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Essai d'analyse critique du role de la philosophie à travers les ouvrages de Paulin Hountondji et de Marcien Towa

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par Issiaga DIALLO
Université de Sonfonia Conakry - Maitrise 2005
  

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CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE

Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est un ouvrage bref mais dense dans lequel l'auteur dénonce essentiellement ce qu'il appelle la philosophie africaine dans le sillage de la négritude. Il entend disqualifier toute démarche visant à forger une philosophie africaine originale et spécifique qui serait à opposer à celle de l'Occident pour espérer une quelconque reconnaissance. Plus que cela, il avance des pistes que les intellectuels africains doivent explorer pour la naissance d'une véritable philosophie sur le continent. A cet effet il estime que la philosophie doit jouer un certain nombre de rôles théoriques et pratiques qui ne soient plus nécessairement une défense des civilisations africaines contre l'expansionnisme culturel et idéologique occidentale. Mais des rôles qui tiennent compte de la situation actuelle des peuples africains. Nous tenterons de les identifier et les analyser dans ce chapitre. Mais avant, nous nous intéresserons brièvement à la vie et l'oeuvre de Towa.

SECTION 1 : PRESENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE L'OUVRAGE

Marcien Towa a fortement marqué la pensée africaine dans les années 70 et 80. Perçu comme un iconoclaste à cause de ses prises de position, l'une de ses cibles privilégiées était Léopold Sédar Senghor à qui il a consacré plusieurs essais. Marcien Towa a obtenu son baccalauréat en philosophie en 1955 au Grand Séminaire d'Otélé à quelques dizaines de kilomètres de Yaoundé, la capitale du Cameroun. A partir de 1957, il continuera ses études en France à Caen d'abord et à la Sobonne ensuite. En 1959 il obtient la licence en philosophie suivi d'un Diplôme d'Etudes Supérieures dans la même discipline en 1960, avec un memoire sur Bergson et Hegel. Après un an d'enseignement à l'ENS de Yaoundé, Marcien Towa reprend des études de psychologie avec une bourse de l'UNESCO qui le mèneront dans plusieurs Université européennes. De retour dans son pays, il occupe les postes de Directeur des études de l'ENS de Yaoundé de 1966 à 1968 et de Chargé d'enseignement dans la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Université de Yaoundé. En 1969 il obtient un Doctorat (3ème cycle) et dans la même période un doctorat d'Etat en philosophie sur la pensée africaine. Son oeuvre littéraire et philosophique est abondante. De plus il est membre fondateur de la Revue culturelle camerounaise Abbia et en a été co-directeur.

Son Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle (Editions CLE, 1971) reste un ouvrage de référence pour les élèves et les étudiants, comme pour les africanistes, en Afrique et dans le monde. L'ouvrage a été reédité en 1979 aux éditions Clé Yaoundé. C'est l'un des textes majeurs de Towa. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un essai de l'auteur sur la problématique philosophique en Afrique, plus précisément l'Afrique de la deuxième moitiè du XX ème qui voit une certaine profusion, tant en Afrique qu'en Europe, d'écrits sur la problématique de la philosophie africaine. Dans cet ouvrage, le projet de Towa s'inscrit dans le cadre d'un réexamen de la problématique philosophique en Afrique. Dans cette perspective, il s'écarte de certains de ses devanciers et qui font de la philosophie une simple gymnastique intellectuelle. Pour lui, comme son idole Kwamé N'Krumah, la philosophie doit être pensée dans une perspective révolutionnaire, autrement dit dans l'optique de la révolution démocratique des peuples africains. Il considère que la philosophie doit hâter la prise de conscience des peuples et accélérer le processus révolutionnaire dans le continent africain. Donc cela implique d'une part, sur le plan théorique un dépassement de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne afin de forger une philosophie à l'image de la tradition philosophique internationale, notamment occidentale. D'autre part, faire de cette philosophie un vecteur pour guider les peuples africains vers la détermination de ce qu'il appelle leur dessein fondamental.

La structure de l'ouvrage pressente quatre chapitres :

1. Existe-t-il une philosophie africaine ?

2. La philosophie africaine dans le sillage de la négritude

3. Pour une nouvelle orientation philosophique africaine

4. Le concept européen de philosophie et nous

Dans le premier chapitre l'auteur aborde la question fondamentale de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Il remarque que cette question s'est toujours posée dans le cadre du débat sur la philosophie africaine. Et qu'une longue tradition répond à cela par la négative, quelques fois sur la base d'arguments peu convaincants. Mais il remarque aussi d'autre part que dans la continuité de la large controverse sur l'existence ou non d'une philosophie africaine, il y a la parution de La philosophie bantoue du Rev P. Tempels en 1945. Ouvrage qui affirme sans ambages l'existence d'une philosophie africaine. Mais plus que cela cet ouvrage a enregistré un accueil favorable après d'un grand nombre d'auteurs tant africains qu'européens.

Dans le second chapitre, M. Towa analyse la philosophie africaine « dans le sillage de la négritude ». Il y montre que la plupart des tentatives des Africains de forger une philosophie originale et spécifique s'inscrit en réalité dans la continuité de la négritude. Autrement dans les deux cas il s'agit d'une entreprise de revendication politique, idéologique visant une réhabilitation devant l'Occident. Il retient par exemple les travaux de A. N'Daw et Juleat Basile Fouda. Pour le premier cité, dans Peut-on parler d'une pensée africaine, Présence africaine n58, revendique une dignité anthropologique pour les peuples Noirs. Quant a Fouda, dans le cadre de sa thèse intitulée La philosophie négro-africaine de l'existence, Lille 1967, il fait de la philosophie africaine une sorte une valeur absolue qui doit demeurer telle par de-la l'espace et le temps, une philosophie que les africains doivent garder jalousement et transmettre de génération. Towa s'insurge contre ces caricaturisations de la philosophie et en appelle à la révision pure et simple de la problématique philosophique en Afrique. C'est pourquoi dans le chapitre qui suit, il parle d'une nouvelle orientation philosophique en Afrique.

Dans ce chapitre, il propose que les intellectuels africains se détournent de la négritude senghorienne et de l'ethnophilosophie pour construire une philosophie répondant mieux aux exigences théoriques et épistémologiques propres à cette discipline, pour qu'ensuite celle-ci serve à hâter la marche des peuples africains vers la révolution démocratique. Dans le dernier chapitre il expose la conception européenne de la philosophie à travers celle de Hegel et il propose qu'elle soit adoptée sur le continent africain tant dans la forme que dans le fond pour que notre philosophie ait une dimension universelle qui l'éloigne de l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne et leurs contradictions.

Ce sont ces chapitres qui sont développés dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle. Mais une lecture minutieuse de l'ouvrage montre que fondamentalement l'auteur a développé trois thèses essentielles : de la philosophie africaine, des taches de la philosophie dans l'Afrique contemporaine ainsi que du concept de philosophie. Concernant la philosophie africaine, il y a lieu de reconnaître qu'avant lui, philosophes et africanistes européens et africains ont tenté les uns de décrypter une philosophie africaine sur la base des différentes manifestations culturelles, les autres de critiquer et montrer les limites de telles démarches. Avec Towa s'ouvre une rupture épistémologique qualitative dans le débat sur la problématique philosophique africaine. En effet Towa considère que la question suprême et première est l'interrogation sur l'existence même d'une philosophie africaine. Cette question marque le début d'une véritable réflexion critique, celle qui va à la racine des choses pour tenter d'épuiser autant que possible la question. Il s'agit entre autres de la nécessite de replacer le débat sur la philosophie africaine dans son contexte d'émergence afin de comprendre ses contours et ses développements. Ce qui est donc en jeu et nouveau ici, c'est la tentative de cerner la problématique philosophique dans sa genèse afin de la comprendre et d'indiquer des voies et moyens pour son développement dans l'Afrique d'aujourd'hui. Cette approche permet à Towa de comprendre que face à la question de l'existence d'une philosophie africaine, il y a toujours eu deux réponses : l'une négative et l'autre positive. Parmi ceux qui dénient à l'Afrique toute philosophie l'auteur retient les grandes idées développées par de grands penseurs occidentaux comme Heidegger, Hegel, F. Crahay etc. ; chacun le faisant avec des arguments fort variés et quelques fois suspects pour employer le terme de Towa lui-même dans le cadre de Hegel notamment. Parmi ceux qui affirment l'existence d'une philosophie africaine, Towa retient le Rev. Père Placide Tempels et tous les africains ou européens qui par la suite abondent dans le même sens que lui. La démarche de notre auteur dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est de dénoncer la littérature qui en résulte, littérature qu'il qualifie d'ethnophilosophie. Il estime que celle-ci n'est ni une philosophie, ni une ethnologie, mais une discipline d'un genre nouveau, à cheval entre les deux ; et qui comme telle présente la particularité de les trahir toutes deux à la fois. Ensuite, Towa aborde la question des taches de la philosophie en Afrique. Ces taches font référence aux rôles que celle doit jouer sur le contient africain, et cela non seulement sur la plan théorique mais aussi pratique.

Enfin parmi les thèses fondamentales développées dans cet ouvrage, il y a celle portant sur le concept de philosophie. Et pour lui, sur cette question, nul n'est besoin de faire des recherches fastidieuses. Il convient simplement d'interroger Hegel qui est un éminent philosophe, un philosophe respecté tant du côté capitaliste que socialiste. C'est donc la conception hégélienne de la philosophie qui lui semble la mieux indiquée pour faire ressortir ce qu'il faut entendre par philosophie. Dans cette perspective la philosophie est considérée comme une sagesse du monde car prenant pour objet essentiellement le monde et les droit de la nature humaine. La philosophie comme sagesse du monde et son étroite parenté avec la science étaient l'expression de la démarche de Bacon et de Descartes. Pour eux, le rôle de la philosophie et de la science est d'assurer une la puissance de l'homme sur la nature et de lui permettre de subvenir a ses besoins les plus divers. En cela la philosophie européenne moderne a joué un rôle important dans la fondation du mode de production capitaliste. Il s'agit d'une philosophie qui a pour objectif de développer l'emprise de l'homme sur son milieu physique et humain par la médiation d'un savoir rigoureux. C'est donc cette philosophie que Towa invite les africains à adopter pour percer le secret de la victoire de l'Europe sur nous et par la même découvrir la voie de notre libération.

En un mot, Towa développe des thèses courageuses, qui apportent des éclairages et des perspectives nouvelles dans le cadre du débat sur la problématique philosophique en Afrique. Cependant cela n'occulte pas les limites de son analyse que nous tenteront de lever dans les pages qui suivent. Mais avant, quel est le rôle de la philosophie à travers l'ouvrage de Marcien Towa ?

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote