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Du débat politique à la salle de classe : Etude du conflit de représentations autour de la question raciale au Brésil

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par Antoine Maillet
IEP Paris - Master de Recherche Sociétes et Politiques Comparées 2006
  

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A. La fin du mythe : l'existence du racisme au Brésil

Le caractère mythique de la démocratie raciale est progressivement mis en évidence par deux générations de chercheurs. A la fin des années 1970, un travail sur les statistiques officielles établit l'existence de discriminations.

1. Le cycle de l'UNESCO, à la recherche du préjugé racial

Au sortir de la seconde guerre mondiale, le concept de race est totalement discrédité dans un monde encore sous le choc des horreurs nazies. La communauté scientifique en vient d'ailleurs à bannir le terme, que l'on remplace généralement par ethnie. Politiquement, la création des Nations Unies est censée empêcher la répétition de tels événements. L'UNESCO, organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, se place en première ligne du combat contre le racisme. Voulant promouvoir l'harmonie des relations raciales, l'organisation décide de financer des études au Brésil, « paradis racial » supposé. Elle s'associe à d'autres institutions dans un montage assez complexe qui permet de financer les travaux de différents chercheurs, dont Florestan Fernandes et Roger Bastide, sur divers terrains, du Nordeste au Sud du Brésil48(*).

Ces recherches marquent une évolution dans le débat, même si elles ne produisent pas un résultat homogène : chaque projet garde une certaine autonomie. Le débat se focalise sur l'existence ou non du « préjugé racial » au Brésil, que Donald Pierson avait nié. Continuant à s'appuyer sur une compréhension de la race comme un groupe fermé, une caste, ces études ne retiennent pas l'origine raciale comme facteur explicatif d'inégalité. Les variables socio-économiques restent dominantes, dans une époque marquée par le marxisme. Cependant, le cycle de l'UNESCO permet un certain rapprochement avec la réalité brésilienne, que des auteurs comme Charles Wagley, Roger Bastide, Florestan Fernandes ou Thalès de Azevedo s'efforcent de comprendre sans recourir à des modèles extérieurs. En résulte une meilleure conceptualisation du « préjugé de couleur », qui ne rend pas impossible l'ascension sociale d'un Noir, mais la complique fortement. A la couleur sont attachés certains attributs sociaux dont on peut se défaire, ce qui ne cesse de dérouter les chercheurs. Wagley décrit ainsi :

N'importe quelle personne qui exerce une profession non-manuelle, qui a fait des études secondaires, qui provient d'une famille respectée et connue ou qui est blanc pourra, par exemple, être situé dans la classe supérieure locale, même s'il est pauvre. Un noir devra remplir toutes les autres conditions requises pour être admis dans cette classe malgré son type physique49(*).

Le plus surprenant avec ces études reste le décalage entre l'acuité de leurs observations et la difficulté apparente à conceptualiser une forme de racisme, certes pas si explicite qu'aux Etats-Unis à la même période, mais néanmoins existant. Les raffinements théoriques du débat autour de l'existence d'un préjugé de couleur ou racial éloignent d'un traitement de la situation des Noirs telle qu'elle est. Ces travaux représentent pourtant un tournant dans l'étude des relations raciales : elle acquiert le statut de discipline dans les science sociales brésiliennes ; ils permettent de rompre avec l'aveuglement d'une société dont le racisme serait étranger ; les chercheurs qui y ont participé sont encouragés à poursuivre la réflexion sur ce sujet. Ils favorisent aussi la rencontre entre des chercheurs et des membres du mouvement noir, notamment à Sao Paulo50(*). La dénonciation du mythe de la démocratie raciale par Florestan Fernandes prend sa source dans l'étude menée en compagnie de Roger Bastide sur les Noirs à Sao Paulo.

2. La dénonciation du mythe de la démocratie raciale

En 1955, Florestan Fernandes publie avec Roger Bastide Brancos e negros em Sao Paulo51(*), fruit de leur collaboration pour le projet UNESCO. Sur la base des enquêtes menées à l'époque, Fernandes va poursuivre sa réflexion pour finalement publier en 1964 A integraçao do negro na sociedade de classe52(*). Pour la première fois, il dénonce la démocratie raciale comme un mythe visant à assurer la suprématie blanche en limitant les possibilités d'engagement des Noirs. Il présente un tableau alarmant de la situation des Noirs depuis l'abolition, qu'il explique en grande partie par le traumatisme de l'esclavage. L'organisation de la société autour de ce mode de production a détruit toutes les structures sociales de cette population, qui s'est retrouvée démunie lors de la transition d'une société de caste, la société traditionnelle brésilienne, à une société de classe, impulsée par le développement capitaliste.

