IV. L'APPROCHE PARTICIPATIVE DANS LA MISE EN OEUVRE DE
L'INITIATIVE PPTE AU CAMEROUN EN QUESTION
La première lecture de l'approche participative dans la
mise en oeuvre de l'Initiative PPTE a permis de constater la non implication
des populations bénéficiaires et la prise en compte
problématique de leurs besoins et aspirations dans les projets qui leur
sont destinés. Un tel constat suscite des questions qui ne peuvent
trouver des réponses que dans une lecture en profondeur du sens de la
participation dans cette Initiative. Pour cette lecture, l'approche
sociocritique sera mise à contribution puisqu'elle permet de mettre en
évidence le sens caché de la réalité sociale comme
l'affirme Jean ZIEGLER :
« Ce qui est montré est à expliquer
par ce qui ne se montre pas, car le plus caché est le plus
véridique ».
Quels sont les non-dits de l'application de l'approche
participative dans la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au Cameroun ?
IV.1. L'approche participative dans la mise en oeuvre
de l'Initiative PPTE au Cameroun : une question de
formalité
La participation des acteurs sociaux, plus
précisément des populations bénéficiaires, à
la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE est l'une des exigences des promoteurs
de cette Initiative par rapport à l'exécution de son volet
social. Cette participation, loin d'être l'expression d'une réelle
volonté de respect du principe de la « responsabilité
démocratique » visé à travers son application,
relève plutôt d'un souci de conformité aux exigences des
bailleurs de fonds. Ce constat se dégage de l'analyse de l'application
de l'approche participative dans la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au
Cameroun.
En effet, la non implication des populations d'accueil et la
non insertion de leurs besoins et attentes dans les initiatives de
développement qui leurs sont destinées, ont été
reconnues par la Communauté internationale comme étant les causes
de l'échec de la plupart des projets de développement. Cette
prise de conscience a conduit à un changement d'approche dans la mise en
oeuvre des initiatives de développement, et s'est faite jour la
promotion de l'approche participative dans ces initiatives. Cette approche est
au centre des préoccupations des promoteurs de l'Initiative PPTE qui en
ont fait une condition sine qua none de la mise en oeuvre de cette
Initiative.
Au lendemain de l'admission du Cameroun au point de
décision de cette Initiative, les autorités camerounaises ont mis
en place un dispositif de mise en oeuvre des projets PPTE qui intègre le
principe de l'approche participative, il s'agit du Comité consultatif et
de suivi de la gestion des ressources PPTE (CCS/PPTE). Créé le
1er décembre 2000 par le décret numéro 2000/960
du Premier ministre, le CCS/PPTE est chargé, entre autres, d'assurer la
gestion participative et transparente des ressources PPTE . Dans son
organisation, le CCS/PPTE dispose d'un mécanisme de participation de par
la constitution de ses membres qui comprennent les bailleurs de fonds, le
gouvernement et les départements ministériels concernés
par les champs d'intervention des projets, et les organisations de la
société civile. Son fonctionnement intègre
également le principe de la participation à travers la voix qu'il
donne à chacun de ses membres dans les délibérations
relatives aux projets à financer. Mais ce dispositif de participation,
au regard de l'application qui en est faite, apparaît tout simplement
comme un effort de conformité aux formalités de mise en oeuvre
des projets PPTE exigées par les promoteurs de cette Initiative et les
autres bailleurs de fonds.
En fait, l'approche participative telle que recommandée
par les promoteurs de l'Initiative PPTE et qui est également celle
promue dans la nouvelle approche du développement, suppose l'implication
de tous les acteurs sociaux et plus particulièrement des populations
bénéficiaires dans les différentes étapes de la
mise en oeuvre des projets. Elle suppose également la prise en compte
des besoins et attentes de ces bénéficiaires dans lesdits
projets. Mais, l'exécution des projets PPTE ne respecte pas ce principe
de la participation.
Les étapes de cette exécution sont
constituées de la sélection et de la réalisation
proprement dite. Mais comme le révèle l'observation relative
à l'implication des acteurs sociaux dans la mise en oeuvre de ces
projets, les principaux bénéficiaires des projets sont absents
des travaux relatifs à la sélection des projets destinés
à leur développement. Ils sont, d'après la même
observation, absents de la réalisation desdits projets. Cette absence
aux différentes étapes de l'exécution des projets PPTE,
comme relevé plus haut, compromet la prise en compte de leurs besoins et
attentes dans lesdits projets. Ainsi, la mise en oeuvre des projets PPTE au
Cameroun ne respecte aucun principe de la participation des populations
bénéficiaires. Et dans ces conditions, le dispositif de la
participation mis en place par le gouvernement ne sert pas les
intérêts des populations bénéficiaires, mais
plutôt ceux du gouvernement, dans la mesure où il constitue la
preuve du respect des exigences des promoteurs de l'Initiative PPTE en ce qui
concerne la participation des acteurs sociaux aux projets. Bien plus, ce
dispositif s'inscrit tout simplement dans le registre des formalités
à remplir par le gouvernement pour rassurer les bailleurs de fonds de la
bonne gestion des fonds PPTE et se donner plus d'arguments pour l'atteinte du
point d'achèvement de cette Initiative qui consacre un allègement
plus substantiel de la dette et beaucoup plus de fonds pour les projets
PPTE.
En définitive, l'application de l'approche
participative telle qu'elle est menée dans le cadre de la mise en oeuvre
de l'Initiative PPTE, répond à une question de formalité
plutôt qu'à un souci d'efficacité des projets à
réaliser. Une telle application de l'approche participative a
également pour effet de dissimuler l'hégémonie des acteurs
étatiques sur la mise en oeuvre des projets PPTE.
IV.2. L'approche participative dans la mise en oeuvre de
l'Initiative PPTE au Cameroun : une stratégie de dissimulation de
l'hégémonie des acteurs étatiques sur l'exécution
des projets PPTE
Plus qu'une question de formalité, l'approche
participative dans la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au Cameroun
apparaît comme une stratégie de dissimulation de l'emprise des
acteurs étatiques sur la mise en oeuvre des projets y relatifs. Ce
constat se dégage également de l'analyse de l'application de
cette approche à l'exécution de ces projets.
Désormais admise comme le gage de la réussite
des initiatives de développement, l'approche participative est une
recommandation majeure des promoteurs de l'Initiative PPTE dans la mise en
oeuvre de son volet social. Principe cardinal de cette mise en oeuvre,
l'approche participative consacre l'irruption de la société
civile et plus particulièrement des populations dans la gestion des
affaires publiques jadis réservée exclusivement aux acteurs
étatiques.
A la faveur de l'admission du Cameroun à l'Initiative
PPTE, un dispositif de participation a été mis en place par le
gouvernement pour assurer l'application du principe de la participation dans
les projets PPTE, le CCS/PPTE. Mais la conception et l'application de ce
principe font état du monopole des acteurs étatiques sur la mise
en oeuvre de ces projets au Cameroun.
L'approche participative en matière de
développement recommande l'implication des communautés d'accueil
dans la formulation et la réalisation des initiatives de
développement qui leur sont destinées. Dans le cadre des projets
PPTE, le dispositif de la participation se met en oeuvre dans la phase de la
sélection et de la réalisation des projets.
Dans la phase de la sélection des projets, ce
dispositif accorde un effectif prépondérant aux acteurs
étatiques, au détriment des acteurs à la base ou de leurs
représentants supposés. Sur les 19 (dix-neuf) membres que compte
le CCS/PPTE, 07(sept) relèvent de la catégorie des acteurs
étatiques, 05(cinq) de celle des bailleurs de fonds et qui assistent aux
travaux en qualité d'observateurs. Dans la catégorie de la
société civile, 03(trois) membres assistent aux travaux en
qualité de représentants des confessions religieuses, 01(un) en
qualité de représentant de l'association professionnelle de la
micro-finance et 02(deux) en qualité de représentants des ONG.
Suivant la « configuration développementiste »qui comprend les
acteurs au sommet, les acteurs intermédiaires et les acteurs à la
base, cette dernière catégorie d'acteurs ne figure pas dans le
registre des acteurs appelés à prendre part aux travaux relatifs
au choix des projets de développement qui leur sont destinés. Le
dispositif de participation exclut de ces travaux les populations
bénéficiaires.
Dans la phase de la réalisation des projets
déclarés éligibles, les acteurs intermédiaires non
membres de l'appareil gouvernemental et les acteurs à la base encore,
sont exclus de la mise en oeuvre des projets.
Il y a donc dans la mise en oeuvre des projets PPTE, exclusion
totale des populations bénéficiaires aussi bien dans la phase de
la sélection que dans celle de la réalisation des projets d'une
part, et exclusion ou implication partielle des organisations de la
société civile d'autre part. Seuls les acteurs étatiques
prennent pleinement et activement part à la mise en oeuvre des
projets.
Une telle pratique constitue une entorse à
l'application du principe de la participation telle que recommandée dans
la mise en oeuvre des initiatives de développement. Dans ces conditions
caractérisées par l'escamotage du principe de la participation,
l'approche participative apparaît tout simplement comme une
stratégie de dissimulation du monopole des acteurs étatiques sur
les projets PPTE, « la société civile (n'étant) qu'un
faire-valoir important ».Et dans ce cas, il s'agit à travers
l'admission de quelques organisations de la société civile au
sein du CCS/PPTE comme membres, de donner l'impression de respecter le principe
de la participation recommandé par les promoteurs de l'Initiative PPTE,
tout en poursuivant avec l'approche classique caractérisée par un
interventionnisme étatique fort. Ainsi, l'approche participative telle
que conçue et appliquée dans les projets PPTE, a aussi pour effet
de voiler l'hégémonie des acteurs étatiques sur ces
projets.
Ce chapitre avait pour objectif d'évaluer l'application
de l'approche participative dans la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au
Cameroun. Il nous a conduit tour à tour à l'exploration du
prétexte, des principes et des objectifs de la participation dans la
mise en oeuvre des projets y relatifs, et à son analyse. De
l'application de cette approche dans les projets PPTE au Cameroun, il ressort
que l'implication des populations bénéficiaires n'est pas une
réalité et que la prise en compte de leurs besoins et attentes
est problématique. L'approche sociocritique utilisée pour la
lecture de la pratique de la participation dans la mise en oeuvre de
l'Initiative PPTE, révèle que cette application relève
d'une question de formalité et qu'elle participe de la stratégie
de dissimulation de l'emprise des acteurs étatiques sur ces projets. Il
apparaît qu'un tel usage de l'approche participative compromet
l'appropriation des projets ainsi mis en oeuvre par les populations
bénéficiaires et par ricochet leur réussite. Et dans ces
conditions, l'Initiative PPTE se retrouve porteuse des écueils reconnus
aux précédentes initiatives de développement, ceux
relatifs à la non implication des populations
bénéficiaires et à la non insertion de leurs besoins et
attentes dans les préoccupations des initiatives de
développement. Au regard de ces écueils, il y'a lieu de croire
que de l'Initiative PPTE ne produira pas les effets escomptés sur les
conditions de vie des populations camerounaises.
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