L'infraction politique en droit pénal camerounais( Télécharger le fichier original )par Thomas OJONG Université de Douala - DEA de droit privé fondamental 2005 |
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIEDepuis le 19 Décembre 1990, le législateur national a entrepris des réformes visant la disparition de la notion générique d'infraction politique en droit pénal camerounais. Habitué à l'imprécision de ses textes, il va également procéder par la loi n°90/060 à la création de la Cour de Sûreté de l'Etat, juridiction spéciale, compétente pour la connaissance de telles infractions, tout en maintenant la Haute Cour de Justice. Ce manque de lucidité du législateur rend paradoxal la suppression de cette infraction dans notre système pénal. Pareille situation appelle la mise en chantier d'une réforme systématique qui marquera la rupture définitive d'avec cette législation imprécise. CONCLUSION GENERALE Nous avons, dans nos développements, abordé un certain nombre d'aspects théoriques et pratiques de la criminalité politique au Cameroun et ailleurs. Il est apparu que la distinction entre infraction politique et infraction de droit commun est en voie de perdre de sa netteté et qu'un mouvement très fort tend à résorber l'infraction politique dans la catégorie des infractions de droit commun. Dans une étude consacrée, il y a vingt cinq ans, à la violence politique en général, envisagée à la fois en droit international et en droit interne, Mme le professeur Koering-Joulin démontrait d'une façon convaincante l'existence de cette tendance puissante, dont elle hésitait toutefois à admettre qu'elle dût être poussée jusqu'à son terme227(*). Mais la question se pose maintenant avec acuité de savoir si le moment n'est pas venu d'abandonner purement et simplement la distinction, au profit d'une conception unitaire de l'infraction. De nombreux facteurs, tel que nous l'avons vu, jouent le rôle d'accélérateurs dans ce mouvement vers une assimilation totale228(*). Mais, cette assimilation va en s'affaiblissant au Cameroun ; la différence entre infraction politique et de droit commun demeure pour l'application de quelques règles libérales - Certains îlots de résistance perdurent ici ou là - Raison pour laquelle il paraît souhaitable de conduire l'évolution à son achèvement ; il faudrait alors tirer les conséquences qui découlent de la suppression effective de l'infraction politique telle que entamée par le législateur camerounais en 1990 et son assimilation à l'infraction de droit commun. Parmi ces points de résistance, on pourrait évoquer celui qui tient à l'existence de juridictions spéciales (notamment à la Cour de Sûreté de l'Etat), créées par la loi n° 90/060 du 19 décembre 1990, à l'effet de juger toute une série d'infractions portant atteinte à la sûreté de l'Etat229(*). Dans un second temps, on pourrait évoquer le droit extraditionnel. En effet, comme de nombreuses conventions internationales sur l'extradition, le droit positif camerounais, par le truchement de l'article 643 du code de procédure pénale, interdit la livraison de l'individu recherché lorsque le crime ou le délit a un caractère politique, ou, selon une formulation différente et plus précise, « si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la partie requise comme une infraction politique ou un fait connexe à une telle infraction »230(*). Cependant, un pas a été franchi en matière d'extradition vers l'unification de ces infractions. Dans le cheminement vers l'assimilation complète des deux types d'infractions contre la vie humaine, l'élément le plus efficace tient à l'élargissement du contenu de la fameuse clause d'attentat ou « clause belge », qui a grignoté progressivement le domaine de l'immunité des infractions politiques en matière d'extradition231(*). De même, l'article 1er de la convention européenne pour la répression du terrorisme de 1977, affirme le caractère non politique des attentats à la vie « des personnes ayant droit à une protection internationale, y compris les agents diplomatiques », ou des infractions comportant l'utilisation des moyens particulièrement dangereux pour les personnes. Il appartient donc au législateur national de s'inspirer de ces évolutions et partant, d'aboutir à l'achèvement de l'unification qu'il avait commencée. En guise de rappel, il avait déjà expurgé le code pénal de toute référence à une prétendue nature politique de l'infraction en supprimant la peine de détention. Il lui reste donc sur le plan interne à abroger les lois portant création des juridictions spéciales compétentes en la matière. Ainsi sera complète l'assimilation en matière de compétence juridictionnelle232(*). De même, lors d'une refonte devenue nécessaire, de remodeler en ce qui concerne l'extradition, l'article 643 CPP de façon à faire apparaître que l'extradition pourrait être accordée, même s'il s'agit d'infraction politique (alors que le texte actuel exclut, sans aucune nuance, toute extradition demandée pour un crime ou un délit politique). Dans l'ordre conventionnel, la solution satisfaisante serait la généralisation, dans les traités, d'une formulation laissant l'Etat requis libre d'accorder ou de refuser l'extradition en cas d'infraction, comme l'ont déjà fait les conventions passées par la France avec certains pays d'Afrique francophone233(*). En ce qui concerne notamment la disposition créatrice d'une immunité extraditionnelle, il faut noter qu'elle est beaucoup moins protectrice qu'il n'y paraît pour le délinquant se réclamant d'idéologies ou de mobiles politiques. Car, faute d'avoir voulu ou, plutôt, d'avoir pu définir la notion d'infraction politique, les rédacteurs des textes cités laissent une marge de manoeuvre importante aux juridictions des pays requis pour apprécier le caractère politique ou non politique des crimes, objets des extraditions sollicitées. Les divers critères d'appréciation (objectif, subjectif ou mixte pour la France) utilisés à cette fin réduisent ordinairement à bien peu de chose l'immunité extraditionnelle lorsque l'infraction reprochée est d'une gravité extrême. Le défaut de proportionnalité ou d'adéquation des faits commis au but poursuivi par le coupable, le contexte socio-politique dans lequel ces faits se situent, constituent autant d'éléments qui permettent de refuser à un acte la qualification de politique En effet, dans une société libérale et démocratique, l'expression de convictions politiques ne peut bien entendu constituer une infraction pénale. Elle ne devient répréhensible que si l'acte est accompagné de violences, de destructions, ou d'incitation à la haine. Mais alors c'est une infraction de droit commun consistant en une atteinte aux personnes et aux biens qui est sanctionnée, et non une infraction politique. Quant aux infractions dirigées contre l'organisation politique de l'Etat, telle la fraude électorale, on ne voit pas en quoi elles seraient plus estimables que la falsification d'un acte authentique ou le détournement de fonds publics. On pourrait même soutenir que, dans la mesure précisément où la démocratie tolère les modes pacifiques d'expression des opinions, le recours à la violence pour imposer ses convictions y est moins justifié qu'ailleurs et constitue donc davantage une cause d'aggravation de la répression. Or, en élargissant sans fin l'éventail de ses victimes, le meurtrier politique se rapproche inéluctablement du délinquant de droit commun : plus rien ne distingue le geste du terroriste agissant au nom d'un « idéal » plus ou moins confus, et celui du criminel professionnel qui tue au cours d'un hold-up, ou du membre d'un groupe maffieux qui assassine le ressortissant d'une bande concurrente. Dans tous les cas, le meurtrier fait bon marché de la vie d'autrui ; on découvre une même psychologie fruste, l'ivresse de vivre une vie dangereuse et hors du commun, l'adhésion à des thèmes semblables et vagues (lutte contre « l'injustice », pour un « monde libre », sans contrainte...). Dans ces conditions, il devient très difficile, voire impossible, d'appliquer au criminel politique et au criminel de droit commun des règles de droit interne ou de droit extraditionnel différentes. Ainsi, tout se conjuguerait pour résorber l'infraction politique dans la catégorie plus générale d'infraction de droit commun. Les conséquences de cette prise de position se situeraient sur divers plans, où les objections qui pourraient naître doivent être examinées et écartées. Sur le plan judiciaire, l'examen des dossiers par les chambres d'accusation, en matière d'extradition, serait sensiblement simplifié. Les juges n'auraient pas à scruter les mobiles (tâche toujours délicate), la gravité des faits, le contexte socio-politique dans lequel ils se sont développés. Ces circonstances ne sauraient, en effet, avoir d'influence sur la nature juridique de l'infraction. Il suffirait donc aux juges de l'extradition de vérifier si les éléments constitutifs de l'infraction (élément légal, acte matériel, intention) sont réunis, étant rappelé que l'intention ne se confond nullement avec les mobiles234(*). On objectera sans doute qu'en droit commun les juges du fond prennent en considération les mobiles qui ont animé l'accusé ou le prévenu, ainsi que les circonstances qui soulignent la gravité des faits, et qu'ils se servent de cette appréciation pour mesurer la peine qui leur apparaît être la juste sanction de l'infraction commise : pourquoi retirer aux juges de l'extradition le pouvoir de pousser leur examen dans ces directions ? Nous répondrons qu'à la différence du juge pénal interne, la chambre d'accusation n'apprécie ni la vraisemblance et la gravité des charges, ni la culpabilité de l'individu recherché, pas plus qu'elle n'est habilitée à scruter le bien-fondé des poursuites exercées par l'Etat requérant ou l'opportunité de l'extradition. Ainsi, un examen objectif, limité à la seule vérification des éléments constitutifs de l'infraction, suffirait à fournir un avis, négatif ou positif au gouvernement. En définitive, la reconnaissance de la spécificité des infractions politiques apparaît surtout justifiée en matière d'extradition, lorsqu'il s'agit de soustraire à la répression des citoyens persécutés dans leur pays en raison de leur engagement politique, ou des femmes contraintes à l'excision. Telle devrait donc être en réalité l'orientation du droit camerounais. Les conclusions qui viennent d'être exposées paraîtront peut-être utopiques aux yeux de certains, mais au moins la situation serait claire. Cette clarté pourrait s'étendre et, qui sait, par contagion, aboutir dans le cadre du droit international, à une dépolitisation progressive de tous les crimes et délits dits politiques. Ainsi disparaîtrait un apport du romantisme juridique du XIXe siècle235(*), qui n'a plus guère sa place à l'aube du XXIe siècle, alors que triomphent des conceptions juridiques moins généreuses, mais plus logiques. * 227 Koering-Joulin : Infraction politique et violence, JCP, 82, I, 3066 * 228 C'est le cas de la suppression de la peine de détention et son remplacement par la peine d'emprisonnement dans tous les cas où elle était prévue * 229 L'atteinte portée à la sûreté de l'Etat est soit extérieure ou intérieure. La première est lorsqu'il s'agit d'une atteinte contre l'Etat, dans son existence et dans ses droits. La seconde, l'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat englobe les crimes contre les organes de l'Etat, son gouvernement et ses institutions politiques. * 230 Art.3, ch.1, convention européenne d'extradition * 231 Initialement limitée au meurtre d'un souverain étranger (traité franco-belge de 1856 et traités conclus par la France avant 1939 notamment), la clause a été étendue à la famille du chef de l'Etat (conventions franco-camerounaise de 1974 ; franco-tunisienne de 1971, et avec l'Egypte en 1982), ailleurs aux membres du gouvernement (convention franco-RFA de 1951) * 232 Cette assimilation est complète en France (cours d'assises mises en place par la loi n°86/1020 du 9 septembre 1986) articles 706-16 à 706-25 CPPF. * 233 Il s'agit du Bénin, Burkina-Faso, République centrafricaine, Congo, Gabon, Madagascar, Mauritanie, Niger et Sénégal. * 234 L'intention est la conscience et la volonté d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte. Le mobile tente de justifier sa commission, d'y apporter une raison, un motif. Le mobile n'est pas un élément constitutif de l'infraction. Par contre, il peut influer sur la décision de justice et peut même devenir une circonstance aggravante par décision du législateur. * 235 Ce romantisme révolutionnaire, imbu des idées qui triomphèrent à la révolution française, et qui a conduit à une considérable libéralisation de la répression des crimes d'Etat |
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