Institut d'Etudes Politiques de Paris
Ecole doctorale de Sciences-Po
Master II Politique comparée
Spécialité Amérique
Latine
Mémoire de science politique
Du débat politique à la salle de
classe :
Etude du conflit de représentations autour de la
question raciale au Brésil
Antoine Maillet
av.maillet@gmail.com
Mémoire dirigé par Camille Goirand,
Maître de conférences à l'IEP Lille
Soutenu le 25 septembre 2006
Jury :
Mme Camille Goirand, Maître de conférences
à l'IEP de Lille
M. Olivier Dabène, Professeur à l'IEP de
Paris
Résumé
Le courant de pensée dominant au Brésil,
imprégné par le mythe de la démocratie raciale,
considère les inégalités comme sociales, rendant
illégitime toute lecture de celles-ci comme raciales. Depuis la fin du
XIX° siècle, le mouvement noir, à travers diverses
organisations, aujourd'hui sous forme de réseau, s'oppose à cette
idée reçue et plus généralement aux pratiques
discriminatoires, se retrouvant ainsi à l'origine d'un conflit de
représentations. Ce mémoire retrace sa lutte dans le champ
politique pour faire évoluer les représentations dans ce pays.
Au carrefour de l'étude des mouvements sociaux et de
l'analyse cognitiviste des politiques publiques, cette étude est
centrée sur le secteur de l'éducation, que le mouvement noir a
très tôt ciblé comme capitale dans la lutte contre les
préjugés. Après vingt années de pression, il
obtient en 2003 le vote d'une loi qui affirme l'obligation de l'enseignement de
l'histoire des Afro-Brésiliens à l'école primaire et
secondaire. Elle intervient après diverses mesures dans le champ des
politiques publiques d'éducation qui laissent à penser qu'un
changement de référentiel pourrait s'amorcer dans ce secteur.
La mise en oeuvre de cette loi dans l'état de Sao
Paulo, à travers un programme de formation proposé par le
Secrétariat de l'Education à 15 000 de ses professeurs, est
l'occasion de voir le conflit de représentations entre le courant
dominant et sa critique, inspirée du discours du mouvement noir et de la
recherche en sciences sociales, s'incarner à un niveau micropolitique.
Elle est en outre à l'origine d'une réflexion sur le passage des
revendications du mouvement noir du champ politique à celui de l'action
publique, où les contraintes sont différentes. L'analyse des
interactions entre les formateurs et les professeurs permet finalement
d'émettre des hypothèses sur la possibilité d'un
changement de référentiel dans ce secteur.
Remerciements
Je tiens à remercier vivement Camille Goirand, qui a
dirigé mes recherches. Sa grande disponibilité, la pertinence de
ses conseils et l'acuité de ses observations ont été d'une
importance considérable pour la réalisation de ce travail.
Ma reconnaissance va également à Olivier
Dabène, qui m'a aidé à définir le sujet alors que
le projet n'en était qu'à ses balbutiements et a eu
l'amabilité de participer au jury de la soutenance.
A Sao Paulo, je dois remercier chaudement le professeur
Antonio Sergio Guimaraes, pour m'avoir accueilli dans son groupe de recherche
à la USP, où j'ai fait des rencontres décisives. Muito
obrigado donc à Ana Elisa, Brisa, Flavia, Flavio, Jefferson, Kibi,
Flavio et Uvanderson, qui m'ont permis de me familiariser à un rythme
accéléré avec la thématique raciale au
Brésil et surtout de passer un excellent séjour dans la
métropolis brésilienne. Merci également à Fernando,
pour l'abondance d'informations avant le départ, et Lucho, pour les
échanges durant la rédaction.
J'aimerais également exprimer ma gratitude à mes
parents, qui m'ont toujours soutenu au cours d'études pourtant longues
et m'ont aidé à définir des objectifs à court et
à long terme, tout en me laissant une grande liberté. Je mesure
ma chance et tout ce que je leur dois.
Ils penseront certainement ne pas avoir leur place ici, mais
les membres du biniou crew doivent savoir que je leur suis
profondément redevable. Leur présence depuis longtemps est
inestimable, une première dédicace sans eux inconcevable.
Enfin, pour avoir supporté les contraintes liées
à ce travail, notamment une longue absence, et m'avoir cependant
toujours encouragé, et le besoin s'en est fait sentir, pour tout le
reste surtout, merci Yoly.
Sommaire
Introduction..............................................................................................
|
6
|
|
|
Chapitre I : La formation d'une question raciale au
Brésil : évolution des représentations
et de l'action publique au cours du XX°
siècle (1900-1980)....................................
|
15
|
|
|
I.
|
Du racisme scientifique au mythe de la démocratie
raciale
(1900-1945)................................................................................................
|
16
|
|
A.
|
L'interprétation de la situation raciale au
Brésil au début du XX°
siècle..........................................................................................
|
17
|
|
B.
|
Action publique et facteur racial : du blanchiment à
l'intégration par le
travaillisme...................................................................................
|
24
|
|
C.
|
Les difficultés de la mobilisation identitaire dans le contexte de
la démocratie
raciale..........................................................................................
|
29
|
|
|
|
II.
|
Le retour de la question raciale à travers la remise en
question de la démocratie raciale et un réveil identitaire
(1945-1980).....................................................
|
33
|
|
A.
|
La fin du mythe : l'existence du racisme au
Brésil......................................
|
34
|
|
B.
|
La radicalisation du mouvement : critique de la
démocratie raciale et réveil
identitaire.....................................................................................
|
39
|
|
|
|
Chapitre II : l'émergence des revendications du
mouvement noir dans le champ politique de la démocratie retrouvée
(1980-2000).............................................................
|
44
|
|
|
I.
|
La formation d'une revendication sur l'éducation au
sein du mouvement noir .........
|
45
|
|
A.
|
Un réseau en
gestation......................................................................
|
45
|
|
B.
|
L'éducation, question
centrale.............................................................
|
50
|
|
|
|
|
II.
|
La lutte politique : modifier la représentation de
la population noire dans la construction nationale et la société
brésilienne...............................................
|
53
|
|
A.
|
1988 : le débat sur la Constitution, moment fort
pour le mouvement................
|
54
|
|
B.
|
Le débat autour de la LDB : l'échec
à altérer la matrice de la pensée nationale....
|
57
|
|
C.
|
Le tournant de 1995 : la reconnaissance par l'Etat de
l'existence d'un problème racial au Brésil
..............................................................................
|
59
|
|
D.
|
Les fruits d'une action au coeur du système
politique : la loi 10.639
|
64
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre III : « Educando pela
diferença e para a igualdade » : un programme sous
tension, ou comment concilier intervention militante et contraintes du discours
dominant dans le champ de l'action publique
..................................................................
|
71
|
|
|
I.
|
La complexité de la mise en place d'un programme
pionnier..............................
|
72
|
|
A.
|
Le montage
institutionnel...................................................................
|
73
|
|
B.
|
Le dispositif : quelles conditions offertes pour le
travail d'intervention ?...........
|
77
|
|
|
|
|
II.
|
Des sessions de formation animées : conflits et
dialogues caractérisent la réception d'une formation qui
rompt avec la pensée dominante.......................................
|
83
|
|
A.
|
Le caractère souvent conflictuel des
sessions............................................
|
84
|
|
B.
|
La nécessité de modération qui en
découle..............................................
|
89
|
|
C.
|
Des effets difficiles à mesurer : un programme de
nature plus politique que
pédagogique..................................................................................
|
94
|
|
|
|
|
III.
|
Un programme qui reflète la complexité d'une
intervention sur les questions liées à
l'identité...........................................................................................
|
96
|
|
A.
|
Les tensions à l'oeuvre dans le
programme...............................................
|
97
|
|
B.
|
L'ambition de
l'universalité................................................................
|
101
|
|
C.
|
Vers un nouveau
référentiel ?..............................................................
|
105
|
|
|
|
|
Conclusion................................................................................................
|
109
|
|
|
Bibliographie.............................................................................................
|
112
|
|
|
Annexes...................................................................................................
|
115
|
|
|
Introduction
« L'oubli, et je dirai même l'erreur historique,
sont un facteur essentiel de la création d'une
nation »1(*) : cette affirmation de l'historien
français Ernest Renan illustre une certaine conception de la
construction nationale, qui a dominé dans la pensée occidentale
jusqu'à récemment. L'émergence des mémoires, les
revendications des groupes minorisés, notamment depuis les années
1960 aux Etats-Unis, remettent en cause ce paradigme : ces acteurs
entendent promouvoir une vision alternative de l'histoire, loin du lyrisme qui
orientait le travail des historiens du XIX° siècle, cherchant au
contraire à sortir du silence les épisodes les moins glorieux de
l'histoire nationale, tout en liant cette démarche avec une lutte
contemporaine. En effet, de cet oubli prôné par Ernest Renan
prennent leurs sources des problèmes qui se posent dans le temps
présent à des sociétés occidentales qui doivent
faire face à leur complexité. C'est pourquoi l'histoire, son
enseignement dans les écoles et plus généralement
l'attitude de l'institution scolaire face à ces groupes y est un enjeu
politique.
Les mouvements sociaux en Amérique Latine
développent une action dans cette perspective depuis les années
1980. Dans le livre Cultures of politics, politics of cultures, Sonia
Alvarez, Evelina Dagnino et Arturo Escobar mettent en avant le caractère
fondamental de cette « politique culturelle » des
mouvements sociaux. Ils entendent par là « le processus qui se
joue quand des ensembles d'acteurs sociaux formés représentant
différents sens et pratiques culturels entrent en
conflit »2(*).
Elle peut être implicite, les acteurs n'en ayant pas
nécessairement conscience, lorsqu'ils luttent pour des revendications
matérielles par exemple.
Ce conflit peut être défini comme une
« guerre d'interprétations » et porte sur la culture
politique du pays, et, plus largement, sur les représentations
concernant les populations dont ces mouvements défendent la cause. Ils
s'opposent généralement à des visions traditionnelles
où ils ne trouvent pas leur place : « toute
société est marquée par une culture politique dominante.
(....). Nous définissons la culture politique comme la construction
sociale particulière dans chaque société de ce qui compte
comme politique »3(*). En Amérique Latine, elle est marquée
par des références au rationalisme et à l'universalisme,
deux concepts très imparfaitement traduits dans des institutions
politiques qui ont souvent participé activement à une
« administration de l'exclusion »4(*). Au-delà de la culture
politique, c'est bien en terme de représentations, c'est-à-dire
comme la « relation sujet-objet qui détermine l'objet
lui-même »5(*), qu'il faut aborder ce conflit.
Au Brésil, le cas des relations raciales
démontre bien à quel point les représentations
déterminent la pertinence voire l'existence même d'un fait social
pour les individus. Dans un contexte où la construction de l'idée
nationale s'est appuyée sur la valorisation du métissage, tout en
occultant les mécanismes de domination, physique et symbolique, qui
avaient présidé à ce processus, les
inégalités raciales font l'objet d'une non-reconnaissance
sociale. Les relations raciales y sont réputées
« harmonieuses », alors que les statistiques mettent en
évidence la persistance d'inégalités structurelles. Dans
une société encore marquée par des relations de domination
pré-démocratiques, où la polarisation des classes sociales
se retrouve en termes raciaux, l'observateur peut être quotidiennement le
témoin de scènes révélant un cruel manque
d'harmonie. Si ce n'était par l'action d'un mouvement social noir, le
problème « n'existerait pas », puisque le
courant dominant dans les représentations insiste sur une
l'identité nationale commune, brésilienne, où tous
seraient égaux.
Cette vision est combattue par un ensemble d'acteurs que l'on
définit comme le « mouvement noir ». Il s'agit d'une
réalité fuyante, qui ne correspond pas à une structure
comme un parti politique ou un syndicat. Selon Ivair Dos Santos, « le
mouvement noir est avant tout ce que les protagonistes eux-mêmes disent
qu'il est »6(*),
c'est-à-dire qu'il s'agit d'acteurs exprimant des revendications
communes fondées sur une expérience commune de l'identité
noire et de discriminations. Concrètement, comme tout mouvement social,
il « s'appuie sur des relations interpersonnelles qui lient des
individus à d'autres individus, incluant des connections qui vont
beaucoup plus loin que des groupes spécifiques et traversent
transversalement des institutions sociales spécifiques, comme [les
églises], l'univers académique, des ONG, des organisations
gauchistes, des syndicats et des partis politiques »7(*). En conséquence, il prend
la forme d'un réseau.
Historiquement, cette revendication noire trouve son origine
dans les révoltes d'esclaves contre leur condition et dans le mouvement
abolitionniste8(*). Au cours
du XX° siècle, ce mouvement a évolué, notamment au
gré des modifications des configurations politiques, plus ou moins
propices à son expression. Plus fondamentalement, son positionnement en
terme d'identité a aussi été variable. Sur un axe que
limiteraient deux pôles, assimilationisme et particularisme, les
revendications se sont situées à différentes positions,
même si l'objectif de lutte contre les discriminations était
primordial. Dans la perspective d'une étude sur sa politique culturelle,
il est important de prendre la mesure de ces évolutions, puisqu'elles
induisent des stratégies politiques distinctes qui seront
détaillées au cours de cette étude.
Pour comprendre le mouvement noir, il est important d'avoir en
tête certaines spécificités de l'identité noire au
Brésil. Le mouvement prétend représenter tous les
Brésiliens avec des origines africaines, plus spécialement ceux
qui en portent des marques visibles : phénotype, forme du nez,
texture des cheveux... Il agit cependant dans un contexte historiquement
marqué par un mépris pour cette héritage et une tentative
de fuir cette réalité, qui se traduit par une auto-identification
très minoritaire dans le mouvement et ses revendications. Se
définir comme noir est donc en soi une prise de position politique
contre les représentations dominantes, incarnée dans le mot
« negro ». Il opère ainsi un renversement du
stigmate, puisqu'il revendique et s'enorgueillit d'une identité
traditionnellement prescrite et dévalorisée. Dans les
statistiques officielles, le mouvement considère que les Noirs (Negros)
au Brésil sont les individus définis comme
« pretos » (la couleur noire) et
« pardos » (gris, donc métis à la peau
très brune). Cela représente en 2000 l'addition de 6,2 % et 38,4
% de la population, soit 44,6 % de la population9(*). Dans le texte du mémoire, c'est cette
définition, dominante dans les sciences sociales brésiliennes,
qui s'appliquera lors de l'emploi du terme noir.
En tant que mouvement social, le mouvement noir cherche
à influer sur les politiques publiques mises en oeuvre par l'Etat. Il le
fait en se manifestant sur des problèmes matériels, mais aussi,
plus largement, par la politique culturelle qu'il mène. Une approche des
politiques publiques selon la perspective cognitiviste est très
pertinente pour bien saisir l'importance du conflit de représentations
dans la définition des politiques de l'Etat. En effet, elle met au coeur
de son programme de recherche les représentations et considère,
selon Murray Edelman, « les politiques publiques comme des matrices
cognitives et normatives constituant des systèmes
d'interprétation du réel, au sein desquels les différents
acteurs publics et privés peuvent inscrire leur
action »10(*).
On est donc loin de la traditionnelle vision qui faisait des politiques
publiques des actions quasi mécaniques visant à répondre
à un problème une fois qu'il apparaissait.
Or, sur la question des inégalités raciales,
l'action de l'Etat brésilien repose traditionnellement sur des valeurs
d'universalisme et de rationalisme, et sur la vision dominante selon laquelle
il n'existe pas de problème racial dans le pays. Cette vision informe ce
que l'analyse cognitive des politiques publiques a caractérisé
comme le « référentiel » de l'action de
l'Etat. Le référentiel comporte deux dimensions : il est
à la fois « un processus cognitif fondant un diagnostic et
permettant de comprendre le réel (en limitant sa complexité) et
un processus prescriptif permettant d'agir sur le
réel »11(*). Il condense donc les représentations des
acteurs sur un problème de politiques publiques. Sa dimension
heuristique semble certaine. S'il est en effet difficile de l'isoler en tant
que tel, il peut, par contre, être mis en évidence, construit par
le chercheur, à travers une étude des décisions, des
programmes mis en oeuvre et des entretiens avec les acteurs. Il se
décline entre le référentiel global et le
référentiel sectoriel, sans que les rapports entre ces deux
construits ne soient tout-à-fait élucidés. Sont-ce les
modifications du premier qui induisent des changements dans le second, à
un niveau plus localisé, ou l'inverse ? Il s'agit certainement dans
tous les cas d'un rapport dynamique, qui ne peut être
schématisé. Un enjeu de cette recherche est d'éclaircir ce
rapport.
Une altération du référentiel des
acteurs, processus nécessairement long, complexe et conflictuel,
pourrait certainement être la conséquence de l'action d'un
mouvement social par une politique culturelle connaissant un certain
succès. Elle combine des dimensions conflictuelles et d'autres plus
concertées, intervenant dans des champs différents, à
l'image de la diversité d'un mouvement qui articule différents
répertoires d'action : manifestation massive ou ciblée
à l'intention des médias, lobbying, recours à
l'expertise...
Dans le champ politique, le mouvement noir rentre en conflit
frontal avec la culture politique nationale, dans laquelle la question raciale
est maintenue dans le silence. Il s'agit donc pour lui d'obtenir la
« mise sur agenda » de ses revendications, leur
émergence dans le champ politique, c'est à dire
« l'ensemble des processus qui conduisent des faits sociaux à
acquérir un statut de « problème public » ne
relevant plus de la fatalité (naturelle ou sociale) ou de la
sphère privée, et faisant l'objet de débats et de
controverses médiatiques et politiques »12(*).
Ce processus peut aussi prendre place à
l'intérieur même des institutions, dans le champ administratif. Il
découle alors soit d'une modification du référentiel
global entraînant des conséquences à d'autres niveaux, soit
d'un travail au sein même des institutions, par exemple de réseaux
qui influent sur la mise en oeuvre de l'action publique. Il est dans cette
hypothèse moins question de confrontation que de concertation. Les
processus à l'oeuvre dans les deux champs peuvent se dérouler
conjointement, cette formalisation est là encore à vocation
heuristique, elle permet d'enquêter sur ces processus. En tous cas, s'ils
se traduisent en une altération du référentiel, il ne
s'agit pas d'un retournement brusque, ou d'un mouvement nécessairement
généralisé : dans une vision pluraliste de l'Etat,
l'action publique est complexe, versatile, et parfois contradictoire.
L'intérêt porté à des expérimentations ne
doit en être que plus important, puisqu'elles peuvent illustrer des
tendances innovantes.
Parmi les revendications portées par le mouvement noir,
le secteur de l'éducation est l'objet d'un intérêt
particulier. Il a été tôt identifié comme un secteur
clé où s'exerce la discrimination mais aussi paradoxalement pour
les possibilités offertes d'ascension sociale. Une autre dimension, plus
importante dans le cadre d'une réflexion sur les représentations,
a retenu l'attention des militants : c'est à travers l'école
que se forment de nombreux préjugés, notamment à travers
la diffusion d'une histoire tronquée, où la participation des
Noirs à l'édification de la nation est minorée. Elle est
donc à la fois un diffuseur des représentations dominantes sur
les relations raciales, et en même temps disposent d'un potentiel de
transformation certain. Dans le processus de mise sur agenda des
revendications, c'est à dire dans la lutte dans le champ politique pour
qu'elles aient une réception, celles portant sur l'éducation
occupent donc un espace important. Elles donnent aussi lieu à des
expériences alternatives, notamment dans le Nord du pays.
Cette lutte se traduit par un certain nombre de
décisions, à partir de 1995, qui marquent l'émergence de
la thématique dans le champ politique. Parmi celles-ci, on retient le
vote de la loi fédérale 10.639 en janvier 2003, qui rend
obligatoire l'enseignement de l'histoire des Afro-Brésiliens dans
l'enseignement primaire et secondaire. Cette loi va à l'encontre des
représentations traditionnelles concernant les relations raciales,
notamment de l'idée d'un métissage où se seraient
diluées les identités particulières. Elle marque donc en
elle-même un moment important. Il sera retracé ici le processus
qui mène à sa promulgation.
Cependant, qui connaît le proverbe très populaire
au Brésil « a lei nao pegou », « la loi
n'a pas pris », sait qu'elle pourrait simplement rester lettre morte.
Cela n'a pas été le cas, puisque le Secrétariat à
l'Education de l'état de Sao Paulo a mis en oeuvre entre 2004 et 2006 un
programme de formation pour les professeurs du réseau public
fondé sur cette loi et les décrets d'application
(« parecer) qui l'ont suivie. Le programme « Sao
Paulo : Educando pela diferença e para a igualdade » (Sao
Paulo : éduquant par la différence et pour
l'égalité) confronte des professeurs aguerris avec une vision de
l'histoire nationale, plus globalement de la pratique pédagogique, qui
n'est pas dans leurs habitudes. Il est donc le théâtre d'un
conflit de représentations qui permet de recueillir des indices
précieux sur une possible altération de leur
référentiel. En tant qu'expérience, il présente un
intérêt certain.
Ce mémoire se présente donc comme un
questionnement sur l'action d'un mouvement social porteur de
représentations minoritaires par rapport au sens commun, c'est à
dire les représentations les plus courantes sur un fait social, en
l'occurrence les relations raciales au Brésil, et sur la
possibilité d'une réception pour cette politique culturelle.
Cette réception prenant la forme de traductions en mesures
législatives et en politiques publiques, la réflexion s'appuiera
sur deux exemples : la loi 10.639 et le programme « Sao
Paulo : Educando pela diferença e a igualdade ».
L'articulation même entre les deux est au coeur de la
problématique soulevée par ce mémoire du passage des
revendications d'un champ à un autre et des transformations qu'elles
subissent au cours de ce processus. Ainsi, après avoir traversé
le champ spécifiquement politique, la revendication d'une prise en
compte de l'histoire des Afro-Brésiliens est déclinée dans
le champ de l'administration scolaire. Au même moment s'opère un
changement d'échelle, puisque l'on descend du niveau
fédéral au niveau de l'état. Quelles sont les contraintes
spécifiques à chaque champ qui pèsent sur ce
processus ? Quelles reformulations induites par ces contraintes les
acteurs sont-ils conduits à réaliser ? En suivant une
expérience politique depuis sa gestation dans un mouvement social
jusqu'à sa traduction sous forme d'un programme d'action publique, on
cherchera aussi à mettre en évidence de possibles
altérations de référentiels dans les institutions
publiques.
L'enjeu en terme de recherche est de se positionner au
carrefour de deux écoles : l'étude des mouvements sociaux,
dans une tradition mettant l'accent sur les aspects identitaires des
revendications, et l'analyse des politiques publiques, dans la perspective
cognitiviste. Il ne s'agit pas de perspectives opposées mais bien
complémentaires, dans la mesure où les deux fondent leur
programme de recherche sur une étude des représentations comme
fondement de l'activité sociale. Leur mise en relation ouvre des
perspectives fécondes et permet de faire le lien entre une
activité militante qui débute en marge de la politique
institutionnelle mais a des répercussions jusque dans l'appareil
administratif. Elle permet aussi de suivre des trajectoires qui empruntent
parfois le même chemin. Le secteur étudié étant
celui de l'éducation, il a été nécessaire de se
familiariser avec le traitement de ces questions par les sciences de
l'éducation pour mener cette recherche. Cependant, la perspective reste
bien celle d'une étude en science politique.
La recherche sur les inégalités raciales et les
discriminations a connu un essor constant au Brésil depuis les
années 1970. Cette littérature sera en partie revue au cours du
premier chapitre, qui traite notamment de l'évolution du discours
académique sur les relations raciales. En termes statistiques, les
travaux de Ricardo Henriques, chercheur de l'IPEA (institut de recherche en
économie appliquée), organisme lié au Ministère de
la planification et du budget, permettent de tracer un tableau des
inégalités raciales dans les années 2000, au niveau
national et de l'état de Sao Paulo. Ainsi, toutes choses égales
par ailleurs, les salaires des Noirs représentent 81 sur une base 100
pour les salaires des Blancs. Le décile le plus riche de la population
comporte seulement 30 % de Noirs, le plus pauvre 83 %. Pour ce qui est de
l'éducation, l'analphabétisme touche 10 % des Blancs et 25 % des
Noirs. La durée de la scolarité moyenne est de 4,3 années
chez les Noirs et 6,6% chez les Blancs13(*). Le plus marquant dans ces statistiques est le
maintien de l'écart entre les deux populations, malgré
l'amélioration du niveau de vie en général. Il
caractérise une inégalité raciale structurelle qui ne se
résorbe pas.
Ces statistiques donnent un premier aperçu des
inégalités dans le milieu scolaire. Une littérature
spécifique en sciences de l'éducation existe sur le thème
des discriminations raciales dans l'institution scolaire, qui va au-delà
du simple tableau statistique pour mettre en évidence les
mécanismes de discrimination et émettre des propositions pour
sortir de cette situation. Eliane Cavalleiro14(*) et Petronilha Gonçalves da Silva15(*) sont des représentantes
majeures de ce courant et participent au programme « Sao Paulo :
Educando pela diferença e para a igualdade ».
En terme d'étude des mouvements sociaux et des
approches cognitives des politiques publiques, les ouvrages qui nourrissent
cette recherche ont déjà été évoqués.
Au Brésil, la loi 10.639 et le processus qui a conduit à sa
promulgation, succinctement évoqués par la presse nationale, ont
suscité un certain débat parmi les chercheurs en sociologie ou
science politique. Le mouvement noir y est un objet d'étude assez
courant, notamment pour des chercheurs qui y sont plus ou moins engagés.
Il semble par contre qu'il soit peu étudié en France. La
littérature concernant le mouvement noir au Brésil y est
quasiment absente. Il est toutefois traité parfois à travers les
questions des « quilombos »16(*) ou de la ségrégation urbaine17(*). Une ample bibliographie
nord-américaine, dans la perspective des « ethnic
studies », parfois accusée de plaquer des points de vue
nationaux sur la question raciale au Brésil, présente un
réel intérêt.
Les travaux nécessaires à cette recherche ont
été guidés par le souci de prendre en compte les
dimensions multiples qu'elle recouvre. Après un travail sur la
bibliographie, il est apparu assez nettement que l'on pouvait
présupposer qu'il existe un référentiel niant la
pertinence d'une lecture raciale des inégalités au sein de l'Etat
brésilien, fondé sur les représentations dominantes sur la
question des relations raciales, et que le mouvement noir cherchait à
ébranler ces représentations. A la recherche d'indices d'une
évolution de ces représentations, la loi 10.639 est apparue comme
un point central à traiter, tant dans son processus d'émergence
que dans sa possible application. Au cours d'un séjour d'étude de
trois mois à Sao Paulo, en lien avec le groupe d'étude sur les
relations raciales de l'université de Sao Paulo (USP), j'ai
procédé à une étude de la presse et des travaux de
recherche déjà produits sur ce sujet. Dans le même temps,
j'ai réalisé des observations des sessions de formation du
programme « Sao Paulo : Educando pela diferença e para a
igualdade », qui m'ont permis de rencontrer de nombreux professeurs
du réseau public. J'ai aussi consulté le matériel
pédagogique accompagnant les enseignements et réalisé une
vingtaine d'entretiens avec les coordinateurs du programme, ses responsables
administratifs au Secrétariat à l'Education et des formateurs du
programme, dans le but d'évaluer un possible changement de
référentiel.
Cherchant à articuler au mieux les deux
dimensions de cette recherche, dont le conflit de représentations est
l'élément central, le mémoire est divisé en trois
chapitres. Le premier retrace la formation de la question raciale au
Brésil depuis le XIX° siècle, à travers une
étude de l'évolution des représentations et de l'action
publique sur cette question, tout en prêtant attention au positionnement
du mouvement noir au cours de la période, jusqu'aux années 1980,
dans le but de cerner les origines du conflit de représentations.
Dans le deuxième chapitre, on poursuit cette
exploration historique, de la transition démocratique à la
promulgation de la loi 10.639 en 2003. Un intérêt particulier est
attaché aux modalités et surtout au sens de l'engagement du
mouvement noir sur la question scolaire, et à la réception
rencontrée par ses propositions. Ces observations nourrissent une
discussion de la possibilité d'évoquer un changement de
référentiel dans le secteur de l'éducation.
Enfin, le troisième chapitre propose de suivre la mise
en oeuvre de la loi 10.639 dans l'état de Sao Paulo à travers le
programme « Sao Paulo : Educando pela diferença e para a
igualdade ». Cela amènera à s'interroger sur les
conditions de passage d'une revendication d'un champ à un autre, en
l'occurrence du champ politique au champ administratif, et à
l'évolution des contraintes pesant sur les acteurs. On y analysera les
sessions de formation du programme comme un espace micro-politique où
s'incarne le conflit de représentations.
Chapitre I : La formation d'une question raciale au
Brésil : évolution des représentations et de l'action
publique au cours du XX° siècle (1900-1980)
Ce chapitre a pour but d'explorer le traitement de la
situation raciale au Brésil de la fin du XIX° siècle au
début des années 1980, lorsque commence la période de la
redémocratisation du régime. Il est fondamental de prendre en
compte cet héritage historique pour comprendre les enjeux
soulevés par la loi 10.639. Comment en effet mesurer la rupture
apportée par cette loi, tant pour le mouvement noir que pour l'Etat
brésilien, sans connaître l'histoire qu'elle vient
poursuivre ?
Bien que ce mémoire porte essentiellement sur les
représentations, il convient de fixer quelques points de repère
sur les relations raciales « réelles », telles que
permet de les saisir la perspective historique. La traite des esclaves a
entraîné la déportation vers le Brésil de plus de
trois millions et demi d'Africains. Après l'abolition de l'esclavage,
présentée par l'historiographie officielle comme un geste
humanitaire de la princesse Isabelle, les Noirs ont été
abandonnés à leur sort, rapidement remplacés sur le
marché du travail par les populations émigrées, dont les
grands propriétaires considéraient la qualité du travail
meilleure. Ils se sont donc retrouvés dans leur grande majorité
marginalisés du reste de la population, sans possibilité
d'ascension sociale, et souffrant d'une discrimination qui les a maintenus dans
cette position subalterne malgré les évolutions de la
société brésilienne18(*).
Ce chapitre articule une présentation de
l'évolution des représentations des relations raciales par les
milieux intellectuels à une réflexion sur la traduction de ces
conceptions dans la formulation de politiques publiques. Il s'agit donc, sur un
temps assez long, de lier les modifications des représentations aux
changements dans l'action publique, dans la perspective de l'analyse cognitive
des politiques publiques. Selon ce courant, les représentations des
acteurs sont fondamentales tant dans la définition des politiques
publiques que dans leur mise en oeuvre. L'éloignement du sujet
n'autorise toutefois pas le recours au concept de référentiel,
car l'on risquerait l'anachronisme.
Les liens entre ces deux histoires ne sont ni
spontanés, ni facilement identifiables. Au contraire, elles sont parfois
en décalage, parfois contraires, mais souvent en viennent à se
croiser. Cette question éminemment politique est aussi
conflictuelle : les évolutions dans l'action publique
résultant plus sûrement de pressions que de la bonne
volonté des gouvernants, le parcours du mouvement noir durant cette
période doit aussi être discuté. En effet, les variations
de son positionnement et donc de son action dans le champ politique, jusqu'aux
prémisses d'une politique culturelle, jouent un rôle important
dans l'évolution des représentations, notamment celles qui vont
guider l'action publique de Getulio Vargas.
Pour ne pas perdre le développement concomitant de ces
trois trajectoires, il a été choisi de les présenter
ensemble, de manière chronologique, en deux moments
séparés par 1945. Cette date marque une rupture politique, avec
la fin de l'Estado Novo, le gouvernement de Getulio Vargas. La discussion
académique autour des relations raciales est aussi à un tournant,
puisqu'elle va se faire critique puis dénonciatrice du mythe de la
démocratie raciale, parcours suivi également par le mouvement
noir. Je traiterai donc simultanément, en deux séquences, de
l'interprétation de la situation du Brésil en termes raciaux, du
traitement de la question raciale dans l'action publique et du positionnement
du mouvement noir dans ce contexte.
I. Du racisme scientifique au mythe de la
démocratie raciale (1900-1945)
La réflexion sur le dilemme national brésilien
et la question raciale connaît une inflexion décisive au cours de
cette période, avec l'élaboration de l'idéologie de la
démocratie raciale. Celle-ci diffuse une vision homogène de la
société brésilienne, où les conflits raciaux n'ont
pas lieu d'être, qui occupe une place centrale dans les
représentations du sens commun jusqu'à aujourd'hui. Cette
évolution ne se reflète cependant pas dans les politiques
publiques. Le mouvement noir se retrouve lui prisonnier de cette formulation et
plus généralement de son nationalisme, qui limite la
possibilité de penser des revendications spécifiques.
A. L'interprétation de la situation raciale au
Brésil au début du XX° siècle : de la haine du
métissage à sa célébration par la démocratie
raciale
La vie intellectuelle dans la première partie du
XX° siècle au Brésil se caractérise par une
réflexion approfondie sur l'identité nationale. Une transition
s'opère du rêve d'être européen, ambition des
élites depuis la colonisation, vers la volonté de former une
nation spécifique, dont le trait particulier serait le métissage.
1. Le dilemme national : former une nation blanche
malgré la présence africaine
La question raciale est centrale dans la formation de
l'identité nationale brésilienne. On touche en fait à un
véritable problème national brésilien, qui comprend deux
versants : la perception du Brésil comme un pays en retard,
à moderniser, et le caractère non-achevé de son processus
national, les populations ne se reconnaissant pas d'une nationalité
brésilienne19(*).
Une grande partie de la bourgeoisie blanche considère le facteur racial,
le « problème noir », comme fondamental dans ces
difficultés. En l'absence de sciences sociales, ceux qui s'attellent
à résoudre ce problème sont les « hommes de
sciences », qui se trouvent dans les facultés de
médecine, à Rio et Bahia, ou en faculté de droit, comme
à Sao Paulo. De nombreux auteurs, issus de ces milieux scientifiques, ou
des intellectuels, souvent des écrivains, des journalistes, des
essayistes, proposent leur interprétation de la situation raciale au
Brésil.
Le racisme scientifique, doctrine pseudo-scientifique
développée à partir de l'Essai sur
l'inégalité des races humaines (1853) du comte de
Gobineau20(*),
imprègne alors le mode de pensée de l'époque dans tout le
monde occidental. Il présente une classification des races humaines
dominée par la race aryenne21(*) et se caractérise aussi par une
exécration du métissage, partagée par la majorité
des intellectuels brésiliens au tournant du siècle. Ces
idées sont populaires auprès de cette élite qui se veut
européenne, pour qui la présence d'une population venue d'Afrique
est insupportable.
Le mélange de races très diverses est, dans la
majorité des cas, préjudiciable. Devant les conclusions de
l'évolutionisme, même quand intervient sur le produit l'apport
d'une race supérieure, se font surtout remarquer les vifs stigmates de
l'inférieur. Le métissage extrême est un recul.
L'indo-européen, le noir et le basilo-guarani ou tupi expriment des
stades évolutifs qui se côtoient, et le croisement, en
oblitérant les qualités prééminentes du premier,
est un stimulant à survivance des attributs primitifs des seconds. (...)
Et le métis, moins qu'un intermédiaire, est un échec
(decaido), sans l'énergie physique des ascendants sauvages, sans
l'altitude intellectuelle des ancêtres
supérieurs. »22(*)
Cet extrait du livre Os Sertoes (1902), de Euclides
da Cunha, essayiste, est emblématique de l'attitude intellectuelle de la
bourgeoisie. Pourtant, cette représentation va évoluer assez
rapidement, peut-être parce qu'il s'agissait d'une position intenable au
vu de la composition de la population du pays. Des écrits moins
défavorables au métissage apparaissent, alors que se forme
l'idée d'un nécessaire « blanchiment de la
population », qui passerait justement par le mélange. Il ne
s'agit néanmoins pas d'exalter un Brésil métis. Le
métissage a pour but le retour à une population
entièrement blanche, dont l'élément noir, jugé
néfaste, aurait entièrement disparu. Des théories qui
peuvent nous sembler aujourd'hui farfelues présentent comme certaine la
disparition de la composante africaine de la population brésilienne en
moins d'un siècle23(*). Chargés de mépris pour la
« race noire », ces discours vont être au fondement
de politiques publiques discriminatoires étudiées plus loin. Ils
contredisent la représentation populaire populaire, très
présente dans le Brésil contemporain, d'une démocratie
raciale à l'oeuvre dès l'abolition, et démontrent que le
racisme n'est pas un élément étranger au Brésil,
même s'il y prend la forme particulière de l'aspiration au
blanchiment.
C'est dans ce contexte que Gilberto Freyre révolutionne
la représentation du Brésil par lui-même, donnant à
voir aux Brésiliens et au monde l'image d'une nation fondée sur
les relations harmonieuses entre les races. Il est à noter que l'oeuvre
de Freyre constitue en quelque sorte une synthèse de discussions en
cours depuis les années 1910 pour sortir de cette situation inextricable
liée à l'obsession du blanchiment24(*). Ses positions sont certes l'objet de débat,
mais il ne s'élève pas seul face à une foule de penseurs
liés au racisme scientifique.
2. La réhabilitation du métissage en tant
que fondement de l'identité nationale
Le problème de l'image du Brésil dans le monde
n'est pas solutionné par le racisme scientifique : les
Brésiliens se sentent toujours humiliés par cette présence
noire qu'ils ne peuvent accepter. Durant cette période fertile pour la
formation nationale, certains intellectuels commencent à exalter la
brésilianité. Les années 1930 voient l'éclosion de
trois auteurs, Sergio Buarque de Holanda, Caio Prado Junior et Gilberto Freyre
que le critique littéraire et sociologue Antonio Candido nomme les
« interprètes » du Brésil25(*). Le fait est qu'ils rompent
avec les visions traditionnelles de la classe dominante sur le pays
lui-même, sur le fond d'une vie intellectuelle marquée par le
modernisme, qui va puiser les fondements de l'identité
brésilienne dans les traditions locales. Pour ce qui concerne les
relations raciales, le livre de Gilberto Freyre Maitres et
esclaves26(*) marque
une évolution sensible des positions autour du métissage. Freyre
en fait le fondement de l'identité nationale.
Bien qu'il ait étudié l'anthropologie aux
Etats-Unis, à Waco puis Columbia, ses livres ne se caractérisent
pas par une grande rigueur scientifique. Le considérer comme un
« interprète » correspond bien à son oeuvre.
Il s'appuie certes sur quelques recherches, mais démontre surtout un
exceptionnel talent d'écriture, peut-être pas étranger
à la postérité de son oeuvre, qui, quoique
discréditée d'un point de vue scientifique, est la pierre
angulaire de la représentation des relations raciales. Dans
Maîtres et esclaves, il considère la plantation de canne
à sucre comme un modèle pour le Brésil en tant que
nation27(*).
Lui-même issu d'une famille de planteurs, il y présente les
relations entre maître et esclave imprégnées de
cordialité, et se fondent sur l'intimité qui y existait, d'ordre
sexuel principalement, pour affirmer que le Brésilien est, par nature,
métissé. Il écrit de longues pages sur l'importance des
nourrices noires pour les enfants de l'élite.
Freyre exalte aussi les « zones de
confraternisation »28(*). Il entend décrire par cette expression
l'intimité sexuelle des maîtres avec les femmes esclaves, qu'il
présente comme une nécessité, au vu du faible nombre de
femmes blanches présentes dans les premiers temps de la colonisation.
Elle aurait résulté dans un rapprochement des populations, la
distance sociale se réduisant. Il est aujourd'hui très
critiqué sur ce point, car il laisse de côté toute analyse
en terme de domination : ces « zones de
confraternisation » paraissent plutôt des lieux
d'intimité brutale29(*). Un autre aspect très important de
Maîtres et esclaves est la volonté de
réhabiliter l'héritage colonial portugais. Freyre avance, ce qui
a été largement contredit depuis, que le colonialisme portugais
était doux, ouvert vers les autres cultures. Cela serait, pour lui, un
héritage de l'histoire du Portugal, qui a vécu sous la domination
des Maures. Selon l'auteur, cela serait à l'origine des
« bonnes relations » entre les colons portugais et les
populations venues d'Afrique, faisant peu de cas de la condition d'esclave
à laquelle les premiers ont réduit les seconds.
Mû par sa volonté de résoudre le
« problème national », il opère dans ce livre
un déplacement de l'axe principal de la grande histoire vers le
quotidien. En énumérant les apports de la culture africaine dans
la vie de tous les jours, il la « nationalise », sortant du
dilemme d'une nation se voulant européenne mais ne pouvant occulter ses
origines diverses. Le métissage s'en trouve réhabilité,
sans que l'on prenne en compte les relations de domination qui se sont
perpétués. Une place est faite à l'héritage
africain sans renoncer à l'eurocentrisme, qui s'exprime notamment dans
la diffusion massive de l'idée de la douceur du colonisateur portugais.
Gilberto Freyre pose ainsi les bases du paradigme dominant
dans l'analyse des relations raciales pour les décennies à venir.
Son oeuvre, qu'il s'emploie lui-même à populariser à
l'extérieur, devient le fondement de l'idéologie de la
démocratie raciale.
3. La formation du mythe de la démocratie
raciale
Le concept de démocratie raciale est à manier
avec précaution, en raison d'une généalogie trouble et
surtout d'une multiplicité de sens. En tant qu'idéologie, il
signifie une représentation de la société
brésilienne comme connaissant des relations raciales harmonieuses. Il
prend une valeur de mythe selon deux sens distincts : en tant
qu'aspiration à une telle société, comme une fiction
inspirant les acteurs ; ou comme tromperie, alors objet de
dénonciation. Il en est parfois fait une utilisation encore plus
politique pour décrire l'intégration des masses populaires au
sein de la société nationale, comme dans les politiques mises en
oeuvre par l'Estado Novo. Ce mythe est donc polysémique, et de ce fait
complexe à utiliser. Au Brésil, un débat oppose deux
disciplines : dans la perspective de la sociologie, le mythe est une
représentation hégémonique et un discours qui ne
recouvre pas la réalité ; pour nombre d'anthropologues, le mythe
est un concept performatif, qui suppose une projection vers l'avenir, un
idéal qui doit se réaliser à terme. La perspective
sociologique est ici privilégiée.
On attribue généralement à Freyre la
paternité du concept. La réalité historique est plus
ambiguë. Ces termes semblent certes réaliser la synthèse de
sa pensée, qui aura une grande influence dans la recherche jusqu'aux
années 1950, mais l'apologiste du métissage n'a pas forgé
l'expression telle quelle. Il me parait utile de restituer le processus
d'élaboration de cette notion, étudié par Antonio Sergio
Guimaraes, pour en affiner la compréhension.
L'expression « démocratie raciale »
apparaît pour la première fois sous la plume du sociologue
français Roger Bastide en mars 194430(*). Il rédige pour le Diario de Sao
Paulo une série d'articles sur les « Itinéraires
de la démocratie », dans lesquels il rend compte de ses
rencontres avec successivement George Bernanos, au sujet de la
démocratie représentative, Jorge Amado, qui évoque la
constitution du peuple brésilien et sa culture populaire, et Gilberto
Freyre, pour parler des spécificités de la démocratie
brésilienne, notamment de l'absence de démarcations rigides entre
les Noirs et les Blancs. Il décrit dans cet article son retour depuis la
propriété de Freyre. Dans un bus bondé, il observe les
personnes revenant vers leur domicile « dans une énorme et
amicale confusion de bras et de pieds » et le comportement
attentionné d'un employé blanc envers l'ouvrier noir s'endormant
à ses côtés. Cela constituerait selon lui « une
belle image de la démocratie sociale et raciale que Recife
m'offrait »31(*). Il est difficile de savoir s'il s'agit d'une
interprétation de Bastide ou si Freyre lui a soufflé
l'idée. Pour Guimaraes, il s'agirait d'une « traduction libre
des idées de Freyre sur la démocratie
brésilienne »32(*).
Ce n'est qu'en 1962 que Freyre utilise l'expression exacte de
démocratie raciale. Il emploie jusque là d'autres adjectifs moins
connotés, comme social, ou ethnique, même si le sens varie
finalement assez peu. Il se situe dans la filiation du mythe du
« paradis racial », image du Brésil qui fascine le
monde depuis le XIX° siècle. L'absence de ségrégation
officielle, quelques exemples de métis faisant partie de la bourgeoisie,
ont conduit les voyageurs à conclure à l'absence de
préjugé de couleur. La reformulation de cette idée
ancienne sous le terme de démocratie s'inscrit dans les débats en
cours dans les années 1930 et 1940, tant sur le plan national
qu'international. Le concept de démocratie raciale a d'ailleurs plus un
usage vers l'extérieur au départ.
Au Brésil, la vie intellectuelle dans cette
période est agitée et divisée entre intégralistes
proches du fascisme mussolinien et communistes. Au niveau mondial se met en
place la lutte entre les démocraties libérales et les fascismes.
Freyre n'est affilié à aucune des tendances mais fait l'objet de
nombreuses critiques de droite. Il répond avec la thèse d'une
démocratie ethnique, inséparable de la démocratie sociale,
qui conditionne l'existence d'une démocratie politique. Il
préfère à ce moment le terme ethnique, puisque l'usage du
mot race devient alors proscrit dans les sciences sociales, car trop
marqué par les horreurs nazies. En fait, il s'agit pour lui de faire
admettre le Brésil parmi les nations démocratiques. Il lui faut
pour cela recourir à une conception très personnelle de la
démocratie. La démocratie représentative, qui peut exister
à côté du racisme cru, comme aux Etats-Unis, n'est pour lui
pas une forme unique. La variante brésilienne de la démocratie ne
serait pas fondée dans un universalisme des droits, mais dans le droit
pour chaque culture de s'exprimer, presque une vision esthétique de la
démocratie33(*).
Cette version très culturelle de la démocratie
ne laisse cependant pas de place à une expression spécifique des
Noirs : Freyre combat ainsi violemment le mouvement de la
négritude, accusé notamment d'être totalement
inadapté au contexte brésilien. La démocratie raciale est
celle où les cultures peuvent s'exprimer tant qu'elles n'entrent pas sur
le terrain politique. Le concept connaît un très grand
succès à l'extérieur et permet de redynamiser le mythe du
paradis racial. A l'intérieur du pays, il faut bien reconnaître
ses mérites par rapport au racisme scientifique. Dans son moment
historique, la construction du mythe de la démocratie raciale
était peut-être une avancée pour l'intégration des
populations noires à la nation. Il faut aussi en saisir les limites,
notamment la vision folklorisée des Noirs qu'il diffuse. C'est ainsi au
nom de la démocratie raciale que le mouvement noir se verra reprocher,
lorsqu'il revendiquera une identité culturelle propre, d'être
anti-national34(*). Pour
cette étude, il est en tous cas nécessaire de prendre la mesure
de la force de cette vision, encore très présente, qui inspire la
majorité des discours politiques sur la question raciale jusqu'à
la période contemporaine. C'est pourquoi il a été
attaché une grande importance à sa description : il s'agit
bien de la matrice au fondement des représentations du sens commun sur
les relations raciales au Brésil.
Le mythe né dans les années 1930 va cependant se
figer, laissant apparaître toujours plus béant le gouffre le
séparant de la réalité, à mesure que les travaux
réellement scientifiques vont crûment mettre en évidence
l'existence d'inégalités raciales.
4. La fondation de l'étude des relations
raciales
La première recherche scientifique
réalisée sur les relations raciales au Brésil est l'oeuvre
d'un Nord-Américain, Donald Pierson. C'est peu surprenant quand on sait
l'intérêt émis par de nombreux voyageurs étrangers
pour ce thème au Brésil. Beaucoup de Nord-Américains
notamment viennent au début du XX° siècle, surpris que les
Brésiliens ne soient pas confronté comme eux à un
« problème noir ». La réthorique du paradis
racial permet d'entretenir cette ambiguïté. Dans le cas de Pierson,
il s'agit d'un sociologue, élève de Robert Park. Il effectue une
recherche à Bahia en 1938 qui l'amène à qualifier la
société brésilienne, dans sa thèse puis dans le
livre Brancos e Pretos na Bahia35(*), de « société multiraciale de
classe ». Il se heurte à deux obstacles, des contraintes dont
il ne parvient pas à se libérer.
D'abord, il subit l'influence de Freyre et de sa vision de
l'histoire, qu'il adopte sans posture critique. D'autre part, il ne prend pas
ses distances avec ses conceptions américaines, et reste donc peu
sensible aux subtilités de la situation brésilienne. En effet, il
observe bien que la couleur peut amener à cataloguer les individus, mais
il n'en déduit pas l'existence de racisme. Au contraire, il
ramène ses observations à des questions de classe, qui sont selon
lui fondamentales dans ces options. Dans la mesure où la couleur ne
représente pas une barrière infranchissable, puisqu'il observe
quelques noirs et métis hors des couches les plus pauvres de la
société, la société brésilienne est donc
composée de classes, dont on peut sortir, et non de castes,
fermées. Analysant la réalité brésilienne avec son
regard formé aux Etats-Unis, il ne peut voir autre chose que l'absence
de ségrégation. Il contribue ainsi à renforcer la
thèse de la démocratie raciale, par le biais d'une caution
scientifique, d'autant plus valable que venue de l'étranger.
L'idée selon laquelle les inégalités au Brésil
s'expliquent uniquement par des facteurs sociaux, élément
fondamental des représentations qui informent le discours non savant sur
les inégalités, s'ancre. Il reprend aussi à son compte
l'idée que les manifestations culturelles et plus
généralement une identité spécifique des noirs sont
amenées à disparaître, car elles font obstacle au
développement économique. D'autres chercheurs poursuivent dans
cette voie jusqu'aux années 1950 et la mise en place du cycle
d'étude de l'UNESCO.
La première partie du XX° siècle est donc
un moment fort dans la définition de l'identité nationale
brésilienne, encore indécise. L'impossible rêve de former
une nation blanche laisse place à l'exaltation du métissage,
même si l'eurocentrisme ne disparaît pas pour autant dans le
discours intellectuel, maintenant l'ambiguïté sur ce que recouvre
cette conception du métissage, où le blanchiment reste un
horizon. Passant du domaine des idées à celui de la politique, on
peut voir que l'émergence du concept de démocratie raciale va
induire une certaine évolution, concomitante de la volonté
d'intégrer les masses populaires au système politique.
B. Action publique et facteur racial : du blanchiment
à l'intégration par le travaillisme
Jusqu'aux années 1930, des politiques implicitement
raciales sont mises en oeuvre. Puis le gouvernement de Getulio Vargas fait
sienne l'idéologie de la démocratie raciale, compatible avec le
discours du travaillisme, qui prône l'intégration des masses
populaires. L'enjeu de cette partie est de voir comment s'articulent
l'évolution des représentations des relations raciales et les
politiques publiques mises en place à cette période.
1. Le blanchiment à l'oeuvre : immigration et
éducation
Une idéologie raciste domine au Brésil au
début du XX° siècle. Elle se caractérise par la
volonté de blanchiment de la population, une politique clairement
eugéniste visant à l'amélioration de la race
brésilienne. Le blanchiment jusque là n'est pas en soi une
politique publique, et ne correspond pas non plus à une doctrine
clairement énoncée. Le souhait de voir la race s'éclaircir
reste du domaine de l'implicite, et recouvre plusieurs sens. Le plus
littéralement, il correspond à la volonté d'augmenter la
proportion de personnes de peau blanche dans le pays, en favorisant la venue
d'immigrants européens. Mais le blanchiment repose aussi sur
l'idée que le mélange racial mènera à la
disparition progressive des Noirs, puis des métis, selon la croyance que
les gènes des Noirs seraient moins résistants que ceux des
Blancs. Enfin, plus métaphoriquement, il suppose l'acculturation des
Noirs, qui doivent renier leur héritage culturel africain.
L'idéologie du blanchiment est donc ambiguë et recouvre en fait des
positions assez différentes : elle peut par exemple être
favorable au métissage ou l'avoir en horreur pour ceux qui
privilégient l'immigration. Elle porte dans tous les cas une vision
méprisante des Noirs, que l'on retrouve au fondement de deux politiques
publiques de première importance dans la période : l'immigration
et l'éducation.
L'immigration est un grand enjeu de la vie politique au
tournant du XIX° siècle. Les producteurs de café souhaitent
remplacer les esclaves par une main-d'oeuvre venue d'Europe. L'Etat et les
planteurs subventionnent le voyage de plusieurs millions d'immigrants. Ainsi,
entre 1884 et 1933, presque un million et demi d'Italiens, un peu plus d'un
million de Portugais et six cent mille Espagnols s'installent sur le territoire
brésilien36(*). Ces
arrivées massives, dans le but explicite de remplacer une main-d'oeuvre
noire qui est livrée à elle-même après l'abolition,
peuvent être considérées comme le résultat d'une
politique publique à fortes connotations raciales. Les élites
considèrent qu'un stock de population européen permettra une
amélioration de la race brésilienne, selon leur perspective
eugéniste. La juxtaposition de l'abandon des populations noires
après l'abolition avec le soutien à l'immigration ne laisse
guère de doute à ce sujet. Il faut attendre jusqu'au gouvernement
de Vargas pour constater une inflexion sur ce sujet.
La question de l'immigration cristallise à partir des
années 1910 les paradoxes de la formation de l'identité nationale
brésilienne, entre métissage et rejet des Noirs par les
élites, en faisant ainsi un moment charnière dans
l'évolution des représentations. Le débat autour de la
possible immigration de Noirs nord-américains, rapporté par Tiago
de Melo Gomes dans l'article « Problemas no
Paraiso »37(*),
illustre bien ces paradoxes. Les faits se déroulent en 1921. Un groupe
de Nord-Américains noirs ne supportant plus la haine raciale dans leur
pays forme le « Brazilian-American Colonization
Syndicate ». Attirés par la réputation du Brésil
comme paradis racial, ils souhaitent se porter acquéreur de terres dans
le Mato Grosso, pour y fonder une colonie. Le débat public au
Brésil s'organise autour d'une proposition de loi émise en
réaction à ce projet avec pour objectif « d'interdire
l'importation d'individus de race noire ». Le sujet est
débattu dans les journaux et à la Chambre des
Députés. Des critiques outrées sont émises contre
ceux qui rejettent explicitement la possibilité d'émigration. Les
discours ouvertement racistes ne sont pas majoritaires dans cette
première phase. Les autres intervenants oscillent entre le désir
de blanchir la nation et l'orgueil de la supposée absence de
préjugé racial, élément de prestige à
l'extérieur.
Dans un second temps, le débat évolue et ses
termes en sont reformulés par les acteurs, d'une question raciale
à une question nationale. Le problème avec ces individus n'est
alors plus qu'ils sont noirs, mais Nord-Américains, c'est-à-dire
formés à la haine raciale, qu'ils pourraient importer avec eux.
La question raciale déjà résolue au Brésil pourrait
être réanimée par ces individus. On reproche aux Etats-Unis
de vouloir déstabiliser le pays en exportant « ses
immondices », ou « ce qui pollue », dans un
vocabulaire qui laisse à penser que la question raciale n'a pas disparu
mais est seulement occultée. Finalement, le projet de loi est
rejeté, certainement par crainte des répercussions à
l'extérieur. Mais la colonie ne sera jamais fondée : le
gouvernement a préféré employer des moyens plus discrets,
notamment en limitant les possibilités de visa. Cet épisode est
assez emblématique d'un double-langage souvent à l'oeuvre dans
l'action publique au Brésil sur la question raciale. La défense
de grands principes universalistes s'accompagne dans la pratique de l'usage
d'expédients pour maintenir les noirs dans une position subalterne.
Dans le domaine de l'éducation, les politiques
publiques mises en place dans les années 1920 et 1930 font du principe
universaliste un fondement. Mais la pratique, qui maintient voire renforce
l'exclusion des Noirs dans le système scolaire, laisse à penser
que le facteur racial, même s'il est rarement explicitement
mentionné, influe dans la définition et surtout la mise en oeuvre
de ces politiques. Le livre Diploma of whiteness, race and social policy in
Brazil ; 1917-1945 de l'historien Nord-Américain Jerry
Davila38(*) explore la
doctrine qui oriente la fondation du Ministère de l'Education et de la
Santé (MES), et analyse les résultats des politiques mises en
oeuvre. Cette période est considérée comme celle de
l'universalisation de l'école publique au Brésil. Davila
démontre qu'elle se réalise sous l'influence des théories
eugénistes, dont les tenants occupent les postes de dirigeants dans
l'administration scolaire, tant au niveau des états que
fédéral. Ils reprennent les arguments du discours sur le
blanchiment, et considèrent l'école comme un lieu décisif
pour l'amélioration de la race. La pensée sociale et raciale de
ces pédagogues est fortement marquée par les enquêtes
hygiénistes des années 1910 et 1920. De fait, le racisme ne
s'exprime plus ouvertement : le discours dominant est alors celui autour
de la dégénérescence sociale dont seraient atteintes les
populations pauvres. Imprégnés de darwinisme social, ils mettent
en place un système rigoureusement sélectif, où la
multiplication des tests et l'orientation précoce contredisent
l'objectif annoncé d'une éducation de qualité pour
tous.
L'émergence dans les années 1930 d'une vision
positive du métissage et la gestation de la démocratie raciale,
qui devient bientôt l'idéologie nationale, ne modifient pas
fondamentalement les orientations de cette politique. Les programmes scolaires
réservent une place importante à l'exaltation de la nation,
derrière laquelle se trouvent implicitement formulés des
critères raciaux. Davila montre comment la figure du
« Brésilien » retenue est celle d'un Blanc. Dans le
cas des professeurs, il existe aussi des mécanismes de discrimination
peu apparents mais très efficaces. Ne correspondant plus au profil
requis, les candidats noirs à l'école normale sont souvent
éliminés par le biais de tests médicaux arbitraires, qui
incluent des notes sur la couleur de la peau et le maintien. Ils provoquent une
grande réduction de la proportion de Noirs dans le personnel enseignant
entre 1910 et 1940.
Le propre de cette période d'intense réforme
scolaire est d'être appuyée sur un appareil théorique fort
et des recherches, dans le but de proposer des avancées
pédagogiques et organisationnelles. Ces études sont souvent
biaisées, notamment réalisées avec des
méthodologies directement importées du Sud
ségrégationniste des Etats-Unis. Ni ces procédés
conçus dans un autre cadre, ni leurs résultats, qui concluent
invariablement à une infériorité intellectuelle des
élèves noirs, ne sont remis en question. On peut déduire
de ces observations un fort enracinement du préjugé contre les
Noirs, dans la société brésilienne et plus
particulièrement dans l'école en tant qu'institution. Le
développement du système scolaire brésilien, même
s'il accompagne l'émergence de l'idéologie de la
démocratie raciale, se fait selon des principes fortement excluants, non
affirmés mais bien ancrés. Un certain décalage existe donc
entre l'image du Brésil forgée par ses interprètes dans
les années 1930 et la réalité d'une domination blanche qui
se réinvente dans l'éducation sous les habits de l'universalisme.
Connaître les principes qui orientent la fondation de l'institution
scolaire au Brésil est en outre très utile pour comprendre les
développements de la question raciale dans l'éducation, objet de
ce mémoire.
2. les politiques d'inclusion de l'Estado novo : la
démocratie raciale comme orgueil national
Davila montre une certaine continuité dans le domaine
de l'éducation entre les politiques des gouvernements Vargas et celles
de ses prédécesseurs. D'une manière plus large, la
période de gouvernement de Getulio Vargas n'est cependant pas
défavorable aux Noirs, qui se retrouvent pour la première fois
pris en compte, en tant que nationaux, par les politiques d'intégration
sociale mises en oeuvre. Getulio Vargas dirige le pays de 1930 à 1945
puis de 1951 à 1954 et donne une nouvelle impulsion à la
construction nationale, au moment où l'affirmation du métissage
comme valeur nationale permet de ne plus nier les racines africaines. Au
contraire, les Brésiliens en adoptent certaines manifestations comme des
symboles nationaux39(*).
La samba devient une danse populaire auprès de toutes les populations,
même de la bourgeoisie, alors qu'elle était jusque là
stigmatisée. On lui préférait les danses
européennes, comme la valse. La capoeira est elle aussi reconnue,
même si la phrase attribuée à Getulio Vargas « la
capoeira est peut-être l'unique sport vraiment national » ne
date que de 1953. Elle illustre néanmoins un changement d'attitude
envers des pratiques culturelles longtemps méprisées. Les
manifestations religieuses marquées par l'héritage africain
deviennent acceptables. Sur le plan symbolique, le processus de formation de la
nation brésilienne en cours inclut donc la reconnaissance des racines
africaines40(*). Cette
période marque sur le plan culturel une rupture avec le
passé : des éléments de provenance
non-européennes bénéficient pour la première fois
d'une reconnaissance officielle. On peut inclure ces avancées dans le
contexte d'une politique d'intégration des masses populaires qui va
bénéficier aux noirs.
Sur le plan économique, cette période correspond
au début de l'industrialisation du Brésil. Des
opportunités d'intégration vont apparaître pour les classes
populaires, notamment en milieu urbain. Prioritairement, il faut toutefois
d'abord prendre en compte la grande frustration née chez les nationaux
brésiliens de l'afflux de la main-d'oeuvre immigrée venue
d'Europe. La politique de blanchiment a entraîné une exclusion
durable des noirs du marché du travail. Le gouvernement Vargas prend la
décision de stopper l'immigration d'Europe grâce à la loi
sur les quotas, auxquels seuls les Portugais ne sont pas astreints. De fait,
les chiffres de l'immigration montrent une chute des flux après
193041(*).
La ligne politique de Vargas est celle du travaillisme. Elle
visait à obtenir le soutien des masses populaires. Pour cela, il
organise la protection du marché du travail à travers un code du
travail très strict et le contrôle des syndicats. Ces mesures,
ainsi que la croissance économique, permettent l'intégration
d'une partie des classes populaires dans la modernité, grâce
à l'amélioration du niveau de vie. Les Noirs ne sont pas exclus
de ce développement et au contraire en sont reconnaissants à
Vargas, qui jouit d'une popularité comparée à celle de
l'Empereur Dom Pedro II42(*). Ce prestige perdure tout au long de sa
carrière et se transmet même à ses héritiers qui
perpétuent la mouvance travailliste, comme Leonel Brizola au sein du PDT
(parti démocratique travailliste). Dans les années 1980, il en
vient à évoquer un « socialisme brun »
(« socialismo moreno »), en référence
à a couleur de peau des électeurs dont il convoite le vote.
Cette attention de Getulio Vargas pour les masses n'est pas
due au hasard : elle répond à une mobilisation dans la
société brésilienne, notamment de son segment noir, qui
développe une certaine activité politique dès le
début du XX° siècle. Elle illustre un basculement dans les
représentations : la présence des Noirs et le
métissage ne sont plus ouvertement critiqués, mais restent
implicitement connotés négativement. A long terme, cela se
traduit par une invisibilisation des discriminations raciales, et le
déni de légitimité pour des revendications le concernant.
Dans ce contexte défavorable, le mouvement noir s'exprime pourtant. Dans
l'optique de traiter des politiques publiques, on ne peut ignorer les facteurs
qui influent dans leur élaboration, et notamment le rôle des
mouvements sociaux. Il convient donc de s'intéresser à l'action
du mouvement noir sur la période.
C. Les difficultés de la mobilisation identitaire
dans le contexte de la démocratie raciale
La mobilisation sociale des noirs est une des plus anciennes
au Brésil, si on la fait remonter jusqu'aux premières
révoltes d'esclave, par exemple. George Andrews43(*), historien
Nord-Américain, étudie l'histoire de ce mouvement au cours du
XX° siècle. Il insiste sur l'influence réciproque,
même si parfois limitée, entre le mouvement noir et l'Etat dans la
formation de ses politiques. Dans une telle perspective, l'intérêt
de revenir sur l'histoire du mouvement noir au XX° siècle est bien
de s'interroger sur le poids avec lequel il a pu peser dans
l'élaboration de politiques publiques, et plus
généralement sur ses rapports avec l'idéologie nationale
en formation au début de la période et les représentations
du sens commun sur les relations raciales.
Il est pour cela nécessaire de connaître les
évolutions du mouvement : on verra ainsi qu'il effectue une
transition d'une position assimilationiste, sensible à l'idée de
démocratie raciale, qui a intégré des
éléments de la pensée raciste dominante, vers une position
beaucoup plus critique, nourrie des résultats de la recherche sur le
sujet et d'expériences internationales. Il faut cependant toujours
garder bien présent l'aspect très minoritaire de ce mouvement,
qui en limite la portée. Mouvement social, son action se situe
plutôt du côté du débat intellectuel que du rapport
de force politique, préfigurant la politique culturelle plus explicite
du mouvement à partir des années 1980. Tout au long de cette
histoire, la tension entre assimilationisme et particularisme est apparente
dans l'action et le discours du mouvement noir, jusqu'à la
période contemporaine. C'est donc aussi l'histoire de ces oscillations,
qui crée une dynamique constitutive du mouvement lui-même, qui est
retracée ici. Dans la période traitée dans cette partie,
la tendance est favorable à l'assimilationisme. Cette inscription dans
le courant dominant des représentations marque les limites d'une
interprétation comme politique culturelle, qui serait anachronique ici.
Malgré des voix discordantes, le mouvement noir dans sa majorité
inscrit sa lutte dans le cadre de la démocratie raciale et ses
revendications, portant notamment sur l'éducation, sont d'ordre social.
1. La presse noire, expression d'une population aspirant
à l'ascension sociale
Une première génération de la
mobilisation noire se structure en milieu urbain au début du XX°
siècle. Né à Campinas, ville de l'Etat de Sao Paulo, le
mouvement de la « presse noire » (« imprensa
negra ») prend rapidement de l'ampleur à Sao Paulo même.
Ces journaux, rédigés et publiés par des Noirs qui
s'adressent aux personnes de la même couleur, sont instables,
éphémères, hormis quelques titres. Ils fournissent
toutefois de précieux indices sur l'état de la pensée d'un
mouvement (re)naissant, dans une période de forte agitation politique au
Brésil. Roger Bastide, pionnier de l'étude des relations
raciales, a analysé ce matériel avec l'idée d'y
repérer « la mentalité d'une race »44(*). Cet énoncé aux
sonorités essentialistes ne doit pas oblitérer la finesse des
observations du sociologue.
On peut constater avec lui que les intellectuels noirs qui
réalisent ces journaux, et participent aussi d'activités sociales
et politiques comme les clubs, ont assimilé une partie des
préjugés racistes qui pèsent sur eux et les personnes
à la peau noire. Les articles sont souvent à vocation
éducative, au sens large du terme, puisqu'il s'agit de faire
l'apprentissage des comportements à adopter dans la
société. Roger Bastide parle ainsi de « puritanisme
noir » : tout à fait dans la tendance des politiques
hygiénistes mises en oeuvre à l'époque, ils prônent
l'élimination des comportements jugés déviants des Noirs
peu éduqués, notamment l'alcoolisme ou une sexualité
exubérante. Les activistes aspirent par là à restaurer
l'honneur de toute la race. Cela passe aussi par la glorification de
personnalités qui ont connu la réussite sociale, comme Luis Gama
ou Cruz e Souza. On peut interroger cette attitude en se demandant où se
situe dans celle-ci la part de stratégie personnelle, dans la mesure
où leur propre ascension est limitée par les
préjugés, alimentés par les couches inférieures,
dont les conséquences touchent tous les membres du groupe. En tous cas,
ils ne se démarquent pas de la pensée dominante sur la
« dégénérescence » des masses
noires.
Cette inscription dans les cadres de pensée de
l'époque est en fait très profonde. Sur cette question de morale,
elle est bien en total accord avec le référentiel
hygiéniste qui structure les politiques publiques en matière
d'éducation et de santé publique jusqu'aux années 1940.
Elle intervient donc sur la morale mais aussi à d'autres niveaux encore
plus importants dans la réflexion menée ici sur les
représentations comme fondements de l'action publique. En effet, ce qui
prime dans le discours de cette génération d'activistes noirs,
c'est l'appartenance nationale, source de légitimité pour la
dénonciation des inégalités et des demandes
adressées aux pouvoirs publics. Le discours autour de la nation
structure toute prise de parole politique, ce qui démontre l'insertion
du mouvement noir dans les tendances plus larges de son époque, mais
constitue aussi une limite importante en vu de la formation d'une pensée
spécifique. L'articulation d'une revendication qui se veut raciale avec
les contraintes inhérentes au nationalisme est complexe à mettre
en oeuvre, et illustre bien les difficultés d'exister d'un tel mouvement
alors que l'idéal de démocratie raciale s'impose à tous
comme idéal national. Comment, en effet, formuler des demandes pour un
segment de population particulier alors que toute spécificité lui
est niée, au nom d'un universalisme aveugle, qui caractérise le
brésilien par son métissage ? C'est là le dilemme
permanent d'un mouvement qui peine à exister. Mais le respect du
principe nationaliste dans le discours et les représentations ne
signifie pas non plus une impossibilité de s'organiser, comme le montre
le succès du Front Noir Brésilien (Frente Negra Brasileira,
FNB)
2. Le FNB, l'appartenance nationale avant le
particularisme
Le FNB est l'héritier de la génération de
la presse noire et des clubs. Une grande partie de ces activistes se regroupent
au sein de ce parti, fondé en 1931, sur lequel Florestan Fernandes
fournit de nombreuses indications45(*). Il compte plusieurs milliers d'adhérents, et
pèse d'un poids certain sur les décisions du gouvernement de
Getulio Vargas, notamment la politique d'immigration. Sur ce sujet, le lien
entre affirmation identitaire et exaltation de la nation se fait assez clair.
C'est en effet au nom de la « brésilianité »
totale des Noirs qu'il serait injuste de favoriser les immigrés. Les
Noirs, brésiliens depuis plusieurs générations, actifs
dans l'édification de la nation, réclament plus de
considération et l'obtiennent, avec l'arrêt de l'immigration. Le
FNB prend des accents fascistes lorsqu'il parle de nation : il se situe
dans la mouvance intégraliste, l'aile droite de la coalition
hétéroclite que réunit Vargas. Son influence sur celui-ci,
et réciproquement, est certaine. Lorsque Vargas ordonne la fermeture du
Congrès, dissout les partis politiques et proclame l'Estado Novo,
l'élan qui accompagne la formation d'un groupement politique de Noirs
est momentanément brisé46(*).
L'action du mouvement noir dans cette période est bien
caractérisée par son inscription dans les cadres de la
pensée nationale. Il n'est pas formulé de revendications
particularistes, mais un souhait d'égalité, au nom de
l'appartenance historique à la nation, opposée à la
condition d'étranger des immigrés. Il s'agit néanmoins
d'un moment important de l'histoire de la mobilisation politique noire, dans la
mesure où le FNB est une organisation de masse, dont le poids ne sera
plus atteint par aucun regroupement politique revendiquant l'identité
raciale. Il pèse sur les décisions politiques, et notamment
l'orientation vers l'intégration du travaillisme de Vargas. Le FNB est
emblématique d'un « activisme
antidiscriminatoire »47(*)qui caractérise le mouvement noir
brésilien, plus que la référence à une culture
noire ou africaine, totalement absente à ce moment là. La
revendication fondamentale est celle d'une « seconde
abolition », qui doit permettre aux Noirs d'être pleinement
intégrés à la société, sans particularisme,
un objectif loin d'être atteint.
Le Brésil, s'il a trouvé une doctrine lui
permettant de faire du caractère métissé de la population
un motif d'orgueil national, n'en a pas pour autant réglé sa
question raciale, dans la mesure où cette exaltation du métissage
va de pair avec une survalorisation de la composante européenne et
blanche et l'installation dans une situation de pauvreté persistante
pour un grand nombre de Noirs. La représentation dominante, notamment
dans les discours politiques, devient pourtant celle d'une nation
d'égaux, où les relations raciales seraient cordiales. Toutefois,
cela ne se reflète pas dans les politiques mises en oeuvre, notamment
dans les domaines de l'éducation et de l'immigration, avant qu'une
certaine inflexion ne soit donnée sous la bannière du
travaillisme de Vargas, qui a fait de l'intégration des masses
populaires une priorité, et compte avec le soutien d'un mouvement noir
porteur d'un nationalisme fervent. Dans la seconde moitié du
siècle, la non-réalisation de la démocratie raciale
amènera le mouvement noir, inspiré par les nouveaux
développements de la discussion académique sur le sujet, à
prendre ses distances avec le discours national généreux mais
souvent limité aux paroles.
II. Le retour de la question raciale à travers
la remise en question de la démocratie raciale et un réveil
identitaire (1945-1980)
Dans cette seconde période, alors que la recherche
scientifique met en évidence le caractère mythique de la
démocratie raciale, l'action publique en reste à des gestes
symboliques, ce qui conduit le mouvement noir à se radicaliser, tant
politiquement que sur le plan identitaire. Des années 1950 à
1970, la question raciale est reléguée au second plan par des
gouvernements qui ont adopté la rhétorique de la
démocratie raciale, sans toutefois chercher à la réaliser
dans la pratique. La représentation d'une société
métissée, aux relations sociales harmonieuses, est en position
hégémonique. Cette partie ne contient donc pas de section
dédiée aux politiques publiques. Quelques éléments
liés à l'évolution de l'identité noire au
Brésil apparaîtront au second point, consacré à
l'évolution du mouvement noir.
A. La fin du mythe : l'existence du racisme au
Brésil
Le caractère mythique de la démocratie raciale
est progressivement mis en évidence par deux générations
de chercheurs. A la fin des années 1970, un travail sur les statistiques
officielles établit l'existence de discriminations.
1. Le cycle de l'UNESCO, à la recherche du
préjugé racial
Au sortir de la seconde guerre mondiale, le concept de race
est totalement discrédité dans un monde encore sous le choc des
horreurs nazies. La communauté scientifique en vient d'ailleurs à
bannir le terme, que l'on remplace généralement par ethnie.
Politiquement, la création des Nations Unies est censée
empêcher la répétition de tels événements.
L'UNESCO, organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et
la culture, se place en première ligne du combat contre le racisme.
Voulant promouvoir l'harmonie des relations raciales, l'organisation
décide de financer des études au Brésil,
« paradis racial » supposé. Elle s'associe à
d'autres institutions dans un montage assez complexe qui permet de financer les
travaux de différents chercheurs, dont Florestan Fernandes et Roger
Bastide, sur divers terrains, du Nordeste au Sud du Brésil48(*).
Ces recherches marquent une évolution dans le
débat, même si elles ne produisent pas un résultat
homogène : chaque projet garde une certaine autonomie. Le
débat se focalise sur l'existence ou non du
« préjugé racial » au Brésil, que
Donald Pierson avait nié. Continuant à s'appuyer sur une
compréhension de la race comme un groupe fermé, une caste, ces
études ne retiennent pas l'origine raciale comme facteur explicatif
d'inégalité. Les variables socio-économiques restent
dominantes, dans une époque marquée par le marxisme. Cependant,
le cycle de l'UNESCO permet un certain rapprochement avec la
réalité brésilienne, que des auteurs comme Charles Wagley,
Roger Bastide, Florestan Fernandes ou Thalès de Azevedo s'efforcent de
comprendre sans recourir à des modèles extérieurs. En
résulte une meilleure conceptualisation du
« préjugé de couleur », qui ne rend pas
impossible l'ascension sociale d'un Noir, mais la complique fortement. A la
couleur sont attachés certains attributs sociaux dont on peut se
défaire, ce qui ne cesse de dérouter les chercheurs. Wagley
décrit ainsi :
N'importe quelle personne qui exerce une profession
non-manuelle, qui a fait des études secondaires, qui provient d'une
famille respectée et connue ou qui est blanc pourra, par exemple,
être situé dans la classe supérieure locale, même
s'il est pauvre. Un noir devra remplir toutes les autres conditions requises
pour être admis dans cette classe malgré son type
physique49(*).
Le plus surprenant avec ces études reste le
décalage entre l'acuité de leurs observations et la
difficulté apparente à conceptualiser une forme de racisme,
certes pas si explicite qu'aux Etats-Unis à la même
période, mais néanmoins existant. Les raffinements
théoriques du débat autour de l'existence d'un
préjugé de couleur ou racial éloignent d'un traitement de
la situation des Noirs telle qu'elle est. Ces travaux représentent
pourtant un tournant dans l'étude des relations raciales : elle acquiert
le statut de discipline dans les science sociales brésiliennes ;
ils permettent de rompre avec l'aveuglement d'une société dont le
racisme serait étranger ; les chercheurs qui y ont participé
sont encouragés à poursuivre la réflexion sur ce sujet.
Ils favorisent aussi la rencontre entre des chercheurs et des membres du
mouvement noir, notamment à Sao Paulo50(*). La dénonciation du mythe de la
démocratie raciale par Florestan Fernandes prend sa source dans
l'étude menée en compagnie de Roger Bastide sur les Noirs
à Sao Paulo.
2. La dénonciation du mythe de la démocratie
raciale
En 1955, Florestan Fernandes publie avec Roger Bastide
Brancos e negros em Sao Paulo51(*), fruit de leur collaboration pour le projet
UNESCO. Sur la base des enquêtes menées à l'époque,
Fernandes va poursuivre sa réflexion pour finalement publier en 1964
A integraçao do negro na sociedade de classe52(*). Pour la première
fois, il dénonce la démocratie raciale comme un mythe visant
à assurer la suprématie blanche en limitant les
possibilités d'engagement des Noirs. Il présente un tableau
alarmant de la situation des Noirs depuis l'abolition, qu'il explique en grande
partie par le traumatisme de l'esclavage. L'organisation de la
société autour de ce mode de production a détruit toutes
les structures sociales de cette population, qui s'est retrouvée
démunie lors de la transition d'une société de caste, la
société traditionnelle brésilienne, à une
société de classe, impulsée par le développement
capitaliste.
L'analyse de Fernandes est ancrée dans le marxisme. Du
point de vue de l'étude des relations raciales, cela le conduit à
considérer que les problèmes de racisme sont amenés
à disparaître avec le développement économique, en
tant que survivance archaïque du régime esclavagiste. Le
préjugé racial a selon lui pour fonction de permettre le maintien
des privilèges de l'ordre antérieur. Les identités
particulières sont vouées à se dissoudre dans la
modernité capitaliste : elles ne sont que des survivances du
passé, comme les inégalités raciales, héritage de
l'esclavage. Michael Hanchard critique Fernandes sur ce point, le rapprochant
même de Freyre : les argumentations des deux auteurs partageraient
cette faiblesse d'attribuer la responsabilité de la situation des Noirs
au traitement reçu par le passé53(*).
Cette faiblesse ne doit pas occulter l'avancée
décisive réalisée dans l'interprétation des
relations raciales au Brésil lorsque Fernandes révèle la
tromperie constituée par le mythe de la démocratie raciale. Cette
ligne de recherche ne pourra cependant pas être approfondie avant une
décennie, puisque la dictature qui s'installe décrète dans
les actes constitutionnels de 1964 « l'interdiction sociale de parler
du racisme »54(*). La recherche sur le sujet se trouve alors suspendue
jusqu'à la fin des années 1970.
3. Le racisme à l'oeuvre : mise en
évidence de la discrimination
Le dernier grand tournant de cette histoire encore en marche
de l'interprétation des relations raciales a lieu au début des
années 1980. Deux chercheurs, Carlos Hasenblag et Nelson do Valle Silva
en sont les instigateurs. Ils rompent avec la conception du racisme comme une
idéologie, pour chercher plutôt à le mettre en
évidence dans la structure sociale. Les résultats qu'ils
obtiennent sont éloquents. En travaillant sur des bases de
données statistiques, ils mettent en évidence que, quels que
soient les domaines, le marché du travail, l'éducation, la
santé, les Brésiliens non-blancs se retrouvent toujours, toute
chose égale par ailleurs, en position inférieure. Cette
catégorisation en tant que non-blanc est elle aussi importante. Ils
l'obtiennent en additionnant les catégories
« pardo » et « preto » du recensement.
Leur explication se distingue de celle de Florestan Fernandes. Carlos Hasenblag
écrit ainsi, dans Discriminaçao e desigualdades
sociais :
« La discrimination et le préjugé
racial ne se maintiennent pas intacts après l'abolition mais, au
contraire, acquièrent de nouvelles significations et fonctions à
l'intérieur de nouvelles structures et les pratiques racistes du groupe
dominant blanc qui perpétue la subordination des noir ne sont pas de
simples archaïsmes du passé, mais ils sont fonctionnellement
liés aux bénéfices matériels et symboliques que le
groupe blanc obtient de la disqualification compétitive des
non-blancs.»55(*)
Les inégalités contemporaines ne prennent donc
pas leurs racines dans le passé mais sont le produit de discriminations
quotidiennes, ce que Nelson do Valle décrit comme un
« processus d'accumulation des
désavantages »56(*). Il existe donc bien selon eux des processus
contemporains de discrimination, à l'oeuvre dans la
société brésilienne. Leurs travaux vont permettre une
réorientation de l'étude des relations raciales, notamment vers
la mise en lumière de ces processus de discrimination. Des
économistes approfondissent cette méthode statistique et
obtiennent la divulgation des résultats dans des médias grands
publics. Il devient de ce fait assez difficile de nier de bonne foi que les
Noirs sont victimes de discrimination.
L'explication reste toutefois source de controverses,
l'opinion répandue en dehors du monde des sciences sociales étant
qu'aucun facteur racial n'intervient, les inégalités
n'étant que le résultat de différences
socio-économiques. L'idée d'un racisme structurel reste
très polémique, car la distinction avec l'idéologie
raciste n'est pas faite par la grande majorité des Brésiliens. Or
l'accusation de raciste reste l'une des plus infamantes qui puissent être
portées contre un individu. Ces thèses connaissent donc quelques
difficultés pour se répandre, laissant quasi intacte la
représentation dominante fondée sur le mythe de la
démocratie raciale.
Au terme de ce retour sur les évolutions de
l'interprétation des relations raciales au Brésil, il convient de
revenir sur le dernier point soulevé. Il s'agissait bien d'une
révision des opinions savantes, à prétentions
scientifiques, sur la question. L'influence que les sciences sociales peuvent
avoir sur le sens commun est difficilement perceptible. Le cas des relations
raciales au Brésil est particulièrement problématique,
lorsqu'on observe le décalage entre la perpétuation du mythe de
la démocratie raciale et l'évolution du débat
académique. Toutefois, il devient difficile aujourd'hui de nier la
réalité des discriminations souffertes par les populations
noires, que la presse, les médias en général, ont
commencé à critiquer. Il y a néanmoins une grande
différence entre reconnaître ces inégalités et se
mettre d'accord sur ces causes, sans même parler d'intervenir en
matières de politiques publiques. Les relations raciales restent bien un
sujet polémique au Brésil, sur lequel ni les individus ni les
institutions n'aiment trop se risquer.
Les avancées de la recherche scientifique sur les
relations raciales vont être reprises et utilisées par un
mouvement noir devenu perméable aux discussions académiques. De
fait, les travaux de Fernandes et Hasenbalg sont une source d'inspiration
directe pour des militants qui deviennent plus radicaux, à mesure que
les promesses de la démocratie raciale se révèlent non
tenues et que les opportunités de contestation se font plus nombreuses
avec l'ouverture du régime.
B. La radicalisation du mouvement : critique de la
démocratie raciale et réveil identitaire
Le positionnement politique du mouvement noir évolue
fortement dans cette seconde moitié du vingtième siècle.
Sans renier l'identité nationale, il en vient cependant à
formuler des revendications particularistes, et s'affirme comme un mouvement
dépositaire d'une identité propre. La critique du mythe de la
démocratie raciale devient sa principale bannière de lutte. Il
entre alors dans un conflit d'interprétation, premiers pas d'une
politique culturelle, en proposant une lecture raciale des
inégalités.
1. L'émergence d'une revendication proprement
identitaire
La dissolution du FNB marque un coup d'arrêt dans la
mobilisation politique des Noirs. Il n'a plus existé depuis un mouvement
d'une telle ampleur en terme de participation, même si le mouvement
contemporain est peut-être plus influent. Une nouvelle émanation
du mouvement noir, sans lien direct avec le FNB, apparaît dans les
années 1950. Le Théâtre Expérimental du Noir (Teatro
experimental do negro, TEN) est une organisation formellement atypique,
indissociable de la personnalité complexe de son leader, Abdias do
Nascimento. Créé pour donner la possibilité à des
acteurs noirs de monter sur scène, il devient un appareil de
militantisme qui infléchit la ligne du mouvement noir en lui donnant une
teneur plus culturelle. Il est d'ailleurs assez difficile de classer cette
organisation, au vu de son rôle tant dans le débat intellectuel
que dans l'activité politique. Jouant surtout sur le plan symbolique, il
entre en collision avec l'idéal national d'une population métisse
pour revendiquer une identité noire et pas seulement métisse.
Cette identité noire serait, dans la construction élaborée
par le sociologue Guerreiro Ramos, autre figure du TEN, celle de la
majorité, du peuple. C'est une représentation minoritaire qui
s'oppose à celle de la pensée dominante, d'autant que
derrière le métissage se cachait encore souvent la perspective
d'un Brésil blanc57(*).
Il est difficile de mesurer quelle a pu être
l'influence du TEN dans son époque. Il ne semble pas avoir pesé
dans la définition des politiques publiques comme le FNB, mais il
représente néanmoins une inflexion dans la ligne politique du
mouvement noir. Des éléments culturels deviennent très
importants, à travers des manifestations comme les concours de
beauté, dont le but est de restaurer l'estime de soi des populations
noires, en proposant d'autres patrons de beauté que celui dominant, qui
privilégie les marques d'une ascendance européenne plutôt
qu'africaine. Il s'agit donc de sortir de la perspective du blanchiment, qui
mine l'estime de soi des populations noires, dont la majorité fuit de sa
propre identité sous l'effet des idées racistes prégnantes
dans la société. L'ambiguïté demeure cependant sur la
portée de cette affirmation d'une culture propre. Comme le remarque
Antonio Sergio Guimaraes, le discours du TEN « oscille entre la
recherche du dépassement des pratiques culturelles dites
« africaines » ou
« rétrogrades », d'un côté, et, de
l'autre, l'affirmation d'un certain ethos noir, aussi
« africain », d'émotion et d'expressivité,
qui se manifesterait spontanément dans les arts »58(*).
L'influence du TEN est plus à mesurer sur le long terme
au sein même du mouvement noir. Il représente un moment de
transition entre l'assimilationisme et le particularisme, qui conduit le
mouvement noir sur le terrain d'une politique culturelle. Une certaine
transition est aussi à l'oeuvre dans le discours officiel de l'Etat
brésilien, sans que l'on puisse directement relier ce
phénomène à l'action du TEN. Le gouvernement militaire en
place depuis 1964 a des objectifs ambitieux de politique
étrangère en Afrique, dont les pays deviennent
indépendants. La légitimité de telles ambitions s'appuie
sur les racines africaines du Brésil qui, pour la première fois,
sont valorisées. Les manifestations
« afro-brésiliennes », terme forgé dans ce
contexte, comme la capoeira ou le candomble, sont encouragées. Le
mépris que l'on attachait à ces activités diminue, elles
acquièrent une certaine légitimité. Il existe donc un
effet d'aspiration pour les militants d'une identité noire culturelle,
qui va prendre de plus en plus d'importance. Les personnes qui portent cette
identité ne sont pas nécessairement des militants politiques,
d'autant que cette ouverture à l'héritage culturelle africain a
lieu pendant la période de dictature. Sur le long terme, l'effet est
néanmoins très important, puisque apparaissent les ferments de ce
que sera l'identité noire portée par le mouvement dans les
années 1980 et 1990.
2. Briser un tabou : le MNU et la critique de la
démocratie raciale
De nombreux animateurs du mouvement noir, tels Florestan
Fernandes ou Abdias do Nascimento, sont contraints à l'exil par la
dictature. A l'étranger, les militants élargissent leur
influence, préparant une nouvelle orientation du mouvement noir, qui
s'insère dans une mouvance transnationale. Deux événements
sur la scène internationale ont un grand impact sur les mutations du
mouvement noir brésilien : les luttes pour la décolonisation en
Afrique et pour les droits civils aux Etats-Unis. Les activistes qui assimilent
ces influences vont rapidement se démarquer des positions
traditionnelles du mouvement noir, respectueux au moins de l'idéal de
démocratie raciale. Ils brisent ce tabou, reprenant à leur compte
les analyses de Florestan Fernandes sur le mythe de la démocratie
raciale. Le caractère purement incantatoire de l'expression a de fait
été rendu très visible par le coup-d'état : la
démocratie disparue, il devient plus difficile de maintenir l'illusion
portée par l'expression. La critique du mythe devient le thème
central du discours du mouvement noir.
Ces évolutions politiques conduisent à une plus
grande radicalité des militants. Do Nascimento formule ainsi sa doctrine
du « quilombisme »59(*), qui exerce une grande influence sur les militants de
la fin des années 1970. Il affirme la nécessité pour le
Noir brésilien de se révolter et se place, par le nom
même60(*), dans la
lignée des esclaves en lutte. Il se réclame des racines
africaines des Noirs brésiliens, qui ne sont pas pour lui une
minorité mais bien la majorité au Brésil, dès lors
que l'on associe tous ceux ayant des racines africaines,
« pardos » et « pretos ». La
signification moderne de « negro » est formulée
à ce moment là, reprise par le mouvement noir, qui opère
la même révolution que Hasenbalg dans la recherche, en associant
tous les individus aux origines africaines marquées.
« Negro » devient une définition politique dont on
peut se revendiquer. Surtout, l'interprétation politique des relations
raciales au Brésil proposée par le mouvement noir repose sur une
opposition binaire, entre Noirs et Blancs, qui va totalement à
l'encontre de la traditionnelle conception d'un continuum de couleurs
résultant du métissage. Elle fonde une autre
représentation des relations raciales. Il lui sera d'ailleurs souvent
reproché de transposer des conceptions étrangères à
la mentalité brésilienne. Les idées propagées par
le mouvement font l'objet de nombreuses tentatives de disqualification en tant
que produit d'importation venu des Etats-Unis, un critique de poids
étant Gilberto Freyre lui-même61(*).
On observe donc la conjonction de phénomènes
culturels et politiques. Culturellement, un retour aux racines permet la
construction d'une identité noire assise sur l'héritage africain
et une histoire d'oppression commune. Politiquement, le Mouvement Noir
Unifié (« Movimento Negro Unificado », MNU),
fondé en 1978, incarne une radicalisation de la militance,
alimentée par des expériences internationales. Il est
composé en grande partie de diplômés de l'enseignement
supérieur noirs qui n'ont pu trouver de situations à la mesure de
leur espérance : la déception de cette
génération par rapport à l'idéal proclamé de
démocratie raciale est très grande. La rencontre de cette
déception avec les analyses de Florestan Fernandes et Carlos Hasenblag
et la doctrine de Abdias Do Nascimento donne sa teneur radicale au mouvement,
positionné à l'extrême gauche. Le plus important reste la
remise en cause du mythe de la démocratie raciale : il s'agit du
point de départ d'un conflit de représentations. La situation de
dictature interdit l'existence d'un espace de négociation où le
mouvement noir pourrait peser sur les politiques publiques. Mais le retour
progressif de la démocratie va donner aux mouvements sociaux en
général une grande liberté d'expression et un
véritable pouvoir d'influence.
Il s'agissait donc dans cette partie de survoler plus de
cinquante ans d'activisme noir, dans le but de mieux saisir les rapports que
peut entretenir une telle mobilisation politique avec la pensée
dominante brésilienne et ses institutions, du point de vue des
représentations. Les évolutions sont très importantes
entre le FNB et le MNU, considérés plus comme des symboles de
l'état de la réflexion sur la condition des Noirs au
Brésil qu'en tant qu'organisations politiques. L'adhésion du
mouvement noir au mythe national de la démocratie raciale
s'étiole durant cette période. D'un mouvement noir qui
réclame son intégration au nom de sa
« brésilianité », reprenant à son
compte le discours national universaliste, on passe ainsi à
l'affirmation d'une identité noire, dont les racines sont africaines et
l'inspiration internationale. Il faut toutefois se garder d'opposer ces
mouvements : s'ils diffèrent sur les modalités d'action, et
sur la question identitaire, ils n'en partagent pas moins une communauté
de revendications antidiscriminatoires, fondée sur la
dénonciation des inégalités subies par les
Afro-Brésiliens, mises en évidence par les sciences sociales.
On voit bien que, dans ce processus de formation de la
revendication noire telle qu'elle apparaît dans les années 1980,
la discussion académique a été relativement importante,
surtout dans la seconde phase, où le discours du mouvement noir devient
très perméable aux avancées scientifiques. Du point de vue
de ses relations avec les pouvoirs publics, cette seconde phase se
caractérise par une interaction assez limitée. Il semble que le
mouvement noir était dans un processus de maturation, qui l'amène
à prendre de l'ampleur dans les années 1980, et à
développer alors une politique culturelle. Les circonstances s'y
prêtaient assez peu aussi : l'opportunité politique d'une
critique des institutions est quasi nulle en période de dictature. La
libéralisation, qui prend de l'ampleur à la fin des années
1970, permet à ces nouvelles sensibilités de s'exprimer. Dans le
deuxième chapitre, la réflexion portera sur la nature de ces
nouvelles revendications, et les modalités de leur traduction dans le
jeu politique de la démocratie reconquise, avec un intérêt
spécifique pour le secteur de l'éducation.
.
Chapitre II : l'émergence des
revendications du mouvement noir dans le champ politique dans la
démocratie retrouvée (1980-2000)
Sur l'axe déjà évoqué permettant
de définir le positionnement du mouvement noir entre l'assimilationisme
et le particularisme, les revendications se sont progressivement
déplacées vers le second pôle. Le mouvement noir porte
cette demande de reconnaissance dans le champ politique, à la faveur du
processus de transition démocratique à l'oeuvre dans le
Brésil des années 1980. Il y rencontre de grandes
difficultés à faire valoir sa position critique de la
démocratie raciale, encore retenue par la classe politique comme un
fondement de l'identité nationale. Son action, et le traitement qu'elle
reçoit, suivent la trame de la transition démocratique, puis du
redéploiement de l'Etat selon le modèle néolibéral,
qui rend nécessaire la recherche d'autres sources de
légitimité pour les gouvernants. La pression du mouvement dans ce
contexte va lui ouvrir finalement quelques opportunités et permettre
quelques avancées dans sa demande de reconnaissance, exprimée
particulièrement dans le domaine de l'éducation.
Ce deuxième chapitre ne suit pas le modèle
tracé dans le précédent, même si l'ambition reste
fondamentalement la même : s'interroger sur le rapport entre les
représentations du discours dominant sur les relations raciales qui
inspirent les politiques publiques et les revendications du mouvement noir,
c'est à dire sur le conflit de représentations au coeur de la
politique culturelle du mouvement noir. Il sera abordé dans un premier
temps la maturation des revendications du mouvement noir et la place centrale
accordée à l'éducation dans celles-ci. La seconde partie
s'attachera à retracer le parcours de ces revendications dans le champ
politique depuis le débat autour de la nouvelle Constitution,
promulguée en 1988, au vote de la loi 10.639, qui donne satisfaction en
2003 à la demande récurrente d'une obligation de l'enseignement
de l'histoire des Afro-Brésiliens à l'école. La
réception de ces demandes est lente et résulte d'un processus
conflictuel. Le succès est obtenu grâce à l'ouverture de
canaux de dialogue entre l'Etat et le mouvement noir, sous la pression de ce
dernier.
I. La formation d'une revendication sur
l'éducation au sein du mouvement noir
Le mouvement noir réalise dans les années 1980
la synthèse d'un discours politique plus radical et marqué
à gauche, de la dénonciation scientifique du racisme et du
travail culturel effectué par des groupes plus éloignés du
champ politique, qui, par un retour aux racines africaines, ont fortifié
l'identité de nombreux militants. Le MNU est une incarnation de cette
synthèse mais ne saurait la résumer, car le mouvement noir
déborde du cadre des partis, en grande partie à cause de son
caractère informel. Dans la critique de la démocratie raciale et
la réélaboration de l'identité nationale qu'il propose,
l'éducation est d'une importance fondamentale, puisqu'elle est le lieu
par excellence où se forment les représentations de la nation,
donc où elles peuvent évoluer.
A. Un réseau en gestation
Bien que son ambition soit de représenter le mouvement
noir en son entier, le MNU n'en reste qu'une des tendances les plus radicales.
Des militants plus modérés, qui souhaitent participer tout autant
que peser sur l'action publique font le choix d'un engagement partisan au sein
d'un système de partis en pleine recomposition, dans la période
de libéralisation du régime, au cours des années 1980.
1. L'action politique du MNU
Le MNU constitue une rupture par rapport aux organisations
traditionnelles du mouvement noir et aux domaines dans lesquels ils agissaient.
Dans ce mouvement noir au sens large, les principales institutions
exerçaient leur influence dans le domaine culturel, comme les
écoles de samba par exemple. Le MNU effectue une synthèse entre
le réveil identitaire qui alimente l'identité culturelle, de plus
en plus légitime, et une action plus spécifiquement politique,
pour combattre les discriminations, le tout dans un contexte de crise de
l'identité nationale brésilienne. Cette synthèse est
qualifiée par Michael Hanchard de « troisième
voie », choisie par l'aile la plus politique du mouvement
noir62(*). L'expression
rend compte de la volonté de mener de front une lutte sur les questions
de classe et de race, sans privilégier les premières sur les
secondes, de fait plutôt à l'inverse. La formation marxiste,
parfois trotskiste, des fondateurs du MNU, est une influence de poids, mais ces
militants sont à la recherche des voies pour l'accommoder à leur
sensibilité culturelle. Surtout, ils ont conscience de la faillite du
discours progressiste en ce qui concerne l'amélioration des conditions
de vie des populations noires et des profondes inégalités que le
mythe de la démocratie raciale ne peut cacher.
La naissance de cette organisation politique a lieu dans le
cadre de la lutte contre les discriminations. Elle intervient à la suite
de l'assassinat par la police de Sao Paulo d'un chauffeur de taxi noir en avril
1978. Des militants de Sao Paulo et Rio créent le Mouvement noir
unifié contre la Discrimination raciale (MNUCDR), dont le nom est
rapidement réduit au sigle déjà connu. Le MNU agit dans le
contexte de l'effervescence de mouvements sociaux des deux plus grandes villes
brésiliennes. Dans leur première manifestation publique,
réalisée sur les marches du théâtre municipal de Sao
Paulo, les militants proclament :
« Le Mouvement noir contre la discrimination
raciale a été créé comme un instrument fondamental
de la lute pour la communauté noire. Ce mouvement doit avoir comme
principes fondamentaux de dénoncer en permanence tous les actes de
discrimination raciale, l'organisation constante de la communauté dans
le but d'affronter tout type de racisme. »63(*)
Cet extrait permet de mieux saisir l'articulation faite par ce
mouvement entre une formation et une rhétorique marxiste, dans laquelle
la lutte sociale est fondamentale, et la référence à la
communauté, pour laquelle ils doivent lutter. Leur allégeance va
donc prioritairement à une identité partagée plus
qu'à une classe.
Le MNU souhaite s'établir lors de sa création
comme une sorte de fédération, qui regrouperait les demandes des
autres organisations noires pour les formuler en termes politiques. Cependant,
il ne parvient pas à s'imposer dans ce champ très concurrentiel,
ni à peser sur les grandes batailles politiques. Il marque surtout
l'époque par sa capacité à attirer l'attention des
médias au cours de manifestations spectaculaires, qui donnent une
visibilité, à défaut de légitimité, à
la critique de la démocratie raciale. L'organisation continue à
exister sans peser d'un grand poids.
Il échoue en partie en cela à cause des
affiliations multiples de ses membres, qui combinent leur engagement selon le
critère racial avec des combats au sein d'organisations politiques ou
syndicales auxquelles ils dédient finalement plus de temps. C'est
à l'image de la difficulté de formuler des demandes politiques
fondées sur une distinction raciale au Brésil : les
opportunités sont assez faibles. Le travail de conscientisation en
direction des Noirs brésiliens est assez difficile, car beaucoup de
Noirs eux-mêmes n'en reconnaissent pas la légitimité, les
métis manifestant en général une grande réticence
à s'identifier comme noir64(*). Face à ces difficultés, pour parvenir
à faire entendre leurs revendications, certains militants choisissent
une voie originale : militer au sein d'organisations agissant sans
référence à la question raciale.
2. La dissémination dans les partis
Beaucoup d'activistes présents lors de la fondation du
MNU participent aussi de la création du Parti des Travailleurs (PT),
nouvelle force politique au Brésil au début des années
1980, confluant entre les mouvements sociaux et la politique partisane. Ils
souhaitent influencer la ligne du parti pour qu'il prenne en compte la
thématique de la discrimination raciale, ce qui, même à
gauche, suscite majoritairement de la réticence : le thème
est souvent considéré comme illégitime, au mieux loin
d'être prioritaire. C'est ainsi qu'un noyau afro-brésilien est
créé dans le Parti des Travailleurs, puis au sein du PDT (Parti
Démocratique des Travailleurs). Dans les autres partis, comme le PMDB
(Parti du Mouvement Démocratique Brésilien), principal parti
d'opposition durant les années 1980, des militants noirs expriment leur
sensibilité propre sans toujours fonder de tels groupes. Le mouvement
politique noir, un réseau, fonctionne en fait de manière assez
informelle. Cela est certainement dû en grande partie à
l'irrecevabilité de la critique de la discrimination raciale. Pour la
majorité de la société brésilienne, et plus
spécialement encore pour la majorité de la classe politique, il
s'agit d'une vision illégitime voire dangereuse du pays, d'abord car
elle s'oppose à la tradition réaffirmée de la
démocratie raciale, ensuite car elle pourrait diviser le pays selon des
lignes de fracture qui selon eux n'existent pas. Le problème pour ces
militants noirs, quelle que soit leur formation d'origine, est d'abord de faire
accepter la singularité de leurs revendications65(*). Le conflit de
représentations dans lequel ils s'investissent est difficile à
mener, car leur position est très minoritaire. Ils sont
confrontés à l'enracinement de la croyance en l'absence
d'inégalités raciales et au maintien diffus, sous couvert du
discours sur la démocratie raciale, d'un préjugé contre
les éléments d'origine africaine dans la culture et la population
brésilienne. Ces idées sont centrales dans la définition
des politiques publiques, et peuvent être considérées comme
le référentiel global qui l'inspire.
Les revendications de ces militants, issus de formations
diverses mais réunis par le combat contre le racisme, peuvent être
classées en quatre domaines, d'après Antonio Sergio Guimaraes :
- politique de reconnaissance, c'est à dire l'affirmation de l'existence
de différences raciales et culturelles dans la société
brésilienne, et du rôle des afro-brésiliens dans la
construction nationale
- politique d'identité, avec pour objectif la
croissance du nombre de personnes se reconnaissant d'une identité
spécifique noire, élargissant ainsi par conséquent la base
de ses soutiens ; ces deux éléments correspondent à
une politique culturelle, dans le sens où ils sont à l'origine
d'un conflit de représentation
- politique de citoyenneté, soit le combat contre les
discriminations raciales et l'affirmation des droits civiques des noirs
- politique de redistribution, sous forme de mécanisme
d'action affirmative66(*)
dans une logique de réparation67(*)
Ces quatre axes de revendication ne sont pas excluants les
uns des autres. Ils correspondent à différents aspects du travail
politique d'un mouvement noir qui ne dispose pas d'une base électorale
stable et se voit obligé de rentrer dans une logique de pression sur les
gouvernants. Ils recouvrent des demandes symboliques et d'autres plus
substantielles, recevant des réponses plus ou moins favorables.
Parmi ces réponses figure, dès 1984, la mise en
place par l'Etat de Sao Paulo d'un Conseil de la Participation et du
Développement de la Communauté Noire (« Conselho de
Participaçao e desenvolvimento da Comunidade Negra »), autant
en réponse aux pressions du mouvement qu'en récompense pour le
soutien apporté au candidat vainqueur de l'élection pour le poste
de gouverneur en 1983, Francisco Montoro. Ce conseil, dominé par des
membres du PMDB, parti dont le gouverneur de l'Etat est membre, servira de
modèle à la mise en place d'institutions similaires dans d'autres
villes du pays68(*). Il a
pour but de réaliser des études sur les conditions de vie des
noirs, la lutte contre les discriminations, et la proposition de solutions par
la communauté noire qu'il est censé réunir et
représenter. Il est pourtant objet de polémiques qui
reflètent la diversité du mouvement noir. Ceux qui en
défendent l'existence sont accusés d'être cooptés,
et supposés perdre leur radicalité. A ces attaques, ses partisans
opposent la possibilité d'agir au sein même de l'Etat, donc plus
efficacement69(*). Ce
débat difficile à trancher traverse tout le mouvement noir, comme
les autres mouvements sociaux.
Cette création démontre en tous cas l'importance
prise par ce mouvement dans la politique locale, même si elle ne
résulte pas en des changements de politique publique profonds. La lutte
contre les discriminations ne devient pas un thème transversal, comme le
souhaiterait le mouvement noir, mais reste cantonnée à un statut
de politique spécifique. On peut donc difficilement parler
d'altération du référentiel d'action publique, puisque
cette ouverture vient se superposer à des politiques guidées par
les idées traditionnelles au Brésil sur les relations
raciales.
La fondation du conseil intervient au même moment que
celle d'autres organes du même type, orientés vers d'autres
groupes, par exemple pour répondre à la mobilisation
féministe. L'analogie laisse à penser que le mouvement suit un
parcours similaire à d'autres mouvements sociaux, très
étudiés sur la période de redémocratisation,
entrant dans une phase que Ruth Cardoso décrit comme celle de
l'institutionnalisation70(*). Cette stratégie est employée par le
mouvement noir, à la recherche de canaux de dialogue avec la puissance
publique depuis la seconde moitié des années 1980 jusqu'à
aujourd'hui. Plus concertée, elle complète la stratégie de
confrontation dans le champ politique, avec le début de la
pénétration de militant du mouvement noir au sein de l'appareil
administratif. Cette expansion du réseau marque un premier passage du
champ strictement politique à celui de l'action publique, où les
contraintes sont différentes, et une réussite pour la politique
culturelle, qui a permis de faire évoluer les représentations.
Cette stratégie a connu des résultats positifs,
même si l'idéologie de la démocratie raciale reste
dominante dans les représentations, ce qui affaiblit la
légitimité de demandes formulées selon une logique
politique de la reconnaissance et de l'identité, dans laquelle
l'éducation occupe une place fondamentale.
B. L'éducation, question centrale
1. Un combat éminemment politique
Les demandes en vue d'une politique de la reconnaissance et
de l'identité, deux composantes d'une politique culturelle, sont souvent
assez proches, quoiqu'adressées à des publics différents.
Ainsi, les actions ayant pour but la restauration de l'estime de soi des
populations noires, qui relèvent d'une politique de l'identité,
à vocation interne donc, viseront aussi à faire reconnaître
leurs mérites par les autres segments de la population, dans une logique
de reconnaissance et une volonté de faire évoluer les
représentations. Dans ce cadre, les questions d'éducation
apparaissent centrales pour le projet politique du mouvement noir, qui a
identifié très tôt le rôle de l'enseignement dans la
diffusion des préjugés contre les noirs et le maintien d'une
pensée dominée par les influences européennes,
marginalisant les racines africaines de la population du Brésil. Ces
questions font l'objet d'un intérêt particulier, qui se traduit
par de nombreuses propositions. Par ailleurs, le contenu des programmes
scolaires reflète assez fidèlement la position de l'Etat
brésilien sur la question raciale et les représentations
dominantes sur le sujet. Les débats quant à leur modification
sont donc des indicateurs d'une éventuelle évolution des cadres
de l'action publique. La vision de l'histoire nationale qu'ils proposent est
révélatrice de l'état de la discussion sur le sujet.
Comme nous l'avons vu, l'éducation est
déjà un thème central dans la revendication de seconde
abolition qui caractérise les mouvements noirs du début du
XX° siècle. Cependant, les revendications autour de cette question
évoluent fortement avec le tournant plus culturel pris par le mouvement
noir dans la seconde moitié du siècle. Alors que la presse noire
des années 1920 et 1930 dispensait des leçons visant à
calquer le comportement des Noirs sur celui des Blancs, dans le but de
favoriser leur intégration, l'identité culturelle tient une place
beaucoup plus importante dans cette nouvelle étape. L'école n'est
pourtant pas discréditée en tant que vecteur de mobilité
sociale : la volonté de promouvoir l'ascension des populations
noires par ce canal reste très présente. Tatiane Cosentino
Rodrigues analyse les discussions qui ont lieu dans les années 1980
à l'intérieur du mouvement noir, notamment dans les milieux
académiques et au sein du MNU, sur ce thème71(*). Trois éléments
sont récurrents dans ces discussions, qui associent militants et
chercheurs, notamment en sciences de l'éducation : l'affirmation de
la centralité de la question de l'éducation pour le mouvement
noir, la dénonciation de la situation des noirs dans l'école et
la proposition de pratiques alternatives, souvent fondées sur des
expériences développées localement.
La centralité de l'éducation n'est donc pas
affirmée seulement en lien avec la possibilité d'ascension
sociale : elle est surtout considérée comme fondamentale
dans la formation de la pensée des individus, et par là de la
société. C'est ce qu'exprime un militant du mouvement noir lors
d'une réunion à Recife en 1988 :
« L'éducation n'est pas seulement
liée à la mobilité sociale, elle n'est pas que histoire,
elle est tout un processus de formation des individus. Rompre avec un
modèle d'éducation blanc et européen est la
possibilité de rééduquer pour la connaissance de notre
histoire, de notre réalité culturelle ».72(*)
Il s'agit donc bien pour le mouvement noir de s'inscrire en
opposition à l'idéal de blanchiment qui domine encore dans la
société. Cet idéal favorise le maintien de
préjugés racistes et incite le Noir à ne pas se
reconnaître dans une identité ethnique, pour privilégier
une ascension individuelle. Le combat sur l'éducation est
éminemment politique. Il prend la forme de demandes visant à
rétablir la vérité sur l'apport des Noirs à la
construction de la société brésilienne et à
épurer les livres scolaires de contenus racistes, notamment dans
l'iconographie. Des critiques sont aussi émises à l'encontre de
professeurs qui, par ignorance et à cause d'une préparation
déficiente, perpétuent les préjugés, et
empêchent la valorisation par l'élève noir de sa propre
culture.
Ces demandes jouent donc sur deux terrains, comme
déjà évoqué : la lutte pour une reconnaissance
de la place des noirs dans la société brésilienne
(politique de reconnaissance) et pour la propre estime d'eux-mêmes
(politique d'identité). Cette revendication peut être comprise
comme particulariste, mais elle ne rompt pas avec l'identité nationale.
Elle s'inscrit dans le conflit de représentations : à la
représentation dominante d'un peuple brésilien unique,
homogénéisé par le métissage, le mouvement noir
oppose une vision prenant en compte la situation multiculturelle du
pays73(*). Rompre avec le
discours et les représentations de l'homogénéisation est
une tendance à l'oeuvre dès les années 1980 et qui
s'exprime encore plus fortement dans les années 1990.
2. Un discours alimenté par les sciences sociales
La dénonciation de la situation des Noirs dans
l'école est effectuée d'après des études
scientifiques, notamment celles de Hasenbalg et de ses successeurs portant sur
les discriminations à l'oeuvre dans la société
brésilienne contre les Noirs, et d'autres plus centrées sur les
sciences de l'éducation elles-mêmes. Les secondes s'appuient sur
une analyse du programme scolaire, entendu comme l'ensemble de
l'expérience vécue dans le cadre scolaire, comme un instrument de
domination, et concluent à la nécessité d'une
réforme du système scolaire, qui viendrait à
intégrer la différence comme fondement de la pédagogie.
Enfin, des propositions sont établies à partir
d'expériences concrètes réalisées dans le champ de
l'éducation par des activistes noirs. L'enseignement de l'histoire en
vient à prendre une importance considérable. Dès 1987,
lors d'un congrès à Recife, est formulée la
nécessité de rendre obligatoire l'enseignement de l'histoire de
l'Afrique et des Africains au Brésil. Cette réforme impliquerait
notamment une révision des manuels et du contenu de la formation des
professeurs et supposerait aussi une autre manière d'envisager certains
événements historiques, dont l'abolition de l'esclavage. Le 13
mai, jour anniversaire de l'abolition de l'esclavage, serait ainsi
commémoré comme la journée nationale de lutte contre le
racisme, avec un retour réflexif sur les conditions de l'abolition. Le
20 novembre, jour anniversaire de la mort de Zumbi, le chef du quilombo de
Palmares, deviendrait le jour national de la conscience noire74(*). Ces propositions sont celles
que reprendra la loi 10.639 quinze ans plus tard.
Sur un plan plus pratique, sont réclamées des
mesures visant à augmenter le nombre de Noirs à chaque niveau de
l'enseignement, en leur donnant les moyens matériels de suivre leurs
études.
Ces propositions vont traverser le champ politique pendant une
quinzaine d'années, dès le débat qui accompagne la
constitution de 1988.
II. La lutte politique : modifier la
représentation de la population noire dans la construction nationale et
la société brésilienne, à travers des mesures dans
l'éducation
Les revendications mûries par le mouvement noir pendant
la décennie 1980, éléments d'une politique culturelle,
restent sensiblement identiques jusqu'aux années 2000. Leur
émergence dans le champ politique est lente et conflictuelle, au sens
où des avancées sont suivies de reculs. Comme dans tout processus
de ce type, il ne s'agit pas d'une progression constante ni
spontanée : le mouvement noir doit lutter pour faire avancer ses
thématiques. Un tournant a lieu en 1995, qui marque la mise en place de
canaux de discussion avec les institutions, où l'éducation est un
des principaux points traités.
Cela est à mettre au crédit de l'action du
mouvement noir, mais aussi à inscrire dans le contexte de mutations de
la gouvernance impulsées dans le cadre de la mise en place d'un Etat
néolibéral, au coeur du projet du gouvernement de Fernando
Henrique Cardoso. Selon Christian Gros, l'Etat néolibéral qui se
met en place dans la plupart des pays d'Amérique Latine dans les
années 1990 trouve dans les concessions accordées aux
communautés indigènes la possibilité d'une
« intervention de basse intensité »75(*) qui lui permet de retrouver
une certaine légitimité, érodée par
l'affaiblissement de ses capacités de redistribution. On peut
considérer qu'une logique similaire est à l'oeuvre dans la prise
en compte des demandes du mouvement noir. C'est dans ce cadre politique global,
de la démocratisation à la mise en place du projet
néolibéral, que s'opère la traduction politique des
revendications du mouvement noir.
On cherchera dans cette partie à déterminer si
le conflit de représentations, dont l'origine est la politique
culturelle du mouvement noir, peut être la source d'un changement de
référentiel dans le secteur de l'éducation.
A. 1988 : le débat sur la Constitution, moment
fort pour le mouvement
1. Un contexte favorable aux mouvements sociaux mais
difficile pour le mouvement noir
Les années 1980 sont marquées au Brésil
par l'émergence de nombreux mouvements sociaux, qui luttent chacun pour
imposer la mise sur agenda dans le débat politique des
thématiques auxquelles ils sont attachés. Dans cette lutte pour
la visibilité et l'inscription dans le champ politique de questions n'y
figurant pas encore, les discussions de l'assemblée constituante en vue
de la rédaction d'une nouvelle constitution fédérale,
finalement promulguée en 1988, sont une échéance
importante.
Le mouvement noir se saisit de cette occasion pour faire
avancer ses revendications. Le débat qui s'en suit et les
résultats finalement obtenus sont révélateurs des
difficulté rencontrées par ce mouvement pour faire valoir son
point de vue. Ses propositions sont souvent assimilées à une
tentative d'altérer la matrice de la pensée politique
brésilienne, à travers la critique de la démocratie
raciale, et à ce titre rejetées. De fait, trouver un espace
politique est assez difficile pour le mouvement noir, dans la mesure où
il se retrouve coincé entre une droite encore en pleine exaltation de la
démocratie raciale et une gauche peu à l'aise avec la
thématique raciale, lui préférant l'explication marxiste
concernant les inégalités. Certains membres des partis de gauche
avancent même la crainte d'une scission de la classe ouvrière
autour de la fracture raciale, que pourrait encourager le traitement de la
question raciale76(*). La
marge de manoeuvre est donc limitée au départ.
Depuis 1985, le mouvement se préparait pour cette
échéance, notamment en organisant des forums dans tout le pays,
jusqu'à la réalisation d'une convention nationale dont le titre
était « le Noir et la Constituante ». Les demandes
formulées par le mouvement noir s'inscrivent dans la critique de la
démocratie raciale et la revendication de mesures compensatrices pour
les populations descendantes des esclaves. Il s'agirait de privilégier
l'égalité réelle à l'égalité
formelle, une formule loin des traditions brésiliennes et
génératrice de polémiques. Il est aussi fait appel
à l'Etat pour rendre possible la reconstruction d'une identité
culturelle niée par l'idéologie du blanchiment. En terme de
propositions, le mouvement noir dégage trois priorités : la
reconnaissance des communautés noires rémanentes des quilombos,
tant sur le plan culturel que par l'octroi de titres de
propriétés ; la criminalisation du racisme et des
comportements discriminatoires ; en matière d'éducation, un
ferme engagement antiraciste et l'obligation de l'enseignement de l'histoire
des populations noires au Brésil.
On peut remarquer d'une part que l'éducation est bien
un thème prioritaire, au vu de ses implications multiples
déjà évoquées, d'autre part qu'une certaine
autocensure est certainement à l'oeuvre au moment de formuler ces
revendications, qui ne sont pas radicales. Cela caractérise un mouvement
très mesuré dans ses prises de position. Ce souci de jouer le jeu
institutionnel peut peut-être s'expliquer par le fait que les militants,
issus du MNU mais aussi d'autres organisations, peuvent compter sur l'appui de
quelques personnalités cherchant à affirmer leur
légitimité comme représentants de la communauté
noire, telle la Sénatrice Benedita Da Silva et trois
députés, déjà rompus aux négociations
politique serrées. Le cas de la première citée, venue
à la politique par les associations de quartier, illustre l'imbrication
du mouvement noir avec les autres mouvements sociaux. L'arène même
où sont énoncés ces revendications est potentiellement
aussi la cause de cette modération : en marge du champ politique,
le mouvement noir a la possibilité de présenter des
revendications dont le caractère radical ne peut être maintenu une
fois à l'intérieur du jeu politique, la contrainte de
négociation l'obligeant à reformuler.
2. L'impossible remise en cause du mythe de la
démocratie racial
Un premier combat est gagné avec la mention de la
question raciale comme un thème à aborder dans le Régime
interne de la Constituante. Néanmoins, les représentants du
mouvement noir ne sont guère satisfaits par le traitement
réservé à la question, puisqu'elle se retrouve
reléguée à une sous-commission « des Noirs,
Populations Indigènes, Personnes Déficientes et
Minorités », à l'intérieur de la commission
thématique « de l'Ordre Social »77(*). Les militants noirs
souhaitaient en effet voir le thème abordé de manière
transversale, en ayant la possibilité de participer à d'autres
commissions. Le rejet de cette requête est significatif du peu
d'importance accordé par les membres de la Constituante au sujet. La
discussion en sous-commission voit l'acceptation de toutes les propositions du
mouvement noir, mais, dès le passage en commission thématique,
les formulations retenues pour les articles sont fortement
euphémisées. Le projet est peu à peu vidé de son
contenu, notamment dans le domaine de l'éducation. Ainsi, dans la
première rédaction, il est mentionné que :
« l'éducation insistera sur
l'égalité des sexes, la lutte contre le racisme et toutes les
formes de discrimination, affirmant les caractéristiques
multiculturelles et pluriethniques du peuple
brésilien. »78(*)
Figure aussi, à ce stade du processus, l'obligation de
l'enseignement de l'histoire des populations noires. Après le passage
par la commission thématique puis la commission de
systématisation, l'obligation de l'enseignement de l'histoire n'est pas
conservée dans la rédaction finale de la constitution, car
considéré comme discriminatoire par la majorité des
députés. Est seulement mentionné, dans une partie annexe
de la constitution, le Titre IX, « des dispositions
constitutionnelles générales », que :
« L'enseignement de l'Histoire du Brésil
prendra en compte les contributions des différents cultures et ethnies
pour la formation du peuple brésilien. »79(*)
Il s'agit donc d'un échec pour le mouvement noir, qui
n'a pu faire valoir ses positions sur l'éducation. On en reste à
une formulation très vague, dans une partie reculée du texte, et
qui surtout reste fidèle à la « fable des trois
races »80(*)
fondatrices de la nation, sans que ne soit évoquée les relations
de domination qui ont caractérisé le processus. Les discussions
sur la thématique raciale sont renvoyées à la
rédaction d'une « loi sur les directives et les bases de
l'éducation nationale » (LDB, « Lei de Diretrizes e
Bases da educaçao nacional »).
Seules des propositions correspondant plus à la
pensée nationale sont retenues : la criminalisation du racisme et
la reconnaissance des quilombos. Les rédacteurs sont loin d'imaginer que
cette dernière disposition va donner un outil de lutte précieux
pour les militants noirs81(*). La criminalisation du racisme n'entre pas en
contradiction avec la croyance en la démocratie raciale. Au contraire,
elle maintient le racisme comme un problème individuel, qui doit
être traité pénalement, plutôt que comme un
problème social et politique. La question des quilombos est
traitée sur le plan culturel, un domaine dans lequel l'expression des
Noirs n'est pas bridée comme lorsqu'elle entre sur le terrain politique.
Sur ces points, le mouvement noir a obtenu satisfaction, avec leur inclusion
dans une constitution hétéroclite, parfois incohérente, et
qui globalement, parvient à la fois à répondre aux
demandes de groupes d'intérêts divers sans menacer la position des
conservateurs82(*), une
analyse qui correspond au bilan que l'on peut tirer de la participation du
mouvement noir à ce processus. Les fondements de la nationalité
brésilienne restent inchangés.
Dans le domaine de l'éducation, où le mouvement
noir a connu un échec, le combat pour promouvoir une autre
représentation de la société brésilienne à
travers les programmes scolaires, qui implique une remise en cause de la
pensée dominante, se poursuit dans la discussion sur la LDB.
B. Le débat autour de la LDB : l'échec
à altérer la matrice de la pensée nationale
La LDB est le texte fondamental de l'éducation
brésilienne. Elle remplace une précédente loi votée
en 1961. Le mouvement noir plaçait beaucoup d'espoir dans les
discussions qui ont marqué son élaboration, mais a
été déçu. Après huit ans de
négociation, c'est un texte qui ne va pas plus loin que la constitution
qui est voté. La longueur du processus illustre l'importance
attribuée par ce texte aux acteurs politiques. L'éducation est
bien un élément fondamental dans l'élaboration d'un
modèle de société et de l'identité nationale. Mais
le mouvement noir n'a qu'un accès réduit au débat qui,
dans un premier temps, reste limité à des organisations
spécialisées dans ce thème, syndicats de professionnels,
d'étudiants, ou organismes spécialisés dans la recherche.
Les enjeux du débat que ces acteurs définissent
laissent peu de place aux revendications du mouvement noir. En effet, les
discussions ne portent pas sur le fond, le contenu des programmes ou la
pratique pédagogique, mais plus sur des questions pratiques, comme le
financement de l'école publique ou l'extension de la durée de la
scolarité. Choisir de faire de la défense de l'école
publique en général leur ligne politique conduit ces
organisations à reproduire les schémas de la démocratie
raciale : considérant agir pour le bien de la majorité des
Brésiliens, dans une perspective progressiste, la question d'une
spécificité noire ne se pose même pas83(*). C'est donc un
référentiel imprégné d'universalisme qui oriente
cette position. Cela indique clairement à quel point cette vision est
dominante, dans le débat politique et la définition de politiques
publiques. L'espace de contestation que tente d'occuper le mouvement noir est
très réduit, car sa politique culturelle n'a que peu de prise sur
ces acteurs.
Après un vote devant la chambre des
députés en 1993, le projet est discuté au Sénat. La
sénatrice Benedita Da Silva propose à nouveau de reformuler
l'histoire du Brésil en rendant obligatoire l'enseignement de l'histoire
des populations noires. Mais ces propositions sont rejetées au motif
que, pour une éducation nationale, il n'est pas nécessaire de
garantir un espace pour des thèmes spécifiques.
L'évolution est minimum : l'article 26 de la LDB stipule
ainsi :
« L'enseignement de l'histoire au Brésil
prendra en compte les contributions des différentes cultures et ethnies
pour la formation du peuple brésilien, spécialement les matrices
indigène, africaine et européenne. »84(*)
Seule la mention des trois cultures est ajoutée par
rapport à la rédaction de l'article de la Constitution,
l'avancée se situant donc dans le fait que l'héritage africain
(et indigène) du Brésil soir reconnu. Les rapports de domination
que ces cultures ont pu exercer l'une envers l'autre sont tus. Les mythes de la
démocratie raciale et du creuset brésilien, fondement de la
représentation de relations raciales harmonieuses, sont maintenus
intacts. Ce n'est pas une surprise au vu de l'identité du rapporteur de
la version finale de la loi, qui est un indice de la force de cette vision dans
le débat politique. Il s'agit en effet de Darcy Ribeiro, homme politique
et anthropologue, auteur en 1995 du livre O povo brasileiro : a
formaçao e o sentido do Brasil (le peuple brésilien :
la formation et le sens du Brésil). Dans ce livre, il reprend la
thèse de Gilberto Freyre d'une unique ethnie brésilienne,
mélange des trois races, dont émerge un peuple. Cette vision ne
laisse pas de place à la défense d'identités
particulières et entretient le mythe d'une nation homogène. Le
mouvement noir ne parvient pas à regrouper assez de force pour rendre
légitime une critique de cette position dominante.
La LDB ainsi votée réaffirme la place de
l'universalisme dans le discours politique brésilien. Il place
l'individu au centre de la société et refuse de reconnaître
l'existence de communautés recevant des traitements spécifiques.
Dans le cas de l'éducation au Brésil, la limite à cette
logique universaliste est la perpétuation des inégalités
selon des critères raciaux, qui fonde la demande du mouvement noir pour
un traitement spécifique. Le mouvement noir attribue les
difficultés des noirs dans l'éducation en grande partie au refus
de reconnaître l'histoire spécifique de ces individus, qui
eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans les institutions. Les deux
dimensions du problème, politique, dans le conflit de
représentation portant sur une nouvelle formulation de l'identité
nationale, et plus concrète, la lutte contre les
inégalités, sont réaffirmées en 1995 à
l'occasion de la manifestation de commémoration des trois cents ans de
la mort de Zumbi, qui marque le début d'une nouvelle phase dans les
relations entre l'Etat et le mouvement noir et, dans le domaine de
l'éducation, l'obtention de quelques avancées.
C. Le tournant de 1995 : la reconnaissance par l'Etat
de l'existence d'un problème racial au Brésil
Jusqu'à 1995, le mouvement noir n'obtient que peu
d'attention de la part des acteurs politiques et des pouvoirs publics au niveau
national, alors qu'il a mené d'intenses campagnes tout au long des
années 1980. Il n'a réalisé que quelques conquêtes
au niveau local, municipal ou des états. Mais la mobilisation du
mouvement noir à l'occasion du tricentenaire de la mort de Zumbi va
permettre l'ouverture de canaux de discussion et une amorce de changement dans
les politiques publiques. Il semblerait que le référentiel global
de l'action publique s'ouvre, bien que légèrement, aux
revendications du mouvement noir.
1. L'ouverture d'un dialogue avec la présidence
Le 20 novembre 1995, date anniversaire de la mort de Zumbi,
chef du quilombo de Palmares, a lieu à Brasilia la « Marche
Zumbi contre le Racisme, pour l'Egalité et pour la Vie ». Le
quilombo de Palmares, détruit en 1695 par les troupes impériales
après deux attaques ayant échoué, et son chef Zumbi, sont
des symboles de la lutte des esclaves contre l'oppression des blancs, que le
mouvement noir utilise abondamment85(*). La marche réunit plus de 20 000 personnes,
et se conclut par une rencontre de quelques représentants avec le
Président Fernando Henrique Cardoso, qui le même jour a rendu
hommage à Zumbi sur le site du quilombo, faisant de lui un héros
national, répondant ainsi à une des revendications de longue date
du mouvement noir.
A cette occasion lui est remis un document comprenant les
revendications qui, selon Benedita Da Silva,
« seront à partir d'aujourd'hui le
mètre étalon, le moteur de la lutte pour les droits des Noirs,
avec la mise en oeuvre de politiques publiques de combat contre le racisme,
capables d'affronter la situation de pauvreté, de violence et de
marginalisation, du chômage, de la distribution du revenu, de la
santé des hommes et femmes noires ».86(*)
L'accent est mis sur l'importance de politiques publiques,
à établir dans un dialogue avec l'Etat. Le positionnement
politique et même la propre histoire personnelle de Benedita Da Silva est
assez caractéristique de cette ambition d'établir un dialogue
avec les pouvoirs publics. Militante du PT, issue d'un quartier très
pauvre de Rio, noire, elle a appris à formuler des demandes acceptables
pour la société, au prix parfois d'un certain renoncement
à la radicalité87(*).
Les revendications présentées par le mouvement
ne sont pas nouvelles. Elles s'inscrivent au contraire dans la
continuité des politiques de reconnaissance, d'identité, de
citoyenneté et de redistribution déjà
évoquées. Le document présente d'abord un diagnostic de la
situation de la population noire, puis formule des demandes, sur le
recensement, l'emploi, l'éducation, la culture et la communication, la
santé, la violence et la religion. Ces demandes sont formulées
sous forme de mesures précises à prendre par les pouvoirs
publics. Le fait marquant de cette manifestation, replacée dans le
contexte plus large de la mobilisation noire depuis le début des
années 1980, est bien la recherche de canaux de discussion formelles.
Le dialogue avec la présidence existait avant cet
événement, qui va permettre de le formaliser, sous la pression du
mouvement noir. Dès son discours de prise de pouvoir, en 1995, le
Président Cardoso a démontré une certaine
sensibilité à la thématique raciale qui rompt avec le
silence de ses prédécesseurs et de l'élite blanche en
général. Dans ce discours, il compare sa lutte pour la justice
sociale à celle des abolitionnistes, dans une reconnaissance implicite
de la congruence de la pauvreté avec le fait d'être noir. Fernando
Henrique Cardoso a été l'élève de Florestan
Fernandes et a écrit ses premiers travaux universitaires sur l'existence
du préjugé racial, comme il le rappelle dans le discours lors de
la réception des représentants du mouvement noir le 20 novembre
1995. Il déclare aussi :
« qu'à recevoir des mains des
représentants de la Marche ce document, je souhaite affirmer mon accord
avec lui au sens que, effectivement, je souhaite l'établissement d'un
dialogue fécond avec les mouvements noirs au
Brésil »88(*).
Ce dialogue, qui caractérise la stratégie du
mouvement noir dans cette période, se met en place au travers d'un
groupe de travail interministériel (GTI) sur les politiques de
valorisation des populations noires, coordonné par Helio Santos,
professeur à la USP, déjà coordinateur du mouvement noir
lors des discussions sur la Constitution. La Marche Zumbi et ses
conséquences marquent donc bien une évolution dans la position de
l'Etat brésilien. Pour la première fois, l'existence de la
discrimination raciale est reconnue officiellement, par le Président
lui-même. Il n'entre pas dans l'ambition de ce mémoire d'exposer
la complexité et la multiplicité des facteurs qui expliquent
cette nouvelle orientation : fenêtre d'opportunité politique
favorable, pressions internationales, notamment dans la préparation de
la conférence de Durban sur le racisme qui s'est tenue en 2001... Parmi
ceux-ci, la pression exercée par le mouvement noir lui permet de gagner
plus d'espace politique et d'ébranler la représentation
traditionnelle des relations raciales.
Même si les travaux du GTI sont par la suite source de
déception, il y a bien une inflexion dans le discours de l'Etat sur la
question raciale. La traduction dans les politiques publiques de cette
évolution n'est cependant pas nécessairement automatique. Deux
questions complémentaires se posent sur l'articulation de cette
modification dans la position de l'Etat brésilien avec d'autres
évolutions. Quelle pourra être la traduction de ce changement avec
le passage du champ politique à l'administratif ? L'impulsion
présidentielle, qui relève d'une modification du
référentiel global, peut-elle se décliner au niveau
sectoriel ? S'intéresser au secteur de l'éducation permet
d'avancer sur ces questions.
2. De timides avancées dans les politiques publiques
d'éducations
Le climat politique est devenu favorable à la mise sur
agenda des revendications du mouvement noir, qui se reflète dans
l'éducation, avec la mise en place d'un « programme national
du livre scolaire », la publication du livre Superando o Racismo
na Escola (Dépasser le racisme à l'école) et
l'élaboration des Paramètres du Programme Scolaire National (PCN,
soit « Parametros do Curiculo nacional »). Ces trois
mesures manifestent l'amorce, mais aussi les limites, d'un changement dans les
représentations de l'administration brésilienne, potentiellement
un changement de référentiel. Le discours favorable aux
revendications du mouvement noir du Président Cardoso n'est pas source
de modifications importantes. Les résultats sont souvent
décalés par rapport aux objectifs, amenant à s'interroger
sur l'ambiguïté de la position de l'administration Cardoso. Ainsi,
le « programme national du livre scolaire » a pour but
l'évaluation des livres scolaires, dans lesquels ne peuvent être
exprimés de « préjugés sur l'origine, la race,
la couleur, le sexe, l'âge et n'importe quelle autre forme de
discrimination »89(*). Mais ces critères ne recouvrent que
l'expression de préjugés explicites, très peu courants
dans la société brésilienne. L'absence de
spécialistes de l'étude du préjugé racial dans la
commission qui émet les recommandations pour ce programme manifeste la
faible perméabilité de l'institution à la revendication du
mouvement noir d'adopter une vision plus large du préjugé racial
et du racisme en général, ne se limitant pas à ses
manifestations les plus visibles.
Le livre Superando o racismo, élaboré
dans le cadre de cette nouvelle politique du Ministère de l'Education
(MEC) plus sensible à la thématique raciale, a lui aussi
été victime des ambiguïtés d'un possible double
discours. Rédigé par d'éminent spécialistes de la
question raciale à l'école, il n'a, selon une personne
interrogée dans le cadre de mon enquête de terrain, pas
été distribuée jusqu'à ce que les auteurs
eux-mêmes, soutenus par le mouvement noir, n'obtiennent une
réimpression et son envoi dans les écoles. Cet exemple montre
bien à quel point les militants doivent être attentifs à
l'exécution des annonces, un travail que réalise le mouvement
noir, qui a, à travers ces épisodes, conquis une certaines
légitimité vis-à-vis et à l'intérieur du
MEC. Il est caractéristique de l'aspect conflictuel de la mise sur
agenda, qui est le résultat d'une pression exercée de
manière continue.
L'ambiguïté se maintient dans le
Paramètres du Programme scolaire National, document publié en
1998 par le MEC pour orienter l'enseignement fondamental. La
« pluralité culturelle » y figure comme un
thème transversal, au même titre que l'orientation sexuelle,
l'éthique ou l'environnement. Il doit être abordé ensuite
sous différents angles selon les matières. Un problème
relevé par la littérature est que ce document, même s'il
aborde frontalement les questions de discrimination raciale comme des
« obstacles au processus éducationnel »,
perpétue sur le fond la vision de la démocratie raciale
héritée de Freyre90(*). En effet, les PCN se fondent sur une vision de la
culture brésilienne homogène, comme résultant du
mélange des trois cultures fondatrices. L'autre aspect critiqué
est justement l'absence d'un point de vue critique sur l'apport de ces
cultures, qui ne sont pas questionnés. Certains craignent ainsi que la
question de la pluralité, au lieu d'être discutée, soit
résumée à une question de contenu qui fige le
débat, au contraire des objectifs du mouvement noir, qui promeut une
autre vision de la nation91(*).
Cette discussion porte sur la nature même de
l'évolution des représentations que le mouvement noir propose.
Loin de rechercher une essentialisation de la catégorie de Noir, qui
pourrait figer les inégalités, les militants, souvent parties
prenantes des discussions académiques, appartiennent à une
tendance du multiculturalisme critique. Ils souhaitent que les questionnements
autour de l'identité soit abordée dans les programmes scolaires
dans une perspective qui amène à leur déconstruction. Le
but de l'éducation serait de donner aux enfants les outils pour
interroger toutes les catégories92(*).
Si les revendications émises par le mouvement noir
sont donc entendues par les pouvoirs publics, elles restent reprises à
la marge, sans entraîner de changements profonds dans le
référentiel des acteurs. Quelques projets marginaux sont
réalisés, des expériences sont lancées, grâce
à l'action d'individus assez isolés au sein d'une administration
qui reste majoritairement guidée par un référentiel
universaliste. L'ouverture du Président Cardoso peine à se
traduire en mesures concrètes. Il faut cependant relativiser cette
observation en se plaçant sur le temps long des politiques
publiques : un changement de référentiel peut intervenir sur
une période d'une dizaine d'années, parfois plus. Il pourrait
alors s'agir d'une première vague d'expériences qui
préfigurerait un mouvement plus large. Surtout, ce changement ne
correspond pas nécessairement à l'évolution des
mentalités des individus présents dans l'administration mais
plutôt à la présence de nouveaux éléments,
porteurs d'idées et de représentations différentes. Le
concept de référentiel révèle ainsi sa
complexité.
Hors de l'administration centrale, la revendication portant
sur l'obligation de l'enseignement de l'histoire et de la culture des Noirs
connaît un certain succès au niveau local dans les années
1990. Dans des états ou municipalités ou le mouvement noir est
puissant, elle est parfois inscrite dans la loi, sans que cela n'indique
qu'elle soit réellement mise en oeuvre. Ainsi, la Constitution de
l'état de Bahia en 1989, des lois à Belo Horizonte en 1990,
à Porto Alegre en 1991, à Belem en 1994 permettent l'inclusion
dans les programmes des réseaux publics d'enseignement de ces
collectivités locales de contenus relatifs à « la race
noire dans la fomation socio-culturelle brésilienne »93(*). D'autres initiatives du
même ordre sont prises à Brasilia et Sao Paulo. Au niveau
national, c'est en 2003 que le mouvement noir obtient satisfaction pour cette
demande historique.
D. Les fruits d'une action au coeur du système
politique : la loi 10.639
1. Le vote de la loi dans un contexte d'alternance
politique
Depuis le début des années 1980, le mouvement
noir réclame l'inclusion de l'histoire des Noirs au Brésil dans
les programmes scolaires. Cette revendication faisait partie des dispositions
qu'il souhaitait voir figurer dans la Constitution. La demande a
été renouvelée lors de l'élaboration de la LDB puis
des PCN, sans connaître plus de succès. Une avancée
progressive dans la formulation a permis des glissements sémantiques
minimes restant dans le cadre de pensée défini par
l'idéologie de la démocratie raciale, en faisant
référence à la pluralité culturelle du
Brésil. Un projet de loi reprenant le voeu du mouvement noir,
déposé par le Sénateur Paulo Paim en 1999, est
bloqué au Congrès jusqu'en 2003, année de
l'élection du Président Lula Da Silva, candidat du PT.
Durant sa campagne, le futur président s'est
appuyé sur un document, partie intégrante de son programme,
appelé « Brésil sans racisme ». Ce texte
n'émet pas de proposition sur cette question spécifique de
l'évolution des programmes scolaires, mais illustre l'importance de la
question raciale pour le PT, au sein duquel le Secrétariat de Combat
contre le racisme dispose d'un espace assez important. Elle est notamment
à l'origine de la participation du PT à la marche Zumbi de 1995
et peut être assimilée à la présence officielle du
mouvement noir dans le PT. En contribuant à l'élection de Lula,
le mouvement noir espère pouvoir augmenter sa présence dans
l'administration et assurer une meilleure réception pour ses
revendications. Le candidat, au cours de sa campagne, a déclaré
publiquement à plusieurs reprises qu'il appuierait les demandes du
mouvement noir94(*).
Lula élu Président, se met en place une
commission d'articulation pour organiser le gouvernement. Contrairement aux
espérances du mouvement noir, elle n'annonce pas la création d'un
Secrétariat d'Etat à la promotion de l'égalité
raciale (SEPPIR), et suscite l'inquiétude de représentants du
mouvement quant à la présence de noirs aux deuxièmes ou
troisièmes échelons ministériels, promis par Lula dans le
cadre d'une « politique transversale d'inclusion »95(*). D'après Lucimar Dias,
ce serait en partie pour calmer cette agitation, donc pour des questions de
stratégie, que le gouvernement Lula aurait favorisé le vote
très rapide de la loi 10.639, présentée par les
députés Esther Grossi et Benhur Ferreira, sur l'obligation de
l'enseignement de l'histoire de la culture afro-brésilienne dans les
écoles primaires et secondaires96(*).
La loi est la première promulguée par Lula, le 9
janvier 2003. Mais il ne faut pas minimiser l'action du mouvement noir, qui a
su profiter d'un moment opportun pour obtenir une victoire dans le conflit de
représentation, cette loi étant dans l'esprit contraire aux
représentations dominantes marquées par l'idéologie de la
démocratie raciale et l'universalisme. Au cours d'un entretien, un
informateur a émis des doutes sur la capacité du mouvement noir
à obtenir une telle loi dans un autre contexte :
« La loi a été adoptée par
hasard, elle a été faite en cachette. Les personnes
étaient en vacances, à la plage. Si ils attendaient deux mois de
plus, ils ne le faisaient pas. »
Ces doutes illustrent le caractère relatif du
changement dans les représentations obtenu par le mouvement noir, et de
son poids politique. Il a su devenir influent, obtenir des avancées dans
sa politique culturelle, mais reste très minoritaire, tant du point de
vue politique que dans le conflit de représentations. Toutefois, la
demande d'intégration de l'histoire des afro-brésiliens dans les
programmes scolaires est finalement satisfaite, de même que celle du
choix d'une autre date que le 13 mai pour célébrer la conscience
noire. La loi 10.639 se présente comme une altération à
l'article 26 de la LDB de 1996, dont elle propose une réécriture
sous cette forme :
« Art. 26 A. Dans les établissements
d'enseignement fondamentaux et moyens, officiels et particuliers, devient
obligatoire l'enseignement sur l'Histoire et la Culture
Afro-Brésilienne.
§1° Le contenu programmatique auquel se
réfère le caput de cet article inclura l'étude de
l'histoire de l'Afrique et des Africains, la lutte des noirs au Brésil,
la culture noire brésilienne et le noir dans la formation de la
société nationale, dégageant la contribution du peuple
noir dans les domaines sociaux, économiques et politiques pertinents
dans l'Histoire du Brésil.
§2° Les contenus se référant à
l'Histoire et à la Culture Afro-Brésilienne seront
administrés dans le cadre de tout le programme scolaire, en particulier
les domaines d'Education Artistique et de Littérature et Histoire
Brésiliennes.
§3° Veto
Art. 79-A Veto
Art. 79-B. Le calendrier scolaire inclura le 20 novembre
comme « Jour National de la Conscience
Noire ». »
Cette loi représente une avancée pour le
mouvement noir dans sa lutte pour une remise en cause des schémas de
pensée qui orientent l'action public, mais le texte ne prend tout son
sens qu'à la lecture du décret d'application
(« parecer ») émis par le Conseil National de
l'Education s'y référant.
2. Le décret d'application, synthèse du combat
du mouvement noir pour une autre vision des populations noires dans
l'éducation
Le décret, qui établit
des « Directives des Programmes Nationaux pour l'Education des
Relations Ethnico-Raciales et pour l'Enseignement de l'Histoire et de la
Culture Afro-Brésilienne et Africaine », permet de comprendre
l'esprit de cette loi, au-delà du contenu formel. Les circonstances de
sa rédaction sont en soi intéressantes pour une recherche
d'indice de changements de référentiels d'action publique dans
l'éducation. Il est en effet rédigé par Petronilha
Gonçalves da Silva, première membre noire du Conseil National
d'Education (CNE). Cet organisme appuie le ministère de
l'éducation dans la définition de ses politiques. Nommée
en mars 2002, elle y représente le mouvement noir, suite à une
promesse du ministre l'éducation Paulo Renato de nommer un
représentant des mouvements indien et noir dans ce conseil97(*). Il s'agit d'un exemple de la
réussite du mouvement noir à intégrer l'appareil
administratif d'Etat pour influencer les politiques publiques, qui traduit une
évolution du référentiel global : les places
accessibles aux Noirs dans la haute administration sont plus nombreuses.
Le décret est publié dans un livret, dont il est
précisé qu'il doit être distribué dans toutes les
écoles. Il débute par des présentations du
Ministère de l'Education et de la SEPPIR, créée en mars
2003 par le Président Lula. Ces deux courts textes inscrivent la loi
dans une perspective historique, celle de la sortie d'un
« modèle de développement excluant »,
caractérisé par « une posture active et permissive face
à la discrimination et le racisme », grâce à des
« politiques affirmatives ». Matilde Ribeiro, ministre
à la tête de la SEPPIR, précise que le gouvernement Lula a
« replacé la question raciale dans l'agenda
national », une prise de position très politique qui tait
l'action du gouvernement précédent. Le plus intéressant
reste que l'éducation y est définie comme « un des
principaux et actifs mécanismes de transformation du peuple »,
ce qui donne une portée très large au texte.
Ce texte apparaît comme une synthèse de l'action
du mouvement noir depuis le début des années 1980 : on y
retrouve nombre d'éléments déjà
évoqués dans cette partie. C'est pourquoi je reprendrai pour
l'étudier la classification établie par Antonio Sergio Guimaraes
entre politique de reconnaissance, d'identité, de citoyenneté et
de redistribution. Il s'agit d'une reformulation dont le but est une meilleure
compréhension d'un document assez touffu et plein de
références. Sa lecture est un exercice difficile et certainement
obscur pour qui n'est pas familiarisé avec ces discussions.
La demande de reconnaissance s'exprime particulièrement
dans la critique du mythe de la démocratie raciale et d'une harmonie
culturelle au Brésil. Contre cette vision dominante, le texte insiste
sur « les relations tendues entre les Blancs et les
Noirs », ou la cohabitation « tendue » entre les
références esthétiques et culturelles noires et africaines
et celles blanches et européennes. Cette sortie du mythe des trois
cultures, fondatrices sur un pied d'égalité de la culture
nationale, ainsi que les discriminations encore à l'oeuvre dans
l'institution scolaire, justifient l'objectif que se fixe le texte :
permettre la « rééducation des relations
ethnico-raciales ». Cette rééducation est un but
très ambitieux au vu du silence qui règne au Brésil sur
cette question raciale. L'école n'est d'ailleurs pas
considérée comme l'unique acteur dans ce combat qui concerne
toute la société. La reconnaissance est au coeur d'un projet qui
souhaite mettre en valeur l'apport des Noirs à la construction
nationale, et prône l'élimination des stéréotypes,
dans les domaines variées de la vie scolaire. Un tel projet a pour
destinataire à la fois la société en
général, pour faire évoluer ses représentations des
populations d'origine africaine, et les Noirs eux-mêmes, pour restaurer
leur estime de soi, et s'apparente à la politique culturelle
développée par le mouvement noir depuis les années
1980.
Le second axe, l'identité, est aussi très
présent dans ces directives. L'échec scolaire des
étudiants noirs, analysé comme résultant de leur absence
d'identification avec l'institution, peut être en partie résolu si
les programmes scolaires tiennent compte de leurs racines et leur donnent les
outils pour se penser positivement. Un changement des pratiques
pédagogiques et du discours véhiculé par l'école
doit permettre à l'étudiant de s'affirmer comme noir sans honte
et de ne pas nier son identité, ce à quoi la domination du
modèle esthétique blanc l'a souvent contraint. Chaque citoyen
doit pouvoir affirmer ses racines sans crainte d'être discriminé,
ce qui conduit directement à la troisième catégorie.
La revendication de citoyenneté apparaît d'abord
à travers l'affirmation du lien entre la lutte contre les
inégalités raciales à l'école et l'avènement
d'une société démocratique. Le projet de
l'approfondissement de la démocratie au Brésil ne peut être
réalisé sans une réelle action contre les discriminations
raciales. On retrouve là la volonté d'ancrer le discours autour
de la question raciale dans le cadre national, très présent tout
au long du document. La question noire concerne bien tous les
Brésiliens, et pas seulement les Noirs, ou pas seulement l'école.
Les demandes de réparation et d'actions affirmatives,
caractéristiques d'une politique de redistribution, traversent aussi
tout le document. Elles visent à promouvoir une véritable
stratégie d'inclusion, pour que ces mesures ne soient pas seulement
d'ordre culturel. L'enjeu est bien celui d'une amélioration de la
situation des Noirs. Pour cela, il faut « rompre avec le
système méritocratique qui aggrave les
inégalités » et permettre que « les
établissements fréquentés majoritairement par la
population noire, disposent d'installations et d`équipements solides,
actualisés, avec des professeurs compétents ». La
justice sociale, bien que liée à la reconnaissance culturelle,
reste l'objectif fondamental du mouvement noir. Pour cela, le décret
prône des mesures concrètes et exige une action commune à
tous les niveaux de l'éducation, pas seulement limitée au
professeur dans sa salle de classe. Il doit bénéficier du soutien
de l'appareil administratif, grâce à l'appui du coordinateur
pédagogique.
De manière transversale, au-delà de cette
catégorisation, deux points majeurs sont à retenir du texte. Le
premier est les destinataires à qui il est adressé et le but qui
lui est assigné. Le décret doit être un outil pour toutes
les personnes, étudiants, parents, professeurs ou « tous les
citoyens engagés pour l'éducation des
Brésiliens » qui souhaitent entrer dans un dialogue avec
l'institution scolaire sur ce thème. Il doit donc être
diffusé le plus amplement possible. Plus clairement, son
caractère normatif en fait donc une arme dans la lutte contre les
discriminations. Il est d'ailleurs précisé que les
établissements doivent rechercher un dialogue au niveau local avec les
représentants du mouvement noir. Le second est son caractère
universel, dans la mesure où le document cherche en permanence à
ne pas apparaître comme orienté vers un usage exclusif par la
communauté noire. Au contraire, il précise bien que ces
dispositions doivent valoir pour d'autres segments de la population, comme les
indigènes, et qu'il ne s'agit en aucun cas de « changer une
vision ethnocentrique notablement de racine européenne pour une autre
africaine ». Malgré la forte influence du discours des
sciences sociales sur le décret, à aucun endroit n'apparaît
le terme de multiculturalisme, peut-être parce qu'il serait trop
polémique. On retrouve certes dans ce texte une défense de
l'identité noire, qui s'explique par la nécessité de
lutter contre une vision hégémonique, mais aussi les marques d'un
multiculturalisme de tendance critique, qui vise à permettre la
déconstruction des catégories socialement produites.
Le document propose pour finir un catalogue de mesures
impossibles à lister ici visant à permettre l'application
concrète dans les écoles des principes qu'il défend. Il
donne ainsi des pistes pour faciliter le traitement de cette thématique
par les professeurs, même s'il insiste bien sur la
nécessité de formation. On y découvre une certaine
ambiguïté sur l'identité des Noirs au Brésil, qui
correspond bien à la perspective non-essentialiste qui domine dans la
partie du mouvement la plus en phase avec le discours des sciences sociales,
présente dans les institutions. Les racines africaines sont
évoquées, au même titre que les quilombos ou des aspects
plus proches d'une identité transnationale. Le décret
étant l'inspiration du programme « Sao Paulo : Educando
pela diferença e para a igualdade», ces questions ayant trait
à la complexité de l'identité feront l'objet d'une
réflexion plus approfondie dans le troisième chapitre.
Le décret, qui établit les directives pour
l'application de la loi 10.639, reprend des revendications dont la filiation
remonte au début des années 1980, et plus loin encore si l'on se
réfère à la place qu'occupait l'éducation dans le
mouvement noir du début du XX° siècle. Obtenu suite à
des pressions politiques, ce texte marque une inflexion dans la politique
d'éducation de l'Etat brésilien. Par leur portée plus
large, ces avancées peuvent même être
considérées comme des indices d'un changement de
référentiel sectoriel. Il convient toutefois de rester
mesuré, en indiquant qu'elles illustrent une tendance qui pourrait
s'amplifier. En l'état, on ne peut qu'en déduire la
possibilité d'innover dans ce domaine, à contre-courant des
représentations traditionnelles concernant les relations raciales, ce
qui est déjà un changement notable.
Ce cas nous donne un exemple de la complexité de
l'action publique, où des décisions contradictoires peuvent
être prises au même moment, des processus opposés se
développer simultanément. Cette multiplicité de l'action
publique est aussi liée à la diversité des acteurs qui y
participent : dans le cas de la loi 10.639 et plus
généralement des innovations dans le secteur de
l'éducation sur la thématique des relations raciales, il
apparaît que la pénétration d'individus liés au
réseau permet quelques avancées pour les idées du
mouvement noir, comme dans le cas du Conseil National de l'Education.
La présence de militants ou de sympathisants des
revendications du mouvement noir à des échelons
élevés de l'administration peut être
interprétée comme une conséquence de l'évolution du
référentiel global modestement impulsée sous le mandat du
Président Cardoso. Cette observation illustre l'imbrication entre les
évolutions du référentiel global et sectoriel, qui reste
une source d'interrogations à l'issue de cette enquête. On
pourrait d'ailleurs envisager la possibilité d'un mouvement en sens
inverse, une évolution du référentiel sectoriel qui
influerait sur le référentiel global. Pour avancer dans cette
direction et proposer des hypothèses, une étude de terrain
fondée sur des entretiens avec ces individus pourrait se
révéler d'un grand intérêt. Il est aussi
déjà nécessaire de s'interroger sur la
pérennité de tel changements, qui peuvent être soumis
à des aléas politiques. Seule leur amplification au cours du
temps pourrait indiquer une réelle altération du
référentiel, puisqu'une évolution des
représentations doit s'ancrer dans la durée.
Il faut dans l'immédiat s'interroger sur la traduction
de cette nouvelle orientation dans les écoles, vu la diffusion de la
vision traditionnelle sur les relations raciales. Ces évolutions au
niveau national doivent donc être suivies dans leur application au niveau
local. C'est l'objet du troisième chapitre, qui étudiera la mise
en oeuvre de la loi 10.639 et du décret d'application par le
Secrétariat d'Education de l'Etat de Sao Paulo.
Chapitre III : « Educando pela
diferença e para a igualdade » : un programme sous
tension, ou comment concilier intervention militante et contraintes du discours
dominant dans le champ de l'action publique
Le mouvement noir n'a pas attendu la loi 10.639 de janvier
2003 pour traiter de la question de la place des Noirs dans les programmes
scolaires. Dans les années 1980 et 1990, des collectivités
locales ou des organisations non gouvernementales (ONG) ont
développé des projets expérimentaux sur ce sujet. On peut
citer par exemple les travaux du CEERT, une ONG basée à Sao
Paulo, qui a notamment organisé un concours pour ce type de projet
dès 2001. Pour les personnes appartenant au mouvement noir et
travaillant sur l'éducation, la loi constitue un
accélérateur, un outil à utiliser pour donner plus
d'ampleur à leur action.
Dans l'Etat de Sao Paulo, le Conseil de la Communauté
noire, créé en 1983, fait de l'éducation sa
priorité au cours de son nouveau mandat établi en 2002. D'autre
part, un décret émis fin 2003 par le gouverneur Geraldo Alckmin
(PSDB, aujourd'hui candidat de l'opposition pour l'élection
présidentielle), institue les politiques d'action affirmatives dans
l'administration de l'Etat. Il existe donc une volonté politique
d'avancer sur ce sujet, qui crée les conditions propices à la
mise en place, en différentes phases, du programme « Educando
pela diferença e para a igualdade »98(*). D'une assez grande ampleur,
il consiste en une formation pour plus de 15 000 professeurs de l'enseignement
public sur le thème de la discrimination raciale à l'école
et la place des Noirs dans les programmes scolaires.
Le but de ce chapitre est d'observer comment va être
traduite une décision politique fruit de l'action d'un mouvement social,
la loi 10.639, en sortant du champ politique, pour entrer pleinement dans celui
de l'action publique dans le secteur de l'éducation. Quelle
réception vont recevoir les revendications du mouvement noir ayant
maintenant force de loi ? Peuvent-elles être traduites
littéralement alors qu'elles pénètrent dans le champ de
l'administration scolaire ? Les questions que je souhaite explorer ici
sont bien celles de l'interaction, tout au long de la formation, entre
différentes représentations de la question raciale. Les sessions
de formation apparaissent comme un espace de micropolitique où s'incarne
le conflit de représentations. Conflit ou dialogue, le programme donne
lieu dans tous les cas à un échange de point de vue dont la
finalité devrait être un changement de référentiel
de la part des acteurs, en l'occurrence les professeurs de l'enseignement
public. Il s'agira donc d'analyser les interactions et de rechercher les
indices d'un changement de référentiel.
Dans un cadre plus large, cette recherche s'inscrit dans un
questionnement sur la possibilité ou non d'influer sur les pratiques des
individus, agents de l'Etat, à partir de décisions politiques.
Dans le cas de la question raciale à l'école au Brésil,
nous nous placerons à une échelle inférieure à
celle jusqu'ici adoptée. Après avoir étudié la
question à un niveau national, je me situerai au niveau de l'Etat de Sao
Paulo, dans un cadre particulier, celui du programme
« Educando ». L'étude menée au cours de ce
chapitre s'appuie sur des entretiens et des observations
réalisées entre mars et juin 2006.
S'il m'a fallu me familiariser avec la problématique du
traitement de la différence par les sciences de l'éducation, ce
travail reste bien ancré dans la science politique. Au coeur de ce
chapitre se trouve l'interrogation sur une possible altération du
référentiel de l'administration scolaire, professeurs et
personnels d'encadrement ou administratifs, en matière de relations
raciales, et sur la difficulté à proposer une telle
altération dans le cadre contraignant d'une institution publique, le
Secrétariat à l'éducation de l'Etat de Sao Paulo. Les
différentes phases d'élaboration ainsi que le contenu
pédagogique du programme seront présentées dans une
première partie. Dans un deuxième temps sera
réalisée l'analyse des interactions au cours des séances
de formation. Enfin, il faudra revenir sur divers aspects contradictoires de
cette démarche de formation sur la thématique raciale, qui font
d' « Educando » un programme en tension en ce qui a
trait à l'identité nationale brésilienne, ce qui doit
être pris en compte pour de potentiels effets sur le
référentiel des acteurs.
I. La complexité de la mise en place d'un
programme pionnier
« Educando pela diferença e para a
igualdade » est, par son ampleur, un programme unique en son genre au
Brésil. Des expériences ont été menées
à des échelles plus petites, sous l'impulsion de militants du
mouvement noir, mais aucune action publique sur ce thème n'avait jusque
là été menée à l'échelle d'un
état, sous le contrôle d'une administration telle que le
Secrétariat d'éducation de l'Etat de Sao Paulo. Il est aussi
pionnier dans la mesure où il connaît un certain retentissement
dans d'autres états, ou au niveau fédéral, et pourrait
donc servir d'inspiration pour d'autres interventions de ce type. La mise en
place a été complexe et s'est réalisée en
différentes étapes, en partie pour des raisons politiques,
puisqu' « Educando » se fonde sur une vision de la
thématique raciale qui n'est pas majoritaire au Brésil. Il s'agit
donc dans un premier temps de retracer le cheminement, parfois heurté,
du projet, et son insertion dans les programmes du Secrétariat. La
seconde partie sera consacrée à la mise en oeuvre du
programme.
A. Le montage institutionnel
1. Des discussions préliminaires qui mettent en
évidence la pénétration du mouvement noir dans les
institutions
Cette recherche, notamment au cours des entretiens, a
cherché à mettre en évidence de possibles
résistances au sein de l'administration quant à
l'élaboration d'un programme visant à appliquer la loi 10.639 et
son décret. C'est une question sur laquelle les individus
interrogés se sont montrés très discrets. De fait,
l'existence même du programme, à une grande échelle,
démontre que si des résistances ont pu exister, elles ont
été surmontées. Certaines des personnes interrogées
ont d'ailleurs souligné la difficulté qui existait pour s'opposer
en public à un noir présentant des programmes d'action
affirmative, du fait de la peur même d'être qualifié de
raciste. Comme on l'a vu dans les chapitres précédents, l'action
publique brésilienne a traditionnellement plutôt recours à
des procédés plus subtils pour décourager ce genre
d'initiatives. Mais, appuyés sur la loi et sur une volonté
politique émanant du gouverneur lui-même, les militants du
mouvement noir ont pu porter le projet « Educando »
jusqu'à sa réalisation.
Cette volonté politique du gouvernement de l'Etat de
traiter de la question raciale est réaffirmée en décembre
2003 par le décret 48.328. Emis par le gouverneur de l'Etat Geraldo
Alckmin, il institue « dans le domaine de l'Administration Publique
de l'Etat de Sao Paulo, la politique d'actions affirmatives pour les
afro-descendants ». Ce décret réaffirme le rôle
d'inspirateur des politiques publiques du Conseil de la Communauté Noire
et comprend des mesures dans différents domaines. Pour ce qui est de
l'éducation, il stipule que la loi 10.639 doit être
appliquée grâce à la formation des professeurs, notamment
à travers le programme « Educando pela diferença e para
a igualdade », qui en est alors à ses prémisses. Ce
décret démontre l'importance qu'a acquis le thème de la
discrimination raciale pour le gouvernement PSDB de l'Etat de Sao Paulo. Il
assoit la position du Conseil de la Communauté Noire dans sa
négociation avec le Secrétariat d'Education.
Les germes de « Educando » sont
antérieurs même au décret, même s'il assurera au
programme une plus grande ampleur. Les discussions commencent en fait
dès les premiers mois de 2003, après le vote de la loi 10.639. Le
Conseil de la Communauté Noire, qui a fait de l'éducation sa
priorité pour le mandat en cours, propose au Secrétariat de
l'Education de travailler sur un programme de formation des professeurs selon
la perspective de la loi fédérale récemment votée.
Le Secrétariat, et notamment le Secrétaire, sceptique quant
à l'intérêt d'un tel projet, et inquiet de possibles
répercussions négatives, sont alors assez réticents. Comme
évoqué au début de cette partie, on ne peut parler de
résistance explicite. Il s'agirait plutôt d'un effet du
référentiel universaliste, imprégné du mythe de la
démocratie raciale, qui oriente l'action de cette institution. Reste
qu'un tel programme ne peut être mis en place sans le soutien du
Secrétaire. Un accord est néanmoins trouvé pour un projet
pilote, qui concerne 150 professeurs dans quatre directions99(*). Confiée à
l'Université fédérale de Sao Carlos100(*) (UFSCAR), cette
expérience est un succès : les professeurs qui y participent
sont enthousiastes. Cela permet de convaincre le Secrétariat de
l'intérêt d'un tel projet.
La UFSCAR est une institution qui prend une part de plus en
plus importante dans « Educando ». Un « Noyau
d'Etude Afro-brésilien » (« Nucleo de Estudos
Afro-Brasileiros », NEAB) y est très actif, notamment dans le
département de sciences de l'éducation. Petronilha
Gonçalves da Silva, rédactrice du parecer de la loi 10.639, y est
professeur. Le Conseil de la Communauté Noire noue ses premiers contacts
avec cette institution par l'intermédiaire de Valter Silverio, futur
coordinateur du programme, alors en poste au Ministère de l'Education
à Brasilia. Militant du mouvement noir de longue date, il mène
les négociations avec le Secrétariat, plus
précisément la « Coordination des Etudes et des Normes
Pédagogiques » (CENP), à qui le Secrétaire
Gabriel Chalita a confié le dossier. En 2004, une offre publique
(« edital ») est lancée pour la mise en oeuvre du
programme « Educando ». Remporté sans surprise par
la UFSCAR, ce concours marque le début réel du projet. 2500
professeurs sont formés au cours de cette année là, avant
qu'une deuxième offre publique ne soit émise, à nouveau
remportée par la UFSCAR, concernant cette fois 12 500 professeurs.
Même si la proportion peut paraître faible au vu des 300 000
professeurs que compte le réseau public de l'Etat, il s'agit
néanmoins d'un chiffre important, d'autant plus si l'on considère
que les professeurs ayant reçu la formation doivent ensuite la partager
avec leurs collègues. De plus, ce chiffre de 15 000 professeurs n'inclut
pas les cadres tels les directeurs d'école, coordinateurs
pédagogiques, assistants techniques pédagogiques qui ont suivi le
cours.
Sur le plan organisationnel, le programme se
caractérise donc par sa réalisation sous forme contractuelle, par
un contrat signé entre le Secrétariat et la UFSCAR. Ce dispositif
a pu être à l'origine d'une plus grande marge de manoeuvre pour
les responsables du projet, même si le Secrétariat a maintenu un
contrôle sur les activités du programme. De fait, certains acteurs
se sont sentis surveillés dans les premiers mois. Cependant, les deux
entités ont noué des relations étroites, puisque la
personne désormais en charge du projet au Secrétariat
était auparavant membre de l'équipe de la UFSCAR. En fait, si
certaines difficultés plutôt d'ordre politique ont pu exister au
début du projet, il semble, d'après les entretiens
réalisés avec différents acteurs, que la
coopération technique entre le Conseil de la Communauté Noire et
la UFSCAR d'un côté, le Secrétariat de l'autre, se soit
bien déroulée, notamment du fait d'une sensibilité pour le
sujet des personnels de la CENP, favorables à une telle formation.
Si le lancement du projet a connu certaines
difficultés, les résultats initiaux prometteurs ont permis de
lever les doutes. Le programme s'est installé parmi les activités
de la CENP, sans toutefois prendre une dimension réellement
transversale.
2. Insertion dans les politiques du Secrétariat :
un échec relatif pour le mouvement noir
La réticence du Secrétaire pour le projet
l'avait conduit à ne pas souhaiter apparaître dans la
première édition des livres scolaires qui accompagnent le
programme. Devant son succès, il a néanmoins tenu à
figurer dans les éditions suivantes. Ce changement de position atteste
de la réussite du projet, qui a pris une grande importance dans les
politiques de la CENP et pour les acteurs qui y participent. Pour Elisa Lucas,
Présidente du Conseil de la Communauté Noire, il est ainsi
« la pupille de nos yeux » (« a menina dos
olhos »). Il serait cependant exagéré de le
considérer comme une réussite totale pour le mouvement noir, pour
deux raisons.
Tout d'abord, il doit composer avec les contraintes de
l'action publique et du Secrétariat. Celui-ci ne peut proposer un
programme portant uniquement sur les discriminations dont sont victimes les
Noirs, car cela va à l'encontre du référentiel
inspiré des représentations dominantes dans les relations
raciales et pourrait être instrumentalisé contre lui dans le champ
politique. Le nom même du programme, qui ne fait à aucun moment
référence à la question noire au Brésil, alors
qu'il est l'application de la loi 10.639, illustre cette contrainte.
« Sao Paulo, educando pela diferença e para a
igualdade » : la formule est très consensuelle, et les
contenus devront s'efforcer de ne pas dépasser ces limites. Clairement,
un mouvement social ne peut s'afficher directement dans un programme mis en
oeuvre, même par contrat, par le Secrétariat. Cette contrainte
reste toutefois surtout du domaine de la communication, de l'affichage, puisque
le contenu de la formation, comme nous le verrons plus loin, est très
majoritairement orienté vers la question de la discrimination raciale et
de la place des Noirs dans la construction nationale. On trouve là une
illustration de la distinction « politics/policy » que
permet la langue anglaise, et correspond à la distinction
utilisée dans ce travail entre le champ politique et celui de
l'administration. Il semblerait que des mesures peu acceptables dans le premier
puissent cependant être mises en oeuvre dans le second. On perçoit
un certain décalage qui pourrait se retrouver entre
référentiels global et sectoriel.
L'échec est plus patent d'un point de vue
pédagogique même, si l'on se réfère à
l'exigence présente dans le parecer, et plus généralement
dans les revendications du mouvement noir en matière d'éducation,
de faire de la discrimination raciale un thème transversal dans
l'éducation. Certes, dans les négociations préalables
à la mise en oeuvre, le Conseil a réussi à convaincre la
CENP de ne pas se limiter aux professeurs du secondaire, pour toucher aussi
ceux du primaire. De même, dans les discours autour de
« Educando », les acteurs se réfèrent
à un programme pluridisciplinaire, qui doit faire prendre conscience
à tous les professeurs qu'ils sont concernés par les
discriminations. Dans la pratique, il a été
réservé, à de rares exceptions près, aux
professeurs de trois matières : histoire et géographie,
portugais et art. Il est donc ramené à une question de contenus,
plus qu'à des attitudes ou à une question fondamentale de
pédagogie. Cette distinction se retrouve dans la différence entre
la loi 10.639 et le décret d'application. En effet, ces matières
sont celles mentionnées par la loi, alors que le décret insiste
sur une vision plus ample, pédagogique. Il semblerait qu'à ce
niveau des discussions, la contrainte politique ait été plus
forte que les ambitions pédagogiques. Surtout, le programme figure parmi
les dix programmes prioritaires de la CENP, ce qui, au vu du nombre de
celles-ci, revient à dire que la lutte contre les discriminations n'est
pas la priorité actuelle du Secrétariat.
La mise en oeuvre de la loi, et surtout de son parecer, se
fait donc selon des dynamiques et sous des contraintes propres au
Secrétariat d'Education de Sao Paulo. Les demandes du mouvement noir
sont certes reçues, mais leur traduction n'en est pas une reprise
exacte. C'est assez peu surprenant dans la mesure où ces revendications
passent d'un champ à un autre. Après avoir traversé le
champ de la politique, elles entrent dans celui de l'action publique, où
les contraintes sont différentes. Avant même de traiter du contenu
du programme, il est possible de constater que sa mise en oeuvre donne lieu
à une négociation entre le Secrétariat et l'institution
portant les demandes du mouvement noir, le Conseil de la Communauté
Noire. Le programme proposé est formulé sous la contrainte de
l'acceptabilité selon les critères des représentations
dominantes sur les relations raciales. Il y a là un problème
complexe pour le mouvement noir, puisqu'il doit accepter certaines limites
imposées par des conceptions qu'il prétend faire évoluer.
On retrouve à un niveau plus bas le conflit de représentations
à l'oeuvre dans le champ politique. Ce problème transparaît
aussi dans la mise en oeuvre du programme.
B. Le dispositif : quelles conditions offertes pour le
travail d'intervention ?
Cette exposition du dispositif du programme a pour but de
faire prendre conscience du défi que constitue la mise en oeuvre d'une
telle activité dans l'état de Sao Paulo, territoire immense et
disparate (250 000 km² de superficie et 40 millions d'habitants). Les
moyens déployés permettent de juger de l'intérêt
qu'accorde le Secrétariat à la formation des professeurs sur la
thématique des relations raciales. Avant d'en venir à la
réception proprement dite par les professeurs, il convient d'examiner ce
qui leur est proposé, tant du point de vue des modalités
formelles que du contenu.
1. Une formation pensée pour s'adapter aux
disparités d'un état immense
Intervenir sur tout le territoire de l'Etat suppose une
logistique très avancée, surtout si l'on souhaite maintenir une
même qualité de formation pour tous les professeurs. La formation
est divisée en deux cycles. Le premier a pour objectif une
sensibilisation autour de la question des discriminations raciales à
l'école et de la place des Noirs dans la société
brésilienne. Le second doit aborder des thèmes plus en relation
avec les éléments à transmettre en salle de classe. Lors
des formations, les professeurs de l'enseignement primaire et secondaire sont
séparés. Chaque formation consiste en deux modules de quarante
heures chacun. La formation a lieu dans la direction. Quinze heures, soit
quatre sessions, sont réalisés avec le formateur, qui se
déplace jusqu'au lieu. Neuf heures consistent en des
vidéoconférences. Seize sont consacrés à des
travaux de recherche dirigés par les assistants techniques
pédagogiques (ATP) en charge du programme dans la direction. Les
professeurs sont invités par leur direction locale à participer
au cours. Généralement, les demandes excèdent les places
disponibles, indice d'un succès certain, même si il ne peut
être entièrement attribué à la thématique du
cours. La formation donne en effet droit à une légère
augmentation de salaire et permet au professeur de s'éloigner de son
quotidien pour quelques heures hebdomadaires.
Les temps forts de la formation sont évidemment les
cours avec le professeur, mais les vidéoconférences sont aussi
d'une grande importance. Le Secrétariat dispose pour cela d'un outil
précieux, le « réseau du savoir »
(« rede do saber »). Il s'agit d'un réseau
multimédia qui relie toutes les directions locales avec la
Secrétariat, et dispose d'une capacité à réunir 12
000 personnes simultanément pour les formations. Elle permet donc de
donner une large audience aux professeurs prestigieux qui viennent s'exprimer
lors des vidéoconférences du programme, et qui ne pourraient en
aucun cas visiter chaque direction une à une. Plus encore, elle donne au
programme son unité, avec des conférences de lancement ou de
fermeture où apparaissent les responsables de
« Educando », créant ainsi un lien plus fort que la
simple lecture d'un texte. En effet, le réseau permet aussi des
échanges, puisque les directions peuvent demander la parole. Les
vidéoconférences sont d'ailleurs divisées en deux, d'abord
une exposition, puis un échange. Ces moments de dialogue permettent en
outre de recueillir des indices précieux sur la réception du
programme, car les professeurs semblent parler assez ouvertement aux
coordinateurs, leur signifiant leur soutien ou leur désaccord.
L'homogénéité que permet le
système de vidéoconférence ne vient cependant pas effacer
les disparités de l'Etat de Sao Paulo, tant dans les situations
socio-économiques des professeurs et des élèves que dans
la question plus précise des relations raciales. Entre le grand Sao
Paulo et le reste de l'Etat, entre les écoles de centre-ville et celles
de banlieue, voire de la campagne, les réalités vécues par
les professeurs dans leur quotidien sont évidemment très
différentes. Cette question a été systématiquement
abordée avec les formateurs lors des entretiens, mais il a
été difficile de trouver des indices permettant d'établir
un profil-type du professeur de tel ou tel type d'école, qui le rendrait
plus ou moins sensible au traitement de la question des discriminations
raciales. Le consensus parmi les acteurs du programme était plutôt
que les situations dépendaient des dynamiques de groupe durant la
formation même, et de l'implication des directions locales. Il n'est donc
pas pertinent de classer les écoles selon leur position
géographique ou le niveau socio-économique des
élèves pour émettre des hypothèses sur le
degré de réception des professeurs.
L'implication des directions et plus
précisément de l'ATP en charge du programme semble par contre
fondamentale dans la réception du programme et son impact potentiel. La
direction, en traitant le programme avec plus ou moins d'enthousiasme, peut
émettre des signaux politiques forts vers les professeurs. Cela peut les
amener à se sentir plus concernés, par exemple pour appliquer en
salle de classe les enseignements de « Educando ». L'ATP a
un rôle décisif dans la coordination du programme au niveau local.
Lorsqu'une relation s'établit entre le formateur et l'ATP, le programme
semble avoir plus de chances de fonctionner correctement, et d'avoir un impact
sur les professeurs. L'ATP peut aussi avoir un rôle pour faciliter le
dialogue entre le formateur et les professeurs en cas de tension, et pour
encourager les professeurs à donner suite au travail en organisant des
manifestations en rapport avec la thématique ou en prolongeant la
discussion à travers des groupes de travail.
Il ne s'agit pas de dire qu'un ATP va
délibérément négliger son travail s'il est en
désaccord avec les idées portées par
« Educando ». Il existe une relation hiérarchique
entre les directions et le Secrétariat qui oblige les premières
à mettre en oeuvre les programmes décidés par
l'organisation centrale. Cependant, au vu des multiples priorités
affichées par la CENP, une direction disposera toujours d'une certaine
marge de manoeuvre, et l'ATP pourra se montrer plus ou moins enthousiaste. Les
ATP suivent d'ailleurs généralement les formations eux aussi, et
leur degré de motivation peut influer sur les comportements des
professeurs.
L'organisation de la formation permet d'assurer une certaine
homogénéité nécessaire à la cohérence
du programme. Les contextes locaux importent finalement moins dans le
déroulement du programme que le soutien apporté par la direction
et l'ATP. Généralement, on peut considérer que ces
conditions sont adéquates au déroulement d'une formation de
qualité, pédagogiquement ambitieuse.
