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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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C. Quelle difflérence entre élargir et avachir ?

Le lecteur de La communauté philosophique  est convié ici à distinguer la philosophie vivante qui élargit la discipline d'une toute autre forme de philosophie qui débouche sur un avachissement de la matière étudiée. Michel Onfray formule ce problème ainsi : « Sortir du ghetto dans lequel se trouve la philosophie confisquée par l'institution et l'Université oblige à lui trouver meilleur lieu pas pire... Faire descendre la philosophie dans la rue n'oblige pas à la mettre sur le trottoir. »168(*). A ce compte, notre philosophe est conscient que le retour de la philosophie à l'air libre, loin de toute atmosphère carcérale de l'Université, peut conduire au pire comme au meilleur. Le meilleur c'est « l'université populaire ». Le pire c'est « le café philosophique ». Voici quelques clarifications concernant son point de vue.

Le but que s'est fixé Onfray est de rendre la philosophie, longtemps confisquée par l'Université, au peuple, au plus grand nombre possible pour être capable de philosopher leurs vies. Cette noble mission sera investie par certains pour promouvoir en 1977 ce qu'on appelle « la nouvelle philosophie » et « les Nouveaux philosophes ».

La «  nouvelle philosophie » propose des petits traités sans idées, sans fond, des remèdes sans peine et sans Prozac, des ouvrages écrits dans un non-style où les verbes dire, être, faire et avoir sont en quantité. ....Tout ce monde de livres constitue ce que Onfray appelle « la bibliothèque rose en philosophie » qui flatte le peuple et recourt à la démagogie au lieu de la démocratie.169(*)

De même, ces « Nouveaux philosophes » se pressent dès la première invite pour apparaître à la télévision. Au nom de la philosophie pour les peuples, ils ne se reconnaissent aucun devoir de penser avant de parler. « La parole arrive a priori » au dire d'Onfray. On assiste à des improvisations personnelles sans contenu critique et même sans intention subversive capable de résister au « monde comme il va ». 170(*)

Par sa lutte déclarée contre les « Nouveaux philosophes » Onfray rejoint, comme il a souvent mentionné, Pierre Bourdieu et Gilles Deleuze171(*) qui dénient le titre d'intellectuel à ceux qui baptisent eux-mêmes « Nouveaux philosophes ». A ce titre, Bourdieu les nomme les fast- thinkers c'est-à-dire les « intellectuels médiatiques », les « producteurs de fast-food culturel » ou les « faux-intellectuels ». Il trouve que le succès de ces prétendus intellectuels dépend uniquement de leur omniprésence médiatique et, notamment des passages remarqués à l'émission de Bernard Pivot, le seul moyen de les citer.172(*) Dans cet esprit, il interroge dans Sur la télévision : « Est-ce que la télévision en donnant la parole à des penseurs qui sont censés penser à vitesse accélérée, ne se condamne pas à n'avoir jamais que des fast-thinkhers, des penseurs qui pensent plus vite que leur ombre. »173(*)

A son tour, et dès 1980 le célèbre Deleuze vient faire campagne contre ces philosophes autoproclamés. Ils trouvent qu'ils sont de jeunes pressés d'utiliser la télévision pour acquérir de la notoriété. Leur seule oeuvre ? « Leur cirque sur le petit écran » et une diffusion de bon sens populaire.174(*)

En résumé, Bourdieu, Deleuze et Onfray trouvent que les « Nouveaux philosophes » font carrière dans les médias et les éditions plus qu'à l'université et les centres de recherches.

Est-ce à dire que plus, on se sépare des médias plus on mérite l'épithète du philosophe ?

En nominaliste convaincu, Michel Onfray voit qu'il n'y a pas de télévision en soi mais des émissions, des animateurs et des objectifs particuliers. Philosopher à la télévision est indéniable puisque la télévision n'est pas la Sorbonne et qu'elle puisse être destinée à un large public. Mais si l'animateur d'un débat télévisé ou comme on dit d' « un café philo » n'a jamais goûté à la philosophie et, si l'oeuvre savante des invités est quasi inexistante, la philosophie à la télévision ne vaut une seconde de peine. Celle-ci est possible si et seulement si elle permet d'exhausser et non d'avachir la discipline.

Philosopher à la télévision n'est pas seulement possible mais également nécessaire. Selon Onfray, le Maître ou le sage doit faire entendre ses idées alternatives à la télévision. Il doit se rendre à la télévision pour arracher le peuple de son sommeil dogmatique et lui restituer sa vie longtemps mutilée : c'est la tâche du philosophe : « faire entendre un autre verbe, une voix parallèle, une contre-parole publique. »175(*) Onfray trouve qu'il y a beaucoup de voix alternatives, nécessaires et utiles à entendre : Michel Foucault parlant de l'Histoire de la folie chez Pierre Dumayet, Jacques Derrida parlant du 11 septembre sur LCI chez Edwy Plenel. Onfray déplore de même qu'on ne voit plus Noam Chomsky parler du terrorisme, Alain Badiou des Etats-Unis, Jacques Bouveresse des journalistes...176(*) Onfray lui-même a participé à de nombreuses émissions culturelles sur diverses chaînes de radios et de télévisions : RFI, France Inter, Radio-libertaire, Europe 1, ARTE, France 3.

En un mot, la télévision n'est pas une fin en soi, comme aime à l'entendre les  « Nouveau philosophes » soucieux de devenir des figures. Mais elle est avant tout un moyen - l'étymologie de média (moyen) en témoigne. Assez de « faux-intellectuels » créés par et pour les médias, et avènement des médias créées par et pour les « vrais-intellectuels ». A ce propos, nous disons avec Michel Onfray qu' « on évitera de considérer le café philosophique comme le lieu de prédilection d'une pratique à même de dépasser les impasses universitaires. Car créer de nouvelles voies sans issue n'est pas une solution. »177(*)

Pour terminer ce chapitre, il convient de noter qu'avec cette contre-institution ; l'universite populaire, aucun des deux termes la « vie » et la « philosophie » n'est considéré comme un remède à l'autre. L'université populaire n'est ni l'Université ni le café philosophique. Avec l'Université, la philosophie se substitue à la vie. On assiste à la philosophie pour philosophes et au débat stérile. Et avec le café philosophique, la philosophie est condamnée au profit d'une vie superficielle. On assiste à l'avachissement de la philosophie et au n'importe quoi conceptuel.178(*)

L'université populaire n'est également ni contre l'Université ni contre le café philosophique. Onfray avoue qu'il retient ce qu'il y a de mieux dans l'Universite et ce qu'il y a de mieux dans le café philosophique. De l'université populaire, il garde l'excellence des informations et des contenus179(*)

Du café philosophique, il garde la liberté d'entrer et de sortir, l'absence d'inscription et de contrôle de connaissance et la gratuite intégrale.180(*)

A la lumière de ces constatations, nous assistons à une nouvelle forme de pratiquer la philosophie : « Le compliqué simplifié », « le cérébral incarné », « l'élitisme pour tous »181(*). En un mot, « l'université populaire ». 182(*)

* 168 Ibid., p.71

* 169 Ibid., p.46 ; p.71; pp.77-79

* 170 Ibid., p.74 ; p.75 ; p.76

* 171 Gilles Deleuze ( 1925 - 1995) est un philosophe français. Son nom est associé au « post-structarisme. » Il a écrit de nombreuses oeuvres philosophiques parmi lesquelles on peut citer : Nietzsche et la philosophie (1962), Foucault (1986), Critique et clinique (1993).

* 172 P.champagne et O.christin, Mouvements d'une pensée - Pierre Bourdieu -, Paris, Bordas, 2004, pp.186 -196.

* 173 Pierre BOURDIEU, Sur la télévision, éditions Raison d'agir, 1996 in Ibid., p.186 ; p.187

* 174 Cf. La communauté philosophique, op.cit, p.44 ; p.45

* 175 Ibid., p.81

* 176 Ibid., p.80 ; p.85

* 177 Ibid., p.73

* 178 Ibid., p.99

* 179 Le contenu ne signifie pas l'application de sa philosophie dans la vie mais la qualité du travail de préparation de son cours.

* 180 Ibid. p.119 ; p.121

* 181 Onfray propose d'appliquer le principe d'Antoine Vitez « l'élitisme pour tous » à l'enseignement de la philosophie. Elitisme contre l'avachissement du café philosophique et pour tous contre l'Université des élites.

* 182 Ibid., p.72

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld