I
REMERCIEMENTS
Il est très important pour
nous d'exprimer notre profonde gratitude à l'égard de toutes les
personnes qui, de près ou de loin, ont participé à la
réalisation de ce travail et sans lesquelles, nous n'aurions
certainement pas pu le mener à son terme. Nous pensons, en plus des
frères, soeurs, ami (s) (es) et camarades de classe, surtout aux
personnalités ci-après.
Les Patriarches traditionnelles
(« Ba Mbombok ») et les et les
« vieux sages », qui nous ont accueilli
chaleureusement et ont accepté de nous fournir des informations et des
explications très édifiantes, notamment le
« Mbombok R. » qui nous a
également servi de parrain auprès de ses pairs.
Les Chefs traditionnels :
MADING Joseph (Chef de Canton de Pouguel-Djouel,
arrondissement de Ngok-Mapubi) et EOCK Simon (Chef de
3ème degré du village de Boumnyebel).
Les Autorités administratives,
notamment, NDONGO Luc, Sous-préfet de l'arrondissement
de Ngok-Mapubi dont la simplicité et l'humilité des paroles,
n'égalaient que sa longue carrière au sein de l'Administration
camerounaise.
Les hommes politiques :
l'Ambassadeur camerounais X et MAYACK Isaac
(Vice-président de la sous-section RDPC de Boumnyebel et Conseiller
municipal à la commune rurale de Ngok-Mapubi).
Professeur Ibrahim MOUICHE, qui a su
diriger cette étude d'une main de maître et dont les conseils
précieux, la rigueur ainsi que la patience, nous ont permis
d'éviter un certain nombre d'erreurs tout au long de celle-ci.
LISTE DE QUELQUES PERSONNES
INTERVIEWÉES
Le « Mbombok R. ».
Le « Mbombok B. ».
Le « Mbombok A ».
Le Chef de Canton Pouguel-Djouel MADING
Joseph.
Le Chef de 3ème degré da Boumnyebel
EOCK Simon.
Le Sous-préfet de Ngok-Mapubi NDONGO
Luc.
L'« Ambassadeur camerounais
X ».
Le Vice-président de la sous-section RDPC et conseiller
municipal à la commune rurale de Ngok-Mapubi MAYACK
Isaac.
II TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
GÉNÉRALE.......................................................................................7
PREMIÈRE PARTIE. Pouvoirs et forces de l'Invisible dans la
localité de Boumnyebel à l'époque
coloniale........................................................................................................33
CHAPITRE I. La perception des Basaa de Boumnyebel de la
colonisation européenne comme acte historique
« subversif » et
« aliénant »...................................................34
I. La colonisation européenne comme invasion et
profanation de la « Terre
ancestrale ».................................................................................................
. . . . . . . . . .35
A. La cosmogonie et l'organisation religieuse traditionnelle des
Basaa.......................36
1. La cosmogonie traditionnelle des Basaa ou le
« Mbok Basaa »........................ .36
2. L'organisation religieuse traditionnelle des
Basaa..................................................40
B. L'arrivée des Européens et le retournement
désastreux du « Mbok Basaa ».........46
1. Le retournement du « Mbok Basaa »
au niveau spirituel : la figure du
« Mbombok » remise en
cause......................................................................................47
2. Le retournement du « Mbok Basaa »
au niveau temporel : l'autorité du
« Kingè » considérablement
réduite..............................................................................................50
II. La colonisation comme « crime de
lèse-majesté » vis-à-vis de la
« communauté des vivants et des
morts »............................................................................................
.52
A. Une avanie grave à l'encontre des
« vivants »..............................
...........................53
B. Un blasphème contre la mémoire, le nom des
Ancêtres
(« Bagwal »)...................57
CHAPITRE II. L'absolue nécessité de défendre
la terre des Ancêtres contre le « colon blanc » . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .62
I. Les moyens de défense naturels ou
« visibles »........................................................63
A. Le recours au droit ou le
« Nkaa Kundè » : défendre la
patrie par le truchement de la « parole », de la
« palabre
juridique »..................................................................
. .64
B. Le recours à la « manifestation
politique » : Le « San
Kundè »........................... .74
II. Les moyens de défense surnaturels ou
« invisibles »
.............................................80
A. Le « Gwet Bi
Kundè » : la « Force
ancestrale » comme « recours ultime » en temps
de
guerre.............................................................................................................80
1. Le « Kòn » ou la
« Défense absolue
ancestrale ».................................................. .
.83
2. Le « Dim Ba Ko » ou le «
Kaléidoscope hypnotique ancestral »...........................
.85
3. Le « Nlend Basôgôl »
ou le « cri salvateur
ancestral »........................................... .86
B. L'obtention « factice » de
l'indépendance et de la réunification : la quête
à tous les « niveaux » du
« véritable
Kundè ».....................................................................
. . . . .91
1. La « facticité congénitale »
du « Kundè »
contemporain.........................................91
2. La quête perpétuelle du
« véritable
Kundè ».......................................................
. .94
DEUXIÈME PARTIE. Persistance et pervertissement des forces
de l'Invisible dans la localité de Boumnyebel à l'ère
« post-indépendance »................................................96
CHAPITRE III. Le recours aux forces occultes dans la recherche du
« crédit
social ».....................................................................................................
. . . . . . . . . . .98
I. Les « forces cachées » comme moyen
de « survie
sociale »......................................99
A. L'hostilité « exponentielle » de
l'environnement social.........................................100
1. Le « Likang » ou la « mine
antipersonnelle
occulte »............................................103
2. Le « Nson Basaa » ou le
« missile de
l'Invisible »..................................................105
3. Le « Madjena ma djú » ou
le « cannibalisme
mystique »......................................106
4. Les « intrusions mystiques » et autres
« intromissions occultes »........................108
B. Les « moyens de protection et de défense
invisibles »...........................................110
1. Les « ordalies » et les
« sanctions traditionnelles » de
« goétie ».......................... .111
2. Les « techniques de protection et de défense
occultes ».........................................113
2.1 Le « blindage inférieur ou
simple » : le « Ban » . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .114
2.2 Le « blindage supérieur ou
avancé » : le « kòn » . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .115
2.3 La « technique occulte
d'évitement » : le
« Nseebe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . 117
II. Les forces de l'Invisible comme moyen
d'« ascension » et de « domination »
sociales : « théurgies » ou
« goéties ».........................................................................119
A. L' « ascension sociale » par
« voies occultes »....................
..................................120
1. La « voie goétienne d'ascension
sociale »........................................................ . .
. .120
1.1 Les procédés goétiens d'«
exploitation » et d'« instrumentalisation »
mystiques : le « kong » et le
« kong Babong » . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
1.2 Les procédés goétiens
d'« absorption » et de « captation »
occultes : le « Tondè » et le
« Dôme-mystique-captateur » . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
2. La « voie théurgique d'ascension
sociale ».............................................................128
B. La « domination sociale » par le
truchement des forces de l'Invisible..................133
1. La
« domination-sociale-occulte-négative »......................................................
. . .133
2. La
« domination-sociale-occulte-positive »......................................................
. . .137
CHAPITRE IV. Le recours aux puissances mystiques comme
« viatique occulte » de « succès
politique »....................................................................................................
.141
I. Les forces de l'Invisible comme « instrument
occulte » de « survie » et de
« lutte »
politiques......................................................................................................................143
A. Les forces ésotériques et la « survie
politique ».....................................................144
1. Les « procédés occultes
maléfiques » de l'« arène
politique »................................145
1.1 La « goétie d'empoisonnements » ou
« Bong » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . .145
1.2 La « goétie des talents » . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . .147
1.3 La « goétie de manipulation » . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.148
2. Les « procédés
ésotériques de survie » dans l'« arène
politique »........................149
2.1 La « survie » par le biais des
« maîtres sorciers » . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .149
2.2 La « survie » par le truchement des
« Mbombok » ou
« théurgiens » . . . . . . . . .150
2.3 La « survie » par l'entremise des
« sectes ésotériques » . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . 151
B. Les forces de l'Invisible dans la
« lutte » politique.........................
.......................152
1. L'« aspect actif » de la « lutte
politique ».........................................................
. . . .152
2. L'« aspect réactif » de la
« lutte
politique ».............................................................154
II. Les forces occultes comme instrument
d'« ascension » et de « domination »
politiques : « théurgies » ou
« goéties ».....................................................................157
A. Les forces de l'Invisible comme « voie alternative
et complémentaire » d'« ascension
politique »........................................................................................
. .159
B. Les forces mystérieuses comme « moyens
secrets » de consolidation de la « domination
politique ».........................................................................................
. .163
CONCLUSION GÉNÉRALE. Pour une prise de conscience
sérieuse et sereine de l'influence (néfaste et positive) des
« forces de l'Invisible » dans l'environnement
sociopolitique
camerounais.........................................................................................170
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................175/184
III INTRODUCTION
GÉNÉRALE
Les anthropologues ont toujours manifesté un
intérêt particulier à l'égard de la
« sorcellerie » ou des forces de l'Invisible en
général, au cours des siècles précédents.
Mais de nos jours, comme le souligne Peter GESCHIERE, peu sont ceux qui
accordent une vigilante attention aux transformations contemporaines des
croyances et pratiques liées à ce phénomène. Le
20ème Siècle, plus précisément la
période allant des années 1950 au début des années
1960, a constitué l'apogée des études anthropologiques de
la sorcellerie en Afrique (GESCHIERE 1995 : 279). En effet, pendant cette
période, l'anthropologie s'est contentée d'étudier la
sorcellerie et ses implications sur la vie sociale et politique dans un
contexte strictement local, en particulier à l'intérieur des
villages (GESCHIERE 1995 : 19). Pour le cas spécifique, mais pas
marginal, de l'Afrique, l'« anthropologie de la
sorcellerie » a été marquée par une série
de monographies effectuées en grande partie par des auteurs anglais et
datant de la période précitée.
Dans le cadre du présent travail -- lequel se
situe en droite ligne de l' « Anthropologie politique de la
sorcellerie ou des forces de l'Invisible » --, nous avons
essayé, par le truchement d'un peuple, les Basaa (notamment ceux de la
localité de Boumnyebel), d'analyser les différentes implications
(vivifiantes et funestes) des « forces de l'Invisible dans la vie
sociopolitique au Cameroun ».
Toutefois, avant d'entamer réellement
l'étude de ces différentes implications, il nous semble
nécessaire de faire un travail préliminaire que nous subdivisons
en sept (7) points essentiels à savoir : la problématique de
l'étude (1) ; les hypothèses (principale et
connexe) (2); la définition des concepts clefs (3) ; la revue de la
littérature à l'aune des divers courants de pensées
(4) ; le contexte ethnographique et géographique de l'étude
(5) ; les techniques et méthodes de recherche
utilisées (6); les différentes articulations de
l'étude (7).
1. PROBLÉMATIQUE
P. M. HEBGA (1979 : 216), à propos des
« phénomènes paranormaux »,
formulait déjà sa problématique ainsi qu'il
suite :
« Notre problème est de savoir
si les affirmations étranges de la sorcellerie et de la magie
correspondent à la réalité extérieure, ou s'il
s'agit de créations subjectives plus ou moins conscientes. Qui ne voit
pas que la réponse à une question aussi difficile ne s'aurait
être simple ? ».
En emboîtant le pas à cet auteur, nous
pouvons souligner que sur le plan politique notamment, le problème de
l'influence (positive et négative) des forces de l'Invisible se pose
avec une plus grande acuité. Des rumeurs, des anecdotes et parfois des
témoignages d'hommes politiques eux-mêmes, le confirment. Dans un
contexte (local, national, et mondial) marqué par une instabilité
inquiétante, on constate que les hommes politiques sont
généralement dans l'incertitude et la crainte du lendemain. Rien
d'étonnant alors que certains d'entre eux, même s'ils le
contestent officiellement, n'hésitent plus à recourir aux forces
de l'Invisible afin de tenter de maîtriser les jeux et les enjeux
politiques. Les forces de l'Invisible ainsi sollicitées, finissent par
être perçues comme de véritables « ressources
politiques » (G. HERMET, B. BADIE, P. BIRNBAUM, P. BRAUD, 2001 :
279), mobilisables à volonté soit pour atteindre des objectifs
funestes (la destruction des ennemis politiques par le biais de la
sorcellerie), soit pour atteindre des fins plus nobles (la préservation
de la Vie, la protection et le développement de la communauté et
des membres qui la constituent) ou encore le maintien à des postes
politiques, malgré les « menaces occultes ».
À ce propos, P. GESCHIERE (1996 : 85-86) indique dans son article
qu'au cours des années 1971 au pays Maka, la sorcellerie était
omniprésente dans la vie politique. L'auteur écrivait
alors :
« [...] il y avait une
compétition féroce entre politiciens ambitieux pour monter dans
la hiérarchie du parti, la seule voie d'ascension politique possible. Et
ces confrontations violentes étaient généralement
expliquées par des complots de sorcellerie -- pour lesquels les nganga
jouaient un rôle clef ».
Par ailleurs, lors d'une interview qu'il avait bien
voulu nous accorder au mois de Janvier 2009, le Sous-préfet de
l'arrondissement de Ngok-Mapubi (dans lequel se trouve la localité de
Boumnyebel, cadre de notre étude), M. NDONGO Luc nous confia
ceci :
« Je suis dans la fonction publique
depuis environ 20 ans. Avant de devenir Sous-préfet de Ngok-Mapubi,
j'avais occupé ce poste à Kribi où j'avais pu entendre que
des individus possédaient des
« Mami-Water » (divinités des
eaux) [...] Je ne peux pas nier que la sorcellerie existe et que des gens s'en
servent pour nuire aux autres, puisque j'ai vu une de mes connaissances (un
Sous-préfet) souffrir de ce que les tradi-praticiens appellent
« Likang » (une « affection
occulte » qui détériore les membres
inférieurs)1(*).
Mais, en ce qui me concerne, je crois au destin, au travail bien fait et
à la force de la foi en Dieu. Chrétien catholique et pratiquant
de mon état, il ne pourrait en être autrement. Par
conséquent, attenter à la vie d'autrui, entrer dans une secte ou
en communion avec des forces obscures pour conserver mon poste ou pour
être muté, ne m'intéresse guère. Cependant, s'il
arrivait que je souffre d'une maladie provoquée par des
« sorciers », je n'hésiterai pas à aller
consulter un « Mbombok »2(*) ou tout autre guérisseur
traditionnel pour recevoir des soins adéquats, car les plantes
médicinales qu'ils utilisent sont une création de l'Être
suprême en qui je crois de tout mon
être ».
Toutes les déclarations mentionnées
ci-dessus, attestent qu'il y a effectivement un problème
d'envergure : celui du lien étroit entre la religion
(« théurgie » et
« goétie ») et la politique contemporaine. En effet,
dans un contexte mondial marqué, sur le plan technologique des Nouvelles
Technologies de l'Information et de la Communication et sur le plan de
l'« Invisible »3(*), par la contraction du temps et de l'espace, notre
étude nous amène précisément à nous poser
une question délicate, qui elle-même s'inscrit, comme nous l'avons
déjà mentionné plus haut, dans une problématique
beaucoup plus globale à savoir : le rapport entre la religion et la
politique ou encore le « lien ombilical » entre le
politique et le sacré. Pour revenir à la question dont la
« tentative de réponse » a orienté notre
travail, elle se décline comme suit :
Peut-on trouver, à Boumnyebel, une
corrélation entre le recours aux forces de l'Invisible et la
« réussite » sociopolitique ? Autrement dit,
est-il possible de démontrer, à partir de l'exemple de
Boumnyebel, que le recours aux forces de l'Invisible serait la cause de la
« réussite » sociopolitique des
Camerounais dans l'ensemble ? Serait-ce une absurdité en ces temps
difficiles de croire et de dire que, en nous aidant nous-mêmes pauvres
mortels, le « Ciel » (les « forces de
l'Invisible ») saura opportunément nous porter
assistance ?
2. HYPOTHÈSES DE TRAVAIL
À partir de nos enquêtes de terrain,
nous avons pu noter que, de part leurs cultures et surtout compte tenu de leurs
croyances aux « Ancêtres » et à l'Être
Suprême, de nombreux Camerounais en général, les Basaa de
la localité de Boumnyebel en particulier, sont convaincus que face aux
nombreuses crises que traverse l'État « moderne » du
Cameroun, l'ultime moyen de maîtriser les diverses recompositions
internes, c'est de recourir aux forces de l'Invisible en se servant de la
« Foi ». D'ailleurs, selon un « Vieux
Sage » de cette localité :
« La Foi peut permettre de faire de grandes
choses bonnes et de grandes choses mauvaises. Elle ne doit pas être
comprise seulement au sens « fidéiste » qui tend
à la réduire à un simple sentiment distinct de la raison,
mais également et surtout comme une « force
intérieure » qui permet d'entrer en communion avec des
puissances supérieures ou inférieures (bonnes ou mauvaises) et
dont l'usage (bénéfique ou maléfique) dépend de la
pureté ou de la noirceur du coeur ».
À travers la « Foi » -- peu
importe qu'elle repose sur la croyance aux forces bénéfiques ou
aux forces maléfiques --, le recours aux forces de l'Invisible
apparaît donc ici comme un atout majeur que seul le sot peut se permettre
d'ignorer. Alors, il semble de plus en plus naturel, notamment au moment de
pratiquer un jeûne rituel ou de participer à une
cérémonie ancestrale, que : « de temps en temps,
l'homme rompt le rythme habituel du quotidien pour se raccorder, par des rites,
avec son Créateur et avec les forces supérieures afin de se
ressourcer » (C. M. F.-NZUJI, 1993 : 152).
Au vu de tout ceci, notre hypothèse principale
(la thèse principale de notre travail) est que les forces de l'Invisible
ont eu dans le passé (notamment pendant la colonisation) et ont encore
aujourd'hui un impact irréfragable sur la vie sociopolitique des
Camerounais en général et des Basaa de Boumnyebel en particulier.
Par ailleurs, en poussant l'analyse un peu plus loin, nous constatons que cet
impact semble ambivalent, mieux est susceptible de susciter des dynamiques
diamétralement opposées dans la mesure où : d'un
côté, il peut être bénéfique pour les
individus et la communauté (« théurgie »),
tandis que de l'autre, il peut s'avérer désastreux pour ceux-ci
(« goétie » ou sorcellerie). En outre, nous notons
que depuis l'indépendance, la mobilisation surtout néfaste des
forces de l'Invisible semble expliquer la dangerosité grandissante de
l'environnement sociopolitique camerounais (hypothèse connexe).
3. DÉFINITION DES CONCEPTS
Au cours de notre étude, nous avons
utilisé trois (3) concepts principaux qui, à notre sens, sont
intimement liés. Il s'agit des « forces de
l'Invisible » indissociables de la « religion »
(« théurgie » et
« goétie ») elle-même étroitement
liée à la « vie sociopolitique » des
Camerounais et des Basaa de Boumnyebel en particulier et d'une frange
importante d'Africains en général (R. BUREAU, 1988 :
80-81)4(*).
· Les « forces de
l'Invisible ».
Les « forces de
l'Invisible » sont en fait, des forces occultes, c'est-à-dire,
des « puissances » cachées, des
« puissances qui se situent hors du champ de perception du commun des
mortels »5(*)
appelés « les innocents » ou
« les simples », au sens de René BUREAU (1988 :
80-81). Mais ces forces sont connues, relativement maîtrisées et
invoquées par « ceux qui savent » (les
initiés).
Pour une meilleure compréhension, il nous
semble important d'établir une distinction entre les types de
« forces de l'Invisible » ou de « puissances
supérieures ». Nous pouvons donc de façon
schématique distinguer d'une part les « forces de l'Invisible
bénéfiques » (Dieu, les génies
bénéfiques de la nature, les ancêtres illustres...) et
d'autre part les « forces de l'Invisible
maléfiques » (Satan, les démons, les génies et
esprits maléfiques de la nature...). Par conséquent, le recours
ou la « communion » de l'homme avec l'un ou l'autre de ces
deux types de « forces de l'Invisible » -- jamais les deux
à la fois puisque « Nul ne peut servir deux maîtres.
Car, ou il haïra l'un, et aimera l'autre ; ou il s'attachera à
l'un, et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et
Mammon » (MATTHIEU 6 : 24)6(*) -- passe par la pratique de la
« religion » dans son sens générique :
c'est le second concept de notre travail.
· La
« religion ».
De prime abord, nous pouvons noter que
l'initiation qui permet de se familiariser avec les « forces de
l'Invisible » est étroitement liée à la
« religion », qu'elle soit traditionnelle ou venue
« d'ailleurs »7(*) (c'est-à-dire d'Occident, d'Asie etc.). En
effet, il convient de préciser d'emblée que les
« forces de l'Invisible » constituent, à notre sens,
un paramètre notable voire le plus important paramètre, s'il en
est, de la « religion ». Autrement dit, la connaissance et
la maîtrise des « forces de l'Invisible » ne sont
possibles que dans le cadre de la « religion » entendue
comme : « Ensemble de croyances et de dogmes définissant
le rapport de l'homme avec le sacré » ou encore
« Ensemble de pratiques et de rites propres à chacune de ces
croyances »8(*).
Dans son analyse du concept de
« religion », E. WONYU (1975 : 31-32) indiquait
déjà ce qui suit :
« Religion vient de
Religare : lier, relier [en conséquence] L'essentiel d'une
religion, schématiquement est le rapport que cette chose, ce lien,
établit pour ses fidèles avec le sacré [c'est pour cette
raison que] Ce rapport est organisé dans un système de croyances
et des pratiques et dans l'institution d'une communauté des membres. Ici
apparaît le double type de relations :
a) d'une part, relation des fidèles
avec le « numen »9(*)
b) d'autre part, relation des
fidèles entre eux.
On entrevoit dès lors, grâce à ce
double rapport, la dépendance réciproque qui doit en
résulter, la foi étant renforcée par la communion des
fidèles et celle-ci voyant son intensité dépendre de
l'expérience que les membres ont du Divin [ou du Malin]10(*) ».
Par ailleurs, LABURTHE TOLRA cité par L. KAMGA
(2008 : 36) considère, opportunément avec A. LEROI GOURHAN
et de façon plus explicite, la « religion » comme
« un système organisé de mythes et de rites
destinés à établir d'une manière permanente des
relations entre l'homme et les puissances de l'invisible (ancêtres et
esprits) dans l'intérêt de la communauté ». C'est
d'ailleurs cet ensemble de croyances, de dogmes, de rites et de pratiques qui
cristallisent la très grande diversité des « forces de
l'Invisible », mais également des religions elles-mêmes.
En effet, chaque religion mentionne et fait appel à un type ou à
des types particuliers de « forces cachées ». Ainsi,
pour les religions monothéistes (Catholicisme, Protestantisme,
Islam...), la « Force Invisible » par excellence est Dieu
ou « Allah », même si ces religions
reconnaissent que Dieu peut agir à travers des intermédiaires
spécifiques. Quant aux religions dites polythéistes et aux
religions traditionnelles africaines, elles conçoivent que l'univers est
habité par plusieurs forces distinctes et antagonistes au sommet
desquelles se trouve « l'Être Suprême » ou la
« Force Suprême » (le « Tout
Puissant », celui qui peut tout écraser, au sens de E. WONYU).
En effet, comme le souligne Clémentine MADIYA FAÏK-NZUJI
(1993 : 89) à propos de « l'homme religieux
africain » :
« La répétition des rites et
le maintien des cultes où interviennent les symboles expriment la
profonde conviction que l'entière réalité est force,
action de force, interaction des forces et expérience de force, que
l'univers est né d'une Force première qui a répandu un peu
d'elle-même sur tout ce qu'elle a généré, dans
l'espace et dans le temps, que chaque créature qui se déploie
dans ce temps et dans cet espace ayant reçu de cette force, étant
devenue elle-même une force, peut lui servir
d'intermédiaire ».
En effet, l'Africain traditionnel croit que, dans sa
grande magnanimité, la Force primordiale (Dieu) « estima qu'il
était bon pour les hommes d'être protégés par tous,
c'est-à-dire par lui-même, par les génies de la nature et
par les morts devenus les ancêtres » (C. M. FAÏK-NZUJI,
1993 : 125). Et ceci se comprend mieux lorsqu'on garde à l'esprit
que l'une des aspirations fondamentales des sociétés africaines
traditionnelles « est la communion de la personne avec ses
semblables et avec les puissances supérieures » (C.
M. F.-NZUJI, 1993 : 128).
Dans le même ordre d'idées (et surtout
pour établir une dichotomie fondamentale entre les « religions
de type théurgique » et les « religions de type
goétien »), nous convenons avec Léon KAMGA (2008 :
36) que l'athéisme étant, en général, un concept
inconnu partout en Afrique noire, chaque fils du Cameroun (du Nord au Sud, de
l'Est à l'Ouest) est un peu magicien. Le terme
« magie »11(*) que nous remplaçons par convenance ici par
celui de « religion », peut s'appréhender suivant
deux (2) acceptions selon le dictionnaire français Le Petit Larousse
Illustré (2004) : d'une part, il renvoie à la
« théurgie » et d'autre part, à la
« goétie ». Ainsi la
« théurgie » (du grec theourgia, de theos, dieu,
et ergon, action) est-elle comprise comme une « pratique
occultiste visant à communiquer avec les bons esprits, à utiliser
leurs pouvoirs pour atteindre Dieu ». Cette dernière
s'oppose à la « goétie » (du grec
goêteia, sorcellerie) qui, quant à elle, est
également une pratique occultiste à la seule différence
qu'elle fait « appel aux esprits du mal »12(*).
S'agissant globalement des « religions de
type goétien » notamment la
« sorcellerie », l'on note en effet qu'au
18ème Siècle par exemple, les Encyclopédistes
définissaient déjà cette dernière comme
« une opération magique honteuse ou ridicule, attribuée
stupidement par superstition à l'invocation et au pouvoir des
démons ». Plus prudemment, les rédacteurs du
Dictionnaire de Trévoux, notaient quant à eux que
l'adepte de la goétie ou sorcier est :
« Celui qui selon l'opinion commune, a
communication avec le Diable, et qui fait plusieurs choses merveilleuses par
son recours. On tient que les sorciers vont à des assemblées
nocturnes qu'ils nomment Sabbat, qu'ils y adorent le diable, qu'ils ont une
marque qui rend la partie insensible [...] On ne doit punir ceux qu'on accuse
d'être sorciers que lorsqu'ils sont dûment convaincus de
maléfices, de quelque manière qu'ils l'aient fait ».
De notre point de vue, les définitions de la
« sorcellerie » ci-dessus ne nous semblent pas pertinentes
et ne rendent pas vraiment compte des souffrances qu'endurent les personnes
victimes de pratiques démoniaques. C'est donc à juste titre que
nous partageons plutôt le point de vue de J. PALOU (2002 : 123)
lorsqu'il souligne que le terme « sorcellerie » renferme
plusieurs acceptions. On appelle, dit-il :
« Sorcellerie ce que l'on ne comprend
pas13(*) (« il y
a de la sorcellerie là-dessous, dit l'expression populaire). Sorcellerie
ce qui vous fait trouver le trésor convoité. Sorcellerie ce qui
vous fait gagner le plaisir escompté. Sorcellerie ce qui vous fait
posséder l'amour désiré. Sorcellerie ce qui vous fait
détruire le bétail envié. Sorcellerie ce qui vous fait
périr l'ennemi détesté. Sorciers ou sorcières celui
ou celles qui vous procurent tout le bien ou tout le mal que l'on
souhaite ».
Par ailleurs, il nous semble important, pour
éviter toute amalgame, de préciser avec J. PALOU (2002 : 33)
que : « le sorcier est par définition celui qui jette sur
les hommes et les animaux des charges maléfiques. Il passe souvent pour
un guérisseur, ce qu'il n'est point et qu'il prétend être
quand on l'accuse ».
C'est donc à partir de toutes ces
considérations, que nous avons cru judicieux de considérer d'une
part que : toutes les religions (traditionnelles, polythéistes,
« importées », monothéistes etc.) qui visent
comme but ultime « atteindre Dieu », doivent être
perçues comme des « théurgies » par ce fait
même. Tandis que, d'autre part, toutes celles qui se concilient les
forces du mal dans le but de nuire à autrui ne sauraient être
perçues logiquement qu'en termes de
« goéties ».
Une lecture attentive des évènements
contemporains montre d'ailleurs que les « forces de
l'Invisible » bénéfiques et maléfiques
mobilisées respectivement dans les « religions
théurgiques » et dans les « religions
goétiennes », ont un impact indéniable sur la
« vie sociopolitique » des Africains et des Camerounais en
général ainsi que des Basaa de Boumnyebel en particulier.
· La « vie sociopolitique ».
Le troisième et dernier concept
cardinal de notre étude est celui de « vie
sociopolitique ». Ici, il renvoie à l'ensemble des
activités, « apolitiques » et
« politiques » menées par les habitants de
Boumnyebel en particulier et les Camerounais en général. Nous
considérons comme « apolitiques » toutes les
activités qui n'ont pas directement trait à la conquête,
à la conservation, à l'exercice et à la transmission du
pouvoir politique telles que : le commerce (vente de produits vivriers
issus des travaux champêtres, de boissons alcoolisées...), le
football, l'enseignement, l'activité musicale... Ces
« activités apolitiques » font partie de ce que nous
nommons ici la « vie sociale des simples citoyens »,
c'est-à-dire, ceux qui ne visent pas le pouvoir politique, mais
cherchent toutefois, à l'instar des acteurs politiques, des
« voies » et « moyens » (nobles ou
funestes) pour gagner et préserver leur vie. En effet, il convient de
mentionner ici que le recours aux forces de l'Invisible influe
négativement et positivement d'une part, sur la vie sociale des
« simples » citoyens et d'autre part, sur le jeu politique
des « acteurs politiques » dans leur lutte incessante pour
la conquête et la conservation du « pouvoir
politique »14(*). Il est possible de croire, comme le soulignait, M.
MAYACK Isaac, Vice-président de la sous- section RDPC15(*), lors d'un entretien qu'il
nous a accordé au mois de Janvier 2009, que : « la vie
sociopolitique locale à Boumnyebel est moins dangereuse par rapport
à celle des grandes villes, notamment Yaoundé, la capitale
politique, où des rumeurs de pratiques sectaires exacerbent les tensions
entre les acteurs politiques ». Mais une dangerosité
réduite par comparaison, n'implique pas une absence de danger.
D'ailleurs à ce propos, le chef de canton de Ngok-Mapubi, MADING Joseph
indiquait, pour notre gouverne, qu'il avait subit à deux (2) reprises
une attaque occulte du type « Nson » (charge
maléfique des sorciers qui, au mieux rend malade, au pire entraîne
la mort de la victime)16(*). Dans la même optique, L'anthropologue P. ERNY
(2001 : 266), à la suite de C. COULON et de P. GESCHIERE note en
outre que malgré l'urbanisation, l'éducation scolaire, le
progrès technique et l'acheminement vers une mentalité
« moderne », on constate, en Afrique, non pas une
diminution des affaires de sorcellerie, mais plutôt une recrudescence de
ces croyances.
De notre point de vue, nous considérons que les
forces de l'Invisible exercent une influence ambivalente et contradictoire sur
la vie sociopolitique des Camerounais en milieu local (comme à
Boumnyebel par exemple) et en milieu urbain (Léon KAMGA, 2008 :
84)17(*).
4. LA REVUE DE LA LITTÉRATURE
De nombreux auteurs, comme nous l'avons
déjà mentionné, ont effectué de colossaux travaux
sur l'influence des forces occultes sur la vie sociopolitique des Hommes,
notamment sur les relations que le politique entretient avec le religieux ou
les religions (« théurgies » et
« goéties »). Deux (2) principaux courants de
pensée antagonistes, à notre sens, semblent se dégager
dans cette immense littérature.
Selon le « Premier Courant », les
forces de l'Invisible, notamment les pratiques de
« sorcellerie », ne sont que des superstitions, des
chimères dangereuses consubstantielles à l'ignorance. Les auteurs
qui s'inscrivent dans ce « Courant » considèrent
tous que parler ou accorder un quelconque intérêt, a fortiori,
avoir peur de ce que l'on nomme « sorcellerie » ou
« magie » relève de l'obscurantisme le plus
exacerbé puisqu'un esprit qui se veut « rationnel »
et excellent de part son instruction, ne saurait admettre sérieusement
de telles fadaises. Au sein de ce courant nous avons, entre autres, C. RIVIERE,
C. LANCELIN, M. TOWA etc. C'est ainsi qu'aux yeux de Claude RIVIERE
(2003 : 122) par exemple : « L'adhésion moderne
à la magie ou bien à la parapsychologie entraîne tout un
ensemble de croyances et de superstitions : maisons hantées,
lévitations ou réincarnation, toutes les certitudes
parapsychologiques étant inflationnistes par
syncrétisme ». Dans son ouvrage18(*) Charles LANCELIN estime pour
sa part que de part son essence même, la sorcellerie « dont
l'ignorance ambiante forme la base naturelle », ne peut
évoluer que dans un « milieu peu
éclairé », la population des campagnes : ce n'est
donc pas à la ville que se rencontre le véritable sorcier,
« c'est aux champs... ». Quant au philosophe camerounais,
Marcien TOWA, c'est une lapalissade pour un « penseur
sérieux » de dire que sur le plan de la « raison
cartésienne » : « la sorcellerie, c'est de
l'irrationnel le plus répugnant »19(*).
Toutefois, les propos des auteurs susvisés ne
nous semblent pas pertinents eu égard aux multiples manifestations
occultes funestes observées ça et là et aux ravages que la
sorcellerie cause de nos jours dans nos campagnes et surtout dans nos villes
modernes. En effet, les maladies mystiques telles que les Nson ou
encore le Likang, ne sont nullement de simples vues d'un esprit
« irrationnel » ou empreint d'obscurantisme
« campagnard », mais des faits qui s'inscrivent dans un
autre type de « rationalité » inhérente
à une réalité impitoyable : celle de notre
époque.
Le « Second Courant de
pensées » quant à lui, se place aux antipodes du
premier. Ce « Courant », défend la thèse
selon laquelle : les forces de l'Invisible et leurs usages
bénéfiques (théurgie) ou maléfiques (sorcellerie),
doivent être pris au sérieux tant sur le plan social que sur celui
du jeu politique (et surtout sur celui-ci). Ce « Deuxième
Courant », dans lequel nous nous inscrivons volontiers, semble
être plus prolifique par rapport à celui mentionné
précédemment. Laissons parler quelques auteurs.
EVANS-PRITCHARD Edward Evan (1972) soulignait
déjà dans le mot introductif à son immense ouvrage, que
chez les Azandé c'est surtout par la « magie »,
précisément par le recours à la « magie
bénéfique » que les autorités politiques
traditionnelles (le chef, le roi et les princes) luttaient contre la
« sorcellerie » afin d'assurer et de consolider la
cohésion sociale.
À la suite du maître EVANS-PRITCHARD, des
auteurs tels que Ibrahim MOUICHE (2005 : 378), C. COULON (1991 : 88),
OTAYEK et TOULABOR (1990 : 109) ou encore un P. GESCHIERE (1995 :
8-9) sont tous convaincus que les pratiques maraboutiques ou
fétichistes, les croyances et représentations associées
à la sorcellerie demeurent au centre des interprétations de ce
qui dérange ou déroge à l'ordre des choses. En fait, pour
I. MOUICHE comme pour les autres auteurs de ce « Courant »,
le « retour » spectaculaire du
« religieux » ou encore la permanence et le renouvellement
en Afrique, des discours associés à la
« sorcellerie » constituent une tentative, pour les
populations en général et pour les acteurs politiques en
particulier, de maîtriser les perpétuels changements de
l'environnement contemporain.
Abondant dans le même sens dans son analyse de
l'évolution de la sorcellerie au fil des siècles en Occident,
Jean PALOU (2002 : 3) souligne que « la sorcellerie est une
imploration constante, dans le Monde occidental, aux survivances des dieux du
paganisme. Elle est aussi une protestation conséquente aux religions
dominantes : catholicisme ou religion réformée ».
L'auteur poursuit en disant que l'Homme « tremblant devant les
forces naturelles essaie de les dominer et de se les asservir. Il conjure le
Mal. Au besoin il s'en servira à l'égard de son prochain, par
haine ou [...] par amour ». Il est important de mentionner avec J.
PALOU que les guerres de religions ont fait du 16ème
Siècle, une époque terrible au cours de laquelle, les
« procès de sorcellerie » étaient
relevés dans toute l'Europe, notamment en Allemagne et en France. J.
PALOU (2002 : 45-46) nous fait comprendre que le Moyen Âge est non
seulement l'époque de la « Foi chrétienne »
la plus vive, mais également le temps de la relative tolérance de
la « sorcellerie ». Quant au 17ème
Siècle, c'est l'époque à la fois de la « raison
triomphante » et « des bûchers les plus nombreux et
les plus fournis de sorciers et sorcières ». Le
18ème Siècle pour sa part, est une période tout
à fait particulière. En effet, J. PALOU (2002 : 108)
souligne que « si, comme le dit Michelet, Satan avait triomphé
au XVIe Siècle, l'Ère des Lumières
(18e S) allait porter un coup sensible au Prince des
Ténèbres ». En effet, la
« sorcellerie » apparaît au 18ème
Siècle en Europe sous les traits du « charlatanisme où
le sorcier semble perdre les pouvoirs terribles qu'on lui prêtait
auparavant, pour devenir une espèce de jongleur narguant de pauvres
dupes ». À cette époque, François Marie
AROUET (VOLTAIRE) écrivait d'ailleurs20(*) que : « Rien n'est plus
ridicule que de condamner un vrai magicien à être
brûlé ; car on devrait présumer qu'il pouvait
éteindre le feu et tordre le cou à ses juges ».
Même dans notre contexte actuel, il est très difficile de traduire
un « sorcier » (ou un homme accusé de sorcellerie)
devant les tribunaux, car il y a toujours un risque de manipulation de
l'entourage. Cette difficulté a d'ailleurs été
relevée par P. GESCHIERE dans son étude des procès de
sorcellerie dans l'Est du Cameroun (Bertoua).
Quant à l'historien A. MBEMBE (Challenge
Hebdo, n° 79 (Juillet 1992 : P.9), il propose que compte tenu du
rôle des « forces de l'Invisible » dans les rapports
de pouvoir, il devient nécessaire d'élaborer « d'autres
langages sur le pouvoir ».
Par ailleurs, quand J.- F. BAYART (1989) parle de
« la politique du ventre », il souligne pertinemment que
cette expression renvoie aux nécessité de la
« survie » et de l'« accumulation »,
ainsi qu'à des représentations culturelles complexes, notamment
celles liées au « monde de l'Invisible » et de la
« sorcellerie ».
À partir de ces travaux antérieurs d'une
très grande richesse, nous avons essayé (en nous inscrivant dans
le « Second Courant » susvisé), de ressortir dans
notre étude, l'influence des « forces occultes » sur
la « vie sociopolitique » telle qu'elle se présente
au Cameroun en nous servant, notamment, du cas de la localité de
Boumnyebel. En fait, ce qui à la fois rapproche et différencie
notre étude des travaux susvisés, c'est que : notre
étude se situe dans le cadre de ce que P. GESCHIERE appelle
« anthropologie de la sorcellerie » ou
« anthropologie des forces de l'Invisible » --
c'est-à-dire, une étude scientifique permettant d'analyser et de
comprendre, autant que possible, les affinités qui existent ou qui
peuvent exister notamment entre « politique » et
« religion » ; « le politique » et
« le Divin » ; « le politique » et
« le Malin » : le terme
« religion » devant donc être
appréhendé dans un sens large qui inclut à la fois, le
recours à la « théurgie » et à la
« sorcellerie » dans le jeu politique --, d'une
part (c'est le rapprochement). Et d'autre part, notre étude vise
à ressortir les implications de l'usage des « forces de
l'Invisible » dans un contexte géographique et surtout
culturel particulier : le contexte local du village de Boumnyebel
situé en plein pays basaa.
5. LE CONTEXTE ETHNOGRAPHIQUE ET GÉOGRAPHIQUE DE
L'ANALYSE
Avant d'aller plus loin dans la
présentation du cadre de notre étude, il est nécessaire
pour nous d'essayer d'apporter un ou des justificatifs sur le choix de
Boumnyebel comme cas « idiographique »21(*) de l'analyse de l'influence
des « forces occultes » au Cameroun. En fait, nous avons
choisi Boumnyebel comme « étude de cas » notamment
pour deux (2) raisons majeures : la première tient du fait que,
Boumnyebel, à travers la figure de UM NYOBE, a été l'une
des localités de notre Pays où le nationalisme camerounais s'est
développé et enraciné dans le coeur des patriotes,
notamment, des patriotes basaa. La seconde raison découle du fait que,
pendant la lutte armée pour le
« Kundè » (la
« Réunification » et
l'« Indépendance ») dans le
« maquis », les patriotes basaa, afin d'équilibrer
quelque peu le rapport de force militaire qui leur était
défavorable, tout en évitant de se faire physique éliminer
trop tôt, avaient grandement fait usage des « techniques issues
de la manipulation de l'Invisible »22(*).
À partir de là, que peut-on dire des
origines du terme « Basaa », peuple occupant en
majorité le village de Boumnyebel ?
Selon E. WONYU (1975 : 13-15), ce terme est le
nom générique égyptien donné aux
« Adeptes » du culte de la déesse « UM
» (déesse de la guérison et de la danse). Certains
Basaa du Cameroun continuent encore à vénérer cette
divinité appelée « Um Nkoda toii ».
Les Basaa, il faut ce le rappeler, en bons Bantous, accordent une attention
toute particulière à la danse et la chasse. En effet, les peuples
qui parlent les langues bantu en général « ont su se
servir de ces langues, les leurs, pour dire et affirmer leur vie de chasseurs,
de pêcheurs, d'agriculteurs, de narrateurs, de
métaphysiciens » (T. OBENGA, 1989 : 13).
L'auteur (T. OBENGA) ajoute également que l'ensemble des peuples
Bantu23(*) possède
une expérience sociale longue de trois (3) millénaires. Pour
marquer cette longue histoire, les Basaa, malgré leurs divisions
internes (nous y reviendrons quand nous parlerons des sous-familles), disent
eux-mêmes : « Di nlôl
likôl », c'est-à-dire, « nous venons de
l'Est ». Le Basaa est en fait un « éternel
migrant ». Parti de l'Égypte pharaonique, il a migré
vers le Cameroun et s'est installé sur la partie du territoire de ce
pays comprise entre la savane et l'Océan Atlantique. Abondant dans le
même sens Mgr. Thomas MONGO24(*), à propos de Ngok Lituba (petit territoire de
la savane situé à Babimbi, dans le département de la
Sanaga-Maritime) écrivait :
« D'importants mouvements de populations
vraisemblablement originaires du Haut-Nil et qui, se dirigeant vers l'ouest,
auraient séjourné quelques temps dans les régions du
Mandara, d'où elles descendirent ensuite vers le Sud-Cameroun,
empruntèrent une savane herbeuse à peine ondulée avec de
place en place, quelques îlots forestiers à travers laquelle
circule la rivière Liwa, affluent de droite de la Sanaga, au bord de
laquelle rivière se trouve, à 150 km d'Edée, le
« Rocher percé ou Ngok Lituba, traditionnellement connue de
tous les Basaa et Besoo ou Sow du Cameroun comme étant leur origine
ethnique ».
Par ailleurs, malgré les vagues successives de
migrations tous azimuts et de subdivisions familiales, plusieurs souches de
Basaa sont restées au berceau (Ngok Lituba) : ce sont les
populations du pays dit Babimbi, dans lequel se trouve « le rocher
percé » ou « Ngok Lituba ». Les Basaa du
« berceau » (Ngok Lituba), ont conservé, selon E.
WONYU (1975 : 21-22), certains usages et coutumes qu'on peut qualifier
d'un peu plus authentiques, par rapport à ceux observés par
exemple à Makak, Douala, ou Yabassi. Pour l'auteur, cela peut
s'expliquer par le fait que : jouissant d'une supériorité
guerrière, les Basaa, en assimilant les populations conquises25(*) par les armes, ils ont
dû « copier » certains usages
rencontrés ; ces derniers étant dus en grande partie aux
« mariages mixtes », ce qui, on peut s'en douter ne manqua
pas de créer des dislocations dans la « longue chaîne
ancestrale ». En effet, le mariage mixte est un
phénomène nouveau pour le Basaa de l'époque. Se marier en
dehors du cercle linguistique n'était pas vu d'un bon oeil dans la
société traditionnelle basaa. E. WONYU (Op. Cit.), souligne
à ce propos : « On peut dire jusqu'ici qu'un authentique
Basaa épouse toujours une authentique Basaa. Les règles relatives
à cette institution étant d'ordre religieux, il était
vraiment peu digne d'aller au-delà des interdits, étant
donné que la société Basaa était une
société à castes ».
L'arrivée des Européens26(*) sur la côte Atlantique
va exacerber ce « syncrétisme ». Les Basaa
« vont désormais connaître d'autres
vérités que les leurs, confronter leur conception de la
société avec celle des autres, surtout des étrangers non
africains » (E. WONYU, Op. Cit.). Des divisions vont aller
crescendo et favoriseront davantage l'émergence de
sous-familles qui, sans renier véritablement l'« Ancêtre
fondateur de la lignée » ou « Mbot
bôt » (WONYU, 1975 : 35), vont essayer de se
démarquer des autres et occuperont, pour l'essentiel le terroir
nommé le « Groupe Basaa »27(*) où se situe Boumnyebel.
Boumnyebel est une localité de la province du
centre, dans le département du Nyong et Kellé (voir la carte de
ce département au début de l'introduction générale)
et dans l'arrondissement de Ngok-Mapubi (le « rocher
lumineux »). C'est en fait un village en plein « pays
basaa » (« Lon i Basaa »)28(*). Rappelons que le peuple basaa
constitue l'un des maillons de la grande famille bantoue localisé dans
plusieurs pays au Sud du Sahara29(*). Mais c'est principalement au Cameroun (au coeur de
la forêt équatoriale) que le peuple basaa forme sa plus grande
concentration30(*). Il est
important de souligner ici que les Basaa, les Mpo'o et les Bati sont tous issus
d'une même lignée ancestrale, c'est-à-dire que
malgré les divisions historiques -- dues entre autres aux multiples
migrations et métissages -- qui se sont créées, la
majorité des Basaa sont plus ou moins conscients d'appartenir à
un même lignage : ce sont donc des frères et soeurs qui descendent
tous du « Mbot bôt » (l'Ancêtre
fondateur). Aujourd'hui, à travers des associations telles l'Association
des Basaa-Mpo'o-Bati, des efforts sont effectués afin de transcender ces
divisions d'orientations, de pensées, de langage31(*). La « Grande
Famille » (Basaa-Mpo'o-Bati) regroupe en son sein plusieurs
« Familles » et « Sous familles » ou
« sous groupes de familles » si l'on veut employer un terme
anthropologique plus générique. En fait, des subdivisions sont si
nombreuses qu'essayer de les confiner dans des notions de tribu ou de clan
relèverait d'une véritable gageure et manquerait de pertinence.
À ce sujet, monsieur MAYACK Isaac (Vice-président de la
sous-section RDPC de Boumnyebel...) mentionnait d'ailleurs en Janvier 2009
(lors de notre entrevue) : « Quand il s'agit de parler des multiples
familles et sous-familles du peuple Basaa, les concepts scientifiques
occidentaux de tribu ou de clan tendent à devenir inopérants, et
les utiliser embrouille plus que n'éclair ces subdivisions
internes dues à l'histoire ».
Ceci étant dit, l'on peut donc
distinguer au Cameroun :
La Famille « Bikok »
composée de 9 sous-familles.
La Famille
« Babimbi » composée de 63 sous-familles
(telles «Ndog
Ngônd »...).
La
Famille « Likol » composée de 22
sous-familles (telles « Log Baég »...).
La Famille
« Mpo'o » composée de 13 sous-familles.
La Famille « Basaa ba
Douala » (les Basaa de Douala) composée de 26
sous-familles.
Les « autres Familles »
comprennent 4 sous-familles32(*).
Lors d'un entretien qu'il a bien daigné nous
accorder en Janvier 2009, le Chef de 3ème degré de
Boumnyebel, monsieur EOCK Simon, nous confiait que :
« Le grand village qui porte aujourd'hui le
nom de Boumnyebel et qui a connu un rayonnement national et international
grâce à la personne de UM NYOBE33(*), fut fondé à l'époque allemande
par son grand aïeul NYEBEL qui, lui-même, était originaire
d'un petit village nommé Song-Djop ».
Selon le Chef EOCK Simon et le conseiller à la
commune rurale de Ngok-Mapubi MAYACK Isaac, Boumnyebel présenterait les
limites géographiques suivantes :
« Au Nord, il est limité par l'axe
Ngok-Bassong et la rivière Song-Makouè. Au Sud, les limites sont
constituées par la route d'Éséka et la rivière
Kellé. À l'Est, nous avons l'axe lourd Douala-Yaoundé et
la rivière Maholè. À l'Ouest, le village est limité
par la rivière Djogui ».
Le Chef EOCK S. précisa également au
cours de l'entretien que : « Boumnyebel regroupait en son sein
deux (2) principales chefferies : la chefferie de Boumnyebel
elle-même (dont il est le Chef) et la chefferie de Boumnyebel-Likanda qui
est le siège des institutions du Canton Pouguè-Djouèl dans
l'arrondissement de Ngok-Mapubi ». Le Canton
Pouguè-Djouèl, il est important de le souligner, est
dirigé par un Chef de canton le nommé MADING Joseph qui nous a
aussi accordé un entretien. Ajoutons aussi ici avec le
Sous-préfet de l'arrondissement de Ngok-Mapubi, M. NDONGO Luc, que
Boumnyebel ne constitue qu'une chefferie de 3ème degré
parmi les dix-sept (17) autres chefferies du même type.
Cette chefferie de 3ème degré
(Boumnyebel) est, pour l'essentiel, peuplée de Basaa. Plusieurs
« Sous-familles » de la « Grande Famille
Basaa-Mpo'o-Bati » y vivent notamment les Ndog Ngônd
(sous-famille à laquelle appartient le Chef EOCK S.) et les Log
Baég (sous-famille d'appartenance du Chef de canton MADING J.).
Précisons ici que la sous-famille Ndog Ngônd est l'une des 63
« Sous-familles » de la « Famille
Babimbi » (mentionnée plus haut), et la sous-famille Log
Baég est comprise dans les 22 « Sous-familles » de
la « Famille Likol ».
À ce niveau, nous pouvons retenir qu'en
dépit de ces multiples divisions internes et des
évènements historiques parfois très douloureux, à
l'instar de colonisation occidentale, qu'ils ont vécu, les Basaa (pour
l'essentiel) n'abandonneront pas totalement leur religion
traditionnelle34(*)
(notamment pendant la colonisation), mais vont, en essayant de dépasser
leurs pseudo-différences, chercher à se regrouper et à
adapter cette « religion commune » aux nouvelles croyances
venues d'Occident. C'est ainsi qu'aujourd'hui, on peut par exemple noter
que : les Basaa de Boumnyebel croient en Dieu
(« Hilôlômbi ») soit à travers
les « Ancêtres » ou « Bagwal
», soit par l'entremise de Jésus-Christ, Fils de Dieu. On
assiste ainsi à une sorte « d'accumulation » de
croyances et de modes d'actions sociopolitiques
(« visibles » et « invisibles ») au
Cameroun en général et à Boumnyebel en particulier.
6. CONSIDÉRATIONS
MÉTHODOLOGIQUES
Pour mener à bien notre travail de
recherche, nous nous servons d'une part, des techniques de recherche et d'autre
part, nous recourrons à deux (2) approches méthodologiques
à savoir : la méthode historique et l'interactionnisme.
6.1. Les techniques de recherche
S'agissant des techniques de recherche,
nous avons notamment recours aux « techniques
documentaires » et aux « techniques
vivantes »35(*).
6.1.1. Les techniques
documentaires
Les « techniques
documentaires » nous ont permis, par le biais de la réflexion,
d'analyser des ouvrages (notamment spécialisés), des articles de
revues et bien d'autres « textes sacrés » (notamment
la « Sainte Bible ») qui semblaient tous prendre en compte
les implications des forces de l'Invisible sur la vie des individus (acteurs
sociaux et surtout acteurs politiques) et par voie de conséquence sur la
communauté locale et nationale en particulier, l'humanité toute
entière en général. Ce qui a surtout attiré notre
attention et nous a semblé prégnant au cours de ces lectures,
c'est la l'immense richesse (heuristique et didactique) de ces sources
documentaires et surtout leur incroyable actualité (les
développements qui y sont faits ont su garder toute leur pertinence au
fil du temps), même pour ceux des ouvrages écrits il y a plusieurs
décennies.
6.1.2. Les techniques vivantes
Les « techniques
vivantes », quant à elles, nous ont permis d'utiliser deux (2)
grands moyens de recherche à savoir : l'interrogation (l'interview)
et l'observation. En effet, de Juin 2008 à Février 2009, nous
avons effectué à Boumnyebel, des études sur le terrain,
précisément dans la chefferie traditionnelle de
3ème degré (dirigée par le Chef EOCK S.) et la
chefferie de canton de Boumnyebel-Likanda (dirigée par le Chef MADING
J.). Au cours de cette enquête, nous avons pu interroger : quelques
autorités traditionnelles (chefs traditionnels et patriarches
traditionnels ou « Ba Mbombok »), des autorités
administratives (notamment le Sous-préfet de l'arrondissement de
Ngok-Mapubi, M. NDONGO L.), des acteurs politiques (M. MAYACK I.,
vice-président de la sous section RDPC de Boumnyebel et conseiller
à la commune rurale de Ngok-Mapubi ; et un « Ambassadeur
camerounais » rencontré au cours d'une cérémonie
traditionnelle, qui a préféré garder l'anonymat) et
d'autres acteurs sociaux (commerçants, fonctionnaires, footballeurs,
étudiants...). Toute au long de cette période, nous avons
également fait des observations (souvent
« participantes ») de cérémonies de
guérison et de « blindage » effectuées par
les « Ba Mbombok » (guérisseurs
traditionnels par excellence et grands prêtres chez les Basaa)36(*). Sur le plan personnel, ces
investigations ont été très instructives pour nous
puisqu'elles nous ont permis de comprendre, entre autres, qu'en dépit
des discours officiels, des apparences « rationalistes »,
les Camerounais en général sont de plus en plus conscients des
méfaits de la « sorcellerie » (utilisation funeste
des forces de l'Invisible) et des bienfaits de la
« théurgie » (application bénéfique du
recours à l'Invisible).
6.2. Les mÉthodes de recherche
Pour conduire adéquatement notre
étude, nous avons eu recours à deux (2) principales
méthodes d'analyse à savoir : la méthode historique et
l'interactionnisme.
6.2.1. La méthode
historique
La
« méthode historique », nous a permis non seulement
de tenir compte du temps court, mais aussi du temps long, car comme le
relève pertinemment P. GESCHIERE (1996 : 82), en Afrique, le
rapport entre sorcellerie et politique se renouvelle permanemment sur le plan
local, national et même international. Il est donc indispensable de tenir
compte de l'évolution du problème, de « l'histoire du
problème » pour paraphraser HEGEL, avant de l'étudier
dans notre contexte actuel, car les « forces de
l'Invisible » vivent et se transforment (s'adaptent) au fil des
années. Autrement dit, nous avons essayé d'utiliser la
méthode historique de manière à établir une
« diachronie » et une « synchronie » de
l'impact des forces de l'Invisible sur la vie sociopolitique des Camerounais en
général et des Basaa de Boumnyebel en particulier.
Concrètement, l'« analyse diachronique » nous a
été utile pour étudier le phénomène
(l'impact des forces de l'Invisible) sur le plan de son
« évolution », c'est-à-dire, avant et pendant
la colonisation européenne. Tandis que l'« analyse
synchronique », quant à elle, a été
mobilisée dans le but de tenter de ressortir : l'influence du
recours aux forces de l'Invisible sur la vie sociale et surtout sur les
relations de pouvoir telles qu'elles se présentent à
« l'époque contemporaine » au Cameroun.
6.2.2. L'interactionnisme
L'« interactionnisme » étant également une
méthode qui, certes, met en avant les
« rôles », les « relations », les
« choix » et les « aspirations » des
acteurs (G. HERMET, B. BADIE, P. BIRNBAUM, P. BRAUD, 2001 : 142-143) tout
en tenant compte du contexte social, culturel et politique dans lequel
évoluent ces derniers, nous a permis, d'analyse l'influence des forces
de l'Invisible, à partir de deux (2) perspectives étroitement
liées : celle holiste et celle individualiste.
L'interactionnisme dans sa dimension holistique, nous
a permis d'appréhender et d'étudier l'influence des
« forces de l'Invisible » sur la vie sociopolitique de la
communauté basaa de Boumnyebel comme un véritable
« fait social » (E. DURKHEIM, 1968 : 11). En effet,
les forces de l'Invisible peuvent être appréhendées comme
des « manières occultes » d'agir, de penser et de
sentir propres aux communautés humaines (en l'occurrence Basaa) et
dotées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s'imposent
à tout membre appartenant à ladite communauté qu'il le
veuille ou non. Dans cette perspective, nous cherchons donc à
démontrer qu'au Cameroun en général et à Boumnyebel
en particulier, les forces de l'Invisible constituent un ensemble
d'« actes et d'idées magico-religieux » que les
individus trouvent en naissant, qui sont antérieures à chacun
(existent depuis la création du monde par notre Père à
tous, Dieu) et s'imposent à tous (ceux qui y croient et ceux qui n'y
croient guère). Nous avons, par ailleurs pu noter grâce à
cette méthode, comment la communauté (à travers les
ordalies par exemple) essaie de juguler les travers et les influences
néfastes de ces forces occultes (notamment les pratiques de
sorcellerie).
Dans une perspective plus individualiste,
l'interactionnisme nous a permis de démontrer que s'il est admis que les
individus n'existent sociologiquement qu'en relation (pour être
« reconnu » comme membre dans une société, on
ne peut vivre en autarcie), il est également admis qu'ils restent libres
d'être ou de ne pas être en relation (on peut toujours exister en
tant qu'individu sans être « reconnu » comme membre
du société). Nous avons voulu, à ce niveau, partir
davantage de l'individu en tant qu'acteur doté du « libre
arbitre »37(*)
au sein d'une communauté humaine, afin de mieux comprendre et analyser
l'influence des forces de l'Invisible. En fait, lorsqu'un acteur choisit de
recourir à la « goétie » au lieu de la
« théurgie » pour réussir sur le plan
politique par exemple, il ne s'agit pas d'un choix qui serait automatiquement
dicté par la société (dans l'ensemble, les
sociétés « traditionnelles » ou
« modernes » ont toujours réprimé les
pratiques de sorcellerie), mais d'un choix personnel obéissant notamment
à la soif de pouvoir de l'acteur concerné. Ce dernier, dans cette
perspective, se sert simplement des « atouts secrets » (en
l'occurrence maléfiques) que lui offre la société pour
atteindre ses objectifs. L'individu au sein d'un groupe ou d'une
communauté ne perd donc pas son
« individualité » (ELUNGU P.E.A, 1987 : 41),
mais tend à renforcer sa personnalité (constructive ou
destructrice).
En somme, l'interactionnisme est mobilisé, dans
notre étude, de manière à nous permettre d'étudier
l'influence des forces de l'Invisible en partant de deux (2) angles de
vue différents et intrinsèquement liés : au niveau
« supra » de la communauté et au niveau
« infra » des individus (sujets actifs et passifs
selon les différentes configurations de la vie quotidienne) des forces
de l'Invisible. Ainsi donc, dans une perspective individualiste, nous avons
cherché à démontrer que malgré les liens familiaux
(communautaires) qui peuvent le rattacher à son terroir, le Camerounais
en général et le Basaa de Boumnyebel en particulier, ne
s'approprient pas toujours les forces de l'Invisible dans
l'intérêt de la communauté, c'est-à-dire, dans le
sens de la préservation de la « Vie » (notamment
quand ils recourent à la sorcellerie pour s'élever sur le plan
social et politique), mais plutôt pour lui-même en tant qu'individu
ambitieux et prêt à tout pour réussir sur le plan
sociopolitique, même si cela doit entraîner l'anéantissement
de ses frères et concitoyens. Ici, le recours aux forces de l'Invisible
devient en conséquence une véritable « action
sociale », précisément, une « action sociale
occulte » orientée vers autrui et porteuse d'un sens (positif
ou négatif), donc significative pour les acteurs au sein de la
configuration. Il est important de préciser ici que, en utilisant le
concept d'« action sociale occulte » inspiré de
celui d'« action sociale » de M. WEBER, nous voulons
démontrer que : d'une part, lorsque le guérisseur
traditionnel, par exemple, soigne ou « blinde » un patient
(l'immunise contre des attaques occultes à venir), il accomplit une
« action sociale occulte » qui est positive. Autrement dit,
en utilisant sa connaissance mystique (des plantes et des ancêtres ou
tout autre esprit bénéfique) pour soulager son prochain (en le
guérissant ou le « blindant » contre les affections
occultes des sorciers), il effectue une « action sociale »
qui, parce qu'elle touche ou s'attaque à l'invisible (les maladies dites
mystiques), devient « une action sociale occulte
positive ». Au départ, cette « action sociale
occulte positive » peut ne pas être significative pour le
patient (le cas d'un patient qui ignore le monde de l'Invisible et des
sorciers, mais qui, après avoir fait le tour des hôpitaux en vain,
se résout à consulter un tradi-praticien sous le conseil de ses
proches plus avisés38(*) ), mais elle finit toujours par prendre un sens
singulier lorsque les effets positifs (par exemple, la guérison d'un mal
que l'on trimbalait depuis des années et que la médecine
occidentale n'arrivait pas à endiguer) se font ressentir sur le corps et
sur l'esprit du patient. Notons également que lors des
cérémonies de guérisons, le patient est exhorté
à participer physique (en effectuant certaines tâches
mentionnées par le guérisseur) et spirituellement (en ayant foi
en sa guérison). Le guérisseur et le patient sont donc ici dans
une « relation », dans une « configuration
interactionniste » où se mêlent le
« visible » (plantes, potions, objets divers...) et
l'« Invisible » (l'esprit du guérisseur, l'esprit
dudit patient et les esprits bénéfiques, Dieu). D'autre part,
lorsque le sorcier ou la sorcière utilise sa connaissance mystique,
cette fois non plus pour soulager autrui, comme mentionné plus haut,
mais pour le nuire (en le « mangeant » ou en le rendant
mystiquement malade), il accomplit aussi une « action sociale
occulte », sauf qu'il s'agit en l'occurrence d'une « action
sociale occulte négative ». Cette dernière est
toujours significative pour le sorcier (quand il pose l'acte maléfique,
il le fait en son âme et conscience), mais le devient également
pour sa victime lorsqu'elle en subit les effets désastreux et se voit
parfois obligée de consulter un guérisseur traditionnel.
7. LES ARTICULATIONS DE L'ÉTUDE
Notre travail présente un plan à la
fois « diachronique » et
« synchronique ». L'approche diachronique, comme nous
l'avons souligné plus haut, nous a permis de tenir compte de
« l'évolution » du recours aux forces de l'Invisible
en allant explorer, dans le passé, les différents
procédés employés par les individus qui, au sein de la
communauté étaient chargés de veiller à la
« Vie » (religieuse, politique et sociale). Quant à
l'approche synchronique, elle nous a permis de voir comment
« l'occulte » est utilisé dans un
« contexte moderne » et complètement
transformé dans lequel : les vieilles solidarités ont
tendance à s'estomper laissant place à la lutte impitoyable
où la seule règle qui, a priori, a droit de cité est celle
du « Dieu pour tous et chacun pour soi »39(*).
Notre étude présente en
conséquence deux (2) grandes articulations. Dans la première
(Première partie), nous avons essayé de souligner l'influence des
« forces de l'Invisible dans la localité de Boumnyebel pendant
la colonisation » et dans la seconde (Deuxième partie), nous
nous sommes évertués à montrer que cette influence des
« forces occultes » reste toujours aussi prégnante
à Boumnyebel depuis l'accession à l'«
indépendance ».
IV PREMIÈRE PARTIE
V POUVOIRS ET
FORCES DE L'INVISIBLE DANS LA LOCALITÉ DE BOUMNYEBEL À
L'ÉPOQUE COLONIALE
La compréhension du présent et la
projection dans l'avenir passent nécessairement par une analyse
attentive du passé. En effet, comme l'affirmait déjà
QUOHÉLETH ou L'ECCLÉSIASTE (1. 9-10), quel que soit
l'évènement qui survient de nos jours comme une nouveauté
pour nous, il n'en est rien en réalité, puisque cela s'est
déjà produit dans le passé et se produira certainement
encore donc : « rien de nouveau sous le
soleil ! »40(*).
C'est à partir de cette remarque pertinente que
nous avons subdivisé cette Première Partie en deux (2) mouvements
essentiels afin de démontrer la permanence du recours à
l'Invisible (même la période coloniale n'a pas réussi
à enrayer le phénomène, mais semble plutôt l'avoir
tonifié). Dans un premier mouvement, nous avons donc commencé par
souligner que les Basaa en général, ceux de la localité de
Boumnyebel en l'occurrence, avaient une perception assez particulière de
la colonisation (Chapitre 1) et, dans le deuxième mouvement, nous avons
essayé de démontrer que c'est de cette
« perception » de l'arrivée conquérante des
Européens sur la « Terre ancestrale », que
découlera le souci majeur de défendre, coûte que
coûte, cette dernière (Chapitre 2).
CHAPITRE I
LA PERCEPTION DES BASAA DE BOUMNYEBEL DE LA
COLONISATION EUROPÉENNE COMME ACTE HISTORIQUE
« SUBVERSIF » ET
« ALIÉNANT »
Tout de go, il semble important de souligner que les
Basaa de Boumnyebel, comme les autres peuples bantus en général,
sont des Noirs Africains très attachés à la terre. En
fait, « le milieu favori de la vision béatifique »
du Noir étant la terre (D. ZAHAN, 1970 : 33), nous pouvons affirmer
que les Basaa de Boumnyebel en l'occurrence, sont avant tout des terriens
obstinés. Ce qui justifiera sans doute leur obsession, leur obstination
à défendre celle-ci contre celui qui sera considéré
comme « un envahisseur » (le Colonisateur). Par ailleurs,
nous pouvons mentionner que cette capacité de résistance
découle également du fait que :
« L'Afrique bantu est un monde
traditionnellement rural qui doit l'essentiel de son originalité aux
civilisations paysannes. Ainsi, à chaque société
correspond une culture particulière faite d'objets naturels, de
comportements institutionnalisés, d'organisations sociales, de
connaissances techniques, de conceptions philosophiques
et religieuses de créations esthétiques. Cet
ensemble propre à chaque groupe constitue un héritage
collectif que chaque génération reçoit de la
précédents et transmet à la suivante » (OBENGA
T., 1989 : 174).
À partir de-là, quand nous parlons de la
perception des Basaa de Boumnyebel de la colonisation européenne, nous
voulons souligner que : eu égard à leur
« civilisation paysanne » et à leur
« héritage collectif transmis de génération en
génération », les Basaa ne virent pas d'un bon oeil
l'arrivée conquérante des Européens sur leur terre. Une
question mérite d'être posée ici :
concrètement, comment la colonisation européenne avait-elle
été perçue et vécue par les Basaa, un peuple fier
à l'instar des autres peuples bantus ? Pour répondre
à cette interrogation, nous avons essayé de démontrer
d'une part que : pour les Basaa en général et ceux de
Boumnyebel en particulier, la colonisation européenne fut perçue
comme un « acte subversif » en ce sens qu'il s'agissait non
seulement d'une invasion étrangère, mais également d'une
profanation de la « terre ancestrale » (I). D'autre part,
nous nous sommes attelés à démontrer que : les Basaa
de Boumnyebel vécurent également cette colonisation comme un
« évènement aliénant » voire un
« crime de lèse-majesté » vis-à-vis
des descendants et des ascendants (II).
I LA
COLONISATION EUROPÉENNE COMME INVASION ET PROFANATION DE LA
« TERRE ANCESTRALE »
Notons d'emblée avec OBENGA
Théophile (1989 : 170), que plusieurs évènements ont
ébranlé les populations bantu au cours de leurs migrations du
nord vers le sud du continent du Ier Siècle de notre
ère, jusqu'au XIXème Siècle à
savoir : des guerres inter-ethniques en passant par la traite des esclaves
jusqu'à l'occupation européenne du continent africain. Le
Cameroun en l'occurrence, a connu plusieurs périodes successives
d'occupation européenne. E. WONYU (1975 : 23-29) en retient cinq
(5). La première, la « période portugaise »
(1472-1578), va favoriser la richesse des Basaa avec l'introduction de diverses
cultures dans le pays tels la papaye, le cacao, la canne à sucre et
l'avocat. La seconde fut la « période hollandaise »
(1621-1845). Ce qu'il faut retenir de cette seconde période, selon
l'auteur, c'est que les Hollandais non seulement pratiquaient « le
vol » sous le couvert de relations commerciales, mais surtout,
« poussés par un ministère du culte
protestant », ils inspireront d'autres hommes à ventre la
chair humaine. La troisième, la « période
anglaise » (1845-1884) au cours de laquelle, notre côte sera
exploitée jusqu'au Congrès de Berlin. Cependant, les Anglais,
à cause de leur fameux « wait and see » perdront la
première manche de la colonisation du Cameroun au profit des
envoyés du Kaiser prussien. La quatrième fut la
« période allemande » (1884-1916). Et la
cinquième, la « période française »
(1916-1960).
Dans la suite de notre travail, nous nous sommes
essentiellement appuyés sur ces deux (2) dernières
périodes (la période allemande et la période
française) pour asseoir notre démonstration. Ainsi, pour
comprendre pourquoi la colonisation européenne est perçue par les
Basaa de Boumnyebel comme une « invasion » et une
« profanation de la terre des Ancêtres », il faut
tenir compte de deux (2) faits essentiels à savoir : la cosmogonie
(la représentation du « Mbok Basaa ») et
l'organisation religieuse de ce peuple (A) d'une part ; d'autre part,
le chamboulement que va provoquer l'arrivée des Européens sur ce
bel assemblage traditionnel (B).
A. LA COSMOGONIE ET L'ORGANISATION RELIGIEUSE
TRADITIONNELLE DES BASAA
Pour plus de clarté,
commençons d'abord par présenter la
« cosmogonie » du peuple basaa, avant d'essayer d'analyser
son « organisation religieuse traditionnelle ».
1. LA COSMOGONIE TRADITIONNELLE DES BASAA OU LE
« MBOK BASAA »
Soulignons de prime abord que tous les Bantu
« reconnaissent un créateur ou une divinité
suprême ; celui qui créa tout, féconda la terre et
anima les vivants. Une cérémonie commune à tous ces
peuples : le culte des ancêtres » (OBENGA T.,
1989 : 206). Chez les Basaa par exemple, le
« Mbok » (univers, monde) est
appréhendé comme un ensemble comprenant du haut vers le bas
: « Hilôlômbi » (l'Être
Suprême), les « Bilôn » (les
divinités), les « Mimbuu » (les esprits),
et « Bot » (les hommes) (E. WONYU, 1975 :
44). Essayons de comprendre ces termes.
« Hilôlômbi », encore appelé
« Bayemi-kok », c'est-à-dire,
« le plus grand qui broie tout, transcende tout »
(E. WONYU, 1975 : 46), est le Créateur du
« Mbok » (l'Univers) et du premier homme
(« Mbot bot »).
« Hilôlômbi » est donc
« puissance pour puissance », le « Maa
Ngala » des Bambara. C'est lui qui :
« Préleva une parcelle sur chacune
des vingt créatures existantes, les mélangea puis, soufflant dans
ce mélange une étincelle de son propre souffle igné,
créa un nouvel Être, l'homme, auquel il donna une partie de son
propre nom : Maa. De sorte que ce nouvel être contenait, de
par son nom et par l'étincelle divine introduite en lui, quelque chose
de Maa Ngala lui-même. Synthèse de tout ce qui existe,
réceptacle par excellence de la Force suprême en même temps
que confluent de toutes les forces existantes, Maa, l'homme,
reçut en héritage une parcelle de la puissance créatrice
divine, le don de l'Esprit et de la Parole » (A. HAMPATE BA,
1980 : 191-230).
C'est pourquoi
« Hilôlômbi », dans la religion
traditionnelle (Culte des Ancêtres), est honoré à travers
la longue lignée des ancêtres (de ses fils).
Les « Bilôn » sont
des divinités plus proches de
« Hilôlômbi ». Elles peuvent, à
l'instar des ancêtres, servir d'intermédiaires entre Dieu et les
hommes. Dominique MALAQUAIS (2002 : 96) souligne par exemple à ce
propos que : « les chutes d'eau sont habitées par des
divinités protectrices des environs, c'est pourquoi à
côté de chaque chute s'élèvent des petites cases,
soigneusement entretenues, qui servent d'abris aux (dieux gardiens) de la
chute ».
Les « Mimbuu » sont des
esprits plus proches des hommes. Ils peuvent être
bénéfiques (les esprits des ancêtres) ou maléfiques
(notamment le « Nlémba »). Il est judicieux
de savoir que les ancêtres ou
« Basôgôl » (au sens strict) et
« Bagwal » (au sens large), sont « des
défunts illustres dont les actes et les hauts faits ont marqué
leur peuple ou leur génération et leur ont permis de passer
à la postérité » (C. M. F.-NZUJI, 1993 : 74).
Ces derniers habitent tous dans un grand village : c'est le
« panthéon ancestral » où le
« Nlémba » n'a pas de place. En fait, le
« Nlémba » chez les Basaa, est au
départ un homme mauvais qui, n'ayant pas vénéré
« Hilôlômbi » (Dieu) ni laissé
de surcroît de descendant, « se transforme en un
élément sans âme pour venir errer dans les villages ;
c'est [...] le rejeté de la cité des bienheureux. Sa
destinée reste la destruction totale... » (E. WONYU,
1975 : 47).
« Bot », les hommes
(singulier « Mut ») sont une création de
« Hilôlômbi » (Dieu). L'Être
Suprême, après avoir créé « Mbot
bot » (le premier homme, le premier ancêtre de la
lignée) lui enseigna « les lois d'après lesquelles tous
les éléments du cosmos furent formés et continuent
d'exister. Il l'instaura gardien de son Univers et le chargea de veiller au
maintien de l'Harmonie universelle » (C. M. F.-NZUJI, 1993 :
27). Par ailleurs, pour une compréhension un peu plus affinée,
deux (2) chiffres fondamentaux permettent de mieux cerner l'homme
(« Mut ») et le
« Mbok » (l'Univers) dans la cosmogonie basaa
à savoir : le « Chiffre trois (3) » et le
« Chiffre neuf (9) ».
S'agissant du « Chiffre trois (3) » un
proverbe basaa indique que : « Kii mbok gwée mbok yaa ib?o
nkégi », c'est-à-dire, « le monde n'est
né que le jour où le sexe de la femme s'est ouvert »
(E. WONYU, 1975 : 7). Il semble donc que chez les Basaa, le mythe de la
création de l'homme tourne autour du sexe de la femme41(*), faisant d'elle la
« Mère » de l'humanité, c'est-à-dire,
celle par qui, grâce à
« Hilôlômbi » (Dieu), émerge la
« Vie ». En effet, comme le souligne l'auteur qui
précède, le mythe basaa de la création de
« Mut » (l'homme) mentionne que :
« Au départ, il y avait un néant en
forme de cercle dans lequel se trouve inséré un triangle, et de
l'éclatement de ce triangle, il est sorti un objet en forme de verge,
laquelle verge ayant fécondé le triangle ouvert, l'on a obtenu un
objet plus petit encore [...] Le chiffre 3 s'explique donc de la façon
suivante : le grand bâton sorti du triangle représente la
verge de l'homme ; le triangle ouvert le sexe de la femme et le petit
bâton produit de la copulation du bâton s'introduisant dans le
trou, a engendré : l'enfant Man ...» (E. WONYU,
1975 : 7).
Nous pouvons donc retenir ici que : dans la
cosmogonie basaa le « Chiffre trois (3) » renvoie à
trois (3) entités constitutives de la partie
« visible » du « Mbok Basaa »
(l'Univers selon les Basaa) que sont le Père, la Mère et
l'Enfant. Ainsi, « Isan » (le père)
dérive du mot « San »42(*) (la lutte) : l'homme est
donc un lutteur par essence, la lutte est sa fonction première dans le
« Mbok ». Quant au terme
« Nyan » (la mère), il dérive du
verbe « Nye » (pondre) : le rôle
premier de la femme est donc l'enfantement43(*). Enfin, « Man » ou
l'enfant vient du verbe « An » (lire ou relier),
« donc c'est un être qui lie l'un à l'autre ses parents
et qui complète en même temps les 3 sommets du triangle qui
constitue le sexe de la femme » (E. WONYU, 1975 : 7-8).
Par ailleurs, la symbolique du « Chiffre
trois (3) » se retrouve également sur le plan
métaphysique et sur le plan de l'autorité politique.
Sur le plan
« métaphysique », le « Chiffre trois
(3) » désigne trois (3) mondes à savoir : le monde
des « divinités » (incluant la Divinité
suprême, Dieu), et le monde des ancêtres (et des esprits) d'une
part : ces deux mondes constituent le « Monde
Invisible ». Et d'autre part, le monde des
« vivants » lequel représente le « Monde
Visible ». Ces deux (2) « Grands Mondes »
(le « Monde Invisible » et le « Monde
Visible ») représentent, in fine, les deux (2) principales
faces du « Mbok Basaa » (le Grand Univers dans sa
plus complète expression).
Sur le plan de l'« autorité
politique », le « Kingè » (Chef
traditionnel chez les Basaa) « s'assied toujours sur un
trépied appelé MBENDA, trépied sur lequel on
s'assied pour dire la loi Mbén » (E. WONYU,
1975 : 8).
Quant au « Chiffre neuf (9) », il est,
à l'instar des autres multiples de trois (3), considéré
comme un chiffre « sacré ». En fait, pour les
Basaa :
« Tout être humain n'est complet que
s'il est 9. Parce que d'un côté il est le produit d'un monde
préétabli avant sa naissance, soit au moins 5
générations. Ce sont ses ascendants ou (bagwal) ;
de l'autre, il doit être le chef d'une descendance (les balal)
allant de son propre fils au dernier de l'échelle, lequel dernier, en
même temps qu'il continue la lignée, la dépasse en
renouvelant le cycle, devenant à son tour le fondateur (mbot
bot). Il est le symbole ou la clause de fermeture et
d'ouverture » (E. WONYU, 1975 : 36).
Ce qui est important de comprendre ici c'est que nous
sommes dans une société patrilinéaire où le fils
(« Man ») est considéré comme la
« plaque tournante », celle qui permet à la
lignée de se pérenniser. C'est pourquoi lorsque dans une famille,
il n'y a pas de garçon, l'homme à la fin de son
séjour terrestre, se plaint d'avoir vécu inutilement,
d'être perdu pour l'éternité : c'est le cri de
« Me mbélél mbog » du Basaa du
Cameroun. En effet, Sans ce fils, sans cette « plaque
tournante », il n'y a aucun lien entre lui et la
société qui survit. La caractéristique essentielle de
cette pensée repose, indubitablement, sur le fondement d'une famille,
lieu idéal où l'homme trouve toutes sortes de liens ;
affections, autorité, tradition, solidarité, etc. (E. WONYU,
1975 : 36).
Pour finir, nous pouvons également souligner
que dans la cosmogonie traditionnelle basaa, le « Chiffre
9 » sert également de limite, de frontière à ne
pas franchir sur le plan de la connaissance, notamment la connaissance
mystique, car ne rien savoir est dangereux, mais en savoir trop aussi (tout
étant une question de mesure, d'humilité face à
l'Être Suprême), d'où le proverbe :
« Likaò li nlel bé bôô »
ou « Bôô inlel bé
likaò », c'est-à-dire, « Aucune science
ou connaissance n'est possible au-delà du chiffre 9 »
(E. WONYU, 1975 : 35-36). Il faut savoir qu'au-delà du
« Chiffre 9 » (4 + 5) on a le « Chiffre
10 » (9 + 1). Dans la religion traditionnelle basaa (que nous allons
étudier juste après), le « Chiffre 10 »
représente « Hilôlômbi » (Dieu)
ou la chose complète et le « Chiffre 9 »
l'Homme44(*) où :
« 4 » représente la femme ou le sexe féminin
et « 5 » représente l'homme ou le sexe masculin.
2. L'ORGANISATION RELIGIEUSE TRADITIONNELLE DES
BASAA
Avant d'aborder précisément
cette organisation religieuse traditionnelle, quelques petites
précisions d'importance doivent d'emblée être faites
ici à propos des termes suivants : la place de « la
religion » chez le Basaa, la notion de
« sorcellerie » et la conception de la vie et de la mort.
La « religion » est importante
pour l'Africain en général et le Basaa en particulier parce
qu'elle représente avant tout et surtout un « mode de
vie », un ensemble de coutumes, des pratiques, des croyances, des
rites, des lois et des obligations de tout un peuple. Elle touche
à tous les domaines de la vie : politique, économie,
philosophie, sciences exactes, éthique, théologie, etc. Elle est
toute une « civilisation » issue d'une vaste culture.
C'est pourquoi le Basaa pense que, appartenir à sa religion ce
n'est pas exhiber des chiffres des adeptes ni se livrer à la course au
prosélytisme, mais c'est tout simplement « vivre »
en harmonie avec la nature, ses semblables. C'est « vivre »
avec droiture, humanité, humilité et sagesse (WONYU, 1975 :
40).
La « sorcellerie », quant à
elle, fait partie intégrante de l'organisation religieuse traditionnelle
basaa, puisqu'elle est « une expérience métaphysique du
mal absolu » que la société, à travers des
cérémonies rituelles, s'efforce de conjurer afin de
préserver la « vie » et l'harmonie de ses membres
(ELUNGU P.E.A, 1987 : 75).
Enfin, la « conception de la vie et de la
mort » semble être le centre névralgique de cette
organisation religieuse. En effet, en « pays basaa », comme
partout en Afrique, la notion de vie et de mort constitue la base du sentiment
religieux : la « vie » précède la mort
(la « vie terrestre » s'achève avec la mort), mais
la « vie » succède aussi à la mort (la
« vie éternelle », au sein du panthéon
ancestral, ne s'acquière qu'après la « mort
terrestre ») (D. ZAHAN, 1970 : 62). Il est tout aussi important
de noter que, dans cette conception de la « vie » et de la
« mort », les vivants dépendent des morts comme de
leurs supérieurs (ELUNGU P.E.A, 1987 : 43). Cela n'a rien
d'étonnant puisque, comme le soulignait BASTIDE R.45(*), les civilisations africaines
sont des civilisations symboliques où les « Morts »
et les « Vivants » constituent une même
« Communauté » (le
« Mbok » chez les Basaa) et cela d'autant plus
facilement que la « mort » n'est qu'un passage à un
statut supérieur : celui d'« Ancêtre illustre
éternel ».
En résumé, nous pouvons retenir que,
pour l'Africain en général et le Basaa en particulier,
« les morts ne sont pas morts » (BIRAGO DIOP)46(*), mais restent
omniprésents auprès des vivants.
Ces quelques éléments, parmi tant
d'autres non moins importants, sont susceptibles de nous permettre de mieux
comprendre, au risque de nous répéter, pourquoi dans la religion
traditionnelle, les Basaa recourent à Dieu, comme par ailleurs
aussi aux ancêtres, aux esprits, à tout ce qui est vie, force pour
vivre mieux et davantage.
Pour revenir précisément à
l'« organisation religieuse traditionnelle » des Basaa,
nous insistons ici, eu égard à notre thème, sur deux (2)
de ses composants essentiels à savoir : le
« spirituel » (la religion traditionnelle proprement dite)
et le « temporel » (l'autorité politique
incarnée par le chef de la communauté). Essayons d'analyser ces
deux (2) principaux composants.
La « religion traditionnelle » (le
composant spirituel de l'organisation religieuse traditionnelle basaa),
était un acte familial auquel les fidèles (les membres de la
famille) étaient sollicités par les « autorités
religieuses » (« Ba Mbombok »). En son
sein, on distinguait jadis quatre (4) paliers. Au premier, on avait les
« étrangers » à la vie religieuse de la
famille (« Balolo »). Au second, se trouvaient
les « conformistes » dont les pratiques sont seulement des actes
solennels : tel le baptême de l'enfant, la cérémonie
de la bénédiction ou
« saï mbok », le mariage,
l'enterrement. Il s'agissait en fait des « Ba
Mbombok » (notamment des « Ba Mbombok
Mabouye »). Le troisième palier comprenait les
« pratiquants » qui se soumettent aux actes
périodiques (initiation au sein des confréries). Enfin le
quatrième palier renvoyait aux « dévots »,
aux prêtres tels : les
« Bangengé », les « Bôt
ba Ngambi », « Maum »,
« Koo » (E. WONYU, 1975 : 32).
Il convient de souligner, pour une meilleure
compréhension, que dans cette « religion
traditionnelle » (jadis et surtout aujourd'hui), le prêtre et
le guérisseur par excellence c'est le
« Mbombok ». Qu'est-ce qu'un
« Mbombok » de façon précise ?
Pour répondre à cette question, nous nous référons
ici aux témoignages des « Ba Mbombok »
(pluriel de « Mbombok ») que nous avons
rencontrés au cours de notre étude (précisément en
Septembre 2008).
Selon le « Mbombok
B. » et son élève le
« Mbombok R. », par exemple, le
terme « Mbombok » peut se comprendre suivant deux
(2) acceptions. Dans un sens large, un « Mbombok »
est un individu (homme ou femme) qui a été initié au
« savoir mystique ancestral » qui lui permet de faire des
« divinations », de soigner des « maladies
occultes » ou liées à la procréation et, par
conséquent, il ou elle se doit de posséder au moins un
« sat mbok » (objet à pouvoir ayant
été consacré par les ancêtres). Dans un sens plus
spécifique, le terme renvoie soit à une femme qui a
été initiée au « Koo » (le
seul « sat mbok » féminin,
spécialisé pour tout ce qui se rapport à la femme,
à l'enfant, à la maternité...), soit à un homme qui
possède au moins l'un des cinq (5) « sat mbok »
ou les cinq (5) à la fois (ce qui constitue un fait très rare).
Parmi ces « cinq objets sacrés » nous avons :
le « Kòn » (très rare), son
possesseur appelé « Kònkòn »,
a pour spécialité la réalisation de tous les types de
« blindage » ; le « Um »,
son possesseur le « Umum », est
spécialisé en matière d'épilepsie et de
stérilité mystiques (chez l'homme) ; le
« Nguéé », son possesseur le
« Nguéénguéé », est
spécialisé pour soigner des « affections
occultes » de types « Likang » ; le
« Mbak », son possesseur le
« Mbambag », a la réputation de soigner la
« tuberculose mystique » ; et enfin le
« Ndondo », son possesseur le
« Ndondo », soigne d'autres formes
d'« empoisonnement mystique ». On note ainsi une
confrérie traditionnelle principale chez les femmes : c'est la
confrérie du « Koo ». Alors que chez les
hommes on en dénombre cinq (5) fondamentales qui portent les mêmes
noms que les cinq (5) principaux « sat mbok »
masculin susvisés.
Schématiquement, nous pouvons par ailleurs
distinguer au sein de l'« organisation religieuse traditionnelle
basaa », deux (2) grandes catégories de
« Mbombok » : les « Ba
Mbombok » hommes (subdivisés en deux catégories)
et les « Ba Mbombok » femmes. Les
« Ba Mbombok » femmes sont appelées
« Kookoa », parce qu'elles possèdent le
« Koo ». Il semblerait que l'idéal pour un
« Mbombok » homme soit d'avoir une
« Mbombok » femme comme épouse ou que son
épouse s'initie au « Koo » pour devenir
elle aussi une « Mbombok ». La
« Kookoa » (la
« Mbombok » femme) a, entre autres, le pouvoir de
guérir le « dandi-isme » cette « maladie
particulière »47(*) qui frappe les femmes qui ont vu leurs
arrières petits enfants (« Dandi » chez les
Basaa). Chez les « Ba Mbombok » hommes, on peut
distinguer deux (2) types majeurs de « Mbombok »
aussi puissants les uns que les autres à savoir : les «
Ba Mbombok Mabouye » ou « Ba Mbombok
Matouk » et les « Ba Mbombok Nkoda
Ntong ».
Selon le « Mbombok
R. », dans la hiérarchie traditionnelle, les
« Ba Mbombok Mabouye » sont au sommet de
l'échelle. Ils sont passés maîtres dans l'art de soigner
toutes sortes de « maladies mystiques » connues (les
« Nson », le
« Likang »...). Ils sont également
chargés de diriger, sur le plan traditionnel, la cérémonie
d'intronisation du chef traditionnel (garant de l'autorité politique).
Il arrive parfois que dans sa mission de préservation de la vie de la
communauté, le « Mbombok Mabouye »
convertisse un sorcier ou une sorcière (en lui faisant avaler un produit
destiné à endormir son côté maléfique tout en
préservant ses pouvoirs occultes). L'individu en question devient une
sorte d'espion à la solde du
« Mbombok »48(*). En somme, les « Ba Mbombok
Mabouye » sont des sortes d'« Administrateurs
traditionnels sur le plan mystique » (« Mbombok
R. »). Par ailleurs, ils peuvent en cas de manquement
grave ou d'outrage, envoyer les « Ba Mbombok Nkoda
Ntong » sanctionner celui par qui le désordre est
arrivé dans la communauté.
Les « Ba Mbombok Nkoda
Ntong », quant à eux, constituent,
« l'Armée traditionnelle mystique »
(« Mbombok R. »). Il est
essentiel que comprendre ici que, tout comme les « Ba Mbombok
Matouk », les « Ba Mbombok Nkoda
Ntong » connaissent toutes les « techniques de
destructions occultes » ; mais à la différence des
premiers (qui ne doivent pas ôter la vie), les « Ba Mbombok
Nkoda Ntong » peuvent infliger la mort à certaines
occasions exceptionnelles et, en général, après
consultation (et assentiment) des autres « Ba
Mbombok ». C'est le cas lorsqu'un individu foule aux pieds les
valeurs traditionnelles en bafouant les interdits, ou s'approprie un bien qui
ne lui appartient pas de droit ou pire encore, massacre ses frères. Les
« Ba Mbombok Nkoda Ntong » sont le plus souvent
des « Nguéénguéé ».
Sur le plan de l'autorité politique (la
politique étant, à côté de la religion, le second
composant essentiel de l'organisation religieuse traditionnelle basaa), la
tradition basaa a voulu qu'elle soit incarnée par un Chef : c'est
le « Kingè » de la communauté dont
le pouvoir politique était d'essence religieuse (OBENGA.T., 1989 :
202), c'est-à-dire, devait recevoir l'onction des ancêtres
à travers les « Ba Mbombok ». Il convient
de souligner ici que l'« organisation politique » de la
communauté autour d'un Chef traditionnel (la
« Chefferie ») fut la structure politique la plus
généralisée et la plus ancienne de l'Afrique centrale.
Elle a non seulement préexisté à toutes les autres
différentes structures politiques (Royaumes, Empires, États),
mais a également su se maintenir au sein de celles-ci (OBENGA T.,
1989 : 259).
Le « Kingè »
était donc et est encore de nos jours, le chef politique traditionnel
d'un village, c'est-à-dire, d'un territoire sur lequel vivent (en
majorité) les descendants (« Balal ») d'une
même lignée d'ancêtres. Mais son autorité politique
était subordonnée, en règle générale,
à l'influence des « Ba Mbombok » qui
étaient d'ailleurs chargés de l'introniser lors d'une
cérémonie religieuse ancestrale. En outre, ces derniers devaient
assister et transmettre au « Kingè » les
ordres et les instructions de l'au-delà (par le biais de la divination
ou « Ngambi ») en fonction desquels la vie de la
communauté des vivants devait être réglée et
harmonisée (E. WONYU, 1975 : 44-45). Toutefois, cette influence des
« Ba Mbombok » se réduisait quelque peu
lorsque le Chef lui-même était un
« Mbombok »49(*), c'est-à-dire, en plus de l'autorité
politique, avait la « connaissance mystique »
nécessaire pour s'adressait directement aux ancêtres sans
systématiquement passer par le conseil des « Ba
Mbombok ». Une telle concentration des pouvoirs (religieux et
politique) permettait au chef de diriger avec une plus grande liberté
d'action, même entouré des autres prêtres traditionnels.
En somme, nous pouvons retenir que dans le cadre de
l'« organisation religieuse traditionnelle » des Basaa, la
« religion » (le pouvoir spirituel ancestral) primait sur
la « politique » (l'autorité politique du Chef).
Ainsi, en général, lorsqu'un problème survenait au sein de
la communauté familiale, selon son degré de gravité il
pouvait être réglé : soit au niveau des individus
eux-mêmes (les simples membres de la communauté) ; soit au
niveau politique du « Kingè » ; soit
enfin au niveau spirituel et mystique des « Ba
Mbombok » (seuls capables de recevoir et de décoder les
messages des ancêtres protecteurs). Cette primauté du
« religieux » sur le « politique »
obéissait simplement à « la hiérarchie des
ordres et des êtres de l'Univers selon le proverbe basaa (Mbog dinoo
dimoo) : les hommes sont comme les doigts d'une main, les uns grands,
les autres petits... » (E. WONYU, 1975 : 42). Par
conséquent, aucune décision, a fortiori celle pouvant avoir un
impact considérable sur la communauté des vivants toute
entière (à l'instar des décisions politiques), ne pouvait
être prise sans l'accord des « Ba Mbombok »
donc des ancêtres. Il ne pouvait en être autrement dans un monde
où l'ancêtre est tout, contrôle tout et veille à
tout ; où le « Mbombok » est en
réalité la base judiciaire de toute contestation et le mode
idéal des règlements des différends50(*). En effet, dans la
société traditionnelle, la vigilance des ancêtres auxquels
on rend un culte (les « Ancêtres illustres
éternels ») remplace les lois politiques qui créent la
police donc, la punition en cas de manquement ou la critique en cas
d'inefficacité des institutions. D'où le rôle
privilégié dans chaque village du « Devin »,
c'est-à-dire, le « Mbombok », plus
précisément, du « Mut Ngambi » ou
l'homme qui pratique le « Ngambi », la divination
par le biais de l'« Araignée sacrée », afin
de transmettre aux vivants (notamment aux dirigeants de la communauté)
les ordres de l'au-delà (E. WONYU, 1975 : 44).
Ceci explique peut être pourquoi
l'autorité politique du Chef était complète lorsque ce
dernier cumulait également les fonctions de prêtre traditionnel
(« Mbombok »). Ainsi, dans le département
du Nyong et Kellé (à Eséka) par exemple, les plus grands
Chefs basaa de l'époque coloniale (la période allemande et la
période française) qui se battirent d'abord contre les Allemands
et qui, par la suite, opposèrent une vive résistance aux
Français furent : « Matip ma Ndombol ; Mayi ma
Bbem ; Mangele ma Yoko, Bitjoka bi Tum » (E. WONYU, 1975 :
27).
Avant d'aborder concrètement la lutte contre
« l'envahisseur Blanc », intéressons-nous d'abord,
dans le paragraphe suivant (B), aux raisons et motivations (notamment la
volonté de préserver leur mode de vie) qui ont poussées
les Basaa de Boumnyebel en particulier et les Africains en
général à opposer une résistance aussi
féroce.
B. L'ARRIVÉE DES EUROPÉENS ET LE
RETOURNEMENT DÉSASTREUX DU « MBOK
BASAA »
Dans ce second paragraphe, nous avons
essayé de démontrer que l'arrivée conquérante des
Européens va, à cette époque (nous entendons
par-là, la période allemande 1884 - 1916 et la période
française 1916 - 1960), entraîner une perturbation extrême
au sein de l'« organisation religieuse traditionnelle
basaa » telle que nous venons de l'étudier plus haut. Les
principales conséquences se ressentiront tant sur les plans du
« pouvoir spirituel » que sur celui du « pouvoir
temporel » traditionnels. En effet, en
« retournant » brutalement et négativement le
« Mbok Basaa » (le monde basaa), les colonisateurs
vont faire chuter de leur piédestal le
« Mbombok » (l'autorité religieuse) et le
« Kingè » (l'autorité politique),
fragilisant ainsi et de façon délibérée toute la
communauté.
Il nous semble important de mentionner ici, avant
d'aller plus en avant que, s'agissant de la période allemande nous
savons aujourd'hui que, parmi les six (6) grandes explorations menées au
Cameroun par les Allemands (de 1885 à 1907), deux (2) ont touché
le pays basaa. Il s'agit d'abord de l'expédition du Capitaine KUNT et du
Lieutenant TAPENBECK vers l'Est jusque chez les Bakoko (1887) d'une part, et
d'autre part de l'expédition de CURT MORGEN accompagné du
tristement célèbre ZENKER51(*) qui partiront de Yaoundé avant de descendre la
Sanaga jusqu'à Édéa. Cette installation des Allemands non
seulement va se heurter à des souverains côtiers (Chefs et grands
prêtres traditionnels) qui sont privés d'une partie de leurs
revenus, mais aussi, dans l'intérieur du pays, à des populations
guerrières acceptant difficilement de se soumettre aux Européens.
En effet, l'autorité allemande devra faire face à la
rébellion de Yaoundé (1896) et aux troubles chez les Basaa et les
Bakoko qui couperont à plusieurs reprises les communications entre
Douala et Yaoundé (CORNEVIN R., 1969 : 52-53-63). D'ailleurs, c'est
à cette époque qu'à Kan sur la Sanaga (notamment à
Babimbi), que les autochtones livrèrent l'une des plus grandes batailles
qui coûta la vie à plusieurs Allemands. Cette féroce
résistance força le major DOMINIK, à construire non loin
de là, sur un promontoire (à Ndog Njé), un fort
appelé de nos jours « Lipénd li
Tom » (mot à mot le fort de DOMINIK) (E. WONYU,
1975 : 26-27).
Au vu de ce qui précède, comment
pourrait-on comprend le « retournement du Mbok
Basaa » et la résistance contre le colonisateur qui en a
découlé par la suite ?
Pour nous, la réponse à cette question
se trouve à l'intérieur de l'organisation sociétale
traditionnelle des Basaa où les figures fondamentales autour desquelles
se déployait la société étaient le
« Mbombok » (l'autorité religieuse) et le
« Kingè » (l'autorité politique).
Par conséquent, toucher à l'une ou à l'autre de ces
figures (surtout à la figure religieuse du
« Mbombok », le représentant des
ancêtres et par prolongement de Dieu), comme ce fut le cas avec la
colonisation, c'est toucher ce qui constitue l'essence même du
« Mbok Basaa ». Nous avons ainsi pu noter
plusieurs dérèglements dus à se
« retournement » qui ont influé tant sur le plan
spirituel que sur celui de son pendant temporel (l'autorité politique).
En conséquence, nous avons, tour à tour, essayé
d'étudier les changements qui se sont opérés sur ces deux
(2) plans du monde basaa.
1. LE RETOURNEMENT DU « MBOK
BASAA » AU NIVEAU SPIRITUEL : LA FIGURE DU
« MBOMBOK »
REMISE EN CAUSE
Sur le « plan
spirituel », nous avons retenu que les Européens vont tout
mettre en oeuvre pour « déclasser » l'ancêtre
protecteur et par ricochet son représentant traditionnel le
« Mbombok » au profit de Jésus-Christ et du
prêtre ou pasteur des religions occidentales. Il faut noter ici que
déjà, les premiers Européens arrivés en pays basaa
disaient du Basaa qu'il était socialement évolué et
surtout très peu malléable. Ainsi fallait-il, afin de le rendre
plus « malléable », priver le Basaa de ce qui
faisait sa force jusque-là ; en clair, le
« désubstantialiser »52(*) en détruisant dans la
foulée ces « modes originaux d'exister »53(*). Pour mener à bien ce
travail de sape, plusieurs critiques seront faites aux prêtres
traditionnels et à leurs croyances. En nous appuyant sur les
écrits de E. WONYU (1975 : 51), nous en avons retenu trois (3)
principales.
La « première critique »
des Européens consistait à reprocher au
« Mbombok » d'avoir dans son arsenal des
« fétiches ». Mais qu'entendaient-ils par
« fétiches » ? Rien de plus que des objets
liés aux cultes des ancêtres tels que : des crânes, des
os humains, des cornes d'animaux, des plumes d'oiseaux, des herbes
sacrées -- lesquelles herbes, brûlées, dégagent une
fumée dont la fonction est, entre autres, d'apporter aux ancêtres
les plaintes de leurs descendants -- etc. D'ailleurs, ce serait un secret de
polichinelle de dire que tout culte rituel possède ses objets propres.
Dans cette optique de dénigrement (à laquelle nous
n'adhérons pas ici) , l'on pourrait également considérer
que l'encens que le prêtre catholique, par exemple, brûle pour
implorer la présence du Saint-Esprit, ne serait rien de plus qu'un
« fétiche » du Blanc. Pour mieux étayer notre
propos, soulignons en outre qu'en 1702, le P. LOYER (1935 : 212-213),
dominicain, écrivait déjà à propos des
« fétiches » que : « les
Nègres reconnaissent un seul Dieu créateur de toutes choses, mais
auteur particulièrement des fétiches qu'il a mises sur la terre
pour le service des hommes ». Un peu plus loin, le P. LOYER
(1935 : 215) enfonce le clou, lorsqu'il établit une comparaison
pertinente et courageuse afin de mieux se faire comprendre de ses lecteurs
français et catholiques. Il dit opportunément ceci :
« Je ne puis mieux expliquer ces
fétiches qu'ils ne regardent pas comme des dieux, que par les
dévotions particulières des fidelles, puisqu'ils ne les regardent
et ne les honorent que d'un culte relatif à Dieu, qui en est le
créateur comme nous honorons les images ou les Reliques ».
La « seconde critique »
était relative au reproche fait au
« Mbombok » d'effectuer des
« sacrifices propitiatoires à Hilôlômbi
(Dieu) à travers les ancêtres », mais
« où a-t-on vu le salut sans sacrifice ? Que ce sacrifice
soit humain ou animal, le prêtre africain ne reste pas le seul qui ait
pratiqué le rite. Beaucoup de grandes religions en
témoignent : mahométisme, Judaïsme »
(E. WONYU, 1975 : 51). Dans le christianisme par exemple, il est dit sans
ambages que Jésus-Christ, fils de Dieu est mort sur la croix pour le
salut des hommes. En effet, « [...] Dieu a tant aimé le monde
qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne
périsse point, mais qu'il ait la vie
éternelle » (Jean 3 : 16 extrait de La
Bible).
La « troisième et dernière
principale critique » consistait à traiter le
« Mbombok » de « sorcier »
d'une part lorsqu'il effectue le « Saï »
(Baptême). En fait, nous convenons avec E. WONYU (1975 : 51) que
« les chrétiens baptisent avec l'eau qu'on dit bénie
par la prière », tandis que le
« Mbombok », « lui emploie l'eau d'une source
puisée de grand matin, dans une calebasse jamais
utilisée ». L'explication qui en découle est d'une
telle haute portée, que l'un des attributs de Dieu chez nous est l'eau,
élément par essence parmi les 4 où il habite. Par
conséquent, il s'agit bel et bien d'un rite propre au baptême (et
non d'un acte de sorcellerie) lorsque le
« Mbombok » met « cette eau sur la
tête du nouveau-né en le présentant au soleil
levant » afin que lui soient conférés « les
deux premiers attributs du Créateur : Eau-Feu, au moment de la
collation du nom qui le distinguera et l'identifiera dans cette
société qu'il rejoint ». En outre, « le
dernier jour de son séjour terrestre, c'est le même
élément qui le lavera de toute souillure pour lui permettre une
rentrée sans tache au séjour des Bienheureux »
(E. WONYU, Op. Cit.). D'autre part, le « Mbombok »
est également accusé de faire de la
« sorcellerie » lorsque qu'il prépare le
« Mbe mbina » (la marmite sacrée). En
effet, on note qu'à cette époque, lorsque après la
cérémonie soit du sacre54(*), soit d'une purification de la famille, le
« Mbombok » faisait goûter à chaque
membre, le produit de la marmite sacrée appelée
« Mbe mbina », les Européens criaient au
repas du « sorcier », comme si la
« Communion » des uns et la « Sainte
Cène » des autres signifiaient autre chose que
« cette fraternisation de tous les hommes » devant un repas
commun considéré comme sacré. La seule grande
différence c'est que le prêtre africain en général
et le « Mbombok » en particulier semblent
être submergés par le noble souci de la
« purification » et du « salut de toute la
communauté », tandis que les autres (ceux qui ont mené
des croisades, des guerres saintes) ont surtout voulu imposé un choix,
en contradiction même avec leur propre foi dite de Dieu, qui veut que
tout homme soit sauvé. On peut dès lors se poser la question de
savoir qui est véritablement disciple fidèle que l'autre
vis-à-vis de son Dieu, le « Mbombok » ou le
prêtre européen sournois et conquérant ? (E. WONYU,
1975 : 51-52).
Naturellement, cette remise en cause
inappropriée et paradoxale de la figure du
« Mbombok » sera suivie d'une remise en cause,
toute aussi saugrenue du « garant de l'autorité
politique » (le Chef ou
« Kingè »).
2. LE RETOURNEMENT DU « MBOK
BASAA » AU NIVEAU TEMPOREL : L'AUTORITÉ DU
« KINGÈ » CONSIDÉRABLEMENT
RÉDUITE
La perte d'autorité au
« niveau temporel », est simplement le corollaire de la
remise en cause du « Mbombok » et des
ancêtres mentionnée ci-dessus. Pour bien comprendre cet
état des choses, il faut se souvenir que la colonisation
française puisera ses cadres les plus valables au sein de l'organisation
du pays basaa, réduisant ainsi certains Chefs traditionnels au
rôle de simples pions sur l'échiquier du projet colonial. En
effet, comme le souligne G. BALANDIER (1969 : 189), pendant la
colonisation, les gouvernants traditionnels africains n'agissaient plus que
sous le contrôle des colonisateurs et devenaient donc moins responsables
à l'égard de leurs sujets. En effet, si, avec la colonisation,
les souverains traditionnels semblaient disposer d'un pouvoir plus arbitraire,
celui-ci était fortement plus limité puisque, l'accord du
« pouvoir colonial » primait sur l'acquiescement des
gouvernés. Le « retournement temporel » du
« Mbok Basaa » va donc entraîner une
nouvelle configuration du pouvoir politique défavorable à la
communauté basaa (de Boumnyebel en l'occurrence), mais
bénéfique au colonisateur dans la mesure où la
légitimité du pouvoir du
« Kingè » dépendait du soutien du
« gouvernement colonial », qui pouvait donc aisément
le contrôler et le contester. Qui plus est, même si les anciennes
procédures rituelles qui lui conféraient la
légitimité politique au sein de la communauté
traditionnelle avaient été néanmoins maintenues, le
« Kingè » (sous tutelle) n'apparaissait
plus comme ayant reçu la « seule consécration des
ancêtres, des divinités ou des forces nécessairement
associées à toute fonction de domination » (G.
BALANDIER, 1969 : 191).
Il est tout aussi important de mentionner que cette
« désacralisation partielle du pouvoir » des Chefs
traditionnels (G. BALANDIER, 1969 : 192), résulte également
de l'intervention « des religions importées et
missionnaires » qui rompent et dénaturent
l'unité spirituelle et politique des sociétés
traditionnelles. Le « retournement temporel » du
« monde basaa » passe aussi par ce que l'auteur (BALANDIER)
appelle « la dégradation par
dépolitisation », c'est-à-dire que, lorsque
l'« unité politique traditionnelle » n'était
pas détruite, en raison de son opposition à
l'établissement des colonisateurs (comme nous le verrons un plus loin),
elle n'en n'était pas moins réduite à une
« existence conditionnelle » : se soumettre aux
colonisateurs ou se démettre en risquant l'élimination physique
pure et simple. Nous pouvons d'ailleurs constater avec C. H. PERROT et F.-X.
FAUVELLE-AYMAR (2003 : 14) que déjà (avant
l'établissement de l'Etat « moderne ») le
colonisateur soumettait les Chefs traditionnels (ceux qui acceptaient de
collaborer et les opposants invétérés) à :
« [...] son pouvoir discrétionnaire
qui s'exerce dans l'arbitraire. Il favorise les uns qui gardent une relative
autonomie et reçoivent des avantages substantiels, matériels ou
autres « cadeaux » et privilèges de diverse nature,
tandis que d'autres sont considérés comme indociles [...] les
administrateurs coloniaux s'employaient à classer ces personnages en
« bons » et « mauvais » chefs...».
Ce qu'il convient de retenir à la vue de tout
ce qui précède, c'est que : le colonisateur avait
élaboré une « stratégie » (un ensemble
de mécanismes d'actions, de moyens) dont la
« tactique » (la mise en oeuvre de ladite stratégie)
devait lui permettre de voir les Basaa livrés pieds et poings
liés à sa domination. Dans sa
« rationalité » (forcément limitée) en
effet, le colon se disait qu'en coupant les Camerounais en
général et les Basaa de Boumnyebel en particulier de tout
langage, en les exilant d'eux-mêmes, c'est-à-dire, de ce qui
constitue leur quintessence, leur
« eccéité », leur particularité en
tant que peuple harmonieusement organisé (tant sur le plan politique que
spirituel), ils ne disposeraient plus d'aucune défense et seraient donc
plus facilement domptables. C'est d'ailleurs ce que Frantz FANON (1961 :
34) dénonçait lorsqu'il soulignât, à propos du
rôle que les « religions importées » ont
joué dans l'assujettissement des peuples africains, que :
« l'Église aux colonies est une Église de Blancs, une
Église d'étrangers. Elle n'appelle pas l'homme colonisé
dans la voie de Dieu, mais bien dans la voie du Blanc, dans la voie du
Maître, dans la voie de l'oppresseur ».
Le « retournement », sur le plan
spirituel et sur celui temporel, du « Mbok Basaa »
(du monde basaa) va certes profondément perturber les Basaa. Mais,
heureusement, à l'instar d'autres peuples camerounais et africains, ils
comprendront très vite que cette remise en cause inique de leurs valeurs
culturelles et cultuelles était une amorce feinte vers la domination
totale de la « Terre ancestrale ». C'est cette prise de
conscience qui fera émerger la seconde perception de la
colonisation : comme « crime de
lèse-majesté » vis-à-vis de toute la
Communauté (celle des « Vivants » et des
« Morts »). C'est ce second point qui a constitué
l'objet de la deuxième plus grande articulation (II) de notre
Chapitre.
II. LA COLONISATION EUROPÉENNE COMME «
CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ » VIS-À-VIS DE LA
« COMMUNAUTÉ DES VIVANTS ET DES MORTS »
Soulignons d'emblée qu'aux XIXe
et XXe Siècles, la pénétration
chrétienne catholique et protestante semble être « plus
intense » et même « plus agressive ». En
effet, les missionnaires catholiques et protestants consciemment s'avisent de
la vie religieuse des Noirs à convertir (des Basaa de Boumnyebel en
l'occurrence). Aussi se poseront-ils en « farouches
antagonistes » de nos cultures traditionnelles, en de
véritables « destructeurs impénitents » de ce
qui, à leurs yeux, symbolise l'errance religieuse, c'est-à-dire,
les fétiches (ELUNGU P.E.A, 1987 : 95).
C'est cet acharnement à vouloir détruire
coûte que coûte leur culture, leurs « modes originaux
d'exister »55(*), qui va pousser les Basaa de Boumnyebel à
considérer que : au-delà de l'occupation illicite et de la
profanation de leur territoire, la colonisation européenne était
par ailleurs « un crime de lèse-majesté à
l'encontre du Mbok visible et invisible ». En effet, aux yeux des
Basaa, les Européens avaient commis une injustice et un outrage graves
à l'égard de la « communauté des vivants et des
morts » -- l'ensemble constituant, comme nous l'avons
déjà mentionné, le « Mbok
Basaa » dans son sens le plus complet qui inclut le
« visible » et l'« invisible », les
« vivants » et les « morts » -- dans la
mesure où, ils avaient ignoré ou feint d'ignorer que : dans
chaque région, dans chaque partie du monde, aussi petite ou aussi grande
fut-elle, et où se trouvait la vie humaine quelle qu'elle fût,
« Dieu a parlé, mais en un langage qui convenait à
cette catégorie de la création » (E. WONYU, 1975 :
33).
Dans cette seconde partie du Chapitre, nous avons
essayé de démontrer que, en foulant au pied la civilisation
basaa, les colonisateurs occidentaux ont perpétré une
« avanie » à l'égard des
« Vivants » (A) d'une part, et d'autre part, nous avons
tenté de démontrer que cette humiliation des descendants sera
également perçue comme un blasphème contre les
« Morts », contre les ancêtres (B).
A. UNE AVANIE GRAVE À L'ENCONTRE DES
« VIVANTS »
Dans la conception du monde, du
« Mbok Basaa », comme nous le rappelait Le
« Mbombok A » au cours de
l'entretien de Septembre 2008, les « Vivants », les
Descendants ou « Balal », sont, de part leur
position au sein de la longue chaîne des ancêtres,
c'est-à-dire, en tant que maillons supplémentaires et
complémentaires de cette chaîne ancestrale, des
« dépositaires de la volonté » de ceux qui
les ont précédé sur cette terre : les
« Bagwal ». Les
« Balal » sont donc dans la société
traditionnelle basaa, les « héritiers en ligne directe de la
puissance des ancêtres » qui, elle-même, leur a
été conférée par
« Hilôlômbi », l'Être
Suprême (Dieu) qui trône tout au sommet. Par conséquent,
dire, comme l'ont fait les Européens, que la croyance en ces
ancêtres est pure superstition, ne pouvait être perçu que
comme une grave injustice à l'encontre des
« Vivants ». Ce d'autant plus que « Les vivants
dépendent des morts comme de leurs supérieurs [...] »
(ELUNGU P.E.A, 1987 : 43). D'ailleurs, le prêtre basaa
(« Mbombok »), tant vilipendé par les
Européens, est pourtant, dans la société traditionnelle,
posé en symbole de la vie, en trait d'union entre les
« Vivants » et les « Morts ». Il est
toujours à la recherche de plus de vie, de plus de force pour les
membres de la communauté ; de plus de force et de plus de
cohésion pour le groupe tout entier (ELUNGU P.E.A, Op. Cit.).
Les Européens en débarquant sur la
« terre basaa », n'ont pas cherché de concert avec
les prêtres traditionnels (« Ba Mbombok »)
par exemple, le sens de Dieu et du sacré, mais ont
préféré décréter tout de go que, les
Africains, les Basaa de Boumnyebel notamment, étaient remplis de
superstitions qu'ils se devaient d'éradiquer, afin de cheminer vers une
prétendue « civilisation supérieure ».
Si le but réel des Européens (loin s'en faut), dans leur
majorité, avait été de permettre aux Basaa d'avancer vers
la « modernité » (comme ils le prétendaient),
leurs communautés religieuses, leur gouvernement colonial, au lieu de
chercher à dénigrer l'organisation religieuse de ces derniers,
auraient plutôt, en se questionnant eux-mêmes sur leurs propres
croyances, cherché à rencontrer, comprendre et collaborer le plus
possible avec ces peuples dits primitifs en évitant par-là
même de leur causer du tort. En effet, il faudrait exprimer le respect
pour la foi des autres et les autres en feront autant. Ce ne serait donc pas
renoncer à Jésus Christ que d'assister, par exemple, à une
séance de purification ou « Saï »
pour se faire expliquer la signification des gestes et des rites qu'accomplit
celui que jusqu'ici les Européens appelaient improprement
« sorcier » du village. Lui, en tant que
« Mbombok » sait pourtant qu'il est un
prêtre, un vrai qui sert un Dieu vrai à travers la lignée
des ancêtres (E. WONYU, 1975 : 33).
C'est d'ailleurs dans la même optique de respect
et d'humilité qu'il faudrait comprendre ces paroles du plus grand
prophète de la chrétienté dont, paradoxalement, se
réclamaient à cor et à cri les colonisateurs
européens :
« Ne jugez point, afin que vous ne soyez
point jugés [...] Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'oeil de ton
frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton
oeil ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton oeil, et
alors tu verras comment ôter la paille de l'oeil de ton frère
[...] Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de
même pour eux... » (Matthieu 7 : 1, 3, 5 et 12)56(*).
Par conséquent, dénier à autrui
un droit qu'on voudrait qu'autrui nous reconnaisse, c'est commettre une
injustice à l'égard ce dernier et par-là même, c'est
semer les germes de la discorde et de la haine.
Par ailleurs, au-delà de la tentative de
destruction de l'unité spirituelle et politique de la
société traditionnelle basaa, il convient de mentionner aussi que
les Basaa (les « Vivants ») ont subit des actes d'esclavage
notamment pendant la période française (1916-1960). Nous pouvons
par exemple évoquer les « conditions
inhumaines » dans lesquelles les Basaa durent achever (jusqu'à
Yaoundé) la construction du chemin de fer du Centre qui s'était
arrêté à Njok (région du « pays
basaa ») au temps des Allemands. La construction de cette ligne
ferroviaire57(*) a
illustré dans le « pays basaa » ce qu'on appela
à l'époque le « régime de l'indigénat et
des travaux forcés », si bien que, l'indigénat et les
travaux forcés se fondaient dans l'esprit du Basaa avec le nom
« Njok », lieu où « les travaux
forcés de percement des tunnels » de Songbadjek (région
du « pays basaa »), furent les plus durs et les plus
meurtriers (E. WONYU, 1975 : 27).
Notons également que les Basaa de Boumnyebel
qui étaient restés attachés à leurs croyances
religieuses ancestrales et qui tentaient de résister, furent
considérés, à l'instar de leur religion, comme des
hors-la-loi, des héritiers d'un legs indésirable du passé,
honteux et inadéquat au nouveau statut politique du citoyen
(imposé de force) que leur octroyaient les colonisateurs (PRICE-MARS,
1928 : 163).
Ce « travail » d'humiliation, de
persécution et d'assassinat des « Balal »
(descendants en Basaa) s'est malheureusement fait (ne l'oublions pas) avec le
concours appuyé des églises européennes coloniales. En
effet, Il est difficile de ne pas reconnaître que l'Eglise avait
apporté la persécution chez les peuples du Tiers-monde en
général et chez les Basaa de Boumnyebel en particulier, par la
destruction systématique de croyances ancestrales appelées
« superstitions »,
« idolâtries »,
« fétichismes ». Aujourd'hui, l'histoire
révèle clairement que : en Afrique, en Asie ou en
Amérique, au nom de la nécessité d'implanter partout
l'Eglise (unique lieu de salut), les Européens engagèrent de
véritables « croisades » contre d'autres peuples. En
opérant de la sorte, d'un côté, la colonisation trouvait sa
raison d'être dans la « supériorité de la
civilisation occidentale », de l'autre, la
« Mission58(*) » s'expliquait par la
« supériorité de la religion
chrétienne » sur les religions païennes. Par
conséquent, les appellations (« superstitions »,
« idolâtries »,
« fétichismes » accolées aux autres
religions, situaient certains peuples à un niveau inférieur de
culture. Logiquement, en implantant l'Eglise chez eux, les Européens
prétendaient leur offrir un « cadeau
d'humanité ». Par « humanité », ils
entendaient en l'occurrence la « civilisation occidentale »
(L. HURBON, 1972 : 31-32).
L. HURBON (1974 : 34-35) fait un peu plus loin un
parallèle « inter-temporel » pertinent à
notre sens (entre l'époque coloniale et l'ère
« postcoloniale » ou « moderne ») :
« Que ce soit donc au temps de l'esclavage
et de la colonisation, que ce soit à l'époque actuelle du
sous-développement, la Théologie missionnaire ne cesse pas
d'être sous-tendue par une perspective raciste [...] D'une part, l'Eglise
se croit investie du pouvoir de faire accéder des peuples dits
« primitifs » au stade de civilisation chrétienne,
stade d'humanité par excellence ; d'autre part, l'Eglise par un
souci de maintien dans les pays colonisés oublie l'histoire de violence
inaugurée par la Mission et la colonisation [...] Sur la base de
l'affirmation de l'universalité, les autres religions dites non
chrétiennes sont comprises seulement comme christianisables59(*). Concrètement,
« l'animiste » africain ou le vaudouisant haïtien
devront être tôt ou tard intégrés dans le
christianisme ».
Une telle hiérarchisation des religions et des
êtres humains a la vertu de court-circuiter les diversités au
profit : d'une « uniformité religieuse » (le
christianisme), d'une « uniformité politique »
(l'État de type occidental dit « moderne »), d'une
« uniformité d'humains et d'humanité » (les
Occidentaux et la civilisation occidentale). En clair, les Basaa de Boumnyebel
et leur religion (leur civilisation taxée
d'« animalité ») ne seraient qu'apparence et signe
d'un retard de l'humanité qui marcherait inexorablement vers la
civilisation occidentale, la seule qui y ait
« réellement » droit de cité.
Pour nous, il n'y a pas pire injustice que de chercher
à provoquer, chez un homme, un complexe d'infériorité
vis-à-vis de sa propre civilisation, de sa propre organisation
religieuse et politique. Il est injuste, à notre sens, de traiter de
« superstitions »,
d'« animalité » ce que l'on n'arrive pas à
comprendre ou encore à martyriser autrui parce que l'on se dit
« supérieur » à lui,
« moderne » par rapport à lui. N'est-il pas vrai que
l'homme, comme le soulignait déjà J.-J. ROUSSEAU60(*), l'un des philosophes des plus
brillants du Siècle des Lumières : hormis « les dons
surnaturels qu'il a pu recevoir », ainsi que les facultés
artificielles que seuls de longs progrès lui ont fait acquérir,
n'est qu'un « animal », certes « moins fort que
les uns, moins agile que les autres, mais à tout prendre organisé
le plus avantageusement de tous ». Toutefois, à la
différence des animaux, à proprement parler, qui n'agissent que
par « un instinct particulier », l'Homme, quelle que soit
sa couleur de peau, dirons-nous, possède, selon ROUSSEAU,
« une perfectibilité » (intérieure) qui
lui permet de sortir (au-delà de toute aliénation, de tout
assujettissement arbitraire) de sa condition animale.
Il convient donc de garder une grande part
d'humilité (si notre souci véritable est d'aider autrui à
se « moderniser ») quand il s'agit d'aborder la culture de
l'autre. En fait, comme le souligne si bien C. LÉVI-STRAUSS (1961 :
76-77), la meilleure façon de communiquer, d'échanger, de
partager des connaissances (en évitant les abus) consiste à ce
que chaque membre d'une culture, quelle qu'elle soit, se tienne dans
l'humilité devant les autres cultures étrangères à
lui, du simple fait qu'elles sont « différentes de la sienne,
de la façon la plus variée ; et cela, même si la
nature dernière de ces différences lui échappe ou si,
malgré tous ses efforts, il n'arrive que très imparfaitement
à la pénétrer ».
Il est donc clair à présent que, en
piétinant délibérément les croyances du peuple
basaa, en réduisant en esclavage les « Vivants », en
tuant de manière éhontée les « héritiers
des ancêtres », les colons européens ont non seulement
commis une grave injustice à l'égard de ces derniers, comme nous
venons de le voir, mais ont également porté l'anathème
contre un personnage central : l'Ancêtre protecteur. C'est cette
seconde infraction qui a constitué la base de notre démonstration
dans le paragraphe suivant (B).
B. UN BLASPHÈME CONTRE LA MÉMOIRE, LE NOM
DES ANCÊTRES (« BAGWAL »)
En partant du constat selon lequel les
religions traditionnelles africaines, dans leur ensemble, visent à
rendre un culte à une « Force » ou un
« Être Suprême »
(« Hilôlômbi » chez les Basaa) en
passant, ni par JÉSUS-CHRIST (comme dans le Christianisme), ni par
MUHAMMAD (comme dans l'Islam), mais plutôt par la médiation du
« Monde des Ancêtres », nous avons essayé de
démontrer, dans ce paragraphe, qu'il est par conséquent
blasphématoire de dire que cette croyance aux ancêtres n'est que
pure « superstition » voire même
« irrationnelle ». En fait, tout comme les
« religions importées » (Christianisme, Islam...) la
religion traditionnelle basaa croit en un Dieu unique universel, père et
créateur de tous les hommes et de toutes les choses (l'analogie
s'arrête à ce niveau). Par ailleurs, ce qui la démarque de
ces grandes religions et la rapproche de ses homologues Bamiléké,
Béti, Douala et même Japonais (le
« Shintoo »61(*) ou Shintoïsme en l'occurrence) par exemple,
c'est que : cette religion intègre une diversité de
« panthéons »62(*), qu'il soit terrestre, aérien ou aquatique.
À ce niveau, nous comprenons donc que les Basaa de Boumnyebel croient
aux « Ancêtres » parce qu'ils sont les garants de
l'intégrité et de la vie de la communauté dans son
ensemble. Par voie de conséquence, ils rendent différents cultes
suivant le niveau de proximité de l'« intermédiaire du
monde des Ancêtres » (niveau familial, clanique, tribal,
national). C'est dans cette optique que la religion traditionnelle basaa s'est
dotée de ses propres « savants mystiques »63(*) issus de la prêtrise
(l'initiation au sein des confréries traditionnelles). Il est a fortiori
important de noter par ailleurs que, à la différence des
« religions importées », la religion des Basaa ne
prêche pas de guerre sainte puisque, elle est une religion de
« coeur » et d'essence paisible. Elle n'est pas dogmatique
ni exclusiviste puisque tout le monde en fait partie, ce qui important c'est
simplement d'appartenir à une famille, à quelque degré
où l'on se place, qu'on soit « un natif »
(« nwet lon ») ou « un
étranger » (« nlo njel »). En
somme, n'en déplaise ses détracteurs, la religion traditionnelle
basaa est une religion « naturelle » et non
« irrationnelle » parce qu'elle répond à un
besoin, qui est de retrouver le Créateur par la lignée des
Ancêtres (E.WONYU, 1975 : 43-44).
Notre objectif n'est pas de porter le discrédit
sur le Christianisme, malgré les méfaits que cette religion a pu
commettre, ou sur d'autres religions, quelle qu'elles soient, mais simplement
d'insister, comme le faisait le « Mbombok
A. », sur le fait que, chaque religion a ses
« Ancêtres », ses « Anciens »,
ses « Prophètes », ses
« Saints » qui sont, pour la plupart, des hommes qui ont su
s'élever à un niveau de « conscience spirituelle
supérieure » et dont l'éthique, la conduite morale fut,
au cours de leur bref séjour sur terre, humainement irréprochable
voire, davantage. Le comportement qu'ils ont adopté et les actes
miraculeux qu'ils ont pu accomplir parmi les leurs, ont fait d'eux des
« guides » par excellence de « la voie
éclairée » (celle du développement et de la
construction) à leur époque, et même pour les
générations suivantes.
À partir de là, nous pouvons
déjà commencer à mieux comprendre pourquoi les quolibets,
les railleries malveillantes faites à l'encontre des Ancêtres, des
« Ascendants » (« Bagwal ») ne
seront pas tolérées par leurs « Descendants »
(« Balal »). Cette intolérance était
légitime puisque la communauté traditionnelle basaa reposait sur
un grand nombre de principes cardinaux qui permettaient de préserver
l'harmonie et la concorde. En effet, les Basaa de Boumnyebel notamment,
croyaient en une liaison solidaire entre les ancêtres et leurs
descendants : c'était le « Mbok bi lën nbi
nyôl », c'est-à-dire, les hommes sont comme les
poutres d'un toit qui s'emboîtent. Ils admettaient aussi, de façon
exceptionnelle, la « réincarnation » des
ancêtres méritants (lien indissoluble entre le
« Visible » et l'« Invisible ») :
c'était le « Mbok i mal bé »,
c'est-à-dire, la vie est un éternel recommencement. Le principe
moteur était lié, on peut s'en douter, à l'importance
primordiale de l'acte de vivre d'où le proverbe « Mbok
Kwog, Mbok nyodag »64(*), c'est-à-dire, les uns passent, les autres
arrivent et la vie continue (E. WONYU, 1975 : 42).
Afin d'assurer la réalisation de ces
« principes harmoniques ancestraux », « les
dépositaires de la puissance ancestrale », en l'occurrence les
« Ba Mbombok » se servaient de la
« force » que tout être recèle en lui et qu'il
est possible de renforcer grâce à l'enseignement
irremplaçable et approfondi dans les confréries traditionnelle.
Cependant, pour que cette « force » ou
« puissance » soit opérationnelle -- ceci explique
davantage l'attachement des Basaa à leurs ancêtres --, les
« Balal » (les Descendants) se devaient de
l'entretenir régulièrement à travers des rites, des
offrandes ou des sacrifices. D'ailleurs, l'inobservance de ces rites pouvait
entraîner des calaminés sur l'individu ou sur le groupe.
Pour aller plus loin dans notre compréhension
de l'outrage fait aux ancêtres, il convient de ne pas perdre de vue qu'il
existe un rapport d'assistance mutuelle entre les
« vivants » et les « morts »,
c'est-à-dire que, les « sacrifices » et les
« offrandes » des uns (les « vivants »)
permettent d'obtenir la « protection » et la
« bienveillance » des autres (les
« morts »). En fait, il semblerait d'une part que, la force
de l'individu et du groupe provienne des « Ancêtres »
et d'autre part, que la survie des « Ancêtres »
auprès des « vivants » ne soit possible que
grâce aux offrandes qui leur sont destinées (E. WONYU, 1975 :
44). En abondant dans le même sens, le « Mbombok
R. » soulignait au cours de l'interview qu'il nous
avait accordé :
« D'ailleurs, lorsque les
Descendants manquent à leur devoir d'honneur et de
déférence vis-à-vis des Ancêtres en refusant de leur
faire des offrandes, ces derniers vont s'éloigner d'eux et cet
éloignement est souvent le prélude à des catastrophes les
plus graves, puisque le « flux énergétique de la
lignée », censé maintenir la vie au sein de la
communauté se voit brutalement rompu ».
Il apparaît donc ici que dans ce
« monde basaa » (« Mbok
Basaa ») où l'Ancêtre est tout, contrôle tout
et veille à tout, aucun outrage, aucun blasphème contre son nom,
contre sa mémoire ne peut être toléré. En effet, il
est clair qu'à Boumnyebel, croire à l'existence de
l'ancêtre est la « loi suprême », c'est
l'essentiel, car dans le « Mbok Basaa » :
« être », c'est avoir des ancêtres
(« Me yé, me nin hala we me gwé
basôgôl »). Les oeuvres et les rites viennent par
conséquent compléter cette foi dont la non observance ou la
violation peut apporter les calamités. Être un
« descendant » dans une famille basaa, c'est contracter une
« double dette », qui est de
« vénérer la mémoire des ascendants65(*) » d'une part et
d'autre part, d'assurer la descendance. La « chaîne
ancestrale » (la pérennité de la lignée) doit
toujours être maintenue. En conséquence, celui qui
délibérément la rompt66(*) n'est pas digne de voir, d'arriver auprès de
« Hilôlômbi » (Dieu) (E. WONYU,
1975 : 47). D'ailleurs, un proverbe basaa le souligne très bien en
énonçant que : « on ne peut atteindre le sommet d'un
arbre qu'en partant de la tige » (« Mbok inyon hinuni i
nlôl tén »).
Par conséquent, blasphémer contre
l'Ancêtre équivaudrait ici, à blasphémer contre Dieu
(« Hilôlômbi »), puisque, à
l'instar du Christ cher au coeur des colonisateurs, l'Ancêtre
(cher au coeur des Basaa, des Camerounais, des Africains) peut être aussi
considéré comme le chemin, la vérité et la
vie ; nul ne pouvant arriver à
« Hilôlômbi » (Dieu) qu'en passant par
lui. Cela semble parfaitement intelligible si l'on se souvient que dans
l'organisation sociétale traditionnelle du peuple basaa, Dieu est le
Créateur et l'Ancêtre est son produit, et le père
biologique, le représentant en ligne directe de cet Ancêtre.
Ainsi, tant qu'on accomplit son devoir vis-à-vis de son
géniteur67(*), on
est certain d'être un jour accueil au « Panthéon des
Ancêtres Illustres Éternels ». Par contre, un homme qui
n'a pas respecté la volonté des ancêtres sait où il
va68(*). À
Boumnyebel, le respect dû à celui qui donne la vie,
c'est-à-dire, ses propres parents, se doit donc d'être totale (E.
WONYU, 1975 : 47-48).
En tenant compte de tout ceci, il nous semble
évident que l'outrage fait aux ancêtres en vilipendant leur
mémoire, fut un fait historique terriblement traumatisant pour leurs
descendants et ressenti comme le comble de l'injustice. En effet, si l'on admet
que les Mahométans croient en « Allah »
à travers Mahomet, que les Chrétiens croient en Dieu à
travers Jésus-Christ, et que les Bouddhistes croient en une
« Force cosmique supérieure » à travers
Bouddha, pourquoi refuser aux Basaa de Boumnyebel de croire en
« Hilôlômbi » à travers
l'Ancêtre ? Pour nous, un tel refus ne saurait être
honnêtement justifié d'aucune manière puisque, nous notons
que seuls les « intermédiaires » sollicités
diffèrent, mais l'objectif demeure le même : le retour
auprès du Créateur. Dans cette optique, les Basaa que les
Européens désignaient sous le terme de
« païens » ou de « sorcier » ne
l'étaient qu'à leurs yeux, car ils pensaient et croyaient que le
Dieu de tous les hommes, n'était en fait que celui de quelques-uns qui
se croiraient les plus privilégiés. En fait, les colonisateurs
européens, pour des raisons de stratégies de conquête
coloniale, avaient délibérément éclipsé un
fait important de l'Humanité, le plus important d'ailleurs, à
savoir : « On ne rencontre jamais une culture qui ait fait
abstraction de l'Existant éternel, auteur d'abord immédiat des
premiers êtres, cause principale ensuite de tout ce qui parut jamais dans
l'existence » (A. KAGAME, 1958 : 131).
À ce niveau de notre travail, nous pouvons
retenir que l'arrivée des Occidentaux au Cameroun et notamment à
Boumnyebel, a eu comme conséquence notable, la perturbation de toute
l'organisation religieuse -- qui, comme nous avons essayé de le
démontrer dans ce chapitre, intégrait de façon
harmonieuse, le « pouvoir religieux » des
« Ba Mbombok » (Prêtres traditionnels) et
le « pouvoir politique » du
« Kingè » (Chef traditionnel) -- de la
société traditionnelle. Conscients du fait que la colonisation
était non seulement une invasion étrangère sur une
« Terre Sacrée » -- celle héritée des
ancêtres outrageusement conspués par les Colons --, mais aussi et
surtout une tentative d'annihilation de leur Civilisation, les Basaa de
Boumnyebel, peuple de guerriers par essence, comme on en trouve un peu partout
au Cameroun, en Afrique, en Extrême-orient, vont décider de saisir
le taureau par les cornes afin de laver l'affront fait aux ancêtres et de
reconquérir leur terre. Y parviendront-ils ? Et par quels
moyens ? La réponse à cette question constitue l'objet du
second chapitre de ce présent travail.
CHAPITRE II
L'ABSOLUE NÉCESSITÉ DE DÉFENDRE LA
TERRE DES ANCÊTRES CONTRE LE « COLON BLANC »
La sagesse japonaise enseigne que : lorsque le
rat est acculé de toutes parts, il mord le chat pour se défendre.
Autrement dit, lorsque les circonstances l'exigent, il est
généralement de bon ton, même au péril de sa propre
existence, d'oser se lever pour dire « Non ! ».
Dans ce second chapitre, nous avons essayé de
démontrer que l'occupation illicite de la « Terre
ancestrale », les multiples exactions contre les
« Vivants » et les quolibets adressés aux
« Morts » (ancêtres), vont persuader les patriotes
camerounais, en l'occurrence les Basaa de Boumnyebel, qu'il était
désormais impératif de se lever comme un seul homme pour
défendre la terre et l'honneur de la Communauté. Nous avons
délibérément insisté ici, sur la notion de
« défense » dans la mesure où, le but
poursuivi par les patriotes dits « maquisards »,
était non pas de détruire purement et simplement les ennemis
qu'étaient le colonisateur et leurs alliés camerounais (en
l'occurrence les « Dikokôn » ou
collaborateurs ou espions), mais de « gagner son coeur (celui du
colonisateur à l'origine du désordre) en lui montrant
l'absurdité et le paradoxe de son action dite
« civilisatrice » ; en clair de l'amener à de
meilleurs sentiments à l'égard des
opprimés » (« Mbombok
A. »). Ayant donc opté pour la
« défense » (plus respectueuse de la protection de
la « Vie ») et non pour « l'attaque »
(plus oppressive), quel sera le mode opératoire des patriotes dans leur
souci de libérer la « Patrie » ? En d'autres
termes, quels moyens utiliseront-ils pour atteindre ce noble dessein ? La
réponse à cette question a constitué l'essentiel de notre
démonstration dans ce second chapitre.
Pour les Basaa de Boumnyebel, tout comme pour les
Camerounais en général, de part l'ordonnancement de l'Univers,
les véritables propriétaires de la terre ce sont les
Ancêtres qui ont précédé les
« Vivants ». Ces Ancêtres eux-mêmes n'ont pu
s'installer et vivre sur cette terre qu'avec l'accord de
« Hilôlômbi » (Dieu), le
Créateur de toute chose. Étant dans leur bon droit, et conscients
qu'ils bénéficiaient de tout le soutien de leurs Ancêtres
et de Dieu sur la terre qu'ils ont reçue en héritage, les Basaa
de Boumnyebel en l'occurrence n'hésiteront pas à user de tous les
moyens disponibles pour défendre celle-ci contre l'oppresseur
européen. Ces « moyens » seront progressivement
mobilisés à l'aune des difficultés que les patriotes
rencontreront dans leur lutte libératrice. Il s'agira d'une part, des
moyens naturels ou « visibles » (I) et d'autre part, des
moyens surnaturels ou « invisibles » (II).
Dans ce chapitre, il est essentiel de garder cela en
mémoire, nous considérons ces deux (2) types de moyens
(« visibles » et « invisibles »)
simplement comme des « idéaux-types de moyens de
défense » dans la mesure où, il est difficile dans la
réalité, d'établir une distinction nette entre eux (le
plus souvent une telle distinction peut s'avérer infructueuse). Par
conséquent, en empruntant le concept d'«
idéaux-types » cher à M. WEBER, notre objectif est de
« forcer » autant que possible, une dichotomie entre les
« moyens de défense visibles » et les
« moyens de défense invisibles », simplement pour
des exigences liées à notre analyse.
I. LES « MOYENS DE DÉFENSE
NATURELS » OU « VISIBLES »
D'entrée de jeu, il est important de
souligner deux (2) faits historiques majeurs. Premièrement, les
populations de la rivière des crevettes, n'étaient pas
composées que des Duala, bien que le mot
« Mbéatoe » soit mentionné comme
étant la crevette qui a donné le nom Cameroun. En fait, au sein
de ces populations riveraines, l'on comptait également les Basaa qui,
semble t-il, en maîtres des lieux, auraient cédé les bords
du fleuve « Mbende »69(*) à leurs beaux-fils les
Duala (E. WONYU, 1975 : 20). Deuxièmement, malgré ce statut
d'« authentiques maîtres du lieu », les Basaa ne
seront signataires d'aucun traité avec les étrangers, d'ailleurs,
aucun vrai Mbombok ou Chef traditionnel basaa ne répondra
à l'appel de DOMINIK à Édéa (E. WONYU, Op.
Cit.).
Toutefois, en dépit de cette politique de la
chaise vide, qui fut une grossière erreur stratégique à
l'époque (les colons avaient quand même atteint leurs objectifs de
conquête), les Basaa dans leur ensemble, ne lésineront pas sur les
« moyens » lorsqu'il s'agira de se battre de concert avec
certains de leurs frères camerounais, pour que la terre de leurs
Ancêtres communs soit libérée de l'envahisseur.
Dans l'optique de défendre la « Terre
Sacrée », les Basaa de Boumnyebel et d'autres nationalistes
camerounais recourront tout d'abord aux « moyens
visibles », c'est-à-dire, d'une part au
« Droit » (A), et d'autre part à la
« manifestation politique » (B) lorsqu'ils rencontreront
des difficultés pour se faire entendre auprès des
autorités coloniales.
A. LE RECOURS AU DROIT OU LE « NKAA
KUNDÈ »70(*): DÉFENDRE LA PATRIE PAR LE
TRUCHEMENT
DE LA « PAROLE », DE LA
« PALABRE JURIDIQUE »
Il convient de rappeler
opportunément ici que durant la période française
(1916-1960), on ne trouve dans la région basaa aucune grande
école. En effet, à l'époque, il n'existait que quelques
institutions illustres à savoir : le Centre de certificat
d'études qui se trouvait au chef lieu de la circonscription
Édéa, l'école Normale de Foulassi créée par
les Américains et l'école primaire supérieure de
Yaoundé. C'est d'ailleurs grâce à ces institutions que le
pays basaa produira un premier contingent de diplômés, lesquels
serviront de surcroît de premiers cadres
« évolués de l'ethnie » (E. WONYU,
1975 : 28) et joueront un rôle très important pendant et
après la seconde guerre mondiale. Parmi ces diplômés, un a
particulièrement marqué le pays basaa et surtout Boumnyebel ainsi
que le Cameroun tout entier : il s'agit de UM NYOBE Ruben.
En effet, sur le plan de l'évolution des
idées dues aux bouleversements consécutifs à la seconde
guerre mondiale, les Basaa (de Boumnyebel notamment) s'illustreront dans la
personne de UM NYOBE Ruben, ex-normalien de Foulassi, devenu par la suite
fonctionnaire de la Justice (ceci explique sans doute le rôle majeur
qu'il jouera dans le « Nkaa Kundè », le
procès pour l'obtention du droit). C'est lui qui après la
création de la première vraie opinion politique des autochtones
en 1948, se verra confié la mission de populariser l'idée de
l'« Indépendance du Cameroun » à Boumnyebel,
au Cameroun et même à l'étranger. C'est ainsi que de 1948
date de la création de l'U.P.C à 1958 date de la mort de ce grand
patriote dans le « maquis » de Boumnyebel, le nom Basaa
sera connu dans le monde entier, si bien que certains identifieront le mot
« Indépendance » à cette ethnie, que ce soit
en Afrique, en Europe et même sur les tribunes des Nations Unies à
New York (E. WONYU, 1975 : 28-29).
Dans ce paragraphe, notre objectif est de
démontrer que : dans le souci de défendre la
« Mère-Patrie », les nationalistes camerounais en
général (basaa en l'occurrence) vont, dans la première
phase de leur lutte, créer un instrument politique (l'U.P.C) en totale
conformité avec les normes juridiques en vigueur. C'est cet instrument
« légal dans l'absolu » -- parce que accepté
comme tel par les patriotes camerounais eux-mêmes et par le gouvernement
colonial (du moins dès sa création) -- qui leur permettra
d'impulser le « Nkaa Kundè »,
c'est-à-dire, d'intenter un procès et de faire usage du
« verbe », de la « parole » pour
réclamer le droit à « l'auto
détermination ». Le « Nkaa
Kundè » sera donc ici, une « phase visible de
défense », au cours de laquelle la
« parole », la « palabre juridique » et
l'expression des idées (la joute oratoire) occuperont une place
importante.
Rappelons que l'Union des Populations du Cameroun
(U.P.C) ou Union des Peuples du Kamerun ou « Atna Maten ma
Kamerun » (en langue basaa) fut créée
précisément le 10 Avril 1948 par douze (12) syndicalistes
camerounais71(*) dans le
café-bar dit « chez Sierra » à Douala.
Cependant, bien que UM NYOBE n'ait pas assisté à cette
réunion (il ne se trouvait pas à Douala ce jour-là), il
rejoindra néanmoins ses compagnons par la suite et, fait notable, parmi
les douze (12) pères fondateurs de l'U.P.C, c'est lui qui, par son
action irremplaçable et son itinéraire politique, a fini par
incarner le mieux ce « Mouvement de libération nationale
» et le nationalisme camerounais (A. EYINGA, 1991 : 23-24).
UM NYOBE, en effet, au mois de Novembre 1948, fut
« plébiscité par ses pairs, au cours d'une
réunion à Douala du Comité Directeur élargi, pour
prendre la direction de l'UPC » (A. EYINGA, 1991 : 30).
Plusieurs raisons, qu'il nous semble important de mentionner ici, peuvent
justifier ce choix :
« Le nom de Moumié-Etia avait d'abord
été avancé, mais l'intéressé a
décliné l'offre pour des raisons personnelles ; puis il a
proposé le camarade qui lui semblait être l'homme de la
situation : Um Nyobé. Depuis 1946 qu'il se trouvait à la
tête de la centrale syndicale USCC (Union des Syndicats
Confédérés du Cameroun), Um avait administré la
preuve de ses talents d'organisateur, d'animateur et de conducteur d'hommes
[...] Sur le plan extérieur aussi, Um était l'un des rares
patriotes, peut-être avec Asa'ale, à avoir à
l'époque noué des relations utiles avec les hommes, les
organisations et les pays sur lesquels les nationalistes pouvaient compter en
cette période difficile de démarrage de la guerre froide. Et que
dire de ses qualités personnelles : sa simplicité, son
honnêteté, son sens de la justice, son courage et par-dessus tout,
son amour désintéressé et sans limite pour le
Cameroun » (A. EYINGA, 1991 : 30-31).
L'ascension de UM NYOBE au poste de Secrétaire
général de l'U.P.C va d'ailleurs apporter à cette
organisation, une dimension nouvelle dans le but qu'elle s'était
fixée. But souligné dans l'Article Premier des nouveaux
statuts de l'U.P.C qui énonce que :
« Il est créé au Cameroun un
mouvement dénommé « Union des Populations du
Cameroun » (par abréviation, U.P.C), qui a pour but de grouper
et d'unir les habitants de ce Territoire en vue de permettre l'évolution
plus rapide des populations et de leur standard de
vie »72(*).
Une fois que cette organisation nationaliste obtint,
après d'innombrables tracasseries, une reconnaissance officielle
même si celle-ci fut « conditionnée »73(*), les données du
problème opposant l'Administration coloniale aux nationalistes
camerounais changèrent radicalement. En effet, pour la première
fois, « l'initiative » avait changé de camp, elle
était passée du côté des patriotes. Ces derniers
comptaient en profiter au maximum pour appliquer leur programme d'union de tous
les Camerounais, afin d'assurer la « Réunification »
et l'« Indépendance » de la Patrie.
Il est important de mentionner ici que dans le but de
se servir du « Droit » (ensemble de normes juridiques, de
lois en vigueur dans un Pays) pour défendre le
« droit » (chose permise par le
« Droit » et dont on peut licitement se prévaloir),
c'est-à-dire, le « Kundè »74(*) (dans la langue basaa), UM
NYOBE, Secrétaire général de l'U.P.C, exclura
intelligemment, toute union fondée sur une idéologie, laïque
ou religieuse. En effet, plus d'une fois le Secrétaire
général du « Mouvement » a eu à
réfuter la malveillante accusation portée à l'U.P.C
d'être communiste puisque, les autorités coloniales
françaises et leurs alliés de l'intérieur et de
l'extérieur, brandissaient invariablement la même accusation
contre tout mouvement de libération nationale en activité dans la
colonie afin de la discréditer (A. EYINGA, 1991 : 34).
Conscient de cette manoeuvre sournoise, UM NYOBE prit
la précaution d'insister sur le fait que les Upécistes
étaient « simplement anticolonialistes et
antiracistes ».
Dans cette « palabre de
l'indépendance » ou « Nkaa
Kundè », au sens de Achille MBEMBE, les nationalistes
basaa de Boumnyebel en particulier et camerounais en général
useront de la « parole » comme premier « moyen de
défense visible » pour éduquer la population (locale et
nationale) et accroître ainsi leur niveau de compréhension des
problèmes liés à la
« Réunification » et à
l'« Indépendance » du Pays.
Mentionnons d'ailleurs que le problème de la
« Réunification » du Cameroun trouve, en fait, son
origine à partir de 1916, lorsque les Anglais et les Français
s'unissent et envahissent la terre des Ancêtres pour en chasser les
Allemands, puis décident de se partager le Cameroun au gré de
leurs intérêts : chacun des deux (2) puissances s'en
attribuant une parcelle. Entériné par la Société
Des Nations (S.D.N), ce « partage illicite » ne fut remis
en question par aucune organisation, jusqu'à ce que l'U.P.C l'inscrive
dans son programme en 1948 en ces termes :
« Nous voulons la suppression
immédiate de la ligne de démarcation qui partage le Cameroun en
deux zones, anglaise et française. Il s'agit là d'une
frontière artificielle, qui sépare des populations appartenant
aux mêmes races, ayant les mêmes intérêts
économiques, un passé commun, les mêmes moeurs et les
mêmes traditions » (A. EYINGA, 1991 : 43).
La stratégie de l'U.P.C consistait donc
à faire en sorte que toutes les populations du Cameroun se posent et
s'occupent d'abord de leurs problèmes. Le
« Mouvement » entreprit en conséquence de les
conscientiser à travers le « discours » et
de les organiser à cette fin, à propos de la
« Réunification » et de
l'« Indépendance ». Pour transmettre son message,
l'U.P.C qui était à l'époque plus un « Mouvement
de libération nationale » qu'un parti politique classique --
avec ce que cela implique comme considération idéologique ou
d'appartenance à une classe sociale --, utilisait non seulement la
presse écrite (« La Voix du Cameroun »),
mais également les « chansons populaires »
(« Tjembi di Lon » en langue basaa). Il est utile
de comprendre ici que, à Boumnyebel comme dans toutes les autres
localités du « pays basaa », les
« Tjembi di Lon » constituent « l'autre
versant de l'élaboration populaire » (A. MBEMBE, 1992 :
161), l'aspect subsidiaire du développement et de l'enracinement de
l'esprit patriotique à Boumnyebel. Il est difficile d'en saisir
l'importance et l'enjeu si l'on fait abstraction du fait que l'on se situe,
ici, dans une société traditionnelle, certes déjà
affectées par l'écriture, mais où l'oralité
(« Liporôl » en Basaa), le
« discours chanté » a gardé toute sa
splendeur symbolique et culturelle. Les « chansons populaires
basaa » ne sont donc pas seulement mélodiques et rythmiques, mais
représentent également et surtout des messages ainsi que des
codes pédagogiques propres aux populations rurales du pays basaa.
Le choix, par les patriotes camerounais, d'user de la
« parole », du « verbe », du
« discours » comme premier « moyen de
défense visible », peut également se comprendre si l'on
garde à l'esprit que dans l'ensemble :
« Ce n'est pas faute de connaître
l'existence de système d'écriture, [...], que l'Afrique noire,
[...], a conservé à la tradition orale sa
prépondérance [...] Pour les Africains, [...], la parole
constitue une sorte de magie (« la puissance de la
parole ») : elle excite, ridiculise, exalte, guérit,
console, redresse, chante, terrasse ; elle atteste, à travers des
voix déformées, rauques ou stridentes, la présence des
esprits surnaturels ; elle calme les troubles ou les suscite ; elle
peut gagner les guerres et les procès, [...], conférer ou ruiner
l'autorité » (P. SMITH, 1988 : 208-209).
À Boumnyebel en l'occurrence, la
« parole » est à la fois une force
concrète et tangible qu'on essaie de matérialiser pour la faire
apparaître, ainsi qu'une transcendance spirituelle75(*) qui confère à
cette société traditionnelle du triangle national, son empreinte
majeure. Ce n'est donc pas un hasard si sur le plan politique (dans la lutte
pour la « Réunification » et
l'« Indépendance » du Cameroun), UM NYOBE portait le
nom de « Mpodol » ou
« Mporôl », c'est-à-dire, celui qui
endosse la « parole » de ses semblables,
« « celui qui parle pour », et donc à qui
l'on « donne sa propre voix et le cou qui supporte
celle-ci » » (A. MBEMBE, 1992 : 168).
En déclenchant donc le « Nkaa
Kundè », l'U.P.C projetait, dans un premier temps, de
resserrer les liens entre les populations de part et d'autre de la
frontière franco-britannique, avant de les inviter à passer
à l'Action. A. EYINGA (1991 : 44) nous révèle que
dans cette optique, deux rencontres se firent du côté britannique
(à Kumba) en Août et en Décembre 1951. Ce furent d'ailleurs
les premières étapes de la mise en condition des masses. Lors de
la seconde rencontre (en Décembre), UM NYOBE et ses amis
présentèrent aux participants, un projet de constitution d'un
Comité exécutif de l'Unité Camerounaise, chargé
d'harmoniser les revendications des populations des deux côtés de
la frontière. Mais au cours de cette rencontre, on nota la
présence malveillante des envoyés camerounais du gouverneur
français (les partisans de la colonisation), tous membres du parti
administratif ESOCAM (Évolution Sociale du Cameroun)76(*). Percés à jour,
ces subordonnés de la France coloniale, ne parvinrent pas à
accomplir leur sombre dessein, en l'occurrence perturber le bon
déroulement de la réunion. Par ailleurs, c'est au congrès
de Éséka (en pays basaa) qu'en 1952, les patriotes
décidèrent que la « Réunification » du
Cameroun (un des éléments essentiels du « Nkaa
Kundè » à l'origine) serait l'un des multiples
problèmes que « Mporôl » (UM NYOBE)
exposerait à New York devant la Quatrième Commission de
l'Assemblée Générale des Nations Unies. Dans cette
optique, le Secrétaire général de l'U.P.C devait à
cette occasion défaire l'argument onusien selon lequel
« l'unification ne constituait pas un véritable
problème pour les habitants des deux (2) Cameroun ».
Pour UM NYOBE et ses amis, la
« Réunification » constituait en fait, la seule voie
par laquelle le Cameroun, dans sa totalité, se devait de passer afin
d'accéder à son entière
« Indépendance ». Il est important de savoir ici que
pour les nationalistes camerounais, au début des années 1950, la
« Réunification » du Cameroun était
parfaitement réalisable et d'une manière pacifique. Mais au
milieu des années 1950, les choses s'étant
dégradées entre temps, il ne s'agira plus d'obtenir cette
« Réunification » de manière pacifique, mais
par « toute la force disponible » (nous y reviendrons dans
la suite).
Les nationalistes camerounais insistaient sur la
« Réunification » et
l'« Indépendance » parce qu'il était clair
à leurs yeux qu'aucun pays digne de ce nom sous domination
étrangère ne pouvait réussir efficacement son
développement et son plein épanouissement national (A. EYINGA,
1991 : 47). Les patriotes camerounais estimaient par conséquent que
seule l'autodétermination, conférée par
l'« Indépendance », pouvait permettre au
« Peuple camerounais » de retrouver la libre disposition de
lui-même afin de s'organiser de manière à
bâtir : une économie, une Culture, une Nation à son
service. Pour UM NYOBE et ses compatriotes, revendiquer
l'« Indépendance » (la vraie), c'était
vouloir, de bonne foi et sans hypocrisie, l'avènement d'une Nation
camerounaise moderne.
Comme nous avons eu à le souligner au
début de notre propos, l'U.P.C fut un Mouvement de libération de
la Nation camerounaise, né dans la légalité et
disposé à mener son combat dans le cadre du Droit national
français et du Droit international. C'est ainsi que compte tenu du
statut particulier du Cameroun à cette époque, l'U.P.C
s'était dotée d'un programme indépendantiste comprenant
trois (3) points fondamentaux en totale conformité avec la loi
française et le droit des gens. Il s'agissait : de la
révision des accords de tutelle, de la
« Réunification » et de
l'« Indépendance ». En effet, après avoir
été placé sous le système du mandat par la
volonté des autorités françaises et anglaises ainsi que
par le satisfecit de la Société des Nations (SDN), le Cameroun
est devenu, dans le cadre de l'ONU, un pays sous tutelle. Dans ce cadre, il
était administré en vertu d'un accord passé le 13
Décembre 1946 entre les autorités franco-anglaises et
l'Organisation des Nations Unies (ONU). Ce qui était tout à fait
normal du point de vue des colons, mais constituait une grave entorse du point
de vue des Basaa de Boumnyebel en particulier et des patriotes camerounais en
général, c'est qu'à aucun moment, les Descendants de la
« Mère-Patrie » n'avaient été
associés, de près ou de loin, à l'élaboration de
cette convention qui disposait de leurs destinées.
« Mporôl » (UM NYOBE), le Secrétaire
général de l'U.P.C, évoqua d'ailleurs cette anomalie
devant ses camarades le 29 Septembre 1952 en ces termes :
« Pour le Cameroun, les grands responsables
de la situation sont AUJOULAT et DOUALA MANGA BELL77(*). Les deux (2) hommes, l'un
député des colons du Cameroun, l'autre élu des
autochtones, furent envoyés à l'ONU par le Gouvernement
français. Le peuple camerounais n'avait mandaté aucun d'eux pour
aller discuter des accords de tutelle. Mais AUJOULAT devait déclarer
dans son exposé devant l'Assemblée Générale des
Nations Unies que les accords de tutelle avaient été
discutés en réunion publique et approuvés par les
autochtones ; que c'est pour cette raison que ladite population autochtone
avait élu DOUALA MANGA BELL pour aller soutenir les projets d'accords
devant l'ONU » (A. EYINGA, 1991 : 49).
Nous pouvons, par ailleurs, relever -- dans une
intervention du Dr. AUJOULAT, publiée par la SEREP
(Société d'Éditions Républicaines Populaires) sous
le titre « La vie et l'avenir de l'Union
Française » -- une déclaration faite par son
acolyte DOUALA MANGA BELL à New York lors de la fameuse discussion des
accords de tutelle : « Mes compatriotes ont eu connaissance du
texte d'accords préparé par la France ; ils le trouvent
à leur goût ; je vous demande donc de l'adopter sans
modifications » (A. EYINGA, Op. Cit.).
L'on peut par conséquent se douter qu'aux yeux
de UM NYOBE, dans la mesure où des escroqueries politiques furent
commises à l'endroit des Camerounais, les débats de 1946 sur les
accords de tutelle n'engagent nullement le Peuple camerounais puisque : ce
Peuple n'a pas été appelé à se prononcer sur le
texte des accords, consultation préalable qui était pourtant
indispensable, étant donné que les deux (2) diplomates du
Gouvernement (AUJOULAT et D. MANGA BELL) ont eu recours à des
déclarations mensongères pour faire aboutir les projets.
Cela donne en soi, aux Basaa de Boumnyebel et à tous les Camerounais
patriotes, le droit (Kundè) de revendiquer aujourd'hui la
modification d'un texte qu'on nous avait imposé par tricherie (A.
EYINGA, 1991 : 49-50).
Toutefois, Il convient de mentionner ici que l'U.P.C
ne remettait pas en cause le texte des accords de tutelle dans sa
totalité. Ce qui posait problème pour les patriotes,
c'était précisément l'article 4 de ce texte. Cet
article constituait une « clause assimilationniste » qui
autorisait la France à « administrer le Cameroun comme partie
intégrante du territoire français »,
c'est-à-dire, comme une composante de la République
française « une et indivisible ». Or, selon
l'article 76, alinéa b de la Charte des Nations Unies, l'un des
objectifs du régime de tutelle était de « favoriser
l'évolution progressive des pays sous tutelle vers la capacité
à s'administrer eux-mêmes ou l'indépendance ».
Ainsi, pour mettre fin à ce conflit de normes juridiques qui
apparaissait entre la loi internationale et le droit français (et
même au sein de ce dernier), l'U.P.C, par le biais du
« Nkaa Kundè », ne voyait qu'une seule
solution efficace : l'abrogation de la clause litigieuse de l'article
4 des accords de tutelle. UM NYOBE s'était d'ailleurs
expliqué à ce sujet le 14 Décembre 1951 à Kumba en
ces termes :
« Dans les accords concernant le Cameroun
sous administration française, il est prévu à l'article 4
que la France administrera le Cameroun « comme partie
intégrante du territoire français ». Nous
demandons à ce que soit abrogée cette clause qui est d'ailleurs
en opposition avec l'article 60 de la propre constitution française. Cet
article n'incorpore dans la République française que les
territoires et les départements d'outre-mer, alors que le Cameroun, pays
sous tutelle, est admis comme membre de l'Union française en
qualité de <territoire associé> » (A. EYINGA,
1991 : 50-51).
En dehors des réformes fondamentales
susvisées, UM NYOBE invitait ces compatriotes à lutter pour
l'application de tout ce qui pouvait être progressif dans les accords de
tutelle tel que : le développement de l'enseignement ; la
participation des autochtones dans l'administration du Cameroun, non comme de
simples subalternes, mais comme de véritables membres de la fonction
publique ; le respect de la primauté de leurs
intérêts.
Par ailleurs, il convient de noter que dans cette
perspective du « Nkaa Kundè » (la
« palabre de l'indépendance »), l'U.P.C
préconisait certes la « Réunification »
immédiate du Cameroun, mais pour ce qui était de
l'« Indépendance » en elle-même, ce Mouvement
avait toujours prôné une marche progressive impliquant, d'une part
la fixation d'une date et d'autre part, l'organisation d'une période de
préparation effective du pays aux responsabilités internes et
externes de l'« Indépendance »78(*).
En somme, le « Nkaa
Kundè » (« premier moyen de défense
visible »), comme le dit si bien A. MBEMBE (1992 : 167-168),
désigne la revendication, auprès d'une autorité dont on
accepte la légitimité (l'ONU), d'une autonomie de gestion, de la
restauration d'un droit spolié injustement. Le « Nkaa
Kundè », dans cette dialectique, implique donc la
présence de trois (3) éléments fondamentaux : une
plainte au sens juridique du terme, un plaignant (éventuellement, un ou
des accusé (s)) et une instance de justice. Dans l'intelligence des
populations camerounaises, en l'occurrence celle des Basaa de Boumnyebel, le
« plaignant » est le « Lon
Kamerun » (le Cameroun), les
« accusés » sont la France (et ses
subordonnés camerounais) et la Grande-Bretagne. L'ONU fait donc office
de « tribunal », chargé de prononcer un verdict
juste et équitable à la fin de la plaidoirie des
différents protagonistes. Quant à l'U.P.C, elle joue le
rôle d'« avocat » de la cause nationaliste dont UM
NYOBE est le « Mporôl ».
En fait, dans la représentation populaire telle
qu'elle apparaît dans les « Tjembi di Lon »
(« les chansons du Pays » en langue basaa), le
« Nkaa Kundè » fut, avant tout, une
« palabre », un débat contradictoire. Il supposait
donc un acte d'accusation, une possibilité de réplique
contradictoire et une enquête ou « Ndonol »
à la suite de laquelle se négocient les termes d'une
réconciliation79(*). Voilà pourquoi, en plus des diverses
tracasseries administratives visant à empêcher son voyage en 1952,
l'apparition de UM NYOBE devant l'Assemblée Générale de
l'ONU, est relatée dans ces « chansons » comme
l'apparition de celui qui est chargé par la
« Communauté des Vivants et des Morts » d'aller
instruire et d'énoncer les noeuds du désaccord qui oppose
« Lon Kamerun » à « ceux dont la
terre de leurs ancêtres n'est pas ici » (les colons), et qui,
par conséquent, ne peuvent point prétendre à
« l'héritage », à moins de chercher à
tout prix à « créer un désordre social et
cosmogonique » (A. MBEMBE, 1992 : 169). Le « Nkaa
Kundè » fut, par conséquent,
appréhendé par les Basaa de Boumnyebel en l'occurrence qui
entendirent le discours, comme un processus visant à rétablir une
santé sociale, dans un contexte où la Communauté toute
entière s'est trouvé perturbé par l'infraction des
interdits, la remise en cause inique des croyances et des rites ancestraux qui
assurent la cohésion sociale tant sur le plan politique que sur celui
spirituel. À partir de cette idée, l'on peut comprendre
aisément que : l'intrusion des Européens dans
l'ordonnancement basaa de l'univers (comme nous avons eu à le mentionner
dans le précédent chapitre) soit considérée par
cette frange de la population du Cameroun, comme un mal que seul le Droit
(« Kundè ») puisse enrayer en
rétablissant l'ordre symbiotique des différentes pièces
qui constituent ce « Mbok Basaa », source de vie.
Il est toutefois fondamental d'insister ici sur le fait que, dans la perception
des patriotes basaa, le « Nkaa Kundè » se
voulait avant tout « un débat contradictoire »
censé amener les différents protagonistes à régler
leurs différends de manière pacifique, sans effusion de sang,
c'est-à-dire, en évitant de recourir à la guerre ou
à d'autres formes de procédures martiales. D'ailleurs, cette
notion de « Nkaa Kundè » en subissant une
extension remarquable débordera largement le cadre local de Boumnyebel
pour devenir, dans la perception et la terminologie française du
mouvement nationaliste, le problème national Camerounais.
Cependant, lorsque toutes les pièces
témoins, toutes les preuves censées démontrer, par la voie
pacifique de la « palabre juridique », les méfaits
du régime colonial ne permettront pas au
« Plaignant » (le Cameroun) de retrouver son bon droit, son
« Kundè », UM NYOBE et ses amis passeront
au « second niveau de défense » à
savoir : la « lutte » pour la liberté de la
terre ancestrale (« San Kundè »). C'est ce
second niveau qui a constitué l'articulation (B) ci-après.
B. LE RECOURS À LA
« MANIFESTATION
POLITIQUE » : LE «
SAN KUNDÈ »
Lorsque le
« verbe » laisse place à l'« expression
des corps physiques » (« Mbombok
A. »), l'on se situe au sein du « second
moyen visible » ou « intermédiaire » de
défense contre l'oppresseur : le « San
Kundè ». Le « San
Kundè » ou « la lutte pour le droit
(« Réunification » et
« Indépendance ») » est en fait, le
prolongement de la phase précédente du « Nkaa
Kundè » (A. MBEMBE, 1992 : 170).
Comme nous avons pu le souligner au début de
notre travail (Chapitre 1), le Basaa est un guerrier par essence, mais il ne
doit recourir à la « force », en l'occurrence la
« force physique », qu'en cas de nécessité.
En effet, la lutte (« San » dans la langue basaa)
n'intervient, comme moyen de règlement des conflits sociaux, que lorsque
« la réalité en terme de palabre a fait
faillite » (A. MBEMBE, 1992 : 170-171). Il est certes
possible que la « lutte » précède la
« palabre », mais dans le contexte historique exceptionnel
de la colonisation, « le San Kundè fait irruption
dans la grammaire politique des chansons en langue Basaà comme
crépuscule des illusions de la
« palabre » »80(*).
L'histoire nous révèle d'ailleurs que
lorsque le porte-parole du nationalisme camerounais, UM NYOBE, achève sa
« palabre juridique » devant les Nations Unies, lui et ses
amis, naïvement peut-être, espèrent que les autorités
françaises répondront positivement à leurs
doléances, mais au lieu de cela, ils subiront plutôt une
répression d'une rare cruauté.
Mentionnons pour illustrer notre propos que, dans le
souci d'informer tous les Camerounais sur son voyage à New York, une
fois arrivé au Cameroun, UM NYOBE entreprit de sillonner tout le pays.
Mais en pays Bamoun, fief du Sultan NJOYA, cette entreprise a failli lui
coûter la vie :
« Un complot ourdi contre sa personne
échoua de justesse grâce à la présence d'esprit de
ses auditeurs qui se jetèrent sur lui, faisant de leurs corps un
bouclier humain le mettant à l'abri des coups de couteau que ses
agresseurs s'apprêtaient à lui porter. UM s'en est tiré
avec une blessure à la tête. La nouvelle de sa mort a tout de
même fait le tour du pays...» (A. EYINGA, 1991 : 74).
Toutefois, malgré les multiples
démêlés avec l'autorité coloniale, le travail
accompli au fil des années (à Boumnyebel et dans toutes les
régions du Cameroun), par les patriotes camerounais, a permis
l'émergence d'une véritable conscience politique dans la
mesure où, désormais, la gestion des affaires du territoire
national faisait l'objet des commentaires du soir. Et cela, nous pouvons nous
en douter, n'était pas en odeur de sainteté auprès de
l'administration coloniale. Il est évident que si « Atna
Maten ma Kamerun » (U.P.C) avait échoué dans son
entreprise de conscientisation des populations camerounaises dans l'ensemble,
l'Administration coloniale n'aurait aucunement focalisé tout son
ressentiment sur le mouvement nationaliste et sur les hommes qui l'incarnaient.
En effet, ayant abouti à la conclusion selon laquelle le Mouvement
nationaliste camerounais (U.P.C) ne pouvait pas être endigué par
des « moyens légaux », les autorités
coloniales françaises ont opté pour la violence, terrain sur
lequel leur supériorité en armements modernes était
incomparable. D'ailleurs, face à une organisation patriotique,
créée non pas pour faire la guerre, mais pour transmettre un
idéal aux populations camerounaises par des moyens pacifiques,
démocratiques et légaux, l'Administration coloniale
française disposait de moyens de répression d'une
efficacité redoutable et indéniable. Elle n'hésitera pas
à en user et à en abuser.
Le « San Kundè »,
est une période de lutte pour la
« Réunification » et
l'« Indépendance » du Cameroun que nous pouvons
situer entre le retour de UM NYOBE des Nations Unies le 5 Mars 195581(*) et le décret
français du 13 Juillet 1955 portant dissolution de l'U.P.C et de toutes
les autres organisations nationalistes. Cette dissolution arbitraire rentrait
en fait dans le plan arrêté à Paris, et dont
l'exécution sur le terrain avait été confiée
à un spécialiste de ce genre de « sale »
besogne : le gouverneur Roland PRÉ (A. EYINGA, 1991 : 78). En
fait, le gouvernement français par cet envoi, attendait du nouveau
gouverneur une « action plus musclée » pour faire
obstacle à l'U.P.C, puisque, jusque là, les moyens
utilisés n'avaient pas été couronnés de
succès. En effet, les autorités coloniales avaient
constaté que les interdictions des réunions, les brimades,
produisaient le plus souvent un effet tout à fait différent de
celui escompté. Pour le gouvernement français, il était
impératif d'abattre l'U.P.C, l'incarnation du nationaliste camerounais.
Car c'était ce Mouvement qui mettait la
« civilisation française » en danger. D'ailleurs,
dans le livre- blanc publié sur « les émeutes
de Mai 1955 », le gouvernement français donne clairement cette
explication :
« Il était difficile, pour ne pas
dire impossible, de combattre l'U.P.C sur le plan des idées ; or le
nationalisme extrémiste et séparatiste de ce parti
présentait un réel danger non seulement pour notre
présence mais également pour l'avenir même des habitants de
ce pays entièrement acquis à notre civilisation occidentale. Et
ce nationalisme était d'autant plus inquiétant qu'il recevait des
encouragements de l'extérieur : encouragements venus de France par
le canal du Parti Communiste et des nombreuses associations et journaux qui en
sont l'expression ; mais encouragements venus aussi de certains
États membres de l'ONU. Les leaders upécistes devaient
d'ailleurs, dès leur retour au territoire, exploiter à fond, sur
le plan de la propagande, l'appui reçu de ces nations
étrangères » (A. EYINGA, 1991 : 79-80).
Par conséquent, pour faire pièce au
Mouvement nationaliste camerounais, l'Administration coloniale française
prit trois (3) mesures fondamentales82(*).
La « première mesure »
porta sur les réformes relatives aux fonctionnaires, au monde rural, aux
forces de sécurité et aux travailleurs d'une manière plus
globale. L'objectif réel de ces « réformes
passives » était de créer une scission entre les
Camerounais et l'U.P.C en supprimant les causes de mécontentement.
N'oublions pas que les nationalistes se fondaient sur ces dernières pour
amener les populations à comprendre qu'avec la
« Réunification » et
l'« Indépendance », les Basaa de Boumnyebel en
particulier et tous les Camerounais en général, pourraient
eux-mêmes trouver des solutions adéquates à leurs
problèmes qui n'intéressent pas les colonialistes. En consentant
à effectuer ces « réformes passives » qui au
fond, n'allaient ni vraiment améliorer les conditions de vie des
catégories concernées, ni entraîner le développement
du pays, les autorités coloniales françaises coupaient l'herbe
sous les pieds de l'U.P.C . Geste « salutaire », puisque le
Mouvement était d'ailleurs, aux yeux du gouvernement français,
d'autant plus dangereux qu'il bénéficiait d'une organisation
importante. Jusque-là, en effet, le Mouvement nationaliste avait
réussi à implanter plus de 450 Comités de base et de
quartier, ce qui laissait entrevoir la possibilité d'une extension
rapide sur tout le territoire national dans les mois qui allaient suivre. En
outre, la « dangerosité » de l'U.P.C était
aussi due au fait que jusqu'alors, ce Mouvement ne rencontrait aucune
opposition politique sérieuse sur le plan des idées (A. EYINGA,
1991 : 81). En effet, les autres partis étaient
déchirés par des luttes intestines et stériles, lesquelles
laissaient le champ libre aux partis extrémistes. En effet, pour mieux
comprendre le danger qui en résultait, signalons que déjà,
à Boumnyebel, dans les quartiers de Douala et même dans certains
villages plus particulièrement soumis à la pression
upéciste, les cadres administratifs avaient été
remplacés par des organes politiques et le « mythe de
l'invincibilité de l'U.P.C » commençait ainsi à
s'enraciner.
La « deuxième mesure »
arrêtée par l'Administration coloniale française consista
à regrouper à Douala tous les responsables de l'U.P.C qui
étaient encore des fonctionnaires. Sans doute pour mieux surveiller
leurs faits et gestes, et pouvoir plus facilement tous les prendre le jour
où l'on décidera de leur élimination physique83(*).
La « troisième mesure »,
quant à elle, visait à harceler sans répit les patriotes
par des arrestations, des perquisitions, des citations à
comparaître. Et lorsqu'il n'y avait pas de motif patent pour
inquiéter le patriote concerné, l'Administration coloniale
montait une provocation, ou alors elle ressuscitait de vieux contentieux
classés et oubliés. C'est ce dernier procédé qu'un
administrateur des colonies du nom de GELIS, utilisa pour traduire UM NYOBE
devant le juge instructeur (nous y reviendrons).
Toutes ces mesures répressives
n'entamèrent pas la ferveur des patriotes, loin de là.
D'ailleurs, Roland PRÉ alias « le civilisateur »,
fut outré de constater que malgré la croisade en cours contre
eux, les nationalistes camerounais se soient permis d'ouvrir une École
des cadres à Douala le 18 Mars 1955, et surtout qu'ils aient osé,
le 22 Avril, toutes organisations patriotiques confondues, adopter et diffuser
une Proclamation Commune dans laquelle ils réaffirmaient, avec plus de
véhémence, leurs revendications habituelles à
savoir : la « Réunification » et
l'« Indépendance » véritables. Ce fut
là, la goutte de trop. En effet, moins d'un mois plus tard, ce fut le
« blitz » : la semaine sanglante de Douala (22 au 30
Mai 1955). Pendant cette période qui est encore très
ancrée dans la mémoire des Camerounais en général
et des Basaa de Boumnyebel en particulier, le siège de l'U.P.C à
New Bell fut complètement mis à sac et réduit en
état de cendres fumantes. Tous les responsables nationalistes qui ne
furent pas bien inspirés de quitter leur domicile, furent
arrêtés et incarcérés. La « chasse aux
patriotes » s'étendit jusque dans des régions plus
éloignées telle le Dja et Lobo où le chef de Région
prend et diffuse la note suivante84(*) :
Haut Commissariat au Cameroun Région
du Dja et Lobo.
Note à tous les chefs supérieurs, chefs de
gouvernement, chefs de village, chefs étrangers de la région du
Dja et Lobo.
Je porte à la connaissance de toute la population
le fait qu'à la suite des troubles graves provoquées par l'U.P.C,
notamment à Douala et à Yaoundé, les principaux dirigeants
de ce parti ont pris la fuite et sont recherchés par la justice.
Toute personne qui recevrait dans sa case ou aiderait
d'une manière quelconque l'un des chefs de l'U.P.C en fuite, doit
être immédiatement arrêtée pour complicité de
recel de malfaiteur et présentée à la justice.
Tous les chefs qui auraient omis de signaler le passage
d'un agitateur en fuite ou une réunion clandestine, dans les 24 heures,
peuvent être également arrêtés et poursuivis. Je
rappelle que toute réunion publique ou privée de l'U.P.C est
formellement interdite pour des raisons d'ordre public...
Le Chef de Région,
Signé : HUBER
Trois (3) détails attirent notre attention
à la lecture cette note. Premièrement, la note est
adressée en grande partie aux Chefs ; rien d'étonnant en
réalité puisque l'Administration coloniale recrutait de
préférence l'élite locale, les intellectuels (ce qui
savaient lire et écrire) et les Chefs traditionnels85(*). Mais dans les rangs de
l'U.P.C on pouvait également noter la présence de certains Chefs
acquis à la cause nationaliste. Deuxièmement, les hommes
n'étaient pas les seuls à mener le « San
Kundè », on notait aussi la présence des
épouses, des mères et des soeurs des patriotes.
Troisièmement, le nom de UM NYOBE ne figurait pas encore sur la liste
des patriotes faisant l'objet d'un mandat d'arrêt, car, jusque-là,
chose curieuse vu la haine que l'Administration coloniale française
nourrissait à son encontre, aucun mandat d'arrêt ne lui avait
été « décerné ».
Finalement, le 13 Juillet 1955 à Paris, le
gouvernement français dirigé à l'époque par Edgar
FAURE, approuve sans réserve l'action de son représentant au
Cameroun. En lui emboîtant le pas, FAURE prend, en conseil des ministres,
un décret portant dissolution non seulement de l'U.P.C, mais
également de toutes les autres organisations nationalistes telles que la
JDC (Jeunesse Démocratique du Camerounais) et l'UDEFEC (Union
Démocratique des Femmes Camerounaises). Les patriotes camerounais
à l'instar de MOUMIÉ, MPAYE et NGOM, comme à leur
habitude, essayeront de passer par la voie juridique pour contester ce
décret, mais ce sera peine perdue. En effet, les nationalistes
camerounais introduiront un recours à Paris pour obtenir l'abrogation
dudit décret pour excès de pouvoir. Mais le Conseil d'État
français, juridiction la plus élevée de l'ordre
administrative, rejettera leur requête en alléguant comme motif
que : « les requérants ne sont pas fondés à
soutenir que le décret attaqué est entaché d'excès
de pouvoir »86(*).
À partir de ce moment, les dés furent
jetés et la boucle bouclée. Et surtout furent
préservés, les intérêts français visiblement
incompatibles avec la réelle souveraineté camerounaise. Quant
à l'U.P.C et les autres organisations nationalistes, désormais
interdites de manifester politiquement en se déployant sur la Terre
Ancestrale, au vu et su de tous, elles allaient entrer dans la
clandestinité qui constitue la troisième phase de la lutte pour
le « Kundè », la lutte pour le droit
à l'autodétermination. C'est cette troisième phase que
nous avons essayée d'analyser dans l'articulation suivante (II).
II. LES « MOYENS DE DÉFENSE
SURNATURELS » OU
« INVISIBLES »
Les « forces de
l'Invisible », semble t-il, ne se déploient mieux qu'en
période de crise grave, et surtout lorsque toutes les autres
« voies ordinaires », se sont avérées
inefficaces. Il est, à cet égard, dit à Boumnyebel que, le
nom des « Basôgôl » (Ancêtres au
sens strict) ne doit jamais être prononcé en vain
(« Mbombok A. »).
Il est nécessaire de garder en mémoire
que c'est la dissolution « illégale et arbitraire »
de l'U.P.C et des autres organisations patriotiques par le pouvoir colonial
français, qui va pousser les nationalistes camerounais à entrer
dans la clandestinité, avec la création des
« maquis » (en l'occurrence celui de Boumnyebel) et le
déclenchement in fine du « Gwet bi
Kundè » (la « guerre du droit »).
Dans cette seconde partie, nous avons d'une part,
essayé d'analyser les différentes implications des forces de
l'Invisible dans la « guerre du droit » (A), et d'autre
part, nous avons tenté de montrer que nonobstant le fait que le Cameroun
obtint son « indépendance », la lutte pour
le « Kundè » semble se poursuivre encore de nos
jours à tous les niveaux (B).
A. LE « GWET BI
KUNDÈ » : LA « FORCE
ANCESTRALE » COMME « RECOURS ULTIME » EN TEMPS DE
GUERRE87(*)
La dernière phase de lutte, pour la
« Réunification » et
l'« Indépendance », que l'on peut repérer
à cette époque dans le discours des populations basaa de
Boumnyebel en l'occurrence, est celle dite du « Gwet bi
Kundè » (« la guerre du droit »), car
le « conflit » opposant les patriotes camerounais à
l'Administration coloniale française, s'était de fil en aiguille
transformé en « guerre ouverte et violente ».
A MBEMBE (1992 : 171) relève que ce
troisième niveau de la lutte pour le droit « [...] commence,
dans la rationalité populaire, avec le Gwet bi Roland
Pré (la guerre de Roland Pré) ». En effet, aux
yeux des populations basaa de Boumnyebel notamment, c'est à cause du
gouverneur colonial Roland PRÉ, auteur des massacres de Mai 1955, que
les patriotes camerounais se sont vus contraints d'entrer en guerre. Le
« Gwet bi Kundè » désigne donc la
résistance et la lutte armée dans les
« maquis » de Boumnyebel, de la Sanaga Maritime, à
partir de 1956.
Il convient de préciser ici que le
Secrétaire général de l'U.P.C est entré dans la
clandestinité bien avant les « évènements de Mai
1955 », à cause d'un mauvais procès ressuscité
contre lui sur l'ordre de ce fameux gouverneur colonial, Roland PRÉ.
L'affaire en question, remontait en fait au 7
Février 1953 et portait sur une réunion de l'U.P.C
organisée à Songmbengue, une subdivision de Babimbi (foyer de la
Civilisation basaa). UM NYOBE fut invité, en sa qualité de
« Mporôl », à participer à
cette réunion dans le cadre des comptes-rendus de sa première
mission de 1952 à l'ONU. L'administrateur français de
GÉLIS arriva en force et dispersa, manu militari, les participants
à la réunion. UM NYOBE, comme à l'accoutumé,
protesta et le prévint que l'U.P.C s'en plaindrait en justice pour abus
d'autorité et violation d'une concession privée par un agent
public chargé de veiller sur la sécurité et la
tranquillité des citoyens. Paradoxalement, c'est de GÉLIS qui,
prenant les devants, introduisit une plainte contre le Secrétaire
général pour « violence contre agent public dans
l'exercice de ses fonctions » (A. EYINGA, 1991 : 89). De son
côté, le « Nkaa Kundè » (la
« palabre juridique ») obligeant, UM NYOBE déposa
également une plainte contre l'administrateur pour « voies de
fait perpétrées sur un citoyen par un agent public »
(A. EYINGA, Op. Cit.). Au vu des deux (2) requêtes et sur le conseil du
gouverneur SOUCADAUX, le juge d'instruction rendit une ordonnance de non-lieu,
et l'affaire se tassa.
Toutefois, lorsque Roland PRÉ arrive au
Cameroun en 1954, sans autre forme de procès, il ordonna la
réouverture de l'instruction dans la seule affaire où de
GÉLIS était le plaignant (« affaire de GÉLIS
contre UM »), en omettant délibérément l'affaire
jumelle où UM était le plaignant (« affaire UM contre
de GÉLIS »). Bien que le procureur de la République, M.
MARTINELLI, un Antillais, fît la remarque au gouverneur en lui
précisant de surcroît que les deux (2) affaires furent
classées deux (2) ans plutôt, cela ne changeant en rien la
décision du gouverneur. Puis le procureur MARTINELLI voulut savoir si
des faits nouveaux, justifiant la réouverture des dossiers, avaient
été relevés. On lui répondit en haut lieu que
« l'intérêt de l'État
français », à lui seul, suffisait amplement à
justifier l'opération (A. EYINGA, 1991 : 90). Eu égard de sa
réticence, le procureur fut simplement écarté et l'ordre
fut donné directement au juge d'instruction, un « bon
Français » de la métropole, de prendre en mains
l'« affaire de GÉLIS contre UM ». Malgré cet
imbroglio, UM NYOBE se présenta à l'audition de Yaoundé
à laquelle il fut convoqué et ceci sans opposer de
résistance aucune. Mais l'attroupement, aux abords du palais de justice,
de milliers de militants et de curieux venus voir ce qui allait advenir
à « Mporôl », amena le juge
d'instruction à renvoyer l'audition de UM NYOBE88(*) à huitaine. Puis un
second renvoi intervint à peu près dans les mêmes
conditions. Pendant qu'il attendait la troisième convocation,
« Mporôl » fut prévenu que le
mécanisme de son enlèvement venait d'être mis au point et
que ce mécanisme allait entrer en mouvement dès sa prochaine
apparition à Yaoundé. La direction de l'U.P.C décida alors
que le Secrétaire général ne se présenterait plus
à la barre de la justice colonialiste, et UM NYOBE disparut de la
circulation. D'aucuns préférèrent dire qu'il avait
gagné le « maquis » de Boumnyebel. En fait, UM NYOBE
resta clandestinement à Douala pendant deux (2) ou trois (3) mois, sans
prendre part aux manifestations publiques, mais tout en continuant à
avoir des séances de travail avec certains membres du Bureau du
Comité Directeur, en particulier avec MOUMIÉ et les deux (2)
vice-présidents KINGUÉ et OUANDIÉ (A. EYINGA, 1991 :
90-91). Il semblerait que ces patriotes aient décidé de concert
que chacun d'eux, excepté MOUMIÉ qui devait rester dans la
région de Douala, irait organiser et animer un
« maquis » dans sa région natale. UM NYOBE gagna
donc les forêts de Boumnyebel et se mit au travail.
Dans les « maquis » notamment
celui de Boumnyebel, les patriotes basaa se sont servis de toutes les armes
« visibles » et « invisibles » dont ils
pouvaient disposer. Pour les « armes visibles », il
s'agissait pour l'essentiel des armes à feu d'origine occidentale ou de
fabrication locale et des armes blanches (machettes, couteaux, flèches,
lances...). Quant aux « armes invisibles » l'arsenal
était considérablement impressionnant et reposait sur une bonne
connaissance ésotérique89(*).
Rappelons tout d'abord que, lorsqu'on parle des
« maquis » de l'U.P.C des pères fondateurs, il ne
faut pas perdre de vue deux (2) éléments importants.
Premièrement, la clandestinité et le
« maquis » sont une conjoncture que le Mouvement
nationaliste n'avait ni choisie, ni recherchée, et à laquelle il
ne s'était pas réellement préparé ; ce sont
les colonialistes, dans leur logique de conquête et de domination, qui la
lui ont imposée. Deuxièmement, l'idée de remporter une
victoire militaire sur l'armée française, depuis le
« maquis », n'a jamais vraiment effleurée l'esprit
de UM NYOBE ; pour lui, la solution du « problème
Kamerunais » était non pas militaire, mais politique. Et c'est
d'ailleurs à la recherche de cette solution politique que ce patriote
s'est résolument consacré, dans le « maquis »
de Boumnyebel, jusqu'à son dernier souffle de vie. C'est d'ailleurs dans
cette optique que A. MBEMBE dit de lui qu'il fut indubitablement « un
maquisard armé d'un stylo ». En effet, comme nous le faisait
remarquer le « Mbombok R. », les
« maquisards »90(*), pour l'essentiel n'avaient pas pour objectif
principal la destruction de l'armée française. C'est pour cette
raison qu'ils utilisèrent principalement deux (2) types de
« techniques invisibles de défense » à
savoir : le « Kòn » et le
« Dim Ba Ko ». Dans le même ordre
d'idées, un autre « Vieux
Sage » a également mentionné un cri
spécifique le « Nlend Basôgôl »
(le « cri salvateur ancestral »).
1. LE « KÒN » OU LA
« DÉFENSE ABSOLUE ANCESTRALE »91(*)
Le
« Kòn » est une technique de
« blindage » (protection) occulte qui permet, à un
niveau très avancé, à son utilisateur d'être
quasiment à l'épreuve des balles. Le
« Mbombok B. » soulignait que
cette technique est née de l'association des connaissances mystiques des
Basaa du Cameroun et des Ghanéens d'où, d'ailleurs, le sacrifice
d'un robuste bouc lors de la « cérémonie de
blindage ». Le « Mbombok
R », nous faisait également comprendre que, dans
le « maquis » de Boumnyebel, la guerre se faisait, en
grande partie, à l'aide des armes à feu. Sur ce plan, les colons
et les « Dikokôn » (les espions)
bénéficiaient d'un excellent équipement militaire. Le
« Kòn » permettait donc, dans ce contexte
de violence sanglante, aux « maquisards » (moins bien
équipés militairement), d'équilibrer relativement le
rapport de force. Il présentait sur ce point un « aspect
égalisateur ».
Pour comprendre un peu mieux le mécanisme
opératoire de cette « technique occulte », il
convient de savoir que : quand on dit, en langage basaa, que quelque chose
a « kòn », cela veut dire que la chose dont
il est question a été « tachée » ou
« maculée ». Dans le langage
ésotérique, le vocable prend un sens plus subtil. Ainsi, quand un
homme « travail » son corps au
« Kòn » (quand il subit la
cérémonie de blindage du même nom), il est censé se
recouvrir d'une « seconde peau invisible », une sorte de
« champ de force énergétique » (propos
recueillis en Novembre 2008 auprès du « Mbombok
A. »). Grâce à cette sorte
d'« armure invisible », le corps dudit individu est
protégé contre les balles et les armes blanches (ceci constitue
le summum de cette technique). Le « Mbombok
R. », souligna également que le
« Kòn », au cours du « Gwet
bi Kundè », permettait en effet aux
« maquisards » de Boumnyebel de résister aux balles,
et, même quand ils étaient touchés par des projectiles, ils
n'en mourraient généralement pas et pouvaient rentrer au
campement pour y être soignés par les grands prêtres
traditionnels. En clair, le « Kòn »,
certes, pouvait protéger les « maquisards », mais
était loin de leur fournir une protection infaillible, puisqu'en tant
qu'hommes fait de chair et de sang de surcroît imparfaits, ils restaient
des êtres faillibles. Tout comme ACHILLE, l'un des plus puissants
guerriers de la Grèce Antique, qui selon la mythologie était
invulnérable sauf à un seul endroit : le
célèbre « talon d'Achille » ou encore un
SAMSON dont la « force divine extraordinaire » provenait de
sa longue chevelure dont la coupure, entraînait aussitôt sa
faiblesse ; les « maquisards » de Boumnyebel aussi,
malgré cette « armure invisible », restaient des
êtres vulnérables. Par conséquent, trois (3) raisons
fondamentales pouvaient justifier la mort par balles d'un
« maquisard » doté du «
Kòn ». Premièrement, la « violation
des interdits » inhérents à la possession de cette
technique (donner volontairement la mort à autrui par exemple).
Deuxièmement, la « préparation mystique » des
balles qui lui étaient destinées (balles dotées de
pouvoirs magiques maléfiques extrêmement puissants).
Troisièmement, l'« heure prévue » de quitter
les siens pour rejoindre les ancêtres. En effet, tout homme, aussi
puissant soit-il, est appelé à mourir un jour. Le but des
« forces occultes positives » (en l'occurrence le
« Kòn ») est simplement d'éviter que
ce « départ » ne soit précipité et
permettre à l'homme d'accomplir sa mission terrestre avant
« l'heure fatidique » (« Mbombok
A. »).
2. LE « DIM BA KO » OU LE
« KALÉIDOSCOPE HYPNOTIQUE ANCESTRAL »
La « seconde technique de
défense ésotérique », du temps de la guerre dans
le « maquis » de Boumnyebel, fut ce que les
« Ba Mbombok » appellent le « Dim Ba
Ko ». Cette expression dérive de deux (2) termes basaa
à savoir : « Dim » (aveugle,
aveuglement) et « Ba Ko » (les Pygmées).
Littéralement donc, le « Dim Ba Ko »
signifie « l'aveuglement des Pygmées ». Le
« Mbombok R. » nous disait
à ce sujet que :
« Les Pygmées (peuple de la
forêt), sont, entre autres, réputés pour leur grande
connaissance des mystères et des secrets de la forêt ; c'est
pour cela que les Ancêtres basaa, en mémoire de ce peuple, en ont
fait la dénomination éponyme de cette technique
occulte ».
Le « Dim Ba Ko », que
nous avons aussi appelé ici, le « Kaléidoscope
hypnotique ancestral » (« Mbombok
A. »), c'est-à-dire, « Un
cadre spatio-temporel où ce qui est perçu par le commun des
mortels n'existe pas comme tel et, ce qui existe n'est pas perçu comme
tel ». Autrement dit, le « Dim Ba
Ko » avait la faculté de brouiller les perceptions
sensorielles (notamment l'acuité visuelle) de tout intrus (en
l'occurrence les soldats français). En effet, en tant que
« technique de brouillage occulte », le « Dim
Ba Ko » permettait donc aux « maquisards »
de se soustraire, temporairement, à la perception visuelle des soldats
coloniaux. Notons également que, en recourant à cette technique
« subtile » -- laquelle était
généralement mise en place par les « Ba Mbombok
Mabouye »92(*) -- les « maquisards »
étaient entourés par une sorte de « voile
mystique » qui inhibait complètement l'acuité
sensorielle des soldats français, les plaçant dans
l'incapacité de les localiser avec précision, de les voir et a
fortiori de les cribler de balles.
Le « Mbombok
R. » nous révélait en outre que, le
« Dim Ba Ko » se présentait
également comme une « technique de camouflage
occulte ». Dans ce cas précis, la technique permettait par
exemple aux « maquisards », cernés dans le camp
(où s'organisait la rébellion), par les soldats français
de dissimuler leur présence en « devenant mystiquement
furtif ». Ainsi, lorsque les soldats arrivaient, ayant à
l'avance été informés de la présence effective des
« maquisards » en ce lieu, à leur grande surprise,
« ils ne voyaient personne », alors que les
« maquisards », eux, pouvaient distinctement les voir.
Cependant, le « Dim Ba
Ko », lorsqu'il était actionné, était
soumis à une règle fondamentale : les
« maquisards » ne devaient en aucun cas tuer,
répandre le sang des soldats qui étaient devenus
« aveugles » sous l'effet de son action. Puisque le but
visé ici n'était aucunement de supprimer la
« Vie », mais de la préserver avec l'aide de
« Hilôlômbi » (Dieu)93(*) à travers les
Ancêtres.
Par ailleurs, le « Kaléidoscope
hypnotique ancestral » pouvait aussi agir comme une
« technique de substitution occulte », c'est-à-dire,
qu'il pouvait arriver dans le « maquis » qu'un soldat ouvre
le feu (ou croit tirer) sur un « maquisard » et qu'au lieu
de trouver le corps de ce dernier sur le sol, il trouve plutôt un tronc
d'arbre ou un animal : « Les Ancêtres, disait
le « Mbombok R. »,
l'avait simplement transporté ailleurs sain et sauf ».
Le « Dim Ba Ko », comme
toute technique attachée à l'homme (être imparfait), avait
également une faille. Il suffisait en effet qu'un
« kokôn » (traître, espion en langue
basaa) dévoile le secret en permettant aux soldats français de
voir les « maquisards ». Pour ce faire, il fallait qu'il
introduise, nous a-t-on dit, dans les yeux des soldats, un « liquide
spécial », dont la vertu était d'accroire les
capacités visuelles et de dessiller les yeux de ces derniers.
Grâce cette « substance mystique », les soldats
pouvaient percer le « voile occulte » et voir ce qui
jusque-là, échappait totalement à leur champ de
perception. C'est ce qui, semble t-il, arriva le jour de l'assassinat de UM
NYOBE (nous y reviendrons).
3. LE « NLEND
BASÔGÔL » OU LE « CRI SALVATEUR
ANCESTRAL »
Le « Nlend
Basôgôl », technique qui nous a été
suggérée par un « Vieux
Sage », « ex-maquisard », peut
être aussi considéré comme une technique de défense
occulte. Une définition littérale de l'expression tronquerait son
sens véritable dans la mesure où : le terme
« Nlend » signifie « cri » et
« Basôgôl » signifie « les
ancêtres » ; nous aurons, en suivant cette logique
« le cri des ancêtres », ce qui n'a rien à
voir avec le sens contextuel. En fait, dans le « maquis »
de Boumnyebel en l'occurrence, ce ne sont pas les ancêtres qui crient,
mais un de leurs descendants (« Balal ») qui les
exhortent à travers son cri de détresse. Le « Nlend
Basôgôl » doit donc être
appréhendé ici comme un cri adressé aux ancêtres,
afin d'obtenir leur protection contre un danger imminent.
Selon ce « Vieux
Sage », pendant la guerre dans les
« maquis », les jeunes gens, comme lui à cette
époque, étaient souvent chargés de transporter des
messages d'un camp à un autre. Pour leur permettre de bien accomplir
cette mission, les « Ba Mbombok », avant de les
envoyer en mission, se réunissaient et faisaient une
« cérémonie sacrée » destinée
à appeler les Ancêtres afin que ces derniers accompagnent leurs
enfants et les protègent au cours de leur voyage périlleux. Une
recommandation était faite aux jeunes hommes : ils ne devaient en
aucun cas pendant le parcours qu'il effectuait en courant (même sous
l'effet des bruits de coups feu) se retourner et regarder derrière eux.
Ce vieil homme nous révéla que pour sa part, son père,
avant de décéder, lui avait dit que, à chaque fois qu'il
se sentirait en danger de mort, qu'il fasse appel à lui en
disant ces mots : « A Tara, mè nu nu ba yeò
nól », c'est-à-dire, « Père, me
voici que l'on veut tuer ». Lorsqu'il avait fini de prononcer
dûment cette formule, nous a-t-il dit, de façon instantanée
il se retrouvait à quelques kilomètres plus loin de l'endroit du
péril.
Toutes les « techniques de défense
invisible » susvisées, il est vrai, prennent leurs racines
dans la « Religion des Basaa » (voir Chapitre 1). Mais les
nationalistes camerounais, en l'occurrence les patriotes basaa de Boumnyebel,
se sont également servis de la religion du colon pour défendre le
« Kundè ».
A. MBEMBE (1992 : 173) à ce sujet,
souligne à juste titre que : « le discours nationaliste,
dans sa version chantée, se recouvre d'un halo religieux et
eschatologique ». Ce discours nationaliste en intégrant en son
sein la religion locale et le christianisme colonial, opère une sorte de
« syncrétisme » théologique.
Désormais, Dieu (« Hilôlômbi »)
et les Ancêtres
(« Bagwal ») sont placés au
début et à la fin de l'acte de libération de la
« Terre ancestrale ». Ce sont eux, plus que l'ONU (qui a
fait preuve de son incapacité à régler le problème
camerounais lors de la première phase, le « Nkaa
Kundè »), qui sont pris à témoin des
désordres et des « maladies »
causées par le système colonial. Par conséquent, le
« Kundè » est l'oeuvre de leurs mains et UM
NYOBE est leur messager parmi le peuple, c'est le
« Mporôl ». En « sentinelle et
veilleur, il alerte la communauté et annonce ce qui doit
venir » (A. MBEMBE, 1991 : 174).
Il est fondamental de se rappeler que, le Mouvement
nationaliste, tout en critiquant le christianisme, compromis à plusieurs
égards avec l'ordre colonial, s'inspira, toutefois, de certains de ses
éléments. Il tenta par exemple de démontrer la
proximité de Dieu
(« Hilôlômbi ») avec ceux qui luttent
pour la « sauvegarde de la Terre » qui leur est due.
D'ailleurs l'un des textes qui marqua, à cette époque, ce
face-à-face entre « la libération politique »
et « le message biblique », fut celui de UM NYOBE :
Religion ou colonialisme ? Dans ses écrits,
« Mporôl » développa une
véritable « théologie de la
libération » (A. MBEMBE, Op. Cit.,) où il critique
radicalement le christianisme colonial et les pratiques missionnaires qui
violaient sans vergogne la véritable foi chrétienne94(*). Il convient de noter
également que, le rapprochement que UM NYOBE fit avec le livre biblique
de l'Exode, qui parle de l'intervention de Dieu dans la libération du
peuple d'Israël, enveloppa le thème de
l'« Indépendance » -- désormais perçue
comme une « Terre promise » -- d'une aura religieuse et
messianique. Ici, Dieu, le vrai, est perçu comme celui qui défend
les faibles et les petits, les protège de la main de l'oppresseur et les
libère de l'esclavage.
Le Mouvement nationaliste camerounais, U.P.C, effectue
en fait un parallèle entre l'esclavage d'Israël, peuple aimé
de Dieu, et la colonisation du Cameroun, peuple aimé de
« Hilôlômbi ». Par voie de
conséquence, le saut qu'effectua Israël de sa situation d'esclavage
vers la liberté est identifié au bond que devra faire le Cameroun
en général (Boumnyebel en particulier), de sa position de pays
sous domination coloniale vers son « Indépendance »
et sa « Réunification ». À partir de
là, la foi en « Hilôlômbi », la
croyance aux Ancêtres et la libération politique s'épousent
dans la guerre au sein du « maquis » de Boumnyebel. La
« Réunification » et
l'« Indépendance » deviennent donc des
« promesses divines » dont la réalisation est
inexorable.
Dans cet ordre d'idées, le
« Kundè » relève pleinement de
l'univers religieux. C'est une promesse divine simplement remise entre les
mains des patriotes. La « Réunification » et
l'« Indépendance » sont donc censées se
réaliser dans un acte de « foi intégrale »
où la vie individuelle peut être donnée en holocauste pour
sauver les générations suivantes. Les Ancêtres
eux-mêmes, avant de rejoindre le « Panthéon des
bienheureux », ont laissé la « Terre » en
liberté. C'est pourquoi, tant que cette « Terre »
n'a pas été restituée à leurs descendants
(« Balal »), la paix de ceux qui sont morts, mais
qui continuent à se mouvoir autour des vivants, reste fragile.
Nous ne le dirons pas assez, UM NYOBE et ses
compagnons du « maquis », en ayant recours aux
« forces de l'Invisible » (Dieu et les Ancêtres) au cours
du « Gwet bi Kundè », ne visaient pas
l'annihilation de leurs adversaires (les colons et leurs alliés ou
« Dikokôn »), malgré les
méfaits de ces derniers, mais à se protéger afin de mener
à terme leur mission de libération. En effet, le
Secrétaire général de l'U.P.C a passé beaucoup plus
de temps, dans le « maquis » de Boumnyebel, à
essayer de proposer une solution politique à la crise sanglante
déclenchée par les colons qu'à élaborer
véritablement des stratégies militaires. Il est vrai, comme le
mentionne A. EYINGA (1991 : 93), qu'on lui attribua la paternité
d'un Comité National d'Organisation (CNO), branche armée de
l'U.P.C clandestine, ainsi que du Secrétariat Administratif et Bureau de
Liaison (SABL), sorte d'état-major civil. C'était tout à
fait légitime, puisque, en choisissant, non pas de se convertir au
colonialisme, mais de résister pour l'honneur et l'intérêt
du Cameroun, les patriotes ont du s'organiser afin de préserver leur
vie. En effet, pour survivre dans un milieu hostile dans lequel,
l'Administration coloniale entretenait l'insécurité, UM NYOBE et
ses compagnons devaient, non seulement défendre leurs
« têtes »95(*) contre les
« Dikokôn », « les
chasseurs de primes et autres délateurs de service »
(A EYINGA, Op. Cit.,) mais également continuer à entretenir les
militants et les sympathisants afin que la résistance ne s'estompe pas.
Des bavures et quelques erreurs graves ont certainement été
commises dans le « maquis » de UM NYOBE. Il faut les
regretter, mais comme dit le proverbe : les erreurs humaines
n'enlèvent pas la valeur de l'effort fourni. De surcroît, nous
devons toujours garder à l'esprit que
« Mporôl » était loin d'être un
chef de guerre à l'instar d'un HISSÈNE HABRÉ ou d'un
IDRISS DEBY par exemple, et qu'il n'a, à aucun moment, envisagé
de résoudre le problème du Cameroun par un affrontement
militaire. Dans le cadre de la solution politique qui est restée la
sienne jusqu'à son assassinat en 1958, nombreuses sont les initiatives
politiques qui attestent de sa bonne foi, face à un adversaire qui, lui,
s'était résolument enfermé dans la logique de guerre et ne
voulait entendre aucun autre langage. Nous pouvons citer ici, quelques unes des
propositions faites par le « maquisard armé d'un
stylo » :
« - La levée de l'interdiction
injuste dont l'UPC avait été frappée, suivie du retour
à la vie politique légale du Mouvement ;
- une amnistie générale en faveur de
tous les condamnés politiques à la suite des
évènements de 1955 ;
- des négociations avec les
autorités françaises pour trouver une solution à la crise.
Mgr Thomas Mongo, que Um accepta de recevoir dans son
« maquis », était revenu de l'entretien porteur de
propositions précises dans ce sens ;
- les nombreuses lettres-propositions du
Secrétaire général au Premier ministre Mbida, premier chef
du gouvernement de l'« État sous tutelle du
Cameroun » ;
- note-mémoire à l'attention du
gouvernement français pour le dénouement de la crise Kamerunaise
(« Maquis » le 13 juillet 1957) ;
- l'engagement de l'U.P.C dans l'aventure du MANC
(Mouvement d'Action Nationale du Cameroun) visant à permettre aux
nationalistes de se présenter aux élections de 1956 de la
loi-cadre. Mais les autorités françaises n'ayant rien voulu
entendre au sujet de l'amnistie, le MANC se termina dans la confusion du
« Groupe des huit », avant l'éclatement de ce
dernier en 1958, éclatement provoqué par un habitué de ce
genre de manoeuvres : M. Charles Asa'ale. Un poste de ministre lui
était proposé dans le gouvernement Ahidjo... » (A.
EYINGA, 1991 : 94).
Toutes ces incessantes propositions politiques
montrent à quel point « Mporôl » fut
un homme épris de paix, dont la tâche majeure était
d'obtenir la « Réunification » et
l'« Indépendance » véritables du Kamerun en
provoquant le moins de dégâts et de morts possibles, à
défaut d'en faire carrément l'économie.
L'« indépendance » et la
« réunification » surviendront,
respectivement, deux (2) ans et quatorze (14) ans après son assassinat,
mais elles seront de « pures formes » dans la mesure
où : pour ce qui est de
« l'indépendance », les autorités
françaises veilleront à la vider de sa substance ; et quant
à « la réunification », les manoeuvres
politiques du Président AHIDJO, créeront un climat de
méfiance et de suspicion entre les Camerounais francophones et
anglophones lequel climat fragilisera celle-ci. C'est l'objet de notre analyse
dans le paragraphe suivant (B).
B. L'OBTENTION « FACTICE » DE
L'INDÉPENDANCE ET DE LA RÉUNIFICATION : LA QUÊTE
À TOUS LES « NIVEAUX »96(*) DU
« VÉRITABLE KUNDÈ »
De prime abord, deux (2)
questions se doivent être posées ici : en quoi
l'« indépendance » et la
« réunification » des années 1960 et 1972
sont-elles, aux yeux des Basaa de Boumnyebel en l'occurrence,
considérées comme « factices » ? Et,
pourquoi la quête du « Kundè »
devrait-elle encore se poursuivre ?
1. LA « FACTICITÉ
CONGÉNITALE » DU « KUNDÈ »
CONTEMPORAIN
Aujourd'hui, il appert aux yeux de
certains patriotes camerounais notamment les Basaa de Boumnyebel, que : en
chassant illicitement les nationalistes de la scène politique
« légale », les autorités coloniales
françaises, dès 1955, ont cassé et dénaturé
l'évolution normale de la « Terre de nos
Ancêtres » (le Cameroun) et l'ont, par conséquent,
orientée dans une « direction diamétralement
opposée, que nous ne sommes pas encore parvenus à
redresser » (A. EYINGA, 1991 : 94-95).
Si nous partons de l'observation selon laquelle :
la « conscience nationale » constitue
l'élément moteur de construction d'une Nation forte ; nous
pouvons alors souligner qu'au Cameroun, cette conscience nationale fut
détruite par le colonisateur à travers l'élimination
physique « des forces et des hommes » qui l'incarnaient le
mieux. UM NYOBE fut la plus parfaite de ces incarnations. Son assassinat, le 13
Septembre 1958 à Libel li Ngoy (aux environs de Boumnyebel), fut un acte
programmé et décidé par le Premier Ministre AHIDJO et
approuvé par les autorités françaises. Soulignons en
passant que, l'unité composée de soldats lourdement armés,
fut guidée dans le « maquis » de UM NYOBE par Luc
MAKON MA BIKAT, un Basaa de Makaï, au fait de la « connaissance
mystique basaa » et dont le sous groupe familial nourrissait une
haine profonde à l'égard de
« Mporôl ».
Deux (2) ans après cet assassinat (en 1960),
« l'indépendance » fut
« octroyée » au Cameroun. Pourquoi
« octroyée » ? Tout simplement parce que cette
« indépendance factice » était soumise aux
conditions fixées par les autorités coloniales françaises.
S'étant, en effet, rendues compte qu'il
était désormais impossible d'enrayer la volonté
d'« Indépendance » des patriotes camerounais en
général, les autorités françaises vont trouver une
« stratégie » qui leur permettra de maintenir leur
emprise sur le Cameroun tout en donnant l'illusion d'accorder le
« Kundè ». Pour ce faire, un
« plan » sera arrêté à Paris. Ledit
plan énoncera comme recommandation fondamentale, de ne plus s'opposer
à l'indépendance du Cameroun, mais plutôt de la hâter
en veillant, toutefois, à la vider de l'essentiel, par des
« accords iniques » qui réserveraient à la
France le pouvoir de « décision » dans des domaines
majeurs.
Par le truchement de ce subterfuge, la France ne
donnait pas aux Camerounais, l'« Indépendance » pour
laquelle se battaient les patriotes, mais un « simulacre
d'indépendance », une
« indépendance » complètement et habilement
vidée de sa substance. On n'est donc pas surpris de voir à la
tête de cet « État fantoche », des
« collaborateurs de la belle France », pourtant, à
l'origine, fortement opposés à
l'« Indépendance » du Cameroun, la vraie. En effet,
on vit des personnages tels Charles OKALA, André-Marie MBIDA, Ahmadou
AHIDJO, devenir, du jour au lendemain, des partisans acharnés de la
prétendue « indépendance
immédiate ». D'ailleurs (fait paradoxal), souvent plus
zélés et plus intransigeants que les vrais patriotes. Une
anecdote racontée par A. EYINGA (1991 : 103) au sujet de AHIDJO,
souligne bien cette étrange volte-face.
Dès son adhésion au club des
« intellectuels du Bloc Démocratique du Cameroun
(BDC) » en 1952, tout le monde savait que AHIDJO était un des
adversaires invétérés de
l'« Indépendance » prônée par les
nationalistes. D'ailleurs, sa participation au gouvernement de MBIDA, n'avait
fait que le renforcer dans cette position. Le 18 Février 1958, la
surprise des membres de l'Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) fut
de taille, lorsque AHIDJO annonça dans sa déclaration
d'investiture au poste de Premier Ministre de l'État sous tutelle, qu'il
était désormais résolument décidé à
oeuvrer pour l'accession sans retard du Cameroun à sa pleine
« souveraineté ». Les membres de l'Assemblée
n'en croyaient pas à leurs oreilles. Certains commençaient
à penser à « un miracle divin » lorsque
soudainement, de son banc, l'ex- Premier Ministre, MBIDA, se leva et apostropha
avec véhémence son ex-vice Premier Ministre, AHIDJO. Il demanda
à ce dernier d'expliquer clairement, à l'Assemblée,
comment le processus allait se dérouler concrètement au lieu de
se borner à lire péniblement un texte, dont il n'était
d'ailleurs pas l'auteur. En effet, MBIDA savait que la déclaration
d'investiture que AHIDJO venait de lire, avait été
rédigée entièrement par le gouverneur RAMADIER. AHIDJO ne
pouvait donc y apporter aucune précision supplémentaire, ne
sachant pas encore lui-même comment tout cela allait,
concrètement, se mettre en place.
Toutes les différentes pièces qui
constitueront ce que l'on appellera plus tard l'« État
néo-colonial », étaient désormais savamment
agencées. Le régime camerounais allait donc se réduire aux
apparences et aux faux-semblants, aux titres honorifiques dont les gens, sans
aucun scrupule, se décorent et pour lesquels ils sont
rémunérés, logés, nourris et reçus en
grande pompe. On aurait ainsi des « pseudo hommes
politiques » dont la fonction première sera de faire du
psittacisme en écoutant et reproduisant la voix de leurs
« maîtres ». Des hommes sans aucune réelle
envergure politique, ne se souciant que de se remplir la
« panse » et de couler des jours heureux à l'abri du
besoin, même si cela devait provoquer la paupérisation et
l'effondrement de la Communauté toute entière.
C'est donc effectivement à la veille de cette
« indépendance illusoire » que le cours de notre
histoire fut radicalement déformé. Les interlocuteurs
administratifs ayant continué à se succéder entre eux, ont
fini par former « une génération
d'héritiers » aussi disposés qu'eux-mêmes
à n'être, sur la « Terre ancestrale », que de
« dociles élèves de l'Élysée ».
C'est aussi au cours de cette période que la conception même du
« pouvoir politique » fut dénaturée puisque
pour les « hommes politiques » auxquels l'on l'avait remis,
le « pouvoir » ne constituait qu'un instrument de
répression et de domination néfaste. Un moyen d'empêcher
toute expression du véritable nationalisme et de tuer dans l'oeuf toute
possibilité, pour les patriotes (même ceux de la nouvelle
génération), d'accéder aux postes politiques.
Cette « croisade
d'autodestruction camerounaise » prendra d'ailleurs le nom de
« lutte contre la subversion » lorsqu'il s'agira de
réunir les deux (2) Cameroun.
Le 1er Janvier 1960, en effet, la tutelle
internationale est levée sur la partie française du Cameroun et
la « pseudo indépendance » proclamée.
Cette partie du pays devient donc la République du Cameroun, avec comme
Président, AHIDJO et Premier Ministre ASA'ALE. Quant à la
première réunification (fédération), elle
interviendra un an plus tard (le 1er Octobre 1961), dans des
conditions désavantageuses d'ailleurs prédites par UM NYOBE, le
17 Décembre 1952 à l'ONU. On se souvient qu'à cette
occasion, « Mporôl » avait mis la
communauté internationale en garde en disant que :
« La réunification est la seule voie
par laquelle le Cameroun doit passer pour accéder à son
indépendance. Si on ne l'accepte pas ainsi, c'est qu'on est partisan de
l'indépendance d'une partie du Cameroun au sein du Nigéria ou du
Commonwealth britannique, et de l'indépendance de l'autre partie du
Cameroun au sein de l'Union française... » (A. EYINGA,
1991 : 109-110).
La fédération intervenue le
1er Octobre 1961 était d'ailleurs, dans l'esprit de AHIDJO,
une simple étape devant conduire à l'instauration d'un
État unitaire ultra centralisé. Par ailleurs, le
référendum du 20 Mai 1972, a simplement signé
« l'arrêt de mort » (P. Fabien NKOT, 2OO5 : 38)
de l'expérience fédérale au Cameroun, sans toutefois
instaurer une convivialité entre les Camerounais francophones et les
Camerounais anglophones.
En fait, la
« réunification factice » de 1972, a
consisté à une « absorption » pure et simple
du Southern Cameroon (partie occidentale du Cameroun) par la République
du Cameroun ; créant par là même un climat de
méfiance et de suspicion au sein de la Communauté camerounaise
dans son ensemble. À ce propos, on entend parfois de nos jours les
élites politiques anglophones dénoncer, sur le plan culturel, une
logique de « francisation » progressive de la
communauté anglophone. Ou encore, sur le plan politique, une
« marginalisation » des membres de cette communauté
dans l'accès aux postes de responsabilités les plus
importants.
2. LA QUÊTE PERPÉTUELLE DU
« VÉRITABLE KUNDÈ »
Dans l'esprit des patriotes des
années 1950, il faut se le rappeler, la vraie
« Indépendance » et la vraie
« Réunification », en fait, le vrai
« Kundè », devaient permettre à tous
les Camerounais sans distinction de s'unir afin de gérer eux-mêmes
leurs destinées. Pour eux, comme pour certains patriotes d'aujourd'hui,
l'unité réelle des Camerounais reste la base sur laquelle doit se
réaliser toute véritable politique qui vise
l'intérêt de la Nation. Et la pleine souveraineté politique
en fait partie ! Ainsi, pour un grand nombre de ceux qui prirent part aux
processus sociaux, dans les années 1950, le véritable
« Kundè » a été
« suspendu ». La véritable
« Indépendance » et la véritable
« Réunification » ne sont pas encore
arrivées. On doit donc poursuivre le combat sur « tous les
plans d'existence et de conscience » afin de hâter la venue de
ce vrai « Kundè ».
Il est important, par conséquent, de garder
à l'esprit que les luttes sociales et politiques qui se déroulent
aujourd'hui à Boumnyebel en particulier et au Cameroun en
général, mettent en exergue des conflits plus radicaux. Il s'agit
en fait de savoir qui aura suffisamment de « puissance »
pour contrôler le processus de construction ou de déconstruction
de la Nation camerounaise. L'espace du « combat », de
l'affrontement, est ainsi constitué de victoires et de défaites
temporaires ; d'exils et de « retours » ; de
refuge dans les rites, les cultes et les « pratiques », sur
lesquels plane « le spectre du Grand jour » : celui de
l'« Indépendance » et de la
« Réunification » (Unification)
véritables.
Dans cette première partie de notre travail,
nous avons essayé d'analyser la grande implication des
« forces de l'invisible » dans les actions sociales et
politiques des Basaa de Boumnyebel à l'époque coloniale
(influence dans le passé). Nous nous sommes
délibérément appesantis sur les « aspects
positifs » des « usages sociaux et politiques de ces
forces », car comme le soulignait le « Mbombok
A. » : « La force des Ancêtres, la
force de « Hilôlômbi » (Dieu), ne doit
jamais être utilisée pour réaliser de sombres et funestes
desseins ». Ils se comptaient sur les doigts d'une seule main ceux
qui, dans les années 1950 et 1960, respectaient cette règle
fondamentale et, de nos jours, ils sont encore davantage moins nombreux. En
effet, l'ère de « la postcolonie » (post
indépendance) se caractérise, certes par la persistance de
l'emploi des forces occultes, mais cet emploi est davantage tourné vers
la « destruction du prochain » en s'appropriant ses forces,
qu'au salut de la Communauté.
En conséquence, nous avons essayé dans
la seconde Partie (II) de notre travail (réservée aux
implications contemporaines des forces de l'Invisible), d'établir la
démonstration selon laquelle : une lutte sans merci se déroule
actuellement sous nos yeux entre ceux des Camerounais qui veulent servir la
« Terre chérie » et ceux qui veulent se servir du
Cameroun pour étancher leur soif de pouvoir et de prestige. Et dans
cette lutte, toute aussi acharnée et meurtrière que celle
susvisée des premiers patriotes (des pères et mères du
nationalisme camerounais), tous les moyens possibles sont mis à
contribution, même ceux relevant de
« l'Invisible ».
DEUXIÈME PARTIE
PERSISTANCE ET PERVERTISSEMENT DES FORCES DE
L'INVISIBLE DANS LA LOCALITÉ DE BOUMNYEBEL À L'ÈRE
« POST-INDÉPENDANCE »
À l'ère du
« néocolonialisme » (époque contemporaine)
dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, les forces de l'Invisible sont,
plus que jamais, prégnantes au Cameroun, en l'occurrence à
Boumnyebel. Par rapport aux siècles précédents (comme nous
avons tenté de le démontrer dans la première partie de ce
présent travail), notre époque est, en grande partie,
caractérisé par un « pervertissement » de
l'usage des forces occultes. Il ne s'agit pas pour nous de dire ici que dans le
passé, les forces de l'Invisible étaient toujours
utilisées pour faire le bien, mais nous voulons simplement souligner
que, par rapport au contexte antérieur, le contexte actuel est davantage
marqué par l'utilisation destructrice de celles-ci. Dans cette optique,
nous pouvons souligner que, le champ religieux
(« théurgie » et
« goétie ») semble être aujourd'hui un
« horizon inéliminable » et surtout
« incontournable dans l'analyse et la compréhension des
sociétés actuelles » (A. MBEMBE, 1987 :
18).
Compte tenu de la complexité de l'environnement
(local, national et international) qui va crescendo, les individus qui
« savent » sont en fait plus enclins à mobiliser les
forces occultes pour accomplir de sombres desseins. Autrement dit, les
« initiés » en connaissance occulte (les
« maîtres en ésotérisme »), font de
moins en moins le choix d'utiliser les forces de l'Invisible dans un but
constructif et salvateur pour la communauté, mais
préfèrent davantage en user funestement dans le sens de leurs
propres intérêts égoïstes et moins nobles. Ce qui est
déplorable puisque, la fonction première (et positive) des forces
de l'Invisible, comme le relevait le « Mbombok
A. » dans l'entretien de Novembre 2008, est de
« permettre à l'Homme de comprendre et d'utiliser tout son
potentiel physique et spirituel dans un but constructif, sans nuire à la
Nature et encore moins à ses semblables ». Il va plus loin en
mentionnant que :
« Le grand défi qui s'impose à
l'homme est de savoir que dans chaque « force », il y a en
règle générale un « côté obscur,
destructeur » et un « côté
éclairé, constructeur ». En fait, la
« force » en elle-même n'est ni totalement mauvaise
ni totalement bonne, mais c'est surtout l'usage que nous en faisons qui peut
soit la pervertir, soit l'embellir : Dieu,
« Hilôlômbi » n'est-il pas entre
autres, le « Miséricordieux » (bienveillant) et le
« Seigneur des armées » (détenteur d'un
pouvoir destructeur dont il fait, cependant, rarement usage) ? Par voie de
conséquence, l'Homme, pour suivre les traces de son Créateur (la
quête de la perfection) doit toujours, afin d'assurer son salut, opter
pour le « côté éclairé de la
force » (utiliser la force pour faire le bien,
« théurgie »), tout en évitant de basculer du
« côté obscur » de celle-ci (utiliser la force
pour faire le mal,
« goétie ») ».
Dans le même ordre d'idées (le
« pervertissement » en occurrence), J.PALOU (2002 :
16) nous explique qu'à « chaque fois que dans un pays
donné surviennent des malheurs économiques ou sociaux, naissent
alors des épidémies de sorcellerie ». En
effet, plusieurs exemples abondent qui marquent, selon l'auteur, « la
corrélation entre les faits politiques (guerres civiles ou invasion
ennemies), ou économiques (pestes, épizooties, disettes, etc.) et
les phénomènes de sorcellerie ». Nous pouvons par
ailleurs noter de nos jours, qu'aux yeux des plus
« impatients » et des plus
« ambitieux » d'entre nous : « La
misère engendre la sorcellerie, c'est-à-dire suggère le
suprême appel au Diable, puisque Dieu ne répond plus à
ses créatures inquiètes » (J. PALOU, 2002 : 19).
Toutefois, il ne faut pas croire que le lien entre misère et
« goétie » date d'aujourd'hui, puisque
déjà P. VILLETTE (1956) soulignait, pour le cas de la France du
XVème et du XVIIème Siècles ce lien
dans son ouvrage en remarquant que : les crises sociales collectives ou de
simples angoisses personnelles conduisaient parfois à la pratique de la
sorcellerie.
Dans cette seconde partie de notre travail, nous avons
essayé de démontrer que « l'insubordination
symbolique »97(*), c'est-à-dire, la recrudescence des religions
traditionnelles et des pratiques de sorcellerie ; le réveil du
Christianisme et de l'Islam ; le développement tous azimuts des
sectes ésotériques et autres églises
« réveillées », relève davantage
d'« une nouvelle visibilité de phénomènes
religieux » (J.- F. BAYART, 1993 : 61) dans laquelle, l'emploi
des forces de l'Invisible appert comme un
« processus normal » pour qui veut assurer sa
« réussite » sociale (Chapitre 3) d'une part ;
d'autre part, comme une sorte de « viatique majeur » pour
quiconque ambitionne tout « succès » politique
(Chapitre 4).
CHAPITRE III
LE RECOURS AUX FORCES OCCULTES DANS LA RECHERCHE DU
« CRÉDIT SOCIAL »
Notre époque semble nous orienter dans une
direction contraire à l'harmonie et au bon fonctionnement de notre
société et de l'Univers. En fait, la « soif
obsessionnelle de pouvoir, de conquête et de domination »,
semble pousser la plupart d'entre nous à une « équation
funeste » qui consiste à croire que : « la
réussite sociale et politique des uns est tributaire de l'échec
social et politique des autres, voire même de leur destruction pure et
simple ». En réalité, ceci ne constitue qu'une vision
déformée et erronée de l'objectif ultime, celui de
mériter sa place dans l'au-delà auprès des Ancêtres
après avoir servi, au mieux des capacités qui sont les
nôtres, la « Mère-Patrie » et ses enfants
(« Mbombok A. »,
entretien de Novembre 2008).
Eu égard à leurs actions le plus souvent
destructrices et de leur grande « vulgarisation »98(*), les forces de l'Invisible
sont devenues des « procédés normaux » de
« lutte » pour l'obtention du « crédit
social », c'est-à-dire, pour s'affirmer malgré les
obstacles et les résistances de toute nature, sur la
« scène sociale »99(*). Le terme « normal » doit
être compris ici au sens de E. DURKHEIM. Pour ce père fondateur de
la sociologie moderne française, est « normal » tout
ce qui dans le « champ social » se caractérise par
sa « régularité ». Par conséquent, le
recours aux forces occultes peut être considéré comme un
processus « normal » de consolidation du
« crédit social » (donc de réussite sociale)
au Cameroun, en l'occurrence à Boumnyebel, dans la mesure
où : aussi loin que l'on puisse se souvenir, l'usage (positif et
négatif) des forces de l'Invisible s'est certes transformé au fil
du temps -- en devenant nettement de moins en moins positif et de plus en plus
négatif --, mais n'a jamais disparu de la société. En ce
sens, c'est donc un processus « régulier ».
Toutefois, une question mérite d'être
posée ici : l'environnement social étant devenu
extrêmement hostile à cause, entre autres maux et fléaux
(« ordinaires »), de l'usage destructeur des forces de
l'Invisible ; ne peut-on pas logiquement penser que la recherche du
« crédit social » soit impérativement
subordonnée à la « survie sociale » ? En
d'autres termes, dans le Cameroun du 21ème Siècle, la
« réussite » et la
« domination » sociales sont-elles possibles sans
« moyens » (en l'occurrence occultes) de défense
contre les innombrables dangers de toute nature de la vie quotidienne ?
Dans ce troisième Chapitre, nous avons, par le
truchement de la réponse à la question susvisée,
essayé de démontrer que : avant de chercher à asseoir
son « crédit social », donc de
« réussir » et de « dominer »
son environnement social, l'acteur social camerounais (le « Nouveau
Patriote »100(*) de la scène sociale) en
général, doit d'abord « survivre » dans un
environnement dont l'hostilité s'accroît au fil des années.
La « voie » qui, d'emblée, semble s'ouvrir et se
présenter à lui, de nos jours, est celle de
l'« Invisible » dans la mesure où la plupart des
dangers (et des adversaires) relèvent eux-mêmes de cette
sphère d'actions.
Nous nous sommes donc évertués ici
à démontrer d'une part que, les forces de l'Invisible constituent
pour les Camerounais en général et les Basaa de Boumnyebel en
particulier, un « moyen occulte de survie » (I) et d'autre
part, en leur garantissant la « santé du corps et de
l'âme » (« Mbombok
A. »), ces forces leur permettent, tant bien que mal,
d'évoluer et de dominer cet environnement social (II).
I. LES « FORCES CACHÉES »
COMME MOYEN DE
« SURVIE SOCIALE »
Le propos de cette
première partie de notre chapitre est d'essayer de démontrer en
fait que, l'environnement social actuel, est marqué par une
dangerosité croissante due aux divers maux (du
« Visible » et surtout de
l'« Invisible ») qui le minent (A). Mais l'espoir demeure,
car il existe à Boumnyebel notamment, des « moyens »
tout aussi « occultes » qui peuvent relativement permettre
de s'en prémunir (B).
A. L'HOSTILITÉ
« EXPONENTIELLE » DE L'ENVIRONNEMENT SOCIAL
Au Cameroun, notamment à Boumnyebel,
l'environnement social est de plus en plus marqué par une
hostilité qui va grandissante. En effet, plusieurs paramètres
concourent à cela tels que des « affections
ordinaires » (maladies causées par des germes,
bactéries et autres virus mortels), et surtout des
« affections mystiques » qui plombent gravement les
capacités d'entreprise des individus et de développement de la
Communauté.
Compte tenu de notre thème d'étude, nous
avons volontairement choisi de ne pas traiter des « maladies
ordinaires », mais d'insister davantage ici, sur les
« actions négatives » des forces de l'Invisible afin
de mieux ressortir la « dangerosité occulte » de
l'environnement social.
De prime abord, nous tenons à souligner que, la
« cosmogonie traditionnelle basaa »101(*) a permis à l'homme
basaa de développer, depuis des millénaires, « la
technique des missiles dans la manipulation de l'invisible... » (E.
WONYU, 1975 : 46). En effet, à partir de cette conception
particulière de l'univers, le Basaa a élaboré une
véritable « théorie des sortilèges »
dans laquelle le « Nson » (décharge
maléfique invisible), se rapporte trois (3) mouvements à
savoir : « provoquer le mal » ou
« ôm »
(« lancer ») ; « guérir le
mal » ou « tabal »
(« extraire ») ; « prémunir contre le
mal » ou « bann »
(« blinder »).
À propos de cette connaissance et de cette
manipulation de « l'Invisible », P. M. HEBGA (1998) va un
peu plus loin des ses travaux. L'auteur souligne en effet que les
« dualismes anthropologiques et cosmogoniques occidentaux »
sont totalement étrangers à la pensée africaine, car ils
séparent d'une part, le « corps » de
l'« âme », et d'autre part, la
« matière » de l'« esprit ».
Nous convenons donc avec P. M. HEBGA qu'en remplaçant ce
« dualisme restrictif » par le « pluralisme
anthropologique africain » (où tout est lié, tout est
en interaction et en interdépendance), on peut alors mieux comprendre la
rationalité du discours africain sur les forces de l'Invisible et leur
potentielle dangerosité. Chez les Basaa du Cameroun par exemple, ce
« pluralisme anthropologique » présente
quatre (4) « instances de la personne humaine » à
savoir : le « nyuu », le
« mbuu », le
« titii », et le
« nnèm ». Essayons, tour à tour, de
comprendre ces notions fondamentales avant d'aborder l'analyse des
« maladies mystiques ».
Le « nyuu », c'est le
corps, c'est-à-dire, l'enveloppe charnelle, l'apparence
extérieure de l'être humain. Sa fonction première est de
permettre à la personne humaine de se donner à voir au monde qui
l'entoure. C'est grâce au corps que l'Homme se présente en tant
qu'être « visible », palpable. C'est ce corps que
l'on inhume une fois que la personne est déclarée morte. C'est
également ce dernier qui, étant poussière depuis
l'origine, redevient poussière en retournant à la terre.
Le « mbuu », est le
souffle de vie qui anime le corps. Il s'apparente à l'âme au sens
du mot latin « anima ». Lorsque le corps est
privé de ce « souffle vital » qui est d'ailleurs
d'origine divine102(*),
l'homme cesse de vivre sur le plan physique (« visible »)
d'où l'expression : « Il est mort, puisque son souffle s'en
est allé ».
Le « titii », c'est
l'« ombre dans sa dimension mystique ». Le
« titii » n'est donc pas le
« iinda » ou ombre en tant qu'image, silhouette,
dont l'apparition et la disparition sont tributaires de la réflexion de
la lumière sur le corps. L'« instance ombre »
(« titii ») se présente en fait, comme une
entité enveloppante, comme un « champ aurique
rayonnant » qui déborde le corps physique
(« nyuu ») et agit bien au-delà de la
sphère visible. En somme, le « titii »,
« L'instance ombre désigne la personne entière sous le
signe de l'agilité, de la subtilité, de la maîtrise du
temps et de l'espace » (Charles OSSAH EBOTO, 2006 : 387).
Le « nnèm » quant
à lui, représente le coeur. C'est la personne en tant
qu'être doué de connaissance, d'affectivité,
d'émotions (douces et violentes ; pacifiques et
guerrières ; constructives et destructrices). Il est
également l'un des centres énergétiques majeurs de
l'Homme, on peut même dire que c'est son « centre
énergétique moteur » dans la mesure où :
« C'est le coeur, à l'aune de la
Lumière (la flamme divine) ou des Ténèbres qu'il renferme,
qui donne le ton à nos actions positives ou négatives en
libérant, selon les cas, soit une énergie positive soit une
énergie négative. C'est pourquoi
« manger mystiquement » (« cannibalisme
mystique ») ou littéralement (anthropophagie ordinaire), le
coeur d'une personne, c'est non seulement tuer ou dominer la personne en la
plaçant sous son contrôle absolu, mais surtout s'approprier ses
forces et ses capacités intrinsèques. La possession d'un totem
(d'un double animal) passe d'ailleurs par la consommation du coeur de l'animal
choisi » (« Mbombok
A. »).
Quand on essaie de suivre P. M. HEBGA, on comprend que
les quatre (4) instances susvisées ne constituent pas, en
réalité, de simples parties d'un composé (l'Homme), mais
représentent, chacune (à son niveau de perception et de
compréhension), la personne humaine analysée à partir d'un
« angle de vision » particulier. Autrement dit, le
« nyuu » par exemple, n'est pas une partie de la
personne comme les quatre membres le sont pour le corps humain103(*), mais représente
toute la personne humaine sur le plan physique du
« visible ». HEBGA, souligne par ailleurs que ces
différentes instances de la personne sont en interaction. C'est
d'ailleurs cette « relation interactionnelle », qui peut
permettre de mieux comprendre l'action des forces de l'Invisible sur l'Homme et
sur l'environnement social en l'occurrence.
Les différentes actions négatives des
forces occultes que nous allons maintenant essayer d'analyser (les
« maladies mystiques »), découlent de cette
conception « pluraliste » et complexe de l'être
humain. Ce qu'il convient de ne jamais perdre de vue c'est que : les
« attaques mystiques » ont pour but initial d'atteindre le
« corps invisible » (le « champ aurique » ou
« titii » et le souffle ou
« mbuu »), mais le « corps
visible » (le « nyuu ») en subit
toujours les effets à cause de la relation
d'« interdépendance » qui existe entre les
différentes « instances de la personne ».
D'ailleurs, c'est sur celui-ci qu'apparaissent le plus souvent les
différents symptômes notables et visibles.
Parmi la grande palette des affections d'ordre occulte
qui ébranlent profondément l'environnement social des Camerounais
en général et des Basaa de Boumnyebel en l'occurrence, nous avons
pu en noter quatre (4) principales à savoir : le
« Likang », le « Nson
Basaa », le « cannibalisme mystique » et les
« intrusions occultes ».
1. LE « LIKANG » OU LA
« MINE ANTIPERSONNELLE OCCULTE »
Le
« Likang » est une maladie d'ordre mystique. Si
nous nous référons à ce que nous avons pu observer
nous-mêmes et aux explications que le « Mbombok
R. » a daigné nous donner, le
« Likang » est provoqué par une
« manipulation maléfique » des forces de
l'Invisible. Laquelle manipulation permet au « sorcier »
(« iemb » ou « mut
liemb » en Basaa) de préparer et d'installer une sorte de
« mine antipersonnelle mystique » élaborée
à partir d'ossements humains de préférence. Ainsi,
à l'instar d'une mine antipersonnelle ordinaire, le
« Likang » (la « mine antipersonnelle
occulte ») « explose » (se
« déclenche ») dès qu'il y a contact physique
humain. La particularité de la « mine occulte »
tient du fait que l'explosion libère une « charge
d'énergie maléfique » qui, avant d'aller se
déposer dans le ventre104(*) de la victime, pénètre le corps de
celle en passant par ses pieds. C'est pourquoi l'élément qui
attire directement le regard sur une personne frappée par ce
maléfice, est le gonflement démesuré des pieds. Par
ailleurs, à un stade très avancé de la maladie, les pieds
de la victime sont recouverts de pustules qui, en se perçant,
libèrent un liquide putride et une odeur nauséabonde. Le
« Mbombok R. » nous expliqua, en
fait, que lorsque cette « charge maléfique » entre
dans le corps de la victime, elle « brûle », lors de
son passage, les pieds de la victime (d'où le gonflement et le
noircissement des pieds) avant d'aller élire domicile dans le ventre de
cette dernière. Si le malade ne reçoit pas de traitement
approprié à temps, la maladie va envahir tout le corps et
à terme entraîner la mort.
Nous avons pu, au cours de notre travail, relever
quelques cas relatifs à cette « attaque
occulte ».
Le Sous-préfet de l'arrondissement de
Ngok-Mapubi, M. NDONGO Luc, souligna au cours de l'entretien de Janvier 2009,
qu'un de ses amis (le Sous-préfet de Dibang105(*)) avait été
frappé des deux pieds par le « Likang » au
cours des années 2006-2007. C'est à Boumnyebel qu'il avait pu se
faire soigner.
Nous avons également pu observer les
différentes phases du processus de guérison de cette maladie chez
le « Mbombok R. » lorsque
celui-ci s'occupait d'une patiente. La
« Dame » en question, nous fit le
témoignage suivant :
« J'ai parcouru quelques hôpitaux de
la place sans connaître une amélioration de mon état de
santé. Les médecins avaient posé le diagnostic selon
lequel : le nombre de mes globules rouges avait augmenté d'une
façon anormale dans mon corps et qu'il s'agissait apparemment d'un
diabète aigue avec, à terme un risque de cancer
généralisé. Mais les soins qu'ils m'ont prodigués
n'ont rien changé. C'est sur le conseil d'une amie, que je me suis
décidée à venir voir le « Mbombok
R. ». Les marabouts, les sorciers : je n'y crois
pas vraiment. Mais, plusieurs de mes amies m'ont dit que le mal dont je souffre
n'est pas un mal ordinaire, mais mystique ».
Au cours des quelques séances d'un traitement
intensif, cette femme a fini par recouvrir la santé et le plein usage de
ses deux (2) jambes. Nous avons, par ailleurs, pu relever deux (2) phases
déterminantes du processus de guérison du
« Likang ». La première ou
« phase de neutralisation » consistait à
« désamorcer » la « charge
maléfique » en appliquant sur les pieds de la victime (la
« Dame » en l'occurrence) une
huile spéciale que le « Mbombok
R. » appelle « Lisongo »
dont l'une des fonctions principales est de « désactiver les
propriétés actives néfastes du
Likang ». Après quelques jours d'application de cette
« huile thérapeutique », les plaies tendent à
se cicatriser, il n'y a plus découlement de liquides putrides. Quant
à la seconde ou « phase d'éradication
complète », elle consistait à éliminer
totalement la « charge maléfique » et à
purifier le sang en faisant des scarifications sur des « points
secrets » ; lesquelles scarifications étaient ensuite
recouvertes d'un produit cicatrisant et purificateur appelé
« Yang Likang » : c'est ce produit qui
élimine précisément et totalement le
« Likang ».
Pour notre gouverne, le
« Mbombok R. » nous expliqua
que :
« Le diagnostic des médecins, avec
lesquels j'entretiens parfois de bonnes relations de coopération,
n'était pas total faux, mais ne pouvait pas leur permettre de soigner la
« Dame ». Puisque, pour soigner
une maladie, il faut déceler sa véritable
« cause » et non se contenter de traiter ses
symptômes. Par conséquent, pour guérir le
« Likang », il faut, comme tu m'as vu le faire,
neutraliser et extraire d'abord cette « charge
maléfique » du corps de la victime, avant d'administrer des
soins complémentaires ».
2. LE « NSON BASAA » OU LE
« MISSILE DE L'INVISIBLE »
Le « Nson
Basaa » est un terme générique qui désigne,
dans l'« Invisible », une pléiade de
« projectiles maléfiques ». Le « Nson
Basaa » est concrètement une « charge
d'énergie maléfique » différente du
« Likang », mais aussi létale que ce
dernier. Ici, il ne s'agit pas tant, d'une « mine occulte »
que le sorcier ou la sorcière pose sur le sol, mais plutôt d'un
« missile mystique » qu'il lance vers sa victime. C'est
dans cette logique que, le « Nson Basaa » pourrait
être appréhendé comme un « missile de l'Invisible
de type homme-homme », c'est-à-dire, dont le point de
lancement (départ) est l'homme maléfique (le sorcier) et le point
d'arrivé (la cible) est l'homme « innocent »,
c'est-à-dire, sans défenses (occultes), qui constitue d'ailleurs
une « proie » de choix106(*).
Il existe plusieurs types de « Nson
Basaa », nous disait le « Mbombok
R. », et les sorciers en fabriquent de nouveaux tous
les jours. S'il s'agissait de les classifier, on pourrait obtenir deux (2)
grandes catégories. La « première
catégorie » renfermerait les « Nson Basaa
relativement moins dangereux », c'est-à-dire,
qui n'entraînent pas directement la mort (mais peuvent quand même
à terme la provoquer) et dont l'objectif principal, dit-on, est
seulement de « jouer » avec la victime (tester ses
défenses). Comme exemple pouvant entrer dans cette catégorie,
nous aurions le « Seck Miss »
(littéralement « barrer les yeux » en langue basaa),
très répandu à Boumnyebel, surtout dans les écoles
où les jeunes enfants en font régulièrement les frais. Il
y a aussi le « Ngaar Nyo » (littéralement
le « fusil de la bouche ») qui, entre autres, provoque
l'apparition de pustules sur le corps de la victime.
Quant à la « seconde
catégorie », elle pourrait contenir les « Nson
Basaa purement létaux », dont le but n'est ni
plus ni moins d'esquinter gravement voire de
« désagréger » complètement le corps
de la victime. Parmi ces derniers, le « Mbombok
R. », nous a parlé, du « Nson ma
lep ma mìm » (littéralement le
« Nson issu de l'eau du cadavre en
décomposition »). Comme sa terminologie l'indique, ce type de
« Nson » a pour objectif le « pourrissement
quasi instantané » du corps de la victime à l'instar
d'un cadavre. L'individu qui subit une telle attaque voit son corps se
désagréger à veau l'eau.
Il convient de retenir ici que, ces différentes
« attaques occultes » sont de type
« énergétique ». Pourquoi cela pourrait-on
s'interroger ? Tout simplement parce que l'homme lui-même, qu'il
soit l'assaillant ou la victime, est, en tant que partie intégrante de
l'univers, composé d'énergies. L'énergie est partout
dit-on. Tout à l'intérieur de l'Homme, à
l'extérieur et autour de lui, dégage de l'énergie.
François Xavier AKONO (2005 : 68), souligne à ce propos par
l'entremise de HEBGA que le « Muntu » (l'homme)
est constitué par « une force cosmique » qui le
relie à l'univers et à ses semblables. À partir de
là, l'on peut considérer que chaque être humain est une
« quantité d'énergie qui rayonne dans un
champ ». Lequel champ lorsqu'il est
« maléfiquement » perturbé peut
entraîner la maladie et voire même la mort de la personne
visée.
3. « MADJENA MA
DJÚ »107(*) OU LE « CANNIBALISME
MYSTIQUE »
Le « cannibalisme
mystique » que P.M. HEBGA (1998) aborde dans le quatorzième
chapitre de son ouvrage, figurerait en tête de la « liste des
attaques occultes » les plus extraordinaires si une telle liste
était élaborée. Il doit être distingué de
l'« anthropophagie physique » dont la pratique fait bien partie
de l'histoire de l'humanité.
Dans sa perspective du « pluralisme
anthropologique », HEBGA attribue le « cannibalisme
mystique » à la collaboration de deux (2) des quatre (4)
instances de la personne humaine précitées à savoir :
le « titii » (l'« instance
ombre ») et le « mbuu »
(l' « instance souffle »). Dans cette relation
étroite, le « mbuu » se dote du
« hu » qui est le pouvoir qui permet au sorcier de
« dévorer » sa victime.
Dans son analyse très pointue du
« cannibalisme mystique », HEBGA (1998 : 321) souligne
qu'ici, l'« instance souffle » ou
« mbuu » doit être considérée
comme « un champ en état d'excitation » et
l'« instance ombre » ou
« titii » comme un « champ rayonnant
doué d'une capacité interne d'élargissement
indéfini », c'est-à-dire, permettant au sorcier de
« sortir » de lui-même, de son propre corps, pour
aller « vampiriser » le corps de la victime. L'auteur
mentionne aussi que dans cette perspective, le
« mbuu » doté du
« hu » (le « pouvoir du
sorcier ») et le « titii »
(l'« instance ombre »), « agissent sur la victime
comme un champ énergétique sur un autre champ
énergétique. L'influx du champ agresseur sur le champ
agressé est désorganisateur ».
Il est crucial (pour établir une nette
dichotomie entre le « cannibalisme mystique » et
l'anthropophagie ordinaire ou physique) de souligner ici que : les effets
de la « manducation mystique » (« Madjena ma
Djú ») sur le corps de la victime ne se traduisent pas,
à proprement parler, par la disparition des organes
« mangés », mais « par leur perturbation,
qui peut, à la limite, atteindre le degré appelé
mort » (P. M. HEBGA, Op. Cit.,). En d'autres termes :
« Lorsqu'on dit d'une personne qu'elle a
été « mangée dans la sorcellerie »
(« Ba Dje nyè li emb » en Basaa), il ne
s'agit pas dans ce cas précis de la personne en tant que
« corps physique », mais plutôt de la personne en
tant qu'« être énergétique » que le
sorcier « consomme » et « consume »
(« Mbombok A. »).
En clair, lors du « cannibalisme
mystique », ce n'est pas le « nyuu »
(corps) de la victime qui est « mangé » (auquel cas
on parlerait plutôt d'anthropophagie physique ou de
« cannibalisme ordinaire »), mais c'est en
réalité l'« énergie vitale », la
« substance essentielle » de la victime que le sorcier
extrait du corps de ce dernier. Au terme de cette « opération
funeste occulte », la victime est
« vidée » de sa substance et devient une simple
« coquille vide » ou
« kougang » (« homme vidé de son
énergie » en langue basaa).
Afin d'illustrer son propos sur ce type d'attaque
occulte (« la manducation mystique »), le Chef MADING
Joseph nous raconta une anecdote très édifiante. Il y a de cela
quelques années aujourd'hui, qu'au cours d'un procès au tribunal
d'Éséka, on demanda à la personne qui était
accusée de pratiquer régulièrement « la
manducation de nuit », de montrer devant l'assemblée, comment
elle procédait pour « manger » ses victimes.
L'individu en question demanda que l'on lui apporte, pour ce faire, deux (2)
papayes et qu'on les pose sur le bureau du juge. Quelques instants plus tard,
il demanda que l'on ouvre d'abord la première papaye. Ce qui fut fait.
Cette papaye là, était restée en bon état à
l'extérieur comme à l'intérieur. Ensuite, il demanda que
l'on ouvre la seconde. Et là, ce fut la stupeur générale
dans le tribunal, parce que, à la différence de la
première papaye qui était restée en bon état
à l'extérieur et à l'intérieur, la seconde, bien
que, vu de l'extérieur, elle paraissait intacte, à
l'intérieur, il n'y avait plus rien. Tout avait disparu, même les
pépins. En fait, la seconde papaye avait était
« proprement mangée » de l'intérieur, sans
toutefois que l'extérieur ne soit affecté. Cette histoire
étonnante a poussé le Chef MADING à comprendre
qu'effectivement, il y avait parmi nous des individus
(« kougang ») qui continuent à
déambuler, alors qu'ils sont déjà « morts de
l'intérieur ».
Dans ce type de procès, on peut parfois
entendre les accusés de sorcellerie (« mangeurs
mystiques d'hommes ») se disputer entre eux sur qui a
« mangé » le coeur ou le foie ou les poumons, ou
tout autre organe de la victime. Mais ici, le foie, le coeur, les poumons, ne
doivent pas être compris au sens littéral d'« organes du
corps physique », mais « au sens subtil et mystique des
centres énergétiques » de l'Homme
(« Mbombok A. »).
Le « cannibalisme mystique » peut
donc, au mieux, causer la maladie de la personne attaquée et au pire, la
mort de cette dernière.
4. LES « INTRUSIONS MYSTIQUES » ET
AUTRES « INTROMISSIONS OCCULTES »
Qu'entendons-nous, d'une part par
« intrusions mystiques » et d'autre part, par
« intromissions occultes » ?
Par « intrusion mystique » il faut
entendre l'« insertion occulte » d'objets (cailloux,
pierres, rochers, écailles de poissons...), d'animaux (rats,
serpents...) ou d'esprits démoniaques dans le corps des victimes. Il est
essentiel de noter, en ce qui concerne l'« insertion occulte d'objets
ou d'animaux » que, lorsqu'un sorcier (ou sorcière) introduit
mystiquement dans le corps de sa victime un caillou, une pierre, un rocher, des
écailles de poissons, ou un animal ; l'objet ou l'animal en
question ne se trouve pas en réalité dans le « corps
physique » de la victime, mais dans son « corps subtil ou
astral » (« Mbombok
A. »). Par conséquent, si la victime passe par
exemple à l'hôpital une I.R.M (Imagerie par Résonance
Magnétique), on ne verra jamais le rocher ou ledit animal comme tel dans
son « corps physique », mais on notera, à la limite,
les effets de la présence de quelque chose de « cliniquement
indéfinissable » (« Mbombok
A. »), par exemple : un gonflement anormal et
médicalement incompréhensible (et inexplicable) du ventre lorsque
l'objet ou l'animal a été déposé dans le
« ventre du corps astral » de l'individu. La
« chirurgie occidentale » s'avère
généralement inefficace, seule la médecine traditionnelle
peut permettre de soigner un tel cas. On procèdera ici, disait le
« Mbombok A. », grâce
à notre propre « double spirituel » (notre esprit),
non plus à une « insertion » (à l'instar du
sorcier), mais à une « extraction mystique
»108(*) de
l'élément étranger du « corps subtil de la
victime ».
Par ailleurs, « Il arrive que le corps d'un
individu, homme ou femme, soit envahi par une présence
étrangère [...] qui s'empare de lui... »
(FALGAYRETTES-LEVEAU C., PRESTON BLIER S., YOUSSOUF TATA C., BOULORE V., P.
BOURGEOIS A., 1996 : 81) : c'est ce que nous avons, dans ce cas
précis, appelé « insertion occulte
d'esprits maléfiques». Il s'agit en fait d'une autre forme
d'« intrusion mystique » qui consiste pour le sorcier,
à introduire non plus un objet ou un animal dans le
« corps » de la victime, mais un esprit maléfique
(parfois, c'est l'esprit du sorcier qui vient hanter le corps de la personne
cible).
Les « intromissions occultes »
quant à elles, renvoient à ce que l'on appelle trivialement
« les couches de nuit », c'est-à-dire, le
« coït avec les démons et autres esprits
maléfiques » : crime qui, comme le soulignait
déjà Jean BODIN (16e S.)109(*), pose la
question délicate de l'« incubat »
(« incubes ») et du « succubat »
(« succubes ») qu'après Saint Thomas d'Aquin, tous
les théologiens et démonologues ont reconnu pour vraie. Par
ailleurs, il peut aussi arriver que le sorcier (avec le concours des
démons) se livre également à ce genre de « viols
mystiques ». Ce fut déjà le cas du Carme Ricordi en
1329 rapporté par J. PALOU (2002 : 26 et 53) :
« Le carme Ricordi, sorcier à
Carcassonne, fabriquait les effigies des femmes qu'il désirait. De sa
salive, de son sang et de celui de crapauds, il humectait ces effigies
vouées par lui à Satan et les plaçait sur le seuil des
maisons où habitaient les jeunes femmes. De nuit, Ricordi se rendait
devant ces demeures et les belles venaient alors se jeter dans ses bras. Pour
remercier le Diable de ses bons offices, le carme lui sacrifiait un
papillon...Carme Pierre Ricordi accusé [...] avoua son crime et fut
condamné avec quelques autres sorciers à la prison à
vie ».
À cette époque, on note également
que, pour se prémunir contre les envoûtements de type
sexuel, « on prenait la précaution de placer dans les
jardins des boules de verre (witch-ball) » (J. PALOU, Op.
Cit.).
En somme, ce que l'on pourrait retenir ici c'est que
toutes les « attaques invisibles » mentionnées
ci-dessus, ont un point commun à savoir : l'appropriation du corps
et surtout de la force vitale des victimes. Elles visent cette énergie
tantôt pour la désorganiser, tantôt pour l'absorber. Ce qui,
on peut s'en douter, cause un grand préjudice d'une part, à la
victime qui ne peut plus produire (vaquer à ses occupations
quotidiennes), à cause de la maladie contractée ou de son
décès et d'autre part, à la société qui se
voit priver de ses hommes et femmes les plus valides. Toutefois, dans la suite,
nous nous sommes efforcés de démontrer que l'espoir demeure, tant
il est vrai que tout problème a toujours une solution et toute maladie,
un remède ; il suffit simplement de bien chercher et de chercher au
bon endroit. En fait, à Boumnyebel notamment, les « Ba
Mbombok » ont développé une panoplie de
« moyens de protection et de défense occultes »
aussi extraordinaire et remarquable que ceux d'attaques et de destruction des
sorciers. Quels sont-ils ? Et quels sont leurs modes
opératoires ? La réponse à ces questions a
constitué la trame du paragraphe suivant (B).
B. LES « MOYENS DE PROTECTION ET DE
DÉFENSE INVISIBLES »
Soulignons de prime abord que, la question de
fond sur laquelle nous avons développé ce paragraphe est celle de
savoir : comment peut-on survivre dans un environnement qui semble
« ésotériquement dangereux » ?
Le droit pénal camerounais admet, certes, les
cas de « légitime défense ». En d'autres
termes, en cas d'« agression physique » injuste, le droit
autorise la victime de ladite agression, de riposter, si nécessaire, par
la « violence physique ». Quid donc des
« agressions occultes » ?
À ce propos, J. PALOU (2002 : 46) souligne
qu'au 17e Siècle par exemple, les
« sorciers » étaient souvent
sévèrement punis lorsqu'on réussissait à
établir leur crime. En effet, nous dit l'auteur, « Le code des
wisigoths d'Espagne, plus dur, punit du fouet et de la réduction de la
personne libre en esclavage les coupables de maléfices graves :
lanceurs de tempêtes et de grêle sur les vignes, invocation de
démons, sacrifices nocturnes aux démons ».
Au Cameroun du 21ème Siècle,
force est de constater qu'à l'heure actuelle, le Droit est quelque peu
imprécis voire pusillanime au sujet des sanctions applicables aux
personnes reconnues coupables de sorcellerie. Les quelques décisions de
justice qui sont parfois prises à l'endroit des
« sorciers », restent encore peu satisfaisantes. Toutefois,
dans le souci de limiter et de sanctionner, autant que possible, les auteurs de
pratiques de sorcellerie, les autorités traditionnelles, au niveau du
village de Boumnyebel par exemple, ont élaboré un certain nombre
de sanctions. En outre, des « techniques occultes »
permettant d'une part, de juger les accusés de sorcellerie et d'autre
part, de se protéger contre d'éventuelles « attaques
mystiques », ont été également mises au
point.
Dans ce second Paragraphe, nous avons tenté
d'analyser les « techniques judiciaires mystiques » (les
ordalies) et les « sanctions traditionnelles » d'une
part ; d'autre part, nous avons étudié les
« moyens occultes » permettant de se protéger et de
se défendre contre les sorciers et sorcières.
1. LES « ORDALIES » ET LES
« SANCTIONS TRADITIONNELLES » DE
« GOÉTIE »
Les « ordalies »
peuvent être considérées comme des
« épreuves judiciaires mystiques » dont l'issue, par
l'entremise de Dieu ou d'une puissance de l'« Invisible »
(notamment l'Ancêtre), vise à établir la culpabilité
ou l'innocence d'un accusé de sorcellerie. Dans certaines
contrées, les « ordalies »110(*) sont des
« épreuves permettant par l'administration de poisons violents
de démasquer puis de juger des individus soupçonnés de
pratiques de sorcellerie ou d'actes antisociaux » (F.- LEVEAU C.,
PRESTON B. S., YOUSSOUF T. C., BOULORE V., P. BOURGEOIS A., 1996 : 49).
Le Chef traditionnel de Boumnyebel, EOCK Simon, au
cours de l'entretien de Janvier 2009, nous faisait remarquer qu'en
général sur le plan traditionnel, ce n'est pas par
l'administration de poison que les accusés de sorcellerie sont
démasqués puis jugés, mais par d'autres
« techniques subtiles » telles que : le rite du
« Djis li Mbas » ou « rite de la graine
de maïs » ; le rite du « Sol »
ou « rite de l'étau d'herbe » ; le rite du
« Bél » ou « rite des
écorces de vérité » ; le rite du
« Yap » ou « rite de l'arbre
sacré ». À la lumière des explications du Chef,
essayons de comprendre ces différentes
« ordalies ».
Le Rite du « Djis li
Mbas » est un rite qui consiste à mettre une graine de
maïs dans l'oeil de la personne soupçonnée de pratiques de
sorcellerie ou de tout autre acte contraire à l'ordre social. Si la
personne considérée est innocente des faits qui lui sont
reprochés, la graine de maïs (« Djis li
Mbas » en Basaa) sort de son oeil sans causer le moindre
désagrément. Mais dans le cas contraire, elle reste
plantée dans son oeil tout en provoquant des douleurs atroces et un
gonflement dudit oeil. Si rien n'est fait dans les brefs délais,
l'individu peut même perdre l'usage de cet oeil.
Le Rite de l'étau du «
Sol » est une « ordalie » au cours de
laquelle une autorité traditionnelle, le Chef par exemple, forme deux
(2) touffes à partir d'une herbe « spéciale »
appelée « Sol » qu'il tient fermement dans
ses mains tout en les croisant dans le dos de l'accusé(e). La personne
soupçonnée est par conséquent prise dans un
« étau mystique » qui ne se dessert que lorsqu'elle
est innocence et reste « extraordinairement » serré
dans le cas contraire. Le Chef EOCK S. mentionne que dans un tel cas, toute
tentative de l'accusé (e) de se soustraire par la force à
l'étau du « Sol » est toujours vouée
à l'échec.
Le Rite du « Bél »
est un rite où la culpabilité ou l'innocence de l'individu
soupçonné est établie grâce au verdict des
« écorces de vérité » appelées
« Bél ». Le rite présente deux (2)
phases principales. La première phase consiste à relier entre
elles, deux (2) écorces de « Bél »
à l'aide d'une ficelle « spéciale »111(*). La seconde phase consiste
-- après avoir prononcé des formules d'usages, par exemple,
« Est-ce que l'individu ici présent accusé d'avoir
détruit mystiquement le champ son voisin est innocent ? »
(Chef EOCK S.) -- à couper d'un geste rapide la ficelle. L'innocence de
l'accusé(e) sera établie en fonction du positionnement des
écorces sur le sol. Ainsi, si les deux (2) écorces tombent en
présentant leur partie interne (celle qui est concave) vers le ciel,
l'accusé(e) est déclaré(e) innocent(e). Dans le cas
contraire, c'est-à-dire, lorsque les deux (2) écorces tombent en
présentant leur partie externe (celle qui est convexe) vers le ciel,
l'individu est déclaré coupable. Par ailleurs, si l'une des deux
(2) écorces tombent en présentant sa partie interne vers le ciel
(désigne l'individu comme innocent) alors que l'autre présente
plutôt sa partie externe vers le ciel (le désigne comme coupable),
l'on déduit qu'il y a encore des choses que les parties n'ont pas dites
et qu'elles devraient dire avant tout jugement.
Le Rite du
« Yap » est un rite
« exceptionnel » et très craint. L'on ne conduit, en
général, auprès de cet « arbre
sacré » (le «Yap »), que des individus
soupçonnés d'homicides volontaires (par sorcellerie notamment).
Ici, le « verdict des Ancêtres » est radical et sans
appel dans la mesure où, en cas de culpabilité, c'est la mort de
l'accusé après une attente de neuf (9) jours. Ce rite constitue
d'ailleurs la « sanction traditionnelle ultime ».
En ce qui concerne justement les « sanctions
traditionnelles » pour sorcellerie, en plus de celle de mort
susvisée, nous en avons relevé trois (3) autres à
savoir : les « blâmes simples », le
« Kwag » et le
« Kad ».
Les « blâmes simples » sont
des avertissements traditionnels sanctionnant un écart de conduite de
l'individu. Pour faire amende honorable et se faire pardonner, le
concerné peut par exemple offrir du vin ou des victuailles aux habitants
du village.
Le « Kwag » est une
« amende traditionnelle » beaucoup plus
élevée qui peut être estimée en espèce ou en
nature (chèvres, boeufs, coqs...). Il sanctionne
généralement les récidivistes ou des infractions
moyennement graves.
Le « Kad » quant à
lui, est une sanction nettement plus grave que les deux
précitées, d'ailleurs, elle vient juste avant le
« jugement mortel » du
« Yap ». Il s'agit d'une
« quarantaine » qui est imposée au
délinquant : il est ainsi, dans tout le village, interdit à
quiconque de lui adresser la parole, de l'aider, d'aller chez lui ou de le
recevoir chez soi. Dans un cadre local et familial, cette situation est
insupportable et débouche, in fine, à des excuses publiques
très onéreuses.
Passons dès à présent aux
techniques proprement dites de protection et de défense
« invisibles » censées permettre au
« Nouveau Patriote » (« Mbombok
A. ») de survivre dans un contexte sociopolitique
hostile.
2. LES « TECHNIQUES DE PROTECTION ET DE
DÉFENSE OCCULTES »
À propos de la notion de
« protection » (et de
« défense »), le (« Mbombok
A. ») estimait que si à une
« agression physique », l'on accepte une
« riposte physique », alors à une
« agression occulte » l'on devrait tout aussi admettre une
« riposte occulte ». En effet, le principe de la
« proportionnalité de la légitime
défense » (reconnu en Droit) indique que la riposte doit
toujours être graduée (en adéquation avec l'attaque),
c'est-à-dire que, à une « attaque verbale »,
l'on se doit de riposter par le « verbe » (la
« parole ») ; à une « attaque
physique », la riposte doit être, si nécessaire,
« physique » ; et à une « attaque
mystique », la riposte doit appartenir à la
« sphère de l'Invisible » pour être probante
et significative.
Il convient avant tout de noter ici que les
« techniques occultes » utilisées dans le
passé, par les « maquisards » du temps
du « Gwet bi Kundè »112(*) (la guerre pour la
« Réunification » et
l'« Indépendance » du Cameroun) pour résister
aux colons et aux « Dikokôn » (espions et
alliés des colons), sont, à quelques exceptions près, les
mêmes utilisées aujourd'hui par les Basaa de Boumnyebel pour
survivre dans cet environnement social et politique
« inamical ». Nous en avons retenu trois (3) principales
à savoir : le « Ban », le
« Kòn » et le
« Nseebe ».
2.1 LE « BLINDAGE INFÉRIEUR OU
SIMPLE » : LE « BAN »
Dans la « manipulation des
forces de l'Invisible », le « Ban »,
à l'instar des autres « techniques occultes », fait
partie intégrante de la « théorie des
sortilèges basaa ». Ce « blindage
inférieur » (par opposition au « blindage
supérieur » ou « Kòn ») a
pour fonction première de prémunir contre un
« maléfice déterminé » qu'un individu
a subi (une attaque au « Nson » par exemple). Il
intervenir généralement après la guérison de la
victime d'une « agression occulte ». Cette
« technique occulte de défense et de protection »,
comme d'autres d'ailleurs, n'est pratiquée qu'à la demande de la
victime. Mais, le Mbombok peut la recommander à son patient ou
patiente.
Selon le « Mbombok
R. » :
« Le « Ban »
est dit « blindage inférieur ou simple » parce que
son rayon d'action, son champ de protection est nettement réduit. En
fait, le « Ban » permet seulement à la
victime d'une agression occulte identifiée de se prémunir, dans
l'avenir, contre la même attaque. Cette « technique
invisible » opère donc comme une sorte de
« vaccination mystique » contre le maléfice
concerné ».
Ainsi, si la personne est par exemple
« blindée » contre le
« Likang » (« mine antipersonnelle
occulte »), elle devient pratiquement
« invulnérable » uniquement contre cette
« agression occulte », mais à la merci des autres
« attaques invisibles ». En fait, le
« Ban » permet, au cours d'une
« cérémonie traditionnelle
spécifique » lors de laquelle un poulet peut être
donné en sacrifice aux
« Basôgôl » (Ancêtres), «
d'accroître au premier niveau »
(« Mbombok R. ») la force et la
résistance des « principales instances » de la
personne (corps, souffle...), assurant ainsi à ladite personne, une
meilleure protection contre l'attaque occulte concernée.
2.2 LE « BLINDAGE SUPÉRIEUR OU
AVANCÉ » : LE
« KÒN »
Parmi les « techniques de
protection et de défense invisibles », le
« Kòn » est considéré comme
la plus achevée d'où le nom de « Défense absolue
ancestrale » que lui attribue le « Mbombok
R. ». Le « Kòn »
est considéré chez les Basaa, comme le « summum de la
protection et de la défense occulte » pour deux (2)
raisons principales. Premièrement, il regroupe tous les autres types de
« techniques mystiques de protection et de
défense ». Deuxièmement, il protège et
défend à la fois son possesseur et l'entourage immédiat de
ce dernier.
Selon le « Mbombok
B. », le « Mbombok
R. » et le « Mbombok
A. », le « Blindage supérieur ou
avancé » protège contre la quasi-totalité des
« attaques occultes » connues de nos jours et, à un
niveau très poussé, il peut protéger contre les armes
à feu et les armes blanches113(*).
Le « Kòn »
possède en fait, plusieurs facultés à savoir : la
« faculté de cacher du mal », la
« faculté d'éloigner le mal » et la
« faculté de renvoyer le mal ».
Cette « Défense absolue
ancestrale », en effet, a la faculté
d'« occulter » la présence de son
dépositaire face aux « délinquants et autres assassins
du monde de l'Invisible » (« Mbombok
A. »). Autrement dit, elle lui permet d'être,
à l'égard des « sorciers »,
« invisible dans le monde Invisible »
(« Mbombok R. »). Le
« Mbombok R. », ajoutait également
que : « Le « Kòn » peut
aussi créer des illusions en faisant en sorte que, le
« sorcier », au cours de « sa chasse
astrale », au lieu, par exemple, de voir la personne endormie dans
son lit comme telle, voit plutôt en lieu et place de celle-ci, un amas
d'immondices ».
Le « Kòn » a
également la « faculté d'éloigner le
mal ». À ce propos, les « Ba
Mbombok » disent : « Li bè dig i
mbus », c'est-à-dire, « Que le mal soit
toujours loin derrière ». Ici, cette « technique
occulte » permet à l'individu, grâce à
l'amplification de son « champ énergétique »,
de son « champ aurique », de créer une distance
considérable entre lui et tout ce qui peut arriver de fâcheux ou
de périlleux. Par exemple, si un accident est censé se produire
dans un lieu, tant que l'individu possesseur du
« Kòn » (homme politique ou simple acteur
social) s'y trouve, ledit accident est « occultement
suspendu ». Mais après avoir quitté les lieux, il
pourrait entendre « derrière lui » qu'un accident
vient de se produire juste après son départ. Le
« Kòn » agit donc ici comme un
« dôme invisible » qui protège l'individu et
son entourage contre le mal. Sa présence dans un lieu inhibe,
momentanément, la capacité de nuisance des forces
maléfiques en présence.
Le « Kòn » a
enfin, la « capacité de renvoyer le mal ». Il assure
donc ici, une « réversibilité
défensive » (« Mbombok
A. ») à son possesseur : c'est le
« Temb ni nyè » ou
« déflexion mystique de l'attaque adverse ».
Autrement dit, le « Blindage supérieur » a la
capacité de retourner la force de l'attaquant contre
lui-même : un « retour à l'envoyeur » en
quelque sorte. Ainsi, en cas d'« attaque occulte » quelle
qu'elle soit, sur une personne détentrice de ce « Blindage
avancé », non seulement l'attaque n'aura aucun effet sur la
personne visée, mais surtout, elle va se retourner contre son auteur en
étant multipliée. Le « Mbombok
A. » souligne d'ailleurs que :
« La charge d'énergie
maléfique, en rebondissant sur la « cuirasse
invisible » du détenteur d'un tel
« blindage », à la manière d'un ballon
envoyé sur un mur de béton, gagne une puissance plus destructrice
qui se retourne contre l'assaillant : l'effet boomerang hors
contrôle est assuré ».
Il est important de mentionner ici que, un individu
qui reçoit le « blindage » que confère le
« Kòn » ne devient pas ipso facto un
« Mbombok » du type
« Kònkòn »114(*). En effet, bien que le
« Kòn » fasse partie des cinq (5) «
sat mbok » (« objets sacrés »)
qui confèrent à un individu les pouvoirs d'un
« Mbombok », en devenir un, nécessite une
« cérémonie d'intronisation » (de
consécration) spéciale, qui n'intervient qu'après une
« initiation » suivie auprès d'un
« Mbombok » déjà confirmé. En
clair, dans le cas qui nous incombe ici, l'individu qui se fait
« blinder » au « Kòn »
reçoit simplement les pouvoirs de « blindage
supérieur », sans devenir un
« Mbombok » confirmé de ce niveau du
« savoir occulte et confrérique »
(« Mbombok A. »). Par
conséquent, à la différence d'un
« Mbombok » de ce niveau, qui, après son
initiation, possède les « pleins pouvoirs »,
c'est-à-dire qu'il est d'abord « blindé »
lui-même par le « Kòn » et
reçoit, de surcroît, les pouvoirs pour soit
« blinder », soit « initier » d'autres
individus ; l'individu qui n'a pas été initié au
secret du « Kòn », mais à qui on a
simplement transmis les pouvoirs de « blindage
supérieur », serait incapable de transférer ces
mêmes pouvoirs à un autre individu, donc de
« blinder » ou d'« initier » ce
dernier.
Par ailleurs, le « Mbombok
R. », nous disait que, par mesure de précaution,
c'est-à-dire, pour éviter que ce type pouvoir ne tombe entre des
mains malveillantes, avant d'appliquer les « techniques de
blindage » (surtout celle « supérieure »)
sur un individu, il procédait d'abord au
« Ngambi » (la « divination par
l'araignée »), c'est-à-dire qu'il consultait d'abord
les Ancêtres afin de savoir si la personne était digne de recevoir
un « blindage » de sa part. Il ajoutait aussi que les
« Ba Mbombok » étaient très jaloux
de leurs secrets et ne les confiaient pas au premier venu. Abondant dans son
sens, le « Mbombok A. »,
soulignait que : « les individus qui ont fait le choix de
détruire, de répandre le malheur et les souffrances autour d'eux,
n'ont pas l'âme assez noble pour recevoir de telles techniques de
blindage dans la mesure où, celles-ci ont pour but fondamental : la
préservation de la Vie ».
2.3 LA « TECHNIQUE OCCULTE
D'ÉVITEMENT » : LE
« NSEEBE »
Le « Nseebe »
n'est pas une « technique occulte de blindage » comme les
deux (2) susvisées, mais constitue plutôt une
« technique mystique d'évitement ou de
contournement ». Aux dires du
« Mbombok R. », il s'agirait d'une
transformation contemporaine et moderne du « Dim Ba
ko » (« Kaléidoscope hypnotique
ancestral »)115(*) utilisé jadis dans le
« maquis » de Boumnyebel par les patriotes basaa. En effet,
disait-il :
« Contrairement au « Dim Ba
ko », que l'on ne peut pas toujours avoir sur soi ou facilement
transporter (il reste à l'apanage des « Ba
Mbombok » qui sont habilités à l'actionner), le
« Nseebe » est « portable » et
actionnable quasiment à tout temps, même par un simple
initié ».
Le « Nseebe » permet
à son possesseur, d'être à l'abri du « mauvais
oeil », c'est-à-dire que, à chaque fois qu'un quidam
lui voudra du mal, ou fomentera un complot pour lui nuire : soit le
complot périclitera parce qu'il y aura toujours parmi les conspirateurs,
un individu qui viendra le trouver et tout lui révéler ;
soit le conspirateur lui-même, à chaque fois qu'il projettera de
commettre son forfait, ne trouvera pas la personne ciblée ou oubliera la
vraie raison de sa venue lorsqu'il la trouvera.
La « Technique occulte
d'évitement » est, paraît-il, très
utilisée dans la vie politique, surtout lors des élections au
cours desquelles, à cause des différentes campagnes de
sensibilisation (et de séduction) que se doivent d'effectuer les acteurs
politiques pour engranger des voix, ces derniers sont souvent plus
exposés au public que d'habitude donc plus susceptibles de subir des
attaques de toute sorte (nous y reviendrons plus en détails dans le
dernier Chapitre).
Comme nous l'avons dit tantôt, les techniques
susvisées, ne pouvant être utilisées que pour
préserver la Vie, elles ne peuvent, en aucun cas, être transmises
à des « malfaiteurs » assoiffés de
« sang » et de destruction. Le
« Mbombok R. », indiquait
d'ailleurs que : « il n'est pas possible de passer, à
volonté, du « côté obscur de la force »
vers son « côté éclairé » ;
car à un certain moment, il faudra faire un choix qui scellera à
jamais notre destin : détruire ou construire ».
Par conséquent :
« Ceux qui ont donc fait le choix, non pas
d'oeuvrer pour le développement et le bien-être de la
Communauté -- comme l'on fait leurs Ancêtres les plus
méritants dans le passé et comme le recommande
« Hilôlômbi » -- mais plutôt
pour la régression et la destruction de celle-ci au profit de leurs
intérêts personnels, ne peuvent espérer disposer de la
« puissance bienfaitrice et constructive » de l'Etre
Suprême ; mais plutôt celle « maléfique et
destructrice » du « Prince des
Ténèbres ». En conséquence, on ne peut
prétendre tuer ou détruire au nom des Ancêtres, a fortiori
au nom de Dieu » (« Mbombok
A. »).
Malgré les dérèglements que l'on
observe de nos jours, il faut toujours garder à l'esprit que :
l'univers ne s'effondrera pas et ne s'effondrera jamais, car les
« disciples des forces bénéfiques »,
c'est-à-dire, tous ceux qui de près ou de loin, dans leur domaine
d'activité, oeuvrent pour un lendemain meilleur pour eux-mêmes et
surtout pour leurs semblables, veilleront à ce qu'un équilibre,
quoi qu'il puisse parfois être précaire, soit maintenu. Le
« déchaînement des forces maléfiques de
l'Invisible » (« Mbombok
A. ») que l'on note à ce début du
troisième millénaire, doit pousser chaque individu à
prendre position soit en faveur des forces obscures, donc à suivre le
« courant, l'air du temps » en s'alliant aux
forces démoniaques ; ou alors -- tâche difficile et
périlleuse, mais ô combien gratifiante et noble -- à
« naviguer à contre courant » en résistant de
toutes ses « forces » au « Mal ». La
« Terre ancestrale » a en fait besoin que « tous
ses fils et filles soient tout amour » et qu'ils la servent en usant
de toute la « force disponible » : « force
verbale », « force physique », et
« force occulte ».
Dans cette première articulation du Chapitre,
nous avons tenté de démontrer que les forces de l'Invisible
jouent un rôle ambivalent dans l'espace social dans la mesure
où : sous « l'angle maléfique », elles
concourent à l'hostilité « mystique » de
l'environnement social d'une part ; d'autre part, sous « l'angle
bénéfique », elles permettent néanmoins de se
protéger, de se défendre et de survivre dans ce même
environnement. C'est d'ailleurs, dans la même optique que nous avons
abordé la seconde articulation (II) afin d'analyser les
« différentes voies occultes d'ascension et de domination
sociales ». Ceci nous a donc permis de ressortir l'impact des forces
occultes sur la « réussite » sociale des
individus.
II. LES FORCES DE L'INVISIBLE COMME « MOYENS
D'ASCENSION » ET DE « DOMINATION »
SOCIALES :
« THÉURGIES » OU
« GOÉTIES »
Après avoir essayé,
dans l'articulation précédente (I), de démontrer l'action
négative et positive des forces de l'Invisible, respectivement dans
l'animosité environnementale et dans la « survie »
sociale des acteurs sociaux camerounais en général et de
Boumnyebel en particulier ; nous allons, dans cette seconde articulation
(II), nous atteler à établir une démonstration à
partir de la question suivante : l'orientation
« théurgique » (usage positif des forces de
l'Invisible) ou « goétienne » (usage négatif
des forces de l'Invisible, sorcellerie) conditionne t-elle la nature du
« succès » sociale
(« ascension » et « domination »
sociales) ? Autrement dit, quel type d'« ascension »
et de « domination » sociales le « nouveau
patriote théurgien » et le « sorcier fossoyeur
mystique » (« Mbombok
A. ») obtiennent-ils par l'entremise des forces
ésotériques ?
Dans ce canevas, nous avons essayé de
démontrer précisément que : d'une part, les forces de
l'Invisible influent différemment sur l'« ascension
sociale » dans la mesure où, cette dernière est
« délétère » ou
« bénéfique » selon que sa réalisation
s'est faite par la destruction des autres ou par un travail constructif
personnel (ou collectif) ayant reçu une « onction
ancestrale divine » (A). D'autre part, nous nous sommes
évertués à montrer que : « ascension
sociale » et « domination sociale » sont
intimement liées, mieux la « domination sociale »
n'est qu'un avatar, un corollaire de l'« ascension
sociale » puisqu'il n'y a pas, à nos yeux, de
« domination sociale » possible sans
« survie » et surtout sans « ascension
sociale » (B).
A. L'« ASCENSION SOCIALE » PAR
« VOIES OCCULTES »
À l'aune de la
manière dont les acteurs sociaux (et politiques)116(*) mobilisent les forces de
l'Invisible au Cameroun en général et à Boumnyebel en
particulier, l'« ascension sociale » peut emprunter
« deux (2) types de voies occultes » à savoir :
d'une part, la « voie goétienne, obscure et
destructrice » ; d'autre part, la « voie
théurgique, éclairée et constructive »
(« Mbombok A. »).
1. LA « VOIE GOÉTIENNE D'ASCENSION
SOCIALE »
La « voie
goétienne d'ascension sociale » est « Une voie
dans laquelle « l'occulte » permet de manger
(d'évoluer) à la sueur du front d'autrui »
(« Mbombok A. »). Les individus
qui optent pour cette « voie occulte » (et ils sont
nombreux) évoluent plus rapidement sur la scène sociale en
faisant le moins d'effort possible. Mais cette
« réussite » est tributaire des échecs, de la
souffrance et de la destruction des autres membres de la Communauté.
Autrement dit, en empruntant la « voie goétienne »,
l'individu fait délibérément le choix de construire son
« ascension sociale » en « utilisant »
(en « instrumentalisant ») outrageusement ses semblables
à l'instar de vulgaires « tremplins », de banal
« marchepied ». Pour lui réussite personnelle rimera
avec échec et au besoin, élimination physique d'autrui.
Actuellement, on note que, indépendamment des
domaines sociaux d'activités (commerce, agriculture, études...),
en plus des « attaques occultes » évoquées
précédemment, plusieurs autres « procédés
occultes maléfiques » -- permettant d'une part,
d'« exploiter » et d'« instrumentaliser
mystiquement » autrui ; d'autre part, de « capter
» occultement « les propriétés
intrinsèques » des individus -- existent dans la
« voie goétienne d'ascension sociale ».
1.1 LES PROCÉDÉS GOÉTIENS
D'« EXPLOITATION » ET
D'« INSTRUMENTALISATION » MYSTIQUES :
LE « KONG » ET LE
« KONG BABOG »
Pour des besoins d'analyse, nous
avons voulu étudier (tour à tour) d'une part, un exemple de
procédés d'« exploitation mystique » (le
« Kong ») et d'autre part, un autre
d'« instrumentalisation occulte » (le « Kong
Babog »).
Selon le « Mbombok
R. », le procédé goétien qui
permet d'« exploiter » mystiquement « la force de
travail des individus » et d'« accumuler » des
biens matériels s'appelle en Basaa
« Kong ». En fait, la « goétie
d'exploitation et d'accumulation occultes »
(« Kong » chez les Basaa et
« Famla » ou « Sue »
chez les Bamiléké) renvoie à une « alliance avec
un génie » (L. KAMGA, 2008 : 60). En effet, on attribue
en l'occurrence au « Kong » un grand nombre de
maux par exemple : de la pièce de monnaie que l'on croyait dans la
poche et que subitement on ne retrouve pas, aux « morts accidentelles
étranges » en passant par un enrichissement rapide ou une
ascension sociale fulgurante. De même, un vieillard gravement malade
voire à l'article de la mort qui recouvrerait subitement la santé
après le décès inexpliqué et
« opportun » d'un de ses petits-fils, sera accusé
d'avoir sacrifié ce dernier pour prolonger ses années de vie sur
terre. Par ailleurs, selon une croyance très tenace, aujourd'hui
certains commerçants et grands hommes et femmes d'affaires camerounais
en général, tireraient l'essentiel de leur extraordinaire
richesse du « Kong ». Il pourrait être
multiplié à l'infini les manifestations du
« Kong ». Aucun pan de la vie quotidienne ne
semble lui échapper.
Par conséquent, le
« Kong » peut donc être
appréhendée de nos jours à Boumnyebel en l'occurrence,
comme « [...] la variante régionale de la
représentation d'une nouvelle forme de sorcellerie de la
richesse... » (P. GESCHIERE, 1996 : 89). La particularité
de ce « procédé occulte et maléfique d'ascension
sociale117(*) »,
tient au fait que, contrairement à la « manducation
mystique » par exemple, les individus malveillants, les
« sorciers », ne « dévorent »
plus, dans ce cas précis, la substance vitale de leurs victimes, mais se
contentent de transformer leurs victimes en des sortes de
« zombies », en des espèces de marionnettes
privées de volonté, afin d'« exploiter »
(d'une autre façon) leur « main-d'oeuvre », leur
« force de travail ». C'est d'ailleurs pourquoi,
paraît-il, ne sont sacrifiés au
« Kong » que les individus vigoureux et
entreprenants.
Par ailleurs, l'expression basaa « Ba
sèm nyè i Kong » (parfois utilisée
après le décès suspect d'un individu) renvoie bel et bien
à cette idée que l'individu dont il est question n'est pas mort
de « mort naturelle », mais a plutôt
été livré à « la sorcellerie de la
richesse » pour le bénéfice d'un
« sorcier ». Il importe de mentionner avec le
« Mbombok A. »
que :
« La victime du
« Kong », bien qu'elle soit
« morte » pour ses proches, ne l'est pas en
réalité. En fait, elle est simplement transférée
sur un autre plan d'existence (« l'Invisible ») où
seuls ceux qui possèdent « quatre (4) yeux »,
c'est-à-dire, ceux qui ont développé la faculté
d'utiliser les « yeux de leur double spirituel », peuvent
la voir et, dans des cas rarissimes, éventuellement la délivrer
de cet « esclavage occulte » ».
Ce qu'il convient de retenir du « mort du
Kong » c'est que : a contrario d'un « mort
ordinaire » qui ne peut ni bougé ni, a fortiori, se livrer
à un quelconque travail physique, le « mort du
Kong », non seulement peut travailler, mais est
également, paraît-il, et pour ce faire, doté d'une force
hors du commun. Il semblerait que ce soit son état de
« zombie » (de « mort-vivant ») qui
accroît substantiellement ses aptitudes. Le « mort du
Kong » peut ainsi travailler nuit et jour sans subir les effets
d'une quelconque fatigue : « Il s'agit donc ici d'une
véritable « exploitation occulte » de l'homme par
l'homme » (« Mbombok
A. »). Le calvaire de la victime du
« Kong » ne prendrait fin que lorsque son
« potentiel énergétique » est
complètement épuisé, c'est-à-dire, lorsque les
jours de son séjour terrestre arrivent à expiration. C'est
seulement à ce moment que son âme peut éventuellement
obtenir le repos éternel.
Toutefois, l'on remarque que malgré les
tragédies que ce « procédé occulte
maléfique » semble entraîner en pays
bamiléké par exemple, le « Famla »
ou « Sue » (sans en faire une apologie) semble
être « l'un des facteurs fondateurs de l'esprit d'entreprise
reconnu aux Bamiléké » (L. KAMGA, 2008 : 71).
Selon L. KAMGA, la corrélation entre les périodes de croissance
économique et l'amplification des rumeurs de
« Sue » n'a jamais été
démentie. Par conséquent, de là à croire que le
« Sue » ne serait que le code d'accès aux
clubs des investisseurs et des hommes d'affaires, il n'y a qu'un pas que
quelques constats poussent à franchir. En effet, alors qu'il est
organisé des grandes séances d'ordalie publique pour
déceler et punir un homme panthère auteur de quelques incursions
dans une bergerie, on n'en organise presque jamais pour vider un contentieux du
« Sue » ; curieusement, l'on semble
apprécier et l'on sollicite même leur
générosité pour la réalisation des grands chantiers
publics. D'ailleurs, certains « Mghè Sue »
(détenteurs du « Sue »), connus de
notoriété publique, constituent en pays bamiléké la
crème des confréries les plus puissantes (L. KAMGA, Op. Cit.). Le
roi lui-même compte tenu de ses affinités avec certains grands
hommes d'affaires n'est jamais net de tout soupçon.
S'agissant du « procédé
goétien d'instrumentalisation mystique » ou
« Kong Babog », il se rapporte non pas un
génie, mais à la « goétie des
fantômes ». En effet, comme le souligne
« Mbombok R. », dans leur
recherche de nouvelles techniques de destruction occulte, les
« sorciers » et « sorcières »
ont, à l'heure actuelle, développé un autre type de
« Kong » appelé le « Kong
Babog » (le « Kong des fantômes »)
où il s'agit pour ces « délinquants
mystiques » de recourir à des fantômes dans
l'accomplissement de leurs basses besognes, en l'occurrence
« l'assassinat mystique ». Dans le cadre de la
« goétie des fantômes » (« Kong
Babog »), le « sorcier », en acteur social
ou politique, devient pratiquement « insaisissable »
(même pour ceux qui ont « quatre (4) yeux ») dans la
mesure où, pour commettre ses méfaits, il se dissimule
derrière un fantôme. Par conséquent, même si par
biais du « Ngambi » (la divination), l'on peut
toujours voir qu'untel ou unetelle a effectivement été
assassiné(e) dans l'occulte, en revanche, pour ce qui est de
connaître le véritable auteur du meurtre, c'est la quadrature du
cercle puisque ce dernier est comme masqué par une
« présence indéfinissable (inhumaine) »
(« Mbombok R. »).
Il appert in fine que le
« Kong », en général, est un atout
incontestable pour tous ceux qui ont opté pour la « voie
goétienne d'ascension sociale » puisqu'il peut permettre
à la fois de s'enrichir très rapidement et d'éliminer
discrètement (dans « l'Invisible ») les potentiels
concurrents sociopolitiques.
Passons dès à présent aux
procédés d'« absorption » et de
« captation » occulte de la « voie
goétienne d'ascension sociale ».
1.2 LES PROCÉDÉS GOÉTIENS
D'« ABSORPTION » ET DE « CAPTATION »
OCCULTES : LE « TONDÈ » ET LE
« DÔME-MYSTIQUE-CAPTATEUR »
Qu'entendons-nous par
« Tondè »118(*) et par
« Dôme-mystique-captateur » ? Nous avons
essayé de répondre à cette double question de façon
progressive.
Tout d'abord, il faut savoir que le «
Tondè » en tant que « goétie de
métamorphose animale », renvoie dans la
« théorie basaa de la manipulation de l'Invisible »,
ipso facto à l'« alliance » qui existerait
entre certains sorciers (et autres « initiés » en
ésotérisme) et une espèce animale. Les individus qui
possèdent un « double animal » sont
réputés posséder, entre autres, le don d'ubiquité.
Dans cette « symbiose mystique de l'Homme et de l'animal »,
les plaisirs et les souffrances sont mutuellement partagés. En fait,
comme le souligne si bien L. KAMGA (2008 : 55) :
« Les deux corps, celui de l'homme et celui
de l'animal, sont tellement solidaires que si l'un fait une chute, c'est que
l'autre en même temps est tombé. Blessures, maladies et mort les
affectent l'un et l'autre en même temps et de manière absolument
identique ».
À partir des témoignages obtenus au
cours de notre recherche, nous avons pu noter que la « goétie
de métamorphose animale » permettait notamment aux individus
malveillants (« sorciers ») de commettre (sous la forme
d'un animal) des « infractions » du genre : vols,
pillages, dévastation de plantations (et bétails), meurtres, et
mêmes des « fraudes électorales »
(possibilité à prendre au sérieux)119(*). En effet, lorsqu'une femme
a par exemple labouré une plantation d'arachides qui semble
répondre à ses espérances et que soudainement, les
arachides ne se développent plus et se dessèchent
étrangement, tandis que non loin de là, la plantation de sa
voisine semble redoubler de splendeur. Certaines personnes pensent directement
au « Tondè » qui aurait permis à
cette voisine (sorcière de renommée locale)
d'« absorber », sous la forme d'un rongeur (un rat
notamment), toute la sève des arachides pour faire resplendir sa
plantation. De même, sous la forme d'un serpent-boa, il semblerait que le
« sorcier » puisse, en avalant « les garnitures
imbiber de substances menstruelles (notamment le sang) »
(« Mbombok A. »), entraîner
mystiquement la stérilité chez certaines femmes. Il est
même souligné que certains individus possèderaient des
« boas mystiques » qui ne se nourriraient que de sang de
nouveaux-nés. D'ailleurs, une
« Dame », au cours de nos
investigations, nous confia qu'elle avait connu un homme (très riche)
qui possédait un « boa mystique » dont la
particularité était justement « d'absorber le sang de
tous les bébés » qui naissaient dans la demeure de son
maître. L'enrichissement de ce monsieur était à la mesure
du mauvais état de santé de tous ses enfants :
« Ils étaient tous émaciés ». Aux
dires de cette « Dame », il
semblerait, cependant que, ce monsieur avait été trompé
par un « être malveillant » :
« Dans sa quête d'un moyen de
protection et défense occulte (censé prémunir sa famille
et lui-même contre des sorciers), il s'était adressé
à la mauvaise personne (un sorcier) qui, au lieu de lui donner un moyen
de défense, lui a plutôt octroyé un puissant
mécanisme de destruction occulte : un boa assoiffé de sang.
Par conséquent, étant lié corps et âme au reptile,
il lui était impossible de s'en défaire sous peine de mourir
lui-même ».
Par ailleurs, il arrive également à
certains « hommes-panthères » de s'attaquer et de
dévorer le bétail et parfois même des hommes. C'est
pourquoi des « pièges » (notamment mystiques)
capables de capturer, voire de tuer les « maîtres de la
métamorphose », existent et sont redoutés de ces
derniers. À ce sujet L. KAMGA (2008 : 55) indique que :
« Nous avons connu un homme panthère
qui dans sa case s'asseyait toujours auprès d'une échelle
disposée en dossier derrière son tabouret personnel. Ce
patriarche avait prescrit à ses femmes et à ses enfants de
l'aider à grimper sur cette échelle si jamais ils le trouvaient
un jour entrain de gémir, de s'agiter et de tenter en vain de saisir une
bouée de sauvetage imaginaire. Ce premier geste de secours lui
permettrait de sortir de la tranchée dans laquelle il serait
éventuellement tombé en brousse ».
S'agissant du
« Dôme-mystique-captateur », il convient de se
souvenir que : « certains esprits négatifs sont
supposés détenir la faculté de capter l'énergie et
la chance des autres » (L. KAMGA, 2008 : 84). C'est dans ce
cadre que nous situons le
« Dôme-mystique-captateur ».
Ce que nous nommons ici
« Dôme-mystique-captateur » est un
« procédé goétien » qui permettrait au
sorcier, à l'aide des « esprits maléfiques »
qu'il concentre autour de lui, de « capter »
l'énergie et toutes les chances des personnes qui se trouvent aux
alentours. En fait, cette « agrégation occulte » en
un point (autour du sorcier), de forces démoniaques, agirait tel
« un trou noir maléfique » qui engloutit tout ce qui
se situe dans son rayon d'action. Cette « technique
obscure » permettrait donc au sorcier, en captant les
« chances » des autres, de faire pencher le
« hasard » de son côté. N'oublions pas que la
« chance » et le « hasard »,
comme le mentionne à juste titre Max WEBER (1963 : 72 et 76), sont
deux éléments qui jouent un rôle non négligeable
dans « l'ascension sociale » (la carrière
universitaire par exemple) et dans « l'ascension
politique »120(*). L'auteur soulignait, en ce qui concerne notamment
la carrière universitaire que :
« En effet, il est extrêmement
risqué pour un jeune savant sans fortune personnelle d'affronter les
aléas de la carrière universitaire. Il doit pouvoir subsister par
ses propres moyens, du moins pendant un certain nombre d'années, sans
être aucunement assuré d'avoir un jour la chance d'occuper un
poste qui pourra le faire vivre décemment [...] Néanmoins, il est
un aspect propre à la carrière universitaire qui n'a pas disparu
et qui se manifeste même d'une façon encore plus sensible :
le rôle du hasard. C'est à lui que le Privatdozent et surtout
l'assistant doivent de parvenir éventuellement un jour à occuper
un poste de professeur titulaire à part entière ou surtout celui
de directeur d'un institut ».
Dans cette optique, comme le mentionnait le
« Mbombok A. », cela
relèverait du truisme de dire que quand on a
« pompé » toutes vos chances de réussite, ce
n'est même pas la peine de rêver à de pareils postes
universitaires. On voit ainsi des personnes pleines de talents stagner, tandis
que d'autres qui le sont moins voire même dénuées de tous
talents, prospèrent à un rythme étonnant.
L'on constate donc avec la technique du
« Dôme-mystique-captateur », le
« sorcier » peut altérer considérablement le
déroulement normal du parcours professionnel de ses voisins. Autrement
dit, en « drainant » mystiquement l'énergie de ses
voisins, grâce à l'action des forces maléfiques
concentrées autour de lui, le « sorcier » peut se
voir décerner des titres et des postes qui devraient, en principe,
revenir à ces derniers. C'est d'ailleurs pourquoi, dans le milieu des
jeunes camerounais en général, on a parfois l'habitude de dire
à des individus qui ont tout pour réussir, mais qui vont
d'échec en échec cuisant « d'aller se laver au
village », c'est-à-dire, de subir un « rituel de
purification du corps » (« Ndjôba
nyuu » en Basaa). Il est, en effet, admit chez les Basaa de
Boumnyebel (et chez d'autres peuples du Cameroun par exemple, les
Bamiléké) que chaque individu possède, dès sa
naissance, un « stock de chance individuelle »121(*). Cette provision de chance
se présente sous la forme d'une aura
(« Mbimba » chez les Basaa) dont le centre de
rayonnement est le front (« Bom »122(*) chez les Basaa et
« Bem » chez les Bamiléké). En
conséquence, selon que votre « Bom » est
bon (vous avez de la chance) ou mauvais (vous êtes dépourvus de
chance), vous connaîtrez la gloire ou la déchéance totale.
Le « rituel de purification » (« aller se laver
au village » selon l'expression des Camerounais), vise donc à
rétablir (ou à renforcer) « l'aura
individuelle », c'est-à-dire, les chances de l'individu qui en
a été privé.
Mentionnons par ailleurs que dans son mode
opératoire, le « Dôme-mystique-captateur »
agit sur l'entourage du « sorcier », comme une sorte
« voile mystique chargée d'énergies
négatives », dont l'action corrosive « macule
l'« étoile du bonheur et de la
réussite », c'est-à-dire, empêche tout individu
compris dans son rayon d'action, d'avoir le « Bom
làm », la bonne fortune, nécessaire à toute
entreprise sociale ou politique » (« Mbombok
A. »). Ce « Dôme occulte
maléfique », pourrait-t-on dire, permet à l'être
malveillant et ambitieux de « faire mystiquement de
l'ombre » aux personnes de son entourage en les souillant de ses
miasmes. En fait, à l'instar d'un tabagisme passif -- où les
poumons de toute personne (non fumeuse) se trouvant à proximité
du fumeur chronique de tabac finissent par être, tôt ou tard,
gravement affectés -- le « Dôme-mystique-captateur
», lorsqu'il s'étend tel un « nuage de souffre
démoniaque », nuit gravement à la santé et
à l'« ascension sociale » des personnes (notamment
celles dépourvues de moyens de protection et défense occultes) se
trouvant dans son champ d'action, puisqu'il semble pouvoir inhiber toutes leurs
capacités d'entreprise.
Eu égard à son mode opératoire,
le « Dôme-mystique-captateur » peut donc être
considéré, mutatis mutandis, comme
l'« équivalent maléfique et destructeur » du
« Kòn ». En effet, contrairement à
la « Défense absolue ancestrale » ou
« Kòn », mentionnée plus haut, qui
-- en tant que le nec plus ultra des « moyens de protection et de
défense occultes » chez les Basaa -- non seulement peut
protéger son « possesseur » de toute
« attaque occulte », mais protège aussi tous ceux
qui sont dans son entourage immédiat ; le
« Dôme-mystique-captateur » quant à lui, non
seulement « vampirise » les possibilités (les
« chances ») des individus autour du
« sorcier », mais peut également les détruire
d'une part, et d'autre part, à long terme, il finit toujours par causer
la perte du « sorcier » lui-même : « Quand
on nuit ou tue autrui, il faut savoir qu'à un moment ou à un
autre, on sera aussi nuit ou tué : c'est le principe même du
« qui tue par l'épée périra par
l'épée ». Quand on sème la mort, il ne faut pas
s'attendre à récolter la vie à long terme »
(« Mbombok A. »).
Si nous convenons que la vie est comme une
« roue » qui tourne sans cesse, permettant ainsi à
chaque individu, à un moment donné, d'avoir son heure de gloire,
sa chance de réussite ; alors, chaque Homme, en fonction des
efforts fournis dans son domaine d'activité, devrait pouvoir
connaître une « ascension sociale » proportionnelle
à ses efforts. Or, comme nous avons essayé de le
démontrer, le procédé du
« Dôme-mystique-captateur » pipe les dés rendant
les efforts de certains individus totalement vains. En effet, tant qu'ils
seront dans son champ d'action, peu importe les efforts qu'ils
s'évertueront à fournir, les voisins du
« sorcier » ne recevront jamais la
rémunération et la reconnaissance professionnelle qu'ils
méritent. Ils auront beau travailler, cela ne modifiera en rien leur
condition sociale de vie. Sauf s'ils renversent (tout aussi mystiquement) le
rapport de force en recourant au Divin à travers les Ancêtres
donc : à la « voie théurgique d'ascension
sociale ».
2. LA « VOIE THÉURGIQUE D'ASCENSION
SOCIALE ».
La « voie
théurgique, éclairée et constructive d'ascension
sociale », se situe aux antipodes de la « voie
goétienne ». Elle est, sur le plan social et sur le plan
politique123(*), la voie
par excellence du « Nouveau Patriote »
(« Mbombok A. »). C'est
une « voie occulte » certes pénible et exigeante,
mais d'une grande noblesse.
La « voie théurgique d'ascension
sociale » exige en fait de l'individu qu'il soit à la place
que ses capacités physiques et spirituelles lui permettent
d'accéder sans tricherie, sans fraude aucune. Elle est une
« orientation constructive de Vie » dans laquelle,
l'individu (le « Nouveau Patriote » du social en
l'occurrence) sait user de « l'éthique de
conviction » (sa foi au Divin) pour éclairer son
« éthique de responsabilité »124(*) (la responsabilité
devant les « Vivants », ses semblables, et devant les
« Morts », ses Ancêtres).
L'analyse que nous avons pu faire à partir des
témoignages obtenus au cours de notre travail, nous a permis de
comprendre que : la « voie théurgique » est une
voie laborieuse, une voie de la patience, du travail bien fait et du
mérite. Elle nécessite de se concilier les forces
bénéfiques, d'avoir accès à la « Force
Suprême » (Dieu) dans la lutte pour le développement
individuel et national, c'est-à-dire, d'apprendre à survivre et
à agir dans le sens du Bien Commun en se servant des « moyens
de protection et de défense occultes » que la terre ancestrale
offre à ses enfants. Comme le souligne le
« Mbombok A. » :
« Dans cette « voie »,
la convoitise est exclue ainsi que la tricherie et le meurtre. Mais
l'émulation -- ce sentiment positif qui pousse les uns et les autres
à se stimuler mutuellement pour progresser ensemble, main dans la main
--, y règne en maître. Puisque ce qui prime ici, c'est la
construction et le développement de la
« Mère-Patrie » ainsi que le bien-être de ceux
qui y vivent ».
Cheminer sur la « voie théurgique
d'ascension sociale », c'est en quelque sorte suivre un code
d'honneur du travail inlassable et d'abnégation à l'instar des
patriotes des années 1948.
Pour le « Mbombok
R. » et la plupart de ses homologues, l'essentiel de la
vie humaine ne réside pas dans la capacité de l'Homme à
accumuler des richesses matérielles en
« massacrant » ses semblables, mais dans
l'« accomplissement du devoir (positif) pour lequel on a
été envoyé sur la terre ancestrale ». Ceci ne
signifie en rien que les convaincus de la « voie théurgique
d'ascension sociale » souhaitent à tout prix vivre dans la
pauvreté ou méprisent tout moyen matériel, loin s'en faut,
mais ils estiment qu'un travail bien fait, quoiqu'il arrive, fini toujours par
être reconnu et rémunéré à sa juste valeur.
Cette conception de l'« ascension sociale par voie
occulte » qui, pour ces personnes, doit passer par le travail
individuel et collectif (avec la bénédiction de Dieu à
travers les Ancêtres), nous rappelle le point de vue d'un des plus grands
philosophes de la Grèce Antique, PLATON, sur la « richesse
excessive »125(*). Selon ce philosophe, tout devait être fait
pour que l'homme ne succombe pas à la « richesse
corruptrice » source de malheur et facteur d'aliénation. Dans
la même optique, le philosophe camerounais, Ébénézer
NJOH-MOUELLÉ (1970), soulignait à juste titre que trop peu
d'avoir ne supprime en rien, il est vrai, la volonté de
thésauriser des biens matériels ; mais l'avoir excessif ne
laisse cependant à l'Homme qu'un seul loisir, celui de veiller sans
cesse et jalousement sur lui. Que faire alors ? La réponse est
simple : il faut se contenter du « pain quotidien »
que nos efforts, avec la bénédiction de l'Être
Suprême (Dieu), nous permettent de gagner. En clair, « manger
à la sueur de son front et non à la sueur du front
d'autrui ».
À l'instar des patriotes d'autrefois, les
« Nouveaux Patriotes » d'aujourd'hui se battent pour leur
propre survie et surtout pour la survie et le développement de la
Communauté nationale. L'originalité de leur démarche (la
« voie occulte » qu'ils se sont choisis), par rapport
à ce qui est dans « l'air du temps »
(détruire l'autre pour prendre sa place ou l'exploiter pour atteindre
ses objectifs : « La loi d'airain du pousse-toi pour que je
m'y mette »126(*)), réside dans leur croyance en leurs
capacités d'une part, et d'autre part, dans leur « foi au
Divin qui sommeille en chaque être humain et n'attend que d'être
réveillé ». C'est « l'éveil
de ce Divin », soulignait le « Mbombok
A. », qui peut permettre à l'être humain
de transformer la « connaissance du Bien et du Mal » qu'il
possède depuis le « péché originel »
en « sagesse du Bien et du Mal », c'est-à-dire, de
comprendre enfin que : « il faut tout faire pour résister
au Mal en se protégeant et en protégeant les plus faibles par
l'entremise de Dieu ; et non pas lui céder quels qu'en soient les
obstacles. D'ailleurs, n'est appelé(e) «
sage » que celui ou celle qui a su opter pour le Bien ».
La « voie théurgique d'ascension
sociale », et c'est important d'insister sur ce point, oblige ceux et
celles qui l'empruntent à respecter la Vie (la notre et celle des
autres) au cours de leur commerce quotidien. En témoignent, en pays
basaa notamment à Boumnyebel, les « techniques de protection
et défense occultes » (mentionnées plus haut) qu'ils
emploient : « Blindage simple », « Blindage
avancé », etc.
Pour illustrer notre propos, prenons deux (2) exemples
d'« ascension sociale » que nous qualifions de
« théurgiques » à savoir : la
carrière professionnelle du « Mbombok
R. » et la carrière musicale du
célèbre chanteur-musicien national et international, WES
MADIKO.
En ce qui concerne l'« ascension sociale
théurgique » du « Mbombok
R. », nous nous réfèrerons au
témoignage qu'il nous fit au cours de l'entretien de Décembre
2008. Selon ses déclarations, sa carrière professionnelle
présente deux (2) périodes cruciales : la première va
de 1980 à 1990 et la seconde va de 1990 à 2003. Pour faire court,
nous pouvons retenir qu'il entre à la SONEL (Société
Nationale d'Électricité du Cameroun), à Douala, vers 1980
en tant que Releveur et à cette époque, il était ce que
les mystiques basaa appellent un « Bolè »
(un ignorant des mystères du monde Invisible). En conséquence, il
était dépourvu de « moyens de protection et de
défense occultes », au même titre que sa femme et ses
enfants. Ceci lui valu d'ailleurs plusieurs malheurs : il fut
frappé par le « Likang » et faillit perdre
son travail, ses deux (2) enfants furent assassinés par l'entremise du
« Kong Babog » et sa femme faillit mourir d'une
« intrusion occulte » (les sorciers avaient mystiquement
inséré des écailles de poissons dans sa gorge ce qui
faillit détruire totalement son système respiratoire. Quant
à seconde période de sa carrière professionnelle, elle
commence effectivement avec son initiation, auprès de son maître
le « Mbombok B. », aux
mystères du « Mbok Basaa » vers 1990. De
1990 (quand il devient lui-même un Mbombok) à 2003 (date
de sa prise de retraite), le « Mbombok
R. » est passé de simple Releveur
à Cadre à la SONEL. Il est sorti miraculeusement vivant, avec une
simple blessure à tête (blessure causée par un coup de
crosse), d'un braquage armé perpétré à l'agence
SONEL de Bonamoussadi, alors que les bandits avaient tiré plusieurs
coups de feu sur lui. En fait, seuls ses vêtements avaient gardé
les stigmates des balles, et à l'hôpital où il fut conduit
ainsi que d'autres membres de la société, les médecins
furent étonnés de voir que tous ses vêtements
étaient troués sans qu'aucune partie de son corps ne soit pour
autant perforée. Pour le « Mbombok R.
» sans aucun doute,
« Hilôlômbi », à travers les
Ancêtres, lui avait accordé sa protection divine. En outre, il a
été honoré de deux (2) médailles du travail et en
attend une troisième. Aujourd'hui, malgré les difficultés,
le « Mbombok R. » vit et fait
vivre sa petite famille. Pour lui, tous ceux et celles qui suivent la
« voie éclairée » ne s'égarent jamais.
L'on n'a donc pas besoin de tuer des gens pour vivre et réussir
socialement.
Nous tirons le second exemple d'« ascension
sociale théurgique » d'une émission de la CRTV
(Cameroon Radio Television) intitulée « Soirée
Spéciale » et rediffusée le 25 Octobre 2008. Lors
de cette émission, le journaliste camerounais, BILLY SHOW, fit un
reportage sur un artiste camerounais connu et apprécié du public
national et international, tant ses chansons font « vibrer le corps
et l'âme de ceux et celles qui les écoutent »
(« Mbombok A. »), le
dénommé : WES MADIKO. Ce que nous avons pu retenir, en
suivant ce reportage, de l'ascension musicale fulgurante de WES MADIKO, c'est
que celle-ci, comme l'indiqua l'artiste lui-même, fut une
« prédiction faite par les Ancêtres à travers la
voix de mon frère avant sa mort ». WES MADIKO confia au
reporter que, entre autres, le « message des
Ancêtres » mentionnait qu'il allait devenir riche et
célèbre et qu'il ferait connaître la « Grande
Culture Camerounaise à travers le monde ». Par ailleurs, le
« message ancestral » mentionnait qu'il « devait
partager la richesse qu'il obtiendrait avec les plus démunis (les jeunes
Camerounais qui constituent l'avenir de notre Patrie) ».
Ce qui nous a frappé chez ce «
nouveau patriote » c'est notamment : l'énergie
vivifiante que ses chansons dégagent (on a l'impression qu'elles
proviennent toutes de l'Au-delà) ; sa grande
simplicité ; son humilité ; son profond respect pour la
Vie (humaine, animale et végétale) ; et surtout sa grande
foi en « la puissance des Ancêtres », qui inspirent
ses chansons et ses actes. « Auprès de mon Baobab, disait-il,
accompagné de mon instrument fétiche, je me mets en communion
avec la nature et les Ancêtres qui la peuplent ». WES MADIKO
nous appert comme un exemple type du « patriote
théurgien » qui a su allier en trouvant le juste
équilibre la « modernité occidentale » et la
« tradition ancestrale » dans la mesure où, vivant
la plupart du temps à l'étranger (aux Etats-Unis notamment), il
n'oublie pas ses « racines africaines et ancestrales » et
vient de temps à autre se ressourcer sur la « Terre des
Ancêtres ». D'ailleurs, il lança dans ce sens, au cours
du reportage, un vibrant message aux Africains de la diaspora en les exhortant
à revenir sur la terre de leurs Ancêtres.
Au vue de tout ce qui précède, nous
pouvons donc affirmer sans prendre trop de risques que la
« voie » (« occulte » en l'occurrence)
qui semble cadrer le mieux, par exemple, avec notre hymne national
(« Paix-Travail-Patrie ») -- où, comme le dit la
chanson, « Nous (les Camerounais) nous combattons pour la Paix et
nous travaillons pour la Patrie » -- est, sur le plan social, la
« voie théurgique d'ascension sociale ». Laquelle
(la seule), permet au « Nouveau Patriote », avec la
bénédiction des « Vivants » et des
« Morts », d'oeuvrer sans relâche pour la
construction et le développement de la Patrie. Ceci dit, une question
doit tout de même être posée ici à savoir :
obtient-on, en fonction des différentes « voies occultes
d'ascension sociale » susvisées, des
« dominations-sociales-occultes » divergentes ? La
réponse à cette question est le propos essentiel du paragraphe
suivant (B).
B. LA « DOMINATION SOCIALE » PAR LE
TRUCHEMENT DES FORCES OCCULTES
Tant il est vrai que « les chats
ne donnent pas naissance à des chiens », nous avons
essayé, dans ce paragraphe, de démontrer qu'il y une
corrélation entre les types de « voies occultes d'ascension
sociale » et les types de « dominations sociales
»127(*) que
nous qualifions donc ici d'« occultes ». En
conséquence, le propos est de démontrer que : les
« dominations-sociales-occultes », c'est-à-dire,
l'emprise (funeste) ou l'attirance (bienfaitrice) que certains individus, par
le biais de l'« Invisible », peuvent exercer sur d'autres,
sont à l'image des « voies occultes d'ascension
sociale ». En effet, à chaque « voie occulte
d'ascension sociale » correspond un type spécifique de
« domination-sociale-occulte ». Dans cette optique, la
« voie goétienne d'ascension sociale » est
intrinsèquement liée à la
« domination-sociale-occulte-négative », tandis qu'a
contrario, la « voie théurgique d'ascension
sociale » débouche inéluctablement sur une
« domination-sociale-occulte-positive ».
Une question mérite d'être posée
d'emblée : qu'entendons-nous concrètement par
« domination-sociale-occulte-négative » et
« domination-sociale-occulte-positive » ? Pour
répondre à cette double interrogation, nous nous sommes
attelés, tour à tour, à l'analyse de ces deux (2) types de
« dominations-sociales-occultes ».
1. LA
« DOMINATION-SOCIALE-OCCULTE-NÉGATIVE »
Concept inspiré des
formes de domination wébériennes (nous y reviendrons en
détails au Chapitre 4), la
« domination-sociale-occulte-négative » est l'une
des deux formes de « dominations-sociales-occultes » que
l'on pourrait observer au Cameroun et à Boumnyebel en particulier. Elle
renvoie précisément, à l'« influence
hégémonique néfaste » (la peur voire la
terreur), sur les corps et sur les esprits, qu'un individu
(« sorcier », « gourou ») ou qu'un
groupe d'individus (sectes ésotériques, églises
« réveillées ») peut exercer sur les membres
de la société ou une partie des membres de la
société.
Pour nous, la
« domination-sociale-occulte-négative » n'est que le
« résultat » de la « voie goétienne
d'ascension sociale ». On se doute bien que lorsqu'un individu
réalise son ascension sociale sur des cadavres et les souffrances
infligées aux autres et ceci par le biais de
l'« Invisible », la
« domination-sociale-occulte », c'est-à-dire,
l'« emprise » qu'il exercera sur la société,
par des « moyens occultes », ne pourra être que
délétère du moins eu égard à la terreur
qu'il suscitera autour de lui. On peut ainsi voir des individus qui
réussissent très vite et finissent même par avoir pignon
sur rue tandis qu'autour d'eux et en même temps, d'autres individus
meurent étrangement par dizaines. Même lorsqu'on ne croit pas aux
forces de l'Invisible, de pareils cas entraînent, tôt ou tard, des
interrogations voire la terreur. Nous pouvons également citer, dans le
même ordre d'idées, la « domination sociale
malsaine » de certaines églises dites
« réveillées » et de certaines sectes
ésotériques solidement implantées dans notre pays.
Aujourd'hui, en effet, on voit un peu partout en
Afrique ou en Occident, fleurir de nouvelles « églises
réveillées » et de nouvelles « loges de
sectes ésotériques » pour ne citer que celles-ci.
Dans le cas, en effet, des « églises
réveillées » qui font fureur dans toutes les
régions du Cameroun (et Boumnyebel ne semble pas en être
épargné), on note de nos jours que la plupart d'entre elles
causent de graves préjudices à la cohésion sociale et au
développement (physique et spirituel) des individus. On peut ainsi voir
des « êtres malfaisants »
(« sorciers ») arborer des vêtements de moine et
prétendre prêcher l'Evangile ou des
« gourous » avides de pouvoirs et de richesses,
entraîner toute une foule de personnes désespérées
et crédules, au mieux vers la ruine et au pire vers une mort certaine.
En témoignent, par exemple dans les pays voisins, les cas innombrables
de « suicides collectifs » où des individus, sous
l'ordre et la « domination maléfique » d'un
« gourou », n'ont pas hésité à se
donner la mort et à entraîner avec eux plusieurs membres de
famille. Lorsque ce genre de drame se produit, disait le
« Mbombok A.», on se demande
toujours « mais, comment un seul individu a pu ainsi berner des
centaines d'autres ? La réponse est souvent à
rechercher du côté des divers processus occultes de contrôle
et de domination physiques et spirituels ». En fait, pour établir
son emprise, sa « domination » sur ses adeptes, le
« gourou-sorcier », dans certains cas peut, à
travers des cérémonies que lui seul connaît le sens,
« posséder » ses fidèles en les
plaçant sous son contrôle à l'aide, bien évidemment,
des forces démoniaques qu'il sert. En exerçant ainsi, par
« voie occulte », un contrôle et une
« domination mystique » sur le psychisme de leurs ouailles,
ces soi-disant « prêcheurs de la bonne nouvelle »
réussissent parfois à isoler un grand nombre de personnes de
leurs familles et de leurs proches en le rendant totalement dépendantes
de la communauté dite des « frères et des soeurs en
christ »128(*). On voit ainsi des personnes, des jeunes gens au
chômage pour la plupart, qui (par cupidité ou par
crédulité)129(*), du jour au lendemain, se transforment en des sortes
de « pantins privés » de volonté et
obéissant au moindre désir du « gourou »
devenu depuis lors, à leurs yeux, non plus le
« serviteur » de Dieu, mais ni plus ni moins qu'un
« dieu » lui-même : à qui l'on doit donc
donner tout ce que l'on possède (jusqu'à son âme) sans rien
garder pour soi si l'on veut être riche et trouver le salut.
Par ailleurs, pour le cas de l'Occident,
Jean-François MAYER (1988 : 18-19), souligne à propos de ces
« églises réveillées » et autres
sectes qu'il nomme globalement « nouveaux mouvements
religieux », que leur développement doit être
situé dans « le contexte plus vaste d'une nouvelle
religiosité, marquée par un éclatement du religieux, un
éloignement du christianisme établi et de fréquents
emprunts à des spiritualités et cultures exotiques ».
Selon J. - F. MAYER, les intellectuels occidentaux qui avaient escompté
la « mort de la religion » en prônant la
laïcité, la rationalité et le
« désenchantement du monde », ont été
surpris de constater que, parmi leurs étudiants les plus brillants,
certains, en quête de spiritualité (et de prestige), avaient
adhéré à des « sectes
ésotériques » considérées comme
dangereuses pour l'individu telles « l'église de la
scientologie » ou encore le « mouvement
raëlien ».
En ce qui concerne justement les « sectes
ésotériques », on note qu'au Cameroun par exemple, leur
influence sur la vie sociale (et politique) n'est plus à
démontrer tant des rumeurs et parfois des aveux (officieux) en
témoignent. On peut par exemple entendre, de façon sporadique,
que l'une des principales conditions à remplir pour avoir accès
à certaines entreprises commerciales de la place serait ni plus ni moins
une adhésion au « Kong »
(« goétie de la richesse »). Les sociétaires
du « Kong » de part leurs immenses richesses, et
donc, de leur puissance économique ont, aujourd'hui, une telle
prégnance (une « domination-sociale-occulte ») qui
« force » le respect et la convoitise de plus d'un. En
fait, la misère et le manque criard d'emplois favorisent de nombreuses
adhésions volontaires de Camerounais(es) à de telles sectes.
Toutefois il appert que -- à l'instar d'autres sectes
ésotériques qui sévissent en Europe (notamment
« l'église de la scientologie ») -- le
« Club des sociétaires du Kong », au sein
duquel, faut-il le rappeler, on compte certains puissants hommes d'affaires et
autres opérateurs économiques, enrôlerait plusieurs de
leurs membres par des « méthodes dolosives ».
Concrètement, il semblerait que de tels membres sont d'abord
appâtés par le gain ou un poste important qu'on leur fait miroiter
au sein de la société concernée et ce n'est que lorsqu'il
n'est plus possible ou périlleux pour eux de s'en retirer qu'on leur
révèle qu'en fait le contrat de travail qu'ils ont eu à
signer n'était en réalité qu'un pacte passé avec le
« Kong » et qu'ils doivent donc payer le prix des
richesses reçues jusque-là, c'est-à-dire, sacrifier un ou
plusieurs membres de leur famille sous peine de mourir eux-mêmes.
Dans cette même optique d'enrichissement rapide
et de « domination-sociale-occulte-négative », il y
a ce que les Camerounais (es) appellent « Le vivre heureux et mourir
jeune » qui n'est qu'une autre forme de
« Kong » consistant à céder une
partie de son « potentiel de vie » (les jours de vie qu'on
est censé posséder durant notre séjour terrestre) en
contrepartie de toutes les richesses et autres avantages matériels qu'on
désire : on vit donc apparemment heureux (se) tout en
écourtant délibérément sa propre vie au profit de
la secte. Cette alternative est aux yeux de certains démunis
préférable : « S'il faut mourir, disent-ils
parfois, quitte à vivre heureux et loin de la
pauvreté ».
Par ailleurs, sur le plan académique, des
rumeurs circulent également sur le fait que l'obtention (rapide) de
certains diplômes universitaires prestigieux ou la nomination à
des postes de responsabilité au sein de certaines institutions de
l'enseignement supérieur, ne serait possible que par l'adhésion
à des « Clubs fermés » dits
« d'intellectuels » qui ne sont en fait que des sectes
ésotériques déguisées. Cette croyance pousse
d'ailleurs certaines jeunes personnes, au mieux à écourter leur
parcours universitaire par crainte d'être enrôlé, et au pire
à rechercher ardemment l'accession à ces sectes.
Dans la même optique, il est également
intéressant de souligner avec P. GESCHIERE (1995 : 9), qu'en
Afrique, dans le domaine footballistique aussi, « tout match de
football s'accompagne de rumeurs selon lesquelles l'équipe qui
reçoit a « blindé » le
terrain de telle sorte que la victoire ne pourra lui
échapper ». Par ailleurs, des équipes de
football en déplacement préfèrent souvent être
hébergées par les missions européennes (héritage
colonial oblige et surtout terreur quant à l'action occulte
néfaste des sorciers), parce que, pensent-ils, la « magie des
Blancs » serait plus puissante et offrirait par conséquent,
« une protection au moins relative contre les attaques occultes des
maîtres sorciers ». Pour le cas du Cameroun notamment, P.
GESCHIERE souligne qu'au début de l'année 1993, la
« Radio Trottoir » de Yaoundé annonça que le
chef de l'État lui-même pour préserver notre équipe
nationale de football (les Lions indomptables), sans doute contre cette
« domination occulte délétère » des
sorciers, avait désigné un « marabout ». Des
exemples de « domination-sociale-occulte-négative »
de ce genre fusent, aucun plan de la vie sociale (et politique) n'est
épargné. Ceci est indubitablement préjudiciable au
développement local et national du Cameroun dans la mesure où
cette « domination occulte malsaine » va même parfois
jusqu'à dissuader certaines élites (du Littoral, du Centre, du
Sud, ou de l'Est) à investir dans leur région : certaines
d'entre elles ont en fait peur de se faire mystiquement
« dévorer » ou « vendre » par
les grands maîtres sorciers. De plus, lorsqu'on admet qu'une telle
« domination occulte » serait également capable de
faire pièce aux projets de développement du gouvernement, il nous
semble opportun de faire preuve de bon sens en lui opposant son alter
ego : la « domination-sociale-occulte-positive ».
2. LA
« DOMINATION-SOCIALE-OCCULTE-POSITIVE »
La
« domination-sociale-occulte-positive » qui se
définit par opposition à la précédente (la
« domination-sociale-occulte-négative »), renvoie
à l'attirance, au respect et à l'espoir qu'un individu ou qu'un
groupe d'individus peut, à travers des « réalisations
constructives » et par le biais de l'« Invisible »,
susciter dans son environnement social. C'est la seule, à nos yeux, qui
soit logiquement capable d'enrayer ou de faire obstacle à la
« domination délétère » des sorciers
et autres membres des sectes les plus pernicieuses du moment. La
« domination-sociale-occulte-positive » se veut, en droite
ligne de la « voie théurgique d'ascension sociale »,
constructive et bienfaisante pour l'individu et pour la Communauté toute
entière. Toutefois, cette « domination
bénéfique » n'est possible et efficiente que si :
premièrement, l'on prend réellement conscience des implications
(plus souvent négatives) des forces de l'Invisible dans la vie sociale
(et politique) en évitant par-là même de se voiler la face
en faisant comme si la sorcellerie ne constituait ni plus ni moins qu'une
« chimère dangereuse »130(*) ; deuxièmement,
l'on garde à l'esprit que « chaque maladie a un remède,
chaque obstacle peut être surmonté soit en le franchissant, soit
en le contournant. Le plus difficile étant de trouver la
« technique » adéquate »
(« Mbombok A. »).
La
« domination-sociale-occulte-positive » suppose donc que
l'individu bienveillant (le « Nouveau Patriote »), ayant
pris conscience de la dangerosité (« occulte » en
l'occurrence) de son environnement social, n'ait pas pour autant baissé
les bras pour se ranger du côté des « plus nuisibles et
mystiquement puissants », mais ait délibérément
et résolument choisi de trouver des « moyens
alternatifs » de mener le combat du développement. C'est dans
ce sens que le « Mbombok R. »
soulignait qu'en association avec les autres « techniques de
protection et de défense occultes »
(déjà étudiées en amont), la technique qui peut
permettre à un individu de dominer positivement son environnement social
(et politique) par le truchement de l'« Invisible » est
appelée chez les Basaa de Boumnyebel
« Kombè ».
Le
« Kombè »131(*) ou « Dominateur », pour
être plus efficace (et nous insistons sur ce point) doit être
impérativement associé aux « techniques occultes de
défense et de survie » mentionnées plus haut. En effet,
il semble évident que pour « dominer » (de
surcroît positivement), pour s'élever au-dessus de la
mêlée (constituée en grande partie d'individus mystiquement
dangereux), il faut être « d'abord » soi-même
hors d'atteinte de toute « attaque occulte ».
Eu égard à son mode opératoire
occulte, le « Dominateur », selon le
« Mbombok R. » peut être
appréhendé comme un « champ de force
rayonnant » qui inhibe non pas les facultés positives des
personnes autour (comme le fait le « Dôme-mystique-captateur
»), mais leur « capacité de nuisance ».
Autrement dit, le « Kombè » agit comme une
sorte de « sédatif occulte » qui vise à
calmer, à « endormir les malveillants », donc
à pacifier l'environnement social. Le « Mbombok
R. » disait que, lorsqu'un individu possédant ce
« Dominateur » arrivait dans un lieu hostile ou
« empreint d'animosité mystique », sa seule
présence était capable d'apaiser, du moins momentanément,
les « esprits les plus belliqueux ». Cette
« domination charismatiquement occulte » (nous y
reviendrons largement dans le quatrième chapitre), est nécessaire
pour qui veut conduire et diriger les hommes qui ne perçoivent pas
toujours l'intérêt général de la
société ou refusent de le percevoir. En fait, il semblerait
que :
« Qu'importe les dissensions, quand
l'individu possédant le « Kombè »
prend la parole et dicte une conduite positive à suivre, cette conduite
est appliquée. De tels individus sont généralement de
grands rassembleurs et des tribuns d'une éloquence remarquable. Leur
forte présence et leur « parole » peuvent
séduire, éclairer et redonner espoir à des personnes qui
avaient perdu toute volonté de sortir d'une
« crise » majeure »
(« Mbombok R. »).
À nos yeux, c'est de ce type d'individus que le
Cameroun et Boumnyebel, dans l'ensemble, ont besoin pour
« casser » l'influence et la « domination occulte
néfaste » des « ennemis de la
Mère-Patrie » ; des individus capables de redonner espoir
à la Communauté, à travers les actions positives qu'ils
posent et l'usage social bénéfique qu'ils font des forces de
l'Invisible. Grâce à leur concours, les gens cesseront
probablement de nier les implications de « l'Invisible » ou
mieux encore de croire que, « l'Invisible » ne peut
être mobilisé que dans le but « d'exploiter »
et de « détruire » autrui.
Tout au long de ce Chapitre, nous avons essayé
d'analyser l'usage qui peut être fait des forces de l'Invisible sur le
plan social. Nous avons souligné à cette occasion que cet usage
restait ambivalent dans la mesure où les forces occultes pouvaient
servir (négativement) d'une part à
« exploiter » et à
« détruire » mystiquement les autres pour
établir une « ascension » et une
« domination » sociales : c'est ce que nous avons
respectivement nommé « voie goétienne d'ascension
sociale » et
« domination-sociale-occulte-négative ». D'autre
part, nous avons aussi souligné que toutefois, à cette
« ascension » et à cette
« domination » occultes néfastes, il faudrait
opposer un autre usage de l'« Invisible », positif cette
fois, que constituent : la « voie théurgique d'ascension
sociale » et la
« domination-sociale-occulte-positive » où il
s'agit, dans la lutter pour le développement, de veiller à sa
survie et d'utiliser ses talents sans faire ombrage ou nuire aux autres
(à l'exception des sorciers).
Dans la suite de notre travail (et nous avons
délibérément choisi de garder le meilleur pour la fin),
nous convenons avec P. GESCHIERE (1995 : 9) que les faits montrent
pertinemment qu'en Afrique en général, et au Cameroun en
particulier, il y a un lien quasi ombilical non seulement entre le
« social » (carrière professionnelle,
carrière académique, sport...) et les forces de l'Invisible, mais
également entre la politique et ces dernières (notamment la
sorcellerie). En effet, à Boumnyebel en l'occurrence, les implications
des forces de l'Invisible, ne se limitent pas seulement à la
sphère sociale (que nous venons d'étudier), mais actuellement,
elles débordent pour se retrouver avec plus d'acuité et
d'envergure dans le champ politique. Nous soulignons donc au Chapitre quatre
(le dernier de notre étude) que quand il s'agit de transformer son
« capital social » en « capital
politique » donc de se lancer dans la vie politique en
« arrachant », pour paraphraser M. WEBER, la
« chance » d'introduire ses doigts dans les rayons de la
roue de l'histoire, le recours à l'« Invisible »
entre, plus que jamais, en ligne de compte.
