La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
SECTION II : LA CONSECRATION DE DROITS ORIGINAUXLe texte constitutionnel de 1996 consacre des droits qui se rapprochent des réalités sociales camerounaises. Ces droits sont pour l'essentiel des droits d'essence communautariste, pour reprendre l'expression du Pr NLEP, en ce sens qu'ils sont reconnus à des communautés d'individus plutôt qu'à ces derniers pris isolément. Ils concernent spécifiquement la protection des valeurs traditionnelles (Paragraphe 1) et la protection des minorités et des populations autochtones (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1.- LA PROTECTION DES VALEURS TRADITIONNELLESLe contenu de ce droit tient compte des spécificités des collectivités et groupes ethniques cohabitant au sein de l'Etat camerounais. En effet, au Cameroun, vivent pas moins de 200 ethnies, aux coutumes différentes les unes des autres. Ces ethnies sont regroupées en une structure de base qui est la « communauté villageoise »174(*) correspondant dans la réalité camerounaise à la chefferie traditionnelle. C'est l'article 1er alinéa 3 de la Constitution réformée de 1996 qui « reconnaît et protège les valeurs traditionnelles » et le décret n° 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des Chefferies traditionnelles qui consacre le droit pour ces collectivités de désigner leur chef selon leurs propres coutumes. La protection des valeurs traditionnelles trouve donc ses sources juridiques dans la Constitution et le règlement au Cameroun. Mais qu'englobe véritablement cette protection des valeurs traditionnelles ? Il convient afin d'appréhender le contenu de ce droit, d'analyser la notion de « chefferie traditionnelle » (A) pour s'intéresser ensuite au statut du chef désigné de cette collectivité (B). A.- La notion de chefferie traditionnelleLa nature juridique de la chefferie traditionnelle n'a pas été facile à dégager en droit positif camerounais. Les deux premiers articles du décret de 1977 traduisent cet embarras du législateur dans sa tentative de dégager une nature juridique de la chefferie traditionnelle camerounaise. L'article 1er du décret indique que « les collectivités traditionnelles sont organisées en chefferie ». Le second lui emboîte le pas et précise que « la chefferie traditionnelle est organisée sur une base territoriale. Elle comporte trois degrés hiérarchisés suivants : · chefferie du 1er degré ; · chefferie du 2e degré ; · chefferie du 3e degré ». La volonté du législateur sur le « mode d'organisation » et la « base d'organisation » de ces entités n'est pas claire et la question se pose quant à savoir si la chefferie traditionnelle est une simple « collectivité locale » dotée de la personnalité juridique ou une simple circonscription territoriale. M. KOUASSIGAN pose le problème de la nature juridique de la chefferie traditionnelle en ces termes : « ces collectivités négro-africaines peuvent-elles être des personnes morales ? » et précise même que répondre à cette question revient à « savoir si (...)les [dites] collectivités peuvent prétendre à la qualité de sujet de droit »175(*). Si certaines thèses ont pu nier la personnalité juridique à ces collectivités176(*), il s'est développé à leur opposé la thèse de la reconnaissance de la personnalité juridique aux collectivités négro-africaines que sont les chefferies traditionnelles. Pour M. DECOTTIGNIES, la « collectivité villageoise » présente tous les critères habituellement retenus pour la reconnaissance de la personnalité juridique à un groupement. Ces critères sont : un conseil prenant l'ensemble des décisions de la communauté avec à sa tête un chef, et la disposition, la propriété communautaire de biens propres177(*). En droit positif camerounais, l'organisation interne définie par le décret de 1977 laisse apparaître un chef et un conseil de notables formé selon la tradition locale et chargé d'assister le chef dans l'exercice de ses fonctions. Toutefois, à la lecture du décret de 1977, ce conseil n'a pas d'attributions propres et c'est le juge administratif qui a précisé son importance dans le fonctionnement de la collectivité. Dans l'affaire Collectivité Deïdo-Douala, objet du jugement n° 63/CS-CA/79-80 du 25 septembre 1980, la Chambre administrative de la Cour Suprême (CS/CA) constate que l'autorité investie du pouvoir de décision a omis de consulter les notabilités coutumières Deïdo pour fins de désignation du Chef de ce canton en violation des dispositions de l'article 11 du décret de 1977. En conséquence, elle annule l'arrêté portant désignation du Chef de canton. De cette décision, découlent des conséquences qui précisent la notion de chefferie traditionnelle : Tout d'abord, il est admis, sinon confirmé, qu'une collectivité donnée, dès lors que ses intérêts sont lésés, dispose de la capacité d'ester en justice ; Ensuite et surtout, il est à retenir de cette décision qu'au-delà de l'architecture définie par le décret de 1977, toute l'organisation, tout le fonctionnement, et partant le régime et la nature juridiques de la chefferie traditionnelle, la vraie, doivent être recherchés non dans le droit administratif écrit, mais dans les multiples coutumes qui régissent son organisation et son fonctionnement dans une collectivité178(*). De cette capacité d'action et d'expression collective reconnue par le juge, la chefferie camerounaise est, au total une personne morale de droit public179(*). Un autre droit fondamental est alors lié à cet attribut, pour l'ensemble de la collectivité, la faculté pour elle de désigner un chef, dont le statut n'est pas sans intérêt. * 174 G. BALANDIER, Anthropologie politique, Paris, P.U.F., 1967, p. 208. * 175 G. A. KOUASSIGAN, L'Homme et la Terre, Paris, ORSTROM, 1966, p. 95 et sq., cité par R. G. NLEP, L'administration publique camerounaise, Contribution à l'étude des systèmes africains d'administration publique, Paris, L.G.D.J., 1986, p. 125. * 176 Voir en ce sens G. MALENGREAU, Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo belge, cité par, G. A. KOUASSIGAN, op. cit., p. 96. * 177 DECOTTIGNIES, ``Personnalité morale en Afrique noire'', Annales africaines, 1958, pp. 11-36, cité par R. G. NLEP, op. cit., p. 126. * 178 R. G. NLEP, op. cit., p. 127. * 179 Ibid., p. 127. |
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