cible primordiale : le parlement. Quand prend fin la marche du
cortège, en face du parlement, le rassemblement prend des airs de
<< sit-in », la foule stationne devant le portail du bâtiment
rouge et commence sa charge de chants et de slogans de protestation, contre ce
qui a l'évidence est pris comme le premier responsable, le coeur du
pouvoir. Pourtant chacun parmi les manifestants est absolument conscient que ce
contre quoi s'écrasent leurs cris n'est rien d'autre qu'un
bâtiment creux, une coquille vide. Mais cet ersatz de pouvoir est un
pis-aller qui convient malgré tout, c'est une cible à moindre
risque. Et puis le parlement c'est à la fois le symbole du régime
et aussi (et surtout) le symbole de l'adhésion des partis à ce
système, et donc il s'agit in fine du symbole de la
collaboration avec le régime. Le parlement est donc cette cible
autorisée, qui satisfait autant les manifestants que les
autorités. On laisse donc les manifestants prendre ce lieu pour
exutoire. Mais si d'aventure le cortège avait l'idée de continuer
son chemin en remontant l'avenue jusqu'au Méchouar (enceinte du Palais
royal), il y a de quoi penser que l'attitude policière changerait
rapidement. Il y a donc derrière cette ferveur, cette
scénographie de la contestation populaire en face du parlement, une
sorte de théâtralisation pacifiée de la confrontation, une
représentation de la révolte. Comme le fait justement remarquer
M. Emperador dans son observation des sit-in des diplômés
chômeurs, il s'agit là d'un << désordre
contrôlé »56
55 Soutrenon Emmanuel, op.cit. p40
56 Emperador Montserrat, op.cit. p34
A l'intérieur des cortèges, les symboles de
l'identité du mouvement sont en rivalité. Bien sûr les
couleurs du mouvement sont mises en avant, son nom en caractères blancs
sur fond noir, et décliné en plusieurs langues, est le symbole de
ralliement. Il n'y a pas de manifestation févriériste sans ce
drapeau. Mais à côté de ces signes d'union, de ces signes
d'attachement à un mouvement commun, d'autres objets permettent (ou
offre à voir) des formes de distinction.
Le poing levé, la bougie, la casquette, l'étoile
rouge, le keffieh palestinien, sont autant de marqueurs faisant directement
référence à une culture de gauche et une culture de la
lutte ouvrière et syndicale. La bougie, symbole de la lutte pour les
droits de l'homme, a été largement adoptée par les partis
de gauche, à l'exemple du PSU qui en fait même l'emblème du
parti. L'étoile rouge reste très marquée à
l'extrême gauche, c'est la représentation du communisme
révolutionnaire, il est parfois accompagné chez les jeunes
militants du portrait du « Che ». Ce sont le plus souvent les
militants d'Annahj (ou plus largement de toute l'extrême gauche) qui
arborent ces signes ostensiblement référés à
l'idéal communiste. Le poing levé, s'il fait bien sûr
référence aux luttes ouvrières et à tout le
registre de la gauche révolutionnaire, n'en est pas moins
récupéré par de nombreux militants, islamistes compris,
qui prennent ce geste comme un symbole universel de lutte, comme d'ailleurs le
keffieh palestinien qui est largement repris par les islamistes. Par ailleurs,
la barbe, la djellaba et la calotte ne sont nullement équivoques, et
appartiennent au champ sémiotique islamiste. Quant au drapeau amazigh,
qui apparaît sporadiquement dans les manifestations du 20 février,
il est évidemment la représentation des groupements autonomistes
de culture berbère (que l'on retrouve dans toutes les coordinations du
20 février).
Pour illustrer la physionomie des manifestations et montrer
comment chaque sous groupe cohabite dans le même cortège en
s'autorisant quelques signes de distinction, l'attitude observée des
militants d'al-Adl est significative. Le groupe des adlistes est celui le plus
homogène dans les manifestations de Rabat. Même s'il ne fait pas
d'esclandre et qu'il reste même discret, sa suprématie
numéraire est objectivement patente. Le groupe défile en rang
serré, donnant à la queue de manifestation une attitude
très ordonnée qui contraste avec la tête de cortège
composée de groupes denses mais labiles et irréguliers, et qui
font davantage penser à un amas d'électrons libres qu'à
des groupes disciplinés. La posture manifestante adliste semble
emprunter des usages
corporels acquis dans l'espace de la pratique religieuse. La
prière collective des musulmans met en scène des rangs de
fidèles alignés et parfaitement synchrones. Cette pratique de la
prière alignée semble être reprise comme par analogie dans
la mise en mouvement des corps du groupe adliste au sein des cortèges du
20 février, offrant une impression frappante d'unité et de
discipline qui permet à la fois de consolider la force interne du groupe
et projeter l'expression de son identité au sein de l'espace public. Cet
élément de distinction est le seul à être mis en
scène par les adlistes. Au-delà de l'orchestration des corps,
aucun élément de type vocal ou accessoire (banderoles...) ne
vient se distinguer dans le cortège ou contrarier l'esprit d'ensemble
des marches organisées par le mouvement du 20 février. Cependant
avec une acuité plus fine on peut noter des points d'insistance qui,
sans pour autant contrarier l'esprit du mouvement, viennent marquer des
identifications particulières. Après la mort de Kamal al-Omari
(survenue le 2 juin des suites de blessures infligées par la police
marocaine) un militant adliste de la ville de Safi, le portrait de ce martyr
n'a cessé d'emplir les cortèges manifestants, notamment à
Rabat. La photographie en noir et blanc du corps supplicié du
défunt sous l'épitaphe << shahîd harakat
`achrîn febraîr » (martyr du mouvement du 20 février) a
fait l'objet d'une multiplication d'apparitions sous formes d'affiches
cartonnées. Si l'ensemble du mouvement du 20 février a bien
reconnu le martyr et le célèbre comme il se doit, ce sont
cependant les adlistes qui insistent sur sa mise en visibilité dans les
cortèges, dans une logique de << martyrisation » qui n'est
pas partagée par tous les militants. Pour les militants d'Annahj et
d'al-Adl wal-Ihssan, la martyrisation et la confrontation au régime
suivent une logique stratégique. La mobilisation doit aller crescendo
afin de pousser le régime à la faute, le forcer à sortir
de son attitude passive ; pour eux la seule manière de faire changer les
choses consiste à multiplier les sorties publiques et se confronter au
régime par le biais de son service de sécurité. Comme
l'explique M. Emperador << la récurrence des manifestations se
fonde sur l'hypothèse pratique qu'un enchaînement de "violences"
fera réagir les autorités, pour le meilleur ou pour le pire
»57. Une vision stratégique qui n'est pas du
goût de tous les militants du 20 février. Certains, comme les
militants de l'USFP ou du G3, la confrontation avec le régime dans la
rue ne peut pas être la forme axiale du mouvement, mais simplement une
forme d'incarnation. Un versant constructif doit, pour eux,
57 Emperador Montserrat, op.cit. p35
nécessairement trouver à se localiser sur le
terrain social. C'est l'idée de la réactivation des «
comités de quartier », comme forme alternative d'occupation de
l'espace public.
De février à août 2011, il y aura eu
à Rabat une somme considérable de manifestations de rue
orchestrées par la coordination locale du 20 février. A raison
d'au moins une manifestation hebdomadaire (chaque dimanche) on peut compter un
total de 25 manifestations du mouvement du 20 février à Rabat
durant cette période. Mais en rapportant toutes les formes auxiliaires
d'apparitions publiques, on peut aisément doubler ce chiffre.
Ajoutées à la mobilisation févrièriste les
manifestations régulières des diplômés
chômeurs, le centre ville de Rabat n'a pratiquement pas connu un seul
jour sans manifestation ou sit-in durant cette période. Les marches
militantes font donc entièrement partie du paysage urbain de Rabat. Mais
il faut noter toutefois que ces marches ne sont jamais très importantes
au niveau du volume de participants ; elles ne rassemblent guère plus
qu'un millier de personnes voire deux.
En matière de manifestation toutes les coordinations du
mouvement sont libres pour les organiser avec la forme et le rythme qu'elles
souhaitent. Seulement, une fois par mois (autour du 20 de chaque mois en guise
de rappel de la date du 20 février) des manifestations sont
synchronisées au niveau national. Du fait de leurs dimensions nationales
celles-ci sont plus vastes et importantes que les autres. Elles attirent
souvent à cet égard un public plus large que celui que forme
l'effectif assidu des manifestations dominicales ordinaires. Ainsi chaque date
de l'avant dernier dimanche de chaque mois est à chaque fois le moment
d'un bilan de parcours de la mobilisation févriériste. La date du
20 mars par exemple a été un moment crucial pour le mouvement car
ce jour de mobilisation suivait le discours royal du 9 mars. Alors que les
militants du mouvement s'attendaient à une baisse de
fréquentation, ce fut le contraire. Le 24 avril fut également une
date charnière pour le mouvement, c'est certainement le jour de
mobilisation le plus important de la période. A Rabat, le départ
de la manifestation du 24 avril s'est tenu dans le quartier populaire de Yacoub
al-Mansour (le cortège est parti du stade pour rejoindre la gare
routière). Le cortège rassemblait un spectre très large de
mouvements et de sensibilités politiques : ce fut la première
fois que les salafistes sont sortis au côté des
févriéristes. La forte affluence de cette journée est due
à l'organisation d'une importante sensibilisation la veille dans les
quartiers populaires de la ville.
Jusqu'à la fin avril les effectifs des manifestations
n'ont fait qu'augmenter. Mais à partir du mois de mai, les
manifestations du mouvement 20 février ont commencé à
subir la répression des forces de l'ordre. La raison en est que le
mouvement a tenté de sortir un peu plus des sentiers battus pour pointer
du doigt les points flous et sensibles du régime. L'organisation le 15
mai d'une manifestation à Témara (à quelques
kilomètres au sud de Rabat) sonne la fin de l'attentisme du
côté du régime. A Témara les
févriéristes ont l'intention de protester contre un centre de
détention, dont le mouvement (et d'autres ONG des droits de l'homme)
suspecte le caractère secret et politique. Pour le mouvement, ce lieu
est le symbole de la persistance des pratiques des années de plomb avec
lesquelles il faut rompre. Mais le régime n'admet pas qu'une telle
limite soit franchie. Il faut dire également que le régime est en
alerte sécuritaire depuis l'attentat de Marrakech perpétré
le 28 avril, de sorte qu'après cette date les services de
sécurité reçoivent des ordres plus musclés pour
calmer l'état d'agitation que connaît le pays. Toujours est-il que
pour cet événement du 15 mai le régime en premier lieu
dénie l'existence d'un centre de détention secret, et dans un
second temps interdit formellement les manifestants de se rendre sur les lieux
de l'hypothétique prison.. L'interdiction n'est pas suivie et la
répression a lieu. Des blessés et des arrestations ont
été signalés, mais pas de morts, le régime tient
à essouffler le mouvement pas à fabriquer des martyrs
susceptibles de nourrir la haine populaire contre lui. Cette riposte du
régime (même si elle n'est pas la première, le 13 mars des
militants de Casablanca ont subi le même sort) inaugure une étape
de répression afin d'affaiblir le mouvement. Il faut attendre la
manifestation du 5 juin (organisée au niveau national par le
comité de soutien pour condamner les violences du régime) pour
que la violence policière s'estompe. Mais lors de la manifestation du 19
juin (qui suit le discours du roi du 17 juin), alors que la coordination de
Rabat souhaite organiser une manifestation dans un quartier populaire (à
Taqadoum), une nouvelle sorte de répression s'abat sur le mouvement, non
plus directement de la main des policiers, mais par le biais de groupements
<< contre-révolutionnaires ». Appelés
communément << baltagia » (casseurs, voyous), ces individus
ont attaqué violemment le cortège du 20 février sous les
slogans de << vive le roi », << A bas le mouvement 20
février » etc... Après cette manifestation du 19 juin, les
<< baltagias » vont apparaître systématiquement au
moment des manifestations du mouvement du 20 février. Organisés,
unifiés sous diverses sortes d'emblèmes, d'appellations et de
couleurs, ces << royalistes », particulièrement
présents sur Rabat, vont prendre le relais des forces de l'ordre dans la
stratégie d'étouffement du
mouvement févriériste, en limitant la violence
physique. Beaucoup moins nombreux, les « légitimistes »
bénéficient cependant d'un appui logistique et matériel
conséquent de la part du régime. D'une manière
particulièrement visible après l'appel du roi à voter
« oui » au référendum, les groupements
légitimistes vont devenir l'instrument de propagande du régime
pour occuper la rue de manière à affaiblir la portée du
mouvement contestataire. Une semaine après l'événement de
Taqadoum, le 26 juin la manifestation du 20 février revenue sur des
lieux plus conventionnels (le centre ville de Rabat), se retrouve
entenaillée entre les force de l'ordre et les « royalistes
».
Voici le compte rendu factuel avec les éléments les
plus saillants de cette manifestation du 26 juin.
A l'initiative de la coordination locale, une
manifestation est organisée sur la place centrale Bab al-had (centre
ville de Rabat). Le rassemblement est rapidement bloqué par la police,
qui encercle le cortège de part et d'autre de l'avenue Ibn Toumart,
l'empêchant de suivre son trajet habituel vers le parlement (avenue
Mohamed V). L'avenue Mohamed V en question est quant à elle
déjà occupée par des cortèges de partisans du
« oui » au référendum (surveillés et
encadrés par aucune force policière), notamment les compagnies de
taxis défilant à grands coups de klaxon, avec des affiches
à l'effigie du roi, des drapeaux du Maroc, des slogans
royalistes.
Une présence importante des partisans du roi est
à noter sur la place Bab al-had. Tout un matériel militant de
communication a visiblement été mis à leur disposition :
t-shirt appelant, en arabe et en français, à voter oui au
référendum, banderoles, affiches dénonçant le
mouvement 20 février, et autres affiches accusant l'organisation al-Adl
wa al-Ihssan de corruption, de trahison et de manipulation (20fev = al-adl wa
al-ihssan). Des attaques ad hominem envers Nadia Yassine sont à noter
également (« Nadia Yassine la coquine », « Nadia Yassine
la libertine »).
Les forces de l'ordre forment une barrière
empêchant les protagonistes de se rencontrer frontalement, cependant
qu'elles cèdent à l'évidence beaucoup de terrain aux
légitimistes, de sorte que la double barrière formée par
la sûreté nationale, en devient rapidement une seule.
Manière d'atteindre la figure du monarque, sans le
montrer et sans le désigner directement : Une grande affiche brandie
dans la manifestation « 20fev » du 26 juin représente sous la
forme d'un organigramme 3 personnes désignées comme les
principales personnifications du makhzen : Mounir Majidi, Fouad al-Himma, et
Mohamed Moatasim, tous trois réunis par des embranchements qui
convergent vers un point d'interrogation, le commentaire du dessin : « qui
est derrière eux ? » Sous entendu le roi. Mais la case
censée recueillir la figure du roi est bien laissée en noir avec
un point d'interrogation blanc en son centre.
Nous souhaitons pour illustrer plus profondément le
déroulement d'un rassemblement du mouvement 20 février, prendre
pour exemple celui du 30 juin, qui a la particularité de ne pas se
dérouler un dimanche, mais un jeudi, à la veille du
référendum (un jour décisif donc pour le régime) et
enfin de fonctionner sur le principe de la « flashmob » : sorte
d'apparition inopinée, rapidement décidée, censé
prendre le régime au dépourvu.
2) Description factuelle d'une « flashmob »
(Rassemblement du jeudi 30 juin, à la veille du
référendum sur la constitution)
A l'initiative de la coordination locale, la place Bab al-had
est choisie comme lieu de rassemblement (à 18h). Mais cette place fait
l'objet d'une quasi-omniprésence des « royalistes » depuis une
semaine, et qui à chaque fois redouble en nombre et gagne en
matériel de communication. Cette fois des autocars, des camionnettes,
des voitures, sont affrétées pour l'occasion, les
véhicules sont équipés de tout le matériel (micros,
sonos, mégaphones), nécessaire à la diffusion sonore de
slogans, chansons, et aussi d'estrades métalliques montées sur
les toits destinées à accueillir les orateurs et les porteurs de
drapeaux. Visiblement, les royalistes attendent les févriéristes,
l'information selon laquelle un rassemblement serait prévu a
probablement été ébruitée dans les rangs des
royalistes.
Face à ce bataillon, disposé en règle,
avec leurs uniformes rouges et leurs drapeaux (T-shirt, pancartes,
homogènes), le mouvement du 20 février (20fev) se fait attendre.
Les personnes, arrivent individuellement ou par petits groupes, vont à
la rencontre de leurs camarades qu'ils reconnaissent, formant progressivement
des groupes éparpillés mais de plus en plus importants. La
première question qu'on pose après les salutations d'usage :
<< où sont les autres », la réponse intangible :
<< ils arrivent ». On interpelle individuellement les camarades
qu'on reconnaît sur la place, en leur faisant signe de rejoindre les
petits groupes constitués. Presque aucun signe ostensible manifestant la
présence du 20fev n'est brandi, la discrétion de la mise en route
du rassemblement est surprenante. Soudain, un groupe rassemblé
derrière le siège de l'Istiqlal et une station essence, et qu'on
aurait pu prendre initialement pour un groupe de personnes contingentement
agglutinées sans intention collective (à l'image d'une file
d'attente de bus), se mettent en choeur à frapper des mains et entonner
les chants et slogans du 20fev. Ceux-ci fonctionnent autant comme des signes de
ralliement pour les camarades qui arrivent sur la place, que comme un moyen de
manifester aux passants rabatis et également aux forces de l'ordre que
le mouvement du 20fev est présent et entend accomplir son occupation de
l'espace public. Presque aucun signe visuel de reconnaissance signifiant
l'appartenance collective n'apparaît, si ce n'est quelques maigres
pancartes et des écharpes à l'effigie du 20février, de
sorte que le groupe (quelques dizaines au début) apparaît en
contraste des royalistes (tous appareillés des signes de reconnaissance
: la couleur rouge et les caractères << naam »58
mis en gras sur les affiches, pancartes et écriteaux ) comme un amas
impromptu, une foule d'inconnus, un conglomérat d'individus
isolés, marqué par aucune couleur commune. Rapidement cependant,
la discipline oratoire qui se manifeste par la rigueur de la scansion avec
laquelle les slogans oraux sont déclamés à l'unisson, fait
du tort aux royalistes partisans du oui (groupe qui se présente selon
les tracts envoyés par centaine sur la place comme la <<
coordination nationale de la jeunesse », selon les membres du 20fev il
s'agit simplement de << baltajias » payés par le
ministère de l'intérieur59. Les slogans scandés
sont de plusieurs ordre (et exprimé tantôt en darija tantôt
en arabe plus classique) : le premier est l'appel au boycott du
référendum et à la mise en place d'un processus
58 << oui » en arabe (en référence
à l'appel au << oui » pour le référendum
constitutionnel)
59 Le reportage de TV5 sur le groupe de <<
l'alliance royale » en apporte une confirmation, voir le lien :
http://www.youtube.com/watch?v=fVYgtKLWB1I&feature=share
constitutionnel démocratique, le deuxième est
une dénonciation de la corruption et un appel à la chute du
gouvernement, le troisième est un appel à l'unité
populaire pour défendre << la dignité, la liberté et
la justice sociale >>. Le rassemblement du 20fev grandit assez
rapidement, en l'espace de 20 minutes il peut compter environ 200 personnes.
Les forces de l'ordre repèrent le positionnement du 20fev et
s'organisent pour former une barrière humaine entre les royalistes et le
20fev. On s'aperçoit que jusqu'à la manifestation des membres du
20fev, les forces de l'ordre étaient en stand-by, il aura fallu que les
contestataires entament leur cérémonie pacifique pour que la
sûreté nationale se mette en branle, qu'elle sorte des estafettes
et rapidement forme un arc d'individus kakis avec boucliers et matraques (mais
sans armes à feu) devant les manifestants, augmentant la densité
du groupe tout en réduisant son espace de mouvement. Cette façon
de procéder a laissé toute latitude aux royalistes pour se
déployer juste derrière les forces de l'ordre, donnant ainsi
l'impression d'un piège qui se referme sur les militants du 20 fev, ou
encore l'impression que la police protège la petite minorité de
trublions contre ce qui semble vouloir incarner cette immense falaise
d'adhésion populaire figurée ici par les << partisans du
oui >>. Ceux-ci sont visiblement voués à incarner
l'évidence du << oui >>, le rôle du << consensus
populaire >> pour la constitution du roi, ils sont censés
représenter le soulèvement d'adhésion instantanée
de la masse pour plébisciter le roi, et faire précisément
figurer cet enthousiasme dans l'espace public. Cependant cette
instantanéité, ce sursaut d'adhésion spontanée
laisse songeur au regard du déploiement logistique et matériel
qui semble accompagner cette << spontanéité >>. Ces
royalistes n'existent véritablement (et dans leur forme
organisée) que par l'appui logistique et matériel d'une force
institutionnelle, car nulle autre force ne serait apte à déployer
dans cette temporalité si courte des cohortes d'individus, comme surgis
de nulle part, avec une discipline qui s'apparente plutôt à celle
d'un syndicat chevronné qu'à une foule
improvisée60.
Quatrième protagoniste après le 20fev, les
royalistes et les forces de l'ordre, la présence d'un public
apparemment neutre et qui se met en place au bout d'une bonne heure au
gré
60 Après la dispersion de la manifestation,
la présence de quelques voitures de la sûreté nationale
remplies d'individus en T-shirt rouge (conducteurs compris) qui quittaient les
lieux à quelques pas du lieu du rassemblement, nous a confirmé
l'hypothèse (avancée par certains manifestants du 20fev) selon
laquelle les groupes de royalistes étaient composés en partie de
policiers en civil, improvisés << militants >> pour
l'occasion.
de l'échauffement des parties prenantes. Une foule
impassible qui recrute ses membres chez les passants pris de curiosité
devant cette confrontation politique qui semble presque inopinée et qui
en tout cas possède sans aucun doute quelque chose d'inédit dans
sa théâtralité : la reproduction ostensible, mais en
miniature de chair, de deux figures incontournables de la tragédie
chérifienne, le régime colossal et l'opposition populaire (les
éléments disjoints demos d'un côté
kratos de l'autre). Il y a de la violence certes mais d'une
manière latente, les enjeux sont lourds car il est question du
régime et de la contestation d'un processus engagé par le roi,
donc c'est aussi le système monarchique qui est attaqué
même si celui-ci ne subit jamais d'attaque frontale. Il y a donc de la
violence, mais c'est une violence qui est assez vite désamorcée,
étouffée, sublimée par la structure même du 20fev,
qui a cette conscience partagée par tous ses membres que l'un des
premiers liants du mouvement est sa forme pacifique, postulat indiscutable qui
en disparaissant ferait exploser le mouvement d'une manière
irrémédiable. La force pratique de ce principe commun s'illustre
à chaque fois qu'une scène réellement violente semble
apparaître, soit qu'elle provienne de l'intrusion ou de la provocation
des baltajias soit qu'elle vienne d'une confrontation avec la police, toujours
le cri de ralliement qui sortira à l'unisson de toutes les bouches sera
« silmiya, silmiya ! » (pacifique, pacifique !) comme pour rappeler
à l'individu qui s'est égaré en laissant libre cours
à sa colère qu'en faisant cela il engage tout le collectif
à assumer les conséquences de ses actes.
Le peuple ici, comme le 20fev s'imagine l'incarner, est une
petite formation bariolée, destructurée et presque aphone et qui
est prise en tenaille derrière un rempart de policiers, recevant la
vindicte et l'opprobre de la part d'une formation lourdement outillée en
décibels, les trois véhicules équipés d'un
matériel d'amplification sonore ressemblent à trois
énormes falaises, un système titanesque face à l'agitation
rendue inaudible des contestataires. La foule non-engagée dans les
événements qui se présentent à elle, regarde ce
spectacle d'une manière impassible cependant que les enjeux
n'échappent à personne : tout est mis en oeuvre pour mettre en
scène la suprématie du régime (non pas le régime en
tant que tel, c'est-à-dire en tant qu'instrument de puissance de
déploiement de force, mais en tant qu'il est l'incarnation de la
volonté générale), et pour montrer encore que le mouvement
du 20février n'est rien (et dans une signification plus profonde, qu'au
Maroc on ne peut être personne, on
ne peut exister véritablement sans l'assentiment et le
soutien du régime monarchique) si ce n'est une poignée
d'individus sans voix, sans organisation, sans avenir.
Conscients d'être en situation minoritaire, au vu de
cette connivence tacite entre royalistes et forces de l'ordre, les manifestants
du 20fev redoublent d'intensité dans la scansion des slogans. D'autant
que les énormes baffles disposés sur les 3 véhicules des
royalistes qui entourent le rassemblement des févriéristes ont
pour ambition manifeste de couvrir la portée de leur appel au boycott du
référendum. Un unique mégaphone (prêté par
une organisation syndicale) tente de donner une autorité plus
conséquente à la conduite des slogans. Les slogans sont connus de
tous, ils alternent, reviennent, ils ne sont en tous cas absolument pas
improvisés, car le risque qu'une initiative individuelle vienne semer le
trouble dans l'unité phraséologique du mouvement est la crainte
de chacun. C'est pour cela que si quelque individualité éprouve
le besoin d'innover (comme ce fut le cas pour un slogan improvisé,
visant à tourner en ridicule le rassemblement visiblement «
tarifé » des partisans du oui, qui sera accompagné
d'ailleurs d'une gestuelle corollaire : quelques manifestants tendent à
la vue des royalistes des billets de 50 et 100dh, signifiant par là
qu'ils ont été soudoyés) il y aura alors un petit moment
de discussion des quelques personnes (le comité de manifestation) qui
gravitent autour du mégaphone et qui semble rassembler l'ensemble des
tendances politiques du mouvement. Une fois le slogan accepté
unanimement, il sera délivré oralement via le
mégaphone.
Le leadership de la manifestation semble suivre les
règles tacites qui ont présidé au fonctionnement des
manifestations antérieures. Pas de leadership officiel, ni de services
d'ordre connu, du moins celui-ci n'est pas connu de tous, il n'est pas
désigné publiquement ni entiché d'un signe distinctif,
mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'organisation au service de la
sécurité des manifestants, cependant le processus d'attribution
des responsabilités dans ce domaine subit un turn-over et par ailleurs
est le fruit de décisions prises en comité réduit et en
amont de l'événement. Le rassemblement est donc
contrôlé et surveillé par un service d'ordre. Nous avons
à cet égard directement fait les frais de cette surveillance
informelle lorsqu'un des militants du 20 février (apparemment de la
jamaa d'al-Adl au vu de la barbe, la djellaba et la calotte) nous aborda alors
que nous observions le groupe se mettre au diapason, nous demandant pourquoi
nous ne chantions pas avec eux et si par hasard nous n'étions pas
un << baltajia >>. Nous lui
répondîmes avec un sourire et dans un arabe approximatif que nous
ne comprenions pas tous des slogans employés mais que nous étions
cependant tout à fait prêt à combler cette lacune par un
soutien digital redoublé. Après nous avoir identifié comme
français inoffensif il nous congédia, un peu
interloqué.
Pas de leadership sur le papier donc, cependant qu'un
leadership de facto tient lieu de << poisson pilote >>
pour la foule qui attend quelques signes et recommandations. En fait les
<< têtes >> sont connues et reconnus, tout se passe comme si
le déroulement de la manifestation suivait les effets conjugués
de l'autorité légitime et de la confiance. Cependant on se
tromperait en ne remarquant pas les va-et-vient incessant de certaines
personnes, allant vers untel ou untel glisser quelques mots à l'oreille,
ou les brèves discussions en aparté de ces mêmes
personnes.
Les personnes clés pour les décisions qui vont
être prises dans l'agitation du moment sont celles qui visiblement ont
une légitimité chronologique, c'est-à-dire ceux qui sont
présents depuis les toutes premières heures du mouvement et qui
ont structuré les premiers échafaudages du 20février. Il
s'avère que dans ces personnes clés, beaucoup ont fait leurs
armes dans des partis politiques ou dans le syndicalisme étudiant
(UNEM). Ce qui augmente leur importance (leur poids dans le statut de <<
leaders >> même si cette terminologie n'est pas
apprécié par les 20févriéristes), cette fois-ci non
plus sur le terrain de la légitimité chronologique, mais sur
celui de la compétence technique et stratégique.
Paradoxalement ces figures centrales ne sont
désignées comme leaders que d'une manière absolument
extérieure au mouvement lui-même, notamment via les médias
(marocains et français notamment) qui ont voulu dresser le portrait de
ceux qui se trouvaient le plus souvent en tête des cortèges.
Evidemment tous les membres du 20fev savent qui sont les personnes qui comptent
au sein du mouvement mais cependant aucun signe, même des signatures
personnelles, n'est venu attester une quelconque organisation
hiérarchisée. Les royalistes néanmoins reprennent ces
figures désignées par la presse comme pour pouvoir trouver des
personnes à accuser, des personnes de chair et d'os, des figures
charismatiques à condamner, alors que le mouvement lui-même se
présente sous les traits exclusifs d'un collectif. A titre d'exemple les
portraits d'Oussama al-Khlifi et de Najib Chaouqi ont été
barrés d'une croix rouge et collés à un
faux cercueil sur lequel était inscrit en arabe quelque
chose que l'on peut traduire par << la mort du 20 février
».Ce cercueil était porté par deux royalistes qui le
faisaient circuler derrière la barrière formée par les
policiers et au-dessus de leurs têtes, accompagnés de pancartes
aux slogans sarcastiques << 20 février, vous allez nous manquer
».
Au moment où les royalistes semblent avoir gagné
la bataille des décibels, un des leaders prend le mégaphone et
harangue les 20févriéristes en leur demandant de ne pas se
décourager devant les << intimidations du makhzen ». Puis
à l'initiative de quelques personnes (mais probablement d'un commun
accord) qui le manifestent par des gestes amples, le rassemblement est
appelé à se mouvoir quelque peu afin de perturber les royalistes
et les forces de l'ordre. Aussi cela met en mouvement et les policiers et les
royalistes, ces derniers réajustant le placement des camionnettes afin
que les baffles reproduisent le couvrement des voix là où les
contestataires trouvent à s'arrêter de nouveau dans le petit
périmètre laissé par les forces de l'ordre.
Afin de contrecarrer les objectifs des royalistes, qui sont de
couvrir le plus possible la portée des slogans émis par les
20févriéristes, ces derniers à l'initiative de quelques
membres entament des danses exaltées, en cercle crient en choeur les
slogans habituels et profitent de l'émulation produite par la vue
rapprochée des camarades communiant dans la même exaltation pour
redoubler de puissance la sonorité des slogans émis. D'autres se
mettent à les applaudir. Progressivement le rassemblement qui dure
bientôt depuis 2 heures se referme sur lui-même. Initialement
destiné à haranguer les passants et faire entendre une voix
indignée, contestataire et discordante par rapport aux canaux officiels
d'information, sur la grande place de Rabat, le rassemblement se retrouve
désormais en huis clos, comme séparé de toute
extériorité, une contestation qui n'existe plus désormais
que pour elle-même, séparée qu'elle est de
l'extérieur par cette force d'endiguement que sont les cordons de
policiers alliés à ces écrasantes façades
royalistes (longue banderoles, cars, camions, qui produisent un effet
très efficace d'extinction de la visibilité des
20févriéristes). Quelques passants curieux cependant sont encore
les témoins de cette situation.
Au moment où le découragement et la lassitude
semblent gagner les esprits, et que le bourdonnement incessant des baffles
déversant les chansons patriotiques tout autour du
rassemblement contestataire attise la fatigue, se met en place
précipitamment une petite troupe de théâtre. Presque
à l'improviste, car il y a de la préparation tout de même
dans ce petit numéro de dernière minute. Un des orateurs appelle
la foule rassemblée à s'asseoir, la scène
théâtrale se met en place dans un petit espace au milieu des gens.
Les personnages du drame ont revêtu des tuniques (burnous) sur lesquelles
sont accrochés les attributs des personnages : il y a la constitution,
les partis makhzéniens, le peuple. La petite scène attire tous
les regards et revivifie soudainement l'ambiance du rassemblement.
L'extérieur revient à être exclu encore une fois mais cette
fois à l'initiative du 20fev (avec la manière de retourner contre
elle-même la puissance qui contraint une orientation, la fermeture sur
l'extérieur qui semblait sonner le glas de l'événement par
l'étouffement de son objectif premier, ne fait en vérité
que le dévier vers une autre forme d'expression qui sait
réutiliser (compétence d'adaptabilité) à ses
propres fins la force contraignante qui s'impose), et la petite foule des
royalistes a beau redoubler d'efforts pour couvrir la parole des
comédiens, il est trop tard, le public est déjà conquis,
à la fois par l'initiative théâtrale en elle-même (le
déroulement du drame, le jeu des personnages) et par l'effet de
dédain qu'il constitue envers ceux qui tentent présentement
d'étouffer le mouvement. Il s'agit visiblement d'un repli sur soi comme
technique de conquête sur l'extérieur par l'arme du dédain,
car ce repli n'est pas simplement un accommodement momentané ou une
résignation à ne demeurer que dans un entre-soi, son objectif est
bien plus de toucher l'extériorité, par un jeu
d'indifférence visant à vexer les royalistes dans leurs efforts
d'intimidation, que de divertir les participants, d'autant que ce <<
spectacle dans le spectacle >> est une mise en abîme attirant la
curiosité des passants, non contents apparemment d'apercevoir
l'ingéniosité et le sens de la dérision se déployer
dans le comportement des contestataires du 20fev, quand par contraste
l'attitude des royalistes parait beaucoup plus classique avec l'unique arme de
la suprématie sonore (et l'appui logistique), qui n'est pas sans
rappeler, dans un cadre métaphorique certes plus pacifique, l'usage de
la matraque par les forces de l'ordre. Cette violence sonore pourrait en effet
être vue comme une variation sur le thème du matraquage.
Le contenu de la représentation théâtrale
en elle-même traite du processus référendaire et tourne en
dérision le régime marocain. Une femme cinquantenaire personnifie
la constitution (la pancarte << al-doustour >> autour du cou), elle
boite, elle geint, elle manque de s'écrouler dans ses tergiversations
sur la petite scène, mais les partis
makhzéniens (Ahzab al-makhzen) sont là pour la
sauver chaque fois qu'elle semble trébucher, ils sont les
béquilles de la nouvelle constitution. La représentation est
caricaturale, c'est son objectif, elle est didactique aussi, et souhaite
montrer par des images burlesques la scène politique marocaine dans tout
ce qu'elle a de ridicule et d'antidémocratique: les contorsions et
génuflexions des partis politiques pour baiser la main de la
constitution (c'est ici le symbole de la bay'a qui est attaqué et la
culture de l'obéissance), ou encore la censure du peuple chaque fois que
celui-ci souhaite émettre une critique. Les partis, les partisans du oui
et l'allégorie de la constitution, entourent le personnage
représentant le peuple, et le doigt sur la bouche lui ordonne le silence
quand celui-ci crie au scandale, en appelle à la fin de la mascarade
politique et de la corruption. Un personnage absent, le roi, est pourtant
très présent dans toute la symbolique des mises en
scène.
Au bout de 3h, un groupe se concerte, puis un des membres
prend le mégaphone et après avoir remercié l'ensemble des
participants annonce la fin du rassemblement. La dispersion de ce dernier n'est
pas une mince affaire cependant, car les royalistes sont toujours là
très proches des 20févriéristes. Les policiers de la
sûreté nationale ouvrent néanmoins une brèche dans
leur cordon et un flot de personnes s'y dirige et forme inévitablement
un goulet. Les insultes fusent, une panique collective monte quelque peu, et on
se rassure en ressassant le slogan « silmiya silmiya ! >>. Quelques
personnes vêtues du t-shirt « oui à la constitution >>
et talkie-walkie à la main se joignent aux policiers pour fortifier le
cordon de séparation et protéger les 20févriéristes
dans leur sortie. Preuve s'il en est que les effectifs des royalistes
étaient composés de policiers en civil, et cependant preuve
indéniable que les instructions venues d'en haut ont voulu
empêcher tout débordement de violence.
Si la place est bientôt vide, en revanche l'avenue
Hassan II se retrouve vite embouteillée par des groupes de manifestants
qui, à cause de leur nombre important, occupent la rue et les trottoirs
empêchant une circulation normale. Les 20févriéristes ne
sont pas pressés de se disperser car des groupes de royalistes suivent
le mouvement en dispersion et l'invectivent. Bientôt des groupes
ambulants se font face, se provoquent et s'insultent de part et d'autre de
l'avenue Hassan II, et il faut l'intervention des policiers pour appuyer la
dispersion des protagonistes. Unique incident, dans un coin de rue où un
bus arrêté formait un goulet limitant le passage des gens, une
jeune militante du 20fev reçoit un
projectile au niveau de l'arcade sourcilière. Moment
décisif, avant que les 20févriéristes ne tentent une
riposte de colère, la police intervient et protège l'endroit de
l'incident, la personne sera emmenée à l'hôpital. La police
finit de vider la place, et sonne la fin des hostilités. Les
20févriéristes se retrouvent à remonter l'avenue Hassan II
par groupe de 4-5, souvent en fonction des affinités, et au bout de
quelques carrefours se disjoignent peu à peu. Après des
embrassades, accolades, paroles d'encouragement, annonces et rappels des
prochains événements, et le bras levé avec le V de la
victoire, les camarades se saluent mutuellement et reprennent chacun leur
chemin propre.
3) Les slogans
Les slogans du mouvement du 20 février sont à
l'image du mouvement, l'incarnation d'un syncrétisme des
différentes thématiques de la contestation sociale et politique
au Maroc (à ceci près que la lexicologie islamiste en est
totalement absente). L'arsenal sémantique se situe donc à
mi-chemin entre l'héritage des luttes antérieures et la
formulation d'une nouvelle phraséologie qui signale la
particularité du mouvement. Si lors des premières manifestations
l'usage des slogans n'est pas véritablement systématisé et
ordonné (ils reprennent les antiennes d'usage héritées des
mouvements sociaux antérieures) la constitution des coordinations va
progressivement doter le mouvement de << comités de slogans
>> chargés de formuler de nouveaux slogans, de les
homogénéiser et surtout d'en organiser la scansion pendant les
apparitions publiques. Ceci de manière à rendre homogène
la parole du collectif et de contrôler les débordements oraux. La
chose peut paraître anodine, mais les forces de l'ordre ont l'ouïe
fine et savent faire la différence entre des slogans revendicatifs
(même << border line >>) et des slogans s'attaquant
directement à la figure sacrée du roi. A cet égard des cas
de répressions ont parfois précédé des moments de
dispersion du collectif générant par manque de coordination ces
<< franchissements >> des limites auxquelles les services de
sécurité du régime sont attentifs. Il faut d'ailleurs
noter l'absence dans le catalogue des slogans du 20 février, du
célèbre <<
ãÇ~ÙäáÇ
ØÇÞ~ÓÇ
?~??? ??~ >> (le
peuple veut la chute du régime) qui a fait florès partout
ailleurs dans les pays arabes en révolte. Ce slogan est remplacé
le plus souvent par <<
ÏÇÏÈÊ~Ó?Ç
ØÇÞ~ÓÇ
?_??? ??~ >> (le
peuple veut la fin du despotisme), ou bien par <<
ÏÇ~ÓáÇ
ØÇÞ~ÓÇ
?~??? ??~ >> (le
peuple veut la fin de la corruption), formulations qui visiblement paraissent
moins radicales quant au sort à réserver au régime.
La description que nous offre M. Emperador de ce processus de
<< mise en discours de l'action revendicative >> dans le
cas des mobilisations des diplômés chômeurs, nous semble
partager quelques analogies avec le fonctionnement du mouvement du 20
février. << Certains slogans proviennent du répertoire
étudiant, après avoir été édulcorés
de leur sens politique original. Les autres types de slogans calquent des
mélodies populaires qui font partie du registre affectif des Marocains,
comme celles composées à l'occasion de la Marche verte. Recours
à l'affect ou source de protection ? L'usage du
registre émotionnel sert à optimiser la
sympathie suscitée dans l'opinion publique et rendre encore plus
choquante la violence des répressions policières. La langue des
manifestations est l'objet d'âpres discussions dans les comités de
shi'arat (slogans). Rien n'est laissé à l'improvisation, et les
slogans scandés sont le résultat d'une négociation entre
des leaderships concurrents, des conceptions idéologiques et des
engagements universitaires différents. La mise en discours de l'action
revendicative n'est pas l'occasion d'émergence de nouveaux leaders, elle
entérine et renforce au contraire les hiérarchies et les clivages
internes. »61
Les slogans62 répertoriés ci-dessous
illustrent la teneur générale des slogans scandés au cours
des manifestations de février à août. S'il ne s'agit pas
là d'un répertoire exhaustif, l'ensemble est cependant
fidèle à ce que l'on peut entendre le plus souvent dans les
cortèges du 20 février. Il faut préciser que ces slogans
sont surtout ceux conçus par la coordination de Rabat (même si
nombre d'entre eux se retrouvent ailleurs), il ne fait aucun doute que les
quelques cents autres coordinations présentes au Maroc produisent et
popularisent leurs propres trouvailles avec leurs nuances vernaculaires. Mais
il aurait été trop fastidieux de les répertorier
intégralement ici. Nous avons classé ces slogans en cinq
catégories :
Les slogans de l'Identité du mouvement, de l'appel
à l'unité et à la résistance Les slogans politiques
et la dénonciation de la corruption et de la répression Les
slogans socio-économiques
Les slogans d'attaques ad hominem (qui visent des personnes
clés du régime en les nommant)
Les slogans se référant au roi et à la
sacralité
61 Emperador Montserrat, op.cit. p39
62 Les slogans traduits dans des encadrés ont
été extraits d'un travail de compilation d'un blogueur Marocain (
http://www.larbi.org/)
a) L'identité, l'unité, la résistance
|
|
|
|
|
|
????
|
ãÒ?
|
ÇäÊÏÍæ
|
// ????? ÏíáÇ ?????
|
Marocain main dans la main, notre unité doit tenir
ÑíÑÍÊáÇ
æ
|
ÑÕäáÇ
|
???
|
// ???
|
??? ÈÑÛãáÇ ???
|
Peuple marocain, vas-y vas-y, vers la victoire et la
libération
äÇåÊÊ ??
ãåÊãÇÑ //
äÇßã ???
ÉÈÑÇÛã
Marocains partout, leur dignité ne se bafoue pas
???? ÏæãÕ ÏæãÕ
ÈáÇØãáÇ ??????
íÏí ?? ßÏí ?????
ÉÇÊÇí O jeune O jeune ta main dans la mienne
pour arracher nos revendications. Résistons résistons jusqu'au
bout
??????? ????
ÉãÇÑßáÇ ???? //
ÉíäØæ ????? ???????
Nos revendications sont nationales, notre droit à la
dignité notre droit à la liberté
áÇÍÈ áÇÍÈ
,,,, áÇÖíä
áÇÌÑáÇ æÇ ....
ÁÇÓäáÇ Femmes...ou hommes dans la lutte
nous sommes les mêmes
????? ÉÑãÇÚ
ÚÑÇæÔ
?????? ÇæáæÞä
ÇäÍæ Lève un pied, pose un pied, les rues sont
pleines de soucis.
Ils prétendent nous avoir vaincus, nous prétendons
avoir gagné
|
//
//
|
ãÏÞ ?? æ ãÏÞ
Òå
ÇäãÒå
ÇæáæÞí Çãå
|
ÚÏãáÇ ÊæÕ
ÇäÈåÑí ?? //
ÚÂÑä ?? ÇÏÈ
ÚÂÑä ??
Nous ne nous prosternerons jamais, le bruit du canon ne nous
intimidera pas
Êæãí ? ??? ??? //
ÊæÑÈÌáÇ áÂ
ãÛÑ Malgré la tyrannie, nous sommes le peuple qui ne
meure jamais
ãÇã?Ç ìáÇ
ÉÂÑÚãáÇ Pas de recul, pas de
reddition, la bataille est devant nous
|
//
|
ã?ÓÊÓÇ ?
ÚÌÇÑÊ ?
|
???????? äíÑæåÞã //
????? ??????
Marchons vers la liberté, les opprimés sont des
millions
ÉÏãÇÕáÇ
ÑíåÇãÌáá // ??????
????
Salutations militantes pour la plèbe résistante
|
ÍÇßáÇ
áÕÇæäÓ
|
// ÍÇÊÑ
ÍÇÊÑ
|
???? ??
|
Ô martyr repose en paix, nous continuons le combat
???? áÇÖäáÇ ???
ÉíÈÚÔáÇ
ÑíåÇãÌáÇ // ?????? ?
|
áÊÞáÇ æ
ÇäÈåÑí
|
? ÚãÞáÇ
|
La répression ne nous effraie pas, la mort ne nous
éradiquera pas ;
|
|
|
Le peuple nourrit notre lutte
ÊÇããáÇ æÇ
ÑííÛÊáÇ
|
ÇãÇ //
Ê?ÆÇÚáÇ
|
ÇäÏåÇÚ
|
Nous avons promis aux familles, ou bien le changement, ou bien la
mort
ÉÑÏãá ??????? Í? ????
???? ????? ÍÇßáÇä ã
ãÒ?
ãÒÇÇÇÇÇÇÇÇ?
ãÒÇÇÇÇÇ? Il faut il faut il
faut que l'on se batte, élèves, étudiants, ouvriers
paysans
???? ÇäÏÇÒ
äÒÎãáÇ
|
æãÖäÇ
æãÖäÇ
ÑíåÇãÌáÇ
|
Masses populaires unissez vous...unissez vous/Le makhzen nous
accable de ses ennuis
ÉíÈÚÔáÇ
ÑíåÇãÌáÇ
?íåÇãÌáÇ ÈÑÏ
ÇäÈÑÏ ÇÐå // ???
ÉÑæË åÐå
C est la révolution du peuple//c'est notre destin, le
destin des masses populaires
íÑæØÇÊßíÏ~áÇ
ãÇ~ÙäáÇ
?_? íÑæ~?
íÑæ~?
ÑíåÇ_ãÌáÇ
Peuple révolte-toi contre le régime dictatorial
ÉáÇÏÈ
|
???? ÑÕäáÇæ
|
// ÑíÑÍÊáÇ ???
|
????? ?äÅ
|
|
ÉáÇÏÌ?æ
|
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ÑÇäáÇæ
|
ãÏÈ ÏÇÚã
|
ÑíÑÍÊáÇæ
|
ÑÕäáÇ ??? //
|
??? ??? ÈÑÛãáÇ ???
|
Nous avons juré pour la liberté // Et la
victoire n'a pas d'alternative sauf avec le feu et notre sang//pas de bla bla
ou de débats // peuple marocain marche marche//jusqu'à la
victoire et la libération
ÑÇÑÍ?ÇÈ ????
íÏ?È ÑÇæËáÇ //
ãÇ ?? íãÇ ??
íÏÑÛÒ
Lance tes youyou ô ma mère, ô mères /
Notre patrie est enceinte d'hommes libres
???? ??? Çå 20 ÑÇåä
æ // ÇäæÊÑßÍæ
ãÂÇäÏÚÇæ
Nous l'avons promis et nous avons bougé / le jour du 20
nous sommes venus
á?Ô ????? ????? áÌÇ ??
íãÏ // íãÏ ?? íÏ?È ??
???? ???? Résiste résiste ! même avec notre sang pour notre
pays // mon sang pour mes droits j'en fais ma chute
óÉÇÜóíóÍúáÇ
óÏÇóÑ
ðÇóãúæóí
õÈúÚøÔáÇ
ÇÐÅ íó úä ?ÏõÈ
?óÑóÏÜóÞáÇ
óÈíöÌóÊúÓ íÜÜöáóÌúäóí
úä öáúÜí?áöá
?ÏÜõÈ
?óæ ÑÜöÓóßúäÜóí
úäó
öÏúíóÞáá
?ÏõÈ ?óæ
?????? ?????? ...
|
ÇäÊÏÍæ
ÇäÑÇÚÔ
|
Notre slogan : l union ; notre pays nous unit
Citoyen proteste...proteste... et cesse d être
spectateur
|
ÌÑÊÊ ??
ÇÂÇÑÇÈ
|
...
|
ÌÊÍÇ ÌÊÍÇ
äØÇæã
|
ÏæãÕáÇæ
áÇÖäáÇÈ
ÏæÚÊÓ
ÞæÞÍáÇ
Les droits sont acquis grâce à la lutte et à
la résistance
???????? ?????
...ÑíåÇãÌáÇ
ÈÑÛã ÇÐå
C est le Maroc du peuple...qui demande le changement
ÑíåÇãÌáÇ
|
ÊæÕ
|
ÇÐå ..
|
. ÑííÛÊáÇ
ÑííÛÊáÇ
|
Le changement le changement... c'est la voie du peuple
ÏÈ?æ
|
ÑííÛÊáÇ.
|
. . ÇÏÛ
|
ÇæÓ ãæíáÇ
ÇæÓ
|
Que soit aujourd'hui ou demain le changement est
inéluctable
|
|
|
|
ÉÑÆÇÏáÇ ?? ???
O Tunis la révoltée...O Egypte la
résistante...à qui le tour
|
...
|
ÉÑåÇÞ ?? ??? ??
|
..
|
ÉÑÆÇË ?? ???? ??
|
« Lorsqu'un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le destin de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser »
[2 premières strophes de l'hymne national tunisien,
écrit par Abu Al-Qacem Asshabi]
|
O makhzen tu te trompes, nous n'avons plus peur de tes
matraques
|
Nous ne céderons pas, nous ne céderons pas !
Et avec le régime nous ne réconcilierons pas
Nous ne céderons pas, nous ne céderons pas !
Et avec le régime nous ne réconcilierons pas
|
Je suis Marocain moi
Par affiliation et par identité Je suis Marocain moi
Par affiliation et par identité
?~ÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜä
???_??
?~ä ???_ÓáÇæ
?~?????? ?~ÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜÜä
???_??
?~ä ???_ÓáÇæ
?~??????
???_? ???~??
äÒ_ÎãáÇ æÇ~????
ØæÇÑÒ
?~äæÚáÎÅ
ÔäíÂÇ-????
ÔäíÂÇ-???? ??????-????
ãÇ-ÖäáÇ
?-Úãæ ÔäíÂÇ-????
ÔäíÂÇ_???? ??????_????
äÒ_ÎãáÇ
?-Úãæ
b) Slogans politiques (revendications et
dénonciation du régime et de la répression)
ÏÇÏÈÊÓ?Ç
ØÇÞÓÅ ... ????
ÈÚÔáÇ
Le peuple veut faire tomber la tyrannie
Hé tyran hé dictateur... ton tour arrivera
ÑæÏáÇ
4NíÊäÇ
|
|
... ÑæÊÇÊÂÏ ??
|
???? ??
|
t.S ?? 1...3
ÈÚÔáÇ
|
ÇÐå ..
|
.. ÚãÓÇ
ÚãÓÇ
|
???? ??
|
Hé tyran, écoute, écoute...ce peuple ne plie
jamais
ÑÇåäí ãÒ?
ÏÇÏÈÊÓ?Ç... ÑÇÏ
ÑÇÏ ÉßäÒ
ÉßäÒ Rue par rue, maison par maison, la tyrannie doit
s'écrouler
?????? ???? æ ????
äÇãáÑÈáÇ //?????? ??
????? ?? ????? ??
O Maroc, O Marocain, O Marocaine, Notre parlement est une
mascarade
äÇÚíÌ íÔæ
ÏÑÔã ?? äÇãáÑÈ
?? íÊÑÏ ÔÂ
As-tu réalisé ô parlement que certains sont
sans toit et les autres ont faim
ÉÈÇÐßáÇ
ÓáÇÌãáÇ Qu'elles partent
maintenant...les assemblées des menteurs
|
...
|
ÇÈÇÏ ????
ÇÈÇÏ ????
|
????? ?? ßíÏíÇ
ÚÑÇ ãÇÙä ?? // ?????? æ
ÇäíáÏ ?? æáÏ
æáÏ On nous abaisse, on s élève, ô
régime ôte ton joug de notre peuple
á?ÛÊÓ?Ç æ
ãáÙáÇ ÉÑËÂ
O mon peuple... ici c'est la maison des ténèbres
et de l'exploitation
|
..
|
áÇÍã ÇÐå ????
??
|
...
ÑæÈÞáÇ ??
ÁÇÏåÔáÇæ
ÑæÕÞáÇ ??
äÒÎãáÇ
Le Makhzen est dans les palais et nos martyres sont dans les
cimetières
ÕíÎÑ æå ??
ÈÚÔáÇ ãÏ //???? ??
äÒÎã ??
ô Makhzen, ô crapule, le sang du peuple a un prix
ÏíÑÔÊáÇ æ
ÑåÞáÇ ÈÑÛã //
ÏíÏÌáÇ
ÈÑÛãáÇ ???? Regardez le nouveau Maroc,
pays d'oppression et d'exode
ÉäÇå?Çæ
ÚãÞáÇ ???
|
...
|
ÉãÇÑ ? ????? ?
|
Aucun changement aucune dignité...Nous n'avons que la
répression et l'humiliation
????? ? ????? ? // ãíÑ ?Ç
ÈÑÛã ÇÐå
Ça c'est le Maroc dieu soit loué, aucune
considération, aucune réglementation
ãÇÙäáÇ
ÏÇÓá ãÇÏÞ?ÇÈ ?
??? ????
Ecrase écrase avec tes pieds la corruption du pouvoir
íÓÇíÓáÇ
ÞÇäáÇ ??
ÇÂÑÇÈ ÇÂÑÇÈ
// íÓíáæÈáÇ
ÑÇÕÍáÇ ??
ÇÂÑÇÈ ÇÂÑÇÈ
Assez assez ! de la main mise policière, assez assez ! de l'hypocrisie
politique
ÉÑÍ ÖÑ
ÈÑÛãáÇ... ÇÑÈ
ÇÑ? äÒÎãáÇ
Le Makhzen dehors dehors..le Maroc est une terre libre
íå íå
ÉáÇÍáÇ æ //
ÊÇÌ æ ÊÇÔã
ÊÇãæßÍ
ÉíÍÖáÇ
Çãå ??? æ //
ÊÇÑÇÚÔáÇÈ
???????
Les gouvernements vont et viennent, notre situation est la
même, vous nous fatiguez avec vos slogans, et nous sommes toujours les
victimes.
äÇÈÌÇí
äÒÎã ?? ãÇÙäÇí
ÇåÚãÓÇæ //
|
äÇÓä?Ç
ÞæÞÍá
íãáÇÚáÇ
|
ÞÇËíãáÇ
|
La charte internationale des droits de l'homme ; écoute
la O régime O peureux makhzen
ÚæáÎã ????
äÒÎãáÇ æÇ //
ÚæÑÔã ??
?åÇÙÊáÇ
Manifester est un droit inaliénable, ou le makhzen est un
pouvoir peureux
ÑíåÇãÌáÇ
ÈÇíÛ ?? //
ÑíÊÇÓÇÏá ?Ç
?
Non non aux constitutions en l'absence du peuple
????? ÑæÊÓÏ ????
|
...
|
íØÇÑÞãíÏ
ÑæÊÓÏ ?????
|
Nous voulons une constitution démocratique... pas une
constitution makhzenienne
??_ÔáÇÑæÊÓÏ
ÇÐ_åÁÇÑ~ÞáÇ
ÑæÊ~ÓÏ ?_???
ÉÑ Cette constitution est celle des voleurs, pas des pauvres
íØÇÑÞãíÏ
???? ÑæÊÓÏ ...
|
íÞíÞÍáÇ
áíÏÈáÇæ ...
|
íäÒÎãáÇ
ÑæÊÓÏáá
|
...
|
íÚÇãÌáÇ
ÇäÖÑ
|
Notre refus généralisé...à la
constitution makhzenienne...et l'alternative authentique c'est une constitution
populaire
íØÇÑÞãíÏ
ÈÑÛãá ...??????? ?????...???? ??? ?????
Notre peuple veut ...une assemblée constituante...pour un
Maroc démocratique
ÉíÚÑáÇ
äÒÎ? ?
|
...
|
ÉíÑÍáÇ
ÑæÊÓÏ ?????
|
Nous voulons une constitution de la liberté. .et pas un
berger de Makhzen
???? ??? ???? ?
ÑíåÇãÌáÇ
????? ...ÉãÇÑßáÇæ
ÉíÑÍáÇ...
Notre peuple veut...la liberté et la dignité.. Pour
toutes les masses populaires.
Pas de confiance dans vos promesses...notre peuple est un peuple
qui règne
ÊÇÁÇßáÇ
ÈÑÛã ?? ??
C est le Maroc des matraques...et non le Maroc des
compétences
|
...
|
ÊÇØæÑÒáÇ
ÈÑÛã ÇÐå
|
ÉØæÑÒáÇ ????? //
????? ????? ?????? ??
De la ville de Bou Arfa en passant par Ifni et Tata, une seule
politique : le bâton
Ø?ÓáÇ
æÓÑÇã
|
/ æÑÂÇÊÍ
|
. . . .
|
ØáÓáÇ
æÑÂÇÊÍ/ ?????
.... ØáÓáÇ ????
|
Ils raflent le pouvoir....ils raflent/ils monopolisent le
pouvoir...ils monopolisent/ils exercent le pouvoir
...
? ?
...
? ?
íÓíáæÈáÇ
ÑÇÕÍáá
íÓÇíÓáÇ
???????...
Non et non à la police politique...non et non a
l'encerclement policier
s ÓÑÇÏãáÇ ??
ÇäæÏíÒ...
ÓíáæÈáÇ ??
ÇÂÇÑÇÈ
Ça suffit les flics...nous voulons des écoles
...
íæ ??? ÊÇÑÔæ ????
ÉíÈÑÛãáÇ
ÉãæßÍáÇ
æÑíÒ
Le gouvernement marocain vaut « zéro »...ils
nous ont vendu et acheté aux exploitants
äÇ ????
ãæåÇäíÛÈ ...
äÇãáÑÈáÇæ
ÉãæßÍáÇ Le gouvernement et le
parlement ..nous les voulons au passé
ÉÑÇ~ÔáÇ
?
|
...
|
????--?
?~äÍÇæ
|
Çæ
ÉÑÇÒæ-áÇ
Çæ ...????_?
?~äÍÇæ
ÉÑÇ_ÔáÇ
Çæ
ÉÑÇÒæ-áÇ
Çæ ...????_?
?~äÍÇæ
ÉÑÇ_ÔáÇ
Nous arrivons 6 voleurs, 6 voleurs nous arrivons, 6 ministres 6
voleurs nous arrivons...
ãÇÙäáÇ ????? ?? //
äÇÌãáÇÈ
Ê?ÇÞÊÚÇ
ÉÈÑæÕ
ÊÇãÂÇÍã //
ãåÊæÇ ??? ÇÐå Les
Enlèvements sont gratuits // c'est la nature du pouvoir//Mensonges et
accusations//procès de façades
äíÏÓÇáÇ ????? //
ÑíÛÊáÇ ?? ?????? Rendez vous avec le
changement du gouvernement des corrompus
ÉãáßáÇ
ÈÚÔáÇ ???? //
ÉãíÒåáÇ
ãÇßÍÇí
Hé pouvoir défaitiste//donne la parole au peuple
áíÏÈáÇ
æÏäÚ ????? ....
áíÍÑáÇ
áíÍÑáÇ
Dégagez dégagez...notre peuple a une alternative
íÇÔ ????? íÌÇæ ???
// íÇÊÇæ
ÌäÓáÇ ????? Gouvernement de beignet et de
thé//Va et viens il n y a rien
ØÇÈÓáÇ ???
ÉãÙä?Ç //
ÖÇíÑáÇ
ØÇÈÑáÇ ??
De Rabat a Riad//les régimes sont sous la botte
íØÇÑÞãíÏ
???? ÑæÊÓÏ
íÞíÞÍáÇ
áíÏÈáÇ æ
íäÒÎãáÇ
ÑæÊÓÏáá
íÚÇãÌáÇ
ÇäÖÑ Refus collectif de la constitution Makhzenienne et
la véritable alternative c'est une constitution populaire et
démocratique
ÉíäØæ ?????
ãÇÙäáÇ //
ÈÇÒÍ? æáæÂ
?????? áæáÍ?
|
//
|
ã?ÓÊÓÅ?
ÚÌÇÑÊ?
|
Dites aux partis /le régime est une affaire nationale, pas
de recul pas d abdications//pas de solution de plâtrage
íÓíáæÈáÇ
ÑÇÕÍáÇ ??
ÇÂÑÇÈ ÇÂÑÇÈ
// íÓÇíÓáÇ
ÞÇäáÇ ??
ÇÂÑÇÈ ÇÂÑÇÈ
Ça suffit, ça suffit de votre hypocrisie politique//ça
suffit ça suffit de l encerclement policier
äÇÈÑå ????
äÇíÛØáÇæ ...
äÇíÕÚáÇ ãÇÚ
ÇÐå
C est l'année de l'insubordination...et les coupables
partiront en courant
äÇíÛØáÇ
ËÇËÊÌ?
L'insubordination...l'insubordination...pour enterrer l'injustice
|
....
|
äÇíÕÚáÇ
äÇíÕÚáÇ
|
... ÉæÔÑáÇÈ ...
ã?Ú?Ç ..
|
ÉæÔÑáÇÈ
|
...äÇãáÑÈáÇ
...ÉæÔÑáÇÈ ...
ÉãæßÍáÇ ...
ÉæÔÑáÇÈ
íÇÌ
|
íÔáÂ
ÉæÔÑáÇÈ
|
íÏÇÛ íÔáÂ
|
íÔá ...
ÉæÔÑá?? íÏÇÛ
|
íÔá ...
|
ÉæÔÑáÇÈ ...
ÉãÏÎáÇ ...
ÉæÔÑáÇÈ ...
ìäßÓáÇ ...
ÉæÔÑáÇÈ
|
...
ÑÇØíÈÓáÇ ...
|
ÉæÔÑáÇÈ ...
ãíáÚÊáÇ
|
ÉæÔÑáÇÈ
íÇÌ
Tous fonctionnent à la corruption, tout va a la
corruption, tout vient de la corruption : le gouvernement est corrompu, le
parlement est corrompu, les médias sont corrompus, l'éducation
est corrompue... (répétition)
ÉíäÒÎãáÇ
ÉÒáÊáá ?????
ÉäÇÏÅ
Dénonciation populaire de la télévision
makhzénienne
Les slogans suivants sont ceux qui inaugurent en règle
générale les manifestations, les divers rassemblements et les
sit-in. Cette salve fonctionne comme le véritable slogan de ralliement
du mouvement du 20 février.
Les masses déclarent
Que la seule solution entre toutes
C'est de faire tomber le gouvernement,
dissoudre le parlement, Changer la constitution,
Libérer la justice,
Libérer les médias
Ecoute la voix du peuple
Ecoute la voix des fils de ce peuple
Ecoutes la voix des filles de ce peuple
Que le Makhzen s'en aille
Et que le Maroc reste une terre libre
|
áæ~??
ÑíåÇ~ãÌáÇ
..áæ_??
ÑíåÇ-???.. áæ_áÍáÇ
?~Â ?--?
?~íÍæáÇ
?-ÍáÇ ?-ãæßÍáÇ
ØÇÞ_ÓÇ äÇ--ãáÑÈáÇ
?--Íæ ÑæÊ~ÓÏáÇ
??~íÛÊæ ÁÇ~ÖÞáÇÑíÑÍÊæ.. ã?-Ú?Ç
???--ÍÊæ.. áÇ
Ê?-? ??--ÓÇæ
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|
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äÒ--ÎãáÇæ..
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...
|
ÇÑ-?
?--ÖÑ
ÈÑ~ÛãáÇæ
|
ÇÑ-?
?--ÖÑ
ÈÑ~ÛãáÇæ
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È ?-???
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ÈÑ~ÛãáÇæ
c) Slogans socio-économiques
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?Ç ÈÑÛã ÇÐå Ça c'est
le Maroc dieu soit loué, pas de système de Soins ni
d'éducation
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ÉáÇÍáÇ //
ÈÑÛã ?? ???? ?Ç
ÈÑÇæÞáÇ
ÇÊæãáÇ æ //
ÖíÍÇÑãáÇ
ÉäßÓáÇ
Dieu te protège O Maroc, ta situation est
déplorable, on habite dans les toilettes et on meurt dans les
barques.
????? ÊÇÑßÍ
Ï?Èá ÐÇå
ÉØáÓáÇ
|
...
|
????? ÚÑÇæ ???? ?? ???
|
Témoigne histoire et écris ton rapport...le pouvoir
dans ce pays humilie les pauvres
?????? ÈæÚÔáÇæ
...?????? Ñíí?ãáÇ
Des milliards sont détournés...et le peuple est
dans la misère
ÉáÇØÚáÇ æ
?????? // ? ?? ? ?
Non non et non, à l'exclusion et au chômage
Le Maroc des libertés...et non des grandes familles
|
Ê?ÆÇÚáÇ
ÈÑÛã ????
|
...
|
ÊÇíÑÍáÇ
ÈÑÛã ÇÐå
|
ÉÑÇÕíÈáÇ
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ÈÚÔáÇ Ï?æÇ ??? //
ÊÇÑÇãÚáÇ
ÏíÒæÇ ?íáÇ ??? Construis
tes villas et tes immeubles, et laisse au fils du peuple les lentilles et la
bessara (purée de fèves)
ÑíÏÕÞáÇ ?? ????
íÔæ Certain grimpent et veulent voler...et le reste vit sous
la tôle
|
...
|
???? ìÛÈæ ?? ??
|
????? ÊÑÇÏ
???ÚÇãáÇ æÇ // ????? ?? ????
íÂ
Comment peut vivre le pauvre, alors que le coût de la vie a
pris des ailes ?
????? ÉáÇÒåáÇ
æÇ ÉíÑÇÞÚ
ÊÇÈÑÇÖã
ÉíÎæÑÇÕ
ÑÇÚÓÇ // ????? ?? ????
ÔÇí Comment peut tu vivre O pauvre alors que les
prix grimpent comme des fusées, la spéculation bat sont plein, et
des soins lamentables ?
?~????? æÇ ?~???
Ô?~? ?~???? ?~????
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Ô?~? ?~áÇÇ~????
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ÞæÞÍáÇæ
Les terre sont spoliées...et nos droits c'est : « que
dieu nous récompense »
?????? ????
· · ·
ãíÑ ?Ç
ÈÑÛã ÇÐå
Pas de soins, pas d'éducation ...c est le Maroc du :
« Dieu est miséricorde »
ÉíÑÇÞÚáÇ
??????? ????? ÉäÇÏÅ
Dénonciation populaire de la mafia immobilière
Ca suffit la corruption, nos poches sont vides
|
ÇæÎ åÇÑ ?????
|
· · ·
|
ÉæÔÑáÇ ??
ÇÂÇÑÇÈ
|
Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ? Parce que
le coût de la vie nous est trop cher
Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ?
Parce que la facture de l'eau et de l'électricité
est trop chère Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ?
Parce que nous voulons le changement
Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ? Parce que
le coût de la vie nous est trop cher
|
d) Critiques ad hominem
ÑíåÇãÌáÇ
??? ???? ?????? ÓÇÈÚ ??
Hé Abbas el-Fassi l'arrogant, le peuple t'a percé
à jour
íÓÂãáÇ ????? Le
gouvernement d'el-Fassi c'est le gouvernement de ma misère
|
. . .
|
íÓÇáÇ ?????
|
íÓÇáÇæ
íÏíÌÇãáÇ
ÉãåáÇ Le trio de la corruption...el-Himma,
el-Majidi et el-Fassi
|
...
|
íÓÂãáÇæ
ÏÇÓáÇ ????
|
ÉãÐáÇ ??
ÈÚÔáÇ Ï?æ Ni Majidi ni El
himma..les fils du peuples prennent la relève
|
...
|
Éãå? íÏÌÇã
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|
ÏÇÓáÇ
ÒæãÑ Çãå
íÏíÌÇãáÇæ
ÉãåáÇ
El-Himma et Majidi sont les symboles de la corruption
ßáÇíÏ ?? ??
ÈÑÛãáÇ Hé Abbass [el-Fassi]
dégage..le Maroc ne t'appartient pas
|
...
|
????? ???
|
II
|
ÓÇÈÚ
|
II
|
??
|
Vos enfants, vous les avez éduqués Et les enfants
du peuple vous les avez expulsés
Vos enfants, vous les avez nourris
Et les enfants du peuple vous les avez affamés
Vos enfants, vous les avez employés Et les enfants du
peuple vous les avez poussés à l'immigration
Mais les enfants du peuple se sont réveillés
les enfants du peuple ne sont plus dupes
les enfants du peuple vous crient : Ceci est le Maroc et c'est
notre pays Et que El Himma comprends de luimême ce qu'il
lui reste à faire
Ceci est le Maroc et c'est notre pays Et que Majidi
comprends de luimême ce qu'il lui reste à faire
Ceci est le Maroc et c'est notre pays
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e) Le roi (et le sacré)
Le roi fait l'objet d'une attention particulière dans
les slogans du 20 février. Il est évoqué, comme un des
responsables de la corruption et du manque de démocratie, mais il ne
s'agit pas d'une attaque ad hominem. C'est le concept de l' « intersession
royale » qui fait souvent l'objet d'une critique, comme le symbole d'un
système politique réduit à une « offrande
providentielle ». Concernant le roi les slogans tendent toujours à
tempérer la teneur du propos, soit en tournant en dérision la
fonction (le burlesque de la « société de cour »), soit
en laissant en suspend le nom de celui qui porte un responsabilité mais
qu'on ne peut nommer.
ÊÇíÑÍáÇ
äæÏíÒ //
ÊÇÓÏÞã ?????
Ça suffit les « sacralités », qu'on
augmente les libertés
ÉÓÇÓáÇ
ÈÚÔáÇ ÑÇÊÎí
... ÉÓÇÏÞ ?
ÇíÇÚÑ ? Pas de tutelle pas de
sacré...le peuple choisi ses dirigeants
ãÇ~ßÍÇ
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Ïæ_ÓÇ
áæ~??
ÑíåÇ~ãÌáÇ
Le peuple dit : règne, règne ! mais ne gouverne
pas
La réforme constitutionnelle ... est une offrande
royale
Le conseil des ministres ... est une offrande royale
La désignation du gouvernement ... est une offrande
royale
Celle des commissions ... est une
offrande royale
Celle des Cheikhs des confréries ... est une offrande
royale
Les donations et les aumônes ... est une offrande royale
Le protocole et la chancellerie ... est une offrande royale
Le limogeage et la nomination ... est
une offrande royale
Le bien-être et la vie ... est une offrande royale
La prière de la pluie ... est une offrande royale
Et la prière des calamités ... est une offrande
royale
L'inauguration des hôpitaux ... est une offrande royale
Et celle des routes et des aéroports ...
est une offrande royale
Et même la maison de l'Etudiant ... est une offrande
royale
La réalisation des revendications ... est une offrande
royale
Et la Guérison du cancer ... est une offrande royale
Le nettoyage des plages ... est une offrande royale
Et le pardon des pêcheurs ... est une offrande royale
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|
Il arrive, il arrive ... réparez lui les routes
Il arrive, il arrive ... déroulez lui les tapis
Il arrive, il arrive ... faites-lui planter des arbres
Il arrive, il arrive ... préparez lui les drapeaux
Il arrive, il arrive ... préparez lui les drapeaux
Il arrive, il arrive ... à genoux devant lui
Il arrive, il arrive ... faites lui le baisemain
|
Chapitre 3 : Engagements et trajectoires militantes
Chercher à comprendre comment se compose le mouvement
du 20 février est une opération assez délicate, qui
nécessite un suivi et une fréquentation du mouvement dans sa
dimension collective et ses composantes individuelles. La trajectoire du
mouvement, ses positions et ses pratiques reposent sur un syncrétisme
militant produit de la diversité des parcours et des expériences
des individus le composant.
Les jeunes militants les plus expérimentés du
mouvement du 20 février vivent cet engagement sur le mode de la
continuité avec leurs engagements précédents. Il ne s'agit
pas pour eux d'une rupture biographique, d'un baptême augurant une
conversion, ou bien d'une déviance par rapport à leur
passé, mais plus simplement d'un positionnement supplémentaire
dans leur capital militant accumulé. Leur coût d'entrée
dans le mouvement est faible, car leurs vies trouvent une cohérence dans
un parcours militant qui se perpétue et se bonifie. Aussi l'engagement
au sein du 20 février est moins susceptible de les marginaliser que de
les doter d'atouts supplémentaires dans l'espace de la militance
contestataire, pouvant être éventuellement réinvestis dans
d'autres champs sociaux. Qu'ils viennent du champ associatif, du champ partisan
ou plus généralement de collectifs engagés dans des
mobilisations sociales antérieures, toujours est-il qu'au sein du 20
février ils nagent dans le même bain. Et s'y sentent
particulièrement à l'aise. Leurs compétences acquises et
rodées dans les mobilisations antérieures, alliées
à leur jeune âge, produisent une chimie légitimatrice qui
les propulse sur les devants de la scène. Jamais désignés
directement comme leaders (le mouvement se revendique acéphale) ils
incarnent cependant des figures charismatiques (ou en tout cas reconnaissables)
qui les fait sortir de l'anonymat. Les médias se focalisent sur eux dans
les manifestations et leurs prises de parole au cours des AG valent en
général plus que les autres en tant qu'elles cristallisent des
positions. Même si cela ne peut être mesuré, on l'imagine
aisément les avis de ces individus ont un impact équivalent
à leur degré de légitimité dans le mouvement.
Les militants novices, c'est-à-dire souvent les plus
jeunes (quoiqu'il existe aussi des engagements tardifs venant de personnes
plus âgées) entrent dans le mouvement avec
plus ou moins d'aptitudes, et plus ou moins d'enthousiasme. Le
degré d'engagement de ces novices varie en intensité selon leurs
compétences (leur utilité au mouvement) et leur appétence
à porter des responsabilités. Un militant peut être un
simple participant aux manifestations et sit-in hebdomadaires, comme il peut
tout aussi bien consacrer plus de temps et assister aux assemblées
générales en donnant son avis, ou encore entrer dans les
différents comités d'organisation au sein du 20 février.
Cette gradation dépend de la volonté d'investissement du militant
et de sa capacité à faire ses preuves. << Faire ses preuves
>> cela signifie se rendre utile en faisant un << don de soi
>>, par exemple en apportant une compétence technique, un
savoir-faire organisationnel, en agrégeant des réseaux, en
publiant sur la toile ou dans des journaux, ou encore tout simplement en
donnant de son temps pour des préparatif divers. Un point important
à noter est qu'aucun des novices n'est en fait absolument novice, dans
le sens où leur engagement ne marque pas une rupture nette avec leurs
passés, mais marque plutôt le franchissement d'une étape
dans leurs biographies. Leurs << politisations >> ne datent pas de
l'avènement du << printemps arabe >>, même pour les
plus jeunes les questions de société et l'intérêt
pour la politique s'inscrivent dans un processus de maturation à long
terme. S'ils rejoignent le mouvement, c'est tout simplement parce que celui-ci
arrive à un moment où les conditions sont réunies pour
engendrer leur adhésion. Il est évident que les novices font leur
entrée dans ce mouvement parce que celui-ci offre dans l'immédiat
une nouvelle façon de produire de l'action collective, à la marge
des institutions traditionnelles (partis ou syndicats), et pour des changements
d'ampleurs, c'est-à-dire avec une dimension politique qui n'en reste pas
à une échelle revendicative corporatiste ou simplement locale.
Leur coût d'entrée dans le mouvement est plus important que pour
les plus expérimentés, car ils n'ont pas a priori
bâti leurs expériences antérieures sur des fondements
militants. Le nouvel environnement suppose donc qu'ils s'y adaptent avec tout
ce que cela comporte comme acculturation aux pratiques et façons de
faire dont ils n'ont jusqu'alors qu'une vague idée. Ces nouvelles
contraintes sont parfois perçues comme des formes d'apprentissage et
d'habilitation, pour d'autres elles sont vécues comme des limites
anomiques à leurs propres vision de ce que doit être l'engagement
collectif.
Le délitement des structures partisanes et syndicales au
Maroc n'est pas sans générer ce phénomène que le
sociologue Jacques Ion a appelé l' << engagement distancié
>> ou l' << engagement post-it >> pour définir un
phénomène de militance à intensité variable
qui est intimement corrélé au fonctionnement des
sociétés modernes dans lesquelles les perspectives individuelles
rivalisent avec les impératifs collectifs. Les jeunes militants arrivent
parfois à des moments charnières de leur existence qui les
poussent à prendre des distances avec le militantisme. Cet << exit
>> n'est pas irréversible, mais il est tout du moins le signe
d'une faiblesse inhérente aux nouvelles formes d'action collective
défaites des structures et des dogmes. Les discours idéologiques
structurant la cohérence cognitive du groupe et effectuant le lien
nécessaire entre l'individuel et le collectif dans l'offre d'une lecture
de la réalité liée à une praxis
corollaire, a laissé la place à une approche cognitive
beaucoup plus sceptique et pluraliste fragilisant les certitudes sur les
modalités de décision et d'action. A l'époque des luttes
politiques << citoyennes >>, dont le printemps arabe est
actuellement une illustration canonique, le nombre des militants semble
s'accroître (à mesure que la politisation gagne les esprits). Mais
ces militants s'avèrent être davantage des << participants
>> ponctuels que des militants de carrière, et leur enthousiasme
est aussi grand que l'est leur incertitude. Une fragilité qui
empêche le plus souvent d'inscrire l'engagement dans une forme
structurée et pérenne. Certes il est de plus en plus aisé
de s'engager pour une cause mais il est en contre partie tout aussi aisé
d'en sortir. A cette fragilité caractérisant des luttes qui ne
sont plus accompagnées des supports idéologiques et des supports
d'encadrement (le collectif comme une famille), s'ajoute la persistance de
l'engagement comme un stigmate, une forme de sortie de la normalité,
dont le regard de l'Autre est la mesure. Le moment du << voice >>
fonctionne encore sur le mode du tabou dans la société marocaine,
l'acte démocratique (c'est à dire l'action en tant qu'elle
provient d'un individu à la fois citoyen collectif et citoyen
indivisible) quand il est du ressort de l'engagement individuelle
(auto-fondé par le sujet) réveille une sorte d'hubris
suscitant le soupçon et la crainte. M. Emperador relève bien ce
phénomène dans son observation des mobilisations des
diplômés chômeurs au Maroc. << L'activité
protestataire est appréhendée comme un phénomène
pathologique : un "cercle vicieux" qui érode les anciennes
sociabilités et qui fait sombrer les manifestants dans un "monde
à part" >>63. L'aspect stigmatisant de
l'engagement protestataire est une constante, dont les militants les moins
intégrés dans les cercles associatif ou partisans (les moins
professionnels) subissent avec d'autant plus
63 Montserrat Emperador, Diplômés
chômeurs au Maroc : dynamiques de pérennisation d'une action
collective plurielle, L'Année du Maghreb, III, 2007, p 306
de crainte qu'ils ne bénéficient pas
nécessairement d'un entourage (famille, milieu professionnel...) qui
accepte leur choix.
Axé sur le mode de l'engagement citoyen et basé
sur une structure minimaliste laissant la « démocratie directe
» opérer les décisions, le mouvement du 20 février
subit logiquement ce phénomène de labilité des
participants, en même temps qu'il tente de s'en prémunir. Le
premier aspect qui freine la tendance à l'abandon de la cause (ou
à la mise en parenthèse de l'engagement) réside dans
l'aspect global de la lutte menée. En réalité au Maroc
personne n'échappe à un positionnement à l'égard de
ce qui se passe dans le royaume depuis le 20 février. La nation
entière est concernée, et l'essentiel de l'enjeu réside
dans la capacité du mouvement à remporter l'adhésion du
plus grand nombre et donc in fine à faire basculer l'opinion
contre les cibles du 20 février. Ainsi il ne s'agit pas d'une cause
sociale comme il y en a tant eu dans le passé mais de LA cause qui,
inondant les champs social, politique, économique et culturel, trace au
Maroc un événement d'ampleur nationale qui oblige la population
à se déterminer par rapport à lui. De sorte
qu'au-delà de l'investissement dans le collectif, l'adhésion aux
objectifs du 20 février est déjà une réussite pour
le mouvement. Les individus qui ont côtoyé le mouvement
adhèrent inévitablement à l'esprit protestataire du 20
février, et qu'ils soient ou non dans la « salle des machines
», leur adhésion aux principes ne change pas. Un
élément qui prend part aux actions du mouvement puis s'en
détache, ne signifie pas qu'il retourne sa veste pour autant, et cela
n'en fait évidemment pas un ennemi du mouvement. Il n'y a pas de
phénomène de rupture dans cette labilité militante comme
il pouvait au contraire y en avoir jadis dans les luttes
révolutionnaires où sortir des rangs signifiait pratiquement
faire acte de trahison. Le deuxième aspect qui protège le
mouvement de l'engagement distancié est la constitution d'un noyau dur
reposant sur des militants chevronnés et structurés, si bien
qu'au-delà des flux d'entrée et de sortie le mouvement se
préserve d'une fragilité organisationnelle excessive et s'assure
d'une continuité des personnes ressources. Enfin dernier aspect quant
à la labilité des membres qui laisse planer des incertitudes sur
la force du collectif, le mouvement s'en prémunit d'avance en optant
pour des modalités d'action qui ne comportent rarement des mises en
situation périlleuse. En effet le répertoire d'actions est
limité et s'évertue à diffuser un pacifisme
indéfectible et à toujours à rester dans la plus stricte
légalité, ce qui empêche de faire courir des risques
importants aux militants. A cet égard les quelques cas
d'affrontement avec les forces de l'ordre recensés au
cours de certaines manifestations, l'ont toujours été de
l'initiative de militants radicaux en marge des marches.
Les dix profils militants64 que nous allons
examiner représentent un échantillon de parcours et de
positionnements au sein de la vague de contestation actuelle. Cet
échantillon ne vise pas l'exhaustivité, quoiqu'une enquête
quantitative ne soit pas impossible à réaliser dans l'absolu. Il
serait possible en effet de parvenir à saisir l'ensemble des
positionnements et des parcours militants de la coordination locale de Rabat,
par exemple sur la base des participants au assemblées
générales se tenant dans la capitale marocaine et qui ne comptent
en général qu'entre cinquante et soixante assidus (d'après
nos observations). Notre approche limitée dans le temps s'est
intéressée aux figures représentant chacune une attitude
typique et qui rassemblées nous offre néanmoins une bonne vue
d'ensemble des éléments qui composent le mouvement.
1) R, l'engagement distancié
R fait partie des innovateurs de la scène protestataire
marocaine, qui depuis quelques années investissent la toile comme espace
public de rencontre et de débat. Féministe et progressiste
laïque issue d'une famille casablancaise « libérale »,
elle débute son « cyber-activisme » à partir de 2003
sur le web. Comme un nombre conséquent de marocains
désabusés par les structures de pouvoirs autant que par les
moyens disponibles pour y faire face, elle devient blogueuse. Ce qu'elle
souhaite c'est faire avancer le débat sur la laïcité au
Maroc, un débat qui selon elle est un tabou absolu sur la scène
politique traditionnelle. Elle décrit la politique marocaine comme un
espace sclérosé et perclus de contradictions au sommet duquel
règne une chape de plomb distillant le conformisme dans les moindres
recoins de la société. Cette culture de la bienséance
à laquelle se soumettent la plupart des partis de gauche sur le
thème des libertés individuelles et notamment les libertés
religieuses, l'a fait très tôt renoncer à un investissement
militant dans des structures formelles. Relativement peu touché par la
censure au Maroc (quoique des dispositifs de surveillance et de censure
existent mais
64 Certains militants de la coordination de Rabat
ayant fait la demande de conserver l'anonymat, nous avons étendu cette
forme d'identification factice à l'ensemble de l'échantillon.
dans une bien moindre mesure qu'en Tunisie par exemple) le web
devient très vite un refuge où viennent s'échouer les
individus rongés par la frustration d'habiter un pays qui ne les laisse
pas s'exprimer au-delà des limites fixées par les conventions
morales et la bienséance.
C'est à travers le forum Internet Paltalk et à
travers tous les réseaux de discussion panarabes qu'elle fait la
connaissance d'un certain nombres de blogueurs marocains, notamment dans les
<< rooms >> (espace de débat) du Paltalk consacrés
à la question de la << laïcité et de l'athéisme
>>. Ce n'est pas à travers ce système virtuel qu'elle se
conscientise ou qu'elle se socialise à ces questions, son
éducation politique remonte à plus loin et provient des canaux
académiques traditionnel (universités marocaine et
française) à partir desquels elle a construit son univers
d'indignation. Le système des forums Internet, puis des réseaux
sociaux, va permettre de faire rencontrer ces univers au-delà des
filtres innervant les sphères réelles de l'expression publique
autorisée.
Quand elle décrit son milieu familiale R insiste sur
l'aspect politiquement neutre de celle-ci, une famille qui n'a eu affaire ni au
Makhzen ni à l'opposition clandestine. Cependant qu'elle reconnaît
avoir bénéficier d'un milieu familial libéral en
matière de moeurs et sachant cultiver un esprit critique. Son milieu
familial nourrit néanmoins une rancoeur particulièrement acerbe
à l'égard des riches familles fassies (de la ville de Fès)
et R fait très tôt l'expérience des contradictions entre ce
que l'histoire officielle enseignée à l'école accorde
à ces familles de notables fassis et l'avis de ses parents à cet
égard. L'école publique marocaine dans laquelle R fait ses
classes, représente selon elle le symptôme des << leurres
>> dont les marocains sont imprégnés au plus tôt de
leur socialisation. Selon elle c'est le récit officiel concocté
par le régime d'Hassan II qui permet de donner au royaume ce prestige et
cette reconnaissance que la grande majorité des marocains n'ose remettre
en cause. Or pour R il s'agit d'un tissu de mensonges, d'un oubli
délibéré de pans entiers de l'histoire marocaine,
notamment concernant la période de la construction de l'Etat
après l'indépendance, période durant laquelle le
régime hassanien a étouffé les forces modernistes et
progressistes qui avaient pris part à la libération du joug
français, et au premier chef l'Armée de Libération
Nationale. Pour R l'opinion marocaine doit son conservatisme au fait qu'elle
s'est construite sur le balisage idéologique d'un régime dont le
plus grand souci était de maintenir dans les consciences le sentiment
d'appartenir à une nation qui n'existe (et n'a existé) que par la
grâce d'un système monarchique providentiel et sacré. Or la
période qu'ouvre
l'indépendance est tout autre que cet unanimisme
idéologique bâti de toute pièce par le régime et la
bourgeoisie fassie et qui trouvera à s'imprégner pourtant dans
tout le corps social par le biais d'une institutionnalisation de l'ignorance,
dont le piètre état du système scolaire marocain actuel et
les taux alarmants d'analphabétisme représentent encore les plus
éloquents stigmates.
On peut s'étonner que la colère de R vienne en
premier lieu investir l'histoire de son pays plutôt que son
actualité immédiate, mais c'est une colère de plus de 50
ans qui n'a pas trouvé à s'apaiser. Et c'est aussi un trait
commun à cette jeune génération de militants, qui font
sans cesse référence au passé des luttes et à
l'histoire du Maroc pour se situer et motiver leur mobilisation
présente. Au Maroc, bien des motifs d'indignation secouent l'activisme
de jeunes militants, mais aucun ne semble le faire avec autant de force que
celui qui touche à l'histoire de leur pays, à sa part d'injustice
et d'imposture.
R confesse qu'elle n'a jamais voté au Maroc. Pour elle,
les partis politiques marocains sont tous logés à la même
enseigne. Nous lui demandons si elle a le même regard envers les jeunes
partisans qui investissent le mouvement du 20 février, et dés
lors elle modère un peu ses propos, ajoutant qu'elle considère
les personnes pour ce qu'ils sont individuellement, pour les valeurs qu'ils
défendent et leur contribution non intéressée. La question
de leur appartenance partisane ne la dérange pas.
Au fond son militantisme elle ne l'explique pas par une
conscientisation construite, mais par un sentiment de révolte. Et si
elle est révoltée, dit-elle c'est avant tout parce qu'elle est
une femme vivant dans un pays patriarcal. Le quotidien d'une femme marocaine
est traumatisant, nous dit-elle, c'est la femme qui porte dans sa chair la
réputation familiale, et les occasions de perdre sa dignité sont
si nombreuses que la femme est contrainte à la discrétion,
à l'effacement. Cette condition première de la femme marocaine a
suscité chez R toute une cascade de révoltes à l'endroit
des injustices et des formes d'oppression.
Ayant passé deux ans en Egypte, elle rentre au Maroc en
2007 avec la ferme intention de « tuer le spectre de la réputation
». La mobilisation du MALI (mouvement alternatif pour les libertés
individuelles) durant le mois de ramadan de l'été 2009 et les
répercussions blessantes pour les militants ayants pris part, comme
elle, au pique-nique
public la laissent amère. Contente que cette
mobilisation courageuse ait contribué à brisé le tabou des
obligations religieuses dans un contexte où l'espace politique ne permet
pas l'expression d'un vouloir politique laïc, elle reste néanmoins
blessée par le stigmate que les << déjeuneurs »
portent sur eux et dont elle a particulièrement souffert moralement. Ce
genre d'engagement est en effet porteur d'un grand risque sur la
réputation, et elle se décrit à présent comme
<< indésirable », << black listée » et
<< radioactive ».
Elle dit être parfois lassée et
désabusée par les cercles militants et par le fait de devoir
être un lutteur perpétuel qui voit son identité
résumée à une révolte. Elle avoue vouloir prendre
parfois ses distances avec les mobilisations militantes, pour pouvoir profiter
d'une vie moins étriquée et ne pas être en permanence dans
le ressentiment. C'est pour ça qu'elle a besoin pour se ressourcer de
ses cercles d'amis d'enfance qui ne sont absolument pas militants et avec
lesquels elle peut retrouver une vie << normale ». Sa situation de
<< chômeuse black-listée » au Maroc après la
perte de son travail de journaliste au moment de la fermeture du <<
Journal Hebdomadaire » l'a amenée à se concentrer sur ses
études de sociologie à Paris. Elle partage donc son temps entre
le Maroc et la France, et son militantisme se voit quelque peu
redéployer à l'étranger où, comme à Paris,
des coordinations locales du 20 février ont été
créé par des étudiants et expatriés marocains.
2) Mo, militant USFP dissident
Mo fait parti des militants de la jeunesse USFP de Rabat, il a
rejoint très tôt les rangs du 20 février65 et
s'est rapidement imposé comme un cadre essentiel de la coordination de
Rabat, ses qualités orales et le mélange de détermination
et d'humilité bienveillante lui valent une sympathie particulière
au sein du mouvement du 20 février. En plus d'être un membre
éminent de la section jeunesse du plus grand parti de la gauche
marocaine, ce qui lui vaut d'être entouré d'un réseau
étoffé, il cultive en même temps un regard
extrêmement critique à l'égard de la direction du parti.
C'est d'ailleurs une des marques
65 Le groupe << USFPistes du 20
février » est créé le 19 février, à la
veille de la manifestation nationale. Ce groupe rassemble 540 jeunes dans tout
le Maroc (selon les chiffres recensés lors d'une rencontre nationale en
avril 2011) et une quarantaine d'individus à Rabat.
saisissantes d'une partie de cette jeunesse ittihadie
engagée dans le mouvement du 20 février que d'avoir coupé
les liens avec l'appareil tout en continuant de se réclamer du parti. En
effet les jeunes militants de l'USFP sont nombreux et pèsent
énormément sur la nouvelle scène politique qui s'ouvre
à partir de la date du 20 février 2011. Plusieurs fois,
investissant massivement les AG pour faire basculer les décisions, ils
ont créé le doute et divisé le corps militant de la
section de Rabat. Jusqu'à ce que la décision soit prise que le
groupe des ittihadis clarifie leur position par rapport à la
mobilisation et le sort à réserver au référendum
constitutionnel. Mo a été l'artisan de la création du
groupe des « févriéristes ittihadie >> qui au moment
de la campagne référendaire s'aligne sur la position commune du
mouvement du 20 février appelant au boycott, contrairement au mot
d'ordre du parti appelant quant à lui à voter « oui >>
le 1er Juillet. Entre le 20 et le 21 juillet, une majorité de
la jeunesse USFP choisit de se positionner en défaveur du projet
constitutionnel, dans la foulée un communiqué est sorti pour
appeler au boycott. Dés lors la jeunesse USFP s'est retrouvé
scindée en deux : ceux qui donnent un blanc-seing au mouvement et qui le
suivent dans ses décisions (au mépris de la ligne du parti) et
ceux qui se trouvant par trop distants des options choisies s'en
écartent quelque peu, sans rejeter le mouvement pour autant. Toujours
est-il que c'est le côté « militant dissident >> qui
offre à Mo une légitimité que n'ont pas ses camarades plus
orthodoxes. Quant à l'appareil, il n'a pas réagi et a
préféré garder le silence face à cette mutinerie,
sûrement par peur de commettre une erreur supplémentaire. Et puis
il faut préciser qu'en prenant cette décision les jeunes
ittihadis se référent à une décision prise lors du
8ème congrès du parti qui appelle à la création
d'une réelle monarchie parlementaire, objectif qu'ils estiment
impossible à réaliser compte tenu des dispositions du nouveau
projet et surtout des conditions de son élaboration.
Mo nourrit des sentiments contradictoires envers son parti.
Pour lui l'USFP, c'est le parti de gauche qui sait allier l'esprit de la
justice sociale avec le pragmatisme. C'est aussi et surtout une affinité
historique qui donne cet attrait à l'USFP, car en effet l'USFP est pour
Mo le parti historique de la gauche marocaine, celui qui longtemps a
reçu le plus grand soutien dans l'opinion, notamment grâce
à des figures charismatique tel qu'Abderrahim Bouabid. Mais la grandeur
passée du parti qui suscite chez Mo cette fidélité
n'efface pas pour autant les tares présentes. Pour Mo le parti
d'aujourd'hui est dans l'impasse depuis qu'il a congédié la
politique de proximité des masses pour souscrire à la
stratégie des notables, qui offre au parti des places d'élus par
le biais du
réseautage et de l'influence nobiliaire, plutôt
que par l'adhésion populaire à un projet politique. La
défaite électorale du parti aux législatives de 2007, est
selon Mo le symptôme des ces changements structurels qui, dans un
contexte de défection généralisée pour la chose
politique, érodent l'adhésion du peuple pour les projets
alternatifs aux « gouvernements d'administration » (au Maroc les
gouvernements sont « fantoches » dans le sens où ils servent
de paravent, avalisant tout ce qui vient du Palais et portant le chapeau pour
lui en cas d'échec). L'expérience de l'alternance politique de
1998 avec l'arrivée à la primature du secrétaire
général de l'USFP, A. Youssoufi, a été
traumatisante, et selon Mo on ne peut comprendre l'opiniâtreté du
mouvement du 20 février et son refus catégorique du compromis
avec le pouvoir si l'on ignore l'intensité du choc subi par le
militantisme de gauche après l'échec de Youssoufi. L'année
1998 est pour Mo une victoire décisive du Makhzen sur les forces
d'opposition, le régime n'a fait aucune concessions véritables,
alors qu'en revanche il a créé les conditions du discrédit
des projets d'alternatives en donnant à la gauche un semblant de
pouvoir. L'expérience du gouvernement d'alternance fonctionne pour la
jeune génération de militant comme un épouvantail, en tant
qu'il est l'illustration parfaite de ce qu'il ne faut pas faire :
considérer le makhzen comme un interlocuteur.
Il milite au sein de l'USFP depuis 2006, l'année de son
baccalauréat, et a occupé le poste de secrétaire
général de la jeunesse ittihadie de Salé. Son milieu
familial est fortement politisé et lié à l'USFP. Ses
parents, tous deux instituteurs, ont été des militants du parti,
bien que son père ait rejoint dernièrement le «
congrès national ittihadie », qui est une branche dissidente de
l'USFP située plus à gauche. Mo s'amuse à dire qu'il est
plus modéré que son père, ce qui est
généralement le contraire dans les représentations
communes. Durant son parcours militant il multiplie les expériences
professionnelles qui le dotent d'une compétence croissante et d'un
réseau. Il fait quelques piges au journal Libération (proche de
l'USFP) et y fait l'expérience de la censure. Il rejoint aussi le monde
associatif par le biais du FMAS66 et de sa branche « ejoussour
» chargée de rendre visible et de documenter les initiatives
provenant de la société civile et des mouvements sociaux. Il a
également été chargé de communication à la
fondation Abderrahim Bouabid de Salé. Mais ces 5 ans de vie militante
l'ont amputé d'un investissement scolaire plus conséquent. Son
militantisme n'est pas infaillible, et il
66 Forum des alternatives Maroc, créé
par Kamal Lahbib
avoue lui-même ne pas voir son engagement dans une
perspective de carrière. D'ailleurs et quoiqu'au sommet d'une gloire
militante avec le 20 février, il prévoit de s'éloigner
quelques temps de la scène politique et reprendre ses études,
qu'il envisage même de faire à l'étranger.
3) M, indépendant mais sympathisant
M est un militant situé à la lisère des
mondes partisans et cyber-activistes. Ces deux mondes ne sont en
réalité pas aussi étanches qu'on ne le pense a priori, et
ne s'opposent pas forcément, même si l'on a tendance à
appréhender l'avènement de la jeunesse numérique comme
l'antithèse du militantisme partisan. Au sein du mouvement du 20
février, les adeptes les plus fervents de l'indépendance
politique du mouvement s'opposent, il est vrai, souvent aux militants de parti
exposant par trop leur ambition de récupération politique. Mais M
est l'illustration de la jonction essentielle qui existe entre ces deux
sphères et qui fort de cette hybridation donne la puissance et la
cohérence au mouvement. Se situer à la frontière signifie
en quelque sorte avoir un pied dans chaque espace, et M est à la fois un
indépendant (il n'est pas encarté) qui a débuté son
militantisme sur la toile (en tant que blogueur) mais qui s'est progressivement
rapproché d'un parti politique, le PSU.
M se décrit comme l'aîné d'une famille de
la classe moyenne marocaine, une famille plutôt libérale mais qui
n'a rien à voir de près ou de loin avec la politique. Son
engagement M ne l'explique pas par une filiation familiale, mais par une prise
de conscience individuelle et un goût pour les débats
d'idées et l'intérêt général. Il se
décrit volontiers comme « révolutionnaire dans l'âme
» mais il se sent fondamentalement démocrate, un sentiment qui
l'affecte profondément au point de se sentir vraiment mal à
l'aise avec la manière dont le Maroc est gouverné. Et s'il
déteste le makhzen c'est avant tout pour des raisons patriotiques, le
bilan du makhzen est selon lui une catastrophe dans tous les domaines, c'est ce
mode de gouvernement archaïque qui condamne le Maroc à
l'immobilité. Mais, ajoute-t-il, ce système néfaste n'est
pas transformable sans une puissance collective d'inspiration
révolutionnaire, c'est-à-dire capable d'être plus qu'une
simple proposition de réforme comme il y en a eu tant par le
passé. L'énumération des
dysfonctionnements de l'administration, des affaires
politiciennes, du manque de responsabilité des agents de l'Etat et des
faits de corruption généralisés au Maroc, sont pour lui un
sujet de conversation sans fin, et toujours teinté d'une ironie
amère. Pour M il n'y a pas de prospérité possible sans une
souveraineté citoyenne et un fonctionnement démocratique du
pouvoir, qui selon lui est la condition première de l'intelligence
commune. Le « développement » est une coquille vide qui ne
fait que perpétuer le statu quo s'il n'est pas
accompagné d'une dimension politique. Pour M le mouvement du 20
février est justement ce moment d'une parole politique venue clarifier
plus de 50 ans de discours sur le « développement ». Que sont
ces cinquante années de l' « après indépendance
» si ce n'est l'échec du Makhzen comme mode de gouvernement ? Cette
question qui vient comme une sentence, si souvent entendue, est certainement
celle qui anime le plus intensément les coeurs des militants
févriéristes.
M est un blogueur depuis 2005. Il a rejoint le cyber-activisme
à défaut d'entrain pour le militantisme partisan, expliquant
qu'il était, comme la plupart des jeunes marocains, rétifs
à l'idée d'entrer dans un jeu où les dés sont
pipés, un système où la vénalité et
l'ambition personnelle l'emportent sur l'intérêt
général. M s'identifie à ces marocains qui ont
boycotté la politique parce qu'ils voyaient la politique autrement. Et
puis ajoutet-il, les partis fonctionnent comme des bureaucraties où les
luttes de pouvoir et conflits d'intérêts sclérosent les
mécanismes internes et ruinent tout espoir pour les nouveaux entrants de
peser. C'est à l'aune de ce sentiment, si massivement partagé
chez les jeunes, que l'on peut comprendre pourquoi un parti politique comme le
PSU a pu progressivement attirer l'attention de M. A gauche l'USFP n'a plus de
cohérence, il est trop compromis avec le pouvoir, et il a
sacrifié ses bases militantes pour rejoindre les logiques
électoralistes qui nécessitent d'avoir recours aux notables.
Quant à la Voie Démocratique (Annahj Addimocrati) M trouve son
corpus idéologique désuet et son fonctionnement interne
très peu démocratique. Ce parti ne prend pas ses décisions
par le vote, et joue encore selon les règles prévalant durant les
années de plomb, avec cette culture des officines et des cellules
secrètes. Ce n'est pas avec cette façon de faire que la politique
changera au Maroc, soupire-t-il. Le PSU, même s'il n'est pas parfait, M
le considère comme le plus valable, dans cette synthèse entre
l'idéal de justice sociale et ses valeurs démocratiques. En
dépit de sa petite taille le PSU est le seul parti politique marocain
à fonctionner sur un mode démocratique qui reconnaît
l'existence de courants en internes. Un principe de base qui retiendra le
fervent démocrate qu'est M.
M aime profondément son pays, et les attaches
affectives qu'il a nouées avec les gens qui le peuplent sont
indéfectibles, cependant qu'il regrette ce qu'il estime comme un manque
d'entrain pour le bien public et l'absence d'une véritable culture
démocratique au Maroc. Il relie instinctivement l'état de droit
à l'autonomie individuelle, d'où sa lutte conjointe pour les
libertés individuelles, la justice sociale et l'état de droit.
L'échec de la politique makhzénienne n'a pas vraiment
abîmé la monarchie et provoqué un basculement dans
l'opinion en faveur d'un régime démocratique, au contraire toutes
les tares du Maroc sont reprochées au gouvernement et aux
parlementaires, qui selon M jouent le rôle de paravent de l'appareil
monarchique. Quand on a 20 ans et que l'on est profondément
heurté par toute cette gabegie et ce gâchis, on n'a pas vraiment
envie d'y entrer pour changer les choses. A l'échelle individuelle ces
choses-là sont plus grandes que tout et paraissent difficilement
récupérables. Alors, nous dit M, quand on n'est rien et qu'on
veut tout changer, le blog c'est l'occasion d'exister un peu politiquement.
Pendant près de 5 ans M alimente son blog
régulièrement et se fait la main en matière de plaidoyer
politique. Il acquiert un sens de l'écriture militante, un savoir-faire
dans la manière de construire une argumentation, qui ne se contente pas
de brandir ou de s'exclamer, mais qui sait poser intelligemment les raisons
d'un refus ou d'une adhésion. Il n'est donc pas étonnant de
retrouver régulièrement sa signature dans les textes et les
divers argumentaires qui sont publiés sur les pages Facebook du
mouvement du 20 février. La pratique du blog n'est en outre pas qu'un
exercice d'éloquence et de commentaire d'actualité, cela donne
aussi un statut permettant à l'individu d'accéder à un
réseau. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de toute cette
blogosphère contestataire qui rêve de construire un ailleurs
à défaut d'avoir prise sur l'ici. Sa participation dans
l'association des blogueurs marocains a joué un rôle important
dans la mise en réseaux de cette galaxie éclatée des
cyber-activistes.
Le mouvement MALI a été un
révélateur dans le domaine du cyber-activisme, la preuve qu'une
<< chose >> bien réelle pouvait accoucher du Net.
Néanmoins M n'a pas pris part aux actions organisées par le MALI
durant l'été 2009. Même s'il reconnaissait la part de
courage et les valeurs des organisateurs, et en partageait l'esprit et les
principes, il y avait un bémol, un côté un peu
puéril à aller se focaliser sur un problème comme celui du
<< droit de manger pendant le ramadan >>. C'était
transformer une conviction légitime
en un acte hâtif de dissidence qui ne pouvait être
perçu autrement que comme une provocation. Organiser un pique-nique
pendant ramadan alors qu'aucune force politique ni aucun mouvement de la
société civile n'a véritablement déblayé au
préalable le terrain pour un débat de fond, c'était se
jeter dans un piège avec lynchage populaire à la clé. Pour
M la question de la laïcité est pour le moment un projet muet, une
idée en latence qui n'a encore jamais trouvé à se loger
dans l'espace politique du Maroc. Pour lui il s'agit de construire les bases de
la lutte pour un projet laïc. Il est certain qu'une partie de la
population marocaine vit intimement avec cette culture laïque et
souhaiterait faire entendre son droit à ne pas suivre des
préceptes religieux, mais toujours est-il qu'au Maroc le terrain est
vierge politiquement sur cette question. Comme pour un grand nombre de
févriéristes la laïcité est un principe moteur chez
M, mais c'est une question d'agenda qui la met hors de propos pour le moment.
Pour M on ne peut pas demander à une population fortement touchée
par l'illettrisme, et dont le socle culturel est largement
déterminé par les principes religieux, de souscrire à ce
genre d'attitude, qui sera forcément perçue comme un caprice de
« jeunes impies » qui corrompent le pays. Il ne peut y avoir que de
l'incompréhension, un sentiment de vivre dans deux mondes
différents. Pour M ce genre d'action contribue à la division
entre le peuple et l'élite, et le débat ne se crée pas si
les différentes parties ne s'accordent pas sur le principe de
s'écouter mutuellement. C'est donc au final moins le contenu de la
mobilisation que la méthode (passage du virtuel au réel) qui a
fait du MALI un modèle à suivre.
Le passage de la blogosphère à la politique, M
le doit à ces structures intermédiaires qui jouent sur une
pluralité d'espaces et qui sont comme des points nodaux à
l'intérieur de ce tissu si disparate et nébuleux qu'est l'espace
contestataire. Cet espace contestataire est moins un espace homogène
qu'une scène évanescente où naissent et disparaissent
sporadiquement des positions et des attitudes formant une somme, mais toujours
diluée et éparpillée. Ce sont les espaces réels,
les structures qui apparaissent en positif, qui permettent de faire rencontrer
les volontés existantes mais éparpillées dans
l'océan numérique et construire un vouloir collectif solide. A
cet égard, c'est en qualité de blogueur qu'il se fait inviter
puis recruter en 2009 par « l'organisation pour les libertés
d'information et d'expression », créée par le PSU. Au
début il voulait simplement assister aux réunions et aux
assemblées de l'organisation, pour se renseigner sur ces
thématiques qu'il affectionne et rencontrer des personnes qui partagent
ses valeurs. Mais
il a été élu, presque malgré lui
dit-il, au bureau exécutif de l'organisation. Dés lors ses
responsabilités nouvelles l'amènent à se rapprocher des
militants PSU qui composent une bonne partie des effectifs, notamment des
leaders comme Mohamed Aouni. L'OLIE a participé en tant qu'organisation
de la société civile à la coalition de solidarité
avec les peuples tunisiens et égyptiens en janvier 2011, coalition dans
laquelle on retrouve l'AMDH pour conduire les manifestations sur Rabat.
Depuis la création du mouvement du 20 février,
dont il est une des personnes ressources dans la coalition de Rabat, M s'est vu
invité par un grand nombre de structures associatives, et dont il a,
pour certaines, intégré les effectifs adhérents. Il fait
par exemple partie du << Forum citoyen pour le changement
démocratique >> fondé par Karim Tazi, grand industriel
marocain qui soutien le mouvement du 20 février, ou encore de la
<< coalition pour une monarchie parlementaire >> fondée en
mars 2011, et dont tous les membres du conseil font partie du comité
national de soutien au mouvement du 20 février. M est l'illustration
parfaite, si l'en est, du << militant multipositionné >>,
qui produit ce lien essentiel entre le cyber-activisme, la
société civile et la politique partisane. Plutôt que de
s'inscrire dans un positionnement qui cultive l'esprit de corps, il multiplie
les contacts et les << sympathies >> avec une pluralité de
structures et d'organisations positionnées dans des champs sociaux
différents, et qui génère in fine ce ramassage
des acteurs de la contestation.
Pour M le mouvement du 20 février ne vise pas
l'immédiateté, il est un mouvement qui veut faire mûrir au
Maroc une révolution culturelle sur le long terme. Il y a en effet au
sein du mouvement une conscience des rapports de force actuels et une
lucidité sur l'état de la société qui fait pencher
certains militant sur la thématique de la << guerre de position
>> chère à la théorie gramscienne. Il faut selon M
mettre en évidence la possibilité d'une parole alternative
à la fois radicale et responsable, mais qui ne fasse jamais le jeu du
compromis avec le pouvoir et qui s'éloigne le plus possible de la
tendance à se replier sur la logique du consensus et de l'attente de
jours meilleurs. Il faut cultiver un projet de société alternatif
et montrer à la population que des forces sociales existent pour, non
seulement réclamer le changement, mais surtout commencer à le
construire.
La construction d'un projet alternatif au makhzen a
été selon le M le grand espoir porté par le concept de
« société civile ». Celle-ci devait mûrir une
« contre hégémonie », une pratique de la
démocratie et une fabrication du lien social qui se manifestent en
antithèse des pratiques makhzeniennes. Depuis plus de vingt ans
maintenant la société civile marocaine a germé et a
apporté des changements substantiels, mais cela reste en dessous du
défi à relever selon M. Quant elles ne sont pas
récupérées par les appareils du makhzen, et qu'elles
dépassent la simple logique du « développement », les
associations demeurent dans des logiques de plaidoyer politique qui restent
fermées sur elles-mêmes et ne qui ne savent pas atteindre la masse
populaire. Ces associations, fréquentées pour certaines par M,
ont beaucoup de moyens financiers, surtout depuis l'ouverture aux bailleurs
internationaux, mais elles ne percent pas dans la société. Elles
ne parviennent pas à diffuser les valeurs progressistes qu'elles
défendent, bien que leurs logiques d'interventions soient très
pointues et professionnelles, mais elles restent l'apanage d'une élite
qui n'existe que pour elle-même. Le jugement de M est
sévère, mais il le porte d'autant plus sincèrement qu'il
estime que cette carence est remédiable avec un peu de volonté et
des changements d'habitudes. Ce sont des clivages de classes et au final une
peur de l'élite envers la « plèbe », qui engendre ce
blocage. Son modèle c'est le travail social réalisé par
les islamistes, qui ont fait leur beurre en investissant massivement les
quartiers populaires et en s'appliquant à construire une « contre
société », un nouveau lien social fondé sur un projet
politique pragmatique qui n'attend pas le pouvoir pour se mettre en chantier.
Il est intéressant de voir à cet égard comment
l'organisation des groupes islamistes en « contre-société
» (avec leur part d'échec et de réussite) contribue à
alimenter la réflexion des jeunes de la nouvelle
génération de militants progressistes. Car si les islamistes
d'al-Adl wal Ihssan ont bien réussi une chose, en dépit de toutes
les contraintes exercées par l'appareil étatique, c'est bien de
se constituer en « contre-institution », en une sorte de
société parallèle, faite de réseaux et de
systèmes de solidarité utilisant les zones d'ombres du
régime et ses lacunes pour rendre effectives les défections
latentes des populations les plus défavorisées afin de les faire
entrer dans leur giron. Les islamistes ont offert aux plus démunis, une
présence, une sollicitude, une écoute et des projets pour s'en
sortir (un système d'entre aide), monnayés en contrepartie par
une adoption des règles islamiques telles que les conçoit la
jamâ'a des adeptes du cheikh Yassine. Il serait exagéré
d'affirmer que les islamistes ont acquis l'adhésion des populations les
plus pauvres, les travaux de L. Zaki sur les campagnes électorales et le
clientélisme dans les bidonvilles nous montrent que la
réalité
sociale est plus complexe67. Cependant la force des
islamistes a bien été de savoir transformer intelligemment la
nécessité en vertu. Exclus du champ politique officiel, les
islamistes ont fait de la politique par le bas. La gauche, elle, reste
prisonnière d'une vision de la politique par le haut, selon M. Et cela
se voit clairement, ajoute-t-il, dans la manière dont l'argent des
subventions est géré et les types de projets qui sont
élaborés. Les ONG, les associations de plaidoyer et de
développement, sont selon M dans des logiques de gonflement du
réseau et de justification des dépenses. M prend un exemple, pour
justifier 300 000 euros de subvention on peut faire de grandes dépenses
sans effort. En dix jours de conférences, on peut réunir
cinquante experts dans des hôtels de luxe, produire des rapports pointus,
et penser ainsi qu'on va pouvoir changer les choses en tablant sur une prise en
compte du pouvoir et un changement dans les politiques publiques. Mais une
autre logique, qui demande beaucoup plus d'effort et un peu moins de confort,
de mondanité et d' « entre soi », serait d'organiser des
interventions à long terme dans les quartiers populaires. Pour M le
discours démocrate et moderniste a toute sa place dans les quartiers
populaires, les populations défavorisées n'attendent que
ça qu'on s'occupe un peu de leur problème et qu'on leur offre une
présence. Les gens enverraient volontiers leurs enfants dans des
ateliers où ils apprendraient toutes les choses que l'école
publique (quand ils la fréquentent) est incapable de fournir. Les gens
seraient au quotidien confrontés à d'autres discours,
rencontreraient des personnes qui les tireraient un peu des
déterminations dans lesquelles ils s'enlisent. Mais il est toujours plus
facile de justifier des dépenses sur dix jours que de prévoir un
calendrier étalé sur deux ans, de surcroît dans des
quartiers défavorisés, dont en fin de compte on craint
l'indigence et la misère culturelle comme une maladie incurable.
Pourtant selon M c'est la seule manière de stopper l'influence des
islamistes et de combler le vide laissé par les pouvoirs publics. C'est
cela le vrai fondement d'une société civile, et selon M, c'est
vers cette logique que le mouvement du 20 février veut s'acheminer.
67 Zaki Lamia, Pratiques politiques au bidonville,
Casablanca (2000-2005), thèse nouveau régime de science
politique, Institut d'études politiques de Paris, 2005
4) N, l'indépendant laïc
N est un jeune militant de l'AMDH et a fait parti du tout
premier cercle qui pendant la première quinzaine du mois de
février a organisé les préparatifs à la
mobilisation du mouvement du 20 février. C'est au sein de l'école
de journalisme de Rabat (l'ISIC) que N a donné à son
intérêt pour les questions de société la dimension
d'un engagement, d'abord au sein de la société des
étudiants de l'école, puis par l'intermédiaire d'amis, au
sein de l'AMDH. Il n'est affilié à aucun parti, et
considère l'AMDH comme une structure qui est sur le terrain et qui a
fait ses preuves, peu importe les accusations de récupération
politique qui pèsent sur elle.
Concernant sa vision de la composition des militants du 20
février, N a conscience que les militants dits «
indépendants » qu'on présente souvent comme le fer de lance
de la mobilisation, ne sont en fait qu'une minorité. Il n'y a pas
vraiment de profils types et tranchés, chacun vient avec des bagages
militants plus ou moins rodés, plus ou moins politisés. Souvent
ils combinent des expériences diverses, des adhésions
idéologiques plus syncrétiques que fermement positionnées,
et en tout cas non encore définies. N rappelle qu'on a fait couler
beaucoup d'encre sur la question d'une soi-disant nouvelle jeunesse
indignée et décidé à s'engager dans le sillage des
révolutions arabes. N attendait aussi cette venue, avec l'idée
qu'une politisation allait se diffuser et provoquer l'arrivée de jeunes
politiquement vierge. Mais, reconnaît-il, force est de constater que
cette nouvelle jeunesse venue par l'inspiration du contexte du printemps arabe
ne dépasse pas une dizaine d'individus sur la coordination de Rabat.
Plongés dans le vaste bouillon de la mobilisation, ne sachant
très bien se situer dans ce collectif, la plupart n'a pas
accroché et n'a pas réussi à suivre le rythme. N pense que
la politisation portera ses fruits sur le long terme, les gens ne peuvent pas
se transformer immédiatement, il faut du temps pour modifier les
comportements. Mais une chose est sûre ajoute-t-il, les gens ne sont pas
indifférents vis-à-vis du mouvement du 20 février.
Cependant le passage à la mobilisation n'est pas donné à
tout le monde.
Selon N, ce qui caractérise la mentalité des
jeunes févriéristes, c'est une adhésion à des
principes sans compromis possible. Pour lui l'ancienne génération
de militants est suspecte par rapport à la question du pouvoir, on ne
sait jamais s'ils défendent des valeurs ou s'ils le font pour
acquérir du pouvoir, quitte à se compromettre soi-même
et
le collectif. C'est pour cela que, bien que largement
épaulé par eux, le mouvement a essayé de se construire en
dehors de leur présence et prend les décisions à venir
entre jeunes. Pour N, l'ancienne génération, celle des
années 60 et 70, avait une fascination pour l'idéologie et le
pouvoir, bien sûr il y avait des revendications de type
démocratique, mais on a l'impression qu'elles servaient de
prétextes, que l'essentiel était ailleurs, dans une sorte de
fascination pour une humanité réinventée, et dont le salut
viendrait d'un renversement du pouvoir politique.
Pour N, l'essentiel du compromis doit se faire dans
l'élaboration d'une cohérence interne, d'une satisfaction
optimale du collectif dans la stratégie à suivre. C'est à
l'intérieur du mouvement que la culture du compromis et du dialogue doit
trouver à se réaliser, mais en dehors il s'agit de faire bloc, de
constituer une unité imperturbable. On ne peut plus jouer les
hypocrites, faire des sourires à ses alliés du moment, et
derrière cela cultiver les petites combines pour s'accaparer tout le
gâteau.
Les militants de partis sont suspectés d'être
encore dans cette logique de combine, ils sont soupçonnés de
toujours avancer masqués, d'être toujours susceptibles d'enlever
brutalement leurs billes du jeu afin de faire pression et faire pencher la
balance de leur côté. Cette vielle habitude de la politique
partisane n'a pas épargné la jeune génération des
militants politiques. D'où les contentieux qui apparaissent dans les
coordinations, pas simplement celle de Rabat, où les forces militantes
partisanes sont soupçonnées de se servir du mouvement comme une
arrière-cour pour se refaire. Alors que la plupart des
indépendants souhaitent provoquer une rupture avec les méthodes
partisanes, et faire porter le mouvement sur une scène inédite,
qui amalgame le social, l'économique et le politique, dans une
configuration tout autre.
Un des thèmes primordiaux de la gauche n'est pas
assumé, selon N, par les partis qui se réclament pourtant d'une
vision alternative au Maroc. La laïcité n'est en effet pas à
l'ordre du jour dans les agendas de la gauche, exception faite du parti Annahj
Addimocrati. Quoique ce dernier laisse également flotter un flou dans sa
manière quelque peu contradictoire de revendiquer un Etat laïc et
d'être en même temps le principal allié - dans un contexte
certes conjoncturel - du parti islamiste al-Adl walIhssan. Il est vrai que
cette proximité se situe sur le terrain de l'action protestataire (une
même volonté de radicalité les unit) en excluant toutes
connivences idéologiques. Mais
jusqu'à quel point un ennemi commun peut-il faire tenir
une union ? Se demande N. Toujours est-il qu'il attend que les partis de gauche
assument le projet d'une Etat laïc. Le mouvement social est là pour
les forcer à se positionner, pour leur donner l'occasion de se saisir du
problème, mais le compromis qui maintient actuellement le mouvement du
20 février repose trop sur un non-dit au sujet du positionnement qu'il
faut avoir sur la question de la laïcité. En conséquence le
mouvement du 20 février ne fait pas avancer cette question là, il
reste dans l'indétermination, mais c'est pour mieux faire avancer
d'autres stratégies, comme celle d'agrandir les effectifs manifestants
et les coordinations locales, une stratégie de l'adhésion massive
qui suppose qu'on mette de côté des objets de dissension, mais qui
réapparaîtront un jour ou l'autre. N est persuadé que les
défenseurs d'un projet laïc pour le Maroc ne doivent pas pour
autant mettre leur idéal entre parenthèse, mais savoir jouer
intelligemment sur la mise en agenda de cette question. Par exemple lorsque
al-Adl wal-Ihssan a fait un communiqué défendant le projet d'un
« Etat civil », plutôt que de se contenter de ce
communiqué et nourrir des fantasmes à son endroit, il aurait
fallu saisir cette question de l'Etat civil et pousser le parti islamiste
à clarifier sa position et à dire ce qu'il entend exactement
derrière cette appellation d'Etat civil. N ajoute que le mouvement du 20
février, même s'il occupe actuellement l'espace de la
contestation, n'a pas pour autant le monopole de la proposition politique sur
la scène contestataire. S'il est empêché de se positionner
sur la question de la laïcité, ce n'est pas le cas des partis, qui
ne sont pas contraints par le même type d'alliance. De sorte qu'il ne
coûterait rien selon N, au PSU par exemple d'appuyer cette question de la
laïcité. Electoralement les partis à la gauche de l'USFP
n'ont rien à perdre avec ce positionnement.
5) A , militant du PSU
A est le prototype du militant partisan qui appréhende
son parcours comme une vocation, un métier. Son attitude combine dans un
équilibre subtil les convictions (le champ des valeurs) et la
stratégie (le champ des possibles). Très attentif à
l'esprit du moment et aux changements d'atmosphère, à
l'état des rapports de forces en présence, scrupuleux sur la
méthode et la discipline collective. Bien qu'encore jeune, il est loin
pourtant de cet idéalisme juvénile qui s'enthousiasme dans les
moments d'effervescence collective. Pendant les moments où la foule
communie dans la liesse, il garde son sang
froid et son regard semble toujours concentré et inquiet,
prêt à anticiper les opportunités et les revirements
possibles.
A a fait ses armes de militant à l'UNEM, au sein de la
section de l'université de Meknès, ville dont sa famille est
originaire et où il a débuté ses études de sciences
politiques. Après sa licence il s'est installé à Rabat
pour entrer en Master à l'université Mohamed V. Ses années
à l'UNEM ont été son véritable baptême du
feu, c'est dans ce cadre militant qu'il dit avoir appris les ficelles
essentielles du métier : l'organisation, la force du collectif, la mise
au clair des valeurs à défendre, la construction d'une discipline
intellectuelle et d'une cohérence dans les voies d'accès à
l'action. Plus tard délaissant le syndicalisme étudiant, il
entend rejoindre la scène politique proprement dite et prend sa carte au
Parti Socialiste Unifié (PSU). Son engagement au PSU, A le
perçoit comme une étape dans son parcours militant, c'est pour
lui le parti de gauche marocain le plus intègre et le plus
démocrate (le PSU est à l'heure actuelle le seul parti marocain
à officialiser l'existence de courants en interne). Il reconnaît
aisément qu'il se destine à la carrière de politicien,
même s'il ajoute qu'en ce domaine la profession est plutôt mal
perçue dans l'opinion. Qu'à cela ne tienne, il est certain de ses
valeurs éthiques et considère que le métier de politicien
n'est pas promis à demeurer le synonyme de « corrompu »
éternellement. Pour lui c'est en investissant le champ politique avec du
sang neuf, de nouvelles pratiques et de nouvelles idées qu'on peut
changer les choses. Les projets alternatifs, de démocratie directe et de
mobilisation politique non partisane, s'ils sont louables en soi et permettent
de créer quelque chose, un événement cristallisateur, ils
n'auront cependant qu'un temps, car après tout la démocratie ne
peut réellement fonctionner sans partis, c'est-à-dire sans une
institutionnalisation d'une pluralité organisée à
l'intérieur de laquelle prend place le conflit d'idées. A
considère la politique comme un combat de « projets contre projets
», de propositions différentes sur les modalités du vivre
ensemble que le suffrage universel est chargé de trancher. Pour
l'instant affirme-t-il la politique marocaine est loin de ressembler à
cette arène idéale, il s'agit plutôt d'un petit cercle dont
les rivalités apparentes ne sont que le miroir déformé
d'un consensus plus général sur les manières de «
s'arranger » et de composer avec un système non
démocratique. La politique marocaine est davantage une histoire
d'individus et de conflit d'intérêts plutôt que celle de
collectifs et d'idées portés par une majorité.
A est marié depuis peu avec une jeune marocaine qui
porte le voile, qui termine son master en droit international et qui participe
également au 20 février sans pour autant être militante du
PSU comme lui. Pour le moment il continue d'exercer le métier de
journaliste au journal al-Rihân, qu'il combine avec ses activités
au sein du PSU et ses études sur le point de s'achever.
Questionné sur ses origines familiales, A nous révèle le
terrain absolument vierge de son engagement, avançant le
caractère apolitique et par ailleurs plutôt conservateur de son
milieu familiale à Meknès. Il avoue même que son engagement
partisan n'est pas sans poser des soucis à son entourage familial qui ne
comprend guère cet engouement pour la chose politique, synonyme de
complication et de risques pris sans grande chance de rétribution. Mais
A assume cette distanciation, et il nous semble même que cette mise
à distance contribue à fabriquer son image de professionnel de la
politique. Un métier comme un autre qu'il sait ranger dans un
compartiment de sa vie.
6) Y, militante de la Voie démocratique (Annahj
Addimocrati)
Y fait partie des quelques militants du 20 février qui
militent au sein du parti d'extrême gauche Annahj Addimocrati. Elle est
également une militante active de l'AMDH, et à ce titre a
participé activement au lancement du mouvement avec l'équipe des
jeunes de l'organisation au début du mois de février.
Les antécédents de la contestation de 2011, Y
les voit dans les mobilisations de 2006 à 2008 avec les coordinations
contre la hausse des prix, dans lesquelles elle a pris part. Mais
également dans les comités de jeunes pour la défense des
détenus politiques, notamment durant l'année 2007. Mais
jusqu'alors elle n'avait milité qu'avec des camarades de mêmes
sensibilités, des « gauchistes » dit-elle, pas
forcément de son parti, mais en tout cas des militants
révolutionnaires. Il faut rappeler que le champ de l'extrême
gauche marocaine est très éclaté, et que les militants
d'obédiences léniniste, maoïste, trotskiste, ou encore
conseilliste, ne sont pas tous représentés dans des partis, mais
investissent différents lieux, notamment le secteur associatif et le
syndicalisme étudiant. Au sein du 20 février, la grosse
nouveauté pour elle a été de faire avec un spectre immense
de différentes tendances politiques. C'est déjà pas bien
facile, dit-elle,
de se mettre d'accord entre gauchistes, alors dans les
coordinations du 20 février, c'est un véritable
casse-tête.
Comme d'autres radicaux du 20 février, elle refuse de
revendiquer une « monarchie parlementaire », et préfère
avancer le « changement constitutionnel », qui a le mérite de
ne pas se prononcer sur le type de régime souhaité, façon
quelque peu détournée de refuser la forme monarchique que les
révolutionnaires d'Annahj ne peuvent que difficilement
reconnaître, le dessein d'une république a davantage leur
préférence. Et puis précise-t-elle, le type de
régime que l'on veut, ce n'est pas au 20 février de le proposer,
mais aux forces de propositions politiques, c'est-à-dire les partis,
sanctionnés par les suffrages. Mais pour cela il faut que les
élections soient transparentes, et qu'elles conduisent la
majorité à un réel pouvoir. Pour le moment ce n'est pas le
cas, le makhzen fait tourner une grosse machine de propagande, il a ses pions
dans tous les instances de pouvoirs, dans tous les grands partis, en face de
ça le mouvement de protestation essaye tant bien que mal de construire
quelque chose d'alternatif. David contre Goliath ça émeut les
gens, mais au final ils se rangent derrière Goliath, et tant pis pour la
légende.
Pour Y le mouvement du 20 février n'est ni un mouvement
politique, ni un mouvement social, il s'agit d'un mouvement de contestation
généralisée qui investit trois domaines :
l'économique, le social, et le politique. Le politique est certes
prééminent, car il conditionne le changement dans les deux autres
domaines, mais au sein du 20 février la question se pose
réellement de savoir si l'on est un mouvement politique,
c'est-à-dire une force de proposition. Pour certains c'est le cas, le 20
février est une alternative politique, qui fort de sa plateforme expose
une autre manière de faire du politique. Mais pour Y, le 20
février est une force de contestation, et bien que moment indispensable
en politique, le moment de la contestation doit porter en elle les conditions
de formation d'une force de proposition sans laquelle elle perd sa
prérogative. Le moment de la proposition répond à d'autres
nécessités, qui ne peuvent reposer uniquement sur un bout de
papier avec des formulations à l'emporte pièce. Le 20
février ouvre une porte pour le changement, mais ce changement il ne
peut pas en être l'architecte en chef, ce sont les partis qui selon Y
sont les seuls à remplir ce rôle. On imagine aisément la
teneur des débats en AG quand cette vision rencontre celle des «
indépendants », soucieux quant à eux de tourner la page de
la vieille politique et d'en d'exclure les partis.
Mais il ne faut pas se tromper, pour les militants
d'extrême gauche, le mouvement social, le mouvement des masses, est le
moment principal de constitution d'une force de changement politique. Cependant
le pouvoir central est toujours perçu in fine comme l'objectif
essentiel, et que seule une avant-garde éclairée peut en
remplacer la substance oppressive par un projet émancipateur et
socialiste. Cette approche idéologique est toujours d'actualité,
l'idée d'un changement par le haut continue d'animer les approches
majoritaires au sein de l'extrême gauche, mais il est aussi un point de
fracture séparant Annahj Addimocrati des dissidents gauchistes sans
étiquette. Nous y reviendrons plus loin. Pour Y les conditions ne sont
pas réunies pour opérer un renversement du pouvoir à
l'instar de ce qui s'est passé en Egypte et en Tunisie. On n'a pas ce
soulèvement massif qu'ont connu ces pays, dit-elle, alors plutôt
que faire chuter le régime par le haut, on essaye de le
déshabiller par le bas. Mais s'empresse-t-elle d'ajouter, la Tunisie et
l'Egypte ont-elles fait une révolution ou bien n'ont-elles fait que
chuter leur président ? Il ne faut pas se tromper, on peut appeler
révolution des événements qui ne révolutionnent
rien du tout, mais qui ne changent que l'apparence, aussi spectaculaire et
brutal que cela soit. Au Maroc on n'a pas de président à faire
tomber, avance-t-elle, c'est un avantage et un inconvénient. On sait que
le gouvernement n'a aucun pouvoir propre, mais le contester c'est s'en prendre
à un régime tout entier, c'est pour ça que le 20
février s'est focalisé sur le terme de Makhzen. C'est un mot qui
résume toutes les tyrannies et toutes les injustices du régime
monarchique marocain. Mais le sort à réserver au système
monarchique n'est pas clair au sein du 20 février, ni sa chute ni sa
conservation ne remportent l'unanimité au sein du 20 février, et
à cet égard il y a des positions qui ne sont pas conciliables.
Par contre et paradoxalement tous les févriéristes s'accordent
sur la nécessité de combattre le Makhzen. Ce terme rassemble avec
une facilité surprenante, ajoute-t-elle, et en concentrant toute la
contestation en ce point de focal il réussi à mettre tout le
monde d'accord, alors qu'au final il ne fait rien d'autre que de
dénommer le système monarchique lui-même.
Y débute son engagement militant en même temps
que ses études de mathématiques à l'université de
Casablanca, au sein de l'UNEM. Quatre ans de syndicalisme étudiant, dont
elle gardera des souvenirs mitigés, les structures de l'UNEM manquant
d'organisation et de vision. Pendant l'année 2006, elle fait son
entrée au Annahj Addimocrati et à l'AMDH. Questionnée sur
les raisons qui ont présidé à son choix de rejoindre le
parti, elle avance une période de réflexion pendant laquelle elle
a comparé
les partis de gauche. A l'issu de cette période, Y se
rapproche d'Annahj, séduite par son programme et sa cohérence.
Comme il est de rigueur dans le mode d'entrée dans ces organisations
fortement surveillées par le régime, Y est restée pendant
une période temporaire avec le statut de « sympathisante >>.
Période durant laquelle, le militant fait ses preuves, apprend le
fonctionnement de l'organisation, s'acculture et s'imprègne de son
éthos. Une fois atteint le statut de membre, cela ne donne guère
d'autre pouvoir que celui de pouvoir s'investir davantage dans les
comités ou dans le secrétariat national. Car en effet, les
militants adhérents n'ont pas de pouvoir individuel sur la prise de
décision, la structure ne fonctionnant pas sur des modalités
électorales. Les décisions prises par le parti ne se font pas par
voix de vote mais suivant un processus plus complexe. Le secrétariat
national ne fait qu'appliquer les décisions prises par les
congrès. Et durant ces congrès les décisions sont prises
à l'unanimité, suivant le règle intangible du «
convaincre ou se faire convaincre >>. Selon Y, cette forme de
démocratie directe, sans vote, par cette exigence d'unanimité que
chacun doit s'efforcer de susciter, est l'idéal. Cette impératif
de l'unanimité est le point qui rapproche le plus les modalités
de prise de décision du mouvement du 20 février avec celles
d'Annahj Addimocrati. Sommet du fonctionnement démocratique pour
certains févriéristes, cette méthode est
considérée comme un faux-fuyant pour d'autres, un pis-aller dont
il faudra à terme se défaire, pour retrouver un fonctionnement
par vote.
Concernant son milieu familial, Y mentionne ce contexte
particulièrement militant dans lequel elle a grandi. Ces
premières expériences associatives de jeunesse elle les doit
d'ailleurs directement à son père qui l'a fait entrer dans des
associations de jeunesse proche de l'USFP. Si les origines de son engagement
militant soulignent ce fait statistique qui place la famille comme le principal
site de socialisation politique, le parcours de Y indique également
comme le souligne L. Mathieu « [qu'] on n'hérite pas de
dispositions sociales comme on hérite d'un patrimoine matériel,
car ce qui est transmis subit des distorsions, adaptations et
réinterprétations au cours de la transmission
>>68. En effet bien que socialisée dans un
environnement familial de gauche, Y ne fera pas les mêmes choix partisans
que ses parents. Son père est un ancien militant de l'USFP et y reste
très attaché, sa mère est militante associative, et un de
ses oncles milite au PADS. On le voit le choix de Y de rejoindre Annahj
Addimocrati
68 Mathieu Lilian, Les ressorts sociaux de
l'indignation militante, Sociologie, Vol.1, 2010/3, p306
n'était pas joué d'avance par une sorte de
détermination filiale. On le remarque assez bien à travers les
exemples de militants mis en exergue, si le milieu familial joue un grand
rôle dans la manière de doter l'individu d'une conscience
politique, rien ne vient en revanche déterminer le lieu exact dans
lequel cet engouement politique trouvera à se situer. Dans la famille de
Y, il n'y a pas de conflits ouverts entre ses parents et elle au sujet de son
orientation partisane, simplement des discussions apaisées. Ses parents
comprennent ses choix, et réciproquement.
Au sein d'Annahj, Y occupe des postes à
responsabilité. D'abord au sein du comité national de la jeunesse
du parti, mais aussi au sein du comité local de Rabat. A l'AMDH elle est
membre du comité central, mais également du comité des
jeunes et du comité des femmes.
Nul besoin de mentionner qu'avec un tel bagage militant, la
voix de Y compte énormément dans le mouvement du 20
février. Elle occupe d'ailleurs de manière récurrente des
postes stratégiques au sein du mouvement, notamment au sein du
comité d'information. Bien que le mouvement ait mis un point d'honneur
à promouvoir le turnover des comités à chaque
assemblée générale, l'efficacité de ces
comités d'organisation est fortement dépendante des
compétences de certaines personnes ressources comme Y.
7) O, l'extrême gauche associative
Pour ce jeune militant le Maroc ne fait pas exception dans le
printemps arabe, et le 20 février n'est pas une tentative de copier les
soulèvements voisins, mais incarne le symptôme d'une colère
qui couve depuis très longtemps. Selon lui la « Ben Alisation
» de la politique marocaine a commencé à partir de 1999 avec
le changement de règne, qui a décuplé la puissance du
makhzen économique sous les apparences d'une ouverture politique et
d'une manière plus relâchée de gérer la
contestation. La crise sociale et le divorce politique entre l'élite
makhzénienne et le peuple, n'a pas cessé de se manifester
à travers les boycotts répétés aux élections
(30% de participation aux législatives de
2007) et la multiplications des mouvements sociaux, dont les
soulèvements de Sidi Ifni et Bouarfa en 2008 sont
emblématiques69.
Pour O, il ne fait aucun doute que la transition
démocratique est un échec, mais pire que ça c'est un
échec qui se perpétue sous le récit d'un progrès
à venir, perpétuellement à venir. Pour O, le pays est plus
corrompu que jamais, et il y a toujours autant de bidonvilles, d'illettrisme,
d'inégalité. Quant à l'IER (instance équité
et réconciliation), qui devait tourner la page des <<
années de plomb >>, il s'agit également d'un échec
de même nature, les recommandations de l'instance n'ont provoqué
aucun changement effectif dans la manière de gouverner et de
considérer l'opposition politique, et les tabous liés à la
monarchie, à l'islam et au Sahara occidental demeurent présents
et insolvables en l'état actuel.
Le mouvement du 20 février symbolise pour O
l'avènement d'une génération syncrétique, qui
reprend le flambeau des luttes précédentes, des combats
inachevés de la génération précédente, en y
apportant les nouveautés méthodologiques et idéologiques
du temps présent. Pour lui, qui se considère comme un militant
d'extrême gauche, la question de la lutte des classes n'a pas
fondamentalement changé, les inégalités sociales et la
spoliation des richesses par une oligarchie capitaliste en accointance avec
l'Etat restent d'actualité. Le mouvement du 20 février ne peut
pas rester indifférent à ce sujet et ne réclamer que les
libertés individuelles et la démocratie, car c'est un <<
tout >> qui amène les gens à sortir, formant un mouvement
de contestation dont les revendications sont sociales et politiques. La justice
économique est indissociable des exigences démocratiques. Et la
puissance de ce mouvement réside dans cette radicalité qui
réclame une transformation réelle et immédiate, sans
tergiversation ni compromis. En effet ce qui fait le liant de ce mouvement par
ailleurs hétéroclite c'est la volonté de porter ses fruits
tout de suite, sans médiation, sans échéance, car les
participants savent trop bien que le temps joue en faveur du régime. Il
a toujours joué en sa faveur, le mouvement peut tout perdre en se
modérant ou en acceptant des compromis.
69 Au sujets des soulèvements de Sidi Ifni et
Bouarfa, voir l'enquête sociologique menée par K. Bennafla et M.
Emperador (Cf bibliographie)
Pour O le mouvement du 20 février a fait une erreur, en
pensant conquérir l'opinion en avançant des revendications
concrètes (nouvelle constitution, dissolution du gouvernement et du
parlement), il a en fait faciliter la tâche du régime, qui a pu
s'appuyer sur ces thèmes pour que << tout change afin que rien ne
change >>70. Ce n'est pas pour rien que le régime a
réagi immédiatement avec la déclaration du roi du 9 mars,
déclarant la préparation d'une réforme constitutionnelle
qui comblera les attentes de tous. C'est ce qu'a toujours fait le régime
à chaque fois qu'il se sent acculé et en position de faiblesse
pour redorer son blason et étouffer le contenu réel des
réformes souhaitées. Le régime a utilisé ce flou
perceptible au sein du mouvement concernant la forme du changement
souhaité. Le << changement constitutionnel >> voulait dire
pour certains militants mettre fin à l'autocratie, pour d'autres il
voulait dire << monarchie parlementaire >>, pour d'autres encore il
signifiait instaurer la république. Mais pour le régime ce flou
revendicatif a été une aubaine, qui a permis de jouer le jeu de
la << monarchie soft >> en avançant une proposition dans la
pure tradition du roi providentiel, plutôt que de s'offusquer contre
quelque chose perçu comme une atteinte à la nature monarchique du
Maroc et en conséquence être obligé de réprimer le
mouvement (ce qui aurait eu de graves répercussions au niveau de
l'opinion nationale et au niveau de ses relations avec l'Europe et les
Etats-Unis). Alors qu'au début c'était le régime qui
était acculé, c'est au tour du mouvement d'être
sommé d'avancer une réponse à cette proposition.
L'histoire montre que quand c'est le makhzen qui propose, on peut être
sûr d'avoir déjà perdu, déclare O ironiquement.
Concernant la structure du mouvement du 20 février, O
nous explique son fonctionnement horizontal et se réjouit de faire parti
d'un collectif où << on est tous des têtes pensantes
>>. Pour lui le 20 février est une réussite
organisationnelle, une machine de guerre redoutable, et en tout cas
inédite au Maroc, dans cette dimension antibureaucratique et qui a
pourtant réussi a se greffer dans tous les recoins du Maroc avec une
rapidité incroyable, comme si une même intention était en
germe dans le corps social du pays tout entier. Questionné sur la forme
du leadership du mouvement, dont l'absence proclamée par le mouvement
perturbe tous les référentiels d'analyse, O confie
70 Comme le soutient M. Madani dans son ouvrage
le paysage politique marocain (2006), le recours à la
réforme constitutionnelle au Maroc est davantage une stratégie
des acteurs qu'une volonté de produire une nouvelle philosophie
politique. La réforme constitutionnelle fait partie de <<
l'arsenal des coups politiques légitimes >>.
que le refus du mouvement de reconnaître un leadership
particulier ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas de leaders. Il y en a
mais ils sont beaucoup plus bridés par la force du collectif que dans
les structures politiques ou syndicales traditionnelles. On accepte
l'idée du charisme, et le fait que certaines personnes soient mieux
dotées que d'autres en habilité politique, en capacité
à conduire un groupe, à proposer des idées etc... Mais il
n'y a jamais d'attributions officielles, et derrière la stricte
égalité de pouvoir il ne subsiste que l'autorité naturelle
des gens de confiance. C'est une expérience intéressante de
démocratie, l'idée qu'on ne peut jamais se reposer sur ses
lauriers, qu'on a à persuader et convaincre ses camarades en permanence,
que rien n'est acquis par la grâce d'une fonction conquise, ou
grâce à l'appui d'un clan. En quelque sorte et de façon pas
très surprenante, c'est l'anti-thèse de la politique version
Makhzen, résume-t-il.
Pour O, le mouvement a bien géré les contentieux
initiaux que tout le monde redoutait au sein des pionniers du mouvement.
Notamment le sort des relations entre les forces de gauches et les islamistes.
Ceux qu'a priori tout sépare se sont avérés en
réalité ceux qui ont le plus fait d'efforts pour réaliser
l'unité du mouvement. Selon O, les changements identifiables dans
l'attitude des militants d'al-Adl wal-Ihssan sont remarquables. Il y a eu
presque immédiatement une bonne gestion du dialogue entre
l'extrême gauche et les adlistes, qui ont mis de côté leurs
velléités de prise de contrôle du mouvement. Contrairement
à l'USFP, qui selon O a gangrené le mouvement dés le
début, et avec lequel il a fallu clarifier les choses laborieusement,
frôlant parfois la rupture brutale avec certains militants ittihadis
désireux de prendre les rênes du mouvement, ou de le bloquer en
cas de désaccord. Ce qui était absolument en contradiction avec
la volonté des militants fondateurs de générer un
mouvement autonome, qui n'exclut personne, mais qui veille à ce
qu'aucune force politique ne lève la tête plus haut que les
autres.
Au sein du mouvement du 20 février, O ne
représente pas une chapelle partisane, mais il est connu pour être
un militant de l'extrême gauche associative dont « ATTAC-Maroc
» est l'acteur emblématique. Une extrême gauche qui n'aborde
pas le politique par le national, à l'instar d'Annahj, mais qui le
saisit sur le plan international en premier lieu, en produisant une critique du
libéralisme mondialisé, dans laquelle ensuite viennent s'inscrire
les enjeux politico-économiques marocains. La critique internationale et
l'action locale sont indissociables dans l'identité d'ATTAC-Maroc, comme
elles le sont d'ailleurs pour les divers regroupements d'extrême gauche
plus ou moins autonomes et
structurés au Maroc. Pour O, c'est une lutte permanente
qu'il faut mettre en place, il s'agit de répandre partout la pratique de
la désobéissance civile, la pratique des manifestations
spontanées (flashmob) comme le pratique quotidiennement la coordination
du 20 février à Al-Hoceima pour montrer au quotidien qu'une forme
de renouveau attend son heure, et ainsi habituer les citoyens marocains
à entendre un autre son de cloche.
O se décrit comme un casablancais en exil à
Rabat. Si Casablanca est une ville très dynamique, plus «
métropole » que Rabat, en revanche la capitale du royaume recueille
la fine fleur du militantisme et les sièges des plus grands partis et
des plus grandes associations de la société civile marocaine, ce
qui en fait donc un lieu politique incontournable, et cela se mesure
aisément à cette espèce de préséance tacite
que conserve la coordination de Rabat sur les autres coordinations du 20
février. Il est de coutume au Maroc, même dans un mouvement qui se
réclame de l'autonomie locale, d'accorder la préséance
à la capitale, surtout dans l'organisation des événements
nationaux. C'est le résidu indissoluble de centralisme qui reste dans un
mouvement qui se veut avant tout synchronisé et unitaire.
O est l'exemple parfait du militant socialisé dans un
environnement familial des plus politisé. Toute sa famille est à
l'extrême gauche précise-t-il, à l'instar de son
père, qui est un ancien prisonnier politique et militant du PADS. O a
fait des études d'économie à l'université de
Casablanca, il a une licence en analyse financière et un master en
sociologie politique. Un parcours universitaire qui lui permet d'exercer comme
journaliste au quotidien économique marocain les Echos. O
rejoint les altermondialistes d'ATTAC-Maroc en 2002, et devient
vice-président de l'association en 2007, poste qu'il occupe jusqu'en
2009. Il tient à préciser qu'ATTAC-Maroc n'a plus grand-chose
à voir avec l'association française dont elle est issue, et qui
selon lui n'est pas vraiment une association qui vise l'action locale.
Situé à Akkari, un des quartiers les plus populaires de Rabat, le
siège d'ATTAC-Maroc recueille depuis le mois de mars un bon nombre de
militants du 20 février, et est à l'origine de la remise sur pied
du comité de quartier local. Un modèle d'organisation politique
par le bas que le mouvement du 20 février tente de réactiver.
8) C, révolutionnaire libéral
Journaliste à
Lakom.com (e-journal d'information
alternative), C se présente lui-même comme un cyber-activiste. Il
se décrit également comme une sorte de révolutionnaire, un
démocrate fondamentaliste. Le Maroc a besoin d'acharnés de la
démocratie, sans cette conviction et cet acharnement on retombe presque
naturellement dans l'ornière de la compromission avec ses propres
valeurs, avance-t-il calmement. Au sein du 20 février, C administre avec
un autre militant de la coordination de Rabat la page Facebook du mouvement au
niveau national depuis la création de cette page début
février.
C fait partie des tauliers du mouvement du 20 février,
la trentaine passée, il a déjà derrière lui une
vaste expérience militante, qui a la caractéristique de ne pas
avoir eu lieu dans des structures organisée, mais davantage
improvisée, à la manière des récurrences
présentées dans les théories du néo-militantisme.
Un militantisme sporadique, constitué de micro-collectifs qui s'activent
à des moments précis de mobilisations très ciblées,
puis disparaissent ne laissant que les membres, dès lors disponibles
pour d'autres objectifs, d'autres mobilisations en d'autres lieux. Loin de
décrire un type de militant à l'engagement chancelant, puisque
non accompagné d'une structure pérenne, C est l'illustration que
ce type de militantisme peut s'inscrire dans la durée et faire
bénéficier au militant une accumulation d'expériences
particulièrement habilitantes, a fortiori dans ce nouveau
contexte de mobilisation hybride ayant recours à la fois aux anciennes
techniques de mobilisation (grèves, manifestations) et aux nouvelles
(flashmob, internet, réseaux sociaux). Du militantisme traditionnel, C
en garde tout de même une expérience, et non des moindres, au sein
de la section de l'UNEM de Marrakech, ville dont il est originaire et dans
laquelle il a débuté ses études d'économie.
Comme tous ceux qui ont pris part à la mobilisation du
mouvement MALI, C a, depuis l'été 2009, reçu une sorte de
projecteur médiatique sur la figure, caractérisant avec ses
<< acolytes >> le << groupuscule des déjeuneurs
>>. Pendant la période de médiatisation du MALI, C a pris
une part active dans la communication des intentions du mouvement. Avec calme
et sérénité, on peut le voir, notamment lors d'une
émission d'Al-Jazeera (chaîne satellitaire panarabe),
énumérer les raisons qui expliquent pourquoi une partie de la
population refuse de vivre dans un << Etat théocratique >>,
un pays qui ne reconnaît pas la liberté religieuse des citoyens et
qui sanctionne même les << impies >> de sanctions
judiciaires (manger publiquement en journée durant le
mois de Ramadan au Maroc est, selon le code pénal en vigueur, passible
de plusieurs mois d'emprisonnement ferme). Les événements du MALI
lui donneront à n'en pas douter ses galons de communicant, c'est aussi
son visage qui se fera remarquer. S'exposer à la
télévision dans ce genre d'exercice de subversion c'est à
coup sûr se condamner à demeurer visible pendant longtemps. Le jeu
en vaut-il la chandelle ? C reste mitigé quant aux
événements du MALI, il ne regrette pas, mais il a pris ses
distances avec le groupe et ses objectifs. Il garde surtout de cet
événement la méthode de mobilisation, qui est une
véritable réussite : << le passage d'une mobilisation
virtuelle à une action concrète », du jamais vu au Maroc.
C'est le plus grand enseignement pour lui de cet épisode par ailleurs
fort discutable quant à la pertinence de son contenu. Il regrette en
effet cette focalisation sur le Ramadan en lui-même, qui, pense-t-il, a
fait passer le groupe de jeunes militants pour des gosses capricieux,
indisposés par les contraintes momentanées du Ramadan,
plutôt que comme de vrais militants de la cause laïque, soucieux
d'ériger le principe laïc en projet de société.
L'objectif de C n'était pas de faire de la provocation, mais c'est
pourtant ce résultat auquel a aboutit la mobilisation MALI.
Au sein du 20 février il est souvent
considéré comme le représentant des <<
indépendants ». Même si de tels groupes
étiquetés n'ont aucune existence officielle au sein du mouvement,
(pour la raison que le mouvement est officiellement un et
indivisible71), en revanche les affinités d'opinions se
rassemblent presque naturellement derrière ceux qui semblent
représenter le mieux la voix défendue. Derrière ce terme
se cache bien des malentendus. S'il est vrai que l'on peut considérer
cette catégorie des indépendants comme un << fourre-tout
», en réalité il est plus homogène qu'on ne le pense.
Il s'agit plus que d'un simple amalgame rassemblant tous ceux qui ne se
déclarent pas attachés à tel ou tel parti ou organisation
politique. Certes ils ne montrent aucun signe d'allégeance politique qui
soit extérieure à la plateforme du 20 février. Pour autant
agissent-ils selon cet esprit impartial tant mis en avant ? En
réalité, les indépendants qu'on peut penser
éparpillés dans cet océan partisan, se comportent comme un
groupe à part entière, ce sont en quelque sorte des
libéraux anti-partis. Ils
71 A cet égard certains militants tournent
en dérision cet impératif de l'unité, faisant remarquer
qu'il s'agit du même effort de consensus dont fait preuve le
système monarchique pour empêcher la discorde en même temps
que répandre l'immobilisme.
sont certes radicaux du point de vue de la rupture avec le
système et la culture actuelle du pouvoir, mais ils ne le sont pas sur
le point de la doctrine : contrairement à Annahj ou al-Adl wal-Ihssan,
qui veulent en finir avec le système monarchique, ces libéraux
considèrent, dans la majorité des cas, comme acceptable la
persistance d'un monarque si celui-ci n'est pas la clé de voûte
d'un système inique, mais un élément symbolique
d'unité nationale. De ce fait ils souhaitent simplement mettre en place
un système parlementaire. Position quelque peu paradoxale que de
défendre un système dont les partis sont les acteurs clés,
alors que par ailleurs ils s'excluent de la sphère partisane. C'est
qu'au final ils ne rejettent pas le système partisan en soi, mais le
contexte marocain particulier qui corrompt la pratique de la politique. Ils
n'ont par ailleurs pas de doctrine économique particulièrement
révolutionnaire, ils ne rejettent pas forcément le système
capitaliste, même s'ils défendent une répartition juste des
richesses et des services publics. Ainsi ce ne sont pas des «
libéraux » au sens économique du terme, mais bien
plutôt au sens politique. La formule par laquelle C se définit
politiquement est éloquente et résume bien la position des «
indépendants » du 20 février : un «
révolutionnaire réformiste » (sic).
Même si aucun individu n'a plus de pouvoir qu'un autre
au sein du 20 février, la parole de C est très
écoutée, ses interventions dans les AG ne passent pas
inaperçues, elles créent l'événement. Le plus
souvent dans les AG, C intervient pour défendre l'esprit
indépendant du mouvement contre les partis, ou bien la neutralité
du mouvement sur telle ou telle question idéologique. Il est certain que
cette « indépendance » et cette « neutralité
» sont des concepts à signification variables. En reprochant
parfois à certains de favoriser leur camp et leur programme, C ne fait
rien d'autre que défendre le sien. Cependant qu'il peut, lui, avancer
sans masque, doté qu'il est d'une indépendance affichée.
Il est libre de se dire favorable à telle ou telle option, sans risquer
de se voir reprocher une tentative de récupération, de faire
pencher la balance vers une formation politique ou un centre de pouvoir
quelconque, puisqu'il est à lui-même son propre
référent.
Bien qu'issu d'une famille peu politisée, C a
commencé à s'intéresser aux problèmes politiques
à 16 ans, et notamment, comme beaucoup de jeunes militants, au travers
du conflit israélo-palestinien. Il est frappant à cet
égard de voir à quel point les événements du
Moyen-Orient continuent à focaliser l'attention et à orienter la
socialisation politique
des nouvelles générations. Le conflit
israélo-palestinien, les événements libanais ou encore la
guerre d'Irak, sont le continuum de la socialisation aux problèmes
politiques des générations marocaines post-indépendance. A
l'université de Marrakech C rejoint les rangs de l'UNEM, qui
était un lieu de tensions politiques entre la gauche radicale et les
islamistes. Avant de partir en Allemagne pour suivre des études
d'économie politique, C se considérait comme un militant de
gauche. A Munich il concentra son investissement militant dans la cause
palestinienne. Il revient en 2007 au Maroc avec l'idée de militer
autrement, en marge de la politique traditionnelle, et investit le champ du
virtuel qu'il considère comme porteur d'un renouveau qui changera
radicalement la manière de produire des mobilisations politiques. Il
ouvre un blog, dans lequel il concentre ses réflexions sur la
liberté d'expression et la défense des droits individuels,
notamment en matière religieuse, sujet particulièrement
délicat au Maroc. Pour C Internet était le seul endroit où
parler librement de cette thématique, qui nulle part ailleurs dans
l'espace public marocain ne pouvait résister à des formes de
censure et d'autocensure.
Sur le terrain C s'investit surtout dans la défense des
prisonniers politiques, et multiplie les campagnes pour défendre la
liberté d'expression, souvent dans des cas de soutien à des
personnes incriminées pour ce genre de forfait. Il a à cet
égard travaillé au sein de l'union national des blogueurs,
notamment pour défendre les blogueurs emprisonnés pour outrage
à la personne du roi ou pour outrage à l'islam (dans la plupart
des cas). Mais il n'a jamais rejoint d'autres organisations, comme l'AMDH par
exemple, expliquant que ces structures dites de la <<
société civile » sont en fait très proches des partis
politiques.
En décembre 2010, C participe a un
événement qui, selon lui, est arrivé comme un signe de la
providence. L'USAID et l'American Democracy Institut ont organisé au
Maroc à cette période, des plateformes de rencontres, et des
sessions de formation au << eplaidoyer » et aux nouveaux outils
numériques, destinés aux blogueurs et aux organisations de la
société civile marocaine. Un événement qui, au
moment où la Tunisie s'embrasait, a constitué un véritable
rendez-vous du cyber-activisme marocain, selon C. Le sort a voulu que cette
initiative subversive revienne à l' << empire américain
», ironise-t-il. Comme quoi les modalités du militantisme ont bien
changé.
9) L, militant d'al-Adl wal-Ihssan (Justice et
Bienfaisance)
L est présent à quasiment toutes les
assemblées générales de la coordination de Rabat, il est
rare de le rater à cette occasion. Accompagné le plus souvent
d'un ou deux « frères » de la jamâ'a dans les
réunions du 20 février, L se sent parfaitement à l'aise,
saluant tout le monde, discutant à bâton rompu avec des militantes
d'Annahj ou d'anciens participants du MALI.
La sauce du 20 février est certes d'une étrange
composition, des mondes que d'ordinaire tout sépare, se tiennent par la
main comme s'il en avait toujours été ainsi. L sourit d'amusement
lorsque nous lui soumettons cet examen des choses, le caractère
iconoclaste de cette union. Il commence par retracer le parcours du mouvement
pour fournir la logique dans laquelle lui et son organisation ont
décidé de s'inscrire. La jamâ'a du cheikh Yassine a d'abord
participé à la manifestation nationale du dimanche 20
février, c'est seulement ensuite que certains jeunes militants sont
entrés dans le mouvement et ont participé à son
organisation. Le cercle politique d'al-Adl wal Ihssan a été
accepté au sein du comité national d'appui au mouvement du 20
février. L'action d'al-Adl se veut révolutionnaire, elle se veut
transformation du monde. A cette égard elle ne trouve aucune
contradiction à prôner le renversement du gouvernement, ou la fin
de l'autocratie. Même si les militants rechignent davantage à
appeler à une « monarchie parlementaire », ils ne sont
cependant pas les seuls dans ce cas, Annahj et l'extrême gauche en
générale partage ce malaise.
La participation au 20 février n'a pas
été évidente dés le début, il a fallu
réfléchir à ce dans quoi la jamâ'a et ses principes
s'engageaient. Comme dans toute organisation, il y a eu des débats
internes, des gens favorables à cette participation et d'autres plus
réticents. C'est vrai que bon nombre de militants du 20 février
ne partagent pas les valeurs de L , certains militants sont même des
« athées », dit-il. Si cela le contrariait au début,
ensuite cela n'a plus eu d'importance, il n'a d'ailleurs jamais
été question d'en parler ou de se disputer à ce sujet.
Chacun en arrivant sait immédiatement qu'il ne sert à rien de
soulever ces débats stériles. On est là,
précise-t-il, pour éviter les sujets qui fâchent, et
réfléchir ensemble sur les manières de s'organiser pour
lutter contre le
régime. Le mouvement du 20 février est cette
occasion de la rencontre inédite entre deux mondes de la contestation, L
en a bien conscience, et il le dit lui-même : c'est la première
fois qu'il rencontre des militants de gauche et qu'il travaille avec eux.
La présence volontairement minoritaire d'al-Adl au sein
de la coordination est le signe qu'aucune forme de récupération
n'est présagée. Du moins cela est le point de vue de certains
militants, pour d'autres il ne faut pas être naïfs la jamâ'a
ne fait aucune concession gratuitement, elle nourrit des projets de
conquêtes progressives sur le mouvement du 20 février dont elle
veut rapidement des martyrs pour s'en approprier la cause. L'organisation
avancerait masquée, à tâtons, elle sait qu'à Rabat
elle ne pourra pas prendre les manettes facilement. C'est pour cela qu'elle
utilise la coordination de Salé pour faire pression sur Rabat. Pour L
ces opinions sont des procès d'intentions, c'est ne voir à
travers al-Adl wal-Ihssan qu'une entreprise de pouvoir, alors qu'il s'agit pour
lui depuis sa création du projet pacifique de réunir la nation
marocaine, pas de provoquer la désunion et la guerre civile. S'il est en
AG chaque semaine, dit-il, et chaque dimanche dans les manifestations, c'est
parce qu'il est un citoyen engagé qui désire réaliser des
avancés avec d'autres citoyens marocains. L nous certifie que la
présence d'al-Adl dans le mouvement du 20 février est uniquement
d'ordre citoyen, qu'elle ne fait pas l'objet d'une volonté
stratégique de noyauter le mouvement. D'ailleurs certains adlistes
refusent de participer aux actions du 20 février, mais il n'y a jamais
eu d'opposition radicale à cette participation, au contraire l'ensemble
de l'organisation considère que cette action citoyenne est une bonne
chose en soi.
Participer au 20 février c'est, pour l'organisation
adliste, certainement vouloir donner à cette parole contestataire une
part de celle qui alimente le quotidien de gens considérés comme
des parias, des exclus du débat72. C'est aussi vouloir
raccrocher les wagons avec le reste de la société, afin de sortir
l'organisation de l'isolement, de son long combat en solitaire. Mais pour les
adlistes participer au 20 février c'est aussi donner des gages à
un mouvement qui s'est dès le début déclaré ouvert
à tous ceux qui veulent changer durablement les choses au Maroc. Ils
jouent donc sur un tapis qu'ils n'ont pas eux-
72 Depuis sa création en 1973,
l`organisation du cheikh Yassine n'a jamais reçu de reconnaissance
officielle de la part des autorités marocaines, d'où ce sentiment
d'être une organisation précaire, semi-clandestine, sans cesse
menacée par l'arbitraire du régime.
mêmes dressé, et selon des règles qu'ils
n'ont pas édictées, mais entendent bien néanmoins tirer
leur épingle de ce jeu.
L chiffre le nombre d'aldliste participant en permanence au AG
à quatre personnes maximum. Pour lui et ses camarades d'al-Adl, le 20
février est un lieu dont il faut bien comprendre la culture pour s'y
sentir bien. C'est à première vue un rassemblement
hétéroclite, mais en réalité pas autant que cela.
Il s'agit d'un lieu de militants avec ses règles de conduites et sa
culture politique, et c'est dans ce contexte ou règne la culture du
militantisme que L s'est tout de suite senti chez lui, avec des gens qui
parlaient le même langage, qui partageait les mêmes habitus de
militants. Parfois il y a plus de compréhension et de réflexes
communs entre lui et un militant de gauche expérimenté qu'entre
plusieurs jeunes militants en herbe de la même organisation. Pendant l'AG
particulièrement virulente du 25 juillet durant laquelle des militants
d'al-Adl s'étaient rendus en plus grand nombre afin de répondre
aux accusations d'instrumentalisation, L a joué un rôle de
modérateur très important, notamment pour calmer ses camarades
d'alAdl et discuter avec les plus virulents contradicteurs. Pour donner son
temps de cette manière, rester tard dans la nuit pour résoudre un
problème ou une mésentente quelconque qui risque de fragiliser le
mouvement, il faut vraiment aimer cela. C'est fatiguant mais ajoute-t-il dans
la foulée, il faut bien payer un peu de soi-même pour faire
aboutir les choses que l'on souhaite
A 28 ans, L habite Rabat, est marié, père de
famille, et occupe un poste de cadre dans une entreprise d'informatique. Il
représente en cela assez bien le coeur militant de cette organisation
islamiste, composée majoritairement d'individus diplômés de
la classe moyenne marocaine. Il est entré dans l'organisation il y a dix
ans, alors qu'il fréquentait régulièrement la
mosquée de son quartier. Il a été séduit par les
prêches des partisans de Yassine, puis a rejoint progressivement le
groupe (au bout de deux ans de fréquentation) après que celui-ci
l'ait invité. Orphelin de père, il a tout fait, depuis la
disparition du chef de famille, pour préserver sa famille de
l'exclusion. C'est d'ailleurs lui qui a incité ses frères puis sa
mère à rejoindre la jamâ'a. Aujourd'hui ses deux
frères et sa mère sont membres de cette organisation « semi
clandestine ». Mais c'est lui qui reste le plus impliqué. Fait
notable dans le champ du militantisme islamique, l'intégration familiale
de l'engagement politique y est beaucoup plus important qu'ailleurs.
La culture qu'il a acquise au sein de la jamâ'a
d'Abdesslam Yassine n'est pas sans reconnaître quelques ressemblances
dans les manières de militer du 20 février. D'abord il faut bien
noter que l'engagement au sein de la jamâ'a n'est pas prioritairement
politique73, au contraire celle-ci est avant tout basée sur
un principe spirituel. Et L insiste bien sur cet aspect spirituel primordial
qui conditionne le reste, comme par exemple la vie de famille ou l'engagement
politique. Ainsi c'est un questionnement mystique qui vient interroger le vivre
ensemble, l'éthique individuelle examine l'éthique collective.
L'engagement au sein du 20 février semble être conditionné
par ce même postulat de défendre avant tout des valeurs dont
l'individu est le garant. Le 20 février est une solution collective
à un conflit intime de l'individu avec le système
makhzénien, que ce conflit soit théorisé, fantasmé,
ou éprouvé. Cette éthique individuelle primordiale est
analogue au principe mystique qui conditionne l'entrée chez les adeptes
du cheikh Yassine. Au sein d'al-Adl il y a, avec cette aspiration à
nourrir un questionnement mystique, le devoir concomitant de conserver l'amour
du groupe, de ne jamais s'isoler. Il existe au sein d'al-Adl un
impératif du collectif qui est appelé al-suhba, le
compagnonnage. Par ailleurs le concept même de jamâ'a (le groupe,
la collectivité) est le corollaire direct de la vie intérieure du
croyant, qui ne peut être positive et constructive qu'à la
condition de recevoir l'appui du groupe. L'être esseulé est
déjà perdu. Cette exhortation mystique, de recherche de la paix
intérieure, est censée recevoir en réponse l'aide pratique
de la collectivité, qui fort du corpus islamique et de la parole d'A
Yassine, est à même de soutenir l'individu dans une quête
intérieure qui le dépasse nécessairement et qui sans cette
aide le laisse dans le doute et l'incertitude. Par ailleurs l'idéal de
mise à distance de l'ego, prodigué par la jamâ'a, rencontre
dans le collectif du 20 février un écho familier,
l'impératif d'un sacrifice de soi, d'un effacement de l'ambition
individuelle, pour servir le salut de la communauté, dans l'optique
d'atteindre un intérêt général supérieur. De
plus, l'absence de leaders, de direction officielle et donc d'ordre
personnifié, empêchent de mettre en concurrence l'espace
d'allégeance que constitue chez les militants d'al-Adl wal-Ihssan le
personnage charismatique d'Abdesslam Yassine. Comme l'indique Youssef Belal
<< la jamâ'a est un lien entre les
73 << Le projet politique, dans le sens d'un projet
dirigé contre l'Etat et qui vise le pouvoir, n'est pas structurant dans
le fonctionnement quotidien du mouvement » In Belal Youssef ,
Mystique et politique chez Abdessalam Yassine et ses adeptes, Archives
de sciences sociales des religions, 135 | juillet - septembre 2006, p166
hommes, elle incarne le lien de l'islam face à la
dislocation du lien social »74. Le 20 février n'est
à bien des égards rien d'autre qu'une volonté de briser
l'isolement de ces gestes d'indignations auparavant éparpillés et
disloqués. En appelant à sortir des règles du jeu,
à constituer un espace inédit de contestation systémique,
le 20 février a offert aux adlistes la possibilité de redorer
leur blason et de se sentir moins seuls.
L témoigne du sentiment de se sentir comme dans une
petite famille, les gens se sont adoptés les uns les autres, on a fait
avec les différences de chacun au-delà des appréhensions
initiales et des suspicions. Il est dans la coordination de Rabat depuis le
tout début du mouvement, et a déjà multiplié les
postes à responsabilité au sein des différents
comités du mouvement, notamment dans la cellule de veille.
Créée en mai, après la répression policière
essuyée à plusieurs reprises par les manifestants, cette cellule
de veille est d'une importance capitale, c'est en quelque sorte l'organe
exécutif de dernier recours, qui veille à ce que tout se
déroule selon l'ordre des décisions prises en AG, mais qui peut
à tout moment pour des raisons de sécurité,
court-circuiter les programmes prévus et annuler ou orienter
différemment l'action. En règle générale elle est
composée de trois militants choisis en dehors des AG, et comme tous les
autres comités du mouvement elle subit un turn-over régulier. La
seule différence qui la distingue des autres comités
réside dans le caractère confidentiel qui touche à sa
composition. Seul un groupe très réduit de militants
févriéristes ont la connaissance des individus chargés de
la fonction de veille, cependant que le reste des participants aux
coordinations l'ignore. La participation de L à ce poste clé dans
le mouvement du 20 février prouve bien que les adlistes ne font pas de
la figuration, et que leur présence n'est pas qu'un prétexte
d'ouverture en trompe-l'oeil, tenus qu'ils seraient à l'écart des
fonctions exécutives par un éventuel « lobby laïc
». Au contraire ils sont gratifiés d'une certaine confiance, et
surtout il s'agit également d'une forme de reconnaissance des
contributions militantes colossales que fait la jamâ'a lors des
manifestations hebdomadaires. Il est indiscutable que l'organisation islamiste
est la plus habile et la plus efficace à mobiliser ses bases militantes
de manière régulière, massive (quoique discrète) et
disciplinée lors des différentes sorties de rue, notamment les
grandes marches du dimanche. Son habilité réside dans le fait
qu'elle sait montrer son
74 Belal Youssef , Mystique et politique chez
Abdessalam Yassine et ses adeptes, Archives de sciences sociales des
religions, 135 | juillet - septembre 2006, p173
importance dans le mouvement en l'assurant d'une
assiduité parfaite, mais une assiduité qui sait en même
temps soigner la discrétion, se fondre dans la masse des manifestants et
respecter scrupuleusement les mots d'ordre.
10) D, le cadet
D est un militant singulier par son très jeune
âge. A 16 ans il est le cadet de la coordination de Rabat, à
laquelle il a pris part après la manifestation nationale du dimanche 20
février. D manifeste très tôt dans son enfance un
goût pour la politique et le débat d'idées.
Sa socialisation politique, s'il l'a doit en premier lieu
à son milieu familial, très politisé, D affirme cependant
avoir bâti sa propre trajectoire. C'est grâce aux chaînes
satellitaires panarabes, dit-il, qu'il a pu suivre avec assiduité la
guerre israélo-libanaise de 2006. D'ailleurs il regarde toujours autant
al-Jazeera, al-Arabia, ou encore al-Manar la chaîne TV du hezbollah,
depuis cette époque. En 2006 il n'avait alors que 12 ans, mais suivait
le déroulement des événements libanais à la
manière d'un feuilleton palpitant. Quand il se passe des choses au Liban
ou en Palestine, c'est tout les arabes et les musulmans qui se sentent
concernés, ajoute-t-il. Deux thématiques politiques le touchent
particulièrement : la question de l'impérialisme et celle de la
répartition des richesses. L'impérialisme c'est l'autre nom de la
malédiction, D nous affirme qu'il existe des forces qui contraignent les
pays pauvres à demeurer sous-développés (les premiers
responsables ce sont les Etats-Unis), et qui ont la même attitude
qu'Israël envers les palestiniens. Pour lui l'impérialisme et le
sionisme sont apparentés, ils fonctionnent ensemble. Pour D tout est
fait pour que les peuples ne prennent pas conscience de leur propre soumission.
Tout est fait pour arrondir les angles et empêcher la révolte. D
en fait l'expérience au lycée, il avoue ne pas se sentir bien
compris par les gens de son âge dans ces thématiques politiques
qu'il affectionne, et qui sont absconses pour tous, à part quelques
rares compagnons qui partagent son enthousiasme.
Ce qui est intéressant dans le processus de politisation
de D c'est la manière dont les problématiques marocaines en
ont été préalablement exclues. A ses débuts, dans
ses
premières lectures et ses premières discussions,
il s'agit uniquement de la problématique moyen-orientale, de l'histoire
européenne ou des Etats-Unis. L'histoire de son propre pays le
désintéresse, il n'a d'yeux que pour les choses qui
l'éloignent du lieu de son expérience quotidienne. C'est plus
tard (encore que pour D tout se joue en l'espace de deux années et
quelques mois) qu'il prend conscience, ou en tout cas qu'il prend connaissance,
des enjeux marocains, de l'histoire de la lutte démocratique, dans
laquelle son père et ses oncles ont pris part. Son père est un
ancien militant du PSU, et ses oncles, dont l'un (mort en 2004) a
été un des fondateurs du PADS, ont fait plusieurs années
de prisons sous Hassan II. Pourtant D nous confie qu'il n'a jamais
abordé un sujet politique avec son père. Alors qu'il n'a jamais
été exclu des conversations d'adultes, et qu'il a toujours eu
l'habitude de parler de sujets politiques avec ses oncles, sa tante et son
grand-père, ce n'est que depuis qu'il a rejoint le mouvement du 20
février qu'il commence tout juste à parler de politique avec son
père.
Bien que tout jeune militant en herbe, expérimentant sa
première mobilisation, D n'a pas une place négligeable au sein du
mouvement. Son statut de lycéen lui confère un rôle de
courroie de transmission avec le monde des lycéens. Comme tous ses
camarades du 20 février qui occupent encore le banc des lycées
(et il y en a peu), il est l'oeil, l'oreille et la bouche du 20 février
au sein de son établissement scolaire. On sait quel rôle majeur
joue le soulèvement des lycées dans l'histoire du Maroc, à
l'instar des soulèvements de mars 1965.
D contribue donc à la diffusion du mouvement dans ces
lieux de prédilection, il rapporte les informations disponibles sur
l'état d'esprit des lycéens, et organise
régulièrement de petits comités au sein du lycée Le
21 avril au Lycée Abidar Ghifari de Rabat, D accompagné de trois
camarades ont élevé un drapeau du 20 février et une
banderole arborant le slogan « Nous voulons un système
éducatif démocratique et populaire » au beau milieu de la
cour principale de l'établissement. Le drapeau est resté une
heure, commente-t-il amusé. Mais ce rassemblement, pas très bien
organisé concède-t-il, a tout de même ameuté une
cinquantaine de personnes intriguées. Autant dire une petite victoire.
Etonnement l'administration du lycée n'a pas réagi par des
sanctions disciplinaires, elle est restée plutôt neutre,
peut-être parce qu'elle ne voulait pas voir la contestation grandir en
réagissant trop violemment.
L'engagement de D au sein du 20 février est
l'aboutissement d'une socialisation aux cercles militants qu'il a
débuté à la rentrée scolaire de l'année
2010. Pendant cette période où D fait ses premiers pas de
lycéen, il se rapproche d'Amnesty International. L'organisation
était venue dans son établissement organiser des interventions de
sensibilisation aux droits de l'homme, qui l'ont immédiatement
séduit. Il est devenu membre de l'ONG très rapidement. La
question des droits de l'homme l'intéresse au plus haut point, et au
sein d'Amnesty il rencontre de nombreux militants qui l'instruisent et lui
proposent de participer à des ateliers de formation. Pour une structure
comme Amnesty, avoir auprès de soi un jeune comme D c'est un atout pour
gagner l'opinion des jeunes gens que D est susceptible de côtoyer tout au
long de son parcours scolaire. Pour D, cette structure est une aubaine, elle
n'est pas un parti politique (structure dont D ne se sent pas encore prêt
à intégrer les rouages) et fonctionne plutôt comme une
petite communauté d'amis, réunis autour de valeurs universelles
à défendre. Au sein d'Amnesty, D participe à des ateliers
de sensibilisation aux droits de l'homme, et à des ateliers de formation
au plaidoyer. Ces ateliers sont constitués d'une vingtaine de personnes
avec deux personnes pour guider les débats. Il y est question entre
autre de savoir comment bien utiliser les outils de communication disponibles
pour, par exemple, mettre en place un appel à la solidarité, ou
encore de prendre connaissance des diverses manières de construire un
plaidoyer, et les techniques de communication qui sont utiles pour gagner un
auditoire et ne pas l'ennuyer. Au coeur de ce lieu d'apprentissage concret, on
gagne en enthousiasme car on se sent de plus en plus << capable >>
confie-t-il. De plus l'individu est toujours accompagné, soutenu, et
motivé par le collectif, le militant est tout de suite bien
entouré ; s'il est content de son engagement, alors le collectif sera
toujours là pour l'épauler.
Au sein du 20 février D fait une autre rencontre.
Déjà intéressé par l'AMDH avant la mobilisation
marocaine de 2011, le mouvement du 20 février est l'occasion pour lui de
rencontrer les jeunes militants de l'AMDH. Ceux-ci l'ont aidé pour les
démarches d'inscription. Agé de 16 ans, D est encore trop jeune
pour être membre à part entière de l'AMDH. En revanche il a
pu devenir un << ami de l'AMDH >>, qui est statut reconnu
spécialement pour les sympathisants, et qui leur permet d'accéder
à certains événements organiser par l'AMDH. A ce titre D
participe aux << colonies de l'AMDH >>, qui sont une sorte
d'université d'été pour les jeunes, organisée
pendant le mois de juillet dans différentes villes du Maroc. C'est
l'occasion pour D, en période de vacance
scolaire, d'approfondir son apprentissage de militant des droits
de l'homme, et d'aller à la rencontre d'autres jeunes.
Concernant les partis politiques, D n'exclut pas
l'hypothèse d'en rejoindre un dans un futur proche. Au sein de la
coordination du 20 février de Rabat sa sensibilisation au contexte
partisan est inévitable, car il est entouré essentiellement de
jeunes militants de partis politiques. Et à l'AMDH, il va sans dire que
la vie politique et partisane est intimement liée à
l'organisation. A l'intérieur D y fait la rencontre d'Amina B, qui en
plus de sa casquette de militante des droits de l'homme, est aussi membre du
PSU et du comité de soutien au 20 février. C'est Amina qui l'a
aidé à organiser le rassemblement au sein de son lycée le
21 avril. En plus du drapeau, du mégaphone et de la banderole, Amina lui
a donné de précieux conseils. D nous confie que c'est grâce
à des personnes comme Amina qu'on a envie de faire des choses, qu'on ne
se sent pas seul pour agir. C'est d'ailleurs encore Amina qui l'appelle pour
assister à des réunions du PSU, et alors qu'il était
préalablement tenté de rejoindre le PADS, D conçoit bien
à présent que son affinité nouvelle pour le PSU lui est
largement redevable. A cet égard et pour conclure, il serait
particulièrement intéressant d'étudier, en prolongement
des travaux de M. Bennani Chraïbi sur la politisation75, et
à la manière des travaux de Jean Birnbaum sur les transmissions
militantes dans le trotskisme français76, les diverses
techniques et approches adoptées par les structures partisanes
marocaines pour recruter leurs bases militantes.
Conclusion
Les militants dotés de trajectoires partisanes ne sont
pas tous le produit d'une socialisation politique ayant eu cours dans le cercle
familiale. Des approches quantitatives et qualitatives supplémentaires,
seraient à même d'approfondir cet aspect encore obscure du
militantisme marocain, notamment celui qui se loge dans le champ
75 Bennani Chraïbi Mounia, Parcours,
cercles et médiations à Casablanca, tous les chemins
mènent à l'action associative de quartier, in Bennani
Chraïbi M, Fillieule O, Résistance et protestation dans le
monde musulman, Paris, Presse de Sciences Po, 2003, p 293-352
76 Birnbaum Jean , Transmission révolutionnaire et
pédagogie de la jeunesse. L'exemple des trotskismes
français, Histoire@Politique, n°4, 2008, 21p
partisan, dont le mouvement du 20 février offre un bon
poste d'observation . Pour un nombre non négligeable d'entre eux, en
effet, l'engagement ne se situe pas nécessairement sur le plan d'une
fidélité à une éthique politique familiale.
L'autodescription des facteurs d'influence les ayant amené à
rejoindre un parti, est particulièrement éloquente en ce qu'elle
exclue totalement, pour certains d'entre eux, les raisons familiales de leurs
cheminements militants. Cette exclusion du déterminisme familiale est
assez rare du point de vue sociologique pour être relevé.
Contrairement à ceux qui se présentent comme des individus
éduqués dans des milieux à forte prégnance
politique et partisane, et qui conçoivent leur engagement comme une
attitude naturelle, et comme un élément indissociable de leur
existence, les << non héritiers » ne conçoivent pas
leur attitude militante de la même manière. Plutôt que
d'identifier leur engagement à une attitude citoyenne qui serait
innée et totale (indivisible dans les différentes sphères
sociales), certains le perçoivent davantage comme une vocation
construite et un << métier ». Sans pour autant donner
d'explications aussi affirmatives que celles avancées par les <<
héritiers » quant aux déterminants de leurs engagements, ils
trouvent cependant dans leurs parcours biographiques mis en récit, des
éléments charnières, des rencontres, des aptitudes, et des
moments de conscientisation, mais dont ils peinent à identifier
précisément la source. Leurs vies semblent moins
homogènes, semblables à des lieux compartimentés dans
lesquels la personnalité des individus se partage et se donne des
rôles bien distingués les uns de autres. Leurs engagements se
situent dans des espaces sociaux relativement imperméables, qui ainsi
cloisonnés empêchent le mélange des genres et l'amalgame
des rôles. On comprend donc comment l'engagement militant de ces
individus s'est bâti sur le thème du << métier
», de la vocation professionnelle. Ceci permet d'accepter la
barrière qui s'érige entre leur vie individuelle et celle qui
s'incarne dans le collectif familiale. Puisque ces deux sphères ne
communiquent pas et que l'incompréhension provoque même parfois le
malaise, l'individu s'en sort en érigeant une frontière
privée / publique (vie professionnelle / vie intime) qui permet de
donner du sens à cette désunion individuelle. Il s'agit donc de
conforter cette désunion, lui donner une fonction, plutôt que la
subir comme une déchirure. En effet on a remarqué que cet
éclatement biographique est le plus souvent vécu positivement (ou
en tout cas mis en récit d'une manière positive) en mettant en
avant le sentiment de se construire une personnalité plurielle qui place
l'individu devant des responsabilités plus perçues comme <<
habilitantes » que << contraignantes ».
Encore faut-il préciser que ces compartimentations sont
à étanchéité variable, comme l'illustrent les cas
recensés. Tel ce militant du PSU qui associe son métier de
journaliste à sa vocation de militant politique mais qui par ailleurs
sépare bien ce bloc (amalgamé dans le registre du «
professionnel ») de ses relations familiales. Ou encore ce militant
d'al-Adl wal-Ihssan qui distingue nettement son implication politique dans le
cadre de l'organisation du cheikh Yassine, de ses responsabilités
professionnelles au sein de l'entreprise qui l'embauche, alors qu'a contrario
son cadre familiale épouse parfaitement ses engagements politiques.
A l'inverse de ces existences sociales compartimentées,
qui caractérisent l'engagement militant davantage comme une excroissance
que comme un continuum, certaines trajectoires biographiques se situent sur
diverses logiques de continuité. Si l'on peut considérer comme
« verticale » la forme de continuité qui concerne les
individus héritiers d'une tradition militante familiale, une forme de
continuité « horizontale » caractérise des engagements
tendant à amalgamer les sphères professionnelles et les
sphères militantes. Le métier exercé peut parfois
épouser les formes prises par le cadre éthique des valeurs
militantes de l'individu, et même dans certains cas s'y fondre
totalement. Au sein du mouvement du 20 février, le « journalisme
» est une activité professionnelle avancée par certains
militants politiques comme le métier leur permettant d'associer les
nécessités matérielles de l'existence avec les valeurs
politiques de leur engagement. Et plus fusionnelle encore est l'activité
associative qui assortie du statut de salarié offre à l'individu
l'opportunité de vivre son engagement sur le terrain du travail
rémunéré, permettant de la sorte une cohérence
pratique et une unification des lieux d'investissement de l'individu,
consacrant ainsi son temps professionnel à faire avancer
simultanément la cause et les valeurs qu'il défend. Au sein du
mouvement du 20 février ces militants professionnels sont parfois
même détachés par leurs structures professionnelles pour
investir le mouvement ou ses satellites quasiment à plein temps. Ces
structures de plaidoyer, charnières entre le champ associatif et le
champ partisan, jouent par ailleurs un rôle particulièrement
important de recrutement, de rencontres et de brassage des réseaux ;
phénomènes qu'illustrent plusieurs des portraits et parcours
militants décrits plus haut. En outre, puissamment
intégrés ces militants associatifs sont les moins touchés
par le phénomène de mise à distance de l'engagement. Ils
sont par ailleurs les mieux dotés en capital temps, compétences
et savoir-faire techniques à même de les rendre indispensables au
sein du mouvement. On les retrouve également à
la charnière des différentes rencontres entre
réseaux, qu'ils savent activer grâce à leur carnet
d'adresses. A ne pas confondre avec les « figures charismatiques »,
ces individus richement dotés en compétences militantes ne
figurent pas tous en tête d'affiche mais travaillent davantage dans
l'ombre en sachant cultiver la discrétion. Seule une immersion dans les
rouages du mouvement peut nous rendre compte de ces distributions de
compétences et offrir un tel repérage de ces personnes
ressources.
Conclusion générale
Le mouvement du 20 février s'inscrit
indéniablement dans la vague des révoltes arabes.
Phénomène de capillarité colossale, ce << printemps
arabe >>, s'il est bien le signe manifeste de l'identification des
peuples arabes à un sort commun, à la manière d'un corps
rhizomique qui éprouve ses douleurs à l'unisson, il est aussi la
démonstration qu'au-delà des échos familiers, la
réalisation concrète d'une mobilisation reste dépendante
de l'héritage politique et des configurations sociales prévalant
en chaque lieu. La forme prise par le mouvement du 20 février, bien
qu'innovante à plus d'un titre, reflète aussi fortement le
passé des luttes antérieures. La forme routinière des
mobilisations sociales au Maroc, rendue possible par l'attitude ambivalente du
régime marocain dont la << souplesse >> (l'un des visages de
Janus) est motivée par une rhétorique de la << transition
démocratique >>, a conduit le jeune mouvement à redoubler
d'efforts pour espérer parvenir à un dépassement
historique de ces formes de << confrontations / adaptations >>
entre les mouvements de protestation et le régime. Mais
l'héritage et la maturité des mouvements sociaux au Maroc (en
comparaison des autres pays arabes) ont paradoxalement été un
frein à la mobilisation actuelle, en tant qu'elle se voulait une sorte
de soulèvement spontanée, à l'image de la Tunisie et de
l'Egypte, comme si rien dans l'histoire du Maroc ne pouvait déterminer
des formes particulières de lutte. Or bien au contraire, le passé
du Maroc est loin d'être vierge en expériences de mobilisation
contestataire, d'autant qu'il existe depuis au moins vingt ans des formes (plus
ou moins tolérée certes) d'opposition dans le champ politique. De
sorte que les modalités de la contestation au Maroc sont
déjà rodées, éprouvées, et engagées
dans les sillages des mobilisations antérieures. Alors que les
mobilisations tunisienne et égyptienne ont connu un accroissement
crescendo de leurs effectifs, ceux du 20 février sont restées peu
ou prou les mêmes. Une fois équilibré et atteint un nombre
conséquent de participants, le mouvement du 20 février a
concentré une part significative de son énergie à faire se
tenir ensemble des éléments contradictoires. Le mouvement s'est
mis à exister presque à huis clos, fermé sur des
problèmes internes difficiles à gérer, de sorte qu'il n'a
pu oeuvrer à faciliter l'accès de ses rangs à une
population nouvelle. Ainsi les possibilités d'entrée dans le
collectif étaient plutôt étroites, et partant, les
possibilités pour le mouvement de gonfler ses effectifs en ont subi le
contrecoup.
Nous rappelons que nos observations concernent uniquement la
coordination de Rabat. Bien qu'il s'agisse d'une coordination centrale dans la
pratique de la mobilisation sur cette période, elle n'épuise pas
pour autant les formes et les enjeux inhérents au mouvement du 20
février dans son entier. Les conclusions portant notamment sur la
configuration des forces militantes disponibles dans la coordination de Rabat
ne doivent pas être extrapolées, dans la mesure où les
situations sont bien différentes d'un endroit à l'autre du Maroc.
Il n'est pas certain que la prégnance significative du militantisme
partisan à Rabat reproduise ses formes dans la majorité des
coordinations. La connaissance des spécificités de chaque
coordination, des effectifs militants et des enjeux locaux, ainsi que des
compositions politiques disponibles en chaque lieu, nous permettrait de
comprendre davantage ce qui fait la nature du mouvement du 20 février,
les éléments d'analogie qui consolident sa dimension nationale et
ceux qui mettent en relief la diversité des enjeux et des formes locales
que prend la << contestation ».
La mobilisation du mouvement du 20 février dure
maintenant depuis huit mois, et a su tout au long de cette période
adapter la riposte aux formes de propositions du régime : d'abord la
nouvelle constitution dont le mouvement a critiqué la modalité
opératoire, comme l'illustration de la pratique makhzenienne des
<< constitutions octroyées ». Ensuite les élections
législatives anticipées (prévues pour le 25 novembre 2011)
qui n'ont, selon le mouvement, qu'une fonction d'annihilation de la
contestation actuelle, sans véritable perspectives de changement
systémique. Mais tout laisse à penser que le régime aura
les plus grandes peines du monde à satisfaire le mouvement et affaiblir
la force de protestation qui s'est établie dans ce nouveau collectif
contestataire. Assiste-ton à la pérennisation d'une nouvelle
offre politique qui, protéiforme et rhizomique, s'exclut du
système politique marocain pour développer un contre
modèle de société, une nouvelle culture politique, un
nouveau lien social fabriqué en antithèse de la << culture
makhzenienne » ? La manière dont le mouvement saura dialectiser son
attitude contestataire, dépasser son refus formel pour incarner une
proposition en gardant l'esprit d'un changement systémique,
c'est-à-dire en somme les formes concrètes de réalisation
d'une alternative social et politique, se chargera de répondre à
cette question. Savoir s'exclure du système sans participer à sa
propre annihilation, cultiver l'insoumission et le refus en faisant
conjointement exister une forme concrète d'alternative, voila bien le
défi de tout mouvement contestataire à vocation << contre
hégémonique ».
L'état des protestations au Maroc dénote d'une
chose : si prendre la parole pour défendre ses conditions de vie et son
statut social relève du faisable et du légitime, en revanche
affronter le régime sur le terrain du politique, c'est-à-dire
remettre en cause l'institution souveraine, semble n'être encore qu'une
idée en gestation, incapable de susciter, en l'état actuel des
choses, une force d'attraction susceptible de bouleverser l'équilibre
ingénieux sur lequel s'est bâti le régime monarchique
marocain. Les tergiversations du mouvement du 20 février sur la question
de la plateforme revendicative (faut-il mentionner l'institution royale ?
faut-il revendiquer un « changement constitutionnel » ou bien une
« monarchie parlementaire » ?) sont révélatrices de
l'état d'inquiétude et d'indétermination qui touche la
société marocaine dans son ensemble. Cette indétermination
est le point focal à partir duquel le mouvement tente de se mouvoir,
mais c'est justement parce qu'il s'agit d'une volonté confuse (une
volonté dépourvue d'objet) que le mouvement contestataire est
empêché dans sa recherche d'un pendant positif à la hauteur
de son « refus » catégorique. Ainsi la formulation d'une
perspective, d'un projet susceptible d'accrocher le plus grand nombre et de
dégager une « volonté générale », reste
encore dans les limbes : un projet qui soit assez radical pour légitimer
l'acte de « refonder » et cependant qui puisse ne pas se couper
complètement des horizons d'attente - nécessairement
limités - des catégories de la population les plus
concernées (les pauvres et les catégories moyennes en voie de
déclassement).
La professionnalisation et la concentration d'une élite
militante observées dans le domaine de la protestation a exclu
d'emblée toute une frange de la population pour qui cette pratique de la
citoyenneté ne fait pas (encore) partie des référentiels
culturels. Cette professionnalisation du champ associatif et partisan, ainsi
que l'adoption des modèles managériaux et pragmatiques de
l'action collective, ont réussi à produire une élite
fortement dotée en compétences cognitives et pratiques, et
à autoriser la confection de réseaux denses et efficaces pour
relayer les différentes formes de « plaidoyer », d'ailleurs en
phase avec le nouveau visage du régime marocain, qui sous son habile
désir de conservation sait aussi s'habiller de volontés
modernisatrices et peut-être même démocratiques. Mais force
est de constater que si les espaces de la contestation (partis, associations de
plaidoyer, collectifs ad hoc) ont réussi à tisser de larges
réseaux (sur l'ensemble du territoire marocain, mais surtout les zones
urbaines) et à mettre sur pied des effectifs expérimentés,
compétents et endurant (la temporalité de la mobilisation du
mouvement du 20 février l'atteste), il demeure cependant
un dysfonctionnement de taille pour mettre à bien des projets
alternatifs : l'adhésion du plus grand nombre.
Ainsi il apparaît clairement qu'en dépit de tous
les mécontentements et les problèmes sociaux que connaît le
Maroc (notamment l'extrême pauvreté et l'illettrisme), la force
d'attraction des mouvements de contestation reste relativement faible. La peur
du régime ? Le souvenir des déboires de l'ère hassanienne
? Ou plus simplement l'adhésion à la figure du roi, symbole
d'unité et d'ordre, auquel on concède, malgré tout, les
errements makhzeniens et la corruption qui gangrène ? L'opinion publique
marocaine reste bel et bien l'inconnue de l'équation, en face de
laquelle le mouvement du 20 février sait bien qu'il n'a pas de prise
aussi solide que celle du régime (lequel interdit les sondages sur la
popularité du roi, et organise de temps en temps des
référendums sous la haute surveillance du ministère de
l'Intérieur). Loin de céder à l'idée selon laquelle
il faudrait suivre la << volonté générale >>
que les conservateurs appellent la << majorité silencieuse
>>, le mouvement du 20 février a fait sienne l'idée qu' il
faudrait à ce concept de << volonté générale
>> une incarnation palpable, une voix tangible. Cette voix, si elle ne
peut véritablement subsumer la totalité des volontés
émiettées du corps social, s'avance comme une forme
d'alternative, un discours dissident dans l'attente d'une proposition pratique,
susceptible de transfgurer les usages du réel et travailler ainsi
à la construction d' << effets de vérité >>
à même d'impulser la transformation des référentiels
communs.
C'est ici l'enjeu central d'un mouvement qui se veut une
<< mobilisation citoyenne >>, c'est-à-dire qui se veut
centré sur la capacité des individus à se rendre
maîtres des destinées politiques de leur patrie, car si les
citoyens sont bien là << en-soi >>, présents en
puissance, il leur reste à le vouloir << pour-soi >>.
Pourtant quand on entend les févriéristes taper sur les figures
autorisées de la contestation, on les entend moins revendiquer quelque
changement en prenant le pouvoir à partie, que s'adresser à la
population marocaine, dans une tentative de sensibilisation politique.
Là réside peut-être une des originalités du
mouvement : en s'adressant au pouvoir, les militants ne lui réclame rien
(ils ne lui parlent même pas), leur parole est orientée ailleurs,
vers ceux pour qui l'injustice est patente mais la mise en branle du <<
voice >> encore un pas difficile à franchir. Mais cette
fabrication du << vouloir >> ne peut pourtant pas avoir lieu dans
les manifestations, car elle est antérieure à celles-ci, elle a
lieu dans les espaces sociaux où l'on construit laborieusement les
conditions d'une possibilité de remise en
cause de l'ordre social et politique. Si le mouvement du 20
février a entamé sa mobilisation avec en tête la
méthode tunisienne, la volonté de poursuivre l'effet de surprise,
le déroulement des événements apporte la preuve qu'il n'a
pas su contorsionner le réel et se détourner outre mesure des
déterminations et des singularités du contexte marocain. Car
celui-ci, à l'évidence, nécessite, pour initier un
changement significatif, d'autres approches que celles véhiculées
par le mythe Facebook et les représentations spectaculaires des
révoltes tunisiennes et égyptiennes.
C'est à la construction de ce « vouloir »
collectif et individuel que l'on doit s'attendre dans les mutations prochaines
du mouvement, car ce « vouloir » pour le moment ne le
précède pas. La réactivation des espaces de politisation
à l'instar des « comités de quartier » va dans ce sens.
Mais plus profondément ce sont les changements opérés (et
à venir) dans la société civile et les partis d'opposition
qui nous semblent le plus urgent à observer et analyser. Les mutations
des modalités d'action dans les champs associatif et partisan, dont
l'existence du mouvement du 20 février aura précipité
l'impulsion (la « 20féviérisations des partis »),
seront cruciales pour déterminer de nouvelles pratiques visant à
proposer une alternative concrète aux contraintes et propositions
émanant du régime. C'est toute la substance contenue dans
l'idée d'un « changement par le bas », c'est-à-dire la
mutation pratique d'un mouvement contestataire qui, au lieu de faire exister
son ennemi en l'invectivant, se changerait en une dynamique propositionnelle
qui puisse devancer le régime, le concurrencer, et tenter d'occuper
l'espace de son hégémonie.
Dans ce présent travail nous avons analysé
brièvement les formes du renouveau idéologique, largement
dépendantes des transformations opérées dans la
société civile à partir des années 1990, et
s'orientant vers davantage de réformisme et de pragmatisme, et cherchant
même parfois à adopter la culture managériale et
l'ouverture à l'internationale. Nous avons vu également
l'importance de ces « lieux nodaux » à partir desquels se
construisent les multipositionnements militants, à même de
produire les formes, mêmes éludées, de leadership. Nous
avons tenté par la suite de mettre en relief les transformations des
conditions d'acquisition du capital militant (internationalisation,
technicité accrue, multipositionnalité), qui font des jeunes
militants actuels des individus beaucoup plus autonomes par rapport aux
déterminations classiques (filiations familiales) et aux structures (en
tout cas en recherche de plus d'autonomie) et plus
enclins à rechercher l'unité (quitte à
forcer parfois l'union des incompatibilités les plus
éloignées). Enfin nous avons essayé de montrer que, loin
d'être un mouvement de << néomilitants >> ou de
<< cyber-activistes >>, le mouvement du 20 février - dans sa
variante rabati tout du moins - rassemble davantage une jeunesse
préalablement formée dans des structures militantes, notamment
partisanes, et partant politisée dans des cadres beaucoup plus
classiques qu'on ne le pense a priori. La socialisation de toute une
génération à la pratique du langage et de l'échange
dans des univers informatisés et numériques a certainement
produit des transformations dans l'ordre des pratiques qui peuvent
déployer leurs effets dans des phénomènes sociaux comme
l'action collective. Mais cependant, mettre sur pied un mouvement contestataire
à partir d'une page Facebook ne fait pas nécessairement de lui un
regroupement de hackers cyber-activistes. Les outils d'Internet et du
numérique, notamment les réseaux sociaux, ont eut certes un effet
performatif sur l'optimisation des modalités d'information et de
communication, mais ils n'ont pu garantir ni une politisation inédite
(et rapide) censée provoquer l'arrivée massive d'une nouvelle
population dans le mouvement, ni l'activation véritable d'une nouvelle
manière de prendre des décisions collectives. Si certaines
décisions du 20 février sont prises sur << Facebook
>>, ce n'est généralement que dans le cadre des pages
privées des coordinations ou des comités exécutifs
(autrement dit, une variante de la vieille méthode des << mailing
list >>). Ainsi ces réseaux sociaux ont eu un effet, notamment
dans la manière de synchroniser rapidement les différentes
coordinations, mais ils n'ont pas eu le même impact que dans les pays
arabes voisins, pour la bonne raison que la censure ne s'applique pas avec la
même sévérité au Maroc et que de solides
réseaux militants y ont une existence légale depuis plusieurs
décennies.
Il resterait à faire beaucoup pour saisir les multiples
facettes de ce mouvement inédit. Un point qui mériterait
investigation serait par exemple la signification à donner au terme
<< liberté >> dont le mouvement fait un usage abondant dans
ses slogans. Quand les févriéristes appellent à <<
mettre dehors le makhzen >> pour faire du Maroc une <<
terre de liberté >>, que signifie fondamentalement ce mot de
liberté ? Il y a manifestement derrière ce terme un nombre
foisonnant d'attentes et de significations qui peinent à se contenir
dans le même mot. Car si à bien des égards la
liberté en question relève du registre politique, en tant qu'elle
figure une volonté de s'émanciper de l'ordre despotique, c'est
aussi de liberté dont il est question dans l'ordre social, dans le
terreau autonome des règles et des contraintes qu'un corps social
s'accorde à prodiguer, à
transmettre et sauvegarder. Peut-on attaquer le pouvoir
politique, aussi despotique soitil, quand il est question
d'éléments de contraintes dont le corps social en est
lui-même le souverain ordonnateur ? Jusqu'où peut-on prendre le
politique pour responsable des tares qu'une société s'administre
elle-même ? Certes, l'Etat, le sommet de la pyramide, est, à n'en
pas douter, l'administrateur suprême, le légiférant, qui
diffuse toute cette infrastructure normative, et élabore l'essentiel des
conditions requises pour une praxis donnée, un usage culturel et social
des corps et des esprits (quel meilleur exemple que celui de l'école,
que le régime marocain peine à réformer, probablement
à dessein ?). Ici le militantisme protestataire bute pourtant bien sur
cette impasse, la désignation d'un ennemi ne résout pas
l'équation. Mais il faut reconnaître que si le problème ne
s'épuise pas dans le registre politique, on peut en revanche être
en droit de penser que c'est chez lui qu'il débute.
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Table des matières :
Introduction 3
Chapitre 1 : Genèse du « mouvement du 20
février » 15
1) Du virtuel au réel : réseaux sociaux et
réseaux militants 19
2) Implication des jeunesses partisanes 29
3) Construire le collectif et l'adversaire : les antidotes
contre le Makhzen 35
4) Capitaliser les luttes : effets de vérité et
redéploiement 39
5) Société civile et politique : les
transformations dans l'ordre du discours et de la pratique 44
6) Tansikiyate et démocratie horizontale :
nécessité ou projet ? 48
Chapitre 2 : Occuper l'espace public : manifestations et
slogans 57
1) Les manifestations de rue, sit-in et rassemblements 57
2) Description factuelle d'une « flashmob » 67
3) Les slogans 77
a) L'identité, l'unité, la résistance 79
b) Slogans politiques (revendications et dénonciation du
régime et de la répression) 82
c) Slogans socio-économiques 88
d) Critiques ad hominem 90
e) Le roi (et le sacré) 91
Chapitre 3 : Engagements et trajectoires militantes
94
1) R, l'engagement distancié 98
2) Mo, militant USFP dissident 101
3) M, indépendant mais sympathisant 104
4) N, l'indépendant laïc 111
5) A , militant du PSU 113
6) Y, militante de la Voie démocratique (Annahj
Addimocrati) 115
7) O, l'extrême gauche associative 119
8) C, révolutionnaire libéral 124
9) L, militant d'al-Adl wal-Ihssan (Justice et Bienfaisance)
128
10) D, le cadet 133
Conclusion générale
140
Bibliographie 147
Table des matières : 153
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