Essai d'analyse critique du role de la philosophie à travers les ouvrages de Paulin Hountondji et de Marcien Towa( Télécharger le fichier original )par Issiaga DIALLO Université de Sonfonia Conakry - Maitrise 2005 |
SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE CHEZ PALUIN HOUNTONDJIPaulin Hountondji écrit dans la perspective du débat sur la philosophie africaine. Comme Towa il est contemporain de la naissance de ce débat. Avant lui des choses ont été dites, des pistes ont été envisagées et parcourues. Surtout un vaste mouvement littéraire a vu le jour et produit un ensemble non négligeable de textes. Le livre de Hountondji est donc une prise de position dans ce débat. Comme le titre même l'indique, il écrit sur la philosophie africaine. Plus précisément il se propose de faire une critique de l'ethnophilosophie. Comme on vient de le voir cette critique traverse de bout l'ouvrage Hountondji, mais au-delà, il estime que sur le continent africain il existe des rôles qui sont dévolus à la philosophie. Parmi ceux-ci il y a celui qui consiste à transformer la littérature philosophique africaine existante « ... en véhicule d'une discussion exigeante et libre entre les philosophes africains eux-mêmes ». En effet pour Hountondji la philosophie africaine existe, elle existe comme sous tous les cieux sous la forme d'une littérature. C'est ce qui explique cette affirmation dès le début de son livre selon la « philosophie africaine, un ensemble de textes: l'ensemble, précisément, des textes écrits par les africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes de philosophique » (p.11). Cette littérature, variée et abondante existe depuis plusieurs années, cela est indiscutable. Elle ne prend en considération que les auteurs africains et de sa diaspora. Sont exclus tous les auteurs étrangers à l'Afrique même si ceux-ci traitent dans leurs écrits de thèmes exclusivement africains. Elle a été inaugurée fin 19ème siècle début 20ème siècle par des ethnologues occidentaux qui se sont intéressés au continent africain pour des raisons diverses. Il peut s'agir d'études ethnologiques du peuple noir mais qui par la suite donne lieu à des généralisations pour le moins hâtives. Les sociétés africaines ont été aussi perçues comme des sociétés statiques, sans histoire à côté de la civilisation occidentale ultra-technicienne, ultra- matérialiste. Un tournant décisif a été opéré dans cette littérature en 1945 avec la publication de La Philosophie bantoue du R.P Tempels, un missionnaire belge en poste au Congo Belge. Cet ouvrage était une monographie où l'auteur recensait toutes les interrogations que ses collègues occidentaux se posaient sur les noirs en général. A ces interrogations il fournissait des réponses précises à partir d'une étude ethnologique du champ culturel bantou. Le but étant de faciliter la voie aux colonisateurs et aux missionnaires dans le cadre de la mission civilisatrice. Cette étude a eu pour résultat de faire ressortir la vision du monde sous-jacente à toutes les actions et attitudes, coutumes, rites, croyances. C'est cette vision du monde collective, inconsciente qui est appelée philosophie bantoue, partant celle de tous les Noirs. La littérature africaine dont parle Hountondji s'est largement inspirée de cet ouvrage. Elle y puise ses arguments selon ses différentes préoccupations. Celle dite laïque y trouve une aubaine pour se réhabiliter devant l'Occident qui a longtemps refusé aux africains l'aptitude à la philosophie. Quant à celle dite religieuse, elle y voit une voie féconde pour se lancer dans des études ethnologique des peuples africains pour que cela aboutisse à une maîtrise psychologique de ceux-ci afin que soit menée plus rationnellement l'entreprise d'évangélisation sur le continent. Pour lui, cette littérature, même si elle peut être qualifiée de philosophique, a du reste jusque là fait l'objet d'une exploitation mythologique. Il souhaite la voir voir transformée en un débat qui engage les Africains entre eux. Comme indiqué précédemment, tout le projet de Tempels a consisté à mettre à jour la vision du monde qui est à la base de tout comportement du bantou. Elle est conçue comme une sorte de weltanschauung collective, unanimiste à laquelle adhèrent spontanément et inconsciemment tous les africains. Tout se passe comme si chez les bantous, tout le monde est d'accord avec tout le monde. Les bantous eux-mêmes méconnaissent cette vision du monde, où sont incapables d'en rendre compte. C'est aux occidentaux, avec l'arsenal théorique que leur offre les disciplines positives comme l'ethnologie, l'anthropologie, qui incombe la tâche de la restituer. C'est donc à l'abandon de cette ethnologie à prétention philosophique qu'invite Houtondji. Il estime en substance que « ruiner ce mythe (celui de l'ethnophilosophie), libérer notre horizon conceptuel pour un discours théorique, telle est la tâche qui incombe, aujourd'hui aux philosophes et aux hommes de science africains » (p.33). L'idée forte qui se dégage ici c'est celle d'une réorientation du projet philosophique africain. L'auteur voudrait que les africains arrivent à penser librement leur philosophie, sans qu'ils aient à la calquer sur les travaux ethnologiques antérieurs, même si ceux-ci en arrivent à affirmer l'existence d'une philosophie bantoue ou africaine. D'ailleurs la philosophie bantoue qui sert de modèle à la majeure partie des auteurs africains présente des facettes que les africains gagneraient à reconsidérer. C'est d'abord que La philosophie bantoue en question s'adresse aux colonisateurs et missionnaires occidentaux appelés à intervenir sur le continent africain, dans le cadre de la mission civilisatrice qui est en réalité une vaste campagne de dépersonnalisation de l'africain ainsi que le pillage systématique de son patrimoine humain et naturel sous prétexte de lui apporter la civilisation. Le R. Tempels lui même ne s'en cache pas quand il estime qu'«une meilleure compréhension du domaine de la pensée bantoue est tout aussi indispensable pour ceux qui sont appelés à vivre parmi les indigènes. Ceci concerne dont tous les coloniaux, mais tout particulièrement ceux qui sont appelés à diriger et à juger les noirs, tous ceux qui sont attentifs à une évolution favorable du droit clanique, bref, tous ceux qui veulent civiliser, éduquer, élever les bantous. Mais si cela concerne tous les coloniaux de bonnes volontés, cela s'adresse tout particulièrement aux missionnaires.» (Note 3 p.15). Ce la montre que le Père Tempels est certes un homme d'Eglise convaincu de notions fortes comme l'amour du prochain. Mais c'est aussi un impérialiste convaincu qui professe la supériorité de sa race sur les autres. Mieux, il théorise les connaissances des races inférieures pour faciliter leur soumission à l'occident. Cela signifie encore que pour les africains, abonder dans le même sens que la philosophie bantoue c'est dans une certaine mesure se faire complice des coloniaux et missionnaires qui veulent opérer sur le continent. D'autre part, en s'adressant à ses collègues occidentaux les Africains ne sont pas considérés comme des interlocuteurs bien que parlant d'eux, de ce qu'ils ont de plus intime. Ils ne pas associés au débat, ils sont ce dont on parle, sujets «d'une discussion entre doctes européens» (p.15). Cette chosification, cette réduction de l'Africain aux objets, sorte de visage sans voix qu'on tente de déchiffrer, objets à définir et non sujets d'un discours possible fait que les auteurs africains devraient se méfier de toute philosophie prolongeant la philosophie bantoue ainsi que toute la problématique qui l'entoure. En outre, ce qui est considéré ici comme philosophie diffère radicalement de ce qui a jusqu'ici été pris comme telle. Il s'agit d'une vision du monde collective, unanimiste, à laquelle tous les bantous sont censés adhérer spontanément et inconsciemment par delà l'espace et le temps. Il s'agit concrètement de la vision du monde qui explique toute l'organisation politique, économique, sociale des bantous. Du reste, cette philosophie est à exhumer par l'analyse ethnologique de documents institutionnalisés comme les contes, les légendes, les rites ... Cela ne ressemble guère à la philosophie telle qu'elle a fonctionné jusque là, notamment dans la tradition occidentale. Hountondji tente d'expliquer le fait que les Africains se soient laissés piégés par cette philosophie d'un genre pour le moins nouveau. Pour lui, cela n'est pas à mettre sur le compte d'une méconnaissance. Ils voulaient «à n'importe quel prix, se réhabilité à leur propres yeux et aux yeux de l'Europe». (p.47) L'Occident les avait si longtemps nié et bafoué que l'affirmation d'une philosophie bantoue était perçue comme une reconnaissance de leur qualité d'hommes. En fait, le projet de la philosophie bantoue recelait une dimension de réhabilitation du Noir. Tempels estime que l'Europe s'était méprise face aux noirs. Croyant que ceux-ci n'avaient pas de pensée, de sagesse de philosophie, ils ont engagé avec eux un dialogue de sourd qui n'a fait qu'élargir le fossé les séparant. En mettant en exergue la philosophie des bantous, Tempels corrigeait cette attitude des siens et montrait qu'il y a urgence de repenser les méthodes de la mission civilisatrice. Avec la découverte de la philosophie des bantous il fallait désormais les prendre de sagesse à sagesse de conception du monde à conception du monde, d'idéal à idéal. C'est donc en quelque sorte une invitation d'accepter l'humanité du noir et engager avec lui un dialogue d'égale à égale dans le respect des différences. C'est donc cette dimension du message tempelsien qui a séduit les auteurs africains. Ce pendant Hountondji relève que c'est faute de l'avoir mis en relation avec l'autre volet du même message. Qui est que celui-ci était adressé aux colons et aux missionnaires Européens dans leur entreprise de soumission du continent africain. D'ailleurs, pour notre auteur la philosophie telle quelle est perçue ici est le résultat d'une confusion du concept de philosophie. «La confusion d'un usage populaire (idéologique) et d'un usage rigoureux (théorique) du mot philosophie». (p.39). Selon le premier sens, la philosophie se ramène à toute sagesse collective ou individuelle, tout système de saisie de soi et du monde, présentant un minimum de cohérence pour régir l'action. Selon ce premier sens, tout homme est naturellement philosophe, en se sens que tout homme en pleine possession de ses facultés a suffisamment de bons sens pour appréhender plus ou moins rationnellement sa vie et agir dans le sens de ce qu'il croît être son bien. Mais dans le second sens la philosophie «est une discipline spécifique ayant ses exigences propres et obéissant à des règles méthodologiques déterminées». (p.39) Et ce, au même titre que la chimie, les mathématiques, la physique etc. et toutes les autres sciences constituées. Ainsi, il estime qu'autant on est mal fondé de parler d'une chimie, d'une mathématique, d'une physique etc. collective et inconsciente, on l'est d'une philosophie. D'où son appel à la ruine de toute littérature qui l'affirme. Libérer donc cette littérature philosophique africaine et du mythe qui l'entoure est l'une des tâches qu'Hountondji assigne à la philosophie en Afrique. Mais pour lui, cette démarche elle-même est «inséparable, en fait, d'un effort politique (en l'occurrence de la lutte anti-impérialiste au sens le plus laborieux du terme)» (p.33). Car en produisant des textes dans la logique de la philosophie bantoue, originale de forger une philosophie spécifique, originale car différente de la philosophie occidentale, les africains ne font que prolonger « un mythe non africain » (p.33). En effet la différence obtenue ici n'a de sens comme différence, qu'en tant que différence de civilisés à barbares, maîtres à esclaves, peuples supérieurs à inférieurs, etc. Dans la perspective de se réhabiliter, les auteurs africains écrivent à l'endroit du public occidental. C'est devant celui-ci qu'on veut se faire valoir. Hountondji voit à la base de cela un désir de paraître, une perpétuelle recherche de reconnaissance avec son cortège de narcissisme. Et lorsque cette reconnaissance tarde à venir, on se retrouve pris dans notre «propre piège» (p.34). Du reste le désir de paraître « se creuse toujours davantage jusqu'à s'aliéner complètement dans une attention inquiète aux moindres gestes de l'auteur, au moindre mouvement de son regard ». En écrivant dans la logique de l'éthnophilosophie, l'intellectuel africain se ridiculise et se fait complice de ses impérialistes. De surcroît, il crée un environnement propice à cet impérialisme en créant et en entretenant une artificielle plate forme de dialogue entre Européens et Africains, un dialogue où il se fait « le porte parole de l'Afrique globale devant l'Europe globale, au rendez-vous imaginaire du « donner et du recevoir » » (p.35). L'Europe se trouve ainsi confortée dans sa conviction qu'il est différent des autres peuples. Une différence saisie comme différence de degré de civilisation, d'évolution. Hountondji propose donc aux philosophes africains de transformer cette problématique qui relève de l'ethnophilosophie et de faire de la philosophie africaine un débat entre les Africains et traitant de thèmes philosophiques les plus divers. Cela passe néanmoins par des préalables. C'est le cas de la liberté d'expression pour que le philosophe africain puisse aborder tous les sujets qui l'intéressent sans être menacé par les politiques. Dans ce contexte, il est de sa responsabilité de porter sa réflexion sur le terrain politique sans pour autant être le porte parole des régimes dictatoriaux. Ce dépassement de l'ethnophilosophie implique également la réorientation du discours philosophique africain vers le public africain. Pour lui derrière l'entreprise de restitution de la pensée africaine, quête effrénée d'originalité, d'authenticité, se cache un repli nationaliste. Il convient de le dépasser et faire de la philosophie un vaste débat fécond, «un débat autonome, qui ne soit plus un appendice lointain des débats européens, mais qui confronte directement les philosophes africains entre eux créant ainsi au sein de l'Afrique un milieu humain dans lequel et par lequel puissent être posés les problèmes théoriques les plus ardus» (p.48). En un mot un débat où des africains s'adressent à d'autres africains en traitant de questions philosophiques les plus divers. La philosophie africaine est d'abord l'affaire des africains. Elle n'est pas condamnée à n'aborder que des thèmes relatifs à l'originalité, à l'authenticité des peuples africains. Un exposé d'un penseur africain sur des questions philosophiques les plus variées comme la raison, la conscience, le Kantisme... fait partie de la philosophie africaine. Cela a l'avantage, note l'auteur de faire en sorte que l'intellectuel ne se sente plus obliger de systématiser la pensée des diallobés, ou des baoulés, ou n'importe quel autre peuple négro-africain. Entreprise où l'auteur, bien avant le début de ses recherches s'emprisonne dans certain canevas où il est condamné à aboutir à des résultats, n'importe quels résultats. Cette thématique du reste n'intéresse pas le public africain. Il faut plutôt élargir le champ d'investigation et n'avoir pas honte de penser. Cela passe donc par une maîtrise de l'héritage philosophique international, mais surtout le «dépasser» (p.49). D'autant que celui-ci offre une palette non négligeable d'outils théoriques que les auteurs africains peuvent exploiter à loisir. En définitive, Hountondji préconise ici la réorientation du débat philosophique africain par la ruine de l'ethnophilosophie et toute la problématique qui la sous-tend. Il récuse toute idée de philosophie collective indigène séparée de la tradition philosophique occidentale. Car selon lui à la base d'une telle entreprise, il y a des considérations idéologiques, politiques. On a voulu coûte à coûte produire une «philosophie authentique et la brandir devant l'occident comme preuve de notre humanité». Au risque cependant de produire quelque chose qui n'a de philosophique que dans le cadre africain. C'est dans le sens de la reprise de ce long passage de Henry Oruka Odera dans Mythologies as African philosophiy, East Africain Journal, vol.IX, N°10, octobre 1972 : «On présente comme « religion africaine » ce qui n'est peut-être qu'une superstition, et on attend du monde blanc qu'il admette que c'est en effet une religion, mais une religion africaine. On présente comme « philosophie africaine » ce qui, dans tous les cas, est une mythologie, et une fois de plus la culture blanche est invitée à admettre c'est en effet une philosophie, mais une philosophie africaine. On présente comme « démocratie africaine » ce qui, dans tous les cas, est une dictature, et l'on attend de la culture blanche qu'elle admette qu'il en est ainsi. Et ce qui est de toute évidence un processus actif de sous-développement (a de-developpement) ou un pseudo-développement est décrit comme le développement, mais naturellement un « développement africain » » Une telle attitude fait que ce qui a été lorsque la considération comme philosophie africaine se trouve plonger dans une profonde impasse. Pour en sortir il faut réorienter le débat philosophique africain. Cela implique : v L'abandon de toute entreprise de restitution d'une philosophie africaine originale à opposer à celle occidentale. v L'organisation d'un débat philosophique fécond entre africain où les sujets portent sur des thématiques les plus variées. v La liberté d'expression pour que le philosophe s'exprime librement même sur le champ politique. v L'assimilation et le dépassement de l'héritage philosophique international. Il reconnaît cependant l'existence de courant au sein même de cette littérature (qualifiés comme mineur (note 7 p.21) qui ont mené une constations de l'ethnophilosophie. Il estime que ces « auteurs possèdent d'admirables potentiels philosophiques qualités qui ont utilisé pour se définir eux-mêmes et leur peuple, face à l'Europe sans laisser à personne le soin de les fixer, de pétrifier » (p.22). En outre Hountondji pose comme rôle de la philosophie africaine, la promotion d'une science africaine. Pour lui « plutôt que de revendiquer à cor et à cri, l'existence d'une philosophie africaine, nous serions (...) mieux inspirés de nous employer patiemment, méthodiquement à promouvoir ce qu'on pourrait appeler une science africaine : une recherche scientifique africaine. Ce n'est pas de la philosophie, c'est d'abord de la science que l'Afrique a besoin » Pour lui la philosophie africaine doit évoluer selon le mode de la science. Pour en arriver à cette conclusion il montre d'une part que la philosophie est une histoire et non un système. La philosophie est une histoire et non un système n'est pas un système signifie qu'elle ne se présente pas, qu'elle ne se déploie pas sous la forme d'un système clos et achevé n'admettant de ce fait aucun questionnement ; aucune remise en cause. Dire de la philosophie qu'elle est un système revient à affirmer qu'elle est une vision collective du monde à laquelle adhèrent spontanément et inconsciemment un groupe d'individus déterminés. De l'autre côté, dire de la philosophie qu'elle est histoire signifie « entre autres choses, qu'aucune doctrine philosophique ne peut être considérée comme la vérité, au singulier, la vérité avec un grand V » (p.38). En d'autres termes, il n'y a pas de vérité absolue en philosophie, il n'y a pas une et une seule conception d'un même problème philosophie donné. Mais une perpétuelle remise en cause de ce qui est, de ce qui a été dit avec d'autres arguments, d'autres approches, d'autres enjeux. La philosophie se résume en l'histoire de la confrontation d'idées, sans cesse renouvelée sur des thématiques les plus variées et où la vérité pas quelque de figé, mais une quête perpétuelle de « proposition toujours adéquate les une que les autres » (p.83). Mais pourquoi l'histoire de la philosophie n'évolue pas de manière cumulative, linéaire Pourquoi, toute, pour s'établir, doit bouleverser l'espace théorique déjà existant A quelles lois et conditions obéissent ces bouleversements Pour résoudre ce problème Hountondji reprend Marx et Engels et estime que cela s'explique par le fait que la philosophie « ...n'est pas autonome et ne tire pas d'elle même la loi de son propre développement mais qu'elle est déterminée en dernière analyse par l'histoire de la production des biens matériels et des rapports sociaux de production ». Mais comment et par quelle médiation la philosophie est-elle en dernière analyse déterminée par les pratiques matérielles Pour répondre a cette autre question il reprend une hypothèse de Lénine qui disait que « la philosophie n'a pas toujours existé, on observe l'existence de la philosophie que dans un monde qui comporte ce qu'on appelle une science ou des sciences. Science au sens strict : discipline théorique c'est-à-dire idéelle et démonstrative et non un agrégat de résultats empiriques... Pour que la philosophie naisse ou renaisse, il faut que les sciences soient. C'est peut-être pourquoi la philosophie au sens strict n'a commencé qu'avec Platon, provoquée à naître par l'existence de la mathématique grecque, a été bouleversée par Descartes, provoquée à sa révolution moderne par la physique galiléenne ; a été refondue par Kant sous l'aiguillon de la découverte des premières axiomatiques ». C'est du reste cette hypothèse qu'Hountondji transforme en thèse et fait de la philosophie africaine comme toutes les autres philosophie un discours sur la science. Cela implique donc que la naissance même discours philosophique est tributaire de l'existence préalable d'une ou des sciences. Promouvoir une recherche scientifique sur le continent africain est de ce fait une tâche qui incombe à la philosophie. Cependant la condition de la science elle-même c'est l'écriture. L'absence de celle-ci, selon lui, constituait un handicap pour les civilisations de l'Afrique précoloniale d'avoir une science au sens le plus strict et le plus rigoureux du terme. C'est que pour lui, l'absence de transcription scripturale d'une philosophie ne lui enlève pas son statut de philosophie. Il n'existe pas un lien de nécessité entre l'acte de philosopher et sa matérialisation à travers un texte écrit sur du papier. Néanmoins cela empêche une telle philosophie de « s'intégrer à une tradition théorique collective, de prendre place dans une histoire, comme terme possible de référence appelé à nourrir les discussions futures ». L'idée forte qui transparaît ici c'est que lorsque une philosophie est consignée sous forme de texte, elle a l'avantage de constituer un terme de référence pour des réflexions futures sur le même problème. Mais aussi d'intégrer un vaste champ théorique où les points de vue s'amendent et s'améliorent. Il estime d'ailleurs que la tradition orale a le défaut de favoriser «la consolidation du savoir en un système dogmatique et intangible» (p.132). Car la mémoire est plus préoccupée à conserver les connaissances, en répétant incessamment les mêmes choses, avec le risque que cela implique d'en faire des connaissances dogmatiques, qu'à les dépasser et les poser en objet d'une critique. En un mot Hountondji considère qu'une philosophie non écrite présente des lacunes. Mais qu'il temps de dépasser cet handicap car les sociétés africaines, de nos jours, sont entrain une mutation profonde qui les travaille et les transforme petit a petit en civilisation de l'écrit. Enfin selon Hountondji la philosophie doit avoir pour rôle la restitution de la pensée de l'Afrique précoloniale. Cette prise de position est primordiale dans la prise de position hountondjienne car à force de démonter systématiquement l'ethnophilosophie et de réduire la philosophie à un discours sur la science, elle-même conditionnée par l'écriture, tout se passe comme si l'Afrique pré coloniale n'avait pas de philosophie. Hountondji avance sur un ton de inquiet, qu'à aucun moment il n'a voulu prétendre dans son ouvrage « que l'Afrique pré coloniale était intellectuellement une table rase » (p.250). Bien au contraire, il souhaite que personne ne se méprenne sur sa position dans Sur "la philosophie africaine" Critique de l'ethnophilosophie. L'Afrique de l'oralité a connu des civilisations brillantes que la postérité ne peut passer sous silence. «L'Afrique pré-coloniale avait amassé une riche moisson de connaissances vraies de techniques efficaces, qui a été transmises oralement de génération en génération, et qui font vivre encore aujourd'hui une bonne partie des populations de nos campagnes et villes» (p.125). Hountondji préconise que soit entreprise la tâche de transcription de tout ce qui peut être perçu de ce savoir. Cela doit être mené de manière méthodologique, rigoureuse. Le chercheur doit précisément avoir à l'esprit que si une philosophie a existé, elle n'est pas nécessairement celle tout un groupe telle la vision du monde collective et inconsciente dont parle l'ethnophilosophie. Elle ne doit pas également être transcrite pour être « proposée à l'admiration d'un public non africain, mais d'abord, mais surtout, pour être soumis à l'appréciation et à la critique des Africains d'aujourd'hui (...)» (Note 9 p.31). En le faisant, les auteurs africains auront la possibilité et ré aborder et éventuellement approfondir les conclusions auxquelles sont parvenus les travaux déjà existants sur cette question. C'est le cas de la thèse de la régression historique (p.126) prônée par Cheick A. Diop. Selon celle-ci l'Afrique aurait connu dans l'antiquité de brillantes civilisations qui se sont illustrées dans tous les domaines du savoir. En témoignent les gigantesques pyramides d'Egypte. Le retard actuel du continent sur les plans scientifiques, techniques, technologiques, ne serait donc pas originaire. Mais il est à mettre sur le compte d'une régression, d'une décadence. Hountondji souhaite que ces ébauches soient poursuivies et approfondies. En outre sur la question spécifique de l'écriture qui conditionne la philosophie par science interposée, Hountondji relève qu'elle n'était pas totalement absente dans l'Afrique précoloniale. Pour nous en assurer, il nous ramène sur les travaux de Théophile Obenga40(*) dans L'Afrique dans l'Antiquité, RA, Paris, 1973, qui aborde entre autre les systèmes d'écriture pratiqués dans l'antiquité africaine. Cependant pour notre auteur, le tout n'est pas de constater l'existence de ces systèmes d'écriture, ou même de les transcrire. Mais il faut aussi savoir à quoi ont servi. Il faut déterminer s'ils étaient vulgarisés, utilisés comme véhicule de connaissance au service de tous les africains. Ou si au contraire ils étaient l'apanage d'une classe «privilégiée», sacerdotale qui l'utilisait comme instrument de domination, de mystification. En somme, Hountondji, à l'instar de Macrien Towa pense que avant lui, la plupart des textes philosophiques africains relèvent de l'ethnophilosophie. Il convient donc de reconsidérer la problématique philosophique en Afrique. Pour cela il estime celle-ci doit être reorientée pour constituer un débat contradictoire et rigoureux qui engage les Africains entre eux et traitant des questions les plus diverses. De plus il doit être procédé sur le continent africain à une promotion de la science, car non seulement la philosophie pour réellement exister doit se situer le terrain de la science, mais aussi et surtout parce que son point de vue la philosophie est en dernière analyse un discours sur la science. A cela s'ajoute la restitution de la pensée africaine précoloniale. Ce sont les rôles que nous allons maintenantr tenter d'analyser. * 40 Théophile Obenga est d'origine congolaise né en 1936. depuis sa rencontre avec Cheikh Anta Diop en 1970, il en devient le digne élève et aujourd'hui l'un des dignes héritiers. Il est en ce moment professeur à l'Université de San Francisco. |
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