L'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine au regard du Droit du Travail en Haiti: Etude basée sur des Observations faites à Port-au-Prince, Gonaïves et Cap-Haïtien à partir de 1994( Télécharger le fichier original )par Jean Marc-Antoine PREDESTIN Université d'etat d'Haiti - Licence en Droit 2007 |
AVANT- PROPOSLe désir de traiter le thème « exploitation de la main-d'oeuvre enfantine » est motivé par notre devoir de citoyen nous obligeant à intervenir contre tout ce qui constitue une menace au bien-être de notre société. Face à la gravité de la situation de nos enfants travaillant dans les ménages, dans les rues et dans les petites entreprises des principales villes du pays et, au mépris de la législation du travail, nous avons jugé utile d'attirer l'attention sur leur sort. Si les enfants d'aujourd'hui sont abusés et maltraités, devenus adultes, ils seront improductifs et ne seront pas en mesure de contribuer au bien-être de la société haïtienne. L'avenir de ces enfants reflétera fidèlement l'image de la situation qu'ils ont vécue dans le passé. Donc, une société qui ne protège pas ses enfants et n'agit pas dans le sens de leur intérêt, connaîtra toujours des moments sombres. C'est pourquoi, le phénomène d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine doit être une préoccupation pour tous les citoyens dignes de ce nom. La présente étude a pour but d'attirer l'attention de la société sur le problème d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine et de proposer des solutions pour le combattre. Les enfants travailleurs, nous n'arrêterons pas de le répéter, ont un rôle sérieux à jouer dans le rétablissement de notre chère Haiti. Les mauvais traitements dont ils sont l'objet auront des incidences sur leur avenir, sur celui de leur famille et de la Nation toute entière. Ces enfants sont condamnés à vivre des moments de plus en plus difficiles, ils sont souvent privés de formations scolaires et évoluent dans les rues, dans des conditions de pauvreté absolue. Cet état de fait constitue un manque à gagner pour Haiti, voire un danger social ; dans la mesure où certains de ces enfants pourraient devenir des individus dangereux qui menacent à tout moment l'ordre et la stabilité publics. Nous regrettons que d'autres aspects relatifs à l'exploitation économique des enfants n'aient pas pu être abordés dans cette recherche. Nous nous limitons exclusivement aux formes ordinaires de travail des enfants en Haiti, celles qui sont les plus courantes dans les principales agglomérations urbaines du pays. Toutefois, l'analyse de ces aspects ordinaires de travail des enfants a montré que le problème est suffisamment immense pour mériter une intervention urgente de la part des pouvoirs publics, de la société civile, des ONG et même des familles concernées. Nous espérons vivement que les recommandations formules dans le cadre de cette étude, soient largement prises en compte par les acteurs concernés afin d'améliorer la situation des enfants travailleurs soumis à l'exploitation. Il est tout aussi important de souligner à l'intention de ces acteurs que la prévention est un aspect à ne pas négliger dans la lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine. L'accomplissement d'actions concrètes au bénéfice des enfants contribuera, dans une large mesure, à prévenir l'entrée de nouveaux enfants sur le marché du travail dans des conditions odieuses. REMERCIEMENTS La réalisation de ce Mémoire a bénéficié de l'appui et du support de plusieurs personnes et institutions. Qu'elles soient, par ces mots, remerciées. Mes remerciements d'abord à Dieu qui m'a accordé la possibilité et les moyens intellectuels nécessaires pour réaliser ce travail, étape indispensable pour l'obtention du grade de Licencié en Droit. Ensuite, mes remerciements s'adressent à : · Me Harrold CHERY, mon patron de mémoire · Aux amis du Bureau d'Assistance Juridique du Cap (BAJ) ; · Tous mes professeurs des quatre années d'études à la Faculté de Droit, des Sciences économiques et de Gestion du Cap-Haïtien ; · Aux pauvres travailleurs-enfants des villes de Port-au-prince, des Gonaïves et du Cap-Haïtien qui ont répondu aimablement à mes questions ; · Aux organisations et institutions qui ont facilité, dans une certaine mesure, la recherche documentaire, particulièrement, je fais allusion à Plan Haiti et Jurimédia du Cap-Haitien ; · Aux membres du Jury qui, en dépit de leurs multiples occupations, ont accepté de prendre le temps nécessaire, de lire, de jauger et d'évaluer ce travail à sa juste valeur ; · L'Etat haïtien qui a subventionné mes études en Sciences Juridiques à travers la Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de Gestion du Cap-Haitien. De plus, je suis infiniment reconnaissant aux parents et amis dont la bienveillance à mon égard, tant en termes d'apport que de support, s'est avérée prépondérante: Marie-Jeanne, Eranise et Widnie Bertrand, Doudou Abdonel, Jean Gilles Papillon, Gueriney Jaclin, etc. Enfin, je ne saurais terminer, sans saluer la confiance et l'affection, constante et déterminante, de mon incomparable mère Madame Suzie PREDESTIN, ma tendre femme Miss Geneviève Bertrand PREDESTIN, mes trois chers enfants Christine, Jean Markenley et Chelsea PREDESTIN. SIGLES ET ACRONYMES UTILISÉS ACDI : Agence Canadienne pour le Développement International ATD : Aide à Toute Détresse BIT : Bureau International du Travail CIDE : Convention Internationale des Droits de l'Enfant CIT : Conférence Internationale du Travail COHADDE : Coalition Haïtienne pour la Défense des Droits de l'Enfant FAFO : Institut des Etudes Internationales Appliquées de Norvège FMI : Fonds Monétaire International HSI : Haiti Solidarité Internationale IBESR : Institut du Bien-être Sociale et de la Recherche IHSI : Institut Haïtien de Statistiques et d'Informatique IPEC : Programme International pour l'Elimination du Travail des Enfants IPSOFA : Institut Psychosocial de la Famille MAST : Ministère des Affaires Sociales et du Travail MENJS : Ministère de l'Education Nationale de la Jeunesse et des Sports ODM : Objectifs du Millénaire pour le Développement OEA : Organisation des Etats Américains OIT : Organisation Internationale du Travail ONG : Organisation Non-Gouvernementale ONU : Organisation des Nations-Unies PNUD : Programme des Nations-Unies pour le Développement UNESCO: Organisation des Nations-Unies pour l'Education, la Science et la Culture UNICEF : Fonds des Nations-Unies pour l'Enfance INTRODUCTIONL'adoption par l'assemblée Générale des Nations Unies, le 20 novembre 19891(*), de la Convention relative aux droits de l'enfant a intensifié la mobilisation en faveur du respect des enfants en général et de ceux qui travaillent en particulier. Depuis le début des années 90, les questions liées au travail des enfants retiennent de plus en plus l'attention2(*). Le travail des enfants est devenu un thème de plus en plus dominant sur la scène internationale, notamment à travers des institutions telles que le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) et l'Organisation Internationale du Travail (OIT). De nombreuses initiatives sont prises à travers le monde par ces organismes en vue d'aboutir, disent-t-ils, à l'élimination des pires formes de travail des enfants sur toute la planète. Nous citons parmi ces initiatives, la création du Programme International pour l `Abolition du Travail des enfants en 1992 dont l'objectif est de contribuer à l'élimination progressive du travail des enfants au niveau International3(*). Il y a également le rapport publié par l'UNICEF sur la situation des enfants dans le monde en 1997 dont le thème principal était le travail des enfants4(*). Sans compter les conférences annuelles tenues par l'OIT de 1996 à 1999 où le travail des enfants était à l'ordre du jour5(*). Beaucoup de militants et d'organisations des droits de l'enfant considèrent le travail des enfants comme une situation inacceptable qui mérite d'être combattu jusqu'à son éradication. Les discours favorables au travail des enfants sont plutôt rares, le travail des enfants n'est perçu le plus souvent que sous un angle détestable et intolérable. Or, le travail des enfants ne donne pas toujours l'apparence d'une activité déplorable dépourvue de bons cotés. Comme le pense l'UNICEF, dans son rapport sur la situation des enfants dans le monde, le fait pour un enfant de mener des activités économiques n'est pas toujours mauvais. Le travail des enfants a de bons et de mauvais côtés. Nous lisons dans ce rapport ce qui suit : On ne saurait tolérer que des enfants, quels qu'ils soient, puissent être employés à ces travaux dangereux. Mais considérer toute activité économique des enfants comme également inacceptable, c'est jeter la confusion, banaliser la question, et rendre encore plus difficile l'élimination du travail des enfants. C'est pourquoi il est important de distinguer entre le travail bénéfique et le travail intolérable et de reconnaître qu'une grande partie de l'activité des enfants se situe dans une zone floue entre ces deux extrêmes6(*). Donc, dans le cadre de cette étude, notre véritable problème se base sur l'exploitation de la main d'oeuvre enfantine au mépris de la législation du travail en Haïti. L'exploitation des enfants travailleurs se présente comme un phénomène de plus en plus croissant en Haïti, en dépit de l'existence de certaines dispositions légales visant la protection de ces enfants. D'ailleurs ces lois n'ont pas d'effet parce qu'elles ne sont pas respectées7(*). Nous sommes préoccupés par les conditions de vie de ces enfants qui sont privés de leur enfance et d'un avenir, qui travaillent de longues heures pour de bas salaires, souvent dans des conditions préjudiciables à leur santé et à leur développement physique et mental. Ces pauvres enfants sont parfois séparés de leurs familles et sont fréquemment privés d'éducation. Pour la seule catégorie des travailleurs domestiques, les estimations de l'Institut des Etudes Internationales Appliquées de Norvège se tournent autour de 173,0008(*) enfants, une bonne partie d'entre eux travaillent dans des conditions infrahumaines. En Haïti et plus particulièrement dans les trois villes où le problème est le plus présent, à savoir Port-au-Prince, Gonaïves et Cap-Haïtien, les enfants travaillent en dehors des normes légales, ils sont exploités au point que le travail les empêche de se développer et de s'épanouir. La Convention Internationale des droits de l'enfant proclame le droit de l'enfant à l'éducation et à la protection contre son exploitation économique. Selon l'esprit de l'article 32 de cette convention, l'enfant ne doit être en aucun cas et pour aucune raison astreint à un travail comportant des risques, susceptible de compromettre son éducation, de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social. La situation des enfants assujettis au travail en Haiti est très critique; ils évoluent dans la majeure partie des cas dans un cadre informel, où leurs droits sont complètement bafoués. L'horaire et les conditions de travail de la majorité de ces enfants ne leur permettent pas de fréquenter un centre d'enseignement scolaire ou professionnel. Ils ne reçoivent aucune forme d'éducation capable de leur assurer un avenir meilleur. Ils travaillent dans des situations qui mettent en danger leur santé et parfois même leur vie, ils sont sous rémunérés, maltraités, humiliés et abusés. Leurs conditions de travail dépendent entièrement de l'employeur, au mépris de leurs droits et besoins fondamentaux. Le travail de ces malheureux enfants, au lieu d'apporter une amélioration à leur mode de vie, les enfonce plutôt dans une extrême pauvreté où ils sont privés presque de tout : santé, dignité, fierté, instruction, loisirs, etc. Le rapport du Fonds des Nations-Unies pour l'Enfance (UNICEF) sur la situation des enfants dans le monde en 2005 souligne en ces termes, les difficultés auxquelles de telle catégorie d'enfants font face: « ils sont privés des ressources dont ils ont besoin sur les plans matériel, spirituel et affectif pour survivre, se développer et s'épanouir, ce qui les empêche de jouir de leurs droits, de donner la pleine mesure de leurs capacités de participer à la vie de la société en tant que membres à part entière et à parts égales »9(*). Malgré l'existence de certaines lois en faveur des enfants travailleurs, on pourrait tenter de parler de désengagement de la part de l'Etat et des institutions chargées de protéger les droits de ces enfants face à l'exploitation accrue qu'ils subissent. Des mesures de renforcement et d'actualisation de la législation nationale ne sont pas adoptées. L'Etat haïtien a ratifié depuis 199410(*) la Convention Internationale des Droits de l'enfant, mais jusqu'à maintenant, il tarde à ratifier les deux protocoles facultatifs à cette convention11(*), ainsi que les Conventions fondamentales de l'Organisation Internationale du Travail relatives au travail de l'enfant12(*). On perçoit dans l'attitude des pouvoirs publics haïtiens une sorte de négligence en ce qui a trait à l'adoption de mesures protectrices des Droits des enfants travailleurs. L'engagement politique en faveur des enfants travailleurs fait défaut en Haïti et, comme conséquence, ils en souffrent énormément. Comme a dit Kay CASTELLE dans ses réflexions : Ce dont nous avons désormais besoin c'est un engagement politique plus ferme à l'égard de la protection des enfants, un engagement qui se traduise par l'application de normes juridiques très strictes qui nous prémunissent contre la répétition des abus flagrants observés à ce jour et qui posent le bien-être des enfants comme un objectif de justice plutôt que comme une oeuvre de bienfaisance [Sic]13(*). En guise d'interrogation principale, nous nous demandons quels sont les facteurs qui sont à la base de l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haiti et plus particulièrement dans les villes soumises à l'observation? Pour ce qui a trait aux problèmes spécifiques liés à ce travail de recherche, ils se résument dans les termes suivants : · l'indifférence de l'Etat face à l'exploitation de la main d'oeuvre enfantine. Cette indifférence est manifestée par le non-renforcement et la non-application des dispositions légales relatives au travail des enfants; · les institutions publiques chargées d'assurer la protection des enfants travailleurs sont faibles. L'institut du Bien-être Social et de Recherche, la Direction du travail, le Système Judiciaire, la Police Nationale et l'Office de la protection du citoyen, ne sont pas suffisamment forts et structurés pour assurer la protection des enfants travailleurs et faire respecter leurs droits ; · la législation nationale s'oriente surtout vers les enfants travaillant dans le secteur structuré ou formel, alors que la grande majorité des enfants travailleurs évoluent dans le secteur informel ; ils travaillent dans les maisons privées, dans les rues des grandes villes et dans les petites entreprises. De façon spécifique, nous nous posons également les questions suivantes: · En quoi consiste l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haiti ? · Comment se manifeste-t-elle? · Quel est le contenu du cadre juridique applicable en Haiti en matière de travail des enfants ? · Qu'est ce qu'il faut pour faire cesser l'exploitation de la main d'oeuvre enfantine? L'objectif général de cette recherche consiste à analyser le problème d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haiti tant sur le plan social que juridique au regard du Droit du Travail à partir de 1994. En termes d'objectifs particuliers, nous nous proposons de : · exposer la situation des enfants travaillant dans les villes de Port-au-Prince, des Gonaïves et du Cap-Haïtien ; · identifier les causes de l'exploitation du travail des enfants et ses conséquences sur les enfants, leurs familles et la société ; · étudier le cadre juridique du travail des enfants en vigueur en Haiti ; · proposer aux acteurs concernés par le problème un Plan de lutte contre l'exploitation du travail des enfants en Haiti. Nos grilles d'analyse consistent à soumettre à l'épreuve de la réalité les hypothèses suivantes : 1. L'inapplication des dispositions légales sur le travail des enfants, le dysfonctionnement des institutions publiques chargées de protéger les enfants, la pauvreté des familles et surtout le manque d'investissement dans le système scolaire sont des facteurs favorables à l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haïti; 2. Les abus et l'exploitation subis par les enfants travailleurs rendent difficile leur épanouissement dans la société haïtienne et constituent une barrière à leur développement physique, mental et intellectuel ; 3. L'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haïti est un problème complexe qui ne peut-être résolu qu'en agissant conjointement sur les déterminants juridiques, économiques et sociologiques à l'origine de ce problème.
Comme nous l'avons déjà souligné, le travail des enfants est devenu depuis les années 89 et 90, l'une des questions les plus importantes à l'ordre du jour au niveau mondial. Refusant autrefois de l'admettre, aujourd'hui, les pays accordent de plus en plus d'attention au travail des enfants et recherchent l'aide internationale pour combattre les pires formes de ce phénomène. Nous avons pour preuve le nombre croissant de demandes d'assistance adressées au Programme international pour l'élimination du travail des enfants (IPEC)14(*). L'une des raisons de cet enthousiasme pour la défense des droits de ces enfants travailleurs est l'adoption de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant. Elle a été adoptée le 20 novembre 1989 par l'assemblée générale des Nations Unies. C'est le premier instrument juridique international ayant force contraignante et qui énonce toute la panoplie des droits fondamentaux des enfants: civils, économiques, sociaux et culturels. Elle contient aussi les normes que les gouvernements doivent se fixer pour que tous les enfants puissent exercer les droits précités. Elle reconnaît en outre dans son préambule que « l'enfant doit grandir dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension et être élevé dans un esprit de paix, de dignité, de tolérance, de liberté, d'égalité et de solidarité ». Ainsi, presque tous les Etats de la planète ont pris des engagements pour que désormais puisse être amélioré le sort des enfants15(*). Haiti faisait partie de ces Etats qui s'étaient mis d'accord pour protéger tous leurs enfants et faire respecter leurs droits. Le 29 décembre 1994, le Parlement Haïtien a ratifié la Convention, donc à partir de cette date, le cadre juridique d'Haiti en matière des droits de l'enfant se voit renforcer par ce nouvel instrument en vue d'assurer effectivement la survie, le développement et l'épanouissement des enfants en général, y compris ceux qui sont obligés de mener une activité économique pour survivre en particulier. En conséquence, avec la ratification de cette Convention, il a été suscité en Haiti l'espoir d'une amélioration des conditions de vie des enfants, pourtant, jusqu'ici, cette amélioration ne se montre de plus en plus qu'à l'horizon. Beaucoup d'enfants continuent de vivre des situations difficiles, plus particulièrement ceux qui sont astreints à pratiquer une activité économique pour subsister. Notre devoir de citoyen nous interpelle à attirer l'attention de tous sur la situation scandaleuse que sont en train de vivre ces enfants dans les villes de Port-au-Prince, des Gonaïves et du Cap-Haïtien. Devant les abus et l'exploitation criante qu'ils sont en train de subir de la part de leurs employeurs, nous ne pouvons passer sous silence nos observations et avons jugé utile d'en faire l'objet de notre recherche. Nous sommes persuadé que cette étude contribuera à attirer l'attention de la société sur le problème d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine et apportera des solutions pour le combattre. En plus de nos observations de la situation des enfants au travail, la méthodologie utilisée dans le cadre de cette recherche se tourne autour de deux principaux axes : la recherche documentaire et l'enquête de terrain. Dans une large mesure, la recherche documentaire a joué un grand rôle dans la réalisation du travail. La consultation d'ouvrages, d'instruments juridiques tant sur le plan national qu'international traitant du travail des enfants, des documents de l'UNICEF, de L'ONU, de l'OIT, de PNUD, des articles de journaux, d'Internet et d'autres supports écrits a été prédominante. Tous les textes de lois haïtiens relatifs au travail des enfants ont été consultés. Dans ce cas, la méthode historique16(*) a été utilisée, ce qui nous a permis de mener une investigation documentaire pour constater ce que nos prédécesseurs ont déjà dit sur le thème en question. En second lieu, nous avons effectué un sondage au niveau des villes concernées directement par cette étude, entre les mois de novembre 2004 et de mars 2005 : Port-au-Prince, Gonaïves et Cap-Haïtien. En réalisant ce sondage, il s'agissait pour nous de recueillir des informations directement des enfants sur leur condition de vie. Un effectif de 229 enfants travailleurs a été soumis à l'enquête17(*). Ces derniers ont été répertoriés au niveau des principales catégories d'enfants travailleurs en Haiti tant dans le secteur formel structuré que le secteur informel : travaux domestiques, travaux effectués dans les rues des villes, dans les petites entreprises, etc. Nous voulons également souligner deux aspects importants de ce travail ; il s'agit des limites temporelle et géographique. Pourquoi avons-nous limité le travail à partir de 1994 et nos observations dans les villes de Port-au-Prince, des Gonaïves et du Cap-Haïtien ? D'abord, la ratification par la république d'Haiti en 1994 de la Convention Internationale des droits de l'enfant renforce son obligation juridique d'instaurer de meilleures conditions de vie pour les enfants en général, qu'ils soient astreints au travail ou pas. Avant cette date, il existait dans la législation haïtienne des textes de lois régissant le travail des enfants certes, mais cette Convention oblige l'Etat à mettre tout en oeuvre pour adopter et faire respecter des normes juridiques de protection de tous les enfants. Il s'engage lui-même à respecter les droits des enfants et à les garantir à tout enfant, quel qu'il soit. Avec cette ratification, l'Etat haïtien reconnaît une fois de plus le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social, conformément à l'article 32-1 de la Convention. Ainsi, nous avons décidé de remonter notre travail de recherche à partir de 1994. L'autre aspect concerne la limitation du travail dans l'espace, disons immédiatement que le problème d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine existe au niveau de toute Haiti18(*). Et partout à travers le pays, les enfants travailleurs confrontent les mêmes difficultés, ils connaissent la même mauvaise situation et subissent les mêmes abus de la part de leurs employeurs. La différence réside surtout au niveau de l'ampleur du problème. Dans les grands centres urbains, on retrouve évidemment beaucoup plus d'enfants qui sont actifs économiquement. Cela peut se comprendre aisément puisque dans ces villes, il y a non seulement un flux considérable d'activités économiques, mais aussi une plus grande concentration démographique. S'appuyant sur cette réalité et compte tenu de nos moyens limités, nous avons décidé de soumettre à l'étude les enfants travailleurs des trois chefs-lieux de Département les plus peuplés du pays, à savoir : Port-au-Prince, Cap-Haïtien et Gonaïves19(*). A signaler également les difficultés rencontrées dans la réalisation de ce travail. D'abord, il ne nous a pas été facile de repérer des documents sur le travail des enfants en Haiti, les rares ouvrages existant concernent surtout la situation des enfants domestiques et des rues. D'autres difficultés étaient liées au climat de tension qui régnait dans le pays au moment de notre sondage ; entre les mois de d'octobre 2004 et de mars 2005 il était même périlleux pour un inconnu de circuler dans certains endroits de Port-au-Prince et des Gonaïves. De plus, contrairement aux enfants qui travaillent dans les rues et dont leur présence est très visible à chaque endroit des villes observées, les travailleurs domestiques sont plutôt enfermés à l'intérieur des maisons. Il nous a été difficile de rencontrer les enfants travailleurs effectuant des tâches domestiques. Néanmoins, aidés par des amis et avec notre expérience de travail de terrain, nous avions fini par contourner ces difficultés. Donc dans le cadre de cette étude, nous concentrons notre analyse, particulièrement, sur des observations faites à travers les trois villes d'Haiti où le phénomène d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine est le plus visible. Ces observations ont été portées sur l'ensemble du territoire de Port-au-Prince, Gonaïves et Cap-Haïtien : les centres-villes et les sections communales20(*). Nous sommes conscients de l'existence du phénomène au niveau national, mais c'est au niveau de ces trois villes que les observations se limitent. Une enquête de terrain a été menée auprès de 229 enfants travailleurs choisis dans les rues, dans les maisons privées et dans les petites entreprises. Ce travail de recherche consiste en une analyse critique du travail des enfants au regard du Droit du travail en Haiti à partir de 1994. Il convient, par ailleurs, de contribuer à l'amélioration du sort des enfants travailleurs tout en proposant des pistes de solutions susceptibles de combattre progressivement l'exploitation de la main d'oeuvre enfantine en Haiti. Cette recherche se limite aux formes ordinaires de travail des enfants en Haiti telles que : le travail à domicile, le travail dans les rues et dans le secteur formel et informel. Cependant, elle ne tient pas compte de l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, de la traite des enfants et des enfants engagés dans des conflits armés, ni non plus du travail effectué par les enfants pour le compte de leurs parents naturels. Ces formes d'exploitation des enfants ne sont pas abordées, non pas parce qu'elles ne sont pas dangereuse pour Haiti ou ne retiennent pas notre attention, mais nous ne pouvons pas épuiser d'un coup tous les aspects d'un phénomène aussi vaste. Le thème abordé est traité en quatre chapitres repartis comme suit : Le premier chapitre informe sur quelques-uns des aspects essentiels du travail des enfants tant en Haiti qu'au niveau international. Des considérations d'ordre général y sont faites, notamment, nous abordons par rapport au thème soumis à l'étude, le cadre conceptuel, le problème d'indisponibilité de données statistiques et surtout un survol historique nous permettant de situer le problème dans le temps et dans l'espace. D'une façon spécifique, l'accent est mis sur la situation des enfants travailleurs en Haiti, sur les différentes catégories de travail qu'ils effectuent et sur les abus et les exploitations dont ils sont victimes habituellement. Le deuxième chapitre aborde le problème crucial d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haiti où nous avons étudié l'ampleur, les causes fondamentales et les conséquences du problème sur les différentes entités sociales. Nous avons également élaboré sur le rôle et les déficiences des différentes institutions publiques haïtiennes chargées au premier plan d'assurer la protection de ces enfants exploités. Le troisième chapitre étudie en profondeur l'évolution et le cadre juridique des Droits de l'enfant au travail. Cette étude embrasse à la fois l'évolution