AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LA QUESTION DU ROLE DE LA
PHILOSOPHIE COMME ELEMENT DE LA PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE
AFRICAINE
SECTION 1 : PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE
AFRICAINE
SECTION 2 : L'ETAT DE LA QUESTION DE LA
PHILOSOPHIE AFRICAINE
SECTION 3 : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE
CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS
ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE
SECTION 1 : PRSENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE
L'OUVRAGE
SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE
SELON MARCIEN TOWA
SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA
PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA
CHAPITRE III : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS SUR
« LA PHILOSOPHIE AFRICAINE » CRITIQUE DE L'ETHNOPHILOSOPHIE
SECTION 1 : PRESENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE
L'OUVRAGE
SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON PAULIN
HOUNTONDJI
SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DO ROLE DE LA
PHILOSOPHIE SELON HOUNTONDJI
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE AVANT PROPOS
La question du rôle de la philosophie nous interpelle
à plus d'un titre. En effet tout jeune étudiant dans cette
discipline, éprouve le besoin d'interroger celle-ci, non seulement du
point de vue de son fondement théorique, mais aussi de l'importance
qu'elle recèle et qui justifierait de la pertinence qu'il y a à
l'étudier en tant qu'acteur d'une sphère socio-économique,
politique, culturelle, etc. Cela est d'autant plus fondé que l'une des
facettes les plus récurrente de la philosophie demeure de loin, de notre
point de vue, celle où ces spécialistes mêmes
éprouvent des difficultés, sinon n'arrivent pas à la
définir. Aussi longtemps qu'on promène notre regard sur
l'histoire de la pensée philosophique, elle nous offre constamment un
spectacle dans lequel naissent, combattent et/ou disparaissent (pour certaines)
les doctrines les plus diverses. Pour cette raison et bien d'autres encore,
l'étudiant en philosophie est en droit de s'interroger et de porter son
analyse sur celle-ci notamment en son rôle. Car en tant que branche du
savoir humain emmenée à apporter sa pierre de touche dans la
saisie et la construction de tout ce que l'homme considère comme
étant son bien dans cette vie, il y a lieu de s'interroger sur ce que la
philosophie peut y apporter. Mais plus que cela, nous nous proposons d'analyser
le rôle de la philosophie dans une certaine littérature, une
littérature qui s'inscrit dans le cadre de la problématique
philosophique africaine. Cela donne encore plus d'importance à cette
question, compte tenu notamment du fait que jusqu'à une date bien
récente, parler d'une philosophie africaine était
considérée comme une aberration. A cela s'ajoute le fait que sur
bien des plans mais plus particulièrement sur le plan économique,
le continent africain baigne dans une telle léthargie que pour d'aucuns
il importe plus de former des ingénieurs, des économistes,
agronomes etc. Cela s'observe d'ailleurs de manière apodictique dans
bien des universités africaines où les étudiants
désertent les départements de philosophie. L'analyse des
rôles de celle-ci dans les livres de Towa et Hountondji aura l'avantage
de préciser certaines choses dans ce domaine, mais aussi de faire
ressortir une nouvelle vision dans le débat sur la problématique
philosophique en Afrique. Car avec eux, s'opère une rupture radicale
avec les auteurs qui les ont précédés.
Au cours de notre travail nous avons rencontré
d'importantes difficultés relatives notamment à la documentation
et à la saisie. La documentation a fait défaut du fait du manque
de documents consacrés à la littérature philosophique
africaine dans les bibliothèques. Quant à la saisie, elle a
constitué pour nous un dilemme qui s'explique par une insuffisance de
vulgarisation de l'informatique dans notre pays. De plus cette situation est
elle-même aggravée par les difficultés liées
à l'énergie électrique dans nos différents
quartiers. Nous ne saurons terminer ce propos sans avoir adressé notre
profonde reconnaissance à tous ceux qui, d'une manière ou d'une
autre, ont contribué à notre formation couronnée par ce
mémoire de fin de cycle. Nous remercions nos parents Monsieur Diallo
Mamadou Malick, Madame Diallo Fatoumata Binta ainsi que notre petit
frère Diallo Abdoulaye. Nous n'oublions pas tous ceux nous aidé
dès le début à intégrer les Institutions
d'enseignement supérieures de la République de Guinée
comme Docteur Yacouba Diallo. Nous ne cesserons jamais de témoigner
notre gratitude à notre Directeur de mémoire Docteur Mamadou
Bella Baldé qui n'a ménagé aucun effort pour nous aider et
nous encadrer non seulement dans ce travail, mais aussi durant tout notre
parcours universitaire en Guinée. Pour finir que Mademoiselle Diallo
Souadou soit remerciée pour sa contribution inestimable pour
l'impression de ce travail.
INTRODUCTION
Notre propos porte sur le rôle de la philosophie. Plus
précisément du rôle de celle-ci tel qu'il est conçu
dans deux ouvrages respectivement de Marcien Towa et de Paulin Hountondji. Il
s'agit de :
- Essai sur la problématique philosophique dans
l'Afrique actuelle, éditions Clé Yaoundé, 1979 (2eme
édition)
- Sur « la philosophie africaine »
critique de l'ethnophilosophie, Éditions Clé Yaoundé,
1980
Ces ouvrages sont des prises de positions dans la profonde
controverse sur la problématique philosophique en Afrique. Cette
controverse a des origines lointaines et engage à la fois les auteurs
africains et Occidentaux. Dans cette perspective elle a fait l'objet
d'approches contradictoires, avec comme toile de fond la question de
l'existence ou non d'une philosophie africaine. Jusqu'à un certain
temps, bien des auteurs Occidentaux, se fondant probablement sur les
thèses racistes et négationnistes du Comte de Gobineau et autres
Lévy-Bruhl, ont fait de la philosophie une exclusivité
occidentale. Cependant, au sein de cette même littérature
occidentale il est reconnu aux peuples africains en particulier de brillantes
civilisations ; des civilisations qui certes sont différentes des
civilisations occidentales mais qui demeurent quand même des
civilisations, avec tout ce que cela implique en terme de diversités, de
richesse, de complexité. Léo Frobenius, un ethnologue allemand
qui entreprit nombre d'expéditions en Afrique Noire entre 1904 et 1935
en était profondément convaincu. De ces expéditions il a
légué à la postérité une description
profonde des peuples qu'il a rencontrés et il estime en substance qu'ils
sont « civilisés jusqu'à la moelle des
os »1(*). Une
autre étape sera franchie dans ce débat avec la publication de
La Philosophie Bantoue du Révérend Père Placide
Tempels en 1945 aux éditions Lovania Léopoldville. Cet ouvrage
était une monographie dans laquelle l'auteur recensait et apportait des
réponses à toutes les interrogations de ses collègues
Occidentaux qui opéraient sur le continent africain ou en avaient
l'intention ; dans le cadre de la mission civilisatrice. Plus
concrètement Tempels se proposait de mettre en exergue la vision du
monde sous-jacente aux attitudes, comportements, us, coutumes, croyances etc.
des Bantous à partir d'une analyse d'éléments de leurs
champs culturels. Cet ouvrage constitue disons-nous une nouvelle étape
dans la problématique philosophique africaine compte tenu notamment des
réactions qu'il a enregistrées aussi bien au sein de
l'intelligentsia africaine qu'occidentale. A coté de l'écho
favorable qu'il a eu chez de grands penseurs Occidentaux comme Bachelard,
Gabriel Marcel, Lucien Masson Oursel, etc., les gardiens de l'orthodoxie
occidentale ne tardèrent pas de faire entendre leur voix. Ainsi Georges
Gusdorf parle en termes pathétiques d'une crise de
désintégration de la philosophie et se propose de lever les
confusions afin que la philosophie soit ramenée à son champ
naturel : l'Occident. Dans la littérature africaine bien des
auteurs, éblouis notamment par le fait que La philosophie bantoue
recelait une part de réhabilitation des peuples noirs par l'affirmation
de l'existence de la philosophie africaine et la nécessité de
réorienter la manière de les traiter, ont tiré une salve
d'honneur à l'ouvrage de Tempels. Un vaste mouvement de pensée
s'est donc développé dans le prolongement des thèses
tempelsiennes. Le point culminant de ce mouvement littéraire et
idéologique sera atteint avec la prétention de certains auteurs
africains ou Occidentaux à dégager une philosophie africaine sur
les mêmes méthodes que Tempels. A savoir une vision du monde
à laquelle adhèreraient spontanément et inconsciemment
tous les Africains sans distinction ; vision du monde qui serait la
philosophie africaine. Une philosophie les Africains gagneraient, selon
Juléat Basile Fouda (La philosophie africaine de l'existence,
Lille, 1967) à « transmettre à travers les
âges comme un héritage à recevoir, à défendre
et incarner pour atteindre l'existence authentique ». Cette
philosophie déduite donc de l'héritage culturel africain sera
appelée ethnophilosophie. C'est du reste contre cette manière de
concevoir la philosophie africaine qu'écrivent Towa et Hountondji dans
les ouvrages qui nous intéressent. Ils estiment que cette manière
de concevoir la philosophie africaine et les développements tant
théoriques qu'idéologiques qui ont suivi, ont conduit à
une impasse dans le débat sur la problématique philosophique
africaine et qu'il urge d'invalider l'ethnophilosophie et de proposer une
nouvelle approche dans ce débat; à la lumière du sens de
celle-ci dans la tradition philosophique internationale et notamment
occidentale. Ils remarquent en effet que pour la plupart tous les auteurs
africains qui se sont lancés dans le débat sur la
problématique philosophique en Afrique, se sont d'emblée crus
obligés de défendre coûte que coûte l'existence d'une
philosophie africaine avec le dessein avoué ou non de nier la
négation des civilisations africaines par l'Occident depuis des
siècles. Au risque cependant de produire quelque chose qui n'est
philosophique que sur le continent africain. Ils en appellent donc à une
réorientation des choses dans ce débat. C'est ainsi que pour
Towa, la question de fond est celle relative à l'existence ou non d'une
philosophie africaine. Il estime donc que cette question « doit
être reprise à la base, la philosophie européenne
examinée et jugée en elle-même, rigoureusement,
imperturbablement, sans tenter d'en distendre le concept pour pouvoir y inclure
nos cultures, ou de la caricaturer avec l'arrière pensée de lui
opposer victorieusement nos propres modes de pensée. ».
Quant à Hountondji, partant de l'existence avérée d'une
abondante littérature produite par des auteurs africains et se
qualifiant par elle-même de philosophique, il se propose entre autres
dans son ouvrage « de circonscrire cette littérature, en
dégager les thèmes majeurs, montrer quel en a été
jusqu'ici la problématique de fait et rendre problématique cette
problématique elle-même ». Dans les deux cas, il
est fondamentalement question de dénoncer ce qu'ils considèrent
comme des travers dans le débat sur la problématique
philosophique africaine et de proposer de nouvelles pistes pour
l'émergence d'une culture philosophique saine. Mais au-delà de
cela, dans le cadre de leurs projets, Towa et Hountondji proposent des
rôles spécifiques à la philosophie. Ces rôles font
essentiellement référence aux conditions aussi bien
théoriques que pratiques susceptibles de favoriser une véritable
culture philosophique sur le continent africain. Nous nous bornerons à
identifier et analyser ces rôles. Il s'agira précisément de
les faire ressortir dans les ouvrages de Towa et de Hountondji et d'en faire
une analyse critique. Autrement dit nous tenterons de comprendre pourquoi, dans
le cadre de la problématique philosophique africaine, nos auteurs
avancent ces rôles précis. Quelle est leur vision de la
philosophie en général pour que de tels rôles soient
proposés ? Quelles sont les limites de ces rôles relativement
aux projets de Towa Hountondji eux-mêmes et à la
problématique philosophique en général sur le continent
africain ? A ces interrogations et à bien d'autres nous essaierons
de répondre dans les lignes qui suivent. Pour ce faire, nous
articulerons notre intervention en trois chapitres subdivisés en
sections.
Dans le premier chapitre, nous nous pencherons sur le
rôle de la philosophie comme élément de la
problématique de la philosophie africaine. En d'autres il s'agira
d'analyser cette problématique, faire le bilan de l'essentiel de la
littérature qui lui est jusque là consacrée et aborder la
question du rôle de la philosophie. Dans les autres chapitres nous ferons
une analyse critique des rôles de la philosophie dans les ouvrages de
Towa et Hountondji.
CHAPITRE I : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE
COMME ELEMENT DE LA PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE
Depuis la fin du XIXème siècle
jusqu'à nos jours, la problématique d'une philosophie africaine
fait l'objet d'une abondante littérature. Les ouvrages de Towa et
Hountondji sont un moment de cette littérature ; ce qui fait que parler
du rôle de la philosophie chez eux passe par une étape
intermédiaire mais indispensable visant à définir les
termes de cette problématique, circonscrire la littérature dont
elle fait l'objet et enfin faire une esquisse de la question du rôle de
la philosophie.
SECTION 1 : PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE
AFRICAINE
Il existe une problématique de la philosophie africaine
ou une problématique de la philosophie en Afrique. Une telle
affirmation peut paraître scandaleuse à première vue, pour
la simple raison que sur les autres sphères géographiques du
monde comme l'Asie, l'Amérique, etc. la question de la philosophie ne
s'avère pas d'emblée problématique. Quand on aborde
l'histoire de la pensée philosophique ; il a toujours
été possible de répertorier plusieurs
régionalisations de celle-ci qui font ressortir une classification en
philosophie antique ; moderne ; contemporaine ; mais aussi en
philosophie occidentale ; orientale etc. Mais en ce qui concerne
l'Afrique la question se pose presque constamment en termes d'existence
même d'une philosophie. Autrement l'expression « philosophie
africaine » est de prime à bord problématique. Une
étude approfondie de la question de la problématique de la
philosophie africaine s'impose donc pour mieux nous situer et faire ressortir
les contours de cette problématique.
La problématique de la philosophie africaine traverse
tant la littérature occidentale qu'africaine. La question centrale dans
ce débat tourne essentiellement autour de l'existence ou non d'une
philosophie africaine. Plus concrètement il s'est agit de savoir si les
peuples africains peuvent s'élever intellectuellement de façon
à être capable d'exercer cette haute activité de l'esprit
qu'est la philosophie. Jusqu'à une époque récente, les
peuples d'Afrique étaient exclus de toute aptitude à la pratique
philosophique. Durant cette époque donc la problématique de la
philosophie africaine se posait en terme de son invention, de sa construction.
Des travaux allant dans le sens de l'identification et de l'étude de
toute forme de rationalité chez les Africains existent dans la
littérature africaine et dans celle occidentale. Dans la
littérature occidentale, la recherche d'une rationalité chez les
Africains s'inscrit fondamentalement dans le cadre de travaux ethnologiques.
C'est dans cette perspective qu'il faut ranger les ébauches de Marcel
Griaule et autre Paul Radin. Ce qui ressort de manière
générale de ces travaux, c'est la présence chez les
Africains d'une certaine manière de concevoir le monde et de
l'organiser. A cela correspond tout un développement de techniques,
d'attitude, de moeurs, d'organisation politique, économique etc., ayant
la particularité d'être pour l'essentiel différent de ce
qu'ils connaissent chez eux. En tout état de cause les résultats
de ces travaux n'ont pas convaincu la plupart des Occidentaux de cette
époque pour attribuer aux africains une philosophie telle qu'ils l'ont
toujours connue. Mais un tournant décisif dans cette controverse sera
opéré avec la publication par le Révérend
Père Placide Tempels de La Philosophie Bantoue en 1945. Ce livre
marquait une rupture du fait de l'utilisation systématique du terme de
philosophie mais aussi l'écho favorable qu'il a suscité
auprès de d'auteurs Occidentaux de cette époque comme Oursel,
Gabriel Marcel, Gaston Bachelard etc. ; même si comme
souligné précédemment d'autres voix ne tardèrent
pas à contester cela. En tout état de cause, il semble
désormais que, la question ne se pose plus en termes de savoir s'il
existe ou non une philosophie africaine. D'autant plus que son affirmation sans
ambages est constatée de la part de penseurs Occidentaux, autrement dit
ceux-là même qui l'ont toujours nié. A partir de ce moment
la problématique de la philosophie africaine change d'orientation et se
pose désormais en termes de savoir si celle-ci doit être telle
qu'elle est conçue par Tempels (et qui sera appelé
ethnophilosophie) et tous ceux qui par la suite ont abondé dans le
même sens ; ou si elle doit être comme le dit Hountondji, un
débat sans cesse contradictoire entre africains non seulement pour la
saisie de ce qu'est la philosophie africaine mais aussi de toute production
littéraire et philosophique d'un africain portant sur un problème
philosophique ; etc. Dans l'une et l'autre de ces deux
éventualités, beaucoup de choses ont été
avancées aussi bien en Afrique qu'en Occident. Mais il convient dans
notre propos de dépasser ces positions et de voir ce qui a
été entendu comme philosophie dans la tradition
internationale ; notamment occidentale pour que sur le plan africain la
problématique de la philosophie ait la connotation qu'on
connaît.
Du point de vue étymologique, le mot philosophie vient
de philein « aimer » et de sophia
« sagesse », donc dans sa conception la plus
élémentaire, la philosophie a pour but la sagesse en tant
qu'activité intellectuelle spécifique. Cette activité a
donné naissance à une forme de savoir scientifiquement
organisé qui s'est constitué en discipline spécifique et
autonome ; avec un objet d'étude et une démarche elle aussi
spécifique qui traverse de part en part l'histoire de la pensée
des hommes. Selon Pierre Bamony2(*), cette activité a désigné trois
réalités pour les présocratiques :
1. L'habileté spécialisée dans tel ou
tel domaine du savoir
2. L'érudition
3. La sagesse émanant de l'expérience propre
emmenée elle-même à être dépassée
En tout état de cause, la philosophie procède
foncièrement d'une réflexion personnelle en tant qu'interrogation
sur la vie, la destinée des hommes et du monde. En ce sens, on pense, on
philosophe d'abord pour soi-même, selon une opinion personnelle,
individuelle. Le philosophe part toujours de cette opinion dont le propre est
d'être ; en tout cas au départ ; subjective, pour asseoir un
savoir systématisé reposant sur des arguments logiquement
cohérents. Cependant selon Pythagore, seuls les dieux peuvent atteindre
la sagesse, les hommes peuvent tout au plus être amis, zélateurs
de la sagesse. Avec Socrate et le mouvement de la sophistique le mot
philosophie a eu à désigner la pratique morale,
l'éloquence. Mais avec Aristote cette définition va
s'étendre à d'autre domaine et ainsi devenir plus
hétérogène. Dans son acception, la philosophie
représente la science des premiers principes et des premières
causes. Plus généralement Aristote englobe dans sa
définition de la philosophie, ses ébauches de sciences
expérimentales, l'astronomie, les mathématiques, la logique, la
métaphysique etc. Cette définition fera son chemin et influencera
profondément les siècles suivants et servira surtout de base
à la doctrine de l'Eglise qui contrôlera tous les compartiments de
la vie de l'Europe durant des siècles. Pour Descartes, la philosophie
apparaît comme un arbre dont les racines représentent la
métaphysique, le tronc la physique et les branches les autres sciences
spécialisées. Cette conception de la philosophie sera elle aussi
remise en cause à partir de Kant. Il en résultera une nouvelle
manière de voir la philosophie où celle-ci se subdivise en
métaphysique, psychologie, logique et morale. Cette autre manière
de concevoir la philosophie ne sera du reste pas figée une fois pour
toute, elle connaîtra une évolution considérable qui
aboutit à une autonomisation des domaines jusque là abordé
dans la philosophie. Le cas le plus éloquent est celui de la physique
à partir du 19ème siècle. Mais l'histoire des
grandes conceptions ne s'arrêtent pas là et la philosophie
connaîtra bien d'autres conceptions. C'est le cas de ce mouvement
philosophique qui a fait école au début du
XXème siècle et connu sous le nom de philosophie
analytique notamment avec le cercle de Viennes ; ou néopositivisme
ou positivisme logique. Le positivisme logique est un ensemble d'idées
philosophiques avancées par le cercle de Viennes ; groupe
formé par des rencontres de philosophes et de savants. Leur idée
est que l'âge de la science n'a pas la philosophie qu'elle mérite.
Ceci pour dire que la science n'est pas suffisamment soumise à la
critique relativement à son appareil conceptuel, son objet
d'étude, ses résultats, les applications de ces résultats
dans la vie des hommes etc. Donc ils se fixent pour objectif de fonder une
philosophie qui est essentiellement une réflexion sur la science. Ils
veulent fonder un discours dont la quintessence est une analyse critique et
objective non seulement du discours de la science, mais aussi de sa
méthode, ses résultats, des implications de ces résultats
même dans la vie des hommes.
Cette petite brèche loin d'être une restitution
exhaustive de ce qu'il faut entendre par philosophie, donne pour le moins un
aperçu de ce qu'elle a représenté pour la plupart dans la
tradition occidentale. En un mot on peut dire de la philosophie que
« d'une part elle désigne un ensemble de
spéculations personnelles sur des données subjectives tels que
les points de vue interrogatifs ou discursifs sur la cosmologie, la cosmogonie,
la vie et les hommes ou des points de vue de l'expérience scientifique
à une époque donnée ; d'autre part elle
désigne et implique à la fois des principes méthodiques et
des éléments de base d'une science quelle qu'elle soit
(épistémologie) »3(*). Cette approche a le mérite de faire ressortir
que la philosophie n'est pas nécessairement une donnée
homogène appelée à demeurer telle par delà l'espace
et le temps. Certes il existe une spécificité de la philosophie
qui subsiste, relativement à son objet d'étude et à ses
méthodes, mais il convient de souligner qu'elle présente des
colorations, des régionalisations, mieux qu'elle est à
incorporer dans les manifestations culturelles des hommes. C'est ainsi qu'on a
pu parler de philosophie orientale, de philosophie chinoise etc., on a pu
également parler de philosophie contemporaine, de philosophie moderne
etc. Si on part donc de cette conception standard de la philosophie, rien ne
pourrait justifie qu'on nie l'existence d'une philosophie africaine, car non
seulement une activité semblable a existé et existe encore de nos
jours sur le contient africain, ou alors rien ne prouve que les peuples
africains ne sont pas capables de produire une telle activité. A ce
niveau de notre propos ; il convient de préciser que la
problématique d'une philosophie africaine ne concerne en
réalité que l'Afrique subsaharienne. L'Afrique du Nord a connu de
grandes civilisations qui ont marqué de leur empreinte l'histoire de la
pensée humaine, parce qu'elle a entretenu des contacts avec le monde
Occidental depuis la plus haute antiquité ; mais aussi et surtout
parce qu'elle fait partie des civilisations de l'écriture ; ce qui
a pour conséquence heureuse de laisser des traces de son existence.
Ainsi le constat peut être fait tout au long de l'histoire de la richesse
de cette civilisation à travers des réalisations techniques de
toute sorte ; mais aussi de l'existence d'une littérature notamment
philosophique. Plus que cela l'histoire de la pensée occidentale
elle-même montre que depuis la plus haute antiquité ; les
Grecs ont bénéficié de nombreux emprunts de la
pensée de l'Afrique du Nord ; notamment de l'Égypte antique.
Un certain point de vue fort répandu laisse entendre que les Grecs
doivent leur succès dans des domaines aussi variés que la
philosophie ; l'astronomie ; les mathématiques etc., à
un fin dosage entre leurs propres connaissances et différents emprunts
qu'ils firent au cours de leurs nombreux voyages en terre égyptienne. Il
est ainsi de nos jours reconnu que la plus part des philosophes grecs de
l'Antiquité ont eu au moins une fois fait un voyage en
Égypte ; pour apprendre la science et la philosophie
égyptienne. Ainsi dans l'ouvrage qui nous intéresse Marcien Towa
relève certaines affirmations de P. Masson-Oursel qui firent tant de
bruits au sein de ses collègues occidentaux. C'est ainsi qu'il
relativise tout ce qui a été jusque là admis et
défendu bec et ongle par nombre de philosophes et idéologues
occidentaux ; allant jusqu'à relativiser ce qu'il est
communément appelé « le miracle
grec ». Pour lui, il s'agit en réalité d'un
pseudo-miracle, car il n'existe rien dans la pensée grecque qui ne
trouver son équivalent ou quelque chose de semblable à quelques
nuances près dans la pensée égyptienne. On peut ainsi
remplir des pages entières où des auteurs occidentaux apportent
la preuve que le succès de la Grèce est à mettre sur le
compte de ses emprunts a l'Égypte antique : « Les
plus célèbres parmi les savants ou les philosophes
hellènes ont franchi la mer pour chercher, auprès des
prêtres (égyptiens), l'initiation à de nouvelles
sciences ».4(*)« L'on a eu raison d'admirer le
génie spéculateur des philosophes grecs en général
et de Platon en particulier ; mais cette admiration, que les Grecs
méritent sans doute, les prêtres égyptiens la
méritent encore mieux et, si nous leur rendons la paternité de ce
qu'ils ont inventé, nous ne ferons qu'un acte de
justice ».5(*)
etc. Même l'écriture que certains considèrent
comme étant une condition sine qua none de toute pratique philosophique,
est considérée comme d'origine égyptienne. C'est ainsi que
John Chadwik remarque qu'« On tient généralement
l'écriture alphabétique pour une invention sémitique
(c'est-à-dire phénicienne), mais i'écriture
égyptienne ouvrait la voie à ce système, et il n'a
été pleinement développé que par les
Grecs ».6(*)
Autrement dit, les Grecs n'ont pas inventé l'écriture. Ils
n'ont même pas inventé l'alphabet grec qui dérive, vers 800
avant Jésus Christ, de l'écriture phénicienne, issue,
elle-même, de l'écriture égyptienne. Cela fait donc
ressortir qu'en réalité la problématique philosophique
africaine, ne concerne que l'Afrique subsaharienne. Donc cette
problématique se pose essentiellement en termes de son existence et de
la forme qu'elle doit avoir relativement à la tradition philosophique
internationale notamment occidentale. Cela a nourri et alimenté tous les
débats et controverses qu'on connaît et qu'on va tenter maintenant
d'analyser.
SECTION 2 : L'ETAT DE LA QUESTION DE LA PHILOSOPHIE
AFRICAINE : DEBATS, CONTROVERSES, COURANTS
La philosophie africaine pose d'énormes
difficultés. Elle alimente un vaste débat controversé qui
secoue à la fois les intellectuels africains et Européens. Les
questions tournent essentiellement autour de son existence ou non. Notre propos
ici ne sera pas une prise de position dans ce large débat. Mais
plutôt celui de faire un bilan de cette controverse. Cela permettra de
voir le niveau des débats en la matière, mais aussi de faire
ressortir la position des auteurs sur lesquels portera notre réflexion.
Car les ouvrages de Hountondji et Towa sont avant tout une prise de position
dans le débat sur la problématique philosophique africaine.
La controverse sur la problématique philosophique en
Afrique est née en pleine période coloniale d'une contestation
à l'intérieur de la littérature occidentale
elle-même, portant sur la prétendue occidentalité exclusive
de la philosophie en tant que quintessence de l'activité intellectuelle
humaine. Au sein donc de la pensée occidentale, deux tendances
philosophiques ou même extra philosophiques se combattent. L'une faisant
du Noir au même titre que tous les autres peuples dits exotiques, un
être incapable de philosophie. L'autre trouvant au contraire que le Noir
a une civilisation avec une philosophie et une gnoséologie qui est
certes différente de celle occidentale, mais qui n'en demeure pas une,
avec toute sa richesse et sa spécifié et sa complexité.
Ces deux tendances sont du reste nourries et entretenues par d'importants
travaux d'ethnologues, d'ethnographes, de missionnaires, de colons qui exercent
sur le continent. Dans ce domaine l'ethnologie est celle qui s'est le plus
illustrée avec des travaux devenus célèbres comme ceux de
Marcel Griaule7(*), et autre
Paul Radin8(*).
Indépendamment des critiques qu'on peut faire à l'ethnologie,
notamment quant à son impartialité, elle se donne comme une
approche d'observation scientifique des peuples primitifs. C'est dans cette
perspective que « l'Afrique a été exploré de
part en part, des musées construits dans les métropoles pour
conserver les vestiges matériels de ces sociétés
primitives ainsi que les vestiges spirituels tels qu'ont pu les recueillir
(...) les récits de colons (missionnaires, soldats et fonctionnaires),
puis par les professionnels du métier »9(*). Le constat a
été que les sociétés africaines étaient si
restreintes et si peu évolutives à côté de celles
évolutionnistes et expansionnistes européennes, qu'elles ont
été saisies comme « les modèles mêmes
de sociétés statiques, figées, des sociétés
en un mot sans histoire »10(*).C'est au nom de tels constats qu'un Comte de
Gobineau a pu avancer les thèses racistes et négationnistes qu'on
connaît. C'est également au nom d'eux que Lucien
Lévy-Bruhl, anthropologue français a développé
l'idée de la mentalité prélogique des Noirs. Il estime en
substance que les Noirs sont des peuples inférieurs,
caractérisés par une mentalité prélogique et
mystique qualitativement différente, inférieure à celle de
l'homme civilisé d'occident. D'autres peuples du monde rentrent dans la
catégorie de peuples inférieurs. Ce sont les Australiens, les
peuples du Mexique précolombien, de l'Inde, de la Chine etc. Pour lui
parmi ces peuples tout ce qui a été produit dans les domaines
aussi variés que l'astronomie, la chimie, la géographie, la
grammaire ... recèle une part de mysticité qui marque une
différence d'avec la science occidentale telle qu'elle s'est
développée depuis la Grèce Antique. Ce qui fait que les
connaissances de ces peuples « sont demeurées impropres
à une évolution qui les eut purgé de ces
éléments » (mystiques)11(*). Outre ces prises de position
dans une littérature qui n'est pas nécessairement philosophique,
de grands noms de cette discipline ont fait entendre leur voix dans le
débat sur l'existence ou non d'une philosophie chez les Africains. C'est
le cas de Hegel et Heidegger. Hegel estime que l'éclosion de la
philosophie est à mettre sur le compte d'un certain nombre de
conditions. Parmi celles-ci il y a des données d'ordre purement
géographique. Ainsi le haut pays, fait de steppes et de désert,
ainsi que les plaines et les vallées, coupés par des
rivières et des marécages, sont défavorables à la
philosophie. Car rendant difficiles les voyages, les échanges. Par
contre, les régions côtières, les régions ayant la
mer comme facteur d'unité sont favorables la philosophie. Il explique
qu' « outre la facilité de communication, la mer
présente d'énormes avantages pour le développement des
peuples côtiers, elle donne la représentation de
l'indéterminé, de l'illimité et de l'infini. Elle invite
l'homme à la conquête, au brigandage et à la recherche du
gain. Elle élargit les idées et rompt les dépendances
auxquelles sont soumis les habitants des plaines et des
vallées »12(*). La question ne se pose pas de savoir si Hegel
exclut les Noirs de ces facilités qu'offre la nature. Puisque le
même article indique qu'il considère que l'Afrique est un
continent « anhistorique ... où l'idée n'a pas
encore émergé »13(*). Ce qui fait le Nègre, habitant d'un tel
continent « ne peut accéder à la rationalité. Il
manque d'objectivité, ne reconnaît pas l'univers et ignore
complètement la notion de transcendance »14(*). L'autre condition de toute
éclosion d'une philosophie, pour Hegel, fait référence
à la spécificité même de la philosophie en tant que
discipline. Du fait même de sa nature, elle ne peut être que
l'exclusivité de l'Occident européen à ses yeux. Pour
prétendre cela il fait de la philosophie la pensée qui se pense,
la pensée ne souffrant d'aucune autorité, ni à
côté d'elle, ni au-dessus d'elle, si ce n'est celle de la
pensée elle-même. Cependant puisque la pensée n'est telle
qu'extériorisée, cela suppose une liberté de la
pensée. Liberté non seulement de se poser sur toute chose, mais
en plus de décider toute seule de la mesure de toutes les choses. Du
reste cette pensée existe chez tout homme, chez tout peuple, mais
seulement en puissance. Elle n'acquiert sens et valeur que dans une
sphère sociale propice à cette liberté. Ainsi seulement,
elle pourra fleurir se développer. Pour Hegel, une telle liberté
ne se rencontre que là où fleurit la liberté dans l'Etat.
Car c'est cet espace seulement qui peut garantir la possibilité
même d'une telle liberté. En conférant aux individus des
droits et des devoirs. Droit de dire et d'agir pour autant que cela ne nuit pas
à la liberté d'autrui, avec une liberté d'autrui
elle-même conçue et consignée dans textes de loi selon un
certain consensus général. Il estime qu'une telle liberté
ne s'est rencontrée pour la première fois qu'en Grèce et
pour autant c'est là qu'est née la philosophie et c'est là
qu'elle est demeurée à rester. Quant à Heidegger, dans une
position qui ne cache mal son eurocentrisme, estime que « la
philosophie est grecque et européenne dans son être même ...
La philosophie est grecque dans son être propre ne dit rien d'autre que
l'Occident et l'Europe sont et eux seuls sont, dans ce qu'il y a de plus
extérieur à leur marche historique essentiellement
philosophique »15(*). Ces discussions entre intellectuels et
idéologues européens auraient moins d'importance si on passait
sous silence leur implication dans l'histoire de l'humanité. En effet ce
qui était en jeu, c'était la classification pure et simple de
l'humanité en peuples historiques et peuples non historiques. Un peuple
est d'autant plus historique qu'il est apte à la philosophie. Cela
sous-entend également qu'un peuple historique est en droit de marquer
son historicité en dominant les peuples non historiques. Donc on fait de
la philosophie, le critère d'historicité et de civilisation d'un
peuple.
Cependant ces visions fort idéologiques de philosophes
et d'ethnologues, cohabitent au sein même de la littérature
occidentale avec d'autres qui reconnaissent aux Noirs en particulier une
civilisation tout aussi riche et féconde, une civilisation des plus
authentiques. Il convient d'indiquer qu'à cette époque, les
résultats des travaux des ethnologues, ethnographes et autres
sociologues, à côté des interprétations
généralisatrices précédentes, servaient à
certains Européens de pièces à charge et à
décharge dans le procès contre la civilisation européenne
elle-même. Certains en effet, effrayés par l'évolutionnisme
exacerbé de leur civilisation et les bouleversements scientifiques,
sociaux, moraux etc. que cela entraînait, ont voulu rappeler celle-ci
à l'ordre. Ils craignaient que ces visées
prométhéennes avec leur cortège de scission radicale entre
l'homme et la nature, mieux la corruption de celle-ci, entraînent des
conséquences irréversibles. Aussi préconisaient-ils le
retour à la nature en lieu et place d'une culture qui lui tourne le dos,
croyant avoir trouvé le salut dans l'assujettissement de tout à
ses besoins par le truchement de la raison et du logos. Elungu Pene
relève à ce propos que le « le mythe du `bon
sauvage' de Jean Jacques Rousseau n'a jamais quitté l'Europe
industrialisée, l'Europe au plut fort de son pouvoir sur les choses et
aussi, (...) sur les hommes du monde »16(*). Ce courant est donc
traversé par cette constante remise en question de la civilisation
occidentale, teintée de nostalgie, la nostalgie d'un monde sans calcul,
sans logos, sans histoire, sorte de refuge pour l'Europe civilisé des
19ème et 20ème siècle. Cela peut
être perçu dans ce propos de G. Balandier17(*) qui explique ce besoin des
ethnologues occidentaux de « s'extraire » de leur
société et leur « position de censeur de
société » par une « insatisfaction, un besoin
de s'accrocher à des modes d'existence radicalement
différents »18(*).
Du reste une nouvelle étape sera franchie dans ce
débat, tant du côté de la méthode d'approche des
Noirs que de leur aptitude à la pensée, avec la publication de
La Philosophie Bantoue aux Éditions Lovania,
Élisabethville, 1945, du révérend Père Placide
Templels, un missionnaire belge en poste au Congo Léopoldville.
Concernant l'aptitude des bantous à la pensée Tempels affirme
sans hésitation qu'ils ont une philosophie qui est essentiellement une
ontologie des forces.19(*)
En tout état de cause, ce livre provoqua en son temps les
réactions les plus variées, tant dans la littérature
occidentale qu'africaine. En effet les visées de l'auteur, le statut
théorique de la Philosophie Bantoue, l'utilisation qui en est
faite par les intellectuels et idéologues tant Africains
qu'Européens, bref les implications et les réactions à ce
livre ont donné une nouvelle dimension au débat sur la
problématique philosophique africaine. De sorte qu'il est possible de
nos jours de parler de courants dans la problématique de la philosophie
africaine. Un premier courant est celui inauguré par Tempels
lui-même et est composé d'un vaste mouvement littéraire et
philosophique, quelques fois idéologique, prolongeant et approfondissant
les thèses tempelsiennes. Ce mouvement a été
baptisé ethnophilosophie en raison fondamentalement de sa
prétention à identifier une philosophie commune à tous les
Africains à partir d'analyses de leur héritage culturel. Un
second mouvement a émergé par la suite, qui se donne comme un
courant critique de l'ethnophilosophie et une tentative de rapprocher toute
philosophie africaine du concept de philosophie tel qu'il fonctionne dans la
tradition internationale notamment occidentale. Du fait de cette propension, de
ramener toute philosophie à la philosophie européenne en tirant
d'elle toutes les sources théoriques, celui-ci a été
appelé europhilosophie ou courant critique de l'ethnophilosophie. Enfin
un troisième courant a vu le jour au début des années 80,
et qui est une critique de l'europhilosophie. Nous allons analyser sommairement
chacun de ses courants.
L'ethnophilosophie est le courant de pensée
d'intellectuels et idéologues européens et Africains qui abondent
dans le même sens que les thèses de Tempels sur l'existence d'une
philosophie africaine. Une philosophie qu'il faut identifier et
caractériser à partir d'une étude poussée de
l'héritage culturel des peuples africains. Ce terme se rencontre pour la
première fois dans les écrits de Towa et de Hountondji. Pour
Hountondji, l'ethnophilosophie est toute littérature qui prétend
restituer une philosophie collective, à laquelle adhère
inconsciemment tout un peuple. Le prototype même de l'ethnophilosophe
c'est Templels lui-même. Donc une brève étude de La
philosophie Bantoue n'est pas superflue pour faire ressortir les grands
traits de l'ethnophilosophie. L'ouvrage a été publié pour
la première fois en 1945 aux éditions Luvania,
Elisabethville20(*). Il
s'agit d'une sorte de monographie où l'auteur se proposait de recenser
et d'apporter des réponses à toutes les interrogations que les
occidentaux se posent sur les Noirs pour faciliter la mission civilisatrice. Il
s'adresse donc à deux catégories d'Occidentaux en
particulier : les colons et les missionnaires. Il se donne pour but de
lever certaines équivoques qui ont constitué des obstacles
à l'oeuvre d'éducation des Noirs. En effet, du haut de leur
arrogante conviction que ceux-ci n'ont pas de pensée, de civilisation,
ses collègues Occidentaux ont engagé avec les Noirs un dialogue
de sourds. La découverte de leur ontologie devait donc changer cette
attitude et mieux faire aboutir la mission civilisatrice. Puisque les Noirs ont
une philosophie, il fait à ses compatriotes l'injonction de
réorienter la manière de les aborder. Pour lui les Bantous ont en
effet une pensée. Celle-ci est « un ensemble de
d'idées, un système logique, une philosophie positive et
complète de l'univers, de l'homme et des choses qui l'environnent, de
l'existence de la vie, de la mort et de la survie, en un mot une ontologie
logiquement cohérente ». Mais puisqu'il est question de
découvrir cette ontologie, Tempels va s'atteler à cette tache
selon plusieurs méthodes, dans l'environnement quotidien des Bantous.
C'est l'objet notamment du Chapitre I où il se met « A la
trace de la philosophie bantoue ». Pour ce qui est de la
méthode il utilise deux voies. L'une, directe consiste à
s'installer dans la mentalité même des Bantous afin de penser
comme eux, voir les choses ; à la suite d'une longue
fréquentation de ceux-ci. L'autre, indirecte consiste à faire une
étude poussée de leurs éléments culturels en
utilisant des disciplines positives telles que l'ethnographie, l'ethnologie, la
sociologie etc. Pour en arriver à la conclusion de l'existence d'une
ontologie, Tempels part du principe que la vie et la mort conditionnent le
comportement de l'homme. Autrement dit face aux périls qui sont
liés à la vie et la mort, il existe dans une toutes les
civilisations une sorte de « solution
pratique ».C'est à celle-ci que les hommes font recours
pour faire face au problème de la rédemption ou de la damnation.
Donc à ses yeux l'existence de cette valeur dans la civilisation des
Bantous est la preuve que leur vie repose comme partout ailleurs sur un
système de principes ; et que ce système repose
lui-même sur une philosophie de la vie qui pénètre et guide
toutes les actions des Bantous. C'est ce système qui explique toute
l'organisation sociale, politique, économique etc. de ceux-ci. Plus
précisément cette philosophie est une ontologie. Cette ontologie
elle-même se résume en une théorie des forces. Chez les
bantous l'être est force. Cela ne signifie pas qu'il faille faire une
dichotomie entre être et force, comme si l'un était attribut de
l'autre. Mais il faut comprendre cela dans le sens où l'être et la
force forment une et une seule substance. C'est ce qui l'a fait dire que chez
les bantous « l'être est force, la force est
être ». Par ailleurs cette ontologie affirme une
interaction constante des forces ayant une hiérarchisation
précise.
v Au sommet de la pyramide, il y a Dieu Esprit et
créateur
v Ensuite il y a les premiers pères des hommes,
fondateurs des clans, les archi patriarches à qui Dieu a
communiqué en premier lieu la force vitale
v Viennent ensuite les défunts de chaque tribu, suivant
leur degré d'ancienneté
v Puis, viennent les vivants eux-mêmes
hiérarchisés à leur tour selon la primogéniture,
l'importance de la puissance vitale
v Enfin, il y a les forces inférieures : animaux,
végétaux, minéraux, eux aussi hiérarchisés
suivant le rang de puissance vitale et de primogéniture
Les différentes forces ont une influence entre elles
selon la hiérarchie de la primogéniture. Les forces
supérieures renforcent les forces inférieures. C'est cette loi
qui est à la base de la désignation des chefs et c'est elle qui
fixe ses responsabilités. Ainsi selon Tempels, chez les Bantous,
« L'aîné d'un groupement ou d'un clan est, pour les
bantous, de par la loi divine, le chaînon de renforcement de vie reliant
les ancêtres à leur descendance. C'est lui qui « renforce
» la vie de ses gens, et de toutes les forces inférieures, forces
animales, végétales ou inorganiques, qui existent, croissent ou
vivent sur son fond pour le bénéfice de ses gens. Le vrai
chef est donc, suivant la conception originelle et suivant l'organisation
politique des peuples claniques, le père, le maître, le roi; il
est la source de la vie intense; il est comme Dieu
lui-même ». Donc on peut dire que de cette
hiérarchisation dérive le fondement du système politique
des Bantous. Tempels affirme en outre que les bantous ont une vision du monde
centrée sur l'homme, c'est l'homme actuel, vivant, qui a primauté
sur les défunts. Ensuite à partir du Chapitre III, Tempels tente
de restituer la sagesse des Bantous qui se caractérise essentiellement
par le fait qu'elle pénètre toute la nature des êtres, des
forces. Chez eux la vraie sagesse est la connaissance ontologique. Le sage par
excellence c'est Dieu « qui connaît tous les êtres,
qui pénètre la nature et la qualité de leur
énergie ». Donc chez les Bantous les connaissances sont
fondamentalement ontologiques. Leur philosophie n'est pas surnaturelle, elle se
fonde sur l'évidence interne et externe. Plus loin, à partir du
Chapitre IV, il se penche sur la psychologie bantoue où il
développe les notions muntu ou personne ainsi que l'individu. Le muntu
est force active, sa force est dominante parmi toutes les forces visibles. Sa
force s'accroît ou diminue dans le cadre de ses différentes
influences avec les autres êtres. Quant à l'individu il se
caractérise par son impénétrabilité par ses
semblables et certains critères qui le définissent comme le nom.
Enfin dans le Chapitre V il aborde la question de l'éthique chez les
Bantous. Dans cette éthique, les notions de bien et de mal sont
rattachées à leur philosophie. Puisque pour les Bantous, tout
tourne essentiellement sur le renforcement de la force vitale, alors le bien et
le mal en dérivent aussi. Le mal c'est toute action qui diminue la
force vitale et le bien celle qui l'accroît.
Tels sont les grands traits de La philosophie bantoue
du R.P. Tempels. C'est de là que tous les tenants de l'ethnophilosophie
tirent leurs arguments selon les enjeux qu'ils poursuivent. C'est ainsi qu'on a
pu parler de variantes de l'ethnophilosophie : la variante laïque et
la variante chrétienne. La variante laïque rassemble les auteurs et
Européens et Africains qui tentent de dégager une philosophie
africaine collective, à partir de l'héritage culturel des peuples
du continent. Une philosophie qui serait à opposer à celle de
l'Occident pour mettre à mal le préjugé des occidentaux
selon lequel les Noirs n'ont pas de philosophie. Parmi les Européens qui
se sont lancés dans cette aventure, on peut retenir cette liste non
exhaustive citée par Hountondji dans Sur la philosophie africaine
critique de l'ethnophilosophie :
Ø Marcel Griaule et Germain Dieterlen, Le renard
pâle, Travaux et mémoires de l'Institut d'ethnologie, Paris,
1965
Ø Dominique Zahan,
- Sociétés d'initiation bambara :
le N'demo, le Korè, Mouton, Paris-La Haye, 1963
- La dialectique du verbe chez les Bambaras, Mouton,
Paris-La Hayes, 1963
- La viande et graine, mythologie dogon,
Présence Africaine, Paris, 1968
- Religion, spiritualité et pensée
africaine, Payot, Paris, 1970
Ø Louis Vincent Thomas,
- Les Diola. Essai d'analyse fonctionnelle sur une
population de Basse Casamance, Vol I et II, Mémoires de l'Institut
français d'Afrique Noire, Dakar, 1959
- « Brève esquisse sur la pensée
cosmologique du Diola » African systems of thought, Oxford
University Press, Londres, 1965
- « Un système philosophique
sénégalais : la cosmologie des Diola »,
Présence Africaine, N° 32-33, 1960
- « Cinq essais sur la mort africaine. Esquisse
d'une anthropologie philosophique », Psychologie africaine,
Public de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines, Philosophie et
Sciences Sociales, N° 3 Dakar, 1969
- « La mort et la sagesse africaine. Esquisse
d'une anthropologie philosophique », Psychologie africaine,
N° 3, 1967.
Les Africains eux aussi se sont laissés séduire
par cette entreprise de restitution de la pensée des peuples africains
pour des raisons différentes. C'est ainsi que Hountondji dresse cette
liste, elle aussi non exhaustive.
Ø A. Adessanya, « Yoruba Matapysical
Thinking » , Odu, n°5, 1958
Ø William Abraham, The Mind of Africa,
University of Chicago Press, 1962, et Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1962
Ø NKRUMAH, Kwame, Le Consciencisme, Philosophie et
idéologie pour la décolonisation et le développement avec
une référence particulière à la révolution
africaine, Traduit de l'Anglais par L. Jospin. Paris, Payot, 1964
Ø Alassane N'Daw, Peut-on parler d'une
pensée africaine? in Présence africaine (1966) n.58, 32-46,
et in SMET, A.J. (ed), Philosophie africaine. Kinshasa, 1975, I, 227-242
Ø Issiaka Prosper Laleye, La conception de la
personne dans la pensée traditionnelle Yoruba. Approche
phénoménologique, Herbert Lang éditions, BERNE,
1970
Ø J. O. Awolalu, « The yoruba philosophy
of life », Présence Africaine, N° 73, 1973
Ceux-ci et bien d'autres abondent dans le même sens que
les Européens cités plus haut, avec souvent des points de vue qui
relèvent de l'idéologie21(*). Il reste clair que leur intention est de fonder une
philosophie africaine digne de ce nom, qui n'aurait rien à envier
à toute autre philosophie, notamment celle de l'Occident. Mais en
même temps certains d'entre eux n'hésitent pas de déduire
l'existence d'une philosophie africaine en prenant en compte des
considérations purement occidentales. Cela s'explique par le fait que
c'est en l'occurrence l'occident qui a voulu nier toute philosophie au Noir.
Ainsi certains d'entre eux ont voulu élargir le champ de
définition pour qu'elle ne désigne plus seulement ce qu'elle a
désigné jusque là dans la vision occidentale. Mais qu'elle
inclut aussi des éléments qui étaient rangés dans
la mythologie ou la simple littérature. C'est le cas de Alassane N'Daw
et J. Basile Fouda, comme on le verra plus tard dans l'ouvrage de Towa.
D'autres partent de ce qui est considéré comme philosophie en
Occident et recherchent dans le champ culturel africain d'éventuels
éléments semblables pour en déduire la philosophie
africaine. Ainsi Tshiamalenga N'Tumba estime « si l'histoire de
la philosophie appelle philosophie les fragments des présocratiques, les
Pensée d'un Marc Aurèle ou les Maximes de La Roche Foucauld et
autres textes semblables, alors bien des textes de tradition africaine orale
peuvent être appelés philosophiques »22(*)
Quant à la variante chrétienne, elle est
constituée d'hommes d'église comme Tempels lui-même. Leur
souci est de trouver une base psychologique et culturelle pour enraciner le
message du christianisme dans l'esprit de l'Africain. Ce qui signifie que leur
préoccupation diffère quelque peu de celle des laïcs
africains. Encore une fois nous nous fieront à la liste de ces auteurs
dressée par Hountondji.
Ø Alexis Kagamé, La philosophie
bantou-rwandaise de l'être
Ø Mgr Makarakiza, La dialectique des Barundi,
1959
Ø Mongameli Antoine Mabona,
- « Philosophie africaine »,
Présence africaine, N° 30, Paris, 1960
- « The Depths of african
philosophy », Personnalité africaine et Catholicisme,
Présence africaine, Paris, 1963
- « La spiritualité
africaine », Présence africaine, N° 52, 1964
Ø A. Rahajarizafy, « Sagesse malgache et
Théologie chrétienne, Personnalité africaine et
Catholicisme, Présence africaine, Paris, 1963
Ø Vincent Mulago, « Dialectique
existentielle des bantous et Sacramentalisme », Aspects de la
culture noire, Paris, 1958
Ø Jean Calvin Bahoken, Clairières
métaphysiques africaines, Présence africaine, Paris, 1967
Ø John MBiti,
- African religions and philosophy, Heinemann,
Londres, 1969, Traduit sous le titre Religions et Philosophie
africaines, Éditions Clé, Yaoundé
- Concepts of God in Africa, Praeger, New York,
1970
- New Testament Eschatology in an African Back-round. A
study of the encounter between New Testament theology and African traditional
concepts, Oxford University Press, Londres, 1971
Les lignes qui précèdent donnent un
aperçu du courant de l'ethnophilosophie. Le courant qui s'est
développé aussi bien en Afrique et tendant à l'invalider
par une critique des plus virulentes est l'europhilosophie.
Le concept d'europhilosophie a été forgé
par Pathé Diagne23(*) au début des années 80. Celui-ci de
retour du séminaire de Cotonou consacré au rapport de la science
et de la philosophie en Afrique, en fait un compte rendu critique dans un
ouvrage intitulé L'europhilosophie face à la pensée du
Négro-Africain, suivi de: Thèses sur Epistémologie du
réel et Problématique néo-pharaonique,
(Dakar, éd. Sankoré, 1981). Dans son acception l'europhilosophie
est le courant de pensée critique de l'ethnophilosophie à partir
de sources autres que la tradition philosophique et culturelle africaine.
Précisément des sources tirées de la philosophie
Occidentale. Par cela, l'europhilosophie est africaine et européenne.
L'europhilosophie rassemble des penseurs européens et Africains
formés à l'école occidentale et fortement
influencés par les doctrines occidentales. Les tenants de ce courant
entendent disqualifier l'ethnophilosophie qu'ils estiment critiquable à
la lumière du concept de philosophie tel qu'il a toujours
fonctionné de manière générale en Europe. Pour ce
faire, ils entendent dépasser la problématique de
l'ethnophilosophie et ses contradictions relativement à la philosophie
en tant que discipline spécifique et proposer des pistes pour une
meilleure pratique philosophique sur le continent africain. Dans cette
perspective, ils estiment que la philosophie africaine doit exister et
fonctionner selon les critères notamment de définitions de la
philosophie occidentale, au risque d'être un genre littéraire qui
n'est philosophique qu'Afrique. Concrètement les tenants de ce courant
se fixent pour tâches de :
ü Surmonter la crise épistémologique
ouverte par l'ethnophilosophie en raison de sa prétention à la
philosophie quand bien même elle semble en différer
ü Combler le vide créé par l'invalidation
de l'ethnophilosophie par la promotion d'une tradition philosophique et
scientifique de haut niveau
ü Libérer le discours philosophique de l'emprise
de la politique et de l'idéologie, la science, mieux préciser
leurs rapports ainsi que le rôle qui échoit à chacune
d'entre elles
En outre l'europhilosophie est caractérisée par
un académisme universitaire qui la condamne à la
spéculation abstraite à défaut de se fixer un objet
d'étude précis et pertinent. Elle est constamment tournée
vers la tradition occidentale pour critiquer l'europhilosophie et tend à
décider sur cette base ce que doit être toute philosophie en
Afrique. Par cela les tenants de ce courant s'opposent à
l'émergence de pensées philosophiques endogènes et
autocentrées en Afrique. C'est pour cela qu'ils placent le salut de
l'Afrique en la matière dans une sorte de métissage qui culturel
et philosophique. Ce métissage ne signifie pas suivre aveuglement les
valeurs des autres civilisations, mais de procéder à un dosage
approprié avec les cultures africaines. Il existe deux variantes de
l'europhilosophie : la variante non marxiste et la variante
marxo-criticiste. La variante non marxiste est celle dont les
références théoriques sont à chercher dans la
philosophie classique bourgeoise Occidentale. Son chef de fil est Frantz
Crahay, auteur de Le "décollage" conceptuel: conditions d'une
philosophie bantoue, in Diogène (1965) n.52, 61-84; et in SMET, A.J.
(ed.), Philosophie africaine, Kinshasa, 1975, II, 327-347. - Tempels; Kagame;
Nkrumah. Dans cet ouvrage, il balaie du revers de la main la prétention
que la vision du monde prônée par l'ethnophilosophie puisse
être appelée philosophie au nom du "décollage"
conceptuel. Il fait ainsi référence notamment au fait que dans la
Philosophie Bantoue, Tempels avance que les Bantous sont ignorants de
leur philosophie, ou qu'en tout cas, même s'ils savent qu'ils ont une
philosophie, ils sont incapables de la caractériser, la définir,
en un mot d'en rendre compte. En sorte qu'il revient à d'autres
personnes de la restituer à leur place. Crahay estime que cela est
inconcevable en philosophie, puisqu'en tant que pensée critique, elle
est supposée se poser sur non seulement l'ensemble des dimensions de la
vie de l'homme, mais aussi sur la pensée elle-même. Il estime
d'ailleurs qu'aude-là de cette condition, la possibilité
d'existence d'une philosophie en Afrique passe par :
v L'existence d'un personnel qualifié de philosophes
v Une ouverture des philosophes africains sur les
sphères culturelles du monde
v Un inventaire souple de valeurs à sauvegarder :
attitudes, ressources linguistiques, catégories mentales etc. Cela
suppose une certaine manière d'envisager la philosophie qui exclut la
propension constante de l'etnophilophilosophie qui consiste à rechercher
une originalité.
La variante marxo-criticiste réunit les auteurs dont
les références sont tirées de la philosophie de Marx et
ses épigones (Althusser, Lénine, etc.). Les représentants
les plus en vue de ce courant en Afrique sont Hountondji et Towa.
L'europhilosophie à son tour n'échappera pas à la
critique, ce qui conduira à la naissance du courant critique de
l'europhilosophie.
Les premières réactions contre l'europhilosophie
remontent aux années 1970 avec la publication d'un article de Niamkey
Koffi Robert intitulé L'impensé de Towa et de Hountondji.
Il y tente de montrer que derrière les positions de Towa et Hountondji,
dans leurs différentes oeuvres, se cache mal un mythe. Le mythe en vertu
duquel la philosophie africaine ne commence qu'avec eux. Tout ce qui a
été produit antérieurement est tout au plus une sagesse.
Abdou Touré emboîtera le pas en tentant de mettre à nu et
d'analyser les sources de l'europhilosophie. C'est l'essentiel de l'ouvrage
Le marxisme-léninisme comme idéologie, Critique de trois
théoriciens africains: A.-.A. Dieng, Hountondji et M. Towa,
Abidjan, 1980. Les critiques les plus vigoureuses commencent à partir de
1978 avec Olabi Babalola Yaï dans Théorie et Pratique en
philosophie africaine: misère de la philosophie spéculative,
in Présence africaine (1978) n.108, 65-91. Sa critique était
particulièrement adressée à Hountondji. Il entendait plus
précisément dénoncer le fait que dans ses écrits,
toute la critique soit purement théorique. Hountondji ne fonde pas ses
critiques sur des recherches effectuées sur le terrain. Le courant
critique de l'europhilosophie voudrait que les auteurs africains, dans le cadre
de la problématique philosophique sur le continent, puissent
dépasser le simple cadre de la spéculation qui a toutes les
chances d'être superficielle et de faire de la recherche sur le terrain.
De plus cette entreprise doit baliser le cadre théorique et conceptuel
de cette recherche. L'intellectuel africain formé à
l'école occidentale est facilement influencé par les sources, les
catégories de cette formation. C'est conscient de cela que Pathé
Diagne24(*) relève
que depuis des siècles, l'occident a fixé et
délimité tout seul, arbitrairement, au gré de ses
intérêts et ses convictions, les domaines et les
caractéristiques de recherches des autres sphères culturelles. Il
dénonce cela comme une hégémonie et revendique un nouvel
ordre culturel mondial comme on en ferait sur le plan économique. Pour
cela il incite à dépasser l'europhilosophie et à
élaborer un discours non spéculatif et valable, une enquête
qui fasse ressortir les connaissances profondes des réalités et
spécificités du champ culturel négro-africain. Dans son
entendement cela est inséparable d'une heuristique et d'une
théoristique propres au champ culturel africain. Par heuristique il
entend « autant les questions de définition de domaine ou
d'objet, de méthode ou d'objet, de méthode ou
d'épistémologie, de théoristique ou de
scientificité qui sont au coeur de toute recherche, que la
problématique, c'est-à-dire la prise de position, le point de vue
et les engagements de la recherche et du chercheur ». Quant à
la théoristique, elle fait référence aux
« appareils, les ensembles ou les systèmes conceptuels par
lesquels s'élaborent les phénomènes et les faits qui
donnent forme et contenu à une pensée comme expérience,
savoir et science dans les domaines les plus divers de l'activité
intellectuelle ».
Retenons que depuis la fin du XIXème et le
début du XXème, la philosophie africaine fait l'objet
d'une profonde controverse. Dans cette controverse, des auteurs tant Africains
que qu'Occidentaux se sont fait entendre et ont défendu des positions
variées ; en sorte qu'il a été possible de diviser
les débats sur la problématique philosophique en Afrique en
courants. Ces courants sont l'ethnophilosophie, l'europhilosophie et le courant
critique de l'europhilosophie. Pour notre part, nous ne sommes pas
rentrés dans ce débat. Autrement nous ne nous sommes pas inscrits
dans la logique de dire si oui ou non la philosophie africaine existe. Si elle
existe ce qu'elle est entre la vision du monde propre aux peuples africains
à restituer par l'analyse et l'interprétation de documents
institutionnalisés du champ culturel négro-africain (contes,
légendes, rites, us, coutumes etc.) ou le discours explicite tendant
à les restituer ou un discours sur la science etc. Nous n'avons pas
tenté d'identifier et surmonter les paradoxes qui surgissent toutes les
fois qu'un esprit a voulu spéculer sur la problématique de la
philosophie africaine. Nous avons par contre dégagé et
caractérisé les orientations générales de ce qui a
été dit jusque là dans le cadre de cette
problématique. Cela nous recentre dans notre thématique en
faisant ressortir le cadre des prises de positions des auteurs dont nous
comptons analyser quelques travaux. Plus précisément, est-il
besoin de le rappeler, nous comptons nous pencher sur les rôles que
ceux-ci attribuent à la philosophie dans leurs ouvrages. Dans cette
perspective donc, il convient au préalable de se pencher sur la question
du rôle de la philosophie.
SECTION 3 : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE
La question du rôle de la philosophie revient
constamment toutes les fois qu'un esprit tente d'y porter sa réflexion.
Du fait de sa spécificité de discipline purement discursive,
n'ayant nullement la prétention d'apporter des solutions notamment aux
divers problèmes de la vie de l'homme, elle est considérée
par d'aucuns comme une activité oisive, une activité dont
l'existence même contribue plus à la complexification de la vie de
l'homme qu'elle ne lui procure satisfaction. En réalité la
question du rôle de la philosophie est une des questions fondamentales de
la philosophie elle-même. Elle travers cette discipline depuis sa
création et les tentatives d'y apporter une réponse satisfaisante
sont fort diverses, donc loin de pouvoir satisfaire tout le monde. Encore que,
en philosophie, rien ne parait pouvoir satisfaire, la philosophie
elle-même ne se préoccupe pas de satisfaire les hommes dans
quelque domaine que ce soit, mais plutôt de poser les questions, les
bonnes questions. En tout état de cause il semble que celui qui s'adonne
à la pratique philosophique exerce une activité dont il ignore le
rôle. Il ne nous revient pas ici de faire une énumération
des rôles traditionnellement attribués à la philosophie.
Nous nous limiterons à examiner ce qui a été avancé
comme rôle de celle-ci au sein de la littérature consacrée
à la problématique philosophique africaine avant les ouvrages de
Towa et Hountondji qui nous intéressent. Dans cette perspective
elle-même, la première difficulté qui surgit est celle de
savoir s'il faut envisager l'existence d'une philosophie qui serait celle de
tous les Africains, donc comme telle qui jouerait le même rôle dans
toutes les sociétés africaines ; ou s'il faut bannir toute
forme d'uniformisation et considérer que le rôle de la philosophie
sur le continent ne doit pas être quelque chose de figé ;
mais quelque chose qui est appelé à évoluer, à
varier en fonction de l'espace et du temps. C'est vraisemblablement pour la
première position qu'opte Taita Towet qui, dans un article paru dans
Présence Africaine N° 27-28 - août - novembre 1959, abordait
la question dans un article intitulé « Le rôle d'un
philosophe africain »25(*). A cet effet dès le début de son
argumentation, il nous enjoint de lire son essai « en gardant
présente dans la mémoire l'unité culturelle des Noirs
d'Afrique ». D'ors et déjà, à la
lumière de l'évolution qu'a pris le débat sur la
problématique philosophique africaine, nous savons que cette seule
assertion discréditerait définitivement cet essai en sorte que
bien des intellectuels de la trempe de Towa et Hountondji, ne trouveraient plus
d'intérêt le parcourir. Cependant dépassons ces
préjugés et essayons de voir ce que doit être le rôle
d'un philosophe africain pour Taita Towet. Il énumère plusieurs
rôles que le philosophe africain a à jouer. Le premier est relatif
à la détermination des caractéristiques et attributs
propres au philosophe et leur explication en termes clairs au public africain.
Cela certainement parce que de son point de vue, le monde noir semble
méconnaître la philosophie. Il est donc impératif à
ses yeux de lui faire comprendre ce qu'est la philosophie, ce qui de son point
de vue passe par la définition de ce qu'est un philosophe. Cela aura
l'avantage de percevoir tout au long de l'histoire de cette discipline, le
genre de personnes qui ont été considérées comme
étant philosophes et déterminer si des personnes semblables ont
existé ou non sur le continent africain. C'est ainsi qu'il faudra se
pencher sur de grands noms de la philosophie comme Platon et Aristote. Nous
savons que pour bien des auteurs, aussi bien dans la pensée occidentale
qu'africaine, la philosophie n'est digne d'être considérée
comme telle que si elle est écrite. A cet effet l'étude de
Socrate qui comme on le sait n'a jamais écris, ferait ressortir que
l'oralité des peuples noirs n'est pas un handicap pour la pratique
philosophique. En outre il estime que dans le cadre de la pratique de la
philosophie sur le continent africain l'effort doit être fait pour
prendre garde contre les phrases comportant des suggestions contestables. Cela
pourra conduire à la pratique d'une pensée saine et
dénudée de toutes affirmations gratuites et
irréfléchies. Sur ce point, il fait ressortir en substance la
problématique fondamentale de la définition de la philosophie. Il
remarque que traditionnellement celle-ci est considérée comme
l'amour de la sagesse. Il trouve que cette définition est
incomplète et il convient au philosophe africain de procéder
à une étude minutieuse de la question, sur la base notamment de
l'étude des philosophes anciens et leurs oeuvres. Ensuite, dans son
acception, il est impérieux pour le philosophe africain de
déterminer le point de départ de la philosophie
négro-africaine. Car pour lui, ce départ n'est nullement à
situer au point atteint par la philosophie des autres continents notamment
celle de l'Occident. Pour lui, si nous le faisions « nous
n'aurons guère la possibilité de formuler et de
synthétiser ce qui pourrait être appelé la philosophie
négro-africaine » (p.116). Car à ses yeux, au
premier niveau de considération, la question de la philosophie
négro-africaine se pose en termes de race avant d'accéder par la
suite à l'universalité. Ériger le point de départ
de la philosophie africaine au point d'arrivée des autres philosophies
de l'y diluer voire de l'étouffer. A cet effet il estime que le point de
départ de la philosophie africaine doit être cherché dans
la philosophie de la religion ou des religions (p.116). C'est pourquoi il
incombe au philosophe africain de s'atteler à cette tache. Plus
précisément il est question d'élucider les
différentes croyances des peuples différents clans africains.
Cette étude se fondera sur les résultats des études
anthropologiques, sociologiques, ethnologiques etc., dans le but ultime de
trouver leur universalité. Un autre rôle du philosophe africain
est celui d'étudier les coutumes et traditions africaines ainsi que leur
signification éthique. Cela est d'autant plus fondé que les
coutumes et les traditions en Afrique occupent une place incontournable. Au nom
d'elles, ce qui aurait pu être considéré comme des
atrocités peut être toléré, mieux pratiqué et
transmis de génération en génération pour ne jamais
être abandonné. Donc il convient selon Taita Towet de s'interroger
et d'apporter des réponses satisfaisantes à des questions
essentielles : quelle est l'attitude de l'Africain face à la
vie ? Quel est le fondement des comportements des Africains ? Pour
l'Africain, qu'est-ce que la vie heureuse ? En un mot le philosophe doit
étudier et élucider la logique interne qui commande à tous
les actes des Africains. Cette logique par ailleurs n'est pas à
confondre avec la logique aristotélicienne. Elle renvoie à la
signification de la signification. Cette étude passe par un examen des
langues africaines pour éprouver leur capacité à exprimer
logiquement nos pensées. Et enfin, selon Taita Towet, il revient au
philosophe de d'étudier les buts pour lesquels existent les
gouvernements africains. Plus précisément, il est question de
s'interroger sur ces formes de gouvernement pour savoir si ceux-ci conviennent
aux peuples africains, s'ils servent réellement les
intérêts des peuples africains ou s'ils ne sont là que pour
une minorité. De plus il doit poser la question de leur
légitimité : sont-ils responsables devant les peuples qu'ils
gouvernent ou devant Dieu.
Cette étude de l'article de Taita Towet, loin
d'être exhaustive, montre que sur-le-champ spécifique africain la
question du rôle de la philosophie s'est posé depuis bien des
années et que des perspectives fort intéressantes ont
été envisagées. Elle fait ressortir une propension de lier
philosophie et race notamment et d'exclure toute possibilité de
convergence entre la philosophie négro-africaine et celle des autres
continents notamment celle de l'Occident. Cependant cela n'enlève rien
à la pertinence de ses propositions qui se situent à une
période où la problématique même d'une philosophie
africaine faisant rage. Ce qu'on peut dire c'est qu'entre temps les
débats ont évolué. Plus précisément cette
manière de concevoir la philosophie a été battue en
brèche, d'autres pistes ont été proposées. Des
pistes qui, même si elles ne font pas l'accord de tout le monde dans ce
débat, restent pour néanmoins représentatives d'une
certaine intelligentsia africaine. Donc il faut en tenir compte et c'est
seulement sur la base de la prise en compte de tous les courants de la
philosophie africaine qu'il est possible de dégager et d'analyser la
question du rôle de la philosophie sur le continent africain.
CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI
SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE
Essai sur la problématique philosophique dans
l'Afrique actuelle est un ouvrage bref mais dense dans lequel l'auteur
dénonce essentiellement ce qu'il appelle la philosophie africaine dans
le sillage de la négritude. Il entend disqualifier toute démarche
visant à forger une philosophie africaine originale et spécifique
qui serait à opposer à celle de l'Occident pour espérer
une quelconque reconnaissance. Plus que cela, il avance des pistes que les
intellectuels africains doivent explorer pour la naissance d'une
véritable philosophie sur le continent. A cet effet il estime que la
philosophie doit jouer un certain nombre de rôles théoriques et
pratiques qui ne soient plus nécessairement une défense des
civilisations africaines contre l'expansionnisme culturel et idéologique
occidentale. Mais des rôles qui tiennent compte de la situation actuelle
des peuples africains. Nous tenterons de les identifier et les analyser dans ce
chapitre. Mais avant, nous nous intéresserons brièvement à
la vie et l'oeuvre de Towa.
SECTION 1 : PRESENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE
L'OUVRAGE
Marcien Towa a fortement marqué la pensée
africaine dans les années 70 et 80. Perçu comme un iconoclaste
à cause de ses prises de position, l'une de ses cibles
privilégiées était Léopold Sédar Senghor
à qui il a consacré plusieurs essais. Marcien Towa a obtenu son
baccalauréat en philosophie en 1955 au Grand Séminaire
d'Otélé à quelques dizaines de kilomètres de
Yaoundé, la capitale du Cameroun. A partir de 1957, il continuera ses
études en France à Caen d'abord et à la Sobonne ensuite.
En 1959 il obtient la licence en philosophie suivi d'un Diplôme d'Etudes
Supérieures dans la même discipline en 1960, avec un memoire sur
Bergson et Hegel. Après un an d'enseignement à l'ENS de
Yaoundé, Marcien Towa reprend des études de psychologie avec une
bourse de l'UNESCO qui le mèneront dans plusieurs Université
européennes. De retour dans son pays, il occupe les postes de Directeur
des études de l'ENS de Yaoundé de 1966 à 1968 et de
Chargé d'enseignement dans la Faculté des Lettres et Sciences
humaines de l'Université de Yaoundé. En 1969 il obtient un
Doctorat (3ème cycle) et dans la même période un
doctorat d'Etat en philosophie sur la pensée africaine. Son oeuvre
littéraire et philosophique est abondante. De plus il est membre
fondateur de la Revue culturelle camerounaise Abbia et en a
été co-directeur.
Son Essai sur la problématique philosophique dans
l'Afrique actuelle (Editions CLE, 1971) reste un ouvrage de
référence pour les élèves et les étudiants,
comme pour les africanistes, en Afrique et dans le monde. L'ouvrage a
été reédité en 1979 aux éditions Clé
Yaoundé. C'est l'un des textes majeurs de Towa. Comme son nom l'indique,
il s'agit d'un essai de l'auteur sur la problématique philosophique en
Afrique, plus précisément l'Afrique de la deuxième
moitiè du XX ème qui voit une certaine profusion, tant
en Afrique qu'en Europe, d'écrits sur la problématique de la
philosophie africaine. Dans cet ouvrage, le projet de Towa s'inscrit dans le
cadre d'un réexamen de la problématique philosophique en Afrique.
Dans cette perspective, il s'écarte de certains de ses devanciers et qui
font de la philosophie une simple gymnastique intellectuelle. Pour lui, comme
son idole Kwamé N'Krumah, la philosophie doit être pensée
dans une perspective révolutionnaire, autrement dit dans l'optique de la
révolution démocratique des peuples africains. Il
considère que la philosophie doit hâter la prise de conscience des
peuples et accélérer le processus révolutionnaire dans le
continent africain. Donc cela implique d'une part, sur le plan théorique
un dépassement de l'ethnophilosophie et de la négritude
senghorienne afin de forger une philosophie à l'image de la tradition
philosophique internationale, notamment occidentale. D'autre part, faire de
cette philosophie un vecteur pour guider les peuples africains vers la
détermination de ce qu'il appelle leur dessein fondamental.
La structure de l'ouvrage pressente quatre chapitres :
1. Existe-t-il une philosophie africaine ?
2. La philosophie africaine dans le sillage de la
négritude
3. Pour une nouvelle orientation philosophique africaine
4. Le concept européen de philosophie et nous
Dans le premier chapitre l'auteur aborde la question
fondamentale de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Il remarque que
cette question s'est toujours posée dans le cadre du débat sur la
philosophie africaine. Et qu'une longue tradition répond à cela
par la négative, quelques fois sur la base d'arguments peu convaincants.
Mais il remarque aussi d'autre part que dans la continuité de la large
controverse sur l'existence ou non d'une philosophie africaine, il y a la
parution de La philosophie bantoue du Rev P. Tempels en 1945. Ouvrage qui
affirme sans ambages l'existence d'une philosophie africaine. Mais plus que
cela cet ouvrage a enregistré un accueil favorable après d'un
grand nombre d'auteurs tant africains qu'européens.
Dans le second chapitre, M. Towa analyse la philosophie
africaine « dans le sillage de la
négritude ». Il y montre que la plupart des tentatives
des Africains de forger une philosophie originale et spécifique
s'inscrit en réalité dans la continuité de la
négritude. Autrement dans les deux cas il s'agit d'une entreprise de
revendication politique, idéologique visant une réhabilitation
devant l'Occident. Il retient par exemple les travaux de A. N'Daw et Juleat
Basile Fouda. Pour le premier cité, dans Peut-on parler d'une
pensée africaine, Présence africaine n58, revendique une
dignité anthropologique pour les peuples Noirs. Quant a Fouda, dans le
cadre de sa thèse intitulée La philosophie négro-africaine
de l'existence, Lille 1967, il fait de la philosophie africaine une sorte une
valeur absolue qui doit demeurer telle par de-la l'espace et le temps, une
philosophie que les africains doivent garder jalousement et transmettre de
génération. Towa s'insurge contre ces caricaturisations de la
philosophie et en appelle à la révision pure et simple de la
problématique philosophique en Afrique. C'est pourquoi dans le chapitre
qui suit, il parle d'une nouvelle orientation philosophique en Afrique.
Dans ce chapitre, il propose que les intellectuels africains
se détournent de la négritude senghorienne et de
l'ethnophilosophie pour construire une philosophie répondant mieux aux
exigences théoriques et épistémologiques propres à
cette discipline, pour qu'ensuite celle-ci serve à hâter la marche
des peuples africains vers la révolution démocratique. Dans le
dernier chapitre il expose la conception européenne de la philosophie
à travers celle de Hegel et il propose qu'elle soit adoptée sur
le continent africain tant dans la forme que dans le fond pour que notre
philosophie ait une dimension universelle qui l'éloigne de
l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne et leurs
contradictions.
Ce sont ces chapitres qui sont développés dans
Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle. Mais
une lecture minutieuse de l'ouvrage montre que fondamentalement l'auteur a
développé trois thèses essentielles : de la
philosophie africaine, des taches de la philosophie dans l'Afrique
contemporaine ainsi que du concept de philosophie. Concernant la philosophie
africaine, il y a lieu de reconnaître qu'avant lui, philosophes et
africanistes européens et africains ont tenté les uns de
décrypter une philosophie africaine sur la base des différentes
manifestations culturelles, les autres de critiquer et montrer les limites de
telles démarches. Avec Towa s'ouvre une rupture
épistémologique qualitative dans le débat sur la
problématique philosophique africaine. En effet Towa considère
que la question suprême et première est l'interrogation sur
l'existence même d'une philosophie africaine. Cette question marque le
début d'une véritable réflexion critique, celle qui va
à la racine des choses pour tenter d'épuiser autant que possible
la question. Il s'agit entre autres de la nécessite de replacer le
débat sur la philosophie africaine dans son contexte d'émergence
afin de comprendre ses contours et ses développements. Ce qui est donc
en jeu et nouveau ici, c'est la tentative de cerner la problématique
philosophique dans sa genèse afin de la comprendre et d'indiquer des
voies et moyens pour son développement dans l'Afrique d'aujourd'hui.
Cette approche permet à Towa de comprendre que face à la question
de l'existence d'une philosophie africaine, il y a toujours eu deux
réponses : l'une négative et l'autre positive. Parmi ceux
qui dénient à l'Afrique toute philosophie l'auteur retient les
grandes idées développées par de grands penseurs
occidentaux comme Heidegger, Hegel, F. Crahay etc. ; chacun le faisant
avec des arguments fort variés et quelques fois suspects pour employer
le terme de Towa lui-même dans le cadre de Hegel notamment. Parmi ceux
qui affirment l'existence d'une philosophie africaine, Towa retient le Rev.
Père Placide Tempels et tous les africains ou européens qui par
la suite abondent dans le même sens que lui. La démarche de notre
auteur dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique
actuelle est de dénoncer la littérature qui en résulte,
littérature qu'il qualifie d'ethnophilosophie. Il estime que celle-ci
n'est ni une philosophie, ni une ethnologie, mais une discipline d'un genre
nouveau, à cheval entre les deux ; et qui comme telle
présente la particularité de les trahir toutes deux à la
fois. Ensuite, Towa aborde la question des taches de la philosophie en Afrique.
Ces taches font référence aux rôles que celle doit jouer
sur le contient africain, et cela non seulement sur la plan théorique
mais aussi pratique.
Enfin parmi les thèses fondamentales
développées dans cet ouvrage, il y a celle portant sur le concept
de philosophie. Et pour lui, sur cette question, nul n'est besoin de faire des
recherches fastidieuses. Il convient simplement d'interroger Hegel qui est un
éminent philosophe, un philosophe respecté tant du
côté capitaliste que socialiste. C'est donc la conception
hégélienne de la philosophie qui lui semble la mieux
indiquée pour faire ressortir ce qu'il faut entendre par philosophie.
Dans cette perspective la philosophie est considérée comme une
sagesse du monde car prenant pour objet essentiellement le monde et les droit
de la nature humaine. La philosophie comme sagesse du monde et son
étroite parenté avec la science étaient l'expression de la
démarche de Bacon et de Descartes. Pour eux, le rôle de la
philosophie et de la science est d'assurer une la puissance de l'homme sur la
nature et de lui permettre de subvenir a ses besoins les plus divers. En cela
la philosophie européenne moderne a joué un rôle important
dans la fondation du mode de production capitaliste. Il s'agit d'une
philosophie qui a pour objectif de développer l'emprise de l'homme sur
son milieu physique et humain par la médiation d'un savoir rigoureux.
C'est donc cette philosophie que Towa invite les africains à adopter
pour percer le secret de la victoire de l'Europe sur nous et par la même
découvrir la voie de notre libération.
En un mot, Towa développe des thèses
courageuses, qui apportent des éclairages et des perspectives nouvelles
dans le cadre du débat sur la problématique philosophique en
Afrique. Cependant cela n'occulte pas les limites de son analyse que nous
tenteront de lever dans les pages qui suivent. Mais avant, quel est le
rôle de la philosophie à travers l'ouvrage de Marcien
Towa ?
SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN
TOWA
Comme précédemment indiqué, le livre de
Towa qui nous intéresse est un essai qui tente non seulement de montrer
les failles que l'auteur a constatées dans le débat sur la
problématique philosophique en Afrique, mais aussi de proposer de
nouvelles perspectives à explorer pour l'édification d'une
véritable philosophie sur le continent africain. A cet effet, il estime
que la philosophie a des tâches à assumer. Ces tâches
renvoient aux différents rôles que celle-ci doit jouer tant sur le
plan théorique que pratique sur le continent africain. A cet effet il
parle de taches fondamentales et de taches secondaires.
Les tâches fondamentales concernent notre devenir. Il
s'agit de définir la manière dont les africains doivent prendre
leur présent pour envisager un meilleur futur. C'est cette tache que
Towa appelle l'interrogation sur notre dessein profond, sur la direction
à donner à notre existence. Dans cette perspective la philosophie
est envisagée comme l'effort d'élucidation de notre actuel
rapport au monde, plus précisément elle doit jouer ce rôle.
Cette entreprise passe par le rejet systématique de l'ethnophilosophie
et de la négritude senghorienne. Les deux mouvements s'inscrivent dans
le cadre de la revendication d'une dignité anthropologique propre selon
la formule de Alassane N'Daw. « Il s'agit de déterrer une
philosophie africaine propre et la brandir devant les négateurs de notre
dignité "anthropologique comme une irrécusable certificat
d'humanité"» (pp 35; 36). Pour arriver à leurs fins,
les auteurs de ces deux mouvements incite les africains et la diaspora, au
goût de la liberté ; il s'agit d'insuffler en eux qu'ils ne
sont pas que des figurants dans ce monde, mais qu'ils y jouent un rôle
irremplaçable. Cela passe également par l'effort de convaincre
les colonisateurs que leur intérêt à long terme est
l'abolition de leur système de domination qui en fait ne fait
qu'alimenter haine et ressentiment à leur égard. Towa estime que
ce combat là est révolu avec l'accession des pays africains
à l'indépendance. D'ailleurs en tant que revendication politique
allant dans le sens d'une amélioration des conditions de vie des peuples
africains, le problème posé dans cette lutte se règle
entre politiciens autours d'une table. Notre auteur voudrait que la philosophie
dépasse cette problématique pour aller dans le sens d'une
réalisation de notre autonomie retrouvée. Dans cette optique il
revient à la philosophie de déterminer le sens de notre
être-là et de l'infléchir vers un destin meilleur.
Concrètement Towa part du constat récurrent que l'Afrique a
été vaincue par l'Europe. Cette victoire a été si
retentissante que face à cela, la première réaction fut de
copier la civilisation occidentale et abandonner ses propres cultures. Mais se
rendant vite compte des imperfections de cette civilisation pourtant si forte
et compte tenu de l'exclusion dont ils furent victimes, les Africains firent
vite volt face, pour se réorienter vers leur identité propre.
Mais la valoriser par tous les moyens d'expression pour que cela serve de
négation de leur négation. C'est ainsi qu'en philosophie la
réaction fut de rechercher dans toutes les manifestations des cultures
négro-africaines cette cohérence interne qui explique
l'organisation de leurs institutions la justification de moindre de leurs
attitudes et actions et l'ériger en philosophie. Le résultat
d'une telle démarche au-delà des interrogations qu'elle suscite
sur le plan épistémologique notamment est l'édification
d'une philosophie tournée vers le passé. Towa s'insurge contre
cet état de fait et suggère que « plutôt que
l'exhumation d'une philosophie africaine originale selon des voies qui ne se
soumettent ni aux exigences de la science, ni à celles de la philosophie
notre dessein principal » soit « de parvenir à une
saisie et à une expression philosophique de notre
"être-là-dans-le-monde" actuel et à une
détermination de la manière de le prendre en charge et de
l'infléchir dans une direction définie. Une philosophie
arrachée à la nuit du passé, n'a pu être, si elle a
existé, que l'expression d'une situation elle même
passée.» (P.35). L'effort de restitution d'une philosophie
passée ne résout donc pas nos problèmes actuels. C'est
pourquoi il planche pour une philosophie tournée vers le
présent, voire le futur.
La défaite de l'Afrique face à l'occident est
à mettre sous le compte de lacunes graves de sa civilisation. Et ces
lacunes elles-mêmes sont en relation avec notre
spécificité, ce qui nous différencie de l'Européen
(P.40). Il nous incombe donc de ne pas pérenniser cette
spécificité. Il faut la dépasser, la transformer.
Autrement dit il faut transformer dans le présent, ce qui dans le
passé fut responsable de notre défaite. De cela il suit que
l'Afrique doit se métamorphoser afin de devenir autre chose que ce qu'il
a été. Le but étant d'entrer de pleins pieds dans une
nouvelle ère avec ses réalités intrinsèques. Ce la
ne signifie pas faire table rase du passé. Mais il s'agit de l'assumer,
en être fier, en dépit de ses lacunes et partir de cette base pour
nous diriger vers un horizon proche lointain dans lequel notre passé
serait meilleur. Cela impose que dans le présent nous opérions
« une révolution radicale » (P.41) qui
elle-même exige « une rupture radicale avec notre passé
». (idem) Que l'actuelle essence de l'Afrique, ou peut-être
même; ce qu'elle sera, soit le produit de son passé, Towa ne le
conteste guère. Mais lorsque ce passé, passé sous le
crible de la critique lucide et objective montre que l'assujettissement
présent trouve son explication dans ce passé, il y a lieu de
reconsidérer la valeur accordée à ce passé pour
annihiler cet assujettissement. En un mot il revient à l'Afrique de
révolutionner ce qu'elle a « en propre, ce qu'il a d'original
et d'unique, entrer dans un rapport négatif avec le soi »
(P.41). Telle est la méthode que propose Towa pour que l'Afrique puisse
faire le poids devant l'Occident. Il pose donc que tout l'effort intellectuel
et philosophique soit consacré à identifier ce dessein Absolu
afin de l'interroger et le mener vers le sens qui nous convient. En outre il
apparaît ici clairement que pour Towa la philosophie doit hâter la
prise de conscience des Africains de leur situation défavorable actuelle
et aspirer au changement démocratique par la révolution. La
philosophie doit être au devant de cette lutte laborieuse des masses
africaines vers cette révolution, en déterminant leur rapport
actuel au monde ainsi que la direction vers laquelle il importe de
l'infléchir. En cela il estime que seul dans Le Consciencisme de
K.N'Krumah, la part belle est donnée à la saisie de ce que nous
avons à être selon notre condition actuelle. En effet, pour
N'Krumah, la conscience africaine actuelle est tiraillée par des
idées et valeurs occidentales modernes, musulmanes et
chrétiennes. De ce fait projet de N'Krumah porte sur la
problématique de savoir par quel moyen « partant de
l'état actuel de la conscience africaine.... Le progrès sera
tiré du conflit actuellement cette conscience ». (P.54) Donc
il s'agit fondamentalement d'une interrogation sur le devoir être de la
conscience africaine partant de son état actuel de sa conscience
assaillie et déchirée par un conflit venu de civilisations
étrangères. C'est en somme la formulation de cette interrogation
et les pistes qu'il convient d'envisager et au besoin emprunter que Towa
voudrait assigner à la philosophie. En d'autres termes, attribuer
à la philosophie la responsabilité d'interroger la condition
passée et présente d'un peuple et sur cette base définir
son Absolu, son dessein fondamental.
De plus les taches fondamentales s'articulent en deux
moments : le rejet du culte du passe et le rejet du culte de la
différence. Le rejet du culte du passé signifie fondamentalement
se détourner de notre passé qu'il considère comme ce qui a
été responsable de notre défaite face à l'occident.
Ce passé recouvre une certaine spécificité des peuples
africains, spécificité qui elle même a rendu possible notre
soumission par les puissances occidentales. Il s'agit donc d'abandonner
celui-ci. Mais encore de procéder à la démarche
dialectique qui consiste à s'emparer du secret de notre domination par
ces puissances afin de devenir semblables à elles donc in colonisables
par elles. Et pour lui le secret de l'Occident, c'est sa science et sa
philosophie. Ce sont donc ces deux dimensions de la civilisation occidentale
qu'il faut à tout prix nous approprier au lieu de nous pérenniser
dans une glorification stérile de notre passé. Quant au culte de
la différence il renvoie à la propension des auteurs Africains et
de certains auteurs non Africains qui ont eu à réfléchir
sur la problématique philosophique africaine, de marquer coûte que
coûte une différence entre les civilisations africaines et les
autres, aux fins avouées ou non de construire une philosophie qui de ce
fait serait plus authentique. A la différence d'une telle
démarche, Towa propose un dialogue dynamique avec les autres
civilisations. Car selon lui, c'est dans ce dialogue que l'Afrique pourra tirer
des autres civilisations ce que lui manque pour pouvoir édifier une
puissance matérielle suffisante, sans laquelle toute philosophie est en
soi impossible. C'est également au nom du rejet du culte du passé
et du culte de la différence qu'il estime qu'il incombe à toute
philosophie africaine de procéder à une critique sans
complaisance de notre héritage culturel et philosophique. Car au sein
des auteurs africains particulièrement, la plupart des tentatives sur le
champ philosophique se résument en la négation d'un
préjugé ; le préjugé raciste selon lequel les
peuples d'Afrique seraient incapables de philosopher. En procédant, ils
ne sont parvenus qu'à une glorification aveugle des cultures africaines,
pire à y fonder la philosophie africaine, sans tacher un seul instant de
les remettre en cause. Il en veut pour preuve « La philosophie
africaine dans sillage de la négritude »26(*). Il s'agit en
réalité de ce courant de pensée qui s'est
développé en Afrique et abondant dans le même sens que le
Père Tempels dans son entreprise de restitution de la vision du monde
à la base de toutes les activités du Noir et qui serait sa
philosophie. Pour notre auteur un tel combat tant du point de vue
théorique qu'idéologique est un prolongement de la
négritude. La négritude est un mouvement politique, culturel qui
se fixe pour objectif la réhabilitation du nègre longtemps
nié et bafoué par les Occidentaux, par l'exaltation des
différentes manifestations de sa civilisation. Ainsi, à travers
notamment la littérature de pionniers comme Aimé Césaire,
L.S. Senghor, Léon Gontran Damas etc., ce courant de pensée a
identifié et valorisé tout ce que le Noir a de positif et de
différent et l'a mis en avant devant l'Europe pour prouver à
celui-ci que le Noir aussi a une culture, une civilisation avec toute sa
richesse et sa complexité. Une civilisation qui pour être
différente des autres, n'en demeure pas moins une et exige que le Noir
soit respecté, ne serait-ce qu'au nom du droit aux civilisations
d'être différentes. C'est ce droit à la différence
et le respect qu'il sous-entend dans le commerce inter-civilisationnel qui fait
le credo de la négritude. Sur le plan politique, la négritude
devient une plate forme de revendication du droit des pays d'Afrique à
l'autodétermination, à l'indépendance. La philosophie
africaine « dans le sillage de la
négritude » renvoie donc à la littérature
de ces intellectuels Africains qui espèrent dégager une
philosophie africaine à partir de l'étude de son champ
culturel ; une philosophie qu'ils essaieront de valoriser par la suite
pour mettre à mal la vision selon laquelle l'Afrique est
étrangère à la philosophie. C'est cette philosophie que
Towa observe dans les écrits de Alassane N'Daw27(*) et J. Basile Fouda28(*). Pour le premier cité
« une première déclaration d'indépendance
intellectuelle se fait jour par l'intention de fonder une philosophie de
l'homme africain qui montre que cet homme ne peut être conçu comme
un accident d'une substance qui serait l'Européen. La revendication
d'une dignité anthropologique propre constitue l'un des pôles de
cette pensée militante qui a pris conscience qu'elle n'aura de chance de
dévoiler l'essence de l'homme noir qu'autant qu'elle pourra le
considérer comme producteur d'oeuvres culturelles, de philosophie et
d'esthétiques »29(*). Ce qui transparaît dans cette réflexion
c'est le caractère idéologique de la mission que s'assigne
l'auteur. En fondant une philosophie propre à l'africain, il aboutit
à une autonomie intellectuelle (donc également politique) qui
fait qu'on ne le considère plus comme une substance contingente
appelée à se déployer selon le bon vouloir de l'Occident,
mais comme acteur de l'histoire de l'humanité et conscient de soi comme
tel. Donc une telle philosophie rentre dans le cadre d'une démarche
militante en faveur de la dignité de l'homme noir en tant que producteur
d'oeuvres culturelles, d'esthétiques, de philosophie etc. Ce qui reste
clair, néanmoins, c'est que la philosophie ainsi saisie est
différente de la philosophie occidentale notamment. Et Towa
relève que les auteurs dont il parle en sont conscients. Car pour
contourner les difficultés liées à leur démarche,
ceux-ci choisissent d'élargir la notion de philosophie. C'est ainsi que
pour A. N'Daw la philosophie africaine serait le résultat de
l'interprétation de toutes les oeuvres culturelles africaines afin de
dégager leurs caractéristiques générales. Cela
aurait l'avantage selon lui de dépasser « une certaine
idée de la philosophie considérée comme une vision du
monde systématiquement développée ou une tentative de
fondation intégrale du discours ».
Quant à J. Basile Fouda, pour lui la philosophie se
ramène au processus par lequel l'homme interroge le monde pour le
comprendre et l'expliquer, l'organiser et le totaliser. Cela signifie deux
choses: la philosophie n'est pas une activité coupée du monde,
bien au contraire elle est une interrogation de celui-ci en toutes ces
composantes (les phénomènes, les êtres qui y vivent, leurs
créations, interactions ...) afin de l'expliquer. La philosophie est
également l'acte par lequel l'homme organise le monde pour le saisir
comme un tout sur lequel il est appelé à se poser. Plus
concrètement, J. Basile Fouda procède par une méthode
qu'il appelle positivisme fonctionnel. Celle-ci consiste à
considérer les faits culturels comme les institutions, les moeurs, les
croyances tec, comme des réalités déjà là,
s'imposant au chercheur du dehors. Le tout serait à partir de là,
de parvenir à leur cohérence interne, leur structure pour en
saisir l'ensemble. Et c'est cela qui serait la philosophie africaine. Towa note
qu'en réalité cette méthode est une tentative de
réduire la philosophie à la culture. L'objectif poursuivi par les
auteurs en question est de fonder une philosophie originale parce que
différente de la philosophie occidentale. Cette dernière se
caractérise par le fait qu'elle établit une dichotomie entre
l'homme et l'univers. Ainsi l'homme va instrumentaliser ses connaissances pour
assujettir le monde à ses besoins. Alors le Noir voudrait vivre
« en communion » (p.28) avec la nature sans
vouloir la dominer. Ainsi sa philosophie n'a nul souci de soumettre cette
nature pour ne pas la corrompre. Elle est simplement « une
herméneutique du sens de l'homme et de l'univers » (p.28)
C'est en définitive contre cette philosophie qui fait
constamment référence au champ culturel africain pour le
valoriser par tous les moyens que Towa met en garde. Il trouve infondée
la spontanéité avec laquelle toute interprétation du champ
culturel négro-africain est transformée en philosophie. Pour lui,
dans le cadre de la problématique philosophique africaine, toute
philosophie, fut-elle africaine, doit au préalable de
« soumettre l'héritage philosophique et culturel
[africain] à une critique sans complaisance » (p.30).
Cela signifie que non seulement la philosophie ne saurait se limiter à
une interprétation pure et simple d'éléments
culturels ; mais aussi qu'elle n'est pas restitution mécanique ou
une vile répétition de ce qui est déjà là.
Elle doit être d'abord critique, dédoublement du penseur avec son
objet de pensée pour y poser sa réflexion claire et objective.
Par cette démarche, la philosophie africaine pourra éviter
certaines positions qu'il considère incompatibles avec la philosophie.
Il s'agit en l'occurrence des positions qui renvoient au « retour
aux sources », « l'exaltation de l'originalité et de
la différence » (p.24). Ces positions Towa les voit
poindre dans la littérature philosophique africaine. Elle ont conduit
à des travers qui selon méritent d'être
dénoncées. Car pour lui, pour lui « amener au jour
une authentique philosophie négro-africaine établirait à
coup sûr que nos ancêtres ont philosophé, sans pour autant
nous dispenser, nous, de philosopher à notre tour. Déterrer une
philosophie ce n'est pas encore philosopher ». (p.29). La
philosophie ne commence qu'avec la décision du philosophe, dans le
présent, de soumettre tout à la critique y compris son
héritage culturel. Cet héritage culturel est certes nôtre.
Le dévaloriser ou l'avilir reviendrait à abdiquer à ce
qu'on est et être condamnés à errer inexorablement vers une
"néo-culture" qui n'existe nulle part que dans nos idéaux
teintés du ressentiment de notre défaite face à l'occident
notamment. Cependant de là à assimiler systématiquement
toute manifestation culturelle africaine en philosophie, sans tenter un seul
instant d'identifier et de tenir compte de ses éventuelles facettes
négatives ou les contradictions théoriques que cela sous-tend
relativement à la philosophie en tant que discipline spécifique,
il y a un pas que Towa refuse de franchir. Cela d'autant plus que les
résultats auxquels ont conduit « cette quête d'une
philosophie négro-africaine originale
préexistante » sont loin d'être pertinents à
ses yeux. Le premier résultat est d'ordre terminologique (p.30). Car la
traditionnelle opposition entre les productions culturelles africaines et la
philosophie reste inchangée. C'est simplement que ces productions
prennent désormais « le nom de philosophie de telle sorte
que leur opposition avec la pensée occidentale devienne
intérieure à la philosophie » (p.30). Un autre
résultat est relatif à l'attitude des productions de la
pensée africaine relativement à l'ethnologie. Towa estime qu'au
lieu d'adopter à leur encontre le détachement objectif du
scientifique, les auteurs en quête d'une philosophie spécifique,
leur confèrent une valeur normative relativement à la
vérité et à l'action. Une telle attitude pose
problème car elle n'est ni ethnologique, ni philosophique. L'ethnologie
décrit, explique tout en évitant de s'engager explicitement.
Quant à la philosophie, elle est toujours une réfutation, une
argumentation, une démonstration. Alors que ce qui est donné ici
comme philosophie n'est ni philosophie, ni ethnologie. Mais un discours d'un
genre nouveau à cheval entre ces deux disciplines. D'où son
appellation d'ethnophilosophie (p.31). Il s'agit en fait d'un exposé
des mythes, rituels, croyance qui se transforme brusquement en profession de
foi métaphysique et militante. Le souci n'est plus de fonder ce qu'on
dit sur les critères objectifs, scientifiques qui existent en
philosophie et en ethnologie. Mais de produire quelque chose selon son bon
vouloir avec la seule obsession de nier la négation de son peuple par
l'Occident. A cet effet l'exposé des manifestations culturelles
échappe à tout questionnement, toute critique, mais il n'est que
le vecteur d'une idéologie dogmatique. « Pour cette raison
l'ethnophilosophie apparaît comme une théologie qui ne veut pas
dire son nom ». (p.32). L'autre travers de l'ethnophilosophie
est ce que Towa appelle la rétro-jection. « La
rétro-jection, c'est le procédé par lequel il (le
philosophe africain en quête d'une philosophie spécifique)
altère et défigure la réalité traditionnelle en
y introduisant secrètement dès le stade descriptif, des valeurs
et des idées actuelles pouvant être tout à fait
étrangères à l'Afrique, pour les retrouver au stade de la
profession de foi militante, «authentifiée» en vertu de leur
prétendue africanité» (p.32). En d'autres termes, par
ce procédé, l'intellectuel africain attribue une valeur actuelle
à la réalité traditionnelle passé et s'en sert
comme argument de revendication.
Telle est en substance, la situation de la philosophie
africaine dans le sillage de la négritude. C'est contre elle que
s'insurge Towa, notamment en tant que philosophie africaine spécifique
et originale restituée à partir d'une herméneutique du
champ culturel négro-africain. Pour notre auteur, cette philosophie
n'est qu'une ethnophilosophie. La tâche qui revient à toute
philosophie digne de ce nom est de commencer par soumettre avant tout cet
héritage culturel à une critique sans complaisance. Car pour lui,
pour le philosophe aucune donnée, aucune idée si
vénérable soit-elle, n'est recevable avant d'être
passé au crible de la pensée critique. La philosophie est
perçue par lui comme l'unique instance normative, décidant selon
ses principes, ce qui est sacré, absolu, mystique etc. ou non. La
philosophie n'accepte pas des priori de quelque nature que ce soit. Elle se
pose librement sur toute chose et décide toute seule de la mesure de
toute chose. C'est pourquoi il note que tous les grands philosophes commencent
par invalider les systèmes philosophiques existant avant eux.
Quant aux taches secondaires elles font
référence à la restitution de l'histoire de la
pensée africaine. Après avoir identifié le sens du rapport
de l'Afrique au monde actuel et la détermination de l'orientation
à lui assigner, les africains doivent également s'atteler
à retracer l'histoire de la pensée africaine. Cette
démarche inclut la pensée africaine passée et
présente. Elle incombe à toutes les disciplines du savoir donc
également la philosophie. Dans cette perspective plusieurs
thématiques de recherche se dégagent. C'est le cas « des
phénomènes de décadence ou de régression des
civilisations » (p.170). Cela suppose que nous partions du principe
qu'à un moment de l'histoire, des civilisations brillantes ont fleuri
sur le continent africain. Mais qu'à un autre moment donné ces
civilisations se sont atrophiées considérablement, quand elles
n'ont pas disparu. Towa voudrait également que des études soient
menées aux fins de prouver que « les éléments
fondamentaux de culture sont présents dans toutes les civilisations, et
que les différences entre celles-ci sont finalement des
différences de développement, d'actualisation de tel ou tel
aspect de la culture en général et non des différences de
nature ». (p.70) Cela permettra de lever les équivoques qui
ont conduit à notre négation par l'Occident. Les lacunes qui,
dans le passé ont conduit à notre défaite, doivent
être revisitées avec sévérité au lieu de la
complaisance qui « engendre l'autosatisfaction factice et la
stagnation dans notre présente condition de dépendance et
d'humiliation » (p.70). Towa, pour ce qui est du philosophe en
particulier invoque « rigueur et objectivité » dans la
restitution de l'histoire de la pensée africaine. Des ébauches
non négligeables ont été avancées dans ce domaine
notamment avec les travaux de Cheick Anta Diop30(*), mais il convient de les approfondir en se penchant
par exemple sur les limites de l'histoire africaine. Le regard doit
également être tourné vers l'enseignement de la philosophie
grecque en Afrique au moyen âge avec l'arrivée de l'islam. Si des
intellectuels en sont sortis, leur pensée doit être
recherchée et analysée. Il faut également
s'intéresser aux philosophes de la diaspora comme William Amo, d'origine
ghanéenne qui a enseigné dans les universités allemandes
au 18ème Siècle. Donc on peut schématiser en
disant que sur cette question Towa assigne à la philosophie les
rôles suivants :
q Retracer avec le maximum de rigueur l'histoire de la
pensée africaine
q étudier la tradition orale africaine dans ses
différentes manifestations, pour dégager la conception du monde
des africains
q Chercher à savoir si l'enseignement de la philosophie
grecque en Afrique de l'Ouest au moyen age, à la faveur de l'expansion
de l'islam n'a pas donné naissance à des oeuvres philosophiques
intéressantes
q Faire des recherches parmi les auteurs de la diaspora
africaine pour identifier les philosophes et étudier leurs oeuvres
En un mot, pour Marcien Towa, sur le continent africain, il y
a des taches qui reviennent à la philosophie. Parmi ces taches, il y a
les taches fondamentales et les taches secondaiares. Ces taches renvoient
concrètement aux différents rôles que la philosophie doit
jouer sur le continent africain. De manière générale
ceux-ci sont conçus chez lui comme devant contribuer à la marche
de l'Afrique vers la révolution démocratique ainsi l'instauration
sur le continent d'une culture littéraire et philosophique
différente de celle de l'ethnophilosophie et de la négritude
senghorienne. Cependant, de ces rôles rôles, nous devons
prodéder à une analyse critique pour mieux les comprendre et
éventuellement relever les éventuelle limites.
SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA
PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA
Dans Essai sur la problématique philosophique dans
l'Afrique actuelle Marcien Towa aborde des questions épineuses. En
le parcourant ce qui revient le plus c'est une volonté d'envisager la
problématique de la philosophie africaine sous un angle nouveau. Il
s'agit principalement pour lui, non seulement de critiquer la direction
empruntée par certains de ses devanciers, mais également de
proposer de nouvelles pistes à explorer pour que fleurisse sur le
continent une philosophie qui ne serait pas telle que sur le continent
africain. Mais une philosophie qui aurait droit de citer partout dans le monde.
C'est à cet effet qu'il considère que celle-ci doit fonctionner
comme cela a toujours été observé notamment dans la
tradition philosophique occidentale. En outre dans son optique, la philosophie
africaine ne doit pas être un discours sans importance,
c'est-à-dire ne reflétant rien de la vie quotidienne des
Africains. Mais une philosophie qui joue des rôles concrêts et
constructifs dans l'Afrique d'aujourd'hui et de demain. Cela l'a emmené
à défendre les positions qu'on vient d'énumérer.
Au risque de nous répéter les rôles que
doit jouer la philosophie sur le continent africain sont désignés
comme des taches. Dans ces taches on distingue les taches fondamentales et les
taches secondaires. Les taches fondamentales sont celles qui font
référence au devenir des peuples africains, leur dessein
fondamental. Au nom de celles-ci il estime la philosophie doit
déterminer et orienter la marche laborieuse des peuples africains vers
la saisie de leur dessein fondamental. L'attribution de ce rôle
répond à une certaine vision de la philosophie qui fait d'elle en
dernier ressort un discours théorique appelée d'une
manière ou d'une, à intervenir dans le devenir
général des hommes. Il faut préciser que Towa est
profondément séduit par les idées de Kwamé Krumah.
Quand on sait que ce dernier est panafricaniste convaincu, rêvant d'une
Afrique forte et unie, avec un même destin, on comprend aisément
le propos de Towa ici. Il rêve d'une Afrique sous forme d'Etat
centralisé, une Afrique dans laquelle il reviendrait à la
philosophie de fixer les objectifs à atteindre pour
l'amélioration de sa condition dans sa globalité. La philosophie
devient ainsi le vecteur de tout un continent vers son destin. Cette
manière d'envisager la philosophie est celle qui transparaît dans
la pensé de Kwamé N'Krumah. En effet ce point de vue se retrouve
dans Le Consciencisme. Pour Kwamé N'Krumah philosophie et
idéologie entretiennent des rapports féconds et constructifs
aussi bien sur le plan théorique que celui de la praxie sociale. La
philosophie n'est pas un discours essentiellement conceptuel coupé du
monde. Elle n'est que l'expression théorique discursive des
manifestations concrètes de la vie, des rapports sociaux de production
et d'échange dans la sphère de la superstructure. Mais cette
philosophie doit être au service de l'idéologie dominante. Pour
cela elle doit se présenter sous la forme d'un corps de doctrine qui
déterminera la nature générale de notre action consistant
à unifier la société dont nous avons
héritée. La philosophie devient ainsi toute idéologie
explicitement formulée dans un discours théorique. Cette
idéologie, N'Krumah la conçoit comme globalisante et vise
à unir le peuple au corps social. Elle décide à la
lumière des circonstances, de la forme des institutions et de la
direction à imprimer aux efforts communs. A la lecture de Essai sur
la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle on voit
aisément les penchants de Towa pour de telles idées, non
seulement en vertu de sa propre argumentation, mais aussi des termes
dithyrambiques qu'il use pour qualifier N'Krumah et sa philosophie.
De cette vision de la philosophie il se dégage deux
idées majeures : l'idée d'une philosophie commune et celle que
cette philosophie même soit à la solde de l'idéologie
dominante africaine. Sur le premier point notre auteur semble faire un virage
à cent degrés. En effet à la lecture de son ouvrage, tout
porte à croire que tout le projet de Towa vise à ruiner toute
idée de philosophie commune, surtout si celle-ci mise sur
l'originalité pour être brandie devant l'Occident comme certificat
d'humanité. Or une philosophie dans laquelle tous les africains se
retrouveraient, car seule habilitée à fixer leur dessein
fondamentale est déjà une philosophie commune, originale et
spécifique. Car elle se présenterait sous la forme d'un corpus
philosophique, mieux idéologique ayant la prétention d'être
la seule appropriée pour les peuples africains, et seule à
même de dire ce que doit être leur destin. En tant que telle et en
vertu des spécifiés indéniables de ces peuples par rapport
aux autres peuples du monde, cette philosophie aurait toutes les chances
d'épouser ces spécificités et d'être tout sauf
quelque chose d'universel. Alors même que le souci de Towa tout au long
de son livre nous a semblé proposer des pistes pour que naisse et
fleurisse une activité philosophique qui intégrerait cette
dimension d'universalité. En outre, faire de la philosophie un
instrument de l'idéologie, c'est purement soumettre celle-ci à
une autorité au lieu qu'elle soit ce discours libre, objectif dont le
seul absolu est l'absolu de la pensée. La philosophie devient
prisonnière de l'idéologie qu'elle sert, elle devient ainsi une
simple marionnette dont la possibilité même d'existence est
fixée en dehors d'elle, selon des critères qui ne peuvent pas
nécessairement lui seoir. De plus en tant que servante ou serveuse de
l'idéologie dominante, la philosophie devient la pensée unique
systématisée, la théorie de l'idéologie dominante.
Car nous savons qu'une idéologie a toujours ces théoriciens.
Ceux-ci qu'en tant que théoriciens d'un mouvement ayant des
visées politiques, économiques, stratégiques etc. sont
plus préoccupés par ces visées mêmes, selon des
circonstances qu'ils déterminent. La philosophie devient la
pensée unique des maîtres à penser au service des
intérêts singuliers de ces maîtres à penser. Au lieu
qu'elle soit cette libre tribune où les points de vue les plus
contradictoires peuvent être développés, combattus,
améliorés etc. selon les règles de la libre pensée,
la philosophie se mouvrait en une pseudo pensée illuminée ayant
la prétention d'être seule détentrice de la
vérité. Cette situation est toujours dangereuse car elle peut
avoir pour effet de donner une autorité sans borne à un individu
ou quelques individus selon qu'une propagande efficace est orchestrée
dans ce sens. Dans le même ordre d'idées, il semble illusoire de
vouloir faire de la philosophie une pensée qui se pense, une
pensée qui n'admet aucune autorité physique ou spirituelle ni
à côté d'elle, ni au dessus d'elle et en même temps
concevoir que cette pensée soit la même chez tout un peuple. Car
en la matière, la seule chose dont peut être sûre c'est
l'intentionnalité de la pensée. Autrement, que toute
pensée est pensée de quelque. Que ce que quelque chose soit la
pensée elle-même ou quelque qui ne soit pas une pensée, ne
change rien. Donc concevoir la philosophie de cette manière et dire
qu'elle doit être perçue et vouloir qu'elle soit
véhiculée par tout un peuple, c'est purement passer sous silence
les conditions mêmes de possibilité de cette pensée. Et ces
conditions sont généralement spécifiques à chaque
culture, chaque zone géographique, etc. Dans la perspective marxiste par
exemple, ces conditions seraient à rechercher dans le processus
hétéroclite où des individus entretiennent sans cesse des
relations complexes en tout genre dans le cadre de leur production
matérielle.
Il ressort de ce qui précède qu'en attribuant
à la philosophie le rôle d'élucidation de l'être dans
le monde des Africains et la détermination de la direction qu'ils
doivent emprunter pour un futur meilleur puisque devant conduire à la
révolution démocratique, Towa est ni plus ni moins entrain de
défendre les points de vue qu'il dénonce chez les auteurs de la
philosophie africaine notamment ceux « dans le sillage de la
négritude ». En réalité aucune philosophie ne
peut être la philosophie de tout un peuple au sens où elle
défendrait des thèses qui engagent l'ensemble de ce peuple. Bien
au contraire elle est d'abord et avant tout une opinion individuelle
emmenée à être combattue ou améliorée dans un
débat sans cesse rebondissant où ce qui a été dit
antérieurement est amendé ou enrichi par des propositions
nouvelles, selon les problématiques nouvelles. Seuls les
prophètes ou quelques "illuminés" peuvent véhiculer une
philosophie de tout le monde appelée à être
acceptée par delà l'espace et le temps. Et ce, pour cela seul
qu'ils se font passer pour messagers de Dieu ou quelque êtres
transcendantaux, ce qui est du reste toujours difficile à confirmer
où à infirmer.
Un autre argument de Marcien Towa dans Essai sur la
problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est que la
philosophie doit procéder à une critique sans complaisance de
l'héritage culturel et philosophique africains. Il faut savoir replacer
cette position dans le contexte général de la pensée de
l'auteur. Pour lui en effet, la philosophie africaine doit pouvoir
dépasser l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne pour
être une discipline apte à porter ce nom; une discipline qui
existe et fonctionne à la manière de ce qui a été
considérée comme telle, notamment dans la tradition occidentale.
Et que dans cette tradition elle-même la conception de Hegel seul, du
fait de sa notoriété tant dans le bloc socialiste que
capitaliste, suffit à donner une image satisfaisante de la philosophie.
C'est au nom de cette vision de la philosophie qu'il lui attribue le rôle
de critiquer sans complaisance l'héritage culturel et philosophique des
peuples africains. Pour lui donc, abondant dans le sens de Hegel, la
philosophie est la pensée reposant sur elle-même, ne souffrant
d'aucune autorité à côté d'elle ou au dessus d'elle.
Cela signifie que pour la philosophie rien n'est accepté comme vrai qui
n'ait été reconnu comme tel par la pensée elle-même.
Cette conception fait de la pensée un attribut pour le moins puissant et
incontournable de l'homme, seule capable de différencier le vrai du
faux. La philosophie par ailleurs s'exprime dans le concept. Le concept est une
notion dynamique qui s'exprime et se développe dans le réel. Aux
yeux de Hegel, le concept représente l'élément de rigueur
qui permet de construire un savoir universel, valable pour tous. La philosophie
doit opter pour la détermination conceptuelle si elle ne veut pas
s'anéantir comme science. Ainsi donc Hegel voudrait rapprocher le
discours philosophique de la science pour qu'il ait plus de rigueur et
d'objectivité. Par cela donc Hegel voudrait que le philosophe soit
guidé dans ses recherches par sa seule raison et n'admette aucune
autorité venant du dehors, si elle n'est pas admise comme telle par
cette même raison. En cela la philosophie s'oppose à la religion,
notamment les religions dites révélées. D'une part
celles-ci se donnent comme un ensemble de rites, de cultes fondés sur
des principes dogmatiques auxquels les adeptes doivent croire sans
questionnement. Mais surtout enseignés par quelques prophètes qui
prétendent être des envoyés de Dieu, pour aider
l'humanité à suivre la voie du créateur. En outre la
religion considère que l'esprit humain est borné, limité,
inapte à s'élever jusqu'à certaines vérités.
Hegel ne nie pas la finitude humaine de manière générale.
Mais pour lui une exception doit être faite du côté
où il est esprit : «le fini concerne les autres modes
d'existence ..., mais quand, comme esprit, il est esprit alors il ne
connaît pas de limites. Les bornes de la raison ne sont que bornes de la
raison de ce sujet là mais s'il se comporte raisonnablement l'homme est
sans bornes, infini » (p.62). La philosophie ainsi
appréhendée fait de la pensée humaine libre, infinie, le
point de départ et le point d'arrivée de la chose, elle est
principe d'elle-même donc absolue. En cela la philosophie
détrône la religion qui occupait déjà cette place.
Hegel considère d'ailleurs l'histoire de la philosophie comme l'histoire
de la lutte de celle-ci contre l'autorité religieuse. Il estime
seulement qu'un consensus peut être trouvé à cette
interminable querelle entre philosophie et religion. Mais dans les termes
fixés par la philosophie, c'est à elle que revient la tâche
d'interpréter les représentations religieuses, mythologiques pour
décider ce qu'il y a de vrai. C'est à la philosophie en tant que
pensée libre qu'incombe d'analyser les manifestations religieuses. Si la
philosophie rencontre ses catégories dans le discours ou la
représentation religieuse, elle est fondée à rendre compte
mais l'inverse est impensable «parce que la conception religieuse ne
s'applique pas à la pensée» (p.64). Hegel exclut
également de la philosophie, « la philosophie
populaire » telle qu'elle existe dans le romantisme de
Jacobi31(*) et de
Schleiermacher32(*), la
philosophie écossaise du sens commun33(*) ou dans les écrits de Cicéron34(*). Dans tous ces courants de
pensée, tout repose sur l'instinct moral, le sentiment du droit ou du
devoir etc. Autrement sur des notions subjectives susceptibles
d'interprétations aussi différentes que variées selon les
individus, les cultures, etc. ; de telle sorte que le contenu d'une
pensée peut revêtir telle forme, telle signification chez un
penseur et telle autre chez un autre; sans qu'un critère objectif de
vérité ne puisse être trouvé. Cela s'oppose
diamétralement à l'optique hégélienne qui met cette
scission même de la pensée au point de départ du besoin de
philosopher. C'est pourquoi il estime que « quand la puissance
d'unification disparaît de la vie des hommes et que les oppositions ont
perdu leur rapport vivant, leur action réciproque, et deviennent
indépendantes, alors naît le besoin
philosophique».35(*). En cela la philosophie se présente, comme une
entreprise s'efforçant de mettre fin à la séparation, le
déchirement de l'humanité. Quand les hommes ne sont pas en mesure
d'unifier leur champ théorique, spéculatif, historique, la
philosophie tente de répondre au besoin fondamental d'unité de
l'esprit. Cette démarche s'oppose à la philosophie populaire qui
recherche plus « l'édification par l'enthousiasme
enflammé pour le beau, le sacré, ou la religion. Elle croit
trouver dans ce zèle brûlant un raccourci vers le vrai, lui
épargnant de suivre le long chemin de culture philosophique le mouvement
riche et profond à travers lequel seul l'esprit parvient au savoir
». (p.65) Le résultat est que dans ces conditions certaines
notions, certaines propositions échappent à la discussion et sont
considérées de facto comme vraies. Et à celui qui
avancerait un point de vue différent on rétorque qu'il fait
preuve d'aveuglement ou de mauvaise foi. Le recours au sens commun, à
la pureté de conscience et du coeur font de la vérité un
dogme auquel tous les hommes sont censés soumettre.
En un peu de mot c'est la philosophie conçue de cette
manière qui a séduit Marcien Towa pour que sur la
problématique philosophique africaine, il lui assigne entre autres
rôles, la critique sans complaisance de l'héritage culturel
négro-africain et philosophique. Cette thématique
intéresse tout africain à plusieurs égards. L'Afrique a
longtemps subi le choc avec les autres civilisations. Elle a enduré
plusieurs siècles d'esclavage au cours desquels ses bras valides ont
été déportés. Elle a connu la colonisation avec son
cortège de mauvais traitements, de travaux forcés,
d'expropriation, d'endoctrination de cultures venues d'ailleurs et
incompatibles avec sa culture antérieure. De nos jours elle est dans une
large partie le théâtre de conflits sanglants, elle à la
solde de dirigeants marionnettes des puissances occidentales et le processus de
pillage humain et économique de ses ressources continue de plus belle.
Cependant, ce qu'on n'a pas complètement arraché à
l'Afrique c'est sa culture, dans sa diversité et sa profondeur. Certes
la jeunesse actuelle est en train de se détourner des valeurs issues de
cet héritage culturel et d'adopter aveuglément tout ce qui vient
d'Occident. Et cela, du fait notamment de l'envahissement du continent par la
culture occidentale à travers des vois supposées
d'échanges et d'intercommunications constructives comme la
télévision, les NTIC. Cependant cela ne suffit pas pour faire
disparaître cet héritage culturel36(*). Il est donc notre richesse, notre point de
repère, ce que nous pouvons avancer dans le contact sans cesse croissant
avec les autres civilisations. Néanmoins de là ériger
toute interprétation de cet héritage culturel en philosophie
africaine il y a un pas que Towa refuse de franchir, mais plus que cela il lui
adresse la critique virulente ci-dessus. A juste titre peut-être.
Cependant le fait d'amorcer cette critique dans le champ spécifique
occidental et poser la philosophie de ce champ comme seule capable de l'amorcer
expose l'argumentation à des réserves. En effet le seul fait de
transporter cet héritage culturel dans une sphère
spécifique, avec ses exigences en termes de catégorie, de cadre
conceptuel donne l'impression de fausser le débat avant même de
l'avoir amorcé. Cette nécessité d'utiliser un cadre
théorique et conceptuel étranger à l'Afrique pour traiter
des sujets africains est une reconnaissance tacite de son inexistence dans
notre continent sans même faire de la recherche informée sur la
question. Alors même que la construction de ce cadre seulement, qu'il
soit propre à toute l'Afrique en général ou en fonction de
sa multiple et complexe composition culturelle, est un défi qui se pose
au chercheur Africain. Cette tache était reconnue comme une tache
urgente par Wilmot Blyden37(*) en son temps, qui dans ses écrits posait le
problème de la détermination ou l'invention d'un discours
théorique propre à rendre compte de la pensée du
négro-africain à partir de champ culturel propre. En cela
Pathé Diagne considère qu'il est un précurseur en la
matière et considère que cette problématique doit
être poursuivie et approfondie. En effet faute de son existence,
l'universitaire africain actuel échappe difficilement à
l'influence de l'Occident. Ayant une formation occidentale, il aborde toute
thématique selon les catégories de cette formation même si
celles-ci sont incompatibles avec le contexte de la problématique
considérée. D'autre part le fait d'avancer comme modèle de
critique de l'héritage culturel africain la philosophie occidentale en
soi semble inopportun. C'est au sein de la littérature occidentale que
le monde négro-africain a eu ses plus farouches négateurs. Les
thèses racistes et négationnistes d'un comte de Gobineau ou
Levy-Bruhl sont connues de tous. Sont connues également toutes les
tentatives d'éminents penseurs Occidentaux de faire de la philosophie
l'apanage de leur civilisation. Mais il y a plus. Dans cette cacophonie
où le Noir est tout sauf un homme, se mêle la voix de Hegel avec
la minutie qu'on lui connaît. On sait que dans son acception le Noir est
l'être dans sa sauvagerie et sa pétulance; qu'il faille faire
abstraction de tout sentiment humain pour l'appréhender à sa
juste valeur. Pour cet être il suggère un esclavage des plus
dégradants pour lui insuffler un peu d'humanité. Comme on le voit
ériger la philosophie occidentale en modèle de critique des
cultures négro-africaines et de surcroît justifier cela selon la
conception de la notion de philosophie d'un Hegel affaiblit fortement
l'argument de notre auteur. Towa lui même est conscient de la
difficulté de sa démarche. C'est pourquoi il suggère de
distinguer dans la position hégélienne la détermination du
concept de philosophie et le refus de cette discipline aux peuples non
occidentaux. Sur le premier point, il estime que Hegel fait partie des plus
grands dans l'histoire de la philosophie, donc il est bien placé pour
définir sa discipline. Quant au second point, Towa trouve sa position
suspecte au regard de sa sous information sur les cultures non occidentales et
ses penchants impérialistes. Cependant la question est ailleurs :
il est question de savoir pourquoi, même connaissant les thèses
racistes et esclavagistes de Hegel, Towa persiste à poser sa philosophie
comme le fondement de notre acte philosophique ? Cette attitude fait ressortir
une fidélité dogmatique de Towa à la philosophie
occidentale en général et hégélienne en
particulier. Il convient de souligner depuis la première publication de
Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle
en 1971, la position de Towa sur cette question ont fortement varié.
En effet environ dix ans par cet ouvrage Marcien Towa a
publié un autre ouvrage intitulé L'Idée d'une
philosophie négro-africaine. Dans cet autre ouvrage notre auteur,
certainement compte tenu de toutes les critiques que Essai sur la
problématique philosophique a suscité, a considérablement
changé de point de vue à propos de l'héritage culturel
africain. Plus précisément, au lieu d'adopter à son
égard cette attitude négative faite de méfiance, de
suspicion où il considère qu'il y a certainement en cet
héritage culturel la spécificité qui fut responsable de
notre défaite face à l'Occident, il y décèle
« l'existence d'une tradition philosophique profonde remontant
à la plus haute antiquité qui soit »38(*). Pour montrer la profondeur du
revirement de Towa à ce propos soulignons les grandes lignes de cet
ouvrage.
Pour Towa, encore une fois la démarche la plus
appropriée consistera de partir de l'interrogation de l'existence ou non
d'une philosophie africaine. Dans cette perspective il pense qu'il y a la
philosophie comme pensée de l'absolu et il y a également des
philosophes. Donc pour saisir la notion de philosophie africaine, il faut au
préalable élucider le concept de ce que les Européens
désignent par « philosophie ». Car ce sont eux qui
ont formulé le syllogisme raciste selon lequel :
« L'homme est un être essentiellement
pensant, raisonnable
or le nègre est incapable de pensée, de
raisonnement. Il n'a pas de philosophie, il a une mentalité
prélogique, etc.
donc le Nègre n'est pas vraiment un homme et peut
être à bon droit, asservi, traité come un
animal ».
Towa pense qu'il y a deux manière de réfuter ce
syllogisme raciste et impérialiste : soit en élargissant le
sens du mot philosophie pour le ramener à celui de mythe , soit en
conservant au mot philosophie son sens rationnel et en montrant que les
Africains ont produit quelque chose de semblable ou qu'ils sont en mesure de le
faire. Il choisit donc cette deuxième solution et fait un exposé
sur les civilisations de l'Egypte pharaonique et celles du reste du continent.
Concernant les civilisations pharaoniques, s'appuyant sur des textes des
Ecritures saintes comme le papyrus 1350 du musée de Leyde (1300-1200
avant Jésus Christ), le Livre des Morts notamment, il arrive à la
conclusion qu'il a existé dans cette partie du continent une philosophie
qui remonte à des millénaires avant Thalès, le premier
présocratique. Ensuite, se penchant sur le reste du contient, notamment
en Afrique Noire, il s'intéresse à la tradition orale, plus
particulièrement les contes qui, selon lui ont principal souci
d'enseigner la ruse, la prudence et la réflexion. Il en dégage
des idées fortes comme :
- La pensée africaine traditionnelle ne place rien
au-dessus de l'intelligence
- La pensée africaine traditionnelle refuse de
reconnaître à quiconque le monopole de l'intelligence et de la
perfection éthique, etc.
Toutes choses qui lui permettront de prétendre que la
pensée de l'Afrique Noire a suffisamment de ressemblances avec celle de
l'Egypte antique pour qu'on soit autorisé à lui attribuer une
tradition philosophique qui remonte à la plus haute antiquité.
Ce qui ressort ici, c'est Towa ne rejette plus comme il le
faisait quelques années plutôt l'héritage culturel et
philosophique africain. Mais il se base sur lui pour établir l'existence
d'une philosophie africaine. Il faut reconnaître avec Tshiamalenga
N'Tumba que Towa avait une conception absolutiste et idéalisante de la
philosophie. Cela l'a poussé à avancer des positions comme :
« La philosophie ne commence qu'avec la décision de
soumettre l'héritage culturel et philosophique à une critique
sans complaisance », Pour la philosophie, aucune idée ...
n'est recevable avant d'être passée au crible de la pensée
critique », La philosophie est peut-être la seule discipline
qui a le courage et la force de soumettre l'absolu à la
discussion » etc. Le moins qu'on peut dire c'est que entre la
publication de ces deux ouvrages les positions de notre auteur ont bien
changé. Et s'il persistait à défendre de tels points de
vue, on pourrait toujours lui demander ce qu'il y a réellement de
critique ou d'autocritique chez les Présocratiques et bien d'autres
penseurs anciens, médiévaux, modernes et contemporains que les
historiens de la philosophie appellent cependant philosophes. Kant, le
maître de la critique, celui même qui a voulu critiquer la raison
en sa faculté de connaître, a-t-il jamais critiqué par
exemple son sujet transcendantal ?
Enfin Towa propose comme rôle de la philosophie, la
restitution de l'histoire de la pensée africaine. Il s'agit d'une
thématique très pertinente eu égard aux vastes enjeux
qu'elle recouvre. Cela rentre d'ailleurs parfaitement dans l'objet
d'étude de la philosophie qui en plus d'être l'effort de saisie de
l'origine de toute chose, l'amour de la sagesse, l'élucidation de
proposition analytique etc.; est le discours portant sur son propre
déploiement dans l'histoire humaine. Pour le cas de l'Afrique que le
contact avec l'Occident a failli emporter, il est plus qu'impérieux de
savoir ce qui était la pensée africaine avant ce contact,
après ce contact, mais aussi perdant ce contact. Cependant il
transparaît chez Towa une certaine suspicion qui fait que selon lui cette
tache doit être menée avec sévérité. Cela
dénote d'un état d'esprit négationniste qui
présente le risque d'emmener le chercheur à trouver tout, sauf ce
qu'il cherche. Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. A
l'encontre de cela, il convient plutôt d'entreprendre des recherches
sérieuses, sans préjugés. De plus sur cette question, l'un
des points qui fait débat et sur lequel il ne se prononce pas
explicitement, c'est le cadre théorique et conceptuel qui doit
être utilisé pour retracer l'histoire. Faut-il utiliser les
méthodes de la tradition scientifique et philosophique occidentale ou
inventer un cadre spécifique propre au champ négro-africain?
Pour résumer, retenons que dans son ouvrage propose
des tâches spécifiques et pertinentes qu'il incombe à la
philosophie de remplir dans la problématique philosophique africaine.
Ces tâches sont concrètes et marquent une véritable rupture
avec les conceptions de ses devanciers. Cependant, sa propension à ne
ramener la philosophie qu'à ce qu'elle désigne dans la tradition
occidentale, le fait tendre vers l'eurocentrisme. C'est certainement conscient
de cela qu'il a reconsidéré certaines de ses positions, notamment
celles relatives à l'héritage culturel africain.
CHAPITRE III : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS SUR
« LA PHILOSOPHIE AFRICAINE » CRITIQUE DE
L'ETHNOPHILOSOPHIE
Paulin Hountondji est consédéré comme le
chef de fil du courant critique de l'etnophilosophie en Afrique. Ces prises de
position tranchées dans « Sur la philosophie
africaine » critique de l'ethnophilosophie, concernant
particulièrement le statut théorique de la philosophie et le fait
d'ériger l'écriture en condition nécessaire de toute
philosophie, font croire que l'Afrique précoloniale en particulier n'a
pas connu la philosophie. Cependant puisque son projet s'inscrit dans la
perspective de la problématique philosophique en Afrique, il est
important d'analyser les rôles qu'il y assigne à la philosophie.
Ce sera le but de chapitre qui sera amorcé par une brève
étude biographique et bibliographique de Paulin Hountondji.
SECTION 1 : ETUDE SOMMAIRE DE L'OUVRAGE DE PAULIN
HOUNTONDJI
Né à Abidjan en 1942, Paulin J. Hountondji est
béninois. Ancien élève de l'Ecole Normale
Supérieure de Paris. Il a eu comme professeurs de grands nom de la
philosophie comme
Louis
Althusser,
Jacques
Derrida,
Paul
Ricoeur et
Georges
Canguilhem. Agrégé de philosophie, docteur ès lettres,
À partir de
1967,
lui-même a enseigné la philosophie à l'université
des
Besançon.
Il a également enseigné dans les Universités africaines,
l'Université de
Kinshasa
de
Lubumbashi
(ex-
Elisabethville).
En
1972
il est nommé chef de la chaire philosophie de l'Université
nationale du
Bénin
où il est aujourd'hui encore en tant professeur de philosophie.
En
1974, il est nommé
Doyen
de la Faculté de Lettres de ladite Université. Il a
contribué à la démocratisation des pays africains en
général et du Benin en particulier en développant des
critiques virulentes contre lmes dictatures militaires. Ministre de l'Education
au lendemain de la Conférence nationale, puis ministre de la culture et
de la communication, ensuite chargé de mission du Président de la
République, il démissionne en octobre 1994 pour reprendre son
enseignement à l'Université. Son activité
académique est intense et de renommée internationale. Ainsi il
est co-lauréat du prix Mohamed El Fasi 2004. Il dirige à
Porto-Novo le Centre africain des hautes études. La version
américaine de son livre Sur la « philosophie africaine » :
critique de l'ethnophilosophie (Paris, Maspero 1976) a
été couronné en 1984 du prix Herskovits. L'ouvrage figure
sur la liste des 100 meilleurs livres africains du XXème
siècle établie à Accra en 2000. Hountondji a publié
plus récemment The Struggle for Meaning : Reflections on Philosophy,
Culture and Democracy in Africa (Ohio University Press, 2002). Il
dirige plusieurs publications collectives dont Les savoirs endogènes
: pistes pour une recherche (CODESRIA39(*), 1994), il a été vice-président
du Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines et
vice-président du CODESRIA.
Sur « la philosophie africaine »
critique de l'ethnophilosophie est l'une des principales productions
littéraires et philosophique de Paulin Hountondji. Dans cet ouvrage,
comme il l'indique lui-même, il se propose de circonscrire une certaine
littérature africaine (qu'il qualifie d'ethnophilosophie), en
dégager les thèmes majeurs, montrer quel en a été
jusque là la problématique et rendre problématique cette
problématique (p.12). Ainsi Hountopndji critique l'ethnophilosophie pour
montrer qu'il n'existe pas de philosophie collective, unanimiste et
inconsciente comme le prétendent les ethnophilosophies à la suite
de Tempels. Il se donne pour tache de définir un nouveau concept de
philosophie africaine ainsi que les conditions favorable à l'essor d'une
véritable culture philosophique sur le continent africain. Son livre
présente une structure en deux parties et un post-scritum.
La première partie est intitulée argument et se
subdivise en quatre chapitres. Le premier chapitre a pour titre
« Une littérature aliénée ».
Dans celle-ci, il se propose de circonscrire la problématique de
l'ethnophilosophie et rendre problématique cette problématique.
Plus précisément il analyse le discours ethnophilosophie et tente
de dégager ses carences. Il s'articule autour des critiques des ouvrages
de Tempels et de Kagamé. Il y montre que leur discours n'est pas
destiné aux Africains, mais aux Européens, dans une
démarche arbitraire où ceux-ci se font les portes paroles de
l'Afrique globale devant l'Europe globale. Il estime que leur prétendue
philosophie n'est en réalité qu'une ethnophilosophie et qu'il y a
urgence de réorienter la problématique philosophique africaine
sur l'Afrique et de soumettre le discours philosophique aux Africains
eux-mêmes. Le second chapitre s'intitule « Histoire d'un
mythe ». Ici Hountondji se propose de révéler les
raisons théoriques qui sont à la base de l'émergence de
l'thnophilosophie. Il considère que cela est à mettre sur le
compte d'une confusion sur le terme philosophie. La confusion d'un usage
populaire, idéologique et d'un usage scientifique, rigoureux du terme de
philosophie. De plus selon lui, cette confusion ne s'explique pas par une
méconnaissance mais par le désir intense qui animait les
Africains de se réhabiliter à leurs propres yeux et à ceux
des Occidentaux. Dans le troisième chapitre qui porte le titre de
« L'idée de philosophie », il se propose de
montrer que :
o Que jusque là l'expression "philosophie africaine"
n'a fait l'objet que d'une exploitation mythologique dans l'énorme
littérature qui est considéré
o Qu'il est néanmoins possible de la
récupérer pour l'appliquer à autre chose que cette fiction
d'un système de pensée collectif, à savoir un ensemble de
discours, de textes philosophiques
Dans le chapitre 4, intitulé « La
philosophie et ses révolutions » Hountondji montre
que :
o La philosophie est une histoire et non un système,
qu'elle est un processus essentiellement ouvert, une recherche inquiète
et inachevée et non un savoir clos
o Cette histoire ne procède pas par évolution
continue, mais par saut et bonds successifs
o La philosophie africaine est peut-être entrain de
d'opérer aujourd'hui sa première mutation vers la construction
l'éclosion d'une véritable culture philosophique sur le continent
africain
En un mot, dans ce chapitre l'auteur se propose de
dégager une théorie de la philosophie comme histoire. Pour lui
dès l'instant que des textes sur la philosophie africaine existent
commence un débat pluraliste dans la philosophie africaine; débat
qui est le propre de toute philosophie.
La deuxième partie s'intitulé
« Analyses » et est étroitement liée
à la première. Car il se fonde sur les arguments de cette
dernière pour avancer des analyses de certains auteurs qu'ils
considère comme faisant partie de ceux qui, dans une certaine mesure,
produisent des textes qu'il faut ranger dans la littérature
philosophique africaine. C'est le cas de Antoine Guillaume Amo, de Kwamé
N'Krumah. Dans cette seconde partie il analyse également le pluralisme
culturel. L'ouvrage se termine par un post-scritum qui s'ouvre par une critique
politique du discours ethnophilosophique et une analyse de Essai sur la
problématique philosophique dans l'Afrique actuelle de Towa. Cette
critique permet à l'auteur d'avancer trois thèses fondamentales
sur les rapports philosophie-science, philosophie-idéologie et
philosophie-politique. Les idées ainsi développées
traitent de trois thèses principales : de la critique de
l'ethnophilosophie, du statut de la philosophie africaine ainsi que des
conditions de l'essor de la pensée philosophique en Afrique.
Concernant la critique de l'ethnophilosophie, il en analyse
la problématique, les fondements, les démarches et les fonctions
idéologique de celle-ci. Pour lui, « l'ethnophilosophie
est une philosophie qui se prend à tort pour une métaphilosophie,
une philosophie qui plutôt que de fournir ses propres justifications
rationnelles se réfugie paresseusement derrière l'oralité
d'une tradition et projette dans cette tradition ses propres thèses, ses
propres croyances » (pp.65-66). Du point de vue de sa
genèse l'ethnophilosophie était déjà en gestation
dans la négritude dont le développements métaphysique
remonte à l'année 1939. Cependant l'ethnophilosophie ne prend
effectivement corps qu'à partir de la publication de La Philosophie
Bantoue du Père Tempels. L'ethnophilosophie, tout comme la
négritude se propose de dégager et de rendre compte d'une
pensée, d'une culture, en un mot d'une civilisation africaine unanimiste
qui, en réalité n'existe nulle part que dans la pensée du
chercheur lui-même. Cela procède à ses yeux d'une confusion
d'un usage populaire, idéologique du concept de philosophie et d'un
usage rigoureux, scientifique. En effet dans chaque société il
existe une pensée spontanée véhiculée par la
littérature orale et se traduisant dans la vie concrète du groupe
par des attitudes existentielles comme les coutumes, les traditions, les rites
et de comportements de toutes sortes. Cette pensée est une vision du
monde, un système de représentation du monde sous-jacente au
comportement de l'individu et du groupe. Il s'agit d'un élément
stable qui subsiste au changement, à l'évolution, il est comme
innée, substantiel au sujet. Sous ce rapport, l'ethnophilosophie
échappe au temps, elle une philosophie inconsciente, enfouie dans le
psychisme collectif marquant ainsi une identité culturelle du groupe.
Mais sous cet angle, elle n'est pas non plus une philosophie, mais une aptitude
à la philosopher qui du reste est présente dans toutes les
sociétés humaines. Cependant pour Hountondji, la philosophie au
sens théorique et scientifique est une discipline spécifique dans
la connaissance humaine, elle est une discipline particulière ayant un
objet particulier et une méthode déterminée. Une
discipline prenant corps dans une littérature écrite, car pour
lui la forme écrite est la seule concevable de l'existence historique de
la philosophie et la seule condition de son développement et de son
progrès dans une société quelconque.
A la suite de cela Hountondji se penche sur le statut de la
philosophie africaine. Comme nous venons de voir, à ses yeux elle
relève essentiellement de l'ethnophilosophie. Cependant elle peut
être considérée comme faisant partie de la philosophie
africaine. Car la philosophie est essentiellement un ensemble de textes,
« l'ensemble précisément des textes écrits
par les philosophes africains et qualifiés par leurs auteurs
eux-mêmes de philosophiques ». Cette définition lui
permet de marquer les divergences entre les auteurs africains et faciliter
l'intégration à la philosophie africaine de travaux
philosophiques africains comme ceux de Towa, Fabien Eboussi Boulaga ou autres
Henri Oruka Odera. De plus cette définition de la philosophie africaine
ne doit pas occulter le fait que dans sa majorité, la littérature
qui lui est consacrée n'a jusque là fait l'objet que d'un usage
mythologique et qu'il importe donc de la transformer « en
véhicule d'une discussion exigeante et libre entre les philosophes
africains eux-mêmes ». Enfin Hountondji explore les
conditions de l'émergence de la pensée philosophique en Afrique.
Pour lui, la pratique philosophique suppose une terminologie, un vocabulaire et
tout un appareil conceptuel légué par la tradition philosophique
existante. La réflexion philosophique en Afrique doit s'engager sur
cette voie. Il en veut pour preuve le fait que la philosophie n'est pas un
système clos et achevé, mais un débat sans cesse
contradictoire qui se transmet de génération en
génération et dans lequel chaque philosophe est responsable de
ses idées. La démarche philosophique est comparable à
celle de la science, autrement dit toute nouvelle théorie se
réalise par dépassement dialectique. Pour expliquer cette
parenté entre science et philosophie il reprend Marx et Engels lorsque
ceux-ci affirmaient que la philosophie « n'est pas autonome et ne
tire pas d'elle-même les lois de son propre développement mais
elle est déterminée en dernière analyse par l'histoire la
production des biens matériels et des rapports sociaux de
production ». Pour expliquer cette situation elle-même, il
part d'une hypothèse d'Althusser contenue dans Lénine et la
philosophie: « la philosophie n'a pas toujours existé;
on observe l'existence de la philosophie que dans un monde qui comporte ce
qu'on appelle une science ou des sciences. Science au sens strict : discipline
théorique c'est-à-dire idéelle et démonstrative et
non un agrégat de résultats empiriques... Pour que la philosophie
naisse ou renaisse, il faut que les sciences soient. C'est peut-être
pourquoi la philosophie au sens strict n'a commencé qu'avec Platon,
provoquée à naître par l'existence de la
mathématique grecque, a été bouleversée par
Descartes, provoquée à sa révolution moderne par la
physique galiléenne; a été refondue par Kant sous l'effet
de la découverte newtonienne; a été remodelée par
Husserl sous l'aiguillon des premières axiomatiques »
(p.27). Pour cette raison il importe plus en Afrique de
« promouvoir ce qu'on pourrait appeler une science, une recherche
scientifique africaine. Ce n'est pas de la philosophie, c'est d'abord de la
science que l'Afrique a besoin ». La science est donc
perçue comme la condition de l'émergence de la philosophie. Or la
condition première de la science c'est l'écriture. Dans ces
conditions Hountondji estime que les civilisations africaines ne pouvaient pas
donner naissance à une science au sens le plus strict et le plus
rigoureux du terme aussi longtemps qu'elle n'avaient pas subi la profonde
mutation dont elles sont aujourd'hui sujets, mutations qui les traveraille de
l'intérieur et font d'elles petit à petit des civilisations de
l'écrit.
SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE CHEZ PALUIN
HOUNTONDJI
Paulin Hountondji écrit dans la perspective du
débat sur la philosophie africaine. Comme Towa il est contemporain de la
naissance de ce débat. Avant lui des choses ont été dites,
des pistes ont été envisagées et parcourues. Surtout un
vaste mouvement littéraire a vu le jour et produit un ensemble non
négligeable de textes. Le livre de Hountondji est donc une prise de
position dans ce débat. Comme le titre même l'indique, il
écrit sur la philosophie africaine. Plus précisément il se
propose de faire une critique de l'ethnophilosophie. Comme on vient de le voir
cette critique traverse de bout l'ouvrage Hountondji, mais au-delà, il
estime que sur le continent africain il existe des rôles qui sont
dévolus à la philosophie. Parmi ceux-ci il y a celui qui consiste
à transformer la littérature philosophique africaine existante
« ... en véhicule d'une discussion exigeante et libre
entre les philosophes africains eux-mêmes ». En effet pour
Hountondji la philosophie africaine existe, elle existe comme sous tous les
cieux sous la forme d'une littérature. C'est ce qui explique cette
affirmation dès le début de son livre selon la
« philosophie africaine, un ensemble de textes: l'ensemble,
précisément, des textes écrits par les africains et
qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes de philosophique »
(p.11). Cette littérature, variée et abondante existe depuis
plusieurs années, cela est indiscutable. Elle ne prend en
considération que les auteurs africains et de sa diaspora. Sont exclus
tous les auteurs étrangers à l'Afrique même si ceux-ci
traitent dans leurs écrits de thèmes exclusivement africains.
Elle a été inaugurée fin 19ème
siècle début 20ème siècle par des
ethnologues occidentaux qui se sont intéressés au continent
africain pour des raisons diverses. Il peut s'agir d'études
ethnologiques du peuple noir mais qui par la suite donne lieu à des
généralisations pour le moins hâtives. Les
sociétés africaines ont été aussi perçues
comme des sociétés statiques, sans histoire à
côté de la civilisation occidentale ultra-technicienne, ultra-
matérialiste. Un tournant décisif a été
opéré dans cette littérature en 1945 avec la publication
de La Philosophie bantoue du R.P Tempels, un missionnaire belge en poste
au Congo Belge. Cet ouvrage était une monographie où l'auteur
recensait toutes les interrogations que ses collègues occidentaux se
posaient sur les noirs en général. A ces interrogations il
fournissait des réponses précises à partir d'une
étude ethnologique du champ culturel bantou. Le but étant de
faciliter la voie aux colonisateurs et aux missionnaires dans le cadre de la
mission civilisatrice. Cette étude a eu pour résultat de faire
ressortir la vision du monde sous-jacente à toutes les actions et
attitudes, coutumes, rites, croyances. C'est cette vision du monde collective,
inconsciente qui est appelée philosophie bantoue, partant celle de tous
les Noirs. La littérature africaine dont parle Hountondji s'est
largement inspirée de cet ouvrage. Elle y puise ses arguments selon ses
différentes préoccupations. Celle dite laïque y trouve une
aubaine pour se réhabiliter devant l'Occident qui a longtemps
refusé aux africains l'aptitude à la philosophie. Quant à
celle dite religieuse, elle y voit une voie féconde pour se lancer
dans des études ethnologique des peuples africains pour que cela
aboutisse à une maîtrise psychologique de ceux-ci afin que soit
menée plus rationnellement l'entreprise d'évangélisation
sur le continent. Pour lui, cette littérature, même si elle peut
être qualifiée de philosophique, a du reste jusque là fait
l'objet d'une exploitation mythologique. Il souhaite la voir voir
transformée en un débat qui engage les Africains entre eux. Comme
indiqué précédemment, tout le projet de Tempels a
consisté à mettre à jour la vision du monde qui est
à la base de tout comportement du bantou. Elle est conçue comme
une sorte de weltanschauung collective, unanimiste à laquelle
adhèrent spontanément et inconsciemment tous les africains. Tout
se passe comme si chez les bantous, tout le monde est d'accord avec tout le
monde. Les bantous eux-mêmes méconnaissent cette vision du monde,
où sont incapables d'en rendre compte. C'est aux occidentaux, avec
l'arsenal théorique que leur offre les disciplines positives comme
l'ethnologie, l'anthropologie, qui incombe la tâche de la restituer.
C'est donc à l'abandon de cette ethnologie à prétention
philosophique qu'invite Houtondji. Il estime en substance que « ruiner
ce mythe (celui de l'ethnophilosophie), libérer notre horizon conceptuel
pour un discours théorique, telle est la tâche qui incombe,
aujourd'hui aux philosophes et aux hommes de science africains »
(p.33). L'idée forte qui se dégage ici c'est celle d'une
réorientation du projet philosophique africain. L'auteur voudrait que
les africains arrivent à penser librement leur philosophie, sans qu'ils
aient à la calquer sur les travaux ethnologiques antérieurs,
même si ceux-ci en arrivent à affirmer l'existence d'une
philosophie bantoue ou africaine. D'ailleurs la philosophie bantoue qui sert de
modèle à la majeure partie des auteurs africains présente
des facettes que les africains gagneraient à reconsidérer. C'est
d'abord que La philosophie bantoue en question s'adresse aux
colonisateurs et missionnaires occidentaux appelés à intervenir
sur le continent africain, dans le cadre de la mission civilisatrice qui est en
réalité une vaste campagne de dépersonnalisation de
l'africain ainsi que le pillage systématique de son patrimoine humain et
naturel sous prétexte de lui apporter la civilisation. Le R. Tempels lui
même ne s'en cache pas quand il estime qu'«une meilleure
compréhension du domaine de la pensée bantoue est tout aussi
indispensable pour ceux qui sont appelés à vivre parmi les
indigènes. Ceci concerne dont tous les coloniaux, mais tout
particulièrement ceux qui sont appelés à diriger et
à juger les noirs, tous ceux qui sont attentifs à une
évolution favorable du droit clanique, bref, tous ceux qui veulent
civiliser, éduquer, élever les bantous. Mais si cela concerne
tous les coloniaux de bonnes volontés, cela s'adresse tout
particulièrement aux missionnaires.» (Note 3 p.15). Ce la
montre que le Père Tempels est certes un homme d'Eglise convaincu de
notions fortes comme l'amour du prochain. Mais c'est aussi un
impérialiste convaincu qui professe la supériorité de sa
race sur les autres. Mieux, il théorise les connaissances des races
inférieures pour faciliter leur soumission à l'occident. Cela
signifie encore que pour les africains, abonder dans le même sens que la
philosophie bantoue c'est dans une certaine mesure se faire complice des
coloniaux et missionnaires qui veulent opérer sur le continent. D'autre
part, en s'adressant à ses collègues occidentaux les Africains ne
sont pas considérés comme des interlocuteurs bien que parlant
d'eux, de ce qu'ils ont de plus intime. Ils ne pas associés au
débat, ils sont ce dont on parle, sujets «d'une discussion
entre doctes européens» (p.15). Cette chosification, cette
réduction de l'Africain aux objets, sorte de visage sans voix qu'on
tente de déchiffrer, objets à définir et non sujets d'un
discours possible fait que les auteurs africains devraient se méfier de
toute philosophie prolongeant la philosophie bantoue ainsi que toute la
problématique qui l'entoure. En outre, ce qui est
considéré ici comme philosophie diffère radicalement de ce
qui a jusqu'ici été pris comme telle. Il s'agit d'une vision du
monde collective, unanimiste, à laquelle tous les bantous sont
censés adhérer spontanément et inconsciemment par
delà l'espace et le temps. Il s'agit concrètement de la vision du
monde qui explique toute l'organisation politique, économique, sociale
des bantous. Du reste, cette philosophie est à exhumer par l'analyse
ethnologique de documents institutionnalisés comme les contes, les
légendes, les rites ... Cela ne ressemble guère à la
philosophie telle qu'elle a fonctionné jusque là, notamment dans
la tradition occidentale. Hountondji tente d'expliquer le fait que les
Africains se soient laissés piégés par cette philosophie
d'un genre pour le moins nouveau. Pour lui, cela n'est pas à mettre sur
le compte d'une méconnaissance. Ils voulaient «à
n'importe quel prix, se réhabilité à leur propres yeux et
aux yeux de l'Europe». (p.47) L'Occident les avait si longtemps
nié et bafoué que l'affirmation d'une philosophie bantoue
était perçue comme une reconnaissance de leur qualité
d'hommes. En fait, le projet de la philosophie bantoue recelait une dimension
de réhabilitation du Noir. Tempels estime que l'Europe s'était
méprise face aux noirs. Croyant que ceux-ci n'avaient pas de
pensée, de sagesse de philosophie, ils ont engagé avec eux un
dialogue de sourd qui n'a fait qu'élargir le fossé les
séparant. En mettant en exergue la philosophie des bantous, Tempels
corrigeait cette attitude des siens et montrait qu'il y a urgence de repenser
les méthodes de la mission civilisatrice. Avec la découverte de
la philosophie des bantous il fallait désormais les prendre de sagesse
à sagesse de conception du monde à conception du monde,
d'idéal à idéal. C'est donc en quelque sorte une
invitation d'accepter l'humanité du noir et engager avec lui un dialogue
d'égale à égale dans le respect des différences.
C'est donc cette dimension du message tempelsien qui a séduit les
auteurs africains. Ce pendant Hountondji relève que c'est faute de
l'avoir mis en relation avec l'autre volet du même message. Qui est que
celui-ci était adressé aux colons et aux missionnaires
Européens dans leur entreprise de soumission du continent africain.
D'ailleurs, pour notre auteur la philosophie telle quelle est perçue ici
est le résultat d'une confusion du concept de philosophie. «La
confusion d'un usage populaire (idéologique) et d'un usage rigoureux
(théorique) du mot philosophie». (p.39). Selon le premier
sens, la philosophie se ramène à toute sagesse collective ou
individuelle, tout système de saisie de soi et du monde,
présentant un minimum de cohérence pour régir l'action.
Selon ce premier sens, tout homme est naturellement philosophe, en se sens que
tout homme en pleine possession de ses facultés a suffisamment de bons
sens pour appréhender plus ou moins rationnellement sa vie et agir dans
le sens de ce qu'il croît être son bien. Mais dans le second sens
la philosophie «est une discipline spécifique ayant ses
exigences propres et obéissant à des règles
méthodologiques déterminées». (p.39) Et ce, au
même titre que la chimie, les mathématiques, la physique etc. et
toutes les autres sciences constituées. Ainsi, il estime qu'autant on
est mal fondé de parler d'une chimie, d'une mathématique, d'une
physique etc. collective et inconsciente, on l'est d'une philosophie.
D'où son appel à la ruine de toute littérature qui
l'affirme. Libérer donc cette littérature philosophique africaine
et du mythe qui l'entoure est l'une des tâches qu'Hountondji assigne
à la philosophie en Afrique. Mais pour lui, cette démarche
elle-même est «inséparable, en fait, d'un effort
politique (en l'occurrence de la lutte anti-impérialiste au sens le
plus laborieux du terme)» (p.33). Car en produisant des textes dans
la logique de la philosophie bantoue, originale de forger une philosophie
spécifique, originale car différente de la philosophie
occidentale, les africains ne font que prolonger « un mythe non
africain » (p.33). En effet la différence obtenue ici n'a
de sens comme différence, qu'en tant que différence de
civilisés à barbares, maîtres à esclaves, peuples
supérieurs à inférieurs, etc. Dans la perspective de se
réhabiliter, les auteurs africains écrivent à l'endroit du
public occidental. C'est devant celui-ci qu'on veut se faire valoir. Hountondji
voit à la base de cela un désir de paraître, une
perpétuelle recherche de reconnaissance avec son cortège de
narcissisme. Et lorsque cette reconnaissance tarde à venir, on se
retrouve pris dans notre «propre piège» (p.34). Du
reste le désir de paraître « se creuse toujours davantage
jusqu'à s'aliéner complètement dans une attention
inquiète aux moindres gestes de l'auteur, au moindre mouvement de son
regard ». En écrivant dans la logique de
l'éthnophilosophie, l'intellectuel africain se ridiculise et se fait
complice de ses impérialistes. De surcroît, il crée un
environnement propice à cet impérialisme en créant et en
entretenant une artificielle plate forme de dialogue entre Européens et
Africains, un dialogue où il se fait « le porte parole de
l'Afrique globale devant l'Europe globale, au rendez-vous imaginaire
du « donner et du recevoir » » (p.35).
L'Europe se trouve ainsi confortée dans sa conviction qu'il est
différent des autres peuples. Une différence saisie comme
différence de degré de civilisation, d'évolution.
Hountondji propose donc aux philosophes africains de transformer cette
problématique qui relève de l'ethnophilosophie et de faire de la
philosophie africaine un débat entre les Africains et traitant de
thèmes philosophiques les plus divers. Cela passe néanmoins par
des préalables. C'est le cas de la liberté d'expression pour que
le philosophe africain puisse aborder tous les sujets qui l'intéressent
sans être menacé par les politiques. Dans ce contexte, il est de
sa responsabilité de porter sa réflexion sur le terrain politique
sans pour autant être le porte parole des régimes dictatoriaux. Ce
dépassement de l'ethnophilosophie implique également la
réorientation du discours philosophique africain vers le public
africain. Pour lui derrière l'entreprise de restitution de la
pensée africaine, quête effrénée
d'originalité, d'authenticité, se cache un repli nationaliste. Il
convient de le dépasser et faire de la philosophie un vaste débat
fécond, «un débat autonome, qui ne soit plus un
appendice lointain des débats européens, mais qui confronte
directement les philosophes africains entre eux créant ainsi au sein de
l'Afrique un milieu humain dans lequel et par lequel puissent être
posés les problèmes théoriques les plus ardus»
(p.48). En un mot un débat où des africains s'adressent à
d'autres africains en traitant de questions philosophiques les plus divers. La
philosophie africaine est d'abord l'affaire des africains. Elle n'est pas
condamnée à n'aborder que des thèmes relatifs à
l'originalité, à l'authenticité des peuples africains. Un
exposé d'un penseur africain sur des questions philosophiques les plus
variées comme la raison, la conscience, le Kantisme... fait partie de la
philosophie africaine. Cela a l'avantage, note l'auteur de faire en sorte que
l'intellectuel ne se sente plus obliger de systématiser la pensée
des diallobés, ou des baoulés, ou n'importe quel autre peuple
négro-africain. Entreprise où l'auteur, bien avant le
début de ses recherches s'emprisonne dans certain canevas où il
est condamné à aboutir à des résultats, n'importe
quels résultats. Cette thématique du reste n'intéresse pas
le public africain. Il faut plutôt élargir le champ
d'investigation et n'avoir pas honte de penser. Cela passe donc par une
maîtrise de l'héritage philosophique international, mais surtout
le «dépasser» (p.49). D'autant que celui-ci offre une palette
non négligeable d'outils théoriques que les auteurs africains
peuvent exploiter à loisir.
En définitive, Hountondji préconise ici la
réorientation du débat philosophique africain par la ruine de
l'ethnophilosophie et toute la problématique qui la sous-tend. Il
récuse toute idée de philosophie collective indigène
séparée de la tradition philosophique occidentale. Car selon lui
à la base d'une telle entreprise, il y a des considérations
idéologiques, politiques. On a voulu coûte à coûte
produire une «philosophie authentique et la brandir devant l'occident
comme preuve de notre humanité». Au risque cependant de
produire quelque chose qui n'a de philosophique que dans le cadre africain.
C'est dans le sens de la reprise de ce long passage de Henry Oruka Odera dans
Mythologies as African philosophiy, East Africain Journal, vol.IX,
N°10, octobre 1972 :
«On présente comme « religion
africaine » ce qui n'est peut-être qu'une superstition, et on
attend du monde blanc qu'il admette que c'est en effet une religion, mais une
religion africaine. On présente comme « philosophie
africaine » ce qui, dans tous les cas, est une mythologie, et une
fois de plus la culture blanche est invitée à admettre c'est en
effet une philosophie, mais une philosophie africaine. On présente comme
« démocratie africaine » ce qui, dans tous les cas,
est une dictature, et l'on attend de la culture blanche qu'elle admette qu'il
en est ainsi. Et ce qui est de toute évidence un processus actif de
sous-développement (a de-developpement) ou un
pseudo-développement est décrit comme le développement,
mais naturellement un « développement
africain » »
Une telle attitude fait que ce qui a été lorsque
la considération comme philosophie africaine se trouve plonger dans une
profonde impasse. Pour en sortir il faut réorienter le débat
philosophique africain. Cela implique :
v L'abandon de toute entreprise de restitution d'une
philosophie africaine originale à opposer à celle occidentale.
v L'organisation d'un débat philosophique fécond
entre africain où les sujets portent sur des thématiques les plus
variées.
v La liberté d'expression pour que le philosophe
s'exprime librement même sur le champ politique.
v L'assimilation et le dépassement de l'héritage
philosophique international. Il reconnaît cependant l'existence de
courant au sein même de cette littérature (qualifiés comme
mineur (note 7 p.21) qui ont mené une constations de l'ethnophilosophie.
Il estime que ces « auteurs possèdent d'admirables
potentiels philosophiques qualités qui ont utilisé pour se
définir eux-mêmes et leur peuple, face à l'Europe sans
laisser à personne le soin de les fixer, de
pétrifier » (p.22).
En outre Hountondji pose comme rôle de la philosophie
africaine, la promotion d'une science africaine. Pour lui
« plutôt que de revendiquer à cor et à cri,
l'existence d'une philosophie africaine, nous serions (...) mieux
inspirés de nous employer patiemment, méthodiquement à
promouvoir ce qu'on pourrait appeler une science africaine : une recherche
scientifique africaine. Ce n'est pas de la philosophie, c'est d'abord de la
science que l'Afrique a besoin » Pour lui la philosophie
africaine doit évoluer selon le mode de la science. Pour en arriver
à cette conclusion il montre d'une part que la philosophie est une
histoire et non un système. La philosophie est une histoire et non un
système n'est pas un système signifie qu'elle ne se
présente pas, qu'elle ne se déploie pas sous la forme d'un
système clos et achevé n'admettant de ce fait aucun
questionnement ; aucune remise en cause. Dire de la philosophie qu'elle
est un système revient à affirmer qu'elle est une vision
collective du monde à laquelle adhèrent spontanément et
inconsciemment un groupe d'individus déterminés. De l'autre
côté, dire de la philosophie qu'elle est histoire signifie
« entre autres choses, qu'aucune doctrine philosophique ne peut
être considérée comme la vérité, au
singulier, la vérité avec un grand V » (p.38). En
d'autres termes, il n'y a pas de vérité absolue en philosophie,
il n'y a pas une et une seule conception d'un même problème
philosophie donné. Mais une perpétuelle remise en cause de ce qui
est, de ce qui a été dit avec d'autres arguments, d'autres
approches, d'autres enjeux. La philosophie se résume en l'histoire de la
confrontation d'idées, sans cesse renouvelée sur des
thématiques les plus variées et où la vérité
pas quelque de figé, mais une quête perpétuelle de
« proposition toujours adéquate les une que les
autres » (p.83). Mais pourquoi l'histoire de la philosophie
n'évolue pas de manière cumulative, linéaire Pourquoi,
toute, pour s'établir, doit bouleverser l'espace théorique
déjà existant A quelles lois et conditions obéissent ces
bouleversements Pour résoudre ce problème Hountondji reprend
Marx et Engels et estime que cela s'explique par le fait que la philosophie
« ...n'est pas autonome et ne tire pas d'elle même la loi
de son propre développement mais qu'elle est déterminée en
dernière analyse par l'histoire de la production des biens
matériels et des rapports sociaux de production ». Mais
comment et par quelle médiation la philosophie est-elle en
dernière analyse déterminée par les pratiques
matérielles Pour répondre a cette autre question il reprend une
hypothèse de Lénine qui disait que « la philosophie
n'a pas toujours existé, on observe l'existence de la philosophie que
dans un monde qui comporte ce qu'on appelle une science ou des sciences.
Science au sens strict : discipline théorique c'est-à-dire
idéelle et démonstrative et non un agrégat de
résultats empiriques... Pour que la philosophie naisse ou renaisse, il
faut que les sciences soient. C'est peut-être pourquoi la philosophie au
sens strict n'a commencé qu'avec Platon, provoquée à
naître par l'existence de la mathématique grecque, a
été bouleversée par Descartes, provoquée à
sa révolution moderne par la physique galiléenne ; a
été refondue par Kant sous l'aiguillon de la découverte
des premières axiomatiques ». C'est du reste cette
hypothèse qu'Hountondji transforme en thèse et fait de la
philosophie africaine comme toutes les autres philosophie un discours sur la
science. Cela implique donc que la naissance même discours philosophique
est tributaire de l'existence préalable d'une ou des sciences.
Promouvoir une recherche scientifique sur le continent africain est de ce fait
une tâche qui incombe à la philosophie. Cependant la condition de
la science elle-même c'est l'écriture. L'absence de celle-ci,
selon lui, constituait un handicap pour les civilisations de l'Afrique
précoloniale d'avoir une science au sens le plus strict et le plus
rigoureux du terme. C'est que pour lui, l'absence de transcription scripturale
d'une philosophie ne lui enlève pas son statut de philosophie. Il
n'existe pas un lien de nécessité entre l'acte de philosopher et
sa matérialisation à travers un texte écrit sur du papier.
Néanmoins cela empêche une telle philosophie de «
s'intégrer à une tradition théorique collective, de
prendre place dans une histoire, comme terme possible de
référence appelé à nourrir les discussions futures
». L'idée forte qui transparaît ici c'est que lorsque
une philosophie est consignée sous forme de texte, elle a l'avantage de
constituer un terme de référence pour des réflexions
futures sur le même problème. Mais aussi d'intégrer un
vaste champ théorique où les points de vue s'amendent et
s'améliorent. Il estime d'ailleurs que la tradition orale a le
défaut de favoriser «la consolidation du savoir en un
système dogmatique et intangible» (p.132). Car la
mémoire est plus préoccupée à conserver les
connaissances, en répétant incessamment les mêmes choses,
avec le risque que cela implique d'en faire des connaissances dogmatiques,
qu'à les dépasser et les poser en objet d'une critique. En un mot
Hountondji considère qu'une philosophie non écrite
présente des lacunes. Mais qu'il temps de dépasser cet handicap
car les sociétés africaines, de nos jours, sont entrain une
mutation profonde qui les travaille et les transforme petit a petit en
civilisation de l'écrit.
Enfin selon Hountondji la philosophie doit avoir pour
rôle la restitution de la pensée de l'Afrique précoloniale.
Cette prise de position est primordiale dans la prise de position
hountondjienne car à force de démonter systématiquement
l'ethnophilosophie et de réduire la philosophie à un discours sur
la science, elle-même conditionnée par l'écriture, tout se
passe comme si l'Afrique pré coloniale n'avait pas de philosophie.
Hountondji avance sur un ton de inquiet, qu'à aucun moment il n'a voulu
prétendre dans son ouvrage « que l'Afrique pré
coloniale était intellectuellement une table rase »
(p.250). Bien au contraire, il souhaite que personne ne se méprenne sur
sa position dans Sur "la philosophie africaine" Critique de
l'ethnophilosophie. L'Afrique de l'oralité a connu des civilisations
brillantes que la postérité ne peut passer sous silence.
«L'Afrique pré-coloniale avait amassé une riche moisson
de connaissances vraies de techniques efficaces, qui a été
transmises oralement de génération en génération,
et qui font vivre encore aujourd'hui une bonne partie des populations de nos
campagnes et villes» (p.125). Hountondji préconise que soit
entreprise la tâche de transcription de tout ce qui peut être
perçu de ce savoir. Cela doit être mené de manière
méthodologique, rigoureuse. Le chercheur doit précisément
avoir à l'esprit que si une philosophie a existé, elle n'est pas
nécessairement celle tout un groupe telle la vision du monde collective
et inconsciente dont parle l'ethnophilosophie. Elle ne doit pas
également être transcrite pour être «
proposée à l'admiration d'un public non africain, mais d'abord,
mais surtout, pour être soumis à l'appréciation et à
la critique des Africains d'aujourd'hui (...)» (Note 9 p.31). En le
faisant, les auteurs africains auront la possibilité et ré
aborder et éventuellement approfondir les conclusions auxquelles sont
parvenus les travaux déjà existants sur cette question. C'est le
cas de la thèse de la régression historique (p.126)
prônée par Cheick A. Diop. Selon celle-ci l'Afrique aurait connu
dans l'antiquité de brillantes civilisations qui se sont
illustrées dans tous les domaines du savoir. En témoignent les
gigantesques pyramides d'Egypte. Le retard actuel du continent sur les plans
scientifiques, techniques, technologiques, ne serait donc pas originaire. Mais
il est à mettre sur le compte d'une régression, d'une
décadence. Hountondji souhaite que ces ébauches soient
poursuivies et approfondies. En outre sur la question spécifique de
l'écriture qui conditionne la philosophie par science interposée,
Hountondji relève qu'elle n'était pas totalement absente dans
l'Afrique précoloniale. Pour nous en assurer, il nous ramène sur
les travaux de Théophile Obenga40(*) dans L'Afrique dans l'Antiquité, RA,
Paris, 1973, qui aborde entre autre les systèmes d'écriture
pratiqués dans l'antiquité africaine. Cependant pour notre
auteur, le tout n'est pas de constater l'existence de ces systèmes
d'écriture, ou même de les transcrire. Mais il faut aussi savoir
à quoi ont servi. Il faut déterminer s'ils étaient
vulgarisés, utilisés comme véhicule de connaissance au
service de tous les africains. Ou si au contraire ils étaient l'apanage
d'une classe «privilégiée», sacerdotale qui l'utilisait
comme instrument de domination, de mystification.
En somme, Hountondji, à l'instar de Macrien Towa pense
que avant lui, la plupart des textes philosophiques africains relèvent
de l'ethnophilosophie. Il convient donc de reconsidérer la
problématique philosophique en Afrique. Pour cela il estime celle-ci
doit être reorientée pour constituer un débat
contradictoire et rigoureux qui engage les Africains entre eux et traitant des
questions les plus diverses. De plus il doit être procédé
sur le continent africain à une promotion de la science, car non
seulement la philosophie pour réellement exister doit se situer le
terrain de la science, mais aussi et surtout parce que son point de vue la
philosophie est en dernière analyse un discours sur la science. A cela
s'ajoute la restitution de la pensée africaine précoloniale. Ce
sont les rôles que nous allons maintenantr tenter d'analyser.
SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA
PHILOSOPHIE CHEZ HOUNTONDJI
Sur « la philosophie africaine »
critique de l'ethnophilosophie comme son nom l'indique est une critique de
l'ethnophilosophie et de toute sa problématique aux fins de montrer
notamment qu'il n'existe pas de philosophie unanimiste, inconsciente et qui
résiderait quelque part dans le subconscient collectif d'un peuple dans
l'attente d'être exhumée par l'interprétation
d'éléments culturels. Plus que cela, l'auteur voudrait que le
débat sur la problématique philosophique africaine soit
reconsidéré et que ses termes aussi bien théorique
qu'épistémologiques soient réorientés pour
être à l'image de la discipline spécifique qu'est la
philosophie ; plus précisément à l'image de celle-ci
telle qu'elle a toujours fonctionné dans la tradition internationale.
Pour cela, il estime qu'entre autre rôles qui reviennent à la
philosophie sur le continent africain, il y a la transformation du discours
ethnophilosophique en un véhicule d'un débat contradictoire qui
non seulement engage les Africains entre eux ; mais aussi qui traite des
questions les plus diverses, même si celles-ci n'ont aucun rapport avec
l'Afrique. Cela signifie plus précisément un débat qui
s'éloigne de ce qu'il appelle le mythe de l'ethnophilosophie41(*). Donc ce qui est ici en toile
de fond c'est avant tout la disqualification de l'ethonophilosophie. Cette
question traverse l'ouvrage de Hountondji de part en part. Comme son titre
même l'indique, c'est le thème central de l'ouvrage. Ainsi, il
s'attelle à définir d'abord ce qu'il entend par ethnophilosophie.
L'ethnophilosophie est une recherche qui repose en tout ou en partie sur
l'hypothèse d'une vision du monde collective et hypothétique d'un
peuple donné. Elle est également toute tentative de
reconstruction de cette vision du monde collective supposé. C'est cette
ethnophilosophie qu'il tente de démonter à grands traits
d'érudition avec un ton pour le moins journalistique où quelques
fois les auteurs de celle-ci sont menacés et ridiculisés. Ce
passage l'illustre fort bien: « tout ce qu'il peut produire par
ailleurs [...] sur un problème philosophique général sans
lien privilégié avec l'Afrique, lui apparaît comme une
parenthèse dans sa pensée, une parenthèse dont il doit
avoir presque honte. Et s'il n'est pas assez impudique pour ne pas bleuir
(d'autres auraient préféré, il est vrai, qu'il en
« rougisse »), alors malheur à lui ! ces
critiques ils sauront bientôt le faire taire (...)» (p.46) Ce
que Hountondji récuse dans l'ethnophilosophie c'est en fait le
présupposé suspect qu'elle implique. Elle a pour but de montrer
aux Occidentaux que les africains savent et peuvent penser, qu'ils
détiennent une philosophie. A ce titre elle vise à soustraire
l'Africain du préjugé négatif dont il a été
victime de la part de l'Occident. Elle vise à le réhabiliter en
le rehaussant à une image digne d'attention et de respect, en mettant en
exergue la richesse et l'originalité des cultures
négro-africaines. Pour Hountondji cela est assimilable à
attribuer à celles-ci l'intention d'une revendication mendiante qui n'a
pas lieu d'être. L'Afrique n'a pas besoin d'extravertir sa culture et de
l'exposer sur la place publique dans l'intention sécrète ou
avouée de rechercher une reconnaissance de la part des autres peuples.
Si l'Afrique a une culture et une civilisation, le combat ne se situe plus au
niveau de sa reconnaissance, mais de sa réalisation, de son affirmation
par des actes concrets dans l'histoire humaine. D'autre part, Hountondji
rejette l'argument selon lequel les africains seraient inconscients de leur
propre philosophie. Pour lui la philosophie est semblable à toutes les
autres sciences constituées. Ce qui fait que les exigences
méthodologies, conceptuelles, théoriques etc. présentes
chez ces disciplines sont aussi présentes en philosophie. Mais surtout
cela implique que de la même manière qu'il est inconcevable qu'une
mathématique, une physique, une chimie ... qui soit inconsciente, une
philosophie inconsciente est inimaginable. En outre l'ethnophilosophie, dans
son analyse procède à des généralisations
hâtives, qui consistent à transposer systématiquement ses
conclusions sur un peuple africain particulier, à l'ensemble des peuples
africains. C'est ainsi que le Père Tempels peut partir d'une
réalité spécifique aux bantous ou à certains clans
bantous, pour faire une extrapolation dans laquelle on met tous les peuples
africains dans le même panier. Cette uniformisation dans laquelle tous
les africains réfléchissent de la même manière
implique l'absence chez eux porteurs de contradictions, de remise en question
critiques, qui, seules sont susceptibles d'être de dynamisme et de
mouvements d'idées. Ce qui signifie en clair que pour lui, la
philosophie africaine, même si elle existe, n'est pas encore suffisamment
mure pour les grands essentiellement contradictoires tels qu'on les observe
dans une large partie de la tradition philosophique occidentale.
Il faut reconnaître à Hountondji le
mérite d'avoir été de ceux qui ont le courage de produire
une réflexion qui brise en quelque sorte la tradition littéraire
de son époque. Le premier chapitre de Sur « la philosophie
africaine » critique de l'ethnophilosophie a été
rédigé en 1969. Cependant des écrits antérieurs
existent allant tous dans le sens d'une réfutation sans ambages de
l'ethnophilosophie et de tout ce qu'elle sous-entend. En effet Hountondji a
publié d'autres textes dans des revues comme Diogène,
Présence africaine, Cahiers philosophiques africains, Thought and
Practice, Quest, Genève-Afrique, Revue sénégalaise de
philosophie etc., dans lesquels la crique de l'ethnophilosophie
transparaît fortement. Donc on peut dire que la position de Hountondji
est courageuse, surtout dans le contexte qui l'a vu naître. Ce contexte
est celui d'une époque où l'Afrique a connu colonisation et
indépendance. Mais surtout une époque où l'Afrique est
à la recherche de ses repères après tant de siècles
de domination par l'Occident. Ainsi les Africains sont engagés dans des
combats à plusieurs fronts où sur le plan philosophique,
idéologique etc. la problématique est celle de la
réhabilitation, de l'affirmation de soi dans l'histoire humaine.
L'intervention de Hountondji présente donc le mérite de produire
une certaine pluralité face à la littérature
philosophique dominante et de montrer qu'au-delà de la traditionnelle
lutte contre l'ex-colonisateur, d'autres problématiques restent à
explorer. Mieux que cette lutte elle-même - du moins telle que la
développe l'ethnophilosophie - ne fait qu'aggraver l'assujettissement de
l'Afrique à l'Europe. En s'adressant à l'Europe pour prouver
notre différence, on ne fait que le conforter. Il peut ainsi continuer
à soutenir que sa civilisation est différente des autres
civilisations, différence elle-même saisie en terme de
supériorité de celle-ci sur la nôtre. Cela créait un
autre amalgame. Celui ou l'intellectuel africain, l'idéologue africain
professe une philosophie au nom de tous les africains sans qu'ils le lui aient
demandé. De surcroît une philosophie à laquelle tous
adhéraient spontanément. Tout fonctionnait comme si en Afrique
tout le monde est d'accord avec tout le monde ce qui est en
réalité difficile à concevoir. Ainsi, pouvaient fleurir
des dictatures ou toute opposition est matée systématiquement.
Sinon la conscience des africains était endormie par des propagandes
tapageuses ou à la civilisation conquérante
évolutionniste, scientiste occidental, on opposait une Afrique
émotive, plus soucieuse d'un équilibre d'avec son espace vital.
Hountondji préconise le dépassement de cette
problématique. Plus précisément il faut transformer la
littérature philosophique africaine pour qu'elle ne soit plus
constamment un instrument de propagande idéologique, mais un
débat rigoureux, scientifique qui s'inscrive dans le cadre des exigences
de la philosophie, comme elle a toujours fonctionné dans la tradition
philosophique internationale.
Cependant faute de rejeter systématiquement
l'ethnophilosophie sans proposer quelques choses de concret dans la
démarche de réappropriation de l'héritage culturel
africain, sa démarche appelle à des réserves. Certes, il
assigne aux philosophes africains le rôle de restituer la pensée
de l'Afrique pré-coloniale. Cependant aucune démarche
théorique, méthodologique n'est avancée. En sorte que
notre auteur peut sembler avoir critiqué pour critiquer. D'autre part,
il y a lieu de procéder à une remise en question de
l'hypothèse de départ même de Hountondji ; en
l'occurrence celle qui consiste à faire de la philosophie africaine
l'ensemble des textes écrits par des africains et qualifiés par
leurs propres auteurs de philosophiques. A première vue cette
hypothèse centrale dans la position de Hountondji semble constructive,
car on ne peut nier qu'il existe dans le champ littéraire africain une
abondante littérature qui se qualifie de philosophique. Cependant
à y regarder de près la réduction même de la
philosophie à une simple littérature pose problèmes. Des
problèmes d'autant plus lourds que dans une certaine mesure ils fondent
et légitiment les préjugés des occidentaux sur la
prétendue incapacité des africains à discourir sur le mode
de leur philosophie. Entendu que dans cette littérature Hountondji ne
prend en compte que la littérature écrite, qu'il érigera
en condition sine qua none de toute philosophie. Cependant si la philosophie
n'est qu'écrite, toute l'Afrique précoloniale en est upso facto
exclue. Pour Pierre Bamony, comme pour dépasser ces
stéréotypes de Hountondji, la littérature n'est qu'un
domaine particulier de l'expression africaine et la philosophie en est un
autre. Et tous les thèmes ne peuvent s'inscrire dans le cadre de la
littérature. Certes Hountondji précise que dans sa
définition de la philosophie africaine comme une certaine
littérature, seul importe le recours délibéré au
qualificatif et non sa valeur sémantique. A partir de ce moment tout le
travail consiste à savoir, selon lui pourquoi ce qui a été
appelé philosophie en Afrique diffère radicalement de ce qui
l'est dans la tradition occidentale. Cependant la philosophie n'est pas telle
du fait de sa qualification par quelques esprits en quête de
reconnaissance, mais elle couvre et épuise un champ spécifique de
la pensée humaine sur la base d'exigences théoriques et
méthodologiques propres. En réalité le problème
crucial ici est celui de savoir ce qu'est la philosophie elle-même pour
que l'ethnophilosophie n'en fasse partie. Et dans ce débat, le moins
qu'on puisse dire est que les perspectives restent ouvertes. Les
Européens qui se targuent d'avoir inventé la philosophie, qui
crie par tous les toits que tout autre peuple qui se mêlerait de
philosophie s'aventure sur un terrain qui n'est pas le sien, ne se sont jamais
entendus sur une définition de celle-ci qui ferait l'unanimité de
tous les courants philosophiques, de toutes les époques philosophiques
etc. Hountondji a en réalité simplement fait ressortir une
certaine vision de la philosophie qui elle-même ne fait pas
l'unanimité. Les pages précédentes ent sont la peuve. Il
s'agit de la définition proposée par Althusser. D'où la
pertinence de la critique de Pathé Diagne selon laquelle Hountondji
reprend et compile aveuglément les thèses de son maitre de la Rue
d'Hulm sans mettre cela en rapport avec les autres grandes conceptions
philosophiques. De plus l'un de ses objectifs dans son ouvrage était de
montrer que la philosophie est une histoire ; c'est-à-dire qu'elle est
condamnée constamment à évoluer par dépassement
dialectique. On pourait donc lui demander pourquoi ce processus de
dépassement dialectique doit s'arrêter avec Altousser. Doit-on
comprendre que l'histoire de la philosophie s'arrête avec Altousser ?
Par ailleurs le rôle de la transcription de tout ce qui
subsiste de la philosophie et de la gnoséologie africaine prend une
importance capitale dans le projet de Hountondji du fait de la dimension
accordée à l'écriture dans la définition de la
philosophie. En effet tout fonctionne comme si l'Afrique précoloniale
avec ses civilisations orales passe comme n'ayant pas de philosophie. Cet
argument lui-même découle de la conception hountondjienne que la
philosophie est essentiellement un discours sur la science. Il tient cette
position de son maître de la rue d'Ulm qui pensait que la philosophie
doit être essentiellement un discours sur la science. Un tel point de vue
sur la philosophie mérite qu'on s'y attarde. L'écriture
présente certes les avantages ci-dessus soulignés par notre
auteur ; autrement comme support de conservation de la pensée, qui
par ce fait même sort du cadre de la mémoire pour être
soumise à interrogation, à critique lucide. Cependant
l'écriture elle-même est-elle aussi parfaite pour que son absence
en philosophie lui enlève ses lettres de noblesses ? D'abord dans
l'histoire de la philosophie occidentale elle-même qui sert de
modèle à la conception hountondjienne de la philosophie, celle-ci
a-t-elle toujours été un discours sur la science ? Un coup
d'oeil jeté dans les pages qui précèdent montre que la
philosophie n'a pas de tout temps été un discours sur la science.
Plus précisément il est questions de grandes conceptions de la
philosophie. Et à chaque grande conception de la philosophie correspond
une certaine manière d'envisager sa définition. Par
conséquent la conception de la philosophie qui fait d'elle un discours
sur la science n'est en réalité qu'un moment du débat sans
cesse évolutif qui pose la grande question de la définition de la
philosophie. Dire de la philosophie qu'elle ne doit être qu'un discours
sur la science c'est la réduire à l'épistémologie.
En outre, il ne serait pas inutile d'analyser
l'écriture que Hountondji érige en condition d'une science et par
ricochet d'une philosophie africaine afin de l'éprouver dans sa
capacité d'être la condition de toute science. L'écriture
elle-même n'est qu'une manifestation parmi tant d'autres de signes
conventionnels, de collecte, de transmission de la pensée. Du reste tout
signe est arbitraire. Au sens où entre l'objet, le signifié et le
mot, le signifiant il n'y a pas de lien nécessaire. Quel lien
existe-t-il entre "arbre" la chose et le mot qui la nomme ? Autrement dit
entre le mot ``arbre'' qui n'est en dernière ressort qu'une succession
de lettres à qui on a conventionnellement et par là même
arbitrairement donné un sens, et la chose physique, concrète
``arbre'' quel lien de nécessité existe-t-il ? Visiblement aucun,
car la chose désignée selon que l'on passe d'une langue à
une autre est appelée différemment par des mots qui n'ont aucun
rapport de consonance. Les mots carré ou rectangle par exemple qui
désignent ces figures géométriques ne sont pas
carrés ou rectangulaire. Il n'y a aucun rapport de ressemblance
monographique entre un mot et sa forme graphique, entre l'écriture et la
pensée. Bref l'écriture n'a de sens que dans un système de
conventions établies dans lesquelles tel signe renvoie à telle
réalité concrète. De plus telles que les choses
fonctionnent de nos jours il y a lieu d'émettre quelques réserves
sur l'écriture en tant que mode absolu de collecte et de transmission de
la pensée. Le monde moderne n'accorde plus importance à un des
cours seulement parlé. Il faut aussi qu'il soit écrit et
présenter sous forme de textes condensés dans un livre portant un
nom propre, une signature par la délégation d'un sujet du
discours ou de la connaissance. Il faut qu'il s'enregistre, se retienne et
s'inscrive au fil du temps. Pour cela on écrit, on signe on publie et on
se fait écouler. La culture devient un business avec ses lobbyings, sa
recherche effrénée de profil, de temps, au risque d'écrire
n'importe quoi. L'auteur veut se faire connaître, se forger une
identité dans le vaste marché international où l'esprit
est vendu. Il est aidé en cela par toute une législation
nationale et internationale qui garantie la propriété
privée des oeuvres de l'esprit. Toujours est-il que l'esprit du penseur
est ainsi à volonté chosifié, réduit à un
simple objet qu'on a vendu contre des billets de banque ainsi qu'un certain
prestige parmi les hommes. C'est ce processus que décrit Régis
Debray quand il dit que l'auteur « loue à l'éditeur
par contrat non son corps mais son esprit, l'éditeur paye l'imprimeur
pour donner un corps typographique aux productions de cet esprit et le libraire
réalisé la vente du produit »42(*). L'auteur n'écrit
pas nécessairement pour une satisfaction individuelle et personnelle,
mais pour se faire connaître et se vendre. L'éditeur
représenté le label, la source de légitimité et le
garant de la qualité. Dans ces conditions, le public n'achète
plus une oeuvre abordant une thématique potentiellement pertinente. Mais
il achète tel auteur, telle maison d'édition. Un livre est devenu
aujourd'hui une couverture: un titre, surtout un nom d'auteur, un nom
d'éditeur. Trois indicatifs juxtaposés qui semblent
nécessaire. Sinon, l'auteur quelque soit son talent et la profondeur de
ses analyses, sera toujours confinés dans l'anonymat. En tout
état de cause cette dimension de l'écriture relativise un temps
soit peu le statut de celle-ci en tant critère incontournable de la
philosophie. Car si elle n'est qu'un moyen parmi d'autres d'expression de la
pensée, rien n'empêche que d'autres moyens soient utilisés
à ce même dessein. Autrement, il se peut que la philosophie
s'exprime par d'autres canaux de restitution de la pensée. D'où
vient-il donc que Hountondji en fasse la condition sine qua non de toute
philosophie ? Du reste de nos jours il est prouvé que l'Afrique
précoloniale a connu et développé des systèmes
scripturaux de transmission et de conservation de la pensée qui demeure
certes différents de l'écriture algébrique tant
prisée de nos jours. Mais qui, présente suffisamment
d'efficacité pour être le véhicule de la pensée
scientifique et philosophique africaine. Dans son Etude sur la
drummologie, Niangoran Bouah43(*) rend compte d'un tel système de communication.
Selon lui il était fort riche et permettait de rendre compte de toute
l'organisation sociale, culturelle, économique, des peuples Akan de
Côte-d'ivoire. Concrètement, l'auteur s'intéresse aux
« poids à peser l'or des baoulés de
Côte-d'Ivoire ». G. Niangolran Bouah entend montrer un des
aspects de la pensée philosophique africaine. Pour lui les poids
à peser l'or constituaient un système complet
d'éducation pendant la période précoloniale. Les poids
à peser l'or étaient de deux sortes et allient à la
philosophie et la science. Il y a des poids proverbes et des poids à
forme géométrique. Les poids proverbes sont en laiton
concrétisent des thèmes courants de la pensée
philosophique akan. Ils sont les vestiges d'un système ancien
d'écriture et de transmission de la pensée. C'est
l'équivalent nègre des hiéroglyphes de l'ancienne Egypte.
Voici quelques exemples de dictions illustrés dans ces poids :
o Poids gombo : si le gombo affirme avoir plus de saveur
que l'arachide, c'est qu'il y a en tente entre lui, le piment et le sel.
o Poids caméléon : aller doucement a
également les avantages.
o Poids porc-épic : quand le porc-épic est
désigné pour une corvée, le hérisson ne doit pas se
lever pour dire au revoir, etc.
Concernant les poids a forme géométriques, ils
sont l'auteur la preuve irréfutable de l'esprit scientifique africain.
Le système akan comporte huit séries de principaux que l'auteur
énumère et dans lesquelles on s'aperçoit qu'outre qu'ils
contiennent des équations aussi complexes que les équations
algébriques d'aujourd'hui, ces poids constituent un véritable
livre encyclopédique qui ouvre une nouvelle voie dans le domaine de la
recherche en général et sur les connaissances de l'Afrique
précoloniale en particulier.
Cette étude synthétique d'un exemple de
système de développement, d'expression de la connaissance dans
l'Afrique précoloniale s'inscrit dans le cadre de montrer que de tels
systèmes ont existé sur le continent africain ; même
du fait de leur sophistication, il présentait certaines lacunes44(*). Cependant, la démarche
de Hountondji n'a pas été celle de faire des études sur
l'histoire de la pensée africaine et éventuellement
déceler de tels systèmes, et les soumettre à sa verve
critique de philosophe. On peut dire que notre auteur pêche ici. Car le
tout n'est pas rester confortablement assis dans un bureau et conjecturer sur
l'histoire du développement de la connaissance en Afrique. Cette
démarche doit s'accompagner de recherches sur le terrain. Faute de
l'avoir fait Hountondji tend à nier toute existence de
gnoséologie dans l'Afrique précoloniale.
En somme Hountoudji semble ne pas voir que la transposition de
l'écriture comme moyen de conservation et vulgarisation du savoir en
fond de commerce, rend d'avance suspectes certaines philosophies de
l'écriture ou écrite. Ces deux dimensions de l'écriture
livresque, montrent qu'elle est certainement importante science et en
philosophie, mais de là à en faire LA condition de de toute
philosophie en Afrique, il y a un pas qu'il sur lequel il faut méditer
avant de franchir.
Concernant la restitution de l'histoire de la pensée
africaine précoloniale, la position de Hountondji est fort pertinente.
Il met surtout l'accent sur la nécessité de reconsidérer
celle-ci sur la base des conclusions auxquelles ont aboutit d'autres recherches
comme celles de Cheikh Anta Diop et autres Théophile Obenga. Cependant
le tout sur cette question n'est pas de suggerer la restitution de cette
histoire, mais de l'entreprendre même. Et sur cette question, quand on
connaît la position de Hountondji sur les conditions théoriques de
l'emergence d'une philosophie en Afrique, il y a lieu de dire que le
préalable ici est la construction d'un cadre de réflexion propice
pour entreprendre cette démarche.
CONCLUSION
Marcien Towa et Paulin Hountondji ont produit respectivement
dans les ouvrages : Essai sur la problématique philosophique
dans l'Afrique actuelle, Editions Clé Yaoundé, 1979
(2ème édition) et Sur « la philosophie
africaine » critique de l'ethnophilosophie, Éditions
Clé Yaoundé, 1980, une analyse pertinente dans le débat
sur la problématique philosophique en Afrique. Dans les deux ouvrages il
se dégage un effort sans cesse renouvelé visant à
invalider la littérature africaine et même européenne
existante sur la question, notamment celle qu'ils qualifient
d'ethnophilosophie. Pour eux il incombe donc de reconsidérer la
problématique philosophique africaine sous un angle nouveau dans le but
ultime de forger une philosophie qui ne sera plus seulement une
réfutation stérile des négations civilisations africaines
par les Occidentaux ; mais une philosophie qui fonctionne selon les exigences
théoriques, méthodologiques propre à cette discipline. A
cet effet, chacun dans son ouvrage a proposé des rôles qui doivent
échoir à la philosophie pour que naisse sur le continent africain
une véritable culture philosophique. C'est ainsi que pour Towa, il
revient essentiellement à la philosophie de déterminier et
d'orienter les conditions de la révolution démocratique des
peuples africains. Dans son argumentation, il considère qu'il existe un
destin commun pour les peuples africains. C'est de cela q'il est question
lorsqu'il parle de dessein fondamental, de sens de notre-être-là
dans le monde etc. Il revient à la philosophie de caractériser ce
dessein et déterminer la direction vers laquelle on doit
l'infléchir pour un meilleur futur des peuples africains. Cette
démarche doit être faite en tenant compte de la défaite
retentissante des civilisations africaines face à l'Occident. En sorte
que notre combat ne soit celui de pleurnicher sur notre sort; mais d'envisager
les voies et moyens susceptibles d'éviter non seulement que cela se
reproduise mais aussi d'équilibrer les échanges entre nos
civilisations et les civilisations occidentales. Il imagine à cet effet
une démarche dialectique qui à terme doit conduire à
l'appropriation du secret de l'Occident afin d'être comme lui et donc
incolonisable par lui. Pour cela, de son point de vue, le discours
philosophique doit dépasser la problématique de
l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne pour constituer un
débat fécond qui à terme conduire les peuples africains
vers l'avènement de la démocratie sur le continent. Cette
tâche considérée la principale doit s'accompagner de taches
secondaires, qui concernent essentiellement le rejet du culte de la
différence et du culte du passé.
En ce qui concerne Hountondji, il estime qu'une
littérature abondante se qualifiant de philosophique existe sur le
continent africain. Mais de son point vue, celle-ci, pour plusieurs raisons n'a
jusque là fait l'objet que d'une exploitation mythologique. Il convient
donc corriger cette impasse et de faire de toute philosophie en Afrique, le
véhicule d'un vaste débat contradictoire qui engage les tous
Africains entre eux-mêmes et qui traite des questions philosophiques les
plus diverses. Car pour lui, le discours ethnophilosophique s'adresse
essentiellement au monde occidental devant qui ses auteurs veulent se
réhabiliter. Mais en le faisant, ils en arrivent à des
résultats où ce qui est qualifié de philosophie ne
répond nullement aux exigences théoriques, méthodologiques
propres à cette discipline tel que cela a toujours été
observé dans la tradition philosophique internationale et
particulièrement occidentale. Il estime donc qu'il urge de mettre fin
à cette extraversion mendiante de la philosophie africaine en
disqualifiant l'ethnophilosophie et toute sa problématique et faire de
toute philosophie sur le contient africain un débat contradictoire
produit par des Africains et s'adressant à des Africains. De plus Paulin
Hountondji pense que la philosophie africaine doit fonctionner sur le
modèle de l'héritage théorique, méthodologique,
etc. de cette discipline. Cet héritage offre toute une palette d'outils
théoriques et conceptuels qu'elle peut exploiter pour produire un
discours universellement valable. Pour cela il en appelle à une remise
en cause de son statut théorique. Partant donc de l'hypothèse
althussérienne que toute philosophie est en dernier ressort une
réflexion sur la science, il estime qu'en Afrique il est plus urgent de
promouvoir une science africaine, une recherche scientifique africaine qu'une
philosophie africaine. Cela est du reste facilité de nos jours par le
fait que les civilisations africaines qui étaient essentiellement des
civilisations orales, subissent de nos jours des mutations qui peu à peu
les transforment en civilisation de l'écrit. Ceci de son point de vue
constitue un atout incontestable compte tenu du fait que chez lui une
philosophie n'est digne d'elle appelée telle que si elle est
écrite. L'absence d'écriture est défavorable à
toute philosophie car cela l'empêche d'être véritablement
consigné pour constituer un préalable théorique
appelé à être améliorer par d'autres discussions
selon de nouvelles perspectives sur les mêmes thèmes.
Il faut cependant souligner que faute de ramener constament
le débat sur le champ spécifique occidental, les analyses de nos
auteurs appellent à certaines réserves. Pour n'avoir pas
entrepris des recherches sur le terrain, ils semblent préférer la
spéculation gratuite fondée sur la répétition de
doctrines occidentales qu'une démarche sérieuse qui tiendrait
compte des spécificités incontestables des civilisations
négro-africaines. Il est très aisé de faire ressortir des
travers récurrents dans le discours ethnophilosophique, cependant le
tout est d'être capable de corriger ces travers et les remplacer par un
discours cohérent fondé sur les réalités propres
des civilisations négro-africaines. En réalité, le
rôle de la philosophie sur le continent africain dépasse de loin
ces éternelles discussions entre intellectuels Africains et Occidentaux
sur les rapports de la philosophie et la science, la philosophie et
l'idéologie, la philosophie et la politique etc. Car c'est de cela qu'il
est fondamentalement question ici. D'ailleurs pour d'aucuns le fait même
de poser une problématique de la philosophie sur le continent
spécifique africain est un faux débat. En ce sens que l'Afrique
ne saurait se soustraire de l'espace et du temps et constituer à elle
seule une dimension particulière de la réalité humaine
où la philosophie aurait à jouer un rôle particulier.
Daniel Tchapda Piameu dans un article intitule De l'engagement politique ou
philosopher en Afrique en changeant de mode dans la revue
en ligne Motspluriels N° 10 de mai 1999, il n'est pas question de se
laisser aller à de tels particularismes. La philosophie en tant que
discipline universelle joue le même rôle sous tous les cieux. Pour
défendre ce point de vue, il estime qu'elle avant tout une sagesse. Or
« la sagesse est toujours relationnelle. Elle est relation de
l'homme au temps. Il en est ainsi parce que la philosophie est non seulement
une manière de penser mais aussi une manière d'être dans le
temps. Mieux encore, même si elle n'était qu'une manière de
penser, la philosophie serait encore une manière de penser le temps.
Aucune philosophie proprement dite ne se développe loin de ce concept.
Toute philosophie est pensée du temps ». Le philosophe
pose sa réflexion sur un particulier sur la base de concepts et de
méthodes universels. Cela signifie entre autre que même si la
philosophie doit jouer un rôle sur le continent africain, celui-ci est
à mettre en relation avec le contexte historique, économique,
culturel etc. qui l'a vu maître; donc qu'on ne peut pas à
proprement parler fixer une pour tout un rôle a la philosophie en
Afrique. Mais il convient de dépasser ce fétichisme de
l'universalité pour constater que sur le continent, justement dans le
temps il existe quelque chose que l'activité humaine nommée
philosophie puisse faire pour répondre à des défis
indéniables qui se posent.
Ainsi nous pouvons dire qu'il incombe entre autre à la
philosophie de se poser sur le quotidien des peuples africains
confrontés aux guerres sanglantes, aux violations des droits de l'homme,
à la pauvreté et autres calamités du même genre.
Dans ce cas seulement elle pourra non seulement démentir cette image
récurrente qu'on lui attribue et qui fait d'elle une activité
oisive, un discours creux et sans importance qui en dernière analyse, a
tendance à compliquer plus le monde qu'il n'apporte de solutions. Ainsi
de notre point l'un des défis qui attendent la philosophie dans notre
continent est celui qui fait référence à
l'élucidation de concepts en tout genre et qui engagent les Africains
dans leur vie de tous les jours; sur des plans aussi variés que la
politique, l'idéologie, la science; mais aussi l'art, le droit, la
religion, etc. En procédant ainsi elle sort de sa sphère
académique où elle engage donc un public académique pour
être un instrument de sensibilisation et d'éducation des masses.
Cela ne signifie pas pour elle, se transformer en une instance normative seule
capable de fixer les priorités de tout sur le continent africain. Elle
doit plutôt combattre toute forme d'unanimisme et envisager donc les
nombreux défis qui attendent l'Afrique en tenant compte non seulement
des spécificités inhérentes à chaque région,
à chaque peuple africain, mais aussi du contexte historique,
économique, idéologique etc. actuel. En le faisant elle se sera
plus seulement confinée dans les départements de philosophie des
Universités africaines; mais elle en sortira pour se poser dans le
quotidien de tout le monde. Cela peut être réalisé par
l'organisation de conférences publiques répétées,
de publications de documents, de prospectus, de création de sites
internet etc. dans un langage destiné à compris par le plus grand
nombre de persones. Bien entendu cela est étroitement lié
à la liberté d'expression dans nos différents pays et
à la contribution des pouvoirs publics pour encourager son enseignement
dans les systèmes éducatifs. Cette démarche peut avoir
entre autres conséquences heureuses la maîtrise d'un certain
nombre de phénomènes sociaux, politiques, économiques,
culturels, religieux etc., en relation non seulement avec le quotidien peuples
mais aussi qui déterminent leur futur. A côté la
détermination d'un appareil théorique et conceptuel à
même de restituer la pensée philosophique africaine notament
précoloniale. L'Afrique précoloniale a conu de brillantes
civilisations. En témoignent toutes les réalisations techniques
et technologiques de cette période subsistent en certains endroits, mais
aussi toute cette manière particulière de concevoir et
d'organiser le monde qui existe et qui se manifeste à travers les
contes, légendes, cosmogonies etc. Mais on doit convenir avec Towa que
le contact des civilisatiosn africaines avec le monde occidental nous a
été déafavorable, en sorte qu'il est possible de parler de
la défaite de l'Afrique face à l'Occident. La démarche de
l'intellectuel Africain ne doit pas être de rester dans un bureau
confortable et de conjecturer sur les questions qui concernent cette
période de notre histoire. Autrement il faut non seulement faire le
constant de cette défaite mais aussi faire des recherches
informées sur le terrain afin de de savoir le niveau de connaissance qui
avait été atteint par ces civilisations. Cela passe par la
construction de tout un arsénal d'outils théoriques et
conceptuels qui serait propre au monde africain. Car comme le dit Pathé
Diagne jusque là l'Europe a définit toute seule, sur la base de
ses intérêts les termes théoriques de toute connaissance
scientifique. L'intellectuel africain formé à l'école
occidentale en est fortement influencé et tout ce qu'il produit sur la
question est presque toujours superficiel. De plus il revient à la
philosophie de faire son auto-promotion sur le continent africain. Il n'est pas
nécessaire de dire que de nos jours, pour plusieurs raisons elle est
marginalisée et reléguée au dernier échelon des
disciplines à étudier. Cette situation doit changer et cela passe
entre autre par la démystification de la philosophie elle-même. La
philosophie doit arriver à faire qu'elle ne construit certes des ponts
ni de buildings, elle n'a pas pour vocation changer le quotidien
immédiat des individus. Mais d'un autre côté elle ne se
résume pas en une négation de l'existence de Dieu ou toutes les
autres négativités qu'o lui attribue. Elle est simplement une
plate forme où toutes les questions peuvent faire l'objet de discussion
libre et dépassionnée avec comme seul instrument d'argumentation
la raison.
En un mot tous ces défis et bien d'autre encore
attendent la philosophie dans nos différentes sociétés
pour véritablement constituer un discours en adéquation avec son
temps sur le continent africain.
* 1 Léo Frobenius,
Histoire de la civilisation africaine, traduit par Back et Ermont,
Gallimard, Paris, 1938
* 2 Pierre Bamony a soutenu le 20 Décembre 2001
une thèse d'anthropologie sociale et d'ethnologie (Université
Clermont-Ferrand) sur le thème : «Structure apparente,
structure invisible : l'ambivalence des pouvoirs chez les Lyéla du
Burkina Faso.» Il est en outre titulaire d'un D.E.A. d'anthropologie
(E.H.E.S.S de Paris) ; d'un Doctorat de 3è cycle de Philosophie
(Paris IV Sorbonne). Parallèlement à sa fonction d'enseignant, il
collaboçre dans des ouvrages scientifiques notamment à la Revue
Anthropos (Allemagne) où il est auteur de : Équilibre
social et pouvoirs chez les Lyéla de la Haute Volta, Sankt Augustin,
Anthropos, p. 433-440-79-1984.; Science et anthropologie : de la notion de
l'âme en général et de sa conception singulière chez
les Lyéla du Burkina Faso, Sankt Augustin, Anthropos, p.p.548 à
554- 95-2000. Son propos qui nous sert de référence ici se trouve
dans un article publié dans le site Hommes et Faits (
http://www.hommes-et-faits.com) ,
il aborde notamment le problème de la philosophie africaine.
* 3 Pierre Bamony, article
précité
* 4 S. Sauneron, Les
prêtres de l'ancienne Egypte, Paris, Edition du Seuil, 1957, p. 111
* 5 E. Amélineau,
Prolégomènes à l'étude de la religion
égyptienne, Paris, Leroux, 1916, p.219
* 6 J. Chadwick, Le
déchiffrement du linéaire B. Aux origines de la langue grecque,
Paris, Gallimard, 1972, pp. 70-71 (édition anglaise 1958).
* 7 Marcel Griaule (
1898-
1956) est un
ethnologue
français. Un de ses apports essentiels (relatif à l'
ethnographie) est
d'avoir démontré que la cosmogonie dogon (orale) est au moins
aussi importante que les cosmogonies occidentales. Ses ouvrages tels que :
Dieu d'eau (entretiens avec Ogotemmeli, ouvrage qui
révèle les structures de la pensée sacrée dogon)
(1948) ; Renard pâle, ethnologie des Dogons, Institut
d'Ethnologie, 1965/1991 (en collaboration avec Germaine Dieterlen) font
aujourd'hui école dans le domaine de l'ethnographie sur certains peuples
africains.
* 8 Paul Radin (
1883-
1959) est un
anthropologue
américain. Il
a étudié à l'Université de
Columbia
(Etas-Unis). Il commença ses études de terrain par les indiens
Winnebago (Les Ho-Chunk ou
Winnebago - comme ils sont généralement nommés - sont une
tribu
amérindienne,
originaire de ce que l'on nomme aujourd'hui le
Wisconsin et l'
Illinois en
1908. Il est auteur de nombreux
ouvrages célèbres dont Primitive Man As Philosopher en
1927.
* 9 Elungu PEA, Eveil
philosophique africain, Harmattan, Paris, 1994, p.13.
* 10 Idem
* 11 Cité in Marcien
Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique
actuelle, Ed. Clé Yaoundé, p.8
* 12 Amady Aly Dieng,
Hegel, Marx, Engels et les problèmes de l'Afrique Noire,
cité dans un article de Léon Sobel Diagne, Conseiller
Pédagogique Itinérant PRF de Dakar intitulé `Le
Problème de la Philosophie Africaine'.
* 13 Idem
* 14 Ibidem
* 15 Article
précité p.
* 16 Cité in Elungu
PEA, Idem, p.14
* 17 Georges Balandier est
un
ethnologue et
sociologue
français. Il est
actuellement professeur émérite de la Sorbonne (Université
René Descartes, Paris-V), Directeur d'études à l'
EHESS, collaborateur au Centre
d'Etudes Africain. Il auteur de plusieurs de sociologie et d'ethnologie sur les
peuples africains. C'est le cas de : Particularisme et Evolution: les
pêcheurs Lébou (Sénégal), St Louis du
Sénégal, IFAN, 1952, (en coll. avec Pierre Mercier) ;
Les villages gabonais, Brazzaville, Institut d'études
centrafricaines, 1952 ; Sociologie Brazzavilles noires, Paris,
A.Colin, 1955.
* 18 Elungu PEA, Ouvrage
précité, note p.14
* 19 Nous reviendrons plus
tard.
* 20 Toutes nos
références concernant La philosophie Bantoue dans ce
texte renverront au texte intégral digitalisé et
présenté par le Centre Aequatoria, http://www.aequatoria.be.
* 21 Cela apparaîtra
plus nettement avec les critiques de Towa et Hountondji que nous verront plus
tard
* 22 Tshialega N'Tumba,
« Qu'est-ce que la philosophie africaine ? »
Fcaulté de Théologie de Kinshasa, 1979, p.36
* 23 linguiste,
économiste et politologue sénégalais
* 24 Dans
L'europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain,
suivi de: Thèses sur Epistémologie du réel et
Problématique néo-pharaonique, Dakar, éd.
Sankoré, 1981, 221 p., l'auteur s'en prend vigoureusement à
Hountondji et l'europhilosophie en générale. Il y montre et
dénonce les sources althusseriennes de Hountondji. Pathé Diagne
estime qu'en fait Hountondji ne fait que reprendre aveuglément les
thèses de son maître de la rue d'Ulm qu'il finira par
dédire. En effet il s'est produit chez lui, à un moment
donné, une sorte de rupture épistémologique. On peut ainsi
parler d'écrits de première et seconde génération.
Sur la question spécifique de la philosophie, les écrits de
premières générations, Althusser voulant rompre
« avec l'idéologisme qui entravait la science autant que la
philosophie dans la recherche marxiste en particulier, (...) restituer à
la philosophie ou à la pensée critique tout court ses
libertés, sa réalité de discipline autonome et originale
face aux empiètements et aux tentatives de submersion dont elle fait
l'objet au non d'une primauté exclusive de la `lutte de classe' ou la
`politique' dans la pratique scientifique et théorique en
général ». Pathé Diagne p.45 A cette
époque la philosophie désigne la théorie de la pratique
théorique. Mais à partir de 1968, le même Althusser
ressuscitera l'idéologisme en proscrivant la définition
précédente de la philosophie. Elle devient cette fois la
politique dans la théorie. C'est un retournement de situation dont
Hountondji est conscient, mais préfère garder
fidélité aux thèses de première
génération. Car à ses yeux il reste incontestable que la
philosophie « existe en tant que forme particulière de la
littérature scientifique », « la philosophie est une
histoire et non un système », « une recherche
inquiète et inachevée, non un savoir clos. Cela veut dire entre
autres choses qu'aucune doctrine philosophique ne peut être
considérée comme la vérité » ... (Cf Sur
la philosophie africaine critique de l'ethnophilosophie, Chapitre 4 : La
philosophie et ses révolutions). Du reste Hountondji justifie sa
fidélité aux thèses de première
génération par le fait qu'il n'a pas « à suivre
Althusser », préférant mettre ce changement dans les
idées de son maître sur le compte d'une « longue
fréquentation de l'oeuvre de Lénine ». Il maintient
qu'en tout état de cause, la philosophie doit être
séparée de l'idéologie, qu'elle « ne saurait se
réduire à un tissu de slogans ou à une propagande
savante ». Cf note 35, p.215
* 25 TOWET, Taita, Le
rôle d'un philosophe africain, in Présence africaine 1959)
n.27-28, 108-128, et in SMET, A.J. (ed), Philosophie africaine. Kinshasa, 1975,
I, 185-206.
* 26 Titre du chapitre 1,
p.7
* 27 NDAW, A., Peut-on
parler d'une pensée africaine? in Présence africaine (1966) n.58,
32-46, et in SMET, A.J. (ed), Philosophie africaine. Kinshasa, 1975, I,
227-242.
* 28 Juleat Basile Fouda, La
philosophie africaine de l'existence, Lille, 1967
* 29 Cité par Towa,
pp 25-26)
* 30 Cheikh Anta Diop,
Nations Nègres et Cultures, Paris, Présence Africaine, 1954,
1964, 1979
* 31 Friedrich Heinrich
Jacobi, né à
Dusseldorf, le 25 janvier
1743, mort à
Munich, le 10 mars
1819, philosophe allemand.
Jacobi occupa plusieurs places dans l'administration, fut conseiller à
Dusseldorf; et devint en
1804, conseiller de
Bavière et
président de l'Académie des Sciences de Munich. Il a
publié un grand nombre d'ouvrages de philosophie et de
littérature. Comme philosophe, il fut un adversaire de
Kant, et proposa une doctrine
mystique qui fondait toute connaissance philosophique sur le sentiment, sorte
d'instinct par lequel l'âme atteint immédiatement les
vérités les plus importantes, Dieu, la Providence,
l'immortalité de l'âme. Ses principaux ouvrages philosophiques
sont : Lettres sur la doctrine de Spinoza (1785), De Hume et de la foi, ou
de l'idéalisme et du réalisme (1787), Lettre à Fichte
(1799).
* 32 Friedrich Daniel Ernst
Schleiermacher (
21 novembre
1768 -
12 février
1834), théologien
Protestant et
philosophe allemand
auteur notamment de De la Religion. Discours aux personnes cultivées
d'entre ses mépriseurs (1795. trad. nouvelle en français par
Bernard Reymond. Paris, Van Dieren Éditeur, 2004)
* 33 Dans les
premières années du XIXe siècle la philosophie
écossaise du sens commun connaît un succès
considérable. Pierre Royer-Collard (1763-1845) philosophe et homme
politique français ; l'introduit officiellement dans
l'université en 1811, et elle devient une des références
majeures de la philosophie spiritualiste, pour Victor Cousin et Théodore
Jouffroy notamment.
* 34 Ciceron, grand orateur
de Rome qui naquit en 106, et mourut en l'an 43 avant Jésus-Christ. Il a
tout ou presque tout sondé. Il reste célèbre de dans
l'histoire de la pensée surtout pour ses talents inégalables
d'orateur. Du reste il était à la fois philosophe, avocat, homme
d'état. Aujourd'hui il est admis que dans sa philosophie Cicéron
semblait beaucoup plus préoccupé à susciter l'admiration
de son auditoire que de fonder ses dires sur des présupposés
scientifiques ce qui lui vaut ces réserves que Towa soulève ici.
Du reste, cette position n'est pas unique dans la littérature
philosophique. Ainsi dans l'Encyclopédie Agora (en ligne) on peut lire
que « Cicéron a terni sa gloire en poussant quelque fois l'art
jusqu'à l'ostentation, en s'occupant plus de l'administration de son
auditoire qu'à le convaincre, et en affaiblissant son style par une
magnificence excessive ».
* 35 Hegel, oeuvres de
jeunesse, Différence des systèmes de Fichte et Schelling, in
Morceaux choisis, par Lefebvre et Guterman, 1, p.17 Idées Gallimard
* 36 Nous entendons par
héritage culturel africain toutes les institutions, les us et coutumes,
les traditions, manière de vivre et de faire, etc. qui existent en
Afrique et qui sont conservés et entretenus depuis plusieurs
générations.
* 37 Wilmot Blyden
(1832-1912), intellectuel et homme d'état libérien auteur de
plusieurs ouvrages dans lesquels il fustige notamment l'idée de
l'infériorité du Noir face au Blanc. On peut notamment mentionner
A Voice from Bleeding Africa (1856); Liberia's Offering (1862); The Negro in
Ancient History (1869); The West African University (1872); From West Africa to
Palestine (1873); Christianity, Islam and the Negro Race (1887); The Jewish
Question (1898); West Africa before Europe (1905); Africa Life and Customs
(1908)
Il est l'un de ces pionniers de du nationalisme africain, mais
il planchait surtout pour un état ouest africain qui s'édifierait
sur la base de la langue que ces pays ont en partage.
* 38 L'idée d'une
philosophie négro-africaine, in Cahiers du département de
philosophie (Université de Yaoundé) 2 (1978), 5-56, débat,
57-88p.22.
* 39 Conseil pour le
développement de la recherche en sciences sociales en Afrique
* 40 Théophile Obenga
est d'origine congolaise né en 1936. depuis sa rencontre avec Cheikh
Anta Diop en 1970, il en devient le digne élève et aujourd'hui
l'un des dignes héritiers. Il est en ce moment professeur à
l'Université de San Francisco.
* 41 Le mythe de
l'ethnophilosophie fonctionne chez Hountondji comme s'il y avait une
nécessité chez les auteurs africains, chaque fois qu'il est
question d'écrire sur la problématique philosophique africaine,
de défendre les civilisations africaines, en les mettant constament en
opposition avec celles des autres continents. Mais en le faisant les auteurs
africains donnent l'impression de prendre le risque de parler à la place
des peuples africains sans que cela leur soit demandé.
* 42 Régis Debray, Le
pouvoir intellectuel en France, Ramsay, Paris 1979, p.94
* 43 Le professeur Niangoran
Bouah est considéré comme le père fondateur de la
drummologie (terme qui dérive de l'anglais `drum' pour désigner
le tambour et de `logie' (de logos, discours et traité). La drumologie
est l' étude de tous les instruments parleurs de musique (tambour,
mais aussi balafon, cor d'appel, flûte, arc musical, trompe
traversière, double gong)) Il est l'ancien directeur du Musée
des Civilisations de Côte d'Ivoire, ethno-musicologue de
l'Université d'Abidjan, directeur du département scientifique des
lettres, art, musique et musicologie, où il enseignait aux niveaux
maîtrise, DEA et doctorat. La drummologie, qui s'enseigne à la
fois dans les départements de musicologie et d'anthropologie.
* 44 En effet comme les
hiéroglyphes égyptiennes, cette forme d'écriture
présente le caractère de ne pouvoir être compris et utilise
que par une poignée d'initi1és. De plus en tant
qu'écriture fondamentalement basée sur la symbolique, celle-ci se
limitait a la connaissance des initiés concepteurs et créateurs
des caractères scripturaux qui y figuraient. En sorte que n'y figurait
que ce que ceux-ci jugeaient bon. Il n'y a aucune figure pour expliquer ou
exprimer ce qu'ils ne savent pas.
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