INTRODUCTION
La montée en puissance de la Chine depuis
l'année 1978, qui marque l'émergence du concept «
d'économie socialiste de marché » dans le discours de Deng
Xiaoping à Shenzhen (province du Guangdong), ne cesse d'impressionner ou
d'inquiéter le monde, autant sur le plan politique,
qu'économique. Le « dragon vert »1 semble
ne cesser de grossir depuis cette époque et d'étendre son
influence à travers le monde et ce, malgré les crises
économiques sévères des années 1990 avec tout
particulièrement la crise asiatique de 1997 dont la Chine ne subit aucun
contre coup, et récemment la crise financière de 2008 dont le
pays s'en remit bien plus rapidement que prévu par les
spécialistes économiques de tout bord. En effet cette crise qui
mit à mal l'économie américaine et cassa la consommation
des ménages devait, selon les experts, fortement toucher la Chine et son
taux de croissance, car son économie étant majoritairement
tournée vers l'extérieur, et en particulier vers le marché
américain en ce qui concerne l'écoulement des produits
manufacturés. Cependant, malgré une légère
fluctuation du taux de croissance, l'économie chinoise repartie de plus
belle en 2010 avec un taux de croissance supérieur à 9%. La Chine
semble imbattable malgré la conjoncture et ravit même en 2010 la
place de deuxième puissance économique mondiale au Japon.
La Chine commença en effet en 1979 avec un taux
d'Investissements Directs à l'Etranger (IDE) de 0% pour atteindre en
2009 une valeur totale de 43,3 milliards après un déclin en 2008
de l'ordre de 30% à 40%2. Cependant malgré une
augmentation forte de ces IDE en 30 ans, ce taux reste comparativement faible
par rapport au reste des pays développés, en effet en 2006, la
somme totale des investissements chinois ne représentait encore à
ce moment là que 0,6%3 du stock d'IDE mondial de
l'époque, faisant alors de la République Populaire de Chine le
sixième plus gros exportateur d'IDE parmi les pays émergents.
1 Le terme est employé en tant que
métaphore de la Chine par de récents articles de presse. Il est
emprunté à la théorie Feng shui qui veut par tradition
qu'on désigne l'Est par le dragon vert.
2 Chiffres officiels du ministère de
l'économie chinoise.
3 Chiffres officiels de l'Organisation de
coopération et de développement économique (OCDE),
OCDE Investment Policy Reviews : China 2008, p.2.
Aujourd'hui l'actualité commence à
s'intéresser à cette Chine nouvelle qui commence, bel et bien,
à sortir de ces frontières et qui cherche à jouer un
rôle central sur les marchés internationaux. Or, le nombre de
firmes multinationales chinoises reste encore assez faible même s'il est
en progression et quelques firmes chinoises commencent à acquérir
une bonne renommée sur les marchés internationaux, tel que
Huawei, Haier, Lenovo.... Cette expansion de nouvelles firmes
multinationales venant de la Chine tend à augmenter la concurrence sur
les marchés internationaux, en effet ces dernières proposant des
produits moins chers, mais avec un bon rapport qualité /prix, commencent
à voir leurs parts de marchés augmenter, nous pouvons prendre un
exemple très simple mais non moins intéressant de la
société Lenovo pour éclairer cette situation. En
2005, la société d'informatique chinoise Lenovo racheta
la division Personal Computer (PC) de la société International
Business Machines (IBM : société qui avait lancée
en 1981 l'IBM PC le premier ordinateur personnel de l'histoire), ce
qui lui permettait à l'époque de prendre la position de
troisième leader mondial pour les ordinateurs personnels avec un chiffre
d'affaires annuel de 10 milliards de dollars4 ce qui la
plaçait devant les sociétés Dell et
Hewlett-Packard.
Pour mieux saisir la montée en puissance de ce pays, il
faut comprendre l'action de ces firmes multinationales et arriver à
dépasser de nombreux préjugés. Tel fut l'un des enjeux de
ce mémoire, dépasser l'a priori lié à la
qualité des produits chinois, l'inexpérience des cadres....
Malgré une faiblesse encore certaine des entreprises chinoises de
façon globale, conserver ce point de vue empêche d'établir
une quelconque hypothèse pour comprendre le succès réel
des firmes citées précédemment. Bien sûr, le but de
ce mémoire ne sera pas de présenter la « success story
» de ces quelques firmes chinoises, qui ne représentent encore
qu'une partie marginale de l'ensemble des firmes multinationales chinoises.