2. L'ambition pédagogique : matériels et
professeurs de qualité
« Educando » est un programme pionnier et
ambitieux. En traitant de la thématique des relations raciales à
l'école, il explore un terrain peu familier des professeurs, et cherche,
selon les mots mêmes de ses concepteurs, à réaliser un
« travail d'intervention ». Cette expression situe la
formation dans le conflit de représentations, indiquant qu'elle a pour
but la modification de leur perception de la diversité dans leur salle
de classe. Le conflit de représentations, entre une vision toujours
informée par le mythe de la démocratie raciale, et une autre qui
la critique, est central. Il y a donc une volonté d'altération de
la matrice cognitive des professeurs, qui pourrait se traduire par un
changement de référentiel. C'est pour le moins l'ambition du
programme.
Le mot d'ordre, plusieurs fois répété par
les formateurs et coordinateurs, est de
« conquérir » les professeurs. Ce terme met en
lumière la contrainte sous laquelle se met en oeuvre le programme. S'il
propose une dénonciation virulente de la discrimination à
l'école et du traitement des Noirs dans la société
brésilienne, il risque de s'aliéner les professeurs. La
« conquête » serait alors un échec. On
retrouve cette problématique du changement de champ. Dans le champ
politique, la dénonciation virulente avait un sens. Il s'agissait de
marquer des positions, des horizons, pour ensuite entrer en négociation.
Dans le champ de l'administration scolaire, il faut convaincre les professeurs,
en faisant évoluer leur perception des inégalités raciales
dans le pays, sans les choquer. On pourrait déjà nuancer avec
l'idée que jamais tous les professeurs ne pourront être
convaincus, que chaque cas reste individuel, mais ce travail sera
réalisé dans la seconde partie. Le dilemme, à ce stade,
demeure la complexité de formuler un contenu respectant l'esprit de la
loi 10.639 sous la contrainte de devoir s'attaquer au discours dominant.
Pour cela, les moyens mis en oeuvre sont d'une bonne
qualité. Il s'agit en quelque sorte de séduire le professeur, en
restant le plus possible sur le terrain de la pédagogie. Les livres qui
accompagnent chacun des deux modules sont à ce titre très
intéressants. Ils regroupent les textes de professeurs
d'université prestigieux sur les thèmes du programme. Pour le
premier module, ils traitent des « concepts de base sur la
discrimination », de l' « école et la
diversité » et de « la littérature jeunesse,
le livre scolaire et les personnages noirs au Brésil ». Pour
le second module, les thèmes sont plus nombreux et approfondis :
« diversité culturelle et programme scolaire : la
question raciale dans la pratique éducative des professeurs »,
« l'école et la construction de l'identité dans la
diversité », « la jeunesse, l'enseignement
secondaire et la diversité », « pédagogie de
l'exclusion : la représentation du noir dans la littérature
brésilienne », « certains aspects de l'histoire
africaine des Noirs au Brésil », et « apprendre
à conduire sa propre vie : dimensions de l'éducation entre
Afro-descendants et Africains ». Il y a donc une progression entre
les deux modules, le premier ayant pour principal but de
« sensibiliser », un objectif affirmé
énergiquement lors de la vidéoconférence d'ouverture par
la coordinatrice de la CENP. Cette progression et ce souci d'avancer pas
à pas sont à rapprocher de la volonté de
« conquérir » les professeurs.
Les rédacteurs des textes des livres
pédagogiques sont des professeurs d'université, militants du
mouvement noir au moins par leurs publications et leurs travaux de recherche.
Ils sont aussi souvent ceux qui apparaissent lors des
vidéoconférences.. Le contenu du programme reprend les
résultats de la recherche sur les relations raciales au Brésil,
notamment en histoire et en sociologie. Globalement, le cours diffuse les
idées défendues politiquement par le mouvement noir et
avancées scientifiquement depuis une cinquantaine d'années,
étudiées dans les chapitres précédents :
critique de la démocratie raciale, mise en valeur du rôle des
Noirs dans la construction nationale, avec le but de favoriser leur estime de
soi, par l'intermédiaire de changements dans l'enseignement des
professeurs. Ce sont ces idées que le cours a pour ambition de diffuser,
même si elles sont inscrites dans le cadre plus large de la question de
la différence à l'école.
Auteurs et conférenciers privilégient un
discours scientifiquement fondé, proche d'un cours d'université.
Cela a parfois été critiqué lors des entretiens comme
assez éloigné de la réalité vécue par les
professeurs, de leur quotidien, mais il me semble qu'il s'agit, dans ce
contexte, d'une volonté de témoigner de la considération
aux professeurs, et de leur démontrer l'importance du sujet. Sachant que
le mouvement noir a longtemps été caricaturé dans les
médias comme des activistes parfois agressifs, financés par
l'étranger et porteurs de thématiques antinationales, il n'est
pas inutile de se prévaloir d'une caution scientifique, qui
confère plus de légitimité aux enseignements du programme.
Il convient aussi de considérer les différentes perspectives
à partir desquelles peut être abordé
« Educando ». D'un point de vue de sciences de
l'éducation, il semble que son impact soit limité par d'autres
facteurs : une formation de quatre-vingt heures au total ne pourra pas
révolutionner l'école publique brésilienne. Le fait que
les textes soient quelque peu éloignés de la pratique même
des professeurs n'est donc pas rédhibitoire si l'on en revient à
l'ambition première des concepteurs : sensibiliser sur la question
raciale. De ce point de vue plus politique, des textes d'une teneur assez
générale seront certainement efficaces. D'autant que le programme
a vocation à être une amorce. Il doit être travaillé
ensuite par les professeurs individuellement.
La maquette des ouvrages et le recours à la
technologie du réseau du savoir participent aussi d'une image moderne du
programme. Ce matériel pédagogique peut donc certainement faire
l'objet de critiques plus ou moins fondés, mais il témoigne du
souci de qualité qu'ont eu les concepteurs du programme, et des moyens
qui lui sont accordés. On retrouve ce souci dans le choix des
formateurs.
Les formateurs sont en grande majorité des
étudiants, généralement de troisième cycle
(« mestrado » ou doctorat), même si quelques
étudiants de second cycle assurent des formations. Ils proviennent
majoritairement de la UFSCAR, où ils sont associés au NEAB, mais
aussi de la UNESP (Université de l'Etat de Sao Paulo), qui dispose
d'antennes dans différentes villes de l'intérieur, ce qui
facilite la logistique du programme, et de la USP (Université de Sao
Paulo). Ces étudiants ont à des degrés divers des liens
avec la thématique des discriminations raciales ou de l'identité
noire au Brésil et le mouvement noir. Certains se définissent
eux-mêmes comme militants, d'autres non, mais tous ont en commun des
travaux de recherche en rapport avec les thématiques du cours. La
plupart sont noirs, mais pas tous. Leur niveau de formation élevé
est un grand atout dans les discussions avec les professeurs. Ce profil
s'intègre dans la stratégie de séduction : ils
peuvent user de leur parcours académique pour emporter l'adhésion
des professeurs. Un ATP remarquait d'ailleurs au cours d'un entretien qu'il
était rare d'avoir des formateurs d'un tel niveau. Il s'agit là
encore d'un aspect de la stratégie de conquête.
Toutes ces observations conduisent à conclure que les
conditions de réalisation du programme « Educando »
sont globalement bonnes, et permettent de réaliser le travail
d'intervention de grande ampleur que souhaitait mettre en place le Conseil de
la Communauté Noire. Pour le Secrétariat, il ne s'agit pas
seulement d'une mesure d'affichage sur la question raciale : les moyens
financiers accordés au programme démontrent qu'il s'agit bien
d'un axe de travail que souhaite développer la CENP, et qu'elle
bénéficie de l'espace politique pour le faire. On peut donc y
voir une évolution du côté de l'action publique même,
puisque le thème des relations raciales est traité pour la
première fois en tant que tel par cette institution. Peut-on pour autant
conclure à un changement de référentiel ? Il est
certainement trop tôt. Le programme reste encore fragile, et nul ne sait
quelle continuité lui sera donné après
l'échéance de septembre 2006. Un changement de
référentiel, pour s'inscrire dans la durée,
dépendra certainement de la capacité d'influence du mouvement
noir sur les politiques publiques. Le succès
d' « Educando » peut à ce titre servir de
modèle. Le sentiment de certains membres de la coordination d'avoir
convaincu au sein de l'administration que l'on pouvait confier à des
Noirs la réalisation d'un tel programme est déjà une
avancée.
Si « Educando » est donc, à son
échelle, un succès quant à l'évolution possible des
politiques publiques, il faut désormais se consacrer à
l'étude des sessions de formation en elles-mêmes, qui permettent
de mesurer l'évolution potentielle du référentiel des
acteurs de politiques publiques que sont les professeurs du réseau
public d'enseignement, à travers leur interaction avec les formateurs.
II. Des sessions de formation animées :
conflits et dialogues caractérisent la réception d'une
formation qui rompt avec la pensée dominante
L'ambition de « Educando » est de
« conquérir » les professeurs. Le terme
démontre que le présupposé des concepteurs du programme
est que les professeurs ne partagent pas leur vision des relations raciales
à l'école et sur la situation des Noirs au Brésil. Il faut
garder en tête que la critique du mythe de la démocratie raciale,
si elle est très présente dans le monde académique, reste
très minoritaire dans le sens commun. De fait, au début du
programme existait la crainte d'un rejet massif : c'est un
élément à prendre en compte lorsqu'on analyse les
contenus. La métaphore induite par l'idée de
« conquête » laisse d'abord à penser qu'il
s'agit ici d'un processus de séduction, c'est à dire emporter
l'adhésion des professeurs, les convaincre. C'est certainement le sens
qu'ont voulu donner à ce mot les personnes interrogées.
Néanmoins, on peut aussi y lire un second sens, plus littéral, en
se souvenant que le mot conquête fait avant tout partie d'un vocabulaire
guerrier.
On retrouve en fait ces deux sens au coeur du projet, lors des
sessions de formation. Elles sont un espace de micropolitique où
s'incarne le conflit de représentations. Si elles peuvent
apparaître à première vue comme conflictuelles, elles sont
aussi le lieu où le formateur va mettre en place différentes
stratégies pour, au final, faire évoluer les conceptions des
professeurs sur ces questions. Pour cette partie, il est important de bien
garder en tête le caractère individuel de ces changements.
Même si l'état d'esprit des professeurs peut être
évoqué en des termes généraux, il est clair que,
dans chaque groupe, les individus ont des réactions différentes,
que certains par exemple ne peuvent être convaincus, quand d'autres
seront plus sensibles du fait de leur histoire personnelle même. Ces
personnes sont aussi des acteurs clés des formations car ils vont
largement participer aux débats qui y prennent place.
A. Le caractère souvent conflictuel des sessions
1. l'hégémonie de la pensée dominante
Sur la question des relations raciales, les professeurs ne
représentent pas un segment de la population se différenciant des
autres. Ils partagent généralement les grands traits de la
pensée dominante, qui peut-être s'amplifient même pour
certains, puisque, fonctionnaires publics, ils sont encore plus sensibles au
discours de l'Etat sur la question. Leur attitude est aussi guidée par
le référentiel de l'institution scolaire, qui fait de
l'universalisme une valeur centrale, comme on l'a observé dans le
deuxième chapitre. Ils s'inscrivent donc dans une valorisation de la
supposée démocratie raciale brésilienne, assez peu
touchée par les réflexions du courant de pensée qui la
critique en tant que mythe. Ce discours se fonde sur l'idée qu'il
n'existe pas d'inégalité raciale au Brésil, plus
profondément encore, que l'idée même de race est
étrangère à la culture brésilienne. Ils nient avec
ferveur leur existence et par conséquent la possibilité
d'inégalités selon un tel facteur. Ils en reviennent ainsi
très souvent à une autre maxime fondamentale :
« les inégalités sont sociales au
Brésil ».
Cette idée, qui est une des premières à
laquelle les formateurs doivent s'attaquer, est profondément
ancrée chez les professeurs. De fait, elle est aussi une défense
de leur propre pratique : comment pourrait-il accepter de
reconnaître que l'école est un lieu où sont actifs des
mécanismes de discrimination ? Ce serait reconnaître à
un moment qu'eux-mêmes ont pu être racistes, avoir des
comportements racistes, alors même que le racisme est une tare sociale,
une attitude unanimement proscrite, au moins publiquement. Avec une conviction
profonde que le racisme est avant tout une idéologie excluante, ils ne
voient pas ou ne souhaitent pas voir les manifestations de racisme plus ou
moins voilées dont l'école est le théâtre. Concevoir
l'existence de discriminations d'ordre systémique leur est très
difficile : le racisme est avant tout une faute individuelle pour lequel
on devrait pouvoir trouver des coupables.
Pour ceux qui reconnaissent que le racisme existe au
Brésil, cela est souvent le cas chez les autres, mais pas dans leur
école, encore moins dans leur propre classe. Exemples à l'appui,
les professeurs cherchent à montrer leur bonne foi :
« dans ma classe, celui qui a le plus d'amis est un
Noir » ; « je ne sais pas combien il y a de Noirs, je
ne fais pas attention à cela ». Dans les deux cas, on cherche
à détourner l'attention du problème, à le nier,
à partir d'un exemple qui devrait discréditer toute critique. Une
autre manière de rejeter par avance les critiques est de rappeler
l'attachement à la nationalité brésilienne, en affirmant
dans le même temps que la racine africaine fait partie de
l'identité de tous les Brésiliens. Ainsi, le peuple
brésilien serait un peuple « brun » (moreno).
« Nous avons tous, nous Brésiliens, des racines africaines, il
ne peut pas y avoir de racisme » dit ainsi une professeur qui
conteste vigoureusement l'utilité de cette formation.
Le référentiel universaliste et
égalitaire, soit l'idée d'un professeur qui ne voit pas les
différences, n'y est pas sensible et ne peut donc pas les traiter, est
aussi à l'origine d'une autre critique très courante à
« Educando », qui s'inscrit dans les grandes lignes du sens
commun sur les relations raciales. Il s'agit d'une interrogation sur la
nécessité d'un tel programme pour traiter de la situation des
Noirs. L'argument qui fonde ce questionnement est que s'il existe des
discriminations, il faut alors toutes les traiter : discrimination des
indigènes, des handicapés, mais aussi des petits, des gros, des
laids... On tente alors de noyer la question raciale dans des
problématiques beaucoup plus larges, souvent avec mauvaise foi.
D'ailleurs le décret d'application de la loi, qui est la base du contenu
du cours, un texte sur lequel s'appuient les formateurs, est bien clair sur
son intention de lutter contre toutes les discriminations, à partir d'un
exemple paradigmatique, celui des Noirs. Mais cette critique reste
régulièrement exprimée. Une variante consiste en
reconnaître l'existence du racisme dans la société, mais en
nier la présence à l'école.
Les individus sont plus ou moins imprégnés de
cette pensée dominante, de même qu'ils disposent de plus ou moins
de facultés d'adaptation, qui leur permettront d'assimiler le cours et
d'évoluer. Ces quelques points permettent de recenser les
différents éléments qui en sont présents dans
l'esprit de chaque individu, imprégné à des degrés
différents. Les plus radicaux vont souvent être à l'origine
des premiers débats d'une session de formation, où le professeur
peut parfois être pris à partie.
2. Le formateur pris à partie
Les sessions de formation, si elles ne se déroulent pas
nécessairement dans un climat tendu, sont néanmoins
généralement le théâtre de dialogues enlevés
entre le formateur et les professeurs, voire entre les professeurs
eux-mêmes. Encourager au dialogue est une des consignes que
reçoivent les formateurs. Il existe souvent, dans la plupart des
groupes, quelques individus radicalement opposés au traitement de cette
thématique, qui font entendre leur voix. Mais d'autres individus, pas
nécessairement opposés mais plutôt à la recherche de
connaissance, peuvent aussi presser le formateur de questions.
Le dispositif lui-même de la formation, malgré
l'accent mis sur le dialogue, reste celui d'une violence symbolique du
formateur sur les professeurs en formation. Il détient une connaissance
qu'il doit leur transmettre. Ce conflit symbolique est accentué par le
fait que, dans la plupart des cas, le formateur est noir et les professeurs
blancs dans leur majorité. Ce dispositif est l'une des
spécificités d' « Educando », puisqu'il
est rare que les professeurs se retrouvent dans une telle situation. Elle
génère nécessairement des sentiments :
peut-être des frustrations, mais aussi potentiellement une
reconsidération de la place des Noirs dans la société.
Deux entretiens ont concerné des formateurs à la
peau claire, se définissant eux-mêmes comme noirs en tant que
positionnement politique, mais qui, dans le contexte brésilien,
reconnaissait qu'ils auraient tout aussi bien pu s'affirmer comme blancs. Les
professeurs, en général, ne faisaient pas cette distinction, les
considéraient comme blancs sans tenir compte de leur autoclassification
et les interrogeaient souvent sur les raisons de leur engagement sur cette
question, questionnant leur crédibilité pour parler du sujet.
Cette situation démontre bien qu'il existe certaines attentes par
rapport à un cours sur les discriminations raciales. Par exemple, ce
cours devrait normalement être assuré par une personne noire. Cela
renvoie à l'idée que les discriminations raciales ne sont pas
nécessairement un problème qui concerne tous les citoyens, mais
seulement ceux qui en sont victimes, attitude assez répandue dans la
société brésilienne.
Avec le cas des formateurs à la peau claire et des
questions qui leur sont adressées, on touche du doigt une autre
réalité de ces formations : la place qu'occupent les
questions personnelles, et la violence symbolique exercée à son
tour contre le formateur. Celui-ci est souvent questionné sur des
aspects intimes de sa personnalité, sur sa vie privée. Cette
violence peut être relativisée par le fait que les professeurs
eux-mêmes doivent dévoiler une part de leur intimité. Ils
peuvent être amenés à des prises de position très
personnelles, à évoquer directement leur rapport au thème
des relations raciales. Ces prises de position ne concernent d'ailleurs pas
toujours directement le formateur, mais peuvent résulter de
conversations entre les professeurs eux-mêmes. Une professeur a par
exemple avoué en pleur en pleine session qu'elle devait se
séparer de son mari car elle s'était rendue compte que celui-ci
était profondément raciste. Cette situation démontre bien
que ce sont des questions qui touchent les professeurs profondément, en
tant que professionnels de l'éducation mais aussi en tant qu'individus
ou citoyens : on sort alors du débat scientifique.
Lors d'une session de formation, alors que le moniteur, noir,
évoque les statistiques sur les mariages interraciaux au Brésil,
qui démontrent qu'ils sont assez peu nombreux, une professeur
l'interrompt : « donc, vous ne pourriez pas avoir de petite amie
blanche ? ». Le formateur dût alors se justifier, lui
expliquer tout d'abord qu'elle avait mal compris, qu'il ne s'opposait pas aux
mariages interraciaux mais faisait simplement mention des statistiques sur le
sujet. Comme elle insistait sur le volet personnel de sa question, il dût
alors répondre qu'il avait déjà eu des petites amies
blanches. La curiosité de cette dame n'était pas
nécessairement mal intentionnée et avait peut-être pour
origine le fait qu'elle n'ait que rarement parlé à un Noir.
Elle dénotait quand même d'un climat assez tendu, où
certains essayaient de pousser le professeur à la faute, niant les
problèmes de racisme et les attribuant aux Noirs eux-mêmes, qui
seraient racistes entre eux. La professeur pensait tenir là une preuve
de ses affirmations. Pour en revenir à l'aspect symbolique de ces
confrontations, il fallut alors beaucoup de calme et de maîtrise au
formateur pour ramener le débat vers des considérations
scientifiques.
Les formateurs sont donc bien en première ligne dans
cette « conquête », comme des ambassadeurs sur la
question raciale. Parmi eux, on compte des Africains, installés au
Brésil depuis plusieurs années. L'un d'eux rapportait lors d'un
entretien qu'un jour un ATP lui avait demandé « de venir
habillé en Africain ». Il pensait à un costume
traditionnel, imprégné par une vision très folklorique de
l'Afrique. On ne peut dans ce cas parler d'une manifestation de racisme. On
peut cependant constater la force des préjugés et des
idées reçues auxquelles sont confrontés les formateurs. On
imagine les difficultés qu'ils peuvent avoir parfois pour maintenir la
qualité des débats. Les professeurs à la peau claire
interrogés rapportaient le même type d'incursion dans leur vie
privée : critiques sur l'affirmation de l'identité noire,
questions sur l'ascendance familiale, sur les préférences
sexuelles... Cette grande présence des thèmes personnels illustre
le rapport très intime que les personnes entretiennent avec la
thématique raciale. Au-delà des positions de principe affirmant
la brésilianité de tous et l'absence de racisme, ces questions
révèlent que les interrogations sur le sujet sont très
présentes et habitent le quotidien des personnes. Lorsqu'on
dépasse les prises de position convenues, on voit alors poindre ces
sujets.
Une autre difficulté à laquelle doivent faire
face les formateurs est la répétition de certains points de vue
ou de certaines questions, même après qu'elles aient
déjà été traitées. Toutes les personnes
travaillant pour « Educando », formateurs ou membres de la
coordination, ont bien conscience qu'ils ne pourront changer les conceptions de
tous les professeurs. Reste que, lorsque ces prises de position hostiles sont
répétées, la situation est un peu
« désespérante », pour reprendre un terme
employé par plusieurs personnes interrogées. Ainsi, lors de
l'ultime session du premier module, une professeur interrompt le formateur qui
évoque les inégalités de revenu qui frappent les
noirs : « mais Pelé, il est riche ! » Il
est à noter que « l'argument Pelé » est
très souvent repris, selon de nombreux formateurs. Il consiste à
utiliser la situation de l'ancien joueur de football pour démontrer que
les Noirs ne sont pas discriminés au Brésil. Pelé est
riche, il a été ministre, cela démontrerait l'absence de
discrimination. Dans une version moins radicale, l'argument sert à
démontrer que les inégalités au Brésil ne sont en
aucun cas d'ordre racial : un Noir peut être riche, puissant... Il
est assez difficile de gérer ce genre de contradiction
répétitive. La question des quotas à l'université
fait aussi très souvent irruption dans les débats, alors qu'elle
n'a pas vocation à être traitée dans le cours, qui concerne
l'enseignement primaire et secondaire. Mais elle est très
présente dans l'actualité, et soulève beaucoup
d'inquiétudes : elle est utilisée pour discréditer
les revendications du mouvement noir. Un des défis auquel doivent faire
face les formateurs est donc de maintenir le cours dans ses limites.
Cette vision d'un cours mené dans la difficulté
doit cependant être nuancée. Ces oppositions sont
généralement le fait d'individus isolés, qui parviennent
parfois à obtenir l'adhésion de groupes plus élargis. Les
différentes stratégies pour gérer ces oppositions seront
analysées dans la partie suivante. A côté des opposants, il
faut aussi souligner la présence de professeurs très favorables
aux thématiques développées par le programme, qui
soutiennent les formateurs, et surtout entretiennent un débat avec leurs
collègues. Parfois, certains professeurs se définissent comme des
militants du mouvement noir. Une professeur intervient ainsi lors d'une
discussion : « ce sont des thèmes nouveaux. Quelques
années en arrière, un cours comme celui-ci aurait
été une revendication de pointe du mouvement noir. (...) Je me
vois comme une personne qui a accompagné ce mouvement ». Cette
personne, visiblement très heureuse de participer au cours, permettait
de replacer « Educando » dans le contexte d'une lutte
politique sur le long terme. Plusieurs formateurs ont constaté que
souvent des professeurs se sentent renforcés par le cours, moins seuls
dans leur action. Cela correspond à un effet qualifiable
d'élément de la politique d'identité du mouvement
noir : l'identité noire devient plus facile à assumer.
D'autres sont convaincus et modifient leurs points de vue,
peut-être leurs pratiques aussi. En termes politiques, il s'agirait cette
fois des effets d'une politique de reconnaissance. Dans les deux cas, ils
résultent de la politique culturelle du mouvement noir. On observe
là les effets de revendications formulées dans le champ politique
sur des individus qui en sont éloignés, à travers leurs
traductions en politiques publiques.
Il existe donc une grande variété de situations,
qu'il est difficile de toutes retranscrire. Cela aurait nécessité
une étude beaucoup plus approfondie. L'ambiance lors des sessions de
formation n'est pas nécessairement hostile, mais la majorité des
professeurs doit dans tous les cas être convaincue. Pour cela, le
programme agit sous la contrainte d'une nécessité de
modération.
B. La nécessité de modération qui en
découle
La modération dont il est question ici ne doit pas
être comprise seulement comme une contrainte que subiraient les
concepteurs du programme. Il s'agit de la contrainte présente dans tout
discours de devoir être adapté à son public pour être
compris, reçu. Le discours n'est jamais formulé dans un cadre
abstrait. Il doit donc pouvoir toucher les professeurs, utiliser des
références qu'ils peuvent comprendre, pour les amener
progressivement vers d'autres horizons. Les formateurs peuvent utiliser pour
cela différentes méthodes, certains préférant quand
même la rupture à un dialogue qu'il juge trop mou. Les
résultats restent encore difficiles à mesurer et doivent, dans
tous les cas, être nuancés. Le but est de surmonter le conflit de
représentations pour réussir un rapprochement.
1. Une ligne relativement modérée :
composer avec les idées les plus répandues
« Educando », s'il présente
certains aspects polémiques, s'inscrit aussi dans des cadres de
pensée plus larges et consensuels au Brésil. Un discours
très prégnant dans le pays, structurant l'imaginaire national,
est celui autour du projet de développement, du chemin à
accomplir jusqu'à devenir un pays du « premier
monde »101(*).
Il renvoie d'ailleurs aux discussions à l'orée du XX°
siècle sur la formation de l'identité nationale.
« Educando » s'inscrit souvent dans le cadre de cette
pensée consensuelle, à laquelle il est difficile de s'opposer. Il
s'agit de ce que Ernesto Laclau appelle un « lieu
vide »102(*) ,
qui unifie un ensemble de revendications par un processus d'équivalence.
Ainsi, quasiment toute proposition politique peut être incluse dans ce
chemin vers le premier monde, de l'indépendance
énergétique à la libéralisation du marché du
travail, de la modernisation de l'administration à l'éradication
de la corruption. Dans ce cadre, la lutte contre les discriminations raciales,
à l'école dans le cas d'« Educando », est
parfois présentée par ses concepteurs comme un
élément dans le processus, un pas sur le chemin vers le
« premier monde ».
Une telle argumentation désamorce les critiques, car
elle est difficilement attaquable, puisque ce but est partagé par tous
les Brésiliens, à tel point qu'il pourrait être
considéré comme un trait de l'identité nationale. Il
s'agit d'une manière habile de placer la question des discriminations
dans le projet national. Les discriminations seraient aussi à la source
de la faible qualité de l'éducation publique. Or, les professeurs
sont dans leur grande majorité très attachés à la
défense de l'école publique, dont ils souhaitent
l'amélioration de la qualité. En liant discriminations raciales,
qualité de l'éducation et projet national,
« Educando » peut surmonter les réticences initiales
de nombreux professeurs. Cette chaîne d'argumentation est limpide dans
une intervention du coordinateur du programme Valter Silverio lors d'une
vidéoconférence : « il faut augmenter la
qualité des études et affronter nos différences, et toutes
les contradictions de la société brésilienne, au sens que,
avec pour fondement une éducation plurielle, qui traite l'école
avec beaucoup d'attention, le pays pourra atteindre le statut de premier
monde » 103(*).
« Educando » réduit aussi les
possibilités de confrontation en jouant sur l'ambiguïté
entre la nature du programme, issu d'une mobilisation du mouvement noir, et sa
portée plus générale, incarnée par son nom
même. Les formateurs, les conférenciers ainsi que les textes de
travail affirment à de nombreuses reprises la nécessité de
lutter contre toutes les discriminations, et non pas seulement contre celles
frappant les Noirs. Lier la question des discriminations à la question
plus large des différences, plus directement liée au champ des
sciences de l'éducation, permet de contourner l'obstacle
constitué par des individus refusant tout débat sur la question
raciale. Dans le programme, ce choix apparaît formellement dès la
proposition de la UFSCAR, notamment dans le choix des coordinateurs. Valter
Silverio, qui se définit comme un « militant aujourd'hui dans
le monde académique », partage cette responsabilité
avec Anete Abramowicz, professeur du département d'éducation de
la UFSCAR, dont les travaux traitent principalement de la différence.
Dans un premier temps, « Educando »,
plutôt que de se focaliser sur les revendications du mouvement noir,
s'attache donc à présenter un questionnement sur
l'identité nationale. Lors de la même
vidéoconférence, Valter Silverio introduit cette
démarche : « traditionnellement, nous sommes
habitués à penser le Brésil comme le pays d'un seul
peuple. C'est pour le moins questionnable ». Le programme, par ses
contenus, insiste plus sur une remise en cause de la représentation du
peuple brésilien comme homogène dans un premier temps que sur
l'affirmation d'une identité spécifique différente. Sur
ces bases, un rapprochement entre des systèmes de représentations
conflictuels devient possible. Cette démarche est compatible à la
fois avec la nécessité de composer avec la contrainte politique
et la volonté de conquérir les professeurs.
Dans cette perspective, certains thèmes directement
liés à l'identité noire sont utilisés d'une
manière consensuelle, loin de toute radicalité. Une vision
folklorisée de l'Afrique n'est ainsi pas nécessairement bannie,
dans la mesure où elle est facilement acceptable et fait partie des
lieux communs de la culture brésilienne, qui n'a pas exclu tous les
éléments issus d'Afrique, mais les a intégré hors
de toute signification politique. Lors d'une vidéoconférence, les
professeurs d'une école primaire présentent les créations
réalisées à l'occasion d'un atelier avec les enfants. Ce
sont des poupées, d'inspiration africaine, qui soulèvent
l'enthousiasme des personnes présentes dans la direction et du
coordinateur, à qui elles sont présentées
fièrement. Le consensus autour de cette création montre que le
thème de l'identité noire ne génère pas
systématiquement des oppositions. Certaines manières de l'aborder
ne provoquent ainsi aucune contestation. C'est aussi en jouant sur ces symboles
communs, en faisant preuve de modération,
qu' « Educando » peut introduire des thèmes
plus ardus par la suite.
2. Différents formateurs, différentes
stratégies
Si la stratégie de
« conquête » souhaitée par la coordination
suppose une ouverture au dialogue, certains formateurs ont pu se retrouver en
situation de confrontation avec les professeurs. Il existe plusieurs raisons
à cela. Même si une formation universitaire était requise
pour assurer le cours, certains moniteurs ont derrière eux un
passé militant important. Ils incarnent le passage du champ politique
à celui de l'action publique, et les difficultés qui y sont
liées. Certains ont pu manquer de tact, ne pas saisir la
sensibilité de leur auditoire, ou par manque d'expérience, ont pu
se retrouver dans des positions difficiles face à des groupes peu
conciliants. Des cas de remplacement de formateurs entre deux modules ou
même pendant un module ont été constatés. Il faut
enfin nuancer le terme de confrontation, qui recouvre différentes
modalités d'interaction. Si, dans le cas du militant qui peine à
se situer hors du champ spécifiquement politique, cela peut être
fatal au bon déroulement de la formation, il n'en est pas de même
lorsqu'il s'inscrit dans une stratégie visant à obtenir plus
d'impact sur les professeurs. Partant du constat que, dans la majorité
des cas, le contenu du cours pourrait en soi être considéré
comme choquant selon les critères du sens commun brésilien,
certains formateurs choisissent délibérément d'assumer ce
choc, tout en gardant le contrôle. Il faut en réalité une
grande finesse pour assurer ces formations.
Cette volonté de secouer les professeurs peut
être appuyée sur une expérience. Dans un cas, une
formatrice faisait part d'un certain ressentiment vis-à-vis des
professeurs qu'elle avait connu à l'école publique. Selon elle,
ils ne croyaient pas en leurs élèves, et plutôt que de les
encourager, les décourageaient par avance, convaincus par exemple que
« l'université n'était pas pour eux ». Cette
formatrice assumait donc que les professeurs face à elle devaient
présenter des dispositions équivalentes. Elle considérait
aussi qu'il fallait les brusquer un peu pour qu'ils réalisent un travail
minimum autour de la formation, par exemple lire les textes. Un autre
formateur, avec une longue expérience dans les mouvements sociaux,
souhaitait lui aussi des débats très dynamiques :
« je ne crois plus tellement dans les exposés ex cathedra. Je
préfère lancer et provoquer. Ce n'est pas une matière
qu'ils vont maîtriser avec si peu de cours, donc je préfère
qu'il leur reste quelque chose qui leur serve ». Cette confrontation
stratégique s'inscrit tout de même dans la stratégie de
conquête et donc dans les objectifs du programme. Il se pourrait qu'elle
soit même parmi les plus efficaces.
Pour convaincre les professeurs, la plupart des formateurs
s'appuient sur des bases solides et difficilement attaquables, cherchant
à s'éloigner de la militance pour rester dans le domaine
scientifique. Cela est nécessaire à un premier stade, lorsqu'il
s'agit de convaincre de la réalité des discriminations.
Même des statistiques officielles peuvent être remises en cause. Un
formateur raconte qu'il doit ainsi souvent s'engager personnellement :
« Au départ, les professeurs me disent souvent :
« mais on ne va pas discuter sur quelque chose qui n'existe
pas ! » Alors là je commence ma stratégie, je
ramène des documents, des statistiques... et je leur dis :
« vous croyez que je mens ? ». Même si cela peut
paraître paradoxal, l'usage du mythe de la démocratie raciale peut
se révéler utile quand il s'agit de faire réagir contre
les discriminations, en présentant l'argument ainsi : que
reste-t-il de cet idéal lorsqu'on le compare avec les
inégalités décrites par les statistiques ? Beaucoup
de professeurs sont sensibles à ces arguments.
Les textes du livres édités par le programme
sont aussi un fondement du travail durant les sessions. Ils sont lus et
commentés, dans le but de faire un lien avec la pratique, qui est
parfois justement difficile à mettre en évidence, car la lecture
des inégalités comme raciales rompt avec les schémas de
pensée traditionnels de beaucoup de professeurs. Leur
légitimité scientifique est aussi renforcée par le titre
universitaire dont peuvent se prévaloir les formateurs, notamment pour
les titulaires d'un « mestrado »104(*), en préparation du
doctorat. Pour les professeurs de l'école primaire, dont la
majorité n'est pas allée à l'université, un fort
respect est attaché à de tels titres.
Une autre ressource stratégique dont font
fréquemment usage les formateurs est le recours à la loi. Face
aux professeurs réticents, la lecture de la loi et du décret
d'application, dont souvent ils n'ont pas connaissance, permet de faire appel
à leur loyauté, puisque c'est l'Etat, à travers une loi
fédérale, qui exige que soit traitée cette
thématique. Cela n'assure pas nécessairement un succès,
mais donne une légitimité forte au cours, et donc au formateur.
La loi est aussi replacée dans son contexte politique, celui de la
trajectoire du mouvement noir et de ses revendications. Cette histoire est
généralement méconnue par les professeurs, qui sont
parfois surpris de la découvrir, et peuvent en venir ainsi à
remettre en cause leurs opinions sur l'absence d'inégalités
raciales et la place des Noirs dans la construction nationale. Globalement,
l'idée que la connaissance permet de diminuer les préjugés
est diffuse dans le programme. Cela semble se vérifier pour une part
importante des professeurs.
Les formateurs sont les véritables agents de la
transmission du contenu du cours. Les vidéconférences sont certes
importantes mais aurait un impact probablement nul sans la reprise durant les
sessions. Les moniteurs incarnent le programme et peuvent nouer une
véritable relation avec les professeurs, qui parait fondamentale dans la
bonne réception d' « Educando ». La principale
ressource d' « Educando » est certainement la
qualité des formateurs, qui sont capitaux dans les bons résultats
du programmes.
C. Des effets difficiles à mesurer : un
programme de nature plus politique que pédagogique
Il est difficile de mesurer les effets du programme, d'autant
plus que cette recherche ne comporte pas d'étude du comportement des
professeurs dans leur salle de classe. Evaluer l'évolution de leur
pratique pédagogique est donc impossible. L'analyse des effets
réalisée ici s'appuie sur des conversations avec les professeurs
et les entretiens réalisés avec les formateurs. Il faut aussi
reprendre la distinction entre le contenu pédagogique et le contenu plus
politique du cours.
Sur le plan pédagogique, les évolutions semblent
être assez limités. De nombreux professeurs réclament la
mise en place d'un troisième module, qui aborderait plus directement des
contenus utilisables en cours. Ils sont insatisfaits par la forme abstraite que
peut prendre le cours, loin de leurs préoccupations quotidiennes. Il
faut certainement tenir compte de ces observations, mais aussi les relativiser.
Il est en effet évident que les quatre-vingt heures de formation de
« Educando » ne vont pas révolutionner les pratiques
des professeurs. Elles peuvent par contre inciter à se remettre en
cause, et à chercher par soi-même pour faire évoluer sa
pratique. On remarque d'ailleurs que certains professeurs profitent du cours
pour échanger des expériences.
Le travail de l'ATP, le suivi qu'il donne au programme peuvent
être décisifs à ce niveau, même si l'on se heurte de
nouveau à des limites qui dépassent le cadre de la question
raciale pour entrer dans celui des difficultés de l'école
publique au Brésil. Peut-on exiger de professeurs déjà
surchargés qu'ils réalisent des recherches pour améliorer
leur pratique ? Il est en tous cas certain que tous ne le feront pas. D'un
autre côté, on touche aussi les limites du traitement du racisme
en restant dans le cadre de l'école. On en revient donc à s'en
remettre à des efforts individuels que l'encadrement peut au mieux
encourager. Selon cette perspective, il apparaît que le but principal
d' « Educando » n'est donc pas directement un
changement profond dans le contenu des cours.
« Educando » est d'une nature
profondément politique, et doit être considéré selon
l'optique de ses concepteurs : une
« sensibilisation ». Il y a dans ce terme l'idée
d'un premier pas, d'une amorce qui appelle une continuation, sur un plan soit
institutionnel, soit individuel. Dans ce domaine, les résultats semblent
assez positifs. Les formateurs parviennent généralement à
neutraliser les professeurs les plus réticents, ceux qui ne peuvent
être convaincus. Les autres sont certainement amenés à
reconsidérer leur vision de la question raciale au Brésil, et de
la place de cette question dans l'école.
Ce retour sur soi, sur sa pratique, peut être assez
douloureux, et les exemples sont nombreux de sessions qui ont un
véritable effet cathartique. Le cas de la professeur qui évoque
en cours sa séparation de son mari dont le racisme lui était
devenu insupportable a déjà été
évoqué. Une formatrice parle de ce qu'elle appelle « la
file du confessionnal » : « à la fin du cours,
je demande s'il reste des questions, personne ne se manifeste. Je range mes
affaires, et là, les profs viennent me parler, ils me demandent :
« j'ai fait ci, ça, est-ce que je suis
raciste ? ». Beaucoup d'expériences personnelles, de
questions intimes remontent à la surface de la conscience à
l'occasion des sessions de « Educando ». La même
formatrice raconte qu'une professeur lui a ainsi demandé :
« mon père est noir, ma mère est blanche, qu'est-ce que
je suis ? ».
Les questions d'appartenance deviennent ainsi saillantes, et
on peut supposer que les problèmes soulevés par la formation vont
rester présents à l'esprit des professeurs pour quelque temps au
moins. Le but est de faire prendre conscience aux professeurs qu'ils peuvent,
à côté d'une lecture sociale des inégalités,
développer une lecture raciale. Une fois qu'ils prennent conscience des
enjeux de la question de l'identité et de la différence, le choix
de modifier son attitude et sa pratique reste individuel. Une étude
synthétique des projets que les professeurs doivent remettre au
formateur à la fin du cycle de formation permet de mesurer le chemin
parcouru, et celui qui reste à parcourir. Certains retournent ainsi dans
leurs école pleins de bonnes intentions, tel ce professeur qui faisait
part au formateur de son projet visant à « en finir avec le
racisme » dans son école. Le formateur lui conseillait alors
d'en revenir à un objectif plus réaliste, à se focaliser
sur les moyens pour parvenir à mener une action avec ses
élèves. Beaucoup doutent de leur capacité à mettre
en place un tel projet, voire ressentent de l'angoisse à l'idée
de devoir faire évoluer leur méthode, ou pire, de constater
qu'ils n'en sont pas capables. Le soutien qu'ils pourront obtenir, de l'ATP ou
du coordinateur pédagogique de l'école, est très
important. Ces projets sont globalement disparates, à l'image des effets
du programme sur les professeurs. Certains démontrent une
réflexion déjà avancée sur le sujet, une
volonté de travailler avec les élèves, en s'appuyant
notamment sur la communauté dont ils sont issus ou un patrimoine local.
D'autres sont beaucoup plus vagues, ou en restent à des aspects
folkloriques, comme des travaux manuels.
La capacité du programme à influer sur la vie
scolaire, et plus globalement sur les représentations de la
société brésilienne, est donc difficile à mesurer.
Le fait que le problème du racisme dépasse largement le cadre de
l'école complique encore cette tâche. Il est évidemment
impossible d'effacer le racisme, de renverser plusieurs siècles
d'histoire, et c'est pour cette raison que le programme se limite à un
objectif de sensibilisation. Il permet cependant aux professeurs qui en
bénéficient de repartir mieux armés, mieux
préparés, dans une institution, l'école, qui occupe une
position importante dans la lutte contre les préjugés.
A un niveau plus conceptuel, on peut considérer que le
conflit de représentations qui prend place durant les formations est
à la fois une retranscription, à un niveau micropolitique, de
celui qui a lieu dans le champ proprement politique, mais aussi une parcelle de
ce même conflit, qui difficilement peut être divisé, sauf
pour l'analyse. En effet, les professeurs ne se séparent pas leur
expérience en entrant dans les sessions de formation, ils ne peuvent
faire abstraction du système de représentations qui les animent.
Sur un sujet aussi personnel, il est difficile d'établir une
barrière entre l'aspect professionnel et l'aspect intime. En
conséquence, malgré tous les talents de persuasion des
formateurs, les représentations des professeurs subiront
nécessairement d'autres influences.
Les professeurs qui en bénéficient le plus sont
peut-être ceux, plus ou moins liés au mouvement noir, qui
travaillaient déjà ces thématiques, et à qui
« Educando » permet de sortir de l'isolement où les
confinait le peu d'intérêt pour ce thème
généralement. Ces personnes sortent du cours renforcées et
certainement encore plus motivées pour leur travail.
L'analyse de la traduction de ces effets en terme de
référentiel sera réalisée à la fin de la
troisième partie. Il faut en effet pour cela intégrer ces
conclusions partielles dans le cadre des contradictions internes au programme,
reflets de la difficulté à penser le multiculturalisme au
Brésil.
III. Un programme qui reflète la
complexité à intervenir sur les questions de
l'identité
« Educando » ne se présente pas
comme un bloc, mais au contraire offre différentes pistes pour penser
une évolution de l'identité nationale, dont il offre une vision
complexe, éloignée des discours nationalistes simplistes. Loin
d'opposer diversité culturelle et identité nationale, il
cristallise des tensions qui traversent la société
brésilienne. Sa vocation de tribune pour les arguments du mouvement noir
ne l'empêchent d'être avant tout un plaidoyer pour
l'universalité de l'éducation et de la démocratie.
A. Les tensions à l'oeuvre dans le programme
« Educando » est au coeur des nombreuses
tensions qui caractérisent la question identitaire en
général. Plutôt que de trancher entre des visions
opposées, il cherche à se situer entre différents
pôles. L'image ambivalente du Noir brésilien, entre tradition et
modernité, qu'il présente, reflète la complexité de
l'identité nationale.
1. Tension politique
La tensions politique au coeur du programme a
déjà été évoquée à de
nombreuses reprises dans ce chapitre. Elle se manifeste dès la
genèse du programme, et a pour source les doutes concernant la
viabilité d'un tel programme, issu directement de la revendication du
mouvement noir, au niveau national pour la loi, au niveau de l'Etat pour le
programme. Les soutiens obtenus permettent la mise en place du programme. Au
lieu de réduire la portée de son contenu, ce que le mouvement
noir n'aurait probablement pas accepté, la contrainte politique conduit
à l'insérer dans un cadre plus large, celui des
différences à l'école. C'est un cas intéressant de
passage des revendications d'un champ à un autre et des transformations
qui en sont le résultat. Ici, l'impulsion donnée dans le champ
politique par le décret pris par le gouverneur se traduit par des
changements dans le champ administratif, ouvrant la possibilité de
conséquences dans le champ politique, comme l'illustre le revirement du
Secrétaire lui-même. En terme de représentations, une
ouverture dans le référentiel global rend possible une
évolution du référentiel sectoriel, qui pourrait à
son tour, grâce à la réussite du programme, inspirer une
évolution plus profonde du référentiel global. On pourrait
qualifier ce processus de dynamique circulaire.
Il ne faut cependant pas exagérer l'importance de
« Educando » : s'il est une conquête, puisqu'il
est pionnier, novateur, il reste un programme parmi d'autres dans un seul
domaine de l'action publique, l'éducation. Il met bien en lumière
la complexité et les contradictions de l'action publique : des
programmes et discours contradictoires peuvent avoir pour cadre la même
administration. Le gouverneur de l'Etat lui-même incarne cette
multiplicité de l'action publique. Selon des personnes
interrogées, le soutien direct de Geraldo Alckmin a permis la mise en
oeuvre du programme. Il démontre ainsi une sensibilité
particulière aux revendications du mouvement noir. Son intervention lors
du lancement de la seconde étape du programme, une réception
très officielle où son discours était
précédée de celui du Secrétaire à
l'Education et de la Présidente du Conseil de la Communauté
Noire, laisse cependant planer un doute sur sa compréhension du fond des
revendications.
On pourrait penser qu'il profiterait de l'occasion pour
inscrire son action dans le cadre d'une critique de la démocratie
raciale comme mythe. Ce jour là, il prononce un discours plus ambigu,
où il inscrit, dans la droite ligne de la présentation politique
du programme, le respect de la différence dans une perspective
d'égalité, « pour nous, peuple
brésilien ». Il demeure ainsi dans le lieu commun de
l'unité nationale, mais appelle quand même à un
remboursement de la dette historique contractée envers la population
noire. Son message est ambivalent, jusqu'à la conclusion qui
éclaircit le propos. « A Sao Paulo, nous sommes tous issus du
métissage, c`est pour cela que la femme de Sao Paulo est si belle,
grâce au métissage ». On peut y voir le dérapage
d'un homme politique habile qui souhaite flatter son auditoire. Il faut aussi
certainement y lire une expression de la tension interne au programme, qui doit
camoufler une partie de ses revendications, accepter des concessions au
discours dominant, pour pouvoir exister. Ce discours, prononcé par le
premier personnage de l'état de Sao Paulo, est certainement
révélateur du degré de pénétration des
revendications du mouvement noir : elles ont pu obtenir une place dans
l'administration, mais ne peuvent encore s'exprimer ouvertement. Le poids de la
tradition du discours inspirée par Gilberto Freyre est encore
très lourd et imprègne le discours politique en
général. C'est dans cette tension politique qu'il faut situer le
programme.
2. Un positionnement ambitieux, loin de toute conception
essentialiste de l'identité
Sur la question plus spécifique de l'identité
noire sur laquelle le programme insiste, là aussi des tensions
importantes sont à l'oeuvre. Conçu au départ par une
entité censée représenter le mouvement noir pour la
définition de politiques publiques, le Conseil de la Communauté
Noire, « Educando » peut être considéré
comme une émanation du mouvement noir, même s'il doit aussi tenir
compte de contraintes propres au champ dans lequel il intervient. Comme il est
le fruit de la politique culturelle d'un mouvement social, il est
intéressant de s'interroger sur les éléments
d'identité qu'il diffuse. On se retrouve alors face à une
multiplicité d'éléments qu'il est très difficile
d'ordonner en une identité. Ce qui pourrait paraître un paradoxe
s'éclaircit en inscrivant ce questionnement sur l'identité des
noirs transmises dans le programme dans le cadre plus large de
considérations sur l'identité noire au Brésil et dans le
monde.
L'Atlantique Noire105(*), de Paul Gilroy, propose une vision de
l'identité noire en tension entre des éléments
transnationaux qui transcendent les frontières des deux
côtés de l'Atlantique, avec un mouvement perpétuel entre
différents pôles, et des éléments
spécifiquement nationaux. Ce paradigme d'une globalisation
précoce dans le « monde noir » s'est imposé
comme un axe de recherche fécond. Au Brésil, Livio Sansone
emploie les concepts développés dans ce livre pour évoquer
les différents aspects que peut prendre l'identité noire. Il
insiste sur l'impossibilité d'établir une essence de la culture
noire, même si de nombreux acteurs prétendent détenir les
marques de l'authenticité. Il définit deux pôles pour
schématiser la complexité de cette culture : d'un
côté, un pôle marqué par le passé, la
tradition, et l'Afrique comme source ; de l'autre, un pôle
influencé par les circuits de la culture transnationale, plus attractive
pour la jeunesse, forgée dans la modernité et tournée vers
d'autres cultures noires, des Etats-Unis ou de la Caraïbe106(*). On retrouve cette
distinction dans les contenus de « Educando », surtout au
cours des sessions avec les formateurs et dans les préoccupations des
professeurs. S'il n'est pas lieu ici d'approfondir l'étude de ces
questions, on ne peut les laisser de côté car elles ont un
réel impact dans le cadre d'une réflexion sur une possible
altération du référentiel des professeurs.
On peut réfléchir autour de cette
complexité à partir de deux objets très différents
présents dans les contenus du programme : les quilombos et la
musique hip hop. On a déjà évoqué l'importance
stratégique des quilombos dans les revendications du mouvement noir,
puisqu'ils matérialisent l'idée même d'une
communauté noire et d'une identité spécifique à
préserver. Manifestation forte de l'héritage africain du
Brésil, ils se caractérisent par une vie communautaire
très développée, dans des formes de relation sociale qui
ont disparu dans les zones urbanisés. A ce titre, ils sont souvent
présentés comme une forme d'essence de la culture
afro-brésilienne, posant ainsi le problème de la relation de la
grande majorité de la population avec cette culture, notamment dans
l'Etat fortement urbanisé de Sao Paulo. Dans le programme, on y fait
référence pour évoquer les spécificités des
populations noires. Les professeurs souhaitent souvent utiliser ce thème
avec leurs élèves. L'idée de réaliser un travail
avec un quilombo de la région est souvent proposée. Cependant,
résumer l'identité afro-brésilienne à cette
expression serait l'éloigner de la pratique quotidienne de la plupart
des élèves de l'école publique. Le risque serait alors
grand de n'en retenir que le folklore.
A l'opposé se trouve le mouvement hip hop,
décrit par Paul Gilroy comme une production culturelle très
caractéristique de l'Atlantique noir, puisqu'elle est le fruit de
l'introduction, dans le Bronx new-yorkais en pleine décadence sociale,
d'éléments musicaux de tradition jamaïcaine. A partir de
cette base, il a essaimé dans le monde entier en quelques années,
dépassant les frontières d'une quelconque communauté. Au
Brésil, il reste toutefois marqué par l'identité noire des
précurseurs et n'a atteint une distribution de masse qu'au début
des années 2000. Il y est encore une expression de la misère, de
l'exclusion et de la ségrégation, urbaine, sociale et raciale. Le
hip hop manifeste dans « Educando » l'existence d'une
culture noire moderne. Il est présent dans les films que propose le
programme, et surtout dans les discussions, où il révèle
souvent une fracture, à la fois générationnel et en termes
conceptuels. Ce deuxième aspect semble bien plus intéressant
à analyser, le premier étant plus anecdotique :
l'intérêt pour le hip hop n'est pas l'attribut exclusif des
professeurs « jeunes », loin s'en faut. Les lignes de
fractures sur cette question sont de deux ordres. D'une part, sur la place que
l'on peut donner à ces productions artistiques à
l'école : certains considèrent que ces formes populaires
n'ont rien à y faire. D'autre part, il existe des doutes justement sur
leurs rapports avec l'identité noire. Laisser de côté
l'idée d'une essence au fondement de l'identité est difficile
pour les professeurs attachés à des images traditionnelles de la
culture noire. Les formateurs quant à eux sont nombreux à
utiliser des chansons pour stimuler le débat.
La présence au sein du même ensemble
« culture noire » d'éléments aussi distincts
est une manifestation de la complexité de l'identité noire au
Brésil, et de l'impossibilité, assumée par le programme,
à la résumer en une essence. Il invite plutôt à
accepter cette complexité, à en faire un sujet de débat,
dans une perspective de multiculturalisme critique, qui enjoint à la
déconstruction des catégories, comme évoqué dans le
deuxième chapitre. « Educando » prend le risque de
déboussoler des professeurs en quête de contenus simples, pour
affirmer l'ambition de la complexité. Libre à chacun ensuite de
choisir des supports de travail, d'autant que dans le domaine de la musique, la
culture populaire et la culture noire au Brésil sont des
réservoirs inépuisables, qui peuvent alimenter une
réflexion sur les relations raciales.
Ce refus de l'essentialisation de la culture noire est
certainement en partie imposé par les contraintes qui pèsent sur
le programme. Mais il est peut-être surtout un reflet du positionnement
des concepteurs du programme comme des formateurs. En effet, s'il existe au
sein du mouvement noir, notamment dans la branche culturelle, des acteurs
promouvant une version essentielle de l'identité, le mouvement politique
est souvent plus nuancé. Cela est d'autant plus vrai à Sao Paulo,
parmi ces militants qui choisissent une voie institutionnelle, comme les agents
qui ont appuyé la mise en oeuvre du programme. Proche des milieux
académiques, cette sensibilité pour une approche complexe de
l'identité est aussi la leur.
Le choix de la complexité peut aussi être
à la source d'une certaine difficulté. Certains professeurs
peinent à assimiler ce discours très éloigné du
sens commun. On le voit notamment avec la difficulté pour certains
à saisir le sens que le mouvement noir donne au terme
« negro ». Ils peinent à distinguer le sens
politique attribué à ce mot, ne le voient pas
nécessairement comme un choix. Pour beaucoup,
« negro » reste « preto »,
c'est-à-dire qu'ils ne reprennent pas la distinction établie par
le mouvement noir, l'agrégation de « pardo » et
« preto » au sein d'une identité
« negro » à vocation politique, la revendication
d'une identité afro-brésilienne. De là résultent
notamment les confusions autour du cas des formateurs à la peau claire.
Cela signifie que ces professeurs s'en tiennent à une vision folklorique
de la culture noire. Sur un plan conceptuel, cela remet notamment en cause les
leçons du programme sur une autre manière d'envisager le
métissage. Ce qui disparaît lorsqu'on ne prête pas attention
au sens politique de « negro », c'est la
référence à l'établissement d'un rapport de force
dans le métissage qui a favorisé historiquement la culture et les
origines occidentales, blanches, et rendu difficile l'affirmation d'une
identité afro-brésilienne.
Le chemin de la complexité est donc difficile, mais un
travail scientifiquement fondé sur la question des identités doit
l'emprunter. La patience et le talent des moniteurs permettent souvent de
surmonter ces difficultés. Elles sont intéressantes à
relever en ce qu'elles révèlent la difficulté à
diffuser une perspective complexe sur l'identité parmi des acteurs
agissant selon d'autres références. Ces éléments
seront revus en conclusion.
B. L'ambition de l'universalité
Les éléments évoqués ici ne
découlent pas des entretiens menés avec les acteurs mais
constituent plutôt une tentative d'interprétation du programme
« Educando » en tant que traduction d'une revendication
identitaire, dont on a mesuré la complexité.
1. La question noire, métaphore de l'exclusion
sociale
Etudier « Educando » a permis de mener une
réflexion sur la traduction d'une revendication du champ de la lutte
politique à celui de l'action publique. En passant de l'un à
l'autre, la revendication première subit des modifications, qui peuvent
modifier sa nature, mais aussi venir l'enrichir. Si au départ il se
construit sur une justification identitaire, il comporte aussi un volet social
important. Dans la mesure où il s'insère dans la question de la
différence, ainsi que dans une perspective d'innovation
pédagogique, il est clair qu'il ne s'adresse à aucune
clientèle particulière, qui aurait été les Noirs en
l'occurrence, mais s'inscrit bien dans le cadre d'un combat pour
l'amélioration de l'éducation en général. Il s'agit
dont d'un élément d'une politique de redistribution, visant
à lutter contre les inégalités. La mise en place de
nouvelles méthodes de travail, d'une pédagogie qui prendrait plus
en compte l'origine des élèves, porte l'espoir d'un renouveau de
l'école publique, et, finalement, d'une société plus
juste. Cet aspect du programme est d'ailleurs fortement apprécié
des professeurs, qui sont sensibles à cet objectif.
Dans le décret d'application, la loi 10.639 est
réinscrite dans un contexte plus large que la politique de
reconnaissance : celui de l'amélioration de l'école, et des
moyens financiers qui doivent nécessairement y être
dédiés. D'une certaine manière, le mouvement noir essaie
de peser sur les contenus, sur une refonte pédagogique, puisqu'il ne
détient pas ce pouvoir financier. Mais un programme comme
« Educando » peut aussi permettre de tisser de nouvelles
alliances, à partir d'une profession dont l'importance sociale est
certaine. Les professeurs, s'ils sont convaincus, sont potentiellement de bons
agents pour la diffusion et l'acceptation des revendications du mouvement noir,
donc pour un élargissement de sa politique culturelle.
Dans cette perspective ample, la question noire
apparaît d'une certaine manière comme une métaphore de
l'exclusion d'une partie de la population, la plus pauvre. L'abandon des Noirs
par l'Etat au moment de l'abolition de l'esclavage, souvent critiqué par
le mouvement noir, qui a fait d'une « seconde abolition »
une revendication historique, se répète au quotidien par
l'abandon des populations des périphéries, une situation
particulièrement marquante dans l'état de Sao Paulo107(*). Sur le plan politique,
l'exclusion des Noirs renvoie au gouffre qui sépare les élites
dirigeantes des segments de population les plus pauvres. Sur le plan culturel,
la folklorisation de la culture afro-brésilienne, la longue
stigmatisation de pratiques tels que le candomblé par exemple,
représentent aussi la marginalisation de la culture populaire, comme en
a souffert le hip hop jusqu'à récemment.
« Educando » n'est donc pas un programme
qui cherche à renforcer une minorité, mais au contraire promeut
l'inclusion des populations marginalisées. Inspiré par l'histoire
des populations noires au Brésil et leur situation actuelle, il peut
trouver une résonance pour la population du Brésil dans son
ensemble, notamment les classes populaires. Cette promotion de l'inclusion
n'est pas fortuite : elle découle du fondement
nécessairement universaliste d'une revendication particulariste.
2. Le fondement nécessairement universaliste d'une
revendication particulariste
Selon Ernesto Laclau, « défendre le droit de
tout groupe ethnique à l'autonomie culturelle, c'est avancer une
revendication qui ne peut se justifier qu'en invoquant des raisons
universelles »108(*). En effet, on s'appuie pour cela
nécessairement sur un principe universel qui transcende
l'identité même du groupe. Au final, ce principe universel
prédomine, et les groupes « minorisés » sont
certainement parmi les plus à mêmes de sentir sa
nécessité. Un discours identitaire est par ailleurs exposé
à ses propres limites : « si un groupe essaie d'affirmer
son identité telle qu'elle est à un moment donné, comme sa
place au sein de la communauté dans son ensemble est définie par
le système d'exclusion imposé par les dominants, il se condamne
lui-même à une existence perpétuellement marginale et
ghettoïsée »109(*).
Cette impossibilité intrinsèque de
l'essentialisme est de toute évidence assumée dans
« Educando ». Cette position des concepteurs du programme
est peut-être fondée sur des considérations
stratégiques, visant à pénétrer au coeur de
l'action publique, mais repose surtout sur des convictions où
s'articulent la revendication identitaire et la critique sociale. En ce sens,
la politique culturelle n'est pas séparée de la lutte contre les
discriminations (politique de citoyenneté). En faisant de ce second
volet une priorité, le programme élargit son audience naturelle,
puisqu'un tel objectif est compatible avec une ambition universaliste.
Il faut alors, pour bien saisir le sens de ce programme,
en revenir à la discussion sur la position politique du mouvement noir
sur un axe allant du particularisme à l'intégration. On l'a vu
dans les chapitres précédents, le curseur se serait
déplacé d'une position très intégrationniste vers
une posture beaucoup plus particulariste. Comment envisager, dans cette
perspective, « Educando » ? Il est certainement
possible de considérer, au vu des éléments avancés
dans cette partie, que « Educando » relève d'une
volonté d'intégration par l'opposition. C'est ainsi que Christian
Gros caractérise la stratégie des mouvements indigènes
dans les années 1980 en Amérique Latine110(*). Il analyse leur
positionnement radical sur le plan culturel comme une modalité de
parvenir à l'intégration dans la communauté nationale.
Certes, le programme diffuse des éléments d'une identité
particulière, bien que floue, et se propose de faire évoluer les
représentations des professeurs sur la question raciale, en rupture avec
la pensée dominante. Mais sa perspective n'est pas celle d'une
séparation mais bien plutôt celle d'une réparation des
injustices, comme dans le cas des actions affirmatives. Par la restauration de
l'estime de soi des Noirs au Brésil, en leur redonnant leur place dans
l'histoire du pays, cette politique de l'identité et de la
reconnaissance souhaite établir leur place dans la société
contemporaine de manière égalitaire.
On peut donc considérer le corpus d'idée
véhiculé par « Educando » comme le ferment
d'une proposition de reformulation du projet national, sur d'autres bases, plus
incluantes. Il a souvent été reproché, assez injustement,
au mouvement noir d'être « antinational », de mettre
en danger l'unité du peuple brésilien. Il n'en est rien ici
: au contraire, il s'agirait plutôt de refonder la nation sur des
principes multiculturels, un vaste projet qu'il faut évidemment penser
sur le temps long. Un conflit de représentations est
nécessairement de longue durée. Dans l'immédiat, il
propose l'invention d'une mémoire commune, ce qui est patent dans la
surprise des professeurs lorsqu'il découvre l'histoire du pays
expurgée de lyrisme, où par exemple l'abolition de l'esclavage
n'est plus un cadeau octroyé par la princesse Isabelle mais bien un
moment fort du renforcement de l'exclusion. « Educando »
pose les bases d'un tel processus, à l'intérieur de
l'école.
C. Vers un nouveau référentiel ?
Après toutes ces observations, il convient de revenir
au but original de cette partie, à savoir un questionnement sur une
possible altération du référentiel dans le secteur
éducatif dans l'état de Sao Paulo, dont le programme
« Educando » serait la cause, au niveau des professeurs
d'abord, puis au niveau de l'encadrement.
1. Un effet incertain sur les professeurs
Il est difficile de juger d'une possible évolution du
référentiel des professeurs au vu des observations
réalisées. On peut d'ailleurs s'interroger sur les
conséquences potentielles d'un tel changement : devrait-il se
traduire par une évolution de la pratique quotidienne dans la salle de
classe ? Pourrait-il se mesurer selon des critères
précis ? Le choix ici est de rester dans la perspective du
programme, pensé comme une opération de sensibilisation sur la
thématique de la différence et de la discrimination raciale. A ce
titre, c'est donc plus sur ce qui a été appelé la nature
politique du programme qu'il faut se concentrer. Une évolution du
référentiel aurait donc pour conséquence une modification
diffuse du comportement de la majorité des professeurs vis-à-vis
de la thématique de l'identité noire et de sa présence au
Brésil.
On peut penser qu'un tel résultat est atteint dans une
majorité des cas. Il est évidemment impossible, sur un sujet
aussi polémique, que tous les professeurs assimilent le message du
cours. Mais la stratégie de conquête déployée dans
« Educando » semble porter ses fruits, au vu de
l'évolution progressive des professeurs au cours des sessions. Les
éléments examinés dans la deuxième partie
démontrent que, grâce à l'inscription de
« Educando » dans certains cadres de pensée
nationaux, ce changement ne s'effectue pas d'une manière brutale. Il est
en effet très rare qu'un référentiel évolue
brusquement. En intégrant des éléments du
référentiel traditionnel, comme la volonté de faire
progresser le pays vers le « premier monde » ou
l'impératif de défense de l'école publique, le programme
se donne la possibilité d'un changement dans la durée.
L'idée principale de la sensibilisation est de
favoriser une pratique plus réflexive : c'est pour cela que les
formateurs encouragent les professeurs à s'exprimer sur leur vécu
quotidien. Ne pas éluder les difficultés que comporte un travail
sur l'identité noire s'inscrit aussi dans ce cadre. La formation reste
cependant très courte. Elle peut déclencher un processus
d'apprentissage chez les professeurs, mais dans le même temps elle
n'offre pas la possibilité d'un traitement réellement en
profondeur, d'autant que la complexité du questionnement sur
l'identité qui sous-tend le projet semble difficilement
assimilée. Pour la majorité des professeurs, elle ne sera
peut-être que les prémisses d'une évolution sur le long
terme. C'est pour cette raison qu'une altération du
référentiel ne pourra s'inscrire que dans une perspective
institutionnelle.
2. Les pistes d'un changement de référentiel
sectoriel
Les conclusions quant aux effets du programme sont
forcément mitigées, car un changement de
référentiel s'établit sur une perspective de temps long,
et dépend de processus à différentes échelles.
« Educando » ouvre les pistes d'un changement de
référentiel sectoriel, qui reste néanmoins soumis à
des évolutions du référentiel global, selon une dynamique
circulaire déjà évoquée. Pour ce qui est du
référentiel sectoriel, « Educando » semble
pouvoir être un élément d'un processus d'apprentissage, qui
se caractérise par le rôle joué par les fonctionnaires et
surtout les experts dans la définition des politiques publiques,
à l'écart des pressions sociales111(*). Il illustre comment, dans
un secteur, les représentations des acteurs peuvent être
modifiées. Pour « Educando », la mobilisation
d'acteurs spécialisés, sous l'impulsion d'un mouvement social
disposant de réseaux dans les instances gouvernementales, est à
l'origine de la mise en oeuvre d'un programme qui se démarque du sens
commun sur la thématique dont il relève, les relations raciales.
Cependant, un tel processus reste soumis à des logiques plus puissantes
pour dépasser le stade de l'expérience : celle du
référentiel global, où les rapports de force politiques
sont décisifs. Sur ce plan, élargir l'expérience de
« Educando » pour créer un effet durable suppose un
approfondissement des changements esquissés dans le
référentiel global depuis le gouvernement de Fernando Henrique
Cardoso au niveau fédéral. La complexité des rapports
entre référentiel sectoriel et référentiel global,
champ politique et administratif, sont des domaines qui doivent encore
être explorés, pour affiner l'explication.
On peut donc caractériser ce programme comme une
expérience, et à ce titre il faudra certainement attendre
quelques années pour en mesurer réellement la portée. Il
dispose cependant d'un potentiel certain. Il a permis l'ébauche d'un
réseau à l'échelle de l'état : coordinateurs,
formateurs, professeurs enthousiastes pour le thème, ces
différents acteurs pourraient tirer un profit de la réussite du
programme et chercheront certainement à approfondir et essaimer sur
cette thématique, au sein même de l'institution scolaire et en
dehors. D'une certaine manière, cela a déjà
commencé autour de la UFSCAR, qui propose maintenant un séminaire
de spécialisation sur la question, qui rencontre un grand succès.
Une autre étape du programme, visant à la production de
connaissance, est en préparation, à partir de données
recueillies auprès des professeurs et de l'expérience
vécue par les formateurs. Cette réflexion autour du programme
pourrait contribuer à la diffusion d'éléments pour un
nouveau référentiel. Ce sont des éléments d'une
politique culturelle qui passe par les cercles académiques.
Selon Bruno Jobert, « l'effet d'un programme ne se
mesure pas aux seuls impacts des mesures précises adoptées. Ce
qui importe parfois beaucoup plus, c'est la transformation des normes et des
représentations des acteurs les plus importants (...) du secteur
concerné »112(*). La perspective cognitiviste de l'étude des
politiques publiques incite à penser qu'un programme comme
« Educando » pourrait donc être très important
pour une évolution future. Le changement d'attitude du Secrétaire
à l'Education, au départ réticent, finalement
enthousiaste, est assez emblématique d'une modification des
représentations. J'émets donc l'hypothèse que
« Educando » pourrait être à l'origine d'une
inflexion sensible dans le référentiel sectoriel de
l'éducation. Il serait certainement intéressant, à moyen
terme, de revenir sur cette question, pour infirmer ou confirmer cette
hypothèse.
Il est donc également important d'établir une
perspective historique. Trop près du programme, il est difficile de
juger quelle sera son efficacité, et sa place dans l'histoire
sédimentée des politiques publiques de l'état de Sao
Paulo, et du Brésil. Tout en reconnaissant les limites à laquelle
se heurte « Educando » dans le cadre global d'une lutte
contre la discrimination raciale et de l'affirmation identitaire, beaucoup de
personnes interrogées ont insisté sur cette perspective
historique, rappelant que, seulement vingt ans auparavant, l'idée
même d'un tel programme, mis en oeuvre par un Secrétariat de
l'état de Sao Paulo, aurait paru saugrenue. Rendre obsolète une
telle objection est déjà un grand succès, qui
démontre que, dans le conflit de représentation, la politique
culturelle peut faire évoluer les positions des acteurs.
Conclusion
Dans ce mémoire, le questionnement a été
axé sur le rôle des représentations dans la
définition des problèmes sociaux, et leur place centrale dans les
luttes sociales. Cela a conduit à lier une réflexion sur l'action
d'un mouvement social, le mouvement noir brésilien, et sur les
politiques publiques, dans la perspective cognitiviste, qui leur accorde une
place centrale. Le premier chapitre a permis de retracer sur le temps long
l'évolution de ces représentations, à travers la formation
d'un courant dominant qui influence les politiques publiques et
l'émergence d'un courant de représentations minoritaires qui se
manifeste à travers les différentes incarnations au cours du
XX° siècle du mouvement noir. Le mythe de la démocratie
raciale, fondateur dans l'identité brésilienne, même
contemporaine, parvient donc, malgré les critiques, quasi intact au
début des années 1980, période de redémocratisation
de la vie politique dans le pays.
Les vingt dernières années d'action du mouvement
noir dans le champ de la politique institutionnelle nationale sont
analysées dans le deuxième chapitre dans la perspective d'une
politique culturelle. Malgré les difficultés à agir contre
un courant principal hégémonique, le mouvement noir parvient
à faire avancer ses revendications, notamment dans le domaine de
l'éducation, qu'il a depuis longtemps défini comme un secteur
clé dans le conflit de représentations. En obtenant finalement
l'obligation de l'enseignement de l'histoire et de la culture
afro-brésilienne à l'école, grâce au vote de la loi
10.639 en 2003, il remporte une victoire qui marque l'ouverture du champ des
représentations, même si ce processus est toujours
réversible et fondé sur le conflit. La critique des
représentations dominantes y gagne plus de légitimité,
même si ce changement dans le champ politique n'est qu'un pas vers une
traduction en politiques publiques qui permettraient un enracinement de ces
avancées.
Basculant vers un niveau beaucoup plus bas, qualifié de
micropolitique, le chapitre III décrit la mise en oeuvre du programme
« Sao Paulo : Educando pela diferença e para a
igualdade », une déclinaison de la loi 10.639 et de son
décret d'application. En même temps que l'on change de niveau, on
passe d'un champ à l'autre : du politique à l'administratif.
Si les frontières entre les deux ne sont pas étanches, puisqu'une
impulsion dans le premier est à l'origine de modifications dans le
second, ils restent cependant relativement distincts, obéissant à
des logiques et des contraintes différentes. Ainsi, la politique
culturelle dont il pouvait formuler les éléments de
manière radicale dans le champ politique, doit être
formulée d'une manière beaucoup plus consensuelle pour
« conquérir » les professeurs. Ce programme, et les
conflits qui y affleurent, ouvrent des pistes de réflexion pour un
éventuel changement des représentations au Brésil et, dans
la perspective de l'analyse cognitiviste des politiques publiques, du
référentiel des acteurs.
La réflexion, fondée sur une ample consultation
bibliographique et une enquête de terrain au Brésil, ne permet
cependant pas d'établir des conclusions définitives sur ces
questions. Au contraire, elle semble surtout ouvrir des axes de recherche
féconds pour des travaux futurs. En effet, malgré la valeur
heuristique des outils conceptuels mobilisés, comme le
référentiel, la brièveté du travail d'observation
empêche de se prononcer de manière claire sur une évolution
du référentiel des acteurs. Le programme, qui a valeur
d'expérience, apparaît tout juste comme marquant une tendance, qui
s'inscrit dans le mouvement, esquissé depuis une vingtaine
d'années, de reformulation de l'identité nationale
brésilienne. Il pourrait signifier un changement dans les politiques
publiques que seules des évolutions ultérieures permettront de
certifier. En effet, selon la conjoncture politique et la persistance du
mouvement noir, ce changement pourrait tout autant se pérenniser voire
s'amplifier qu'en rester au statut d'expérience sans lendemain.
La complexité des questions abordées dans ce
mémoire, leur imbrication avec d'autres problématiques, conduit
aussi à une réflexion sur le travail de recherche en
lui-même. Pour les besoins de la recherche, le conflit de
représentations a été isolé des autres
éléments avec lequel il se trouve en interaction permanente. Dans
le cas de l'éducation, il s'agit par exemple de problématiques,
propres à ce secteur, comme les difficultés en
général de l'enseignement public au Brésil. Lors de
l'enquête de terrain, certains interlocuteurs, hostiles au projet et aux
revendications du mouvement noir en général, faisaient remarquer
qu'il existait certainement des problèmes plus urgents et
décisifs à traiter dans les politiques d'éducation que les
questions identitaires, qui leur apparaissaient comme un détail. De
telles réflexions ont pu ébranler à certains moments mes
convictions sur l'intérêt même de ce travail.
Au moment de conclure, il m'apparaît cependant
clairement qu'envisager le problème sous cet angle serait faire la
même erreur que d'affirmer qu'un programme comme
« Educando » serait la solution à tous les maux de
l'éducation publique (simple hypothèse, aucune ambition si
démesurée n'a été exprimée par une personne
interrogée). Ce mémoire, où une analyse de l'interaction
entre des champs différents occupe une place importante, où l'on
a tenté de rendre grâce aux ambiguïtés d'un travail
sur l'identité, démontre que les problèmes et faits
sociaux doivent être saisis, dans la mesure du possible, dans leur
complexité. En conséquence, les interventions doivent y
être envisagées en tenant compte du contexte et des limites qui
pèsent sur toute action dans le champ social. Puissent un jour ces
principes fondamentaux des sciences sociales être mieux pris en compte
dans le champ politique.
Bibliographie
ABRIC, Jean-Claude, Pratiques sociales et
représentations, Paris : PUF, 1994
ANDREWS, George, Blacks and Whites in Sao Paulo,
Brazil : 1888-1988, Madison, Winsconcin : University of
Wisconcin Press
ALVAREZ, Sonia, DAGNINO, Evelina, ESCOBAR, Arturo,
Cultures of politics, politics of cultures : revisioning Latin
American social movements, Boulder (Colorado) : Westview, 1998
ALVES DOS SANTOS, Ivair Augusto, O movimento negro e o
estado, dissertation de mestrado, 2001, UNICAMP
BASTIDE, Roger : A imprensa negra no estado de Sao
Paulo, Estudos Afro-Brasileiros, vol.2, Sao Paulo : Editora
Perspectiva, 1973
BASTIDE, Roger, FERNANDES, Florestan, Relaçoes
raciais entre negros e brancos em São Paulo : ensaio sociológico
sobre aspectos da formação e manifestações atuais e
efeitos do preconceito de cor na sociedade paulistana, Unesco, Sao Paulo,
1955
BOUSSAGUET, Laurie, JACQUOT, Sophie, RAVINET, Pauline et
al, dictionnaire des politiques publiques, Paris : Presses de
Sciences-Po, 2004
BURDICK, John, The lost constituency of Brazil's Black
movements, Latin American Perspectives, n°98, 1998
CANEN Ana, Educaçao multicultural, identidade nacional
e pluralidade cultural : tensoes e implicaçoes curiculares,
Cadernos de Pesquisa, n°111, 2000 ; disponible sur
www.scielo.br
CANDIDO Antonio, préface à la quatrième
édition de BUARQUE DE HOLANDA, Sergio, Raizes do Brasil, Rio de
Janeiro : Rocco, 1989
CAVALLEIRO, Eliane. Do Silêncio do Lar ao
Silêncio Escolar: Racismo, Discriminação e Preconceito na
Educação Infantil. São Paulo : Editora Contexto,
2000
CARDOSO, Ruth, La trayectoria de los movimientos sociales en
Brasil, Sintesis, n°23, 1995
COSENTINO RODRIGUES, Tatiane, Movimento negro no cenario
brasileiro : embates e contribuçoes a politica educacional nas
decadas de 1980-1990, dissertation de mestrado, U. Federal de Sao Carlos,
2005
DABENE, Olivier, Exclusion et politique à
São Paulo : les outsiders de la démocratie au Brésil,
Paris : Karthala, 2006
DAMATTA, Roberto, Relativizando: uma introdução
à Antropologia Social, Rio de Janeiro : Vozes, 1981
DA SILVA Benedita, BENJAMIN, Medea, MENDONCA, Maisa, Benedita
Da Silva : an Afro-Brazilian woman's story of politics ando love,
Oakland : Institute for food and development policy, 1997
DA SILVA, Erlinda Cristiane, MOUTINHO Laura,
« Raça no discurso educacional, uma analise do tema
transversal « pluralidade cultural », communication au
Congrès luso-brésilien de sciences sociales, 2004 ; disponible
sur
www.scielo.br
DAVILA, Jerry, Diploma of whiteness : race and social
policy in Brasil : 1917-1945, Durham : Duke University Press, 2003
DE MELO GOMES, Tiago, Problemas no paraiso : a democracia
racial brasileira frente à imigraçao afro-americana, Estudos
Afro-Asiaticos, n°2, 2003 ; disponible sur
www.scielo.br
DIAS, Lucimar Rosa, « Quantos passos jà foram
dados ? A questao da raça nas leis educacionais. Da LDB de 1961
à lei 10.639 », in Espaço Academico,
n°38, juin 2004
DOIMO, Ana Maria, O movimento popular no Brasil
pos-70 : formaçao dum campo etico-politco, dissertation de
doctorat, Université de Sao Paulo, 1994
ENDERS, Armelle, Le lusotropicalisme, théorie
d'exportation, in Lusotopie, 1997
FERNANDES, Florestan, A integraçao do negro na
sociedade de classe, vol. II, FFLCH Universidade Sao Paulo, 1964
FREYRE Gilberto, Maitres et esclaves, la formation de la
société brésilienne, Paris : Gallimard, 1974
GILROY, Paul, The Black Atlantic : modernity and
double consciousness, Londres :Verso, 1993
GOBINEAU, Arthur de, Essai sur l'inégalité
des races humaines, Paris : Belfont, 1967
GOIRAND, Camille, Démocratisation et mobilisation
populaire à Rio de Janeiro, thèse de doctorat, Institut
d'Etudes politiques de Paris, 1997
GONÇALVES, Luiz Alberto Oliveira; SILVA, Petronilha B.
G. e. O Jogo das Diferenças; o multiculturalismo e seus
contextos, Belo Horizonte : Autêntica, 2001
GROS Christian, Demandes ethniques et politiques publiques en
Amérique Latine, Problèmes d'Amérique Latine,
n°48, 2003
GUIMARAES, Antonio Sergio, A modernidade negra,
ANPOCS, 2002
GUIMARAES, Antonio Sergio, Classes, raças e
democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002
GUIMARAES, Antonio Sergio, O projeto UNESCO na Bahia,
communication lors du colloque international « O projeto Unesco no
Brasil: uma volta crítica ao campo 50 anos depois», Centro de
Estudos Afro-Orientais da Universidade Federal da Bahia, Salvador, Bahia,
2004
GUIMARAES, Antonio Sergio, Resistencia e revolta nos anos
1960, Abdias do Nascimento, ANPOCS, 2005
HANCHARD, Michael, Orpheus and power : the Movimento
negro of Rio de Janeiro and Sao Paulo, Brazil, 1945-1988, Princeton
University Press, 1994
HASENBALG Carlos, Discriminação e desigualdades
raciais no Brasil, Rio de Janeiro : Graal, 1979
HASENBALG, Carlos, DO VALLE SILVA, Nelson, Estrutura social,,
mobilidade e raça, Instituto Universitario de Pesquisas do Rio,
1988
JOBERT Bruno, Représentations sociales, controverses et
débats dans la conduite des politiques publiques, Revue
française de science politique, n°2, 1992
LACERDA, Joao Baptista, Sur les métis au
Brésil, Congrès Universel des races, Paris, 1911
LACLAU, Ernesto, La guerre des identités,
Paris : La Découverte, 2000
MARX, Anthony, Making race and nation, Cambridge
University Press, 1998
MULLER, Pierre, SUREL, Yves, L'analyse des politiques
publiques, Paris : Montchrestien, 1998
PIERSON, Donald, Brancos e pretos na Bahia, Nacional,
Sao Paulo, 1945
POLI, Alexandra, Faire face au racisme en France et au
Brésil : de la condamnation morale à l'aide aux victimes,
Cultures et conflits, n°59, 2005
RENAN, Ernest, Qu'est-ce qu'une nation ?
conférence prononcée à la Sorbonne, 1882
ROSEMBERG, Fulvia, BAZILLI Chirley, BAPTISTA DA SILVA, Paulo,
Racismo em livros didacticos e seu combate : uma revisao da literatura, in
Educaçao e pesquisa, vol.29, n°1, 2003 ; disponible sur
www.scielo.br
SANSONE, Livio, Negritude sem etnicidade : o local e
o global nas relaçoes raciais e na produçao cultural negra do
Brasil, Salvador : Edufba, 2004
SCHWARCZ, Lilia, O espetaculo das raças :
cientistas, instituçoes e questao racial no Brasil 1870-1930, Sao
Paulo : Companhia das Letras, 1993
VEYRANT, Jean-François, L'esclavage en
héritage: le droit à la terre des descendants de marrons,
Paris: Karthala, 2003
ANNEXES
Table des annexes :
Loi fédérale 10.639 du 9 janvier 2003.
.........................................................
|
115
|
Décret N° 48.328 du 15 décembre 2003
(état de Sao Paulo)..................................
|
116
|
Couverture du décret d'application de la loi
10.639............................................
|
118
|
Page de garde du manuel du programme « Sao
Paulo : Educando pela diferença e para a
igualdade »..........................................................................................
|
119
|
Sommaire du manuel du programme « Sao Paulo :
Educando pela diferença e para a
igualdade »............................................................................................
|
120
|
Annexe 1
LEI
No 10.639, DE 9 DE JANEIRO DE 2003.
Mensagem de veto
|
Altera a Lei no 9.394, de 20 de dezembro de
1996, que estabelece as diretrizes e bases da educação nacional,
para incluir no currículo oficial da Rede de Ensino a obrigatoriedade da
temática "História e Cultura Afro-Brasileira", e dá outras
providências.
|
O PRESIDENTE DA REPÚBLICA Faço
saber que o Congresso Nacional decreta e eu sanciono a seguinte Lei:
Art. 1o A Lei no 9.394, de
20 de dezembro de 1996, passa a vigorar acrescida dos seguintes arts. 26-A,
79-A e 79-B:
"Art. 26-A. Nos estabelecimentos de ensino
fundamental e médio, oficiais e particulares, torna-se
obrigatório o ensino sobre História e Cultura Afro-Brasileira.
§ 1o O conteúdo
programático a que se refere o caput deste artigo
incluirá o estudo da História da África e dos Africanos, a
luta dos negros no Brasil, a cultura negra brasileira e o negro na
formação da sociedade nacional, resgatando a
contribuição do povo negro nas áreas social,
econômica e política pertinentes à História do
Brasil.
§ 2o Os conteúdos referentes
à História e Cultura Afro-Brasileira serão ministrados no
âmbito de todo o currículo escolar, em especial nas áreas
de Educação Artística e de Literatura e História
Brasileiras.
§ 3o (VETADO)"
"Art. 79-A. (VETADO)"
"Art. 79-B. O calendário escolar incluirá o dia
20 de novembro como `Dia Nacional da Consciência Negra'."
Art. 2o Esta Lei entra em vigor na data de
sua publicação.
Brasília, 9 de janeiro de 2003; 182o
da Independência e 115o da República.
LUIZ INÁCIO LULA DA SILVA Cristovam Ricardo
Cavalcanti Buarque
Este texto não substitui o publicado no D.O.U. de
10.1.2003
Annexe 2
DECRETO N° 48.328, DE 15 DE DEZEMBRO DE
2003
Institui, no âmbito da Administração
Pública do Estado de São Paulo, a Política de
Ações Afirmativas para Afrodescendentes e dá
providências correlatas GERALDO ALCKMIN, Governador do Estado de
São Paulo, no uso de suas atribuições legais, Decreta:
Artigo 1° - Fica instituída, nos termos deste decreto,
no âmbito da Administração Pública do Estado de
São Paulo, a Política de Ações Afirmativas para
Afrodescendentes.
Parágrafo único - Compreendem-se como
afrodescendentes os pretos e os pardos, assim definidos, quando
necessário, por autoclassificação.
Artigo 2° - Fica criada, junto à Secretaria da
Justiça e da Defesa da
Cidadania, a Comissão de Coordenação e
Acompanhamento da Política de
Ações Afirmativas para Afrodescendentes (...)
Artigo 3° - À Comissão de
Coordenação e Acompanhamento da Política de
Ações Afirmativas para Afrodescendentes cabe:
I - sugerir diretrizes e procedimentos administrativos com
vistas a garantir a adequada implementação da Política;
II - submeter à apreciação do Governador
do Estado as propostas de diretrizes complementares, com vistas à
adequada execução da Política e ao seu aprofundamento;
III - apoiar, avaliar e supervisionar a
implementação da Política, sugerindo a
adoção de medidas destinadas a garantir a continuidade e a
efetividade das suas ações;
IV - coordenar a realização de oficinas e cursos
sobre ações afirmativas para os servidores de recursos humanos e
coordenadores de área, bem como campanhas de
sensibilização dos servidores para o problema da exclusão
social e necessidade de ações afirmativas. (...)
Artigo 4° - A Secretaria da Justiça e da Defesa da
Cidadania deverá: (...)
Artigo 5° - A Secretaria da Saúde deverá,
observadas suas atribuições no Sistema Único de
Saúde: (...)
Artigo 6° - A Secretaria da Educação
deverá:
I - no exercício das prerrogativas fixadas no artigo
24, IX e § 1° a 4°, da Constituição Federal, desenvolver um
plano de ação para capacitação dos docentes e
inclusão , no currículo das escolas da rede pública
estadual, do ensino sobre História e Cultura Afro- Brasileira, na forma
da Lei Federal n° 9.394, de 20 de dezembro de 1996, com a
alteração prevista na Lei Federal n° 10.639, de 9 de janeiro de
2003, e legislação correlata;
II - desenvolver o "Programa São Paulo: Educando pela
Diferença para a Igualdade" - Capacitação dos professores
das áreas de Educação Artística, Literatura e
História a ser discutida com os representantes da Comunidade Negra.
Parágrafo único - O Secretário da
Educação criará, mediante resolução,
comissão para o desenvolvimento do programa a que se refere o inciso II
deste artigo.
Artigo 7° - A Secretaria da Cultura deverá:
Artigo 8° - A Secretaria da Segurança Pública
deverá:
Artigo 9° - A Secretaria da Ciência, Tecnologia,
Desenvolvimento Econômico e Turismo fornecerá ao Conselho de
Reitores das Universidades Estaduais do Estado de São Paulo - CRUESP o
suporte necessário para a realização de estudos
objetivando a instituição do Programa Estadual de Inclusão
Social e Ação Afirmativa no Ensino Superior.
Artigo 10 - A publicidade institucional do Governo do Estado
de São Paulo, na administração direta e indireta,
observará a pluralidade étnica da população
brasileira, buscando aproximar-se das proporções obtidas pelo
Censo realizado pela Fundação Instituto Brasileiro de Geografia e
Estatística - IBGE.
Artigo 11 - Ficam mantidas as disposições em
vigor que instituam ações em benefício dos
afrodescendentes, em especial o Decreto n° 41.774, de 13 de maio de 1997.
Artigo 12 - Este decreto entra em vigor na data de sua
publicação.
Palácio dos Bandeirantes, 15 de dezembro de 2003
GERALDO ALCKMIN
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
* 1 RENAN, Ernest, Qu'est-ce
qu'une nation ? conférence prononcée à la
Sorbonne, 1882
* 2 ALVAREZ, Sonia, DAGNINO,
Evelina, ESCOBAR, Arturo, Cultures of politics, politics of cultures :
revisioning Latin American social movements, Boulder (Colorado) :
Westview, 1998 p.7
* 3 ALVAREZ, Sonia, DAGNINO,
Evelina, ESCOBAR, Arturo, Cultures of politics, op. cit., p.8
* 4 ALVAREZ, Sonia, DAGNINO,
Evelina, ESCOBAR, Arturo, Cultures of politics, op. cit., p.10
* 5 Abric, Jean-Claude,
Pratiques sociales et représentations, Paris : PUF, 1994,
p.12
* 6 ALVES DOS SANTOS, Ivair
Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado, 2001,
UNICAMP, p.14
* 7 DOIMO, Ana Maria, O
movimento popular no Brasil pos-70 : formaçao dum campo
etico-politco, dissertation de doctorat, Université de Sao Paulo,
1994, cité dans ALVAREZ, Sonia, DAGNINO, Evelina, ESCOBAR, Arturo,
Cultures of politics, op. cit.
* 8 ANDREWS, George, Blacks
and Whites in Sao Paulo, Brazil : 1888-1988, Madison,
Winsconcin : University of Wisconcin Press, 1991
* 9 Source IBGE (institut
brésilien de géographie et de statistiques). Chiffres disponibles
sur
www.ibge.gov.br
* 10 EDELMAN, Murray,
cité dans MULLER, Pierre, SUREL, Yves, L'analyse des politiques
publiques, Paris : Montchrestien, 1998, p.47
* 11 MULLER, Pierre, article
« Référentiel » du Dictionnaire des
politiques publiques, Paris : Presses de Sciences-Po, 2004
* 12 GARRAUD Philippe, article
« Agenda » du Dictionnaire des politiques
publiques, Paris : Presses de Sciences-Po, 2004
* 13 HENRIQUES, Ricardo,
cité dans DABENE, Olivier, Exclusion et politique à
São Paulo : les outsiders de la démocratie au Brésil,
Paris : Karthala, 2006, p. 22
* 14 Cavalleiro, Eliane. Do
Silêncio do Lar ao Silêncio Escolar: Racismo,
Discriminação e Preconceito na Educação
Infantil. São Paulo : Editora Contexto, 2000
* 15 Nombreux articles
dont : SILVA, P. B. G. e ; GONÇALVES, Luís Alberto Oliveira
. Multiculturalismo e Educação: do protesto de rua a propostas
políticas, São Paulo : Revista da Faculdade de
Educação (USP), v. 29, p. 109-125, 2003 ; SILVA, P. B. G. e
. Discriminações No Cotidiano das Escolas: Em Busca de
Estratégias de Fortalecimento da Ação Docente. JORNAL DA
APEOESP - SUPLEMENTO, SO PAULO, v. 12, n. 12, 1997
* 16 VERAN,
Jean-François, L'esclavage en héritage: le droit à la
terre des descendants de marrons, Paris: Karthala, 2003
* 17 DABENE, Olivier,
Exclusion et politique, op.cit.
* 18 ANDREWS, George,
Blacks and Whites in Sao Paulo, Brazil : 1888-1988, Madison,
Winsconcin : University of Wisconcin Press, 1991
* 19 SCHWARCZ, Lilia, O
espetaculo das raças : cientistas, instituçoes e questao
racial no Brasil 1870-1930, Sao Paulo : Companhia das Letras,
1993 ; p.19
* 20 GOBINEAU, Arthur de,
Essai sur l'inégalité des races humaines, Paris :
Belfont, 1967. Théoricien du racisme scientifique, il fut ambassadeur de
France au Brésil en 1869-70
* 21 Faut-il préciser
que ces théories sont aujourd'hui totalement discréditées
d'un point de vue scientifique ?
* 22 DA CUNHA, Euclydes, Os
sertoes, 3ème édition, Sao Paulo : Cultrix,
1982
* 23 LACERDA, Joao Baptista,
Sur les métis au Brésil, Congrès Universel des
races, Paris, 1911
* 24 DE MELO GOMES, Tiago,
Problemas no paraiso : a democracia racial brasileira frente à
imigraçao afro-americana, Estudos Afro-Asiaticos, n°2,
2003
* 25 CANDIDO Antonio,
préface à la quatrième édition de BUARQUE DE
HOLANDA, Sergio, Raizes do Brasil, Rio de Janeiro : Rocco, ,
1989
* 26 FREYRE Gilberto,
Maitres et esclaves, la formation de la société
brésilienne, Paris : Gallimard, 1974
* 27 ENDERS, Armelle, Le
lusotropicalisme, théorie d'exportation, in Lusotopie, 1997, p.
202
* 28 FREYRE Gilberto,
Maitres et esclaves, op. cit, p. 437 (préface à la
première édition)
* 29 HANCHARD Michael,
Orpheus and power : the Movimento negro of Rio de Janeiro and Sao
Paulo, Brazil, 1945-1988, Princeton University Press, 1994, p.52
* 30 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Democracia racial : o ideal, o pacto e o mito, Classes, raças e
democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 142
* 31 BASTIDE Roger, extrait de
la série d'article « Itinerario da democracia » in
Diario de Sao Paulo, 31/03/1944, cité par GUIMARAES, Antonio
Sergio, Classes, raças, op. cit. p. 141
* 32 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Classes, raças, op. cit, p. 138
* 33 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Democracia racial : o ideal, o pacto e o mito, Classes, raças e
democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p.150
* 34 HANCHARD, Michael,
Orpheus and power : the Movimento negro of Rio de Janeiro and Sao
Paulo, Brazil, 1945-1988, Princeton University Press, 1994, p.115
* 35 PIERSON, Donald,
Brancos e pretos na Bahia, Nacional, Sao Paulo, 1945
* 36 selon l'Institut
Brésilien de Géographie et Statistiques (IBGE), cité dans
l'article « Imigraçao no Brasil » de wikipedia
* 37 DE MELO GOMES, Tiago,
Problemas no paraiso : a democracia racial brasileira frente à
imigraçao afro-americana, Estudos Afro-Asiaticos, n°2,
2003 ; disponible sur
www.scielo.br
* 38 DAVILA, Jerry,
Diploma of whiteness : race and social policy in Brasil :
1917-1945, Durham : Duke University Press, 2003
* 39 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Politica de integraçao e politica de identidade, Classes,
raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 88
* 40 MARX, Anthony, Making
race and nation, Cambridge University Press, 1998, p.257
* 41 selon l'Institut
Brésilien de Géographie et Statistiques (IBGE), cité dans
l'article « Imigraçao no Brasil »,
www.wikipedia.org
* 42 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Politica de integraçao e politica de identidade, in Classes,
raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p.80
* 43 ANDREWS, George :
Blacks and Whites on Sao Paulo, Brazil, 1888-1988, University of
Wisconin Press, 1991
* 44 BASTIDE,
Roger : A imprensa negra no estado de Sao Paulo, Estudos
Afro-Brasileiros, vol.2, Sao Paulo : Editora Perspectiva,
1973 ; p.129
* 45 FERNANDES, Florestan,
A integraçao do negro na sociedade de classe, vol. II, FFLCH
Universidade Sao Paulo, 1964
* 46 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Politica de integraçao, op.cit., p.88
* 47 GUIMARAES, Antonio Sergio,
A modernidade negra, ANPOCS, 2002
* 48 GUIMARAES, Antonio
Sergio, O projeto UNESCO na Bahia, communication lors du colloque
international « O projeto Unesco no Brasil: uma volta crítica
ao campo 50 anos depois», Centro de Estudos Afro-Orientais da Universidade
Federal da Bahia, Salvador, Bahia, 2004
* 49 WAGLEY, Charles, Race
et classe dans le Brésil rural, Paris, UNESCO, 1952, cité
par GUIMARAES, Antonio Sergio, O projeto UNESCO na Bahia,
communication lors du colloque international « O projeto Unesco no
Brasil: uma volta crítica ao campo 50 anos depois», Centro de
Estudos Afro-Orientais da Universidade Federal da Bahia, Salvador, Bahia,
2004
* 50 ALVES DOS SANTOS, Ivair
Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado, 2001,
UNICAMP, p.42
* 51 BASTIDE, Roger,
FERNANDES, Florestan, Relaçoes raciais entre negros e brancos em
São Paulo : ensaio sociológico sobre aspectos da
formação e manifestações atuais e efeitos do
preconceito de cor na sociedade paulistana, Unesco, Sao Paulo, 1955
* 52 FERNANDES, Florestan,
A integração do negro à sociedade de classes,
Faculdade de Filosofia, Ciências e Letra da Universidade de São
Paulo, 1964
* 53 HANCHARD, Michael,
Orpheus and power, op.cit., p. 36
* 54 POLI, Alexandra, Faire
face au racisme en France et au Brésil : de la condamnation morale
à l'aide aux victimes, Cultures et conflits, n°59, 2005
* 55 HASENBALG Carlos,
Discriminação e desigualdades raciais no Brasil, Rio de
Janeiro : Graal, 1979, p. 85
* 56 HASENBALG, Carlos, DO
VALLE SILVA, Nelson, Estrutura social,, mobilidade e raça,
Instituto Universitario de Pesquisas do Rio, 1988, p.145
* 57 GUIMARAES, Antonio
Sergio, Politica de integraçao e politica de identidade, Classes,
raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 94
* 58 GUIMARAES, Antonio
Sergio, Democracia racial : o ideal, o pacto e o mito, Classes,
raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 145
* 59 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Resistencia e revolta nos anos 1960, Abdias do Nascimento, ANPOCS,
2005
* 60 quilombo est le nom
donné aux communautés d'esclaves évadés des
plantations.
* 61 HANCHARD Michael,
Orpheus and power : the Movimento negro of Rio de Janeiro and Sao
Paulo, Brazil, 1945-1988, Princeton University Press, 1994, p. 126
* 62 HANCHARD, Michael,
Orpheus and power, op.cit., p. 124
* 63 extrait du Manifeste lu
sur les marches du théâtre municipal le 7 juillet 1978,
cité par Michael Hanchard in Orpheus and power,
op.cit., p. 125
* 64 BURDICK, John, The lost
constituency of Brazil's Black movements, Latin American Perspectives,
n°98, 1998, p.137
* 65 ALVES DOS SANTOS, Ivair
Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado,
Campinas : UNICAMP, 2001
* 66 traduction de l'expression
brésilienne « açao afirmativa »,
elle-même traduite de l'aglais « affirmative
action ». On préférera ces termes à ceux de
« discrimination positive », qui véhiculent une
connotation péjorative
* 67 GUIMARAES, Antonio Sergio,
Politica de integraçao e politica de identidade, Classes,
raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 105
* 68 HANCHARD, Michael,
Orpheus and power, op.cit., p. 133
* 69 ALVES DOS SANTOS, Ivair
Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado, 2001,
Campinas : UNICAMP, p. 105
* 70 CARDOSO, Ruth, La
trayectoria de los movimientos sociales en Brasil, Sintesis,
n°23, 1995, p. 102
* 71 COSENTINO RODRIGUES,
Tatiane, Movimento negro no cenario brasileiro : embates e
contribuçoes a politica educacional nas decadas de 1980-1990,
dissertation de mestrado, U. Federal de Sao Carlos, 2005, p.47
* 72 BAPTISTA,
Joao, Octavo encontro dos negros do Norte et Nordeste, 1988, cité
par COSENTINO RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p.
47
* 73 CANEN Ana,
Educaçao multicultural, identidade nacional e pluralidade
cultural : tensoes e implicaçoes curiculares, Cadernos de
Pesquisa, n°111, 2000, p. 138 ; disponible sur
www.scielo.br
* 74 COSENTINO RODRIGUES,
Tatiane, Movimento negro no cenario brasileiro, op.cit., p.48
* 75 GROS Christian, Demandes
ethniques et politiques publiques en Amérique Latine,
Problèmes d'Amérique Latine, n°48, 2003, p.
11-30
*
76 RODRIGUES Tatiane, Movimento negro,
op.cit,. p. 50
* 77 RODRIGUES Tatiane,
Movimento negro, op.cit,. p.51 (majuscules dans le texte
original)
* 78 proposition de la
sous-commission pour l'article 4 de la constitution, cité par RODRIGUES
Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p.54
* 79 article 242, §1,
de la Constitution de la République Fédérale du
Brésil, 1988
* 80 DAMATTA, Roberto,
Relativizando: uma introdução à Antropologia
Social, Rio de Janeiro : Vozes, 1981,
* 81 VEYRANT,
Jean-François, L'esclavage en héritage, Paris :
Karthala, 2003, p.28
* 82 GOIRAND, Camille,
Démocratisation et mobilisation populaire à Rio de Janeiro,
thèse de doctorat, Institut d'Etudes politiques de Paris, 1997
* 83 RODRIGUES Tatiane,
Movimento negro, op.cit,. p. 65
* 84 article 26 de la LDB
* 85 VEYRANT, Jean
François, L'esclavage, op.cit.
* 86 Extrait d'une tribune
publiée dans la Folha de Sao Paulo, 19/11/95
* 87 DA SILVA Benedita,
BENJAMIN, Medea, MENDONCA, Maisa, Benedita Da Silva : an
Afro-Brazilian woman's story of politics ando love, Oakland : Institute
for food and development policy, 1997
*
88 Extrait du discours du Président Fernando
Henrique Cardoso lors de la réunion de travail avec les
représentants de la Marche Zumbi contre le racisme, pour
l'égalité et pour la vie ; disponible sur
www.ifhc.org.br (institut Fernando
Henrique Cardoso)
* 89 ROSEMBERG, Fulvia, BAZILLI
Chirley, BAPTISTA DA SILVA, Paulo, Racismo em livros didacticos e seu
combate : uma revisao da literatura, in Educaçao e
pesquisa, vol.29, n°1, 2003
* 90 DA SILVA, Erlinda
Cristiane, MOUTINHO Laura, « Raça no discurso educacional, uma
analise do tema transversal « pluralidade cultural »,
communication au Congrès luso-brésilien de sciences sociales,
2004
* 91 GONÇALVES, Luiz
Alberto Oliveira; SILVA, Petronilha B. G. e. O Jogo das Diferenças;
o multiculturalismo e seus contextos, Belo Horizonte : Autêntica,
2001
* 92 CANEN, Ana,
Educaçao multicultural, op. cit., p.138
* 93 formulation retenue par
les municipalités de Porto Alegre (loi 6.889 du 5 septembre 1991) et de
Belem (loi 7.685 du 17 janvier 1994, citée par DOS SANTOS, Sales
Augusto, « A lei 10.639 como fruta da luta anti-racista do movimento
negro », in Educaçao antiracista : caminhos abertos
pela lei federal n°10.639, Ediçoes MEC/BID/UNESCO, Brasilia,
2005, p. 29
* 94 DIAS, Lucimar Rosa,
Quantos passos jà foram dados ? A questao da raça nas leis
educacionais. Da LDB de 1961 à lei 10.639, Espaço
Academico, n°38, juin 2004
* 95 Movimento negro
cobra goberno Lula, article de la Folha de Sao Paulo, 07/01/2003
* 96 DIAS, Lucimar Rosa,
Quantos passos..., op. cit.
* 97 Folha de Sao Paulo,
25/03/2002
* 98 « Sao
Paulo : éduquant par la différence pour
l'égalité ». Pour plus de commodité, on
utilisera le simple terme « educando », par lequel les
personnes impliquées désignent le programme en
général
* 99 le Secrétariat
divise l'Etat de Sao Paulo en 89 directions, qui ont à leur tête
un directeur responsable pour les écoles de la zone concernée.
Leur taille est variable
* 100 ville de 200 000
habitants située à 250 km de Sao Paulo
* 101 cette perception du
Brésil comme sous-développé est largement contestable,
mais domine dans les représentations
* 102 LACLAU, Ernesto, La
guerre des identités, Paris : La Découverte, 2000,
p.27
* 103 extrait de la
vidéoconférence du 18 mai 2006
* 104 la
« maîtrise » brésilienne s'obtient
après un minimum de huit années d'étude, quatre pour le
titre universitaire, quatre autres pour la maîtrise
* 105 GILROY, Paul, The
Black Atlantic : modernity and double consciousness, Londres :Verso,
1993
* 106 SANSONE, Livio,
Negritude sem etnicidade : o local e o global nas relaçoes
raciais e na produçao cultural negra do Brasil, Salvador : Edufba,
2004, p. 26
* 107 DABENE, Olivier,
Exclusion et politique à São Paulo : les outsiders de la
démocratie au Brésil, Paris : Karthala, 2006
* 108 LACLAU, Ernesto, La
guerre des identités, Paris : La découverte, 2000, p.
17
* 109 LACLAU, Ernesto, La
guerre..., op. cit., p.18
* 110 GROS Christian,
Politiques et paradoxes de l'ethnicité, Problèmes
d'Amérique Latine, n°48, 2003
* 111 DE MAILLARD, Jacques,
article « apprentissage », Dictionnaire des politiques
publiques, Presses de Sciences-Po, Paris, 2004
* 112 JOBERT Bruno,
Représentations sociales, controverses et débats dans la conduite
des politiques publiques, Revue française de science politique,
n°2, 1992, p. 227
|
|