des instruments légaux relatifs au travail des enfants tant sur le plan national qu'international. Il y est fait mention de tous les textes de lois en vigueur en Haiti en ce qui a trait au travail des enfants, tout en soulignant également les défaillances relevées au niveau de certains textes. Enfin, le quatrième chapitre fait des recommandations relatives à la définition d'un Plan de lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine en Haiti. Des actions concrètes sont proposées et des acteurs potentiels sont identifiés afin d'aboutir le plus tôt que possible à l'amélioration effective de la situation des enfants travailleurs en Haiti. Tout ceci doit se faire selon une stratégie globale consistant à informer toute la société haïtienne de la gravité du problème et de la sensibiliser à l'urgence d'oeuvrer à la solution de celui-ci. Il est indispensable que l'opinion publique nationale exerce la pression nécessaire sur les autorités publiques haïtiennes, afin de les inciter à prendre des engagements au bénéfice de la protection des enfants travailleurs et du respect de leurs droits. Il faut également que les actions soient accomplies en concertation, c'est-à-dire, il faut l'existence d'une coopération entre l'Etat et d'autres institutions tant sur le plan national qu'international afin de disposer des moyens nécessaires pour combattre efficacement l'exploitation des enfants. Le raffermissement du cadre juridique en général et la prise des mesures de renforcement du système éducatif, constituent également d'autres éléments stratégiques importants à la lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine au niveau de la société haïtienne.
* 1 UNICEF, « Les Enfants d'Abord », éd. Henry Deschamps, Port-au-Prince, 1994, p. 6. * 2 OIT/BIT, Le travail de l'enfant : Que faire ? Programme focal sur le travail des enfants : IPEC, Genève, 1996, p.1. / www.ilo.org/public/french/standards/ipec/publ/policy/what/whatintro.htm * 3 OIT/BIT, Combattre le travail des enfants : Manuel à l'usage des inspecteurs du travail, Bureau international du Travail, Genève, 2003, p. 11. * 4 UNICEF, La Situation des enfants dans le monde en 1997, Genève, 1997, p.7. * 5 OIT/BIT, Les rapports de la Conférence Internationale du Travail (84e, 85e, 86e et 87e Session), 1996 à 1999. * 6 UNICEF, Op. Cit. p. 25. * 7 Irdèle LUBIN, Un regard sur la domesticité Juvénile en Haiti, Vol. 20, No. 2, p. 49. * 8 FAFO, Domesticité des enfants en Haiti, caractéristiques, Contexte et organisation, Port-au-Prince, 2002, p. 39. * 9 UNICEF, La situation des Enfants dans le monde en 2005, Genève, 2005, p. 18. * 10 Décret du 10 mars 1995 portant ratification de la Convention Relative aux Droits de l'Enfant (La Convention a été ratifié le 23 décembre 1994 et publié dans le Journal officiel du pays, Le moniteur No.59 du 31 juillet 1997). * 11 Le protocole facultatif concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants (2000) et le Protocole facultatif concernant l'implication d'enfant dans les conflits armés (2000). * 12 La convention 138 sur l'Age minimum d'Admission à l'emploi (Genève, 1973) et la Convention 182 sur les pires formes de travail des enfants (1999). * 13 Kay CASTELLE, L'Enfant, Son Intérêt, Ses Droits : Découvrir la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant, 1ere édition, Montréal, 1990, p. 2. * 14 OIT/BIT, Combattre les formes les plus Intolérables du travail des enfants : Un défi Universel (Conférence d'Amsterdam sur le travail des enfant du 26 et 27 février 1997), Genève, 1997, p. 3, www.ilo.org/public/french/standards/ipec/publ/policy/ams/1accleng.htm * 15 A date, la CIDE est signée et ratifiée par les 191 Etats membres de l'ONU, sauf Les Etats-Unis et la Somalie n'ont pas encore ratifié cette Convention, www.globenet.org/enfant/cide.html * 16 Romanne PRÉSUMÉ, « MANUEL DE METHODOLOGIE De la Problématique à l'Analyse des données », Presse Evangélique, P-au-P, 2003, page 293. * 17 L'échantillon de 229 enfants travailleurs est ainsi reparti : 124 pour Port-au-Prince, 51 pour les Gonaïves et 54 pour le Cap-Haïtien. * 18 Carl V. RAYMOND, La Problématique de la Domesticité Infantile en Haiti : Regard sur la Réponse, Port-au-Prince, 2003, p. 4. * 19 IHSI (Bureau du 4e recensement) 4e Recensement Général de la Population et l'Habitat, Haiti, aout 2003. * 20 Avec la croissance accélérée de la population urbaine, les centres-villes de Port-au-Prince, des Gonaïves et du Cap-Haitien se rencontrent quasiment avec leurs zones périphériques respectives. Dans le cas qui nous concerne, les centres urbains ne sont pas dissociés des sections communales. |
|