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L'émigration dans le Damga: l'exemple du village de Wodobéré dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal

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par Abdoulaye THIOYE
Université Cheikh Anta Diop - Maà®trise en Géographie 2009
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
***********
DEPARTEMENT DE GEOGRAPHIE

THEME :

L'EMIGRATION DANS LE DAMGA :

L'EXEMPLE DU VILLAGE DE WODOBERE

DANS LA MOYENNE VALLEE DU FLEUVE

SENEGAL

Présenté par : Sous la direction de :

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Année universitaire 2008-2009

Abdoulaye THIOYE Ahmadou Fadel KANE, Maître-assistant

SOMMAIRE

REMERICIEMENTS

AVANT-PROPOS

INTRODUCTION

PROBLEMATIQUE

PREMIERE PARTIE : Présentation générale du village de Wodobéré

CHAPITRE I : Présentation du cadre physique et humain

I. Le cadre physique

II. Le cadre humain

CHAPITRE II : Les caractéristiques sociales et économiques

I.L'organisation sociale

II. Les activités économiques

DEUXIEME PARTIE : Les facteurs fondamentaux et le déroulement de l'émigration

CHAPITRE I : Les facteurs fondamentaux de l'émigration

I. Les facteurs structurels

II. Les facteurs conjoncturels

III. Les contraintes sociales

IV. Les réseaux facilitateurs

CHAPITRE II : Le déroulement de l'émigration

I. L'organisation des départs

II. Les étapes

III. Les types de migrations

TROISIEME PARTIE : Les transferts d'argent et les facteurs négatifs de l'émigration sur la population résidente

CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur utilisation

I. Les transferts d'argent : origines géographiques et volume des fonds.

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II. L'utilisation des transferts d'argent

CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de l'émigration sur la population résidente

I. Les facteurs socioculturels

II. L'émigration, facteur de dégénérescences de l'économie locale CHAPITRE III : le village de Wodobéré face aux défis de l'émigration

I. La permanence des facteurs d'émigration

II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt définitif des départs

CONCLUSION

REMERCIEMENTS

Mes remerciements s'adressent en premier lieu au Professeur Ahmadou Fadel Kane qui, malgré ses activités, a accepté de diriger et d'orienter mes recherches. Monsieur le Professeur, je vous témoigne, ici, mon éternelle et sincère reconnaissance pour toutes nos rencontres au sortir desquelles je repartais toujours requinqué et prêt à persévérer dans la recherche. Sans votre soutien, vos conseils et votre disponibilité ce document n'aurait pas pris forme.

Je remercie, sans distinction aucune, tous les professeurs du Département de Géographie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université Cheikh Anta Diop qui ont su nous assurer une formation de qualité qui hisse ce temple du savoir parmi les meilleures de l'Afrique.

A notre vaillante maman qui nous a très tôt inspiré le sens de responsabilité et du travail. Tu nous as toujours dit, maman, de ne compter que sur nos efforts pour surmonter les épreuves de la vie.

Mon infinie reconnaissance à mon frère Amadou THIOYE qui, après la disparition de notre cher père, alors que je n'avais que six ans, s'est acquitté de ses devoirs d'aîné en se substituant à ce dernier. Aujourd'hui, l'émigration a fait justement que tu es à mille lieues d'ici mais tu es honoré par ce travail, j'en suis sûr. Qu'il me soit permis, frère, de te rendre un vibrant hommage car n'eut été ton soutien indéfectible, ce jour ne serait que songe.

J'associe à mes remerciements toute la famille THIOYE d'ici et d'ailleurs et tous mes amis qui, j'en suis persuadé, se reconnaitront ici.

J'ai conscience de ce que vous représentez pour moi.

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SIGLES ET ACRONYMES

ANSD : Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie

ATOM : Aide aux Travailleurs d'Outre-mer

AWDES : Association de Wodobéré pour le Développement de l'Education et la Santé BAD : Banque Africaine de Développement

BM : Banque Mondiale

DAT : Direction de l'Aménagement du Territoire

DTGC : Direction des Travaux Géographiques et Cartographiques

GIE : Groupement d'Intérêt Economique GPS : Global Positioning System

HLM : Habitation à Loyer Modéré

IFAN : Institut Fondamental d'Afrique Noire

IRD : Institut de Recherche pour le Développement MAS : Mission d'Aménagement du Sénégal

OIM : Organisation Internationale des Migrations

OMVS : Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal

ONG : Organisation Non Gouvernementale P.I.B : Produit Intérieur Brut

Pmm : Précipitations en millimètre de pluies RM : Rapport de Masculinité

SAED : Société d'Aménagement et d'Exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance

Tm : Température moyenne

Tn : Température minimale

Tx : Température maximale

T° : Température

UCAD : Université Cheikh Anta Diop

Avant-propos

Devant sanctionner les études du second cycle, ce mémoire de maîtrise se veut une mise à jour des données et des informations reçues jusqu'à nos jours sur les mouvements migratoires de populations dans la province du Damga en général et sur l'émigration à partir de Wodobéré en particulier.

Notre souci majeur est d'essayer de faire une analyse du phénomène migratoire afin de mieux cerner la question de l'émigration. Pour se faire, la quintessence de notre analyse se portera sur la genèse, les mobiles, la structuration et les effets de l'émigration sur la communauté villageoise, d'une part, et sur les ménages, d'autre part.

En effet, au delà de notre souci de présenter ce travail qui devra sanctionner nos études du second cycle, nous voudrions étudier et faire connaitre l'ampleur de l'émigration dans cette partie du Sénégal. L'approche qui est ici privilégiée ne prétend nullement à une quelconque exhaustivité de l'étude sur l'émigration, mais d'en faire une analyse allant de son avènement à ses impacts en passant par ses manifestations. Il s'agit plus modestement de mettre en exergue l'ampleur de l'émigration sous l'oeil critique du géographe.

Le Damga sénégalais est la province du Fouta qui va de Ogo à Dembankané. Il est limité au nord par le Nguénaar, au sud par le Guilmakh à l'ouest par le Ferlo et à l'est par la Mauritanie. Il est caractérisé par une situation climatique précaire mais a l'avantage d'être bordé au Nord Est par le fleuve Sénégal. Le Damga est constitué du diéri, d'une importante plaine alluviale qui constitue d'ailleurs la majeure partie de son territoire et d'un bourrelet de berge qui surplombe le fleuve Sénégal. Le village de Wodobéré, cadre géographique de notre étude, est, à l'instar de beaucoup de villages du Daande maayo, est situé sur la rive concave des méandres.

Le site du village de Wodobéré est un foondé qui est entouré par une vaste plaine alluviale submersible durant une certaine période de l'année. Ce village se situe entre Thialy et Thiemping respectivement à quatre kilomètres du premier et de trois kilomètres du second. Il est à neuf kilomètres au nord Est de Kanel et est pratiquement à dix huit kilomètres à vol d'oiseau au sud Est de Matam.

Wodobéré, comme toutes les localités du Daande maayo, est doté de potentialités naturelles énormes. La terre et l'eau existent en abondance mais restent cependant mal exploitées, si elles ne sont pas tout bonnement non exploitées. La population aurait beaucoup à gagner si la terre était mise en valeur. Cependant, on note l'absence de l'action de l'Etat parce qu'il n'existe pas un seul secteur dans lequel l'Etat a intervenu. Avant

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l'intervention des émigrés, il n'existait pratiquement pas de services sociaux de base ; hormis une case de santé et un forage mis en place par les populations, l'éducation, la santé et la communication étaient laissées en rade.

En effet, malgré l'existence de ces potentialités, le village enregistre un taux important d'émigrants qui est une conséquence directe de ce manque de moyens. Il comprend aujourd'hui d'importantes réalisations d'ordre socio-économiques comme une case de santé, un poste de télécommunication et plus récemment un collège d'enseignement moyen qui est l'oeuvre des émigrés. Les changements d'ordre infrastructurel, l'amélioration des conditions de vie dans ce village et l'accroissement du taux des émigrés attirent notre attention. C'est d'ailleurs ce qui justifie notre choix de cette localité.

Aujourd'hui, qu'adviendrait il de Wodobéré sans l'émigration ? Que serait-il sans l'apport de l'émigration ? Quels sont les facteurs qui déterminent le choix des populations ? Pour mieux appréhender la problématique de l'émigration, il serait nécessaire de passer en revue toutes les potentialités et les attributs géographiques du milieu étudié. Ce qui nous permettra de saisir l'ampleur de l'émigration et les retombées qui en découlent. Ainsi, nous aurons à étudier les données humaines et géographiques de ladite localité en corrélation avec l'émigration.

INTRODUCTION

En permanente recherche du bien être, de meilleures conditions de vie et de l'équilibre social, l'homme est au coeur des mutations. Guidé par des facteurs socioéconomiques et dès fois contraint par des facteurs écologiques ou politiques, il essaie de tirer le maximum de profit de son environnement immédiat et/ou lointain. Ses besoins changent dans le temps et dans l'espace.

L'Afrique, après plusieurs siècles de pillage, par l'entremise de ses élites, cherchait tant bien que mal à sortir de l'ornière. Ainsi, au lendemain des indépendances plusieurs politiques ont vu le jour pour réorganiser l'espace et structurer les économies nationales. En effet, ces politiques, loin de se démarquer de l'expertise coloniale, ont adopté les mêmes habitudes, les mêmes pratiques léguées par les puissances coloniales. Très rares sont les pays africains où l'on a essayé de construire une économie à l'image des besoins des nationaux.

Au Sénégal, des politiques agricoles ont été amorcées ça est là par la puissance coloniale. A partir de 1935, avec la Mission d'Aménagement du Sénégal (MAS), l'on commençait déjà à réfléchir sur l'aménagement de la vallée du fleuve. C'est dans ce cadre que les premiers casiers irrigués furent conçus, dans l'optique de fixer les populations dans leur terroir. Cette politique a été renforcée après l'indépendance par la mise sur pied des structures sous régionales telles que l'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) mais aussi par la construction d'un barrage en amont du fleuve Sénégal. L'un des objectifs majeurs de l'OMVS, en construisant ce barrage régulateur de débit, était d'assurer la mise en valeur des terres arables et la fixation des populations.

Cependant, les autorités sénégalaises avaient du mal à se démarquer de la politique agricole instaurée par la puissance colonisatrice. Les mêmes pratiques culturales ont été de mise au lendemain de l'indépendance du Sénégal. Le bassin arachidier qui a été le joyau de la Métropole resta le domaine des cultures de rente par excellence alors que le fleuve perdait de plus en plus son rôle. Le fleuve constituait un trait d'union entre les comptoirs commerciaux et l'intérieur de l'Afrique. Alors, il servait aux colons de moyen de communication pour relier l'intérieur de l'Afrique aux comptoirs commerciaux. Pendant plusieurs années, le fleuve a permis à la puissance coloniale de ponctionner des villages de leurs populations pour l'exploitation des terres du centre du Sénégal. Cette tendance a demeuré au lendemain de l'indépendance et aucune activité économique significative pouvant intéresser les populations riveraines n'était pratiquée.

En effet, dans le même temps, les problèmes fonciers se multipliaient entre l'Etat, qui voulait avoir une mainmise sur l'ensemble des terres, et les chefs coutumiers soucieux de conserver leurs domaines. L'essentiel des aménagements hydro-agricoles entrepris par l'Etat par le biais de la Société d'Aménagement et d'Exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal (SAED) connût un échec avant même que le Damga n'en bénéficiât. Ainsi, au moment où la sécheresse des années soixante frappait de plein fouet les écosystèmes, les cultures en milieu diéri étaient pratiquement abandonnées et les populations se désintéressaient de celles en milieu walo.

Ces cycles de sècheresses combinés aux effets conjugués des politiques citées cidessus et aux critères structurels tels que la hiérarchisation de la société vinrent perturber l'organisation sociale. L'accès à la terre étant difficile pour certains, la monétarisation de l'économie et une baisse notoire de la pluviométrie au début des années soixante dix déclenchèrent une émigration qui prend très vite une ampleur considérable. Les populations de la vallée du fleuve Sénégal en général et celle du Damga en particulier étaient frappées de plein fouet par des disettes et des manques criards de ressources. Ainsi, elles adoptèrent la même voie de sortie de crise qui fut l'émigration vers d'autres régions plus propices et moins touchées par ces difficultés économiques.

En outre, au-delà de ces paramètres, il faut noter que les Halpulaar ont toujours été de véritables migrants. En remontant l'histoire, on constate qu'ils étaient même venus par le nord pour peupler cette partie du Sénégal et « ils ont émigré dès le moyen âge avec les Peuls du Fouta Djallon fuyant probablement les querelles du Fouta Toro »1. Au XIème siècle déjà on retrouvait des Halpulaar au front des djihads pour propager l'Islam. Les migrants sont constitués également de Peuls qui, pour la recherche de pâturages, sont contraints de se déplacer périodiquement vers les endroits où il existe de l'eau et des pâturages pour leurs animaux.

Cependant, dans la présente étude nous nous intéressons aux migrations à caractère économique, c'est-à-dire celles qui se font dans le souci de trouver une situation économique meilleure que celle offerte par la zone départ. Il s'agit de l'émigration interne et internationale à partir de Wodobéré.

Le village de Wodobéré, situé à l'extrême nord Est de la communauté rurale de Ouro-Sidy dans la Province du Damga est une localité sans activités pouvant retenir la population active en proie à une émigration qui ne cesse d'augmenter. Ainsi, la stagnation

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1 Diop Abdoulaye Bara : Société Toucouleur et migration : enquête sur l'immigration toucouleur à Dakar, p62

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de l'économie de subsistance combinée à la tradition migratoire des Halpulaar et des rapports sociaux contrastés sont des facteurs qui ont favorisé une émigration sans commune mesure au niveau de cette localité.

Ces facteurs, combinés aux effets conjugués de la conjoncture internationale et des différentes politiques d'ajustements structurels (PAS) font qu'aujourd'hui la dynamique migratoire est beaucoup plus complexe et connait des reconfigurations importantes. Ils agissent aussi bien dans la temporalité des migrations que dans la distribution géographique des flux.

Ainsi, notre T.E.R. intitulé « L'émigration dans le Damga : l'exemple du village

de Wodobéré dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal » est structuré en trois parties :

- en première partie nous ferons une présentation générale du village de Wodobéré, - dans la deuxième partie nous analyserons les facteurs fondamentaux et le

déroulement de l'émigration,

- les transferts d'argent et les facteurs négatifs de l'émigration sur la population résidente feront l'objet de la troisième et dernière partie.

PROBLEMATIQUE

Définie comme << le passage d'habitants d'un pays dans un autre [...] et employée par extension pour désigner le départ de population d'une région vers une autre région ou vers une ville >>2, l'émigration est un phénomène qui touche toutes les composantes des sociétés dans le monde. De cette tentative de définition, nous retenons que l'émigration a toujours existé même si les formes et les critères qui la déterminent ont beaucoup évolué. Ainsi, le peuplement de la terre n'est rendu possible que par les déplacements des habitants d'un lieu vers un autre. L'homme aurait quitté l'Afrique orientale, berceau de l'humanité (si l'on se fie à l'archéologie), pour gagner par la suite le reste de la planète. C'est ainsi dire que la migration est aussi vieille que l'humanité. Toutefois, elle diffère dans ses formes et dans ses fins selon le temps et l'espace. D'un continent à un autre, d'une époque à une autre nous enregistrons différentes sortes de migrations.

En Europe occidentale, malgré l'existence des mouvements migratoires depuis l'antiquité, c'est au début du XIXème siècle qu'apparurent les flux les plus importants. Son déficit en main-d'oeuvre et l'écart économique par rapport à l'Europe de l'est ont fait d'elle une zone d'accueil. << Des différences de gains allant parfois de plus de cinquante pour cent à presque cent pour cent et au-delà sont évidemment susceptibles d'inciter un travailleur même pourvu d'un emploi normal à chercher un travail à l'étranger >>3. Il s'agit d'une émigration économique. Cela est vrai dans la mesure où l'essentiel des ouvriers de l'époque était constitué par des européens de l'Est. Cette période est marquée par une véritable ruée des populations de l'Est vers l'Europe occidentale mais également vers l'Amérique.

Dans ce dernier continent, le peuplement est essentiellement lié aux mouvements de populations venues du monde entier. Hormis l'occupation des Etats-Unis par les amérindiens, c'est à partir du XVIème siècle qu'on a commencé à noter des mouvements importants de populations. L'existence des terres, l'esclavage et la découverte de l'or à Sutter's Mill en janvier 1846 ont été des facteurs qui avaient favorisé une immigration intense. Et << pendant plusieurs siècles, les Etats-Unis, véritable terre d'accueil et de rencontre, ont servi d'exutoire aux persécutés politiques et religieux, aux victimes de la révolution agricole et industrielle de l'Europe, aux insoumis et aux déportés >>4. L'existence de l'or mais également la stabilité politique ont stimulé une forte

2 Pierre George : Dictionnaire de la Géographie, p166

3 OCDE : L'OCDE et les migrations internationales, p14
4Ciss Gorgui : << Mobilité et espace aux Etats-Unis >>, p25

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immigration5. Ils furent une terre d'immigration des asiatiques, des australiens et des européens fuyant la misère ou la persécution politique. Il s'agissait là d'une double émigration c'est-à-dire de l'émigration économique et de l'émigration politique. Cette dernière peut être en effet forcée. Différentes politiques d'immigration y virent le jour pour encourager, limiter ou contraindre les mouvements.

L'Afrique se singularise par son niveau économique très faible, son instabilité politique et par la rareté des ressources économiques. Ainsi, famines et guerres, entre autres, contraignent la population à se déplacer vers les zones assez apaisées et à économie relativement importante. L'émigration « se traduit sur le plan humain par l'espoir d'améliorer son propre niveau matériel de vie (dans le présent ou dans l'avenir, grâce aux possibilités d'épargne)»6. En plus d'une économie très faible, depuis quatre décennies, on assiste à une péjoration du climat en Afrique et donc de sa pluviométrie. Ceci rend les productions agricoles mauvaises et installe des situations de crise alimentaire. Dans ce même ordre d'idée on peut noter un déséquilibre notoire entre la bande côtière et l'intérieur des pays. Les principales villes sur les littoraux des différents pays ouest africains font l'objet d'une concentration de l'essentiel des services au détriment de l'arrière pays.

Tous ces paramètres font de l'Afrique un continent qui se cherche et dont les populations sont en perpétuel mouvement. Avec une démographie galopante et une rareté des ressources, « les sociétés rejettent au dehors leurs surplus »7. Il y a surplus de population non pas par rapport à la surface occupée mais par rapport à la disponibilité des ressources. Ainsi, les régions disposant des économies plus prospères ou des possibilités d'emploi accueillent les populations des autres contrées. C'est dans ce cadre que la Côte d'Ivoire, avec une économie relativement prospère, avait accueilli les sénégalais, les burkinabés, les maliens entre autres qui étaient à la recherche de meilleures conditions de vie au début des années soixante et soixante dix. Ce fut également le cas sur les deux rives du Congo avec l'existence de ressources minières. Au Nigeria, c'est l'exploitation de l'or noir au cours du siècle dernier qui avait impulsé une forte immigration.

En effet, nous assistons aujourd'hui à des mouvements inverses. Les pays d'accueil, il y a moins d'un siècle, sont devenus des potentiels pourvoyeurs d'émigrants. Cela s'explique par de nombreux problèmes notamment d'ordre conjoncturel comme

5 Immigration : l'émigration vue du coté des lieux d'accueil

6 OCDE : Op.cit., p15

7Sorre Max : Les migrations des peuples, p15

l'instabilité politique. La présence des nigérians, ghanéens, ivoiriens et congolais au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso en est un exemple illustratif.

En outre, à l'intérieur d'un même pays les disparités économiques notées ci-dessus sont de mise. Un développement économique déséquilibré entre les capitales et leur arrière-pays serait à l'origine des mouvements de populations. L'inégalité des régions en équipements, en infrastructures, en services sociaux de base ; la disponibilité des ressources et de meilleures conditions climatiques font de Dakar une région d'accueil par excellence au détriment du reste du pays. Au Sénégal et partout en Afrique « les Etats ont maintenu une infrastructure (santé, école) dans les différentes capitales régionales. Au niveau du monde rural, ils se sont contentés de prélever l'impôt sans pour autant apporter une quelconque contrepartie >>8. L'essentiel des services du secondaire et du tertiaire est concentré dans la capitale. Il y existe également les meilleures possibilités de travail. Ce qui crée un fossé économique entre les régions entrainant ainsi des mouvements de populations. Ainsi, « Les personnes se déplacent parce qu'elles y trouvent un avantage, une amélioration de leurs ressources, un cadre de vie plus agréable, [...] >>9. Ce qui fait que Dakar enregistre le taux le plus important de migrants internes et internationaux du pays.

La quasi-totalité des régions de l'intérieur du Sénégal est touchée par les migrations vers la capitale, voire d'autres horizons. La région du Damga, objet de notre étude, possède un taux d'émigration inquiétant qui fait de cette partie septentrionale du Sénégal une réserve qui alimente aussi bien l'émigration interne qu'internationale. L'histoire du Damga en corrélation avec son évolution écologique et socio-économique nous permet de défendre la thèse selon laquelle, elle constitue une zone de départ par excellence.

Dans le Damga et partout ailleurs au Fouta il existe une société très hiérarchisée. Ainsi, à l'intérieur d'un même terroir on retrouve différents groupes statutaires. C'est dans ce cadre qu'on perçoit des libres/nobles, des dépendants/castés et des descendants de captifs qui ont chacun des attributs bien déterminés. Selon le groupe on peut ou non détenir un patrimoine foncier. Pour pratiquer l'agriculture, certains groupes statutaires doivent prendre en métayage ou emprunter les champs aux propriétaires qui sont pour l'essentiel des nobles. Ceci pourrait constituer une raison suffisante pour que ceux qui n'ont pas de terre émigrent.

En plus de cette inégalité sociale, le Damga se situe dans une zone qui connaît depuis plus de quatre décennies une pluviométrie déficitaire. Sa proximité avec la

8 Daum Christophe : Quand les immigrés du Sahel construisent leurs pays, p22

9 Dumont Gérard François: Les migrations internationales : les nouvelles logiques migratoires, p77

Mauritanie fait de lui une partie très influencée par le désert. Ainsi, si d'aucuns soutiennent que ce n'est pas << l'évidence tautologique des écarts de revenus potentiels »10 qui serait à l'origine des départs mais plutôt << la transformation de l'organisation socio-économique du monde rural qui exige le départ d'une fraction de sa population »11, l'étude du Damga montre que c'est inéluctablement l'amenuisement de chances de trouver un emploi qui serait à l'origine des départs.

Notons cependant que le Damga possède une partie de son territoire constituée essentiellement de plaines alluviales pouvant abriter les cultures de décrue et une aire importante pour les cultures sous pluies. C'est ainsi dire que l'émigration ne devrait pas être l'une des rares réponses de l'homme face à un environnement hostile.

Wodobéré, cadre géographique de notre étude, est une partie intégrante du Damga. Ce qui conduit à dire que ce village est marqué par les mêmes caractéristiques sociales, économiques et climatiques citées ci-dessus. En effet, ce qui retient notre attention dans ce village c'est la quasi-absence des hommes en âge de procréer et une prépondérance des femmes, des vieux et des jeunes. Paradoxalement, en dépit de l'absence des hommes valides on constate une nette transformation du bâti et des conditions de vie meilleures par rapport aux villages environnants.

Le village de Wodobéré nous intéresse dans la mesure où, malgré l'abondance de la littérature sur la problématique des migrations, il n'existe pas, à notre connaissance, des chercheurs qui y sont intéressés. Alors que l'émigration à partir de cette localité est importante aussi bien en terme de personnes concernées que par les retombées positives qu'elle génère. Les ménages ont, dans leur majorité, un ou plusieurs éléments émigrés qui participent substantiellement à l'amélioration des conditions de vie de la communauté. Aujourd'hui, nonobstant l'absence de l'action de l'Etat, beaucoup de réalisations ont pu être effectuées dans ce petit village situé aux confins du Sénégal grâce aux fonds générés par l'émigration.

L'intérêt que nous accordons au sujet réside dans le fait que l'émigration régit l'activité sociale, économique et culturelle de ladite localité. Il n'existe aucune autre activité pouvant intéresser les jeunes puisque dans les débats, sous l'arbre à palabres et à toutes les rencontres, trouver les moyens de quitter reste l'unique équation qu'ils cherchent à résoudre. Sous un autre aspect, ce choix se justifie par le fait que malgré la disponibilité

10 AMIN Samir : << Introduction », in Les migrations contemporaines de l'Afrique de l'ouest, p33

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11 AMIN Samir : Ibid., p33

de l'eau et de la terre, la population active est quasi absente du terroir. L'émigration touche l'essentiel de la population.

Pour cerner la dimension géographique du thème - l'émigration est un concept analysé par des sociologues, des anthropologues, des économistes etc.- posons-nous la question de savoir quels sont les facteurs géographiques qui sous-tendent l'émigration dans cette localité et l'engouement qu'en nourrit la population de Wodobéré ? A quelle époque s'estelle véritablement déclenchée ? Quels sont les principaux facteurs qui incitent à l'émigration ? Quel est le processus et quelles sont les différentes phases et étapes que franchissent les émigrants ? Quels sont les principaux pays d'accueil ? Les retombées de l'émigration permettraient-elles de compenser les moyens investis pour sa réalisation ? Quelles conséquences aurait-elle sur la zone de départ ?

Les réponses à ces questions nous permettront de mieux appréhender la problématique de l'émigration à partir du Damga. Elles faciliteront également une meilleure compréhension des déterminants, des typologies et des conséquences de l'émigration dans le Damga à partir de l'exemple de Wodobéré.

v' L'objectif principal de ce TER, au-delà de l'initiation à la recherche, est d'analyser la problématique de l'émigration à partir du Damga en prenant l'exemple du village de Wodobéré.

Nous avons élaboré les objectifs spécifiques suivants afin de mieux cerner notre champ d'analyse :

- le premier objectif spécifique est de montrer l'ampleur et la typologie de l'émigration dans ce village.

- le deuxième objectif spécifique de cette étude est de faire une analyse allant des facteurs qui motivent le choix des populations à la finalité de l'émigration.

-le troisième objectif spécifique est d'analyser les changements engendrés par l'émigration sur le milieu d'origine.

v' Pour atteindre ces objectifs, nous avons dégagé quelques hypothèses :

- les motifs d'émigration qui sont étroitement liés à l'absence d'activités pouvant impulser un développement endogène seraient à l'origine des départs.

-la péjoration du climat, des conditions écologiques et la réussite de ceux qui sont
déjà partis ne serait ce que par la prise en charge de parents et amis constitueraient

16

des facteurs qui suscitent l'envie de ceux qui sont au pays et le départ de nouveaux candidats.

- malgré les effets positifs de l'émigration sur le village, elle aurait fortement contribué à la désagrégation des liens sociaux qui étaient naguère la fierté de tout un peuple et mis à genou l'économie locale.

METHODOLOGIE DE RECHERCHE

Comme tout travail scientifique, en géographie nous avons besoin d'une méthodologie adaptée pour mener à bien notre étude. En effet, la réussite dans l'analyse d'un thème d'étude et de recherche est étroitement liée à la méthodologie adoptée. Ceci, parce que c'est dans cette méthodologie qu'on doit définir la procédure, la méthode et les techniques auxquelles nous allons nous atteler pour entamer le travail.

Ainsi, l'étude de la problématique de l'émigration dans cette partie du Sénégal, dominée par une population analphabète, du moins qui n'a pas fréquenté l'école de type occidental, nécessite une certaine souplesse dans les méthodes d'approche. Cet aspect a guidé substantiellement notre démarche.

L'historique de la recherche

L'observation directe

De prime abord, nos recherches ont été guidées par les fréquents séjours que nous avons effectués dans la zone d'étude dès notre inscription en Maîtrise en janvier 2008. Ces séjours nous ont permis de constater l'importance accordée par les populations à l'émigration. Ainsi, pour parer à tout handicape, pour formuler nos hypothèses de recherche et faciliter l'élaboration du questionnaire, nous avions effectué des observations directes sur le terrain.

Il s'agissait pour nous, dans un premier temps, de nous rapprocher des candidats à l'émigration et d'observer sur une période donnée l'évolution des préparatifs jusqu'au jour du départ. Ainsi, après le départ de l'émigré du village, nous essayons régulièrement d'acquérir de ses nouvelles auprès de sa famille.

Nous avions également profité des affinités que nous avons entretenues avec certaines familles d'émigrés pour observer directement les réalisations effectuées dans ce cadre et de constater de vue les montants mensuels envoyés par les émigrés à leurs familles respectives et à la communauté villageoise. C'est ainsi que nous avions pu constater beaucoup de choses afférentes à l'émigration dans cette localité, choses à partir desquelles nous avons élaboré des questionnaires et un guide d'entretien.

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Revue documentaire

Cette première phase du travail nous a permis d'appréhender la question de l'émigration et de mieux connaître les limites des travaux déjà existant et portant sur la problématique de l'émigration.

Ainsi, pour mieux appréhender la question de l'émigration en général et celle concernant le Damga en particulier, nous avons tout d'abord fait une revue documentaire et par les différents services, collecté des informations relatives à la problématique de l'émigration.

C'est dans ce cadre que nous avons, dans un premier temps, sillonné les différentes bibliothèques de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, susceptibles de contenir des informations relatives à notre thématique. Il s'agit de la bibliothèque centrale, de la bibliothèque du département de géographie, et celle de l'IFAN.

La lecture des différents ouvrages nous a été d'une utilité capitale. Elle nous a beaucoup facilité la rédaction de ce mémoire dans la mesure où certains passages de livres nous ont servi à illustrer notre argumentaire. Elle nous a également permis de retracer l'histoire des émigrations et du peuplement de la vallée du fleuve Sénégal.

Ainsi, à la bibliothèque centrale, nous avons consulté entre autres, le livre d'Abdoulaye Bara Diop, Société Toucouleur : enquête sur l'immigration des Toucouleur à Dakar, 1965, IFAN, 231p. Ce livre nous intéresse dans la mesure où il détermine les formes, les causes et les conditions de vie des Toucouleur à Dakar. Nous avons prêté une attention particulière à la partie où il examine les causes de l'émigration des toucouleur. En effet, ses limites se situent dans le fait qu'il ne traite que les problèmes de l'immigration et ses causes sans pour autant parler des réalisations émanant de cette immigration. Contrairement, il s'agit pour nous, de faire l'étude de l'émigration d'une localité très précise et non de l'ensemble des Toucouleur.

Nous avons également consulté le livre de Gérard François Dumont : Les
migrations internationales
, 1995, Paris, SADES, 223p, dans ce livre comme dans celui de
Max Sorre : Les migrations des peuples, 1955, Paris, Flammarion et Cie, 265p, notre
intérêt s'est porté sur les définitions et les descriptions des différentes formes de
migrations. En effet, ils n'ont nullement parlé de l'émigration et de ses impacts sur Damga.
En outre, Sylvie Bredeloup, dans son livre La Diams'pora du fleuve Sénégal :
sociologie des migrations africaines,
2007, Toulouse, PUM, éd. IRD, nous fait une analyse
de l'émigration des diamantaires du fleuve Sénégal et les impacts socioéconomiques dans

les zones de départ. Ce livre nous intéresse dans la mesure oü il s'agit des émigrés de la vallée du fleuve Sénégal et nous permet de retracer les itinéraires de ces derniers.

Nous avons également été à l'IRD, à l'Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie (ANSD), et à l'Organisation Internationale des Migrations (OIM) oü nous avons eu à consulter d'autres documents et à recueillir des données pouvant nous servir dans notre recherche.

En ce qui concerne les données du village, nous nous sommes rendus aux différents services de la région de Matam comme la SAED mais également à la Direction de l'Aménagement du Territoire(DAT) et à la Direction des Travaux Géographiques et Cartographiques (DTGC). L'internet a été d'une grande utilité dans la recherche des ouvrages que nous n'avions pas pu trouver ni dans les bibliothèques ni dans les librairies. Il nous a permis également, à défaut d'une carte administrative, de récupérer avec Google earth une photographie satellitaire du village. La délimitation de la province du Damga nous a été facilitée par le Professeur Pape Demba Fall (Laboratoire de géographie de l'IFAN).

Les phases d'enquête et visite de terrain

Les entretiens exploratoires

L'étude des migrations ne peut se faire qu'avec la complicité étroite des concernés. C'est ainsi, que nous avons organisé des rencontres informelles avec certains émigrés qui sont de retour pour écouter leurs témoignages, leurs récits de voyage et collecter des informations pouvant appuyer notre argumentaire. Cela a été rendu possible grâce aux causeries autour du thé communément appelées << Grand'place » auxquelles nous avons participés et que nous avons pu transformer en << focus group ».

Les structures de transfert d'argent

Tour à tour les différentes structures de transfert d'argent, c'est à dire les services postaux et les << points fax », nous ont permis de collecter l'ensemble des données ayant trait avec les transferts financiers des émigrés. Malgré la réticence de la population dans la disposition des informations, nous avons pu recueillir, aussi bien au niveau des structures formelles, à savoir les différents services du bureau de poste, qu'au niveau des structures informelles telles que les << points fax » des GIE, les montants envoyés mensuellement vers le village.

L'échantillonnage

Selon le questionnaire, nous avons adopté une technique d'échantillonnage appropriée. Il s'agit de prendre en compte les spécificités de chaque population en se basant sur ses différentes variables.

Echantillonnage du questionnaire destiné aux chefs de ménages

Sur une population parente de 276 ménages que constitue le village de Wodobéré, nous avons procédé à un échantillonnage par quota selon des critères guidés par nos hypothèses de recherche. Cette méthode a été nécessaire, d'une part, pour pallier l'épineuse question de l'absence d'une base de sondage, étant donné que nos chances de trouver une liste exhaustive de la population parente sont nulles, et, d'autre part, pour répondre aux exigences de nos objectifs de recherche. La technique d'échantillonnage par quota a consisté à diviser la population parente en classes correspondant à la variable retenue à savoir l'appartenance sociale. Par la suite, pour obtenir le quota de chaque classe nous avons procédé par le rapport entre le pourcentage de chaque classe et la taille des pourcentages que nous avons multiplié par N. En d'autres termes nous avons fait, par

exemple pour la classe des Sebbe, 54% de 100x60. C'est-à-dire (54/100) 60=32. Ce qui donne le tableau qui suit :

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Castes

 

Effectifs/Nombre de
concession

Pourcentage des castes

Quota dans l'échantillon
(% de 100xN)

Sebbe

148

54

32

Toorobe

18

6

4

Suubalbé

19

7

4

Macuube

55

20

12

Lawbe

5

2

1

Sakkeebé

8

3

2

Awlube

3

1

1

Wahilbé

8

3

2

Fuulbé

12

4

2

TOTAL

276

100%

60

Echantillonnage du questionnaire destiné aux émigrés

Notre choix est guidé par le caractère spécifique des enquêtés. Ce sont des émigrés, donc il était beaucoup plus judicieux de cibler les périodes de congés, car la plupart d'entre eux qui a un travail fixe dans les régions d'accueil revient périodiquement au village.

Notre échantillon s'est porté sur une population de 100 personnes. Par ailleurs, nous n'avons établi aucun critère pour l'échantillonnage. Il a était question de recenser l'ensemble des émigrés qui étaient de passage au village durant la période de notre enquête jusqu'à atteindre le taux d'échantillon préalablement fixé.

L'enquête proprement dite

Tout d'abord, nous avons élaboré un plan de sondage pour l'enquête portant sur les émigrés. Cela a consisté à réaliser une enquête sur deux phases.

Une première phase qui s'est déroulée du 06 août au 30 septembre 2008 qui nous a permis de rencontrer 57 émigrés. Une deuxième et dernière phase qui va du 1er décembre 2008 au 15 février 2009 nous permettant d'administrer 43 questionnaires.

Ensuite, nous avons élaboré une autre stratégie d'enquête pour le questionnaire relatif aux ménages. Il s'agissait, après avoir affecté un quota à chaque caste et repéré les ménages, de diviser le village, à l'aide de la structuration des quartiers, en cinq parties. Ainsi, dans chaque patté de maisons, nous déposions le matin un ou deux questionnaires pour les récupérer l'après midi. Cette opération, avec un échantillon de 60 chefs de ménage, s'est déroulée en février 2009 sur une période de 10 jours à raison de 6 questionnaires par jour. Parmi les chefs de ménages enquêtés il y a 57 qui ont un ou plusieurs émigrés dans leur famille et 3 seulement qui n'en ont pas. Cependant, les 3 ménages sans émigrés reçoivent des transferts d'argent de la part de leurs proches mais à une fréquence irrégulière. Nous avons délibérément opté de les considérer comme étant ménage avec des éléments émigrés.

Enfin, à travers la population de notre échantillon sur les ménages, nous avons consacré une rubrique toute entière au décompte de tous les membres de la famille de l'enquêté, absents du village ou pas. Ce qui nous a permis de recenser une population totale de 1101 habitants de sexes et d'âges différents. A l'aide de cette population, nous

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avons établi des statistiques nous permettant de faire le rapport entre les absents et les présents selon l'âge et le sexe.

Les outils de l'enquête

Il s'agissait pour nous de recueillir des données à la fois qualitatives que quantitatives. Pour se faire, les questionnaires et le guide d'entretien nous ont permis d'avoir ces données.

Le questionnaire :

Sur les deux questionnaires que nous avons élaborés, il était question de chercher des informations relatives au fonctionnement des ménages, d'une part, et au déroulement de l'émigration, d'autre part. La population enquêtée était appelée à répondre à la fois à des questions ouvertes et fermées.

Le guide d'entretien

Le guide d'entretien était conçu spécialement pour recueillir les récits de voyage des émigrés en retraite. Il est structuré car on se permettait de guider l'interviewé dans son argumentaire en lui donnant les points saillants sur lesquels il devrait apporter des éclaircissements. Ainsi, à l'aide d'un dictaphone nous avons enregistré les discussions.

Traitement des données

Après la phase de collecte, nous avons procédé au traitement des données. D'abord, il a été question de dépouiller l'ensemble des données pour une lecture beaucoup plus simple mais aussi de transcrire les propos des interviewés, recueillis à l'aide d'un dictaphone, du Pulaar en français. Les logiciels EXCEL et WORD nous ont permis respectivement de présenter les données sous forme de tableaux et de graphiques pour mieux faciliter l'analyse et de rédiger le document final.

Les difficultés rencontrées

Faire une première initiation à la recherche est difficile mais il l'est encore beaucoup plus quand il s'agit de faire une recherche chez soi. A notre grande surprise, notre connaissance du milieu et de ses habitants a joué à notre défaveur. À peine nos enquêtés répondaient à nos questions. Pour eux, il était insensé de venir faire des recherches chez soi parce que nous connaissions déjà les réponses aux différentes interrogations. Ce qui a constitué un handicap majeur dans la phase d'enquête.

En plus de cet état de fait, nous avions rencontré énormément de problèmes pour trouver une carte en guise de présentation de la localité. Etant géographe, nous avions voulu élaboré une carte jusque là inédite de la localité mais notre ambition a été freinée par le manque de matériel. Nous avons recherché un GPS durant toute la durée de l'étude mais en vain. Il en est de même pour la recherche documentaire. Malgré l'abondance de la littérature sur les migrations, les ouvrages les plus précis dans ce domaine n'existent presque pas dans les bibliothèques et dès fois introuvables dans les librairies.

En fin, nous étions confrontés à des problèmes financiers pour couvrir les dépenses liées à nos voyages. Les effets conjugués des routes dégradées et de la cherté du transport ont beaucoup impacté sur le nombre de voyages que nous avions voulu effectué.

PRESENTATION GENERALE DU VILLAGE DE WODOBERE

PREMIERE PARTIE

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CHAPITRE I : Présentation du cadre physique et humain I. Le cadre physique

I.1.Le site et la situation géographique

I.1.1.Le site

Comme beaucoup de villages se trouvant sur le bourrelet de berge du fleuve Sénégal, le site de Wodobéré est un foondé ; il s'agit d'une zone exondée qui longe le lit majeur du fleuve Sénégal. Néanmoins, c'est un site qui n'est pas totalement à l'abri des inondations. Pendant les années de hautes crues, toute la partie Est du village, qui est d'ailleurs parallèle au fleuve, est sujette aux assauts répétitifs des eaux

I.1.2 : La situation géographique du village de Wodobéré

Photo 1 : Vue satellitaire du village en période de hautes crues.

Source : Google earth, 2008

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Le Damga, province des Halpulaar, se situe dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Il est limité au nord par la province du Nguénaar, à l'Est par la République Islamique de Mauritanie, à l'ouest par le Ferlo et au sud par la province du Guilmakh (carte 2). C'est une région qui présente une certaine homogénéité géographique car, hormis quelques monticules à Kanel et à Sinthiane, tout le reste de son territoire est constitué par une vaste plaine alluviale qui longe le fleuve Sénégal de Dembankané à Garli.

Partie intégrante du Damga, le village de Wodobéré se trouve à l'extrême nord Est de la communauté rurale d'Ouro-Sidy, dans l'actuelle circonscription administrative de Kanel. Au nord de Wodobéré se trouve le village de Thiemping, au sud le village de Thialy, au nord-est le village de Dolol Subalo, à l'ouest la ville de Kanel, qui sont respectivement à 3km, 4km, 2km et 9km dudit village.

A l'Est du village, le fleuve Sénégal constitue, sur une longueur de 5 km, sa limite avec la république Islamique de Mauritanie. En effet, cette partie est caractérisée par une pente douce menant vers une dépression constituant une sorte de défluent du fleuve Sénégal alimenté en eau en août et en septembre. En période de hautes crues, le village est quasiment bordé par une immense nappe d'eau de part et d'autre. Toute la plaine qui le sépare de Kanel est envahie par la crue constituant ainsi une vaste étendue d'eau d'août à octobre (Photo 1). Cette situation rend difficile son accessibilité. Pendant cette période les habitants sont obligés de prendre les pirogues pour rallier la route nationale n°2 (RN2).

En effet, depuis la construction, en 2005, de la seule piste en latérite Matam-Balel, la situation des habitants dudit village s'est beaucoup améliorée. Cette piste a fortement contribué au désenclavement du village de Wodobéré permettant aux résidents de rallier la RN2 en passant par Matam. Ainsi, le village est devenu l'endroit par lequel transite l'ensemble des habitants des villages environnants. A partir de Hordoldé au sud, tous les habitants des villages traversés par la piste Matam-Balel transitent par Wodobéré pour se rendre à Matam, capitale régionale. En dehors de cette piste, le village est accessible par le fleuve Sénégal. Les habitants des différents villages mauritaniens, de Maghama à Yuuman Yiré en passant par Daw, peuvent le rejoindre tout le long de l'année en traversant le fleuve à bord de pirogue.

I.2 : Le climat

Source : Agence Nationale de la Météorologie du Sénégal

Sur toute l'étendue de l'Afrique occidentale, l'équateur météorologique communément appelé front intertropical oscille de janvier en août du Golfe de Guinée au sud de l'Algérie soit une amplitude de 15 à 20 degré. Ainsi, le village de Wodobéré, avec

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un climat sahélien, n'est couvert complètement par l'équateur météorologique qu'au mois d'août. Cela se traduit par l'existence de deux situations distinctes qui constituent d'ailleurs les deux saisons de cette partie de l'Afrique.

-la saison sèche :

Pendant cette saison qui va de novembre à juin, l'anticyclone continental, axé au nord du tropique du cancer, est soudé à celui des Açores et l'anticyclone de Sainte- Hélène se place légèrement au dessus du tropique de capricorne. Cette situation favorise des vents de direction nord-est/ sud-ouest qui sont de trois types :

- l'alizé maritime continentalisé chaud et sec plus fréquent est lié à l'existence d'un faible dorsal sur le continent, ce qui lui confère une direction nord-est et ses caractéristiques météorologiques altérés.

- l'alizé continental, plus rare, est un vent d'origine polaire mais son très long parcours terrestre amenuise sa fraîcheur. Il est de direction nord/est.

Enfin l'harmattan, communément appelé « Mboyi » par les Halpulaar, est un vent qui règne lorsque les cellules des Açores et de Libye sont soudées. Il est de secteur Est ouest, très chaud et très sec à cause de son long trajet sur le continent. La vitesse des vents est comprise entre 1 et 5m/s. Le ciel est clair et l'amplitude diurne est très forte.

Pendant cette période l'équateur météorologique se place sur le Golfe de Guinée. Ce qui se traduit sur le plan pluviométrique par l'absence de précipitations de novembre à mai dans cette partie septentrionale du Sénégal (Graphique 1). Il n'y existe que quelques rares traces ou des pluies de heug. Cette saison est caractérisée par des températures élevées. Les températures moyennes mensuelles vont de 24,2° en janvier à 34,8° en mai. Les températures maximales vont jusqu'à 42,8 en mai alors que les plus basses des minimales sont enregistrées en janvier avec 15,5° (Tableau n°1).

Cette situation serait responsable des migrations saisonnières. L'absence d'activité agricole durant cette période de l'année serait à l'origine des déplacements des populations. Ainsi, juste après l'installation de la saison sèche, les populations de cette contrée du Sénégal migrent vers les centres urbains du pays et vers Dakar en particulier.

- La saison humide :

Tableau n°1 : Evolution inter mensuelle des T° et de Pmm de 1978 à 2008 à la station de Matam

Descripteurs

TX

TN

TM

Pm

JAN

32,9

15,5

24,2

0,0

FEV

36,1

17,6

26,9

1,2

MAR

39,2

20,2

29,7

0,0

AVR

41,8

23,4

32,6

0,0

MAI

42,8

26,7

34,8

1,2

JUI

40,6

27,2

33,9

20,4

JULL

36,7

25,4

31,0

81,5

AOU

34,6

24,7

29,7

136,5

SEP

35,0

24,5

29,7

91,6

OCT

37,9

24,2

31,0

13,8

NOV

37,0

20,1

28,6

1,6

DEC

33,3

16,3

24,8

0,5

AN

37,3

22,2

29,7

348,5

Source : Agence Nationale de la Météorologie du Sénégal

Elle va de juin à octobre et la région passe du régime d'alizé au régime de mousson. L'équateur météorologique connaît sa position la plus septentrionale en août. Ce quiexplique l'abondance des pluies durant ce mois avec une moyenne mensuelle de 136,5 au

cours de ces trente dernières années (Graphique1). Les vents chauds, humides, convergents et instables issus de Sainte-Hélène deviennent du secteur sud-ouest/nord-est. La vitesse des vents varie entre 1 et 5m/s. Pendant cette période, l'anticyclone des Açores est rejeté au nord du tropique du cancer et Sainte-Hélène est à sa position la plus septentrionale. Les flux venant de Sainte-Hélène traversent l'équateur géographique et changent de direction pour devenir la mousson responsable des précipitations. Néanmoins, la mousson à elle seule ne suffit pas pour provoquer des pluies. On dit qu'elle est nécessaire mais, pas suffisante pour qu'il y ait des précipitations.

En outre, il faut noter que l'essentiel des pluies de la province du Damga est dû aux lignes de grains. Ces dernières sont des alignements de cumulonimbus responsables de pluies orageuses très souvent accompagnées de tonnerres, de poussière et d'éclairs. C'est

pendant cette période justement que l'on note les migrations de retour. Les actifs quiétaient à l'intérieur du pays font leur retour au village pour pratiquer l'agriculture sous pluies dans le diéri. C'est l'immigration saisonnière.

En saison pluvieuse les températures sont relativement basses avec des moyennes mensuelles de 29,7° en août et 31° en octobre (Tableau n°1). Le Damga est compris entre les isohyètes 300 et 500. La pluviométrie augmente du nord au sud et la moyenne normale de 1978 à 2008 est de 330mm de pluies. Cette situation déficitaire par rapport au seuil à partir duquel l'agriculture est aléatoire laisse présager que les populations doivent recourir à des sources de revenus autres que l'agriculture pour assurer leur maintien. Ainsi, conscients que la pluie ne garantie plus des rendements suffisants pour leur subsistance, les actifs se tournent vers l'émigration. Cette dernière peut se limiter uniquement à l'intérieur du pays, comme elle peut également aller au-delà des frontières nationales voire du continent.

I.2 : Les ressources hydriques

Source : Agence Nationale de la météorologie du Sénégal.

Le Damga, à l'instar de toutes les localités riveraines du fleuve Sénégal, dispose de ressources hydriques importantes. Il s'agit du fleuve Sénégal et de ses deux défluents (le Diamel et le Dioulol) mais également de mares et marigots qui maillent l'ensemble de son territoire. En plus de ces eaux de surface, la nappe phréatique accessible entre 25 et 100m de profondeur et la nappe du Mæstrichtien vers les 300m viennent compléter la gamme.

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De la mi-août à octobre tous les bassins de décantation, constitués pour le cas de Wodobéré par une aire importante entre le site du village et le fleuve et toutes les terres qui le séparent de la ville de Kanel, sont submergés par la crue (Photo n°1). L'importance de

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celle-ci varie d'une année à une autre parce que dépendant des apports venant d'amont. Ces apports peuvent découler des ruissellements de pluies ou provenir directement de Manantali qui est un barrage régulateur de débit. Dans les années à pluviométrie importante, toutes les terres arables sont inondées. A partir de la fin octobre, jusqu'au début novembre l'eau se retire petit à petit laissant un sol aéré, bien imbibé, riche en humus et très fertile pour l'agriculture.

Parallèlement aux ressources fluviales, le village de Wodobéré bénéficie d'un apport pluvial de 300 à 500mm d'eau par an. Néanmoins, en plus des années de sécheresse de 1973 et 1984, on assiste à un déficit de la pluviométrie ces dernières années. A l'exception des années 1999, 2000 et 2003 le Damga n'a pas enregistré plus de 500mm de pluie par an au cours de trente dernière années (Graphique2). Partant du constat qu'en deçà de 1000mm de pluies l'agriculture devient aléatoire, nous pouvons dire que les rendements sont de plus en plus médiocres dans le Damga. Et la réponse de l'homme à la péjoration climatique et au manque criard des produits dérivés de l'agriculture n'est pas la mort mais plutôt la mobilité.

I.3. : Le sol

L'écosystème de la vallée du fleuve Sénégal est formé successivement par le falo (plu. palé) -avec un sol argilo-sableux-, le foondé (plu. podé) -essentiellement argileux-, le walo qui est constitué par le kolo?gal avec le hollaldé -terre argilo-sableuse des cuvettes-, et le toggeere (plu. Toggé) qui sert de site pour les populations en période de culture - avec un sol argileux- et en arrière plan les dunes du diéri qui sont pour l'essentiel argilo sableuses. Le village de Wodobéré, comme la plupart des localités du Daande mayo se trouvant sur le bourrelet de berge du fleuve Sénégal, est sur un fondé. Ce sont tous des sols hydromorphiques et différentes cultures peuvent y être pratiquées.

I.4 : La végétation

La particularité de cette partie du pays est la présence du fleuve Sénégal. La formation végétale est influencée par les différentes phases de l'évolution du fleuve. Ainsi, grâce à la crue certaines espèces ont pu pousser sur les différents sols. Sur le lit majeur du fleuve la végétation est peuplée par les mimosacées, asclépiadacées et des rhamnacées.

Sur les terres limoneuses ou argileuses se trouvent le Zizyphus mauritiania, l'accacia nilotica et accacia seyal et quelques espèces grégaires. Sur les terres du diéri (hollaldé), se trouve la savane arbustive claire avec des espèces adaptées à la sécheresse (feuilles réduites, épines) telles que les calotropis procera et les balanites aezyptiaca. Le tapis herbacé discontinu, présent durant l'hivernage, est composé de graminées annuelles comme cenchrus biflorus.

II : Le cadre humain

II.1. Le village de Wodobéré : des origines à nos fours

II.1.1. L'historique du peuplement et l'avènement de l'émigration

Fondé vers 1734 selon la tradition orale par Déwo Alako Ndiaye, le nom du village de Wodobéré dériverait du Pulaar « Ina wandi béré » qui signifie littéralement il y a des nids de poissons. Ainsi, rattachant le poisson à une catégorie spécifique de la population,

on en déduit que les Suubalbé sont les premiers habitants de ce village.

En effet, dès sa création le fondateur fut confronté à des conflits qui l'opposaient aux habitants des villages environnants. Parmi ses plus farouches détracteurs il y avait le nommé Sawa Sadio, un habitant de Thiemping, un village qui se trouve à quelques 3km au Nord-est de Wodobéré. A l'époque, ce sont les terres se situant à cheval entre les deux villages et l'exploitation des eaux poissonneuses qui constituaient le casus belli.

Dominé par son adversaire, Déwo Alako fit appel à son neveu Yéro Dégo Sow, un guerrier réputé par son invincibilité et son sens du combat. Grâce à ce dernier, les deux protagonistes trouvèrent un consensus et finirent par retrouver la paix. Ainsi, Déwo Alako et son neveu s'installèrent sur le site appelé Godobel qui est à quelques encablures de l'emplacement actuel du village. A l'époque le village était peuplé essentiellement par la

caste des Suubalbé et de Sebbe, Déwo Alako son chef.

Avec l'instabilité de l'ensemble du royaume du Tékrour, le village commence à enregistrer petit à petit ses premiers habitants venus du Tooro. « En dehors de la communauté des sebbe, Damga et Nguenaar sont le domaine de colonisation (kooddi) à

partir du Tooro, du Law, des Yirlaabe-Hebbiyaabe, du Booseya et du Haayre :
Ndulumaaji, les trois Dumga, Wuro-soogi, Seedo, Kanel, Sincu Bamambe, Wodobere,

[...]. »12 Ces habitants apportèrent avec eux certains attributs de leurs origines. L'existence des quartiers de mêmes noms tels que Yénaké et de Gouloum aussi bien à Wodobéré que dans certains villages du département de Podor est très illustratif. Le peuplement du village est également consécutif à l'éclatement de l'empire du Mali et aux vagues migratoires venues du Djolof.

Ces différentes vagues seraient à l'origine du peuplement du village par les autres

catégories socioprofessionnelles. Ainsi, au fil du temps, la caste des Se??e devenait
beaucoup plus représentative et prenait les rênes du village au détriment des Suubal?é. Ils

dirigeaient la vie politique et économique du village. Ainsi, pendant une longue période la fonction du chef de village était âprement disputée entre les familles Thioye et Sow avant de devenir la chasse gardée de la famille Sow.

De son origine aux années soixante, les habitants du village vivaient essentiellement des ressources tirées des quatre activités traditionnelles à savoir l'agriculture, l'élevage, la pêche et la cueillette. A l'époque, les plus riches étaient ceux qui détenaient plus de terre et par conséquent plus de ressources dérivées de l'agriculture comme le mil. L'émigration, interne ou internationale, était méconnue par les populations durant cette période de leur histoire.

Le fleuve Sénégal restait le moyen de transport dominant parce que l'essentiel des déplacements se faisait par la voie fluviale. La pirogue resta jusqu'à une époque très récente l'un des rares moyens de transport. Jusqu'aux années deux mille, elle permettait la liaison entre Matam et Wodobéré, distants de vingt cinq kilomètres. Par ailleurs, les animaux ont également joué un rôle de premier plan dans les modes de déplacements des populations et le plus utilisé à l'époque fut l'âne. L'apparition des charrettes tirées par des chevaux sonnait le début d'une révolution dans les modes de déplacements des populations contemporaines.

Cette période se caractérisait également par le manque criard des services sociaux de base puisqu'il n'existait ni école de type occidental, ni structure de santé encore moins de moyens de communications efficaces. A titre illustratif, les habitants s'approvisionnaient en eau potable à partir du fleuve et pour communiquer avec les villages environnants ils se déplaçaient à d'os d'âne. La seule école qui existait à l'époque était l'école Coranique.

12 Kane Oumar : La première hégémonie peule : le Fuuta Tooro de Kolli Tennela à Almaami Abdul, p204

L'avènement de l'émigration

Jusqu'aux années 1940, 1950 voire 1960, le village n'avait pas connu de changements importants ni dans sa structuration ni dans son mode de fonctionnement. Le seul fait marquant était la création d'un nouveau quartier dénommé HLM. Ce quartier, qui constituait une extension du village, n'était composé que de quelques maisons. L'essentiel des matériaux de l'habitation était en banco. La solidarité, l'entraide et la fraternité étaient les maîtres mots de la vie communautaire. La hiérarchisation de la société aidant, les rapports sociaux étaient conviviaux et permettaient une certaine stabilité.

La deuxième guerre mondiale fut la première cause de déplacement des populations de ladite localité. Certains actifs étaient enrôlés dans les rangs des combattants pour défendre les couleurs de la France. Plusieurs personnes avaient participé à cette guerre fratricide. Ainsi, l'après guerre constitua un tournant important dans l'évolution du village, parce qu'au retour des combattants et d'après leurs récits de voyage, leurs frères et enfants voulurent découvrir le monde extérieur. Ainsi, les premières émigrations volontaires commencèrent à partir de 1953. Depuis lors, le nombre des émigrés ne cesse d'augmenter.

Cependant, les principales dates marquantes de l'histoire de l'émigration de cette localité sont 1960 et 1970. La première date constitue le point de départ de l'émigration internationale à partir du village. C'est à partir de 1961 plus précisément que le village a enregistré le premier migrant vers la France. Toutefois, il existait une émigration intraafricaine de moindre importance dès 1953. La deuxième date marquante, c'est-à-dire 1970, coïncidait avec la période de sécheresse qui avait frappait le monde rural. Les populations qui étaient frappées de plein fouet par cette sécheresse adoptèrent la mobilité comme stratégie de survie. Ainsi, fort de cette contrainte, plusieurs jeunes se retrouvèrent d'abord dans les régions sénégalaises les moins touchées et par la suite dans certains pays ouestafricains.

34

Déjà, dès cette période qui marquait les débuts de l'émigration dans le village, le complexe des non-émigrés face aux émigrés se faisait sentir à travers les chansons des jeunes filles. Ceux qui avaient voyagé bénéficiaient beaucoup plus de considération par rapport à leurs concitoyens restés au village. Parce que le choix de voyager, d'affronter le monde extérieur était considéré comme un acte de courage et de bravoure pour ceux qui le pratiquaient. En plus de cela, l'émigration avait resté un vecteur de changement et d'évolution comportementale des populations. De là, vienne l'engouement de la population actuelle pour l'émigration qui a très vite pris des proportions importantes aussi bien par le nombre de candidats aux départs que par les réalisations découlant directement des ses

retombées. Car, juste après le retour des premiers émigrés l'on commençait à noter des changements dans les comportements des habitants et dans la vie communautaire.

Aujourd'hui, en plus de l'école élémentaire construite en 1962, le village de Wodobéré dispose d'une deuxième Ecole élémentaire ouverte en 2008, d'un Collège d'Enseignement Moyen (CEM) inauguré en 2006, d'un Bureau de poste en 1991, d'un château d'eau, d'une maternité et d'un Poste de santé opérationnel depuis 2006.

Grâce aux émigrés, nonobstant l'absence de l'action de l'Etat, dans ce petit village de 3873 habitants, les habitants ont accès à l'éducation, à l'internet, à l'électricité, à l'eau potable, aux outils de télécommunication pour ne citer que cela. A travers leurs différentes associations et par le biais des transferts de fonds, les émigrés ont permis la réalisation des ouvrages dans le domaine de l'éducation et de la santé par exemple. Le développement de cette partie fera l'objet d'un chapitre dans ce mémoire.

II.1.2. La structuration du village

Le village se composait à l'origine de deux quartiers, Yénaké et Gouloum. Aujourd'hui, avec l'accroissement de la population, de nouveaux quartiers ont vu le jour. Il s'agit du quartier des HLM créé vers 1970, du quartier Bassoudji qui a vu le jour lors des évènements Sénégalo-mauritaniens de 1989 et celui de Dow Koddé récemment créé. Si dans les quartiers Yénaké, Gouloum et HLM on trouve toutes les couches sociales, ceux de Dow Koddé et Bassoudji sont habités respectivement par des familles qui ont en leurs seins des émigrés et des refugiés de 1989. Le quartier Dow Koddé se reconnait par la forte présence des bâtiments en dur alors que Bassoudji est essentiellement en banco ou en paille. Néanmoins, dans tous les quartiers il existe des émigrés et on note une hausse substantielle du niveau de vie.

En effet, il est unanime que l'action des émigrés n'est au détriment d'aucun quartier car la plupart des réalisations est d'ordre social et religieux, donc bénéfique à l'ensemble de la communauté villageoise. << La gestion collective des transferts migratoires a un impact beaucoup plus direct et déterminant sur l'économie locale et régionale que les actions entreprises individuellement ou au niveau des ménages»13. Les émigrés investissent souvent dans des secteurs à intérêt collectif.

13 Lanly Guillaume : << Les associations d'immigrés et le développement du lieu d'origine : l'exemple de deux communautés rurales de l'Etat de Oaxaca », p2

II.2 : Les aspects démographiques actuels

La population totale de la communauté rurale d'Ouro-Sidy s'élève à 301165 habitants répartis dans 43 villages administratifs. Wodobéré, avec 3873 âmes, est le village le plus peuplé, loin devant le chef-lieu de communauté rurale, 1658 habitants. Le village de Wodobéré est aujourd'hui le plus peuplé de cette communauté rurale. Il se caractérise en effet, à l'instar de la population sénégalaise, par la jeunesse de sa population et la forte présence des femmes.

II.2.1. La répartition de la population selon le sexe

Avec un taux d'accroissement naturel de 3,7%14 par an, le village de Wodobéré est marqué par une forte présence des femmes. Il n'existe que 68 hommes pour 100 femmes (Tableau n°2). Cette prédominance des femmes est le résultat de plusieurs facteurs. Il s'agit de facteurs naturels tels que la mortalité, plus élevée chez les hommes que chez les femmes, mais aussi des facteurs anthropiques comme l'émigration sélective.

En effet, les hommes sont très tôt confrontés à la précarité et aux dures conditions de vie. Outre les pénibles travaux, ils sont exposés à la drogue, à la cigarette et autres pratiques qui sont à l'origine des maladies telles que le Sida ou le cancer. Cette exposition aux maladies dues à la mobilité des hommes combinées aux efforts incommensurables qu'ils fournissent pour assouvir les besoins de leurs familles est la cause d'une mortalité masculine plus élevée. La prédominance des femmes sur les hommes est aussi une conséquence de l'émigration sélective puisque dans cette partie du Sénégal, avec une société inégalitaire et très hiérarchisée, l'homme est le maître et le garant de sa famille. Il est non seulement le protecteur physique et moral de la famille mais aussi il doit assurer sa survie au quotidien.

Ainsi, durant ces dernières décennies, avec une pluviométrie déficitaire et des sècheresses épisodiques, les productions agricoles sont devenues très médiocres et ne parviennent plus à couvrir les besoins des paysans. Pour diversifier leurs ressources et assurer la survie de leur famille, les hommes ont adopté l'émigration comme stratégie. Cette dernière ponctionne plusieurs villages de leurs hommes. Ce qui se traduit sur le plan démographique par une absence des hommes et particulièrement de la population active.

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14 D'après les sources de l'Agence Nationale de la Démographie et des Statistiques.

Tableau 2 : Répartition de la population résidente de Wodobéré selon l'âge et le sexe

Sexe Ages

Féminin

Masculin

Total

RM

Eff.

%

Eff.

%

Eff.

%

 

00-19

166

35,32

177

55,14

343

43,37

106

20-64

261

55,53

114

35,51

375

47,4

55

65 +

43

9,15

30

9,35

73

9,23

69

Total

470

100

321

100

791

100

68

Source : Enquêtes de terrain, 2008

II.2.2: La répartition de la population selon l'âge

L'analyse de la situation actuelle de la structure par âge révèle qu'à l'image de la population sénégalaise, la population de Wodobéré est caractérisée par la prédominance des jeunes et des femmes. Si dans le tableau ci-dessus la classe d'âge des actifs est plus importante, cela est dû uniquement à la prépondérance des femmes de 20 à 64 ans. Elles représentent 55,53% contre seulement 35,51% d'actifs. Les jeunes de moins de vingt ans engrangent à eux seuls 43,37% de la population résidente. Les vieux de plus de soixante cinq ans représentent 9,23% (Tableau 2).

La forte présence des jeunes, due à la forte natalité résultante du chômage et de l'oisiveté des hommes, va multiplier les problèmes d'accès à l'éducation et à la santé. Même si des mesures d'accompagnement telles que la multiplication des écoles et des collèges sont amorcées ça et là, il n'en demeure pas moins qu'il se pose avec acuité l'épineuse question de l'accès à l'emploi.

En effet, partant de l'idée qu'au delà de 7% de vieux la population est vieillissante, nous pouvons affirmer que la structure par âge de la population de Wodobéré est marquée par la prépondérance des personnes âgées. D'ici 20 ans il n'y aura que 4 actifs pour chaque personne âgée de 60 ans et plus si des politiques démographiques et d'appropriation du milieu par les jeunes ne sont pas instaurées dans cette localité. Ce vieillissement de la population n'est pas sans conséquences. Il se traduit par des surplus du coût de la santé et par le délaissement des activités agricoles.

Enfin, le faible taux des hommes actifs de la classe d'âge 20-64 est dû à l'émigration. Cette dernière concerne essentiellement les hommes âgés de vingt ans et plus. Très tôt, les jeunes actifs se tournent vers la recherche du numéraire au détriment de l'agriculture devenue pour eux une activité vétuste et non rentable.

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CHAPITRE II: Les caractéristiques sociales et économiques de Wodobéré

I : L'organisation sociale

Selon le sociologue Emile Durkheim « les différents types d'organisation sociale s'expliquent par la différenciation sociale ou par la division du travail >>15. Dans de nombreuses communautés ouest africaines cette assertion s'illustre par une stratification de la société. Une stratification qui est basée, d'une part, sur la division du travail et d'autre part, sur la différenciation sociale. Et « cette société divisée en lignages était fortement hiérarchisée, légitimant des relations de subordination entre une classe libre et une classe non libre >>16. Ainsi, à l'instar de l'ensemble de la société Halpulaar, la communauté de

Wodobéré est organisée en castes. Elle est principalement composée de la caste Se??e 54%, les Macuu?e 20%, les Suubal?é 7%, les Tooro?e 6% etc.

I.1 : La stratification de la société

A Wodobéré comme partout ailleurs dans le Fouta, la société était organisée de telle sorte qu'il existait et il en existe encore des relations de dépendance et de subordination entre les différentes classes. Ce qui conférait à certaines classes le privilège de régir la vie politique, économique, sociale et culturelle de leur communauté. En effet, au village de Wodobéré la stratification de la société ne répond pas à l'ordre habituel de catégorisation

des castes qui mettait les Tooro?e en première classe.

Nonobstant les ramifications survenues ces dernières décennies, dues à l'évolution des mentalités et à l'émancipation des classes considérées inférieures, il n'en demeure pas moins que la hiérarchie sociale traditionnelle est toujours de mise. Ainsi, trois grands

groupes sont répertoriés dans le village de Wodobéré: les Riim?e constitués pas les Tooro?e, les Se??e, les Suubal?é et les Riim?e fuul?é ; le groupe des nyeeny?e constitué par les fecciram gollé èn (gens de métiers) et les Awlu?e (généalogistes, griots) et en fin les Macuu?e qui sont d'anciens esclaves descendants de captifs.

15 Microsoft ® Encarta ® 2008

16 Barry Boubacar: Le royaume du walo : le Sénégal avant la conquête, p88

I.1.1 : Les libres/ nobles ou Riimbe

C'est le groupe qui dispose de pouvoirs politiques et économiques et incarne l'honneur et le prestige. Il détient la quasi-totalité des terres et constitue le groupe dominant numériquement. Néanmoins, il est subdivisé en groupes statutaires que nous allons décrire ci-dessous selon le rang social.

> Les Sebbe

Contrairement à ce qui existe dans de nombreux villages du Fouta, les Sebbe de

Wodobéré, constitués essentiellement par la lignée des Mboonnabé, sont en première loge
en ce qui concerne le rang social. Si ce groupe se singularisait à l'origine par son manque

d'attachement à l'Islam, il est constitué aujourd'hui au même titre que les Toorobe de musulmans pratiquants. Les fonctions d'Imam et de chef du village restent d'ailleurs strictement sa chasse gardée. Ils détiennent le monopole de la vie politique et sociale et occupent plus de 45% (Graphique n°3) des terres du walo et du diéri. Ce qui leur a valu le nom jaagaraf (propriétaires terriens) Ils pratiquent l'agriculture, l'élevage domestique et participent activement à la formation et à l'éducation religieuse.

> Les Toorobe

Ce groupe social, apparu au Fouta entre le IX et le XIème siècle, est constitué par la classe maraboutique. A l'instar des Sebbe, le groupe des Toorobe fait parti de la première

classe sociale des Riimbe. Les Toorobe, comme partout ailleurs, sont des érudits en sciences Coraniques et le plus souvent adeptes de Cheikh Oumar Tall. Ils pratiquent l'agriculture et l'élevage domestique mais ne contrôlent que moins de 5% des terres du walo et du diéri. Ils sont numériquement moins représentés dans ce village.

> Les Suubalbé

Maîtres des eaux, ils se caractérisent par leur sens de l'honneur. Ils vivent de l'agriculture et de l'élevage même si leur activité principale reste la pêche. Ils profitent de leur alliance avec les deux premières classes et entretiennent des relations de

complémentarité avec ces dernières. Les Suubalbé constituent avec les Sebbe les pères fondateurs du village de Wodobéré. En effet, même s'ils sont moins nombreux que les Sebbe et les Macuube ce groupe possède à lui seul 35% des terres du diéri et du walo.

40

> Les fuul?é

Leur arrivée à Wodobéré remonte aux événements de 1989. Les habitations des foul?é sont majoritairement en paille. Ils ne participent pas à la vie politique du village.

Ce qui explique leur absence dans la gestion du village et leur faible patrimoine foncier qui est moins de 3%. Ils sont des éleveurs semi-sédentaires voire transhumants mais pratiquent en même temps l'agriculture.

I.1.2 : Les dépendants/ Nyeeny?e

Ce sont essentiellement les artisans castés c'est-à-dire la catégorie socioprofessionnelle des forgerons, des tisserands, des cordonniers, des bûcherons, les bijoutiers et des laudateurs (griots). Ils entretiennent une relation de dépendance avec les nobles. En effet, même si cette relation de dépendance tend à disparaître, les nobles sont censés leur apporter aide et assistance. Les dépendants n'ont accès qu'aux terres qui n'ont pas trop de valeur parce que rarement inondées et ne pratiquent que très rarement l'agriculture.

> Wahil?é

Très convoités pendant les temps de guerres à cause de leur génie dans le

maniement du fer, les Wahil?é de nos jours sont pour la plupart du temps spécialistes de la parure et du matériel agricole. Ils possèdent 2% des terres. En effet, il existe deux types de Wahil?é à Wodobéré :

-Wahil?é m?aléri (spécialistes du fer) sont les forgerons. Ils assurent la fabrication des instruments nécessaires à la production agricole tel que les dabas, les sarclettes mais ils pratiquent également l'agriculture et l'élevage de subsistance.

-Wahil?é ndaneeri sont ceux qu'on appelle bijoutiers. Ils sont les seuls spécialistes de la

parure en or et en argent. Ils sont éleveurs et agriculteurs. En effet, avec le bouleversement de l'hiérarchie sociale pré-établie par l'économie marchande, toutes ces activités tendent à disparaître et d'être de plus en plus remplacées par les transferts migratoires.

> Sakkee?é

C'est la caste des cordonniers. Ils sont arrivés tardivement au village de Wodobéré. Leur activité principale est la cordonnerie mais ils pratiquent l'agriculture et l'élevage de subsistance. Ils ne possèdent que 2% des terres du diéri et du walo confondus et ne représentent qu'une minorité de la population.

> Law?e/ Bûcherons
Ils sont de deux types :

Law?e lana (spécialiste du bois) et Law?e woorwor?é (spécialiste de la technologie domestique). Les Law?e lana sont ceux qui construisent les pirogues et détiennent des connaissances relatives au bois alors que les Lawbe woorwor?é sont plutôt doués dans la fabrication des ustensiles. Comme la plupart des membres de la catégorie nyeeny?e les

law?e n'occupent qu'un faible patrimoine foncier avec seulement 2% des terres. Ils sont des agriculteurs et des éleveurs mais moins représentatifs dans le du village.

> Awlu?e/ griots

Naguère derrière les guerriers pour chanter leurs louanges et les inciter au

combattant, les Awlu?e sont aujourd'hui les maîtres de la parole, défenseurs des valeurs ancestrales et gardiens de la mémoire collective. Avec 2% des terres du diéri et du walo, ils pratiquent rarement l'agriculture mais font de l'élevage de subsistance. Ils se caractérisent par leur attachement à leurs traditions et ils ne s'impliquent presque pas dans l'orientation de la vie villageoise.

I.1.3 : Les serviles/ descendants de captifs ou Macuu?e

Ce sont les descendants d'anciens esclaves et des captifs de guerres provenant des razzias. Dans la hiérarchie traditionnelle, ils étaient sous la tutelle des nobles et selon les cas, ils entretenaient des relations de servitude et/ou de subordination à ces derniers s'ils ne sont pas des affranchis.

Aujourd'hui, avec l'émancipation facilitée par le pouvoir de l'argent ces

considérations ont tendance à disparaître. En effet, à Wodobéré les Macuu?e sont au coeur
des décisions et d'ailleurs très représentatifs. Ils détiennent moins de 4% des terres, qui

42

sont souvent très mal placées par rapport à la crue. Les Macuube n'ont pas d'activité socioprofessionnelle mais effectuent celles de leurs anciens maîtres.

I.2 : L'accès à la terre

Parler de l'accès à la terre reviendrait à faire l'économie de ce qui a été dit sur le

système de castes. Il s'agit de la mainmise des Riimbe sur la quasi-totalité des bonnes
terres (Graphique n°3). Cela est d'autan plus vrai que les terres qui ont plus de valeur sont

détenues par les Toorobe, les Sebbe et les Suubalbé.

La structuration de la société étant rigide et figée, les alliances entre certaines castes

sont proscrites. Autrement dit, les Nyeenybe, Awlube et Macuube, considérés comme de
castes inférieures, ne peuvent pas contracter des mariages avec les Riimbe qui sont les
propriétaires terriens. Ce qui fait qu'ils ne peuvent pas bénéficier des terres par alignement

à certaines familles de ce groupe des Riimbe.

La transmission des droits fonciers étant héréditaire, on assiste à une conservation

générationnelle des bonnes terres par les mêmes lignées. Ainsi, les Nyeenybe et les

Macuube sont obligés d'emprunter (lubal) ou de prendre en métayage (rem-pecceen) surtout les terres du walo pour pratiquer l'agriculture. Il en est de même pour les palé, objet de vives convoitises.

Source : Enquête de terrain, 2008

II : Les activités économiques II.1 : L'agriculture

Dans toute la région de Damga on distingue deux types de cultures principales : la culture en milieu diéri et la culture en milieu walo. Mais, selon les villages, à ces deux types de cultures sont associées des cultures maraîchères ou/et avec les aménagements hydro-agricoles des cultures irriguées entre les saisons. En ce qui concerne le village de Wodobéré, il est pratiqué la culture de sous pluies, la culture de décrue en milieu walo et les cultures dans les palé (sing. falo).

Le casier agricole de 125hectares, dénommé Dolol Wodobéré, mis en place avec l'appui de la SAED tarde à démarrer. Selon les représentants de la SAED, les villageois refusent d'exploiter ce casier parce qu'ils jugent le nombre de parcelles disponibles très en deçà de celui qui était préalablement prévu. Ceci, parce que les premières études techniques avaient montré qu'il existe 240 hectares potentiels qui pourraient être exploités. Mais, après une étude approfondie par des ingénieurs agronomes, seuls 125 hectares

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pourraient faire l'objet d'un casier agricole. Ce qui n'est pas de l'avis des villageois. Ces derniers arguent qu'un détournement de fonds destinés à la réalisation du casier par les représentants de la SAED serait à l'origine de cet écart. Il en résulte une résignation des représentants de la SAED qui attendent un changement d'avis chez la population pour continuer les travaux.

Par ailleurs, à défaut d'une mise en exploitation du casier, les digues et diguettes ainsi que le dispositif de canalisation continuent d'être érodés par les eaux de ruissellement des pluies. Ce qui constitue une perte financière pour l'Etat et une perte économique pour les populations.

II.1.1 : L'agriculture en milieu diéri

Sur un sol sablo-argileux et avec une pluviométrie très aléatoire, entre 300 et 500mm de pluie par an, le diéri est le domaine des cultures sous pluies par excellence. C'est une agriculture de subsistance qui ne nécessite pas une très grande force de travail. Les espèces cultivées sont le petit mil ou mil pénicillaire (pennisetum), le haricot, du gombo (abelmochus aesculentus) et de l'oseille (hibuscus sabdarifa).

En effet, depuis quatre décennies on assiste à une baisse de la pluviométrie. Il s'en est suivi une baisse notoire de la production du mil. Cette tendance à la baisse des productions décourage les populations locales qui ne parviennent plus à tirer leur profit de l'agriculture qui demande d'ailleurs des efforts considérables. Ce qui les pousserait à être beaucoup plus mobiles avant que la disette ne s'installe.

II.1.2 : L'agriculture en milieu walo

Le walo ou kolaade (sing. Koologal) représente les cuvettes de décantation qui sont recouvertes par les eaux de crue durant la saison des pluies. Ces cuvettes sont inondées de quelques semaines pendant les années de faibles crues et de un à trois mois pendant les années de fortes crues. Pendant les années de hautes crues, les eaux se retirent petit à petit à partir du mois d'octobre et laissent apparaître un sol hydromorphique imbibé constitué d'argile.

Le walo est le domaine des cultures du sorgho (sorghum), du niébé et de courges. L'importance de sa mise en culture dépend de trois éléments essentiels à savoir le niveau de la crue, sa durée et la pugnacité des cultivateurs parce que c'est un travail qui nécessite souvent un effort humain considérable.

En outre, bien avant le démarrage des cultures du walo, sur les flancs convexes du méandre les agriculteurs investissent les pale (berges du fleuve). Ce sont les cultures de berges et du lit majeur du fleuve mais également de certains mares et marigots sur un sol limoneux. Dans ces différents endroits se cultivent du niébé, de la pastèque, du maïs, de la tomate cerise, de calebasses, de courgettes et surtout de la patate douce.

II.2 : L'élevage

Même si l'élevage est l'apanage des fuul?é, il n'existe pratiquement pas de concession qui ne compte pas à son sein du bétail. C'est un élevage extensif, sédentaire avec des bergers communautaires qui dirigent les animaux quotidiennement vers les pâturages qui coexistent avec l'élevage transhumant, pratiqué par les fuul?é. Ainsi, il n'est pas générateur de revenus car ni les animaux ni leurs produits dérivés ne sont commercialisés à grande échelle. Il s'agit généralement du petit bétail à savoir des ovins, des caprins et des camélidés. C'est un élevage de subsistance. Les rares boeufs sont confiés à des bergers qui se trouveraient dans le Ferlo ou en Mauritanie.

L'élevage fournit essentiellement du lait, du beurre et en quantité moindre de la viande. Le lait est vendu par des femmes alors que la viande fait l'objet de la boucherie. Cette viande n'est consommée qu'à l'occasion des grandes fêtes telles que les mariages, les fêtes religieuses ou lorsque l'on reçoit des hôtes de grand honneur. L'élevage sert aussi à fertiliser les sols. Le fumier constitue un véritable engrais pour les agriculteurs.

En effet, l'élevage n'est pas que bénéfique pour les populations. La divagation des animaux est souvent source de conflits entre éleveurs et agriculteurs. Sur le plan de l'environnement l'élevage entraine la désertification et la dégradation des sols. Le piétinement du sol par les sabots provoque la destruction de la croute. L'émondage et l'élagage des arbres empêchent une régénération des végétaux et contribuent à la désertification.

II.3 : La pêche

C'est une pêche continentale de type artisanal pratiquée, pour ce qui est du village de Wodobéré, par les Suubal?é. Pendant la décrue ces pécheurs mettent leurs palissades pour capturer des poissons dans les regards des défluents et en saison des pluies ils retournent vers les marigots et vers le fleuve. Les outils de pêche utilisés sont rudimentaires ; ce qui se traduit par un faible prélèvement de poisson.

L'insuffisance des pluies tombées entre 1969 et 1974 et en 1984 en plus d'une crue très déficitaire, conséquente de la construction d'un barrage à Manantali, s'est traduite par la rareté du poisson. Ainsi, à l'instar des autres secteurs d'activité traditionnelle, cette pêche qui n'assure plus à ses pratiquants le minimum nécessaire, a également beaucoup souffert du faible débit du fleuve et de l'insuffisance des pluies. Ce qui constitue un motif valable pour que la catégorie socioprofessionnelle des pêcheurs s'active dans d'autres secteurs beaucoup plus lucratifs.

II.4 : Le commerce et l'artisanat

II.4.1 : Le commerce

Le commerce est très diversifié dans le village de Wodobéré. Mais il n'existe pratiquement que de petits commerçants. C'est un commerce tourné essentiellement vers l'alimentation et l'habillement. Il est pratiqué par tous les groupes statutaires et donc n'est l'apanage d'aucune caste. En effet, le commerce ne peut fleurir que si la chaîne de distribution est bien structurée. Mais, ce que l'on constate à Wodobéré, c'est qu'il n'existe pas de grands magasins pourvoyeurs de marchandises aux petites boutiques. Les commerçants sont obligés de se rendre à Ourossogui, qui se trouve à plus de trente quatre kilomètres, pour s'approvisionner.

Si la construction récente d'une piste de désenclavement en latérite entre Matam et Balel a facilité les déplacements, les commerçants sont toujours confrontés à la cherté du transport des marchandises. Il n'existe aucune réglementation et les transporteurs modulent les tarifs à leur guise. Ainsi, les prix des denrées reviennent plus chers aux consommateurs.

II.4.2 : L'artisanat

Dans cette partie du Sénégal l'artisanat est caractérisé par une certaine désorganisation. Il est informel et non structuré parce qu'il n'existe aucune forme de regroupement des artisans. C'est un artisanat de subsistance. Tous les secteurs de l'artisanat sont marqués par la précarité des conditions de travail, la vétusté des matériaux de production, mais aussi par le sous emploi. Les artisans sont très mal équipés et ne disposent que d'outils très rudimentaires. Cela se répercute sur la qualité et sur la quantité de leurs productions.

46

Devant faire vivre plusieurs acteurs et nécessitant des efforts considérables, les produits artisanaux qu'ils livrent reviennent plus chers. Ce qui se traduit par la dévalorisation et le désintéressement de l'artisanat par les populations. Ces dernières, trouvant les produits de l'artisanat plus chers, se tournent vers les produits manufacturés et

bon marché. C'est ainsi dire que << les articles produits par les artisans locaux revenant plus chers, il s'en est suivi la ruine des métiers traditionnels et le départ vers l'étranger pour beaucoup de ces travailleurs manuels >>17. Cette rude concurrence de l'artisanat par les produits manufacturés a finit par assommer les acteurs de l'artisanat qui se sont dorénavant ponctionnés par l'émigration. Cette dernière est, selon eux, beaucoup plus lucrative que l'artisanat. Ainsi, il n'est pas rare de voir des bijoutiers et autres forgeons emprunter les couloirs migratoires.

17 Kane Ahmadou: << Les migrations contemporaines internationales à partir du département de Matam >>, p278

DEUXIEME PARTIE

LES FACTEURS FONDAMENTAUX ET LE DEROULEMENT DE L'EMIGRATION

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CHAPITRE I : Les facteurs fondamentaux de l'émigration

Le village de Wodobéré, à l'image du Damga, est habité par une population avec une tradition de migration très ancrée. Plusieurs phases d'immigration et d'émigration ont jalonné l'histoire de sa population. En effet, les facteurs qui déterminent les motifs des émigrés diffèrent d'une époque à une autre. Ce sont tantôt des facteurs structurels, tantôt des facteurs conjoncturels mais aussi des facteurs socioéconomiques liés à l'ancienneté de l'émigration à partir de cette contrée du Sénégal.

I : Les facteurs structurels

Plusieurs types de facteurs structurels déterminent le choix des émigrés dans le Damga en général et à Wodobéré en particulier. Ce sont des facteurs d'ordre historique mais également d'ordre socioculturel. Ils relèvent de la pénétration coloniale, des troubles religieux qui avaient lieu à l'époque dans le Fouta mais aussi de la structuration et du mode de fonctionnement de la société.

I.1 : Les facteurs historiques de l'émigration dans la vallée du fleuve Sénégal

L'histoire nous enseigne que les habitants de cette partie du Sénégal seraient confrontés très tôt à des mouvements religieux à savoir la pénétration de l'Islam. <<Ces mouvements religieux ont atteint leur apogée avec le fergo umarien qui a ponctionné des villages entiers de ces habitants >>18. Les Halpulaar, étant les premiers à épouser les recommandations Islamiques, ont, dans le cadre du fergo d'El Hadji Oumar Tall, migré vers d'autres contrées ouest africaines.

L'éparpillement des mêmes familles Peuls au Mali, au Niger, au Nigeria, en Mauritanie, en Guinée Bissau et au Sénégal est une explication tangible des déplacements des riverains du fleuve Sénégal vers ces pays. Il est aujourd'hui admis que dans le cadre du djihad, El hadji Oumar Tall, conscient de la disproportion de ses forces et celles de la puissance coloniale, ordonnait ses nouveaux disciples << de migrer vers des régions où ils pourraient exercer les perceptions de l'Islam librement >>19.

Ce prosélytisme religieux a été un facteur très important de l'émigration des habitants du Fouta en générale pendant cette période de l'histoire. C'est ce qui amène Lericollais à affirmer que << l'exode des Toucouleur et des Peuls au temps d'El hadj Omar

18 Bâ Cheikh Oumar: Dynamiques migratoires et changements sociaux au sein des relations de genre et des rapports jeunes/vieux des originaires de la moyenne vallée du fleuve Sénégal, p6

19 Bâ Cheikh Oumar: Ibid, p45

50

Tall, 70 ans après l'établissement de la théocratie musulmane dans le Fouta-Tooro, traduit le refus de la domination coloniale >>20. Ainsi, s'expliquaient les mouvements de populations à l'époque. Ces stigmates historiques confèrent à la population du Damga une tradition migratoire très ancrée.

Le peuplement du Fouta en général est étroitement lié aux vagues migratoires tous azimutes des wolofs, des maures, des peuls, des soninkés etc. Selon certains traditionnistes la sécheresse dans le sahel aurait contraint la population de migrer vers le sud et le sud-est. On rattache le peuplement du Fouta aux migrations des soninké du Wagadu, ancien royaume du Ghana. « Le peuplement de l'Afrique occidentale résulte donc, d'un long processus qui, à la suite de la désertification du Sahara, a conduit les populations de végéculteurs, de pêcheurs et de pasteurs vers le sud où elles suivent la migration de l'isohyète 400m/m >>21. Ainsi, oppression politiques et contraintes naturelles se traduisent par des déplacements de populations du Fouta vers les régions où elles peuvent vivre librement. Les flux inverses sont caractérisés par les vagues migratoires de soninké, « qui étaient des commerçants en relation avec le Tekrur >>22.

L'autre aspect historique de l'émigration dans le Damga est celui des exigences coloniales. Même si cette partie du Sénégal était moins touchée par le commerce transsaharien, les colons avaient instauré un système de navétanat mais également de recrutement musclé de travailleurs pour la culture de l'arachide dans le centre du Sénégal. Ainsi, « vers 1860, le transfert du pôle économique de la vallée du fleuve Sénégal vers les campagnes du centre-ouest du pays >>23 s'accompagne par la migration de la main d'oeuvre c'est-à-dire les forces vives de cette partie du Sénégal.

Avec le commerce atlantique, les mêmes ponctions de populations par les colons sont notées. C'est ce que le professeur Abdoulaye Bathily appelle l' « hémorragie démographique >>. Des années durant au Damga et partout ailleurs au Fouta les colons procédaient à des recrutements massifs de la population locale. En effet, même si l'histoire spécifique du village de Wodobéré est antérieure à cette période, nous notons la continuité des peuples parce qu'il est certain que le peuplement de ce village a été facilité par les vagues migratoires venues de l'ensemble du Fouta. Par ailleurs, les mêmes habitudes peuvent se retrouver dans la population contemporaine.

20 Lericollais André : Peuplement et migration dans la vallée du Sénégal, p128

21 Kane Oumar : Op.cit., p120

22 Kane Oumar : ibid., p64

23 Bâ Cheikh Oumar: Op. cit., p49

Les effets conjugués de tous ces paramètres confèrent à la population du Fouta en général une tradition de migration très ancienne.

I.2 : La réussite par l'émigration : un modèle pour la jeunesse

Face au manque d'activités lucratives << les revenus de la population active masculine exploitée à l'extérieur, sont l'une des ressources de la circulation monétaire »24. Autrement dit, il n'existait pratiquement pas d'activités génératrices de revenus susceptibles de porter l'intérêt des jeunes dans le Damga en général et à Wodobéré en particulier. L'essentiel du numéraire dont dispose la population locale viendrait de l'émigration. En guise d'illustration, la quasi-totalité des familles de Wodobéré n'ayant pas à leurs seins un émigré n'arrive qu'avec beaucoup de peine à joindre les deux bouts.

Par contre, les expatriés réalisent en des temps records des investissements allant de l'immobilier au petit commerce en passant par le transport. Les plus prétentieux affichent ostensiblement leur richesse. A leur retour au village, ils roulent dans de luxueuses voitures, habitent dans les plus belles villas aussi bien au village qu'en ville. Ce qui fait de l'émigration, aux yeux de la jeunesse qui est restée au bercail, une opportunité à saisir pour trouver rapidement une situation sociale et s'émanciper, d'une part, par rapport aux aînés et, d'autre part, par rapport aux représentations sociales préétablies. Car, il n'est pas rare aujourd'hui, de voir les jeunes émigrés fouler au pied la division sociale qui était naguère rigide et très stricte.

Ainsi, nous sommes arrivés à un stade où la réussite par l'émigration est devenue un modèle que tout jeune rêve d'atteindre. << Ma Kalé ma Bordeaux », << Barça ou barsakh » respectivement la mort ou Bordeaux en Sarakolé et Barça ou la mort en Wolof traduisent fidèlement la détermination d'une jeunesse à bout de son souffle dont les constituants veulent émigrer au prix de leur vie. L'émigration est devenue un luxe pour les jeunes de Wodobéré. À leurs yeux il n'existe aucune chance de réussir autre que l'émigration.

II : Les facteurs conjoncturels

Les facteurs conjoncturels sont relatifs à la structuration actuelle de l'économie des Etats en voie de développement. Une économie marquée par des perturbations climatiques.

24 Lericollais André : Op.cit., p124

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II.1 : La chute des productions agricoles

Les sécheresses cycliques des années soixante dix combinées au désintéressement de la population à l'agriculture sont devenus aujourd'hui des facteurs provoquant de mauvaises productions. Durant ces trente dernières années la pluviométrie de cette partie du Sénégal n'a jamais atteint les 800mm de pluies. Le pic des pluies remonte en 2000 avec seulement 600mm de pluie. En plus de cette pluviométrie déficitaire, le barrage de Manantali en amont du fleuve Sénégal, avec un système de régulation qui ne prend pas en compte les attentes des agriculteurs, vient perturber le cours naturel des crues. Selon les agriculteurs la période des crues est soit précoce, soit tardive, et cela se répercute sur le calendrier cultural. Cette situation défavorable à la pratique de l'agriculture est à l'origine des mauvaises récoltes enregistrées par les cultivateurs. Ainsi, 41,66% de la population de Wodobéré n'a récolté qu'entre 30 et 60kg de mil au cours de l'année 2008 (Tableau n°3).

Par ailleurs, la chute des productions agricoles n'est pas liée exclusivement aux conditions climatiques. Elle est également déterminée par la faiblesse de la force du travail. Les villages étant ponctionnés de leurs actifs par l'émigration, les chefs de familles ne parviennent plus à trouver la main d'oeuvre nécessaire aux pratiques culturales. Cela se traduit par une baisse des surfaces mises en valeur et par une nouvelle forme de pratique. Soit, ils cultivent de petites parcelles proportionnelles à leur force de travail, soit ils font appel à des ouvriers agricoles qui travaillent à la tâche. Ce manque de bras pour la mise en culture de grandes surfaces combiné aux aléas climatiques conduit à la diminution des rendements agricoles. Certaines campagnes agricoles ne permettent même pas aux agriculteurs de compenser les frais pour leur mise en culture. Tous ces facteurs font aujourd'hui que les productions agricoles sont de plus en plus médiocres dans la vallée du fleuve Sénégal.

Tableau 3 : Production annuelle en kilogramme de mil en 2008 à Wodobéré

Production annuelle du mil en kg

Population

Pourcentage

-30

23

38,33

30 à 60

25

41,66

60 à 90

7

11,68

+90

5

8,33

Total

60

100

Source : Enquête de terrain, 2008

II.2 : L'échec des politiques agricoles de l'Etat et le chômage chronique de la jeunesse

Avec un réseau hydrographique très dense et l'existence de plus de 240.000ha potentiellement exploitables, la vallée du fleuve Sénégal, à elle seule, pouvait assurer une production agricole suffisante en riz, en mil, bref en denrées alimentaires de première nécessité pour l'ensemble du territoire national. L'Etat, dans sa politique de mise en valeur de ladite vallée, en collaboration avec les différents pays avec lesquels il partage le fleuve Sénégal, avait mis en place des programmes tels que les aménagements hydro-agricoles pour retenir la population dans son terroir. C'est dans cette optique, pour une couverture beaucoup plus large des zones d'intervention, que la MAS a été remplacée par la SAED et que le barrage de Manantali a été construit.

Cependant, l'absence de concertation entre l'Etat et les populations locales en vue de déceler les priorités de ces dernières a très tôt constitué un obstacle à la réussite des différents projets. En plus de cela il se posait le problème de la gestion foncière. Les populations locales voyaient la loi domaniale de 1964 comme une confiscation par l'Etat des biens qu'elles avaient acquis à travers leurs ancêtres. Ainsi, toutes les politiques agricoles échouèrent si elles ne furent pas tout bonnement délaissées par les populations.

Depuis ces tentatives de mise en valeur des terres arables de la vallée du fleuve Sénégal en générale et de la moyenne vallée en particulier, l'Etat s'est totalement désengagé dans l'accompagnement des populations rurales. Il n'existe aucun secteur dans lequel l'Etat intervient pour mettre en place un dispositif pouvant créer de l'emploi pour les jeunes. Ainsi, dans tout le Damga les jeunes qui sont à l'âge de travailler sont laissés à eux-mêmes parce que le seul secteur d'activité pouvant absorber cette jeunesse au chômage reste l'agriculture sous pluie et l'agriculture de décrue. Ces deux types d'agricultures sont assujettis aux vicissitudes des aléas climatiques. Dès lors, il se crée une désaffection de la jeunesse pour son terroir.

III. Les contraintes sociales

L'émigration n'est pas une fin en soi. Elle n'est non plus, pour certains émigrés, un phénomène admiré au demeurant. Autrement dit, si certains émigrés sont fascinés par le voyage, d'autres par contre partent contre leur gré. Ces derniers sont pour la plupart du temps poussés par des facteurs sociaux.

Ainsi, l'organigramme de la vie familiale et l'existence des familles polygamiques constituent des facteurs sociaux déclencheurs des départs de beaucoup de jeunes. Au niveau des familles polygamiques c'est l'émulation entre les membres qui est le principal

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facteur d'émigration. Les coépouses portent un oeil inquisiteur à leurs enfants qui ne sont pas intéressés par l'émigration.

III.1 : L'émulation entre voisins

Tant au niveau des familles voisines qu'au sein d'une même famille, les gens sont animés par une certaine concurrence. Au niveau des familles c'est l'envie de vivre mieux par rapport à son voisin qui anime les différents membres. Il est de coutume de voir, à l'occasion des cérémonies festives, des familles rivaliser dans les distributions des billets de banque, signes d'aisance et de largesse. Pour ces familles « partir est en soi une référence et un repère pour lesquels la famille est prête à assumer les sacrifices les plus inattendus, y compris sur le plan financier»25. Ainsi, elles n'hésitent pas à user de tous les moyens pour expatrier leurs enfants afin qu'elles puissent être à l'abri du besoin financier.

En effet, au niveau des ménages de régime polygamique, c'est plutôt entre les différentes épouses que l'émulation est beaucoup plus avérée. La concurrence pour l'appropriation du mari et des avoirs de la famille aidant, les coépouses demeurent d'éternelles incitatrices de leurs enfants au voyage. Pour se faire, elles sont prêtes à vendre leurs objets de parure et leurs biens les plus précieux afin de préparer et financier l'émigration de leurs progénitures. Par malheur, l'enfant qui ne réussit pas son voyage ou par diverses raisons n'est pas tenté par l'émigration est sujet de propos déplacés, de grondements et surtout de mépris de la part de ses parents.

Cette émulation découle également des rapports entre les candidats potentiels à l'émigration et ceux qui sont déjà de retour. Ces derniers, du moins ceux qui ont réussi leur émigration parviennent le plus souvent à prendre en charge leurs familles et leurs amis. Ce qui est aux yeux de ceux qui n'ont pas encore tenté l'émigration une source de motivation. Appartenant à la même génération, il subsiste dès lors un certain un esprit de surpassement des jeunes. Chacun veut avoir plus de biens matériels que ses camarades. Cette émulation est l'un des facteurs qui poussent les jeunes à emprunter des voies illégales et à braver les océans pour se retrouver dans les pays du Nord. Ils sont souvent aidés par des réseaux qui ont fini de mailler tous les couloirs migratoires.

25 Raunet Mireille : « Mobiliser les migrants pour le développement socio-économique du Mali et du Sénégal », p343

III.2. Le regroupement familial

L'existence de familles séparées géographiquement peut constituer des motifs d'émigration valables. Certaines personnes ont émigré non pas pour chercher du travail ou une situation socio-économique meilleure mais plutôt pour rejoindre leurs conjoints(es). << Le comportement migratoire individuel pourrait dépendre davantage d'obligations et de considérations familiales ou de ménages que des décisions économiques individuelles >>26. Cette forme d'émigration concerne la plupart du temps, des hommes qui ont contracté un mariage avec les enfants issus de l'émigration c'est-à-dire de la seconde génération communément appelés << vaches folles >>.

A Wodobéré, contrairement à ce que l'on est habitué de voir dans d'autres localités, rares sont les femmes qui émigrent pour la recherche d'une vie meilleure. Les quelques migrations féminines notées ça et là sont dues au regroupement familial suite à l'installation du conjoint au pays d'accueil. Ainsi, pour le renforcement des liens familiaux, leur rapprochement est décliné comme une stratégie familiale. C'est dans ce cadre que l'on note la présence des femmes et des moins de vingt ans dans les principales destinations migratoires.

IV : Les réseaux facilitateurs

A Wodobéré, les candidats à l'émigration internationale sont pour la plupart du temps guidés et encadrés par leurs aînés. Il s'agit de l'implication des aînés qui ont déjà effectué une migration mais également, par l'entremise de ces derniers, de tout un réseau officieux qui maille les couloirs migratoires.

IV.1 : La diaspora

Il s'agit principalement de l'ensemble des fils du village qui se trouvent dans les principales destinations. Ils influent sur les prises de décisions et ils sont également au début et à la fin de ces migrations. Ainsi, ils interviennent à deux niveaux.

- D'abord c'est dans le souci d'assurer une certaine continuité de la chaîne migratoire qu'ils poussent leurs cadets à migrer. Ceci dans l'optique, d'une part, de pérenniser les transferts financiers et, d'autre part, de garantir la sécurité et l'assurance de la famille qui ne vit plus que de ces rentes. Pour se faire, ils mettent à la disposition des candidats à l'émigration tous les moyens nécessaires à la réalisation de leur voyage. Cette

26 John O. OUCHO, William T S. GOULD : << Migration interne, urbanisation et répartition de la population >>, p274

intervention des aînés va du choix des pays d'immigration au financement des voyages. Au village de Wodobéré, donner quatre millions à un petit frère candidat à l'émigration internationale est devenu un fait banal.

Ainsi, après l'élaboration des projets migratoires, les aînés actualisent tous leurs réseaux de connaissances pour faciliter le passage des différentes frontières. Etant les premiers à bénéficier de l'appui des convoyeurs et des rabatteurs d'émigrés, ils possèdent un capital de relation qui leur permet d'entrer en contact avec les différents facilitateurs.

-Ensuite, << la présence de membre de la parenté au lieu de destination est parfois plus importante que les motifs économiques, car les migrants éventuels doivent démarrer d'une base avant de compter que sur eux-mêmes>>27. La diaspora, c'est-à-dire la communauté villageoise en générale et la famille du nouvel émigré en particulier, sert d'appui à ce dernier et l'assiste dans la recherche d'un travail avant qu'il ne puisse partir de ses propres moyens. Cette forme de facilité à l'intégration des émigrés aux différentes structures des pays d'immigration est à l'origine de l'engouement des nouveaux candidats à l'émigration, car en partance de leurs villages, ils savent qu'ils n'auront pas de grands problèmes à leur arrivée.

IV.2 : Les réseaux officieux

L'arrêt des migrations officielles en 1974 et l'instauration des visas d'entrée en 1985 par les principaux pays occidentaux bouleversèrent l'organisation des départs dans les pays en développement. Cette nouvelle donne a été ressentie immédiatement par les ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal pour lesquels rejoindre l'eldorado européen est un luxe à atteindre à tout prix. Ainsi, voulant partir au prix même de leur vie, les candidats à l'émigration commencèrent à recourir aux artistes, commerçants, hommes politiques et autre << promoteurs de visa >> qui n'hésitent pas à user de tous les moyens pour dénicher un visa au plus offrant. Ainsi, ces trafiquants déployèrent des stratégies leur permettant de trouver des visas et de les vendre à des prix allant d'un à quatre millions.

En effet, en plus de ces trafiquants, un véritable réseau de passeurs s'est mis en place entre les différents points de transit pour l'émigration internationale. Du Sénégal à la France en passant par le Maroc, c'est une véritable chaîne de passeurs qui se déploie pour assister les émigrés dans leurs périples. L'essentiel des migrations internationales à partir de Wodobéré est réalisée, soit en complicité avec l'administration centrale à travers les différents corps, soit par la collaboration des << démarcheurs de visa >>. D'après notre

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27 John O. OUCHO, William T S. GOULD : Op.cit., p274

enquête auprès des émigrés 37% des départs enregistrés entre 2000 et 2008 ont bénéficié de la complicité de la police aéroportuaire.

A l'intérieur du Sénégal c'est souvent les chargés du contrôle au niveau des postes de transit qui servent de relais à cette chaîne de facilitateurs. Moyennant des sommes allant de deux à quatre millions, ils permettent aux candidats à l'émigration de passer avec, pour la plupart du temps, de fausses identités. La fréquence d'arrestation d'émigrants illégaux avec comme motif une usurpation d'identité témoigne bien l'existence de cette forme d'émigration. Ces arrestations émanent le plus souvent des combines policières déjouées à l'extrême par les contrôleurs des différentes compagnies aériennes. Un émigré en retour de voyage témoigne :

« Je suis actuellement à Dakar parce que ma carte de séjour est dans les mains de la justice sénégalaise. Pour cause, je l'avais donné à mon frère pour qu'il quitte le pays en avion pour la France tout en payant auparavant 4 millions à un policier chargé de lui faciliter le passage aux différents contrôles de l'aéroport. Mais par malheur, mon petit frère a été intercepté au dernier moment. Ce qui m'a valu la confiscation de ma carte de séjour ».

Au niveau des autres points de transit, l'émigration est facilitée par des passeurs qui maîtrisent bien les itinéraires menant vers les différents pays d'immigration. Il s'agit des convoyeurs qui, moyennant des sommes importantes d'argent et par le biais des rabatteurs, conduisent les candidats à l'émigration vers les frontières ou vers les points de passage qui sont pour l'essentiel le Maroc, l'Algérie ou les Îles Canaries. Au niveau de ces points de chutes d'autres « passeurs » prennent la relève soit pour assurer la suite du voyage des émigrés, soit pour leur trouver de travail en contre partie d'un pourcentage de leur rémunération.

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CHAPITRE II : Le déroulement de l'émigration I : L'organisation des départs

Durant les premières vagues migratoires, le départ d'un émigré a toujours été un moment de fortes émotions des parents et des amis. L'ignorance du monde extérieur combinée à l'absence des moyens de communication et de télécommunication, qui font que l'émigré reste pendant de longues périodes sans donner ni recevoir de nouvelles de sa famille, poussent les candidats à se préparer des années durant pour réaliser leur premier voyage. Pour la plupart d'entre eux, après l'aval et la bénédiction des parents il faut l'autorisation du marabout. Ainsi, le voyage est prémédité et préparé avec des itinéraires et des correspondances bien ficelés. Le candidat, en collaboration avec un membre de sa famille ou de ses compatriotes, quitte son village selon un calendrier qui lui permettrait de ne pas durer sur les points de transit et d'être directement en contacte avec d'éventuels « passeurs ».

De nos jours, les premiers départs vers une destination lointaine se font dans la plus grande discrétion parce que, d'une part, le candidat est incertain de l'aboutissement de son voyage et, d'autre part, parce qu'il essaie d'échapper à la vigilance des personnes qui n'hésiteraient pas à lui souhaiter le mauvais sort. En outre, les départs pour des destinations proches ou internes au pays ne suscitent aucune attention des populations.

Par ailleurs, l'émigration s'organise autour de l'unité familiale. Elle n'est pas l'initiative d'une seule personne mais découle d'une concertation de l'unité familiale, même si l'idée d'émigrer vient pour la plupart de la personne concernée. Cette émigration est de type économique c'est-à-dire que les candidats vont à la recherche d'un travail rémunéré et des activités génératrices de revenus. Il en découle qu'en partance du village, l'émigré n'a qu'un seul but : trouver de l'argent et revenir.

I.1 : Les caractéristiques de l'émigration

Au demeurant, l'émigration à partir de Wodobéré se fait individuellement parce qu'aussi longue soit-elle, le migrant part avec une perspective de retour. Il s'agit généralement d'une émigration économique. Ainsi, les migrants sont des célibataires le plus souvent lors de leur premier voyage. Ce dernier est d'ailleurs motivé par la recherche des biens permettant aux émigrés de contracter leurs premiers mariages et d'entretenir leurs familles. Cette situation matrimoniale combinée aux incertitudes d'une migration réussie fait que les départs sont individuels et concernent principalement le sexe masculin.

Les jeunes hommes dont l'âge varie entre 18 et 35 ans sont les principaux concernés par cette émigration. « Les pays sud-européens accueillent une population africaine et ouest africaine essentiellement composée de jeunes adultes de sexe masculin »28. Comme partout en Afrique de l'ouest, Wodobéré est marqué par un nombre important des départs de jeunes adultes vers l'Europe.

L'émigration féminine représente 36,14% contre 63,86% des hommes (Tableau n°4). La faiblesse de l'émigration féminine s'explique par les contraintes liées à la hiérarchisation de la société et au rôle de second plan qu'elles jouent dans l'organisation des taches ménagères. Selon la hiérarchie de l'unité familiale, les femmes doivent être soumises et attendre tout de leurs maris ou de leurs parents. Certes, elles ont en charge certaines tâches ménagères telles que la corvée de l'eau et du bois, mais elles n'ont pas voix aux chapitres. Ainsi, celles qui émigrent, partent non pas pour des raisons économiques mais plutôt pour rejoindre leurs conjoints. C'est ce qui explique l'existence des familles dispersées entre le village et les différentes destinations migratoires. En effet, cette situation n'arrive que si l'émigré a trouvé un emploi stable et une situation financière lui permettant de se prendre en charge et de satisfaire les besoins de la famille restée au village.

Si les départs à partir de Wodobéré concernaient principalement les jeunes hommes âgés entre 20 et 35 ans, on note aujourd'hui dans la diaspora la présence des deux sexes et de toutes les tranches d'âge. La diaspora est caractérisée d'ailleurs par une proportion très importante des hommes actifs, avec 42,58% (Tableau n°4), qui est constituée par les premiers migrants et par ceux issus de la vague migratoire suite à la détérioration des conditions de vie, due aux changements climatiques. Les femmes actives, avec 22,6%, sont essentiellement constituées par celles qui, suite à un mariage au village, rejoignent leurs conjoints au pays d'immigration. Les 10,96% et 15,8% des moins de vingt ans représentant respectivement les filles et les garçons présents dans la diaspora constituent la deuxième génération d'émigrés, c'est à dire les enfants d'émigrés nés dans les pays d'accueil. Mais, comme nous l'avions précédemment énoncé, l'émigration individuelle à partir de Wodobéré ne concerne que les hommes valides.

28 Robin Nelly : Atlas des migrations ouest-africaines vers l'Europe 1985-1993, p35

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Tableau 4 : Proportion de la diaspora villageoise selon l'âge et le sexe.

Sexe

Tranche d'âge

Féminin

Masculin

Totaux

Eff.

%

Eff.

%

Eff.

%

00-19

34

10,96

49

15,8

83

26,76

20-64

70

22,6

132

42,58

202

65,18

65 et +

8

2,58

17

5,48

25

8,06

Total

112

36,14

198

63,86

310

100

Source : Enquêtes de terrain, 2008

I.2 : Le financement du voyage

D'après nos entretiens avec des émigrés de retour, le financement de l'émigration a connu une évolution avec le temps. Vers les années soixante, c'est-à-dire à l'apparition des premières migrations dans le village de Wodobéré, les candidats se rendaient d'abord vers les différents centres urbains du Sénégal et principalement à Dakar pour y travailler. Ces centres constituaient un tremplin vers l'étranger. Une fois en ville, ils sont majoritairement des vendeurs ou des employés dans les secteurs informels. Ainsi, dans les années soixante dix et quatre vingt, la vente des billets de la loterie nationale fut l'une des principales activités de ces migrants internes. Les bénéfices tirés de ces différentes activités leur permettaient de financer l'émigration intra-africaine voire internationale parce qu'avec moins de 50.000 francs Cfa, nous renseigne notre interviewé (émigré en retraite), ils pouvaient atteindre le port de Marseille à l'époque. En effet, malgré les facilités administratives et le faible coût de l'émigration, cette dernière n'intéressait qu'une petite frange de la population à l'époque.

De nos jours, l'envolée des cours du pétrole, le besoin pressant de toute la population de partir vers l'étranger combiné à l'instauration des politiques de restrictions des entrées au niveau des principales destinations surenchérissent le coût de l'émigration. Malgré les rapprochements géographiques dus aux moyens de transport beaucoup plus efficaces, les coûts de l'émigration illégale-pratiquée par la majorité de la population de cette localité- ne cessent d'augmenter. Par ailleurs, ces paramètres ont entrainé aujourd'hui des difficultés dans l'autofinancement des candidats à l'émigration.

Désormais les candidats, utilisant les voies légales pour obtenir un titre de séjour, doivent faire preuve d'une aisance financière alors que ceux qui préfèrent émigrer dans l'illégalité paient des fortunes soit à des « passeurs », soit à des démarcheurs de visa. En outre, avec le marasme économique et l'étroitesse du marché de l'emploi, voire son

inexistence, il est aujourd'hui quasiment impossible pour un tiers de financer son premier voyage pour l'émigration internationale. Les rares secteurs d'activité ne permettent plus une épargne consécutive pouvant assurer le coût d'une émigration lointaine.

Dès lors, le financement de l'émigration à partir de Wodobéré ne peut découler que d'une participation collective de l'ensemble de la famille ou, au moins, de l'aide d'une personne ayant une certaine aisance financière. Il convient de noter que la migration est d'abord un projet familial avant d'être individuel car s'inscrivant dans les stratégies familiales de recherche du numéraire. C'est pour cet effet que les familles ne lésinent pas sur les moyens quand il s'agit de financer le départ d'un des leurs. Nous avons en mémoire cet aîné de famille qui disait :

« Je suis prêt à financer même à hauteur de cinq millions le voyage de mon frère vers la France mais je ne saurais lui payer, ici au Sénégal, une formation qualifiante qui, d'ailleurs, ne lui garantit aucune perspective d'emploi ».

Ainsi, dans un passé récent, tous les départs pour l'émigration lointaine à partir de Wodobéré sont financés soit par des parents, soit par des amis. La probabilité pour qu'un candidat s'autofinance est presque nulle.

Par ailleurs, c'est une nécessité vitale pour un parent émigré de préparer sa retraite c'est-à-dire de se substituer à un second qui serait en mesure d'assurer les besoins de la famille dans le futur. Ainsi, chaque émigré cherche à assurer au minimum durant sa vie active le coût du voyage d'un fils ou d'un frère avant d'aller à la retraite. L'émigration constitue dès lors une véritable chaîne entre les générations. Elle permet sa continuité et sa pérennisation dans le temps parce qu'elle assure son propre financement. C'est un système qui s'auto-entretient. Ainsi, comme le montre le Tableau n°5, plus de 41% des migrations ont été financées par des parents établis à l'étranger. L'émigration constitue une chaîne qui est nourrie par elle-même.

Tableau n°5 : Types des financements de l'émigration (en %)

Types de financement

Emigrés

Epargne personnelle

39

Cotisation des parents

17

Envoi du billet depuis l'étranger

41

Autre

3

Total

100

Source : Enquête personnelle, 2008/2009

II : Les étapes

II.1 : Les itinéraires migratoires

A partir de la vallée du fleuve Sénégal, les couloirs migratoires se constituaient par rapport aux itinéraires menant vers les pays africains oü l'exploitation des mines de diamants était en vogue durant le début de la deuxième moitié du XXème siècle. Il s'agit pour l'émigré, qui quittait la vallée du fleuve Sénégal, de passer d'abord par Dakar pour rejoindre ensuite le Libéria, la Sierra Léone, le Congo ou l'Angola pour ne citer que ceux là.

Cependant, après l'extraction de la pierre précieuse sa commercialisation a très vite intéressé les premières vagues d'émigrants. Les premiers diamantaires se sont retrouvés par la suite aux points de chute de leurs produits soit pour vendre, soit pour servir de relais à la chaîne des trafiquants. Ils approvisionnaient directement les comptoirs européens tels que Amsterdam, Paris, Anvers, Londres voire Tel Aviv ou Beyrouth en Asie mineure. C'est dans ce cadre que les premiers émigrés, qui sont d'ailleurs les têtes de pont de l'émigration internationale à partir de la vallée du fleuve Sénégal vers les pays occidentaux, se sont retrouvés en France, en Allemagne en Hollande, en Israël etc.

Néanmoins, on note aujourd'hui une ramification et une restructuration des couloirs migratoires. Ce changement des itinéraires empruntés par les migrants s'explique par la saturation du marché des diamantaires, la crise des destinations africaines et l'émergence d'une nouvelle forme de migration à savoir l'émigration clandestine. Appelée également émigration illégale, l'avènement de cette dernière s'accompagne par la mise en place des réseaux qui maillent les différents points de transit qui sont de nos jours la Mauritanie, le Mali, le Maroc et l'Espagne. Ainsi, à partir des côtes sénégalaises, gambiennes ou mauritaniennes, les convois des émigrés clandestins traversent l'océan atlantique pour rejoindre le territoire espagnol.

En effet, l'émigration des jeunes de Wodobéré reste moins touchée par cette forme qui emprunte soit les voies terrestres, soit les voies maritimes. Ces jeunes adoptent, en ce qui les concerne, d'autres stratégies qui sont moins périlleuses. Il s'agit d'une émigration illégale, frauduleuse qui met en jeu plusieurs acteurs. Ces derniers peuvent être de simples passeurs mais aussi de hauts gradés de l'administration centrale.

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Ainsi, en partance de Wodobéré, le candidat passe par Dakar oü il entre en contact avec des personnes ressources lui permettant de franchir les postes de contrôle aux frontières sans souci pour des destinations européennes. Ces opérations sont rendues

possibles grâce à la complicité et à la collaboration des autorités administratives, parce qu'il s'agit pour la plupart des cas d'une usurpation d'identité par les candidats à l'émigration. Ainsi, malgré le renforcement et la multiplication des contrôles aéroportuaires, des réfractaires aux lois et règlements préétablis subsistent.

Ces candidats à l'émigration, conscients qu'ils ne peuvent pas remplir les conditions nécessaires et préalables pour l'obtention d'un visa d'entrée, empruntent le titre de séjour d'un parent, ami ou frère établi dans l'hexagone. Malgré les différences de caractères physiques qui peuvent exister entre le propriétaire des papiers et le contrevenant, ces candidats bénéficiant de l'appui des « passeurs » franchissent les postes de contrôle aéroportuaires sans grandes difficultés.

Les itinéraires des candidats à l'émigration internationale se dessinent donc à partir de Dakar. Il s'agit pour l'émigré qui a quitté son village d'origine, d'embarquer à bord d'un vol en destination de la France, mais devant transiter par l'Espagne ou le Portugal. C'est durant les escales au pays de transit que les émigrés tentent de sortir de l'aéroport pour prendre la poudre d'escampette. D'après nos enquêtes au près des émigrés, plusieurs milliers d'entre eux ont réussi à entrer en France ou en Espagne par cette méthode durant la dernière décennie.

Il existe également un autre circuit migratoire emprunté par les émigrés de Wodobéré. À partir de Dakar, les candidats à l'émigration passent, soit par le Mali, soit par la Mauritanie pour se retrouver au Maroc ou en Algérie. Du Maghreb, ils essaient de passer par Ceuta ou Melilla pour entrer en Espagne et, à l'aide d'un bus, rejoignent la France par la suite. C'est ainsi dire que c'est un véritable réseau qui est mis en marche pour atteindre le territoire français.

II.2 : Les points de transit

La capitale sénégalaise est le premier point de passage des émigrés. Tremplin et plaque tournante des liaisons aériennes et maritimes, Dakar est par excellence la première destination des émigrés de ladite localité. Au niveau de cette ville, les candidats à l'émigration internationale sont dans leur majorité dans des secteurs informels comme le commerce et autres travaux journaliers.

En effet, cette occupation temporaire des emplois informels par les candidats à l'émigration lointaine n'est qu'une stratégie adoptée par les émigrés. Le plus souvent ils sont, parallèlement à ces fonctions, en pourparler avec d'éventuel « promoteur de visa » ou autre trafiquant. Ainsi, à défaut de pouvoir atteindre la destination finale via Dakar, les

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émigrés se rabattent sur les principales villes du Maghreb telle que Raba ou Alger. Au Maroc, témoigne notre interviewé ;

« Il existe un important dispositif mis en place par les passeurs. Il s'agit de personnes qui maîtrisent bien les points de passage vers l'Espagne ; une fois le compromis trouvé sur la somme d'argent à verser, ils vous servent de guide jusqu'aux frontières espagnoles. Moi, je suis resté cinq semaines dans cette ville et ma principale préoccupation était de chercher une personne pouvant me mettre en rapport avec les passeurs. Ce que je suis parvenu à trouver très vite grâce à nos compatriotes qui m'avaient précédé. En effet, aucun candidat à l'migration n'avait cherché à travailler dans cette ville. »

Cet avis est partagé par tous les émigrés qui avaient passé par le Maroc et que l'on a interviewés.

En Mauritanie par contre, les candidats à l'émigration sont le plus souvent dans le secteur de la pêche. Ainsi, grâce aux réseaux de connaissances qu'ils ont pu tisser, ils se fraient des voies pour rejoindre par la suite les Îles Canaries. Arrivés au niveau de ces dernières, les émigrés sont pris en charge par des humanitaires tels que les agents de la Croix Rouge. En Espagne, les immigrés cherchent d'abord à trouver un titre de séjour afin de rejoindre la France dans la légalité.

II.3 : Les principales destinations

Durant le deuxième quart voire le début de la moitié du siècle dernier, le choix des émigrés sur les différentes destinations était guidé par des facteurs économiques mais aussi par des critères linguistiques. C'est dans ce cadre que les destinations africaines ayant des potentialités diamantifères ont été très prisées à l'époque par les habitants de la vallée du fleuve Sénégal. En Afrique de l'ouest et du centre il s'agissait du Libéria, de la Siéra Léone, du Congo et de l'Angola.

En effet, cette effervescence dans l'extraction du diamant aux différents pays cités ci-dessus n'avait pas intéressé directement les émigrés de Wodobéré. Les barrières linguistiques de ces pays et l'illettrisme de cette population étaient à l'origine de son désintéressement vis-à-vis de ces destinations où la pratique de l'anglais ou du portugais était de mise. Ainsi, les premiers émigrés du village de Wodobéré se dirigeaient vers les pays francophones. La Côte d'Ivoire était la principale destination africaine suivie du Congo-Kinshasa et du Gabon.

Cependant, à partir des années quatre vingt avec l'apparition du Sida, le taux des émigrés vers les destinations africaines a baissé. A l'époque, on rattachait l'origine de cette maladie, très mal connue et qui gagnait de plus en plus du terrain dans la vallée du fleuve

Sénégal, aux émigrés de retour des régions africaines. De ce flétrissement des émigrés venant de ces pays, il s'en est suivi une réticence accrue des populations et l'émergence de nouvelles destinations.

Ainsi, la France, pour des raisons déjà évoquées, demeure le pôle principal d'attraction des gens de Wodobéré, avec 53% des émigrés (Graphique n°4). Ce fort taux des émigrés du village vers l'ancienne métropole s'explique par l'ancienneté même des flux migratoires sud-nord via les ports de Marseille et de Bordeaux. Ceci parce que bien avant même l'avènement de l'émigration actuelle, des navigateurs africains en général et sénégalais en particuliers se retrouvèrent dans les différents ports occidentaux.

C'est dans ce cadre que, << l'ATOM (Aide aux Travailleurs d'Outre-mer) crée, en 1964, une antenne d'accueil chargée de résoudre les problèmes qui se posent aux primomigrants. Fonctionnant à l'arrivée de chaque navire, elle dénombre près de 1900 personnes arrivées par bateau entre août et novembre 1964 dont une majorité de sénégalais >>29. Depuis lors, l'augmentation des flux vers l'ancienne métropole sont toujours de mise. Ils sont déterminés par les facilités d'intégration dues à la présence des aînés et par l'attachement de la population à l'ancienne métropole colonisatrice.

Après la France, la deuxième destination des migrants de Wodobéré est la Côte d'Ivoire, le Gabon et la Mauritanie avec respectivement 4%, 4% et 3% des émigrés. Malgré la stigmatisation des destinations africaines par la population, elles restent le refuge des candidats qui n'ont pas les moyens nécessaires au financement de l'émigration transocéanique. La Guinée Equatoriale, avec une relative avancée économique notée ces dernières décennies, intéresse de plus en plus les candidats à l'émigration africaine.

La migration interne est déterminée par la prépondérance du nombre d'immigrés à Dakar avec 23%. En effet, cette ville n'est que l'antichambre de l'occident parce qu'elle constitue un tremplin vers l'Europe où les candidats à l'émigration trouvent la ressource humaine leur permettant de franchir les frontières. Ce fort taux s'explique également par la présence de plus en plus des femmes qui, le plus souvent, simulent des maladies afin de pouvoir se reposer et de rester loin des travaux domestiques. Ces femmes sont le plus souvent des épouses d'émigrés. C'est en venant à Dakar qu'elles parviennent le plus souvent à se payer la parure grâce aux fonds que leur époux les envoient.

29 Bredeloup Sylvie : << Marseille, carrefour des mobilités africaines >>, p71

66

Source : Enquêtes de terrain, 2008

III : Les types de migrations

La typologie des migrations peut être étudiée sous deux formes : les migrations à partir de Wodobéré en fonction de la durée et les migrations en fonction de l'appartenance sociale. En fonction de la durée on distingue l'émigration saisonnière, l'émigration temporaire et l'émigration définitive. Pour ce qui est de l'appartenance sociale il est question de faire une caractérisation des migrations selon les trois principaux groupes sociaux à savoir les nobles, les dépendants et les descendants d'esclaves.

Tableau n° 6: Types d'émigration

Types d'émigration

Emigrés

Saisonnière30

41

Temporaire31

53

Définitive32

6

Total

100

Source : Enquête de terrain, 2008/2009

30 Une émigration effectuée sur une durée de 1 à 2 ans

31 Une émigration effectuée sur une durée de 3 à 6 ans

32 Une émigration suivie d'une installation définitive au lieu d'accueil

III.1 : En fonction de la durée

La durée du séjour des différents migrants est déterminée par plusieurs facteurs. Selon les cas, la réussite sociale, l'échec ou l'intégration, l'émigré peut retourner de sitôt, rester plus longtemps ou s'installer définitivement au niveau des pays d'accueil. Mais, au demeurant aucun émigré n'a la prétention de faire une émigration définitive. Certains candidats à l'émigration se basent sur le calendrier cultural pour effectuer leur migration tandis que d'autres sont guidés par le type d'activité qu'ils exerceront au niveau du pays d'accueil. Ainsi, nous avons des migrations saisonnières, des migrations temporaires et des migrations définitives.

III.1.1 : L'émigration saisonnière

Il s'agit essentiellement, pour le cas de Wodobéré, d'une émigration interne vers les différents centres urbains. Elle est régie par l'activité agricole caractérisée par les deux saisons de l'année. Deux types de migrants vivent aux rythmes des saisons. Il s'agit des élèves et étudiants mais aussi des jeunes contraints de revenir pour pratiquer l'agriculture. Ainsi, après les récoltes du diéri en octobre/ novembre, les jeunes quittent le village pour les centres urbains du pays et en juillet/ août ils reviennent pour les travaux champêtres. Cependant, ces mouvements de populations sont de moindre importance, de nos jours. L'émigration saisonnière concerne moins de 41% des émigrés du village.

III.1.2 : L'émigration temporaire

Cette forme de migration est une preuve de réussite, car elle concerne les émigrés qui sont parvenus à trouver une situation sociale leur permettant de revenir régulièrement au village. Elle concerne 53% des émigrés. Elle est caractérisée par les retours intermittents des émigrés qui, pour l'émigration internationale, ont obtenu des titres de séjour leur permettant de circuler librement. Ce sont des émigrés qui, pour l'essentiel, ont construit un habitat et possèdent une épouse au village. Ainsi, ils reviennent de temps en temps non seulement pour voir leur épouse mais aussi pour se ressourcer et bénéficier des bénédictions des parents.

III.1.3 : L'émigration définitive

Au départ, les émigrés décident de s'aventurer pour la recherche d'activités génératrices de revenue susceptibles de prendre en charge la famille restée au village. Ils

veulent tous, à leur départ, venir à la rescousse de leurs familles frappées par des besoins pécuniaires. Toutefois, étant donné qu'on ne fait pas le voyage mais c'est plutôt le voyage qui nous fait, il est probable, au contact du monde extérieur, que l'émigré épouse des idées nouvelles au cours de sa migration. Les réalités culturelles et socio-économiques différentes d'un lieu à un autre aidant, l'intégration de l'émigré est la cause de son assimilation pouvant aboutir à une installation définitive. Ainsi, cette dernière peut découler de deux principaux critères.

Premièrement, l'installation définitive de l'émigré en son lieu d'immigration peut découler de sa situation socioprofessionnelle. Il s'agit de ceux qui sont parvenus à trouver un emploi stable et qui, soit font appelle à leur épouse, soit contractent un mariage avec une fille du lieu d'accueil. Il se crée dès lors une petite famille d'émigrés. En effet, cette migration n'est pas totalement définitive. Autrement dit, la famille installée dans le pays d'accueil ne coupe pas court tous les liens avec ses origines. Elle peut entretenir des relations la permettant de rester en contact permanant avec la famille qui est au village. L'émigré et éventuellement sa famille reviennent le plus souvent pour voir leurs parents à l'occasion des fêtes, pour présenter des condoléances lors de la disparition d'un des leurs ou tout simplement durant leurs périodes de congés.

Ces types d'émigrés possèdent le plus souvent un capital foncier au village qu'ils mettent en valeur par l'intermédiaire des parents restés au village, ou par le biais du numéraire qu'ils envoient souvent, ils recrutent des travailleurs saisonniers. En outre, c'est une émigration qui est très coûteuse parce qu'en plus de la petite famille qui s'est installée au pays d'accueil, l'émigré doit prendre en charge ses parents du village d'origine. << En définitif, le couple est en mesure d'assurer l'entretien alimentaire de plusieurs inactifs si les revenus migratoires autorisent le recours à la traction animale et l'embauche de quelques journaliers ».33

Deuxièmement, il peut s'agir de ceux qui ont coupé toutes relations avec leurs familles. Pour la plupart du temps ce sont ceux qui, par manque de chance, n'ont pas réussi leur aventure, qui éprouvent un sentiment de culpabilité et se disent-ils que << ce serait une honte (hersa) de retourner chez soi comme on est venu, c'est-à-dire les mains vides »34. Ce qui leur a valu le nom de Luttubé (sing. Luttudo). Ils restent plus longtemps et peuvent trouver des épouses au niveau des pays d'accueil. Il s'en suit une intégration à la société

33Delaunay Daniel : De la captivité à l'exil. Histoire et démographie des migrations paysannes dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, p84

68

34 BALDE Mamadou Saliou : << Un cas typique de migration africaine : L'immigration des guinées au Sénégal » in Les Migrations africaines : réseaux et processus migratoires, p91

d'accueil. Ceux qui se sont installés définitivement dans les lieux d'accueil représentent 6% des émigrés.

III.2 : En fonction de l'appartenance sociale des émigrants III.2.1 : Chez les nobles

La hiérarchisation de la société permettait à l'époque à la caste des nobles de bénéficier de la force du travail des serviles et des services des dépendants. Ces deux dernières catégories sociales sont pendant longtemps restées au service des nobles. « Mais, ne profitant plus du surtravail de son serviteur, le maître vit ses revenus monétaires se détériorer au point de devenir inférieur à ceux du serviteur qui pratiquait certaines activités manuelles interdites à la caste des nobles »35. Ce début de bouleversement de la situation dans la hiérarchisation sociale avait très vite agacé les nobles.

Toujours, dans leurs stratégies de rester maîtres, leur besoin incessant de supériorité et dans leur souci de défendre leur statut qui s'effrite avec les changements en cours, les nobles commencèrent à émigrer pour aller au delà même du Sénégal. D'après les entretiens que nous avons réalisés auprès des retraités, le premier émigré vers la France en 1961 fut de la classe des nobles. Mais, avant même cette date, il y avait eu ce que nos interviewés ont appelé « les pionniers de l'émigration du village » qui étaient dès 1953 au Kenya et en Cote d'ivoire à partir de 1957. Mais, bien avant cette date « les législations de 1901 et 1906 sur la libération des anciens esclaves précipiteront le processus poussant à l'émigration les serviteurs affranchis et leurs anciens maîtres appauvris »36 dans le Fouta en général.

En effet, il n'existe aujourd'hui que quelques stigmates de cette représentation sociale parce que, d'une part, les déterminants de l'émigration ne sont plus à chercher dans l'appartenance sociale et, d'autres parts, les nobles n'ont plus une hégémonie effective sur les autres catégories sociales. Il serait dès lors très prétentieux de vouloir faire une catégorisation des émigrés par rapport à leur appartenance à une telle ou telle autre caste.

A partir des années soixante dix « les proportions des nobles et de serviteurs ayant émigré pour obtenir un travail salarié sont identiques »37. La précarité économique, l'explosion démographique et les besoins monétaires touchèrent sans distinction d'ethnie ou de caste toutes les catégories socioprofessionnelles du monde rural. Le graphique 5 met

35Delaunay Daniel : Op-cit., p135

36 MINVIELLE Jean-Paul : Paysans migrants du Fouta Toro, p147

37 Delaunay Daniel : Ibid., p135

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en évidence cette affirmation parce que le nombre d'émigrés appartenant à la classe des Se??e (35,7%) et celui des Law?e (1%) sont proportionnels à leurs représentativités dans le village. Autrement dit, le taux des différentes castes n'est que proportionnel par rapport à leur effectif dans la répartition de la population du village.

Source : Enquêtes de terrain, 2008

III.2.2 : Chez les dépendants et chez les Macuu?e

Au début de l'émigration dans le village de Wodobéré, le besoin des serviles de se séparer physiquement des maîtres en corrélation avec leurs envies de s'émanciper par rapport aux stéréotypes sociales les obligeait à émigrer. C'est ainsi que les premiers voyages vers l'intérieur du pays furent effectués par les castés, dit-on. Il s'en est suivi un changement dans les relations entre les nobles et les autres catégories sociales. Ces dernières commencèrent à reprendre petit à petit leur souveraineté.

L'embauche de certains nobles à l'usine Bata pour la fabrication des chaussures à l'époque a été un déclic. Les dépendants et les Macuu?e considéraient cette activité comme la leur parce qu'étant plus proche de la cordonnerie. C'est ainsi qu'au cours de l'histoire des migrations, avec le changement évolutif des mentalités, que les relations entre les nobles et les autres castes prenaient une autre allure. C'est-à-dire que les castés entraient petit à petit dans un processus d'autonomie. Cette évolution a été facilitée par l'accès pour tous à l'éducation et à la formation mais également par le contact avec le monde extérieur créé par la mobilité.

« Désormais, les quelques réminiscences sociales du lien de servitude ne semble pas provoquer une émigration plus considérables des anciens serviteurs »38. Les serviles et les dépendants n'émigrent plus parce qu'ils ressentent une envie de se démarquer des maîtres, qui d'ailleurs n'ont plus cette autorité qu'ils avaient jadis, mais pour la recherche d'une vie meilleure.

38 Delaunay Daniel : Op.cit., p135

LES TRANSFERTS D'ARGENT ET LES FACTEURS NEGATIFS DE L'EMIGRATION SUR LA POPULATION RESIDENTE

TROISIEME PARTIE

72

CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur utilisation à Wodobéré

I. Les transferts d'argent : origines géographiques et volume des fonds

Si d'aucuns combattent l'émigration dans nos pays du sud, c'est sans aucun doute par manque de réalisme ou par l'ignorance de ce que celle-ci représente vraiment. L'émigration constitue le socle sur lequel repose l'économie des ruraux. Les émigrés, à travers les remises migratoires, constituent la charpente du P.I.B par habitant dans les pays en voie de développement. Selon la Banque Mondiale (BM) << 3% de la population mondiale contribuent au développement des pays pauvres deux fois plus que l'aide mondiale publique »39. Il est donc évident que les émigrés participent activement au développement de leurs pays d'origine. Cette participation peut être vue sous plusieurs angles car nonobstant les mandats envoyés, les émigrés contribuent à l'éveil des consciences et diminuent les risques d'implosions sociales dues au chômage et à la précarité de la vie. C'est ainsi dire que l'apport de l'émigration pour nos pays est d'une importance incommensurable.

Aujourd'hui, sans l'apport des émigrés un bon nombre de nos Etats en voie de développement seraient instables parce que la famine, la misère et la précarité pousseraient les populations arrivées au bout de leurs souffles à se révolter contre les systèmes. Dans la vallée du fleuve Sénégal en général, à défaut d'une intervention énergique de l'Etat dans le domaine de la création de l'emploi et de secteurs rentables permettant le maintien de la population dans son terroir, les populations vivent principalement de l'émigration.

D'aucuns disent que l'émigration est la source vitale de cette contrée du Sénégal. Ainsi, comme l'atteste le Tableau 7, 76,66% de la population dudit village ont comme source de revenu principale la manne migratoire, contre seulement 11,66% pour l'agriculture. Cela est rendu possible grâce à l'appui indéfectible des migrants. Les émigrés constituent le fer de lance de l'épanouissement des populations restées au village. Ainsi, << le migrant participe individuellement ou collectivement à la vie quotidienne de son village natal. Etant théoriquement plus aisé, il contribue notablement par l'injonction de flux, à la transformation de la situation tant économique que sociale de son village »40. Cet état de fait justifie l'ampleur de l'émigration dans cette localité.

39 FAUJAS Alain : Emigration : << Les femmes sont les grandes bénéficiaires des phénomènes migratoires », Le Monde du 30 juin 2007

40 AHIANYO.A- AKAKPO: «L'impact de la migration sur la société villageoise: approche sociologique (exemple Togo-Ghana)», in Les Migrations contemporaines en Afrique de l'ouest, p159

Au cours de l'année 2008 quelques 929.754.199 francs CFA (Graphique n°6) ont pu être envoyés à des parents par les émigrés du village de par le monde. Dans cet ordre d'idées, nous montrerons dans les paragraphes qui suivent l'origine et la représentation en termes de quantité de ces transferts d'argent.

Tableau 7: Source de revenu principale de la population

Sources de revenu principale

Population

Pourcentages

Agriculture

7

11,66

Artisanat

4

6,66

Elevage

2

3,33

Migration

46

76,66

Autre

1

1,69

Total

60

100

Source : Enquête de terrain, 2008

I.1. Origine géographiques des flux financiers transférés vers Wodobéré

L'étude des origines géographiques des transferts d'argent vers le village de Wodobéré révèle trois pôles principaux : l'Europe, les Etats Unis d'Amérique et, à une moindre importance, le continent africain.

Au niveau du vieux continent, la France est de loin la plus grande pourvoyeuse de fonds avec 75 % (carte n°3) des transferts d'argent. Elle est suivie par l'Espagne avec 4% alors que l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et la Suisse participent moins de 1% du montant total envoyé vers Wodobéré. Le fort taux de transfert d'argent à partir de la France est corollaire à la forte présence sur le territoire français des sénégalais en général. En outre, cette présence massive s'explique, comme nous l'avions vu précédemment, par l'influence et par les réminiscences de la métropole sur ses anciennes colonies. Des liens de dépendances voire d'affections entre la puissance colonisatrice et les populations autochtones ont subsisté après les indépendances. Très tôt, les gens de la moyenne vallée du fleuve Sénégal ont commencé à émigrer vers la France. Cette longue histoire migratoire a fait de la vallée du fleuve Sénégal, durant plusieurs années, la principale casemate d'émigrations vers l'ancienne métropole.

74

Par contre, l'Espagne, nouveau pays d'immigration, est selon les émigrés d'une économie fragile. Sur le plan de la sécurité sociale, la France offre de meilleures possibilités, d'où la faible présence des émigrés sur le territoire espagnol. En effet,

l'Espagne constitue un pays de transit vers la France. La conjugaison de tous ces facteurs fait que les transferts d'argent venant l'Espagne vers Wodobéré sont moins importants. La faiblesse des flux financiers venant de l'Allemagne, de l'Italie et de la Suisse est due elle aussi à faible représentativité des émigrés dans ces différents pays.

En plus de l'Europe, 10 % des transferts d'argent viennent des Etats unis d'Amérique. Ce taux s'explique non pas par l'importance du nombre d'immigrés aux pays de l'oncle Sam mais par la différence de devise qui est à la faveur du dollar. Par contre comparés à la France, les fonds venant des Etats Unis sont moins importants. Les barrières linguistiques, l'absence d'une sécurité sociale adéquate et la lourdeur des formalités pour l'obtention d'un titre de voyage font que les Etats unis d'Amérique n'occupent que moins de 1% de la diaspora villageoise. Les Habitants de Wodobéré émigrent très peu vers les Etats Unis.

Sur le continent africain les principaux transferts en direction de Wodobéré viennent de Dakar (Sénégal) avec 7% des flux. Cela s'explique par la forte concentration des immigrés originaires de Wodobéré dans la capitale. Pôle économique et l'antichambre des différentes destinations internationales, Dakar est par sa position géographique et par ses attributs, la première et la principale destination africaine des migrants.

Par ailleurs, à l'exception de Dakar, les destinations africaines ne fournissent que moins de 1% des transferts. Cela découlerait non seulement de la faible présence des émigrés du village dans ces pays mais aussi de la pauvreté qui sévit dans ces pays d'accueil.

76

I.2. Le volume des flux financiers selon les origines

Source : Bureau de poste de Wodobéré, 2008

Les flux financiers en direction de Wodobéré sont d'une importance capitale. Avec une population de 3873 habitants seulement en 2002, le montant annuel des transferts d'argent des différents pays d'immigration vers Wodobéré s'élève à 929.754.199 francs CFA en 2008 (Graphique 6). Ces chiffres représentent uniquement les mandats envoyés par les canaux traditionnels de transfert d'argent dont les plus utilisés sont Western union, Money express, Mandat placid et « des points fax ».

Les points fax sont des moyens de transferts établis par les émigrés qui se sont regroupés en `' GIE» servant de véritables relais pour la transmission des mandats de l'étranger vers leurs pays d'origine. Avec deux structures parallèles, une à l'étranger servant à collecter auprès des immigrés souhaitant envoyer de l'argent à leurs parents et une autre structure au village permettant la transaction. Le GIE constitue un canal privilégié et moins coûteux pour la diaspora. Ainsi, après avoir reçu l'argent de l'émigré avec une commission, le GIE établi dans les pays d'accueil ordonne à son représentant au village de remettre la somme équivalente aux destinataires (graphique 7).

Graphique 7: Représentation schématique du mode de fonctionnement des points

fax

Emigré

Pays d'accueil

Intermédiaire Pays d'accueil

Appel téléphonique

Appel
téléphonique

Intermédiaire Pays de réception

Receveur du

transfert

d'argent

Légende:

 
 
 

Transaction

Appel téléphonique

Parallèlement aux structures traditionnelles de transferts d'argent, un autre canal informel est utilisé par les émigrés. Il s'agit du transfert du << main en main >>. Les émigrés reviennent périodiquement au village. Ce qui permet à plusieurs d'entre eux de rapporter de l'argent vers Wodobéré sans le moindre coût. C'est-à-dire que les émigrés remettent l'argent à transférer à leur compatriote, le plus souvent qui leur est proche, en partance pour le pays. D'après nos enquêtes cette forme de transfert est fréquemment utilisée par la diaspora. Ce qui revient à dire que les canaux traditionnels de transfert d'argent ne permettent pas de connaitre avec exactitude le volume des flux financiers. Le volume des fonds envoyés par le biais des deux dernières formes de transfert à savoir les points fax et le rapatriement par un proche, reste très difficile à quantifier. Selon la BAD << les transferts de fonds par les canaux informels représentent 46% des transferts totaux reçus par le Sénégal en 2005 >>41.

En effet, les montants des transferts d'argent diffèrent selon les pays d'immigration. Sur les 929.754.199 francs CFA (Graphique n°6) envoyés en 2008 par la diaspora villageoise de Wodobéré, 720.929.307 francs CFA viennent de la France. Cette manne financière est en corrélation avec le nombre d'immigrés vivant dans l'hexagone. Après la France, les flux

78

41 Gaye Daffé : << Les transferts d'argent des migrants sénégalais : Entre espoir et risques de dépendance >>, p111

financiers les plus importants viennent des Etats Unis d'Amérique avec 92.359.894 francs CFA du total annuel.

L'Afrique est faiblement représentée dans les transferts d'argent. Hormis le Sénégal (Dakar) avec 69.471.618 francs CFA, les transferts venant des autres pays africains n'excèdent jamais les dix millions de francs par an. Par ailleurs, la primauté de Dakar sur les autres régions africaines dans la répartition des transferts de fonds n'est point le fruit de l'importance des immigrés à Dakar. D'après nos sources, malgré la forte présence des émigré à Dakar, il s'agit des transferts d'argent qui viennent de l'étranger mais qui transitent par Dakar. Il s'agit pour la plus part, de l'argent des émigrés qui ont souhaité transférer d'abord à un tiers basé à Dakar. Ce dernier se chargera par suite de le transférer vers Wodobéré.

Cependant, ce déséquilibre entre le nombre de migrants et le volume des transferts d'argent s'explique, d'une part, par la différence de devises et, d'autre part, par l'importance des salaires et les possibilités d'emploi au niveau des pays d'accueil. Non seulement il est beaucoup plus facile de trouver un emploi dans les pays développés que dans les pays en développement mais aussi la différence de devises fait que les transferts des émigrés internationaux sont plus consistants que ceux des émigrés internes.

II. L'utilisation des transferts d'argent

Les fonds transférés vers Wodobéré à titre collectif sont consentis à la réalisation des ouvrages de prestige destinés à la communauté toute entière alors que les flux financiers à titre individuel servent pour l'essentiel à garantir la sécurité alimentaire et le bien être des familles d'émigrés. << Le transfert à vocation économique présente une part résiduelle »42 dans les montants envoyés chaque année.

II.1 Utilisation collective de type social

Les émigrés du village de Wodobéré, à travers leurs différentes associations, ont réalisé d'importants ouvrages à destination collective. Ces associations, à l'instar de l'Association de Wodobéré pour le Développement, l'Education et la Santé (AWDES), ont permis la construction et l'équipement des ouvrages allant du social aux infrastructures pour l'épanouissement, la vulgarisation et la formation de la population résidente.

42 SALL Babacar : << Migrations, transferts financiers et initiatives économiques en Afrique subsaharienne ». In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds et Développement, p284

Nonobstant les transferts qu'ils effectuent individuellement en direction de leurs familles, les émigrés orientent leurs actions vers la gestion collective des ressources drainées par l'émigration.

« Les associations visent une utilisation plus rationnelle de l'épargne des émigrés, un transfert des connaissance acquises et des normes de consommation - en somme les émigrés recherchent une rentabilisation plus efficace au village de leur séjour en France»43.

Ainsi, ils mettent aussi leur savoir faire au profil de la communauté d'origine. Ce qui fait d'eux des piliers fondamentaux pour l'évolution et l'éveil des consciences des non-émigrés.

Les aspects religieux

Constitués exclusivement de confession musulmane, les habitants du village de Wodobéré, comme partout ailleurs au Fouta, ont très vite embrassé les préceptes de l'Islam. L'éducation, la formation et la pratique de cette religion sont le soubassement de la vie sociale. Ainsi, l'Islam occupe une place de choix dans l'orientation des actes et de la politique régissant la vie communautaire.

Les émigrés, dans leur majorité ont eu à bénéficier de l'appui des dignitaires religieux pour la réalisation de leur projet migratoire. Il n'existe pas un seul émigré pour lequel le départ n'est pas accompagné d'incantations et autres prières des hommes de foi. C'est ainsi dire que les émigrés accordent une grande importance à la religion musulmane et à ses recommandations. Cet attachement des émigrés à la religion constitue souvent le soubassement de plusieurs actes qu'ils posent.

Ainsi, après la réussite, les émigrés oeuvrent soit pour témoigner leur

reconnaissance à leur guide, soit pour bénéficier de beaucoup plus prières de la part des représentants religieux. C'est dans ce cadre que plusieurs actions afférentes à la religion ont été faites. A titre individuel, les émigrés paient de billet de pèlerinage à certains marabouts, leur achètent des voitures et/ou leur construisent des habitations. A titre collectif et par le biais de l'association des ressortissants du village de Wodobéré, ils ont permis la construction d'une mosquée dont le coût s'élève à plus de 70 millions de FCFA en 2000 (Photo 2).

80

43 Quiminal Catherine : Le rôle des immigrés dans les projets de développement et les formes de coopération possibles dans la vallée du fleuve Sénégal, p.330

Photo 2 : Mosquée construite par l'association villageoise en 2000

Les infrastructures

Village de moins de 4000 âmes et se trouvant à plus de 600 km de la capitale du Sénégal, Wodobéré est caractérisé par l'absence de l'action de l'Etat si ce n'est que pour fournir le personnel pour le fonctionnement de certaines structures. Il n'y existe aucune infrastructure dont la réalisation a été l'oeuvre du pouvoir central. En effet, il accompagne les populations quand il s'agit de fournir le personnel nécessaire au fonctionnement des structures telles que les bureaux de poste, les écoles, les postes de santé entre autres.

Conscients des difficultés rencontrées par les habitants de cette localité dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la communication, et des risques encourus, les émigrés ne lésinent pas les moyens pour mettre en pratique les services sociaux de base. C'est dans ce cadre qu'ils ont construit un Bureau de poste en 1991 pour faciliter la communication entre le village et sa diaspora. Dans ce même registre, ils ont financé intégralement la construction d'un Collège d'enseignement moyen en 2006, devenu aujourd'hui Lycée de Wodobéré. Ce dernier est d'une importance incommensurable quand on sait que le Lycée le plus proche est difficilement accessible. La construction de ce Collège par les émigrés permet une scolarisation des filles beaucoup plus efficiente.

C'est dans cette même perspective, pour pallier les problèmes récurrents de l'accès aux services de la santé, que les émigrés ont financé la construction d'un Poste de santé en

2005. L'action des émigrés dans cette localité est loin de connaitre son épilogue car ils sont parvenus à tisser des réseaux de relations leur permettant d'atteindre leurs objectifs. Ainsi, pour participer à l'éducation des jeunes, les émigrés, par le biais de l'AWDES ont, en collaboration avec l'ONG française Co-Développement, construit une seconde Ecole élémentaire en 2008. Cette dernière dont le coût s'élève à 68 millions de FCFA a été construite avec un apport de 13% des émigrés. Ainsi, << ces investissements concourent à densifier l'espace et à promouvoir le développement local »44.

II.2. Utilisation de type familial des transferts financiers

« Si la France va bien, le village va bien ». Cette petite phrase lancée par un de nos interviewés nous enseigne à quel point la vie socioéconomique du village est assujettie aux transferts de fonds issus de l'émigration. La dépense alimentaire, l'habillement, la santé, l'éducation, le logis et l'ensemble des besoins primaires des habitants sont subjugués aux fonds envoyés. Ces transferts << constituent une forme de protection, d'assurance face aux incertitudes et à la précarité des populations »45. Ils permettent d'alléger les incidences du déficit pluviométrique sur la production agricoles.

La transformation du bâti

Tableau 8 : Le pourcentage du patrimoine bâti selon la matière de construction

Nature des bâtiments

Effectifs

Pourcentages

En dur

44

73

En banco

15

25

En paille

1

2

Source : Enquête de terrain, 2008

Si dans les années précédant l'émigration des habitants du village de Wodobéré vers les pays du Nord, l'essentiel des matériaux constituant les habitations était en banco, aujourd'hui on peut apercevoir à travers le bâti une nette amélioration du cadre de vie. Les photographies 3 et 4 sont révélatrices de cette transformation en dur du patrimoine bâti qui était naguère en banco. La construction d'une maison en dur au village constitue l'une des matérialisations de la réussite de l'émigré. Les transferts d'argent alloués à la construction de logements familiaux représentent 5,6% des montants reçus par les familles d'émigrés (Tableau 9). Ce qui fait que << le plus souvent aussi, le migrant envoie de l'argent et des

44 Raunet Mireille: Op.cit., p343

82

45 Raunet Mireille: Ibid., p342

matériaux pour qu'on puisse lui construire une habitation plus conforme à son nouveau standing [...] »46.

« L'émigration fait notre fierté » scande un habitant avec lequel nous avons eu un entretien. Aux yeux de ces habitants la construction d'une belle maison, la sécurité alimentaire, entre autres, sont les baromètres de la réussite sociale pour les émigrés. Cela se traduit par une augmentation considérable des surfaces bâties mais également par une prolifération des bâtiments en dur. Les demeures en dur représentent 73% (Tableau n°8) du patrimoine. L'augmentation des surfaces bâties contribue à l'amélioration des conditions de vie des non-émigrés

Photo 3: Maison en construction Photo 4 : Maison d'un émigré établi en France

Cependant, les émigrés manquent de réalisme et sont parfois animés par d'autres ambitions que de se servir un habitat acceptable. Dans un village, où la ressource foncière est à perte de vu et les familles peu nombreuses, il est un paradoxal d'y construire des bâtiments de standing R+. Le bâtiment en construction (Photo 3) est un exemple illustratif de l'existence de ces châteaux dans le désert. Il se pose tout simplement un problème de priorités parce qu'en lieu et place de ces constructions ostentatoires, qui ne peuvent pas d'ailleurs être utilisées dans leur intégralité, les émigrés auraient beaucoup à gagner s'ils investissaient dans les secteurs pouvant absorber la main d'oeuvre existante.

En effet, cette manie de construction des émigrés réside dans leurs soucis de notoriété au sein de la communauté villageoise plutôt que de leur besoin d'abri acceptable. Cela est d'autant plus vrai que les émigrés se dépouillent de toute leur fortune pour ne

46 AHIANYO.A- AKAKPO : Op.cit., p159

construire qu'un bâtiment qui à la limite ne leur servira pas subséquemment. Ceci parce qu'ayant toute leur famille dans les régions d'accueil.

La sécurité alimentaire

Au Sénégal, « comme la quasi-totalité des pays d'Afrique subsaharien, les études montrent, en effet que les transferts de fonds sont prioritairement et majoritairement destinés à alimenter le budget de consommation de la famille d'origine du migrant47 ». Au niveau local, il en est de même parce qu'à Wodobéré 85,1% (Tableau n°9) des flux financiers de l'émigration sont destinés à l'entretien de la famille de l'émigré. Cet argent couvre l'essentiel des besoins de la famille. Il sert d'assurer la dépense quotidienne, l'achat de l'habillement, à financier certaines cérémonies mais également à couvrir les dépenses liées à la santé.

L'importance accordée à la sécurité de la famille dans l'utilisation des transferts d'argent trouve ses explications dans les déterminants de l'émigration. Cette dernière est d'abord économique et une stratégie de survie des populations pour diversifier leurs ressources. La première raison d'émigration est d'asseoir une alimentation suffisante à la famille de l'émigré. Il est donc tout à fait logique pour l'émigré que les fonds consentis à l'alimentions soient beaucoup plus importants.

En effet, il se pose aujourd'hui la question de savoir comment pallier cette dépendance alimentaire vis-à-vis des retombées de l'émigration. Il est d'autan plus inquiétant que la vie de ces foyers vivant directement et exclusivement des ressources tirées de la migration est assujettie aux rythmes des politiques étatiques régissant les migrations, mais aussi au cours des marchés mondiaux. Malgré la distance qui peut séparer ces familles aux pays d'accueil, les pertes d'emploi liées aux différentes crises internationales sont ressenties au niveau local parce que l'émigré constitue le garant de la famille.

Tableau 9 : Ratios d'utilisation des transferts d'argents reçus par les ménages (en%).

Utilisation

Pourcentage

Entretien de la famille

85,1

Construction d'un habitat familial

5,6

Remboursement de prêts

3,7

Investissement productifs

3

Autres

2,6

Source : Enquête de terrain, 2008

84

47 Gaye Daffé : Op.cit., p118

L'amélioration des conditions de vie

En plus de la sécurité alimentaire des non-émigrés, malgré la précarité des conditions de vie dans le monde rural, les émigrés veillent au bien être de leurs compatriotes restés au village. Ils ne ménagent aucun effort pour mettre leurs parents à l'abri du besoin. Ainsi, de la téléphonie mobile à l'électroménager, de la construction d'habitation à leur équipement, les émigrés n'hésitent pas à dépenser des sommes faramineuses pour le bien être de leurs parents. L'essentiel des ménages de Wodobéré a accès à l'eau et à l'électricité (Tableau 10).

Aujourd'hui, les émigrés envoient également en nature. D'ailleurs, depuis un passé récent cette forme de transfert connait une évolution spectaculaire. Il s'agit pour l'essentiel des objets usités dans les pays occidentaux tels que des voitures, des ordinateurs, des réfrigérateurs, des téléviseurs etc. Ainsi, dans tous les ménages où il existe un/des émigré(s) les familles disposent de certaines commodités.

Tableau n°10 : Equipement des ménages

Eléments

Population

Pourcentage

Raccordement en
électricité

48

80

Adduction d'eau

52

86,66

Ordinateur

7

11,66

Voiture

4

6,66

Réfrigérateur

27

45

Téléphone fixe

31

51,66

Téléphone cellulaire

54

90

Poste radio

54

90

Téléviseur

48

80

Sans équipement

00

00

Source : Enquête de terrain, 2008

II.3. Les investissements économiques individuels

Si les premiers émigrés ne se souciaient que du bien être de leurs parents restés au village, ceux de ces dernières années pensent de plus en plus à investir dans des secteurs plus ou moins rentables. Ils sont nombreux à intervenir dans le transport, le commerce et dans l'immobilier.

En effet, comparés aux montants accordés aux autres secteurs, les fonds réservés aux investissements productifs sont très minimes. Ils ne représentent que 3% des transferts d'argent reçus par les ménages. Cela s'explique par la « [...] la capacité limitée des bénéficiaires à entreprendre des activités productives d'une part, et par le manque de confiance des migrants dans les structures intermédiaires d'autre part»48. Cela s'explique également par l'illettrisme des émigrés parce qu'ils sont constitués dans leur majorité par des gens qui n'ont pas fréquenté l'école ou, du moins, qui ont quitté très tôt les bancs.

L'immobilier

Pour un bon nombre d'émigrés, l'immobilier constitue le secteur le plus sûr car ne nécessitant pas l'intervention ou la gestion d'un tiers. Ils se chargent eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un proche d'acheter des maisons à Dakar. Ainsi, l'immobilier fait l'objet de convoitise des émigrés parce que les barrières administratives sont beaucoup plus souples et sa gestion beaucoup plus facile. C'est sous cette optique que la plupart des émigrés analysent la rentabilité de leurs investissements.

En effet, l'importance accordée à l'investissement dans le secteur de l'immobilier découle de leur manque de moyens pouvant financier de gros projets. Avec leurs pécules redistribués d'abord à travers les taxes et pour honorer leurs engagements dans les pays d'accueil, puis par les transferts d'argent envers leur famille respective, les émigrés ne peuvent pas épargner pour le financement de grands projets. Ce qui explique leur ruée vers l'immobilier.

Le commerce

Au demeurant le commerce n'est pas pour les émigrés une activité dans laquelle ils cherchent à avoir du profit. Quand ils interviennent dans ce secteur c'est, soit pour créer un emploi à leurs frères restés au village, soit pour préparer leurs retours définitifs de l'émigration. Au village de Wodobéré, la quasi-totalité des boutiques sont financées par les émigrés.

Le transport

Le village de Wodobéré a été pendant plusieurs années marqué par son enclavement et par des difficultés dans les déplacements de sa population. Aujourd'hui, avec la construction d'une piste en latérite sur la route régionale (R42), on note une certaine amélioration dans les conditions de déplacement des populations. Ainsi, pour faciliter l'interconnexion du village et le reste du pays, les émigrés, par le biais de leurs

86

48 Gaye D : Op.cit., p120

associations, ont d'abord mis à la disposition des habitants une voiture leur permettant de voyager à moindre coût. Par la suite, d'autres ont commencé à intervenir à titre individuel en achetant des taxis brousses (Photo 5). Depuis lors, des actions allant dans ce sens se sont multipliées mettant en place un véritable réseau routier.

Photo 5 : Deux taxis brousse appartenant à des émigrés

CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de l'émigration sur la population résidente

Le voyage a toujours été l'un des vecteurs de changements et de transformation dans les habitudes, dans les comportements et dans les manières de vivre de ceux qui le font. Des changements non seulement pour celui qui l'effectue mais aussi, dans le cadre de l'émigration massive, pour toutes les personnes qui gardent des rapports étroits avec ces derniers.

Ainsi, le séjour dans une communauté avec des réalités différentes se traduit soit par l'intégration de l'immigré, soit par son repli sur lui-même à travers les associations de ressortissants. S'il s'agit du premier cas, l'acculturation de l'émigré peut devenir l'aboutissement de l'intégration à la communauté d'accueil. Dès lors, l'émigré devient un véritable pilier de la mondialisation parce qu'il va servir de relais entre le pays d'accueil et le pays d'origine. Cette mondialisation, avec des flux d'information à sens unique (nord/sud), ébranle les sociétés traditionnelles Ouest africaines en générale et du Damga en particulier. Elle installe de nouvelles pratiques, de nouveaux comportements et une nouvelle identité au détriment de la vie communautaire et des rapports sociaux basés sur l'entraide et la solidarité.

Le village de Wodobéré est aujourd'hui au coeur de ce remue ménage incongrue, qui est la conséquence directe des influences comportementales de l'homme migrant.

I. Les facteurs socioculturels

L'émigration a des conséquences socioculturelles sur la population résidente. Ces conséquences sont la désintégration des liens de solidarités, le dépeuplement des zones de départ, la fréquence des actes d'adultères etc.

I.1. La désintégration des liens de solidarité

Contrairement à ce que l'on croirait, l'émigration n'est pas uniquement un manque à gagner pour les populations concernées. Elle est aujourd'hui un facteur provoquant l'avènement de nouveaux rapports sociaux qui n'existaient naguère.

88

Si, à son origine dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal en général et à Wodobéré en particulier, l'émigration était inscrite dans les stratégies mises en place par les familles pour leur assurance contre les aléas naturels et pour se mettre à l'abri du besoin, elle est aujourd'hui source de distanciation des liens familiaux et de discorde. Au gré des vents de la mondialisation, on assiste à l'avènement de familles nucléaires et à un individualisme

grandissant dans une société à mode de vie communautaire. L'argent corrompt les moeurs légères et éloigne certains de leur communauté. Avec la réussite sociale de certains émigrés obnubilés par le pouvoir de l'argent, l'éclatement des familles qui, il y'a de cela quelques décennies vivaient sous les mêmes toits, est devenu une constante. L'unité familiale n'est plus la concession composée par plusieurs ménages dans une même concession mais, se constitue plutôt autour d'un seul fooyré.

En plus de la désintégration des liens de solidarité au niveau des familles, il y a également le développement de nouveaux types de rapports basés non pas sur les liens conviviaux mais sur des jeux d'intérêt. Il est fréquent, dans nos communautés villageoises à forte composante migratoire, de voir des relations extra-familiales beaucoup plus nourries que celles qui existent entre des frères de même sang. Cette situation se traduit par la désagrégation des familles et l'apparition de relations de plus en plus tendues.

I.2. Le dépeuplement

La première conséquence visible de l'émigration quant on arrive dans les localités à fort taux d'émigration c'est la prépondérance des jeunes de moins de vingt ans, des femmes et des vieux. Autrement dit, la quasi-totalité des hommes valides, c'est-à-dire dont l'âge se situe entre 20 et 64 ans, est absente. Ainsi, à la lumière du Tableau 11, il n'existe que 10,35% d'hommes présents au village contre 23,7% de femmes. Parallèlement, pour la même classe d'âge, on note une suprématie des hommes sur les femmes résidents hors du village avec respectivement 11,98% et 6,36%.

Cela s'explique, comme nous l'avions dit précédemment, par le rôle de l'homme dans la répartition des responsabilités familiales, par les effets de l'émigration sélective et par la structuration de la société. Village marqué par une société inégalitaire, tant du point de vu du sexe que du point de vu de l'âge, Wodobéré est habité majoritairement par des femmes.

Cette situation favorise le dépeuplement, d'une part, parce que les naissances sont très espacées et, d'autre part, parce que les épouses d'émigrés ont tendance à rejoindre leurs maris dans leurs destinations respectives. Pire, les émigrés qui, à leur départ du village, étaient célibataires peuvent contracter des mariages et fonder des familles dans les régions d'accueil.

Ceci se traduit au niveau local par un dépeuplement de plus en plus pressent mais aussi par l'absence des actifs censés venir à la rescousse des vieux qui représentent

d'ailleurs une importante partie dans la population résidente. D'autant plus que ces vieux ont besoin de l'aide et de l'assistance pour se maintenir.

Au niveau de la reproduction également, les conséquences de l'émigration masculine se font sentir. Il faut le rappeler, les courts séjours des émigrés au village conjugués aux longues durées qu'ils restent à l'étranger amenuisent les chances de fécondité de leurs épouses. Ce qui se traduit par des naissances très espacées chez les unes et par une baisse notoire de la fécondité chez les autres. Ces revers de l'émigration sont très mal vécus par certaines épouses d'émigrés qui finissent par se livrer à des actes qui ne les honorent pas.

Tableau 11: Rapport entre la population absente et la population présente selon l'âge et le sexe (%)

Sexe Tranches d'âge

Féminin

Masculin

Totaux

Présentes

Absentes

Présents

Absents

Eff.

%

Eff.

%

Eff.

%

Eff.

%

Eff.

%

00-19

166

15,07

34

3,08

177

16,07

49

4,45

426

38,6

7

20-64

261

23,7

70

6,35

114

10,35

132

11,98

577

52,3

8

65+

43

3,9

8

0,79

30

2,72

17

1,54

98

8,95

Totaux

470

42,67

112

10,22

321

29,14

198

17,97

N=1101

100

Source : Enquêtes de terrain, 2008

I.3. La fréquence d'actes d'adultère, facteur d'infanticides

Comme nous l'avions vu précédemment, l'émigration dans cette contrée du Sénégal se caractérise par la durée des voyages et l'absence des maris de leurs foyers durant de longues années. Cette absence est souvent source de frustration et de résignation chez les femmes d'émigrés. Les moins pudiques, pour assouvir leurs besoins, se tournent vers des actes coupables. Ainsi, on note une récurrence des actes d'adultères liés au caractère des migrations internationales. La fréquence des cas d'infanticide est étroitement liée à ces actes d'adultère de femmes d'émigrés.

90

En plus de l'absence des maris qui est une source de tentation, la fréquence des actes d'adultère est liée à l'influence des rentes migratoires. Les femmes de cette localité, comme il est souvent le cas partout ailleurs, ont un besoin pressent de liquidité pour, non seulement, avoir une certaine aisance financière mais aussi pour assouvir leurs besoins en objets de parure. Ainsi, certaines femmes, obnubilées par le pouvoir de l'argent et qui, par

mal chance n'ont pas de mari émigré, se livrent à une prostitution déguisée. Prostitution déguisée parce que, même si ces dernières ne squattent pas les rues et ruelles du village, elles cèdent sous le pouvoir de l'argent. Profitant de cet état de fait, des hommes usant ou pas de leur statut d'émigré, se permettent d'abuser de ces femmes contre quelques petites liasses de billet de banque.

En effet, les raisons avancées si dessus ne sont pas les seules causes de la fréquence des actes d'adultère dans les communautés à forte migration en général et à Wodobéré en particulier. Ces actes peuvent être le résultat de l'hypocrisie et de la malhonnêteté des émigrés eux-mêmes. Notre interviewé, émigré de son état, témoigne que :

« Les relations heurtées entres compatriotes en France sont souvent à l'origine de l'infidélité des femmes au village. Un émigré avec lequel tu as eu quelques couacs en France peut se permettre d'abuser de

ta femme une fois au village pour, se disant il, te faire du mal ».

Ainsi, on est arrivé finalement à forger une société où la perte de valeur et le manque d'éthique ont conduit à la dégradation notoire des moeurs qui étaient naguère la fierté de toute la communauté villageoise.

I.4. L'émigré et le sida

Plusieurs études ont mis en relation la propagation de la pandémie du sida à l'émigration dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. En effet, rares sont ceux qui ont essayé d'étudier les effets psychologiques et comportementaux de la maladie du sida sur les non-migrants d'une part et sur les émigrés d'autre part.

Si l'on affecte la propagation du sida à la mobilité et aux comportements sexuels à risque des migrants, certains émigrés font aujourd'hui l'objet d'accusations et de stigmatisations non fondées. Pour un émigré de retour des régions africaines il est interdit de montrer la moindre faiblesse sur le plan de la santé. Tout émigré revenant des destinations africaines avec un état dépressif est de facto suspecté par la population résidente. Cette caricaturisation des émigrés est aujourd'hui source de discorde et de refoulement. Un émigré en retour de la Cote d'Ivoire témoigne de sa mésaventure :

« Je suis victime des représentations non fondées faites sur les émigrés des régions africaines. A mon retour au village, mon épouse m'a abandonné prétextant que j'étais porteur du sida vu la faiblesse de mon poids ».

Cette situation a suscité beaucoup de débat dans le village et allant même jusqu'à réveiller de vieux démons parce que ne s'arrêtant pas uniquement au couple.

92

Au niveau des veuves, dont les maris étaient des émigrés de destinations africaines, la stigmatisation et le refoulement sont également de mise. Il est quasiment impossible pour elles de trouver de nouveaux maris.

En effet, l'émigration peut être tout de même à l'origine de la propagation du sida. Certains émigrés avec des comportements sexuels à risque, c'est-à-dire qui font souvent recours aux prostituées lors de leurs voyages, peuvent à leur retour contaminer leurs épouses si toute fois ils sont infectés. Quand on sait que les systèmes de lévirat et de sororat sont pratiqués dans cette partie du pays, nous pouvons dire qu'à travers l'émigré la maladie peut se propager dans les familles.

II. L'émigration, facteur de dégénérescence de l'économie locale

L'émigration joue certes, un rôle de premier plan dans le développement de nos jeunes nations, mais elle n'est pas pour autant sans conséquences sur le plan économique. Ponctionnant des villages de leurs bras valides, elle affecte les productions agricoles si elle ne les dévalorise pas totalement.

Ainsi, on assiste aujourd'hui à une surévaluation de l'émigration par rapport à tous les autres secteurs d'activités. Elle est à l'origine de l'abandon de l'agriculture, de la dévalorisation de l'artisanat par la population locale mais également du désintéressement des jeunes à l'éducation et à la formation.

II.1. L'abandon de l'agriculture

Si à l'origine, par le biais du troc, l'agriculteur pouvait échanger son mil au poisson du pêcheur, l'éleveur, son lait au mil de l'agriculteur, aujourd'hui toutes les transactions se font avec de l'argent. Il est quasi impossible de trouver une denrée alimentaire, vile soit elle, sans posséder de l'argent. Ainsi, les remises migratoires, c'est-à-dire les retombées financières de l'émigration, sont devenues la seule alternative existante pour assouvir les besoins les plus élémentaires de la population. L'argent c'est le pouvoir pour certains; parce que non seulement les remises permettent l'achat des denrées alimentaires, dont la production nécessite des efforts humains considérables et mobilise des moyens qu'elle ne permet plus de compenser, mais aussi parce qu'elle met les populations à l'abri de tout besoin. Cette situation de dépendance face à ces remises est de nos jours à l'origine de la décadence de l'agriculture.

En plus de cela, l'essentiel des denrées alimentaires consommées par les populations locales est importé. Du riz au poisson en passant par les autres ingrédients,

tous ces vivres viennent de l'intérieur du pays voire même au-delà. On préfère le riz importé plutôt que celui des paysans locaux, des pattes plutôt que les plats à base de mil. Les produits locaux sont peu commercialisés et par conséquent ne permettent pas aux agriculteurs de vivre de leurs productions. Ce qui pousse les habitants de cette contrée à chercher l'argent avec lequel ils peuvent acheter des produits agricoles plutôt que d'en produire pour vendre par la suite. Cette situation est à l'origine du désintéressement de la population en général et des jeunes en particulier de l'agriculture.

De plus, comme nous l'avions mentionné précédemment, l'agriculture souffre des aléas climatiques et du manque de bras pour la mise en valeur des terres arables. La répartition dans le temps et dans l'espace des pluies et des crues ne permet plus une production en quantité et en qualité des denrées pouvant assurer la subsistance des populations comme il l'était à l'époque.

Ainsi, aux yeux des jeunes, l'émigration reste la seule option sur laquelle ils peuvent compter pour pallier ces problèmes. Ceci parce qu'en dépit des difficultés pour sa réalisation, elle permet le plus souvent à ces jeunes d'atteindre les fins escomptées. Avec les ressources qu'elle génère, les populations ont fini par abandonner tout bonnement l'agriculture qui est considérée comme une activité vétuste et appelée à disparaître.

En effet, le manque de bras pour la mise en valeur de l'agriculture et les aléas climatiques ne sont que les motifs superficiels avancés par les populations. Par ailleurs, il existe des considérations autres que ces motifs qui ont conduit à la dégénérescence de l'agriculture. Il s'agit des ambitions nourries par les transferts financiers. Autrement dit, les ménages qui reçoivent régulièrement de l'argent par les émigrés finissent tout bonnement par abandonner toute forme d'activité pour ne vivre que de ces envois mensuels.

II.2. La dévalorisation de l'artisanat

Tout comme l'agriculture, l'artisanat n'a pas résisté face aux opportunités offertes par les migrations. Etant un artisanat non structuré et utilisant des moyens rudimentaires, il était tout d'abord confronté à la concurrence des produits manufacturés, qui sont de meilleure qualité et bon marché. Les industries fabriquent en quantités, en qualités, sur des temps records et à moindre coût tout ce que les artisans produisent avec des investissements en moyens et en efforts colossaux. Ce qui se traduit sur le marché par la cherté des produits artisanaux par rapport aux produits manufacturés.

Ainsi, l'artisanat souffre de nos jours du désintéressement même des artisans. Il ne permet plus à ces derniers de bénéficier de ses retombées financières. Si à une époque

94

récente la vente des produits artisanaux recouvrait les besoins des artisans, aujourd'hui il ne permet plus à ces derniers de vivre dignement de leur art. Les conditions dans lesquelles les artisans travaillent sont devenues de plus en plus précaires, d'où la reconversion de ces derniers dans d'autres activités. C'est dans ce cadre que nombre d'entre eux sont devenus des émigrés potentiels.

II.3. Le désintéressement de la population à l'éducation et à la formation

Nos Etats en voie de développement sont caractérisés, d'une part, par l'étroitesse du marché de l'emploi et, d'autre part, par de mauvaises politiques de recrutement des travailleurs. Ceci, parce que non seulement les offres d'emploi ne sont que très rarement publiés pour le grand public, mais aussi, même pour celles qui sont publiées, il n'existe aucune objectivité dans le traitement des dossiers.

Certaines personnes ayant des réseaux de relations plus denses bénéficient d'un favoritisme aberrant au dépend de la masse. Ce manque d'objectivité et de rigueur dans les politiques de recrutement entraine le chômage de milliers de diplômés. Ceci est aux yeux des habitants de la localité de Wodobéré une source de démotivation aussi bien pour les parents que pour les jeunes eux-mêmes.

Par ailleurs, à l'opposée, l'émigration offre, sans distinction aucune, l'opportunité de réussir en des temps records. Si, pour les instruits il faut passer plus d'une vingtaine d'années sur les bancs de l'école, décrocher certains diplômes pour une éventuelle réussite sociale, l'émigré en ce que le concerne peut rivaliser, au moins sur le plan financier, avec les fonctionnaires de l'Etat en une période de cinq ans. Ainsi, non seulement il gagne beaucoup plus en terme de temps mais aussi en terme de revenus car il s'agit, pour la majorité, de l'émigration internationale tournée vers France. Notre interviewé témoigne que « rien qu'avec le smic tu peux gagner plus de 500.000 FCA à la fin du mois ».Cette situation explique aujourd'hui le désintéressement des parents et surtout des jeunes à l'éducation et à la formation.

CHAPITRE III : Le village de Wodobéré face aux défis de l'émigration I. La permanence des facteurs d'émigration

Dans le village de Wodobéré la réussite de l'émigration se mesure par le nombre d'émigrés d'une même famille à l'étranger, la qualité de l'habitat et la régularité de la dépense quotidienne. En plus de cela, l'immobilier à Dakar, des taxis brousse au Fouta restent les seuls baromètres d'une émigration réussie. Ce sont là les seuls secteurs d'investissement auxquels les émigrés s'adonnent. Le village de Wodobéré se caractérise par la morosité des secteurs d'investissement des émigrés.

Malgré les montants colossaux envoyés par les émigrés chaque année en direction du village, les facteurs qui étaient à l'origine de leur départ existent encore. L'émigration est un fait qui est devenu une chaîne. Loin d'éradiquer les facteurs qui étaient à son origine, elle est source de motivation pour les nouveaux candidats à l'émigration.

Ceci parce que les émigrés, par illettrisme, ne songent pas à trouver des créneaux d'investissement leur permettant d'apporter les bonnes réponses à la précarité des conditions de vie des habitants, condition sine quoi none pour estomper les flux migratoires.

Quant on sait que c'est la pauvreté, la précarité des conditions de vie et l'insécurité alimentaire entre autres qui sont à l'origine des départs, les ressources tirées de l'émigration devraient permettre de lutter contre ces facteurs. En effet, en dehors des secteurs sporadiques cités ci-dessus et qui font l'objet de convoitise par les émigrés, il n'existe aucune autre structure pouvant créer de l'emploi. Cependant, ces différents domaines d'investissement des émigrés, à savoir la construction des immeubles et l'achat des taxis brousse, ne permettent ni à absorber la main d'oeuvre existante encore moins à susciter l'appropriation du milieu par les jeunes.

Il est aujourd'hui paradoxal de bâtir des étages dans ce minuscule village alors que, d'une part, la ressource foncière est à perte de vue et, d'autre part, les facteurs d'émigration subsistent encore. Ces émigrés auraient beaucoup à gagner s'ils investissaient cet argent dans des secteurs permettant de trouver un remède à l'hémorragie que constitue la ponction du village de ses bras valides. La manne financière que l'émigration génère fait que les jeunes sont toujours obnubilés par l'envie de quitter le pays.

Pour ces jeunes, l'émigration constitue la seule alternative valable pour l'épanouissement de la population. Ce qui fait que l'émigration a fini par tuer toutes les autres activités pouvant conduire à un développement endogène. Ceci, parce qu'au lieu de

96

créer des pôles d'emploi et retenir les jeunes, la construction de ces bâtiments et l'achat de taxis brousse ne feront que créer, chez les jeunes, l'envie d'émigrer. L'émigration se résume à un épanouissement individuel ou familial au détriment de la collectivité. Elle ne permet pas à la société de tirer un profit commun de la mobilité. Tant qu'il n'existe pas une réponse locale et collective aux besoins de la population, l'émigration demeurera.

II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt définitif des départs

Il est important, pour un arrêt définitif des flux migratoires de Wodobéré vers le reste du monde, d'élaborer des actions et des politiques d'appropriation du terroir par les populations. La création des centres d'intérêt et des cadres d'expression, où des politiques d'appropriation du milieu peuvent être élaborées, reste la seule alternative probable pour retenir l'attention des jeunes. Ainsi, avec les ressources tirées de l'émigration, en lieu et place des constructions ostentatoires, les émigrés doivent doter le village d'outils et de moyens de production aussi bien dans le social que dans l'économie. L'émigration ne doit pas être une fin en soi, mais une passerelle vers le développement endogène.

II.1. Sur le plan social

Sur le plan social, plusieurs actions peuvent être menées pour non seulement une bonne utilisation des ressources tirées de l'émigration mais aussi pour abroger ses principaux facteurs. Il s'agit pour l'essentiel de:

- mettre sur pied des centres d'alphabétisation pour une meilleure formation des jeunes et des adultes qui n'ont pas eu la chance de fréquenter l'école et d'y rester. Il sera question dans ces centres de former la population en coiffure, en couture etc. Ils peuvent également être la charpente d'une politique de sensibilisation sur les problèmes de santé, de la reproduction et surtout de la gestion des ressources disponibles;

- créer des mouvements d'élèves et étudiants forts et susceptibles de constituer un vecteur important dans les politiques d'appropriation du milieu par la population. Ces mouvements se chargeront de promouvoir l'éducation, base de tout développement, le patriotisme et la valorisation des études.

Ainsi, avec la réussite scolaire de bon nombre d'élèves, il se crée une certaine émulation entre les jeunes. Ce qui se traduit par une scolarisation massive des enfants qui, avec la création très récente du Lycée de Wodobéré, vont rester plus longtemps à l'école. Cela va se traduire par le refus des élèves, qui atteindront un certain niveau d'étude, d'abandonner l'éducation et la formation au profit de l'émigration. Déjà, le mouvement

actuel des élèves et étudiants montre les prémices d'un avenir meilleur car non seulement les élèves y adhèrent mais aussi il trouve un écho favorable au niveau de la population. Il suffit juste de consolider les acquis, d'encourager les élèves qui font de bons résultats et enfin de sensibiliser d'avantage les parents. Ce qui va constituer un pas important pour l'abrogation des facteurs d'émigration.

II.2. Sur le plan économique

Songer au développement de nos pays relève de l'utopie si des politiques agricoles fiables ne sont pas mises en place. Ceci est valable pour l'ensemble des campagnes du pays. Il faut impérativement assurer l'autosuffisance alimentaire des populations par le développement de l'agriculture pour que leur amour du terroir et de ses activités soient effectif. L'agriculture doit être le socle sur lequel repose l'économie rurale susceptible de prôner un développement par le bas.

A défaut de l'action de l'Etat, les zones d'émigration doivent prendre leur destin en mains. Pour atteindre ces objectifs, les émigrés doivent collecter des fonds, travailler d'avantage avec les institutions publiques, les partenaires au développement et avec les ONG. Ainsi, ils n'auront qu'à orienter leurs investissements vers le développement des activités agricoles. Le village de Wodobéré, avec une aire importante de plaine alluviale et avec la disponibilité des ressources en eaux, peut faire l'objet d'une production intense de riz, de maïs et du mil. L'exploitation des terres du walo et la mise en culture des casiers rizicoles pouvaient être une alternative considérable au chômage des jeunes de ce village. Pour cela, il suffit juste d'utiliser à bon escient les fonds envoyés chaque année par l'achat d'intrants et l'exploitation subséquente des terres arables et de l'eau du fleuve.

Les études récentes de la SAED, en collaboration avec le ministère de l'agriculture, ont montré que près de 125 ha, jouxtant le village de Wodobéré, peuvent faire l'objet d'une riziculture. En mesure d'accompagnement, la SAED promet de mettre à la disposition des riziculteurs des tracteurs et des batteuses. En plus de cela, pour une transformation des productions, une rizerie sera implantée à Matam.

En effet, il n'existe pas jusque là des investisseurs intéressés par ce secteurs. Mais, en dépit d'une implication de l'ensemble des émigrés par le biais de l'association villageoise établie en France, les intéressés doivent se regrouper en G.I.E à l'image de ce qui se passe à Ndouloumadji Dembé, où les principaux agriculteurs sont des investisseurs émigrés. Ensuite, ils doivent impliquer les femmes. Ces dernières sont la plupart du temps

98

celles qui dirigent les ménages d'émigrés. Donc, le rôle de second qui leur était assigné jusque là doit être remplacé par leur responsabilisation.

Parallèlement, les ressources en eaux telles que le fleuve doivent être utilisées en bon escient. Elles permettront de développer la pisciculture et le maraîchage. Les émigrés à travers des G.I.E doivent réunir des fonds pour la mise sur pied des bassins de fécondation d'où seront issus les alevins. Le développement de la pisciculture va pallier le problème récurrent de la provision en poisson à une certaine période de l'année. Quant on sait que le poisson consommé à Wodobéré et dans plusieurs villages du Fouta vient de Richard Toll, de Saint-Louis voire de Dakar. On conviendra que la pisciculture est un secteur qui peut rapporter gros dans cette région. L'exploitation de cette aubaine permettra de retenir les jeunes, de faire du village un pôle attractif de la région de Matam.

Enfin, les fermes peuvent également être un outil pour le développement endogène qui arrêtera les flux migratoires. La mise sur pied d'une ferme à Wodobéré constituera une première dans la zone. Ce qui permettra de centraliser l'ensemble des animaux, dont la divagation est d'ailleurs source de conflits entre agricultures et éleveurs. Avec ces fermes, c'est la production de produits animaliers et de leurs dérivés qui s'en suivra. Ainsi, les exploitants fourniront à la région les produits nécessaires.

CONCLUSION

100

Avec une société hiérarchisée, le village de Wodobéré, comme partout ailleurs dans le Damga, est marqué par la prédominance de l'effectif des jeunes, des femmes et des vieux sur l'effectif des hommes actifs. L'émigration touche l'essentiel de la population masculine active.

En effet, malgré l'existence des ressources foncières et hydriques potentiellement exploitables, cette partie du Sénégal se caractérise par une économie attardée et par l'inexistence d'activités génératrices de revenus pour les populations. Les secteurs clés de l'économie locale sont assujettis aux vicissitudes du climat, c'est-à-dire qu'ils dépendent très fortement des conditions climatiques.

Ainsi, pour répondre à un besoin pressent de liquidité devenue nécessaire, l'émigration a supplanté toutes les autres activités économiques. Cependant, les facteurs qui régissent cette émigration sont divers et variés. Il s'agit des effets conjugués de la conjoncture internationale, de l'histoire même du peuplement du Fouta en général, des politiques structurelles mais aussi de la structuration de la société. Parmi ces facteurs, nous avons la chute des productions agricoles suite aux années de sècheresses, l'échec des politiques agricoles de l'Etat durant les années de P.A.S, mais aussi l'aspiration des jeunes à la réussite par l'émigration. Au-delà de ces facteurs, il y a des facteurs sociaux tels que l'émulation entre les jeunes, les regroupements familiaux et la réussite de certains émigrés. La réussite de ceux qui sont partis crée une certaine jalousie chez les jeunes restés au village. Ce qui conduit à de nouveaux départs. Les candidats à l'émigration sont aussi réconfortés dans leurs choix de partir par les facilités offertes par les réseaux de passeurs, les structures d'accueil à savoir la diaspora et l'appui des parents.

En effet, cette émigration, masculine dans sa majorité, est facilitée d'amont en aval par l'existence d'une chaîne à maillons multiples. Elle est d'abord entretenue par les revenus qu'elle génère puisque l'essentiel des voyages des nouveaux candidats à l'émigration est financé par des parents qui ont déjà émigré. Elle est ensuite le résultat d'une complicité étroite entre les émigrés, les démarcheurs de visa et les autorités administratives. Ce qui se traduit par l'existence de réseaux et de couloirs migratoires spécifiques pour les migrants.

En ce qui concerne les types d'émigration, nous avons constaté que, selon la durée, il en existe trois. L'émigration saisonnière qui se caractérise par des mouvements rythmés par les saisons. En saison sèche, les émigrés migrent vers les centres urbains et en saison des pluies, ils reviennent épauler leurs parents dans les travaux champêtres. C'est une émigration de moindre importance. L'émigration temporaire est pratiquée par ceux qui

102

disposent de cartes de séjour et qui reviennent périodiquement au village. Et enfin, l'émigration définitive qui résulte de l'échec des émigrants. Elle se traduit par l'intégration de l'émigré dans son pays d'accueil.

Ce qui nous a conduits a parler des principaux pays de destination. La France se taille la part belle dans la distribution des émigrés du village dans le monde. Cela s'explique par l'attachement de la population a l'ancienne puissance coloniale. Elle est suivie, de loin, par l'Espagne et par quelques pays africains comme la Cote d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Les exemples de réussite de l'émigration dans certains pays plutôt que dans d'autres pèsent sur le choix des destinations.

Les transferts financiers ont supplanté les autres formes de ressources dans la survie de la population. Ils ont considérablement contribué a la mutation de la structuration de la société mais aussi a la reconfiguration des rapports sociaux.

Ainsi, l'essentiel des transferts est consenti a l'alimentation et a l'entretien de la famille de l'émigré. Ces fonds viennent pour majoritairement de la France et sont envoyés le plus souvent a titre individuel. Ils ne sont pas orientés vers des secteurs productifs. En dehors de la sécurité alimentaire de la famille, les fonds envoyés sont destinés a la construction de l'habitat et a la mise sur pied de projets peu productifs tels que le transport, l'immobilier ou le commerce. En effet, les émigrés agissent collectivement quand il s'agit de mettre en place des infrastructures et des constructions de prestiges. Il ressort dans cette étude que les émigrés, a travers leur association, ont permis la construction et l'équipement des infrastructures pour les services sociaux de base.

Cependant, l'émigration n'est pas exempte de conséquences négatives sur la population résidente. Elle est a l'origine de plusieurs dysfonctionnements tant au niveau des familles d'émigrés qu'au niveau de la communauté villageoise. Elle est a l'origine de l'avènement de nouveaux rapports sociaux basés sur la nucléarisation de la société et par l'égocentrisme. Le fooyré se substitue a la concession créant ainsi l'éclatement des familles et l'effritement des liens sociaux. C'est la désintégration totale des liens de solidarité. L'émigration a également contribué fortement a la dégénérescence des autres secteurs de l'économie tels que l'éducation, l'artisanat et l'agriculture.

Dans l'ensemble, il ressort de cette étude que les facteurs de l'émigration, multiples et variés, sont toujours présents. L'émigration, loin d'endiguer ses causes en créant des activités susceptibles de retenir la jeunesse, a fini par tuer l'économie locale. Les ressources qu'elle génère n'ont permis ni a éradiquer la pauvreté ni a abroger les facteurs

de l'émigration d'où la nécessité de l'intervention des différentes composantes de la société.

Il est important, aujourd'hui, de mettre sur pieds des politiques d'appropriation du milieu par la population et de trouver des solutions adéquates pour l'arrêt définitif de l'émigration. Lesquelles des solutions, si elles sont appliquées, permettront un développement endogène. Il s'agit de promouvoir des centres d'alphabétisation, de créer des mouvements de jeunes et de cultiver l'esprit d'appropriation du milieu chez les populations. Les émigrés doivent réorienter leurs investissements vers le secteur agricole et vers la création des entreprises en collaboration avec les institutions publiques, les partenaires au développement et les ONG. Il faut également qu'ils impliquent les femmes dans la gestion du terroir et de ses ressources.

La problématique de l'étude de l'émigration dans le Damga reste cependant inachevée. C'est une étude qui mérite d'être approfondie par les chercheurs pour une meilleure compréhension de la question des migrations et surtout des rapports entre émigrés et non-émigrés.

BIBLIOGRAPHIE

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34. LERICOLLAIS (A), VERNIERRE (M), 1975, << L'émigration toucouleur : du fleuve Sénégal à Dakar », Dakar, Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines, XII, 2, 161-175.

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38. RABIN (N), 1996, Atlas des migrations ouest-africaines vers l'Europe 1985-1993, Paris, éd. ORSTOM, 109p

39. RAUNET (M), 2005, << Mobiliser les migrants pour le développement socioéconomique du Mali et du Sénégal ». In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds et développement, Paris, éd. OCDE, pp337-368

40. SALL (B), 2005, << Migrations, transferts financiers et initiatives économiques en Afrique subsaharienne ». In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds et développement, Paris, éd. OCDE, pp283-298

41. SORRE (M), 1955, Les migrations des peuples, Paris, Flammarion et Cie, 265p

44. http://abonnes.lemonde.fr/cgibin/ACHATS/ARCHIVES/archives.cgi?ID=1f890b3a d... 24/01/2009

45.

104

Microsoft ® Encarta ® 2008

GLOSSAIRE

Barça ou barsakh : Barcelone ou la mort Daande maayo : vallée du fleuve

Diéri : terre exondée de la vallée du fleuve Falo : berge du fleuve

fecciram gollé èn : gens de métiers

Foondé : terre située sur les levées

Fooyré : ménage

Gajaaga : Province du Fouta

Hollaldé : terre arigilo-sableuse des cuvettes Ina wandi béré : il y a des nids de poissons jaagaraf : propriétaire terrien

kolo?gal bassin de décantation

lubal : prêt onéreux

Luttubé : émigré définitif

Ma Kalé ma Bordeaux : Bordeaux ou la mort Mboyi : harmattan

Nguénaar : Province du Fouta

rem-pecceen : métayage

toggeere : site d'habitation non inondable en milieu walo Walo : plaine alluviale

106

Table des matières

SOMMAIRE

 
 
 

2

REMERCIEMENTS

 
 
 

4

SIGLES ET ACRONYMES

 
 
 

5

AVANT-PROPOD

 
 
 

6

INTRODUCTION

 
 
 

8

ROBLEMATIQUE

 
 
 

12

METHODOLOGIE DE RECHERCHE

 
 
 

17

PREMIERE PARTIE : PRESENTATION

GENERALE

DU

VILLAGE

DE

WODOBERE

 
 
 

.24

CHAPITRE I : Présentation du cadre physique et humain

24

I. Le cadre physique

24

I.1: Le site et la situation géographique

24

I.1.1: Le site

24

I.1.2: La situation géographique

24

I.2: Le climat

27

I.3: Les ressources hydriques

.30

I.4: Le sol

31

I.5: La végétation

31

 

II : Le cadre humain

32

II.1: Le village de Wodobéré: des origines à nos jours

31

II.1.1: L'historique du peuplement et l'avènement de l'émigration

31

II.1.2: La structuration du village

35

II.2: Les aspects démographiques actuels

35

 

II.2.1: La répartition de la population selon le sexe

36

II.2.2: La répartition de la population selon l'âge

37

CHAPITRE II: Les caractéristiques sociales et économiques de Wodobéré

388

I : L'organisation sociale

388

I.1: La stratification de la société

38

I.1.1: Les libres/nobles ou Riimbe

39

I.1.2: Les dépendants /Nyeenybe

..40

I.1.3: Les serviles/ descendants de captifs ou Macuube

..42

I.2: L'accès à la terre

42

II : Les activités économiques

433

II.1: L'agriculture

43

II.1.1: L'agriculture en milieu diéri

.44

II.1.2: L'agriculture en milieu walo

44

II.2: L'élevage

45

II.3: La pêche

45

II.4: Le commerce et l'artisanat

46

II.4.1: Le commerce

46

II.4.2: L'artisanat

46

DEUXIEME PARTIE : LES FACTEURS FONDAMENTAUX ET LE DEROULEMENT
DE L'EMIGRATION Erreur ! Signet non défini.8

CHAPITRE I : Les facteurs fondamentaux de l'émigration 499

I : Les facteurs structurels 499

I.1: Les facteurs historiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal 49

I.2: La réussite par l'émigration: un modèle pour la jeunesse 51

II : Les facteurs conjoncturels 511

II.1: La chute des productions agricoles 51

II.2: L'échec des politiques agricoles et le chômage chronique de la jeunesse 53

III. Les contraintes sociales 533

III.1: L'émulation entre voisins 54

III.2: Le regroupement familial 55

IV : Les réseaux facilitateurs 555

IV.1: La diaspora 55

IV.2: Les réseaux officieux 56

CHAPITRE II : Le déroulement de l'émigration 588

I : L'organisation des départs 588

I.1: Les caractéristiques de l'émigration 58

I.2: Le financement du voyage 60

II : Les étapes 622

II.1: Les itinéraires migratoires 62

II.2: Les points de transit 63

II.3: Les principales destinations 64

III : Les types de migrations 666

III.1: En fonction de la durée 67

III.1.1: L'émigration saisonnière .67

III.1.2: L'émigration temporaire .67

III.1.3: L'émigration définitive 68

III.2: En fonction de l'appartenance sociale 69

III.2.1: Chez les nobles 69

III.2.2: Chez les dépendants et chez les Macuube 70

TROISIEME PARTIE:LES TRANSFERTS D'ARGENT ET LES FACTEURS
NEGATIFS DE L'EMIGRATION SUR LA POPULATION

RESIDENTE .Erreur ! Signet non défini.2

CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur utilisation 733

I. Les transferts d'argent : origines géographiques et volume des fonds 733

I.1: Origines géographiques des flux financiers transférés vers Wodobéré 74

I.2: Le volume des flux financiers selon les origines 77

II. L'utilisation des transferts d'argent 799

II.1: Utilisation collective de type social 79

II.2: Utilisation de type familial des transfères financiers 82

II.3: Les investissements économiques individuels 85

CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de l'émigration sur la population résidente 88

I. Les facteurs socioculturels 888

I.1: La désintégration des liens de solidarité 88

I.2: Le dépeuplement 89

I.3: La fréquence d'actes d'adultères, facteur d'infanticides 90

108

I.4: L'émigré et le sida 91

II. L'émigration, facteur de dégénérescences de l'économie locale 922

II.1: L'abandon de l'agriculture 92

II.2: La dévalorisation de l'artisanat 93

II.3: Le désintéressement de la population à l'éducation et à la formation 94

CHAPITRE III : le village de Wodobéré face aux défis de l'émigration 955

I. La permanence des facteurs d'émigration 955

II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt définitif des départs 966

II.1: Sur le plan social ....96

II.2: Sur le plan économique 97

CONCLUSION 99

BIBLIOGRAPHIE 103

GLOSSAIRE 105

LISTE DES TABLEAUX ET DES GRAPHIQUES

Tableaux :

Tableau n°1 : Evolution inter mensuelle des T° et de Pmm de 1978 à 2008 à la station de

Matam p28

Tableau n2 : Répartition de la population résidente de Wodobéré selon l'âge et le sexe p36

Tableau n°3 : Production annuelle en kilogramme de mil en 2008 à Wodobéré p51

Tableau n°4 : Proportion de la diaspora villageoise selon l'âge et le sexe p58

Tableau n°5 : Types des financements de l'émigration (en %) p60

Tableau n° 6: Durées moyennes de l'émigration .p65

Tableau n°7: Source de revenus principale de la population p73

Tableau 8 : Le pourcentage du patrimoine bâti selon la matière de construction p81

Tableau 9 : Ratios d'utilisation des transferts d'argents reçus par les ménages (en%) p83

Tableau n°10 : Equipement des ménages p84

Tableau n°11: Rapport entre la population absente et la population présente selon l'âge et le sexe (%) p89 Graphiques :

Graphique 1 : Evolution intermensuelle des T° et des Pmm p26

Graphique 2 : Evolution annuelle de la pluviométrie de 1978 à 2008 .....p29

Graphique 3 : Répartition du patrimoine foncier selon les castes (%) p42

Graphique 4 : Répartition de la diaspora dans les principales destinations p65

Graphique 5 : Répartition des émigrés selon les castes en 2008 p69

Graphique 6 : Volume des transferts d'argent selon les lieux d'immigration(en millions de FCFA) p76 Graphique 7 : Représentation schématique du mode de fonctionnement des points fax ....p77

110

LISTE DES CARTES ET DES PHOTOGRAPHIES Carte :

Carte n°1 : Localisation de la province du Damga dans la région de Matam p26

Carte n°2 : Taux des transferts d'argents selon les lieux d'immigration p75
Photographie :

Photo n°1 : Vue satellitaire du village de Wodobéré en période de hautes eaux .p24

Photo n°2 : Mosquée construite par l'association villageoise en 2000 p80

Photo n°3 : Maison d'émigré en construction p82

Photo n°4 : Maison d'un émigré établi en France p82

Photo n°5 : Deux taxis brousse appartenant à des émigrés p86

Questionnaire aux chefs de ménages

I. Identification N° du questionnaire Date :

I.1. Quel est votre âge ?

 

I.2.

Sexe F M

I.3. Quel est votre statut socioprofessionnel ? II. Généralités sur le ménage

II.1.

Quelle est la nature du matériau de votre habitation ? En banco En dur En paille Autre

II.2. Disposez vous de la terre ?

Oui Non

II.3.

Combien de personnes vivent présentement dans votre ménage ? Femmes Hommes

II.4. Quel est leur âge ?

Femmes Hommes

II.5. Combien existe-t-il d'absents au sein de votre ménage ?

Femmes Hommes

II.6. Si oui quel est leur âge ?

Femmes Hommes

II.7. Possédez-vous les équipements suivants :

Eléments

Oui

Non

Téléviseur

 
 

Réfrigérateur

 
 

Ordinateur

 
 

Poste radio

 
 

Téléphone fixe

 
 

Téléphone cellulaire

 
 

Voiture

 
 

Branchement en électricité

 
 

Adduction d'eau

 
 

112

III. Revenus du ménage

III.1. Quelle est votre source de revenue principale ?

III.2. Quelle est la production annuelle de cette activité ?

III.3. Cette source vous permet-elle d'entretenir la famille toute l'année ?

Oui Non

III.4. Si non, comment assure-vous votre sécurité alimentaire ?

IV. Migration

I.1.Disposez-vous un ou des émigrés au sein de votre ménage ? Oui Non

I.2. Si oui, où se trouve (ent) t-il (s) ?

I.3. Cet (es) émigré (és) vous envoie (ent) t-il de l'argent ?

Oui Non

IV.4.

Si oui, selon quelle périodicité vous envoient-ils de l'argent ? Mensuelle Bimensuelle Trimestrielle Autre

IV.5. Quelle est l'utilisation de cet argent ?

IV.6. Envoient ils autre chose que l'argent ? Oui Non

 

IV.7. Si oui en quelle nature ?

IV.8. Quelles sont les réalisations faites par l'émigré à titre individuel ?

IV.9. Quelles sont les réalisations faites à titre collectif ?

Questionnaire aux émigrés

I. Identification N° du questionnaire Date :

I.1.

Quel est votre âge ?

I.2.

Sexe F M
I.3.Quelle est votre statut socioprofessionnel ?

I.4.Quelle est votre situation matrimoniale ?

Célibataire Marié (e) Divorcé (e) Veuf (ve)

II. Motifs et organisation des départs

II.1.Quels sont les motifs qui vous ont poussé à émigrer ?

II.2.En quelle année avez vous effectué votre premier voyage ?

II.3.

Etiez-vous influencés dans votre choix d'émigrer ? Oui Non

II.4. Si oui, par qui étiez vous influencés ?

II.5. Comment le voyage a-t-il été financé ?

Epargne personnelle Cotisation des parents Envoi du billet depuis l'étranger Autre

II.6.

Etiez vous accompagnés lors de votre premier voyage ? Oui Non

II.7. Si oui, par qui étiez vous accompagnés ?

II.8. A quelle âge avez-vous effectué votre premier voyage ?

III. Nature et forme d l'émigration III.1. Quelle a été votre destination ?

III.2. L'aviez vous rallié directement ? Oui Non

114

III.3. Si non, quels sont vos arrêts ?

III.4. Combien de temps ont duré vos arrêts ?

III.5. Pourquoi aviez vous effectué ces arrêts ?

III.6.Que faisiez vous durant le temps des arrêts ?

III.7. Aviez bénéficié de l'aide lors de vos arrêts ?

Oui Non

III.8. Quelle est la fréquence de vos séjours au village ?

IV. Réseaux facilitateurs

IV.1. Aviez vous bénéficié d'une aide au cours de votre voyage ?

Oui Non

IV.2. Si oui quelle est la nature et la forme de cette aide ? Nature Forme

IV.3.

Quels sont vos liens avec la personne qui vous a apporté de l'aide ?

Parent Ami Concitoyen Relation marchande Autre

 

IV.4. Quel est le statut de la personne qui vous a aidé ?

IV.5. Dites si votre voyage a été :

Très bon Bon Moyen bon Médiocre Très mauvais

Merci pour votre compréhension

Guide d'entretien auprès des émigrés à la retraite

I. Identification Date :

Age

Sexe

Situation matrimoniale

II Biographie

En quelle année avez réalisé votre premier voyage ?

Raisons sur le choix de l'émigration

Le processus Votre vie d'émigré

III. Généralités sur l'émigration

Selon vous, à partir de quelle année les gens du village ont-ils commencé à émigrer ? Quelles sont les dates marquantes de l'histoire de l'émigration des gens du village ? Comment ont été les premières migrations ?

Comment s'organisaient les départs ?

S'il y a eu lieu, à partir de quelle année le processus migratoire a-t-il changé ?

IV. Opinion sur l'émigration

Quelle lecture faites-vous aujourd'hui de l'émigration ?

Quelles sont les conséquences de l'émigration sur la communauté ?

Quel serait selon vous l'impact de l'émigration sur les rapports entre les membres de la communauté ?

Merci de votre compréhension

116

RESUME

Le village de Wodobéré est sur un foondé entouré par une vaste plaine alluviale submersible en une certaine période de l'année. Il est situé à l'extrême nord Est de la communauté rurale de Ouro-Sidy, dans l'actuelle circonscription administrative de Kanel. Avec une population de 3873 habitants, loin devant le chef-lieu de communauté rurale, Wodobéré est marqué par une prédominance de l'émigration sur les autres activités. En effet, à l'image du Damga, il est doté de potentialités naturelles énormes.

Malgré l'existence des ressources foncières et hydriques potentiellement exploitables, cette partie du Sénégal se caractérise par une économie attardée et par l'inexistence d'activités génératrices de revenus pour les populations. À défaut d'une exploitation agricole rationnelle, l'émigration est apparue comme une alternative pour combler les ressources économiques déficitaires.

L'Afrique a, cependant, toujours été en mouvements. Les déplacements de populations, forcés ou volontaires ont jalonné son histoire, ici pour répondre à un manque criard de potentialité et là pour satisfaire des besoins divers. Les villes littorales font l'objet d'une concentration des infrastructures et des services au détriment de l'intérieur des pays. Ce qui se traduit, sur le plan humain, par les migrations des populations de l'intérieur vers les centres urbains.

Au Sénégal, la concentration des activités à Dakar a fait de la capitale un pôle d'immigration et l'intérieur du pays un pourvoyeur potentiel de migrants. En plus de ces disparités, les cycles épisodiques de sécheresses des années 70 ont frappé durement le Damga. Il en résulte une chute des productions agricoles et la rareté des ressources vivrières. Les secteurs clés de l'économie locale sont assujettis aux vicissitudes du climat, c'est-à-dire qu'ils dépendent très fortement des conditions climatiques.

En effet, la réponse de l'homme face à cet environnement hostile n'était pas la mort mais plutôt la mobilité. L'émigration est apparue comme une stratégie de survie des populations. La force du monde rural c'est-à-dire la population active masculine reste en proie à une émigration sans commune mesure. Ainsi, dans les villages, comme Wodobéré, on assiste à une quasi-absence des hommes. Avec une société hiérarchisée, le village de Wodobéré, est marqué par la prédominance de l'effectif des jeunes, des femmes et des vieux sur l'effectif des hommes actifs. L'émigration touche l'essentiel de la population masculine active.

Cependant, on note aujourd'hui une transformation du bâti et une hausse substantielle du niveau de vie à Wodobéré. L'émigration régit l'activité économique, sociale et culturelle du village. Puisque, dans les discussions, sous l'arbre à palabre, trouver les moyens de partir reste l'unique équation des jeunes. Ce qui suscite un certain nombre d'interrogation qui se résument en ces termes : Quels sont les facteurs d'émigration ? Quelles sont les stratégies et la finalité de l'émigration ?

Ainsi, notre TER, « L'émigration dans le Damga : l'exemple du village de Wodobéré dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal », au-delà de l'initiation à la recherche nous permettra d'analyser la problématique de l'émigration dans cette partie du Sénégal. A coté de cet objectif principal, nous avons élaboré les objectifs spécifiques suivants:

V1 montrer l'ampleur et la typologie de l'émigration;

V1 faire une analyse des facteurs qui motivent le choix des populations;

V1 déceler les changements engendrés par l'émigration sur le milieu d'origine. Pour atteindre ces objectifs, nous avons dégagé quelques hypothèses :

les motifs d'émigration qui sont étroitement liés à l'absence d'activités pouvant impulser un développement endogène seraient à l'origine des départs ;

la péjoration du climat, des conditions écologiques et la réussite de ceux qui sont déjà partis, ne serait ce que par la prise en charge de parents et amis, constitueraient des facteurs qui suscitent l'envie de ceux qui sont au pays et le départ de nouveaux candidats ;

malgré les effets positifs de l'émigration sur le village, elle aurait fortement contribué à la désagrégation des liens sociaux.

Pour traiter cette problématique, nous avons adopté une méthodologie qui prend en compte le caractère spécifique de la population. Elle est structurée en trois parties : d'abord c'est la revue documentaire qui nous a permis de consulter certains ouvrages, puis la collecte des données de terrain à l'aide de questionnaires pour les données quantitatives et de guides d'entretiens pour les données qualitatives et enfin l'exploitation et le traitement des données.

Ce travail de terrain n'est pas sans difficultés. J'étais d'abord confronté à la réticence de la
population dans disposition des données, ensuite à l'inexistence des travaux précis sur ce

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thème, malgré l'abondance de la littérature sur les migrations et enfin aux difficultés de transports liées à la distance à l'état des routes entre Dakar et notre zone d'étude. L'exploitation des données nous ont donné les résultats suivants :

IJ Une multitude des facteurs d'émigration :

Il s'agit des effets conjugués de la conjoncture internationale, de l'histoire même du peuplement du Fouta en général, des politiques structurelles mais aussi de la structuration de la société.

Le peuplement du Fouta est étroitement lié aux vagues migratoires tous azimutes des wolofs, des maures, des peuls, des soninkés etc. Selon certains traditionnistes la sécheresse dans le sahel aurait contraint la population de migrer vers le sud et le sud-est. On rattache le peuplement du Fouta aux migrations des soninkés du Wagadu, ancien royaume du Ghana.

Il y avait également l'instauration de système de navétanat et de recrutement musclé des travailleurs par les colons pour la culture de l'arachide dans le centre du Sénégal. Ce qui avait conduit, à l'époque, aux déplacements de plusieurs personnes de la vallée vers le bassin arachidier.

En plus de cela, il y a eu le prosélytisme religieux qui avait occasionné les déplacements de population vers les régions où elles pouvaient exercer librement les préceptes de l'Islam. Il est aujourd'hui admis que, dans le cadre du djihad, El hadji Oumar Tall, conscient de la disproportion de ses forces et celles de la puissance coloniale, ordonnait ses nouveaux disciples à migrer.

Les facteurs d'émigration sont aussi d'ordre conjoncturel. Ils sont relatifs à la structuration actuelle de l'économie marquée par des perturbations climatiques et par les effets des PAS. Ce qui se traduit par :

· la chute des productions agricoles. Ainsi, au cours de la campagne agricole 2008, 79% de la population de Wodobéré ont eu moins de 60 kilogrammes de mile,

· l'échec des politiques agricoles de l'Etat et le chômage chronique des jeunes. L'ensemble des aménagements hydro-agricole de l'Etat par le biais de la SAED ont connu un échec et n'ont permis ni de retenir la population ni de créer un rapport puissant entre la population et son terroir.

Les contraintes sociales qui stimulent une émigration forte chez la population sont multiples et variés. Il s'agit des regroupements familiaux, de l'émulation entre voisin et surtout des rivalités entre coépouses.

? une spécificité du phénomène de l'émigration;

Les départs sont individuels et concernent principalement les hommes célibataires âgés entre 18 et 35 ans. L'émigration s'organise autour de l'unité familiale même si l'idée d'émigrer vient, le plus souvent, de la personne concernée. Ce qui fait que le financement du voyage peut venir des parents ou du candidat à l'émigration lui-même. A l'apparition de l'émigration dans les années 60, les candidats s'autofinançaient pour réaliser leur premier voyage. Mais, aujourd'hui, plus de 41% des émigrés reçoivent leur billet à partir de l'étranger.

Plusieurs stratégies sont mises en place par les candidats à l'émigration. Ces stratégies vont des itinéraires à la mise en relation des différents acteurs et processus migratoires. Au début de l'émigration dans la moyenne vallée du fleuve en général et à Wodobéré en particulier, les pays africains disposant de ressources minières étaient les principales régions d'accueil. Donc l'émigré qui quittait le Fouta passait par le Mali par la voie terrestre pour se trouver au Congo, en Centre Afrique, en Angola ou en Cote d'Ivoire. Dans les pays ou l'extraction du diamant était en vogue, certains émigrés commercialisaient la pierre précieuse et ensuite approvisionnaient les comptoirs européens tels qu'Amsterdam, Paris et Londres. Mais, la saturation de ce marché les obligeait à emprunter d'autres itinéraires. Le candidat à l'migration qui quitte Wodobéré passait par Dakar où il peut entrer en contact avec des convoyeurs et des démarcheurs de visa le permettant de franchir les frontières. Il peut s'agir également d'une usurpation d'identité car plusieurs candidats ont réussi à passer les contrôles aéroportuaires en 2008 pour se retrouver en Europe avec les papiers de leurs proches.

En effet, cette émigration, masculine dans sa majorité, est facilitée d'amont en aval par l'existence d'une chaîne à maillons multiples. Elle est d'abord entretenue par les revenus qu'elle génère puisque l'essentiel des voyages des nouveaux candidats à l'émigration est financé par des parents qui ont déjà émigré. Elle est ensuite le résultat d'une complicité étroite entre les émigrés, les démarcheurs de visa et les autorités administratives. Ce qui se traduit par l'existence de réseaux et de couloirs migratoires spécifiques pour les migrants.

En ce qui concerne les types d'émigration, nous avons constaté que, selon la durée, il en existe trois. L'émigration saisonnière, qui concerne 41% des émigrés, se caractérise par des mouvements rythmés par les saisons. En saison sèche, les émigrés migrent vers les centres urbains et en saison des pluies, ils reviennent épauler leurs parents dans les travaux champêtres. C'est une émigration de moindre importance. L'émigration temporaire, 53% des émigrés, est pratiquée par ceux qui disposent de cartes de séjour et qui reviennent périodiquement au village. Et enfin, l'émigration définitive qui résulte de l'échec des émigrants. Elle se traduit par l'intégration de l'émigré dans son pays d'accueil et ne représente que moins de 6% de la diaspora.

Ce qui nous conduit à parler des principaux pays de destination. La France se taille la part belle dans la distribution des émigrés du village dans le monde. Cela s'explique par l'attachement de la population à l'ancienne puissance coloniale. Elle est suivie, de loin, par l'Espagne et par quelques pays africains comme la Cote d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Les exemples de réussite de l'émigration dans certains pays plutôt que dans d'autres pèsent sur le choix des destinations.

Ainsi, le village dépend directement des ressources tirées de l'émigration. 76% de la population ont l'émigration comme source de revenu principale. En effet, les flux financiers en direction de Wodobéré diffèrent selon les lieux d'immigration : sur les 929.754.199 FCFA envoyés en 2008, les transferts d'argent venant de la France représentent 720.929.307 FCFA alors que les fonds venant de l'Afrique ne représentent que moins de 10 millions par an.

Ces fonds sont utilisés différemment selon qu'ils sont envoyés à titre individuel ou collectif :

IJ Les émigrés agissent collectivement quand il s'agit de mettre en place des infrastructures et des constructions de prestiges. Il ressort dans cette étude que les émigrés, à travers leur association, ont permis la construction et l'équipement des infrastructures pour les services sociaux de base. Les fonds envoyés à titre collectif sont consentis à la réalisation des ouvrages de prestige ou d'infrastructure pour les services sociaux de base photo de la mosquée, alors que les transferts d'argent à titre individuel servent à garantir la sécurité alimentaire et l'entretien de la famille de l'émigré.

IJ Si plus de 85,1% des fonds envoyé sont destinés à la famille de l'émigré, les transferts à vocation économique représentent une part résiduelle dans les montants envoyés. Ainsi, seulement 3% sont réservés aux investissements qui sont pour l'essentiel l'achat de taxis brousse, l'immobilier et le commerce. L'essentiel des transferts est consenti à l'alimentation et à l'entretien de la famille de l'émigré.

IJ Malgré les apparences positives, l'émigration n'est pas exempte de conséquences négatives sur la population résidente. Elle est à l'origine de plusieurs dysfonctionnements tant au niveau des familles d'émigrés qu'au niveau de la communauté villageoise. Elle est à l'origine de l'avènement de nouveaux rapports sociaux basés sur la nucléarisation de la société et par l'égocentrisme. Le fooyré se substitue à la concession créant ainsi l'éclatement des familles et l'effritement des liens sociaux. C'est la désintégration totale des liens de solidarité. L'émigration a également contribué fortement à la dégénérescence des autres secteurs de l'économie tels que l'éducation, l'artisanat et l'agriculture et au désamour de la population à la terre.

Les retombées de l'émigration, loin d'éradiquer ses facteurs, tuent toutes autres formes d'activité. Elles entretiennent les migrations. Cependant, l'orientation des flux financiers vers la création d'activité telles que la pisciculture, la mise en place des fermes pouvait impulser un développement endogène. Il faut instaurer des politiques d'appropriation du terroir par les populations.

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L'étude de la problématique de l'émigration à partir de Wodobéré a permis de ressortir plusieurs facteurs dont les principaux sont les effets conjugués des réminiscences historiques et des vicissitudes climatiques sur l'économie locale et l'existence d'une chaîne à maillons multiples qui contribue à la facilitation des migrations.

Les populations, pour répondre à un besoin pressant de liquidité devenue nécessaire, ont supplanté les autres activités économiques, par les ressources tirées de l'émigration.

En effet, l'émigration a asphyxié l'économie locale et a fortement contribué au dépeuplement et à la perte de valeurs qui faisaient naguère la fierté du peuple.

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Les transferts financiers ont supplanté les autres formes de ressources dans la survie de la population. Ils ont considérablement contribué à la mutation de la structuration de la société mais aussi à la reconfiguration des rapports sociaux.






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