L'analyse de Fernandes est ancrée dans le marxisme. Du point de vue de l'étude des relations raciales, cela le conduit à considérer que les problèmes de racisme sont amenés à disparaître avec le développement économique, en tant que survivance archaïque du régime esclavagiste. Le préjugé racial a selon lui pour fonction de permettre le maintien des privilèges de l'ordre antérieur. Les identités particulières sont vouées à se dissoudre dans la modernité capitaliste : elles ne sont que des survivances du passé, comme les inégalités raciales, héritage de l'esclavage. Michael Hanchard critique Fernandes sur ce point, le rapprochant même de Freyre : les argumentations des deux auteurs partageraient cette faiblesse d'attribuer la responsabilité de la situation des Noirs au traitement reçu par le passé53(*).

Cette faiblesse ne doit pas occulter l'avancée décisive réalisée dans l'interprétation des relations raciales au Brésil lorsque Fernandes révèle la tromperie constituée par le mythe de la démocratie raciale. Cette ligne de recherche ne pourra cependant pas être approfondie avant une décennie, puisque la dictature qui s'installe décrète dans les actes constitutionnels de 1964 « l'interdiction sociale de parler du racisme »54(*). La recherche sur le sujet se trouve alors suspendue jusqu'à la fin des années 1970.

3. Le racisme à l'oeuvre : mise en évidence de la discrimination

Le dernier grand tournant de cette histoire encore en marche de l'interprétation des relations raciales a lieu au début des années 1980. Deux chercheurs, Carlos Hasenblag et Nelson do Valle Silva en sont les instigateurs. Ils rompent avec la conception du racisme comme une idéologie, pour chercher plutôt à le mettre en évidence dans la structure sociale. Les résultats qu'ils obtiennent sont éloquents. En travaillant sur des bases de données statistiques, ils mettent en évidence que, quels que soient les domaines, le marché du travail, l'éducation, la santé, les Brésiliens non-blancs se retrouvent toujours, toute chose égale par ailleurs, en position inférieure. Cette catégorisation en tant que non-blanc est elle aussi importante. Ils l'obtiennent en additionnant les catégories « pardo » et « preto » du recensement. Leur explication se distingue de celle de Florestan Fernandes. Carlos Hasenblag écrit ainsi, dans Discriminaçao e desigualdades sociais :

« La discrimination et le préjugé racial ne se maintiennent pas intacts après l'abolition mais, au contraire, acquièrent de nouvelles significations et fonctions à l'intérieur de nouvelles structures et les pratiques racistes du groupe dominant blanc qui perpétue la subordination des noir ne sont pas de simples archaïsmes du passé, mais ils sont fonctionnellement liés aux bénéfices matériels et symboliques que le groupe blanc obtient de la disqualification compétitive des non-blancs.»55(*)

Les inégalités contemporaines ne prennent donc pas leurs racines dans le passé mais sont le produit de discriminations quotidiennes, ce que Nelson do Valle décrit comme un « processus d'accumulation des désavantages »56(*). Il existe donc bien selon eux des processus contemporains de discrimination, à l'oeuvre dans la société brésilienne. Leurs travaux vont permettre une réorientation de l'étude des relations raciales, notamment vers la mise en lumière de ces processus de discrimination. Des économistes approfondissent cette méthode statistique et obtiennent la divulgation des résultats dans des médias grands publics. Il devient de ce fait assez difficile de nier de bonne foi que les Noirs sont victimes de discrimination.

L'explication reste toutefois source de controverses, l'opinion répandue en dehors du monde des sciences sociales étant qu'aucun facteur racial n'intervient, les inégalités n'étant que le résultat de différences socio-économiques. L'idée d'un racisme structurel reste très polémique, car la distinction avec l'idéologie raciste n'est pas faite par la grande majorité des Brésiliens. Or l'accusation de raciste reste l'une des plus infamantes qui puissent être portées contre un individu. Ces thèses connaissent donc quelques difficultés pour se répandre, laissant quasi intacte la représentation dominante fondée sur le mythe de la démocratie raciale.

Au terme de ce retour sur les évolutions de l'interprétation des relations raciales au Brésil, il convient de revenir sur le dernier point soulevé. Il s'agissait bien d'une révision des opinions savantes, à prétentions scientifiques, sur la question. L'influence que les sciences sociales peuvent avoir sur le sens commun est difficilement perceptible. Le cas des relations raciales au Brésil est particulièrement problématique, lorsqu'on observe le décalage entre la perpétuation du mythe de la démocratie raciale et l'évolution du débat académique. Toutefois, il devient difficile aujourd'hui de nier la réalité des discriminations souffertes par les populations noires, que la presse, les médias en général, ont commencé à critiquer. Il y a néanmoins une grande différence entre reconnaître ces inégalités et se mettre d'accord sur ces causes, sans même parler d'intervenir en matières de politiques publiques. Les relations raciales restent bien un sujet polémique au Brésil, sur lequel ni les individus ni les institutions n'aiment trop se risquer.

Les avancées de la recherche scientifique sur les relations raciales vont être reprises et utilisées par un mouvement noir devenu perméable aux discussions académiques. De fait, les travaux de Fernandes et Hasenbalg sont une source d'inspiration directe pour des militants qui deviennent plus radicaux, à mesure que les promesses de la démocratie raciale se révèlent non tenues et que les opportunités de contestation se font plus nombreuses avec l'ouverture du régime.

B. La radicalisation du mouvement : critique de la démocratie raciale et réveil identitaire

Le positionnement politique du mouvement noir évolue fortement dans cette seconde moitié du vingtième siècle. Sans renier l'identité nationale, il en vient cependant à formuler des revendications particularistes, et s'affirme comme un mouvement dépositaire d'une identité propre. La critique du mythe de la démocratie raciale devient sa principale bannière de lutte. Il entre alors dans un conflit d'interprétation, premiers pas d'une politique culturelle, en proposant une lecture raciale des inégalités.

1. L'émergence d'une revendication proprement identitaire

La dissolution du FNB marque un coup d'arrêt dans la mobilisation politique des Noirs. Il n'a plus existé depuis un mouvement d'une telle ampleur en terme de participation, même si le mouvement contemporain est peut-être plus influent. Une nouvelle émanation du mouvement noir, sans lien direct avec le FNB, apparaît dans les années 1950. Le Théâtre Expérimental du Noir (Teatro experimental do negro, TEN) est une organisation formellement atypique, indissociable de la personnalité complexe de son leader, Abdias do Nascimento. Créé pour donner la possibilité à des acteurs noirs de monter sur scène, il devient un appareil de militantisme qui infléchit la ligne du mouvement noir en lui donnant une teneur plus culturelle. Il est d'ailleurs assez difficile de classer cette organisation, au vu de son rôle tant dans le débat intellectuel que dans l'activité politique. Jouant surtout sur le plan symbolique, il entre en collision avec l'idéal national d'une population métisse pour revendiquer une identité noire et pas seulement métisse. Cette identité noire serait, dans la construction élaborée par le sociologue Guerreiro Ramos, autre figure du TEN, celle de la majorité, du peuple. C'est une représentation minoritaire qui s'oppose à celle de la pensée dominante, d'autant que derrière le métissage se cachait encore souvent la perspective d'un Brésil blanc57(*).

Il est difficile de mesurer quelle a pu être l'influence du TEN dans son époque. Il ne semble pas avoir pesé dans la définition des politiques publiques comme le FNB, mais il représente néanmoins une inflexion dans la ligne politique du mouvement noir. Des éléments culturels deviennent très importants, à travers des manifestations comme les concours de beauté, dont le but est de restaurer l'estime de soi des populations noires, en proposant d'autres patrons de beauté que celui dominant, qui privilégie les marques d'une ascendance européenne plutôt qu'africaine. Il s'agit donc de sortir de la perspective du blanchiment, qui mine l'estime de soi des populations noires, dont la majorité fuit de sa propre identité sous l'effet des idées racistes prégnantes dans la société. L'ambiguïté demeure cependant sur la portée de cette affirmation d'une culture propre. Comme le remarque Antonio Sergio Guimaraes, le discours du TEN « oscille entre la recherche du dépassement des pratiques culturelles dites « africaines » ou « rétrogrades », d'un côté, et, de l'autre, l'affirmation d'un certain ethos noir, aussi « africain », d'émotion et d'expressivité, qui se manifesterait spontanément dans les arts »58(*).

L'influence du TEN est plus à mesurer sur le long terme au sein même du mouvement noir. Il représente un moment de transition entre l'assimilationisme et le particularisme, qui conduit le mouvement noir sur le terrain d'une politique culturelle. Une certaine transition est aussi à l'oeuvre dans le discours officiel de l'Etat brésilien, sans que l'on puisse directement relier ce phénomène à l'action du TEN. Le gouvernement militaire en place depuis 1964 a des objectifs ambitieux de politique étrangère en Afrique, dont les pays deviennent indépendants. La légitimité de telles ambitions s'appuie sur les racines africaines du Brésil qui, pour la première fois, sont valorisées. Les manifestations « afro-brésiliennes », terme forgé dans ce contexte, comme la capoeira ou le candomble, sont encouragées. Le mépris que l'on attachait à ces activités diminue, elles acquièrent une certaine légitimité. Il existe donc un effet d'aspiration pour les militants d'une identité noire culturelle, qui va prendre de plus en plus d'importance. Les personnes qui portent cette identité ne sont pas nécessairement des militants politiques, d'autant que cette ouverture à l'héritage culturelle africain a lieu pendant la période de dictature. Sur le long terme, l'effet est néanmoins très important, puisque apparaissent les ferments de ce que sera l'identité noire portée par le mouvement dans les années 1980 et 1990.

2. Briser un tabou : le MNU et la critique de la démocratie raciale

De nombreux animateurs du mouvement noir, tels Florestan Fernandes ou Abdias do Nascimento, sont contraints à l'exil par la dictature. A l'étranger, les militants élargissent leur influence, préparant une nouvelle orientation du mouvement noir, qui s'insère dans une mouvance transnationale. Deux événements sur la scène internationale ont un grand impact sur les mutations du mouvement noir brésilien : les luttes pour la décolonisation en Afrique et pour les droits civils aux Etats-Unis. Les activistes qui assimilent ces influences vont rapidement se démarquer des positions traditionnelles du mouvement noir, respectueux au moins de l'idéal de démocratie raciale. Ils brisent ce tabou, reprenant à leur compte les analyses de Florestan Fernandes sur le mythe de la démocratie raciale. Le caractère purement incantatoire de l'expression a de fait été rendu très visible par le coup-d'état : la démocratie disparue, il devient plus difficile de maintenir l'illusion portée par l'expression. La critique du mythe devient le thème central du discours du mouvement noir.

Ces évolutions politiques conduisent à une plus grande radicalité des militants. Do Nascimento formule ainsi sa doctrine du « quilombisme »59(*), qui exerce une grande influence sur les militants de la fin des années 1970. Il affirme la nécessité pour le Noir brésilien de se révolter et se place, par le nom même60(*), dans la lignée des esclaves en lutte. Il se réclame des racines africaines des Noirs brésiliens, qui ne sont pas pour lui une minorité mais bien la majorité au Brésil, dès lors que l'on associe tous ceux ayant des racines africaines, « pardos » et « pretos ». La signification moderne de « negro » est formulée à ce moment là, reprise par le mouvement noir, qui opère la même révolution que Hasenbalg dans la recherche, en associant tous les individus aux origines africaines marquées. « Negro » devient une définition politique dont on peut se revendiquer. Surtout, l'interprétation politique des relations raciales au Brésil proposée par le mouvement noir repose sur une opposition binaire, entre Noirs et Blancs, qui va totalement à l'encontre de la traditionnelle conception d'un continuum de couleurs résultant du métissage. Elle fonde une autre représentation des relations raciales. Il lui sera d'ailleurs souvent reproché de transposer des conceptions étrangères à la mentalité brésilienne. Les idées propagées par le mouvement font l'objet de nombreuses tentatives de disqualification en tant que produit d'importation venu des Etats-Unis, un critique de poids étant Gilberto Freyre lui-même61(*).

On observe donc la conjonction de phénomènes culturels et politiques. Culturellement, un retour aux racines permet la construction d'une identité noire assise sur l'héritage africain et une histoire d'oppression commune. Politiquement, le Mouvement Noir Unifié (« Movimento Negro Unificado », MNU), fondé en 1978, incarne une radicalisation de la militance, alimentée par des expériences internationales. Il est composé en grande partie de diplômés de l'enseignement supérieur noirs qui n'ont pu trouver de situations à la mesure de leur espérance : la déception de cette génération par rapport à l'idéal proclamé de démocratie raciale est très grande. La rencontre de cette déception avec les analyses de Florestan Fernandes et Carlos Hasenblag et la doctrine de Abdias Do Nascimento donne sa teneur radicale au mouvement, positionné à l'extrême gauche. Le plus important reste la remise en cause du mythe de la démocratie raciale : il s'agit du point de départ d'un conflit de représentations. La situation de dictature interdit l'existence d'un espace de négociation où le mouvement noir pourrait peser sur les politiques publiques. Mais le retour progressif de la démocratie va donner aux mouvements sociaux en général une grande liberté d'expression et un véritable pouvoir d'influence.

Il s'agissait donc dans cette partie de survoler plus de cinquante ans d'activisme noir, dans le but de mieux saisir les rapports que peut entretenir une telle mobilisation politique avec la pensée dominante brésilienne et ses institutions, du point de vue des représentations. Les évolutions sont très importantes entre le FNB et le MNU, considérés plus comme des symboles de l'état de la réflexion sur la condition des Noirs au Brésil qu'en tant qu'organisations politiques. L'adhésion du mouvement noir au mythe national de la démocratie raciale s'étiole durant cette période. D'un mouvement noir qui réclame son intégration au nom de sa « brésilianité », reprenant à son compte le discours national universaliste, on passe ainsi à l'affirmation d'une identité noire, dont les racines sont africaines et l'inspiration internationale. Il faut toutefois se garder d'opposer ces mouvements : s'ils diffèrent sur les modalités d'action, et sur la question identitaire, ils n'en partagent pas moins une communauté de revendications antidiscriminatoires, fondée sur la dénonciation des inégalités subies par les Afro-Brésiliens, mises en évidence par les sciences sociales.

On voit bien que, dans ce processus de formation de la revendication noire telle qu'elle apparaît dans les années 1980, la discussion académique a été relativement importante, surtout dans la seconde phase, où le discours du mouvement noir devient très perméable aux avancées scientifiques. Du point de vue de ses relations avec les pouvoirs publics, cette seconde phase se caractérise par une interaction assez limitée. Il semble que le mouvement noir était dans un processus de maturation, qui l'amène à prendre de l'ampleur dans les années 1980, et à développer alors une politique culturelle. Les circonstances s'y prêtaient assez peu aussi : l'opportunité politique d'une critique des institutions est quasi nulle en période de dictature. La libéralisation, qui prend de l'ampleur à la fin des années 1970, permet à ces nouvelles sensibilités de s'exprimer. Dans le deuxième chapitre, la réflexion portera sur la nature de ces nouvelles revendications, et les modalités de leur traduction dans le jeu politique de la démocratie reconquise, avec un intérêt spécifique pour le secteur de l'éducation.

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* 48 GUIMARAES, Antonio Sergio, O projeto UNESCO na Bahia, communication lors du colloque international « O projeto Unesco no Brasil: uma volta crítica ao campo 50 anos depois», Centro de Estudos Afro-Orientais da Universidade Federal da Bahia, Salvador, Bahia, 2004

* 49 WAGLEY, Charles, Race et classe dans le Brésil rural, Paris, UNESCO, 1952, cité par GUIMARAES, Antonio Sergio, O projeto UNESCO na Bahia, communication lors du colloque international « O projeto Unesco no Brasil: uma volta crítica ao campo 50 anos depois», Centro de Estudos Afro-Orientais da Universidade Federal da Bahia, Salvador, Bahia, 2004

* 50 ALVES DOS SANTOS, Ivair Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado, 2001, UNICAMP, p.42

* 51 BASTIDE, Roger, FERNANDES, Florestan, Relaçoes raciais entre negros e brancos em São Paulo : ensaio sociológico sobre aspectos da formação e manifestações atuais e efeitos do preconceito de cor na sociedade paulistana, Unesco, Sao Paulo, 1955

* 52 FERNANDES, Florestan, A integração do negro à sociedade de classes, Faculdade de Filosofia, Ciências e Letra da Universidade de São Paulo, 1964

* 53 HANCHARD, Michael, Orpheus and power, op.cit., p. 36

* 54 POLI, Alexandra, Faire face au racisme en France et au Brésil : de la condamnation morale à l'aide aux victimes, Cultures et conflits, n°59, 2005

* 55 HASENBALG Carlos, Discriminação e desigualdades raciais no Brasil, Rio de Janeiro : Graal, 1979, p. 85

* 56 HASENBALG, Carlos, DO VALLE SILVA, Nelson, Estrutura social,, mobilidade e raça, Instituto Universitario de Pesquisas do Rio, 1988, p.145

* 57 GUIMARAES, Antonio Sergio, Politica de integraçao e politica de identidade, Classes, raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 94

* 58 GUIMARAES, Antonio Sergio, Democracia racial : o ideal, o pacto e o mito, Classes, raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 145

* 59 GUIMARAES, Antonio Sergio, Resistencia e revolta nos anos 1960, Abdias do Nascimento, ANPOCS, 2005

* 60 quilombo est le nom donné aux communautés d'esclaves évadés des plantations.

* 61 HANCHARD Michael, Orpheus and power : the Movimento negro of Rio de Janeiro and Sao Paulo, Brazil, 1945-1988, Princeton University Press, 1994, p. 126

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams