Approche des représentations du "participatif" des journalistes des sites indépendants d'information @rrêtsurimages et Médiapart( Télécharger le fichier original )par Claire PHILIPP EAC - Master de Manager de projet culturel 2009 |
5.2. Resultats : confrontation des discours publiques e t lors d'en tre tiens avec les hypotheses de recherche d'apres les criteres predefinis.5.2.1. Reticences de la part des web journalistes face au systeme d'autoregulation de la communauteNous avons recensé les blogs du Club de Médiapart ainsi que le nombre de billets que chacun d'eux comptabilisait (en les classant par tranche de 25), afin de voire si le concept de la « longue tralne » pouvait s'appliquer dans ce cas. Nous avons fait cela dans le but d'observer comment la communauté d'abonnés s'auto-organisait et dans quelle mesure l'intervention de la rédaction de Médiapart était nécessaire comme l'avance Vincent Truffy. Répartition du nombre de blogs rapporté a leur nombre de billets sur le Club de Médiapart (mars 2009) : = 1 : 311 bloggers >= 1 < 25 billets : 787 bloggers >= 25 < 50 billets : 43 bloggers >= 50 < 100 billets : 20 bloggers > 100 < 150 billets : 8 bloggers > 150 < 175 billets : 2 bloggers Total du nombre de blogs (recensement personnel) = 860123 0n observe que 36% des bloggers n'ont contribué au club Médiapart que d'un seul billet alors que les 3,5% les plus actifs ont publié plus de 50 billets. Si on applique la loi des 20/80 (20% des bloggers constituent 80% de la production éditoriale) traditionnellement appliquée dans les entreprises, on constate que 20% des blogs (les 172 blogs les plus actifs) ont ainsi publié au moins 10 billets chacun alors que les 80% restant on publié moins de 2 billets. Ce cas de figure illustre le concept de la « long tail » et constitue un ensemble assez hétérogène. ll se structure selon le principe de la coordination, qui veut que l'organisation se fasse d'elle même. 123 833 au 06.04.09 selon Francois Bonnet, http://www.mediapart.fr/club/blog/francoisbonnet/060309/une-impatience-partagee-avec-nos-abonnes Par un effet « naturel », les blogs les plus visités sont ceux aux quels les internautes s'abonnent selon une logique de « rendez-vous », les plus cités et les plus notés, ce qui les fait apparaitre dans les premiers rangs du « classement » éventuels des blogs (exemple : « commentaires d'utilité publique » sur la home page d'arretsurimages.net sont les plus pointés par les asinautes, onglets « les nouveaux billets », les « nouveaux blogs » ou « les + recommandés » sur le club de Médiapart). Il y a donc une sélection par la nouveauté/régularité des contributions et une sélection qualitative, par le vote ou le classement des plus lus/visités/envoyés, qui s'effectue d'elle-même entre internautes via les différentes applications mises a leur disposition par le site. 0n note que sur les 20 premiers blogs les plus recommandés sur Médiapart, 14 d'entre eux sont des blogs qui ont moins de 10 billets (limite établie ci dessus au dela de laquelle on fait parti des 20% de blogs les plus actifs) et 7 ayant un seul post a leur actif. Ce qui nous amène a dire qu'un peu plus d'un tiers des blogs plébiscités par les abonnés de médiapart font partis de cette longue traine de contributeurs ponctuels pouvant etre percus comme faisant de l'obstruction par le brouillage entrainé par leur nombre. Ils sont donc remarqués du fait du fait de leur apparition dans les listes de nouveautés ou du fait d'une recherche par mot clé (tags). En effet, les algorithmes opèrent sur la home page du « Club » une sélection par obsolescence et par recommandation. La nature automatique (quantitative et qualitative) de ces classements mettant en avant les choix des abonnés. Vincent Truffy rappelle a la suite de posts controversés sur le VIH et les attentats du 11 septembre que la rédaction a fait le choix d'une modération a posteriori et de rendre accessible une sélection, qui ne correspond pas toujours a ses propres critères. « Cette intrusion du quantitatif dans un ensemble très editorialise fonctionne néanmoins comme un rappel - modeste certes, puisque place en bas de page d'accueil ou dans des pages moins accessibles - de la popularité de ce qui ne correspond pas au choix de la redaction de Mediapart. C'est l'irruption de l'incongru, de l'insolite, de l'inapercu, c'est l'accident dans un ensemble qui pourrait parattre trop bien réglé au risque parfois de l'inacceptable. »124. 124 TRUFFY Vincent, « Le Club en chantier », Medipart, Edition « Découvrir Médiapart, 12 septembre 2008. A noter que cette sélection autorégulée n'est pas celle qui est la plus visible sur la 3 home page . du site, mais sur celle du Club. C'est le responsable de la Une qui sélectionne, en accord avec le chargé du Club, les billets figurant dans la zone bleue de la page d'accueil du journal. Un choix rédactionnel supplante donc celui opéré par les internautes eux-même pour les parties les plus accessibles du sites afin de garantir la cohérence éditoriale de Médiapart. 0n peut alors se demander si ce parti pris relève du fait que les outils mis a la disposition des internautes ne sont pas satisfaisants (pas d'échelle de notation, d'élection de modérateurs parmi les abonnés...) ou d'une résistance a abandonner aux abonnés la sélection de leurs propres publications, car jugée non pertinente. L'intervention d'un professionnel est la encore présentée comme essentielle pour une meilleure sélection, ce qui révèle la volonté de la rédaction de conserver un certain . contrôle . sur le . Club >. Un panachage semble etre tenté entre une modération a posteriori (qui relève d'une démarche d'hébergeur de contenus) et une mise en avant des billets correspondant a la ligne du journal (qui correspond a ce qui ce fait dans la rubrique 3 courrier des lecteurs . d'une média papier). Selon Vincent Truffy, journaliste a Médiapart, la raison pour laquelle l'équipe rédactionnelle n'a pas souhaité mettre en avant le classement par vote sur la home page du site est que celui n'est pas pertinent. Si la confiance que l'on place dans les posts de certains contributeurs vient du fait qu'on suit leurs publication sur le long terme, ce phénomène entralne également un biais. En raison du nombre restreint d'abonnés actifs (difficilement quantifiables), la . dynamique relationnelle . fait que bien souvent les votes sont le fruit d'un phénomène de cooptation mutuelle, voire de copinage. Par ailleurs, le vote relève souvent moins selon lui d'un jugement quant aux qualités intrinsèques du billet que du fait de savoir si l'internaute partage ou non le point de vue exprimé. Cela marque la différence entre l'amateur et le professionnel, dont l'intervention a alors un role de pondération essentiel. 5.2.2. Professionnalisme e t légi timi té : une question non résolue Lors de notre entretien avec Daniel Schneidermann, le présentateur d'@si refusait de comparer qualitativement et explicitement les publications amateurs avec les contenus journalistiques125. Cependant, ce dernier précisait bien qu'une information n'était pas de qualité du fait qu'elle soit payante, mais était payante du fait qu'elle soit de qualité, c'est-à-dire professionnelle (forte présence du champ lexical du « métier >). Autrement dit, le lien de causalité entre la qualité, le professionnalisme et la rémunération semble évident pour le sujet, bien qu'il se garde que reformuler la logique en sens inverse, a savoir : contenu non-payant, amateurisme et donc contenu de mauvaise qualité. Le lien entre valeur au sens de la qualité (une information vraie) et au sens monétaire (payée) est implicitement établi pour que s'opère une distinction entre la production d'informations en tant que travail et en tant qu'activité. ll y a donc une logique de différenciation de l'offre entre les « univers » des journalistes web (« Nous, on vérifie. ») et les autres (« gens qui font des pages personnelles ne vérifient rien >). Le sujet dit également qu' « on ne leur [aux rédacteurs amateurs] demande pas d'ailleurs ., sous entendu de vérifier, de faire une information au sens journalistique du terme. Les rédacteurs amateurs sont ici percus comme faisant parti d'un autre « univers . (le terme est répété 5 fois), celui « de l'expression personnelle, [...] du témoignage >. L'établissement de cette limite est ici clairement défini selon une perspective classique de la profession de journaliste qui ne réfère a la parole de son public qu'en tant que valeur marginale, qui ne fait sens que si elle reflète a titre individuel une opinion plus large, l' « opinion publique . (micro trottoir, courrier des lecteurs...). En effet, les journalistes réfèrent souvent
aux User Generated Contents a de 125 Cf. retranscription (enregistrement autorisé) de l'entretien avec Daniel Schneidermann dans les locaux d'arrêtsurimages.net, le 30.01.09. « Non, je dirais pas plus ou moins de valeur, parce que ca ce serait dévalorisant pour les autres.[les blogs] . n'ayant que peu de valeur en soi (métaphore de la pierre brute, puis taillée), or ils l'intègre plus ou moins a leur offre payante (la participation au Club est gratuite sur Médiapart, mais ce dernier est mis en avant dans la promotion de son offre payante globale). Vincent Truffy soulève indirectement la question du crowd sourcing en disant : « Si les gens temoignent, si les gens analysent, moi je suis content. S'ils font un travail - pseudo journalistique ., je suis content aussi, mais a la limite ca me derange plus parce qu'a ce moment la on devrait etre dans une relation contractuelle. On devrait les piger. . La encore qualité et valeur sont intimement liée de manière problématique dans la mesure oil il n'est pas forcément souhaitable que les abonnés soient auteurs d'UGC de nature quasi journalistique dans la mesure oil ce sont eux les abonnés. C'est un problème que Tristan Mendès France au sujet de la récupération de la hiérarchisation collective des liens réalisée par la communauté . Digg >126 par exemple : « Il faut reconnaitre que c'est la communauté et non pas la redaction qui le fait, sinon cela revient a faire crowd sourcing abusif. . En effet, si la rémunération est une conséquence logique d'un travail de qualité comme l'entend Daniel Schneidermann, se pose alors la question éthique de l'appel a contribution et de la reprise libre d'UGC de qualité par des sites d'information marchands. Ces pratiques de collaboration des débuts du web sont aujourd'hui courantes sur ces derniers. Ils justifient cette démarche du fait que la réelle . valeur ajoutée . de leurs sites relève davantage des contenus journalistiques que des UGC. La possibilité de participer constitue alors davantage d'un service mis a la disposition des Internautes qu'une contribution servant le journal. Toutefois, les journalistes de ces sites avancent que l'interactivité permet une production alternative de l'information qui les distingue des sites des journaux papiers. Daniel Schneidermann affirme lors de notre entretien : 3 La troisieme chose que permet Internet par rapport aux medias traditionnels c'est d'avoir un rapport different avec son public. C'est-a-dire [...] de ne plus etre tout a fait dans un rapport vertical, mais d'être dans un rapport d'echange horizontal. Ca, je dirais que c'est completement, enfin c'est la principale difference. . 126 http://digg.com/ Le rapport aux contributions des internautes se révèle donc ambigu6 dans le discours des protagonistes des sites indépendants d'information mêlant étroitement production journalistique et espaces participatifs. Tristan Mendès France déclare ainsi que la notion de participatif relève en partie de la rhétorique dans la mesure oil rares sont les commentaires amateurs réellement enrichissants. La plus part du trafic des plates-formes est généré par des bloggers renommés comme Versac sur « Slate >. La relation des pure players participatifs est donc ambivalente, puisqu'ils mettent en avant cet aspect interactif de leurs sites, mais qu'ils n'en attendent pas grand chose en termes d'information. Si ils leur attribuent une « plus value . notamment en l'intégrant au discours de positionnement face aux médias traditionnels (argument commecial), les UGC représentent avant tout quelque chose que la rédaction ne maltrise pas. Vincent Truffy établi une nomenclature des différents types de contributions amateurs sur Médiapart. ll y a selon lui celles qui relève de la « vie souterraine » du Club. Ces contenus très hétéroclites n'entrent pas dans le projet du journal, mais animent le Club. Le constat fait entre la ligne éditoriale et certains UGC est paradoxale dans la mesure oil, même si la nature des blogs va être grandement déterminée par la démarche de la plate-forme, tout comme le sujet des commentaires vont l'être par celui de l'article au quel ils réagissent, du fait même que les contributeurs ne sont pas des professionnels on ne peut attendre d'eux de se conformer a une ligne éditoriale. Contrairement a certains bloggers amateurs sélectionnés par des sites de grands journaux (c'est également le cas de Slate.fr) en tant qu'experts (exemple : le blog « Les Cuisines de l'Assemblée . de l'assistant parlementaire Samuel Le Goff sur le site de l'Express, « Famille je vous haime » du Psychiatre Psychanaliste Serge Hefez sur Libération.fr...), qui se font parfois relire par le journal qui les héberge (c'est par exemple la politique de Liberation, mais pas de L'Express), les abonnés n'ont que l'obligation de respecter la Charte éditoriale127. C'est ce que Vincent Truffy appelle « la vie souterraine de Médiapart . et que l'on peut rapprocher de la 127 http://www.mediapart.fr/charte-editoriale notion de dynamique relationnelle évoquée en amont de part son aspect non formaté. Puis, il y a des contributions amateurs telles qu'elles sont attendues de la part de la rédaction, a savoir qui respectent clairement la distinction avec le traitement journalistique, mais également la ligne éditoriale du site. « [D]es choses qui viennent eclairer, il y a du contenu produit par les abonnes qui ne sont pas du contenu journalistique classique, parce que ca ne correspond pas aux normes de redaction, de verification etc., mais qui sont interessants quand meme parce qu'ils viennent eclairer l'actualite. C'est de l'analyse, c'est du temoignage, c'est des choses comme ca. » Enfin, de manière plus problématique, des contenus « pseudo-journalistiques » viennent brouiller les pistes. Vincent Truffy donne l'exemple d'un abonné ayant mis en ligne l'interview du réalisateur chinois Jia Zhangke alors que la rédaction l'avait également interviewé. « On est dans un cas de figure ou le journal et le Club produisent la meme chose eventuellement la meme qualite. La difference est que l'un est dans une demarche d'explication, l'autre est dans une demarche de promotion. Mais eventuellement le contenu est le meme. C'est simplement la finalite qui fait la difference. » Ici, la distinction se fait sur la démarche et non pas la qualité intrinsèque du résultat. La contribution de l'internaute est une information, mais le statut de produit journalistique ne lui ait pas pleinement attribué du fait qu'elle ne procède pas d'une recherche d'objectivité. De meme que la distinction établie entre le vote subjectif des internautes et la sélection qualitative des billets réalisée par la rédaction, le sujet considère que les internautes relèvent, contrairement au travail de l'équipe, de la sphère de l'opinion. Ainsi a la question « vous considérez-vous comme un site militant ? » Vincent Truffy répond que le travail du journal est dans les faits infléchi par le contact avec ses abonnés qu'il percoit comme majoritairement militant. La encore Médiapart est considéré comme un site « de » militants et non pas un site militant en lui-meme. Toutefois, travailler a leur contact est percu comme une interaction qui va finalement influer et faire évoluer sur la démarche journalistique. Bien que les abonnés contribuent a faire le site, ils ne contribuent pas a coproduire l'information (. Non, pas l'information. Je pense qu'on co-produit un journal, un site d'information avec les abonnés. .), ils agissent . a coté . et 3 avec >. Ils peuvent contribuer en partageant des contenus . de qualité . journalistique, mais pas journalistiques. Ils sont considérés comme partie intégrante du site, toutefois, ils viennent agir en annexe des journalistes. Le caractère aléatoire de ces contributions modérées a posteriori peuvent cependant constituer une valeur ajoutée en terme d'image. Elles contribuent en effet a donner un cachet d'indépendance au site qui les héberge, dans la mesure oil ils constituent la preuve de la liberté d'expression des internautes. Ainsi, au dela de leur expertise, les bloggers confèrent par . concomitance . une indépendance de ton au site du média qui les héberge (exemple : le blog de Jean-Michel Aphatie sur RTL.fr128). Tristan Mendès France place quant a lui davantage le curseur distinguant publications amateurs des publications professionnelles, non pas sur la finalité de la démarche, mais en fonction de la crédibilité du statut de journaliste dont jouissent ces derniers. - Maintenant, le grand public a acces aux legos qui constituent la base de la construction journalistique (le lien twit du NYT, le fil AFP...) et c'est la que les journalistes doivent s'appliquer a - editorialiser . davantage leur travail. La plus value journalistique reside donc dans un style redactionnel et un sens de l'analyse propre. Les journalistes sont maintenant tous nus, descendus de leur pieds d'Estal.. Cependant, le style des bloggers et des journalistes se rapprochant de plus en plus en tout cas du point de vue de leur qualité informative selon lui, . il est a priori impossible de tracer une ligne rouge nette en terme de qualité entre les travaux amateurs et professionnels >. La distinction en terme de qualité entre contenus amateurs et journalistique semble donc difficile a tracer de manière claire comme le montre l'amalgame qui a donné lui a l'appellation . pro-am . (professionnelamateur). 128 http://blogs.rtl.fr/aphatie/ Le participatif est un concept qui se défini en creux ou en réaction au journalisme, alors même qu'on lui reconnait par ailleurs une certaine autonomie. Certains contenus, . électrons libres >, n'entrent pas dans la ligne du site et ne s'inscrivent pas dans un sillon journalistique pré-établi. Dans ce cas, ces expressions personnelles spontanées sont percues comme un envers inévitable, mais pas vraiment souhaitées. Cela constitue la part d'incongru avec laquelle il faut composer lorsque l'on souhaite faire du . participatif >. Le journaliste doit alors toléré certains corollaires qu'il ne peut totalement contrôler dans la mesure oil ils respectent la Charte éditoriale et les règles de modération. Dans un sens, les contenus amateurs peuvent être percus comme des contributions problématiques, car trop proches du journalisme (crowd sourcing non rémunéré de contributeurs qui payent même un service), ou car trop éloignés (caractères anecdotiques, foisonnant, personnel, polémique...). Dans tous les cas, cela révèle le problème de ces sites a allier a la fois une activité de modération propre a des hébergeurs de contenus et d'éditeur de presse devant avoir la maitrise de sa publication. Ainsi se pose également la question des rapports de force qui se jouent au sein de ces espaces participatifs entre la rédaction modératrice et ses abonnés et de la place qui est laissée a ces derniers. Cela est en partie déterminé par les représentations que les web journalistes entretiennent quant au role de ces derniers. |
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