UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES *********** DEPARTEMENT DE GEOGRAPHIE
THEME :
L'EMIGRATION DANS LE DAMGA :
L'EXEMPLE DU VILLAGE DE WODOBERE
DANS LA MOYENNE VALLEE DU FLEUVE
SENEGAL
Présenté par : Sous la direction de :
1
Année universitaire 2008-2009
Abdoulaye THIOYE Ahmadou Fadel KANE,
Maître-assistant
SOMMAIRE
REMERICIEMENTS
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
PROBLEMATIQUE
PREMIERE PARTIE : Présentation générale du
village de Wodobéré
CHAPITRE I : Présentation du cadre physique et
humain
I. Le cadre physique
II. Le cadre humain
CHAPITRE II : Les caractéristiques sociales et
économiques
I.L'organisation sociale
II. Les activités économiques
DEUXIEME PARTIE : Les facteurs fondamentaux et le
déroulement de l'émigration
CHAPITRE I : Les facteurs fondamentaux de
l'émigration
I. Les facteurs structurels
II. Les facteurs conjoncturels
III. Les contraintes sociales
IV. Les réseaux facilitateurs
CHAPITRE II : Le déroulement de l'émigration
I. L'organisation des départs
II. Les étapes
III. Les types de migrations
TROISIEME PARTIE : Les transferts d'argent et les facteurs
négatifs de l'émigration sur la population résidente
CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur
utilisation
I. Les transferts d'argent : origines géographiques et
volume des fonds.
3
II. L'utilisation des transferts d'argent
CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de l'émigration
sur la population résidente
I. Les facteurs socioculturels
II. L'émigration, facteur de
dégénérescences de l'économie locale CHAPITRE III :
le village de Wodobéré face aux défis de
l'émigration
I. La permanence des facteurs d'émigration
II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt
définitif des départs
CONCLUSION
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s'adressent en premier lieu au Professeur
Ahmadou Fadel Kane qui, malgré ses activités, a accepté de
diriger et d'orienter mes recherches. Monsieur le Professeur, je vous
témoigne, ici, mon éternelle et sincère reconnaissance
pour toutes nos rencontres au sortir desquelles je repartais toujours
requinqué et prêt à persévérer dans la
recherche. Sans votre soutien, vos conseils et votre disponibilité ce
document n'aurait pas pris forme.
Je remercie, sans distinction aucune, tous les professeurs du
Département de Géographie de la Faculté des Lettres et
Sciences Humaines de l'Université Cheikh Anta Diop qui ont su nous
assurer une formation de qualité qui hisse ce temple du savoir parmi les
meilleures de l'Afrique.
A notre vaillante maman qui nous a très tôt
inspiré le sens de responsabilité et du travail. Tu nous as
toujours dit, maman, de ne compter que sur nos efforts pour surmonter les
épreuves de la vie.
Mon infinie reconnaissance à mon frère Amadou
THIOYE qui, après la disparition de notre cher père, alors que je
n'avais que six ans, s'est acquitté de ses devoirs d'aîné
en se substituant à ce dernier. Aujourd'hui, l'émigration a fait
justement que tu es à mille lieues d'ici mais tu es honoré par ce
travail, j'en suis sûr. Qu'il me soit permis, frère, de te rendre
un vibrant hommage car n'eut été ton soutien indéfectible,
ce jour ne serait que songe.
J'associe à mes remerciements toute la famille THIOYE
d'ici et d'ailleurs et tous mes amis qui, j'en suis persuadé, se
reconnaitront ici.
J'ai conscience de ce que vous représentez pour moi.
5
SIGLES ET ACRONYMES
ANSD : Agence Nationale des Statistiques et de la
Démographie
ATOM : Aide aux Travailleurs d'Outre-mer
AWDES : Association de Wodobéré pour le
Développement de l'Education et la Santé BAD : Banque Africaine
de Développement
BM : Banque Mondiale
DAT : Direction de l'Aménagement du
Territoire
DTGC : Direction des Travaux Géographiques et
Cartographiques
GIE : Groupement d'Intérêt Economique GPS : Global
Positioning System
HLM : Habitation à Loyer Modéré
IFAN : Institut Fondamental d'Afrique Noire
IRD : Institut de Recherche pour le Développement MAS :
Mission d'Aménagement du Sénégal
OIM : Organisation Internationale des Migrations
OMVS : Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve
Sénégal
ONG : Organisation Non Gouvernementale P.I.B :
Produit Intérieur Brut
Pmm : Précipitations en millimètre
de pluies RM : Rapport de Masculinité
SAED : Société
d'Aménagement et d'Exploitation des terres du Delta du fleuve
Sénégal SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de
Croissance
Tm : Température moyenne
Tn : Température minimale
Tx : Température maximale
T° : Température
UCAD : Université Cheikh Anta Diop
Avant-propos
Devant sanctionner les études du second cycle, ce
mémoire de maîtrise se veut une mise à jour des
données et des informations reçues jusqu'à nos jours sur
les mouvements migratoires de populations dans la province du Damga en
général et sur l'émigration à partir de
Wodobéré en particulier.
Notre souci majeur est d'essayer de faire une analyse du
phénomène migratoire afin de mieux cerner la question de
l'émigration. Pour se faire, la quintessence de notre analyse se portera
sur la genèse, les mobiles, la structuration et les effets de
l'émigration sur la communauté villageoise, d'une part, et sur
les ménages, d'autre part.
En effet, au delà de notre souci de présenter ce
travail qui devra sanctionner nos études du second cycle, nous voudrions
étudier et faire connaitre l'ampleur de l'émigration dans cette
partie du Sénégal. L'approche qui est ici
privilégiée ne prétend nullement à une quelconque
exhaustivité de l'étude sur l'émigration, mais d'en faire
une analyse allant de son avènement à ses impacts en passant par
ses manifestations. Il s'agit plus modestement de mettre en exergue l'ampleur
de l'émigration sous l'oeil critique du géographe.
Le Damga sénégalais est la province du Fouta qui
va de Ogo à Dembankané. Il est limité au nord par le
Nguénaar, au sud par le Guilmakh à l'ouest par le Ferlo et
à l'est par la Mauritanie. Il est caractérisé par une
situation climatique précaire mais a l'avantage d'être
bordé au Nord Est par le fleuve Sénégal. Le Damga est
constitué du diéri, d'une importante plaine alluviale qui
constitue d'ailleurs la majeure partie de son territoire et d'un bourrelet de
berge qui surplombe le fleuve Sénégal. Le village de
Wodobéré, cadre géographique de notre étude, est,
à l'instar de beaucoup de villages du Daande maayo, est situé sur
la rive concave des méandres.
Le site du village de Wodobéré est un
foondé qui est entouré par une vaste plaine alluviale submersible
durant une certaine période de l'année. Ce village se situe entre
Thialy et Thiemping respectivement à quatre kilomètres du premier
et de trois kilomètres du second. Il est à neuf kilomètres
au nord Est de Kanel et est pratiquement à dix huit kilomètres
à vol d'oiseau au sud Est de Matam.
Wodobéré, comme toutes les localités du
Daande maayo, est doté de potentialités naturelles
énormes. La terre et l'eau existent en abondance mais restent cependant
mal exploitées, si elles ne sont pas tout bonnement non
exploitées. La population aurait beaucoup à gagner si la terre
était mise en valeur. Cependant, on note l'absence de l'action de l'Etat
parce qu'il n'existe pas un seul secteur dans lequel l'Etat a intervenu.
Avant
7
l'intervention des émigrés, il n'existait
pratiquement pas de services sociaux de base ; hormis une case de santé
et un forage mis en place par les populations, l'éducation, la
santé et la communication étaient laissées en rade.
En effet, malgré l'existence de ces
potentialités, le village enregistre un taux important
d'émigrants qui est une conséquence directe de ce manque de
moyens. Il comprend aujourd'hui d'importantes réalisations d'ordre
socio-économiques comme une case de santé, un poste de
télécommunication et plus récemment un collège
d'enseignement moyen qui est l'oeuvre des émigrés. Les
changements d'ordre infrastructurel, l'amélioration des conditions de
vie dans ce village et l'accroissement du taux des émigrés
attirent notre attention. C'est d'ailleurs ce qui justifie notre choix de cette
localité.
Aujourd'hui, qu'adviendrait il de Wodobéré sans
l'émigration ? Que serait-il sans l'apport de l'émigration ?
Quels sont les facteurs qui déterminent le choix des populations ? Pour
mieux appréhender la problématique de l'émigration, il
serait nécessaire de passer en revue toutes les potentialités et
les attributs géographiques du milieu étudié. Ce qui nous
permettra de saisir l'ampleur de l'émigration et les retombées
qui en découlent. Ainsi, nous aurons à étudier les
données humaines et géographiques de ladite localité en
corrélation avec l'émigration.
INTRODUCTION
En permanente recherche du bien être, de meilleures
conditions de vie et de l'équilibre social, l'homme est au coeur des
mutations. Guidé par des facteurs socioéconomiques et dès
fois contraint par des facteurs écologiques ou politiques, il essaie de
tirer le maximum de profit de son environnement immédiat et/ou lointain.
Ses besoins changent dans le temps et dans l'espace.
L'Afrique, après plusieurs siècles de pillage,
par l'entremise de ses élites, cherchait tant bien que mal à
sortir de l'ornière. Ainsi, au lendemain des indépendances
plusieurs politiques ont vu le jour pour réorganiser l'espace et
structurer les économies nationales. En effet, ces politiques, loin de
se démarquer de l'expertise coloniale, ont adopté les mêmes
habitudes, les mêmes pratiques léguées par les puissances
coloniales. Très rares sont les pays africains où l'on a
essayé de construire une économie à l'image des besoins
des nationaux.
Au Sénégal, des politiques agricoles ont
été amorcées ça est là par la puissance
coloniale. A partir de 1935, avec la Mission d'Aménagement du
Sénégal (MAS), l'on commençait déjà à
réfléchir sur l'aménagement de la vallée du fleuve.
C'est dans ce cadre que les premiers casiers irrigués furent
conçus, dans l'optique de fixer les populations dans leur terroir. Cette
politique a été renforcée après
l'indépendance par la mise sur pied des structures sous
régionales telles que l'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve
Sénégal (OMVS) mais aussi par la construction d'un barrage en
amont du fleuve Sénégal. L'un des objectifs majeurs de l'OMVS, en
construisant ce barrage régulateur de débit, était
d'assurer la mise en valeur des terres arables et la fixation des
populations.
Cependant, les autorités sénégalaises
avaient du mal à se démarquer de la politique agricole
instaurée par la puissance colonisatrice. Les mêmes pratiques
culturales ont été de mise au lendemain de l'indépendance
du Sénégal. Le bassin arachidier qui a été le joyau
de la Métropole resta le domaine des cultures de rente par excellence
alors que le fleuve perdait de plus en plus son rôle. Le fleuve
constituait un trait d'union entre les comptoirs commerciaux et
l'intérieur de l'Afrique. Alors, il servait aux colons de moyen de
communication pour relier l'intérieur de l'Afrique aux comptoirs
commerciaux. Pendant plusieurs années, le fleuve a permis à la
puissance coloniale de ponctionner des villages de leurs populations pour
l'exploitation des terres du centre du Sénégal. Cette tendance a
demeuré au lendemain de l'indépendance et aucune activité
économique significative pouvant intéresser les populations
riveraines n'était pratiquée.
En effet, dans le même temps, les problèmes
fonciers se multipliaient entre l'Etat, qui voulait avoir une mainmise sur
l'ensemble des terres, et les chefs coutumiers soucieux de conserver leurs
domaines. L'essentiel des aménagements hydro-agricoles entrepris par
l'Etat par le biais de la Société d'Aménagement et
d'Exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal (SAED)
connût un échec avant même que le Damga n'en
bénéficiât. Ainsi, au moment où la sécheresse
des années soixante frappait de plein fouet les
écosystèmes, les cultures en milieu diéri étaient
pratiquement abandonnées et les populations se
désintéressaient de celles en milieu walo.
Ces cycles de sècheresses combinés aux effets
conjugués des politiques citées cidessus et aux critères
structurels tels que la hiérarchisation de la société
vinrent perturber l'organisation sociale. L'accès à la terre
étant difficile pour certains, la monétarisation de
l'économie et une baisse notoire de la pluviométrie au
début des années soixante dix déclenchèrent une
émigration qui prend très vite une ampleur considérable.
Les populations de la vallée du fleuve Sénégal en
général et celle du Damga en particulier étaient
frappées de plein fouet par des disettes et des manques criards de
ressources. Ainsi, elles adoptèrent la même voie de sortie de
crise qui fut l'émigration vers d'autres régions plus propices et
moins touchées par ces difficultés économiques.
En outre, au-delà de ces paramètres, il faut
noter que les Halpulaar ont toujours été de véritables
migrants. En remontant l'histoire, on constate qu'ils étaient même
venus par le nord pour peupler cette partie du Sénégal et «
ils ont émigré dès le moyen âge avec les Peuls du
Fouta Djallon fuyant probablement les querelles du Fouta Toro
»1. Au XIème siècle déjà on
retrouvait des Halpulaar au front des djihads pour propager l'Islam. Les
migrants sont constitués également de Peuls qui, pour la
recherche de pâturages, sont contraints de se déplacer
périodiquement vers les endroits où il existe de l'eau et des
pâturages pour leurs animaux.
Cependant, dans la présente étude nous nous
intéressons aux migrations à caractère économique,
c'est-à-dire celles qui se font dans le souci de trouver une situation
économique meilleure que celle offerte par la zone départ. Il
s'agit de l'émigration interne et internationale à partir de
Wodobéré.
Le village de Wodobéré, situé à
l'extrême nord Est de la communauté rurale de Ouro-Sidy dans la
Province du Damga est une localité sans activités pouvant retenir
la population active en proie à une émigration qui ne cesse
d'augmenter. Ainsi, la stagnation
9
1 Diop Abdoulaye Bara : Société
Toucouleur et migration : enquête sur l'immigration toucouleur à
Dakar, p62
10
de l'économie de subsistance combinée à
la tradition migratoire des Halpulaar et des rapports sociaux contrastés
sont des facteurs qui ont favorisé une émigration sans commune
mesure au niveau de cette localité.
Ces facteurs, combinés aux effets conjugués de
la conjoncture internationale et des différentes politiques
d'ajustements structurels (PAS) font qu'aujourd'hui la dynamique migratoire est
beaucoup plus complexe et connait des reconfigurations importantes. Ils
agissent aussi bien dans la temporalité des migrations que dans la
distribution géographique des flux.
Ainsi, notre T.E.R. intitulé «
L'émigration dans le Damga : l'exemple du village
de Wodobéré dans la moyenne vallée
du fleuve Sénégal » est structuré en trois
parties :
- en première partie nous ferons une présentation
générale du village de Wodobéré, - dans la
deuxième partie nous analyserons les facteurs fondamentaux et le
déroulement de l'émigration,
- les transferts d'argent et les facteurs négatifs de
l'émigration sur la population résidente feront l'objet de la
troisième et dernière partie.
PROBLEMATIQUE
Définie comme << le passage d'habitants d'un pays
dans un autre [...] et employée par extension pour désigner le
départ de population d'une région vers une autre région ou
vers une ville >>2, l'émigration est un
phénomène qui touche toutes les composantes des
sociétés dans le monde. De cette tentative de définition,
nous retenons que l'émigration a toujours existé même si
les formes et les critères qui la déterminent ont beaucoup
évolué. Ainsi, le peuplement de la terre n'est rendu possible que
par les déplacements des habitants d'un lieu vers un autre. L'homme
aurait quitté l'Afrique orientale, berceau de l'humanité (si l'on
se fie à l'archéologie), pour gagner par la suite le reste de la
planète. C'est ainsi dire que la migration est aussi vieille que
l'humanité. Toutefois, elle diffère dans ses formes et dans ses
fins selon le temps et l'espace. D'un continent à un autre, d'une
époque à une autre nous enregistrons différentes sortes de
migrations.
En Europe occidentale, malgré l'existence des
mouvements migratoires depuis l'antiquité, c'est au début du
XIXème siècle qu'apparurent les flux les plus importants. Son
déficit en main-d'oeuvre et l'écart économique par rapport
à l'Europe de l'est ont fait d'elle une zone d'accueil. << Des
différences de gains allant parfois de plus de cinquante pour cent
à presque cent pour cent et au-delà sont évidemment
susceptibles d'inciter un travailleur même pourvu d'un emploi normal
à chercher un travail à l'étranger >>3.
Il s'agit d'une émigration économique. Cela est vrai dans la
mesure où l'essentiel des ouvriers de l'époque était
constitué par des européens de l'Est. Cette période est
marquée par une véritable ruée des populations de l'Est
vers l'Europe occidentale mais également vers l'Amérique.
Dans ce dernier continent, le peuplement est essentiellement
lié aux mouvements de populations venues du monde entier. Hormis
l'occupation des Etats-Unis par les amérindiens, c'est à partir
du XVIème siècle qu'on a commencé à noter des
mouvements importants de populations. L'existence des terres, l'esclavage et la
découverte de l'or à Sutter's Mill en janvier 1846 ont
été des facteurs qui avaient favorisé une immigration
intense. Et << pendant plusieurs siècles, les Etats-Unis,
véritable terre d'accueil et de rencontre, ont servi d'exutoire aux
persécutés politiques et religieux, aux victimes de la
révolution agricole et industrielle de l'Europe, aux insoumis et aux
déportés >>4. L'existence de l'or mais
également la stabilité politique ont stimulé une forte
2 Pierre George : Dictionnaire de la
Géographie, p166
3 OCDE : L'OCDE et les migrations
internationales, p14 4Ciss Gorgui : << Mobilité
et espace aux Etats-Unis >>, p25
12
immigration5. Ils furent une terre d'immigration
des asiatiques, des australiens et des européens fuyant la misère
ou la persécution politique. Il s'agissait là d'une double
émigration c'est-à-dire de l'émigration économique
et de l'émigration politique. Cette dernière peut être en
effet forcée. Différentes politiques d'immigration y virent le
jour pour encourager, limiter ou contraindre les mouvements.
L'Afrique se singularise par son niveau économique
très faible, son instabilité politique et par la rareté
des ressources économiques. Ainsi, famines et guerres, entre autres,
contraignent la population à se déplacer vers les zones assez
apaisées et à économie relativement importante.
L'émigration « se traduit sur le plan humain par l'espoir
d'améliorer son propre niveau matériel de vie (dans le
présent ou dans l'avenir, grâce aux possibilités
d'épargne)»6. En plus d'une économie très
faible, depuis quatre décennies, on assiste à une
péjoration du climat en Afrique et donc de sa pluviométrie. Ceci
rend les productions agricoles mauvaises et installe des situations de crise
alimentaire. Dans ce même ordre d'idée on peut noter un
déséquilibre notoire entre la bande côtière et
l'intérieur des pays. Les principales villes sur les littoraux des
différents pays ouest africains font l'objet d'une concentration de
l'essentiel des services au détriment de l'arrière pays.
Tous ces paramètres font de l'Afrique un continent qui
se cherche et dont les populations sont en perpétuel mouvement. Avec une
démographie galopante et une rareté des ressources, « les
sociétés rejettent au dehors leurs surplus »7. Il
y a surplus de population non pas par rapport à la surface
occupée mais par rapport à la disponibilité des
ressources. Ainsi, les régions disposant des économies plus
prospères ou des possibilités d'emploi accueillent les
populations des autres contrées. C'est dans ce cadre que la Côte
d'Ivoire, avec une économie relativement prospère, avait
accueilli les sénégalais, les burkinabés, les maliens
entre autres qui étaient à la recherche de meilleures conditions
de vie au début des années soixante et soixante dix. Ce fut
également le cas sur les deux rives du Congo avec l'existence de
ressources minières. Au Nigeria, c'est l'exploitation de l'or noir au
cours du siècle dernier qui avait impulsé une forte
immigration.
En effet, nous assistons aujourd'hui à des mouvements
inverses. Les pays d'accueil, il y a moins d'un siècle, sont devenus des
potentiels pourvoyeurs d'émigrants. Cela s'explique par de nombreux
problèmes notamment d'ordre conjoncturel comme
5 Immigration : l'émigration vue du coté
des lieux d'accueil
6 OCDE : Op.cit., p15
7Sorre Max : Les migrations des peuples,
p15
l'instabilité politique. La présence des
nigérians, ghanéens, ivoiriens et congolais au
Sénégal, au Mali et au Burkina Faso en est un exemple
illustratif.
En outre, à l'intérieur d'un même pays les
disparités économiques notées ci-dessus sont de mise. Un
développement économique déséquilibré entre
les capitales et leur arrière-pays serait à l'origine des
mouvements de populations. L'inégalité des régions en
équipements, en infrastructures, en services sociaux de base ; la
disponibilité des ressources et de meilleures conditions climatiques
font de Dakar une région d'accueil par excellence au détriment du
reste du pays. Au Sénégal et partout en Afrique « les Etats
ont maintenu une infrastructure (santé, école) dans les
différentes capitales régionales. Au niveau du monde rural, ils
se sont contentés de prélever l'impôt sans pour autant
apporter une quelconque contrepartie >>8. L'essentiel des
services du secondaire et du tertiaire est concentré dans la capitale.
Il y existe également les meilleures possibilités de travail. Ce
qui crée un fossé économique entre les régions
entrainant ainsi des mouvements de populations. Ainsi, « Les personnes se
déplacent parce qu'elles y trouvent un avantage, une amélioration
de leurs ressources, un cadre de vie plus agréable, [...]
>>9. Ce qui fait que Dakar enregistre le taux le plus
important de migrants internes et internationaux du pays.
La quasi-totalité des régions de
l'intérieur du Sénégal est touchée par les
migrations vers la capitale, voire d'autres horizons. La région du
Damga, objet de notre étude, possède un taux d'émigration
inquiétant qui fait de cette partie septentrionale du
Sénégal une réserve qui alimente aussi bien
l'émigration interne qu'internationale. L'histoire du Damga en
corrélation avec son évolution écologique et
socio-économique nous permet de défendre la thèse selon
laquelle, elle constitue une zone de départ par excellence.
Dans le Damga et partout ailleurs au Fouta il existe une
société très hiérarchisée. Ainsi, à
l'intérieur d'un même terroir on retrouve différents
groupes statutaires. C'est dans ce cadre qu'on perçoit des
libres/nobles, des dépendants/castés et des descendants de
captifs qui ont chacun des attributs bien déterminés. Selon le
groupe on peut ou non détenir un patrimoine foncier. Pour pratiquer
l'agriculture, certains groupes statutaires doivent prendre en métayage
ou emprunter les champs aux propriétaires qui sont pour l'essentiel des
nobles. Ceci pourrait constituer une raison suffisante pour que ceux qui n'ont
pas de terre émigrent.
En plus de cette inégalité sociale, le Damga se
situe dans une zone qui connaît depuis plus de quatre décennies
une pluviométrie déficitaire. Sa proximité avec la
8 Daum Christophe : Quand les immigrés du
Sahel construisent leurs pays, p22
9 Dumont Gérard François: Les
migrations internationales : les nouvelles logiques migratoires, p77
Mauritanie fait de lui une partie très
influencée par le désert. Ainsi, si d'aucuns soutiennent que ce
n'est pas << l'évidence tautologique des écarts de revenus
potentiels »10 qui serait à l'origine des départs
mais plutôt << la transformation de l'organisation
socio-économique du monde rural qui exige le départ d'une
fraction de sa population »11, l'étude du Damga montre
que c'est inéluctablement l'amenuisement de chances de trouver un emploi
qui serait à l'origine des départs.
Notons cependant que le Damga possède une partie de son
territoire constituée essentiellement de plaines alluviales pouvant
abriter les cultures de décrue et une aire importante pour les cultures
sous pluies. C'est ainsi dire que l'émigration ne devrait pas être
l'une des rares réponses de l'homme face à un environnement
hostile.
Wodobéré, cadre géographique de notre
étude, est une partie intégrante du Damga. Ce qui conduit
à dire que ce village est marqué par les mêmes
caractéristiques sociales, économiques et climatiques
citées ci-dessus. En effet, ce qui retient notre attention dans ce
village c'est la quasi-absence des hommes en âge de procréer et
une prépondérance des femmes, des vieux et des jeunes.
Paradoxalement, en dépit de l'absence des hommes valides on constate une
nette transformation du bâti et des conditions de vie meilleures par
rapport aux villages environnants.
Le village de Wodobéré nous intéresse
dans la mesure où, malgré l'abondance de la littérature
sur la problématique des migrations, il n'existe pas, à notre
connaissance, des chercheurs qui y sont intéressés. Alors que
l'émigration à partir de cette localité est importante
aussi bien en terme de personnes concernées que par les retombées
positives qu'elle génère. Les ménages ont, dans leur
majorité, un ou plusieurs éléments émigrés
qui participent substantiellement à l'amélioration des conditions
de vie de la communauté. Aujourd'hui, nonobstant l'absence de l'action
de l'Etat, beaucoup de réalisations ont pu être effectuées
dans ce petit village situé aux confins du Sénégal
grâce aux fonds générés par l'émigration.
L'intérêt que nous accordons au sujet
réside dans le fait que l'émigration régit
l'activité sociale, économique et culturelle de ladite
localité. Il n'existe aucune autre activité pouvant
intéresser les jeunes puisque dans les débats, sous l'arbre
à palabres et à toutes les rencontres, trouver les moyens de
quitter reste l'unique équation qu'ils cherchent à
résoudre. Sous un autre aspect, ce choix se justifie par le fait que
malgré la disponibilité
10 AMIN Samir : << Introduction », in
Les migrations contemporaines de l'Afrique de l'ouest, p33
14
11 AMIN Samir : Ibid., p33
de l'eau et de la terre, la population active est quasi absente
du terroir. L'émigration touche l'essentiel de la population.
Pour cerner la dimension géographique du thème -
l'émigration est un concept analysé par des sociologues, des
anthropologues, des économistes etc.- posons-nous la question de savoir
quels sont les facteurs géographiques qui sous-tendent
l'émigration dans cette localité et l'engouement qu'en nourrit la
population de Wodobéré ? A quelle époque s'estelle
véritablement déclenchée ? Quels sont les principaux
facteurs qui incitent à l'émigration ? Quel est le processus et
quelles sont les différentes phases et étapes que franchissent
les émigrants ? Quels sont les principaux pays d'accueil ? Les
retombées de l'émigration permettraient-elles de compenser les
moyens investis pour sa réalisation ? Quelles conséquences
aurait-elle sur la zone de départ ?
Les réponses à ces questions nous permettront de
mieux appréhender la problématique de l'émigration
à partir du Damga. Elles faciliteront également une meilleure
compréhension des déterminants, des typologies et des
conséquences de l'émigration dans le Damga à partir de
l'exemple de Wodobéré.
v' L'objectif principal de ce TER, au-delà de
l'initiation à la recherche, est d'analyser la problématique de
l'émigration à partir du Damga en prenant l'exemple du village de
Wodobéré.
Nous avons élaboré les objectifs spécifiques
suivants afin de mieux cerner notre champ d'analyse :
- le premier objectif spécifique est de montrer l'ampleur
et la typologie de l'émigration dans ce village.
- le deuxième objectif spécifique de cette
étude est de faire une analyse allant des facteurs qui motivent le choix
des populations à la finalité de l'émigration.
-le troisième objectif spécifique est d'analyser
les changements engendrés par l'émigration sur le milieu
d'origine.
v' Pour atteindre ces objectifs, nous avons dégagé
quelques hypothèses :
- les motifs d'émigration qui sont étroitement
liés à l'absence d'activités pouvant impulser un
développement endogène seraient à l'origine des
départs.
-la péjoration du climat, des conditions
écologiques et la réussite de ceux qui sont déjà
partis ne serait ce que par la prise en charge de parents et amis
constitueraient
16
des facteurs qui suscitent l'envie de ceux qui sont au pays et
le départ de nouveaux candidats.
- malgré les effets positifs de l'émigration sur
le village, elle aurait fortement contribué à la
désagrégation des liens sociaux qui étaient naguère
la fierté de tout un peuple et mis à genou l'économie
locale.
METHODOLOGIE DE RECHERCHE
Comme tout travail scientifique, en géographie nous
avons besoin d'une méthodologie adaptée pour mener à bien
notre étude. En effet, la réussite dans l'analyse d'un
thème d'étude et de recherche est étroitement liée
à la méthodologie adoptée. Ceci, parce que c'est dans
cette méthodologie qu'on doit définir la procédure, la
méthode et les techniques auxquelles nous allons nous atteler pour
entamer le travail.
Ainsi, l'étude de la problématique de
l'émigration dans cette partie du Sénégal, dominée
par une population analphabète, du moins qui n'a pas
fréquenté l'école de type occidental, nécessite une
certaine souplesse dans les méthodes d'approche. Cet aspect a
guidé substantiellement notre démarche.
L'historique de la recherche
L'observation directe
De prime abord, nos recherches ont été
guidées par les fréquents séjours que nous avons
effectués dans la zone d'étude dès notre inscription en
Maîtrise en janvier 2008. Ces séjours nous ont permis de constater
l'importance accordée par les populations à l'émigration.
Ainsi, pour parer à tout handicape, pour formuler nos hypothèses
de recherche et faciliter l'élaboration du questionnaire, nous avions
effectué des observations directes sur le terrain.
Il s'agissait pour nous, dans un premier temps, de nous
rapprocher des candidats à l'émigration et d'observer sur une
période donnée l'évolution des préparatifs jusqu'au
jour du départ. Ainsi, après le départ de
l'émigré du village, nous essayons régulièrement
d'acquérir de ses nouvelles auprès de sa famille.
Nous avions également profité des
affinités que nous avons entretenues avec certaines familles
d'émigrés pour observer directement les réalisations
effectuées dans ce cadre et de constater de vue les montants mensuels
envoyés par les émigrés à leurs familles
respectives et à la communauté villageoise. C'est ainsi que nous
avions pu constater beaucoup de choses afférentes à
l'émigration dans cette localité, choses à partir
desquelles nous avons élaboré des questionnaires et un guide
d'entretien.
18
Revue documentaire
Cette première phase du travail nous a permis
d'appréhender la question de l'émigration et de mieux
connaître les limites des travaux déjà existant et portant
sur la problématique de l'émigration.
Ainsi, pour mieux appréhender la question de
l'émigration en général et celle concernant le Damga en
particulier, nous avons tout d'abord fait une revue documentaire et par les
différents services, collecté des informations relatives à
la problématique de l'émigration.
C'est dans ce cadre que nous avons, dans un premier temps,
sillonné les différentes bibliothèques de
l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, susceptibles de contenir des
informations relatives à notre thématique. Il s'agit de la
bibliothèque centrale, de la bibliothèque du département
de géographie, et celle de l'IFAN.
La lecture des différents ouvrages nous a
été d'une utilité capitale. Elle nous a beaucoup
facilité la rédaction de ce mémoire dans la mesure
où certains passages de livres nous ont servi à illustrer notre
argumentaire. Elle nous a également permis de retracer l'histoire des
émigrations et du peuplement de la vallée du fleuve
Sénégal.
Ainsi, à la bibliothèque centrale, nous avons
consulté entre autres, le livre d'Abdoulaye Bara Diop,
Société Toucouleur : enquête sur l'immigration des
Toucouleur à Dakar, 1965, IFAN, 231p. Ce livre nous
intéresse dans la mesure où il détermine les formes, les
causes et les conditions de vie des Toucouleur à Dakar. Nous avons
prêté une attention particulière à la partie
où il examine les causes de l'émigration des toucouleur. En
effet, ses limites se situent dans le fait qu'il ne traite que les
problèmes de l'immigration et ses causes sans pour autant parler des
réalisations émanant de cette immigration. Contrairement, il
s'agit pour nous, de faire l'étude de l'émigration d'une
localité très précise et non de l'ensemble des
Toucouleur.
Nous avons également consulté le livre de
Gérard François Dumont : Les migrations
internationales, 1995, Paris, SADES, 223p, dans ce livre comme dans celui
de Max Sorre : Les migrations des peuples, 1955, Paris, Flammarion
et Cie, 265p, notre intérêt s'est porté sur les
définitions et les descriptions des différentes formes
de migrations. En effet, ils n'ont nullement parlé de
l'émigration et de ses impacts sur Damga. En outre, Sylvie Bredeloup,
dans son livre La Diams'pora du fleuve Sénégal
: sociologie des migrations africaines, 2007, Toulouse, PUM, éd.
IRD, nous fait une analyse de l'émigration des diamantaires du fleuve
Sénégal et les impacts socioéconomiques dans
les zones de départ. Ce livre nous intéresse
dans la mesure oü il s'agit des émigrés de la vallée
du fleuve Sénégal et nous permet de retracer les
itinéraires de ces derniers.
Nous avons également été à l'IRD,
à l'Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie
(ANSD), et à l'Organisation Internationale des Migrations (OIM) oü
nous avons eu à consulter d'autres documents et à recueillir des
données pouvant nous servir dans notre recherche.
En ce qui concerne les données du village, nous nous
sommes rendus aux différents services de la région de Matam comme
la SAED mais également à la Direction de l'Aménagement du
Territoire(DAT) et à la Direction des Travaux Géographiques et
Cartographiques (DTGC). L'internet a été d'une grande
utilité dans la recherche des ouvrages que nous n'avions pas pu trouver
ni dans les bibliothèques ni dans les librairies. Il nous a permis
également, à défaut d'une carte administrative, de
récupérer avec Google earth une photographie satellitaire du
village. La délimitation de la province du Damga nous a
été facilitée par le Professeur Pape Demba Fall
(Laboratoire de géographie de l'IFAN).
Les phases d'enquête et visite de
terrain
Les entretiens exploratoires
L'étude des migrations ne peut se faire qu'avec la
complicité étroite des concernés. C'est ainsi, que nous
avons organisé des rencontres informelles avec certains
émigrés qui sont de retour pour écouter leurs
témoignages, leurs récits de voyage et collecter des informations
pouvant appuyer notre argumentaire. Cela a été rendu possible
grâce aux causeries autour du thé communément
appelées << Grand'place » auxquelles nous avons
participés et que nous avons pu transformer en << focus group
».
Les structures de transfert d'argent
Tour à tour les différentes structures de
transfert d'argent, c'est à dire les services postaux et les <<
points fax », nous ont permis de collecter l'ensemble des données
ayant trait avec les transferts financiers des émigrés.
Malgré la réticence de la population dans la disposition des
informations, nous avons pu recueillir, aussi bien au niveau des structures
formelles, à savoir les différents services du bureau de poste,
qu'au niveau des structures informelles telles que les << points fax
» des GIE, les montants envoyés mensuellement vers le village.
L'échantillonnage
Selon le questionnaire, nous avons adopté une technique
d'échantillonnage appropriée. Il s'agit de prendre en compte les
spécificités de chaque population en se basant sur ses
différentes variables.
Echantillonnage du questionnaire destiné aux chefs de
ménages
Sur une population parente de 276 ménages que constitue
le village de Wodobéré, nous avons procédé à
un échantillonnage par quota selon des critères guidés par
nos hypothèses de recherche. Cette méthode a été
nécessaire, d'une part, pour pallier l'épineuse question de
l'absence d'une base de sondage, étant donné que nos chances de
trouver une liste exhaustive de la population parente sont nulles, et, d'autre
part, pour répondre aux exigences de nos objectifs de recherche. La
technique d'échantillonnage par quota a consisté à diviser
la population parente en classes correspondant à la variable retenue
à savoir l'appartenance sociale. Par la suite, pour obtenir le quota de
chaque classe nous avons procédé par le rapport entre le
pourcentage de chaque classe et la taille des pourcentages que nous avons
multiplié par N. En d'autres termes nous avons fait, par
exemple pour la classe des Sebbe, 54% de 100x60.
C'est-à-dire (54/100) 60=32. Ce qui donne le tableau qui suit :
20
Castes
|
Effectifs/Nombre de concession
|
Pourcentage des castes
|
Quota dans l'échantillon (% de 100xN)
|
Sebbe
|
148
|
54
|
32
|
Toorobe
|
18
|
6
|
4
|
Suubalbé
|
19
|
7
|
4
|
Macuube
|
55
|
20
|
12
|
Lawbe
|
5
|
2
|
1
|
Sakkeebé
|
8
|
3
|
2
|
Awlube
|
3
|
1
|
1
|
Wahilbé
|
8
|
3
|
2
|
Fuulbé
|
12
|
4
|
2
|
TOTAL
|
276
|
100%
|
60
|
Echantillonnage du questionnaire destiné aux
émigrés
Notre choix est guidé par le caractère
spécifique des enquêtés. Ce sont des émigrés,
donc il était beaucoup plus judicieux de cibler les périodes de
congés, car la plupart d'entre eux qui a un travail fixe dans les
régions d'accueil revient périodiquement au village.
Notre échantillon s'est porté sur une population
de 100 personnes. Par ailleurs, nous n'avons établi aucun critère
pour l'échantillonnage. Il a était question de recenser
l'ensemble des émigrés qui étaient de passage au village
durant la période de notre enquête jusqu'à atteindre le
taux d'échantillon préalablement fixé.
L'enquête proprement dite
Tout d'abord, nous avons élaboré un plan de
sondage pour l'enquête portant sur les émigrés. Cela a
consisté à réaliser une enquête sur deux phases.
Une première phase qui s'est déroulée du
06 août au 30 septembre 2008 qui nous a permis de rencontrer 57
émigrés. Une deuxième et dernière phase qui va du
1er décembre 2008 au 15 février 2009 nous permettant
d'administrer 43 questionnaires.
Ensuite, nous avons élaboré une autre
stratégie d'enquête pour le questionnaire relatif aux
ménages. Il s'agissait, après avoir affecté un quota
à chaque caste et repéré les ménages, de diviser le
village, à l'aide de la structuration des quartiers, en cinq parties.
Ainsi, dans chaque patté de maisons, nous déposions le matin un
ou deux questionnaires pour les récupérer l'après midi.
Cette opération, avec un échantillon de 60 chefs de
ménage, s'est déroulée en février 2009 sur une
période de 10 jours à raison de 6 questionnaires par jour. Parmi
les chefs de ménages enquêtés il y a 57 qui ont un ou
plusieurs émigrés dans leur famille et 3 seulement qui n'en ont
pas. Cependant, les 3 ménages sans émigrés
reçoivent des transferts d'argent de la part de leurs proches mais
à une fréquence irrégulière. Nous avons
délibérément opté de les considérer comme
étant ménage avec des éléments
émigrés.
Enfin, à travers la population de notre
échantillon sur les ménages, nous avons consacré une
rubrique toute entière au décompte de tous les membres de la
famille de l'enquêté, absents du village ou pas. Ce qui nous a
permis de recenser une population totale de 1101 habitants de sexes et
d'âges différents. A l'aide de cette population, nous
22
avons établi des statistiques nous permettant de faire le
rapport entre les absents et les présents selon l'âge et le
sexe.
Les outils de l'enquête
Il s'agissait pour nous de recueillir des données
à la fois qualitatives que quantitatives. Pour se faire, les
questionnaires et le guide d'entretien nous ont permis d'avoir ces
données.
Le questionnaire :
Sur les deux questionnaires que nous avons
élaborés, il était question de chercher des informations
relatives au fonctionnement des ménages, d'une part, et au
déroulement de l'émigration, d'autre part. La population
enquêtée était appelée à répondre
à la fois à des questions ouvertes et fermées.
Le guide d'entretien
Le guide d'entretien était conçu
spécialement pour recueillir les récits de voyage des
émigrés en retraite. Il est structuré car on se permettait
de guider l'interviewé dans son argumentaire en lui donnant les points
saillants sur lesquels il devrait apporter des éclaircissements. Ainsi,
à l'aide d'un dictaphone nous avons enregistré les
discussions.
Traitement des données
Après la phase de collecte, nous avons
procédé au traitement des données. D'abord, il a
été question de dépouiller l'ensemble des données
pour une lecture beaucoup plus simple mais aussi de transcrire les propos des
interviewés, recueillis à l'aide d'un dictaphone, du Pulaar en
français. Les logiciels EXCEL et WORD nous ont permis respectivement de
présenter les données sous forme de tableaux et de graphiques
pour mieux faciliter l'analyse et de rédiger le document final.
Les difficultés rencontrées
Faire une première initiation à la recherche est
difficile mais il l'est encore beaucoup plus quand il s'agit de faire une
recherche chez soi. A notre grande surprise, notre connaissance du milieu et de
ses habitants a joué à notre défaveur. À peine nos
enquêtés répondaient à nos questions. Pour eux, il
était insensé de venir faire des recherches chez soi parce que
nous connaissions déjà les réponses aux différentes
interrogations. Ce qui a constitué un handicap majeur dans la phase
d'enquête.
En plus de cet état de fait, nous avions
rencontré énormément de problèmes pour trouver une
carte en guise de présentation de la localité. Etant
géographe, nous avions voulu élaboré une carte jusque
là inédite de la localité mais notre ambition a
été freinée par le manque de matériel. Nous avons
recherché un GPS durant toute la durée de l'étude mais en
vain. Il en est de même pour la recherche documentaire. Malgré
l'abondance de la littérature sur les migrations, les ouvrages les plus
précis dans ce domaine n'existent presque pas dans les
bibliothèques et dès fois introuvables dans les librairies.
En fin, nous étions confrontés à des
problèmes financiers pour couvrir les dépenses liées
à nos voyages. Les effets conjugués des routes
dégradées et de la cherté du transport ont beaucoup
impacté sur le nombre de voyages que nous avions voulu
effectué.
PRESENTATION GENERALE DU VILLAGE DE WODOBERE
PREMIERE PARTIE
24
CHAPITRE I : Présentation du cadre physique
et humain I. Le cadre physique
I.1.Le site et la situation géographique
I.1.1.Le site
Comme beaucoup de villages se trouvant sur le bourrelet de
berge du fleuve Sénégal, le site de Wodobéré est un
foondé ; il s'agit d'une zone exondée qui longe le lit majeur du
fleuve Sénégal. Néanmoins, c'est un site qui n'est pas
totalement à l'abri des inondations. Pendant les années de hautes
crues, toute la partie Est du village, qui est d'ailleurs parallèle au
fleuve, est sujette aux assauts répétitifs des eaux
I.1.2 : La situation géographique du village de
Wodobéré
Photo 1 : Vue satellitaire du village en période de
hautes crues.
Source : Google earth, 2008
26
Le Damga, province des Halpulaar, se situe dans la moyenne
vallée du fleuve Sénégal. Il est limité au nord par
la province du Nguénaar, à l'Est par la République
Islamique de Mauritanie, à l'ouest par le Ferlo et au sud par la
province du Guilmakh (carte 2). C'est une région qui présente une
certaine homogénéité géographique car, hormis
quelques monticules à Kanel et à Sinthiane, tout le reste de son
territoire est constitué par une vaste plaine alluviale qui longe le
fleuve Sénégal de Dembankané à Garli.
Partie intégrante du Damga, le village de
Wodobéré se trouve à l'extrême nord Est de la
communauté rurale d'Ouro-Sidy, dans l'actuelle circonscription
administrative de Kanel. Au nord de Wodobéré se trouve le village
de Thiemping, au sud le village de Thialy, au nord-est le village de Dolol
Subalo, à l'ouest la ville de Kanel, qui sont respectivement à
3km, 4km, 2km et 9km dudit village.
A l'Est du village, le fleuve Sénégal constitue,
sur une longueur de 5 km, sa limite avec la république Islamique de
Mauritanie. En effet, cette partie est caractérisée par une pente
douce menant vers une dépression constituant une sorte de
défluent du fleuve Sénégal alimenté en eau en
août et en septembre. En période de hautes crues, le village est
quasiment bordé par une immense nappe d'eau de part et d'autre. Toute la
plaine qui le sépare de Kanel est envahie par la crue constituant ainsi
une vaste étendue d'eau d'août à octobre (Photo 1). Cette
situation rend difficile son accessibilité. Pendant cette période
les habitants sont obligés de prendre les pirogues pour rallier la route
nationale n°2 (RN2).
En effet, depuis la construction, en 2005, de la seule piste
en latérite Matam-Balel, la situation des habitants dudit village s'est
beaucoup améliorée. Cette piste a fortement contribué au
désenclavement du village de Wodobéré permettant aux
résidents de rallier la RN2 en passant par Matam. Ainsi, le village est
devenu l'endroit par lequel transite l'ensemble des habitants des villages
environnants. A partir de Hordoldé au sud, tous les habitants des
villages traversés par la piste Matam-Balel transitent par
Wodobéré pour se rendre à Matam, capitale
régionale. En dehors de cette piste, le village est accessible par le
fleuve Sénégal. Les habitants des différents villages
mauritaniens, de Maghama à Yuuman Yiré en passant par Daw,
peuvent le rejoindre tout le long de l'année en traversant le fleuve
à bord de pirogue.
I.2 : Le climat
Source : Agence Nationale de la
Météorologie du Sénégal
Sur toute l'étendue de l'Afrique occidentale,
l'équateur météorologique communément appelé
front intertropical oscille de janvier en août du Golfe de Guinée
au sud de l'Algérie soit une amplitude de 15 à 20 degré.
Ainsi, le village de Wodobéré, avec
28
un climat sahélien, n'est couvert complètement
par l'équateur météorologique qu'au mois d'août.
Cela se traduit par l'existence de deux situations distinctes qui constituent
d'ailleurs les deux saisons de cette partie de l'Afrique.
-la saison sèche :
Pendant cette saison qui va de novembre à juin,
l'anticyclone continental, axé au nord du tropique du cancer, est
soudé à celui des Açores et l'anticyclone de Sainte-
Hélène se place légèrement au dessus du tropique de
capricorne. Cette situation favorise des vents de direction nord-est/ sud-ouest
qui sont de trois types :
- l'alizé maritime continentalisé chaud et sec
plus fréquent est lié à l'existence d'un faible dorsal sur
le continent, ce qui lui confère une direction nord-est et ses
caractéristiques météorologiques altérés.
- l'alizé continental, plus rare, est un vent d'origine
polaire mais son très long parcours terrestre amenuise sa
fraîcheur. Il est de direction nord/est.
Enfin l'harmattan, communément appelé «
Mboyi » par les Halpulaar, est un vent qui règne lorsque
les cellules des Açores et de Libye sont soudées. Il est de
secteur Est ouest, très chaud et très sec à cause de son
long trajet sur le continent. La vitesse des vents est comprise entre 1 et
5m/s. Le ciel est clair et l'amplitude diurne est très forte.
Pendant cette période l'équateur
météorologique se place sur le Golfe de Guinée. Ce qui se
traduit sur le plan pluviométrique par l'absence de
précipitations de novembre à mai dans cette partie septentrionale
du Sénégal (Graphique 1). Il n'y existe que quelques rares traces
ou des pluies de heug. Cette saison est caractérisée par des
températures élevées. Les températures moyennes
mensuelles vont de 24,2° en janvier à 34,8° en mai. Les
températures maximales vont jusqu'à 42,8 en mai alors que les
plus basses des minimales sont enregistrées en janvier avec 15,5°
(Tableau n°1).
Cette situation serait responsable des migrations
saisonnières. L'absence d'activité agricole durant cette
période de l'année serait à l'origine des
déplacements des populations. Ainsi, juste après l'installation
de la saison sèche, les populations de cette contrée du
Sénégal migrent vers les centres urbains du pays et vers Dakar en
particulier.
- La saison humide :
Tableau n°1 : Evolution inter
mensuelle des T° et de Pmm de 1978 à 2008 à la station de
Matam
Descripteurs
|
TX
|
TN
|
TM
|
Pm
|
JAN
|
32,9
|
15,5
|
24,2
|
0,0
|
FEV
|
36,1
|
17,6
|
26,9
|
1,2
|
MAR
|
39,2
|
20,2
|
29,7
|
0,0
|
AVR
|
41,8
|
23,4
|
32,6
|
0,0
|
MAI
|
42,8
|
26,7
|
34,8
|
1,2
|
JUI
|
40,6
|
27,2
|
33,9
|
20,4
|
JULL
|
36,7
|
25,4
|
31,0
|
81,5
|
AOU
|
34,6
|
24,7
|
29,7
|
136,5
|
SEP
|
35,0
|
24,5
|
29,7
|
91,6
|
OCT
|
37,9
|
24,2
|
31,0
|
13,8
|
NOV
|
37,0
|
20,1
|
28,6
|
1,6
|
DEC
|
33,3
|
16,3
|
24,8
|
0,5
|
AN
|
37,3
|
22,2
|
29,7
|
348,5
|
Source : Agence Nationale de la Météorologie
du Sénégal
Elle va de juin à octobre et la région passe du
régime d'alizé au régime de mousson. L'équateur
météorologique connaît sa position la plus septentrionale
en août. Ce quiexplique l'abondance des pluies durant ce mois
avec une moyenne mensuelle de 136,5 au
cours de ces trente dernières années
(Graphique1). Les vents chauds, humides, convergents et instables issus de
Sainte-Hélène deviennent du secteur sud-ouest/nord-est. La
vitesse des vents varie entre 1 et 5m/s. Pendant cette période,
l'anticyclone des Açores est rejeté au nord du tropique du cancer
et Sainte-Hélène est à sa position la plus septentrionale.
Les flux venant de Sainte-Hélène traversent l'équateur
géographique et changent de direction pour devenir la mousson
responsable des précipitations. Néanmoins, la mousson à
elle seule ne suffit pas pour provoquer des pluies. On dit qu'elle est
nécessaire mais, pas suffisante pour qu'il y ait des
précipitations.
En outre, il faut noter que l'essentiel des pluies de la
province du Damga est dû aux lignes de grains. Ces dernières sont
des alignements de cumulonimbus responsables de pluies orageuses très
souvent accompagnées de tonnerres, de poussière et
d'éclairs. C'est
pendant cette période justement que l'on note les
migrations de retour. Les actifs quiétaient à
l'intérieur du pays font leur retour au village pour pratiquer
l'agriculture sous pluies dans le diéri. C'est l'immigration
saisonnière.
En saison pluvieuse les températures sont relativement
basses avec des moyennes mensuelles de 29,7° en août et 31° en
octobre (Tableau n°1). Le Damga est compris entre les isohyètes 300
et 500. La pluviométrie augmente du nord au sud et la moyenne normale de
1978 à 2008 est de 330mm de pluies. Cette situation déficitaire
par rapport au seuil à partir duquel l'agriculture est aléatoire
laisse présager que les populations doivent recourir à des
sources de revenus autres que l'agriculture pour assurer leur maintien. Ainsi,
conscients que la pluie ne garantie plus des rendements suffisants pour leur
subsistance, les actifs se tournent vers l'émigration. Cette
dernière peut se limiter uniquement à l'intérieur du pays,
comme elle peut également aller au-delà des frontières
nationales voire du continent.
I.2 : Les ressources hydriques
Source : Agence Nationale de la météorologie
du Sénégal.
Le Damga, à l'instar de toutes les localités
riveraines du fleuve Sénégal, dispose de ressources hydriques
importantes. Il s'agit du fleuve Sénégal et de ses deux
défluents (le Diamel et le Dioulol) mais également de mares et
marigots qui maillent l'ensemble de son territoire. En plus de ces eaux de
surface, la nappe phréatique accessible entre 25 et 100m de profondeur
et la nappe du Mæstrichtien vers les 300m viennent compléter la
gamme.
30
De la mi-août à octobre tous les bassins de
décantation, constitués pour le cas de Wodobéré par
une aire importante entre le site du village et le fleuve et toutes les terres
qui le séparent de la ville de Kanel, sont submergés par la crue
(Photo n°1). L'importance de
32
celle-ci varie d'une année à une autre parce que
dépendant des apports venant d'amont. Ces apports peuvent
découler des ruissellements de pluies ou provenir directement de
Manantali qui est un barrage régulateur de débit. Dans les
années à pluviométrie importante, toutes les terres
arables sont inondées. A partir de la fin octobre, jusqu'au début
novembre l'eau se retire petit à petit laissant un sol
aéré, bien imbibé, riche en humus et très fertile
pour l'agriculture.
Parallèlement aux ressources fluviales, le village de
Wodobéré bénéficie d'un apport pluvial de 300
à 500mm d'eau par an. Néanmoins, en plus des années de
sécheresse de 1973 et 1984, on assiste à un déficit de la
pluviométrie ces dernières années. A l'exception des
années 1999, 2000 et 2003 le Damga n'a pas enregistré plus de
500mm de pluie par an au cours de trente dernière années
(Graphique2). Partant du constat qu'en deçà de 1000mm de pluies
l'agriculture devient aléatoire, nous pouvons dire que les rendements
sont de plus en plus médiocres dans le Damga. Et la réponse de
l'homme à la péjoration climatique et au manque criard des
produits dérivés de l'agriculture n'est pas la mort mais
plutôt la mobilité.
I.3. : Le sol
L'écosystème de la vallée du fleuve
Sénégal est formé successivement par le falo
(plu. palé) -avec un sol argilo-sableux-, le
foondé (plu. podé) -essentiellement argileux-, le
walo qui est constitué par le kolo?gal avec le
hollaldé -terre argilo-sableuse des cuvettes-, et le
toggeere (plu. Toggé) qui sert de site pour les
populations en période de culture - avec un sol argileux- et en
arrière plan les dunes du diéri qui sont pour l'essentiel argilo
sableuses. Le village de Wodobéré, comme la plupart des
localités du Daande mayo se trouvant sur le bourrelet de berge du fleuve
Sénégal, est sur un fondé. Ce sont tous des sols
hydromorphiques et différentes cultures peuvent y être
pratiquées.
I.4 : La végétation
La particularité de cette partie du pays est la
présence du fleuve Sénégal. La formation
végétale est influencée par les différentes phases
de l'évolution du fleuve. Ainsi, grâce à la crue certaines
espèces ont pu pousser sur les différents sols. Sur le lit majeur
du fleuve la végétation est peuplée par les
mimosacées, asclépiadacées et des rhamnacées.
Sur les terres limoneuses ou argileuses se trouvent le
Zizyphus mauritiania, l'accacia nilotica et accacia seyal et quelques
espèces grégaires. Sur les terres du diéri
(hollaldé), se trouve la savane arbustive claire avec des espèces
adaptées à la sécheresse (feuilles réduites,
épines) telles que les calotropis procera et les balanites aezyptiaca.
Le tapis herbacé discontinu, présent durant l'hivernage, est
composé de graminées annuelles comme cenchrus biflorus.
II : Le cadre humain
II.1. Le village de Wodobéré : des
origines à nos fours
II.1.1. L'historique du peuplement et l'avènement de
l'émigration
Fondé vers 1734 selon la tradition orale par
Déwo Alako Ndiaye, le nom du village de Wodobéré
dériverait du Pulaar « Ina wandi béré »
qui signifie littéralement il y a des nids de poissons. Ainsi,
rattachant le poisson à une catégorie spécifique de la
population,
on en déduit que les Suubalbé sont les premiers
habitants de ce village.
En effet, dès sa création le fondateur fut
confronté à des conflits qui l'opposaient aux habitants des
villages environnants. Parmi ses plus farouches détracteurs il y avait
le nommé Sawa Sadio, un habitant de Thiemping, un village qui se trouve
à quelques 3km au Nord-est de Wodobéré. A l'époque,
ce sont les terres se situant à cheval entre les deux villages et
l'exploitation des eaux poissonneuses qui constituaient le casus belli.
Dominé par son adversaire, Déwo Alako fit appel
à son neveu Yéro Dégo Sow, un guerrier
réputé par son invincibilité et son sens du combat.
Grâce à ce dernier, les deux protagonistes trouvèrent un
consensus et finirent par retrouver la paix. Ainsi, Déwo Alako et son
neveu s'installèrent sur le site appelé Godobel qui est à
quelques encablures de l'emplacement actuel du village. A l'époque le
village était peuplé essentiellement par la
caste des Suubalbé et de Sebbe, Déwo Alako son
chef.
Avec l'instabilité de l'ensemble du royaume du
Tékrour, le village commence à enregistrer petit à petit
ses premiers habitants venus du Tooro. « En dehors de la communauté
des sebbe, Damga et Nguenaar sont le domaine de colonisation (kooddi)
à
partir du Tooro, du Law, des Yirlaabe-Hebbiyaabe, du Booseya et
du Haayre : Ndulumaaji, les trois Dumga, Wuro-soogi, Seedo, Kanel, Sincu
Bamambe, Wodobere,
[...]. »12 Ces habitants apportèrent
avec eux certains attributs de leurs origines. L'existence des quartiers de
mêmes noms tels que Yénaké et de Gouloum aussi bien
à Wodobéré que dans certains villages du
département de Podor est très illustratif. Le peuplement du
village est également consécutif à l'éclatement de
l'empire du Mali et aux vagues migratoires venues du Djolof.
Ces différentes vagues seraient à l'origine du
peuplement du village par les autres
catégories socioprofessionnelles. Ainsi, au fil du
temps, la caste des Se??e devenait beaucoup plus représentative et
prenait les rênes du village au détriment des Suubal?é.
Ils
dirigeaient la vie politique et économique du village.
Ainsi, pendant une longue période la fonction du chef de village
était âprement disputée entre les familles Thioye et Sow
avant de devenir la chasse gardée de la famille Sow.
De son origine aux années soixante, les habitants du
village vivaient essentiellement des ressources tirées des quatre
activités traditionnelles à savoir l'agriculture,
l'élevage, la pêche et la cueillette. A l'époque, les plus
riches étaient ceux qui détenaient plus de terre et par
conséquent plus de ressources dérivées de l'agriculture
comme le mil. L'émigration, interne ou internationale, était
méconnue par les populations durant cette période de leur
histoire.
Le fleuve Sénégal restait le moyen de transport
dominant parce que l'essentiel des déplacements se faisait par la voie
fluviale. La pirogue resta jusqu'à une époque très
récente l'un des rares moyens de transport. Jusqu'aux années deux
mille, elle permettait la liaison entre Matam et Wodobéré,
distants de vingt cinq kilomètres. Par ailleurs, les animaux ont
également joué un rôle de premier plan dans les modes de
déplacements des populations et le plus utilisé à
l'époque fut l'âne. L'apparition des charrettes tirées par
des chevaux sonnait le début d'une révolution dans les modes de
déplacements des populations contemporaines.
Cette période se caractérisait également
par le manque criard des services sociaux de base puisqu'il n'existait ni
école de type occidental, ni structure de santé encore moins de
moyens de communications efficaces. A titre illustratif, les habitants
s'approvisionnaient en eau potable à partir du fleuve et pour
communiquer avec les villages environnants ils se déplaçaient
à d'os d'âne. La seule école qui existait à
l'époque était l'école Coranique.
12 Kane Oumar : La première
hégémonie peule : le Fuuta Tooro de Kolli Tennela à
Almaami Abdul, p204
L'avènement de l'émigration
Jusqu'aux années 1940, 1950 voire 1960, le village
n'avait pas connu de changements importants ni dans sa structuration ni dans
son mode de fonctionnement. Le seul fait marquant était la
création d'un nouveau quartier dénommé HLM. Ce quartier,
qui constituait une extension du village, n'était composé que de
quelques maisons. L'essentiel des matériaux de l'habitation était
en banco. La solidarité, l'entraide et la fraternité
étaient les maîtres mots de la vie communautaire. La
hiérarchisation de la société aidant, les rapports sociaux
étaient conviviaux et permettaient une certaine stabilité.
La deuxième guerre mondiale fut la première
cause de déplacement des populations de ladite localité. Certains
actifs étaient enrôlés dans les rangs des combattants pour
défendre les couleurs de la France. Plusieurs personnes avaient
participé à cette guerre fratricide. Ainsi, l'après guerre
constitua un tournant important dans l'évolution du village, parce qu'au
retour des combattants et d'après leurs récits de voyage, leurs
frères et enfants voulurent découvrir le monde extérieur.
Ainsi, les premières émigrations volontaires commencèrent
à partir de 1953. Depuis lors, le nombre des émigrés ne
cesse d'augmenter.
Cependant, les principales dates marquantes de l'histoire de
l'émigration de cette localité sont 1960 et 1970. La
première date constitue le point de départ de l'émigration
internationale à partir du village. C'est à partir de 1961 plus
précisément que le village a enregistré le premier migrant
vers la France. Toutefois, il existait une émigration intraafricaine de
moindre importance dès 1953. La deuxième date marquante,
c'est-à-dire 1970, coïncidait avec la période de
sécheresse qui avait frappait le monde rural. Les populations qui
étaient frappées de plein fouet par cette sécheresse
adoptèrent la mobilité comme stratégie de survie. Ainsi,
fort de cette contrainte, plusieurs jeunes se retrouvèrent d'abord dans
les régions sénégalaises les moins touchées et par
la suite dans certains pays ouestafricains.
34
Déjà, dès cette période qui
marquait les débuts de l'émigration dans le village, le complexe
des non-émigrés face aux émigrés se faisait sentir
à travers les chansons des jeunes filles. Ceux qui avaient voyagé
bénéficiaient beaucoup plus de considération par rapport
à leurs concitoyens restés au village. Parce que le choix de
voyager, d'affronter le monde extérieur était
considéré comme un acte de courage et de bravoure pour ceux qui
le pratiquaient. En plus de cela, l'émigration avait resté un
vecteur de changement et d'évolution comportementale des populations. De
là, vienne l'engouement de la population actuelle pour
l'émigration qui a très vite pris des proportions importantes
aussi bien par le nombre de candidats aux départs que par les
réalisations découlant directement des ses
retombées. Car, juste après le retour des premiers
émigrés l'on commençait à noter des changements
dans les comportements des habitants et dans la vie communautaire.
Aujourd'hui, en plus de l'école
élémentaire construite en 1962, le village de
Wodobéré dispose d'une deuxième Ecole
élémentaire ouverte en 2008, d'un Collège d'Enseignement
Moyen (CEM) inauguré en 2006, d'un Bureau de poste en 1991, d'un
château d'eau, d'une maternité et d'un Poste de santé
opérationnel depuis 2006.
Grâce aux émigrés, nonobstant l'absence de
l'action de l'Etat, dans ce petit village de 3873 habitants, les habitants ont
accès à l'éducation, à l'internet, à
l'électricité, à l'eau potable, aux outils de
télécommunication pour ne citer que cela. A travers leurs
différentes associations et par le biais des transferts de fonds, les
émigrés ont permis la réalisation des ouvrages dans le
domaine de l'éducation et de la santé par exemple. Le
développement de cette partie fera l'objet d'un chapitre dans ce
mémoire.
II.1.2. La structuration du village
Le village se composait à l'origine de deux quartiers,
Yénaké et Gouloum. Aujourd'hui, avec l'accroissement de la
population, de nouveaux quartiers ont vu le jour. Il s'agit du quartier des HLM
créé vers 1970, du quartier Bassoudji qui a vu le jour lors des
évènements Sénégalo-mauritaniens de 1989 et celui
de Dow Koddé récemment créé. Si dans les quartiers
Yénaké, Gouloum et HLM on trouve toutes les couches sociales,
ceux de Dow Koddé et Bassoudji sont habités respectivement par
des familles qui ont en leurs seins des émigrés et des
refugiés de 1989. Le quartier Dow Koddé se reconnait par la forte
présence des bâtiments en dur alors que Bassoudji est
essentiellement en banco ou en paille. Néanmoins, dans tous les
quartiers il existe des émigrés et on note une hausse
substantielle du niveau de vie.
En effet, il est unanime que l'action des
émigrés n'est au détriment d'aucun quartier car la plupart
des réalisations est d'ordre social et religieux, donc
bénéfique à l'ensemble de la communauté
villageoise. << La gestion collective des transferts migratoires a un
impact beaucoup plus direct et déterminant sur l'économie locale
et régionale que les actions entreprises individuellement ou au niveau
des ménages»13. Les émigrés investissent
souvent dans des secteurs à intérêt collectif.
13 Lanly Guillaume : << Les associations
d'immigrés et le développement du lieu d'origine : l'exemple de
deux communautés rurales de l'Etat de Oaxaca », p2
II.2 : Les aspects démographiques
actuels
La population totale de la communauté rurale
d'Ouro-Sidy s'élève à 301165 habitants répartis
dans 43 villages administratifs. Wodobéré, avec 3873 âmes,
est le village le plus peuplé, loin devant le chef-lieu de
communauté rurale, 1658 habitants. Le village de Wodobéré
est aujourd'hui le plus peuplé de cette communauté rurale. Il se
caractérise en effet, à l'instar de la population
sénégalaise, par la jeunesse de sa population et la forte
présence des femmes.
II.2.1. La répartition de la population selon le sexe
Avec un taux d'accroissement naturel de 3,7%14 par
an, le village de Wodobéré est marqué par une forte
présence des femmes. Il n'existe que 68 hommes pour 100 femmes (Tableau
n°2). Cette prédominance des femmes est le résultat de
plusieurs facteurs. Il s'agit de facteurs naturels tels que la
mortalité, plus élevée chez les hommes que chez les
femmes, mais aussi des facteurs anthropiques comme l'émigration
sélective.
En effet, les hommes sont très tôt
confrontés à la précarité et aux dures conditions
de vie. Outre les pénibles travaux, ils sont exposés à la
drogue, à la cigarette et autres pratiques qui sont à l'origine
des maladies telles que le Sida ou le cancer. Cette exposition aux maladies
dues à la mobilité des hommes combinées aux efforts
incommensurables qu'ils fournissent pour assouvir les besoins de leurs familles
est la cause d'une mortalité masculine plus élevée. La
prédominance des femmes sur les hommes est aussi une conséquence
de l'émigration sélective puisque dans cette partie du
Sénégal, avec une société inégalitaire et
très hiérarchisée, l'homme est le maître et le
garant de sa famille. Il est non seulement le protecteur physique et moral de
la famille mais aussi il doit assurer sa survie au quotidien.
Ainsi, durant ces dernières décennies, avec une
pluviométrie déficitaire et des sècheresses
épisodiques, les productions agricoles sont devenues très
médiocres et ne parviennent plus à couvrir les besoins des
paysans. Pour diversifier leurs ressources et assurer la survie de leur
famille, les hommes ont adopté l'émigration comme
stratégie. Cette dernière ponctionne plusieurs villages de leurs
hommes. Ce qui se traduit sur le plan démographique par une absence des
hommes et particulièrement de la population active.
36
14 D'après les sources de l'Agence Nationale de
la Démographie et des Statistiques.
Tableau 2 : Répartition de la
population résidente de Wodobéré selon l'âge et le
sexe
Sexe Ages
|
Féminin
|
Masculin
|
Total
|
RM
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
|
00-19
|
166
|
35,32
|
177
|
55,14
|
343
|
43,37
|
106
|
20-64
|
261
|
55,53
|
114
|
35,51
|
375
|
47,4
|
55
|
65 +
|
43
|
9,15
|
30
|
9,35
|
73
|
9,23
|
69
|
Total
|
470
|
100
|
321
|
100
|
791
|
100
|
68
|
Source : Enquêtes de terrain, 2008
II.2.2: La répartition de la population selon
l'âge
L'analyse de la situation actuelle de la structure par
âge révèle qu'à l'image de la population
sénégalaise, la population de Wodobéré est
caractérisée par la prédominance des jeunes et des femmes.
Si dans le tableau ci-dessus la classe d'âge des actifs est plus
importante, cela est dû uniquement à la
prépondérance des femmes de 20 à 64 ans. Elles
représentent 55,53% contre seulement 35,51% d'actifs. Les jeunes de
moins de vingt ans engrangent à eux seuls 43,37% de la population
résidente. Les vieux de plus de soixante cinq ans représentent
9,23% (Tableau 2).
La forte présence des jeunes, due à la forte
natalité résultante du chômage et de l'oisiveté des
hommes, va multiplier les problèmes d'accès à
l'éducation et à la santé. Même si des mesures
d'accompagnement telles que la multiplication des écoles et des
collèges sont amorcées ça et là, il n'en demeure
pas moins qu'il se pose avec acuité l'épineuse question de
l'accès à l'emploi.
En effet, partant de l'idée qu'au delà de 7% de
vieux la population est vieillissante, nous pouvons affirmer que la structure
par âge de la population de Wodobéré est marquée par
la prépondérance des personnes âgées. D'ici 20 ans
il n'y aura que 4 actifs pour chaque personne âgée de 60 ans et
plus si des politiques démographiques et d'appropriation du milieu par
les jeunes ne sont pas instaurées dans cette localité. Ce
vieillissement de la population n'est pas sans conséquences. Il se
traduit par des surplus du coût de la santé et par le
délaissement des activités agricoles.
Enfin, le faible taux des hommes actifs de la classe
d'âge 20-64 est dû à l'émigration. Cette
dernière concerne essentiellement les hommes âgés de vingt
ans et plus. Très tôt, les jeunes actifs se tournent vers la
recherche du numéraire au détriment de l'agriculture devenue pour
eux une activité vétuste et non rentable.
38
CHAPITRE II: Les caractéristiques sociales et
économiques de Wodobéré
I : L'organisation sociale
Selon le sociologue Emile Durkheim « les
différents types d'organisation sociale s'expliquent par la
différenciation sociale ou par la division du travail
>>15. Dans de nombreuses communautés ouest africaines
cette assertion s'illustre par une stratification de la société.
Une stratification qui est basée, d'une part, sur la division du travail
et d'autre part, sur la différenciation sociale. Et « cette
société divisée en lignages était fortement
hiérarchisée, légitimant des relations de subordination
entre une classe libre et une classe non libre >>16. Ainsi,
à l'instar de l'ensemble de la société Halpulaar, la
communauté de
Wodobéré est organisée en castes. Elle
est principalement composée de la caste Se??e 54%, les Macuu?e 20%, les
Suubal?é 7%, les Tooro?e 6% etc.
I.1 : La stratification de la
société
A Wodobéré comme partout ailleurs dans le Fouta,
la société était organisée de telle sorte qu'il
existait et il en existe encore des relations de dépendance et de
subordination entre les différentes classes. Ce qui conférait
à certaines classes le privilège de régir la vie
politique, économique, sociale et culturelle de leur communauté.
En effet, au village de Wodobéré la stratification de la
société ne répond pas à l'ordre habituel de
catégorisation
des castes qui mettait les Tooro?e en première classe.
Nonobstant les ramifications survenues ces dernières
décennies, dues à l'évolution des mentalités et
à l'émancipation des classes considérées
inférieures, il n'en demeure pas moins que la hiérarchie sociale
traditionnelle est toujours de mise. Ainsi, trois grands
groupes sont répertoriés dans le village de
Wodobéré: les Riim?e constitués pas les Tooro?e, les
Se??e, les Suubal?é et les Riim?e fuul?é ; le groupe des nyeeny?e
constitué par les fecciram gollé èn (gens de
métiers) et les Awlu?e (généalogistes, griots) et en fin
les Macuu?e qui sont d'anciens esclaves descendants de captifs.
15 Microsoft ® Encarta ® 2008
16 Barry Boubacar: Le royaume du walo : le
Sénégal avant la conquête, p88
I.1.1 : Les libres/ nobles ou Riimbe
C'est le groupe qui dispose de pouvoirs politiques et
économiques et incarne l'honneur et le prestige. Il détient la
quasi-totalité des terres et constitue le groupe dominant
numériquement. Néanmoins, il est subdivisé en groupes
statutaires que nous allons décrire ci-dessous selon le rang social.
> Les Sebbe
Contrairement à ce qui existe dans de nombreux villages
du Fouta, les Sebbe de
Wodobéré, constitués essentiellement par
la lignée des Mboonnabé, sont en première
loge en ce qui concerne le rang social. Si ce groupe se singularisait
à l'origine par son manque
d'attachement à l'Islam, il est constitué
aujourd'hui au même titre que les Toorobe de musulmans pratiquants. Les
fonctions d'Imam et de chef du village restent d'ailleurs strictement sa chasse
gardée. Ils détiennent le monopole de la vie politique et sociale
et occupent plus de 45% (Graphique n°3) des terres du walo et du
diéri. Ce qui leur a valu le nom jaagaraf (propriétaires
terriens) Ils pratiquent l'agriculture, l'élevage domestique et
participent activement à la formation et à l'éducation
religieuse.
> Les Toorobe
Ce groupe social, apparu au Fouta entre le IX et le
XIème siècle, est constitué par la classe maraboutique. A
l'instar des Sebbe, le groupe des Toorobe fait parti de la première
classe sociale des Riimbe. Les Toorobe, comme partout
ailleurs, sont des érudits en sciences Coraniques et le plus souvent
adeptes de Cheikh Oumar Tall. Ils pratiquent l'agriculture et l'élevage
domestique mais ne contrôlent que moins de 5% des terres du walo et du
diéri. Ils sont numériquement moins représentés
dans ce village.
> Les Suubalbé
Maîtres des eaux, ils se caractérisent par leur
sens de l'honneur. Ils vivent de l'agriculture et de l'élevage
même si leur activité principale reste la pêche. Ils
profitent de leur alliance avec les deux premières classes et
entretiennent des relations de
complémentarité avec ces dernières. Les
Suubalbé constituent avec les Sebbe les pères fondateurs du
village de Wodobéré. En effet, même s'ils sont moins
nombreux que les Sebbe et les Macuube ce groupe possède à lui
seul 35% des terres du diéri et du walo.
40
> Les fuul?é
Leur arrivée à Wodobéré remonte
aux événements de 1989. Les habitations des foul?é sont
majoritairement en paille. Ils ne participent pas à la vie politique du
village.
Ce qui explique leur absence dans la gestion du village et
leur faible patrimoine foncier qui est moins de 3%. Ils sont des
éleveurs semi-sédentaires voire transhumants mais pratiquent en
même temps l'agriculture.
I.1.2 : Les dépendants/
Nyeeny?e
Ce sont essentiellement les artisans castés
c'est-à-dire la catégorie socioprofessionnelle des forgerons, des
tisserands, des cordonniers, des bûcherons, les bijoutiers et des
laudateurs (griots). Ils entretiennent une relation de dépendance avec
les nobles. En effet, même si cette relation de dépendance tend
à disparaître, les nobles sont censés leur apporter aide et
assistance. Les dépendants n'ont accès qu'aux terres qui n'ont
pas trop de valeur parce que rarement inondées et ne pratiquent que
très rarement l'agriculture.
> Wahil?é
Très convoités pendant les temps de guerres
à cause de leur génie dans le
maniement du fer, les Wahil?é de nos jours sont pour la
plupart du temps spécialistes de la parure et du matériel
agricole. Ils possèdent 2% des terres. En effet, il existe deux types de
Wahil?é à Wodobéré :
-Wahil?é m?aléri
(spécialistes du fer) sont les forgerons. Ils assurent la
fabrication des instruments nécessaires à la production agricole
tel que les dabas, les sarclettes mais ils pratiquent également
l'agriculture et l'élevage de subsistance.
-Wahil?é ndaneeri sont ceux qu'on appelle
bijoutiers. Ils sont les seuls spécialistes de la
parure en or et en argent. Ils sont éleveurs et
agriculteurs. En effet, avec le bouleversement de l'hiérarchie sociale
pré-établie par l'économie marchande, toutes ces
activités tendent à disparaître et d'être de plus en
plus remplacées par les transferts migratoires.
> Sakkee?é
C'est la caste des cordonniers. Ils sont arrivés
tardivement au village de Wodobéré. Leur activité
principale est la cordonnerie mais ils pratiquent l'agriculture et
l'élevage de subsistance. Ils ne possèdent que 2% des terres du
diéri et du walo confondus et ne représentent qu'une
minorité de la population.
> Law?e/ Bûcherons Ils sont de deux types :
Law?e lana (spécialiste du bois) et Law?e
woorwor?é (spécialiste de la technologie domestique). Les Law?e
lana sont ceux qui construisent les pirogues et détiennent des
connaissances relatives au bois alors que les Lawbe woorwor?é sont
plutôt doués dans la fabrication des ustensiles. Comme la plupart
des membres de la catégorie nyeeny?e les
law?e n'occupent qu'un faible patrimoine foncier avec seulement
2% des terres. Ils sont des agriculteurs et des éleveurs mais moins
représentatifs dans le du village.
> Awlu?e/ griots
Naguère derrière les guerriers pour chanter leurs
louanges et les inciter au
combattant, les Awlu?e sont aujourd'hui les maîtres de
la parole, défenseurs des valeurs ancestrales et gardiens de la
mémoire collective. Avec 2% des terres du diéri et du walo, ils
pratiquent rarement l'agriculture mais font de l'élevage de subsistance.
Ils se caractérisent par leur attachement à leurs traditions et
ils ne s'impliquent presque pas dans l'orientation de la vie villageoise.
I.1.3 : Les serviles/ descendants de captifs ou Macuu?e
Ce sont les descendants d'anciens esclaves et des captifs de
guerres provenant des razzias. Dans la hiérarchie traditionnelle, ils
étaient sous la tutelle des nobles et selon les cas, ils entretenaient
des relations de servitude et/ou de subordination à ces derniers s'ils
ne sont pas des affranchis.
Aujourd'hui, avec l'émancipation facilitée par le
pouvoir de l'argent ces
considérations ont tendance à disparaître.
En effet, à Wodobéré les Macuu?e sont au coeur des
décisions et d'ailleurs très représentatifs. Ils
détiennent moins de 4% des terres, qui
42
sont souvent très mal placées par rapport à
la crue. Les Macuube n'ont pas d'activité socioprofessionnelle mais
effectuent celles de leurs anciens maîtres.
I.2 : L'accès à la
terre
Parler de l'accès à la terre reviendrait à
faire l'économie de ce qui a été dit sur le
système de castes. Il s'agit de la mainmise des Riimbe
sur la quasi-totalité des bonnes terres (Graphique n°3). Cela
est d'autan plus vrai que les terres qui ont plus de valeur sont
détenues par les Toorobe, les Sebbe et les
Suubalbé.
La structuration de la société étant rigide
et figée, les alliances entre certaines castes
sont proscrites. Autrement dit, les Nyeenybe, Awlube et
Macuube, considérés comme de castes
inférieures, ne peuvent pas contracter des mariages avec les Riimbe qui
sont les propriétaires terriens. Ce qui fait qu'ils ne peuvent pas
bénéficier des terres par alignement
à certaines familles de ce groupe des Riimbe.
La transmission des droits fonciers étant
héréditaire, on assiste à une conservation
générationnelle des bonnes terres par les
mêmes lignées. Ainsi, les Nyeenybe et les
Macuube sont obligés d'emprunter (lubal) ou de
prendre en métayage (rem-pecceen) surtout les terres du walo pour
pratiquer l'agriculture. Il en est de même pour les palé,
objet de vives convoitises.
Source : Enquête de terrain, 2008
II : Les activités économiques II.1 :
L'agriculture
Dans toute la région de Damga on distingue deux types
de cultures principales : la culture en milieu diéri et la culture en
milieu walo. Mais, selon les villages, à ces deux types de cultures sont
associées des cultures maraîchères ou/et avec les
aménagements hydro-agricoles des cultures irriguées entre les
saisons. En ce qui concerne le village de Wodobéré, il est
pratiqué la culture de sous pluies, la culture de décrue en
milieu walo et les cultures dans les palé (sing.
falo).
Le casier agricole de 125hectares, dénommé Dolol
Wodobéré, mis en place avec l'appui de la SAED tarde à
démarrer. Selon les représentants de la SAED, les villageois
refusent d'exploiter ce casier parce qu'ils jugent le nombre de parcelles
disponibles très en deçà de celui qui était
préalablement prévu. Ceci, parce que les premières
études techniques avaient montré qu'il existe 240 hectares
potentiels qui pourraient être exploités. Mais, après une
étude approfondie par des ingénieurs agronomes, seuls 125
hectares
44
pourraient faire l'objet d'un casier agricole. Ce qui n'est
pas de l'avis des villageois. Ces derniers arguent qu'un détournement de
fonds destinés à la réalisation du casier par les
représentants de la SAED serait à l'origine de cet écart.
Il en résulte une résignation des représentants de la SAED
qui attendent un changement d'avis chez la population pour continuer les
travaux.
Par ailleurs, à défaut d'une mise en
exploitation du casier, les digues et diguettes ainsi que le dispositif de
canalisation continuent d'être érodés par les eaux de
ruissellement des pluies. Ce qui constitue une perte financière pour
l'Etat et une perte économique pour les populations.
II.1.1 : L'agriculture en milieu diéri
Sur un sol sablo-argileux et avec une pluviométrie
très aléatoire, entre 300 et 500mm de pluie par an, le
diéri est le domaine des cultures sous pluies par excellence. C'est une
agriculture de subsistance qui ne nécessite pas une très grande
force de travail. Les espèces cultivées sont le petit mil ou mil
pénicillaire (pennisetum), le haricot, du gombo (abelmochus aesculentus)
et de l'oseille (hibuscus sabdarifa).
En effet, depuis quatre décennies on assiste à
une baisse de la pluviométrie. Il s'en est suivi une baisse notoire de
la production du mil. Cette tendance à la baisse des productions
décourage les populations locales qui ne parviennent plus à tirer
leur profit de l'agriculture qui demande d'ailleurs des efforts
considérables. Ce qui les pousserait à être beaucoup plus
mobiles avant que la disette ne s'installe.
II.1.2 : L'agriculture en milieu walo
Le walo ou kolaade (sing. Koologal)
représente les cuvettes de décantation qui sont recouvertes par
les eaux de crue durant la saison des pluies. Ces cuvettes sont inondées
de quelques semaines pendant les années de faibles crues et de un
à trois mois pendant les années de fortes crues. Pendant les
années de hautes crues, les eaux se retirent petit à petit
à partir du mois d'octobre et laissent apparaître un sol
hydromorphique imbibé constitué d'argile.
Le walo est le domaine des cultures du sorgho (sorghum), du
niébé et de courges. L'importance de sa mise en culture
dépend de trois éléments essentiels à savoir le
niveau de la crue, sa durée et la pugnacité des cultivateurs
parce que c'est un travail qui nécessite souvent un effort humain
considérable.
En outre, bien avant le démarrage des cultures du walo,
sur les flancs convexes du méandre les agriculteurs investissent les
pale (berges du fleuve). Ce sont les cultures de berges et du lit majeur
du fleuve mais également de certains mares et marigots sur un sol
limoneux. Dans ces différents endroits se cultivent du
niébé, de la pastèque, du maïs, de la tomate cerise,
de calebasses, de courgettes et surtout de la patate douce.
II.2 : L'élevage
Même si l'élevage est l'apanage des
fuul?é, il n'existe pratiquement pas de concession qui ne compte pas
à son sein du bétail. C'est un élevage extensif,
sédentaire avec des bergers communautaires qui dirigent les animaux
quotidiennement vers les pâturages qui coexistent avec l'élevage
transhumant, pratiqué par les fuul?é. Ainsi, il n'est pas
générateur de revenus car ni les animaux ni leurs produits
dérivés ne sont commercialisés à grande
échelle. Il s'agit généralement du petit bétail
à savoir des ovins, des caprins et des camélidés. C'est un
élevage de subsistance. Les rares boeufs sont confiés à
des bergers qui se trouveraient dans le Ferlo ou en Mauritanie.
L'élevage fournit essentiellement du lait, du beurre et
en quantité moindre de la viande. Le lait est vendu par des femmes alors
que la viande fait l'objet de la boucherie. Cette viande n'est consommée
qu'à l'occasion des grandes fêtes telles que les mariages, les
fêtes religieuses ou lorsque l'on reçoit des hôtes de grand
honneur. L'élevage sert aussi à fertiliser les sols. Le fumier
constitue un véritable engrais pour les agriculteurs.
En effet, l'élevage n'est pas que
bénéfique pour les populations. La divagation des animaux est
souvent source de conflits entre éleveurs et agriculteurs. Sur le plan
de l'environnement l'élevage entraine la désertification et la
dégradation des sols. Le piétinement du sol par les sabots
provoque la destruction de la croute. L'émondage et l'élagage des
arbres empêchent une régénération des
végétaux et contribuent à la désertification.
II.3 : La pêche
C'est une pêche continentale de type artisanal
pratiquée, pour ce qui est du village de Wodobéré, par les
Suubal?é. Pendant la décrue ces pécheurs mettent leurs
palissades pour capturer des poissons dans les regards des défluents et
en saison des pluies ils retournent vers les marigots et vers le fleuve. Les
outils de pêche utilisés sont rudimentaires ; ce qui se traduit
par un faible prélèvement de poisson.
L'insuffisance des pluies tombées entre 1969 et 1974 et
en 1984 en plus d'une crue très déficitaire, conséquente
de la construction d'un barrage à Manantali, s'est traduite par la
rareté du poisson. Ainsi, à l'instar des autres secteurs
d'activité traditionnelle, cette pêche qui n'assure plus à
ses pratiquants le minimum nécessaire, a également beaucoup
souffert du faible débit du fleuve et de l'insuffisance des pluies. Ce
qui constitue un motif valable pour que la catégorie
socioprofessionnelle des pêcheurs s'active dans d'autres secteurs
beaucoup plus lucratifs.
II.4 : Le commerce et l'artisanat
II.4.1 : Le commerce
Le commerce est très diversifié dans le village
de Wodobéré. Mais il n'existe pratiquement que de petits
commerçants. C'est un commerce tourné essentiellement vers
l'alimentation et l'habillement. Il est pratiqué par tous les groupes
statutaires et donc n'est l'apanage d'aucune caste. En effet, le commerce ne
peut fleurir que si la chaîne de distribution est bien structurée.
Mais, ce que l'on constate à Wodobéré, c'est qu'il
n'existe pas de grands magasins pourvoyeurs de marchandises aux petites
boutiques. Les commerçants sont obligés de se rendre à
Ourossogui, qui se trouve à plus de trente quatre kilomètres,
pour s'approvisionner.
Si la construction récente d'une piste de
désenclavement en latérite entre Matam et Balel a facilité
les déplacements, les commerçants sont toujours confrontés
à la cherté du transport des marchandises. Il n'existe aucune
réglementation et les transporteurs modulent les tarifs à leur
guise. Ainsi, les prix des denrées reviennent plus chers aux
consommateurs.
II.4.2 : L'artisanat
Dans cette partie du Sénégal l'artisanat est
caractérisé par une certaine désorganisation. Il est
informel et non structuré parce qu'il n'existe aucune forme de
regroupement des artisans. C'est un artisanat de subsistance. Tous les secteurs
de l'artisanat sont marqués par la précarité des
conditions de travail, la vétusté des matériaux de
production, mais aussi par le sous emploi. Les artisans sont très mal
équipés et ne disposent que d'outils très rudimentaires.
Cela se répercute sur la qualité et sur la quantité de
leurs productions.
46
Devant faire vivre plusieurs acteurs et nécessitant des
efforts considérables, les produits artisanaux qu'ils livrent reviennent
plus chers. Ce qui se traduit par la dévalorisation et le
désintéressement de l'artisanat par les populations. Ces
dernières, trouvant les produits de l'artisanat plus chers, se tournent
vers les produits manufacturés et
bon marché. C'est ainsi dire que << les articles
produits par les artisans locaux revenant plus chers, il s'en est suivi la
ruine des métiers traditionnels et le départ vers
l'étranger pour beaucoup de ces travailleurs manuels
>>17. Cette rude concurrence de l'artisanat par les produits
manufacturés a finit par assommer les acteurs de l'artisanat qui se sont
dorénavant ponctionnés par l'émigration. Cette
dernière est, selon eux, beaucoup plus lucrative que l'artisanat. Ainsi,
il n'est pas rare de voir des bijoutiers et autres forgeons emprunter les
couloirs migratoires.
17 Kane Ahmadou: << Les migrations
contemporaines internationales à partir du département de Matam
>>, p278
DEUXIEME PARTIE
LES FACTEURS FONDAMENTAUX ET LE DEROULEMENT DE
L'EMIGRATION
48
CHAPITRE I : Les facteurs fondamentaux de
l'émigration
Le village de Wodobéré, à l'image du
Damga, est habité par une population avec une tradition de migration
très ancrée. Plusieurs phases d'immigration et
d'émigration ont jalonné l'histoire de sa population. En effet,
les facteurs qui déterminent les motifs des émigrés
diffèrent d'une époque à une autre. Ce sont tantôt
des facteurs structurels, tantôt des facteurs conjoncturels mais aussi
des facteurs socioéconomiques liés à l'ancienneté
de l'émigration à partir de cette contrée du
Sénégal.
I : Les facteurs structurels
Plusieurs types de facteurs structurels déterminent le
choix des émigrés dans le Damga en général et
à Wodobéré en particulier. Ce sont des facteurs d'ordre
historique mais également d'ordre socioculturel. Ils relèvent de
la pénétration coloniale, des troubles religieux qui avaient lieu
à l'époque dans le Fouta mais aussi de la structuration et du
mode de fonctionnement de la société.
I.1 : Les facteurs historiques de l'émigration
dans la vallée du fleuve Sénégal
L'histoire nous enseigne que les habitants de cette partie du
Sénégal seraient confrontés très tôt à
des mouvements religieux à savoir la pénétration de
l'Islam. <<Ces mouvements religieux ont atteint leur apogée avec
le fergo umarien qui a ponctionné des villages entiers de ces
habitants >>18. Les Halpulaar, étant les premiers
à épouser les recommandations Islamiques, ont, dans le cadre
du fergo d'El Hadji Oumar Tall, migré vers d'autres
contrées ouest africaines.
L'éparpillement des mêmes familles Peuls au Mali,
au Niger, au Nigeria, en Mauritanie, en Guinée Bissau et au
Sénégal est une explication tangible des déplacements des
riverains du fleuve Sénégal vers ces pays. Il est aujourd'hui
admis que dans le cadre du djihad, El hadji Oumar Tall, conscient de la
disproportion de ses forces et celles de la puissance coloniale, ordonnait ses
nouveaux disciples << de migrer vers des régions où ils
pourraient exercer les perceptions de l'Islam librement
>>19.
Ce prosélytisme religieux a été un
facteur très important de l'émigration des habitants du Fouta en
générale pendant cette période de l'histoire. C'est ce qui
amène Lericollais à affirmer que << l'exode des Toucouleur
et des Peuls au temps d'El hadj Omar
18 Bâ Cheikh Oumar: Dynamiques migratoires
et changements sociaux au sein des relations de genre et des rapports
jeunes/vieux des originaires de la moyenne vallée du fleuve
Sénégal, p6
19 Bâ Cheikh Oumar: Ibid, p45
50
Tall, 70 ans après l'établissement de la
théocratie musulmane dans le Fouta-Tooro, traduit le refus de la
domination coloniale >>20. Ainsi, s'expliquaient les
mouvements de populations à l'époque. Ces stigmates historiques
confèrent à la population du Damga une tradition migratoire
très ancrée.
Le peuplement du Fouta en général est
étroitement lié aux vagues migratoires tous azimutes des wolofs,
des maures, des peuls, des soninkés etc. Selon certains traditionnistes
la sécheresse dans le sahel aurait contraint la population de migrer
vers le sud et le sud-est. On rattache le peuplement du Fouta aux migrations
des soninké du Wagadu, ancien royaume du Ghana. « Le peuplement de
l'Afrique occidentale résulte donc, d'un long processus qui, à la
suite de la désertification du Sahara, a conduit les populations de
végéculteurs, de pêcheurs et de pasteurs vers le sud
où elles suivent la migration de l'isohyète 400m/m
>>21. Ainsi, oppression politiques et contraintes naturelles
se traduisent par des déplacements de populations du Fouta vers les
régions où elles peuvent vivre librement. Les flux inverses sont
caractérisés par les vagues migratoires de soninké, «
qui étaient des commerçants en relation avec le Tekrur
>>22.
L'autre aspect historique de l'émigration dans le Damga
est celui des exigences coloniales. Même si cette partie du
Sénégal était moins touchée par le commerce
transsaharien, les colons avaient instauré un système de
navétanat mais également de recrutement musclé de
travailleurs pour la culture de l'arachide dans le centre du
Sénégal. Ainsi, « vers 1860, le transfert du pôle
économique de la vallée du fleuve Sénégal vers les
campagnes du centre-ouest du pays >>23 s'accompagne par la
migration de la main d'oeuvre c'est-à-dire les forces vives de cette
partie du Sénégal.
Avec le commerce atlantique, les mêmes ponctions de
populations par les colons sont notées. C'est ce que le professeur
Abdoulaye Bathily appelle l' « hémorragie démographique
>>. Des années durant au Damga et partout ailleurs au Fouta les
colons procédaient à des recrutements massifs de la population
locale. En effet, même si l'histoire spécifique du village de
Wodobéré est antérieure à cette période,
nous notons la continuité des peuples parce qu'il est certain que le
peuplement de ce village a été facilité par les vagues
migratoires venues de l'ensemble du Fouta. Par ailleurs, les mêmes
habitudes peuvent se retrouver dans la population contemporaine.
20 Lericollais André : Peuplement et
migration dans la vallée du Sénégal, p128
21 Kane Oumar : Op.cit., p120
22 Kane Oumar : ibid., p64
23 Bâ Cheikh Oumar: Op. cit., p49
Les effets conjugués de tous ces paramètres
confèrent à la population du Fouta en général une
tradition de migration très ancienne.
I.2 : La réussite par l'émigration : un
modèle pour la jeunesse
Face au manque d'activités lucratives << les
revenus de la population active masculine exploitée à
l'extérieur, sont l'une des ressources de la circulation
monétaire »24. Autrement dit, il n'existait pratiquement
pas d'activités génératrices de revenus susceptibles de
porter l'intérêt des jeunes dans le Damga en général
et à Wodobéré en particulier. L'essentiel du
numéraire dont dispose la population locale viendrait de
l'émigration. En guise d'illustration, la quasi-totalité des
familles de Wodobéré n'ayant pas à leurs seins un
émigré n'arrive qu'avec beaucoup de peine à joindre les
deux bouts.
Par contre, les expatriés réalisent en des temps
records des investissements allant de l'immobilier au petit commerce en passant
par le transport. Les plus prétentieux affichent ostensiblement leur
richesse. A leur retour au village, ils roulent dans de luxueuses voitures,
habitent dans les plus belles villas aussi bien au village qu'en ville. Ce qui
fait de l'émigration, aux yeux de la jeunesse qui est restée au
bercail, une opportunité à saisir pour trouver rapidement une
situation sociale et s'émanciper, d'une part, par rapport aux
aînés et, d'autre part, par rapport aux représentations
sociales préétablies. Car, il n'est pas rare aujourd'hui, de voir
les jeunes émigrés fouler au pied la division sociale qui
était naguère rigide et très stricte.
Ainsi, nous sommes arrivés à un stade où
la réussite par l'émigration est devenue un modèle que
tout jeune rêve d'atteindre. << Ma Kalé ma Bordeaux
», << Barça ou barsakh » respectivement la
mort ou Bordeaux en Sarakolé et Barça ou la mort en Wolof
traduisent fidèlement la détermination d'une jeunesse à
bout de son souffle dont les constituants veulent émigrer au prix de
leur vie. L'émigration est devenue un luxe pour les jeunes de
Wodobéré. À leurs yeux il n'existe aucune chance de
réussir autre que l'émigration.
II : Les facteurs conjoncturels
Les facteurs conjoncturels sont relatifs à la
structuration actuelle de l'économie des Etats en voie de
développement. Une économie marquée par des perturbations
climatiques.
24 Lericollais André : Op.cit.,
p124
52
II.1 : La chute des productions
agricoles
Les sécheresses cycliques des années soixante
dix combinées au désintéressement de la population
à l'agriculture sont devenus aujourd'hui des facteurs provoquant de
mauvaises productions. Durant ces trente dernières années la
pluviométrie de cette partie du Sénégal n'a jamais atteint
les 800mm de pluies. Le pic des pluies remonte en 2000 avec seulement 600mm de
pluie. En plus de cette pluviométrie déficitaire, le barrage de
Manantali en amont du fleuve Sénégal, avec un système de
régulation qui ne prend pas en compte les attentes des agriculteurs,
vient perturber le cours naturel des crues. Selon les agriculteurs la
période des crues est soit précoce, soit tardive, et cela se
répercute sur le calendrier cultural. Cette situation défavorable
à la pratique de l'agriculture est à l'origine des mauvaises
récoltes enregistrées par les cultivateurs. Ainsi, 41,66% de la
population de Wodobéré n'a récolté qu'entre 30 et
60kg de mil au cours de l'année 2008 (Tableau n°3).
Par ailleurs, la chute des productions agricoles n'est pas
liée exclusivement aux conditions climatiques. Elle est également
déterminée par la faiblesse de la force du travail. Les villages
étant ponctionnés de leurs actifs par l'émigration, les
chefs de familles ne parviennent plus à trouver la main d'oeuvre
nécessaire aux pratiques culturales. Cela se traduit par une baisse des
surfaces mises en valeur et par une nouvelle forme de pratique. Soit, ils
cultivent de petites parcelles proportionnelles à leur force de travail,
soit ils font appel à des ouvriers agricoles qui travaillent à la
tâche. Ce manque de bras pour la mise en culture de grandes surfaces
combiné aux aléas climatiques conduit à la diminution des
rendements agricoles. Certaines campagnes agricoles ne permettent même
pas aux agriculteurs de compenser les frais pour leur mise en culture. Tous ces
facteurs font aujourd'hui que les productions agricoles sont de plus en plus
médiocres dans la vallée du fleuve Sénégal.
Tableau 3 : Production annuelle en
kilogramme de mil en 2008 à Wodobéré
Production annuelle du mil en kg
|
Population
|
Pourcentage
|
-30
|
23
|
38,33
|
30 à 60
|
25
|
41,66
|
60 à 90
|
7
|
11,68
|
+90
|
5
|
8,33
|
Total
|
60
|
100
|
Source : Enquête de terrain, 2008
II.2 : L'échec des politiques agricoles de
l'Etat et le chômage chronique de la jeunesse
Avec un réseau hydrographique très dense et
l'existence de plus de 240.000ha potentiellement exploitables, la vallée
du fleuve Sénégal, à elle seule, pouvait assurer une
production agricole suffisante en riz, en mil, bref en denrées
alimentaires de première nécessité pour l'ensemble du
territoire national. L'Etat, dans sa politique de mise en valeur de ladite
vallée, en collaboration avec les différents pays avec lesquels
il partage le fleuve Sénégal, avait mis en place des programmes
tels que les aménagements hydro-agricoles pour retenir la population
dans son terroir. C'est dans cette optique, pour une couverture beaucoup plus
large des zones d'intervention, que la MAS a été remplacée
par la SAED et que le barrage de Manantali a été construit.
Cependant, l'absence de concertation entre l'Etat et les
populations locales en vue de déceler les priorités de ces
dernières a très tôt constitué un obstacle à
la réussite des différents projets. En plus de cela il se posait
le problème de la gestion foncière. Les populations locales
voyaient la loi domaniale de 1964 comme une confiscation par l'Etat des biens
qu'elles avaient acquis à travers leurs ancêtres. Ainsi, toutes
les politiques agricoles échouèrent si elles ne furent pas tout
bonnement délaissées par les populations.
Depuis ces tentatives de mise en valeur des terres arables de
la vallée du fleuve Sénégal en générale et
de la moyenne vallée en particulier, l'Etat s'est totalement
désengagé dans l'accompagnement des populations rurales. Il
n'existe aucun secteur dans lequel l'Etat intervient pour mettre en place un
dispositif pouvant créer de l'emploi pour les jeunes. Ainsi, dans tout
le Damga les jeunes qui sont à l'âge de travailler sont
laissés à eux-mêmes parce que le seul secteur
d'activité pouvant absorber cette jeunesse au chômage reste
l'agriculture sous pluie et l'agriculture de décrue. Ces deux types
d'agricultures sont assujettis aux vicissitudes des aléas climatiques.
Dès lors, il se crée une désaffection de la jeunesse pour
son terroir.
III. Les contraintes sociales
L'émigration n'est pas une fin en soi. Elle n'est non
plus, pour certains émigrés, un phénomène
admiré au demeurant. Autrement dit, si certains émigrés
sont fascinés par le voyage, d'autres par contre partent contre leur
gré. Ces derniers sont pour la plupart du temps poussés par des
facteurs sociaux.
Ainsi, l'organigramme de la vie familiale et l'existence des
familles polygamiques constituent des facteurs sociaux déclencheurs des
départs de beaucoup de jeunes. Au niveau des familles polygamiques c'est
l'émulation entre les membres qui est le principal
54
facteur d'émigration. Les coépouses portent un oeil
inquisiteur à leurs enfants qui ne sont pas intéressés par
l'émigration.
III.1 : L'émulation entre
voisins
Tant au niveau des familles voisines qu'au sein d'une
même famille, les gens sont animés par une certaine concurrence.
Au niveau des familles c'est l'envie de vivre mieux par rapport à son
voisin qui anime les différents membres. Il est de coutume de voir,
à l'occasion des cérémonies festives, des familles
rivaliser dans les distributions des billets de banque, signes d'aisance et de
largesse. Pour ces familles « partir est en soi une
référence et un repère pour lesquels la famille est
prête à assumer les sacrifices les plus inattendus, y compris sur
le plan financier»25. Ainsi, elles n'hésitent pas
à user de tous les moyens pour expatrier leurs enfants afin qu'elles
puissent être à l'abri du besoin financier.
En effet, au niveau des ménages de régime
polygamique, c'est plutôt entre les différentes épouses que
l'émulation est beaucoup plus avérée. La concurrence pour
l'appropriation du mari et des avoirs de la famille aidant, les
coépouses demeurent d'éternelles incitatrices de leurs enfants au
voyage. Pour se faire, elles sont prêtes à vendre leurs objets de
parure et leurs biens les plus précieux afin de préparer et
financier l'émigration de leurs progénitures. Par malheur,
l'enfant qui ne réussit pas son voyage ou par diverses raisons n'est pas
tenté par l'émigration est sujet de propos
déplacés, de grondements et surtout de mépris de la part
de ses parents.
Cette émulation découle également des
rapports entre les candidats potentiels à l'émigration et ceux
qui sont déjà de retour. Ces derniers, du moins ceux qui ont
réussi leur émigration parviennent le plus souvent à
prendre en charge leurs familles et leurs amis. Ce qui est aux yeux de ceux qui
n'ont pas encore tenté l'émigration une source de motivation.
Appartenant à la même génération, il subsiste
dès lors un certain un esprit de surpassement des jeunes. Chacun veut
avoir plus de biens matériels que ses camarades. Cette émulation
est l'un des facteurs qui poussent les jeunes à emprunter des voies
illégales et à braver les océans pour se retrouver dans
les pays du Nord. Ils sont souvent aidés par des réseaux qui ont
fini de mailler tous les couloirs migratoires.
25 Raunet Mireille : « Mobiliser les migrants
pour le développement socio-économique du Mali et du
Sénégal », p343
III.2. Le regroupement familial
L'existence de familles séparées
géographiquement peut constituer des motifs d'émigration
valables. Certaines personnes ont émigré non pas pour chercher du
travail ou une situation socio-économique meilleure mais plutôt
pour rejoindre leurs conjoints(es). << Le comportement migratoire
individuel pourrait dépendre davantage d'obligations et de
considérations familiales ou de ménages que des décisions
économiques individuelles >>26. Cette forme
d'émigration concerne la plupart du temps, des hommes qui ont
contracté un mariage avec les enfants issus de l'émigration
c'est-à-dire de la seconde génération communément
appelés << vaches folles >>.
A Wodobéré, contrairement à ce que l'on
est habitué de voir dans d'autres localités, rares sont les
femmes qui émigrent pour la recherche d'une vie meilleure. Les quelques
migrations féminines notées ça et là sont dues au
regroupement familial suite à l'installation du conjoint au pays
d'accueil. Ainsi, pour le renforcement des liens familiaux, leur rapprochement
est décliné comme une stratégie familiale. C'est dans ce
cadre que l'on note la présence des femmes et des moins de vingt ans
dans les principales destinations migratoires.
IV : Les réseaux facilitateurs
A Wodobéré, les candidats à
l'émigration internationale sont pour la plupart du temps guidés
et encadrés par leurs aînés. Il s'agit de l'implication des
aînés qui ont déjà effectué une migration
mais également, par l'entremise de ces derniers, de tout un
réseau officieux qui maille les couloirs migratoires.
IV.1 : La diaspora
Il s'agit principalement de l'ensemble des fils du village qui
se trouvent dans les principales destinations. Ils influent sur les prises de
décisions et ils sont également au début et à la
fin de ces migrations. Ainsi, ils interviennent à deux niveaux.
- D'abord c'est dans le souci d'assurer une certaine
continuité de la chaîne migratoire qu'ils poussent leurs cadets
à migrer. Ceci dans l'optique, d'une part, de pérenniser les
transferts financiers et, d'autre part, de garantir la sécurité
et l'assurance de la famille qui ne vit plus que de ces rentes. Pour se faire,
ils mettent à la disposition des candidats à l'émigration
tous les moyens nécessaires à la réalisation de leur
voyage. Cette
26 John O. OUCHO, William T S. GOULD : <<
Migration interne, urbanisation et répartition de la population
>>, p274
intervention des aînés va du choix des pays
d'immigration au financement des voyages. Au village de Wodobéré,
donner quatre millions à un petit frère candidat à
l'émigration internationale est devenu un fait banal.
Ainsi, après l'élaboration des projets
migratoires, les aînés actualisent tous leurs réseaux de
connaissances pour faciliter le passage des différentes
frontières. Etant les premiers à bénéficier de
l'appui des convoyeurs et des rabatteurs d'émigrés, ils
possèdent un capital de relation qui leur permet d'entrer en contact
avec les différents facilitateurs.
-Ensuite, << la présence de membre de la
parenté au lieu de destination est parfois plus importante que les
motifs économiques, car les migrants éventuels doivent
démarrer d'une base avant de compter que sur
eux-mêmes>>27. La diaspora, c'est-à-dire la
communauté villageoise en générale et la famille du nouvel
émigré en particulier, sert d'appui à ce dernier et
l'assiste dans la recherche d'un travail avant qu'il ne puisse partir de ses
propres moyens. Cette forme de facilité à l'intégration
des émigrés aux différentes structures des pays
d'immigration est à l'origine de l'engouement des nouveaux candidats
à l'émigration, car en partance de leurs villages, ils savent
qu'ils n'auront pas de grands problèmes à leur arrivée.
IV.2 : Les réseaux officieux
L'arrêt des migrations officielles en 1974 et
l'instauration des visas d'entrée en 1985 par les principaux pays
occidentaux bouleversèrent l'organisation des départs dans les
pays en développement. Cette nouvelle donne a été
ressentie immédiatement par les ressortissants de la vallée du
fleuve Sénégal pour lesquels rejoindre l'eldorado européen
est un luxe à atteindre à tout prix. Ainsi, voulant partir au
prix même de leur vie, les candidats à l'émigration
commencèrent à recourir aux artistes, commerçants, hommes
politiques et autre << promoteurs de visa >> qui n'hésitent
pas à user de tous les moyens pour dénicher un visa au plus
offrant. Ainsi, ces trafiquants déployèrent des stratégies
leur permettant de trouver des visas et de les vendre à des prix allant
d'un à quatre millions.
En effet, en plus de ces trafiquants, un véritable
réseau de passeurs s'est mis en place entre les différents points
de transit pour l'émigration internationale. Du Sénégal
à la France en passant par le Maroc, c'est une véritable
chaîne de passeurs qui se déploie pour assister les
émigrés dans leurs périples. L'essentiel des migrations
internationales à partir de Wodobéré est
réalisée, soit en complicité avec l'administration
centrale à travers les différents corps, soit par la
collaboration des << démarcheurs de visa >>. D'après
notre
56
27 John O. OUCHO, William T S. GOULD :
Op.cit., p274
enquête auprès des émigrés 37% des
départs enregistrés entre 2000 et 2008 ont
bénéficié de la complicité de la police
aéroportuaire.
A l'intérieur du Sénégal c'est souvent
les chargés du contrôle au niveau des postes de transit qui
servent de relais à cette chaîne de facilitateurs. Moyennant des
sommes allant de deux à quatre millions, ils permettent aux candidats
à l'émigration de passer avec, pour la plupart du temps, de
fausses identités. La fréquence d'arrestation d'émigrants
illégaux avec comme motif une usurpation d'identité
témoigne bien l'existence de cette forme d'émigration. Ces
arrestations émanent le plus souvent des combines policières
déjouées à l'extrême par les contrôleurs des
différentes compagnies aériennes. Un émigré en
retour de voyage témoigne :
« Je suis actuellement à Dakar parce que ma
carte de séjour est dans les mains de la justice
sénégalaise. Pour cause, je l'avais donné à mon
frère pour qu'il quitte le pays en avion pour la France tout en payant
auparavant 4 millions à un policier chargé de lui faciliter le
passage aux différents contrôles de l'aéroport. Mais par
malheur, mon petit frère a été intercepté au
dernier moment. Ce qui m'a valu la confiscation de ma carte de séjour
».
Au niveau des autres points de transit, l'émigration
est facilitée par des passeurs qui maîtrisent bien les
itinéraires menant vers les différents pays d'immigration. Il
s'agit des convoyeurs qui, moyennant des sommes importantes d'argent et par le
biais des rabatteurs, conduisent les candidats à l'émigration
vers les frontières ou vers les points de passage qui sont pour
l'essentiel le Maroc, l'Algérie ou les Îles Canaries. Au niveau de
ces points de chutes d'autres « passeurs » prennent la relève
soit pour assurer la suite du voyage des émigrés, soit pour leur
trouver de travail en contre partie d'un pourcentage de leur
rémunération.
58
CHAPITRE II : Le déroulement de
l'émigration I : L'organisation des départs
Durant les premières vagues migratoires, le
départ d'un émigré a toujours été un moment
de fortes émotions des parents et des amis. L'ignorance du monde
extérieur combinée à l'absence des moyens de communication
et de télécommunication, qui font que l'émigré
reste pendant de longues périodes sans donner ni recevoir de nouvelles
de sa famille, poussent les candidats à se préparer des
années durant pour réaliser leur premier voyage. Pour la plupart
d'entre eux, après l'aval et la bénédiction des parents il
faut l'autorisation du marabout. Ainsi, le voyage est
prémédité et préparé avec des
itinéraires et des correspondances bien ficelés. Le candidat, en
collaboration avec un membre de sa famille ou de ses compatriotes, quitte son
village selon un calendrier qui lui permettrait de ne pas durer sur les points
de transit et d'être directement en contacte avec d'éventuels
« passeurs ».
De nos jours, les premiers départs vers une destination
lointaine se font dans la plus grande discrétion parce que, d'une part,
le candidat est incertain de l'aboutissement de son voyage et, d'autre part,
parce qu'il essaie d'échapper à la vigilance des personnes qui
n'hésiteraient pas à lui souhaiter le mauvais sort. En outre, les
départs pour des destinations proches ou internes au pays ne suscitent
aucune attention des populations.
Par ailleurs, l'émigration s'organise autour de
l'unité familiale. Elle n'est pas l'initiative d'une seule personne mais
découle d'une concertation de l'unité familiale, même si
l'idée d'émigrer vient pour la plupart de la personne
concernée. Cette émigration est de type économique
c'est-à-dire que les candidats vont à la recherche d'un travail
rémunéré et des activités
génératrices de revenus. Il en découle qu'en partance du
village, l'émigré n'a qu'un seul but : trouver de l'argent et
revenir.
I.1 : Les caractéristiques de
l'émigration
Au demeurant, l'émigration à partir de
Wodobéré se fait individuellement parce qu'aussi longue
soit-elle, le migrant part avec une perspective de retour. Il s'agit
généralement d'une émigration économique. Ainsi,
les migrants sont des célibataires le plus souvent lors de leur premier
voyage. Ce dernier est d'ailleurs motivé par la recherche des biens
permettant aux émigrés de contracter leurs premiers mariages et
d'entretenir leurs familles. Cette situation matrimoniale combinée aux
incertitudes d'une migration réussie fait que les départs sont
individuels et concernent principalement le sexe masculin.
Les jeunes hommes dont l'âge varie entre 18 et 35 ans
sont les principaux concernés par cette émigration. « Les
pays sud-européens accueillent une population africaine et ouest
africaine essentiellement composée de jeunes adultes de sexe masculin
»28. Comme partout en Afrique de l'ouest,
Wodobéré est marqué par un nombre important des
départs de jeunes adultes vers l'Europe.
L'émigration féminine représente 36,14%
contre 63,86% des hommes (Tableau n°4). La faiblesse de
l'émigration féminine s'explique par les contraintes liées
à la hiérarchisation de la société et au rôle
de second plan qu'elles jouent dans l'organisation des taches
ménagères. Selon la hiérarchie de l'unité
familiale, les femmes doivent être soumises et attendre tout de leurs
maris ou de leurs parents. Certes, elles ont en charge certaines tâches
ménagères telles que la corvée de l'eau et du bois, mais
elles n'ont pas voix aux chapitres. Ainsi, celles qui émigrent, partent
non pas pour des raisons économiques mais plutôt pour rejoindre
leurs conjoints. C'est ce qui explique l'existence des familles
dispersées entre le village et les différentes destinations
migratoires. En effet, cette situation n'arrive que si l'émigré a
trouvé un emploi stable et une situation financière lui
permettant de se prendre en charge et de satisfaire les besoins de la famille
restée au village.
Si les départs à partir de
Wodobéré concernaient principalement les jeunes hommes
âgés entre 20 et 35 ans, on note aujourd'hui dans la diaspora la
présence des deux sexes et de toutes les tranches d'âge. La
diaspora est caractérisée d'ailleurs par une proportion
très importante des hommes actifs, avec 42,58% (Tableau n°4), qui
est constituée par les premiers migrants et par ceux issus de la vague
migratoire suite à la détérioration des conditions de vie,
due aux changements climatiques. Les femmes actives, avec 22,6%, sont
essentiellement constituées par celles qui, suite à un mariage au
village, rejoignent leurs conjoints au pays d'immigration. Les 10,96% et 15,8%
des moins de vingt ans représentant respectivement les filles et les
garçons présents dans la diaspora constituent la deuxième
génération d'émigrés, c'est à dire les
enfants d'émigrés nés dans les pays d'accueil. Mais, comme
nous l'avions précédemment énoncé,
l'émigration individuelle à partir de Wodobéré ne
concerne que les hommes valides.
28 Robin Nelly : Atlas des migrations
ouest-africaines vers l'Europe 1985-1993, p35
60
Tableau 4 : Proportion de la diaspora
villageoise selon l'âge et le sexe.
Sexe
Tranche d'âge
|
Féminin
|
Masculin
|
Totaux
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
00-19
|
34
|
10,96
|
49
|
15,8
|
83
|
26,76
|
20-64
|
70
|
22,6
|
132
|
42,58
|
202
|
65,18
|
65 et +
|
8
|
2,58
|
17
|
5,48
|
25
|
8,06
|
Total
|
112
|
36,14
|
198
|
63,86
|
310
|
100
|
Source : Enquêtes de terrain, 2008
I.2 : Le financement du voyage
D'après nos entretiens avec des émigrés
de retour, le financement de l'émigration a connu une évolution
avec le temps. Vers les années soixante, c'est-à-dire à
l'apparition des premières migrations dans le village de
Wodobéré, les candidats se rendaient d'abord vers les
différents centres urbains du Sénégal et principalement
à Dakar pour y travailler. Ces centres constituaient un tremplin vers
l'étranger. Une fois en ville, ils sont majoritairement des vendeurs ou
des employés dans les secteurs informels. Ainsi, dans les années
soixante dix et quatre vingt, la vente des billets de la loterie nationale fut
l'une des principales activités de ces migrants internes. Les
bénéfices tirés de ces différentes activités
leur permettaient de financer l'émigration intra-africaine voire
internationale parce qu'avec moins de 50.000 francs Cfa, nous renseigne notre
interviewé (émigré en retraite), ils pouvaient atteindre
le port de Marseille à l'époque. En effet, malgré les
facilités administratives et le faible coût de
l'émigration, cette dernière n'intéressait qu'une petite
frange de la population à l'époque.
De nos jours, l'envolée des cours du pétrole, le
besoin pressant de toute la population de partir vers l'étranger
combiné à l'instauration des politiques de restrictions des
entrées au niveau des principales destinations surenchérissent le
coût de l'émigration. Malgré les rapprochements
géographiques dus aux moyens de transport beaucoup plus efficaces, les
coûts de l'émigration illégale-pratiquée par la
majorité de la population de cette localité- ne cessent
d'augmenter. Par ailleurs, ces paramètres ont entrainé
aujourd'hui des difficultés dans l'autofinancement des candidats
à l'émigration.
Désormais les candidats, utilisant les voies
légales pour obtenir un titre de séjour, doivent faire preuve
d'une aisance financière alors que ceux qui préfèrent
émigrer dans l'illégalité paient des fortunes soit
à des « passeurs », soit à des démarcheurs de
visa. En outre, avec le marasme économique et l'étroitesse du
marché de l'emploi, voire son
inexistence, il est aujourd'hui quasiment impossible pour un
tiers de financer son premier voyage pour l'émigration internationale.
Les rares secteurs d'activité ne permettent plus une épargne
consécutive pouvant assurer le coût d'une émigration
lointaine.
Dès lors, le financement de l'émigration
à partir de Wodobéré ne peut découler que d'une
participation collective de l'ensemble de la famille ou, au moins, de l'aide
d'une personne ayant une certaine aisance financière. Il convient de
noter que la migration est d'abord un projet familial avant d'être
individuel car s'inscrivant dans les stratégies familiales de recherche
du numéraire. C'est pour cet effet que les familles ne lésinent
pas sur les moyens quand il s'agit de financer le départ d'un des leurs.
Nous avons en mémoire cet aîné de famille qui disait :
« Je suis prêt à financer même
à hauteur de cinq millions le voyage de mon frère vers la France
mais je ne saurais lui payer, ici au Sénégal, une formation
qualifiante qui, d'ailleurs, ne lui garantit aucune perspective d'emploi
».
Ainsi, dans un passé récent, tous les
départs pour l'émigration lointaine à partir de
Wodobéré sont financés soit par des parents, soit par des
amis. La probabilité pour qu'un candidat s'autofinance est presque
nulle.
Par ailleurs, c'est une nécessité vitale pour un
parent émigré de préparer sa retraite c'est-à-dire
de se substituer à un second qui serait en mesure d'assurer les besoins
de la famille dans le futur. Ainsi, chaque émigré cherche
à assurer au minimum durant sa vie active le coût du voyage d'un
fils ou d'un frère avant d'aller à la retraite.
L'émigration constitue dès lors une véritable chaîne
entre les générations. Elle permet sa continuité et sa
pérennisation dans le temps parce qu'elle assure son propre financement.
C'est un système qui s'auto-entretient. Ainsi, comme le montre le
Tableau n°5, plus de 41% des migrations ont été
financées par des parents établis à l'étranger.
L'émigration constitue une chaîne qui est nourrie par
elle-même.
Tableau n°5 : Types des financements
de l'émigration (en %)
Types de financement
|
Emigrés
|
Epargne personnelle
|
39
|
Cotisation des parents
|
17
|
Envoi du billet depuis l'étranger
|
41
|
Autre
|
3
|
Total
|
100
|
Source : Enquête personnelle, 2008/2009
II : Les étapes
II.1 : Les itinéraires migratoires
A partir de la vallée du fleuve Sénégal,
les couloirs migratoires se constituaient par rapport aux itinéraires
menant vers les pays africains oü l'exploitation des mines de diamants
était en vogue durant le début de la deuxième
moitié du XXème siècle. Il s'agit pour
l'émigré, qui quittait la vallée du fleuve
Sénégal, de passer d'abord par Dakar pour rejoindre ensuite le
Libéria, la Sierra Léone, le Congo ou l'Angola pour ne citer que
ceux là.
Cependant, après l'extraction de la pierre
précieuse sa commercialisation a très vite
intéressé les premières vagues d'émigrants. Les
premiers diamantaires se sont retrouvés par la suite aux points de chute
de leurs produits soit pour vendre, soit pour servir de relais à la
chaîne des trafiquants. Ils approvisionnaient directement les comptoirs
européens tels que Amsterdam, Paris, Anvers, Londres voire Tel Aviv ou
Beyrouth en Asie mineure. C'est dans ce cadre que les premiers
émigrés, qui sont d'ailleurs les têtes de pont de
l'émigration internationale à partir de la vallée du
fleuve Sénégal vers les pays occidentaux, se sont
retrouvés en France, en Allemagne en Hollande, en Israël etc.
Néanmoins, on note aujourd'hui une ramification et une
restructuration des couloirs migratoires. Ce changement des itinéraires
empruntés par les migrants s'explique par la saturation du marché
des diamantaires, la crise des destinations africaines et l'émergence
d'une nouvelle forme de migration à savoir l'émigration
clandestine. Appelée également émigration illégale,
l'avènement de cette dernière s'accompagne par la mise en place
des réseaux qui maillent les différents points de transit qui
sont de nos jours la Mauritanie, le Mali, le Maroc et l'Espagne. Ainsi,
à partir des côtes sénégalaises, gambiennes ou
mauritaniennes, les convois des émigrés clandestins traversent
l'océan atlantique pour rejoindre le territoire espagnol.
En effet, l'émigration des jeunes de
Wodobéré reste moins touchée par cette forme qui emprunte
soit les voies terrestres, soit les voies maritimes. Ces jeunes adoptent, en ce
qui les concerne, d'autres stratégies qui sont moins périlleuses.
Il s'agit d'une émigration illégale, frauduleuse qui met en jeu
plusieurs acteurs. Ces derniers peuvent être de simples passeurs mais
aussi de hauts gradés de l'administration centrale.
62
Ainsi, en partance de Wodobéré, le candidat
passe par Dakar oü il entre en contact avec des personnes ressources lui
permettant de franchir les postes de contrôle aux frontières sans
souci pour des destinations européennes. Ces opérations sont
rendues
possibles grâce à la complicité et
à la collaboration des autorités administratives, parce qu'il
s'agit pour la plupart des cas d'une usurpation d'identité par les
candidats à l'émigration. Ainsi, malgré le renforcement et
la multiplication des contrôles aéroportuaires, des
réfractaires aux lois et règlements préétablis
subsistent.
Ces candidats à l'émigration, conscients qu'ils
ne peuvent pas remplir les conditions nécessaires et préalables
pour l'obtention d'un visa d'entrée, empruntent le titre de
séjour d'un parent, ami ou frère établi dans l'hexagone.
Malgré les différences de caractères physiques qui peuvent
exister entre le propriétaire des papiers et le contrevenant, ces
candidats bénéficiant de l'appui des « passeurs »
franchissent les postes de contrôle aéroportuaires sans grandes
difficultés.
Les itinéraires des candidats à
l'émigration internationale se dessinent donc à partir de Dakar.
Il s'agit pour l'émigré qui a quitté son village
d'origine, d'embarquer à bord d'un vol en destination de la France, mais
devant transiter par l'Espagne ou le Portugal. C'est durant les escales au pays
de transit que les émigrés tentent de sortir de l'aéroport
pour prendre la poudre d'escampette. D'après nos enquêtes au
près des émigrés, plusieurs milliers d'entre eux ont
réussi à entrer en France ou en Espagne par cette méthode
durant la dernière décennie.
Il existe également un autre circuit migratoire
emprunté par les émigrés de Wodobéré.
À partir de Dakar, les candidats à l'émigration passent,
soit par le Mali, soit par la Mauritanie pour se retrouver au Maroc ou en
Algérie. Du Maghreb, ils essaient de passer par Ceuta ou Melilla pour
entrer en Espagne et, à l'aide d'un bus, rejoignent la France par la
suite. C'est ainsi dire que c'est un véritable réseau qui est mis
en marche pour atteindre le territoire français.
II.2 : Les points de transit
La capitale sénégalaise est le premier point de
passage des émigrés. Tremplin et plaque tournante des liaisons
aériennes et maritimes, Dakar est par excellence la première
destination des émigrés de ladite localité. Au niveau de
cette ville, les candidats à l'émigration internationale sont
dans leur majorité dans des secteurs informels comme le commerce et
autres travaux journaliers.
En effet, cette occupation temporaire des emplois informels
par les candidats à l'émigration lointaine n'est qu'une
stratégie adoptée par les émigrés. Le plus souvent
ils sont, parallèlement à ces fonctions, en pourparler avec
d'éventuel « promoteur de visa » ou autre trafiquant. Ainsi,
à défaut de pouvoir atteindre la destination finale via Dakar,
les
64
émigrés se rabattent sur les principales villes
du Maghreb telle que Raba ou Alger. Au Maroc, témoigne notre
interviewé ;
« Il existe un important dispositif mis en place par
les passeurs. Il s'agit de personnes qui maîtrisent bien les points de
passage vers l'Espagne ; une fois le compromis trouvé sur la somme
d'argent à verser, ils vous servent de guide jusqu'aux frontières
espagnoles. Moi, je suis resté cinq semaines dans cette ville et ma
principale préoccupation était de chercher une personne pouvant
me mettre en rapport avec les passeurs. Ce que je suis parvenu à trouver
très vite grâce à nos compatriotes qui m'avaient
précédé. En effet, aucun candidat à l'migration
n'avait cherché à travailler dans cette ville. »
Cet avis est partagé par tous les émigrés
qui avaient passé par le Maroc et que l'on a interviewés.
En Mauritanie par contre, les candidats à
l'émigration sont le plus souvent dans le secteur de la pêche.
Ainsi, grâce aux réseaux de connaissances qu'ils ont pu tisser,
ils se fraient des voies pour rejoindre par la suite les Îles Canaries.
Arrivés au niveau de ces dernières, les émigrés
sont pris en charge par des humanitaires tels que les agents de la Croix Rouge.
En Espagne, les immigrés cherchent d'abord à trouver un titre de
séjour afin de rejoindre la France dans la légalité.
II.3 : Les principales destinations
Durant le deuxième quart voire le début de la
moitié du siècle dernier, le choix des émigrés sur
les différentes destinations était guidé par des facteurs
économiques mais aussi par des critères linguistiques. C'est dans
ce cadre que les destinations africaines ayant des potentialités
diamantifères ont été très prisées à
l'époque par les habitants de la vallée du fleuve
Sénégal. En Afrique de l'ouest et du centre il s'agissait du
Libéria, de la Siéra Léone, du Congo et de l'Angola.
En effet, cette effervescence dans l'extraction du diamant aux
différents pays cités ci-dessus n'avait pas
intéressé directement les émigrés de
Wodobéré. Les barrières linguistiques de ces pays et
l'illettrisme de cette population étaient à l'origine de son
désintéressement vis-à-vis de ces destinations où
la pratique de l'anglais ou du portugais était de mise. Ainsi, les
premiers émigrés du village de Wodobéré se
dirigeaient vers les pays francophones. La Côte d'Ivoire était la
principale destination africaine suivie du Congo-Kinshasa et du Gabon.
Cependant, à partir des années quatre vingt avec
l'apparition du Sida, le taux des émigrés vers les destinations
africaines a baissé. A l'époque, on rattachait l'origine de cette
maladie, très mal connue et qui gagnait de plus en plus du terrain dans
la vallée du fleuve
Sénégal, aux émigrés de retour des
régions africaines. De ce flétrissement des émigrés
venant de ces pays, il s'en est suivi une réticence accrue des
populations et l'émergence de nouvelles destinations.
Ainsi, la France, pour des raisons déjà
évoquées, demeure le pôle principal d'attraction des gens
de Wodobéré, avec 53% des émigrés (Graphique
n°4). Ce fort taux des émigrés du village vers l'ancienne
métropole s'explique par l'ancienneté même des flux
migratoires sud-nord via les ports de Marseille et de Bordeaux. Ceci parce que
bien avant même l'avènement de l'émigration actuelle, des
navigateurs africains en général et sénégalais en
particuliers se retrouvèrent dans les différents ports
occidentaux.
C'est dans ce cadre que, << l'ATOM (Aide aux
Travailleurs d'Outre-mer) crée, en 1964, une antenne d'accueil
chargée de résoudre les problèmes qui se posent aux
primomigrants. Fonctionnant à l'arrivée de chaque navire, elle
dénombre près de 1900 personnes arrivées par bateau entre
août et novembre 1964 dont une majorité de
sénégalais >>29. Depuis lors, l'augmentation des
flux vers l'ancienne métropole sont toujours de mise. Ils sont
déterminés par les facilités d'intégration dues
à la présence des aînés et par l'attachement de la
population à l'ancienne métropole colonisatrice.
Après la France, la deuxième destination des
migrants de Wodobéré est la Côte d'Ivoire, le Gabon et la
Mauritanie avec respectivement 4%, 4% et 3% des émigrés.
Malgré la stigmatisation des destinations africaines par la population,
elles restent le refuge des candidats qui n'ont pas les moyens
nécessaires au financement de l'émigration transocéanique.
La Guinée Equatoriale, avec une relative avancée
économique notée ces dernières décennies,
intéresse de plus en plus les candidats à l'émigration
africaine.
La migration interne est déterminée par la
prépondérance du nombre d'immigrés à Dakar avec
23%. En effet, cette ville n'est que l'antichambre de l'occident parce qu'elle
constitue un tremplin vers l'Europe où les candidats à
l'émigration trouvent la ressource humaine leur permettant de franchir
les frontières. Ce fort taux s'explique également par la
présence de plus en plus des femmes qui, le plus souvent, simulent des
maladies afin de pouvoir se reposer et de rester loin des travaux domestiques.
Ces femmes sont le plus souvent des épouses d'émigrés.
C'est en venant à Dakar qu'elles parviennent le plus souvent à se
payer la parure grâce aux fonds que leur époux les envoient.
29 Bredeloup Sylvie : << Marseille, carrefour
des mobilités africaines >>, p71
66
Source : Enquêtes de terrain, 2008
III : Les types de migrations
La typologie des migrations peut être
étudiée sous deux formes : les migrations à partir de
Wodobéré en fonction de la durée et les migrations en
fonction de l'appartenance sociale. En fonction de la durée on distingue
l'émigration saisonnière, l'émigration temporaire et
l'émigration définitive. Pour ce qui est de l'appartenance
sociale il est question de faire une caractérisation des migrations
selon les trois principaux groupes sociaux à savoir les nobles, les
dépendants et les descendants d'esclaves.
Tableau n° 6: Types
d'émigration
Types d'émigration
|
Emigrés
|
Saisonnière30
|
41
|
Temporaire31
|
53
|
Définitive32
|
6
|
Total
|
100
|
Source : Enquête de terrain, 2008/2009
30 Une émigration effectuée sur une
durée de 1 à 2 ans
31 Une émigration effectuée sur une
durée de 3 à 6 ans
32 Une émigration suivie d'une installation
définitive au lieu d'accueil
III.1 : En fonction de la
durée
La durée du séjour des différents
migrants est déterminée par plusieurs facteurs. Selon les cas, la
réussite sociale, l'échec ou l'intégration,
l'émigré peut retourner de sitôt, rester plus longtemps ou
s'installer définitivement au niveau des pays d'accueil. Mais, au
demeurant aucun émigré n'a la prétention de faire une
émigration définitive. Certains candidats à
l'émigration se basent sur le calendrier cultural pour effectuer leur
migration tandis que d'autres sont guidés par le type d'activité
qu'ils exerceront au niveau du pays d'accueil. Ainsi, nous avons des migrations
saisonnières, des migrations temporaires et des migrations
définitives.
III.1.1 : L'émigration saisonnière
Il s'agit essentiellement, pour le cas de
Wodobéré, d'une émigration interne vers les
différents centres urbains. Elle est régie par l'activité
agricole caractérisée par les deux saisons de l'année.
Deux types de migrants vivent aux rythmes des saisons. Il s'agit des
élèves et étudiants mais aussi des jeunes contraints de
revenir pour pratiquer l'agriculture. Ainsi, après les récoltes
du diéri en octobre/ novembre, les jeunes quittent le village pour les
centres urbains du pays et en juillet/ août ils reviennent pour les
travaux champêtres. Cependant, ces mouvements de populations sont de
moindre importance, de nos jours. L'émigration saisonnière
concerne moins de 41% des émigrés du village.
III.1.2 : L'émigration temporaire
Cette forme de migration est une preuve de réussite,
car elle concerne les émigrés qui sont parvenus à trouver
une situation sociale leur permettant de revenir régulièrement au
village. Elle concerne 53% des émigrés. Elle est
caractérisée par les retours intermittents des
émigrés qui, pour l'émigration internationale, ont obtenu
des titres de séjour leur permettant de circuler librement. Ce sont des
émigrés qui, pour l'essentiel, ont construit un habitat et
possèdent une épouse au village. Ainsi, ils reviennent de temps
en temps non seulement pour voir leur épouse mais aussi pour se
ressourcer et bénéficier des bénédictions des
parents.
III.1.3 : L'émigration définitive
Au départ, les émigrés décident de
s'aventurer pour la recherche d'activités génératrices de
revenue susceptibles de prendre en charge la famille restée au village.
Ils
veulent tous, à leur départ, venir à la
rescousse de leurs familles frappées par des besoins pécuniaires.
Toutefois, étant donné qu'on ne fait pas le voyage mais c'est
plutôt le voyage qui nous fait, il est probable, au contact du monde
extérieur, que l'émigré épouse des idées
nouvelles au cours de sa migration. Les réalités culturelles et
socio-économiques différentes d'un lieu à un autre aidant,
l'intégration de l'émigré est la cause de son assimilation
pouvant aboutir à une installation définitive. Ainsi, cette
dernière peut découler de deux principaux critères.
Premièrement, l'installation définitive de
l'émigré en son lieu d'immigration peut découler de sa
situation socioprofessionnelle. Il s'agit de ceux qui sont parvenus à
trouver un emploi stable et qui, soit font appelle à leur épouse,
soit contractent un mariage avec une fille du lieu d'accueil. Il se crée
dès lors une petite famille d'émigrés. En effet, cette
migration n'est pas totalement définitive. Autrement dit, la famille
installée dans le pays d'accueil ne coupe pas court tous les liens avec
ses origines. Elle peut entretenir des relations la permettant de rester en
contact permanant avec la famille qui est au village. L'émigré et
éventuellement sa famille reviennent le plus souvent pour voir leurs
parents à l'occasion des fêtes, pour présenter des
condoléances lors de la disparition d'un des leurs ou tout simplement
durant leurs périodes de congés.
Ces types d'émigrés possèdent le plus
souvent un capital foncier au village qu'ils mettent en valeur par
l'intermédiaire des parents restés au village, ou par le biais du
numéraire qu'ils envoient souvent, ils recrutent des travailleurs
saisonniers. En outre, c'est une émigration qui est très
coûteuse parce qu'en plus de la petite famille qui s'est installée
au pays d'accueil, l'émigré doit prendre en charge ses parents du
village d'origine. << En définitif, le couple est en mesure
d'assurer l'entretien alimentaire de plusieurs inactifs si les revenus
migratoires autorisent le recours à la traction animale et l'embauche de
quelques journaliers ».33
Deuxièmement, il peut s'agir de ceux qui ont
coupé toutes relations avec leurs familles. Pour la plupart du temps ce
sont ceux qui, par manque de chance, n'ont pas réussi leur aventure, qui
éprouvent un sentiment de culpabilité et se disent-ils que
<< ce serait une honte (hersa) de retourner chez soi comme on
est venu, c'est-à-dire les mains vides »34. Ce qui leur
a valu le nom de Luttubé (sing. Luttudo). Ils restent plus
longtemps et peuvent trouver des épouses au niveau des pays d'accueil.
Il s'en suit une intégration à la société
33Delaunay Daniel : De la captivité
à l'exil. Histoire et démographie des migrations paysannes dans
la moyenne vallée du fleuve Sénégal, p84
68
34 BALDE Mamadou Saliou : << Un cas typique de
migration africaine : L'immigration des guinées au Sénégal
» in Les Migrations africaines : réseaux et processus
migratoires, p91
d'accueil. Ceux qui se sont installés
définitivement dans les lieux d'accueil représentent 6% des
émigrés.
III.2 : En fonction de l'appartenance sociale des
émigrants III.2.1 : Chez les nobles
La hiérarchisation de la société
permettait à l'époque à la caste des nobles de
bénéficier de la force du travail des serviles et des services
des dépendants. Ces deux dernières catégories sociales
sont pendant longtemps restées au service des nobles. « Mais, ne
profitant plus du surtravail de son serviteur, le maître vit ses revenus
monétaires se détériorer au point de devenir
inférieur à ceux du serviteur qui pratiquait certaines
activités manuelles interdites à la caste des nobles
»35. Ce début de bouleversement de la situation dans la
hiérarchisation sociale avait très vite agacé les
nobles.
Toujours, dans leurs stratégies de rester
maîtres, leur besoin incessant de supériorité et dans leur
souci de défendre leur statut qui s'effrite avec les changements en
cours, les nobles commencèrent à émigrer pour aller au
delà même du Sénégal. D'après les entretiens
que nous avons réalisés auprès des retraités, le
premier émigré vers la France en 1961 fut de la classe des
nobles. Mais, avant même cette date, il y avait eu ce que nos
interviewés ont appelé « les pionniers de
l'émigration du village » qui étaient dès 1953
au Kenya et en Cote d'ivoire à partir de 1957. Mais, bien avant cette
date « les législations de 1901 et 1906 sur la libération
des anciens esclaves précipiteront le processus poussant à
l'émigration les serviteurs affranchis et leurs anciens maîtres
appauvris »36 dans le Fouta en général.
En effet, il n'existe aujourd'hui que quelques stigmates de
cette représentation sociale parce que, d'une part, les
déterminants de l'émigration ne sont plus à chercher dans
l'appartenance sociale et, d'autres parts, les nobles n'ont plus une
hégémonie effective sur les autres catégories sociales. Il
serait dès lors très prétentieux de vouloir faire une
catégorisation des émigrés par rapport à leur
appartenance à une telle ou telle autre caste.
A partir des années soixante dix « les proportions
des nobles et de serviteurs ayant émigré pour obtenir un travail
salarié sont identiques »37. La précarité
économique, l'explosion démographique et les besoins
monétaires touchèrent sans distinction d'ethnie ou de caste
toutes les catégories socioprofessionnelles du monde rural. Le
graphique 5 met
35Delaunay Daniel : Op-cit., p135
36 MINVIELLE Jean-Paul : Paysans migrants du Fouta
Toro, p147
37 Delaunay Daniel : Ibid., p135
70
en évidence cette affirmation parce que le nombre
d'émigrés appartenant à la classe des Se??e (35,7%) et
celui des Law?e (1%) sont proportionnels à leurs
représentativités dans le village. Autrement dit, le taux des
différentes castes n'est que proportionnel par rapport à leur
effectif dans la répartition de la population du village.
Source : Enquêtes de terrain, 2008
III.2.2 : Chez les dépendants et chez les Macuu?e
Au début de l'émigration dans le village de
Wodobéré, le besoin des serviles de se séparer
physiquement des maîtres en corrélation avec leurs envies de
s'émanciper par rapport aux stéréotypes sociales les
obligeait à émigrer. C'est ainsi que les premiers voyages vers
l'intérieur du pays furent effectués par les castés,
dit-on. Il s'en est suivi un changement dans les relations entre les nobles et
les autres catégories sociales. Ces dernières commencèrent
à reprendre petit à petit leur souveraineté.
L'embauche de certains nobles à l'usine Bata pour la
fabrication des chaussures à l'époque a été un
déclic. Les dépendants et les Macuu?e considéraient cette
activité comme la leur parce qu'étant plus proche de la
cordonnerie. C'est ainsi qu'au cours de l'histoire des migrations, avec le
changement évolutif des mentalités, que les relations entre les
nobles et les autres castes prenaient une autre allure. C'est-à-dire que
les castés entraient petit à petit dans un processus d'autonomie.
Cette évolution a été facilitée par l'accès
pour tous à l'éducation et à la formation mais
également par le contact avec le monde extérieur
créé par la mobilité.
« Désormais, les quelques réminiscences
sociales du lien de servitude ne semble pas provoquer une émigration
plus considérables des anciens serviteurs »38. Les
serviles et les dépendants n'émigrent plus parce qu'ils
ressentent une envie de se démarquer des maîtres, qui d'ailleurs
n'ont plus cette autorité qu'ils avaient jadis, mais pour la recherche
d'une vie meilleure.
38 Delaunay Daniel : Op.cit., p135
LES TRANSFERTS D'ARGENT ET LES FACTEURS NEGATIFS DE
L'EMIGRATION SUR LA POPULATION RESIDENTE
TROISIEME PARTIE
72
CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur
utilisation à Wodobéré
I. Les transferts d'argent : origines
géographiques et volume des fonds
Si d'aucuns combattent l'émigration dans nos pays du
sud, c'est sans aucun doute par manque de réalisme ou par l'ignorance de
ce que celle-ci représente vraiment. L'émigration constitue le
socle sur lequel repose l'économie des ruraux. Les
émigrés, à travers les remises migratoires, constituent la
charpente du P.I.B par habitant dans les pays en voie de développement.
Selon la Banque Mondiale (BM) << 3% de la population mondiale contribuent
au développement des pays pauvres deux fois plus que l'aide mondiale
publique »39. Il est donc évident que les
émigrés participent activement au développement de leurs
pays d'origine. Cette participation peut être vue sous plusieurs angles
car nonobstant les mandats envoyés, les émigrés
contribuent à l'éveil des consciences et diminuent les risques
d'implosions sociales dues au chômage et à la
précarité de la vie. C'est ainsi dire que l'apport de
l'émigration pour nos pays est d'une importance incommensurable.
Aujourd'hui, sans l'apport des émigrés un bon
nombre de nos Etats en voie de développement seraient instables parce
que la famine, la misère et la précarité pousseraient les
populations arrivées au bout de leurs souffles à se
révolter contre les systèmes. Dans la vallée du fleuve
Sénégal en général, à défaut d'une
intervention énergique de l'Etat dans le domaine de la création
de l'emploi et de secteurs rentables permettant le maintien de la population
dans son terroir, les populations vivent principalement de
l'émigration.
D'aucuns disent que l'émigration est la source vitale
de cette contrée du Sénégal. Ainsi, comme l'atteste le
Tableau 7, 76,66% de la population dudit village ont comme source de revenu
principale la manne migratoire, contre seulement 11,66% pour l'agriculture.
Cela est rendu possible grâce à l'appui indéfectible des
migrants. Les émigrés constituent le fer de lance de
l'épanouissement des populations restées au village. Ainsi,
<< le migrant participe individuellement ou collectivement à la
vie quotidienne de son village natal. Etant théoriquement plus
aisé, il contribue notablement par l'injonction de flux, à la
transformation de la situation tant économique que sociale de son
village »40. Cet état de fait justifie l'ampleur de
l'émigration dans cette localité.
39 FAUJAS Alain : Emigration : << Les femmes
sont les grandes bénéficiaires des phénomènes
migratoires », Le Monde du 30 juin 2007
40 AHIANYO.A- AKAKPO: «L'impact de la migration
sur la société villageoise: approche sociologique (exemple
Togo-Ghana)», in Les Migrations contemporaines en Afrique de
l'ouest, p159
Au cours de l'année 2008 quelques 929.754.199 francs
CFA (Graphique n°6) ont pu être envoyés à des parents
par les émigrés du village de par le monde. Dans cet ordre
d'idées, nous montrerons dans les paragraphes qui suivent l'origine et
la représentation en termes de quantité de ces transferts
d'argent.
Tableau 7: Source de revenu
principale de la population
Sources de revenu principale
|
Population
|
Pourcentages
|
Agriculture
|
7
|
11,66
|
Artisanat
|
4
|
6,66
|
Elevage
|
2
|
3,33
|
Migration
|
46
|
76,66
|
Autre
|
1
|
1,69
|
Total
|
60
|
100
|
Source : Enquête de terrain, 2008
I.1. Origine géographiques des flux financiers
transférés vers
Wodobéré
L'étude des origines géographiques des
transferts d'argent vers le village de Wodobéré
révèle trois pôles principaux : l'Europe, les Etats Unis
d'Amérique et, à une moindre importance, le continent
africain.
Au niveau du vieux continent, la France est de loin la plus
grande pourvoyeuse de fonds avec 75 % (carte n°3) des transferts d'argent.
Elle est suivie par l'Espagne avec 4% alors que l'Allemagne, l'Angleterre,
l'Italie et la Suisse participent moins de 1% du montant total envoyé
vers Wodobéré. Le fort taux de transfert d'argent à partir
de la France est corollaire à la forte présence sur le territoire
français des sénégalais en général. En
outre, cette présence massive s'explique, comme nous l'avions vu
précédemment, par l'influence et par les réminiscences de
la métropole sur ses anciennes colonies. Des liens de dépendances
voire d'affections entre la puissance colonisatrice et les populations
autochtones ont subsisté après les indépendances.
Très tôt, les gens de la moyenne vallée du fleuve
Sénégal ont commencé à émigrer vers la
France. Cette longue histoire migratoire a fait de la vallée du fleuve
Sénégal, durant plusieurs années, la principale casemate
d'émigrations vers l'ancienne métropole.
74
Par contre, l'Espagne, nouveau pays d'immigration, est selon
les émigrés d'une économie fragile. Sur le plan de la
sécurité sociale, la France offre de meilleures
possibilités, d'où la faible présence des
émigrés sur le territoire espagnol. En effet,
l'Espagne constitue un pays de transit vers la France. La
conjugaison de tous ces facteurs fait que les transferts d'argent venant
l'Espagne vers Wodobéré sont moins importants. La faiblesse des
flux financiers venant de l'Allemagne, de l'Italie et de la Suisse est due elle
aussi à faible représentativité des émigrés
dans ces différents pays.
En plus de l'Europe, 10 % des transferts d'argent viennent des
Etats unis d'Amérique. Ce taux s'explique non pas par l'importance du
nombre d'immigrés aux pays de l'oncle Sam mais par la différence
de devise qui est à la faveur du dollar. Par contre comparés
à la France, les fonds venant des Etats Unis sont moins importants. Les
barrières linguistiques, l'absence d'une sécurité sociale
adéquate et la lourdeur des formalités pour l'obtention d'un
titre de voyage font que les Etats unis d'Amérique n'occupent que moins
de 1% de la diaspora villageoise. Les Habitants de Wodobéré
émigrent très peu vers les Etats Unis.
Sur le continent africain les principaux transferts en
direction de Wodobéré viennent de Dakar (Sénégal)
avec 7% des flux. Cela s'explique par la forte concentration des
immigrés originaires de Wodobéré dans la capitale.
Pôle économique et l'antichambre des différentes
destinations internationales, Dakar est par sa position géographique et
par ses attributs, la première et la principale destination africaine
des migrants.
Par ailleurs, à l'exception de Dakar, les destinations
africaines ne fournissent que moins de 1% des transferts. Cela
découlerait non seulement de la faible présence des
émigrés du village dans ces pays mais aussi de la pauvreté
qui sévit dans ces pays d'accueil.
76
I.2. Le volume des flux financiers selon les
origines
Source : Bureau de poste de Wodobéré,
2008
Les flux financiers en direction de Wodobéré
sont d'une importance capitale. Avec une population de 3873 habitants seulement
en 2002, le montant annuel des transferts d'argent des différents pays
d'immigration vers Wodobéré s'élève à
929.754.199 francs CFA en 2008 (Graphique 6). Ces chiffres représentent
uniquement les mandats envoyés par les canaux traditionnels de transfert
d'argent dont les plus utilisés sont Western union, Money express,
Mandat placid et « des points fax ».
Les points fax sont des moyens de transferts établis
par les émigrés qui se sont regroupés en `' GIE»
servant de véritables relais pour la transmission des mandats de
l'étranger vers leurs pays d'origine. Avec deux structures
parallèles, une à l'étranger servant à collecter
auprès des immigrés souhaitant envoyer de l'argent à leurs
parents et une autre structure au village permettant la transaction. Le GIE
constitue un canal privilégié et moins coûteux pour la
diaspora. Ainsi, après avoir reçu l'argent de
l'émigré avec une commission, le GIE établi dans les pays
d'accueil ordonne à son représentant au village de remettre la
somme équivalente aux destinataires (graphique 7).
Graphique 7: Représentation
schématique du mode de fonctionnement des points
fax
Emigré
Pays d'accueil
Intermédiaire Pays d'accueil
Appel téléphonique
Appel téléphonique
Intermédiaire Pays de réception
Receveur du
transfert
d'argent
Légende:
|
|
|
Transaction
Appel téléphonique
|
Parallèlement aux structures traditionnelles de
transferts d'argent, un autre canal informel est utilisé par les
émigrés. Il s'agit du transfert du << main en main
>>. Les émigrés reviennent périodiquement au
village. Ce qui permet à plusieurs d'entre eux de rapporter de l'argent
vers Wodobéré sans le moindre coût. C'est-à-dire que
les émigrés remettent l'argent à transférer
à leur compatriote, le plus souvent qui leur est proche, en partance
pour le pays. D'après nos enquêtes cette forme de transfert est
fréquemment utilisée par la diaspora. Ce qui revient à
dire que les canaux traditionnels de transfert d'argent ne permettent pas de
connaitre avec exactitude le volume des flux financiers. Le volume des fonds
envoyés par le biais des deux dernières formes de transfert
à savoir les points fax et le rapatriement par un proche, reste
très difficile à quantifier. Selon la BAD << les transferts
de fonds par les canaux informels représentent 46% des transferts totaux
reçus par le Sénégal en 2005 >>41.
En effet, les montants des transferts d'argent
diffèrent selon les pays d'immigration. Sur les 929.754.199 francs CFA
(Graphique n°6) envoyés en 2008 par la diaspora villageoise de
Wodobéré, 720.929.307 francs CFA viennent de la France. Cette
manne financière est en corrélation avec le nombre
d'immigrés vivant dans l'hexagone. Après la France, les flux
78
41 Gaye Daffé : << Les transferts
d'argent des migrants sénégalais : Entre espoir et risques de
dépendance >>, p111
financiers les plus importants viennent des Etats Unis
d'Amérique avec 92.359.894 francs CFA du total annuel.
L'Afrique est faiblement représentée dans les
transferts d'argent. Hormis le Sénégal (Dakar) avec 69.471.618
francs CFA, les transferts venant des autres pays africains n'excèdent
jamais les dix millions de francs par an. Par ailleurs, la primauté de
Dakar sur les autres régions africaines dans la répartition des
transferts de fonds n'est point le fruit de l'importance des immigrés
à Dakar. D'après nos sources, malgré la forte
présence des émigré à Dakar, il s'agit des
transferts d'argent qui viennent de l'étranger mais qui transitent par
Dakar. Il s'agit pour la plus part, de l'argent des émigrés qui
ont souhaité transférer d'abord à un tiers basé
à Dakar. Ce dernier se chargera par suite de le transférer vers
Wodobéré.
Cependant, ce déséquilibre entre le nombre de
migrants et le volume des transferts d'argent s'explique, d'une part, par la
différence de devises et, d'autre part, par l'importance des salaires et
les possibilités d'emploi au niveau des pays d'accueil. Non seulement il
est beaucoup plus facile de trouver un emploi dans les pays
développés que dans les pays en développement mais aussi
la différence de devises fait que les transferts des
émigrés internationaux sont plus consistants que ceux des
émigrés internes.
II. L'utilisation des transferts d'argent
Les fonds transférés vers Wodobéré
à titre collectif sont consentis à la réalisation des
ouvrages de prestige destinés à la communauté toute
entière alors que les flux financiers à titre individuel servent
pour l'essentiel à garantir la sécurité alimentaire et le
bien être des familles d'émigrés. << Le transfert
à vocation économique présente une part résiduelle
»42 dans les montants envoyés chaque année.
II.1 Utilisation collective de type
social
Les émigrés du village de
Wodobéré, à travers leurs différentes associations,
ont réalisé d'importants ouvrages à destination
collective. Ces associations, à l'instar de l'Association de
Wodobéré pour le Développement, l'Education et la
Santé (AWDES), ont permis la construction et l'équipement des
ouvrages allant du social aux infrastructures pour l'épanouissement, la
vulgarisation et la formation de la population résidente.
42 SALL Babacar : << Migrations, transferts
financiers et initiatives économiques en Afrique subsaharienne ».
In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds et
Développement, p284
Nonobstant les transferts qu'ils effectuent individuellement
en direction de leurs familles, les émigrés orientent leurs
actions vers la gestion collective des ressources drainées par
l'émigration.
« Les associations visent une utilisation plus
rationnelle de l'épargne des émigrés, un transfert des
connaissance acquises et des normes de consommation - en somme les
émigrés recherchent une rentabilisation plus efficace au village
de leur séjour en France»43.
Ainsi, ils mettent aussi leur savoir faire au profil de la
communauté d'origine. Ce qui fait d'eux des piliers fondamentaux pour
l'évolution et l'éveil des consciences des
non-émigrés.
Les aspects religieux
Constitués exclusivement de confession musulmane, les
habitants du village de Wodobéré, comme partout ailleurs au
Fouta, ont très vite embrassé les préceptes de l'Islam.
L'éducation, la formation et la pratique de cette religion sont le
soubassement de la vie sociale. Ainsi, l'Islam occupe une place de choix dans
l'orientation des actes et de la politique régissant la vie
communautaire.
Les émigrés, dans leur majorité ont eu
à bénéficier de l'appui des dignitaires religieux pour la
réalisation de leur projet migratoire. Il n'existe pas un seul
émigré pour lequel le départ n'est pas accompagné
d'incantations et autres prières des hommes de foi. C'est ainsi dire que
les émigrés accordent une grande importance à la religion
musulmane et à ses recommandations. Cet attachement des
émigrés à la religion constitue souvent le soubassement de
plusieurs actes qu'ils posent.
Ainsi, après la réussite, les émigrés
oeuvrent soit pour témoigner leur
reconnaissance à leur guide, soit pour
bénéficier de beaucoup plus prières de la part des
représentants religieux. C'est dans ce cadre que plusieurs actions
afférentes à la religion ont été faites. A titre
individuel, les émigrés paient de billet de pèlerinage
à certains marabouts, leur achètent des voitures et/ou leur
construisent des habitations. A titre collectif et par le biais de
l'association des ressortissants du village de Wodobéré, ils ont
permis la construction d'une mosquée dont le coût
s'élève à plus de 70 millions de FCFA en 2000 (Photo
2).
80
43 Quiminal Catherine : Le rôle des
immigrés dans les projets de développement et les formes de
coopération possibles dans la vallée du fleuve
Sénégal, p.330
Photo 2 : Mosquée construite par
l'association villageoise en 2000
Les infrastructures
Village de moins de 4000 âmes et se trouvant à
plus de 600 km de la capitale du Sénégal, Wodobéré
est caractérisé par l'absence de l'action de l'Etat si ce n'est
que pour fournir le personnel pour le fonctionnement de certaines structures.
Il n'y existe aucune infrastructure dont la réalisation a
été l'oeuvre du pouvoir central. En effet, il accompagne les
populations quand il s'agit de fournir le personnel nécessaire au
fonctionnement des structures telles que les bureaux de poste, les
écoles, les postes de santé entre autres.
Conscients des difficultés rencontrées par les
habitants de cette localité dans le domaine de la santé, de
l'éducation, de la communication, et des risques encourus, les
émigrés ne lésinent pas les moyens pour mettre en pratique
les services sociaux de base. C'est dans ce cadre qu'ils ont construit un
Bureau de poste en 1991 pour faciliter la communication entre le village et sa
diaspora. Dans ce même registre, ils ont financé
intégralement la construction d'un Collège d'enseignement moyen
en 2006, devenu aujourd'hui Lycée de Wodobéré. Ce dernier
est d'une importance incommensurable quand on sait que le Lycée le plus
proche est difficilement accessible. La construction de ce Collège par
les émigrés permet une scolarisation des filles beaucoup plus
efficiente.
C'est dans cette même perspective, pour pallier les
problèmes récurrents de l'accès aux services de la
santé, que les émigrés ont financé la construction
d'un Poste de santé en
2005. L'action des émigrés dans cette
localité est loin de connaitre son épilogue car ils sont parvenus
à tisser des réseaux de relations leur permettant d'atteindre
leurs objectifs. Ainsi, pour participer à l'éducation des jeunes,
les émigrés, par le biais de l'AWDES ont, en collaboration avec
l'ONG française Co-Développement, construit une seconde Ecole
élémentaire en 2008. Cette dernière dont le coût
s'élève à 68 millions de FCFA a été
construite avec un apport de 13% des émigrés. Ainsi, << ces
investissements concourent à densifier l'espace et à promouvoir
le développement local »44.
II.2. Utilisation de type familial des transferts
financiers
« Si la France va bien, le village va bien
». Cette petite phrase lancée par un de nos interviewés nous
enseigne à quel point la vie socioéconomique du village est
assujettie aux transferts de fonds issus de l'émigration. La
dépense alimentaire, l'habillement, la santé, l'éducation,
le logis et l'ensemble des besoins primaires des habitants sont
subjugués aux fonds envoyés. Ces transferts << constituent
une forme de protection, d'assurance face aux incertitudes et à la
précarité des populations »45. Ils permettent
d'alléger les incidences du déficit pluviométrique sur la
production agricoles.
La transformation du bâti
Tableau 8 : Le pourcentage du patrimoine
bâti selon la matière de construction
Nature des bâtiments
|
Effectifs
|
Pourcentages
|
En dur
|
44
|
73
|
En banco
|
15
|
25
|
En paille
|
1
|
2
|
Source : Enquête de terrain, 2008
Si dans les années précédant
l'émigration des habitants du village de Wodobéré vers les
pays du Nord, l'essentiel des matériaux constituant les habitations
était en banco, aujourd'hui on peut apercevoir à travers le
bâti une nette amélioration du cadre de vie. Les photographies 3
et 4 sont révélatrices de cette transformation en dur du
patrimoine bâti qui était naguère en banco. La construction
d'une maison en dur au village constitue l'une des matérialisations de
la réussite de l'émigré. Les transferts d'argent
alloués à la construction de logements familiaux
représentent 5,6% des montants reçus par les familles
d'émigrés (Tableau 9). Ce qui fait que << le plus souvent
aussi, le migrant envoie de l'argent et des
44 Raunet Mireille: Op.cit., p343
82
45 Raunet Mireille: Ibid., p342
matériaux pour qu'on puisse lui construire une habitation
plus conforme à son nouveau standing [...] »46.
« L'émigration fait notre fierté »
scande un habitant avec lequel nous avons eu un entretien. Aux yeux de ces
habitants la construction d'une belle maison, la sécurité
alimentaire, entre autres, sont les baromètres de la réussite
sociale pour les émigrés. Cela se traduit par une augmentation
considérable des surfaces bâties mais également par une
prolifération des bâtiments en dur. Les demeures en dur
représentent 73% (Tableau n°8) du patrimoine. L'augmentation des
surfaces bâties contribue à l'amélioration des conditions
de vie des non-émigrés
Photo 3: Maison en construction Photo 4 : Maison d'un
émigré établi en France
Cependant, les émigrés manquent de
réalisme et sont parfois animés par d'autres ambitions que de se
servir un habitat acceptable. Dans un village, où la ressource
foncière est à perte de vu et les familles peu nombreuses, il est
un paradoxal d'y construire des bâtiments de standing R+. Le
bâtiment en construction (Photo 3) est un exemple illustratif de
l'existence de ces châteaux dans le désert. Il se pose tout
simplement un problème de priorités parce qu'en lieu et place de
ces constructions ostentatoires, qui ne peuvent pas d'ailleurs être
utilisées dans leur intégralité, les émigrés
auraient beaucoup à gagner s'ils investissaient dans les secteurs
pouvant absorber la main d'oeuvre existante.
En effet, cette manie de construction des
émigrés réside dans leurs soucis de
notoriété au sein de la communauté villageoise
plutôt que de leur besoin d'abri acceptable. Cela est d'autant plus vrai
que les émigrés se dépouillent de toute leur fortune pour
ne
46 AHIANYO.A- AKAKPO : Op.cit., p159
construire qu'un bâtiment qui à la limite ne leur
servira pas subséquemment. Ceci parce qu'ayant toute leur famille dans
les régions d'accueil.
La sécurité alimentaire
Au Sénégal, « comme la
quasi-totalité des pays d'Afrique subsaharien, les études
montrent, en effet que les transferts de fonds sont prioritairement et
majoritairement destinés à alimenter le budget de consommation de
la famille d'origine du migrant47 ». Au niveau local, il en est
de même parce qu'à Wodobéré 85,1% (Tableau n°9)
des flux financiers de l'émigration sont destinés à
l'entretien de la famille de l'émigré. Cet argent couvre
l'essentiel des besoins de la famille. Il sert d'assurer la dépense
quotidienne, l'achat de l'habillement, à financier certaines
cérémonies mais également à couvrir les
dépenses liées à la santé.
L'importance accordée à la
sécurité de la famille dans l'utilisation des transferts d'argent
trouve ses explications dans les déterminants de l'émigration.
Cette dernière est d'abord économique et une stratégie de
survie des populations pour diversifier leurs ressources. La première
raison d'émigration est d'asseoir une alimentation suffisante à
la famille de l'émigré. Il est donc tout à fait logique
pour l'émigré que les fonds consentis à l'alimentions
soient beaucoup plus importants.
En effet, il se pose aujourd'hui la question de savoir comment
pallier cette dépendance alimentaire vis-à-vis des
retombées de l'émigration. Il est d'autan plus inquiétant
que la vie de ces foyers vivant directement et exclusivement des ressources
tirées de la migration est assujettie aux rythmes des politiques
étatiques régissant les migrations, mais aussi au cours des
marchés mondiaux. Malgré la distance qui peut séparer ces
familles aux pays d'accueil, les pertes d'emploi liées aux
différentes crises internationales sont ressenties au niveau local parce
que l'émigré constitue le garant de la famille.
Tableau 9 : Ratios d'utilisation des
transferts d'argents reçus par les ménages (en%).
Utilisation
|
Pourcentage
|
Entretien de la famille
|
85,1
|
Construction d'un habitat familial
|
5,6
|
Remboursement de prêts
|
3,7
|
Investissement productifs
|
3
|
Autres
|
2,6
|
Source : Enquête de terrain, 2008
84
47 Gaye Daffé : Op.cit., p118
L'amélioration des conditions de vie
En plus de la sécurité alimentaire des
non-émigrés, malgré la précarité des
conditions de vie dans le monde rural, les émigrés veillent au
bien être de leurs compatriotes restés au village. Ils ne
ménagent aucun effort pour mettre leurs parents à l'abri du
besoin. Ainsi, de la téléphonie mobile à
l'électroménager, de la construction d'habitation à leur
équipement, les émigrés n'hésitent pas à
dépenser des sommes faramineuses pour le bien être de leurs
parents. L'essentiel des ménages de Wodobéré a
accès à l'eau et à l'électricité (Tableau
10).
Aujourd'hui, les émigrés envoient
également en nature. D'ailleurs, depuis un passé récent
cette forme de transfert connait une évolution spectaculaire. Il s'agit
pour l'essentiel des objets usités dans les pays occidentaux tels que
des voitures, des ordinateurs, des réfrigérateurs, des
téléviseurs etc. Ainsi, dans tous les ménages où il
existe un/des émigré(s) les familles disposent de certaines
commodités.
Tableau n°10 : Equipement des
ménages
Eléments
|
Population
|
Pourcentage
|
Raccordement en électricité
|
48
|
80
|
Adduction d'eau
|
52
|
86,66
|
Ordinateur
|
7
|
11,66
|
Voiture
|
4
|
6,66
|
Réfrigérateur
|
27
|
45
|
Téléphone fixe
|
31
|
51,66
|
Téléphone cellulaire
|
54
|
90
|
Poste radio
|
54
|
90
|
Téléviseur
|
48
|
80
|
Sans équipement
|
00
|
00
|
Source : Enquête de terrain, 2008
II.3. Les investissements économiques
individuels
Si les premiers émigrés ne se souciaient que du
bien être de leurs parents restés au village, ceux de ces
dernières années pensent de plus en plus à investir dans
des secteurs plus ou moins rentables. Ils sont nombreux à intervenir
dans le transport, le commerce et dans l'immobilier.
En effet, comparés aux montants accordés aux
autres secteurs, les fonds réservés aux investissements
productifs sont très minimes. Ils ne représentent que 3% des
transferts d'argent reçus par les ménages. Cela s'explique par la
« [...] la capacité limitée des bénéficiaires
à entreprendre des activités productives d'une part, et par le
manque de confiance des migrants dans les structures intermédiaires
d'autre part»48. Cela s'explique également par
l'illettrisme des émigrés parce qu'ils sont constitués
dans leur majorité par des gens qui n'ont pas fréquenté
l'école ou, du moins, qui ont quitté très tôt les
bancs.
L'immobilier
Pour un bon nombre d'émigrés, l'immobilier
constitue le secteur le plus sûr car ne nécessitant pas
l'intervention ou la gestion d'un tiers. Ils se chargent eux-mêmes ou par
l'intermédiaire d'un proche d'acheter des maisons à Dakar. Ainsi,
l'immobilier fait l'objet de convoitise des émigrés parce que les
barrières administratives sont beaucoup plus souples et sa gestion
beaucoup plus facile. C'est sous cette optique que la plupart des
émigrés analysent la rentabilité de leurs
investissements.
En effet, l'importance accordée à
l'investissement dans le secteur de l'immobilier découle de leur manque
de moyens pouvant financier de gros projets. Avec leurs pécules
redistribués d'abord à travers les taxes et pour honorer leurs
engagements dans les pays d'accueil, puis par les transferts d'argent envers
leur famille respective, les émigrés ne peuvent pas
épargner pour le financement de grands projets. Ce qui explique leur
ruée vers l'immobilier.
Le commerce
Au demeurant le commerce n'est pas pour les
émigrés une activité dans laquelle ils cherchent à
avoir du profit. Quand ils interviennent dans ce secteur c'est, soit pour
créer un emploi à leurs frères restés au village,
soit pour préparer leurs retours définitifs de
l'émigration. Au village de Wodobéré, la
quasi-totalité des boutiques sont financées par les
émigrés.
Le transport
Le village de Wodobéré a été
pendant plusieurs années marqué par son enclavement et par des
difficultés dans les déplacements de sa population. Aujourd'hui,
avec la construction d'une piste en latérite sur la route
régionale (R42), on note une certaine amélioration dans les
conditions de déplacement des populations. Ainsi, pour faciliter
l'interconnexion du village et le reste du pays, les émigrés, par
le biais de leurs
86
48 Gaye D : Op.cit., p120
associations, ont d'abord mis à la disposition des
habitants une voiture leur permettant de voyager à moindre coût.
Par la suite, d'autres ont commencé à intervenir à titre
individuel en achetant des taxis brousses (Photo 5). Depuis lors, des actions
allant dans ce sens se sont multipliées mettant en place un
véritable réseau routier.
Photo 5 : Deux taxis brousse appartenant
à des émigrés
CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de
l'émigration sur la population résidente
Le voyage a toujours été l'un des vecteurs de
changements et de transformation dans les habitudes, dans les comportements et
dans les manières de vivre de ceux qui le font. Des changements non
seulement pour celui qui l'effectue mais aussi, dans le cadre de
l'émigration massive, pour toutes les personnes qui gardent des rapports
étroits avec ces derniers.
Ainsi, le séjour dans une communauté avec des
réalités différentes se traduit soit par
l'intégration de l'immigré, soit par son repli sur lui-même
à travers les associations de ressortissants. S'il s'agit du premier
cas, l'acculturation de l'émigré peut devenir l'aboutissement de
l'intégration à la communauté d'accueil. Dès lors,
l'émigré devient un véritable pilier de la mondialisation
parce qu'il va servir de relais entre le pays d'accueil et le pays d'origine.
Cette mondialisation, avec des flux d'information à sens unique
(nord/sud), ébranle les sociétés traditionnelles Ouest
africaines en générale et du Damga en particulier. Elle installe
de nouvelles pratiques, de nouveaux comportements et une nouvelle
identité au détriment de la vie communautaire et des rapports
sociaux basés sur l'entraide et la solidarité.
Le village de Wodobéré est aujourd'hui au coeur de
ce remue ménage incongrue, qui est la conséquence directe des
influences comportementales de l'homme migrant.
I. Les facteurs socioculturels
L'émigration a des conséquences socioculturelles
sur la population résidente. Ces conséquences sont la
désintégration des liens de solidarités, le
dépeuplement des zones de départ, la fréquence des actes
d'adultères etc.
I.1. La désintégration des liens de
solidarité
Contrairement à ce que l'on croirait,
l'émigration n'est pas uniquement un manque à gagner pour les
populations concernées. Elle est aujourd'hui un facteur provoquant
l'avènement de nouveaux rapports sociaux qui n'existaient
naguère.
88
Si, à son origine dans la moyenne vallée du
fleuve Sénégal en général et à
Wodobéré en particulier, l'émigration était
inscrite dans les stratégies mises en place par les familles pour leur
assurance contre les aléas naturels et pour se mettre à l'abri du
besoin, elle est aujourd'hui source de distanciation des liens familiaux et de
discorde. Au gré des vents de la mondialisation, on assiste à
l'avènement de familles nucléaires et à un
individualisme
grandissant dans une société à mode de
vie communautaire. L'argent corrompt les moeurs légères et
éloigne certains de leur communauté. Avec la réussite
sociale de certains émigrés obnubilés par le pouvoir de
l'argent, l'éclatement des familles qui, il y'a de cela quelques
décennies vivaient sous les mêmes toits, est devenu une constante.
L'unité familiale n'est plus la concession composée par plusieurs
ménages dans une même concession mais, se constitue plutôt
autour d'un seul fooyré.
En plus de la désintégration des liens de
solidarité au niveau des familles, il y a également le
développement de nouveaux types de rapports basés non pas sur les
liens conviviaux mais sur des jeux d'intérêt. Il est
fréquent, dans nos communautés villageoises à forte
composante migratoire, de voir des relations extra-familiales beaucoup plus
nourries que celles qui existent entre des frères de même sang.
Cette situation se traduit par la désagrégation des familles et
l'apparition de relations de plus en plus tendues.
I.2. Le dépeuplement
La première conséquence visible de
l'émigration quant on arrive dans les localités à fort
taux d'émigration c'est la prépondérance des jeunes de
moins de vingt ans, des femmes et des vieux. Autrement dit, la
quasi-totalité des hommes valides, c'est-à-dire dont l'âge
se situe entre 20 et 64 ans, est absente. Ainsi, à la lumière du
Tableau 11, il n'existe que 10,35% d'hommes présents au village contre
23,7% de femmes. Parallèlement, pour la même classe d'âge,
on note une suprématie des hommes sur les femmes résidents hors
du village avec respectivement 11,98% et 6,36%.
Cela s'explique, comme nous l'avions dit
précédemment, par le rôle de l'homme dans la
répartition des responsabilités familiales, par les effets de
l'émigration sélective et par la structuration de la
société. Village marqué par une société
inégalitaire, tant du point de vu du sexe que du point de vu de
l'âge, Wodobéré est habité majoritairement par des
femmes.
Cette situation favorise le dépeuplement, d'une part,
parce que les naissances sont très espacées et, d'autre part,
parce que les épouses d'émigrés ont tendance à
rejoindre leurs maris dans leurs destinations respectives. Pire, les
émigrés qui, à leur départ du village,
étaient célibataires peuvent contracter des mariages et fonder
des familles dans les régions d'accueil.
Ceci se traduit au niveau local par un dépeuplement de
plus en plus pressent mais aussi par l'absence des actifs censés venir
à la rescousse des vieux qui représentent
d'ailleurs une importante partie dans la population
résidente. D'autant plus que ces vieux ont besoin de l'aide et de
l'assistance pour se maintenir.
Au niveau de la reproduction également, les
conséquences de l'émigration masculine se font sentir. Il faut le
rappeler, les courts séjours des émigrés au village
conjugués aux longues durées qu'ils restent à
l'étranger amenuisent les chances de fécondité de leurs
épouses. Ce qui se traduit par des naissances très
espacées chez les unes et par une baisse notoire de la
fécondité chez les autres. Ces revers de l'émigration sont
très mal vécus par certaines épouses
d'émigrés qui finissent par se livrer à des actes qui ne
les honorent pas.
Tableau 11: Rapport entre la population
absente et la population présente selon l'âge et le sexe (%)
Sexe Tranches d'âge
|
Féminin
|
Masculin
|
Totaux
|
Présentes
|
Absentes
|
Présents
|
Absents
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
00-19
|
166
|
15,07
|
34
|
3,08
|
177
|
16,07
|
49
|
4,45
|
426
|
38,6
7
|
20-64
|
261
|
23,7
|
70
|
6,35
|
114
|
10,35
|
132
|
11,98
|
577
|
52,3
8
|
65+
|
43
|
3,9
|
8
|
0,79
|
30
|
2,72
|
17
|
1,54
|
98
|
8,95
|
Totaux
|
470
|
42,67
|
112
|
10,22
|
321
|
29,14
|
198
|
17,97
|
N=1101
|
100
|
Source : Enquêtes de terrain, 2008
I.3. La fréquence d'actes d'adultère,
facteur d'infanticides
Comme nous l'avions vu précédemment,
l'émigration dans cette contrée du Sénégal se
caractérise par la durée des voyages et l'absence des maris de
leurs foyers durant de longues années. Cette absence est souvent source
de frustration et de résignation chez les femmes
d'émigrés. Les moins pudiques, pour assouvir leurs besoins, se
tournent vers des actes coupables. Ainsi, on note une récurrence des
actes d'adultères liés au caractère des migrations
internationales. La fréquence des cas d'infanticide est
étroitement liée à ces actes d'adultère de femmes
d'émigrés.
90
En plus de l'absence des maris qui est une source de
tentation, la fréquence des actes d'adultère est liée
à l'influence des rentes migratoires. Les femmes de cette
localité, comme il est souvent le cas partout ailleurs, ont un besoin
pressent de liquidité pour, non seulement, avoir une certaine aisance
financière mais aussi pour assouvir leurs besoins en objets de parure.
Ainsi, certaines femmes, obnubilées par le pouvoir de l'argent et qui,
par
mal chance n'ont pas de mari émigré, se livrent
à une prostitution déguisée. Prostitution
déguisée parce que, même si ces dernières ne
squattent pas les rues et ruelles du village, elles cèdent sous le
pouvoir de l'argent. Profitant de cet état de fait, des hommes usant ou
pas de leur statut d'émigré, se permettent d'abuser de ces femmes
contre quelques petites liasses de billet de banque.
En effet, les raisons avancées si dessus ne sont pas
les seules causes de la fréquence des actes d'adultère dans les
communautés à forte migration en général et
à Wodobéré en particulier. Ces actes peuvent être le
résultat de l'hypocrisie et de la malhonnêteté des
émigrés eux-mêmes. Notre interviewé,
émigré de son état, témoigne que :
« Les relations heurtées entres compatriotes
en France sont souvent à l'origine de l'infidélité des
femmes au village. Un émigré avec lequel tu as eu quelques couacs
en France peut se permettre d'abuser de
ta femme une fois au village pour, se disant il, te faire du
mal ».
Ainsi, on est arrivé finalement à forger une
société où la perte de valeur et le manque
d'éthique ont conduit à la dégradation notoire des moeurs
qui étaient naguère la fierté de toute la
communauté villageoise.
I.4. L'émigré et le
sida
Plusieurs études ont mis en relation la propagation de
la pandémie du sida à l'émigration dans la moyenne
vallée du fleuve Sénégal. En effet, rares sont ceux qui
ont essayé d'étudier les effets psychologiques et comportementaux
de la maladie du sida sur les non-migrants d'une part et sur les
émigrés d'autre part.
Si l'on affecte la propagation du sida à la
mobilité et aux comportements sexuels à risque des migrants,
certains émigrés font aujourd'hui l'objet d'accusations et de
stigmatisations non fondées. Pour un émigré de retour des
régions africaines il est interdit de montrer la moindre faiblesse sur
le plan de la santé. Tout émigré revenant des destinations
africaines avec un état dépressif est de facto suspecté
par la population résidente. Cette caricaturisation des
émigrés est aujourd'hui source de discorde et de refoulement. Un
émigré en retour de la Cote d'Ivoire témoigne de sa
mésaventure :
« Je suis victime des représentations non
fondées faites sur les émigrés des régions
africaines. A mon retour au village, mon épouse m'a abandonné
prétextant que j'étais porteur du sida vu la faiblesse de mon
poids ».
Cette situation a suscité beaucoup de débat dans le
village et allant même jusqu'à réveiller de vieux
démons parce que ne s'arrêtant pas uniquement au couple.
92
Au niveau des veuves, dont les maris étaient des
émigrés de destinations africaines, la stigmatisation et le
refoulement sont également de mise. Il est quasiment impossible pour
elles de trouver de nouveaux maris.
En effet, l'émigration peut être tout de
même à l'origine de la propagation du sida. Certains
émigrés avec des comportements sexuels à risque,
c'est-à-dire qui font souvent recours aux prostituées lors de
leurs voyages, peuvent à leur retour contaminer leurs épouses si
toute fois ils sont infectés. Quand on sait que les systèmes de
lévirat et de sororat sont pratiqués dans cette partie du pays,
nous pouvons dire qu'à travers l'émigré la maladie peut se
propager dans les familles.
II. L'émigration, facteur de
dégénérescence de l'économie locale
L'émigration joue certes, un rôle de premier plan
dans le développement de nos jeunes nations, mais elle n'est pas pour
autant sans conséquences sur le plan économique. Ponctionnant des
villages de leurs bras valides, elle affecte les productions agricoles si elle
ne les dévalorise pas totalement.
Ainsi, on assiste aujourd'hui à une
surévaluation de l'émigration par rapport à tous les
autres secteurs d'activités. Elle est à l'origine de l'abandon de
l'agriculture, de la dévalorisation de l'artisanat par la population
locale mais également du désintéressement des jeunes
à l'éducation et à la formation.
II.1. L'abandon de l'agriculture
Si à l'origine, par le biais du troc, l'agriculteur
pouvait échanger son mil au poisson du pêcheur, l'éleveur,
son lait au mil de l'agriculteur, aujourd'hui toutes les transactions se font
avec de l'argent. Il est quasi impossible de trouver une denrée
alimentaire, vile soit elle, sans posséder de l'argent. Ainsi, les
remises migratoires, c'est-à-dire les retombées
financières de l'émigration, sont devenues la seule alternative
existante pour assouvir les besoins les plus élémentaires de la
population. L'argent c'est le pouvoir pour certains; parce que non seulement
les remises permettent l'achat des denrées alimentaires, dont la
production nécessite des efforts humains considérables et
mobilise des moyens qu'elle ne permet plus de compenser, mais aussi parce
qu'elle met les populations à l'abri de tout besoin. Cette situation de
dépendance face à ces remises est de nos jours à l'origine
de la décadence de l'agriculture.
En plus de cela, l'essentiel des denrées alimentaires
consommées par les populations locales est importé. Du riz au
poisson en passant par les autres ingrédients,
tous ces vivres viennent de l'intérieur du pays voire
même au-delà. On préfère le riz importé
plutôt que celui des paysans locaux, des pattes plutôt que les
plats à base de mil. Les produits locaux sont peu commercialisés
et par conséquent ne permettent pas aux agriculteurs de vivre de leurs
productions. Ce qui pousse les habitants de cette contrée à
chercher l'argent avec lequel ils peuvent acheter des produits agricoles
plutôt que d'en produire pour vendre par la suite. Cette situation est
à l'origine du désintéressement de la population en
général et des jeunes en particulier de l'agriculture.
De plus, comme nous l'avions mentionné
précédemment, l'agriculture souffre des aléas climatiques
et du manque de bras pour la mise en valeur des terres arables. La
répartition dans le temps et dans l'espace des pluies et des crues ne
permet plus une production en quantité et en qualité des
denrées pouvant assurer la subsistance des populations comme il
l'était à l'époque.
Ainsi, aux yeux des jeunes, l'émigration reste la seule
option sur laquelle ils peuvent compter pour pallier ces problèmes. Ceci
parce qu'en dépit des difficultés pour sa réalisation,
elle permet le plus souvent à ces jeunes d'atteindre les fins
escomptées. Avec les ressources qu'elle génère, les
populations ont fini par abandonner tout bonnement l'agriculture qui est
considérée comme une activité vétuste et
appelée à disparaître.
En effet, le manque de bras pour la mise en valeur de
l'agriculture et les aléas climatiques ne sont que les motifs
superficiels avancés par les populations. Par ailleurs, il existe des
considérations autres que ces motifs qui ont conduit à la
dégénérescence de l'agriculture. Il s'agit des ambitions
nourries par les transferts financiers. Autrement dit, les ménages qui
reçoivent régulièrement de l'argent par les
émigrés finissent tout bonnement par abandonner toute forme
d'activité pour ne vivre que de ces envois mensuels.
II.2. La dévalorisation de
l'artisanat
Tout comme l'agriculture, l'artisanat n'a pas
résisté face aux opportunités offertes par les migrations.
Etant un artisanat non structuré et utilisant des moyens rudimentaires,
il était tout d'abord confronté à la concurrence des
produits manufacturés, qui sont de meilleure qualité et bon
marché. Les industries fabriquent en quantités, en
qualités, sur des temps records et à moindre coût tout ce
que les artisans produisent avec des investissements en moyens et en efforts
colossaux. Ce qui se traduit sur le marché par la cherté des
produits artisanaux par rapport aux produits manufacturés.
Ainsi, l'artisanat souffre de nos jours du
désintéressement même des artisans. Il ne permet plus
à ces derniers de bénéficier de ses retombées
financières. Si à une époque
94
récente la vente des produits artisanaux recouvrait les
besoins des artisans, aujourd'hui il ne permet plus à ces derniers de
vivre dignement de leur art. Les conditions dans lesquelles les artisans
travaillent sont devenues de plus en plus précaires, d'où la
reconversion de ces derniers dans d'autres activités. C'est dans ce
cadre que nombre d'entre eux sont devenus des émigrés
potentiels.
II.3. Le désintéressement de la
population à l'éducation et à la
formation
Nos Etats en voie de développement sont
caractérisés, d'une part, par l'étroitesse du
marché de l'emploi et, d'autre part, par de mauvaises politiques de
recrutement des travailleurs. Ceci, parce que non seulement les offres d'emploi
ne sont que très rarement publiés pour le grand public, mais
aussi, même pour celles qui sont publiées, il n'existe aucune
objectivité dans le traitement des dossiers.
Certaines personnes ayant des réseaux de relations plus
denses bénéficient d'un favoritisme aberrant au dépend de
la masse. Ce manque d'objectivité et de rigueur dans les politiques de
recrutement entraine le chômage de milliers de diplômés.
Ceci est aux yeux des habitants de la localité de Wodobéré
une source de démotivation aussi bien pour les parents que pour les
jeunes eux-mêmes.
Par ailleurs, à l'opposée, l'émigration
offre, sans distinction aucune, l'opportunité de réussir en des
temps records. Si, pour les instruits il faut passer plus d'une vingtaine
d'années sur les bancs de l'école, décrocher certains
diplômes pour une éventuelle réussite sociale,
l'émigré en ce que le concerne peut rivaliser, au moins sur le
plan financier, avec les fonctionnaires de l'Etat en une période de cinq
ans. Ainsi, non seulement il gagne beaucoup plus en terme de temps mais aussi
en terme de revenus car il s'agit, pour la majorité, de
l'émigration internationale tournée vers France. Notre
interviewé témoigne que « rien qu'avec le smic tu peux
gagner plus de 500.000 FCA à la fin du mois ».Cette situation
explique aujourd'hui le désintéressement des parents et surtout
des jeunes à l'éducation et à la formation.
CHAPITRE III : Le village de Wodobéré face
aux défis de l'émigration I. La permanence des facteurs
d'émigration
Dans le village de Wodobéré la réussite
de l'émigration se mesure par le nombre d'émigrés d'une
même famille à l'étranger, la qualité de l'habitat
et la régularité de la dépense quotidienne. En plus de
cela, l'immobilier à Dakar, des taxis brousse au Fouta restent les seuls
baromètres d'une émigration réussie. Ce sont là les
seuls secteurs d'investissement auxquels les émigrés s'adonnent.
Le village de Wodobéré se caractérise par la
morosité des secteurs d'investissement des émigrés.
Malgré les montants colossaux envoyés par les
émigrés chaque année en direction du village, les facteurs
qui étaient à l'origine de leur départ existent encore.
L'émigration est un fait qui est devenu une chaîne. Loin
d'éradiquer les facteurs qui étaient à son origine, elle
est source de motivation pour les nouveaux candidats à
l'émigration.
Ceci parce que les émigrés, par illettrisme, ne
songent pas à trouver des créneaux d'investissement leur
permettant d'apporter les bonnes réponses à la
précarité des conditions de vie des habitants, condition sine
quoi none pour estomper les flux migratoires.
Quant on sait que c'est la pauvreté, la
précarité des conditions de vie et l'insécurité
alimentaire entre autres qui sont à l'origine des départs, les
ressources tirées de l'émigration devraient permettre de lutter
contre ces facteurs. En effet, en dehors des secteurs sporadiques cités
ci-dessus et qui font l'objet de convoitise par les émigrés, il
n'existe aucune autre structure pouvant créer de l'emploi. Cependant,
ces différents domaines d'investissement des émigrés,
à savoir la construction des immeubles et l'achat des taxis brousse, ne
permettent ni à absorber la main d'oeuvre existante encore moins
à susciter l'appropriation du milieu par les jeunes.
Il est aujourd'hui paradoxal de bâtir des étages
dans ce minuscule village alors que, d'une part, la ressource foncière
est à perte de vue et, d'autre part, les facteurs d'émigration
subsistent encore. Ces émigrés auraient beaucoup à gagner
s'ils investissaient cet argent dans des secteurs permettant de trouver un
remède à l'hémorragie que constitue la ponction du village
de ses bras valides. La manne financière que l'émigration
génère fait que les jeunes sont toujours obnubilés par
l'envie de quitter le pays.
Pour ces jeunes, l'émigration constitue la seule
alternative valable pour l'épanouissement de la population. Ce qui fait
que l'émigration a fini par tuer toutes les autres activités
pouvant conduire à un développement endogène. Ceci, parce
qu'au lieu de
96
créer des pôles d'emploi et retenir les jeunes,
la construction de ces bâtiments et l'achat de taxis brousse ne feront
que créer, chez les jeunes, l'envie d'émigrer.
L'émigration se résume à un épanouissement
individuel ou familial au détriment de la collectivité. Elle ne
permet pas à la société de tirer un profit commun de la
mobilité. Tant qu'il n'existe pas une réponse locale et
collective aux besoins de la population, l'émigration demeurera.
II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt
définitif des départs
Il est important, pour un arrêt définitif des
flux migratoires de Wodobéré vers le reste du monde,
d'élaborer des actions et des politiques d'appropriation du terroir par
les populations. La création des centres d'intérêt et des
cadres d'expression, où des politiques d'appropriation du milieu peuvent
être élaborées, reste la seule alternative probable pour
retenir l'attention des jeunes. Ainsi, avec les ressources tirées de
l'émigration, en lieu et place des constructions ostentatoires, les
émigrés doivent doter le village d'outils et de moyens de
production aussi bien dans le social que dans l'économie.
L'émigration ne doit pas être une fin en soi, mais une passerelle
vers le développement endogène.
II.1. Sur le plan social
Sur le plan social, plusieurs actions peuvent être
menées pour non seulement une bonne utilisation des ressources
tirées de l'émigration mais aussi pour abroger ses principaux
facteurs. Il s'agit pour l'essentiel de:
- mettre sur pied des centres d'alphabétisation pour
une meilleure formation des jeunes et des adultes qui n'ont pas eu la chance de
fréquenter l'école et d'y rester. Il sera question dans ces
centres de former la population en coiffure, en couture etc. Ils peuvent
également être la charpente d'une politique de sensibilisation sur
les problèmes de santé, de la reproduction et surtout de la
gestion des ressources disponibles;
- créer des mouvements d'élèves et
étudiants forts et susceptibles de constituer un vecteur important dans
les politiques d'appropriation du milieu par la population. Ces mouvements se
chargeront de promouvoir l'éducation, base de tout développement,
le patriotisme et la valorisation des études.
Ainsi, avec la réussite scolaire de bon nombre
d'élèves, il se crée une certaine émulation entre
les jeunes. Ce qui se traduit par une scolarisation massive des enfants qui,
avec la création très récente du Lycée de
Wodobéré, vont rester plus longtemps à l'école.
Cela va se traduire par le refus des élèves, qui atteindront un
certain niveau d'étude, d'abandonner l'éducation et la formation
au profit de l'émigration. Déjà, le mouvement
actuel des élèves et étudiants montre les
prémices d'un avenir meilleur car non seulement les élèves
y adhèrent mais aussi il trouve un écho favorable au niveau de la
population. Il suffit juste de consolider les acquis, d'encourager les
élèves qui font de bons résultats et enfin de sensibiliser
d'avantage les parents. Ce qui va constituer un pas important pour l'abrogation
des facteurs d'émigration.
II.2. Sur le plan économique
Songer au développement de nos pays relève de
l'utopie si des politiques agricoles fiables ne sont pas mises en place. Ceci
est valable pour l'ensemble des campagnes du pays. Il faut
impérativement assurer l'autosuffisance alimentaire des populations par
le développement de l'agriculture pour que leur amour du terroir et de
ses activités soient effectif. L'agriculture doit être le socle
sur lequel repose l'économie rurale susceptible de prôner un
développement par le bas.
A défaut de l'action de l'Etat, les zones
d'émigration doivent prendre leur destin en mains. Pour atteindre ces
objectifs, les émigrés doivent collecter des fonds, travailler
d'avantage avec les institutions publiques, les partenaires au
développement et avec les ONG. Ainsi, ils n'auront qu'à orienter
leurs investissements vers le développement des activités
agricoles. Le village de Wodobéré, avec une aire importante de
plaine alluviale et avec la disponibilité des ressources en eaux, peut
faire l'objet d'une production intense de riz, de maïs et du mil.
L'exploitation des terres du walo et la mise en culture des casiers rizicoles
pouvaient être une alternative considérable au chômage des
jeunes de ce village. Pour cela, il suffit juste d'utiliser à bon
escient les fonds envoyés chaque année par l'achat d'intrants et
l'exploitation subséquente des terres arables et de l'eau du fleuve.
Les études récentes de la SAED, en collaboration
avec le ministère de l'agriculture, ont montré que près de
125 ha, jouxtant le village de Wodobéré, peuvent faire l'objet
d'une riziculture. En mesure d'accompagnement, la SAED promet de mettre
à la disposition des riziculteurs des tracteurs et des batteuses. En
plus de cela, pour une transformation des productions, une rizerie sera
implantée à Matam.
En effet, il n'existe pas jusque là des investisseurs
intéressés par ce secteurs. Mais, en dépit d'une
implication de l'ensemble des émigrés par le biais de
l'association villageoise établie en France, les
intéressés doivent se regrouper en G.I.E à l'image de ce
qui se passe à Ndouloumadji Dembé, où les principaux
agriculteurs sont des investisseurs émigrés. Ensuite, ils doivent
impliquer les femmes. Ces dernières sont la plupart du temps
98
celles qui dirigent les ménages
d'émigrés. Donc, le rôle de second qui leur était
assigné jusque là doit être remplacé par leur
responsabilisation.
Parallèlement, les ressources en eaux telles que le
fleuve doivent être utilisées en bon escient. Elles permettront de
développer la pisciculture et le maraîchage. Les
émigrés à travers des G.I.E doivent réunir des
fonds pour la mise sur pied des bassins de fécondation d'où
seront issus les alevins. Le développement de la pisciculture va pallier
le problème récurrent de la provision en poisson à une
certaine période de l'année. Quant on sait que le poisson
consommé à Wodobéré et dans plusieurs villages du
Fouta vient de Richard Toll, de Saint-Louis voire de Dakar. On conviendra que
la pisciculture est un secteur qui peut rapporter gros dans cette
région. L'exploitation de cette aubaine permettra de retenir les jeunes,
de faire du village un pôle attractif de la région de Matam.
Enfin, les fermes peuvent également être un outil
pour le développement endogène qui arrêtera les flux
migratoires. La mise sur pied d'une ferme à Wodobéré
constituera une première dans la zone. Ce qui permettra de centraliser
l'ensemble des animaux, dont la divagation est d'ailleurs source de conflits
entre agricultures et éleveurs. Avec ces fermes, c'est la production de
produits animaliers et de leurs dérivés qui s'en suivra. Ainsi,
les exploitants fourniront à la région les produits
nécessaires.
CONCLUSION
100
Avec une société hiérarchisée, le
village de Wodobéré, comme partout ailleurs dans le Damga, est
marqué par la prédominance de l'effectif des jeunes, des femmes
et des vieux sur l'effectif des hommes actifs. L'émigration touche
l'essentiel de la population masculine active.
En effet, malgré l'existence des ressources
foncières et hydriques potentiellement exploitables, cette partie du
Sénégal se caractérise par une économie
attardée et par l'inexistence d'activités
génératrices de revenus pour les populations. Les secteurs
clés de l'économie locale sont assujettis aux vicissitudes du
climat, c'est-à-dire qu'ils dépendent très fortement des
conditions climatiques.
Ainsi, pour répondre à un besoin pressent de
liquidité devenue nécessaire, l'émigration a
supplanté toutes les autres activités économiques.
Cependant, les facteurs qui régissent cette émigration sont
divers et variés. Il s'agit des effets conjugués de la
conjoncture internationale, de l'histoire même du peuplement du Fouta en
général, des politiques structurelles mais aussi de la
structuration de la société. Parmi ces facteurs, nous avons la
chute des productions agricoles suite aux années de sècheresses,
l'échec des politiques agricoles de l'Etat durant les années de
P.A.S, mais aussi l'aspiration des jeunes à la réussite par
l'émigration. Au-delà de ces facteurs, il y a des facteurs
sociaux tels que l'émulation entre les jeunes, les regroupements
familiaux et la réussite de certains émigrés. La
réussite de ceux qui sont partis crée une certaine jalousie chez
les jeunes restés au village. Ce qui conduit à de nouveaux
départs. Les candidats à l'émigration sont aussi
réconfortés dans leurs choix de partir par les facilités
offertes par les réseaux de passeurs, les structures d'accueil à
savoir la diaspora et l'appui des parents.
En effet, cette émigration, masculine dans sa
majorité, est facilitée d'amont en aval par l'existence d'une
chaîne à maillons multiples. Elle est d'abord entretenue par les
revenus qu'elle génère puisque l'essentiel des voyages des
nouveaux candidats à l'émigration est financé par des
parents qui ont déjà émigré. Elle est ensuite le
résultat d'une complicité étroite entre les
émigrés, les démarcheurs de visa et les autorités
administratives. Ce qui se traduit par l'existence de réseaux et de
couloirs migratoires spécifiques pour les migrants.
En ce qui concerne les types d'émigration, nous avons
constaté que, selon la durée, il en existe trois.
L'émigration saisonnière qui se caractérise par des
mouvements rythmés par les saisons. En saison sèche, les
émigrés migrent vers les centres urbains et en saison des pluies,
ils reviennent épauler leurs parents dans les travaux champêtres.
C'est une émigration de moindre importance. L'émigration
temporaire est pratiquée par ceux qui
102
disposent de cartes de séjour et qui reviennent
périodiquement au village. Et enfin, l'émigration
définitive qui résulte de l'échec des émigrants.
Elle se traduit par l'intégration de l'émigré dans son
pays d'accueil.
Ce qui nous a conduits a parler des principaux pays de
destination. La France se taille la part belle dans la distribution des
émigrés du village dans le monde. Cela s'explique par
l'attachement de la population a l'ancienne puissance coloniale. Elle est
suivie, de loin, par l'Espagne et par quelques pays africains comme la Cote
d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Les exemples de réussite de
l'émigration dans certains pays plutôt que dans d'autres
pèsent sur le choix des destinations.
Les transferts financiers ont supplanté les autres
formes de ressources dans la survie de la population. Ils ont
considérablement contribué a la mutation de la structuration de
la société mais aussi a la reconfiguration des rapports
sociaux.
Ainsi, l'essentiel des transferts est consenti a
l'alimentation et a l'entretien de la famille de l'émigré. Ces
fonds viennent pour majoritairement de la France et sont envoyés le plus
souvent a titre individuel. Ils ne sont pas orientés vers des secteurs
productifs. En dehors de la sécurité alimentaire de la famille,
les fonds envoyés sont destinés a la construction de l'habitat et
a la mise sur pied de projets peu productifs tels que le transport,
l'immobilier ou le commerce. En effet, les émigrés agissent
collectivement quand il s'agit de mettre en place des infrastructures et des
constructions de prestiges. Il ressort dans cette étude que les
émigrés, a travers leur association, ont permis la construction
et l'équipement des infrastructures pour les services sociaux de
base.
Cependant, l'émigration n'est pas exempte de
conséquences négatives sur la population résidente. Elle
est a l'origine de plusieurs dysfonctionnements tant au niveau des familles
d'émigrés qu'au niveau de la communauté villageoise. Elle
est a l'origine de l'avènement de nouveaux rapports sociaux basés
sur la nucléarisation de la société et par
l'égocentrisme. Le fooyré se substitue a la concession
créant ainsi l'éclatement des familles et l'effritement des liens
sociaux. C'est la désintégration totale des liens de
solidarité. L'émigration a également contribué
fortement a la dégénérescence des autres secteurs de
l'économie tels que l'éducation, l'artisanat et l'agriculture.
Dans l'ensemble, il ressort de cette étude que les
facteurs de l'émigration, multiples et variés, sont toujours
présents. L'émigration, loin d'endiguer ses causes en
créant des activités susceptibles de retenir la jeunesse, a fini
par tuer l'économie locale. Les ressources qu'elle génère
n'ont permis ni a éradiquer la pauvreté ni a abroger les
facteurs
de l'émigration d'où la nécessité
de l'intervention des différentes composantes de la
société.
Il est important, aujourd'hui, de mettre sur pieds des
politiques d'appropriation du milieu par la population et de trouver des
solutions adéquates pour l'arrêt définitif de
l'émigration. Lesquelles des solutions, si elles sont appliquées,
permettront un développement endogène. Il s'agit de promouvoir
des centres d'alphabétisation, de créer des mouvements de jeunes
et de cultiver l'esprit d'appropriation du milieu chez les populations. Les
émigrés doivent réorienter leurs investissements vers le
secteur agricole et vers la création des entreprises en collaboration
avec les institutions publiques, les partenaires au développement et les
ONG. Il faut également qu'ils impliquent les femmes dans la gestion du
terroir et de ses ressources.
La problématique de l'étude de
l'émigration dans le Damga reste cependant inachevée. C'est une
étude qui mérite d'être approfondie par les chercheurs pour
une meilleure compréhension de la question des migrations et surtout des
rapports entre émigrés et non-émigrés.
BIBLIOGRAPHIE
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société villageoise: approche sociologique (exemple Togo-Ghana).
In Les Migrations contemporaines en Afrique de l'ouest, Londres,
éd. Oxford : International african institue, pp156- 169
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migrations contemporaines de l'Afrique
de l'ouest. Londres, éd. Oxford : International
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3. BA (CH. O), 1995-1996, Dynamiques migratoires et
changements sociaux au sein des relations de genre et des rapports jeunes/vieux
des originaires de la moyenne vallée du fleuve Sénégal.
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activités marchandes informelles et réseaux migrants
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sur les études américaines. L'immigration : la face
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construisent leurs pays, Paris, Harmattan/Panos, 207p
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à l'exil : histoire et démographie des migrations de la
vallée du fleuve Sénégal, Paris, ORSTOM, 217p
22. DIOP (A B), 1960, Société toucouleur et
migration : enquête sur la migration toucouleur à Dakar,
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26. DUMONT (G-F), 1995, Les migrations internationales : Les
nouvelles logiques migratoires, Paris, SADES, 223p
28. GAYE (D), 2008, << Les transferts d'argent des
migrants sénégalais : Espoir et risques de dépendance
», in Diop M.-C (dir.), Le Sénégal des migrations :
mobilités, identités et sociétés,
CRESPO-KARTHALA-ONU HABITAT, pp105- 131
29. HAERINGER (P), 1972, << Méthodes de
recherche sur les migrations Africaines : Un modèle d'interview
biographique et son transcription synoptique ». PetitBassam, Cahiers
ORSTOM, Séries Sciences Humaines, vol. IX, n°4, pp 439-453
30. KANE (A), 1984, « Les migrations
contemporaines internationales à partir du département de Matam
». In Annales de la faculté des lettres et sciences humaines de
Dakar, N°14, pp273-285.
31. KANE (O), 2004, La première
hégémonie peule : le Fuuta de Kolli tennela à Almaami
Abdul, KARTHALA, Presse Universitaire de Dakar, 670p.
32. LANLY (G), 2001, Les associations d'immigrés
et le développement du lieu d'origine : L'exemple de deux
communautés rurales de l'Etat de Oaxaca, Division du
Développement rural, FAO, 28p.
33. LERICOLLAIS (A), 1975, << Peuplement et migrations
dans la vallée du fleuve Sénégal », Dakar, Cahiers
ORSTOM, Séries Sciences Humaines, vol. XII, n°2,
pp123-135.
34. LERICOLLAIS (A), VERNIERRE (M), 1975, <<
L'émigration toucouleur : du fleuve Sénégal à Dakar
», Dakar, Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines, XII, 2,
161-175.
35. MINVIELLE (J-P.), 1985, Paysans migrants du Fouta
Toro, éd. ORSTOM, 267p.
36. OCDE, 1975, L'OCDE et les migrations internationales,
Paris, éd. OCDE, 54p
37. OUCHO (J. O) et William S T. GOULD, 1996, <<
Migration interne, urbanisation et répartition de la population ».
In Changements démographiques en Afrique Subsaharienne, Les
Cahiers de l'INED, n°135, pp 255-293
38. RABIN (N), 1996, Atlas des migrations ouest-africaines
vers l'Europe 1985-1993, Paris, éd. ORSTOM, 109p
39. RAUNET (M), 2005, << Mobiliser les migrants pour le
développement socioéconomique du Mali et du Sénégal
». In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds
et développement, Paris, éd. OCDE, pp337-368
40. SALL (B), 2005, << Migrations, transferts
financiers et initiatives économiques en Afrique subsaharienne ».
In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds et
développement, Paris, éd. OCDE, pp283-298
41. SORRE (M), 1955, Les migrations des peuples,
Paris, Flammarion et Cie, 265p
44.
http://abonnes.lemonde.fr/cgibin/ACHATS/ARCHIVES/archives.cgi?ID=1f890b3a
d... 24/01/2009
45.
104
Microsoft ® Encarta ® 2008
GLOSSAIRE
Barça ou barsakh : Barcelone ou la mort
Daande maayo : vallée du fleuve
Diéri : terre exondée de la vallée
du fleuve Falo : berge du fleuve
fecciram gollé èn : gens de
métiers
Foondé : terre située sur les
levées
Fooyré : ménage
Gajaaga : Province du Fouta
Hollaldé : terre arigilo-sableuse des cuvettes
Ina wandi béré : il y a des nids de poissons
jaagaraf : propriétaire terrien
kolo?gal bassin de décantation
lubal : prêt onéreux
Luttubé : émigré
définitif
Ma Kalé ma Bordeaux : Bordeaux ou la mort
Mboyi : harmattan
Nguénaar : Province du Fouta
rem-pecceen : métayage
toggeere : site d'habitation non inondable en milieu
walo Walo : plaine alluviale
106
Table des matières
SOMMAIRE
|
|
|
|
2
|
REMERCIEMENTS
|
|
|
|
4
|
SIGLES ET ACRONYMES
|
|
|
|
5
|
AVANT-PROPOD
|
|
|
|
6
|
INTRODUCTION
|
|
|
|
8
|
ROBLEMATIQUE
|
|
|
|
12
|
METHODOLOGIE DE RECHERCHE
|
|
|
|
17
|
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION
|
GENERALE
|
DU
|
VILLAGE
|
DE
|
WODOBERE
|
|
|
|
.24
|
CHAPITRE I : Présentation du cadre physique et humain
|
24
|
I. Le cadre physique
|
24
|
I.1: Le site et la situation géographique
|
24
|
I.1.1: Le site
|
24
|
I.1.2: La situation géographique
|
24
|
I.2: Le climat
|
27
|
I.3: Les ressources hydriques
|
.30
|
I.4: Le sol
|
31
|
I.5: La végétation
|
31
|
|
II : Le cadre humain
|
32
|
II.1: Le village de Wodobéré: des origines
à nos jours
|
31
|
II.1.1: L'historique du peuplement et l'avènement de
l'émigration
|
31
|
II.1.2: La structuration du village
|
35
|
II.2: Les aspects démographiques actuels
|
35
|
|
II.2.1: La répartition de la population selon le sexe
|
36
|
II.2.2: La répartition de la population selon l'âge
|
37
|
CHAPITRE II: Les caractéristiques sociales et
économiques de Wodobéré
|
388
|
I : L'organisation sociale
|
388
|
I.1: La stratification de la société
|
38
|
I.1.1: Les libres/nobles ou Riimbe
|
39
|
I.1.2: Les dépendants /Nyeenybe
|
..40
|
I.1.3: Les serviles/ descendants de captifs ou Macuube
|
..42
|
I.2: L'accès à la terre
|
42
|
II : Les activités économiques
|
433
|
II.1: L'agriculture
|
43
|
II.1.1: L'agriculture en milieu diéri
|
.44
|
II.1.2: L'agriculture en milieu walo
|
44
|
II.2: L'élevage
|
45
|
II.3: La pêche
|
45
|
II.4: Le commerce et l'artisanat
|
46
|
II.4.1: Le commerce
|
46
|
II.4.2: L'artisanat
|
46
|
DEUXIEME PARTIE : LES FACTEURS FONDAMENTAUX ET LE
DEROULEMENT DE L'EMIGRATION Erreur ! Signet non
défini.8
CHAPITRE I : Les facteurs fondamentaux de l'émigration
499
I : Les facteurs structurels 499
I.1: Les facteurs historiques dans la moyenne vallée du
fleuve Sénégal 49
I.2: La réussite par l'émigration: un
modèle pour la jeunesse 51
II : Les facteurs conjoncturels 511
II.1: La chute des productions agricoles 51
II.2: L'échec des politiques agricoles et le
chômage chronique de la jeunesse 53
III. Les contraintes sociales 533
III.1: L'émulation entre voisins 54
III.2: Le regroupement familial 55
IV : Les réseaux facilitateurs 555
IV.1: La diaspora 55
IV.2: Les réseaux officieux 56
CHAPITRE II : Le déroulement de l'émigration 588
I : L'organisation des départs 588
I.1: Les caractéristiques de l'émigration 58
I.2: Le financement du voyage 60
II : Les étapes 622
II.1: Les itinéraires migratoires 62
II.2: Les points de transit 63
II.3: Les principales destinations 64
III : Les types de migrations 666
III.1: En fonction de la durée 67
III.1.1: L'émigration saisonnière .67
III.1.2: L'émigration temporaire .67
III.1.3: L'émigration définitive 68
III.2: En fonction de l'appartenance sociale 69
III.2.1: Chez les nobles 69
III.2.2: Chez les dépendants et chez les Macuube 70
TROISIEME PARTIE:LES TRANSFERTS D'ARGENT ET LES
FACTEURS NEGATIFS DE L'EMIGRATION SUR LA POPULATION
RESIDENTE .Erreur ! Signet non
défini.2
CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur utilisation 733
I. Les transferts d'argent : origines géographiques et
volume des fonds 733
I.1: Origines géographiques des flux financiers
transférés vers Wodobéré 74
I.2: Le volume des flux financiers selon les origines 77
II. L'utilisation des transferts d'argent 799
II.1: Utilisation collective de type social 79
II.2: Utilisation de type familial des transfères
financiers 82
II.3: Les investissements économiques individuels 85
CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de l'émigration
sur la population résidente 88
I. Les facteurs socioculturels 888
I.1: La désintégration des liens de
solidarité 88
I.2: Le dépeuplement 89
I.3: La fréquence d'actes d'adultères, facteur
d'infanticides 90
108
I.4: L'émigré et le sida 91
II. L'émigration, facteur de
dégénérescences de l'économie locale 922
II.1: L'abandon de l'agriculture 92
II.2: La dévalorisation de l'artisanat 93
II.3: Le désintéressement de la population
à l'éducation et à la formation 94
CHAPITRE III : le village de Wodobéré face aux
défis de l'émigration 955
I. La permanence des facteurs d'émigration 955
II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt
définitif des départs 966
II.1: Sur le plan social ....96
II.2: Sur le plan économique 97
CONCLUSION 99
BIBLIOGRAPHIE 103
GLOSSAIRE 105
LISTE DES TABLEAUX ET DES GRAPHIQUES
Tableaux :
Tableau n°1 : Evolution inter mensuelle des T° et de
Pmm de 1978 à 2008 à la station de
Matam p28
Tableau n2 : Répartition de la population résidente
de Wodobéré selon l'âge et le sexe p36
Tableau n°3 : Production annuelle en kilogramme de mil en
2008 à Wodobéré p51
Tableau n°4 : Proportion de la diaspora villageoise selon
l'âge et le sexe p58
Tableau n°5 : Types des financements de l'émigration
(en %) p60
Tableau n° 6: Durées moyennes de l'émigration
.p65
Tableau n°7: Source de revenus principale de la population
p73
Tableau 8 : Le pourcentage du patrimoine bâti selon la
matière de construction p81
Tableau 9 : Ratios d'utilisation des transferts d'argents
reçus par les ménages (en%) p83
Tableau n°10 : Equipement des ménages p84
Tableau n°11: Rapport entre la population absente et la
population présente selon l'âge et le sexe (%) p89
Graphiques :
Graphique 1 : Evolution intermensuelle des T° et des Pmm
p26
Graphique 2 : Evolution annuelle de la pluviométrie de
1978 à 2008 .....p29
Graphique 3 : Répartition du patrimoine foncier selon les
castes (%) p42
Graphique 4 : Répartition de la diaspora dans les
principales destinations p65
Graphique 5 : Répartition des émigrés selon
les castes en 2008 p69
Graphique 6 : Volume des transferts d'argent selon les lieux
d'immigration(en millions de FCFA) p76 Graphique 7 : Représentation
schématique du mode de fonctionnement des points fax ....p77
110
LISTE DES CARTES ET DES PHOTOGRAPHIES Carte :
Carte n°1 : Localisation de la province du Damga dans la
région de Matam p26
Carte n°2 : Taux des transferts d'argents selon les lieux
d'immigration p75 Photographie :
Photo n°1 : Vue satellitaire du village de
Wodobéré en période de hautes eaux .p24
Photo n°2 : Mosquée construite par l'association
villageoise en 2000 p80
Photo n°3 : Maison d'émigré en construction
p82
Photo n°4 : Maison d'un émigré établi
en France p82
Photo n°5 : Deux taxis brousse appartenant à des
émigrés p86
Questionnaire aux chefs de ménages
I. Identification N° du questionnaire Date
:
I.1. Quel est votre âge ?
|
|
I.2.
Sexe F M
I.3. Quel est votre statut socioprofessionnel ? II.
Généralités sur le ménage
II.1.
Quelle est la nature du matériau de votre habitation ? En
banco En dur En paille Autre
II.2. Disposez vous de la terre ?
Oui Non
II.3.
Combien de personnes vivent présentement dans votre
ménage ? Femmes Hommes
II.4. Quel est leur âge ?
Femmes Hommes
II.5. Combien existe-t-il d'absents au sein de votre
ménage ?
Femmes Hommes
II.6. Si oui quel est leur âge ?
Femmes Hommes
II.7. Possédez-vous les équipements suivants :
Eléments
|
Oui
|
Non
|
Téléviseur
|
|
|
Réfrigérateur
|
|
|
Ordinateur
|
|
|
Poste radio
|
|
|
Téléphone fixe
|
|
|
Téléphone cellulaire
|
|
|
Voiture
|
|
|
Branchement en électricité
|
|
|
Adduction d'eau
|
|
|
112
III. Revenus du ménage
III.1. Quelle est votre source de revenue principale ?
III.2. Quelle est la production annuelle de cette activité
?
III.3. Cette source vous permet-elle d'entretenir la famille
toute l'année ?
Oui Non
III.4. Si non, comment assure-vous votre sécurité
alimentaire ?
IV. Migration
I.1.Disposez-vous un ou des émigrés au sein de
votre ménage ? Oui Non
I.2. Si oui, où se trouve (ent) t-il (s) ?
I.3. Cet (es) émigré (és) vous envoie (ent)
t-il de l'argent ?
Oui Non
IV.4.
Si oui, selon quelle périodicité vous envoient-ils
de l'argent ? Mensuelle Bimensuelle Trimestrielle Autre
IV.5. Quelle est l'utilisation de cet argent ?
IV.6. Envoient ils autre chose que l'argent ? Oui Non
|
|
IV.7. Si oui en quelle nature ?
IV.8. Quelles sont les réalisations faites par
l'émigré à titre individuel ?
IV.9. Quelles sont les réalisations faites à titre
collectif ?
Questionnaire aux émigrés
I. Identification N° du questionnaire Date
:
I.1.
Quel est votre âge ?
I.2.
Sexe F M I.3.Quelle est votre statut
socioprofessionnel ?
I.4.Quelle est votre situation matrimoniale ?
Célibataire Marié (e) Divorcé (e) Veuf
(ve)
II. Motifs et organisation des départs
II.1.Quels sont les motifs qui vous ont poussé à
émigrer ?
II.2.En quelle année avez vous effectué votre
premier voyage ?
II.3.
Etiez-vous influencés dans votre choix d'émigrer ?
Oui Non
II.4. Si oui, par qui étiez vous influencés ?
II.5. Comment le voyage a-t-il été financé
?
Epargne personnelle Cotisation des parents Envoi du billet
depuis l'étranger Autre
II.6.
Etiez vous accompagnés lors de votre premier voyage ? Oui
Non
II.7. Si oui, par qui étiez vous accompagnés ?
II.8. A quelle âge avez-vous effectué votre premier
voyage ?
III. Nature et forme d l'émigration
III.1. Quelle a été votre destination ?
III.2. L'aviez vous rallié directement ? Oui Non
114
III.3. Si non, quels sont vos arrêts ?
III.4. Combien de temps ont duré vos arrêts ?
III.5. Pourquoi aviez vous effectué ces arrêts ?
III.6.Que faisiez vous durant le temps des arrêts ?
III.7. Aviez bénéficié de l'aide lors de vos
arrêts ?
Oui Non
III.8. Quelle est la fréquence de vos séjours au
village ?
IV. Réseaux facilitateurs
IV.1. Aviez vous bénéficié d'une aide au
cours de votre voyage ?
Oui Non
IV.2. Si oui quelle est la nature et la forme de cette aide ?
Nature Forme
IV.3.
Quels sont vos liens avec la personne qui vous a apporté
de l'aide ?
Parent Ami Concitoyen Relation marchande Autre
|
|
IV.4. Quel est le statut de la personne qui vous a aidé
?
IV.5. Dites si votre voyage a été :
Très bon Bon Moyen bon Médiocre Très
mauvais
Merci pour votre compréhension
Guide d'entretien auprès des émigrés
à la retraite
I. Identification Date :
Age
Sexe
Situation matrimoniale
II Biographie
En quelle année avez réalisé votre premier
voyage ?
Raisons sur le choix de l'émigration
Le processus Votre vie d'émigré
III. Généralités sur
l'émigration
Selon vous, à partir de quelle année les gens du
village ont-ils commencé à émigrer ? Quelles sont les
dates marquantes de l'histoire de l'émigration des gens du village ?
Comment ont été les premières migrations ?
Comment s'organisaient les départs ?
S'il y a eu lieu, à partir de quelle année le
processus migratoire a-t-il changé ?
IV. Opinion sur l'émigration
Quelle lecture faites-vous aujourd'hui de l'émigration
?
Quelles sont les conséquences de l'émigration sur
la communauté ?
Quel serait selon vous l'impact de l'émigration sur les
rapports entre les membres de la communauté ?
Merci de votre compréhension
116
RESUME
Le village de Wodobéré est sur un foondé
entouré par une vaste plaine alluviale submersible en une certaine
période de l'année. Il est situé à l'extrême
nord Est de la communauté rurale de Ouro-Sidy, dans l'actuelle
circonscription administrative de Kanel. Avec une population de 3873 habitants,
loin devant le chef-lieu de communauté rurale, Wodobéré
est marqué par une prédominance de l'émigration sur les
autres activités. En effet, à l'image du Damga, il est
doté de potentialités naturelles énormes.
Malgré l'existence des ressources foncières et
hydriques potentiellement exploitables, cette partie du Sénégal
se caractérise par une économie attardée et par
l'inexistence d'activités génératrices de revenus pour les
populations. À défaut d'une exploitation agricole rationnelle,
l'émigration est apparue comme une alternative pour combler les
ressources économiques déficitaires.
L'Afrique a, cependant, toujours été en
mouvements. Les déplacements de populations, forcés ou
volontaires ont jalonné son histoire, ici pour répondre à
un manque criard de potentialité et là pour satisfaire des
besoins divers. Les villes littorales font l'objet d'une concentration des
infrastructures et des services au détriment de l'intérieur des
pays. Ce qui se traduit, sur le plan humain, par les migrations des populations
de l'intérieur vers les centres urbains.
Au Sénégal, la concentration des
activités à Dakar a fait de la capitale un pôle
d'immigration et l'intérieur du pays un pourvoyeur potentiel de
migrants. En plus de ces disparités, les cycles épisodiques de
sécheresses des années 70 ont frappé durement le Damga. Il
en résulte une chute des productions agricoles et la rareté des
ressources vivrières. Les secteurs clés de l'économie
locale sont assujettis aux vicissitudes du climat, c'est-à-dire qu'ils
dépendent très fortement des conditions climatiques.
En effet, la réponse de l'homme face à cet
environnement hostile n'était pas la mort mais plutôt la
mobilité. L'émigration est apparue comme une stratégie de
survie des populations. La force du monde rural c'est-à-dire la
population active masculine reste en proie à une émigration sans
commune mesure. Ainsi, dans les villages, comme Wodobéré, on
assiste à une quasi-absence des hommes. Avec une société
hiérarchisée, le village de Wodobéré, est
marqué par la prédominance de l'effectif des jeunes, des femmes
et des vieux sur l'effectif des hommes actifs. L'émigration touche
l'essentiel de la population masculine active.
Cependant, on note aujourd'hui une transformation du
bâti et une hausse substantielle du niveau de vie à
Wodobéré. L'émigration régit l'activité
économique, sociale et culturelle du village. Puisque, dans les
discussions, sous l'arbre à palabre, trouver les moyens de partir reste
l'unique équation des jeunes. Ce qui suscite un certain nombre
d'interrogation qui se résument en ces termes : Quels sont les facteurs
d'émigration ? Quelles sont les stratégies et la finalité
de l'émigration ?
Ainsi, notre TER, « L'émigration dans le Damga :
l'exemple du village de Wodobéré dans la moyenne vallée du
fleuve Sénégal », au-delà de l'initiation à la
recherche nous permettra d'analyser la problématique de
l'émigration dans cette partie du Sénégal. A coté
de cet objectif principal, nous avons élaboré les objectifs
spécifiques suivants:
V1 montrer l'ampleur et la typologie de l'émigration;
V1 faire une analyse des facteurs qui motivent le choix des
populations;
V1 déceler les changements engendrés par
l'émigration sur le milieu d'origine. Pour atteindre ces objectifs, nous
avons dégagé quelques hypothèses :
les motifs d'émigration qui sont étroitement
liés à l'absence d'activités pouvant impulser un
développement endogène seraient à l'origine des
départs ;
la péjoration du climat, des conditions
écologiques et la réussite de ceux qui sont déjà
partis, ne serait ce que par la prise en charge de parents et amis,
constitueraient des facteurs qui suscitent l'envie de ceux qui sont au pays et
le départ de nouveaux candidats ;
malgré les effets positifs de l'émigration sur
le village, elle aurait fortement contribué à la
désagrégation des liens sociaux.
Pour traiter cette problématique, nous avons
adopté une méthodologie qui prend en compte le caractère
spécifique de la population. Elle est structurée en trois parties
: d'abord c'est la revue documentaire qui nous a permis de consulter certains
ouvrages, puis la collecte des données de terrain à l'aide de
questionnaires pour les données quantitatives et de guides d'entretiens
pour les données qualitatives et enfin l'exploitation et le traitement
des données.
Ce travail de terrain n'est pas sans difficultés.
J'étais d'abord confronté à la réticence de
la population dans disposition des données, ensuite à
l'inexistence des travaux précis sur ce
118
120
thème, malgré l'abondance de la
littérature sur les migrations et enfin aux difficultés de
transports liées à la distance à l'état des routes
entre Dakar et notre zone d'étude. L'exploitation des données
nous ont donné les résultats suivants :
IJ Une multitude des facteurs d'émigration :
Il s'agit des effets conjugués de la conjoncture
internationale, de l'histoire même du peuplement du Fouta en
général, des politiques structurelles mais aussi de la
structuration de la société.
Le peuplement du Fouta est étroitement lié aux
vagues migratoires tous azimutes des wolofs, des maures, des peuls, des
soninkés etc. Selon certains traditionnistes la sécheresse dans
le sahel aurait contraint la population de migrer vers le sud et le sud-est. On
rattache le peuplement du Fouta aux migrations des soninkés du Wagadu,
ancien royaume du Ghana.
Il y avait également l'instauration de système
de navétanat et de recrutement musclé des travailleurs par les
colons pour la culture de l'arachide dans le centre du Sénégal.
Ce qui avait conduit, à l'époque, aux déplacements de
plusieurs personnes de la vallée vers le bassin arachidier.
En plus de cela, il y a eu le prosélytisme religieux
qui avait occasionné les déplacements de population vers les
régions où elles pouvaient exercer librement les préceptes
de l'Islam. Il est aujourd'hui admis que, dans le cadre du djihad, El hadji
Oumar Tall, conscient de la disproportion de ses forces et celles de la
puissance coloniale, ordonnait ses nouveaux disciples à migrer.
Les facteurs d'émigration sont aussi d'ordre
conjoncturel. Ils sont relatifs à la structuration actuelle de
l'économie marquée par des perturbations climatiques et par les
effets des PAS. Ce qui se traduit par :
· la chute des productions agricoles. Ainsi, au cours de la
campagne agricole 2008, 79% de la population de Wodobéré ont eu
moins de 60 kilogrammes de mile,
· l'échec des politiques agricoles de l'Etat et
le chômage chronique des jeunes. L'ensemble des aménagements
hydro-agricole de l'Etat par le biais de la SAED ont connu un échec et
n'ont permis ni de retenir la population ni de créer un rapport puissant
entre la population et son terroir.
Les contraintes sociales qui stimulent une émigration
forte chez la population sont multiples et variés. Il s'agit des
regroupements familiaux, de l'émulation entre voisin et surtout des
rivalités entre coépouses.
? une spécificité du phénomène de
l'émigration;
Les départs sont individuels et concernent
principalement les hommes célibataires âgés entre 18 et 35
ans. L'émigration s'organise autour de l'unité familiale
même si l'idée d'émigrer vient, le plus souvent, de la
personne concernée. Ce qui fait que le financement du voyage peut venir
des parents ou du candidat à l'émigration lui-même. A
l'apparition de l'émigration dans les années 60, les candidats
s'autofinançaient pour réaliser leur premier voyage. Mais,
aujourd'hui, plus de 41% des émigrés reçoivent leur billet
à partir de l'étranger.
Plusieurs stratégies sont mises en place par les
candidats à l'émigration. Ces stratégies vont des
itinéraires à la mise en relation des différents acteurs
et processus migratoires. Au début de l'émigration dans la
moyenne vallée du fleuve en général et à
Wodobéré en particulier, les pays africains disposant de
ressources minières étaient les principales régions
d'accueil. Donc l'émigré qui quittait le Fouta passait par le
Mali par la voie terrestre pour se trouver au Congo, en Centre Afrique, en
Angola ou en Cote d'Ivoire. Dans les pays ou l'extraction du diamant
était en vogue, certains émigrés commercialisaient la
pierre précieuse et ensuite approvisionnaient les comptoirs
européens tels qu'Amsterdam, Paris et Londres. Mais, la saturation de ce
marché les obligeait à emprunter d'autres itinéraires. Le
candidat à l'migration qui quitte Wodobéré passait par
Dakar où il peut entrer en contact avec des convoyeurs et des
démarcheurs de visa le permettant de franchir les frontières. Il
peut s'agir également d'une usurpation d'identité car plusieurs
candidats ont réussi à passer les contrôles
aéroportuaires en 2008 pour se retrouver en Europe avec les papiers de
leurs proches.
En effet, cette émigration, masculine dans sa
majorité, est facilitée d'amont en aval par l'existence d'une
chaîne à maillons multiples. Elle est d'abord entretenue par les
revenus qu'elle génère puisque l'essentiel des voyages des
nouveaux candidats à l'émigration est financé par des
parents qui ont déjà émigré. Elle est ensuite le
résultat d'une complicité étroite entre les
émigrés, les démarcheurs de visa et les autorités
administratives. Ce qui se traduit par l'existence de réseaux et de
couloirs migratoires spécifiques pour les migrants.
En ce qui concerne les types d'émigration, nous avons
constaté que, selon la durée, il en existe trois.
L'émigration saisonnière, qui concerne 41% des
émigrés, se caractérise par des mouvements rythmés
par les saisons. En saison sèche, les émigrés migrent vers
les centres urbains et en saison des pluies, ils reviennent épauler
leurs parents dans les travaux champêtres. C'est une émigration de
moindre importance. L'émigration temporaire, 53% des
émigrés, est pratiquée par ceux qui disposent de cartes de
séjour et qui reviennent périodiquement au village. Et enfin,
l'émigration définitive qui résulte de l'échec des
émigrants. Elle se traduit par l'intégration de
l'émigré dans son pays d'accueil et ne représente que
moins de 6% de la diaspora.
Ce qui nous conduit à parler des principaux pays de
destination. La France se taille la part belle dans la distribution des
émigrés du village dans le monde. Cela s'explique par
l'attachement de la population à l'ancienne puissance coloniale. Elle
est suivie, de loin, par l'Espagne et par quelques pays africains comme la Cote
d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Les exemples de réussite de
l'émigration dans certains pays plutôt que dans d'autres
pèsent sur le choix des destinations.
Ainsi, le village dépend directement des ressources
tirées de l'émigration. 76% de la population ont
l'émigration comme source de revenu principale. En effet, les flux
financiers en direction de Wodobéré diffèrent selon les
lieux d'immigration : sur les 929.754.199 FCFA envoyés en 2008, les
transferts d'argent venant de la France représentent 720.929.307 FCFA
alors que les fonds venant de l'Afrique ne représentent que moins de 10
millions par an.
Ces fonds sont utilisés différemment selon
qu'ils sont envoyés à titre individuel ou collectif :
IJ Les émigrés agissent collectivement quand il
s'agit de mettre en place des infrastructures et des constructions de
prestiges. Il ressort dans cette étude que les émigrés,
à travers leur association, ont permis la construction et
l'équipement des infrastructures pour les services sociaux de base. Les
fonds envoyés à titre collectif sont consentis à la
réalisation des ouvrages de prestige ou d'infrastructure pour les
services sociaux de base photo de la mosquée, alors que les transferts
d'argent à titre individuel servent à garantir la
sécurité alimentaire et l'entretien de la famille de
l'émigré.
IJ Si plus de 85,1% des fonds envoyé sont
destinés à la famille de l'émigré, les transferts
à vocation économique représentent une part
résiduelle dans les montants envoyés. Ainsi, seulement 3% sont
réservés aux investissements qui sont pour l'essentiel l'achat de
taxis brousse, l'immobilier et le commerce. L'essentiel des transferts est
consenti à l'alimentation et à l'entretien de la famille de
l'émigré.
IJ Malgré les apparences positives, l'émigration
n'est pas exempte de conséquences négatives sur la population
résidente. Elle est à l'origine de plusieurs dysfonctionnements
tant au niveau des familles d'émigrés qu'au niveau de la
communauté villageoise. Elle est à l'origine de
l'avènement de nouveaux rapports sociaux basés sur la
nucléarisation de la société et par l'égocentrisme.
Le fooyré se substitue à la concession créant
ainsi l'éclatement des familles et l'effritement des liens sociaux.
C'est la désintégration totale des liens de solidarité.
L'émigration a également contribué fortement à la
dégénérescence des autres secteurs de l'économie
tels que l'éducation, l'artisanat et l'agriculture et au désamour
de la population à la terre.
Les retombées de l'émigration, loin
d'éradiquer ses facteurs, tuent toutes autres formes d'activité.
Elles entretiennent les migrations. Cependant, l'orientation des flux
financiers vers la création d'activité telles que la
pisciculture, la mise en place des fermes pouvait impulser un
développement endogène. Il faut instaurer des politiques
d'appropriation du terroir par les populations.
* * *
L'étude de la problématique de
l'émigration à partir de Wodobéré a permis de
ressortir plusieurs facteurs dont les principaux sont les effets
conjugués des réminiscences historiques et des vicissitudes
climatiques sur l'économie locale et l'existence d'une chaîne
à maillons multiples qui contribue à la facilitation des
migrations.
Les populations, pour répondre à un besoin
pressant de liquidité devenue nécessaire, ont supplanté
les autres activités économiques, par les ressources
tirées de l'émigration.
En effet, l'émigration a asphyxié l'économie
locale et a fortement contribué au dépeuplement et à la
perte de valeurs qui faisaient naguère la fierté du peuple.
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Les transferts financiers ont supplanté les autres
formes de ressources dans la survie de la population. Ils ont
considérablement contribué à la mutation de la
structuration de la société mais aussi à la
reconfiguration des rapports sociaux.
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