L'affaire du marquis Alfred de Trazegnies d'Ittre (1832-1861).( Télécharger le fichier original )par Olivier LERUTH Université de Liège (Belgique) - Licence en Histoire 2005 |
5. L'affaire du marquis de Trazegnies.L'héritage d'une famille.La famille est originaire non pas du Namurois, comme on pourrait le supposer, mais du Brabant. Sous l'Ancien Régime, la terre des seigneurs de Trazegnies constituait une marche entre les pays de Hainaut, de Brabant, de Liège et de Namur, sous la forme d'un territoire neutre. Au niveau de son administration diocésaine et de la juridiction, Trazegnies relevait de la principauté de Liège. Depuis l'an 1135 et durant les trois siècles suivants, les Trazegnies servirent les comtes de Hainaut. A de nombreuses reprises, les ducs de Brabant tentèrent de mettre la famille à leur service et surtout d'absorber leur territoire. Les Trazegnies résistèrent longtemps à ces velléités, s'accrochant à leur ancestrale neutralité. Dès la fin du XVe siècle, il parut de plus en plus difficile de conserver un territoire tel que le leur, totalement détaché du souverain du pays. C'est pourquoi, à partir de Maximilien Ier, les Trazegnies se lièrent aux archiducs d'Autriche et aux rois d'Espagne, souverains des Pays-Bas. En 1614, Trazegnies reçut des archiducs le titre de marquisat. Du XVIIe siècle à la fin de l'Ancien Régime, Trazegnies fut une terre franche en Brabant. Cette situation offrait certains privilèges aux habitants mais obligeait le marquis à cotiser tandis que le Brabant y envoyait patrouiller ses soldats233(*). La généalogie de la famille est très complexe. Retenons-en les grands événements. En 1418, Anseau de Trazegnies et de Silly s'éteignait, ne laissant qu'une fille, Anne. Celle-ci épousa le Liégeois Arnoul de Hamal. Ils eurent plusieurs enfants dont Anseau, qui hérita des domaines en provenance de sa mère. Ses descendants se firent appeler, encore durant deux générations, de Hamal de Trazegnies. Après quoi, le nom patronymique de Hamal fut négligé. La descendance des Trazegnies fut assurée. La branche des Trazegnies d'Ittre naquit au XVIIIe siècle, par le mariage, le 07 octobre 1769, d'Eugène Gillion Alexis Ghislain, marquis de Trazegnies et de Marie Victoire Dominique François Xavière de Rifflart, marquise héritière d'Ittre. Tandis que la branche aînée de la famille s'éteignait en 1862, à la mort du célibataire Alexandre Gillion de Trazegnies, le rameau d'Ittre procréait234(*). Eugène et Marie eurent 4 enfants, dont Gillion Charles Joseph Henri Thérèse Eugène. Celui-ci épousait, en 1803, la comtesse de Nassau, Amélie Constance Marie. Le marquis y gagna le château de Corroy, dans la famille de Nassau depuis XVIe siècle235(*). De cette union virent le jour six enfants, parmi lesquels le père d'Alfred de Trazegnies d'Ittre : Charles Constant Gillion Jospeh, né en 1804 à Bruxelles ainsi que sa soeur, Euphrasie, future madame de Thysebaert, dont nous reparlerons. Charles épousa une jeune femme dont le père, Charles Philippe Joseph de Romrée (1760-1820), était maréchal de camp au service de la couronne espagnole236(*). Elle se prénommait Raphaëlle et, au moment du mariage (03 octobre 1825), était orpheline. Charles et Raphaëlle eurent à leur tour plusieurs enfants. Il y eut Félix-Gillion, mort quelques jours après sa naissance (1826). Suivirent Edouard (1827-1829), Herminie (1829-1910), Alfred (1832-1861), Théodore (1837-1854), mort de tuberculose à 17 ans et Edouard (1839-1910). L'entourage de Charles s'installa définitivement à Corroy-le-Château à la mort du vieux Gillion de Trazegnies (1847), ce personnage qui dilapida une partie de sa fortune au profit de dames peu recommandables. On opéra à cette occasion de grands travaux de rénovation, dont la bastide avait bien besoin237(*). En annexe, vous pouvez voir une prise de vue de la maison familiale. Corroy-le-Château est une petite bourgade située en province de Namur. Au XIXe siècle, elle comptait environ 800 habitants dont 300 d'entre eux vivaient de la culture de la terre. Olivier de Trazegnies donne une parfaite description de l'endroit vers le milieu de ce siècle : « L'agriculture était prospère, car le village se trouvait comme aujourd'hui à l'extrémité du plateau hesbignon, mais les terres étaient morcelées et les gens pauvres. Il n'y avait dans le bourg que deux bâtiments recouverts d'ardoises : le château et l'église. Les autres maisons alignaient leurs humbles toits de chaume dans un paysage bocager. (...) Les gens étaient d'autant plus superstitieux que la masse redoutable du château, séparé du village par une digue qui traversait le marais, permettait aux âmes simples d'imaginer les plus sinistres légendes. Pour conjurer les mauvais esprits, certaines personnes allaient déposer sur l'eau sombre de petites nacelles d'écorce où brillait une bougie allumée. (...) Les curés de Corroy étaient généralement des gens instruits, plus proches du châtelain que du cultivateur. Henri Brosius faisait des vers (exécrables, bien entendu), cependant que l'abbé Doyen, bachelier en théologie et membre de la société littéraire de l'Université de Louvain, prononçait des oraisons funèbres incompréhensibles pour qui n'avait pas lu Bossuet238(*). » Charles de Trazegnies d'Ittre, qui régnait sur environ 1000 hectares de terres, fut bourgmestre de Corroy-le-Château durant plus de 40 ans239(*). Selon la presse du temps, il était détenteur d'une fortune de 300 000 francs de rente. Il s'intéressait à l'industrie puisque, en 1841, on créa sur le terrain appelé « la baraque Tricot » et appartenant à son père, une poudrière. Cet établissement qu'il co-gérait, préparait différentes sortes de poudres utilisées par les fusils, canons,... Endommagée en 1860 par une explosion, elle ferma ses portes quatre années plus tard240(*). * 233 Dans Biographie nationale... op. cit., tome 25, 1930, colonnes 555-567. Pour l'histoire de la famille durant la période médiévale, on consultera avec intérêt : PLUMET J., Les seigneurs de Trazegnies au Moyen âge. 1100-1550, Mont-Sainte-Geneviève, 1959 ainsi que DEVILLERS, Trazegnies, son château, ses seigneurs et son église, dans « Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique », tome 39. * 234 Voyez à ce propos STROOBANT C., Notice historique et généalogique sur les seigneurs d'Ittre et de Thibermont, dans « Bulletin et annales de l'Académie d'archéologie de Belgique », tome II, 1844. * 235 Dans DE SEYN Eugène, Dictionnaire historique et géographique des communes belges, Etablissements Brepols s.a., Turnhout, 3e édition, volume 1, pp. 265-266 et dans DOUXCHAMPS-LEFÈVRE Cécile, Inventaire des archives du Fonds de Corroy-le-Château, Ministère de l'Education nationale et de la Culture, Bruxelles, 1962, p. 13. * 236 Raphaëlle naquit le 12 octobre 1804 de l'union de Charles Philippe Joseph (1760-1820) comte de Romrée et du Saint Empire, et de Marie Antoinette Cebrian y Enriquez. Charles de Romrée occupait une place importante dans le régiment des Gardes royales wallonnes qui lutta, aux côtés des Espagnols, contre l'invasion de l'Espagne par la France napoléonienne en 1808. Charles de Romrée avait été engagé par l'Assemblée supérieure de Valence le 28 mai 1808 en tant que colonel du régiment de Bourbon. Il occupa les points de Ofelfa et du Tuéjar. A partir du 07 juillet de la même année, il rejoignit les troupes du général belge Philippe Le Clément de Saint-Marcq pour qui il exerçait les fonctions de commandant en second et major général de division. Il partit pour Cuenca combattre le général Frère puis, sur une injonction de l'Assemblée de Valence, il se porta au secours de l'Assemblée de Saragosse. Ne remportant aucun succès, il dut se retirer au sud de Pampelune, aux alentours de Tudela, où il reçut les renforts en provenance de Valence. Lors de la bataille de Tudela (23 novembre), il couvrit la retraite des troupes vaincues jusqu'à Saragosse. Il prit alors la tête du secteur de Santa Engracia jusqu'à la reddition. Pour les services rendus, on le fit maréchal de camp. Prisonnier en 1809, il s'évader et alla de nouveau offrir ses services à l'armée de Valence, dont il obtint le commandement de l'avant-garde en 1811. De nouveau prisonnier lors de la reddition de 1812, il fut conduit en France où il resta jusqu'au rétablissement de la paix. Il mourut à Valence, où il était finalement revenu, le 28 janvier 1820. (Dans POPLIMONT Charles, La Belgique héraldique... op. cit., tome 9, 1867, pp. 298-299 et dans JANSEN André, Les Gardes royales wallonnes. Histoire d'un régiment d'élite, Editions Racine, Bruxelles, 2003, pp. 185-186.) * 237 Dans DE TRAZEGNIES Olivier, Un grave incident diplomatique entre la Belgique et l'Italie en 1861 : l'assassinat d'Alfred de Trazegnies I., dans « Bulletin du cercle art & histoire de Gembloux et environs a.s.b.l. », IV, octobre 1980, p. 57. * 238 Dans DE TRAZEGNIES Olivier, Un grave incident diplomatique... I... op. cit., pp. 51-52. * 239 Dans POPLIMONT Charles, La Belgique héraldique... op. cit., tome 9, 1867, p. 299. * 240 Dans HASQUIN Hervé (sous la direction de), Communes de Belgique. Dictionnaire d'histoire et de géographie administrative, Crédit communal de Belgique-La Renaissance du livre, Bruxelles, 1980, volume 1, p. 340. |
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