CONCLUSION
Marcien Towa et Paulin Hountondji ont produit respectivement
dans les ouvrages : Essai sur la problématique philosophique
dans l'Afrique actuelle, Editions Clé Yaoundé, 1979
(2ème édition) et Sur « la philosophie
africaine » critique de l'ethnophilosophie, Éditions
Clé Yaoundé, 1980, une analyse pertinente dans le débat
sur la problématique philosophique en Afrique. Dans les deux ouvrages il
se dégage un effort sans cesse renouvelé visant à
invalider la littérature africaine et même européenne
existante sur la question, notamment celle qu'ils qualifient
d'ethnophilosophie. Pour eux il incombe donc de reconsidérer la
problématique philosophique africaine sous un angle nouveau dans le but
ultime de forger une philosophie qui ne sera plus seulement une
réfutation stérile des négations civilisations africaines
par les Occidentaux ; mais une philosophie qui fonctionne selon les exigences
théoriques, méthodologiques propre à cette discipline. A
cet effet, chacun dans son ouvrage a proposé des rôles qui doivent
échoir à la philosophie pour que naisse sur le continent africain
une véritable culture philosophique. C'est ainsi que pour Towa, il
revient essentiellement à la philosophie de déterminier et
d'orienter les conditions de la révolution démocratique des
peuples africains. Dans son argumentation, il considère qu'il existe un
destin commun pour les peuples africains. C'est de cela q'il est question
lorsqu'il parle de dessein fondamental, de sens de notre-être-là
dans le monde etc. Il revient à la philosophie de caractériser ce
dessein et déterminer la direction vers laquelle on doit
l'infléchir pour un meilleur futur des peuples africains. Cette
démarche doit être faite en tenant compte de la défaite
retentissante des civilisations africaines face à l'Occident. En sorte
que notre combat ne soit celui de pleurnicher sur notre sort; mais d'envisager
les voies et moyens susceptibles d'éviter non seulement que cela se
reproduise mais aussi d'équilibrer les échanges entre nos
civilisations et les civilisations occidentales. Il imagine à cet effet
une démarche dialectique qui à terme doit conduire à
l'appropriation du secret de l'Occident afin d'être comme lui et donc
incolonisable par lui. Pour cela, de son point de vue, le discours
philosophique doit dépasser la problématique de
l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne pour constituer un
débat fécond qui à terme conduire les peuples africains
vers l'avènement de la démocratie sur le continent. Cette
tâche considérée la principale doit s'accompagner de taches
secondaires, qui concernent essentiellement le rejet du culte de la
différence et du culte du passé.
En ce qui concerne Hountondji, il estime qu'une
littérature abondante se qualifiant de philosophique existe sur le
continent africain. Mais de son point vue, celle-ci, pour plusieurs raisons n'a
jusque là fait l'objet que d'une exploitation mythologique. Il convient
donc corriger cette impasse et de faire de toute philosophie en Afrique, le
véhicule d'un vaste débat contradictoire qui engage les tous
Africains entre eux-mêmes et qui traite des questions philosophiques les
plus diverses. Car pour lui, le discours ethnophilosophique s'adresse
essentiellement au monde occidental devant qui ses auteurs veulent se
réhabiliter. Mais en le faisant, ils en arrivent à des
résultats où ce qui est qualifié de philosophie ne
répond nullement aux exigences théoriques, méthodologiques
propres à cette discipline tel que cela a toujours été
observé dans la tradition philosophique internationale et
particulièrement occidentale. Il estime donc qu'il urge de mettre fin
à cette extraversion mendiante de la philosophie africaine en
disqualifiant l'ethnophilosophie et toute sa problématique et faire de
toute philosophie sur le contient africain un débat contradictoire
produit par des Africains et s'adressant à des Africains. De plus Paulin
Hountondji pense que la philosophie africaine doit fonctionner sur le
modèle de l'héritage théorique, méthodologique,
etc. de cette discipline. Cet héritage offre toute une palette d'outils
théoriques et conceptuels qu'elle peut exploiter pour produire un
discours universellement valable. Pour cela il en appelle à une remise
en cause de son statut théorique. Partant donc de l'hypothèse
althussérienne que toute philosophie est en dernier ressort une
réflexion sur la science, il estime qu'en Afrique il est plus urgent de
promouvoir une science africaine, une recherche scientifique africaine qu'une
philosophie africaine. Cela est du reste facilité de nos jours par le
fait que les civilisations africaines qui étaient essentiellement des
civilisations orales, subissent de nos jours des mutations qui peu à peu
les transforment en civilisation de l'écrit. Ceci de son point de vue
constitue un atout incontestable compte tenu du fait que chez lui une
philosophie n'est digne d'elle appelée telle que si elle est
écrite. L'absence d'écriture est défavorable à
toute philosophie car cela l'empêche d'être véritablement
consigné pour constituer un préalable théorique
appelé à être améliorer par d'autres discussions
selon de nouvelles perspectives sur les mêmes thèmes.
Il faut cependant souligner que faute de ramener constament
le débat sur le champ spécifique occidental, les analyses de nos
auteurs appellent à certaines réserves. Pour n'avoir pas
entrepris des recherches sur le terrain, ils semblent préférer la
spéculation gratuite fondée sur la répétition de
doctrines occidentales qu'une démarche sérieuse qui tiendrait
compte des spécificités incontestables des civilisations
négro-africaines. Il est très aisé de faire ressortir des
travers récurrents dans le discours ethnophilosophique, cependant le
tout est d'être capable de corriger ces travers et les remplacer par un
discours cohérent fondé sur les réalités propres
des civilisations négro-africaines. En réalité, le
rôle de la philosophie sur le continent africain dépasse de loin
ces éternelles discussions entre intellectuels Africains et Occidentaux
sur les rapports de la philosophie et la science, la philosophie et
l'idéologie, la philosophie et la politique etc. Car c'est de cela qu'il
est fondamentalement question ici. D'ailleurs pour d'aucuns le fait même
de poser une problématique de la philosophie sur le continent
spécifique africain est un faux débat. En ce sens que l'Afrique
ne saurait se soustraire de l'espace et du temps et constituer à elle
seule une dimension particulière de la réalité humaine
où la philosophie aurait à jouer un rôle particulier.
Daniel Tchapda Piameu dans un article intitule De l'engagement politique ou
philosopher en Afrique en changeant de mode dans la revue
en ligne Motspluriels N° 10 de mai 1999, il n'est pas question de se
laisser aller à de tels particularismes. La philosophie en tant que
discipline universelle joue le même rôle sous tous les cieux. Pour
défendre ce point de vue, il estime qu'elle avant tout une sagesse. Or
« la sagesse est toujours relationnelle. Elle est relation de
l'homme au temps. Il en est ainsi parce que la philosophie est non seulement
une manière de penser mais aussi une manière d'être dans le
temps. Mieux encore, même si elle n'était qu'une manière de
penser, la philosophie serait encore une manière de penser le temps.
Aucune philosophie proprement dite ne se développe loin de ce concept.
Toute philosophie est pensée du temps ». Le philosophe
pose sa réflexion sur un particulier sur la base de concepts et de
méthodes universels. Cela signifie entre autre que même si la
philosophie doit jouer un rôle sur le continent africain, celui-ci est
à mettre en relation avec le contexte historique, économique,
culturel etc. qui l'a vu maître; donc qu'on ne peut pas à
proprement parler fixer une pour tout un rôle a la philosophie en
Afrique. Mais il convient de dépasser ce fétichisme de
l'universalité pour constater que sur le continent, justement dans le
temps il existe quelque chose que l'activité humaine nommée
philosophie puisse faire pour répondre à des défis
indéniables qui se posent.
Ainsi nous pouvons dire qu'il incombe entre autre à la
philosophie de se poser sur le quotidien des peuples africains
confrontés aux guerres sanglantes, aux violations des droits de l'homme,
à la pauvreté et autres calamités du même genre.
Dans ce cas seulement elle pourra non seulement démentir cette image
récurrente qu'on lui attribue et qui fait d'elle une activité
oisive, un discours creux et sans importance qui en dernière analyse, a
tendance à compliquer plus le monde qu'il n'apporte de solutions. Ainsi
de notre point l'un des défis qui attendent la philosophie dans notre
continent est celui qui fait référence à
l'élucidation de concepts en tout genre et qui engagent les Africains
dans leur vie de tous les jours; sur des plans aussi variés que la
politique, l'idéologie, la science; mais aussi l'art, le droit, la
religion, etc. En procédant ainsi elle sort de sa sphère
académique où elle engage donc un public académique pour
être un instrument de sensibilisation et d'éducation des masses.
Cela ne signifie pas pour elle, se transformer en une instance normative seule
capable de fixer les priorités de tout sur le continent africain. Elle
doit plutôt combattre toute forme d'unanimisme et envisager donc les
nombreux défis qui attendent l'Afrique en tenant compte non seulement
des spécificités inhérentes à chaque région,
à chaque peuple africain, mais aussi du contexte historique,
économique, idéologique etc. actuel. En le faisant elle se sera
plus seulement confinée dans les départements de philosophie des
Universités africaines; mais elle en sortira pour se poser dans le
quotidien de tout le monde. Cela peut être réalisé par
l'organisation de conférences publiques répétées,
de publications de documents, de prospectus, de création de sites
internet etc. dans un langage destiné à compris par le plus grand
nombre de persones. Bien entendu cela est étroitement lié
à la liberté d'expression dans nos différents pays et
à la contribution des pouvoirs publics pour encourager son enseignement
dans les systèmes éducatifs. Cette démarche peut avoir
entre autres conséquences heureuses la maîtrise d'un certain
nombre de phénomènes sociaux, politiques, économiques,
culturels, religieux etc., en relation non seulement avec le quotidien peuples
mais aussi qui déterminent leur futur. A côté la
détermination d'un appareil théorique et conceptuel à
même de restituer la pensée philosophique africaine notament
précoloniale. L'Afrique précoloniale a conu de brillantes
civilisations. En témoignent toutes les réalisations techniques
et technologiques de cette période subsistent en certains endroits, mais
aussi toute cette manière particulière de concevoir et
d'organiser le monde qui existe et qui se manifeste à travers les
contes, légendes, cosmogonies etc. Mais on doit convenir avec Towa que
le contact des civilisatiosn africaines avec le monde occidental nous a
été déafavorable, en sorte qu'il est possible de parler de
la défaite de l'Afrique face à l'Occident. La démarche de
l'intellectuel Africain ne doit pas être de rester dans un bureau
confortable et de conjecturer sur les questions qui concernent cette
période de notre histoire. Autrement il faut non seulement faire le
constant de cette défaite mais aussi faire des recherches
informées sur le terrain afin de de savoir le niveau de connaissance qui
avait été atteint par ces civilisations. Cela passe par la
construction de tout un arsénal d'outils théoriques et
conceptuels qui serait propre au monde africain. Car comme le dit Pathé
Diagne jusque là l'Europe a définit toute seule, sur la base de
ses intérêts les termes théoriques de toute connaissance
scientifique. L'intellectuel africain formé à l'école
occidentale en est fortement influencé et tout ce qu'il produit sur la
question est presque toujours superficiel. De plus il revient à la
philosophie de faire son auto-promotion sur le continent africain. Il n'est pas
nécessaire de dire que de nos jours, pour plusieurs raisons elle est
marginalisée et reléguée au dernier échelon des
disciplines à étudier. Cette situation doit changer et cela passe
entre autre par la démystification de la philosophie elle-même. La
philosophie doit arriver à faire qu'elle ne construit certes des ponts
ni de buildings, elle n'a pas pour vocation changer le quotidien
immédiat des individus. Mais d'un autre côté elle ne se
résume pas en une négation de l'existence de Dieu ou toutes les
autres négativités qu'o lui attribue. Elle est simplement une
plate forme où toutes les questions peuvent faire l'objet de discussion
libre et dépassionnée avec comme seul instrument d'argumentation
la raison.
En un mot tous ces défis et bien d'autre encore
attendent la philosophie dans nos différentes sociétés
pour véritablement constituer un discours en adéquation avec son
temps sur le continent africain.
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