Les Partenariats Public-Privé :
un modèle dans les pays émergents
?
Dossier rédigé sous la direction de M. Thierry
COVILLE, professeur du module DVE220 : Le monde des affaires, la rencontre
des civilisations et le marketing multiculturel
SOMMAIRE
Introduction
I- Une solution préconisée par les
organisations multilatérales, les autorités publiques et les
entreprises
a) Le soutien des organisations
multilatérales
Des infrastructures nécessaires pour le
développement économique et social
Les structures d'aide au développement et la crise
b) Avantages pour les pays émergents
Des délais d'exécution rapides
Des bénéfices économiques, sociaux et
politiques
c) Les perspectives économiques pour les
entreprises
Les débouchés pour les entreprises
étrangères
Des partenariats avec les acteurs économiques locaux
II- Les inconvénients du modèle
a) La question de la gouvernance
Le risque de privilégier l'infrastructure au
détriment de la superstructure
Une privatisation des gains contre une socialisation des pertes
?
b) Les limites à la libéralisation de
l'investissement
Les faiblesses d'un statut juridique des PPP imprécis
Les contraintes juridiques d'ordre national
c) Les risques liés aux PPP
Le risque pays
Le risque de la corruption
Conclusion
Annexe 1 : Liste des bénéficiaires
de l'APD établie par le CAD de l'OCDE.
Annexe 2 : Graphique de la répartition
mondiale de la population urbaine ; L'investissement public sur le
déclin ; Part dans le PIB mondial des pays membres et non-membres de
l'OCDE.
Annexe 3 : Tableau de présentation des
contrats de PPP.
Annexe 4 : La part des IDE intra APEC entre 1996
et 2008.
Annexe 5 : Politique d'orientation de
l'investissement direct étranger en Chine.
GLOSSAIRE ET DÉFINITIONS
AFD : Agence Française de Développement APD : Aide
Publique au Développement
CAD : Comité d'Aide au Développement de l'OCDE
BM : Banque mondiale
CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et
le Développement
IDE : Investissements Directs Etrangers IFI : Institutions
Financières internationales
OCDE : Organisation de Coopération et de
Développement Economiques
PED : Pays en Développement
PMA : Pays les Moins Avancés
PNB : Produit National Brut
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
PFR : Pays à Faibles Revenus
PRI : Pays à Revenus Intermédiaires
Les pays émergents :
Les pays bailleurs d'Aide Publique au Développement
(APD) et les organisations multilatérales comme la CNUCED, le PNUD et
l'OCDE classent les Pays en Développement (PED) en quatre
catégories : les Pays les Moins Avancés (PMA), les Pays à
Faibles Revenus (PFR) ou à Revenus Intermédiaires (PRI),
eux-mêmes répartis en une tranche inférieure et une tranche
supérieure.
Si un classement « formel » se montre à bien
des égards hasardeux, du fait de l'évolution rapide de certains
pays, on peut toutefois distinguer les pays dits « émergents
», compris dans les Pays à Faibles Revenus ou les Pays à
Revenus Intermédiaires selon la classification établie par
l'OCDE1, par certains bons résultats macroéconomiques
: un rythme de croissance économique très rapide (entre 5% et 10%
par an), une part plus importante du secteur manufacturier dans leur PNB que
dans les autres PED, un meilleur taux d'emploi, une part croissante des
services, des excédents commerciaux conséquents.
Ils sont situés en Asie, en Amérique latine, en
Afrique, en Europe centrale et au Moyen-Orient. Les Partenariats
Public-Privé :
Les Partenariats Public-Privé, qui ne disposent pas de
statut juridique international, associent des opérateurs privés
aux autorités publiques pour organiser, financer et gérer des
projets d'intérêt public à travers des montages juridiques
et financiers complexes.
Leurs modalités varient d'un pays à l'autre. En
France, la loi du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat a
élargi le recours à ce type de contrats et a clarifié leur
régime juridique et fiscal. Aux termes de la nouvelle loi, le contrat de
partenariat est un contrat administratif par lequel l'État, un
établissement public de l'État ou une collectivité
territoriale, confie à un tiers « une mission globale ayant pour
objet le financement, la construction ou la transformation, l'entretien, la
maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou
de biens immatériels nécessaires au service public ». Il
peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces
ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des
prestations de services concourant à l'exercice de la mission de service
public.
1 Annexe 1 : liste des bénéficiaires de l'Aide
Publique au Développement établie par le CAD de l'OCDE.
Selon la Banque mondiale, environ 85 % de la population mondiale
vit dans des pays en
voie de développement, où l'urbanisation prend
une part de plus importante. Avec une proportion de 67 % de la population
âgée de moins de 35 ans et des prévisions d'accroissement
démographique considérable, les infrastructures
nécessaires pour construire un développement économique et
social de long terme sont une priorité. Et pourtant, la part des
investissements dévolue à ce secteur dans les budgets de beaucoup
de pays en voie de développement se contracte et l'aide publique
accordée par les pays développés membres du CAD de l'OCDE
tend à s'essouffler. Dans ce contexte, la question du financement des
infrastructures, spécialement en milieu urbain, se pose avec une
acuité particulière et des solutions alternatives, comme le
recours aux Partenariats Public-Privé, sont plus que jamais
d'actualité.
Je tenterai dans ce mémoire de montrer en quoi les
Partenariats Public-Privé peuvent être envisagés comme
modèle dans les pays émergents, en indiquant pourquoi les
organisations multilatérales y sont favorables, en présentant
leurs avantages, tant pour les autorités publiques que pour le secteur
privé. J'aborderai en seconde partie les critiques qui peuvent
être faites aux PPP, notamment en ce qui concerne la gouvernance des
projets, mais également les difficultés rencontrées par
les opérateurs privés internationaux dans le processus de la
libéralisation des marchés et je soulignerai les risques et
inconvénients que de tels partenariats peuvent présenter.
Mon propos pourra être illustré par des
situations concrètes rencontrées au cours du développement
de Veolia Transport en Asie, relatées par M. Angotti, Directeur
général de la zone Asie-Pacifique, lors d'un entretien qui m'a
été accordé en décembre 2010.
I- UNE SOLUTION PRÉCONISÉE PAR LES
ORGANISATIONS MULTILATÉRALES, LES AUTORITÉS PUBLIQUES ET LES
ENTREPRISES
a) Le soutien des organisations
multilatérales
1) Des infrastructures nécessaires pour le
développement économique et social
D'après la révision des perspectives de la
population mondiale des Nations unies2, en un demi-siècle
(1960-2010), la population mondiale a plus que doublé, passant de 3
à 6,9 milliards d'habitants, la population urbaine passant quant
à elle de 1 à 3,5 milliards d'habitants. En 2008, on estimait que
la population mondiale serait de 7 milliards d'habitants en 2011, puis 9
milliards en 2045, le nombre de citadins devant arriver à 5 milliards en
2030.
Si la population augmente de manière
générale, elle connaît en revanche des variations
importantes selon les pays : la ville de Shangaï en Chine compte par
exemple presque deux fois plus d'habitants que la Tunisie toute
entière3.
En 2007, l'Asie représentait déjà la
moitié de la population urbaine mondiale. Si, comme l'Afrique, elle
devrait rester moins urbanisée que les autres zones géographiques
mondiales (65 % en 2050 contre 90 % en Amérique du Nord, 88 % en
Amérique latine et 80 % en Europe), il faut noter que sa population
urbaine étant actuellement de 42 %, elle connaîtrait une
croissance de 23 % entre 2010 et 2050, alors que la hausse en Amérique
latine, comme aux Etats-Unis et en Europe, ne devrait être que d'environ
8 %4.
2 Perspectives de la population mondiale : révision de
2008. Nations Unies, 2009.
3 Le financement de la ville, Revue d'économie
financière n°86, 01/11/2006, p. 325.
4 Annexe 2 : Graphique de la répartition mondiale de la
population urbaine en 1957, 2007 et 2050.
Il va de soi qu'une telle croissance démographique se
traduit par des besoins en investissements colossaux, sachant qu'en terme
d'infrastructures, le monde en développement accuse déjà
un retard très important. En effet, selon la Banque mondiale, environ
1,6 milliard de personnes ne sont pas raccordées à
l'électricité, 1,2 milliard de personnes n'ont pas accès
à l'eau potable, et 2,4 milliards ne disposent pas de conditions
sanitaires satisfaisantes.
Rien que pour l'Asie, qui compte à elle seule trois des
quatre pays du monde les plus peuplés (Chine, Inde, Indonésie),
les besoins en infrastructures ont été estimées à
280 milliards de dollars par an pour les 25 ans à venir5,
contre 600 milliards de dollars sur l'ensemble des pays en
développement. Ces chiffres concernent le secteur des infrastructures
dans son ensemble : énergies, télécommunications,
transports, eau potable, drainage et assainissement, services urbains, à
l'exclusion des équipements publics et de l'habitat.
Ainsi, la modernisation des centrales électriques et
des unités industrielles, des systèmes de transport en commun et
de gestion des déchets urbains, est devenue une ardente obligation en
particulier pour linde et la Chine.
2) Les structures d'aide au développement dans un
contexte de crise
A titre de comparaison, le montant total de l'Aide Publique au
Développement mondiale en 2009 était d'un peu moins de 120
milliards de dollars USD6, dont à peu près 6 %
d'annulation de dettes... L'aide apportée par la Banque mondiale pour
les infrastructures est par ailleurs relativement limitée, soit 8
milliards USD par an tous pays confondus, d'après des chiffres de 2006,
avant la crise.
La courbe de la baisse des investissements publics
illustrée par le graphique7 concernant l'Amérique
latine ressemble à s'y méprendre à celle de l'Aide
Publique au Développement pendant les années 90. Et bien que
« la solidarité internationale ait connu un certain regain
pendant la décennie qui vient de s'achever », selon les termes
de la rapporteure pour la commission des affaires étrangères de
l'Assemblée nationale Nicole Ameline8, « le montant
des déficits publics est aujourd'hui tel qu'il rend évidemment
l'engagement des pays développés de consacrer 0,7 % de leur RNB
à l'APD plus difficile à tenir que jamais ».
Au regard des ordres de grandeur des enjeux décrits
précédemment, bien que très approximatifs et
peut-être en-dessous de la réalité, les bailleurs de fonds
internationaux ne peuvent intervenir qu'à la marge et sont amenés
à se tourner vers des solutions alternatives, d'autant plus
justifiées à leurs yeux qu'aujourd'hui, le rapport dette/PIB des
20 marchés émergents les plus importants n'est que la
moitié de celui des pays les plus riches et que d'ores et
déjà, le nombre de pays en développement convergeant
fortement avec les pays de l'OCDE est passé de 12 à 65 entre 1990
et 2010.
Devant le virage amorcé par les pays émergents
et contraintes par la faiblesse des budgets publics alloués aux
infrastructures, la Banque mondiale et le FMI, appellent donc les pays
émergents à faire davantage appel au secteur privé.
Dans un article intitulé « Faire une place
à l'investissement public »9, Teresa Ter Minassian,
Directrice du département des finances publiques du FMI, écrivait
que « les Partenariats Public Privé (PPP) promettent
d'augmenter l'offre de services, en particulier d'infrastructures, sans peser
excessivement sur les finances d'un pays ».
Ainsi, des mécanismes pour répondre aux besoins
en fonds de roulement et en capital de projets d'infrastructures viables,
financés soit par des entreprises privées, soit par des
Partenariats Public-
5 Le financement de la ville, Revue d'économie
financière n°86, 01/11/2006, p. 312.
6 Tableau de l'Aide Publique au Développement, OCDE, 14
avril 2010.
7 Annexe 2 : l'investissement public sur le déclin,
Société Financière Internationale et OCDE, 2008.
8 Aide au développement, quel équilibre entre
multilatéralisme et bilatéralisme ? Rapport d'information n°
3074, 2010
9 Finances & Développement, déc. 2004.
http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2004/12/pdf/hemming.pdf
Privé, ont été mis en place dès
2008 à travers l'International Finance Corporation, institution de la
Banque mondiale chargée des opérations avec le secteur
privé.
Considérant que les infrastructures dans les pays
émergents sont « nécessaires aussi bien à la
reprise économique qu'au développement à long terme
», la Banque mondiale est à l'initiative de séminaires
de formation et de conseil à destination des décideurs et acteurs
économiques des PPP.
Le premier, organisé par la Banque mondiale, le World
Bank Institute et la Banque Asiatique de Développement, s'est tenu
à Washington en décembre 2008, réunissant 150
haut-fonctionnaires, représentants du secteur privé, donateurs et
praticiens des PPP. Le deuxième s'est tenu en 2010 à Manille aux
Philippines.
b) Avantages pour les pays émergents
1) Des délais d'exécution rapides
Dans un Partenariat Public-Privé, le secteur
privé construit et exploite des infrastructures pour le compte des Etats
ou des collectivités territoriales, généralement par le
biais d'une mise en concurrence, d'un dialogue compétitif, d'une
procédure négociée ou d'un appel d'offres, et selon des
modalités qui varieront en fonction du degré d'implication de
l'entrepreneur privé10.
Depuis les années 80, cette pratique s'est
développée, que ce soit dans les pays riches - comme au
Royaume-Uni, où Tony Blair s'en est fait le promoteur principal, en
rénovant un parc hospitalier qui périclitait - ou encore dans les
Pays en voie de Développement.
Après une chute due à la crise de 1997 et
à l'incertitude des marchés en ayant résulté, les
PPP ont de nouveau augmenté significativement. A l'origine de ce choix,
on trouve naturellement les budgets contraints des Etats et la
nécessité par ailleurs d'accélérer la mise en
oeuvre de projets urgents.
L'intervention du secteur privé permet ordinairement de
raccourcir les délais car il dépend beaucoup moins de la
disponibilité de la ressource budgétaire. De plus, l'entreprise
privée à laquelle il sera fait appel dispose en théorie
d'une expertise dans son domaine de compétence qui
accélérera d'autant la construction et la mise en service. Si en
outre l'opérateur possède une expérience solide des PPP,
le gain de temps n'en sera que plus grand.
La rémunération du partenaire privé
étant substantiellement liée au résultats d'exploitation
du service dans le cas d'une délégation de service public, ou
à des revenus annexes dans le cas de partenariats classiques ou de
marchés publics remportés par appels d'offres, le concessionnaire
aura tout intérêt à être diligent dans
l'exécution du contrat.
Ainsi, Veolia Transport, qui a remporté en 2010 l'appel
d'offres pour l'exploitation de 40 % du parc de bus de Macao, devra être
opérationnel pour le 1er août 2011.
Sans vouloir entrer dans des considérations
idéologiques, il apparaît toutefois que le recours au secteur
privé puissent permettre aux pays émergents de s'abstraire de
modèles où les structures publiques peuvent parfois montrer
inefficacité ou lenteur, essentiellement du fait de procédures
administratives longues ou parce qu'elles ne fonctionnent pas selon le principe
de rentabilité.
2) Des bénéfices économiques, sociaux
et politiques
Selon Corinne Namblard, dans sa contribution intitulée
« Pour une approche pragmatique du Partenariat Public-Privé
»11, « en faisant appel à des fonds
privés, le partenariat public privé
10 Annexe 3 : Présentation d'ensemble des contrats de
Partenariat Public-Privé - Union des Transports Publics, 2010.
11 Financement des infrastructures et des services collectifs, le
recours aux partenariats public-privé, les enseignements des
expériences françaises dans le monde, Presses de l'Ecole
nationale des Ponts et Chaussées, 2000, p. 19.
permet parfois de développer des projets avec peu,
voire pas de dépenses pour l'autorité publique (même si un
certain niveau de subventions est souvent nécessaire). Le coût du
service peut, dans de nombreux cas, être alors transféré
aux usagers (péages routiers, facturation de l'eau, etc.) en leur
faisant payer un prix proche des coûts réels, moyennant une
campagne d'acceptation - travail que se doit d'effectuer l'autorité
publique ».
Si le service en question présente une augmentation
importante du prix préalablement pratiqué, il y a fort à
parier qu'il sera ressenti comme une évolution négative.
Toutefois, ce jugement mérite d'être nuancé à la
lumière des améliorations apportées.
Les opérateurs privés peuvent choisir, dans le
cadre de leur Responsabilité Sociale et Environnementale, de
réaliser une campagne marketing mettant en avant les avantages en termes
de consommation d'énergie, de réduction de la pollution ou de
qualité de service rendu, ou tout autre bénéfice
apporté.
En tout état de cause, le partenariat doit être
conçu en vue d'apporter le meilleur service, au meilleur prix, de
manière à satisfaire la plus grande clientèle et le
service au citoyen doit être réel et tangible, sous peine d'aller
au devant d'insatisfactions à plus ou moins courte
échéance, préjudiciables au partenaire privé ainsi
qu'à l'autorité publique. C'est pourquoi la préoccupation
des acteurs ne doit pas être uniquement financière. Il importe
donc d'être vigilant sur le respect d'un cahier des charges établi
en fonction des attentes prioritaires et de la viabilité
économique du projet.
Des PPP réussis ont des effets bénéfiques
à plusieurs titres : axés sur la qualité de service, ils
peuvent mieux prendre en compte la demande et s'adapter plus rapidement
à ses évolutions, permettant par là-même une
accélération de la modernisation de l'économie. De plus,
des montages effectués avec des opérateurs de grande envergue
attirent des capitaux internationaux, l'image du pays pourra en être
améliorée et par effet catalyseur, le développement d'un
marché financier local sera facilité.
Une réalisation rapide des projets
bénéficiera prioritairement à la population, mais
également aux pouvoirs politiques, qui pourront s'en prévaloir et
parfois même y « attacher » leur nom12.
c) Les perspectives économiques pour les
entreprises
1) Les débouchés pour les entreprises
étrangères
Entre 2007 et 2010, les marchés émergents les
plus importants (le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine) ont
réalisé 45 % de la croissance mondiale, presque deux fois leur
contribution sur la période 2000-2006 et trois fois celle des
années 9013.
Dans les pays développés, on tente de se
rassurer en disant que les pays émergents, même si leur part dans
la croissance mondiale augmente, ne peuvent prétendre au rôle
moteur de l'économie mondiale, car c'est en Amérique du Nord que
réside en dernière analyse la demande pour leurs exportations.
Mais l'argument a du plomb dans l'aile depuis que la Chine a
dépassé l'Amérique comme premier marché de
destination des biens produits par les petits exportateurs asiatiques.
Selon des prévisions de l'OCDE, les économies
des pays en développement et des pays émergents sont susceptibles
de représenter près de 60% du PIB mondial en 2030,
dépassant le poids économique de l'ensemble des pays
développés14.
Touchés comme les pays développés par la
crise économique mondiale, la plupart des
économies émergentes ont retrouvé dès le
deuxième trimestre 2009 une croissance vigoureuse, renouant avec
12 Ibid, p. 17.
13 Pays émergents : un nouvel équilibre mondial ?
Revue Problèmes économiques, n°2993, avril 2010, p.9.
14 Annexe 2 : Part dans le PIB mondial des pays membres et
non-membres de l'OCDE.
des taux d'environ 10 % alors que les pays
développés se débattaient toujours avec une croissance
atone de 2 %.
En outre, si les précédentes récessions
avaient ruiné la réputation de bons gestionnaires de la plupart
des pays en développement, cette fois, la réponse
budgétaire de nombreux marchés émergents - qui ont
joué la prudence, en surprenant plus d'un - a renforcé leur
crédibilité et ce sont au contraire les pays riches dont la
réputation a pâti.
Ce bon comportement est d'ores et déjà
récompensé par les marchés financiers et la propagation du
risque souverain est moins à craindre dans les grands marchés
émergents que dans certains pays de la zone euro. Tous ces
éléments ne doivent bien-sûr pas occulter les risques de
l'inflation galopante, mais l'un dans l'autre, les pays émergents se
sont plutôt mieux sorti de la crise que le reste du monde.
Les grands groupes internationaux ayant pour coeur de
métier le développement urbain (bâtiment public,
transports, gestion de l'eau, des déchets...) sont bien conscients qu'au
cours des prochaines décennies, la croissance, qu'elle soit
économique, démographique et en particulier urbaine, se trouvera
dans les pays émergents.
Ils sont donc amenés, malgré les risques
existant, à y chercher leur développement dans le cadre de la
consolidation mondiale de leurs industries.
2) Des partenariats avec les acteurs économiques
locaux
Bien souvent, pour avoir accès aux marchés des
pays émergents, les opérateurs internationaux doivent s'allier
avec des partenaires économiques locaux qui s'imposent parfois par le
savoir-faire qu'ils apportent en tant qu'opérateurs historiques ou par
leurs compétences spécifiques, mais les autorités
publiques peuvent aussi les imposer, notamment lorsqu'il s'agit de «
champions nationaux ».
Ainsi, la concession pour la ligne 9 du métro de
Séoul, accordée en 2008 à un consortium détenu en
partie par Veolia Transport, qui exploitait cette ligne depuis avril 2004, est
composée de financiers internationaux et locaux, d'entreprises de BTP
privées locales et le matériel roulant est fourni par Hyundai
Rotem, société coréenne de dimension internationale.
En Chine, où dans le domaine des transports une
société ne peut toujours pas être détenue à
plus de 49 % par une entreprise étrangère, la question est vite
réglée : l'acteur économique local est un partenaire
obligatoire.
En Inde, où Veolia Transport a réalisé
une très grosse opération en devenant le premier opérateur
privé pour la première ligne de métro de Mumbai, les
démarches sont moins compliquées car l'ancienne colonie
britannique, influencée par le droit anglais, pratique couramment les
concessions. Le consortium, dans lequel Veolia Transport possède 5 % des
parts, s'est constitué avec Reliance Infrastructure Limited (RIL), un
poids-lourd des infrastructures indien.
On pourrait s'étonner de la part peu importante de
Veolia Transport au capital, toutefois, selon son Directeur
général pour la zone Asie-Pacifique, l'intérêt n'est
pas de posséder une grande part du capital (à moins d'être
majoritaire, bien-sûr) mais d'accéder à la
possibilité d'exploiter une ligne qui va devenir un modèle pour
toute l'Inde. La ligne 1 de Mumbai devrait en effet accueillir 600 000
passagers par jour, soit à peu près le débit du RER en
région parisienne...
L'opérateur français a d'ores et
déjà transformé l'essai, en s'alliant de nouveau avec
l'actionnaire majoritaire indien RIL et en devenant l'opérateur de la
future ligne 2. En termes de synergies et d'économies d'échelle,
il y a un intérêt pour les autorités indiennes à
avoir sur ces deux lignes le même opérateur fonctionnant avec le
même actionnaire majoritaire indien, argument de Veolia
Transport pour remporter ce marché.
A Hong Kong, Veolia Transport a racheté en 2009 le
« Ding-Ding », véritable symbole de la ville, en fonction
depuis 1904. Pour réaménager les voitures afin les rendre plus
confortables, le groupe s'est associé à des entreprises locales
car les rames ne sont pas « standards » et demandent un travail
artisanal. Son souhait est de faire du Ding-Ding une vitrine pour
démontrer sa capacité à exploiter un transport public
« rail » en Asie. L'exploitant français espère aussi
réaliser d'autres opérations à Hong-Kong, la
rénovation du métro étant très clairement
envisagée.
De manière générale, la conduite à
tenir est la plupart du temps dictée par le « bon sens commercial
» ou les contraintes imposées par le pays émergent où
le Partenariat Public-Privé est envisagé.
II- LES INCONVÉNIENTS DU MODÈLE
a) La question de la gouvernance
1) Le risque de privilégier l'infrastructure au
détriment de la superstructure
La stratégie d'ouverture sur l'économie mondiale
est comme nous l'avons vu l'une des caractéristiques de la
réussite macro-économique des pays émergents.
L'industrialisation par promotion des exportations en est une des facettes, par
laquelle les pays émergents cherchent à exporter des produits
transformés plutôt que des produits primaires. Pour réussir
cette stratégie, ils recourent aux capitaux étrangers, notamment
les Investissements Directs Etrangers (IDE), pour développer des
transferts de technologie.
Le recours aux Partenariats Public-Privé participent de
la même démarche. L'avantage retiré des ressources
privées leur permettant d'épargner leurs budgets publics est
malheureusement parfois contrecarré par la structure en actionnariat des
entreprises privées, qui fera tôt ou tard valoir ses
impératifs de rentabilité.
Le partenaire privé pourra alors être
amené à vouloir imposer « son modèle » et mettre
en porte-àfaux l'autorité publique, qui aura toutes les peines du
monde à se désengager. La question sousjacente est celle de la
souveraineté et du contrôle de la gouvernance.
Selon Marx, qui a opposé l'infrastructure d'une
société (son mode de production) et sa superstructure, qui
comprend l'organisation juridique (le droit), l'organisation politique (l'Etat,
les partis), le système de valeurs (la religion, l'idéologie,
etc.), une superstructure caractérise tout mode de production, mais elle
en est le reflet, la conséquence15.
Comme pour les IDE « classiques », le revers de la
médaille peut aussi être une aggravation de la dépendance
technologique à laquelle ils devront faire face, parfois le gaspillage
de ressources mais également parfois indirectement les affres des crises
des marchés financiers, s'ils sont devenus trop tributaires de ces
derniers, dont les conséquences seront une amère
désillusion et le regret de s'être engagés dans la voie du
capitalisme.
En Malaisie, le Premier Ministre Mohamad Mahatir, au pouvoir
de 1981 à 2003, a dénoncé, selon ses termes, le «
comportement néocolonialiste » du FMI et refusé son aide en
préservant du même coup la souveraineté de son pays. Il n'a
pas eu à le regretter, car ses résultats ont été
nettement meilleurs que dans de nombreux pays en développement sur la
même période.
2) Une privatisation des gains contre une socialisation des
dettes ?
15 Dictionnaire d'économie et de sciences sociales,
Hatier, 2006.
Si l'adage des opposants au libéralisme
économique peut paraître quelque peu galvaudé, il trouve
néanmoins une place de choix dans l'arsenal sémantique des
pourfendeurs du Partenariat PublicPrivé, parfois à raison.
En effet, les déconvenues rencontrées dans les
pays développés, comme par exemple la lourdeur des remboursements
des emprunts contractés à des taux d'intérêts
supérieurs à ceux qu'auraient pu obtenir l'Etat, font leur chemin
médiatique16 et véhiculent leur image
négative.
Cet inconvénient, qui doit en théorie être
évité par une bonne maîtrise du volet financier du
partenariat par l'autorité publique, ne peut toutefois pas être
complètement écarté. Les organisations
multilatérales et les structures d'Aide Publique au
Développement, qui peuvent, au moins en partie aider les pays
émergents en garantissant leurs emprunts, monnayent ce rôle.
En France, l'Agence Française de Développement
et plus particulièrement sa filiale Proporco, qui se concentre sur le
secteur productif des entreprises, les systèmes financiers, les
infrastructures et le capital-investissement, font l'objet de critiques acerbes
dans le monde du développement.