Cependant, un rappel de la nécessité de se décentrer est
à faire, afin d'expliquer comment ce mémoire a essayé
d'aborder le phénomène d'expansion des firmes multinationales
chinoises. L'autre grand enjeu de ce mémoire fut de trouver des sources
fiables. En effet, l'expansion des firmes multinationales chinoises est un
phénomène récent et donc encore peu étudié,
ainsi la base documentaire reste encore limitée. Limitée pour
deux raisons :
4 Dans ce mémoire, le terme de « dollar
», fait référence au dollar américain ou US
dollar.
· Un nombre encore faible d'études sur ce
phénomène qui ne prit une réelle ampleur qu'au
début des années 2000. Les rapports de l'OCDE ne sont que peu
nombreux, ainsi que ceux de la Chambre du Commerce et de l'Industrie
européenne de Pékin, les études universitaires de
même sont limitées à quelques rares spécialistes
dont Joël RUET5. Ce manque de support empêche encore de
regrouper et de comparer des données venant de différentes
sources afin d'obtenir des résultats plus précis, et de permettre
une meilleure analyse du phénomène. Ainsi, ce manque de
données empêche donc de valider ou d'infirmer les
hypothèses présentées dans ce mémoire de
façon définitive et claire.
· La fiabilité des données reste aussi
un problème de taille. Les rapports provenant de sources chinoises, bien
qu'un peu plus nombreux que ceux venant de sources étrangères,
manquent de fiabilité statistique. Le gouvernement chinois tendant
à « rectifier » certains chiffres. Malgré l'effort
réel des autorités chinoises après l'entrée du pays
dans l`Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour améliorer la
transparence statistique des données, ces dernières doivent quand
même être relativisées en permanence. Cependant de
récents rapports ont été coécrits par les
autorités chinoises et des institutions étrangères afin de
faire gage de bonne foi, permettant alors d'utiliser ces données. C'est
ainsi que des rapports sur lesquels se base ce mémoire ont
été co-écrits avec des institutions
étrangères, tel que la commission européenne.
L'écriture de ce mémoire dus donc prendre en compte l'existence
de nombreux problèmes afin de se réaliser, n'enlevant cependant
aucunement l'intérêt de ce sujet.
Cependant pour véritablement aborder l'analyse de ce
sujet des stratégies d'expansion des firmes multinationales chinoises :
facteurs économiques, facteurs politiques, il faut d'abord
s'intéresser à définir le « Qui ? »,
c'est-à-dire à ces firmes multinationales chinoises, à
l'historicité du phénomène et de leurs apparitions,
à leurs relations avec le pouvoir central, à leurs secteurs
d'activité..., avant de pouvoir s'intéresser aux
stratégies d'expansion en elles-mêmes, c'est-à-dire le
« Où ? », le « Comment ? », et le « Pourquoi ?
».
5 Joël RUET est docteur en économie de
l'Ecole des mines de Paris et ingénieur civil. Spécialiste de la
montée en puissance des firmes multinationales indiennes et chinoises,
il est aussi chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)
et chercheur associé au Centre d'Economie Industrielle (CERNA) de
l'école des mines de Paris.
Il est tout d'abord important de rappeler que même si la
Chine est récemment passée à l'économie de
marché et qu'elle a fait passer en 2007 une loi instituant la
propriété privée (à l'exception de la terre qui
reste la propriété de l'Etat), ce pays reste un pays communiste
avec un parti unique, le Parti Communiste Chinois (PCC). Aujourd'hui la
majorité des grandes entreprises chinoises ont encore plus de 50% de
leurs capitaux qui sont propriété de l'Etat, Etat qui fait tout
ce qu'il peut pour rester mettre des grands leviers de l'économie afin
de mieux remplir ses objectifs, en effet le « pacte social chinois »
repose simplement sur un lien autorité du régime/croissance
économique, le peuple chinois tolérant l'autorité du
régime tant que la richesse s'accroît et que l'impression d'un
avenir meilleur pour la génération suivante est vivace. En 2008
avec la crise économique et le ralentissement de la croissance du pays a
vu des émeutes se produire dans les campagnes et les difficultés
d'emploi des jeunes diplômés amena à faire baisser la
confiance des gens dans le régime, le retour de la croissance en 2009
calma à nouveau les tensions, cependant des problèmes persistent
(surtout le taux de chômage des jeunes diplômés qui reste
élevé). Face à cette baisse de confiance en l'Etat l'essor
du privé continue, les jeunes gens y trouvant des opportunités
que n'accorde plus le public à cause des problèmes de
népotisme, de corruption et d'arbitraire. Or le gouvernement essaye tend
bien que mal de ralentir cette croissance des entreprises privées en
exerçant une réelle discrimination envers elles :
difficulté d'accès aux aides publiques, difficulté
d'accès au crédit (les banques chinoises étant toutes
propriété de l'Etat), problème de clarté lors de
jugements, interdiction de certaines fusions et acquisitions.... Ce conflit
public/privé se retrouve aussi à l'international (échelle
qui nous intéresse), avec des partenaires étrangers se
méfiant beaucoup des sociétés publiques chinoises et des
desseins du PCC après l'exemple entre Danone et son
sous-traitant Wahaha6. Il est donc extrêmement
important de comprendre avant tout le lien privé/publique qui existe en
Chine pour analyser les grands acteurs qui s'implantent actuellement à
l'étranger. Certes les entreprises publiques (dont la majorité du
capital appartient à l'Etat) sont sur le sommet du podium à
l'heure actuelle et obéissent le plus souvent à des missions dont
les objectifs sont à caractère politique, mais il ne faut pas
sous-estimer la monté en puissance rapide et non négligeable des
firmes chinoises privées et des intérêts strictement
6 La Société Wahaha avait
signé un contrat d'exclusivité de distribution de boissons non
alcoolisées avec Danone pour le marché chinois, or Wahaha fit des
ventes à son propre compte et viola les termes du contrat. Quand
l'affaire éclata le PCC joua la carte du nationalisme face à
l'étranger lors du jugement et donna raison à la
société Wahaha, et Danone fut expulsé du marché
chinois.
économiques liés à leur expansion. Il
faut noter que les grands acteurs de l'économie chinoise (autant
privé que publique) qui s'implantent à l'étranger se
basent de plus en plus sur des intérêts strictement
économiques et commerciaux pour définir leurs stratégies
d'expansion, avec une aide toute relative de l'Etat et qui de plus tend
à s'effacer avec le temps, à cause de la levée de
boucliers des pays accueillant ces dites entreprises. Les entreprises autant
privées que publiques tendent à s'émanciper (de
façon limitée) de l'emprise de l'Etat chinois qui contrôle
et planifie de moins en moins les stratégies des grandes entreprises au
profit de simples incitations et aides partielles au développement.
Ayant compris quels sont les acteurs à l'origine de ces
investissements à l'étranger et les enjeux qui existent
liés à l'existence d'un parti unique en Chine : le PCC, il est
désormais nécessaire de s'attacher à définir ce
qu'est une « stratégie d'expansion » ou tout du moins
comment ce terme est utilisé dans ce mémoire et de
répondre aux questions du « Où ? », du « Comment ?
» et du « Pourquoi ? ».
Le mot stratégie prend ses racines dans la langue
grecque et plus précisément de deux mots : stratos qui
signifie « armée » et agos qui signifie «
conduite », aussi stratégie signifie : la conduite de
l'armée. Selon Andrews7 : « La Stratégie est
un modèle de décision avec lequel une entreprise détermine
ses objectifs, formule les politiques et plans pour les atteindre,
défini dans quel secteur opérer, quelle organisation elle entend
construire, la nature des avantages économiques et non
économiques qu'elle entend donner aux actionnaires, clients, partenaires
et communautés locales ». Plus précisément nous
nous intéressons ici aux stratégies d'expansion des firmes
multinationales chinoises, nous devons restreindre l'analyse alors aux
différentes stratégies employées par ces firmes afin de
s'implanter dans de nouveaux marchés, et ce, pour des raisons
très diverses.
Aujourd'hui, les firmes multinationales chinoises se placent
sur différents marchés que nous pouvons diviser en deux
catégories : les pays développés (marché
nordaméricain, et marché européen), les pays
émergents et en voie de développement (marché
7 Kenneth R. Andrews (1916-2005) economiste
à la Harvard Business School, il est notamment célèbre
pour être l'un des fondateurs du modèle d'analyse interne
(forces/faiblesses) et externe (contraintes/opportunités), dit LCAG, de
la stratégie, avec Learned, Christensen et Guth.
sud-est asiatique, marché russe, marché
Hongkongais, marché taïwanais, marché latino
américain et enfin le marché africain). Or les firmes
multinationales chinoises selon leurs tailles, leurs expériences, leurs
moyens financiers, leurs secteurs d'activités et bien sur leurs
objectifs ne s'implantent pas toutes sur les mêmes marchés et
quand elles le font, elles ne le font pas toutes de la même façon.
