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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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Conclusion générale :

Après ce bref parcours dans le sillage de la philosophie de Michel Onfray, le moment est venu de dresser un bilan des réflexions déjà abordées au fil du mémoire.

Pour y parvenir, on remonte au grand principe autour duquel s'est articulée la philosophie de Michel Onfray : le respect et l'exaltation de la vie ici-bas. Ce principe s'avère le seul critère d'évaluation des deux positions qui condensent les réflexions déjà examinées, à savoir : l'histoire de la philosophie et la contre-histoire de la philosophie. Cela signifie que pour juger de la valeur de chacune des deux positions et pour parvenir à retracer cette ligne de démarcation que Michel Onfray l'a voulue établir tout au long de son oeuvre, il nous faut soumettre les deux concurrentes à un examen bien déterminé : Quelles peuvent être leurs rapports avec la vie ici-bas ? Ces pensées oeuvrent-elles en faveur d'une émancipation ou d'un amoindrissement de la vie ?

Deux problématiques posées par nous dans l'introduction à ce mémoire, sont en rapport direct avec cet examen exigé des deux protagonistes. La première problématique s'applique à l'histoire de la philosophie : Comment philosopher notre vie si notre vie est chassée de notre philosophie ? Alors que la seconde concerne la contre-histoire de la philosophie : Comment conduire cette vie qui se situe entre deux néants ?

La première problématique touche un point central dans l'examen critique de l'« histoire de la philosophie » car en décortiquant cette problématique, Michel Onfray met en évidence l'impasse et la contradiction dans lesquelles nous place « l'histoire de la philosophie » : La philosophie sans la vie concerne-t-elle les vivants ? Et la vie sans la philosophie pourra-t-elle être nommée une vie transfigurée, hédoniste, et philosophique ? Cette problématique est donc un défi majeur lancé à la philosophie dominante.

La seconde problématique appelle, de sa part, à être épluchée par Michel Onfray. Ce faisant, Michel Onfray prend acte de la bonne conduite de la vie (deuxième étape) chez tous les philosophes qui focalisent leur attention à cette vie qui « se joue entre deux néants » (première étape). Cette problématique est indéniablement couronnée de succès et c'est grâce à elle que notre philosophe réussit à relever le défi et à remporter la victoire.

Ces deux problématiques trouvaient confirmation de leur aboutissement dans les trois parties autour desquelles pivote notre mémoire :

Contre-pédagogie : Principes pour une pédagogie libertaire. Contre-historiographie : Exhumation d'une historiographie alternative. Petite histoire de la sculpture de soi : L'athéisme athée. Mais, afin de tirer au clair ce à quoi aboutit chaque problématique, nous évitons de suivre le cheminement tracé et dans lequel sont mêlées l'histoire et la contre-histoire de la philosophie pour examiner à part la façon dont chacune des deux positions s'organise autour des trois notions fondamentales : pédagogie, historiographie et le 21ème siècle.

Commençons par la première problématique. Celle-ci repose sur une prémisse (première étape) « notre vie est chassée de notre philosophie » dont il convient de tirer la conclusion appropriée : l'impossibilité d'une vie philosophique ou bien l'absence d'une vie transfigurée (deuxième étape). Avant d'examiner la façon dont l'histoire de la philosophie escamote la vie réelle, nous rappelons en premier lieu que l'histoire de la philosophie repose sur trois piliers : une pédagogie anti-libertaire, une historiographie idéaliste et un 21ème siècle pétri de religieux.

Premièrement, la pédagogie anti-libertaire se conforme au point de départ déjà posé : la vie ici-bas se voit chassée de son terrain. L'école - une des formes qui constituent le social - s'attache à étouffer chez l'enfant tout besoin d'interrogation sur les trois dimensions de la vie : soi, autrui et le monde. Toutefois, il faut faire remarquer qu'Onfray n'examine pas ici si l'école fournit un appui au religieux ou pas. La question du religieux sera traitée plus tard.

L'objectif d'Onfray ici était de braquer le projecteur sur l'obéissance, la soumission, la docilité et le renoncement à soi commandés par l'école. Ce qui n'est pas niable c'est que l'élève qui obéit ne tente jamais de questionner sa vie pour en tirer le sens de son existence. L'école lui impose, dans le moindre détail, un sens préfabriqué auquel il doit se soumettre sans broncher. Or cette construction préconstruite reste-t-elle une construction ?

Bien que nous ne traitions pas du religieux dans cette première étape, Michel Onfray voit que le maître (ici l'école) et la religion sont en parfaite harmonie parce que toutes les deux, sont des « anthropophages », toutes les deux aiment ce qui relie, associe et mélange et pourfendent ce qui divise, fragmente et éclate.780(*)

L'école, cette forme du social, est en affinité profonde avec le « fonctionnaire de la philosophie » car elle va lui préparer le terrain. Ce fonctionnaire a intérêt à ce que les élèves arrivent chez lui éteints, dociles et soumis. Ceci l'aidera à diriger leur questionnement vers un monde qui transcende la « vie qui se situe entre deux néants », et à les faire oublier que la philosophie est faite par eux et pour eux.

Si l'on se réfère maintenant aux qualités du fonctionnaire de la philosophie, on s'aperçoit que toute sa fonction était de congédier la vie. Ce fonctionnaire de la philosophie est absolument passif puisqu'il agit en accord avec le système social régnant.781(*) Ce fonctionnaire de la philosophie, comme tout disciple du Christ, invite à une servile imitation, or imiter l'autre, c'est éviter d'être soi-même car toute sculpture de soi doit sourdre du vécu de l'individu. Ce fonctionnaire recourant, troisièmement, au langage désincarné, considère la philosophie comme une pensée de nuées et fait fi de la dimension existentielle de la discipline. Finalement, ce faux-maître passe pour un maître non engagé car la théorie chez lui prend le dessus sur la vie quotidienne.

Cette mauvaise pédagogie, pour examiner les conséquences (c'est-à-dire la conclusion appropriée ou la deuxième étape), ne fait qu'entraver tout projet de sculpture de soi ou d'hédonisme. Le disciple reste un matériau brut, un pur objet, une personne sans unicité et sans identité. Ce disciple manufacturé par son entourage ne peut user de la prodigalité et de la dépense pour produire une mise en forme de soi et montrer un style. Il reste amateur d'humilité et d'extinction chrétiennes, et travaille par suite à sa propre déchéance. Voilà comment la mauvaise pédagogie échoue dans le domaine de l'art, de l'édification, de la structuration et par suite de l'affirmation et de l'exception.

A son tour, l'historiographie idéaliste qui s'étend de l'Antiquité au 18ème siècle vient se greffer sur cette mauvaise pédagogie. Elle consolide la proposition de départ qui est cette répulsion à l'égard de la vie et se retrouve par conséquent dans l'incapacité de transfigurer cette vie.

Le platonisme tout d'abord favorise l'âme (cette instance métaphysique) au préjudice du corps (cette entrave physique), se convainc de l'immortalité de l'âme et du tribunal divin. Cette vision transcendante du monde qui ne laisse aucune place à l'ici-bas se répercute sur tout un chacun. D'où la déduction tirée : abandonner involontairement les plaisirs du corps, endurer sa séparation des sens du corps et redouter la sanction divine. Rien donc qui provoque la joie et le rire.

Ce platonisme vient nourrir au Moyen-Âge classique la pensée des partisans du christianisme officiel. C'est pour cette raison que Michel Onfray voyait, après Nietzsche, que le christianisme fait figure de « platonisme pour le peuple ». Michel Onfray ne s'est pas adonné à une étude développée du christianisme au Moyen-Âge puisqu'il va formuler une analyse très critique du christianisme au 21ème siècle, en perçant à jour l'épistémè chrétienne qui régit le nihilisme européen. Toutefois, on peut repérer les informations suivantes. Le christianisme officiel prend comme point de départ : la fiction de Jésus-Christ, la légende de la conversion de Paul l'hystérique, le signe christique inventé par Constantin. Or, on sait l'issue de ces mythes qui transcendent le réel : L'aversion tirée par les Pères de l'Eglise pour la sexualité. La maltraitance et la souffrance que les Pères de l'Eglise s'infligent à leurs corps. La prééminence de la vie post mortem sur l'ici et le maintenant et la croyance en une mort qui nous délivre du corps. Le totalitarisme de l'Etat chrétien qui contrent la liberté des non- chrétiens.

Cette ligne de pensée adoptée par le platonisme et le christianisme officiel va se poursuivre au 17ème siècle, appelé couramment le « Grand siècle ». Dans ce siècle, on rencontre des philosophes comme Descartes, Pascal, Bossuet, Fénelon, etc. qui se proclament en faveur de la religion catholique et de sa copie sur terre ; la monarchie. Or, agir ici-bas en conformité avec ce qui transcende l'ici et le maintenant conduit indiscutablement à de mauvaises conséquences : Louis XIV ne connaît pas de limite à son pouvoir car il échappe totalement au contrôle. Et le divertissement cher à Spinoza est catégoriquement dénoncé de peur qu'il trouble l'amour de Dieu et l' « apologétique de rupture »  forgée par Pascal.

Ceci dit, on conclut que le 17ème siècle classique c'est-à-dire idéaliste n'offre aucune voie d'accès au bonheur.

Après les idéalistes du 17ème siècle, les Lumières pâles viennent avancer cette vision transcendante du monde. En ce sens, ils attribuent un rôle capital à la monarchie et au déisme782(*). Rappelons que l'abbé Yvon était propice à la liquidation des athées et que Voltaire voyait en Dieu le besoin primordial des princes pour pouvoir tirer « le peuple par les naseaux ». Car aux yeux de Voltaire, la crainte de DErreur ! Aucun nom n'a été donné au signet.ieu et la punition qui en procède dans l'au-delà l'emportent sur les lois civiles dans la rétention des criminels et des délinquants.783(*) La répercussion de cette pensée idéaliste sur la vie ici-bas se déploie dans le maintien du peuple dans l'asservissement et l'oppression. Toute ébauche de résistance est immédiatement bloquée.

Si avec la mauvaise pédagogie et l'historiographie idéaliste, on en ressort avec une totale négligence de la vie, il en va de même avec les deux fascismes et le nihilisme européen qui dominent le 21ème siècle.

Le fascisme de renard et de lion qui se reportent aux Livres Saints juifs, chrétiens et musulmans (donc s'appuient sur un critère transcendant) laissent derrière eux un monde saturé de ruines, de morts, de blessés et de victimes innombrables.

De même, le nihilisme répandu en Europe a plongé les hommes dans un grand égarement. On s'affronte alors à un « nihilisme européen » qui fait acte de la présence de l'héritage chrétien dans notre vision du monde bien que les Eglises se trouvent vidées les Dimanches. Cet ancrage du nihilisme dans le quotidien, expose Onfray, relève de la responsabilité des politiciens et des penseurs de droite qui sont à la solde du christianisme. Ces gens de droite (Sarkozy, Luc Ferry, Raymond Aron...) qui détiennent le pouvoir en France viennent prendre le contre-pied des idées de Mai 68. Tous veulent saboter cet héritage culturel que l'on considère comme « mère de tous les vices ». Dans leur perspective, avec Mai 68 toutes les valeurs tributaires de l'héritage chrétien se sont écroulées : l'ordre, l'autorité, la hiérarchie, la morale, le bien, le mal, la loi. On y sombre alors dans la décadence et l'anarchie.784(*) A côté des hommes de droite, Onfray vient placer les « faux penseurs de gauche » ou les « vraies penseurs de droite ». Ces penseurs malgré leur dispositif de dissimulation, ne font que raviver le nihilisme européen. Onfray dit à ce propos : « les français sont des veaux qui croient aux étiquettes dont les hypocrites et les fourbes se servent pour maquiller leurs programmes toxiques et frelatés (...). Ainsi quand Ségolène Royal défend des idées de droite, mais se dit de gauche, il y a encore une majorité de gogos pour croire plutôt le faux performatif « je suis de gauche » (...) »785(*)