Effectivement, l'institution financière, qui a pour
mission de favoriser les investissements privés dans les Pays Emergents
et en Développement, reste avant tout une banque, avec des objectifs de
rentabilité. Conséquence de la crise financière de 2008,
qui a asséché les financements publics, Proparco a
enregistré des résultats records en 2009, dépassant le
milliard d'euros d'engagements, soit une croissance de l'activité de 42
% par rapport à 2008. Et son bilan a avoisiné les 2 milliards,
plus du double de celui de 200717.
Pierre Jacquet, Directeur de la stratégie et chef
économiste de l'AFD, a rappelé opportunément que
« nombre d'opérations imposées de l'extérieur
n'ont pas contribué à la consolidation de la « culture
» des PPP dans les pays en développement ».18
Selon lui, « les partenaires locaux doivent comprendre que les
entreprises, nationales ou étrangères, ne sont pas philanthropes.
La qualité et la durabilité de leurs opérations
dépend de leur profitabilité. La politique de tarification doit
à la fois permettre aux opérateurs, publics ou privés, de
recouvrer les coûts, tout en rendant les services abordables pour les
populations défavorisées. Il y a là aussi un rôle
pour les agences d'aide, qui pourraient par exemple envisager de prendre en
charge par l'APD une partie de la facture ».
Ce n'est toutefois pas le cas. Et Thierry Paulais, responsable
de la division du développement urbain à l'AFD19,
suggérait quant à lui en 2006 de concentrer les subventions et
prêts très concessionnels sur les pays les plus pauvres, qui n'ont
pour beaucoup aucune capacité d'investissement, et d'encourager les pays
émergents, avantagés par leur croissance, à investir dans
les infrastructures en se finançant sur les marchés des capitaux
privés ou auprès des bailleurs de fonds internationaux à
des conditions relativement proches de celles du marché.
b) Les limites à la libéralisation de
l'investissement
1) Les faiblesses d'un statut juridique des PPP
imprécis
L'absence d'un cadre juridique international et la
multiplicité des formes que peut prendre les Partenariats
Public-Privé, même s'ils permettent une souplesse de fait, ne
comportent pas que des avantages.
Pour clarifier la notion de PPP, la Commission
européenne a présenté en 2004 un Livre vert sur
les
16 Partenariats Public-Privé : le Royaume-Uni
déchante - Alternatives économiques n° 246 - Avril 2006.
17 L'AFD, bras armé de l'Aide Publique au
Développement - Le Figaro, 4 octobre 2010.
18 Allier public et privé - Le Monde, 9 novembre 2004.
19 Le financement de la ville, Revue d'économie
financière n°86, 01/11/2006.
partenariats public-privé et le droit communautaire
des marchés publics et des concessions.
En réaction à ce livre vert, de nombreuses
demandes ont été formulées en faveur d'une initiative de
l'Union européenne pour statuer sur la réglementation applicable
en la matière, et surtout sur le choix des partenaires du privé
dans les « PPP institutionnalisées » (PPPI). Toutefois, pour
préserver la souplesse nécessaire au développement de
cette forme d'investissement, encore trop peu utilisée selon elle, la
Commission européenne a décliné l'option
législative et opté pour une clarification des règles
applicables dans le domaine des marchés publics et des concessions dans
une communication officielle en 200820.
Timidement, cette déclaration rappelle la
nécessité du respect des principes d'égalité de
traitement, de libre-circulation et de non-discrimination, impliquant une
obligation de transparence.
Fin 2009, le président de la Commission
européenne José Manuel Barroso, encourageait le recours aux PPP
en déclarant : « ... les partenariats public-privé peuvent
aider les autorités publiques à créer de l'emploi en
continuant à investir dans le futur (....) S'ils sont correctement
planifiés et exécutés dans le respect de
l'intérêt public à long terme, les PPP peuvent augmenter
les investissements dans les soins de santé, l'enseignement et les
systèmes de transport durables de qualité. Ils peuvent aider
à lutter contre les changements climatiques et à améliorer
l'efficacité énergétique. Nous souhaitons que les
autorités publiques utilisent davantage et plus efficacement les PPP
».
Il n'en demeure pas moins que le manque de clarté
associé aux PPP nuit à sa progression, l'engagement dans ce type
d'investissement nécessitant une expertise spécifique en la
matière, que les responsables des pays émergents ne
contrôlent pas forcément. Ajoutée à la
difficulté d'être en concurrence avec des opérateurs locaux
bien implantés, l'incertitude juridique pesant sur ce modèle ne
favorise pas l'accès aux marchés étrangers des entreprises
internationales par ce processus.
Ainsi, en Corée du Sud, Valérie Beaudouin,
Directrice du département Législation et affaires
européennes de l'Union des Transports Public pour la France, a
facilité les démarches juridiques pour la mise en place du
partenariat entre Veolia Transport (adhérent de l'UTP) et le
gouvernement sud-coréen, pour le contrat de la ligne 9 du métro
de Séoul.
Pour pallier cet inconvénient du PPP, il s'agit pour
les entreprises privées ce parvenir à établir des
relations suffisamment bonnes avec les autorités publiques pour pouvoir
aborder la complexité des montages sereinement et surmonter les
difficultés afférentes.
2) Les contraintes juridiques d'ordre national
De manière générale, l'instabilité
macro-économique, la forte inflation et des taux d'intérêt
élevés, les faibles circuits de financement et la protection
insuffisante des droits de propriété intellectuelle freinent
l'accès du secteur privé aux marchés émergents, en
particulier lorsque les entreprises sont étrangères et peu
rodées aux législations nationales des pays en question.
Dans une étude publiée en décembre 2010,
la CNUCED a examiné les régimes nationaux de l'investissement et
les engagements internationaux de 13 pays membres de l'APEC21. Ses
conclusions révèlent que « si les pays de l'APEC ont
atteint un haut niveau de libéralisation et se sont dotés de
régimes transparents et favorables à l'investissement, en
revanche, tous conservent quelques restrictions sectorielles à
l'investissement, sous la forme d'interdictions ou de plafonnements des
capitaux pouvant être investis ».
20 Communication interprétative de la Commission du 5
février 2008 concernant l'application du droit communautaire des
marchés publics et des concessions aux partenariats public-privé
institutionnalisés (PPPI)
21 Australie, Canada, Chili, Corée du Sud, Etats-Unis,
Hong Kong, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou,
Singapour, Vietnam.
Si cette étude est intéressante en nous
apprenant notamment que les Investissements Directs Etrangers se font encore
pour une grande part (38 %) entre pays de l'APEC22, elle exclue par
contre la Chine.
L'OCDE, qui a consacré plusieurs rapports à la
Chine, souligne que les fusions et acquisitions transnationales sont possibles
dans ce pays, mais qu'elles restent pour certaines soumises à
restrictions.
En 1998, neuf secteurs industriels étaient encore
fermés à la concurrence, notamment aux entreprises à
investissement étranger : le tabac, le pétrole et le gaz, la
production d'électricité, le bois d'oeuvre, la transformation du
pétrole, les métaux, le transport et les produits chimiques de
base »23.
Depuis son adhésion à l'OMC en décembre
2001 et l'ouverture à l'économie de marché qu'elle
suppose, le plus grand marché potentiel du monde rend fous les candidats
aux Investissements Directs Etrangers (IDE).
En effet, selon l'examen de l'OCDE des politiques de
l'investissement en Chine24, « malgré une profusion
de textes sur les fusions et acquisitions, des incertitudes demeurent dans
nombre de domaines, tels que les limites sectorielles ».
Ainsi, le gouvernement chinois se borne à
répéter à l'envi que les domaines considérés
comme des « secteurs stratégiques » restent fermés aux
fusions et acquisitions transnationales, toute la difficulté
résidant dans l'imprécision entourant la définition de ces
« secteurs stratégiques », dans l'absence d'une liste
complète de ces secteurs et l'inexistence d'un lieu unique où les
investisseurs potentiels peuvent se renseigner sur la classification ou non
dans cette catégorie du domaine dans lequel ils souhaitent mener une
fusion ou une acquisition.
La Commission Nationale pour le Développement et la
Réforme (CNDR) publie certes régulièrement les
classifications des projets interdits, soumis à restrictions,
autorisés et encouragés, mais de manière anarchique et de
plus, la Commission ajoute à chaque fois presque autant de restrictions
qu'elle en supprime.
En somme, les procédures de fusions-acquisitions
transnationales demeurent compliquées et obscures, passant par trop
d'organismes gouvernementaux différents, dont les étapes ne sont
ni répertoriées ni regroupées et génèrent
démarches inutiles et pertes de temps. Je dirai en conclusion que cela
ressemble fort à un casse-tête chinois !
De façon diamétralement opposée, en Inde,
où on a vu précédemment qu'il est nettement plus facile de
créer une joint-venture ou un consortium, le problème est la
tenue des délais. Ainsi, le Directeur général de Veolia
Transport, déplore un retard énorme dans la construction des 12
km en viaduc de la ligne 1 à Mumbai. Toujours en phase de
préparation, l'exploitant, associé à des
sociétés de BTP locales et au géant des infrastructures
indien RIL, espère une ouverture partielle au plus tôt en
décembre 2011, voire au printemps 2012.
Les défauts du modèle de Partenariat
Public-Privé sont donc en partie intrinsèques et ne pourront
être résolus que par l'adoption de règles internationales
instaurant un statut juridique aux PPP, ce qui semble improbable. Ils tiennent
d'autre part à certains facteurs macro-économiques
défavorables des pays émergents, ainsi qu'à des
complications administratives plus susceptibles d'être résolues
sur le long terme, grâce notamment à l'OMC ou à la
pugnacité des juristes des entreprises internationales
privées.
22 Annexe 4 : La part des IDE intra APEC entre 1996 et 2008,
Chine exclue.
23 La Chine dans l'économie mondiale - OCDE, 2002. Voir
annexe 5.
24 Examen des politiques de l'investissement en Chine - OCDE,
2006.
c) Les risques liés aux PPP
1) Le risque pays
L'un des cas les plus emblématiques de ce qu'on
qualifie soit de « situation intenable », soit de «
pillage », selon de quel côté on se trouve, est
l'affaire du conflit de Suez contre l'Etat argentin, qui a débuté
en 2006 et s'est dénouée en 2010.
Sur fond de querelles politiques et d'idéologies
franchement opposées entre l'ancien président argentin Carlos
Menem, qui avait décidé au début des années 90 la
privatisation du service de l'eau dans les villes de Buenos Aires et Santa Fe,
et le nouveau président Nestor Kirchner, investi en 2003 et très
hostile aux opérations des « firmes étrangères
qui ont pillé l'Argentine », Suez, qui estimait avoir perdu
plus de 700 millions d'euros entre 2001 et 2005 depuis la dévaluation du
peso lors de la grave crise économique qui a touché le pays,
s'est heurté à un refus catégorique de son partenaire
public lorsqu'il a voulu augmenter le tarif de l'eau pour compenser la
dévaluation du peso.
Illustration du risque-pays s'il en est, l'affaire n'en a pas
fini de détériorer les relations entre l'opérateur
privé et l'Etat argentin, qui lui reprochait par ailleurs le
licenciement sans ménagement de 4 000 salariés de l'usine lors de
sa reprise en main en 1993.
Le désaccord s'est soldé par une
renationalisation du service de l'eau et l'affaire a eu un retentissement
mondial, car elle était devenue le symbole de la question
extrêmement sensible de la privatisation de l'eau.
Le Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements (Cirdi) - une cour arbitrale
qui, sous l'égide de la Banque mondiale, tranche les conflits entre les
Etats et les sociétés privées - a finalement donné
raison à Suez à propos de la rupture du contrat de concession de
distribution et d'assainissement de l'eau des villes de Buenos Aires et Santa
Fe. Il passera sans doute de l'eau sous les ponts avant que les Argentins se
réaventurent dans un partenariat semblable...
2) Le risque de la corruption
Il est rare qu'une législation interne
spécifique existe en matière de passation des contrats de
concession dans les pays en développement, du fait de la
spécificité et de la complexité du PPP. C'est pourquoi il
faut être prudent lors de la conclusion du contrat, tant du
côté de l'entreprise que de l'autorité publique.
Lorsque les opérations se déroulent sous
l'égide des bailleurs de fonds, ceux-ci s'efforcent de faire respecter
une certaine transparence dans la procédure de sélection du
cocontractant et les risques de corruption s'en trouvent réduits.
Le fait que les entreprises des pays membres de l'OCDE
candidates à un Partenariat Public-Privé soient désormais
liées par les dispositions de la convention anti-corruption du 21
novembre 1997, ne prémunit pas pour autant les partenaires contre ce
type de délit, surtout si le pays émergent cocontractant n'est
pas signataire de la convention.
En la matière, la mauvaise publicité pour
l'entreprise ou pour le pays émergent qui pratiquerait la corruption, la
longueur du procès et les éventuelles sanctions encourues, sont
des éléments dissuasifs qui devraient les mettre en garde mais ne
garantissent évidemment pas que les partenaires s'en abstiendront.
En Chine, la corruption, parmi d'autres délits de
nature économique, fait partie des 68 crimes ou délits passibles
de la peine de mort, ce qui est assez dissuasif.
Cependant, lors de son ouverture à l'économie de
marché, commencée depuis la fin des années 70,
les autorités chinoises, ont admis qu'il fallait non
seulement alléger et rationaliser l'administration, mais aussi en
limiter le pouvoir. Elles ont engagé la réduction du nombre
d'agréments et de licences délivrés par l'administration
par une réforme que l'on appelle en Chine « Yifa xingzheng »
(mise en conformité de l'administration avec la loi), principalement
motivée par une volonté de rendre l'administration plus efficace,
plus transparente, et par là même de lutter contre la
corruption.
Il faut noter que cette réforme s'inscrivait dans le
cadre de la refonte générale annoncée en 1998, mais que,
selon l'OCDE, les résultats avaient été peu tangibles dans
un premier temps. Il a fallu attendre que la rationalisation de l'Etat central
soit menée à bien au début des années 2000 pour
constater les premières améliorations.
En tout état de cause, pour prévenir toute issue
désastreuse à un éventuel contentieux lié à
de la corruption dans quelque pays que ce soit, il est préférable
d'introduire dans le contrat une clause d'arbitrage international, afin que, si
contentieux il y a, l'affaire ne se retrouve pas devant la juridiction
nationale du pays émergent car il y a toujours un risque que celle-ci ne
soit pas réellement indépendante.
Conclusion
Dans le contexte actuel, les institutions
multilatérales, les pays émergents et les entreprises
privées ont un intérêt bien compris à interagir, les
uns pour ménager leurs budgets publics et les autres pour y trouver des
croissances telles qu'il n'en rencontrent plus sur les marchés
matures.
Si combler le retard des pays émergents en
matière d'infrastructures et de services est primordial pour assurer de
meilleures conditions de vie aux populations et pour construire un
développement de long terme, ce but ne pourra pas être atteint
sans inconvénients ni risques.
En effet, le modèle économique des entreprises
privées est bien éloigné de celui des entreprises
publiques et répond malgré toute la bonne volonté des
parties à des critères de rentabilité. La réussite
sur le long terme du PPP implique donc un délicat équilibre entre
l'impérieuse nécessité de recouvrir les coûts
engagés et celle de délivrer une prestation de qualité
abordable pour les populations.
Or, les risques sont multiples et tiennent au moins autant
à la nature juridique complexe des PPP qu'aux obstacles politiques,
économiques ou réglementaires qui pourront être
rencontrés dans les pays émergents. La gouvernance n'est pas le
moindre des détails dans ce genre de processus et le pays
émergent qui fera le choix du PPP doit être conscient qu'il y
perdra sans doute un peu de sa souveraineté. L'entreprise privée
ne sera elle pas à l'abri de risques pays qui pourront mettre en
péril son modèle de développement. Les parties devront en
tout état de cause se défier de possibles affaires de corruption
et miser sur les bons partenaires.
En somme, la perspective des bénéfices
apportés par le modèle des partenariats Public-Privé de
part et d'autre ne doit pas faire oublier aux différents acteurs qu'ils
travailleront ensemble pour ainsi dire sans filet, si ce n'est celui des
garanties bancaires, qu'il convient aujourd'hui de manipuler avec
précaution...
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