En effet, le marché européen attire plus les très grandes
firmes multinationales chinoises qui sont à la recherche d'acquisition
de nouvelles technologiques et qui implantent pour cela des centres de
Recherche et Développement, comme la société
spécialisée dans les télécommunications
Huawei qui en 2009 fut la première à installer un centre
de Recherche et Développement en Ile de France tout en signant un
partenariat avec ParisTech, qui est une institut regroupant 12 grandes
écoles françaises, afin de faire des recherches dans de nouvelles
technologies sans fils. De plus les firmes chinoises s'implantant dans les pays
développés sont pour la plupart des entreprises avec une plus
grande expérience et qui commencent à accumuler des Fusions et
Acquisitions comme la société Lenovo
précédemment citée qui racheta la division PC
d'IBM. Sur les marchés de pays en voie de développement,
les entreprises chinoises sont souvent plus à la recherche d'acquisition
de ressources naturelles comme en Afrique ou de nouveaux marchés pour
pouvoir écouler leurs marchandises comme en Amérique Latine ou
dans l'Asie du Sud-Est. Il existe cependant d'autres raisons pouvant expliquer
le choix d'expansion dans tel ou tel pays comme : vouloir contourner des
mesures protectionnistes mises en place par le gouvernement local ou des quotas
d'importation de produits chinois, délocaliser des branches de la
production afin de fuir l'augmentation des salaires en Chine... Cependant, dans
chaque choix de stratégie, le poids du gouvernement chinois pèse
bel et bien au travers des aides mises en place et des soutiens diplomatiques
que ce dernier peut fournir, ceci étant particulièrement vrai
pour le cas du marché africain8.
Cependant, cette expansion reste encore entravée par de
nombreux problèmes et carences des firmes chinoises. Le poids du PCC
tend à effrayer les gouvernements locaux, ce qui pénalise les
firmes multinationales chinoises, ces derniers ont peur que des objectifs
purement politiques amènent à un faible développement du
pays en question sur
8 Le cas du marché africain est
extrêmement intéressant et complexe à analyser à
cause des aides officielles au développement (AID) qui ont tendance
à se mélanger avec les IDE des firmes chinoises. Il est vrai que
bon nombre d'AID ont pour but de faciliter l'arrivée d'IDE chinois
à travers la construction de locaux pour accueillir les bureaux de
firmes chinoises ou des exploitations agricoles qui exportent leurs
récoltes uniquement vers la Chine.
un angle économique, et qu'ils se retrouvent à
devoir répondre aux objectifs politiques d'un pays étranger. Les
entreprises chinoises qui possèdent encore peu d'expériences se
focalisent encore sur les joint-ventures pour s'implanter dans de nombreux
pays, elles possèdent notamment peu de moyens financiers pour supporter
une fusion acquisition, et ne savent encore bien gérer les
conséquences d'une fusion acquisition sur la culture d'entreprise. Le
manque d'information et de conseils amène aussi à des pertes
énormes et à de nombreux échecs d'expansion, comme pour
l'entreprise Sichuan Tengzhong9. Enfin la réputation
des entreprises chinoises et de la qualité des produits étant
encore mauvaises, pénalise ces dernières pour l'écoulement
de leurs marchandises, comme pour la société Haier
spécialisée dans la production de biens
électroménagers (en particuliers des
réfrigérateurs) et de biens audiovisuels
(télévision, casque audio,...).
Malgré de nombreuses difficultés et entraves,
l'expansion des firmes multinationales chinoises continue, et ces
dernières adaptent leurs stratégies face à ces
différentes contraintes. Cette expansion reste continue et prend de plus
en plus d'ampleur malgré sa petite taille actuelle. Ainsi donc, cette
idée sera le fil rouge de ce mémoire, voir comment malgré
des limites et une certaine jeunesse, ce mouvement d'expansion des firmes
chinoises n'en est pas moins en phase d'accélération.
Ce mémoire se construira ainsi autour de deux parties
complémentaires. Tout d'abord, les caractéristiques empiriques
des firmes chinoises, c'est-à-dire leurs influences, et leur
organisation actuelle. Par la suite, les formes et les facteurs d'expansion des
firmes chinoises, avec la division des marchés et les raisons
d'investissement autant économiques, que politiques.
9 L'entreprise Sichuan Tengzhong
spécialisée dans la construction de routes et de machines
d'entretien tenta le rachat à General Motors de sa marque Hummer,
cependant le projet fut rejeté par Pékin jugeant l'entreprise
trop inexpérimentée pour une telle acquisition.
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