54 CHAPITRE DEUXIEME :
SOCIOGENESE, PHYSIONOMIE ET DISTRIBUTION
GEOGRAPHIQUE DES MOUVEMENTS DE RESISTANCE AU SUD-KIVU.
INTRODUCTION
En plus du Sud-Kivu, le phénomène de mouvement
de résistance est vécu dans les autres Provinces de la RDC,
particulièrement au Nord- Kivu, au Maniema et dans le Katanga. Des
études « approfondies »42à ce sujet ont
été menées sur les Provinces du Nord Kivu et du Maniema
43. Mais il est épistémologiquement imprudent de faire
fi aux singularités reconnues à chaque système social
même lorsque les homologies sont évidentes. C'est pourquoi, sans
se défaire du contexte historique global de ces mouvements de
résistance, nous voulons mettre en évidence leur
spécificité historique justiciable des structures socio-
politique et économique ainsi que d'un espace géographique
particulier. C'est bien là une perspective géopolitique,
historique et écologique se trouvant sur les pas de AMURI dans un
exercice scientifique similaire au nôtre. Il affine à ce sujet
:
« (....) fort du constat que le phénomène
Mai- Mai ne saurait se manifester de la même manière partout ni
comporter les même motivation chez le différents acteurs, nous
proposons d'examiner les caractéristiques des milices Mai- Mai du
Maniema pour en dégager la spécificité et la
singularité historique(sic).
Cette perspective géopolitique, voire écologique
et historique, est susceptible d'éclairer l'opinion tant sur les
enjeux de la violence milicienne dans les espèces
42 Cette appréciation relève de nous.
43 Il ya lieu de rappeler ici le mémoire
inédit de DES réalisé par F.D. AMURI MISAKO ayant pour
titre Les Milices Mai- Mai au Maniema (Août 1998-fuin 2003) : Un mode
d'affirmation politique des masses rurales, FSSPA, UNIKIS, 2008.
étatiques (enclavés) que sur l'impact des
idéologies politiques et religieuses qui ont marquée les peuples
de cette partie du territoire nationale dans leur évolution
»(44).
Ce chapitre va faire un retour historique du
phénomène dans le contexte national et de l'ancienne Province du
Kivu.
Il analyse également le contexte d'émergence des
mouvements de résistance, les motivations et la répartition
géographique.
Avant d'entrer dans le vif de cette section, il nous semble
nécessaire de faire un profil sociodémographique des mouvements
de résistance soumis à l'observation systématique. Ainsi,
nous invoquerons les aspects liés à l'âge, au niveau
d'instruction, à la vie matrimoniale et au sexe. En effet la moyenne
d'âge est de 35 ans chez les chefs de groupes et 22 ans chez les hommes
de troupe. Le niveau d'instruction est du cycle d'orientation tandis que 95%
sont mariés. 11 femmes ont été contactées contre
113 hommes.
2.1 Héritage historique
Les mouvements de résistance voire la militarisation
n'est pas un
phénomène récent en RD Congo. Le mouvement
messianique en a été
l'une de formes avant l'indépendance. Il s'agit
principalement de Simon
Kimbangu et Kitawala. A ce sujet, Isidore Ndaywel et Nziem
précise : « Lorsqu'on note les premières indices
des désobéissance civile, le pouvoir colonial est un
prétexte pour lancer contre Kimbangu le mandant d'arrêt que les
Pères Rédemptoristes réclament depuis longtemps.
Réfugié dans la clandestinité, il demeura pendent trois
mois, au nez et à la barbe de l'administration, à un endroit
certainement connu par
ses milliers de fidèles. C'est au cours de cet
épisode que le mouvement se teinte de xénophobie et
d'hostilité à la colonisation. Le prophète annonça
la venue imminente du Christ qui renverserait le pouvoir des Blancs. En
attendant, il
fallait refuser de payer l'impôt et de se soumettre aux
cultures obligatoires. »45
Plus tard, il souligne ce qui suit à propos de Kitawala
:
« Le Kitawala connut un cheminement semblable. C'est
à l'autre extrémité du pays, au Katanga qu'il
amorça son action politico-religieuse (...) le Kitawala fut compris non
seulement comme une instance d'éveil (des Noirs) mais aussi comme
synonyme de « règne », « avènement »
(sous-entendu « de Dieu) ».46
Ces mouvements messianiques ont des influences notables dans
le vécu des peuples d'autres provinces notamment en alimentant les
conflits. Au lendemain de l'indépendance (1960), les sécessions
Katangaise et du Sud-Kasai furent aussi l'expression d'une protestation contre
l'ordre politique existant quoique fondées sur des motivations
essentiellement politiques.
Le germe de la nature actuelle des mouvements de
résistance se
trouve dans la conquête révolutionnaire connue sous
l'appelation des
rebellions. Nous retenons toujours de Ndaywel le récit
suivant appuyé par
les recherches de Bengila, Bénoit verhaegen,Monguya Mbenge
et d'autres. « (.......) la révolution lacée connut
deux mouvements : l'un à l'ouest et l'autre à l'est. Le
premier fut lancé et dirigé par P. Mulele dans
le Kwilu à partir du mois d'ao~t 1963. Après ce premier
succès, les amis de Mulele à Brazzaville s'efforcèrent de
créer une voie d'accès par la quelle ce maquis pourrait
être ravitaillé de l'extérieur. C'est ainsi que fut ouvert
un second front dans la région de Bolobo-Mushie (juillet 1964). Cette
région, baignée par le fleuve, permettait
45 I.NDAYWEL et NZIEM, Histoire
générale du Congo. De l'héritage ancien à la
République Démocratique,
Paris et Bruxelles, De Boeck et Larcier, 1998, pp. 416-417.
46 Ibide11, p.421.
un contact avec le Congo- Brazzaville en même temps
qu'elle autorisait une fonction avec le maquis du Kwilu, pour navigation sur le
Kasai, entre Mushie et Mangai. Le second mouvement, plus important par son
ampleur, partait de la région Uvira-Fizi qui fut conquise en avril 1964
; de là, il gagne le Nord- Katanga par la conquête d'Albertville
(19 juin 1964), puis le Maniema dont la capitale fut occupée par
après (24 juillet) et en fin le Haut -Congo où stanleyville
conquise (5ao~t) devint la capitale d'une « République Populaire du
Congo ».
(....) dans la région de l'est, les combattants
proclamaient volontiers leur invulnérabilité au cri de <<
Mai- Mulele »
(...) A l'ouest comme à l'est, on entendait combattre
les << néo-colonialistes », les << valets de
l'impérialiste », << ceux- là qui ont rendu le Congo
aux américains » et qu'on appelait les PNP (traduit par <<
penepene » na mundele). Ce n'étaient plus les Belges et les
Américains qui étaient visés, mais plutôt les
nationaux à leur solde. On luttait pour instaurer la <<
révolution » qui était la << deuxième
indépendance », le règne de la <<
prospérité économique », du << partage
égal », << de la paix, » << de la liberté
totale, de la démocratie ».
En effet, en deux ans s'était instauré un
véritable dualisme entre deux univers sociaux : d'un côté,
la classe politique née de la décolonisation, qui détenait
le monopole de la puissance bureaucratique et qui partageait avec les Blancs le
pouvoir économique et social ; d'autre part, il y avait la masse,
emportée plus gravement qu'auparavant aux problèmes du
chômage, de la misère sociale et de la faim. On réclamait
ainsi une plus grande justice politique et dans le même temps, la
libération de Gizenga (surtout au Kwilu), le
jugement des assassins de Lumumba (surtout à l'est) et
la défense de l'unité du pays (retour à six provinces au
lieu de 21), Vendue (disséquée) par le « gouvernement
fantoche » d'Adoula la conquête révolutionnaire
précédait de la même manière à quelques
nuance près l'exploitation des conflits locaux (entre tribus et entre
parties locaux), l'utilisation des armes traditionnelles et des recettes
ferrières locales (immunisation contre les balles ennemies, technique
pour rendre invincible et donc invisible aux yeux de l'ennemie.
>>(47).
Une autre variante influente historique, c'est la formation
des groupes guerriers tribaux qui prirent un essor considérable dans la
province du Nord - Kivu autour des années 1993. Les populations rurales,
principalement dans les zones de Masisi et de Rutchuru ont construit des
idéologies de xénophobie les unes contre les autres. Ce qui a
conduit à la formation des milices populaires utilisant les
méthodes superstitieuses de protection, des armes blanches et à
feu pour s'anéantir. Ce sont des groupes armés à tendance
ethnique dénommés : Katuku à Walikale, Ngilima à
Masisi ; Batiri à Rutshuru, Lubero et Beni .
En 1993, des conflit fonciers ont opposé les
populations autochtones (Hunde, Nyanga) à celles d'origine Rwandaise
(Hutu, Tutsi). Ces derniers étaient organisés en une association
dénommée Mutuelle des agriculteurs de Virunga MAGRIVI en sigle.
Les Hunde et Nyanga s'étaient organisés aussi en mouvement «
Katuku >>. Des combats violents allant aux tueries, déplacements
des populations, destruction de l'économie avaient
caractérisé ce conflit.
Un effet de contagion sur les nouveaux mouvements de
résistance naissant qui exprimaient au paravent de besoin de protection
locale avant de nourrir des ambitions à portée régionale
voire nationale. D'autres, à
l'issue des divisions internes vont profiter d'un contexte
politique de recherche effrénée de la paix après les
élections de 2006.
En conséquence, une occupation spatiale de ces
mouvements s'est manifestée sur toute la Province du Sud-Kivu à
l'exception du Territoire d'Idjwi. Certains ont assuré une domination
politique et militaire et d'autres se sont occupés essentiellement de la
dimension militariste. C'est pourquoi, nous voulons comprendre
séparément la genèse de ces mouvements de
résistance, leur physiologie sociale et leur occupation
géopolitique de l'espace.
2.2.1. Sociogénèse, physionomie et
Leadership des mouvements de résistance.
Les informations recueillies permettent une classification de
mouvements de résistance du point de vue de leur genèse.
Il s'agit de types suivants :
- les mouvements de résistance à tendance
nationaliste
- les mouvements de résistance nés du contexte de
guerre.
- les mouvements de résistance nés de
l'opportunisme politique - les mouvements de résistance de
défense locale
- les mouvements de résistance à tendance
ethniciste.
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