CHAPITRE IV
LE RECOURS AUX PUISSANCES MYSTIQUES COMME
« VIATIQUE OCCULTE » DE « SUCCÈS
POLITIQUE »
Il y a de cela quelques
décennies aujourd'hui, tout au plus, qu'on avait voulu établir,
au forceps, une stricte scission entre le « Temporel » et
le « Spirituel » ; l'« Église »
et l'État ; le « Traditionnel » et le
« Moderne » ; la Politique et la Religion. Mais, de
nos jours, cette scissiparité est devenue inopérante puisque, les
dirigeants politiques Africains, Européens, Asiatiques, ne cachent plus
vraiment leurs accointances avec certains ordres religieux ou mystiques. Au
Japon par exemple, on a pu à maintes occasions voir l'ex-premier
ministre nippon, KOIZUMI Junichiro, se rendre au sanctuaire
shintoïste132(*) du
« Yasukuni », malgré les
démêlés diplomatiques et les critiques que ses
pèlerinages incessants suscitaient à l'encontre du voisin
chinois. Par ailleurs au Togo voisin, ce que l'on a appelé le
« culte Eyadéma », nous appert comme une parfaite
illustration de cette « imbrication instrumentale » et
hétéroclite du politique et du religieux à des fins
politico-stratégiques de « monopolisation totale du champ
social » (J.-F. BAYART, 1993 : 278). En effet, comme le souligne
J.-F. BAYART (1993 : 277) :
« Le culte Eyadéma procède
d'un syncrétisme remarquable entre des pratiques religieuses
endogènes (vodu, sorcellerie, culte des ancêtres, etc.) et des
apports exogènes (le christianisme et ses prostaglandines : la
franc-maçonnerie et le rosicrucianisme). À force de
manipulations, le pouvoir Eyadéma en est arrivé à se
produire et à se manifester comme une religion, comprise comme
« un instrument de communication et [...] comme un médium
symbolique à la fois structuré [...] et
structurant,... » ».
Le Cameroun (Boumnyebel en l'occurrence), en
matière de relation symbiotique entre le politique et le religieux,
comme nous avons essayé de le démontrer dans ce dernier Chapitre,
ne constitue pas une exception : en témoigne le fait que le
Président Paul BIYA (il ne semble pas être le seul dans ce cas),
soit considéré comme un « très mystique
président » (J.-F. BAYART, 1993 : 307) de surcroît
initié « aux arcanes de la Cabale » (Op. Cit.). En
outre, il est de plus en plus fréquent aujourd'hui de voir à
Boumnyebel par exemple, des acteurs politiques camerounais, participer avec
entrain à certaines cérémonies traditionnelles publiques
ou faire officieusement des pieds et mains pour rencontrer des autorités
« mystico-traditionnelles ». Or à une certaine
époque (au lendemain de l'indépendance notamment), une telle
démarche était généralement frappée
d'anathème, puisque perçue comme relevant d'un passé qu'on
se devait d'abolir. L'époque contemporaine montre à suffisance
que la « politique moderne africaine » (camerounaise
notamment) -- nous entendons par là, celle où les
éléments de la « modernité politique
occidentale » (élections, suffrage universel,
multipartisme...) cohabitent ou essaient, tant bien que mal, de cohabiter avec
ceux de la « traditionalité politique africaine »
(l'onction ancestrale, le recours à l'Invisible dans l'exercice du
pouvoir politique...) -- est étroitement liée voire même
tributaire des religions (religions « importées »,
religions traditionnelles, sectes...). Mieux, comme dans nos
sociétés traditionnelles, cette politique dite
« moderne » semble donc indissociable de l'action des
forces de l'Invisible qui, elles-mêmes en tant qu'« atouts
secrets », tendraient en même temps à la renforcer et
à la consolider. Comment cela est-il devenu possible ?
Succinctement dit, comment les forces de l'Invisible opèrent-elles pour
assurer la « réussite » et la
« domination » dans l'« arène
politique » ? Pour répondre à cette interrogation,
nous sommes volontairement partis du constat selon lequel la
« sphère politique », à l'instar de celle
sociale, n'échappe pas à l'« action » des
forces ésotériques, loin s'en faut. D'ailleurs, ne dit-on pas
çà et là que chaque homme politique (leaders de partis
politiques, membres du gouvernement...) a, quelque part, son
« maître de l'Invisible133(*) qui le conseille et agit dans l'ombre, à
moins d'en être un lui-même » ?
(« Mbombok A. »).
Dans ce dernier Chapitre, nous avons donc
cherché à démontrer que : la politique, le
« pouvoir politique », mieux, leur plus parfaite
incarnation, c'est-à-dire, l'homme politique, l'homme d'État
chargé de veiller aux destinées de la
« Mère-Patrie » se devrait aujourd'hui, non
seulement de détenir le monopole de la « contrainte physique
légitime », mais également et surtout
bénéficier de l'« onction ancestrale » qui
engage sa responsabilité devant les « Vivants » et
devant les « Morts » (« Mbombok
A. »). Eu égard à la tâche immense
qui lui incombe (la gestion harmonieuse de la « Terre
ancestrale »), l'acteur politique à Boumnyebel en
l'occurrence, a plus que jamais et plus qu'aucun autre acteur sociétal,
besoin de ce « viatique occulte » que sont les forces de
l'Invisible. Notre démonstration présente en conséquence,
deux (2) principales articulations. Dans la première, nous tentons de
montrer que sur le plan de la « lutte politique », les
forces occultes peuvent aussi être appréhendées comme
« des mécanismes de survie politique » (I). Dans la
seconde, il s'agit pour nous de démontrer que les forces de l'Invisible
jouent également un rôle majeur dans la
« réussite politique », c'est-à-dire,
l'« ascension » et la « domination »
politiques (II).
I. LES FORCES DE L'INVISIBLE COMME
« INSTRUMENT OCCULTE » DE « SURVIE »
ET DE « LUTTE » POLITIQUES
Il est crucial de comprendre de prime
abord qu'à Boumnyebel, la « survie » (aux multiples
menaces et périls « visibles » et
« invisibles ») et la « lutte »
politiques renvoient (de notre strict point de vue) respectivement à la
« présence » et la
« capacité d'action et de réaction » dans
l'« arène politique », que les forces de l'Invisible
sont censées concéder ou permettre à l'Homme politique. En
outre, il convient de garder en mémoire que Lorsqu'il s'agit de
« politique », les croyances aux forces de l'Invisible
s'expriment, plus spécifiquement, par des rumeurs et des allusions. Rien
d'étonnant à cela puisque, les accusations directes ou les
confessions ouvertes (encore moins) sont rares et difficiles à obtenir
puisque, chacun cherche des « moyens » de se dissimuler
tout en gagnant en « puissance ». Qu'à cela ne
tienne, cette difficulté, à notre sens, ne doit pas enrayer la
recherche, mais plutôt la stimuler, puisque, l'on ne cache, le plus
souvent, que ce qui « existe » et surtout constitue un
facteur de « gêne » (notamment la sorcellerie).
Par ailleurs, nous savons que par définition,
les « forces occultes » se cachent et se font
insaisissables. Mais cela ne devrait pas pour autant nous pousser à
conclure trop hâtivement à leur
« inexistence », à considérer tout de go
qu'elles ne sont que des superstitions. Avec Éric de ROSNY (1992 :
112-113)134(*), nous
pouvons d'ailleurs, souligner que des êtres malfaisants, des
« sorciers », existent même en politique et surtout
en politique. Il convient donc de prendre également au sérieux
l'utilisation funeste des forces de l'Invisible dans le domaine politique. Ceci
tombe sous le sens si nous admettons avec Max WEBER (1963 : 125) que la
« politique » est « l'ensemble des efforts que
l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition
du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à
l'intérieur d'un même État ». Pour aller dans le
sens du « maître » WEBER, nous dirons pour notre part
qu'aujourd'hui plus qu'hier, la « politique moderne
camerounaise », à travers l'exemple de la localité de
Boumnyebel, semble se présenter comme l'ensemble des efforts visibles et
invisibles ; naturels et surnaturels que les hommes et les femmes
politiques font afin de « survivre » dans un environnement
sociopolitique empreint de morbidité et de destruction d'une part (A),
et d'autre part, afin de « lutter » pour avoir
l'opportunité de participer au pouvoir ou d'influencer la
répartition du pouvoir au sein du triangle national (B).
A. LES FORCES ÉSOTÉRIQUES ET LA
« SURVIE POLITIQUE »
L'analyse de la
« présence » de l'acteur politique (sa
« survie politique ») dans une scène politique
où la mortalité est anormalement surélevée, exige
de prendre en compte un certain nombre de considérations.
Premièrement, nous devons garder à l'esprit que les acteurs
politiques à l'instar des acteurs sociaux mentionnés au Chapitre
précédent, sont soumis aux mêmes « dangers
occultes » à la seule nuance que ces derniers semblent
être outrancièrement amplifiés dans
l'« arène politique ». Deuxièmement, cette
amplification des « dangers occultes » semble
découler d'une part, de l'étroitesse de l'« aire du
combat politique » par rapport au champ social, puisqu'il y a
beaucoup d'acteurs politiques ambitieux, mais peu d'espace à occuper,
peu de postes politiques à pourvoir ; d'autre part, elle est
liée aux possibilités (et aux risques énormes) que la
« vocation politique » offre aux acteurs notamment en
matière de « gestion » de la Patrie au plus haut
niveau de l'État (celui du pouvoir politique). Nous conviendrons donc
avec P. GESCHIERE (1995 : 14) que « dans une telle optique, il
est clair qu'une prise en compte de la sorcellerie devient inévitable.
Presque partout en Afrique, le discours sur le pouvoir continue d'être
marqué par des références multiples et directes à
celle-ci -- ou aux « forces
occultes »,... ». Parfois, l'association entre
« pouvoir politique » et « forces de
l'Invisible » paraît davantage se renforcer que s'affaiblir.
Dans un environnement où le politique s'est transformé en
« nécro pouvoir », en pouvoir dont le but
principal est de détruire, de ruiner et de corrompre ; tout homme et
toute femme politiques véritables qui nourriraient le désir
ardent de défendre et de développer la Patrie, se devraient de
prendre conscience des dangers que véhicule la
« goétie ».
En fait, la scène politique étant
simplement un pan du champ social et étroitement imbriquée
à lui, les « techniques d'attaque et d'assassinat
invisibles » (« cannibalisme mystique » etc.)
ainsi que les « techniques occultes de protection et de
survie » (« Défense
Absolue Ancestrale » ou
« Kòn »...) opèrent dans ces deux
(2) espaces avec une intensité variable. Sans revenir en détails
sur les « techniques goétiennes » et
« théurgiques » déjà
étudiées au Chapitre précédent, nous avons
essayé, ici, d'illustrer notre propos en nous servant d'autres exemples
de « procédés occultes maléfiques » et
« bénéfiques » qui, respectivement, rendent
très hostile la scène politique (en menaçant l'existence
de l'acteur politique) et, tentent toutefois d'équilibrer la
« balance des forces » en préservant cette
« survie politique ».
Dans un premier mouvement, nous avons donc fait
mention des « procédés occultes
maléfiques » et dans un second mouvement, nous nous sommes
efforcés d'analyser leurs « pendants
bénéfiques ».
1. LES « PROCÉDÉS OCCULTES
MALÉFIQUES » DE L'« ARÈNE
POLITIQUE »
L'attrait
immodéré du pouvoir conduit parfois à Boumnyebel
notamment, certains dirigeants politiques désireux de se
« débarrasser » coûte que coûte de leurs
« ennemis politiques » (ou de toute personne
considérée comme tel), à recourir aux
« pratiques occultes des plus diaboliques ». Dans ce petit
paragraphe, nous allons essayer d'en analyser quelques unes des plus
prisées à savoir : la « goétie
d'empoisonnements », la « goétie des
talents » et la « goétie de
manipulation ».
1.1 LA « GOÉTIE
D'EMPOISONNEMENTS » OU
« BONG »
Dans la société
traditionnelle basaa, il convient de se le rappeler, à partir du moment
où l'on met son « intelligence » et ses
« connaissances » au service du mal (pour nuire à
autrui), on est appelé « sorcier » ou
« sorcière » même si notre capacité de
nuisance ne repose pas ipso facto sur la « manipulation de
l'Invisible » (sur l'ultime appel au Prince des
Ténèbres). C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons
considéré ici, les « attaques aux poisons »
(« ordinaires » et « mystiques ») comme
des « goéties ».
La « goétie
d'empoisonnements » (« Bong » en Basaa)
consiste à réduire au silence en la « détruisant
de l'intérieur », toute personne considérée
comme un ennemi politique. Cette « pratique
maléfique » présente, toutefois, deux (2) formes
notables : l'une « ordinaire » et l'autre
« mystique ».
S'agissant de la « goétie
d'empoisonnement ordinaire », elle consiste à verser
furtivement dans la boisson ou dans la nourriture de l'ennemi
désigné en l'occurrence l'acteur politique, une substance ou une
poudre issue de restes humains ou provenant de plantes ou de tous autres
produits hautement toxiques et létaux. L'ingestion d'un tel produit peut
entraîner chez l'individu une « mort quasi
instantanée » (« poison rapide ») ou une
« mort lente et douloureuse » (« poison
lent »). Le poison dit « lent », par rapport
à son homologue le « poison rapide », a ceci de
particulier qu'il détruit très progressivement les organes
internes de l'individu (estomac, foie, rate, coeur...) ; la mort ne
survenant parfois que plusieurs années plus tard après
l'empoisonnement : « Ceci permet de brouiller les pistes dans la
mesure où par « voie normale » (sans divination ou
« Ngambi »), il est pratiquement impossible de
remonter jusqu'à l'auteur du forfait »
(« Mbombok A. »). Dans une
perspective plus générale on peut se référer
à « l'assassinat au thallium » du nationaliste
camerounais, MOUMIÉ (A. EYINGA, 1991 : 128-129).
La « goétie
d'empoisonnement mystique », quant à elle présente un
mode opératoire d'une redoutable efficacité puisqu'il semblerait
que personne n'en soit complètement à l'abri. La
« goétie d'empoisonnement mystique » se pratique
soit le « Jour » soit la « Nuit ».
Le « Jour », à l'aide d'un
insecte (abeille, mouche...)135(*), d'une petite bourrasque (provoquée
mystiquement) ou encore par « transmutation mystique »
(« Mbombok A. »), le sorcier peut
empoisonner sa victime à son insu. Aux dires du
« Mbombok R. », la
« goétie d'empoisonnement mystique » a
déjà fait des ravages à Boumnyebel et dans d'autres
localités du Groupe basaa. Nous pouvons par exemple citer le cas d'un
« Notable basaa » habitant aux
confins des forêts de Boumnyebel. Selon le
« Mbombok R. », ce notable avait
été empoisonné par « transmutation
mystique » à l'aide d'une sorte de cola appelée
« mbida-cola ». En fait, un membre de sa famille
(une sorcière spécialisée dans ce type de pratique), lui
avait offert ce petit apéritif traditionnel, le fameux
« mbida-cola » qui n'était en
réalité qu'« un morceau de la chair humaine
transmuté mystiquement en mbida-cola, c'est-à-dire,
présentant l'apparence de cet apéritif
traditionnel » (« Mbombok
R. »). Le pauvre
« Notable », saisi d'une toux
sévère et aiguë (qui détériora progressivement
ses poumons), mourut peu de temps plus tard.
La « Nuit », pendant son sommeil
(quand il rêve), l'« individu-cible » peut
également être empoisonné : il s'agit dans ce cas
d'espèce de ce que l'on nomme le « poison de nuit »
(« Bong Djú ») dont la capacité de
destruction est redoutée dans la mesure où l'action se
déroule au « niveau subtil » (le poison est
introduit dans le « corps astral » de la victime par le
biais d'un « repas de nuit »). Le
« Mbombok B. » a eu à
s'occuper d'un tel cas. Il s'agissait en fait d'un acteur politique de la place
qui avait fait un rêve dans lequel, un membre de sa formation politique
(de surcroît un ami) lui servit un repas copieux. À son
réveil, il constata que son ventre était non seulement
ballonné, mais surtout que de violents maux de ventre le faisait
atrocement souffrir. Selon le « Mbombok
B. », les plats que ce monsieur avait consommés
dans son sommeil, avaient été tous « mystiquement
empoisonnés », non pas par cet ami, mais par un sorcier qui
avait pris l'apparence de ce dernier pour endormir la méfiance du
monsieur d'une part et d'autre part, pour semer la discorde entre eux.
En somme, la « goétie
d'empoisonnements » (« ordinaire » et
« mystique »), quand elle n'entraîne pas la mort de
l'acteur politique (ce qui en soi constitue déjà un miracle
divin), laisse généralement des séquelles graves au niveau
des organes internes : « On ne s'en remet presque jamais
totalement » (« Mbombok
A. »).
1.2 LA « GOÉTIE DES
TALENTS »136(*)
La
« goétie des talents » est une autre variante du
« Kong » où il s'agit
précisément de « capter » mystiquement les
« talents », c'est-à-dire, les dons naturels d'une
personne : l'intelligence, l'ingéniosité, la
créativité, l'inventivité, le dynamisme...Les acteurs
politiques qui subissent une telle « ponction cérébrale
et mentale mystique »137(*) deviennent à coup sûr des inaptes, des
handicapés mentaux, insusceptibles d'assumer leur fonction politique.
L'on pourrait donc du jour au lendemain, voir un individu brillant
jusque-là, devenir subitement une sorte de « momie
vivante », de « légume », totalement
à l'opposé de ce qu'il fît et fût dans un
passé récent. Peuvent en témoigner par exemple les
tribulations d'un « Jeune
militant », dont le dynamisme politique et
l'intelligence ont, paraît-il, suscité la convoitise et la
jalousie d'une tante enrôlée dans une secte. Cette tante, semble
t-il, voulait « s'approprier les talents de son neveu (qui aurait
sombré à coup sûr dans la folie) pour assurer sa propre
ascension politique » (« Mbombok
A. »). Il semblerait que les
« talents » ainsi « extraits », soient
mystiquement transmis aux membres de la « confrérie
maléfique » (confréries de sorciers, sectes
diaboliques...) ou à la progéniture du sorcier (ou
sorcière) et servent à accomplir d'autres desseins ainsi
qu'à asseoir leur domination sur les « ennemis (les non
adhérents) de ces ordres funestes et maléfiques »
(« Mbombok A. »). Cette
« pratique occulte » appert donc également comme un
moyen efficace d'éliminer subrepticement des « ennemis
politiques » tout en bénéficiant de leurs attributs
sui generis.
1.3 LA « GOÉTIE DE
MANIPULATION »
Nous avons vu
dans le cadre du « Kong Babog » au Chapitre 3, que
le sorcier ou la sorcière pouvait se servir d'un
« fantôme » pour assassiner ceux et celles
qu'il considère comme des ennemis. Cette pratique lui permettait de
bénéficier d'une grande furtivité même à
l'égard de ceux qui ont « quatre yeux ». La
« goétie de manipulation » est assez proche de ce
« procédé maléfique » sauf qu'ici, il
ne s'agit pas de se servir d'un « fantôme »
ou de tout autre esprit démoniaque, mais notamment d'une
« personne vivante ». Le « Mbombok
A. » disait à ce propos au cours de l'entretien
de Septembre 2008, que l'expression « On l'a armé d'une
machette », renvoie à cette forme d'assassinat occulte
où :
« Le ou les sorciers décident
d'éliminer une personne, en l'occurrence à la machette, en se
servant d'un quidam (ou d'une personne proche de la victime) qui
exécutera, tel un zombie, l'ordre sans toutefois se rendre compte
à ce moment précis de l'ampleur de son acte. Il s'agit en fait
ici d'un procédé rodé de contrôle mentale et
psychosomatique où l'individu (corps et esprit) auteur de l'acte n'est
qu'un simple instrument de mort dans les mains des véritables
commanditaires de l'homicide qui eux, restent tapis dans l'ombre ».
Comme exemple pouvant illustrant ce type
« manipulation maléfique », nous pouvons citer
l'assassinat d'un autre « Notable
basaa » qui, avec la « complicité
mystique » de certains autres acteurs politiques locaux,
« fut décapiter avec sa propre machette par un individu,
certes violent de nature, mais manipulé mystiquement »
(« Mbombok R. »). Une fois de
plus, il semblerait que ce soit par convoitise et par jalousie que ses propres
frères orchestrèrent son assassinat : « Ce notable
avec la réputation de posséder des dons de voyances
prodigieux » (« Mbombok
R. »).
Par ailleurs, il convient de mentionner que parfois,
c'est un objet appartenant à la victime (une voiture par exemple) qui
est ensorcelé. Semblent en témoigner de nos jours, des accidents
de voitures spectaculaires sanglants et meurtriers
« inexpliqués » que l'on déplore
çà et là.
Cependant, cette létalité de la
scène politique est tant bien que mal pallier par des
« procédés de survie » non moins
« occultes ».
2. LES « PROCÉDÉS
ÉSOTÉRIQUES » DE « SURVIE »
DANS
L'« ARÈNE
POLITIQUE »
Pour survivre dans cette
« arène politique » les choix entre acteurs
politiques divergent : les uns s'allient les services de
« sorciers », les autres de
« Mbombok » ou, de façon
générique, de « théurgiens » (ceux qui
cherchent à se concilier les forces occultes bénéfiques,
Dieu) et d'autres encore n'hésitent pas à payer des sommes
colossales pour adhérer à des loges ésotériques.
2.1 LA « SURVIE » PAR LE BIAIS DES
« MAÎTRES SORCIERS »
La « règle »
qui semble primer ici, est des plus simples : « Tuer avant
d'être tué ; être le chasseur pour ne pas être la
proie. Bref, faire mourir autrui pour vivre »
(« Mbombok A. »). C'est cet
état d'« esprits meurtriers » qui semble d'ailleurs
justifier, comme nous l'avons souligné plus haut, l'énorme
létalité de cette scène politique exiguë
où : même si les urnes nous ont été par exemple
favorables, un quidam malveillant, peut toujours, par le biais de la
sorcellerie ruiner cet atout du choix démocratique qu'est
l'élection. De même par convoitise, il peut le faire soit en
éliminant physiquement ses ennemis (le cas des deux notables basaa
tués cités plus haut), soit en essayant de les vider de leurs
talents (cas du jeune militant), soit encore en « assassinant
mystiquement » un membre de la famille de l'ennemi pour dissuader ce
dernier de faire la politique (le cas d'un homme politique très actif
à Boumnyebel qui, après avoir perdu un de ses descendants, a du
se protéger lui-même grâce à l'appui des Ba
Mbombok pour ne pas abandonner sa carrière politique). Dans la
même perspective, nous pouvons également citer :
« [...] les mésaventures du
président Soglo au Bénin, un des rares à avoir
été élu démocratiquement et qui a failli ne pas
assister à sa propre intronisation à cause du çakatu et
qui, par la suite, a essayé en vain de consolider sa position par le
biais des prêtres vodun... » (P. GESCHIERE, 1996 : 82).
En effet, en 1991, le nouveau président
Nicéphore SOGLO a failli ne pas assister à sa prestation de
serment, parce que, dit-on, il aurait été
« ensorcelé » par ses adversaires politiques.
Des exemples de ce type peuvent être
notés (officieusement) un peu partout au Cameroun.
2.2 LA « SURVIE » PAR LE
TRUCHEMENT DES « MBOMBOK » OU
« THÉURGIENS »
Ici, on peut s'en douter, il s'agit de
« Vivre et de faire vivre »
(« Mbombok A. »). Ceci
n'étant possible que si l'on est soi-même à l'abri d'une
éventuelle destruction ; que si l'on réussit soi-même
à préserver sa propre vie dans cet espace de combats sanglants et
violents. Par conséquent, ce second choix nécessite l'emploi de
« techniques occultes de survie et de protection »
disponibles tant sur le plan social que sur le strict plan politique. Ces
« procédés bénéfiques »
(indissociables de la « foi aux Ancêtres, au
Divin »), permettent donc aux prêtres (traditionnels et
occidentaux) « [...] de défendre les hommes contre les
sorciers et d'assurer leur santé, mise en péril par ces
derniers » (S. MAPPA, 1998 : 122).
Comme exemple de personnes ayant opté à
Boumnyebel pour les « Ba Mbombok » et autres
théurgiens afin d'assurer leur « survie » dans
l'« arène politique », nous pouvons citer
l'« Ambassadeur
camerounais » (qui consulte de temps à autre le
« Mbombok R. ») ou encore le
« Jeune militant »
mentionné plus haut qui a échappé à la folie
grâce au concours du « Mbombok
R. ». En outre, nous pouvons également
mentionner le cas du Sous-préfet M. NDONGO L., qui, en fervent
chrétien, sollicite de temps en temps les prêtres catholiques
ainsi que les Ba Mbombok (quand cela s'avère
nécessaire).
2.3 LA « SURVIE » PAR L'ENTREMISE
DES « SECTES ÉSOTÉRIQUES »
Aujourd'hui, il est admis que le
développement des « pouvoirs paranormaux » (J. PAGE,
1988 : 13) ou « occultes » semble être l'un des
objectifs des puissantes sectes telles que la franc-maçonnerie et la
rose-croix. J. PAGE, franc-maçon lui-même, écrit que
l'homme est en quête perpétuelle, depuis la chute d'Adam, du
« pouvoir magique » que Dieu lui avait confié sur
toute la création, c'est-à-dire, « le nom secret, le
nom caché, essentiel d'une chose [...] offre donc le pouvoir de
commander cette chose ». Dans l'« arène
politique », cette quête par le biais des Loges sectaires,
semble d'ailleurs criarde. En effet, l'incertitude quotidienne, la
précarité qui règne sur la scène politique, le
souci légitime et quasi-obsessionnel de « survivre »
(de « lutter », de « dominer ») et de
se prémunir à tout prix contre des « attaques
occultes » adverses, conduisent, semble t-il, certains acteurs
politiques à dépenser (au mieux) des sommes faramineuses afin
d'assurer leur initiation au sein de ces grandes sectes et d'évoluer
rapidement. C'est ainsi que certains d'entre eux se livrent sans vergogne au
pillage de notre rente pétrolière « pour des
opérations occultes ou [...] ésotériques,
sectaires...» (M. KOUNOU, 2006 : 117). Par ailleurs (au pire), nous
pouvons évoquer le cas mentionné plus haut, de la
« Tante jalouse » des talents de
son neveu (le « Jeune militant »
en l'occurrence) et qui a failli causer la folie de ce dernier. Mention doit
aussi être fait des meurtres rituels qui seraient liés aux
rosicruciens, proches du régime Biya (P. GESCHIERE, 1996 : 82).
Nous pensons aussi à l'influence actuellement considérable de
certaines sectes protestantes (d'influence nord-américaine ou plus
autochtones) non seulement à l'échelon local (comme à
Boumnyebel), mais dans la vie politique camerounaise au niveau le plus
élevé (P. CHABAL et J.-P. DALOZ, 1999 : 91). Par ailleurs,
pour certains observateurs et média notamment Jeune Afrique (30
Juillet - 5 Août 1992), ce serait le retour du multipartisme au
Cameroun (avec environ 200 partis politiques) qui entraînerait une
incertitude croissante et donc de plus en plus « un recours à
l'Invisible » dans l'« arène politique ».
Toutefois, ce recours aux forces occultes en politique
ne semble pas se limiter uniquement à la
« survie », mais interviendrait aussi lorsqu'il
s'agit de « tenir la lutte politique au niveau où elle se
mène et où les enjeux en terme de développement
harmonieux, en terme de préservation de la Terre ancestrale se
perçoivent le mieux : l'Invisible »
(« Mbombok A. »).
B. LES FORCES DE L'INVISIBLE DANS LA « LUTTE
POLITIQUE »
Faire de la politique à
notre sens, nécessite non seulement de « survivre »
(d'être « présent » dans
l'« arène politique »), mais aussi et surtout de
posséder d'une part, une « capacité
d'action » suffisante pour atteindre les buts politiques que l'on
s'est fixés (enrichissement et gloire personnels ou amélioration
des conditions de vie des gouvernés) ; d'autre part, une
« habilité et une vision réactives »
optimales pour se défendre et résister (parfois de manière
préventive) aux « forces » adverses.
Dans ce second paragraphe (B), nous avons
essayé d'analyser tour à tour ces deux (2)
« aspects » de la « lutte »
politique.
1. L'« ASPECT ACTIF » DE LA
« LUTTE POLITIQUE »
Nous rejoignons ici l'idée
déjà émise par MALINOWSKI (1954 : 24) selon laquelle
il existe un lien étroit entre la « magie » et
l'« action », en l'occurrence, le pragmatisme politique.
Dans cette optique, nous pouvons convenir avec M. ROWLANDS et J.P. WARNIER
(1988 : 118-132) que l'impact des forces de l'Invisible sur la pratique
politique nationale au Cameroun, est devenu plus manifeste au cours des
dernières décennies. En effet, en 1960, à l'époque
de l'indépendance, il n'était pas monnaie courante d'entendre ou
de parler des forces occultes dans la vie publique ; ceci constituait un
secret réservé aux seuls « initiés »,
aux membres du sérail. Mais à partir des années 1970 et
encore davantage aujourd'hui, c'est devenu une lapalissade d'affirmer que la
plupart des hommes politiques emploient les ressources de l'Invisible dans leur
lutte pour la conquête, l'exercice et la préservation du pouvoir
politique. Par conséquent, il semble désormais, de plus en plus
difficile de ne pas se préoccuper de cet état de fait d'autant
plus que les forces de l'Invisible offrent des « moyens
secrets » de s'approprier le pouvoir politique.
Toutefois, il est indispensable de garder en
mémoire que, le lien entre les forces de l'Invisible et l'action
politique à Boumnyebel en particulier, au Cameroun
général, n'est pas facile à établir : c'est un
lien volatile et contradictoire. En effet :
« Le rapport entre sorcellerie et action est
riche de paradoxes. D'une part, le caractère sournois de la sorcellerie
sert à dissimuler les acteurs. Celle-ci semble cacher les personnages et
leurs actions derrière des voiles de rumeurs et de mystère. Elle
se pratique par définition en cachette, [...], et, par
conséquent, il est souvent impossible de savoir exactement qui a fait
quoi [...] Il s'agit donc de représentations qui portent l'accent sur
l'action humaine, mais soustraient à la fois les acteurs et leurs actes
à l'observation » (P. GESCHIERE, 1995 : 31-32).
Ce qui nous semble convenable de déplorer au
sujet de la « dimension active » de cette
« lutte politique », c'est qu'au lieu de permettre une
amélioration des conditions de vie des gouvernés (tant sur le
plan local que sur celui national), celle-ci se mène
généralement et paradoxalement au détriment du reste de la
population des « non initiés ». En fait, le recours
à l'Invisible dans la pratique politique moderne, camerounaise en
l'occurrence, semble davantage doter les « professionnels de la
politique », c'est-à-dire, ceux qui ont fait de la politique
leur profession, de « moyens nouveaux et subtils » de
s'accaparer « discrètement » le pouvoir politique
pour leur seul profit ou encore au profit du groupe auquel ils appartiennent
(notamment les réseaux...). En conséquence, le devenir des
« autres », c'est-à-dire, ceux qui ne sont pas du
groupe (les opposants) importe peu puisque : « Ceux qui ne sont
pas comme nous (les non initiés), ceux qui ne sont pas avec nous (les
anti-sorciers), sont ipso facto à la marge et contre nous ; et en
tant que proies et ennemis, ils n'ont pas droit à la vie »
(« Mbombok A. »). Cette
conception funeste de l'« action » du « pouvoir
politico-mystique », ce
« nécropouvoir » au sens de A. MBEMBE,
semble étayer, entre autres : « Les multiples accidents
sanglants (notamment de circulation et en fin d'année) provoqués
mystiquement afin d'offrir en holocauste des vies humaines aux puissances
démoniaques » (« Mbombok
A. »). Il appert en effet que la « puissance
mystique » dont sont dotés certains acteurs politiques
camerounais en général, soit proportionnelle au nombre de
sacrifices humains qu'ils font à leurs « démons
gardiens ». C'est le « sang » qu'ils consentent
à verser au nom des forces obscures, qui semble leur fournir la
« puissance maléfique » nécessaire pour
rester « présents » et « agir »
le plus longtemps possible dans l'« arène
politique ». Par conséquent, nous pouvons affirmer avec le
« Mbombok A. »
que :
« Les politiciens actuels, dans leur grande
majorité, ne luttent pas dans le sens de la construction de notre pays.
C'est ce qui, notamment, explique pourquoi une grande frange de la population
se désintéresse de la politique locale (et nationale) et
n'accorde le plus souvent aucun crédit aux partis politiques qui
prétendent apporter le « changement » en luttant
contre l'immobilisme du pouvoir en place. Mais ce que l'on note le plus souvent
c'est que, dans l'ensemble, les groupements politiques se comportent uniquement
comme des instruments d'accession au pouvoir et ne se posent que rarement comme
de véritables instruments politiques dotés d'un projet de
changement et des moyens pour le réaliser ».
En fait, même l'« action »
des membres des partis dits de « l'opposition » par
exemple, ne semble pas être probante puisqu'ils se contentent
généralement de se « poser en s'opposant au lieu de
s'opposer en proposant » (« Mbombok
A. »). Dans un tel contexte de faux semblants, la
pratique politique (qu'elle soit à l'échelle locale comme
à Boumnyebel ou même nationale) de même que la
« lutte politique » (qu'elle soit
« visible » ou « invisible ») restent
pour l'essentiel, conflictuelles, prédatrices et éminemment
destructrices. En conséquence, l'« action
politique » sera soit dirigée contre ceux qui
détiennent les leviers du pouvoir politique (afin de prendre uniquement
leur place), soit orientée contre les autres acteurs politiques des
groupements politiques adverses ou appartenant au même parti. Il appert
donc que tant que cette passion immodérée pour le pouvoir n'est
pas mise à distance et reconnue à Boumnyebel en particulier et au
Cameroun en général, et que celui-ci (le pouvoir) n'est pas
problématisé, il est improbable que des processus d'unification,
de pacification et de construction d'un État souverain véritable
soient mis en oeuvre (S. MAPPA, 1998 : 198).
2. L'« ASPECT RÉACTIF » DE
LA « LUTTE POLITIQUE »
La « dimension
réactive » de la « lutte politique »
semble nécessiter soit d'« attaquer furgitivement »
les « ennemis » politiques (« représailles
goétiennes » notamment), soit de trouver des
« parades subtiles » aux multiples « assauts
occultes » des « adversaires » politiques dont
s'expose tout acteur de l'« arène politique ».
Sans toutefois revenir sur les « attaques
occultes » déjà étudiées
précédemment, prenons deux (2) exemples de
« parades occultes » très prisées en
politique pour essayer d'illustrer l'« aspect
réactif » de la « lutte politique ». Le
premier, portant sur les « parades occultes aux
empoisonnements », nous a été suggéré en
écoutant l'« Ambassadeur
camerounais » rencontré en compagnie du
« Mbombok R. ». Le second est
relatif aux « informations sur l'avenir » --
possibilité non négligeable d'empêcher un mal
prévisible donc d'amplifier la capacité de
« réaction » -- que la « connaissance
occulte » peut permettre d'acquérir.
À propos des « parades mystiques aux
empoisonnements », l'«Ambassadeur
camerounais » en s'adressant au
« Mbombok R. » dit ceci :
« Je souhaiterais vraiment que lorsque je saisis un verre
empoisonné par exemple, que celui-ci éclate
instantanément ». Le « Mbombok
R. » souligna qu'une telle capacité de
« réaction mystique », un tel pouvoir de
« détection occulte des poisons » ne pouvait
s'acquérir que lorsque l'on s'initiait notamment au
Ngué138(*) dont la spécialité est justement de
« traiter les affections consécutives aux
empoisonnements ». Dans la même optique, le
« Mbombok A. » soulignait :
« Certains grands chefs traditionnels ont le
plus souvent l'habitude, pour éviter des empoisonnements lors des
banquets ou des collations publiques, de poser une main sur la table où
sont posés les plats. Ce geste tactile leur permet de savoir si les
plats ou l'un des plats est empoisonné. Le cas échéant, la
table se met à trembler et les plats se renversent ».
Ce qui nous paraît essentiel de retenir ici,
c'est que les « parades occultes aux empoisonnements », tel
que l'illustrent les deux (2) cas ci-dessus, peuvent permettre à
l'acteur politique de « réagir mystiquement » en
évitant de se faire empoisonner et de permettre à ceux de son
entourage (les « faibles » ou
« Bolè » en Basaa) d'en être
également épargné.
S'agissant de la « réaction
politique » à partir des « informations sur
l'avenir », il semblerait qu'à Boumnyebel en l'occurrence,
elles puissent s'obtenir par des « procédés
divinatoires » ou « Ngambi » (la
« divination par le biais l'araignée
sacrée »). Le « Mbombok
A. » soulignait opportunément que :
« En politique, l'information la plus
précieuse que l'on puisse convoiter et détenir est celle qui
porte sur l'avenir, sur les évènements dont la
« matérialité » ne s'opèrera que dans
le futur. Pour le « visionnaire »,
l'« anticipation habile » (la réaction
préventive) est donc un atout majeur et indispensable pour avoir,
parfois, une longueur d'avance sur ses adversaires ainsi que ses ennemis
éventuels. Connaître à l'avance les actions ennemies est un
privilège que la manipulation de l'Invisible peut concéder aux
acteurs politiques ».
D'ailleurs, l'on peut noter que certains acteurs
politiques camerounais en général et mêmes occidentaux,
n'hésitent pas à subordonner leurs actions politiques aux
consultations, conseils et autres observations obtenues auprès des
« devins ». Au XIXeme Siècle, par
exemple, cartomanciennes et voyantes ont proliféré à
Paris, et Napoléon était, paraît-il, un de leurs assidus
clients (J. PALOU, 2002 : 111). Nous pouvons également souligner
les cas de l'ex-président américain Ronald Wilson REAGAN
(1981-1989) et de l'ancien chef du gouvernement indien Indira GANDHI (1966-1977
et 1980-1984), qui consultaient régulièrement un astrologue (P.
CHABAL et J.-P. DALOZ, 1999 : 85). Nous savons par ailleurs aujourd'hui
que, pour les Basaa de Boumnyebel notamment, en consultant un
« Mut Ngambi » (devin traditionnel), on peut
s'enquérir sur l'avenir et « réagir »
à l'avance contre les périls auxquels tout « acteur
politique véritable »139(*) s'expose en menant la « lutte »
dans l'« arène politique ».
Les forces de l'Invisible, comme sur le plan social,
semblent également permettre aux acteurs politiques de
« réussir politiquement », c'est-à-dire,
de « gravir » les différents échelons de la
scène politique et de « dominer ». C'est le propos
de la dernière articulation (II) de cette étude.
II. LES FORCES OCCULTES COMME « INSTRUMENT
D'ASCENSION » ET DE « DOMINATION »
POLITIQUES : « THÉURGIES » OU
« GOÉTIES »
Ce qui nous semble important de souligner
d'entrée de jeu, c'est que, à nos yeux,
l'« ascension » et la
« domination » politiques par l'entremise de l'Invisible,
doivent être appréhendées ici comme une
« continuité potentielle » de
l'« ascension » et de
la « domination » sociales. En conséquence, la
question du choix à opérer entre la
« théurgie » ou la
« goétie » se pose également ici avec
nettement plus d'acuité (la gestion des hommes au plus haut niveau de
l'État oblige). À partir de là, nous pouvons
considérer que, si l'« ascension » et la
« domination » sociales ont été
« goétiennes » (acquises par la pratique de la
sorcellerie), alors l'« ascension » et la
« domination » politiques consécutives ne peuvent
être que « goétiennes ». Par ailleurs, il ne
faut pas oublier qu'à Boumnyebel en l'occurrence, pour se positionner en
« acteur politique », il semble essentiel d'avoir d'abord
été un « acteur social » (économique,
financier, intellectuel...) et d'avoir réussi par un processus de
« politisation individuelle » (G. HERMET, B. BADIE, P.
BIRNBAUM, P. BRAUD : 2001 : 242-243) à convertir ce
« capital social » (les acquis économiques,
financiers, intellectuels...) en « capital politique » (les
ressources nécessaires pour se constituer un électorat ou se
faire une place dans l'« arène politique »). Dans
cette « arène exiguë »,
l'« ascension » et la « domination »
politiques apparaissent donc, non seulement comme étant liées,
mais également concomitantes, puisque chaque progression (chaque pas
vers le sommet de l'État) ne semble être possible que par la
« neutralisation des adversaires » (« voie
théurgique ») ou la « destruction des
ennemis » (« voie goétienne »). Comme le
souligne le « Mbombok A. » :
« Dans l'arène politique camerounaise, chaque acteur politique
doit toujours surveiller ses arrières et vérifier qu'il ne foule
pas un terrain vaseux ou truffé de pièges visibles et
surtout invisibles ».
Par ailleurs, il faudrait aussi se rappeler que la
renommée des politiciens camerounais en général et de
Boumnyebel notamment, est étroitement liée à leur
« réussite politique », c'est-à-dire, aux
postes politiques qu'ils occupent dans le gouvernement. Ceci peut se comprendre
si l'on considère que parfois, c'est grâce à leurs
interventions au sein du gouvernement que certains projets de
développement sont réalisés dans leur région ou
leur village d'origine. Cependant, il convient de souligner qu'à
Boumnyebel en l'occurrence, la « réussite » ou la
« défaite » d'un acteur politique ne semble pas
toujours s'expliquer par le soutien ou l'absence de soutien de
l'électorat, mais aussi et surtout, par les appuis que ledit acteur
dispose ou ne dispose pas dans le « monde de l'Invisible ».
En fait, il appert que ce soit grâce à l'« action
occulte », peu ou prou efficace des « maîtres de
l'Invisible », que certains acteurs politiques camerounais doivent
leur « succès politique ». C'est dans cet ordre
d'idées que P. GESCHIERE (1995 : 16) souligne qu' :
« À cet égard, il y a des
correspondances inattendues entre l'Afrique et l'Europe : dans les deux
contextes, l'intervention de spécialistes bardés de connaissances
ésotériques semble éloigner le pouvoir des gens du commun.
Raison de plus pour prendre la sorcellerie au sérieux en tant que
« mode de faire » politique ».
D'ailleurs, il arrive souvent à Boumnyebel
notamment que l'acteur politique ait une telle confiance en son
« maître de l'Invisible », qu'il en vienne
à croire que les gens du commun ne lui soient pas si indispensables que
cela tant qu'il bénéficie des « pouvoirs
occultes » que lui confère ledit
« maître »140(*). En effet, selon une certaine « croyance
mystique », avec ce type de pouvoirs, les « gens du
commun » sont censés lui être entièrement acquis.
Dans la même optique, l'on peut également noter que parfois,
certains dirigeants camerounais en général recourent volontiers
à tout un lexique susceptible d'évoquer des liens avec le
surnaturel et à même de leur conférer, d'une moins dans
l'esprit des populations, la détention de pouvoirs redoutables qu'ils ne
possèdent pas toujours (P. CHABAL et J.- P. DALOZ, 1999 : 86).
Concrètement, dans cette seconde articulation,
nous avons dans un premier temps essayer d'analyser
l'« action » des forces de l'Invisible au niveau de
l'« ascension politique » (A) et dans un second mouvement,
nous nous sommes évertués à montrer leur implication dans
la « consolidation de la domination politique » (B).
A. LES FORCES DE L'INVISIBLE COMME « VOIE
ALTERNATIVE ET COMPLÉMENTAIRE » D'« ASCENSION
POLITIQUE »
À partir du village de Boumnyebel,
nous pouvons également soutenir l'idée selon laquelle la
« culture politique camerounaise » en
général, est de plus en plus marquée par un
enchevêtrement de la « tradition » et de la
« modernité » (G. L. TAGUEM FAH, 2003 : 285).
D'ailleurs, l'évolution sur le plan politique à Boumnyebel semble
passer par une juxtaposition de la « voie visible » (la
voie électorale ou de nomination en l'occurrence) et de la
« voie invisible » (celle des forces occultes issues
notamment de la tradition ancestrale).
Toutefois, il convient de mentionner qu'en
règle générale, à Boumnyebel notamment, les
élites ont, quoiqu'elles puissent penser, tout de même besoin d'un
« capital social » si elles veulent renforcer leur
« capital positionnel et / ou relationnel » (G. L. TAGUEM F.,
2003 : 284) d'où parfois l'utilité d'être ce que les
trois (3) auteurs M. A. Van BAKEL, R. R. HAGESTEIJN et P. Van DE VELDE (1986),
appellent un « Big-Man ». En anthropologie, le terme
« Big-Man », rappelons-le, est une notion heuristique qui
désigne toute personne capable de concentrer un certain nombre de
ressources (richesse matérielle notamment) entre ses mains et de les
redistribuer, le cas échéant, aux populations pour des besoins de
calcul politique ou simplement de popularité. Dans le contexte
sociopolitique de la localité de Boumnyebel en l'occurrence,
entamé par la crise économique, on note que
l'« origine » des ressources matérielles --
c'est-à-dire que, même si l'argent redistribué est issu du
« Kong » par exemple --, importe peu. En fait ce
qui semble essentiel c'est que le « Big-Man » redistribue
ses richesses à un électorat potentiel ; d'ailleurs comme le
dit l'adage « L'argent n'a pas d'odeur ».
Par ailleurs, nous pouvons convenir avec le
« Mbombok A. » que :
« Sur le plan politique, deux (2)
éléments peuvent contribuer à l'« ascension
politique ». Le premier, relevant de la « sphère
visible », est l'adhésion ou la création d'un
groupement ou un parti politique. Le second est lié à
l'« Invisible ». C'est l'association de ces deux (2)
éléments qui permettent parfois, à l'acteur politique
camerounais, d'être soit nommé (par le Président de la
République), soit « élu » (par la
population), à des hauts postes de responsabilité ».
C'est pour cette raison, paraît-il, qu'en
période de nomination ou électorale, certains acteurs politiques
camerounais en général et de Boumnyebel en particulier, se
livrent à des cérémonies et des rituels de sorcellerie ou
de théurgie destinés à leur apporter la bonne fortune et
à leur faire gagner les élections. En effet, il ne faut pas
oublier que : « outre les accusations de fraudes directes
(bourrage d'urnes, faux électeurs, etc.), il est courant au Sud du
Sahara de faire référence à des influences
occultes » (P. CHABAL et J.-P. DALOZ, 1999 : 89-90). Il
semblerait que certains « rituels de sorcellerie » en
l'occurrence, permettent, par exemple, de « falsifier
mystiquement » les élections en faisant appel aux
démons ou aux « animaux totems »141(*). Comme nous l'avons
mentionné au Chapitre précédent, s'agissant du
« Kong » ou « Sue »
ou « Famla », à l'aide d'esprits
maléfiques notamment, il semble possible de commettre des vols, en
l'occurrence de changer le contenu des urnes lors des élections.
N'oublions pas que : « le « sue » est
partout...» (L. KAMGA, 2008 : 60). Dans la même optique, on
parle aussi des « Morts-vivants qui viennent également
participer aux élections lorsqu'ils sont sollicités par des
sociétaires du Kong »
(« Mbombok A. »).
Quant aux « rituels
théurgiens » pratiqués pendant les élections,
nous pouvons d'emblée noter qu'ils permettent aux « Ba
Mbombok » de contrer les pratiques de
« goétie » et de juguler les éventuels
troubles dans le pays. Par ailleurs, d'autres rituels peuvent avoir une
portée beaucoup plus individuelle et montrent à suffisance, lors
des élections ou des nominations notamment, le rôle politique des
« Maîtres de théurgie », c'est-à-dire,
« Mbombok »,
« Nganga »,
« Chamanes »,
« Visionnaires ». À ce propos, D. VAZEILLES
(1991 : 36-37) souligne à juste titre que : « les
visionnaires sioux, « rêveurs » et
voyants-guérisseurs, ont toujours joué un rôle politique
important grâce aux pouvoirs surnaturels obtenus des esprits ».
Il ajoute d'ailleurs que : « tous les leaders sioux du siècle
dernier étaient de grands visionnaires, en particulier Sitting Bull qui
« vit », plusieurs mois à l'avance, le
déroulement de la bataille de Little Big Horn contre le
général Custer ». Ce qui est encore plus
intéressant c'est que D. VAZEILLES (Op. Cit.), mentionne
également que :
« Des rituels chamaniques, yuuipi
et inipi-sweat-lodge, sont organisés en vue des
élections ou pour essayer de résoudre les problèmes
économiques et sociaux à l'échelle des réserves.
Robert Burnette, un sioux ex-président de la Réserve de Rosebud
au Sud-Dakota et ex-sénateur américain, l'a reconnu publiquement
dans un de ses ouvrages (1971) ».
Dans le même courant de pensées, M.
TAUSSIG (1987), souligne à propos des chamanes indiens de la forêt
amazonienne du Sud-Est colombien que, le discours sur les forces de l'Invisible
intervient de manière remarquable dans la gestion des incertitudes
modernes. L'auteur souligne d'ailleurs que le succès des projets de
développement des institutions de Bretton Woods (la Banque Mondiale
notamment), semble dépendre des forces occultes de ces chamanes qui
doivent « blinder » les acteurs désireux de
participer à ces projets contre les « agressions
surnaturelles » des individus malveillants de leur entourage.
Au Cameroun en général et à
Boumnyebel en particulier, les mêmes inquiétudes, vis-à-vis
du « mauvais oeil », subsistent. Le
« Mbombok R.» soulignait dans ce sens
qu'en période électorale, faire un
« Salga » (rituel public) ou un
« Njooba nyuu » (rituel privé) peut donc
s'avérer très utile pour l'« acteur politique
théurgien ».
Le « Salga », doit
être entendu ici (en période électorale ou des nominations)
comme une cérémonie lors de laquelle l'acteur politique en
l'occurrence, offres nourritures et boissons aux
« vivants » et aux « morts » (les
ancêtres). Ce « rituel propitiatoire
théurgien » (« Mbombok
A. »), est censé permettre à l'acteur de
bénéficier des largesses divines dans son entreprise politique et
même de rendre cléments les éléments (la pluie
notamment) lors des discours de campagnes électorales tenus par exemple
en plein air.
Le « Njooba nyuu » ou
« Ngang nyuu » quant à lui, est un
« rituel théurgien » un peu plus privé
censé, entre autres, apporter à l'acteur politique des
bénédictions (nettoyer son « étoile du
bonheur ») ; le purifier et éloigner le mauvais sort. Un
coq est habituellement sacrifié au cours de ce rituel. Le
« Mbombok R. » précisait ici
que : « pour guérir ou apporter des grâces à
l'Homme, on peut sacrifier des animaux au nom des Ancêtres et de Dieu,
mais jamais des êtres faits à l'image du Créateur. Seuls
les sorciers prennent des vies humaines pour accroître leurs forces par
l'entremise des démons ».
Cependant, nous convenons avec P. CHABAL et J.-P.
DALOZ (1999 : 89-90) qu'il ne faudrait pas perdre de vue que :
« L'incapacité à admettre
toute défaite électorale montre bien quels usages politiques on
peut produire de ces croyances ancestrales en la manipulation surnaturelle
[...] L'on comprend aisément quel parti peut être tiré de
la référence instrumentale à l'invisible pour tenter de
survivre à l'humiliation d'une défaite ou pour jeter le doute sur
un leader. C'est ce que nous subsumons sous l'appellation
d'« apprivoisement de l'irrationnel à des fins
politiques ». On aimerait ainsi que les exégètes des
élections multipartisanes en Afrique sortent quelques peu de leurs
schémas occidentalocentristes et prennent sérieusement en
considération les effets de ce genre de croyances, qui s'imposent en fin
de compte tant aux élites politiques qu'à leurs
supporters ».
Les forces de l'Invisible, en intégrant dans la
pratique politique de « nouveaux moyens » de gérer
« l'incertitude », « l'inattendu »,
« l'inopiné », semblent donc rester au Cameroun en
général et à Boumnyebel en particulier, des
« idiomes », des
« médiations » privilégiés
pour interpréter les changements modernes et pour trouver des
« moyens secrets » d'agir, positivement ou
négativement, sur ceux-ci. Dans cette logique, l'« ascension
politique » (la « réussite politique »),
qu'elle soit fulgurante ou nettement plus lente, ne doit pas toujours
être appréhendée et analysée comme résultant
nécessairement d'« une manipulation diabolique des forces
occultes, mais devrait aussi être comprise comme le résultat
d'un savant mélange entre les efforts personnellement nobles et les
largesses divines pour ceux qui ont la foi en Hilôlômbi,
Dieu » (« Mbombok
A. »). En fait, dans toutes les régions du
Cameroun (du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest), les forces de l'Invisible
font partie intégrante de la vie sociopolitique. C'est cette
omniprésence, cette « quotidienneté » qui
fait qu'aujourd'hui, on n'est pratiquement plus surpris (quand on s'en donne la
peine) d'entendre un acteur politique dire qu'il aurait consolidé sa
« domination » sur le plan politique, en
s'allouant (discrètement) les services de « grands
intercesseurs de l'invisible » (P. CHABAL et J.-P. DALOZ, 1999 :
86) qui, par ailleurs, le guideraient dans ses prises de décisions.
C'est cette idée que nous avons tenté de développer dans
le paragraphe ci-après (B).
B. LES FORCES MYSTÉRIEUSES COMME
« MOYENS SECRETS » DE CONSOLIDATION DE LA
« DOMINATION
POLITIQUE »
À cette fin des
siècles, nous constatons que les Basaa de Boumnyebel en particulier et
les Camerounais en général, continuent d'inventer leur propre
modernité en « dialoguant avec Dieu » (J.-F. BAYART,
1993 : 12) ou avec le « Prince des
Ténèbres ». En effet, tandis que d'un côté
les populations les plus pauvres et celles appartenant à la
« classe moyenne » essaient de s'organiser religieusement
pour mieux encaisser les coups de la crise économique, de l'autre les
personnalités camerounaises les plus nanties et les plus puissantes
(notamment les coteries présidentielles) semblent avoir pour souci
majeur la consolidation de leur « domination » en recourant
aux ressources de l'invisible et en se constituant en sectes
ésotériques.
