Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray( Télécharger le fichier original )par Rania Kassir Universite Libanaise - DEA 2008 |
B.3 Le sensualisme :Le matérialisme défendu délivre l'homme de la haine infligée au corps. L'homme, dès lors, a le plein pouvoir de recourir au sens du corps tout comme il a poursuivi les plaisirs du corps. En plus, on remarque le plus souvent le « pouvoir » s'acheminer vers un « devoir ». Le sensualisme exclu toute possibilité de choix. Il est une suite nécessaire du matérialisme. Expliquons. Pour les matérialistes, « les simulacres » considérés comme la matière de toute réalité, sont eux-mêmes composés de « pellicules imperceptibles ». Ces dernières se détachent des objets, circulent dans l'air et pénètrent dans notre corps par le truchement des organes sensoriels ; le nez, la bouche, les yeux, les oreilles et les pores. Ceci étant, la vérité se trouve uniquement dans l'interaction des pellicules écorchées des choses (objet)249(*) et les cinq sens (sujet). On peut lire chez Démocrite « Le phénomène et la sensation, voilà les prémisses de tout accès à la vérité. »250(*) Et plus loin chez Epicure: « les critères de la vérité résident dans les sensations (...). Atomes du corps qui saisissent les atomes détachés de la matière. »251(*) Dire que la vérité coïncide avec ce que nous apprennent les cinq sens du corps, c'est dire que la vérité n'entretient aucun rapport avec le monde des Idées ou des Essences élaboré par l'âme. Pour illustrer ces arguments, Onfray va puiser dans le corpus antique les anecdotes révélatrices252(*). Trois d'entre eux ont retenu notre attention : une de Démocrite et deux de Diogène. Dans L'Art de jouir253(*), Onfray nous rapporte que Démocrite saluait le soir la jeune fille qui accompagnait Hippocrate par un « bonsoir mademoiselle » et qu'au début du deuxième jour il fut obligé de lui dire « bonjour madame ». Cette fille, ayant perdue sa virginité durant la nuit, a reçu en son corps des humeurs masculines : le liquide séminal. Mais comme pour Démocrite, le matérialiste, les particules sont dans un mouvement constant, le sperme en tant que particule va subir des déplacements jusqu'à ce qu'il détache du corps de la femme et s'évapore dans l'air. A ce point, les vapeurs du sperme ou ces « particules imperceptibles » vont être saisi par le flair de Démocrite qui parcourait la même rue que la dame. Démocrite montrait à travers cet exemple que les sens, en particulier l'odorat, sont un gage de vérité. Démocrite est donc un fanatique du nez et un anti-idéaliste car un idéaliste comme Platon « ne peut avoir qu'un nez atrophié254(*) ». Nous passons à Diogène. La première anecdote montre le cynique marchant dans les rues d'Athènes avec une lanterne à la main en plein jour. Cette lanterne lui sert donc à quêter l'homme de Platon, l'Homme majuscule, l'humanité quintessenciée. En revanche, sa quête était infructueuse car « le philosophe à la lanterne » ne croisent que des particuliers ; menuisier, musicien, rhéteur... L'Homme platonicien n'existe donc pas.255(*) De même, la deuxième anecdote vient monter que la définition de cet Homme est erronée, voire ridicule. Platon a défini l'homme comme un « bipède sans plume ». Diogène préparait alors une contre-démonstration à cette définition. C'est ainsi qu'il plume un coq et le jette au sein d'une réunion présidée par Platon. En agissant de la sorte, le cynique réussit à infirmer la définition platonicienne et à montrer que le réel ne peut être réduit au concept.256(*) Telles idées novatrices ont mérité les strictes sanctions. Les sagesses antiques examinent leur sort : ils sont oubliés, falsifiés et caricaturés. * 249 L'objet ne se limite pas à l'objet matériel. L'homme aussi peut être objet en tant qu'il est perçu par un autre sujet * 250 Ibid., p.71 * 251 Ibid., p.195 * 252 Celles-ci jouent un rôle pédagogique et philosophique. * 253 Cf. L'Art de jouir, op.cit., pp.97-99 * 254 Ibid., p.99 * 255 Cf. La puissance d'exister, op.cit., p.166 * 256 Cf. Cynismes, op.cit., p.46 |
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