Conclusion
Dans ce mémoire, le questionnement a été
axé sur le rôle des représentations dans la
définition des problèmes sociaux, et leur place centrale dans les
luttes sociales. Cela a conduit à lier une réflexion sur l'action
d'un mouvement social, le mouvement noir brésilien, et sur les
politiques publiques, dans la perspective cognitiviste, qui leur accorde une
place centrale. Le premier chapitre a permis de retracer sur le temps long
l'évolution de ces représentations, à travers la formation
d'un courant dominant qui influence les politiques publiques et
l'émergence d'un courant de représentations minoritaires qui se
manifeste à travers les différentes incarnations au cours du
XX° siècle du mouvement noir. Le mythe de la démocratie
raciale, fondateur dans l'identité brésilienne, même
contemporaine, parvient donc, malgré les critiques, quasi intact au
début des années 1980, période de redémocratisation
de la vie politique dans le pays.
Les vingt dernières années d'action du mouvement
noir dans le champ de la politique institutionnelle nationale sont
analysées dans le deuxième chapitre dans la perspective d'une
politique culturelle. Malgré les difficultés à agir contre
un courant principal hégémonique, le mouvement noir parvient
à faire avancer ses revendications, notamment dans le domaine de
l'éducation, qu'il a depuis longtemps défini comme un secteur
clé dans le conflit de représentations. En obtenant finalement
l'obligation de l'enseignement de l'histoire et de la culture
afro-brésilienne à l'école, grâce au vote de la loi
10.639 en 2003, il remporte une victoire qui marque l'ouverture du champ des
représentations, même si ce processus est toujours
réversible et fondé sur le conflit. La critique des
représentations dominantes y gagne plus de légitimité,
même si ce changement dans le champ politique n'est qu'un pas vers une
traduction en politiques publiques qui permettraient un enracinement de ces
avancées.
Basculant vers un niveau beaucoup plus bas, qualifié de
micropolitique, le chapitre III décrit la mise en oeuvre du programme
« Sao Paulo : Educando pela diferença e para a
igualdade », une déclinaison de la loi 10.639 et de son
décret d'application. En même temps que l'on change de niveau, on
passe d'un champ à l'autre : du politique à l'administratif.
Si les frontières entre les deux ne sont pas étanches, puisqu'une
impulsion dans le premier est à l'origine de modifications dans le
second, ils restent cependant relativement distincts, obéissant à
des logiques et des contraintes différentes. Ainsi, la politique
culturelle dont il pouvait formuler les éléments de
manière radicale dans le champ politique, doit être
formulée d'une manière beaucoup plus consensuelle pour
« conquérir » les professeurs. Ce programme, et les
conflits qui y affleurent, ouvrent des pistes de réflexion pour un
éventuel changement des représentations au Brésil et, dans
la perspective de l'analyse cognitiviste des politiques publiques, du
référentiel des acteurs.
La réflexion, fondée sur une ample consultation
bibliographique et une enquête de terrain au Brésil, ne permet
cependant pas d'établir des conclusions définitives sur ces
questions. Au contraire, elle semble surtout ouvrir des axes de recherche
féconds pour des travaux futurs. En effet, malgré la valeur
heuristique des outils conceptuels mobilisés, comme le
référentiel, la brièveté du travail d'observation
empêche de se prononcer de manière claire sur une évolution
du référentiel des acteurs. Le programme, qui a valeur
d'expérience, apparaît tout juste comme marquant une tendance, qui
s'inscrit dans le mouvement, esquissé depuis une vingtaine
d'années, de reformulation de l'identité nationale
brésilienne. Il pourrait signifier un changement dans les politiques
publiques que seules des évolutions ultérieures permettront de
certifier. En effet, selon la conjoncture politique et la persistance du
mouvement noir, ce changement pourrait tout autant se pérenniser voire
s'amplifier qu'en rester au statut d'expérience sans lendemain.
La complexité des questions abordées dans ce
mémoire, leur imbrication avec d'autres problématiques, conduit
aussi à une réflexion sur le travail de recherche en
lui-même. Pour les besoins de la recherche, le conflit de
représentations a été isolé des autres
éléments avec lequel il se trouve en interaction permanente. Dans
le cas de l'éducation, il s'agit par exemple de problématiques,
propres à ce secteur, comme les difficultés en
général de l'enseignement public au Brésil. Lors de
l'enquête de terrain, certains interlocuteurs, hostiles au projet et aux
revendications du mouvement noir en général, faisaient remarquer
qu'il existait certainement des problèmes plus urgents et
décisifs à traiter dans les politiques d'éducation que les
questions identitaires, qui leur apparaissaient comme un détail. De
telles réflexions ont pu ébranler à certains moments mes
convictions sur l'intérêt même de ce travail.
Au moment de conclure, il m'apparaît cependant
clairement qu'envisager le problème sous cet angle serait faire la
même erreur que d'affirmer qu'un programme comme
« Educando » serait la solution à tous les maux de
l'éducation publique (simple hypothèse, aucune ambition si
démesurée n'a été exprimée par une personne
interrogée). Ce mémoire, où une analyse de l'interaction
entre des champs différents occupe une place importante, où l'on
a tenté de rendre grâce aux ambiguïtés d'un travail
sur l'identité, démontre que les problèmes et faits
sociaux doivent être saisis, dans la mesure du possible, dans leur
complexité. En conséquence, les interventions doivent y
être envisagées en tenant compte du contexte et des limites qui
pèsent sur toute action dans le champ social. Puissent un jour ces
principes fondamentaux des sciences sociales être mieux pris en compte
dans le champ politique.
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