La « survie » et
l'« ascension politiques » à Boumnyebel semblent
donc, in fine, être tributaires de la capacité de l'acteur
politique à « dominer » l'« arène
politique » par le biais de l'Invisible, c'est-à-dire,
à asseoir une « domination politique » que nous
qualifions en conséquence d'« occulte ». Avant
d'aller plus loin dans notre démonstration, il est important pour nous
de souligner que ce concept de « domination politique
occulte » nous a été inspiré par les travaux de
M. WEBER.
En effet, avant de construire la typologie des
« formes de domination » Max WEBER (1971) a d'abord
établi une dichotomie intéressante entre la
« puissance » et la
« domination ». Pour cet auteur, la
« puissance » doit être entendue comme la
« chance » de faire triompher sa propre volonté dans
une relation sociale, malgré les résistances -- qu'elles soient
« visibles » ou « invisibles »
pouvons-nous ajouter pour abonder dans le sens du maître -- que l'on peut
rencontrer. Quant à la « domination », elle renvoie
à la « chance » de trouver des personnes
« déterminables » prêtes à obéir
à un ordre. À partir des enquêtes de terrain
effectuées à Boumnyebel, la « domination politique
occulte » nous semble s'inscrire dans ce cadre dans la mesure
où, la « chance » en question est
préservée et surtout consolidée par le truchement de
l'Invisible. N'oublions pas qu'à Boumnyebel, les Ba Mbombok
(prêtres traditionnels basaa) estiment aussi que chaque descendant de la
« lignée ancestrale » est doté d'un
« stock de chance individuelle acquis depuis le
berceau » (L. KAMGA, 2008 : 25) qu'il convient de bien
gérer à travers des rituels traditionnels adéquats.
Ce que nous pouvons déjà retenir ici,
c'est que la « chance » semble jouer un rôle crucial
autant dans l'obtention de la « puissance » que de
la « domination ». Mais dans l'« arène
politique », comme le soulignait Niccolo MACHIAVELLI dit MACHIAVEL,
la « chance » seule ne suffit pas à
conquérir et à exercer le pouvoir politique, elle doit être
associée au « talent ». En effet, dans son ouvrage,
Le Prince (Il Principe)142(*), où il développa une
« nouvelle conception du pouvoir politique », MACHIAVEL
souligna que l'objet principal du
« Prince » (du dirigeant politique) est
de rechercher les moyens de « passer d'homme privé à
prince », c'est-à-dire, de conquérir le pouvoir
politique et de se maintenir au pouvoir. Une telle prouesse dépend,
selon l'auteur, de deux (2) facteurs importants à savoir : la
« virtù », c'est-à-dire, le
« talent » de gouverner, de gérer les
affaires publiques et la « fortune », c'est-à-dire,
la « chance » et la capacité de la saisir. À
partir du cas de Boumnyebel, nous admettons à la suite MACHIAVEL,
qu'aucun dirigeant politique digne de ce nom ne peut ni conquérir ni
espérer se maintenir au pouvoir s'il ne possède ni le «
talent » ni la « chance ». Le
modèle que MACHIAVEL donna pour étayer son propos est celui de
César de BORGIA143(*), dont il affirme qu'il est à imiter en tout.
Ce qui est par ailleurs intéressant de noter
ici, c'est que MACHIAVEL établit un lien étroit entre le
« talent » et la
« chance » d'une part, et d'autre part,
qu'il estime qu'aussi grand que soit le « talent », la
« chance » a toujours le dernier mot
(supériorité de la « chance » sur le
« talent »). Nous partageons largement cette opinion
puisque, si un individu, de surcroît un acteur politique n'a pas de
« chance » ou en est privé, il ne pourra jamais
mettre en exergue l'étendue de son « talent », tout
simplement parce qu'il n'aura jamais l'occasion, l'opportunité, la
chance de le faire. Toutefois, il faut mentionner que l'erreur pour l'homme
politique serait de croire excessivement en la
« fatalité » (la malchance), c'est-à-dire, de
croire qu'il ne peut rien faire contre elle dans la poursuite de ses affaires
publiques, alors qu'en fait, il ne faut lui accorder, comme le souligne
MACHIAVEL, tout au plus que la maîtrise « de la moitié
de nos oeuvres ». Qui plus est, telles des
« rivières », la
« fatalité » peut aussi être
« domptée » notamment, en recourant
à l'Invisible comme nous l'avons déjà souligné.
Aujourd'hui, comme le mentionne le
« Mbombok A. », il appert donc
que la « domination politique occulte » (celle obtenue par
le biais de l'Invisible) doit être prise en compte dans l'analyse des
« rapports de forces » entre acteurs politiques dans la
mesure où il semblerait qu'elle tend même à
« consolider » les trois (3) formes
wébériennes de domination :
« légale-rationnelle »,
« traditionnelle » et
« charismatique ». En effet, les forces de l'Invisible
intervenant partout à Boumnyebel en l'occurrence, elles semblent
naturellement consolider à la fois la « domination
légale-rationnelle », la « domination
traditionnelle » et la « domination
charismatique ». Pour ce qui est de la « domination
traditionnelle » qui repose sur la « tradition »
donc sur le « savoir mystique ancestral », c'est
évident que l'Invisible intervient dans sa consolidation
(« Mbombok A. »). Il en est de
même en ce qui concerne la « domination
légale-rationnelle » (qui repose sur le
« Droit ») et la « domination
charismatique » (qui repose sur le « charisme »).
Dans une perspective politologique, l'on admet couramment que le
« Droit » n'est rien d'autre que la codification d'un
rapport de « forces » à un moment donné et
seul le plus « fort » (physiquement et spirituellement) des
acteurs politiques en jeu est à même d'établir une telle
codification généralement avantageuse pour la réalisation
de ses desseins (« Mbombok A. »).
Quant au « charisme », sur le plan métaphysique, il
renvoie à l'ensemble des dons spirituels et occultes extraordinaires
octroyés, en l'occurrence à l'acteur politique, par
Hilôlômbi à travers les Ancêtres. Ce sont ces
« grâces », ces « largesses
divines » qui permettent à l'agent politique de
réaliser des exploits extraordinaires dignes du charisme d'un UM
NYOBE ou d'un OUANDIÉ (« Mbombok
A. »).
Par ailleurs, nous pouvons souligner qu'à
Boumnyebel notamment, la « domination politique
occulte » appert comme une « puissance
mystique » dans la mesure où, reposant sur la
« force » physique et surtout spirituelle, sur le
« visible » et surtout « l'Invisible »,
elle peut à la fois « contraindre et
attirer »144(*). On entend ainsi, des individus dire qu'ils auraient
pris une décision ou obéit à un ordre sans
réellement savoir pourquoi : manipulation mentale ou ascendant
spirituel ? L'on peut se poser la question, mais toujours est-il que
l'action invisible n'est jamais loin.
Il est également essentiel de noter que les
acteurs politiques camerounais à Boumnyebel en l'occurrence, subissent
des pressions diverses (physique et métaphysique) et
multidirectionnelles qui semblent ne pouvoir être surmontées que
par la « domination politique occulte ». Tout d'abord, l'on
note ainsi qu'au sein de leur propre organisation politique, la
« domination politique occulte » semble permettre de
s'élever au-dessus des autres membres. Ensuite, entre les
différents partis politiques concurrents, elle est censée assurer
un meilleur positionnement à même de garantir l'accession aux
leviers du pouvoir. Enfin, entre les élites politiques et le reste de la
population locale et nationale (les gouvernés), la
« domination politique occulte permet aux acteurs politiques basaa
d'entretenir en permanence les habitants (les séduire et obtenir leur
soutien) tout en évitant de se faire mystiquement éliminer par
les plus dangereux d'entre eux » (« Mbombok
A. »). C'est dans cet ordre d'idées que P.
GESCHIERE (1996 : 86) relevait par ailleurs qu'à l'Est du Cameroun
(dans le pays Maka), en 1971 :
« À l'époque tout le monde
était d'accord, par exemple, qu'il y avait une explication simple
à ce que M. Malouma, déjà député de la
région depuis plus de dix ans, réussisse encore et toujours
à déjouer ses rivaux et à accumuler toutes les positions
importantes dans le parti unique pour cette région : il
s'était assuré des services du meilleur nganga
(« féticheur ») de l'Est ; et c'est pour
cela que toutes les attaques de ses concurrents et tous leurs efforts pour le
rendre suspect auprès du sommet du parti, afin d'être
« investi » à sa place, étaient en vain. En
effet, il y avait une compétition féroce entre politiciens
ambitieux pour monter dans la hiérarchie du parti, la seule voie
d'ascension politique possible. Et ces confrontations violentes étaient
généralement expliquées par des complots de sorcellerie --
pour lesquels les nganga jouaient un rôle clef ».
En fait, pour les villageois Maka, il était
donc évident que l'« ascension » et la
« domination » politiques des élites
étaient liées, d'une manière ou d'une autre, à
l'influence occulte du « djambe ». P. GESCHIERE
souligne d'ailleurs que le député MALOUMA lui-même, ne
manquait aucune occasion de faire allusion aux forces extraordinaires de son
« Nganga ».
Toutefois, il semblerait que la recherche
effrénée de l'« ascension » et surtout de la
« domination » politiques par « voie
occulte » puisse causer de terribles désagréments aux
acteurs politiques. Au Bénin par exemple, l'affaire CISSÉ est
à ce sujet, très édifiante. Maurice CHABI (1993)145(*), souligne que Mohammed
CISSÉ était, dans les années 1990, le
« marabout » du Président de la
République du Bénin, Matthieu KÉRÉKOU. Conseiller
spécial à la Présidence, il avait acquis des
« pouvoirs exorbitants » qu'il utilisa pour
détourner des sommes d'argent colossales. La mise à nu de ces
pratiques douteuses par la presse privée, suscita un scandale national
et international qui précipita d'ailleurs la chute du régime
KÉRÉKOU. Peu après, l'une des premières actions du
nouveau « régime démocratique » a
consisté à intenter un procès contre le
« marabout » du « dictateur »
chassé du pouvoir, Matthieu KÉRÉKOU. D'ailleurs,
« Au cours du procès, le « magicien » a
menacé en termes peu voilés d'exercer ses pouvoirs occultes
contre ses juges » (P. GESCHIERE, 1995 : 13).
Au Cameroun en général et à
Boumnyebel en particulier, cette obsession de « dominer »
à tout prix les autres acteurs politiques dans
l'« arène politique », pousse parfois, selon les
rumeurs, certaines élites politiques à la pratique de ce que l'on
nomme trivialement « l'homosexualité sectaire » qui
renvoie aux « pratiques goétiennes magico-annales des sectes
ésotériques » (« Mbombok
A. »). Pour une compréhension plus
affinée du phénomène, une dichotomie doit être faite
entre l'« homosexualité sectaire » et
l'« homosexualité ordinaire ».
L'« homosexualité ordinaire » (au sens propre), est
une orientation sexuelle qui consiste à éprouver une attirance
sexuelle pour les personnes de son sexe : une femme homosexuelle
(lesbienne) est attirée sexuellement par d'autres femmes, tandis qu'un
homme homosexuel (pédéraste) l'est vis-à-vis des autres
hommes. Par contre, dans le cas particulier de
l'« homosexualité sectaire » -- « pratique
occulte » qui semble causer beaucoup de mal à la
Mère-Patrie -- il ne s'agit pas d'attirance sexuelle, mais plutôt
d'un « processus magico-démoniaque d'absorption
énergétique et d'assujettissement individuel »
(« Mbombok A. »), visant à
permettre à l'acteur politique ambitieux d'accumuler, par la
« voie sexuelle », un « pouvoir dominateur
maléfique » (le « Kombè »
en Basaa dans une perspective négative). Ce
« procédé maléfique de domination »
permettrait à certains politiciens d'avoir, entre autres, un ascendant
considérable sur leurs homologues devenus de facto «
leurs femmes » et ou « leurs réserves
d'énergies » : c'est ainsi que l'on peut entendre se
murmurer que tel ou tel acteur politique serait dans l'ombre la
« femme » de tel
autre (« Mbombok A. »).
Mais ce qui nous semble important de rappeler à
partir du cas de Boumnyebel, c'est que, qu'importe la violence du combat
politique, l'acteur politique, le « Nouveau Patriote théurgien
du politique » (« Mbombok
A. »), ne doit jamais perdre de vue, d'une part, que
« [...] le pouvoir est comme de l'alcool. S'il n'est pas porté
par une âme humble, il ouvre le chemin à toutes sortes de
maux... »146(*). D'autre part, il doit savoir que, faire de la
politique, c'est s'exposer à la tentation de se compromettre
« [...] avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans
toute violence » (M. WEBER, 1963 : 216). Cette prise de
conscience lui permettrait de garder la tête froide en sachant
intelligemment -- si son objectif, bien évidemment, est de construire et
non de détruire -- s'opposer au mal par la force, s'il ne veut pas
être responsable de son triomphe (M. WEBER, 1963 : 204). Nous
convenons donc avec M. WEBER (1963 : 219) que le
« véritable acteur politique » se doit d'être
un individu dépassionné du pouvoir (capable donc de s'en
défaire le cas échéant) d'une part ; d'autre part, il
doit être un individu qui a su allier l'« éthique de
conviction » et l'« éthique de
responsabilité » :
« [...] je me sens bouleversé très
profondément par l'attitude d'un homme mûr -- qu'il soit jeune ou
vieux -- qui se sent réellement et de toute son âme responsable
des conséquences de ses actes et qui, pratiquant l'éthique de
responsabilité, en vient à un certain moment à
déclarer : « Je ne puis faire autrement. Je
m'arrête là ! » Une telle attitude est
authentiquement [echt] humaine et elle est émouvante. Chacun de nous, si
son âme n'est pas encore entièrement morte, peut se trouver un
jour dans une situation pareille. On le voit maintenant : l'éthique
de la conviction et l'éthique de la responsabilité ne sont pas
contradictoires, mais elles se complètent l'une l'autre et constituent
ensemble l'homme authentique, c'est-à-dire un homme qui peut
prétendre à la `vocation politique' ».
Aujourd'hui, nous pouvons en somme souligner
qu'à Boumnyebel en particulier et au Cameroun en général,
plusieurs parallèles et articulations peuvent être relevées
entre « les logiques » des forces occultes et
« les façons modernes » de faire la politique. Pour
le cas du village de Boumnyebel en l'occurrence, l'on peut observer que les
« transformations » postcoloniales révèlent
que la perception du pouvoir en terme de « manipulation de
l'Invisible » s'articule très bien avec l'essor de
l'État moderne -- certes « importé
d'Occident », mais aussi et surtout
« réinventé »147(*), quoiqu'en apparence,
maladroitement intégré dans un contexte sociopolitique et
géographique nouveau et différent (ce qui constitue d'ailleurs,
pour certains auteurs tels P. CHABAL et J.-P. DALOZ, un
« désordre ») -- et les « nouvelles
relations de domination » qu'il suscite. Les forces
ésotériques semblent donc s'épanouir grâce aux
incertitudes que provoque la « politique moderne ». En
fait, les décisions abruptes et imprévisibles du
« noyau dur » (du pouvoir central), le manque de
transparence et de « traçabilité » dans la
gestion des deniers publics, les emprisonnements et les décès
« inexplicables », mènent à un
« traumatisme psychosomatique » qui semble engendrer
à Boumnyebel notamment, un véritable
« tsunami » (raz de marée) de rumeurs et de
pratiques occultes de toute sorte. Tous ces discours, même s'il est
parfois difficile d'obtenir (officiellement) des éléments plus
concrets pour les corroborer, doivent davantage éveiller notre prise de
conscience sur les « mystères » de l'environnement
sociopolitique camerounais.
CONCLUSION GÉNÉRALE
POUR UNE PRISE DE CONSCIENCE SÉRIEUSE ET
SEREINE
DE L'INFLUENCE (NÉFASTE ET POSITIVE) DES
« FORCES DE
L'INVISIBLE » DANS L'ENVIRONNEMENT
SOCIOPOLITIQUE CAMEROUNAIS
Tout au long de notre travail, nous avons
essayé de démontrer, à travers le cas de la
localité de Boumnyebel (peuplée en majorité de Basaa),
que : les forces de l'Invisible, que ce soit avant (dans le passé),
pendant ou après la colonisation (à l'époque moderne), ont
toujours joué et jouent encore un rôle prépondérant
à la fois positif et négatif dans l'environnement sociopolitique
du Cameroun. Notre démonstration a donc consisté à nous
astreindre à montrer qu'hier et surtout, qu'aujourd'hui la mobilisation
des « forces de l'autre monde » (monde de l'Invisible) est
indubitablement ambivalente. En effet, elle peut être positive
lorsqu'elle assume la protection, mais aussi négative, voire
destructrice, dès lors qu'elle privilégie la sorcellerie
(« magie négative »), d'où
l'ambiguïté des « pratiques magiques ». Ba
Mbombok (prêtres et guérisseurs traditionnels), Mut
Ngambi (devin) et autres officiants théurgiens basaa sont ceux qui
agissent pour une « magie positive ».
Généralement, ils prennent en charge d'une part, les maladies
physiques, mentales et spirituelles (« mystiques ») ;
d'autre part, certains rites liés à la mort et aux cultes des
ancêtres. Ces théurgiens, par le biais des « forces de
l'Invisible bénéfiques », doivent en outre combattre
les « puissances occultes néfastes ». En
conséquence, ces hommes et ces femmes théurgiens -- elles sont
moins nombreuses à remplir ces fonctions -- se distinguent des
« sorciers » et « sorcières »
(Ba emb ») craints et abhorrés. En fait,
« sorciers » et « sorcières »
utilisent leurs connaissances mystiques pour jeter des sortilèges et
des maléfices ou encore pour empoisonner et provoquer la mort (C.
FALGAYRETTES-LEVEAU, S. PRESTON BLIER, Y. TATA CISSÉ, V. BOULORÉ,
A. P. BOURGEOIS, 1996 : 9-11).
Dans cet ordre de pensées, nous avons, en
outre, voulu souligner que, le Cameroun, « Terre de nos
Ancêtres ou (« Lon
Basôgôl ») » est sans aucun doute une
« Terre des forces de l'Invisible ». Ici, comme ailleurs,
elles semblent proliférer. Les « forces occultes »
occupent indistinctement l'« univers » ou
« Mbok », l'espace
« sauvage » comme l'espace
« civilisé » ; l'« esprit »
ainsi que l'imaginaire du Camerounais (du Nord au Sud, de l'Est à
l'Ouest). Rien ne semble donc se faire sans elles (activité sociale,
pratique politique...) ; rien de fondamental ne s'apprend qui ne leur soit
d'une manière ou d'une autre lié. Les « forces
ésotériques » sont au Cameroun, notamment à
Boumnyebel, associées : à la « Parole »
(« Li Mporôl ») -- qui est au commencement
de tout (du « Nson Basaa » ou « missile
occulte », du « Kòn » ou
« Défense absolue ancestrale »...) -- ; aux
« forces vitales » -- qui animent les choses autant que les
êtres -- ; à la « lutte sociale et
politique » (« San
Kundè ») ; à la
« guerre » (« Gwet bi
Kundè ») ; à la
« survie », l'« ascension » et la
« domination » sociopolitiques. Pour les Basaa de
Boumnyebel, ces forces de l'Invisible (en particulier l'Être
Suprême ou « Hilôlômbi ») se
situent à l'origine de tout ce qui existe et donc, avec les
« Ancêtres », à la source de la
« tradition ancestrale ». Celle-ci s'exprime
d'ailleurs, en grande partie, par des « mythes », des
« rites », des légendes et des proverbes, et se
transmet (par l'« initiation ») de génération
en génération, c'est-à-dire, des
« Bagwal » (« Ascendants »)
aux « Balal »
(« Descendants ») tout en restant ouverte aux apports
extérieurs. En effet, la « Tradition Ancestrale » qui
semble être à la base du recours aux forces de l'Invisible au
Cameroun en général et à Boumnyebel en particulier,
constitue notre génie propre et représente la totalité de
l'expérience accumulée par les générations
successives. Cette « tradition » « se veut à
l'instar de l'eau vivifiante de la source, une liberté créatrice
d'hier, d'aujourd'hui et de demain, à la fois fidèle à
elle-même et prête à s'ouvrir aux expériences
extérieures et aux situations nouvelles... » (T. MAYI-MATIP,
1990 : 99).
Notre étude nous a par ailleurs, permis de
noter que, dans la vie sociale et surtout dans la pratique politique
camerounaise, tout se joue en fonction du « rapport des
forces », selon l'affrontement incessant et continuellement
renouvelé, des facteurs d'ordre (de construction et de vie) et des
facteurs de désordre (de déconstruction et de mort). La
présence des forces de l'Invisible dans l'activité sociale et
politique peut donc se comprendre comme une lutte contre le désordre
(contre le « retournement létal » de l'environnement
social et politique), par le moyen des symboles, des pratiques, des techniques
et des « rites secrets » de protection qui, pour le cas des
Basaa de Boumnyebel, sont liés au « Mbok
Basaa ». Il en résulte deux (2) conséquences
majeures : d'une part, l'étroite connexion du « pouvoir
politique » et du « pouvoir occulte » (du
politique et du religieux), et d'autre part, l'usage généralement
malveillant des forces de l'Invisible (la sorcellerie) qui est
générateur de désordre et de destruction. Nous avons ainsi
souligné que, le Camerounais se posera volontiers en homme d'affaires ou
en acteur politique, affichant son téléphone portable et tenant
des discours dignes des « rationalistes » les plus
invétérés, tout en restant étroitement en contact
avec les « esprits protecteurs des Ancêtres de son
village ». En effet, entretenir des relations avec les
Ancêtres, en les honorant, semble occuper une place
généralement très importante dans les croyances et les
pratiques dans la mesure où, à Boumnyebel notamment, l'on
considère que : « entre le « royaume des
défunts » et le monde des « vivants »
aucune césure ne peut exister, car les Ancêtres peuvent exercer
une forte influence sur notre vie sociopolitique »
(« Mbombok A. »).
Au vu et au su de tout ceci, nous pouvons en
définitive soutenir qu'au Cameroun : la « réussite
sociale et politique » passe incontestablement par le recours aux
forces de l'Invisible. D'ailleurs, ceux qui ont intégré cette
« réalité » semblent mieux vivre et,
affrontent mieux les « dangers mystiques » ainsi que les
incertitudes de la vie quotidienne. Tandis que ceux qui persistent à
croire que le mauvais usage des forces de l'Invisible (la sorcellerie) ne
constitue qu'une « superstition
répugnante », se font facilement laminer et leur
discours semblent même parfois causer la perte de ceux qui les
écoutent, dans la mesure où au lieu d'éveiller les
consciences, ils tendraient à les endormir.
Pour nous en effet, il est primordial que
l'« acteur social » et surtout, l'« acteur
politique » camerounais en général, prennent
sereinement conscience des forces diaboliques qui opèrent dans notre
environnement sociopolitique afin de trouver des « moyens »
alternatifs susceptibles de les aider à développer la
Mère- Patrie en s'opposant délibérément au mal. Ne
perdons pas de vue que, en tant qu'Africains :
« Pour vivre en symbiose avec d'autres
civilisations sans briser nos oeufs, restons fidèles à notre
identité culturelle dans la consolidation de la conscience de notre
être et non de notre paraître. Cela suppose, entre autres choses,
le recours à la tradition ancestrale dans le
développement » (T. MAYI-MATIP, 1990 : 102).
À nos yeux, notre
« Indépendance véritable » et le
développement sociopolitique harmonieux de notre pays passeront
automatiquement par la compréhension des aspects
« visibles » et « invisibles »,
« positifs » et
« négatifs »,
« physiques » et
« métaphysiques » de notre environnement. En effet,
nous pensons qu'au Cameroun en l'occurrence, l'« action
politique » ne saurait être efficace et apporter des
résultats probants dans la société si elle n'est pas en
phase avec ce répertoire de pratiques, de techniques (protectrices et
destructrices), de forces cosmiques (maléfiques et
bénéfiques), bref, si elle ignore l'influence le plus souvent
néfaste de la manipulation de l'Invisible. Seule cette prise de
conscience sereine de l'influence des forces de l'Invisible pourrait nous
permettre de conquérir notre « [...] liberté politique
par la conquête de la liberté spirituelle... »148(*), et surtout de trouver en
nous-mêmes, « des certitudes stables et des permanences
morales » indispensables pour une bonne gouvernance. Des exemples
tirés d'autres pays nous confortent dans cette pensée.
Au Japon par exemple, les dirigeants politiques
nippons ont réussi à fixer les bases d'un développement
politique et spirituel en préservant, à la fois, les aspects
bénéfiques de leur connaissance millénaire (leur culture
ancestrale) tout en important de l'étranger tout ce qui semblait leur
faire défaut. En effet, le Pays du soleil levant, a su bâtir son
développement autour du respect et de la compréhension de son
environnement sociopolitique peuplé par les « huit cents (800)
myriades de divinités » de la tradition shintoïste (F.
MACÉ, 1988 : 182). C'est en préservant l'essence même
de leur être à travers le « Shintoo »
(religion nationale du Japon, proche de nos « cultes
ancestraux »), que les dirigeants japonais, depuis la fin XIXeme
Siècle (avec la Révolution Meiji de 1868) ont pu, en
conciliant leur tradition à la « modernité
technologique occidentale » notamment, atteindre un niveau
économique et militaire satisfaisant et remarquable.
Pour pousser plus loin l'analyse sur l'impact des
forces de l'Invisible dans l'environnement sociopolitique des États, il
serait à cet égard, par exemple intéressant de faire une
étude comparative sur : « Le rôle du `Culte des
Ancêtres' et celui du `Shintoo', respectivement, dans le
développement sociopolitique du Cameroun et du
Japon ». Dans une telle étude, il serait notamment
judicieux d'appréhender le « Culte des
Ancêtres » comme un
« idéal-type » dans la mesure où au
Cameroun, il n'y pas un seul culte des Ancêtres, mais plusieurs qui,
certes divergent du point de vue des pratiques (des rites), mais cependant,
restent très proches (dans leur essence) de part leur conception de
l'« Ancêtre illustre », de
l'« Univers » et de
« Dieu ».
Cette étude pourrait davantage nous permettre
de prendre conscience de deux (2) paramètres importants. Le premier, se
rapporte au fait que sans être officiellement érigé en
religion nationale comme au Japon, le « Culte des
Ancêtres » est ce qui semble exprimer le mieux notre
« camerounéité ». Le second a trait au
constat selon lequel :
« Le développement intégral,
c'est-à-dire, matériel et spirituel des Camerounais ne sera
possible que si nous, Camerounais, cessons de faire « la politique de
l'autruche » en cherchant à tout dissimuler dans les
ténèbres. Le développement harmonieux de la Terre
Ancestrale ne se fera que si nous acceptons d'affronter courageusement les
problèmes « visibles » et
« invisibles » qui se posent dans notre contexte
sociopolitique en essayant de ne jamais perdre de vue que : le Cameroun
n'appartient pas à un Camerounais ou à un groupe de Camerounais,
mais à tous les Camerounais et Camerounaises du Nord au Sud, de l'Est
à l'Ouest. Par conséquent, sa destruction ou sa restructuration
adéquate relève de la responsabilité de tous ces fils et
filles » (« Mbombok
A. »).
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SEGOND (Louis), Nouveau Testament et Psaumes,
Traduction d'après le texte grec, GEDEON, 1975.
* 1 Pour plus amples
explications, voir 2ème Partie, Chapitre 3, Section 1,
Paragraphe 1 (« L'hostilité exponentielle de l'environnement
social »).
* 2 Dans la
société traditionnelle Basaa, le
« Mbombok » est le prêtre, le
guérisseur et le devin par excellence. Voir le Chapitre 1 pour plus de
détails.
* 3 Soulignons qu'il semble
que, sur ce second plan, il ne s'agisse pas réellement d'une innovation
en la matière, mais d'une accentuation du phénomène
(ladite contraction). Le « Mbombok
A. » nous disait d'ailleurs que les
« esprits » n'ont pas attendu ces nouvelles technologies
pour être maîtres du temps et de l'espace :
« Dans le monde Invisible, disait-il, le temps et la
distance physique importent peu, puisque tous les déplacements astraux
sont instantanés, c'est-à-dire, obéissent à la
volonté spirituelle. Par exemple, je veux aller à Douala alors
que je suis à Boumnyebel ; dès que cette pensée
traverse mon esprit, j'y suis à l'instant même
».
* 4 L'auteur mentionne
qu' : « au sud du Sahara, en effet, vie sociale, culture et
religion sont intimement mêlées [...] La plupart des mythes encore
conservés dans les mémoires posent, au point de départ de
l'humanité, la transgression d'un interdit, à la suite de
laquelle le créateur se retire [...] On ne recourra à lui que
dans des situations très graves. Restent en place, sur la scène
du monde, l'ancêtre suprême, sorte d'hypostase de Dieu, parfois
accompagné de plusieurs jumeaux, et une multitude d'êtres,
invisibles à l'homme, qui constituent ce que Gabriel Le Bras appelait
« la démographie de l'au-delà » [...] Chaque
rituel est, en quelque sorte l'occasion de reconstituer l'ordre, toujours
menacé, de ce monde. On a appelé le « do ut
des » (« je te donne pour que tu me donnes » ce
commerce permanent des hommes avec les êtres auxquels ils font
allégeances ».
* 5 Propos du
« Mbombok A. » au cours de
l'entretien de Septembre 2008.
* 6 Louis SEGOND (1975).
* 7 Concept que nous
empruntons de l'ouvrage de Luc SINDJOUN (2002). Selon cet auteur il
n'y a pas que l'Etat qui ait été importé d'occident et
introduit en Afrique, il y a aussi les religions occidentales qui ont,
d'ailleurs, été introduites en Afrique avant l'érection de
l'Etat.
* 8 Le Petit Larousse
Illustré, 2004.
* 9 Notion philosophique
complexe qui s'entend par opposition au
« phénomène » (à ce qui se laisse
facilement voir ou observer). Ici, elle peut être comprise comme l'
« Invisible » ou Dieu.
* 10 Ces notations sont
faites par nous.
* 11 « Ensemble
des pratiques visant à s'assurer la maîtrise des forces
invisibles, immanentes à la nature ou surnaturelles, et à les
faire servir aux fins qu'on se propose ».
* 12 Source Le Petit
Larousse Illustré, 2004.
* 13 Il arrive aussi qu'on
appelle « politique » ce qui nous paraît abscons.
* 14 Nicolas MACHIAVEL
conseillait, ne l'oublions pas, au dirigeant politique de ne reculer devant
aucun « moyen » adéquat, pourvu qu'il soit
utilisé avec discernement.
* 15 Parti politique au
pouvoir au Cameroun. Pour plus de détails voir le Chapitre 2 de la
1ère Partie de ce travail.
* 16 Voir le Chapitre 3 de
la 2ème Partie.
* 17 Selon l'auteur,
« Les vivants [les « simples citoyens » et les
« acteurs politiques »] sont, dans leur commerce quotidien
[dans leurs activités respectives] avec leurs semblables au contact avec
les esprits positifs et négatifs. Certains esprits négatifs sont
supposés détenir la faculté de capter l'énergie et
la chance des autres. On se retrouve ainsi devant certaines victimes innocentes
qui marchent à la traîne de la société alors que
tout semblait les prédestiner au peloton de tête ».
* 18 Cité par J.
PALOU (2002 : 48-49).
* 19 Cité par Ludovic
LADO in Ébénézer NJOH-MOUELLÉ et Émile
KENMOGNE (2006 : 384).
* 20 Cité par J.
PALOU, Op. Cit., P.110.
* 21 M. GRAWITZ (2001 :
355).
* 22 Voir le Chapitre 2 de
la présente étude.
* 23 Selon T. OBENGA
(1989 : 7) « Le berceau primitif immédiat et commun
à tous les peuples bantu est désormais fixé avec
sûreté dans la région comprise entre le Nigéria
oriental et le Cameroun occidental, celui des Grassfields ».
* 24 Mgr. T. MONGO
cité par E. WONYU (1975 : 10).
* 25 E. WONYU (1975 :
P.21) en se servant des notes de Mgr. Raponda WALKER du Gabon, souligne que
entre 500 et 1500 de notre ère, les forêts Babimbi,
Édéa, Yabassi et Kribi étaient peuplées par des
Fang ou Bulu qui furent chassés par des « sauvages
guerriers » de MODE SOP et BILONG BI NLEP. Dans la tradition orale
des Basaa, dans leurs chansons de geste, ils racontent eux-mêmes comment
ils chassèrent les « Libii » (Fang) des
forêts de Sakbayémé, Makak et Kribi.
* 26 Les portugais, avec le
marin FERNAO DO PO, sont les premiers Européens qui
débarquèrent sur cette côte en 1472.
* 27 Voir au début de
cette introduction générale, la carte du même nom.
* 28 Voir au début
de l'introduction la carte de localisation des Basaa au Cameroun (le groupe
Bassa). Sur cette carte on remarque que : les Basaa sont
délimités au Sud par les groupes Ngumba et Evuzok ; à
l'Est par les Ewondo ; au Nord-Est par les Eton et les Yambassa ; au
Nord par les Bandem et les Nyokon ; à l'Ouest et au Nord-Ouest
notamment par les Bakweri, les Balong, les Bakossi, et les Bakaka ; et au
Sud-Ouest par les Douala et les Malimba.
* 29 On trouve certaines
couches de population qui portent le nom Basaa au Libéria, en Sierra
Léone, au Togo (Nord), au Nigéria, au Zaïre, en Mozambique
et au Kenya (E. WONYU : 1975 : 22). En fonction de la distance et du
contexte sociopolitique qui les séparent des couches restées au
Cameroun, on peut penser que les liens sont tenus, mais la pensée
d'appartenir au même lignage (celui de l'Ancêtre fondateur) semble
demeurer dans quelques esprits.
* 30 Extrait du cite
Internet consacré au peuple Basaa : http :
www.litenlibassa.com.
* 31 Sur le plan du langage
par exemple, malgré quelques variations dans la prononciation ou dans le
lexique, l'on admet que les Basaa, Mpo'o et les Bati parlent tous la langue
Basaa, sont localisés dans le « groupe basaa » et
essaient tant bien que mal de coexister en ressoudant les liens familiaux qui
se sont quelque peu distendus avec le temps.
* 32 Idem.
* 33 UM NYOBE, nationaliste
camerounais et pilier de l'U.P.C d'avant l'indépendance (voir le
2ème chapitre de la 1ère Partie de cette
étude), est précisément né à Song-Peck, un
petit village situé à quelques kilomètres (6 à 9 km
environ) à l'intérieur de Boumnyebel.
* 34 L'Animisme que WONYU
appelle le « Nyambéisme », de
« Nyambè » ou
« Hilôlômbi » (Dieu), chez les
Basaa.
* 35 Madeleine GRAWITZ
(2001 : 496-498).
* 36 Pour plus de
détails sur la notion de « Mbombok » chez
les Basaa, voir la Première Partie (Paragraphe 1) de notre travail.
* 37 « Le libre
arbitre est cette capacité que Dieu a doté à chacune de
ses créatures faites à son image de choisir entre le Bien et le
Mal, selon ses aspirations, ses desseins »
(« Mbombok A.»).
* 38 Ce fut le cas d'une
« Dame » que nous avons
rencontrée chez un Mbombok et qui souffrait du
« Likang » (une affection occulte qui attaque les
membres inférieurs). Pour plus de détails voir la seconde partie
de notre travail.
* 39 J. F. BAYART (dir.)
(1993).
* 40 Extrait de La Bible
(1988 : 1016).
* 41 Dans le christianisme
c'est quelque peu l'inverse, puisque Dieu, après avoir
créé les cieux, la terre et tout ce qui devait les peupler,
décida de créer l'homme à son image puis la femme
(Genèse 1 : 1 à 27) in Bible (1973 & 1988).
* 42 Mot que nous
retrouverons plus tard quand nous parlerons du « San
Kundè ».
* 43 Ce rôle n'est que
premier et non exclusif, car, entre autres rôles nécessaires
à l'harmonie de la communauté, la femme, si les circonstances
l'exigent (comme nous le verrons dans le Chapitre 2), peut également se
battre au côté de l'homme.
* 44 Le chiffre 9 comme le
soulignait le « Mbombok B. »,
renvoie également aux 9 orifices qui composent le corps de l'Homme.
* 45 In Présence
Africaine, n° 66, P. 98 - 111.
* 46 BIRAGO DIOP (1960) in
L'Anthologie Africaine II (2003 : 54 -55).
* 47 Chez les Basaa,
lorsqu'une femme a vécu assez longtemps pour voir son arrière
petit fils, elle doit obligatoirement subir une cérémonie
traditionnelle prophylactique destinée à la prémunir
contre la « maladie du Dandi » dont les principaux
symptômes sont les suivants : noircissement de la peau, prise anormale de
poids, cécité ou surdité (jamais les deux en même
temps), le gonflement des genoux, le tremblement des membres...
(« Mbombok R. »).
* 48 Léon KAMGA
(2008 : 70) parle aussi de ce type de conversion chez les
Bamiléké en soulignant que : « aussi paradoxal que
cela puisse paraître, les « mtioum »
(vampires) jouent, en certaines circonstances et dans des conditions
précises, un rôle de protection [...] Aussi nous est-il revenu que
par un rite dont nous n'avons pas eu les détails, il était
possible, pour les titulaires de « totems », de tuer la
faculté de nuire chez un « Dioum » tout en lui
conservant la faculté de se
métamorphoser ».
* 49 Ce fut, par exemple, le
cas à Eséka du Chef et grand Mbombok MATIP MA NDOMBOL, le
père de l'homme politique, nationaliste camerounais et Mbombok
lui-même MAYI MATIP Théodore.
* 50 E. WONYU (1975 :
44).
* 51 ZENKER est connu chez
les Basaa sous le nom de « Seke ».
* 52 Terme que nous
empruntons à Frantz FANON (1961).
* 53 L. HURBON (1972).
* 54 L'intronisation par
exemple du Chef de la communauté (le «
Kingè »).
* 55 L. HURBON (1972).
* 56 Louis SEGOND
(1975 : 11-12).
* 57 Cette ligne
ferroviaire, il faut ce le rappeler, était, pour l'essentiel,
destinée au transport de matières premières, du pays basaa
vers la capitale. Et la matière première était ensuite
acheminée vers le pays colonisateur, la France.
* 58 La Mission dite
« civilisatrice » dont s'étaient arrogés les
Européens.
* 59 Tout comme les Basaa en
tant qu'Africains « primitifs », sont simplement
considérés comme « occidentalisables ».
* 60 Cité par Yves
GUCHET (1995 : 397).
* 61 François
MACÉ (1988 : 182-183).
* 62
« Panthéon des ancêtres illustres, des
bienheureux ».
* 63 Les « Ba
Mbombok » ou grands prêtres.
* 64 Il s'agit de
« l'alternance » qui doit être assurée pour
éviter tout risque d'immobilisme donc de « mort ».
Mot à mot l'expression renvoie aussi à ceci : le
« monde qui tombe doit se relever » ou encore là
où les générations précédentes ont failli,
les générations suivantes se doivent de combler (modestement) la
faille.
* 65 Dans la Bible (op.
Cit.), on peut aussi lire dans Exode (20 : 12) la « Loi
Divine » suivante : « Honore ton père et
ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le
SEIGNEUR, ton Dieu ». Comment comprendre alors que les
Européens, qui prétendaient apporter la
« civilisation », refusèrent aux Basaa de Boumnyebel
le droit d'honorer leurs « Ascendants » sur la terre qui
leur a été donnée par
« Hilôlômbi » à travers ces
derniers ?
* 66 Comme l'on fait les
colons européens dès leur arrivée.
* 67 Le Père
biologique et par ricochet l'Ancêtre et in fine
« Hilôlômbi » (Dieu).
* 68 Il va au
« Ndoa » ou Enfer, car il n'a rien fait de
positivement probant pour mériter une place dans le
« Grand Conseil des Ancêtres Illustres de
l'Au-delà » (« Mbombok
A. »).
* 69 Appelé Wouri par
les Duala.
* 70 Concept de nous
empruntons à A. MBEMBE in J. - F. BAYART, A. MBEMBE, C. TOULABOR
(1992 : 149-256).
* 71 Parmi ces pères
fondateurs A. EYINGA (Op. Cit.), cite : ASA'ALE Charles, BAGAL Guillaume,
MOUME-ETIA Léopold, NGOM Jacques, BOULI Léonard, ETOUNDI
Joseph-R, HONDT Guillaume, NGOSSO Théodore, YAP Emmanuel, MANGA MADO
H-R, YEMI Georges, BIBOUM Jacques-René.
* 72 Extrait des
STATUS DE L'UPC Tels que définitivement
établis au Congrès d'Eséka, 1952, in A. EYINGA
(1991 : 166-172).
* 73 En effet, le gouverneur
René HOFFHER, nous rapporte A. EYINGA (1991 : 29), dans un
télégramme adressé à BAGAL G. précise qu'il
n'avait pas approuvé la constitution de l'U.P.C, mais avait simplement
« accusé réception des statuts, ce qui ne signifie pas
approbation. Agissements ultérieurs de cette association restent
pleinement responsables devant tribunaux ». Le parti
nationaliste avait donc une épée de Damoclès sur la
tête, mais cela n'arrêtera pas l'ambitieux projet de ses meneurs.
* 74 Le
« Kundè » renvoyait à
l'époque à la « Réunification », pour
rassembler et consolider les forces des fils et filles du Kamerun, et à
l'« Indépendance », pour pouvoir
s'auto gérer sans immixtion étrangère.
* 75 Pour ce qui est de la
transcendance spirituelle de la parole, elle trouve son illustration la plus
achevée dans le « secret ». Nous
développerons cette idée dans la seconde section de ce
chapitre.
* 76 Parti politique, on
s'en doute bien, qui ne luttait pas vraiment pour l'évolution sociale du
Cameroun, mais plutôt pour la stagnation sociale, le maintien du statu
quo colonial.
* 77 Ces deux (2) hommes
étaient entièrement acquis au Gouvernement français.
AUJOULAT partagea les responsabilités du Gouvernement comme
Secrétaire d'État au ministère des Colonies. DOUALA MANGA
BELL, fut nommé Chef Supérieur de Bali avec
l'arrière-pensée de devenir un jour roi du Cameroun.
* 78 S'agissant du
délai de cette préparation, l'U.P.C avait proposé
dès 1949, une période de préparation de dix (10) ans,
à courir à partir de la date de conclusion des accords de tutelle
(1946). Selon cette proposition, le Cameroun devait accéder à
l'indépendance en 1956. Mais le Mouvement était resté
ouvert à toute autre proposition raisonnable, qui n'est jamais venue,
comme l'avait souligné UM NYOBE lors de son discours à l'ONU en
1952.
* 79 Dans la pratique
traditionnelle basaa, c'est ainsi que procédaient (et procèdent
encore) les Mbombok ou les Chefs traditionnels pour trancher un litige
entre des individus en conflit.
* 80 A. MBEMBE (1992 :
171).
* 81 UM NYOBE, au cours de
« la palabre de l'indépendance », s'est rendu
à l'ONU à plusieurs reprises notamment : en 1952, en 1953,
et en 1954.
* 82 A. EYINGA (1991 :
80).
* 83 Ainsi, MOUMIÉ
(médecin) venu de Maroua, et OUANDIÉ (instructeur) de Batouri,
ont rejoint à Douala leurs autres camarades.
* 84 In A. EYINGA (Op. Cit).
* 85 Voir Chapitre 1.
* 86 Texte de l'arrêt
du Conseil d'État et des conclusions du Commissaire du gouvernement M.
HEUMANN dans la « Revue juridique et politique de l'Union
Française », n° 4 d'Octobre - Décembre
1955 ; P. 809 à 818 ; in A. EYINGA (Op. Cit.).
* 87 Le
« Mbombok A. » soulignait que les patriotes
de la trempe de UM NYOBE étaient conscients du fait que la
« guerre » ne résolvait jamais rien. Elle profite
plus aux « forces diaboliques » et à leurs
utilisateurs, qu'à la communauté dans son ensemble. La guerre,
disait-il, « est un des multiples moyens utilisés par
les esprits maléfiques pour s'abreuver de la souffrance et du sang des
victimes innocentes ».
* 88
Le « Mbombok A. » nous
faisait remarquer que UM NYOBE, en sa qualité de «
Mporôl », disposait non seulement du soutien des
populations, mais surtout de celui des Ancêtres
(« Basôgôl »). Ceci lui permettait de
jouir d'un grand charisme et d'une « aura mystique » tout
à fait particulière.
* 89 Cette connaissance, il
convient de le souligner, était utilisée dans un but
constructif ; elle conférait à UM NYOBE et à ses
compagnons un « biopouvoir », un pouvoir destiné non
pas à détruire ou à répandre la mort
(« nécro pouvoir ») mais à consolider et
à libérer la Terre des Ancêtres.
* 90 Nom donné aux
patriotes camerounais qui luttaient dans les « maquis »
pour obtenir le « Kundè ».
* 91 Le caractère
« absolu » de cette technique tient au fait qu'elle est
l'ultime technique de défense occulte (la plus efficace) d'une part et
d'autre part, qu'elle est censée protégée, des
« attaques mystiques », à la fois son possesseur et
le plus proche entourage de ce dernier. Nous y reviendrons dans la seconde
Partie de ce présent travail.
* 92 Voir la
présentation des différents types de « Ba
Mbombok » faite par le « Mbombok
R. » au Chapitre 1 (Paragraphe 1. Cosmogonie et
organisation religieuse des Basaa).
* 93 Pour plus de
détails sur le concept de Dieu chez les Basaa, se référer
au Chapitre 1.
* 94 Voir aussi le
« retournement du Mbok Basaa » (Chapitre 1 du
présent travail).
* 95 Pendant cette
période de l'histoire du Cameroun, les assassins ne se contentaient pas
seulement de tuer les patriotes, mais pour s'assurer que la victime
était, bel et bien décédée, d'une part et d'autre
part pour avoir un trophée de guerre, on la décapitait. Cette
pratique était aussi due à la croyance au pouvoir de
« blindage » que le
« Kòn » (déjà cité
plus haut) conférait aux « maquisards ».
* 96Au niveau
« verbal » de la parole, au niveau
« physique » du corps, et au niveau
« Invisible » des forces occultes.
* 97 A. MBEMBE (1987 :
15).
* 98 Les populations, tous
âges confondus, sont de plus en plus conscients de l'impact des forces
de l'Invisible sur leur vie quotidienne. Cette
« vulgarisation » est aussi due aux nombreuses
informations, sur l'action des forces occultes, que diffusent les mass
média (la télévision, la radio, la presse...). Certains
maîtres d'ésotérisme sont souvent volontaires pour en
parler sur les antennes. Le plus connu d'entre eux étant Patrick NGUEMA
NDONG, qui anime d'ailleurs une émission à ce sujet sur les
antennes d'Africa numéro1. Au Cameroun, nous pouvons citer le Mbombok
Benoît BITONG, qui intervient parfois sur la Chaîne STV2.
* 99 Support fondamental
à toute activité politique.
* 100 Pour nous, le
« nouveau patriote » est celui ou celle qui, sans se voiler
la face, affronte, avec tous les « moyens » disponibles,
courageusement les dangers de son époque tout en oeuvrant pour le
développement de la « Terre » qui l'a vu (e)
naître et pour le bien-être de ses semblables. Pour reprendre les
mots du « Mbombok A. » :
« Le nouveau ou la nouvelle patriote est un (e) théurgien (ne)
dans la mesure où il (elle) sait faire appelle à la Force
Suprême, à « Hilôlômbi »
(Dieu) qu'il (qu'elle) s'est choisi (e) comme Maître ».
* 101 Voir Chapitre premier
pour plus de détails sur la conception du monde (le
« Mbok ») chez les Basaa.
* 102
Le « Mbombok R. »
soulignait que : « c'est ce « soufflé
igné » qui retourne vers
« Hilôlômbi » (Dieu) lorsque le
« digne fils », c'est-à-dire, celui qui a bien
accompli son devoir durant son séjour terrestre,
décède ».
* 103 Le corps humain,
enseigne t-on, aux élèves de l'école primaire, comprend
trois (3) parties principales : la tête, le tronc et les quatre (4)
membres (deux supérieurs et deux inférieurs).
* 104 Comme le coeur, il
constitue l'un des principaux centres énergétiques de l'Homme, au
niveau duquel se concentrent notamment toutes les forces et les
énergies.
* 105 Arrondissement voisin
de Ngok-Mapubi.
* 106 Il semblerait que les
sorciers ne s'attaquent qu'aux plus faibles, rarement à ceux qui ont des
moyens de défense.
* 107 Littéralement
« la manducation de nuit » en langue basaa.
* 108 Voir aussi chez les
Bamiléké, le rôle des
« Metchouo'o » (spécialistes en extraction)
mentionné par Léon KAMGA (2008 : 66).
* 109 Cité par J.
PALOU (2002 : 14-15).
* 110 Voir aussi RETEL -
LAURENTIN Anne (1974).
* 111 La ficelle peut
être faite à partir d'une plante appelée
« Hilèl - Ngwo » ou à partir de
feuilles de « Nkoko - Mback ».
* 112 Voir Chapitre 2 du
présent travail.
* 113 Pour plus de
détails sur le mode opératoire de cette « technique
occulte » voir aussi le Chapitre 2.
* 114 Voir la typologie des
« Ba Mbombok » esquissée par le
« Mbombok R. » au Chapitre 1 de
la présente étude.
* 115 Pour plus de
détails sur la technique, voir Chapitre 2.
* 116 Nous reviendrons sur
l'usage des forces de l'Invisible fait par les acteurs politiques dans le
Chapitre 4 du présent travail.
* 117 Et politique comme
nous le montrerons au Chapitre 4.
* 118 Nous n'analysons ici,
que l'aspect destructeur et nuisible de cette technique qui semble être
plus répandu.
* 119 Il semblerait que la
possibilité, par ce « procédé
occulte », de vider les urnes ou d'en changer le contenu lors
d'élections ne soit pas une simple vue de l'esprit. Nous y reviendrons
dans le Chapitre 4.
* 120 Nous reviendrons un
peu plus en détails, au Chapitre 4, sur l'influence du concept de
« chance » dans l'activité politique
* 121 L. KAMGA (2008 :
25).
* 122 D'où Les
expressions Basaa « Bom làm »
(« avoir un bon front, c'est-à-dire, de la chance »)
et « Bom bè » (avoir un mauvais front,
c'est-à-dire, de la malchance »).
* 123 Le plan politique
sera abordé au Chapitre 4 de la présente étude.
* 124 Nous reviendrons
amplement, dans le Chapitre 4, avec M. WEBER, sur ces deux (2) types
d'éthiques qui fondement l'Homme politique véritable.
* 125 Ou
« richesse satanique » pour reprendre la formule de Charles
ATEBA EYENE (journaliste camerounais).
* 126 Propos extrait de
l'entretien de Septembre 2008 avec le « Mbombok
A. ».
* 127 Nous reviendrons, au
Chapitre 4, avec M. WEBER sur la notion de « domination »
sur le plan politique.
* 128 Des rumeurs courent
même que dans ces « églises », des
« frères et des soeurs en Christ » se livrent sans
vergogne à d'immenses orgies. Un autre « moyen »,
d'ailleurs, qui permet au « gourou » de capter les
énergies et de contrôler les esprits ainsi que les corps.
* 129 Nous avons pu noter,
aux détours de certaines conversations, que certains Camerounais
entraient dans de telles « églises » non pas par
« foi », mais parce qu'ils voulaient faire partie d'un
certain « réseau » d'individus nantis et puissants
sur le plan social ou politique.
* 130 Pierre Meinrad HEBGA
(1982).
* 131 Il constitue
également l'une des nombreuses « techniques occultes de
protection et de défense » qui font partie intégrante
du « Kòn » (la « Défense
absolue ancestrale »).
* 132 Soulignons avec
François MACÉ (1988 : 98-99) que pour les tenants du
Shintoo (shintoïsme), celui-ci est « la
religion nationale du Japon, l'essence même de la japonéité
[...] et serait le fondement de l'« être
japonais » ».
* 133
« Maîtres de l'Invisible » est un concept plus
englobant. Il renvoie d'une part aux « sorciers » et
d'autre part aux « Ba Mbombok » qui
utilisent les forces de l'Invisible de manière différente et
diamétralement opposée.
* 134 Un prêtre qui a
réussi à se faire initier, à Douala, dans le monde des
« maîtres de l'Invisible » (nganga ou
guérisseurs).
* 135 Le sorcier
lui-même peut se transformer en insecte et transporter le poison dans les
nutriments de sa cible : « Il associe donc ici les techniques de
métamorphose et d'empoisonnement »
(« Mbombok A. »).
* 136 Nous reviendrons, un
peu plus tard, avec N. MACHIAVEL sur cette notion de
« talent » cardinale en politique selon lui.
* 137
« Mbombok A. ».
* 138 Pour plus de
détails sur ce savoir occulte du « Mbok
Basaa » voir aussi la typologie des « Ba
Mbombok » élaborée par le
« Mbombok R. » au Chapitre 1.
* 139 Au sens de M. WEBER,
c'est celui qui est capable de concilier « l'éthique de
conviction » et « l'éthique de
responsabilité ». Nous y reviendrons.
* 140 Comme nous avons
essayé de le démontrer un peu plus loin, il semblerait que par
« voie occulte » il soit possible de se constituer un
électorat ou des supporters.
* 141 Même si
à Boumnyebel, les Ba Mbombok admettent cette
possibilité, ils préfèrent éviter de donner des
exemples et des cas précis.
* 142 Yves GUCHET, Op.
Cit., P.209-220.
* 143 Le destin de
César de BORGIA est marqué par une « extraordinaire et
extrême malignité de fortune ». Ayant acquis ses
États « par le moyen de la fortune de son
père », le pape ALEXANDRE VI, la situation politique de C.
BORGIA au départ était très précaire. Il fera
pourtant preuve de « talent » en
brouillant un jeu politique défavorable et en imposant une nouvelle
donne des cartes. Cette habilité politique lui permit : de susciter
des antagonismes là où ils n'y en avaient pas ; de
dissimuler ses sentiments véritables en se réconciliant avec des
adversaires afin de mieux les abattre ensuite. Mais lorsque le pape meurt -- et
c'est là qu'intervient la « chance »--, BORGIA
lui-même est très gravement malade et est incapable
d'empêcher l'élection de JULES II. Pourtant, aucun de ses
adversaires politiques ne profite de cette situation favorable pour
l'abattre : telle était sa « puissance
dominatrice » qui résultait donc d'un mélange subtil de
« talent » et de « chance ».
* 144À ce propos,
Marshall SINGER (1972 : 59), considérait à juste
titre que : « la puissance repose aussi bien, sinon plus,
sur la capacité d'attirer qu'elle ne repose sur la capacité de
contraindre ». C'est d'ailleurs en s'inspirant des réflexions
de cet auteur, que Joseph NYE a développer le concept ce
« soft power » ou « puissance douce »
qu'il opposa à la « hard power » ou
« puissance dure ».
* 145 Cité par
Richard BANÉGAS in Christophe JAFFRELOT (dir.) (2000 : 509-541).
* 146 Propos du Cardinal
MALULA, archevêque de Kinshasa, cité par J.-F. BAYART (1993 :
130).
* 147 Luc SINDJOUN
(2002).
* 148 Propos extrait du
discours du Président Gabonais El Hadj Omar BONGO prononcé le 5
Juillet 1982, cité par T. OBENGA (1989 : 21).
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