Voyons maintenant comment les valeurs du nihilisme européen oeuvrent contre les valeurs de la terre. L'éthique chrétienne, en premier lieu, a congédié la vie qui se situe entre deux néants puisqu'elle a imposé silence à tout ce qui constitue l'homme en minuscule. : Désirs, passions, amour-propre. Cet être qui se défait de sa substance et se sacrifie à une idole en majuscule l'« Amour du Prochain » va subir les mauvais traitements. Il sera alors écrasés par l'ennemi, le bourreau et les prêtres salésiens. Cette soumission de la vie à tout ce qui la digère se poursuit avec la morale sexuelle chrétienne qui vient imposer un monde saturé de mythologie : le mythe de la coupure divine, des androgynes et des os retranchés, la mythologie du « désir comme manque » et la figure de « l'éléphant monogame ». Ceci n'est pas sans conséquences fâcheuses pour les amoureux imprégnés de l'épistémè chrétienne : l'empiétement de la liberté du partenaire, l'éruption de l'animalité sexuelle, la prostitution, la trahison, la haine et le deuil de la femme786(*). Cet anti-hédonisme triomphant dans la « sexualité chrétienne » fraye son chemin pour atteindre également la bioéthique régnante. Celle-ci en se réclamant des idées pures comme « la personne potentielle », le « corps chrétien » et les « soins palliatifs » a contré les aspirations hédonistes des parents, des malades et des agonisants.

Vu l'état des choses, Michel Onfray décide de percer une voie pour la contre-histoire de la philosophie dans cette zone dominée par l'histoire de la philosophie.787(*)

Si l'on considère maintenant la problématique à laquelle répond la contre-histoire, on voit que celle-ci est mêmement composée de deux éléments : la prémisse et la conclusion. La prémisse s'énonce comme suit : « la vie se situe entre deux néants. ». Ceci veut dire qu'il ne doit y avoir dans la vie ici-bas qu'un centre de décision : la vie elle-même et tout ce qui va avec. Avec la contre-histoire s'ouvre donc une nouvelle page dans la philosophie qui consiste à restreindre le champ de la recherche au monde dans lequel nous vivons, et à l'homme que nous le rencontrons tous les jours. Cette prémisse, à l'inverse de la prémisse de l'histoire de la philosophie, a prodigué de nombreux fruits sur plus d'un terrain.

Pour commencer, il nous faut examiner tout d'abord la pédagogie libertaire. Pour cette pédagogie, la vie (qui est conscience de soi, d'autrui et du monde ici-bas) était le sein maternel dans lequel tout projet philosophique se développait. C'est cette vie donc et non une vie idéalisée qui est au commencement de la sculpture de soi. Pour cette raison, tout maître digne de ce nom doit s'atteler à cette tâche énorme. Il doit oeuvrer à ce que chacun de ses disciples se pose des questions sur lui-même, sur autrui et le monde qui l'entoure. Il doit galvaniser son public, montrer un chemin différent. Or comme il est déjà bien connu, ce chemin autre n'est qu'une voie royale menant à l'émancipation de la vie. Ce maître tout en stimulant les épuisés ne doit nullement se substituer à eux et sculpter leur vie, puisque comme disait Onfray dans cette belle formule : « on assiste à un hapax existentiel dont la spécificité réside dans l'impossibilité d'une duplication. »788(*). Il doit seulement mettre en pratique sa philosophie existentielle pour pouvoir influé sur les élèves et les animer d'un souffle créateur.

Le disciple qui a reçu cette pédagogie libertaire est capable enfin de mettre en scène son énergie, sa force, sa puissance, sa part maudite pour obtenir de la cohérence, de l'ordre et de la forme. Cette forme n'est donc que la métamorphose de son moi, l'obtention d'une identité, d'un style et l'affirmation de soi comme une figure unique et rebelle. Voilà comment l'artiste dispendieux qu'est le disciple a réussi à faire la jonction entre la vie et la philosophie, à fuir les vertus chrétiennes de l'humilité et à fonder une vision hédoniste du monde.

A la suite de la pédagogie libertaire, tous les philosophes alternatifs qui constituent le revers de la philosophie idéaliste, vont participer largement à cette esthétisation de l'existence.

Michel Onfray se reporte en premier lieu aux sagesses antiques qui viennent donner le branle à ce projet d'esthétisation. A l'inverse du platonisme, on voit se profiler ici des éléments pour une vision immanente du monde, à savoir : l'agrégation des atomes comme seule cause du réel, l'insouciance des dieux qui habitent dans les intermondes et la corruption de l'âme après la mort. Congédier tout ce qui s'élève au-dessus de la vie, génère l'idéal hédoniste : On cesse alors d'appréhender une punition dans la vie post mortem. On se procure tout ce qui nous fait plaisir, y compris les plaisirs sexuels. On se libère de la quête d'une vérité inexistante (le monde des Idées platoniciennes) pour se pencher volontiers sur les sens du corps.

De leur côté, les partisans du « christianisme hédoniste » au Moyen-Âge et à la Renaissance viennent apporter leur contribution à ce sujet. Tous ces penseurs sont enclins à une vision hédoniste du monde. Toutefois, ces penseurs - hormis Montaigne - sont les seuls qui partent d'une vision transcendante, c'est-à-dire renversent la proposition de départ des alternatifs, mais pour satisfaire les intérêts de l'immanence. Les gnostiques licencieux récusent les deux néants qui encerclent la vie et trouvent à l'instar du platonisme et du christianisme que l'âme a connu la béatitude avant sa chute et que cette âme peut se libérer du corps après la mort. De même, les partisans du Libre-Esprit croyaient à la figure du Crucifié qui par sa rédemption a racheté les péchés du monde. Pour autant, les deux ont oeuvré en faveur d'une conclusion qui sert l'ici-bas : les gnostiques licencieux prêchent une consommation totale de la matière et du corps. Et les tenants du Libre Esprit établissent la divinité de l'homme et déclinent impunément les enseignements de l'Eglise. Pour ce qui est de Montaigne, celui-ci part d'une vision immanente du monde qui fonde un christianisme hors des sentiers battus : « un christianisme vivant », un « christianisme modéré », en un mot, un « christianisme épicurien. ». L'incidence de cette jonction entre le christianisme et l'épicurisme sur le réel se montre dans les trois éléments suivants : Montaigne trouve que « le désir est partout » et que «  le plaisir est notre but ». Il réprouve un certain Dieu omniprésent. Et il apprend à apprivoiser la mort.

Ce combat pour le triomphe de la vie va être de même présent au 17ème siècle où l'on voit des penseurs comme Charron et Spinoza partant d'une vision du monde empreinte de panthéisme pour parvenir deuxièmement à une philosophe véritablement hédoniste. La proposition de départ ou le panthéisme écarte toute possibilité d'un Dieu transcendant créateur et agissant au monde. Elle élit plutôt un Dieu immanent et dépourvu de volonté. En conséquence directe de cette vision immanente du monde, la morale s'acquitte d'un fondement transcendant pour se baser sur une nécessité naturelle qui consiste à chercher le Bon, la joie, la persévérance dans la vie et à fuir le Mauvais, la tristesse ou l'amoindrissement de l'être. De même, le pouvoir politique se dégage de l'emprise du roi (qui tire son pouvoir d'un Dieu transcendant) pour réaliser un régime démocratique et républicain favorisant le bonheur de tous. Enfin, la croyance à ce rapport entre la substance (Dieu) et ses modes (tout ce qui est) nous délivre du Jugement dernier et de la crainte puisque le mode (corps et âme) est nécessairement mortel.

Nous passons maintenant au 18ème siècle dans lequel se meut une autre théorie hédoniste. Dans ce siècle, nous assistons à deux penseurs (d'Holbach et Meslier) qui ne croient pas à l'existence d'un Dieu et qui condamnent la monarchie absolue soutenue par le clergé catholique. Cette prémisse a pour corollaire l'émancipation de toute créature à qui l'on dénie le droit de vivre avec dignité. Cette créature opprimée regroupent les gens du peuple, les paysans, les exploités, les travailleurs épuisés..., tout ce qui est en face des rois, des tyrans, des curés et des déistes.

Enfin, la pédagogie libertaire et l'historiographie alternative vont être couronnées et achevées au 21ème siècle par un athéisme militant. Dans ce siècle, l'on retrouve alors un « athéisme athée » qui vient mener à terme tout ce qui a été posé et sous-tendre la conception onfrayiennne de l'hédonisme. Bien évidemment, « l'athéisme athée » forgé par Michel Onfray relève de l'héritage culturel de Mai 68. Selon Onfray, le « réanchantement » de la vie, prend son départ de Mai 68. A ce titre, Michel Onfray nous incite à achever Mai 68. Dès lors, ce chantier d'achèvement, à l'inverse des ce que pensent les pourfendeurs de Mai 68, n'est aucunement synonyme d'anéantissement et de destruction totale. Il s'agit d'achever Mai 68 en entreprenant son parachèvement, son accomplissement qui, à l'évidence, a été obstrué par l'arrivée de la droite au pouvoir. Pour Onfray donc, l'histoire de Mai 68 reste à écrire puisque elle seule est responsable d'atténuer les dommages occasionnés par la droite. Les idéaux de Mai 68 sont d'éminents inspirateurs de cette déchristianisation de la société voulue par Onfray.789(*) Le principe de base de ces idéaux se résume ainsi: «  la cité terrestre ne procède pas du démarquage de la cité céleste. »790(*). Or, Michel Onfray ce fanatique de l'immanence et de la déchristianisation, a été de même animé par de principe. Nous essayons maintenant de voir brièvement comment les diverses disciplines qui lisent le monde selon un principe horizontal (et non vertical) vont primer, à la fin, la vie contre la mort et l'hédonisme contre l'ascétisme.

Tout d'abord, l' « éthique élective » qui part de ce qui est, de l'homme réel et non idéalisé, d'un homme qui a des passions, des plaisirs et des déplaisirs, est capable de forger une intersubjectivité gaie où chacun élisent, grâce au jeu des passions, ceux qui lui donnent la jouissance et évincent ceux qui sont source de mal. Avec cette éthique, on apprend que le bonheur ne réside pas dans l'Amour du Prochain mais dans les preuves d'amour.

Deuxièmement, l' « érotique solaire » qui s'appuie sur un désir matériel et atomique, qui complète la nature par une culture immanente, par un vouloir humain791(*), ne fait que promouvoir un féminisme libertaire, des partenaires célibataires, des fidèles à la parole donnée et une variété de sculpture érotique de soi.

Dans la continuité des autres, la « bioéthique prométhéenne » vient se libérer du joug du ciel des idées pour se consacrer à l'immanent. Pour Michel Onfray, c'est la science qui incarne l'immanence en matière bioéthique. Ceci est manifeste dans le placement du chirurgien en face de Dieu. Le chirurgien met en application la puissance démiurgique de l'humain. Il se moque de Dieu, participe à la création et la résurrection. Avec lui, Dieu se trouve congédié et dépouillé de ses fonctions car le chirurgien devient lui-même le Démiurge, le prêtre, le guerrier et le magicien. D'ailleurs, Michel Onfray nous reporte que « la chirurgie sonne comme liturgie, démiurgie, théurgie. ». Cette chirurgie s'effectue dans un monde abhorré par Platon et le chrétien, un monde qui n'est pas du tout intelligible mais appartient au monde de la matière la plus ignoble : les excréments humains, les bols digestifs, le sang, les graisses jaunes, les chairs putrides, le muscle corrompu, la matière grise tumorale...792(*) Cette bioéthique qui part de l'immanence conduit immanquablement à un corps faustien et élargi, un corps profitant de l'IVG et de l'eugénisme, un corps recourant au corps athée et la technique de la greffe, un corps choisissant l'euthanasie pour faire triompher une vie épanouie.

En définitive, en faisant le point sur la pensée de Michel Onfray et en s'appuyant sur sa propre argumentation, on scande que l'« histoire de la philosophie » ne repose, en dernière instance, que sur l'oubli de la vie et la foi totale à tout ce qui empêche l'hédonisme. Hélas, on doit bien convenir que notre philosophe - qui a mené cette lutte à outrance -, a effectivement raison : Seule la contre-histoire de la philosophie offre un terrain favorable à l'émancipation d'une vie gaie et réussie.

BIBILOGRAPHIE:

I- OEuvres de Michel Onfray

1) ONFRAY Michel, Le Ventre des philosophes - Critique de la raison diététique - , Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1989.

2) - Cynismes - Portait du philosophe en chien -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1990.

3) - L'Art de jouir - Pour un matérialisme hédoniste -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1991.

4) - La sculpture de soi - La morale esthétique -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1993.

5) - La Raison gourmande - Philosophie du goût -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1995.

6) - Le désir d'être un volcan - Journal hédoniste -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1996.

7) - Politique du rebelle - Traité de résistance et d'insoumission -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1997.

8) - Les vertus de la foudre - Journal hédoniste -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 1998.

9) - Théorie du corps amoureux - Pour une érotique solaire -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2000.

10) - Antimanuel de philosophie - Leçons socratiques et alternatives, Bral, 2001

11) L'Invention du plaisir - Fragments cyrénaïques -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2002.

12) - Physiologie de Georges Palante - Pour un nietzschéisme de gauche - , Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2002.

13) - Célébration du génie colérique - Tombeau de Pierre Bourdieu -, Paris, Galilée, 2002

14) - Féeries anatomiques - Généalogie du corps faustien -, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2003.

15) - La communauté philosophique - Manifeste pour l'Université populaire - , Galilée, 2004.

16) - La philosophie féroce - Exercices anarchistes - , Paris, Galilée, 2004.

17) - Traité d'athéologie - Physique de la métaphysique - , Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2005.

18) - La philosophie féroce - Traces de feux furieux - , Paris, Galilée, 2006.

19) - La Sagesse tragique - Du bon usage de Nietzsche - , Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2006.

20) - La puissance d'exister - Manifeste hédoniste -, Paris, Grasset & Fasquelle, 2006.

21) - Les Sagesses antiques - Contre-histoire de la philosophie I - , Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2006.

22) - Suite à la communauté philosophique - une machine à porter la voix - , Paris, Galilée, 2006.

23) - Le christianisme hédoniste - Contre-histoire de la philosophie II-, Grasset & Fasquelle, 2006

24) - Les libertins baroques - Contre-histoire de la philosophie III- , Paris, Grasset & Fasquelle, 2007.

25) - Les ultras des Lumières - Contre-histoire de la philosophie IV-, Paris, Grasset & Fasquelle, 2007.

26) - La lueur des orages désirés - Journal hédoniste IV, Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2007

* 780 Cf. Politique du rebelle, op.cit, pp.41 ; 43 ; La sculpture de soi, op.cit, pp.53-90

* 781 Il est intéressant ici de remarquer que les voies dominantes sont nettement colorées d'« idéalisme » et en tant que telles, elles doivent être prônées pour faire obstacle aux voies alternatives qui élèvent la vie.

* 782 Il n'est pas douteux que l'historiographie alternative comporte des philosophes déistes. Néanmoins, ces philosophes ne sont pas hostiles à l'athéisme et ne luttent pas comme Voltaire et d'autres idealistes pour bannir la pensée athée. Michel Onfray trouvait alors qu'il y a des degrés dans le déisme. Cf. Les ultras des Lumières, op.cit, p.180

* 783 Ibid., p.21 ; p.34

* 784 Voir l'article de Michel Onfray : « Achevons Mai 68 » diffusé sur Internet : www.prs12.com/spip.php?article3062. Voir également l'interview de Sarkosy : Quand Nicolas Sarkozy veut liquider l'héritage de Mai 68 sur le site suivant : prs12.com/.

* 785 « Achevons Mai 68 », op.cit

* 786 Pour ce dernier point Onfray dit haut et clair : « Que les femmes cessent de croire que leur épanouissement passe par la maternité ou le mariage, car il suppose l'exacerbation de leur subjectivité, alors elles seront l'avenir d'elles-mêmes, le seul qui importe vraiment. » (La philosophie féroce, op.cit., p.23)

* 787 Nous rappelons que Nietzsche lui-même a bâti son oeuvre sur deux bords différents : le premier est négateur et destructeur. Il constitue « la philosophie à coup de marteau » et les « orages négateurs ». Tandis que le second est positif et constructeur. Il constitue la « grande santé » et « le gai savoir ».

Dans l'Avant-propos de son livre Le gai savoir, Nietzsche explique l'expression Gai savoir de la façon suivante : « « Gai savoir » : cela signifie les saturnales d'un esprit qui a résisté patiemment à une terrible et longue pression (...) et qui se voit soudain assailli par l'espoir, par l'espoir de guérir, par l'ivresse de guérir. » ( Nietzsche, Le gai savoir, op.cit, p.7)

* 788 La sculpture de soi, op.cit, p.63

* 789 Voir l'article de Michel Onfray dans La philosophie féroce : Qu'il faut achever Mai 68 p.53 ; p.54 ; p.55. Et l'article précédent : Achevons Mai 68

* 790 Politique du rebelle, op.cit., p.142.

* 791 La culture chez Michel Onfray a transcendé la nature, mais cette culture tire son origine du vouloir humain. Ce qui fait qu'on assiste à un idéal qui déroge au monde idéal.

* 792 Cf. Féeries anatomiques, op.cit., pp.248-256

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci