2. Méthodes de conservation des ressources
forestières
2.1. « Forêt
sacrée »
Comme dans tout groupe organisé, la population
riveraine aux Monts de Cristal a développé ses
représentations. C'est à dire une manière
d'interpréter et de penser la réalité. Cette
manière d'interpréter l'environnement induit des comportements
spécifiques. Par rapport à cela, Sabine Rabourdin dira que:
« Nombre de populations autochtones vivent dans un milieu naturel
relativement intact, ils ont mis en place des pratiques complexes pour
réglementer l'occupation des sols et sont très attachés
à leur terre. Ces derniers ont une manière de gérer la
nature qui favorise sa préservation » (2005 :
23).
Entretien 17 : AVOME OBIANG Marthe, 60 ans,
ethnie fang, village Song, clan Esokè, ligange Mba Zam, veuve,
département Haut-Como, canton Mbé, sur la forêt
sacrée. Notre enquête s'est passée le 7 avril 2007,
dans son village natal. Cet entretien a eu lieu dans sa cuisine. Il
était 8h10mn. Notre entretien a duré 50 mn.
Texte en fang
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Traduction française
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Bi bele bilik : Engong, Alen, Meduma, Esong. Be tare
ébe bengua ligue bia mefan meté.bia tchui wén ngueng
ése akal bia vinât site ye kos beke oyâ. Bia ke owén
engueng bi bele bra bisesang akal bisesang bia sile abui bidzi, betsit ye
kos.
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On a des forêts sacrées parmi lesquelles, Engon,
Alen, Meduma, et Esong. (...). Ces forêts nous ont été
léguées par nos parents. On ne fréquente pas ces
forêts constamment, parce qu'on évite que le poisson et la viande
diminuent. On se rend là-bàs seulement lorsqu'il y a des grandes
cérémonies, parce qu'elles demandent une grande quantité
de poissons et de gibiers.
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A travers ce récit, on constate effectivement que la
société fang connaît bien le concept de forêt
sacrée (afan éki)). Cette dernière existe depuis
longtemps et est conservée par les interdits. Les villageois ne la
fréquentent pas régulièrement, seulement lors des grandes
cérémonies.
La création des forêts sacrées se fait
par la délimitation d'une portion de forêt naturelle. Ce sont les
hommes principalement qui sont chargés des délimitations des
forêts. Ils peuvent éventuellement être accompagnés
des femmes. C'est un travail qui se fait avec des prospections au
préalable. Le principe consiste à aller en forêt et choisir
un site qui répond à certains critères parmi lesquels
l'accès difficile, le calme, la présence d'odeurs naturelles, les
températures moyennes, pourvoyeuse de feuilles, des arbres, des animaux
et du poison. D'après Henri Paul Bourobou : « C'est un
lieu où il ne fait pas chaud, il n'y a pas de vent, presque pas de
lumière, où il fait nuit même le jour, où il n'y a
pas de bruit de voiture, ou les cris d'oiseaux et d'insectes sont perceptibles,
l'eau est fraîche, la diversité biologique est
impressionnante » (2005 : 185). Pour être
suffisamment claire, c'est un lieu calme où tout est géré
au mieux.
Dans cette société, les forêts
sacrées ont pour but de protéger et conserver non seulement la
vie des humains mais aussi la diversité biologique de ces forêts.
Kialo Paulin dira à propos : « La forêt n'est
pas leur ennemi, mais leur compagne. Si elle l'agresse, il s'agit d'une
agression amicale. Leur vie en dépendent quotidiennement (...) ce qui
explique tous les égards qu'elle portent à l'endroit des
forêts » (1998 : 159). A travers la notion de
« forêt sacrée », comme mode de
préservation et de conservation, on se rend bien compte que les savoirs
autochtones ont une maîtrise parfaite de leur environnement Sabine
Rabourdin ajoute que « si l'on veut préserver son
environnement, il est nécessaire de bien le connaître »
(2005 : 60).
La gestion des forêts sacrées se fait grâce
à des législations. L'exploitation y est formellement interdite.
A cet effet, Pither Medjo Mvé ( 1994 : 78 ) dira que :
« la violation implique la notion de souillure chez le fautif et
tout le groupe ». Elles sont gérées par un chef
qui dicte la conduite à tenir. L'exploitation est assurée par les
membres du clan. Ces derniers peuvent prélever un certain nombre de
produit de cueillette entrant dans l'alimentation, la pharmacologie et la
construction. Il existe éventuellement des zones tampons. Ces zones sont
réservées exclusivement aux responsables du clan. On peut aussi
signaler des zones ouvertes au clan.
2.2. La jachère
Le terme « jachère » sous-entend
anciennes forêts secondaires (ekorogo). C'est « une
technique passive » de restauration du sol qui préfigure un
éventuel retour à l'exploitation. Elle permet la reconstitution
de la forêt ou du couvert forestier. Cette population distingue en
général plusieurs types de jachère, à vocations
différentes, selon le degré de régénération
de la végétation. La durée de la jachère varie
selon les ressources et du type de plantes cultivées. Ainsi, nous avons
les jachères moyenne et longue. La durée moyenne d'une
jachère oscille entre 5 et 15 ans.
Entretien 18 : OBONE ELLOH Marie-France, 49
ans, ethnie fang, village Misome, clan Yégun, ligange Meye Me Ze, veuve,
département Haut-Como, canton Mbé, sur la durée de la
jachère. Notre enquête s'est passée le 10 avril 2006
à 10h30 mn. Cet entretien a eu lieu dans Son salon et a duré 58
mn.
Texte en langue
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Traduction française
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1. metsi m'ajudia afan. Gniene ebira emana'a, bia ligue
tsi aweuga mimbou mitane gue ke awom mimbou. tsamete da leguena'a si
etobe vê.
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1. L'agriculture ne tue pas les forêts. Après la
récolte, on met la plantation au repos pendant 5 à 10 ans. Cela
permet à la terre d'être fertile.
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2. bi logue bise bia bem dzam avora ekorgue. Bia bo
ekorgue bi logue bise ye tchi bise'e bisese. menguen mesese, bia bo'o bikorgue
niane bi mana' a abelana'a afan.
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2. Toutes les plantes respectent la même durée de
jachère. Elle s'applique sur toutes les plantes et sur toutes les
activités. Habituellement, elle se fait après l'exploitation de
la forêt.
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3. ve bia dzama ekorgue. gniene afan emana'a atobe
ekorgue, bi bra belane do'o, ve dzamte da'a folane ye endzan bi ve tare
ebo'o.
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3. On n'abandonne pas la jachère. Après la
jachère, on revient exploiter. Cela dépend de la première
expérience.
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Ce récit nous fait savoir que la société
fang connaît bien le concept de jachère. Elle pratique la
jachère après toute activité. Cela permet au site de se
reconstituer. Elle ne revient sur les lieux qu'après une certaine
période, cela dépend de l'importance du site. Cependant, pour ce
qui est du site agricole, ce dernier est toujours fréquenté,
même en période de jachère.
La jachère consiste en une rotation des terres, des
rivières, des forêts destinées à l'exploitation.
Pendant que certains sont mis en exploitation, d'autres sont mis en repos. Ce
repos n'est absolument pas définitif. Il est temporaire. D'après
nos informateurs, lorsque le champ a fini d'être exploité, deux
à trois ans après sa mise en culture, plusieurs scénarios
sont possibles. Le premier consiste à laisser la forêt reprendre
complètement des lieux. Après une période d'abandon de
plus de cinq ans, la forêt secondaire pourra être remise en culture
suivant la même que celle employée en forêt primaire. Ceci
est valable pour le reste des activités. Il y a repos parce qu'un site
n'est plus digne d'intérêt.
Les arbres persistants, notamment ceux laissés en place
lors du défrichement, demeurent la propriété du premier
défricheur et de ses descendants. Ce dernier pourra toujours revendiquer
le contrôle et exercer toute sortes d'activités sur ce sol. Ce
droit est reconnu par la coutume. Par rapport à cela, Suzanne Jean
dira : « la jachère n'est pas totalement
abandonnée, le manioc, la banane produisent continuellement ce qui
permet de venir prélever dans le champ au fur et à mesure, des
besoins » (1975 : 50), cité par Alain Boussougou. Les
populations vont également cueillir des plantes rudéales servant
de légumes et de condiments. De plus, on y chasse activement. La
jachère permet aux animaux de se multiplier à nouveau. Pour la
pêche également. Elle permet aux ressources halieutique de se
multipliés. A propos, Jean-Emile Mbot (1998 : 128) dira que :
« La jachère est un mode de gestion
parcimonieux ».
Une bonne rotation est essentielle au maintien de la
reconstitution des espaces agricole, de chasse, pêche, cueillette, et
d'exploitation forestière. Elle consiste à nourrir les ressources
naturelles et c'est en cela qu'elle favorise une meilleure conservation.
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