Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray( Télécharger le fichier original )par Rania Kassir Universite Libanaise - DEA 2008 |
B. Les Lumières radicales :B.1 Un curé athée sous Louis XIV : Meslier Selon Onfray, Jean Meslier, cette figure majeure des ultras des Lumières, inaugure la pensée athée dans le monde occidental.415(*) En fait tout naît d'un seul livre : « Un seul livre mais quel livre ! Un monstre de plus de milles pages manuscrites à la plume d'oie (...) entre le prétendu Grand siècle et le suivant dit des Lumières. » 416(*) Probablement, remarque Onfray, l'athéisme est apparu chez des gens du commun qui sont dans l'incapacité de mettre en théorie ce qu'ils pensent. Pourtant, l'histoire des idées ne retient que les personnes qui s'adonnent à l'étude théorique et méthodique du monde. A savoir les philosophes.417(*) De plus, l'histoire des idées digne de confiance n'a pas pour objectif de ne retenir que les noms mais de les situer également dans le temps. De ce fait, Onfray nous rapporte que « la date exacte est inconnue, mais elle se situe entre 1719 et 1729 [le livre prend dix années de travail], Jean Meslier écrit : « il n'y a point de Dieu » (II, 150). Ite, missa est. »418(*) Si l'on retient maintenant les noms des athées et l'époque dans laquelle ils élaborent leurs pensées, on remarque les faits suivants : d'Holbach (1723-1789) fait partie du 17ème siècle tout comme Meslier mais ce penseur a vu le jour au moment où Meslier rédigeait son Testament. Tout pour Feuerbach (1804-1872), Marx (1818-1883), Nietzsche (1844-1900), Freud (1856-1939) appartiennent au 19ème siècle. De ces constats est confirmée la thèse de Michel Onfray : Jean Meslier est le premier philosophe athée. Pour montrer l'inexistence de Dieu, Meslier part, à l'encontre de Descartes plus tard, des qualités de Dieu pour prouver son inexistence. Dieu est bon ? Alors pour quelle raison menace-t-il les hommes de damnation éternelle et du feu de l'enfer ? Dieu est omnipotent ? Mais alors comment expliquer l'existence du mal dans cette planète ? Meslier se demande dans le Testament (suite 6) : « Que diriez-vous Messieurs les déicoles, d'un père de famille qui pouvant tout bien régler et gouverner, qui pouvait donner à ses enfants de belles perfections, voudrait néanmoins tout abandonner à la conduite du hasard et laisser venir les enfants beaux ou laids, sains ou malades ? Serait-ce là un père parfaitement bon ? Le berger qui n'a pas créé ses brebis s'efforce de les protéger contre les dangers, la maladie, ou la dent du loup. Que diriez-vous de lui s'il prenait plaisir à les regarder aller à leurs risques dans les marécages pestiférés ou dans les antres des bêtes féroces ? »419(*) Troisièment , Dieu est invulnérable, inaccessible ? Alors à quoi bon se fâcher si l'on commet un péché. A quoi bon l'appeler à l'aider et le prier si toute communication avec lui est interdite ? Meslier achève cette façon de fonder l'inexistence de Dieu sur son essence420(*) en se demandant: « Sur quelles bases ont-ils fondé cette prétendue certitude de l'existence de Dieu ? Sur la beauté, l'ordre, sur les perfections des ouvrages de la nature ? Mais pourquoi aller chercher un Dieu invisible et inconnu [en dehors de la nature] pour créateur des êtres et des choses, alors que les êtres et les choses existent et que, par conséquent, il est bien plus simple d'attribuer la force créatrice, organisatrice, à ce que nous voyons, à ce que nous touchons, c'est-à-dire à la matière elle-même »421(*) La spécificité de ce curé athée - écarté de la carte postale régnante au 18ème siècle - réside mêmement dans son refus de la monarchie. Athée matérialiste, Meslier milite de même pour une « république vertueuse » qui se substitue à la monarchie absolue. Louis XIV, affirme Onfray a une mauvaise réputation auprès de Meslier : criminel méprisable, coupable de ravages et de massacres des innocents, grand voleur...422(*) Encore une fois, pour donner appui aux analyses faites par Onfray et pour prouver que le livre de Meslier n'est pas une fiction, comme aimerait à dire les historiens de la philosophie, nous nous référons à certains extraits du vrai Testament négligés par Voltaire. Lisons : « il n'y a point qui aient poussé si loin l'autorité absolue, ni qui aient rendu leurs peuples si pauvres, si esclaves et si misérables ; il n'y a en a point qui aient fait répandre tant de sang (...) qui aient fait tant verser des larmes aux veuves et aux orphelins que ce dernier roi Louis XIV, surnommé le Grand. »423(*) Mais ce qui est plus grave c'est que l'Eglise catholique vient appuyer ce tyran et ce criminel car comme le dit Paul de Tarse tout pouvoir vient de Dieu et par suite ne pas obéir aux ordres du roi revient à s'opposer à Dieu et à contredire sa volonté et à craindre sa damnation éternelle.424(*) Dans ce sens, Meslier poursuit : « d'un côté, les prêtres recommandent, sous peine de malédiction et de damnation éternelle d'obéir aux magistrats, aux princes et aux souverains, comme étant établis de Dieu pour gouverner les autres, et les princes de leur côté font respecter les prêtres, leur font donner de bons appointements (...) contraignant le peuple de regarder comme saint et sacré tout ce qu'ils font. » 425(*) Afin d'en finir avec cet état misérable et pour réaliser un bonheur réel non différé pour l'autre vie, il s'agit pour Meslier de promouvoir une révolution. Celle-ci commence sur le plan des idées : écrire, publier, faire connaître au peuple la logique de la féodalité, développer chez les démunis et les paysans le jugement réfléchi. Meslier a calqué sa révolution sur l'impératif catégorique de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire : « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. » Il y puise alors un constat : la monarchie n'existe que par l'approbation de ceux sur lesquels elle s'applique, et une solution : cessez de s'y pliez, elle s'écroule aussitôt.426(*) Il est bien clair que l'hédonisme chez Meslier ne se réalise qu'en sauvant les travailleurs exténués, les miséreux, les sans-culottes... En un mot, le bonheur choisit sa demeure à côté de tout être à qui l'on refuse le droit de vivre sereinement et tranquillement.427(*) Une fois ces choses accomplies, révolter les pauvres contre les riches devient une tâche facile. Telles idées révolutionnaires en plein 18ème siècle ne peuvent qu'attiser la haine et la colère de l'Eglise et de Voltaire. L'Eglise en prenant connaissance du contenu du Testament, prit le parti d'enterrer le curé sans tombe, sans plaque, sans signe distinctif. Il lui est insupportable de voir le nom du curé sur un registre de catholicité.428(*) A son tour, Voltaire, peu après la mort de Meslier, reçoit des informations de la part de son ami d'enfance, Nicolas Claude Thiriot sur l'existence du Testament. Son ami lui rapporte l'évènement dans une lettre datée de l'hiver 1735. Alors il charge son correspondant de lui apporter une copie.429(*) Après avoir achevé la lecture de cette oeuvre appellée par Onfray « la bombe philosophique 430(*)», Voltaire s'emploie à retrancher des parties de l'oeuvre, à modifier quelques unes et même à ajouter quelques passages de son voeu. En somme, à éteindre cette bombe. Tout est métamorphosé pour laisser croire que le curé athée était voltairien ; déiste ou adepte de la religion naturelle.431(*) A titre d'exemple, Voltaire conclut son ouvrage en nous laissant croire que Meslier l'athée, l'anti-déicole, demanda pardon à Dieu : « Voilà le précis exact du Testament in-folio de Jean Meslier. Qu'on juge de quel poids est le témoignage d'un Prêtre mourant qui demande pardon à Dieu. »432(*) Certes, Voltaire laisse intacts la critique de la religion, des miracles, des prophètes et de quelques dogmes chrétiens mais il met à l'écart l'athéisme et l'autonomie de la politique. 433(*) A ce titre, les quatre-vingt-dix-sept chapitres rédigés par Meslier deviennent avec Voltaire sept chapitres et les milles pages deviennent soixante pages.434(*) Ce qui a poussé Onfray à dire à propos de Voltaire, le principal représentant de l'historiographie dominante : « Voltaire n'est ni le philosophe que l'on dit ni l'homme que l'on croit, il répugne à l'athéisme de Meslier et encore de plus à son projet émancipateur. »435(*) Néanmoins, Voltaire n'avait pas été considéré communément comme le parangon des Lumières ? A cette question, Onfray répond : « Voltaire aime la liberté, certes, mais comme une occasion d'exercice de style mondain. Car quand il s'agit de la liberté du peuple (...) il prend nettement le parti des rois et des princes, des nobles et des évêques. » 436(*) Voltaire, le déiste fanatique, croit en un Etre suprême vengeur et rémunérateur. Les princes ont besoin de ce Dieu pour « tirer les peuples par les naseaux. »437(*) Bref, pendant bien longtemps, on ne connaît de l'oeuvre de Meslier que ce livre fabriqué par « le torchon voltairien »438(*). Il a fallu attendre l'an 1864, après la Révolution française pour que les malentendus se dissipent. Cette période signale alors l'acte de naissance du texte intégral sans modification, retranchement et falsification. C'est grâce à Rudolf Charles qu'est apparue la « bombe philosophique » à Amsterdam en trois volumes. Elle requiert comme titre : Testament de Meslier. Cette voie ouverte par Meslier va être accomplie par d'Holbach. * 415 Ibid., p.58 * 416 Ibid., p.44 * 417 Ibid., p.58 * 418 Ibid., p.59 * 419 Extraits du Testament de Jean Meslier, version électronique,op.cit : meslier.monsite.wanadoo.fr/index.jhtml. (Version de Meslier , suite 6) * 420 Cf. Les ultras des Lumières, op.cit, p.59 ; p.60 * 421 Extraits du Testament de Jean Meslier, op.cit., suite 5 * 422 Cf. Les ultras des Lumières, op.cit., p.86 * 423 Extraits du Testament, op.cit, suite 2 * 424 Cf. Les ultras des Lumières, op.cit., p.88 * 425 Extraits du Testament, op.cit., suite 1 * 426 Cf. Les ultras des Lumières, op.cit., p.91 * 427 Ibid., p.48 ; p.49 * 428 Ibid., p.52 * 429 Ibid., p.94 * 430 Ibid., p.48 * 431 Ibid., p.96 * 432 MESLIER Jean, Testament de Meslier, version électronique : classiques.uqac.ca/collection_documents/meslier_jeantestament/Testament_tdm.html. (Version de Voltaire) p.60 * 433 Cf. Les ultras des Lumières, op.cit., p.96 * 434 Ibid., p.50 ; p. 53 Voir également la version de Voltaire * 435 Ibid., p.94 Voir également la version de Voltaire. * 436 Ibid., p.95 * 437 Ibid., p.21 ; p.34 * 438 Voltaire écrit ce livre en 1742 en signalant Meslier |
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