Université de Poitiers
Faculté de droit et sciences
sociales
Pénalisation et dépénalisation
(1970-2005)
Mémoire de Master II recherche droit pénal et
sciences criminelles
présenté par Gatien-Hugo RIPOSSEAU
Sous la direction de Jean-Paul JEAN
Année 2004/2005
Remerciements
M. Jean-Paul JEAN, pour m'avoir aidé
à orienter mes recherches et à structurer ma pensée.
M. Philippe MICHEL-COURTY, pour le temps
passé à la relecture de mes recherches et à la mise en
forme de ces dernières.
Merci également à tous ceux qui m'ont
soutenu et encouragé tout au long de ma démarche.
Sommaire
Remerciements
1
Sommaire
2
Liste des abréviations
3
Introduction
4
Partie I - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation en fonction de la
qualité de l'auteur ou de la victime.
17
Section I - Le processus de pénalisation,
consacré à la protection de catégories de victimes
déterminées.
17
§ 1 - La protection des personnes
particulièrement vulnérables, archétype de
l'émergence d'un droit pénal catégoriel.
17
§ 2 - La pénalisation des atteintes
à la respectabilité d'autrui.
29
Section II - Le processus de
dépénalisation au profit d'auteurs déterminés.
37
§ 1 - La récente
dépénalisation des infractions non intentionnelles
opérée en faveur des titulaires d'un pouvoir
décisionnel.
37
§ 2 - La dépénalisation en
matière de moeurs, vecteur d'intégration sociale de personnes
déterminées : les femmes et les homosexuels.
44
Partie II - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation dans une finalité
d'adaptation du droit.
49
Section I - La pénalisation au service de
politiques publiques.
49
§ 1 - Le recours au droit pénal pour
des impératifs de santé publique.
49
§ 2 - La pénalisation : un
instrument au service de la lutte
contre « l'insécurité
routière ».
63
Section II - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation dans une finalité
d'adaptation du droit aux évolutions de la société.
69
§ 1 - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation en droit des affaires.
70
§ 2- Le recours au droit pénal pour
cadrer les évolutions techniques.
75
Partie III - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation face à l'encombrement
du système pénal.
83
Section I - La logique pragmatique du processus de
dépénalisation au service de l'économie du système
pénal.
83
§ 1 - Dépénalisation et
décriminalisation au service de l'économie du système
pénal.
83
§ 2 - Dépénalisation de fait et
développement des alternatives aux poursuites : des instruments de
gestion de contentieux de masse.
88
Section II - La fièvre législative ou
la pénalisation comme remède apparent aux maux de la
société.
95
§ 1- Le récent processus de
pénalisation de la précarité.
95
§ 2 - Les politiques de pénalisation de
l'immigration clandestine.
101
Conclusion générale
105
Bibliographie
110
Annexes
117
Table des matières
122
Liste des abréviations
Op.cit. = opere citado = dans l'ouvrage
précité
Ibid. = ici même
v = voir
p.-= page
pp. = pages
s. = suivant
n° = numéro
coll.= collection
Ed. = édition
art. = article
al. = alinéa
chap. = chapitre
J.O.= Journal officiel de la République
française
BO Min just.: Bulletin officiel du ministère de la
Justice
B.C. = bulletin criminel
Crim. = Chambre criminelle
circ. = circulaire
CEDH = Cour européenne des droits de l'homme
CSDH = Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme
CP et ACP = Code pénal et ancien Code pénal
CSP = Code de la santé publique
chr. = chronique
D.= Recueil Dalloz
PUF = Presse universitaire française
JCP = Jurisclasseur périodique (Semaine juridique)
Dr. Pén. = Revue de droit pénal
RSC. = .Revue de sciences criminelles et de droit
comparé
APC = Archives de politique criminelle
RDPC = Revue de droit pénal et de criminologie
Rev.jur.Prosp. = Revue juridique de droit prospectif
RD publ. = Revue de droit public
Rev. Sociétés = Revue de droit des
sociétés
Rép.pénal = Répertoire pénal
(Jurisclasseur pénal)
Introduction
La pénalisation et la
dépénalisation sont deux phénomènes à la
fois concurrents et complémentaires, qui, suivant leur évolution
respective, donnent à un système pénal
déterminé ses caractéristiques et ses grands traits. La
pénalisation et la dépénalisation constituent en effet
deux indicateurs fondamentaux permettant d'identifier les politiques
criminelles successives qui vont venir guider l'intervention du droit
pénal quant à l'intensité de son action, et au champ de
cette dernière.
Ce sont ces deux phénomènes et leur
évolution qui déterminent les valeurs protégées par
le droit pénal à un moment donné et leur
postérité au sein du système répressif.
Il existe deux facteurs essentiels de la pénalisation,
dépénalisation qui constituent autant de sources de
création et de suppression de la loi : le groupe social d'une part,
et le politique d'autre part1(*). Ces deux sources ne sont pas exclusivement
attachées au droit pénal mais c'est vraisemblablement dans le
cadre de ce dernier qu'elles jouent le rôle le plus symbolique.
« La création d'un texte doit se
réaliser autour de la valeur sacralisée et la disparition d'un
texte doit s'élaborer en opposition à la valeur
consacrée »2(*). Ce rejet peut se justifier soit par l'obsolescence de
la valeur protégée, soit par la disparition des circonstances qui
imposaient la protection de la valeur en question à un moment
donné. Or, cette évolution qui peut tendre aussi bien vers
l'adhésion que vers le rejet d'une valeur, traduit le processus normal
d' évolution des états forts de la conscience collective
telle que E. DURKHEIM l'a souligné3(*). Tout ceci souligne le fait que l'édiction ou
la suppression de la norme (plus particulièrement la norme
pénale), obéit notamment à la technique de
l'évaluation sociologique de l'importance de la valeur qui doit ou ne
doit plus être protégée par le droit pénal. Ainsi,
les valeurs qui inspirent le législateur pénal ne sont pas des
valeurs juridiques, elles appartiennent au contraire à une
réalité normative extra juridique. Autrement dit, à une
valeur juridique préexiste une valeur sociale. C'est finalement la
réalité sociale et les besoins de la société qui
poussent le législateur à poser de nouvelles normes ou à
en supprimer d'anciennes4(*) : ainsi, le groupe social participe tant au
processus de pénalisation qu'au processus de
dépénalisation.
Le politique intervient également comme source de
pénalisation et de dépénalisation qui sont autant d'armes
et de témoins du jeu politique. « La
dépénalisation, tout comme la pénalisation, est une arme
essentielle pour le politique en lui permettant d'imposer ses
idéaux : ainsi, il impose ses convictions philosophiques morales ou
sociales, ses choix de société »5(*).
Notions voisines indirectement liées à
la pénalisation, dépénalisation :
Avant de donner une définition précise de la
pénalisation et de la dépénalisation, il convient
d'identifier des notions qui leur sont voisines et directement ou indirectement
liées. Quatre couples de notions, constituées à partir
d'un néologisme, ne sont qu'indirectement liées à la
pénalisation, dépénalisation car elles ne concernent pas
exclusivement le droit pénal :
La déjuridicisation, juridicisation.
La déjudiciarisation, judiciarisation.
La déjusticialisation, justicialisation.
La déjuridictionnalisation, juridictionnalisation.
La déjuridicisation apparaît pour Michel GIROT
comme un phénomène qui préconise l'appréhension
autre que juridique d'un comportement auquel s'attachaient
antérieurement des effets de droit6(*). A l'inverse, la juridicisation se présente
comme le mouvement qui tend à favoriser une réponse juridique
à une situation donnée.
La pénalisation, dépénalisation se
différencie ensuite de la déjudiciarisation, judiciarisation.
La déjudiciarisation se présente comme un
mécanisme tendant à éviter le processus judiciaire. Les
solutions au conflit de droit pénal sont recherchées ici
« hors la cour ». L'intervention des tribunaux judiciaires
est ainsi court circuitée. A l'inverse, la judiciarisation favorise leur
compétence.
La pénalisation, dépénalisation sont
enfin à distinguer de la déjusticialisation, justicialisation et
de la déjuridictionnalisation, juridictionnalisation.
Ces notions sont considérées comme synonymes
pour Michel VAN DE KERCHOVE7(*) : selon lui, la déjusticialisation et la
déjuridictionnalisation tendent à faire sortir une situation de
la compétence de la justice, pour transférer ces
compétences vers des autorités non juridictionnelles. A
l'inverse, la justicialisation et la juridictionnalisation favorisent
l'intervention de la justice.
Tous ces mouvements, qu'ils soient d'avancée ou de
retrait du droit, sont des composants non exclusifs de la pénalisation,
dépénalisation, car ils ont vocation à trouver leur place
dans des branches très diversifiées du droit : droit civil,
droit commercial, droit administratif, etc.
Notions voisines directement liées à la
pénalisation, dépénalisation :
Contrairement à ces notions, il en existe quatre
autres qui sont directement liées à la pénalisation,
dépénalisation : il s'agit de la décriminalisation,
la criminalisation, la correctionnalisation et la contraventionnalisation.
En ce qui concerne la décriminalisation,
criminalisation, la polysémie du terme « crime »
impose la distinction de deux acceptions.
Stricto sensu, pris dans son acception purement
pénaliste, le crime est l'infraction la plus grave au sommet de la
classification tripartite édictée par le droit pénal
français. Suivant cette conception, la décriminalisation se
révèle en la transformation d'un crime en délit ou en
contravention. A l'inverse, la criminalisation serait l'action d'ériger
en crime un délit ou une contravention8(*).
Lato sensu, le « crime »
représente toutes les infractions; le terme est envisagé ici non
plus dans une optique purement pénaliste , mais à travers sa
conception criminologique. Ainsi, selon cette approche du
terme « crime », la décriminalisation consiste
à supprimer l'incrimination et la criminalisation à
l'édicter. C'est cette seconde conception du crime dans la
criminalisation, décriminalisation qui fédère le plus les
divers opinions et travaux menés en la matière même si
quelques divergences apparaissent.
Selon J.LECLERCQ, « la décriminalisation
implique la suppression de l'incrimination et cette suppression entraîne
celle de la peine »9(*). Selon cette conception, criminaliser serait bien le
fait d'ériger un comportement (autrefois ignoré par le droit
pénal) en infraction : cette conception de la criminalisation n'est
pas remise en cause, mais quelques dissonances sur la notion de
décriminalisation apparaissent selon les auteurs. Ainsi, pour le
professeur VAN DE KERCHOVE, la décriminalisation conduit à
l'annulation de la criminalisation d'un certain comportement, ce qui ne
signifie pas que le comportement est légitimé par le droit ;
le comportement décriminalisé reste illégal quand il a
besoin d'une réaction sociale et non d'une réaction
criminelle »10(*). Mireille DELMAS-MARTY voit que la
décriminalisation est « la pleine reconnaissance juridique et
sociale du comportement décriminalisé » et implique
« la reconnaissance d'un droit légitime à un mode de
vie qui était précédemment contraire à la
loi »11(*). Pour
Jean PRADEL, la décriminalisation « entraîne la
dispersion du droit pénal, le comportement sortant de la sphère
du droit pénal et même du droit tout court, soit qu'il devienne
pleinement « légitime » ce qu'implique l'abrogation,
soit à la rigueur qu'il cesse d'être
poursuivi »12(*). Georges LEVASSEUR considère quant à
lui que la décriminalisation « consiste à cesser
d'incriminer un comportement, tout au moins sous une certaine qualification.
Elle comporte trois variétés :
- la cessation totale de l'incrimination. Le fait n'est plus
défendu sous sanction pénale. Il est permis (sauf
responsabilité civile, commerciale, administrative, etc.).
- la simple disqualification. Le comportement
précédemment incriminé le reste, mais il ne l'est plus
qu'en tant qu'infraction mineure ; il se trouve donc puni de peines moins
fortes.
- le maintien de la qualification avec peines sensiblement
différentes dans le sens d'une moindre rigueur. Il y a de multiples
exemples dans le domaine des substituts aux courtes peines
d'emprisonnement »13(*). Enfin, le comité européen pour les
problèmes criminels distingue décriminalisation
« de jure » et décriminalisation
« de facto ». La décriminalisation
« de jure » est constituée des
« processus par lesquels la « compétence »
du système pénal pour infliger des sanctions à titre de
réaction à une certaine forme de comportement lui est
retirée pour ce qui concerne ce comportement précis. Cela par un
acte législatif ou par la façon dont la magistrature
interprète la législation ». En revanche, la
décriminalisation « de facto » est
définie par le comité comme « un
phénomène consistant à diminuer (progressivement) les
réactions du système de la justice pénale en face de
certaines formes de comportements ou de certaines situations, sans qu'aucun
changement n'intervienne dans la compétence de ce
système »14(*).
Pour cette recherche, la définition de la
décriminalisation sera celle qui consiste à appréhender ce
phénomène comme le fait de faire cesser totalement
l'incrimination existante, que le comportement décriminalisé soit
de ce fait devenu légitime ou non. La décriminalisation sera
envisagée comme un processus qui ne relève que de la
compétence du législateur, de telle sorte qu'il ne sera jamais
fait de distinction entre la décriminalisation de droit et la
décriminalisation de fait. La criminalisation et la
décriminalisation sont deux phénomènes qui
s'insèrent respectivement aux deux extrémités de la
pénalisation, dépénalisation pris dans leur aspect
temporel : la criminalisation est la première opération du
processus de pénalisation et la décriminalisation est la
dernière opération du processus de
dépénalisation.
La correctionnalisation réside dans l'action de
qualifier une infraction en délit, que le comportement soit
antérieurement non incriminé ou incriminé sous la
qualification de contravention ou de crime. Elle est donc à la fois
facteur de pénalisation et de dépénalisation. Elle est un
facteur de dépénalisation tout d'abord, lorsqu'elle
entraîne un crime vers une qualification correctionnelle. Elle constitue
ensuite un facteur de pénalisation, lorsqu'elle criminalise un
comportement en délit ou lorsqu'elle transforme un comportement
contraventionnel en comportement délictuel. Dans le cas précis
où le comportement n'était pas incriminé auparavant, la
correctionnalisation s'apparente donc à une forme particulière de
criminalisation. Aussi, Wilfrid JEANDIDIER distingue fort subtilement la
correctionnalisation législative (ou légale) et la
correctionnalisation judiciaire. Cette distinction fait apparaître que
dans le second cas, la correctionnalisation peut être le fait de
magistrats qui décident que le jugement d'un crime sera de la
compétence du tribunal correctionnel et non de celle de la cour
d'assises.
La correctionnalisation, comme la contraventionnalisation, est
un aspect de la pénalisation, dépénalisation.
La contraventionnalisation consiste à faire d'un
comportement une contravention, que ce dernier ait été
incriminé ou pas par le droit antérieur. Ainsi, la
contraventionnalisation appartient tantôt au mouvement de
pénalisation, tantôt au mouvement de
dépénalisation.
Elle s'inscrit dans la dépénalisation lorsque le
comportement était antérieurement qualifié de délit
ou de crime. Elle s'insère au contraire dans le mouvement de
pénalisation lorsque le comportement ne constituait pas une infraction
pénale dans le droit antérieur : à ce titre, la
contraventionnalisation est elle aussi une forme particulière de
criminalisation.
A l'opposé des concepts précédents, la
criminalisation, décriminalisation, la correctionnalisation et la
contraventionnalisation sont des notions directement liées à la
pénalisation, dépénalisation et elles se réalisent
par conséquent exclusivement dans ce double mouvement. Ces notions sont
donc des composantes de ce double mouvement qu'il convient de préciser
après en avoir décrit la genèse conceptuelle.
Genèse conceptuelle des notions de
pénalisation, dépénalisation :
Les notions de pénalisation et
dépénalisation, bien que d'existence aussi ancienne que celle des
lois répressives, n'ont véritablement fait l'objet
d'études que très tardivement.
Par exemple, les premiers ouvrages faisant
référence à la dépénalisation datent des
années 197015(*),
alors que la conceptualisation de cette notion apparaît dans les
années 1960 avec les premières recherches sur les
dysfonctionnements du système pénal. L'inflation pénale,
l'inadaptation aux mutations économiques et politiques, les
interrogations sur la délimitation du champ de l'intervention du doit
pénal au regard des objectifs de cohérence assignés
à la protection sociale du fait de la politique criminelle... autant de
phénomènes perturbateurs desquels vont résulter la crise
du système pénal. La dépénalisation apparaît
ainsi comme un remède susceptible de juguler cette crise du
système pénal : on estime que si il y a trop de pénal
ou que si il est inadapté, il n'y a qu'à rétrécir
son champ d'action ou éventuellement à le supprimer. La
dépénalisation tout comme la crise, ne sont alors
envisagées qu'à travers une acception réductrice car il
n'est retenu que les aspects strictement conjoncturels de ces deux
phénomènes, nonobstant la perception faussée de leur
rapport à laquelle elle renvoie.
La pénalisation, quant à elle, ne sera
analysée comme un phénomène autonome qu'à partir
des années 1990 et ne fera l'objet que de très peu
d'études d'ordre conceptuel de la part de la doctrine.
Définition des concepts de
pénalisation, dépénalisation :
S'agissant des concepts eux-mêmes, de
pénalisation, dépénalisation, il sera
préférable d'identifier dans un premier temps la
dépénalisation, notion richement définie par la doctrine,
pour dans un deuxième temps déterminer précisément
le sens de son antonyme, par opposition au sens de la notion de
dépénalisation qui sera adopté pour cette recherche.
La dépénalisation est un concept sur lequel la
doctrine a abondamment réfléchi, d'où la pluralité
d'approches qui en résulte. Néanmoins, cette notion pour le moins
protéiforme qui a donné lieu à des acceptions
hétérogènes, peut être conçue de deux
façons différentes eu égard aux différents travaux
doctrinaux. L'examen des opinions professées en la matière
révèlent l'existence de deux grandes tendances, voire de deux
grandes écoles sur le sens de la dépénalisation16(*).
La première école est celle que l'on pourrait
appeler « l'école du recul du droit
pénal ». Pour ce courant doctrinal, la
dépénalisation désigne « toutes les formes de
désescalade à l'intérieur du système
pénal », cela vise les processus de correctionnalisation et de
contraventionnalisation : cette opinion est celle adoptée par le
Comité européen des problèmes criminels17(*).
D'autres ont entendu la dépénalisation dans le
même sens, mais de façon moins restrictive. Ainsi, P.CORNIL
considère que la dépénalisation peut aussi
viser « toute atténuation du taux de la peine d'une
infraction déterminée »18(*). Enfin, G.LEVASSEUR entend quant à lui la
dépénalisation de façon encore plus large puisqu'elle
consiste « à maintenir l'incrimination, mais à
atténuer plus ou moins la répression la rendant en fait
exceptionnelle ou plus douce. Tous les rouages de la justice pénale
jouent un rôle dans ce ralentissement du rythme répressif :
la police, le parquet, le juge, les autorités d'exécution et le
législateur »19(*). L'école du recul du droit pénal exclut
donc expressément la décriminalisation du champ de la
dépénalisation qui elle même, est ici envisagée
comme un processus interne au droit pénal exclusivement.
La seconde école est « l'école du
retrait du droit pénal ». Selon J.PRADEL20(*) et M.DELMAS-MARTY21(*), « la
dépénalisation est toute forme de dessaisissement du
système pénal au profit d'une autre variante, civile,
administrative ou de médiation ». Ce point de vue est
également partagé par la Commission de révision du Code
pénal belge22(*) et
avait déjà fait l'objet d'un consensus entre M.ANCEL et M.BERIA
qui considéraient la dépénalisation, d'une façon
générale, comme « un affaiblissement de la
réaction sociale qui tantôt abandonne la voie proprement
pénale, tantôt y substitue d'autres voies moins traumatisantes et
plus efficaces »23(*). L'école du retrait du droit pénal
inclut donc quant à elle la décriminalisation dans le concept de
dépénalisation et envisage également ce
phénomène comme un processus qui n'est pas exclusivement interne
au droit pénal, mais comme une dynamique qui va affecter d'autres
branches du droit à l'issue du dessaisissement du droit pénal. En
revanche, ce courant n'inclut pas la désescalade susceptible d'affecter
une incrimination dans sa conception de la dépénalisation.
A ce sujet , deux auteurs se situent en marge de ces deux
grandes écoles et adoptent tout de même une conception
intéressante de la dépénalisation, en ce qu'elle emprunte
en quelque sorte des éléments à chaque tendance. J.LECLERC
considère que « toute décriminalisation est une
dépénalisation » mais que « la
dépénalisation ne se limite pas à la
décriminalisation ; elle englobe aussi toutes les formes
d'atténuation ou de modification des sanctions applicables aux
infractions qui ne sont pas décriminalisées »24(*). M.VAN DE KERCHOVE distingue
« dépénalisation relative » et
« dépénalisation absolue ». Il définit
la dépénalisation relative comme toute forme de
désescalade à l'intérieur du système pénal,
comme par exemple la correctionnalisation et la contraventionnalisation ;
la dépénalisation absolue concerne quant à elle
l'annulation des peines à l'égard d'un certain
comportement25(*).
Pour conclure, les points de vue respectifs de ces deux
écoles apparaissent en réalité moins opposés qu'ils
ne sont complémentaires; en effet, si on regroupe ces deux courants, on
aboutit au processus complet qui est suivi lors de la
dépénalisation d'un comportement. La désescalade d'une
incrimination peut tout d'abord se traduire par un adoucissement des peines
encourues en fait, puis en droit (et éventuellement un
rétrécissement du champ d'application de l'incrimination), suivi
par un changement de qualification (correctionnalisation puis
contraventionnalisation) qui aboutira enfin par une décriminalisation
qui sera parfois relayée par la mise en place d'un système de
régulation concurrent au droit pénal.
Pour cette étude, la définition de la
dépénalisation qui sera retenue celle-là (alliant les deux
courants). La conception retenue sera donc large mais exclura en revanche le
cas particulier des dépénalisations qui consistent en une
décriminalisation assortie d'un transfert de compétence vers un
système de sanction spécifique que l'on pourrait qualifier
de « droit administratif répressif» ou de
« droit administratif pénal ». Le choix arbitraire
d'exclure cette solution du champ de la recherche se fonde sur le fait que ce
droit ne constitue qu'un transfert de sanction du droit pénal
stricto sensu, vers un autre droit répressif qui s'inscrit
d'ailleurs dans la notion de matière pénale telle que
définie par la CEDH en vertu de l'article 6 CSDH. En outre, il
conviendra de distinguer dépénalisation de droit et
dépénalisation de fait, cette dernière expression
désignant le phénomène de raréfaction des
poursuites et/ou d'atténuation des sanctions prononcées au titre
d'une infraction déterminée. La dépénalisation de
fait, contrairement à la dépénalisation de droit (qui sera
simplement appelée dépénalisation) n'est jamais le fait du
législateur, mais résulte au contraire de l'intervention des
autres rouages de la justice pénale : la police, le parquet et le
juge principalement.
Par conséquent, la pénalisation telle qu'elle
va être conçue dans cette recherche, consiste en « la
réalisation d'un mouvement inverse selon lequel un comportement
incriminé ou non incriminé, est nouvellement pris en compte par
le droit pénal dans le sens d'une accentuation de la réaction
sociale. La pénalisation apparaît donc comme le processus de
création (criminalisation) ou de renforcement des incriminations
(élargissement du champ d'application d'une incrimination et/ou
d'alourdissement de la peine) mais aussi, de façon plus
générale, comme l'augmentation du recours au droit
répressif 26(*)».
Délimitation de l'objet de
recherche :
Le champ temporel de la recherche sera limité pour
l'essentiel à la période 1970-2005, nonobstant l'historique
rapide des incriminations et du mouvement de pénalisation,
dépénalisation dont elles ont pu faire l'objet
antérieurement à cette période. Il est en effet
indispensable de ne pas occulter cet aspect historique pour ne pas
réduire le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation à une vision tronquée de sa teneur
et de son évolution. Ce n'est qu'une telle vision d'ensemble qui
permettra d'une part, de ne pas trahir la dimension à la fois
sociologique et politique de ces deux phénomènes et d'autre part,
de pouvoir porter un regard critique sur la cohérence de
l'évolution du droit aussi bien au niveau de son orientation
idéologique que de son application.
Cette recherche tendra à déterminer quels sont
les principaux secteurs qui ont fait l'objet d'une pénalisation ou d'une
dépénalisation, ainsi que les justiciables qui en
définitive ont bénéficié ou subi ces
évolutions du droit.
Il sera également envisagée la question de
l'effectivité concrète de ces deux processus ; à
savoir si la pénalisation renforce réellement l'arsenal
répressif ou si elle s'avère inefficace pour des raisons
techniques ou en considération de l'état antérieur du
droit ; corrélativement, sera soulevé le problème des
effets concrets de la dépénalisation relativement à son
aspect d'atténuation concrète ou illusoire de la pression du
pénal sur les justiciables.
Il sera enfin question de la dimension instrumentale de ces
deux phénomènes et de leur implication en terme d'orientations
prises par le législateur pénal au cours de la période
étudiée. Ces trente dernières années ont-elles
révélées une relative continuité dans
l'évolution du droit pénal, ou ont-elles été au
contraire le théâtre d'une véritable rupture en terme de
politique criminelle ? En d'autres termes, le droit pénal
« moderne »27(*) tel que nous le connaissons et qui lui-même
aurait marqué une rupture par rapport au droit pénal
« classique »28(*), a-t-il fait l'objet lui aussi d'une
révolution qui l'aurait fait basculer dans l'ère de la
post-modernité ? A ce sujet, la réforme du Code pénal
entré en vigueur le 1er mars 1994 constitue vraisemblablement
une étape cruciale dans l'histoire de notre droit pénal :
c'est la première fois depuis 1810 que l'on réformait le Code
Napoléonien pourtant critiqué depuis de nombreuses années.
Cette réforme tant attendue, s'avère ainsi une indication
précieuse au sujet de l'existence éventuelle d'un droit
pénal « post-moderne », à travers l'analyse
du double mouvement de pénalisation, dépénalisation qui
résulte d'une étape si importante de l'évolution du droit
pénal.
La reforme du Code pénal de 1994 : une
politique d'adaptation dans la continuité du droit existant.
La réforme du Code pénal de 1994 est le fruit
d'un long processus ponctué par de multiples travaux issus de
différentes commissions qui se sont succédées, et ce
depuis 1887. Le résultat obtenu finalement en 1992 est consécutif
à la création d'une commission de révision en 1974, qui
diffusera le fameux Avant-projet dit définitif de la partie
générale du code en 1976, qui sera présenté au
ministre de la Justice en 1978. Néanmoins, ce premier pas important dans
la refonte du Code pénal sera relayé par d'autres étapes
marquant chacune des avancées dans la conduite de ce projet d'envergure.
Les premiers textes portant sur les infractions elles-mêmes sont
livrés en 1980. En 1983, une autre mouture de la partie
générale est proposée et, en février 1986, une
nouvelle étape est franchie par la dépôt des textes sur le
bureau du Sénat. Il faudra ensuite, de 1989 à 1992, trois
années de discussions parlementaires et de navettes pour aboutir aux
quatre lois du 22 juillet 1992, fondatrices de cette réforme
mûrement travaillée.
Ce nouveau Code pénal est donc le résultat d'un
travail de longue haleine outrepassant les changements politiques, ce qui
explique les solutions de compromis, d'accords mesurés qui en
résultent et qui confèrent à ce nouvel édifice du
droit répressif, un esprit de continuité eu égard au droit
tel qu'il existait antérieurement à cette réforme pourtant
tant attendue. C'est en effet un code qui, dans l'ensemble ne renie pas les
enseignements du passé, mais qui semble plutôt les remettre au
goût du jour. Clair dans l'expression, rationnel dans la
présentation et plus cohérent dans l'échelle des peines,
voilà quelques unes des principales qualités de cette nouvelle
mouture du Code pénal. Pour M. COUVRAT, il ne résulte pas de
cette réforme « d'affirmation politique nettement
marquée ni de ligne doctrinale bien établie. Plutôt une
adaptation à l'évolution de notre temps »29(*). Cela étant, un double
mouvement de pénalisation et de dépénalisation est tout de
même perceptible, le premier l'emportant inexorablement sur le second.
Le mouvement de pénalisation dans le nouveau Code
pénal de 1994 :
Dans le sens de la pénalisation, plusieurs
éléments sont à mettre à l'actif de la
réforme : tout d'abord, la création de nouvelles
circonstances aggravantes, par exemple, en matière de meurtre, de
violences, de vol et d'escroquerie où les listes deviennent
impressionnantes. Ensuite, on peut également noter un
phénomène relatif d'augmentation des peines qui frappe certains
domaines dont ceux de l'homicide involontaire, de l'abus de confiance, des
menaces, des discriminations et du viol notamment30(*). Dans un état d'esprit
comparable, selon le projet de 1986, un nouveau Code pénal se doit
« d'opposer de fermes réponses aux formes modernes de la
criminalité et de la délinquance qui menacent le plus durement
dans notre société la personne humaine ». C'est cette
orientation qui a été prise en matière de trafic de
stupéfiants et de proxénétisme, catégories au sein
desquelles certaines infractions, lorsqu'elles sont commises en bandes
organisées, deviennent des crimes. Enfin, certaines incriminations ont
été créées à l'occasion de la réforme
du Code pénal. Ces nouvelles incriminations sont d'importance variable
car certaines d'entre elles, à l'image des « appels
téléphoniques malveillants », constituent des
comportements déjà réprimés par la jurisprudence
antérieurement à la réforme sous des qualifications plus
générales, si bien qu'il ne s'agit pas toujours de
criminalisations à proprement parler. En outre, les crimes contre
l'humanité, bien qu'étant de « nouveaux
crimes » dans le Code pénal, n'étaient pas pour autant
ignorés par le droit pénal puisque la jurisprudence avait eu
à plusieurs reprises l'occasion de les circonscrire à partir de
la définition première donnée par le statut de tribunal
militaire international de Nuremberg. Au rang des innovations substantielles,
on peut citer les tortures et actes de barbarie31(*), l'entrave aux mesures d'assistance, la provocation
des mineurs à la mendicité ou à l'alcoolisme,
l'organisation de groupements aux fins de trafic de stupéfiants, de
nouvelles hypothèses de discriminations, le crime de terrorisme
écologique, le délit de harcèlement sexuel, les conditions
de travail et d'hébergement contraires à la dignité
humaine, ou encore le délit de mise en danger. Le mouvement de
pénalisation s'est également manifesté par la protection
accrue de certaines catégories de victimes parmi lesquelles figurent les
mineurs et les personnes particulièrement vulnérables en raison
de leur âge, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une
déficience physique ou psychique. Cette vulnérabilité de
la victime est devenue une circonstance aggravante très fréquente
et a même fait l'objet de la création d'une infraction
spécifique afin de préserver au mieux les intérêts
de ce type de victimes : « l'abus frauduleux de l'état
d'ignorance ou de la situation de faiblesse ». Les infractions contre
les mineurs se sont multipliées, un chapitre regroupant toutes les
atteintes aux mineurs, celles qui étaient déjà
visées mais aussi de nouvelles comme la provocation à la
consommation habituelle et excessive de boissons alcoolisées ou la
commission habituelle de crimes ou de délits. Il est tout de même
important de constater que, en ce qui concerne la catégorie
générale des atteintes aux personnes, « ce mouvement
d'accentuation de la répression, n'a pas été
« prémédité » ni même voulu. Il
est dû surtout à l'adoption d'un certain nombre d'amendements
parlementaires »32(*). Il faut néanmoins relever à ce titre,
que la nouvelle présentation du code révèle la
volonté du législateur de placer la protection de la personne au
premier rang des valeurs protégées par le droit pénal, ce
qui semble aller de pair avec une relative élévation de la
répression des atteintes relatives aux personnes. Cependant, ce Livre II
consacré aux crimes et délits contre les personnes, ainsi mis en
avant par la réforme, conserve « la quasi-totalité des
infractions traditionnelles » et, « sauf quelques
exceptions, la définition de leurs éléments constitutifs
n'a pas été sensiblement modifiée »33(*). Dans un tout autre registre,
une innovation se démarque toujours dans le sens d'une accentuation de
la répression, elle concerne l'imputabilité des
infractions : c'est la responsabilité pénale des personnes
morales. Ces dernières se trouvent promues au rang d'auteurs ou de
complices d'infractions. La responsabilité des personnes morales de
droit privé et de droit public (à l'exception de l'Etat et des
collectivités territoriales pour les activités insusceptibles de
faire l'objet d'une convention de délégation de service public)
est en effet instaurée par le nouveau Code pénal, mais cette
responsabilité obéit au principe de spécialité.
Le mouvement de dépénalisation dans le
nouveau Code pénal de 1994 :
La refonte du Code pénal de 1810 est en revanche plus
timide quant à la dépénalisation qui paraît
s'effacer devant l'accentuation de la répression qui domine cette
réforme. Ce mouvement fébrile de dépénalisation
s'explique sûrement par le fait que des dépénalisations
importantes sont intervenues en amont de la réforme. En effet, les
années 1970 et le début des années 1980 ont
été marquées par la dépénalisation massive
d'infractions en matière de moeurs, avec la décriminalisation de
l'IVG, de l'adultère, puis de l'homosexualité. L'Ordonnance du
1er décembre 1986 a également opéré une
dépénalisation en matière de concurrence, qui a
été suivie de la décriminalisation de l'émission de
chèques sans provisions en 1991.
Tout d'abord, la disparition de circonstances aggravantes
apparaît plutôt rare consécutivement à la
réforme du Code pénal et ce n'est pas la disparition de certaines
incriminations qui contrebalance cette tendance. Le nouveau Code pénal a
été allégé de plusieurs infractions au rang
desquelles on peut citer la décriminalisation du vagabondage, de la
mendicité, de certains petits délits contre la chose publique, de
la détention de fausse monnaie, de la contre façon de clé
ou encore la disparition d'infractions machistes en matière d'abandon de
famille, comme les délits d'abandon de femme enceinte ou d'abandon de
foyer. La décriminalisation de toutes ces infractions va
évidemment dans le sens d'un allègement de la répression
mais ce n'est pas le cas pour certaines infractions, qui, bien qu'ayant
disparues du Code pénal, restent punissables par le biais des
circonstances aggravantes attachées à certaines infractions, de
sorte que la suppression de ces incriminations ne saurait en
réalité s'analyser comme une décriminalisation. Ainsi, la
castration, l'infanticide et le parricide restent des comportements
répréhensibles, même après leur disparition du Code
pénal. Force est de constater que l'allègement des peines est
aussi un phénomène rare au sein de cette réforme. Bien que
l'IVG sans le consentement de l'intéressée soit devenue une
infraction, il faut tout de même signaler que l'incrimination d'auto
avortement n'est plus assortie que d'une faible peine que le tribunal peut
refuser de prononcer au terme de cette nouvelle mouture du nouveau code. C'est
finalement une loi du 27 janvier 1993 qui aura pour effet de
décriminaliser totalement cette dernière incrimination, avant
même que le nouveau Code pénal n'entre en vigueur. Aussi,
certaines inflexions des peines s'expliquent par des raisons techniques,
à l'instar de l'importation et de l'exportation illicites de
stupéfiants, punies d'une peine privative de liberté de 10 ans au
terme de la réforme contre 20 ans antérieurement. Cette
réduction de la peine d'emprisonnement s'explique par le soucis de
libérer les cours d'assises de ce contentieux important pour qu'elles se
concentrent sur la répression des infractions de production et la
fabrication illicite de stupéfiants dont la peine a été
maintenue à 20 ans de réclusion criminelle. A ce sujet, il
apparaît regrettable que la réforme n'ait pas servi d'occasion
pour revoir l'incrimination de consommation illicite de stupéfiant,
restée inchangée depuis la loi du 31 décembre 1970 et qui
aurait vraisemblablement mérité une attention particulière
de la part du législateur de 1992. En outre, une nouveauté
mérite attention, car elle opère une réduction remarquable
de la répression d'une catégorie d'infractions : les
contraventions. Le nouveau Code pénal se distingue à cet
égard par l'abandon des peines privatives de liberté en
matière contraventionnelle34(*).
C'est donc une réforme qui, pour l'essentiel, s'est
inscrite dans un projet cohérent à la fois d'actualisation du
droit et de compromis pondéré des différentes opinions
exprimées lors des longs travaux préparatoires. Il en a
résulté un code au caractère non révolutionnaire
qui ne marque pas de rupture avec le droit antérieur, bien qu'un certain
mouvement de pénalisation se démarque quelque peu après
l'analyse des nouvelles dispositions35(*). La nouvelle mouture du Code pénal ne
présente donc pas cet esprit de révolution ou encore de rupture
qui est la caractéristique essentielle du droit pénal
« post-moderne ».
Plan de la recherche :
De l'étude du double mouvement de pénalisation,
dépénalisation tel qu'il se distingue depuis les années
1970, se dégagent quelques tendances fortes.
Tout d'abord, ce double mouvement de pénalisation,
dépénalisation s'est inexorablement effectué en fonction
de la qualité de l'auteur ou de la victime (I). Ce double processus a
également obéi à une véritable finalité
d'adaptation du droit (II) pour finalement être confronté à
la problématique de l'encombrement du système pénal (III).
Partie I - Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation en fonction de la qualité de l'auteur ou de
la victime.
Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation s'est opéré au profit de
catégories de personnes bien déterminées. D'une part, un
mouvement de pénalisation a eu pour but d'assurer une protection accrue
de certaines catégories de victimes (Section I), et d'autre part, un
mouvement de dépénalisation a eu pour finalité
d'alléger, voire de supprimer totalement la pression du droit
répressif sur certaines catégories d'auteurs
déterminés (Section II).
Section I - Le processus de pénalisation,
consacré à la protection de catégories de victimes
déterminées.
La protection de victimes particulièrement
vulnérables a été une des véritables directions
prise par le mouvement de pénalisation observé au cours de la
période étudiée (§1). Le législateur a
également pris le parti d'assurer à chacun, une protection toute
particulière contre les atteintes à la respectabilité qui
peuvent résulter de différentes pratiques qui s'inscrivent, soit
dans le cadre de l'exercice d'une activité professionnelle, soit dans le
cadre de la vie quotidienne (§2).
§ 1 - La protection des personnes particulièrement
vulnérables, archétype de l'émergence d'un droit
pénal catégoriel.
Dans le cadre de la protection accrue de catégories de
personnes particulièrement vulnérables, le législateur a
pris deux directions : il a tout d'abord criminalisé l'abus
frauduleux de la vulnérabilité d'autrui pour ensuite adapter
cette incrimination à la répression des mouvements sectaires (A),
puis il a développé une législation visant à
combattre le « trafic des êtres humains » par
le biais du durcissement des peines attachées à des
incriminations déjà existantes, et également via
de nombreuses criminalisations (B).
A - La criminalisation de
l'abus frauduleux de la vulnérabilité d'autrui et la lutte contre
les mouvements sectaires.
· La criminalisation de l'abus frauduleux de
l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse.
Le législateur, à l'occasion de la
réforme du Code pénal de 1994, a introduit une nouvelle
incrimination (art.313-4 CP) à la teneur fortement protectrice des
intérêts des plus faibles : les mineurs et les personnes
particulièrement vulnérables.
· Origine de l'incrimination :
Cette nouvelle incrimination reprend une infraction de
l'ancien Code pénal qui était tombée en
désuétude : « l'abus des besoins d'un
mineurs » de l'article 406 ACP. Cette incrimination réprimait
le fait d'abuser des besoins, des faiblesses ou des passions d'un mineur, dans
le but de lui faire conclure, à son préjudice, des actes
déterminés par la loi. Cette infraction issue d'un
décret-loi du 16 juillet 1935 était vraisemblablement
dépassée sociologiquement en 1994 ; elle ne concernait d'une
part, que les seuls mineurs et d'autre part, que des actes limitativement
énumérés par l'article 406 ACP (des obligations, des
quittances ou décharges, prêts d'argent ou de choses
mobilières, etc.). Ce délit était à l'origine puni
d'un emprisonnement de 2 mois à 2 ans et d'une amende de 3600 à
36 000 F36(*).
Plus de 40 ans après la criminalisation de ce type de
comportements, la loi n°77-1468 du 30 décembre 1977 (article 19-I
de la loi) a fait passer le quantum de l'amende encourue de 36 000 F à 2
500 000 F37(*).
· La nouvelle incrimination issue de la
réforme du Code pénal de 1994 :
Dans un soucis d'extension de la protection accordée
aux plus vulnérables entendus au sens large, le législateur de
1992 a bien évidemment repris les hypothèses déjà
visées par l'article 406 ACP, mais a surtout pris le parti
d'opérer une profonde refonte de l'incrimination d'une part, et une
aggravation des peines encourues au titre de ces comportements d'autre part. La
réforme du Code pénal de 1994 a en effet introduit un
délit d' « abus frauduleux de l'état d'ignorance
ou de la situation da faiblesse » (article 313-4 CP) qui
protège deux catégories de personnes en situation de
faiblesse : les mineurs tout d'abord, et les personnes
particulièrement vulnérables en raison de leur âge, d'une
maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique
ou d'un état de grossesse. Le nouveau délit de l'article 313-4
assure donc la protection du plus grand nombre et met véritablement en
exergue la volonté du législateur de veiller tout
particulièrement à la sauvegarde des intérêts de
personnes non pas oubliées par le droit antérieur, mais
protégées de la même manière que les individus
lambda par le droit répressif avant sa réforme.
Cet effort du législateur était louable,
seulement ce dernier a particulièrement eu la main malheureuse pour
l'élaboration de ce délit.
Cette infraction nécessite en effet le fait
d' « obliger » la personne protégée
à un acte ou une abstention (préjudiciable pour elle) : or,
le terme « obliger » renvoie à la violence ou
à la contrainte qui découle de l'incrimination d'extorsion. Le
terme « amener » aurait été
plus judicieux : même si cela n'aurait pas empêché les
problèmes de qualification avec l'escroquerie et dans
une moindre mesure avec le vol, cela aurait au moins supprimé les
conflits de qualification avec l'extorsion.
L'article 313-4 exige également que cet abus ait
obligé la victime à un acte ou à une abstention qui lui
est « gravement » préjudiciable, ce qui laisse
supposer qu'il peut y avoir des abus légers de la
vulnérabilité qui sont licites : cela pose le
problème de savoir où doit se situer le seuil de gravité
requis.
Par ailleurs, toutes les innovations de ce délit ne
sont pas mauvaises : le législateur a judicieusement
préféré les termes d' « acte ou
abstention », à l'énumération restrictive et
pour le moins incomplète des actes effectués par la victime elle
même à son détriment. Cette nouvelle terminologie a le
mérite d'être susceptible d'englober toutes les hypothèses
d'abus qui pourraient survenir.
Enfin, le délit de l'article 313-4 CP est puni plus
sévèrement que l'ancien « abus des besoins d'un
mineurs » puisqu'il est passible de 3 ans d'emprisonnement (au lieu
de 2 ans pour l'article 406 ACP) et une amende identique (2 500 000 F).
Au final, la réforme du code pénal aura
été l'occasion d'accroître la protection des plus
vulnérables quantitativement, par la dilatation du champ d'application
de l'article 406 ACP du fait de l'extension des catégories de personnes
protégées et des actes susceptibles de tomber sous le coup de la
répression. Néanmoins, qualitativement, la protection, bien que
renforcée par l'aggravation des peines encourues, se veut
imprécise, ce qui augmente le risque de conflit de qualification, voire
d'inapplication de la loi.
La postérité du délit
d' « abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la
situation de faiblesse » de l'article 313-4 CP, s'inscrit dans
l'édiction de la loi du 12 juin 2001. Cette loi, afin d'assurer une
répression accrue des mouvements sectaires et une protection plus
efficace des adeptes victimes, aménagera quelque peu l'article 313-4 CP
quant à sa place au sein du Code pénal, et y adjoindra le nouveau
délit de « manipulation mentale ».
· La protection des personnes
particulièrement vulnérables dans le cadre de la lutte contre les
mouvements sectaires :
Ces dernières années, le législateur a
encore marqué sa volonté d'assurer une protection toujours plus
importante à des catégories particulières de personnes.
Cette protection s'inscrit ici dans le cadre particulier des mouvements
considérés comme sectaires, qui exploitent l'état de
faiblesse ou d'ignorance de personnes vulnérables en quête d'un
but ou d'une croyance quelconque à laquelle se raccrocher pour vivre
plus serein, ou tout simplement exister dans une société qui leur
paraît cruelle et à la dérive. Ce sont ces personnes
vulnérables qui viennent se réfugier ou que l'on attire
malhonnêtement dans un système malveillant, que le
législateur a entendu préserver tout particulièrement par
le biais du droit pénal.
· Origine des sectes en France :
Les sectes actuellement implantées sur le territoire
français sont apparues en deux temps.
Le premier temps correspond au début du XX ème
siècle où des mouvements religieux, nés pour l'essentiel
dans des pays anglo-saxons viennent s'enraciner dans la société
française et rejoindre la contestation de la doctrine officielle de
l'Eglise déjà exprimée par des groupes issus de la
mouvance catholique. Le second courant, également en provenance des
Etats-Unis, date de la fin des années 1960 et se teinte d'orientalisme,
d'ésotérisme ou de gnosticisme.
C'est la convergence d'un certain nombre de facteurs
sociétaux se nourrissant à la fois de la contestation (de la
doctrine des religions dites traditionnelles), du mal être et de la
faiblesse de certaines personnes, qui a conduit au développement
spectaculaire des sectes.
· Agissements des sectes et répression
avant la loi du 12 juin 2000 :
Les pratiques de certaines sectes s'avèrent
particulièrement graves ; on peut brièvement citer parmi
elles la déstabilisation mentale38(*) ; le caractère exorbitant des
contributions financières ; la rupture avec l'environnement
familial voire l'embrigadement des enfants ; tout cela sans compter toutes
les atteintes à l'intégrité physique comme l'esclavagisme
sexuel, voire encore les atteintes à la vie des adeptes via
notamment des rituels de provocation au suicide des adeptes.
La plupart de ces agissements constituaient déjà
des infractions pénales avant l'entrée en vigueur de la loi du 12
juin 2001 qui marque un renforcement du système répressif
destiné à éradiquer les mouvements sectaires.
Le droit pénal permettait déjà de
réprimer ces agissements, tant au stade du recrutement, qu'à des
stades postérieurs à celui-ci et même au stade pour le
moins délicat du départ de la secte par l'adepte39(*). Le Code pénal, de part
ses dispositions relatives aux atteintes à l'intégrité
corporelle et aux atteintes aux biens, assurait déjà en
théorie une protection suffisante. De plus, la protection des mineurs
était déjà relativement bien organisée par le droit
en général40(*). Les autres codes comme le Code de la santé
publique, le Code du travail ou encore le Code de la consommation constituaient
un complément précieux pour la répression des agissements
sectaires. Cependant, ces infractions, qu'elles figurent dans le Code
pénal ou dans d'autres codes, n'étaient pas toutes imputables aux
personnes morales que représentaient les mouvements sectaires. Outre ces
différentes incriminations, la dissolution des sectes était
d'ores et déjà possible au pénal grâce à la
peine complémentaire de la dissolution41(*).
Pourtant, très peu de ces agissements ont donné
lieu à des poursuites judiciaires42(*). Cette ineffectivité du système
répressif est due principalement à deux facteurs : d'une
part, les parquets ne disposent que rarement d'éléments
suffisants pour mettre en mouvement l'action publique ; d'autre part, les
conséquences inéluctables des méthodes employées
par les sectes constituent à l'évidence des obstacles à la
connaissance de ces agissements par les autorités judiciaires : la
peur du scandale et la peur des représailles poussant souvent les
victimes à ne pas porter plainte. De plus, lorsque les poursuites sont
engagées, on assiste souvent à des désistement liés
aux pressions graves exercées et/ou aux indemnisations proposées
par la secte.
· Genèse de la loi du 12 juin
2001 :
Les pouvoirs publics ont été
sensibles à la prolifération des sectes et à
l'impunité qui bénéficie de facto à ces
dernières.
A la suite du rapport présenté en 1983 par
M.Alain VIVIEN qui préside aujourd'hui la MILS (la Mission
Interministérielle de Lutte contre les Sectes créée le 7
octobre 1998 pour remplacer l'Observatoire Interministériel sur les
Sectes), l'Assemblée Nationale a décidé en 1995 et 1999 la
constitution de deux commissions d'enquête dont les travaux43(*) ont mis en évidence
l'importance des dérives sectaires en particulier sur le plan
économique.
La nécessité de légiférer
était clairement affirmée et apparaissait même comme une
évidence tant et si bien que la fièvre législative sur ce
sujet des sectes donna lieu à une impressionnante succession de
propositions de loi sous la seule onzième législature
(1997-2002). Or, « dès lors que légiférer est
présenté comme une évidence pour répondre à
une situation douloureuse, il y a fort à parier que la loi pénale
aura une visée déclarative outre ses fonctions
classiques »44(*). Cette crainte apparaît s'être
réalisée à propos de certaines dispositions de la loi
n°2001-504 du 12 juin 2001 « tendant à renforcer la
prévention et la répression des mouvements sectaires portant
atteinte aux droits de l'homme et aux libertés
fondamentales »45(*).
· La loi du 12 juin 2001 elle-même et ses
apports dans la protection des personnes particulièrement
vulnérables :
Cette loi issue d'une proposition de loi déposée
le 20 novembre 1998 à l'initiative du sénateur Nicolas ABOUT, a
opéré une extension du champ de la responsabilité des
personnes morales, une aggravation de la répression en cas de maintien
ou de reconstitution d'une personne morale dissoute, une extension de la
procédure de dissolution civile, et a surtout créé deux
nouvelles infractions : celle de « promotion en faveur des
mouvements sectaires » et celle de « manipulation
mentale ».
C'est surtout la nouvelle incrimination de
« manipulation mentale » qui apparaît
intéressante dans l'optique de l'étude des
phénomènes de pénalisation, dépénalisation
centrés sur la protection de catégories particulières
d'individus. Il convient néanmoins de remarquer (outre les nouvelles
dispositions relatives à la dissolution des personnes morales) que
l'extension du champ de la responsabilité des personnes morales permet
de pallier l'incohérence de notre législation en la
matière et d'assurer une meilleure effectivité de la
répression des mouvements sectaires lorsque des agissements auront
été poursuivis et condamnés par les tribunaux
répressifs. Cependant, bien que ces initiatives soient
bénéfiques en théorie, elles ne paraissent pouvoir
être efficaces qu'en cas de poursuite et de condamnation des agissements
illicites commis par les sectes. Or, il est évident que le
véritable mal dont souffre notre système répressif
relativement aux mouvements sectaires, se trouve en amont de
tout cela : c'est la difficile réunion de preuves contre ces
mouvements, et la peur des victimes à déposer plainte qui
paralysent le système pénal en son entier et le rendent
inefficace. Ces nouvelles mesures sont donc louables sur leur principe, mais
elles occultent les réels problèmes de mise en oeuvre du droit,
qui, ceci dit, sont d'une extrême complexité à
résoudre dans une société démocratique comme la
nôtre.
· Le délit de « manipulation
mentale » :
En ce qui concerne le nouveau délit de
« manipulation mentale »(223-15-2 CP), issu de la loi du 12
juin 2001, il faut nuancer cette initiative législative qui pourrait
apparaître comme une criminalisation novatrice. Cette nouvelle
incrimination n'est qu'un aménagement de l'ancien article 313-4 CP qui
réprimait l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la
situation de faiblesse.
En effet, l'article 21 de la loi du 12 juin 2001 abroge cet
article 313-4 et introduit un nouvel article 223-15-246(*). Deux innovations
substantielles sont à signaler.
Tout d'abord, l'article 223-15-2 a été
inséré dans un titre deuxième consacré aux
atteintes à la personne humaine. Ce passage d'un délit contre les
biens, assimilé à une infraction proche de l'escroquerie,
à une infraction contre les personnes, exprime que la valeur
protégée est d'abord la personne de la victime et non ses biens.
La localisation géographique de l'article dans le Code pénal
n'est pas dépourvue de sens.
Ensuite, et c'est là l'innovation la plus importante,
l'article 223-15-2 institue une circonstance
aggravante « lorsque l'infraction est commise par le dirigeant
de fait ou de droit d'un groupement », communément
qualifié de secte, « qui poursuit des activités ayant
pour but ou pour effet de créer, de maintenir, ou d'exploiter la
sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent
à ces activités » : c'est le nouveau délit
de « manipulation mentale »47(*). Il porte alors les peines à 5 ans
d'emprisonnement et 5 000 000F d'amende (750 000 €). La manipulation
mentale est certes un délit issu d'une criminalisation puisque la loi
institue une nouvelle incrimination pour réprimer spécifiquement
un comportement donné, mais cette criminalisation a tout de même
pour support une incrimination préexistante (l'ancien article 313-4 CP)
sur laquelle s'appuie la nouvelle infraction issue de la loi du 12 juin
2001.
Cette nouvelle incrimination, présente dans l'esprit du
législateur, l'avantage de surmonter les obstacles liés au
consentement donné par les adeptes d'une secte à tous les
agissements qui leur sont demandés. Elle risque cependant d'être
la source d'autres difficultés.
Tout d'abord, l' « état de
sujétion » est une notion aux contours imprécis, tout
comme l'exigence de « pressions graves ou
réitérées ou de techniques propres à altérer
le jugement » qui n'est pas d'avantage une garantie contre
l'arbitrage du juge. Sans doute le caractère gravement
préjudiciable de l'acte ou de l'abstention pourrait-elle être de
nature à éviter les débordements de l'application du
texte. Cependant, cette condition conduit, elle aussi, inévitablement
à une appréciation subjective. Néanmoins, la Commission
Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), dans son avis du 21
septembre 2000, ne s'est pas opposée au contenu du nouvel article
223-15-2 CP.
Il existe cependant des risques de dérives du droit
intrinsèques à la criminalisation de ce type de
comportements : « Dans la volonté du législateur
de protéger des individus contre eux-mêmes, il y a naturellement
un risque d'arbitraire qui résulte du maniement de notions dont le sens,
variable en fonction des époques et des modes, contient, en germe, le
risque de dérapages. Mais, en allant plus loin, on peut également
critiquer l'économie du dispositif. La protection des victimes contre
elles-mêmes peut à l'extrême conduire à la mise en
place d'une police de la pensée et à la définition du
« religieusement correct », en contradiction avec la
liberté de penser et de religion »48(*).
En outre, l'absence de jurisprudence publiée sur
l'article 223-15-2 CP ne permet pas encore de dire si la fonction
déclarative de politique criminelle de ce texte aux contours
imprécis demeurera sa seule fonction.
A l'issue d'une telle pénalisation, le
législateur animé d'une volonté de protection des
individus les plus vulnérables, proies privilégiées des
mouvements sectaires, est retombé dans les écueils d'une
inflation pénale superficielle ; plutôt que de créer
une nouvelle incrimination imprécise jusqu'alors inappliquée, le
législateur aurait dû consolider l'édifice du droit
existant, suffisant pour réprimer les agissements sectaires, en
s'attaquant au problème de la mise en oeuvre du droit, qui, à
l'évidence, constitue le réel obstacle en la matière.
Favoriser une application ferme du droit existant d'une part, et
développer une vaste campagne d'information d'autre part, auraient
été des initiatives plus judicieuses en terme de lutte contre les
mouvements sectaires.
B - La lutte contre le
trafic d'êtres humains.
Le législateur depuis la réforme du Code
pénal de 1994, a voulu s'attaquer tout particulièrement a une
forme singulière de criminalité : celle qui vise à
tirer profit de la particulière vulnérabilité de certaines
personnes : les mineurs, les personnes étrangères, les
personnes démunies, etc. La protection de ces personnes s'est traduite
par une véritable politique de pénalisation qui s'est
organisée sur trois terrains. Le législateur a tout d'abord pris
le parti de lutter contre les « conditions de travail et
d'hébergement contraires à la dignité humaine »
avant d'accroître la protection des mineurs et des personnes
particulièrement vulnérables dans le cadre de l'exploitation
sexuelle qu'ils sont susceptibles de subir. Enfin, le dernier secteur
pénalisé fut celui de l' « exploitation de la
mendicité d'autrui ». L'engagement des pouvoirs publics dans
la lutte contre l'exploitation de la vulnérabilité ou de la
dépendance d'autrui s'est achevée par la criminalisation de la
« traite des êtres humains ». L'édiction de
cette dernière infraction est venue parachever cette volonté de
protection en réprimant les comportements spécifiques qui visent
à permettre ou à faciliter la commission des infractions
précédemment pénalisées en la matière depuis
maintenant une dizaine d'années.
Dans l'optique de protection des personnes
particulièrement vulnérables, le législateur a tout
d'abord pris l'initiative de criminaliser les conditions de travail et
d'hébergement contraires à la dignité humaine à
l'occasion de la réforme du code pénal de 199449(*). « La lecture des
travaux parlementaires révèle que la création des deux
incriminations qui y correspondent (article 225-13 et 225-14 CP),
résulte de la volonté de lutter contre les
phénomènes d'exploitation qui se sont multipliés à
la faveur de la crise économique des deux dernières
décennies »50(*). Les articles 225-13 et 225-14 CP sanctionnent deux
types de comportements différents qui procèdent de la même
intention blâmable d'aboutir à l'assujettissement d'un être
humain vis à vis d'un autre et ce, sans aucune considération pour
la dignité de la victime asservie.
L'article 225-13 vise à protéger la personne
vulnérable ou en état de dépendance contre l'exploitation
qui consiste pour elle à fournir des services à autrui non
rétribués ou en échange d'une rétribution
manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli.
L'hypothèse initialement visée ici est essentiellement celle de
l' « esclavage domestique ». Ce
phénomène est bien connu : une jeune étrangère
est prise en charge par une famille française en vue d'y effectuer des
tâches ménagères et garde d'enfants. L'employeur lui
confisque ses papiers et la victime est contrainte de travailler 15 à 18
heures par jour sans être rémunérée ou pour une
rémunération dérisoire, etc. L'article 225-14 érige
quant à lui en infraction le fait de soumettre une personne
vulnérable ou en état de dépendance à des
conditions de travail et d'hébergement contraires à la
dignité humaine. Cette nouvelle incrimination vise, outre l'esclavage
domestique qui peut également entrer dans son champ d'application,
l' « esclavage économique » qui est un
phénomène qui touche particulièrement les travailleurs
clandestins.
Par ailleurs, la circulaire du 14 mai 1993 précise que
ces infractions sont destinées à « sanctionner
plus sévèrement les « marchands de
sommeil » et autres personnes exploitant des travailleurs en
situation irrégulière, même si ces incriminations
protègent de façon générale toutes les personnes
vulnérables ou en situation de dépendance ». En effet,
force est de constater que si ces textes ont été à
l'origine instaurés pour combattre un type particulier de
délinquants, ceux qui tirent profit de la misère des
clandestins, la généralité des termes employés par
le législateur permet de réprimer l'esclavage économique
dans son acception la plus large : sont susceptibles de tomber sous le
coup de ces textes, aussi bien l'exploitation de travailleurs en situation
irrégulière que l'exploitation, par un employeur d'une entreprise
utilisant une main d'oeuvre non clandestine, imposant à ses
salariés, brimades, vexations et conditions de travail attentatoires
à leur dignité.
Initialement punis de 2 ans d'emprisonnement et 75 000 €
d'amendes (article 225-13 et 225-14) ou de 5 ans et 150 000 € lorsqu'elles
étaient commises à l'égard de plusieurs personnes (article
225-15), les deux incriminations ont fait l'objet de nettes modifications par
la loi n°2003-239 du 18 mars 2003. Cette loi ouvertement volontariste et
répressive, comme le suggère d'ailleurs son
intitulé51(*), a
procédé à une surpénalisation des deux
délits allant dans la sens d'une protection accrue des personnes
particulièrement vulnérables bien sûr, mais aussi et
surtout dans le sens d'une protection particulièrement ferme des
mineurs52(*). La loi du 18
mars 2003 a en outre quelque peu précisé la notion de
« personnes vulnérables ou en situation de
dépendance » grâce à l'introduction de l'article
225-15-1 qui fait référence aux mineurs et aux étrangers
qui bénéficient désormais vraisemblablement d'une
présomption légale de vulnérabilité attachée
à leur qualité. Ainsi, le législateur a relevé que
c'est précisément parce que ces victimes sont en situation de
clandestinité ou de minorité, qu'elles sont vulnérables et
que les auteurs de ces délits parviennent à commettre ces
méfaits.
La seconde direction prise par le législateur dans sa
politique de pénalisation de l'exploitation des personnes en situation
de faiblesse, a été la protection des mineurs et des personnes
particulièrement vulnérables dans le cadre de leur exploitation
sur le plan sexuel.
Outre l'aggravation des peines encourues pour atteinte
sexuelle sur un mineur53(*) et l'aggravation de la répression du
proxénétisme simple par la loi du 15 novembre 200154(*), le législateur a
axé sa politique de protection des plus faibles sur la lutte contre
l'exploitation sexuelle et mercantile dont certains mineurs font l'objet. Cette
pénalisation du proxénétisme et même du recours
à la prostitution des mineurs répond à un funeste
phénomène qui a fortement affecté l'opinion publique ces
dernières années. La France compterait officiellement près
de 3000 enfants prostitués. En 1998, un rapport émanant du
Conseil de l'Europe avançait même le chiffre de 8000. En France
comme dans la plupart des pays européens, l'immigration clandestine joue
un rôle de première importance dans l'apparition d'une nouvelle
prostitution enfantine, les enfants d'Afrique du Nord et d'Europe de l'Est
étant d'ailleurs les plus nombreux. Plus préoccupante encore est
la situation de certains pays relativement à la prostitution enfantine.
La prostitution enfantine et le tourisme sexuel sont deux
phénomènes en pleine expansion « qui se sont
développés à grande échelle dans plusieurs pays
asiatiques, d'Amérique du Sud et d'Europe de l'Est »55(*). Les pouvoirs publics
français ont alors décidé de réprimer ce type de
pratiques plus sévèrement encore que par le passé et ce,
à cause de leur accroissement et du caractère insupportable de
cette prolifération. C'est la loi du 4 mars 2002 relative à
l'autorité parentale56(*) qui a été l'instrument de cette
pénalisation du proxénétisme des mineurs et du tourisme
sexuel. Cette loi va en effet introduire un article 225-7-1 qui incrimine
spécifiquement le proxénétisme de mineurs de 15 ans qui
constitue désormais un crime assorti de 15 ans de réclusion
criminelle et d'une amende de 3 000 000 €. Ensuite, cette même loi a
crée le délit de recours à la prostitution d'un mineur
(article 225-12-1) puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende.
Cet article a d'ailleurs particulièrement vocation à
réprimer la pratique du tourisme sexuel grâce aux dispositions
dérogatoires qui y sont attachées concernant l'application de la
loi française dans l'espace (article 225-12-3). Cet article 225-12-1
sera ensuite complété par l'article 50 de la loi du 18 mars 2003
qui y ajoute un alinéa 2 relatif au recours à la prostitution des
personnes particulièrement vulnérables.
Le troisième secteur pénalisé dans
l'optique d'une protection accrue des victimes vulnérables, est
l'exploitation de la mendicité d'autrui. Jusqu'à présent,
l'article 227-20 CP punissait la « provocation de mineurs
à la mendicité » de 2 ans d'emprisonnement et 45 000
€ d'amende (alinéa 1) et de 3 ans et 75 000 € lorsque ce
délit était commis à l'égard d'un mineur de 15 ans
(alinéa 2). Ce dispositif tendait à lutter contre les pratiques
consistant pour certains parents démunis et peu scrupuleux , à
inciter leurs enfants à mendier pour procurer une source de revenu
supplémentaire au foyer. Seulement, il existe d'autres formes de
provocation à la mendicité qui s'avèrent beaucoup plus
graves, tant par leur ampleur que par la diversité des personnes qui
peuvent en être victimes. En effet, se développe de plus en plus
à travers le monde, l'exploitation de la mendicité des plus
faibles par de véritables réseaux criminels organisés. Ce
sont souvent des enfants errants et étrangers (indiens ou asiatiques
notamment) qui sont les victimes de cette exploitation. L'article 64 de la loi
du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure abroge
l'article 227-20 relatif à la provocation de mineur à la
mendicité et introduit les articles 225-12-5 à 225-12-7
réprimant l'exploitation de la mendicité d'autrui. Ce nouveau
délit prend en compte l'existence de réseaux criminels (avec la
circonstance de « bande organisée »
prévue par l'article 225-12-7) et érige la minorité ou la
particulière vulnérabilité de la victime en circonstance
aggravante de l'incrimination. Ce nouveau dispositif réprime donc des
hypothèses plus larges d'exploitation de la mendicité d'autrui
car il étend la protection aux personnes particulièrement
vulnérables et envisage la réalité criminelle des
réseaux d'exploitation mafieux, ce qui constitue l'innovation la plus
substantielle au regard du droit antérieur qui permettait
déjà de protéger les personnes particulièrement
vulnérables de ces pratiques avec l'incrimination d'abus frauduleux de
l'état de faiblesse ou d'ignorance.
Enfin, la dernière innovation du législateur a
été la criminalisation de la « traite de êtres
humains » aux articles 225-4-1 à 225-4-8 CP et ce, par
l'article 32 de la loi du 18 mars 2003. Il faut savoir que « la
traite des êtres humains représente la troisième source de
profit pour les organisations criminelles, immédiatement après le
trafic de stupéfiants et le trafic d'armes »57(*). Le phénomène de
la traite des êtres humains est un phénomène mondial qui
génère un chiffre d'affaires d'environ 30 milliards de dollars
par an58(*). Les victimes
de ce trafic, vendues en dehors de leur pays d'origine par des trafiquants
internationaux, sont devenues de nouvelles sources de revenu pour les mafias
mondiales. D'après Pino ARLACCHI, vice secrétaire
général de l'ONU, « il y a dans le monde 200
millions d'esclaves, dont un nombre d'enfants compris entre 700 000 et 2
millions ». C'est l'ampleur de ce phénomène qui a
conduit la communauté internationale à affirmer sa volonté
de réprimer spécifiquement cette forme de criminalité
organisée en pleine expansion. Dans le cadre des Nations Unies, un
protocole additionnel à la Convention contre la criminalité
transnationale organisée, visant à prévenir et à
réprimer la traite des êtres humains, a été
négocié puis adopté par l'Assemblée
générale des Nation Unies en novembre 2000 et signé par la
France à Palerme le 12 décembre 2000. Ainsi, en France, en
janvier 2002, l'Assemblée Nationale a adopté à
l'unanimité une proposition de loi créant une infraction de
traite des êtres humains et renforçant le dispositif permettant de
lutter contre les infractions qui peuvent être commises dans le cadre de
la traite. Cette proposition de loi n'a pu être discutée par le
Sénat avant la fin de la législature. Examinant le projet pour la
sécurité intérieure, le Sénat, à
l'initiative de son rapporteur Patrick COURTOIS, a décidé
d'insérer dans le projet de loi l'incrimination de la traite des
êtres humains, afin de faciliter la lutte contre les réseaux qui
exploitent toutes les formes de misère et de
vulnérabilité. Le système répressif attaché
à cette infraction tient lui aussi compte de la minorité de la
victime ou de sa particulière vulnérabilité et
parachève ainsi l'oeuvre pénalisatrice emprunte de protection des
plus faibles engagée avec une particulière fermeté depuis
la loi du 4 mars 2002. Néanmoins, concernant la criminalisation de la
traite des êtres humains, la France ne figure pas au rang des pays
précurseurs au sein de l'Union Européenne. En effet, le 25 avril
1995, le Parlement belge adoptait une loi destinée à
réprimer la traite des êtres humains et la pornographie enfantine.
Le droit italien protège les victimes de la traite des êtres
humains depuis un décret-loi du 25 juillet 1998 et a même
érigé cette infraction en crime depuis une réforme
intervenue en 2001. La Suisse quant à elle,(qui n'est pourtant ni membre
de l'Union Européenne, ni membre de l'espace Schengen) réprimait
déjà avant la France la traite des êtres humains dans son
Code pénal59(*).
§ 2 - La pénalisation des atteintes
à la respectabilité d'autrui.
Les salariés, tout comme les
personnes susceptibles de faire l'objet d'un traitement discriminatoire dans
leur vie quotidienne, ont bénéficié d'un mouvement de
pénalisation de ces atteintes à la respectabilité par la
criminalisation de différents types de harcèlements (A) et la
criminalisation des discriminations sous toutes leurs formes (B).
A - La criminalisation des
harcèlements.
Les incriminations de harcèlement de
moral et sexuel, sont des infractions protectrices des intérêts
des travailleurs, qui ont connu un essor considérable ces
dernières années. Le harcèlement sexuel (art.222-33 CP),
tout d'abord, a fait l'objet d'une incrimination autonome par une des quatre
lois du 22 juillet 199260(*), et a successivement vu son champ d'application
s'élargir par la suite, à la faveur de deux lois intervenues en
1997 et 2002. Le harcèlement moral (art.222-33-2 CP) a enfin fait
l'objet d'une criminalisation par la loi du 17 janvier 2002 dite de
modernisation sociale.
· La criminalisation du harcèlement
sexuel :
Le délit de harcèlement sexuel est né
à l'occasion de la réforme du Code pénal de 1994. A
l'origine ignoré des projets législatifs relatifs au nouveau Code
pénal, ce délit est apparu grâce à une série
d'amendements intervenus dans un contexte où le harcèlement
sexuel tenait une place importante dans l'actualité du moment. Il est
vrai qu'à cette époque, cette question était
d'actualité eu égard aux nombreux procès devant les
conseils des prud'hommes au cours desquels il était question de
harcèlement sexuel. A cette époque, la condition des
salariés a également été dénoncée par
des enquêtes sociologiques qui ont révélé le
caractère fréquent, voire banalisé des pratiques de
harcèlement sexuel dans le monde du travail61(*). C'est donc dans ce contexte
de véritable prise de conscience de l'ampleur de ce
phénomène social que les parlementaires décidèrent
de criminaliser spécialement les comportements constitutifs de
harcèlement sexuel. La facilité d'adoption du texte pénal
incita le gouvernement à compléter immédiatement cette
première réforme par un « volet social ».
C'est ainsi que la loi du 2 novembre 1992 relative à l'abus
d'autorité en matière sexuelle est venue modifier le Chapitre
relatif à l'égalité professionnelle du Code du travail
(art. L.122-46 à L.122-48), ainsi que les dispositions relatives aux
discriminations sexistes dans l'emploi du même code (art. L.123-1).
En outre, il convient de préciser l'apport de cette
criminalisation du harcèlement sexuel au regard du droit
antérieur. Cette criminalisation ne constitue pas une révolution
dans la lutte contre ce type de harcèlement : la plupart des
agissements qu'elle désigne étaient déjà
sanctionnables et effectivement punis auparavant. Le fait d'user de contraintes
morales pour exercer des actes impudiques était en effet inclus dans la
définition de l'ancien délit d'attentat à la pudeur. Le
délit de harcèlement sexuel ne constitue en réalité
qu'un démantèlement du délit de l'attentat à la
pudeur. Cependant, l'incrimination d'attentat à la pudeur était
généralement considérée comme trop
sévère pour ces comportements, ce qui entraînait une
déqualification des faits en violences ou voies de fait (contravention
de 5e classe). Au final, cette incrimination spécifique qui
stigmatise ces agissements, comporte tout de même un intérêt
majeur : ajuster l'intensité de la réaction sociale à
ce type de comportements en punissant moins sévèrement62(*) que sur le fondement de
l'attentat à la pudeur mais plus durement que sur la base de la
contravention de violences volontaires entraînant une ITT
inférieure à huit jours.
L'évolution de l'incrimination va quant à elle
révéler une mauvaise manie du législateur : la
« pénalisation aveugle » par l'élargissement
toujours plus conséquent du champ d'application de l'incrimination.
Cette dilatation inquiétante de l'incrimination va avoir lieu en deux
temps. Le premier temps d'élargissement du champ d'application de
l'incrimination eut lieu à l'occasion de l'entrée en vigueur
d'une loi du 17 juin 1998 qui ajouta « l'exercice de pressions
graves » aux manifestations des abus d'autorité susceptibles
de tomber sous le coup de la répression63(*). Le second temps de l'élargissement est le
fait de la loi n° 2002-73 du 11 janvier 2002 dite de modernisation
sociale, qui ampute purement et simplement le texte de la condition d'abus
d'autorité et des modalités répréhensibles de ce
dernier.
On en arrive à une extension considérable de
l'incrimination qui pose de nombreux problèmes64(*). Tout d'abord, la suppression
des procédés du harcèlement pose problème au regard
du principe de la légalité criminelle, les comportements
répréhensibles n'étant plus visés par la loi.
Ensuite, l'abus d'autorité n'étant plus exigé, toute
tentative amoureuse jugée trop pressante ou ressentie comme telle serait
passible des tribunaux65(*). Enfin, il n'est pas certain que ce délit ne
puisse pas être commis par un acte isolé étant donné
que l'incrimination de harcèlement sexuel, contrairement à celle
du harcèlement moral, ne mentionne pas la nécessité
d'« agissements répétés ».
Au final, la raison dont a fait preuve le législateur
de 1992, pour ne pas tomber dans les écueils protectionnistes
dénoncés outre atlantique66(*), n'a pas résisté au désir de
pénalisation qui se concrétisa en 2002. La criminalisation du
harcèlement a en effet été suivie d'une
pénalisation excessive, aveugle, qui s'est caractérisée
par la mise en place d'un système dont la cécité a
vocation à aboutir à des solutions si déraisonnables,
qu'elles finiront par être ridicules si les juges refusent de faire
preuve de plus de mesure que le législateur.
· La criminalisation du harcèlement
moral :
Avant la loi de modernisation sociale, seul le
harcèlement sexuel donnait lieu à une incrimination
spécifique. Or, à l'image de la criminalisation du
harcèlement sexuel en 1992, celle qui concerne le harcèlement
moral procède de la même démarche, à savoir
l'incitation des instances communautaires par le biais de la Charte sociale
européenne67(*). La
France, via la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite de
modernisation sociale, a choisi la voie pénale pour assurer la
protection des travailleurs sur son territoire à laquelle elle
s'était engagée au titre de son adhésion à la
Charte sociale européenne.
Le Code pénal contient désormais une
incrimination autonome relative au harcèlement moral (art. 222-33-2 CP)
qui est reprise dans le Code du travail en tant qu'élément
constitutif d'une autre infraction dont le but est de réprimer le
comportement discriminatoire consécutif à de tels agissements
(art. L.122-4968(*), al 2
et L.152-1-1). La définition des incriminations, que ce soit dans le
Code pénal ou dans le Code du travail, est relativement homogène
d'une part, et très souple d'autre part. Cette souplesse des
éléments de l'infraction a vraisemblablement été
conçue par le législateur, comme le meilleur moyen de laisser au
juge, la faculté de réprimer les différentes formes de
harcèlement moral qui leur seront soumis, au nom du caractère
protéiforme de ce phénomène social. Par ailleurs, dans les
deux textes, le harcèlement moral n'est pas considéré
comme un abus d'autorité. Il est donc possible, en vertu de ce
délit, de réprimer aussi bien le harcèlement moral
« vertical » qui implique une relation hiérarchique,
que le harcèlement moral « horizontal » qui se
caractérise par l'absence de tout rapport d'autorité, comme c'est
le cas par exemple lorsque le harcèlement intervient entre
salariés ou encore entre un salarié et un client. Les seules
différences sont au nombre de deux; tout d'abord, le Code pénal
n'exige pas le statut de salarié contrairement au Code du travail.
Toutefois les agissements répétés constitutifs de ce type
de harcèlement restent circonscrits à la sphère
professionnelle, le législateur n'ayant pas cru bon d'incriminer les
formes de harcèlement tout aussi préjudiciables qui peuvent
surgir dans la sphère privée, conjugale ou familiale, ou bien
encore le voisinage. Ensuite, les sanctions attachées aux deux
incriminations ne sont pas tout à fait les mêmes : l'article
222-33-2 du Code pénal prévoit 1 an d'emprisonnement et 15 000
€ d'amende tandis que l'article L.152-1-1 du Code du travail est assorti
d'une peine privative de liberté identique mais d'une amende de 3750
€.
En outre, les comportements de harcèlement moral n'ont
pas attendu la loi de modernisation sociale pour se voir réprimer :
on avait déjà la possibilité de qualifier les faits
pénalement par le biais notamment du harcèlement sexuel, des
discriminations entravant l'exercice d'une activité, de la provocation
au suicide et surtout des conditions de travail contraires à la
dignité humaine69(*).
Pour conclure, la criminalisation du harcèlement moral
semble opportune si l'on considère que ces agissements méritent
de pouvoir être appréhendés de façon
spécifique et ce, au service d'une meilleure effectivité de la
loi pénale. Cependant, l'incrimination en question manque de
précision, ce qui est un facteur de dérive potentielle à
ne pas négliger : l'application de la loi est donc ici encore
largement conditionnée par l'appréciation du juge pénal
qui se voit de plus en plus déléguer la fonction de
rationalisation des textes imprécis qu'il est appelé à
appliquer.
B - La criminalisation des
discriminations : la volonté d'assurer l'égalité dans
un contexte d'éclatement de la société.
La lutte contre les discriminations est un
phénomène qui ne cesse de s'intensifier en France depuis
maintenant 1972, date à laquelle la première forme de
discrimination a été criminalisée. Cette
pénalisation répond vraisemblablement à la montée
des minorités au sein de la société française et
à la nécessité de leur assurer au quotidien, un traitement
équivalent à celui du plus grand nombre. Cette
pénalisation répond d'ailleurs à une seule exigence :
le respect de l'autre dans son être et dans sa différence. Cette
lutte contre le mépris de la différence est organisée
autour de trois secteurs de répression qui ont tous connu une
pénalisation toujours plus accrue au fil du temps : les
discriminations proprement dites qui interviennent dans le secteur
économique, les propos racistes (publics ou non) et les infractions
à caractère raciste, antisémite ou xénophobe.
· La lutte contre les discriminations
proprement dites :
En France, la lutte contre les discriminations a
été marquée par une forte propension du législateur
à la pénalisation qui s'est d'ailleurs opérée dans
deux directions différentes : il s'est tout d'abord
évertué à étendre considérablement le champ
d'application des discriminations répréhensibles, à la
fois quant aux motifs discriminatoires et quant au domaine de ces
discriminations ; puis, il a procédé parallèlement
à des aggravations successives des peines encourues pour de telles
atteintes à l'égalité.
La lutte contre les discriminations a tout d'abord
débuté avec la criminalisation des discriminations
« racistes » ; c'est donc la lutte contre le racisme
qui a initié la lutte contre les discriminations qui n'a cessé de
prendre de l'ampleur par la suite. La « loi PLEVEN » du
1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme a
introduit dans l'ancien Code pénal, l'article 416 qui sanctionne alors
certains comportements discriminatoires dans le domaine de l'emploi et de la
fourniture d'un bien ou d'un service70(*). Ensuite, la loi n° 75-625 du 11 juillet 1975
étend la répression aux discriminations fondées sur le
sexe ou la situation de famille. La loi du 7 juin 1977 a ensuite amendé
la loi de 1972. Dans le contexte de certains appels au boycott de produits en
réponse au conflit israélo-arabe, cette loi a
complété la liste des comportements réprimés en
ajoutant la notion « d'entrave à une activité
économique quelconque » pour les motifs raciaux ou religieux
énoncés par la loi de 1972. La loi n° 85-772 du 25 juillet
1985 étend quant à elle la protection assurée par les
textes de l'ancien Code pénal, aux victimes des discriminations
fondées sur les moeurs71(*). Ensuite, une loi du 13 juillet 1989 élargit
la répression aux discriminations fondées sur le handicap, puis
une loi du 12 juillet 1990 fit de même concernant les atteintes à
l'égalité fondées sur l'état de santé de la
victime72(*). La
réforme du Code pénal a également été
l'occasion de pénaliser les discriminations fondées sur
l'activité syndicale et les opinions politiques. Par ailleurs, la loi
n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 a étendu le champ des
discriminations répréhensibles à celles qui sont
fondées sur l'apparence physique, le patronyme, l'orientation sexuelle
et l'âge. Cette loi a également procédé à la
pénalisation des autres formes de discrimination via
l'élargissement des cas de discrimination sanctionnables73(*). Enfin, la loi n°
2002-203 du 4 mars 2002 sur les droits des malades a ajouté les
discriminations fondées sur les caractéristiques
génétiques à la liste des discriminations condamnables.
La seconde direction que prit la pénalisation des
discriminations, est celle d'un durcissement des sanctions encourues,
parallèlement à l'extension du champ d'application de la
répression en la matière. Ainsi, les peines encourues au titre de
l'article 416 ACP sont passées d'1 an d'emprisonnement et 20 000 F
d'amende, à 2 ans d'emprisonnement et 200 000 F d'amende à
l'occasion de la réforme du Code pénal (art.225-2 CP). Le Code
pénal de 1994 a également repris les incriminations
prévues en cas de discriminations commises par un dépositaire de
l'autorité publique ou en charge d'une mission de service public
(art.432-7 CP), punies de 3 ans d'emprisonnement et 300 000 F d'amende. Le
second temps de l'aggravation des peines est le fait de la loi n° 2004-204
du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la
criminalité. Par le biais de cette loi, les peines passent de 2 ans
d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, à 3 ans et 45 000 €
d'amende pour les discriminations dites « simples ». Cette
loi introduit les discriminations
« aggravées »74(*) qui élèvent la sanction à
hauteur de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende. Enfin, dans le but
de sauvegarder la cohérence dans l'échelle des peines en la
matière et pour ne pas réserver au fonctionnaire un sort
équivalent à celui du « simple particulier »,
la loi de 2004 a également rehaussé les sanctions prévues
à l'égard des premiers75(*).
Au terme de cette vue rapide du mouvement de
surpénalisation des discriminations, s'impose un constat qui est celui
de l'échec du système répressif dans ce domaine : le
droit pénal s'avère en effet impuissant face au
phénomène des discriminations, les résultats de la
répression étant pour le moins mitigés. Par, exemple,
selon les informations du casier judiciaires publiées chaque
année dans le rapport de la Commission Nationale des Droits de l'Homme
(C.N.C.D.H), on est passé de 16 condamnations prononcées pour
discrimination raciale en 2001, à 29 condamnations en 2002, ce qui est
loin du nombre supposé de faits commis76(*).
· La répression des propos
racistes :
Des qualifications juridiques réprimant les propos
racistes existaient déjà dans la France du XIX éme
siècle, mais auraient été omises dans la loi du 29 juillet
1881. Le décret-loi du 21 avril 1939, dit « loi
MARCHANDEAU », pris à la suite de manifestations racistes et
antisémites, intégra dans la loi du 29 juillet 1881, les notions
de diffamation et d'injure raciales ou religieuses, mais en prévoyant
que ces faits n'étaient répréhensibles qu'à la
condition qu'ils aient pour but d'exciter à la haine entre les citoyens.
C'est surtout la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972, dite
« loi PLEVEN », qui a franchi un pas important en
prévoyant de réprimer les faits de diffamations et injures
raciales et d'incitation à la haine raciale. Cette loi a tout d'abord
supprimé la condition relative au but d'excitation à la haine et
a également étendu la répression aux diffamations et
injures publiques fondées sur l'ethnie ou la nationalité ;
cette loi a en outre pris en considération les propos qui visent un
individu et pas seulement un groupe d'individus. Enfin, cette loi a
également crée une nouvelle infraction de provocation publique
à la discrimination , à la haine ou à la violence envers
une personne ou un groupe de personnes, en raison de leur appartenance ou de
leur non appartenance à une ethnie, une nation, une
« race » ou une religion déterminée. Pour
finir, la loi n° 90-615 du13 juillet 1990, dite « loi
GAYSSOT », a criminalisé les propos négationnistes avec
l'insertion d'un article 24 bis à la loi sur la presse qui vise à
réprimer toute contestation du génocide juif77(*).
Malgré un arsenal juridique sévère et une
structure qui ne cesse d'ailleurs de se renforcer78(*), les condamnations
pénales restent quantitativement peu nombreuses et les poursuites
engagées aléatoires quant au résultat, de sorte que cette
pénalisation perd de son pouvoir dissuasif du fait du caractère
on ne peut plus incertain de la sanction. En effet, en 2001, il y eut 137
condamnations pour propos racistes et en 2002, 133 condamnations (chiffre
provisoire) n'ont donné lieu qu'à 9 peines de prison ferme :
l'ineffectivité de la loi s'avère criante !
· La pénalisation des infractions
motivées par un mobile discriminatoire :
A coté des discriminations qui peuvent intervenir dans
la vie économique et des propos discriminatoires, le législateur
a également mis en place un système répressif pour lutter
contre les violences spécialement motivées par des
considérations de nature discriminatoire. En effet, jusqu'à 2003,
aucune disposition de notre législation pénale ne permettait
d'appréhender les atteintes à l'intégrité physique
d'une personne ou les atteintes à ses biens résultant d'un dol
spécial, la motivation discriminatoire. La loi n° 2003-88 du 3
février 2003, dite « loi LELLOUCHE », visant
à aggraver les peines punissant les infractions à
caractère raciste, antisémite ou xénophobe, conduit
à prendre en compte le mobile de l'infraction dans la qualification
pénale retenue, comme élément constitutif de l'infraction
par exception au principe qui régit le droit pénal
français. Cette loi conduit à retenir la circonstance aggravante
pour des infractions d'atteinte aux personnes (meurtres, tortures, violences)
et pour des infractions d'atteinte aux biens (dégradations). Ensuite, la
loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite « loi PERBEN
II », a ensuite élargi aux menaces, vols, extorsion la liste
des infractions pour lesquelles la circonstance aggravante à
caractère raciste ou antisémite peut être retenue. Enfin,
afin de lutter contre les violences perpétrées à raison
d'un mobile discriminatoire, le législateur a retenu, dans le même
esprit que la circonstance aggravante « raciste », celle
qui vise à appréhender le « mobile homophobe »
pour les infractions de nature sexuelle. C'est la loi n° 2003-239 du 18
mars 2003 pour la sécurité intérieure qui a retenu cette
nouvelle circonstance aggravante pour les infractions de moeurs (viols et autre
agressions sexuelles).
Ces circonstances aggravantes s'avèrent elles aussi
très peu appliquées en pratique79(*) et la loi du 3 février 2003 n'a pas eu pour
effet de ralentir la progression en France des actes racistes ou
antisémites.
La lutte contre les discriminations en France procède
incontestablement d'une volonté politique sans faille. Cette
volonté, et c'est un phénomène on ne peut plus
contemporain, s'exprime ici encore par le recours au droit pénal pour
pallier l'éclatement de la société conjugué au
développement d'un phénomène d'effritement des valeurs
morales et sociales communes. Ce recours au droit répressif ne remplit
pas sa fonction de prévention générale et pire encore,
traduit l'impuissance des pouvoirs publics devant l'ampleur de ces atteintes
inacceptables à la dignité d'autrui.
Section II - Le processus de dépénalisation au
profit d'auteurs déterminés.
Les auteurs de certaines infractions ont eux aussi
bénéficié d'un allègement, voire d'une suppression
de la pression du droit répressif depuis les années 70. D'une
part, les titulaires d'un pouvoir décisionnel, et plus
particulièrement les décideurs publics, ont vu leur
responsabilité pénale fléchir à l'occasion de la
dépénalisation partielle des infractions non intentionnelles
(§1). D'autre part, le mouvement de dépénalisation
observé depuis les années 70 en matière de moeurs, a
profité à la fois aux femmes et aux homosexuels qui ont connu la
suppression totale de leur responsabilité pénale concernant
certains types de comportements jadis sévèrement
réprimés (§2).
§ 1 - La récente
dépénalisation des infractions non intentionnelles
opérée en faveur des titulaires d'un pouvoir
décisionnel.
Les fonctions de décideur public ont fait l'objet d'un
double mouvement de flux et de reflux du droit pénal : jouissant
jadis d'une certaine impunité, le droit pénal a ensuite
instauré une responsabilité très stricte à leur
égard, pour enfin s'orienter vers un certain fléchissement depuis
la dépénalisation partielle des fautes non intentionnelles (A).
Les chefs d'entreprise, eux n'ont pas réellement
bénéficié de ce mouvement de dépénalisation
bien que leurs fonctions entrent dans le champ d'application de la nouvelle
législation en matière d'infractions non intentionnelles (B).
A - Le double processus de
flux et de reflux du droit pénal relatif aux fonctions de
décideur public.
La responsabilité pénale des décideurs
publics, dans son principe, est le fruit d'un long cheminement marqué
par une évolution progressive, ponctuée par le passage d'une
immunité totale de ces derniers, à une pénalisation
jugée excessive de leurs fonctions, pour finalement aboutir à une
dépénalisation partielle par le biais de la loi du 10 juillet
2000 relative à la définition des délits non
intentionnels.
· Historique de la pénalisation des
fonctions de décideurs publics :
Dans la mesure où l'article 13 de la loi des 16 et 24
août 1790 séparait les fonctions judiciaire et administrative, les
juges ne pouvaient pas poursuivre les agents publics sans être
accusés de forfaiture. Par la suite, l'article 75 de la Constitution de
l'an VII avait supprimé cette immunité mais conditionnait la
poursuite d'un fonctionnaire ou d'un élu local à l'autorisation
du Conseil d'Etat. Si le décret du 19 septembre supprime cette garantie,
les juges répressifs sanctionnent alors uniquement les fautes
personnelles. A partir de l'arrêt THEPAZ du 14 janvier 1935 du Tribunal
des conflits, une faute de service a pu, en revanche, être
sanctionnée pénalement. C'est le décret du 19 septembre
1935 qui a fait bénéficier les élus locaux d'un
privilège de juridiction ; ils ne pouvaient être poursuivis
dans leur circonscription de fonction pour l'usage de leur pouvoirs de police.
Par la suite, l'intervention des collectivités locales dans les domaines
économiques et sociaux se renforçant, la loi du 18 juillet 1974
élargit le privilège de juridiction à toutes les
prérogatives des maires.
Depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code
pénal, les élus locaux ne disposent d'aucun privilège de
juridiction, pas plus que d'une quelconque immunité. Depuis la loi du 4
janvier 1993, toutes les fautes des décideurs publics,
détachables ou non de la fonction, sont en effet assujetties à la
réglementation de droit commun.
Le phénomène de pénalisation de la vie
publique s'inscrit dans un mouvement général de
pénalisation de la société française. La
multiplication des risques et des accidents liés à la
révolution industrielle est à l'origine de ce sentiment que tout
événement doit avoir une cause. Il en résulte que
l'opinion publique n'accepte plus la fatalité et que depuis les
années 1980, on est passé
d'une « démocratie de confrontation à une
démocratie d'imputation »80(*). A ce titre, le développement de la
pénalisation des élus locaux s'explique par la volonté de
trouver un bouc émissaire. Ce phénomène se
traduit par une inflation pénale (entre 1984 et septembre 1999, 278 lois
et 665 décrets ont prévu de nouvelles sanctions pénales)
qui devient particulièrement préoccupante en matière
d'infractions non intentionnelles. De plus, la décentralisation (loi du
2 mars 1982) et la multiplication des textes répressifs ont
étendu le champ du contrôle du juge. La forte médiatisation
des affaires a aussi contribué au développement d'un sentiment de
malaise chez les décideurs publics ; en effet, si les élus
locaux sont, de plus en plus poursuivis, ils sont rarement condamnés
pour des fautes non intentionnelles, mais néanmoins, bien que le nombre
de condamnations soit limité, le caractère infamant des
poursuites pénales81(*) constitue un frein à l'action publique
locale.
La pénalisation des élus locaux, voire
nationaux, est perverse car elle a vocation à pallier les lacunes de la
responsabilité politique alors qu'elle ne repose pas sur les mêmes
fondements82(*). La
responsabilité politique, contrairement à la
responsabilité pénale, ne s'appuie pas sur la
détermination formelle des fautes. La responsabilité politique
est, de plus, seulement sanctionnée par la destitution alors que la
responsabilité pénale conduit à une peine entendue au sens
large. La responsabilité politique relève enfin d'une imputation
fictive, qui touche le titulaire de la fonction la plus haute dans la
hiérarchie administrative, alors que la responsabilité
pénale se fonde sur la personne coupable d'un fait.
· La responsabilité pénale des
décideurs publics pour des infractions
intentionnelles :
S'agissant des infractions intentionnelles, le nouveau code
pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 comporte dans
sa rubrique relative « atteintes à l'administration
publique », trois grands types de délits imputables aux
élus locaux.
Tout d'abord, les abus d'autorité dirigés contre
l'administration : il s'agit de l'édiction de mesures
destinées à faire échec à l'exécution de la
loi et de l'exercice de l'autorité publique illégalement
prolongée.
Il y a ensuite les abus d'autorité dirigés
contre les particuliers qui englobent les atteintes à la
liberté individuelle, les discriminations, les atteintes à
l'inviolabilité du domicile, etc.
Il y a enfin les manquements au devoir de
probité ; il peut s'agir de corruption, de trafic d'influence et de
délit de favoritisme en matière de délégation de
service public ou de marchés publics, ou encore de prise illégale
d'intérêts, etc.
· Bref aperçu de la teneur du risque
pénal en matière de délits non
intentionnels :
La pénalisation des fautes non intentionnelles a quant
à elle découlé d'un manque de connaissances techniques, de
moyens financiers et de l'absence de prise de conscience du risque local. En
tant qu'exécutifs locaux et contrairement au principe selon lequel la
responsabilité est personnelle, les maires peuvent être poursuivis
sur le fondement de l'article 121-3, alinéa 3 CP.
Cette situation concerne leurs pouvoirs de police
administrative générale et spéciale. Le maire a
également une obligation d'entretien des biens du domaine communal pour
éviter tout risque d'accident.
De plus, en tant que chef du personnel de la
collectivité, l'élu local peut être poursuivi s'il n'a pas
assuré les conditions d'hygiène et de sécurité
indispensables pour garantir l'état de santé des agents
publics.
La pénalisation des élus locaux au cours de
l'exercice de leurs fonctions électives a également
été accentuée par l'interprétation pour le moins
extensive de la faute non intentionnelle par le juge pénal.
Or, si la pénalisation des élus locaux est
apparue, à l'origine, comme un remède aux insuffisances de la
décentralisation, elle constitue cependant un frein à l'action
publique locale et a engendré une réelle désaffection pour
les fonctions électives locales83(*). La plupart des maires sortants qui se
représentent sont souvent des personnalités qui se consacrent
à la vie politique : ces derniers ont davantage
d'expérience, de connaissances techniques et juridiques, ce qui leur
permet de mieux évaluer et prévenir le risque pénal
important qui découle des infractions non intentionnelles imputables aux
élus locaux. Il en résulte que ce phénomène de
pénalisation pourrait conduire à la professionnalisation des
fonctions publiques, ce qui aurait pour conséquence de réduire
l'accès aux fonctions électives. Cette solution serait de plus
contraire au principe constitutionnel de l'égal accès aux
fonctions publiques reconnu par l'article 6 DDHC84(*). Elle risque en outre,
d'engendrer une apoplexie du fonctionnement des collectivités
territoriales car les élus locaux sont enclins à gérer
leur collectivité sans prendre d'initiative afin de limiter le risque
pénal.
Soucieux de mettre un frein à la pénalisation
jugée excessive de la vie publique, le législateur a
souhaité alléger la responsabilité pénale des
élus locaux et des décideurs publics en matière
d'infraction non intentionnelles, afin de résoudre la crise des
vocations pour les fonctions et mandats locaux et par conséquent
garantir la décentralisation.
· La dépénalisation partielle des
délits non intentionnels par la loi du 10 juillet
2000 :
Une première initiative a été prise en
1996, pour limiter la pénalisation des fonctions de décideurs
publics, mais cette dernière, visant à modifier l'article 121-3,
al.3, n'a pratiquement eu aucun impact sur la jurisprudence postérieure.
En effet, la loi n°96-393 du 13 mai 199685(*) conditionnait la faute non intentionnelle au fait que
la personne en cause n'ait pas rempli les diligences normales au regard des
moyens dont elle dispose et de sa fonction, ce qui semblait impliquer une
appréciation in concreto de la situation du prévenu. Or,
la Cour de cassation a supprimé la portée normative de ce texte
en considérant qu'elle appréciait déjà les
situations in concreto alors qu'il était évident
qu'antérieurement à la réforme de 1996, elle
appréciait in abstracto la faute d'imprudence ou de
négligence de l'auteur indirect d'un dommage.
Ce coup d'épée dans l'eau n'eut pas pour effet
de décourager les députés, qui, trois ans plus tard,
décidèrent de remettre à nouveau en cause la
pénalisation des fonctions de décideurs publics.
La loi du 10 juillet 2000 trouve son origine dans la question
orale suivie d'un débat posée en avril 1999 par le
sénateur H.HAENEL (Haut-Rhin) sur les responsabilités des maires.
Durant le débat, E.GUIGOU, Garde des Sceaux, a annoncé la
création d'un groupe de travail sur la responsabilité des
décideurs publics. Par la suite, le sénateur P.FAUCHON
(Loir-et-Cher), qui était déjà à l'origine de la
loi du 13 mai 1996, a déposé le 7 octobre 1999, une proposition
de loi visant à définir les délits non intentionnels.
Malgré les amendements des députés, les sénateurs
ont voté leur texte dans les mêmes termes non sans l'avoir au
préalable retiré de l'ordre du jour. Le Gouvernement a dû
recourir au vote bloqué pour faire adopter les trois amendements qu'il
avait déposés. La proposition de loi a été
adoptée après une deuxième lecture par l'assemblée
nationale le 29 juin 2000.
La loi n°2000-647 du 10 juillet 200086(*), dite « loi
FAUCHON », est donc le résultat d'un compromis puisqu'elle
donne, à la demande des députés, une définition
précise du lien indirect entre la faute et le dommage. De plus, les
sénateurs n'ont obtenu ni une dépénalisation des fautes
praeter intentionnelles ni l'élargissement de la
pénalisation des personne morales de droit public en raison de
l'hostilité des députés.
En substance, bien que la nouvelle législation concerne
tous les justiciables, elle a vocation à dépénaliser les
fautes non intentionnelles des élus locaux.
La loi du 10 juillet 2000 intervient donc uniquement dans les
cas où l'accusé est l'auteur indirect du dommage. Dans ce cas, la
loi prévoit deux hypothèses.
Si la faute génératrice d'un dommage est
régie par une loi ou un règlement, la faute correspond à
la violation manifeste du texte. Même s'il y a un espoir que le dommage
ne se réalise pas, la mise en danger d'autrui correspond à une
circonstance aggravante des fautes d'imprudence et de négligence. Dans
cette deuxième hypothèse, la faute qualifiée doit
être caractérisée, c'est-à-dire grave et
démontrée. Elle doit en outre exposer une personne physique
à un risque d'une particulière gravité. Cette
définition prend en compte le risque qu'on ne pouvait ignorer et non
plus le risque qu'on devait connaître.
Il ressort de ces considérations que la nouvelle
législation tend à la dépénalisation des fautes non
intentionnelles puisque l'absence de « faute manifestement
délibérée » ou de « faute
caractérisée » conduit à la relaxe de
l'élu local poursuivi, alors que le droit antérieur à 2000
retenait sa responsabilité pénale pour une « faute
simple » d'imprudence ou de négligence. L'exigence d'une faute
qualifiée, en cas de lien de causalité indirecte avec le dommage,
présente donc l'avantage de tenir compte des degrés de
gravité des fautes pour engager la responsabilité
pénale87(*) et
impose par conséquent une appréciation in concreto des
circonstances de l'espèce.
La législation française est, dès lors,
dans une position médiane par rapport aux législations
européennes. A l'instar de ces homologues allemand, espagnol et
portugais, le législateur français n'a pas prohibé la
condamnation des décideurs publics pour négligence. Il tend
néanmoins à limiter la pénalisation des élus locaux
et des agents publics pour des fautes praeter intentionnelles sans
aller jusqu'à reconnaître une immunité comme son homologue
anglais. Avec la nouvelle loi, le système français se rapproche
donc du régime danois, qui organise la relaxe des élus locaux en
cas de négligence simple88(*).
Un autre apport de la loi du 10 juillet 2000 concerne la
charge de la preuve : la nouvelle législation prévoit en
effet un renversement de la charge de la preuve par rapport au droit
antérieur puisqu'il appartient désormais au ministère
public d'établir la faute indirecte caractérisée ou
délibérée, alors qu'avant c'était à la
personne incriminée d'établir qu'elle n'avait commis aucune
faute. A défaut d'une telle preuve rapportée par le
ministère public, le décideur public sera relaxé du chef
des poursuites engagées à son encontre.
Enfin, il fut retenu la proposition du rapport d'étude
sur la responsabilité pénale des décideurs publics
demandé par le Gouvernement (Rapport J.MASSOT) quant à l'emploi
du terme « règlement » au singulier pour
interdire au juge répressif d'avoir une lecture extensive de ce
vocable89(*). Selon la
jurisprudence, en plus des décrets et arrêtés pris par
l'autorité administrative, le juge s'appuyait sur des circulaires
administratives ou des instructions ministérielles prévoyant une
obligation de sécurité pour retenir la responsabilité
pénale des décideurs publics. Cette formulation restrictive
limite la pénalisation des délits non intentionnels des
élus locaux.
Il faut également signaler que l'interprétation
extensive de la faute non intentionnelle des élus locaux
(assimilée à toute violation d'une obligation de
sécurité et de prudence) par le juge répressif,
obéissait à des considérations de nature indemnitaire. En
effet, avant la loi du 10 juillet 2000, la collectivité susceptible de
payer les dommages et intérêts ne pouvait être poursuivie si
l'élu était relaxé à cause de la
représentation : dans ce système, retenir la
responsabilité de l'élu était le seul moyen d'indemniser
la victime. Ce système était vraisemblablement vecteur de
pénalisation de la vie publique.
La loi du 10 juillet 2000 est venue corriger cet aspect de
la responsabilité pénale en cas de délit non intentionnel,
et ce, en limitant son champ d'application aux seules personnes physiques.
Ainsi, désormais, en cas de causalité indirecte, la
responsabilité pénale des personnes morales et physiques sont
indépendantes, puisque la responsabilité des premières
sera retenue en cas de faute simple, tandis que les élus locaux
(personnes physiques) jouissent d'une immunité pour une faute d'une
importance comparable. En pratique, l'exonération de la personne
physique conduira en revanche à la responsabilité de la personne
morale pour garantir les droits des victimes.
B - Les incidences de la
dépénalisation partielle des fautes non intentionnelles sur la
responsabilité pénale des chefs d'entreprise.
Le législateur, bien que souhaitant alléger la
responsabilité pénale des décideurs publics en
matière d'infractions non intentionnelles, a exclu l'élaboration
de dispositions spécifiques à ces derniers qui seraient apparues
comme portant atteinte au principe d'égalité devant la loi. Ne
voulant pas « créer une caste de
privilégiés »90(*), il a voulu une réforme qui fut d'application
générale ; c'est ainsi que la seconde grande
catégorie concernée par la nouvelle législation, outre les
décideurs publics, est celle des chefs d'entreprise. Doivent en effet
être considérés comme des auteurs indirects les chefs
d'entreprise ou leurs délégataires poursuivis du chef d'homicide
ou de blessures involontaires lorsqu'il leur est reproché de ne pas
avoir assuré le respect de la réglementation applicable au sein
de l'entreprise ou d'avoir manqué à leur obligation
générale de sécurité.
S'est alors posée au législateur la question de
savoir comment mettre en oeuvre une telle réforme tout en évitant
qu'elle est en quelque sorte des effets
« indésirables », qu'elle affaiblisse la
répression là où on ne la souhaitait pas, essentiellement
dans le domaine très sensible de la sécurité du
travail.
Lors des travaux préparatoires, les parlementaires et
le Gouvernement ont exprimé à maintes reprises le soucis que les
dispositions nouvelles n'aboutissent pas à «une
dépénalisation injustifiée de comportements dangereux,
notamment, en matière de droit du travail ». Devant
l'Assemblée Nationale, le Garde des Sceaux, E.GUIGOU, portant une
appréciation sur la version finale de l'article 121-3 CP, a
déclaré : «A l'analyse, il apparaît que
l'application de ce texte en matière (...) d'accident du travail, n'aura
nullement pour conséquence d'affaiblir la répression , ce qui
aurait été contraire à l'objectif recherché par le
législateur et le gouvernement »91(*). Bien entendu, la circulaire
d'application du 11 octobre 2000 reprend cette analyse en l'argumentant. Telle
est également l'orientation de la jurisprudence de la Cour de
cassation92(*).
Il ressort de la jurisprudence que la possibilité
qu'avait l'auteur indirect du dommage de connaître les risques auxquels
il a exposé autrui, ne peut être apprécié de
manière abstraite ou uniforme. Elle dépend de la
précision, de la nature et de la force des obligations incombant
à l'intéressé en matière de sécurité,
mais également du champ d'intervention de celui-ci, de ses
compétences techniques, des moyens mis à sa disposition pour
s'acquitter de son devoir, etc. Cela explique que l'existence d'une faute
caractérisée n'est pas appréciée de la même
façon en la personne d'un maire, responsable de l'ensemble des affaires
de la commune, d'un chef d'entreprise ou d'un professionnel auquel il est
confié une tâche précisément définie.
En définitive, la loi du 10 juillet
2000 « invite le juge à une appréciation toujours
plus nuancée de la responsabilité plutôt qu'à un
bouleversement uniforme des solutions jurisprudentielles
existantes »93(*).
§ 2 - La dépénalisation en
matière de moeurs, vecteur d'intégration sociale de personnes
déterminées : les femmes et les homosexuels.
Les dépénalisations qui sont intervenues en
matière de moeurs ont véritablement été un vecteur
d'intégration sociale pour des personnes déterminées. Les
femmes, grâce à cette dépénalisation, ont
bénéficié d'une véritable amélioration de
leur condition en gagnant le droit d'interrompre leur grossesse à une
époque où la contraception n'était pas encore
entrée dans les habitudes de vie des français ; ensuite, la
dépénalisation de l'adultère a permis de mettre fin
à l'inégalité flagrante qui pénalisait lourdement
les femmes en matière d'entorse aux règles de la vie maritale.
Les homosexuels ont quant à eux vu leur orientation sexuelle admise par
le droit, et même protégée par le celui-ci via la
criminalisation des discriminations dont ils peuvent faire l'objet dans leur
vie quotidienne. Ce mouvement de dépénalisation en matière
de moeurs a largement participé à
l'« émancipation » de la femme (A) et à
l'intégration des homosexuels dans notre société (B).
A - La
décriminalisation de l'IVG et de l'adultère.
· La décriminalisation de
l'adultère :
La répression de l'adultère dans l'ancien Code
pénal était imprégnée par une
sévérité marquée envers la femme qui se voyait
pénalisée par une lourde inégalité eu égard
à l'indulgence du législateur dont pouvait
bénéficier son mari94(*). Dans le but d'éradiquer cette injustice
flagrante des textes alors en vigueur, une proposition a été
faite de maintenir l'incrimination mais dans des conditions de stricte
égalité entre les deux époux mais elle n'a pas
été adoptée. Cette proposition n'a pas été
retenue pour deux raisons :, la désuétude de la
répression d'une part et le contexte international, d'autre part.
A partir du milieu du XX ème siècle, on assista
à une décadence assez rapide de la répression
pénale : de près de 5000 condamnations au début des
années 50, le nombre chuta à quelques centaines quelques
années plus tard, pour atteindre moins de 200 condamnations (196) en
1974. La désuétude de la répression se
révéla avec plus de netteté encore, lorsqu'on
s'aperçut que les rares fois où l'infraction était
poursuivie, c'était à l'initiative de maris trompés qui
cherchaient uniquement à établir l'infidélité de
leur épouse (au moyen d'un constat de commissaire de police) afin
d'obtenir une preuve facile de la cause de divorce.
De plus, la dépénalisation de l'adultère
répondait à un voeu général et plus
particulièrement à une recommandation émise dès
1954 par le IX ème Congrès International de droit pénal de
La Haye.
C'est donc après des débats parlementaires
marqués par une rapidité exceptionnelle, que la
décriminalisation de l'adultère fut décidée. C'est
ainsi que fut voté l'article 17 de la loi du 11 juillet 1975 qui abrogea
les articles 336 à 339 ACP relatifs à l'adultère95(*).
Il est en revanche une infraction dont la
dépénalisation a provoqué de vifs débats :
l'avortement.
· La décriminalisation de
l'IVG :
« L'histoire de délit, longtemps
appelé avortement, est celle d'un adoucissement progressif de la
répression, puis d'une dépénalisation de plus en plus
caractérisée »96(*). Puni de la réclusion criminelle dans le Code
pénal de 1810 (pour la mère et le tiers), l'avortement (art.317
ACP) va ensuite se voir correctionnaliser par une loi de 1923. 1
décret-loi du 29 juillet 1939 crée ensuite un fait justificatif
faisant disparaître la répression lorsque la continuation de la
grossesse mettrait en péril la vie de la mère : ce texte
charnière dépénalise en quelque sorte,
l' « avortement thérapeutique ». A partir de
1955-1960, le mouvement de libéralisation prend de l'ampleur, à
la faveur de la montée en puissance du désir
d'émancipation des femmes qui revendiquent la liberté
d'interrompre leur grossesse, et également l'instauration d'une
égalité entre toutes les femmes, qui à l'époque, se
trouve rompue par les conditions dans lesquelles certaines d'entres elles
avortent et ce, en raison de leur milieu social97(*).
Les années 70 furent ensuite le théâtre de
débats vifs et passionnés relatifs à la
dépénalisation de l'IVG. Pourtant, le Garde des Sceaux a
adressé aux parquets en 1973, une circulaire qui les invitait à
ne plus engager de poursuites sans avoir au préalable directement
référé à la Chancellerie. Ainsi, cette politique de
dépénalisation de fait a eu pour effet de faire chuter le nombre
des condamnations pour avortements à 10 en 1974. C'est donc dans un
domaine où la loi était ostensiblement inappliquée, que le
débat a suscité de nombreuses réactions lors du
débat sur la dépénalisation. Malgré une opinion
publique pour le moins mitigée et de farouches oppositions politiques
à la dépénalisation98(*), cette dernière est intervenue en deux temps
par le biais de lois de 1975 et 1979. Tout d'abord, la loi du 11 juillet 1975 a
suspendu pour cinq ans l'application des textes répressifs, lorsque
l'IVG était pratiquée dans certaines conditions qui tenaient,
soit au but thérapeutique de l'intervention, soit à son
caractère précoce. La loi du 31 décembre 1979
écarte ensuite définitivement la répression dans ces
conditions.
La décriminalisation de l'IVG se distingue donc par le
fait qu'elle s'est échelonnée dans le temps en plusieurs
étapes successives. En effet, la dépénalisation telle
qu'elle résulte des lois de 1975 et 1979, ne s'avère être
que partielle, puisque l'article 317 ACP n'est en aucun cas abrogé, son
application est seulement écartée dans des conditions
précisément définies : en cas d'avortement
thérapeutique, ou en cas d'IVG précoce ayant lieu dans les dix
premières semaines. Ce n'est que l'évolution postérieure
qui va consacrer une véritable dépénalisation totale
(décriminalisation) de l'IVG : l'IVG ne sera alors plus vue comme
un mal exceptionnellement toléré, mais comme une pratique licite
à part entière.
A l'issue de la réforme du Code pénal de 1994,
l'article 223-12 alinéa 1 incriminait le fait pour la femme enceinte
d'interrompre sa grossesse en l'assortissant d'une peine de principe. Mais,
avant même que le nouveau Code pénal entre en application, une loi
du 27 janvier 1993 vint abroger ce les deux 1er alinéas de
l'article 223-12 et décriminalisa ainsi la pratique de
l' « auto avortement »99(*). Cette loi de janvier apportera même une
protection particulière à la liberté d'avorter en
créant le délit d'entrave à l'IVG pour répondre
à l'action de « commandos » venus dans des
hôpitaux empêcher des IVG.. Plus tard, une loi du 4 juillet 2001
vient durcir les peines encourues au titre du délit d'entrave à
l'IVG100(*) et allonger
le délai légal de l'IVG autorisée, de dix semaines
à douze semaines.
La femme enceinte n'est désormais plus la cible de la
répression pénale, qu'elle pratique l'avortement sur
elle-même ou qu'elle le fasse pratiquer par un tiers au delà du
délai autorisé par la loi. La loi a en effet opéré
un recentrage de la répression sur le personnel médical qui
pratique l'IVG sur la femme enceinte en violation des dispositions
légales. L'article 223-10 CP réprime l'IVG sans le consentement
de l'intéressée et l'assortit d'une peine de 5 ans
d'emprisonnement et 75 000 € d'amende. De plus, la loi du 4 juillet 2001 a
abrogé l'article 223-11 CP qui réprimait certains cas d'IVG avec
le consentement de l'intéressée, pour les transférer dans
le CSP. La répression concerne ici trois cas : l'IVG
pratiquée après la douzième semaine, l'IVG
pratiquée par une personne qui n'est pas médecin et enfin l'IVG
pratiquée dans un lieu autre qu'un établissement hospitalier.
L'IVG est donc véritablement
décriminalisée aujourd'hui et la femme enceinte, jadis
considérée comme une déviante lorsqu'elle avait recours
à ce type de pratiques, est aujourd'hui vue comme une personne qui a la
liberté totale de disposer de sa grossesse et qui voit même cette
liberté spécialement protégée par le droit
pénal. La répression se concentre désormais sur les seules
personnes capables de faire respecter les prescriptions légales
relatives à l'IVG : le personnel médical, voire le tiers non
qualifié qui propose ces services et pratique l'IVG dans des conditions
qui ne peuvent que nuire à la sécurité de la femme
enceinte.
B - La
décriminalisation de l'homosexualité :
L'article 331, alinéa 2 du Code pénal de 1810
réprimait des attentas à la pudeur se traduisant par des actes
impudiques ou contre nature commis avec un mineur de 15 ans du même sexe.
Ce délit, tout comme l'adultère et l'IVG, s'est
distingué par un relâchement progressif de la
répression : en 1974, on ne recensait que 147 condamnations pour
des faits d'homosexualité tels qu'ils étaient
réprimés par la loi. La dépénalisation de
l'homosexualité a tout d'abord été envisagée lors
de l'examen de la loi du 23 décembre 1980 relative à la
répression du viol et de certains attentats aux moeurs. Les partisans de
la décriminalisation ont en effet saisi le Conseil constitutionnel car
ils estimaient que le texte contrevenait au principe
d'égalité ; selon eux, la loi aboutissait à
créer deux majorité sexuelles : la première
fixée à 15 ans pour les personnes hétérosexuelles,
et la seconde fixée à 18 ans pour les personnes
hétérosexuelles qui faisaient ainsi l'objet d'une discrimination.
Le Conseil constitutionnel , dans une décision du 19 décembre
1980101(*), a quant
à lui affirmé que le texte n'était pas contraire au
principe d'égalité car toutes les personnes appartenant à
la même catégorie faisaient l'objet du même
traitement : pour le Conseil, il s'agissait en réalité d'une
différenciation des actes et non d'une discrimination directe entre les
individus. Suite à cette décision du Conseil constitutionnel, le
législateur a finalement décidé de maintenir dans la loi
de 1980, l'incrimination des actes impudiques commis avec un mineur du
même sexe.
Finalement, la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogea
l'alinéa 2 de l'article 331 ACP, de sorte que l'homosexualité
entre ou avec partenaires âgés de 15 à 18 ans et
consentants, ne tombe plus désormais sous le coup de la
répression.
La dépénalisation de l'homosexualité
apparaît comme une véritable évolution des moeurs et la
politique criminelle adoptée envers cette catégorie de personnes
s'est avérée constituer une étape importante de
l'intégration des homosexuels dans notre société.
Longtemps stigmatisés, cette orientation sexuelle a été
tout d'abord tolérée grâce à la
décriminalisation, puis ensuite reconnue par le droit avec la
criminalisation des discriminations fondées sur les moeurs par une loi
du 25 juillet 1985.
Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation ne s'est pas révélé
uniquement intuitu personae : au delà de la qualité de
l'auteur ou de la victime, ce mouvement a pris en considération les
diverses évolutions qui sont intervenues dans notre
société, dans une finalité d'adaptation du droit (Partie
II).
Partie II - Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation dans une finalité d'adaptation du
droit.
Au cours de la période étudiée,
l'intervention du double mouvement de pénalisation,
dépénalisation s'est montrée sectorisée : le
législateur a choisi de recourir au droit répressif dans le but
d'étayer de véritables politiques publiques (Section I) ou encore
afin de s'adapter aux différents types d'évolutions que
connaissent nos sociétés contemporaines (Section II).
Section I - La pénalisation au service de politiques
publiques.
Le droit pénal est souvent le moyen
privilégié par le législateur pour étayer des
politiques publiques qui visent à avoir un impact particulier sur les
conduites individuelles et sur l`évolution des mentalités. Cette
volonté d'infléchir certains comportements par le biais de la
pénalisation , a été concrétisée en
matière de santé publique (§1) et de lutte contre
l' « insécurité routière »
(§2).
§ 1 - Le recours au droit pénal pour des
impératifs de santé publique.
Dans le cadre de la mise en place de politiques de
santé publique , le législateur a fait le choix de
pénaliser la consommation de produits dangereux pour la santé
tels que les stupéfiants, l'alcool, ou encore le tabac (A). Cependant,
après une période de pénalisation des pratiques
euthanasiques, on assiste actuellement à une phase de reflux du droit
pénal, à la faveur d'une adaptation du droit à
l'évolution des états forts de la conscience collective qui s'est
opérée en la matière (B).
A - La réponse
pénale favorisée en matière de consommation de produits
dangereux pour la santé.
· La pénalisation de l'usage de
stupéfiants.
· Historique de la criminalisation de l'usage de
stupéfiants en France :
La pénalisation de l'usage de stupéfiants en
France telle qu'on la connaît actuellement, procède de la loi du
31 décembre 1970. Néanmoins, le terme d' « usage
de stupéfiants » apparaît dans la loi de 1916102(*) modifiant la loi du 19
juillet 1845 sur les substances vénéneuses. Elle vise l'usage en
société de différents produits (opium, morphine,
cocaïne, haschich). La loi de 1916 prohibe à la fois l'achat, la
vente, l'emploi, l'usage en société, le fait de faciliter cet
usage mais aussi de se faire délivrer les substances au moyen
d'ordonnance fictive. Cette loi, qui réprime la tentative de tous ces
comportements, a prévu un système de sanctions pour le moins
injustes, puisque aucune distinction n'est établie à
l'époque entre l'usager et le trafiquant, punis des mêmes
peines : 3 mois à 2 ans de prison et 1000 à 10 000F
d'amende. En outre, la confiscation des substances saisies, la confiscation des
biens du contrevenant et la fermeture des établissements sont
également prévues.
Cette criminalisation de l'usage de stupéfiants en
société précède d'ailleurs la prohibition de
l'absinthe intervenue en 1917 pour des motifs de santé publique.
C'est ensuite la loi du 29 juillet 1939103(*) qui vient abroger le droit
antérieur pour retenir des solutions encore plus
répressives : 3 mois à 5 ans d'emprisonnement (contre 3 mois
à 2 ans précédemment) sont encourus au titre des
comportements visés par la loi de 1916.
Par la suite, seront créés le Code de la
Pharmacie en 1951 puis le Code de la santé publique (CSP) en 1953. Dans
le Code de la Pharmacie, les modifications précédentes de la loi
du19 juillet 1845 sont regroupées dans le titre III,
« Restrictions au commerce de certaines substances ou de certains
objets », chapitre Ier « substances
vénéneuses » (article 115 à 119). L'article 116
recense toutes les infractions en matière de stupéfiants et
prévoit des peines d'amende de 120 000 à 1 200 000F et un
emprisonnement de 3 mois à 5 ans également applicable à
ceux ayant usé desdites substances en société, et à
ceux qui auront été trouvés porteurs sans motif
légitime de l'une des substances prohibées. De surcroît,
l'article 119 double les peines en cas de récidive et un grand nombre de
peines complémentaires sont prévues. Le ministre de la Justice,
à cette époque, recommandera aux parquets de
distinguer « entre les toxicomanes qui s'adonnent aux
stupéfiants obtenus illicitement et les trafiquants qui leur
fournissent »104(*). Par ailleurs, dans la première
catégorie, celle des usagers, la circulaire de 1952 crée deux
sous catégories : les toxicomanes qui le sont à la suite
d'un traitement thérapeutique et qui ne sont donc pas responsables et
à l'égard desquels les mesures répressives seront
appliquées avec moins de rigueur qu'en ce qui concerne les toxicomanes
qui s'adonnent à la drogue par plaisir, qui, quant à eux, ne
bénéficient d'aucune mansuétude de la part des pouvoirs
publics qui les voient même comme des
« inadaptés » parmi lesquels on recrute les
« auteurs d'autres délits graves ». Par la suite, la
loi du 14 avril 1952 relative au taux des amendes, est venue doubler les peines
pécuniaires prévues à l'article 116: ces dernières
passent de 240 000 à 2 400 000F. L'année suivante, l'ensemble de
ces textes sera inséré dans le CSP au titre
III, « Restrictions au commerce de certaines substances ou de
certains objets » du livre IV, « Professions
médicales et auxiliaires médicaux », et les articles
115 à 119 modifiés sont devenus les articles 626 à 630
CSP. Par la suite, la loi du 24 décembre 1953, qui n'entrera jamais en
vigueur à cause de l'absence de règlement pour sa mise en
oeuvre, prévoira pour la première fois une obligation de soins
pour les usagers de stupéfiants.
· Le contexte international avant la loi du 31
décembre 1970 :
« On ne peut évidemment pas détacher
la politique française du contexte international et des conventions
auxquelles la France a souscrit »105(*).Avant le vote de la loi du 31 décembre 1970,
quatre textes sont ratifiés par le Gouvernement français.
Il s'agit tout d'abord de la Convention internationale de
l'opium, signée à La Haye le 23 janvier 1912106(*).
Il y aura ensuite la Convention de Genève,
signée le 19 février 1925 et promulguée en 1928. Elle
prévoit, outre la limitation des importations, des exportations, de la
fabrication et de la distribution, la répression de l'usage des
substances visées par le traité (opium, cocaïne, morphine,
diacétymorphine, chanvre indien et tout autre stupéfiant). Le
traité invite les Etats membres à empêcher l'usage de ces
substances pour des usages autres que médicaux et scientifiques et les
parties s'engagent à prendre les sanctions pénales
adéquates pour toutes les infractions visées par cette
convention.
La France a également ratifié la Convention de
Genève du 13 juillet 1931 promulguée par un décret de juin
1933. La France a signé la Convention de Genève le 26 juin 1936
et elle entrera en vigueur le 11 décembre 1946, après amendement
par le protocole signé à Lake Success à cette date.
Enfin, la Convention Unique sur les stupéfiants du 30
mars 1961 pose en préambule l'idée d'une lutte universelle contre
l'abus des stupéfiants. L'adhésion de la France à la
Convention de 1961 date de la fin de l'année 1968, donc après
qu'une opinion publique favorable à une action contre la drogue se soit
dessinée. Dans cette Convention Unique, certains termes annoncent les
arguments de santé publique invoqués lors des travaux
préparatoires de la loi du 31 décembre 1970107(*).
· Le contexte français avant la loi du 31
décembre 1970 ou la « pénalisation
anticipée » de l'usage solitaire de
stupéfiants :
Dans ce contexte international de lutte contre la drogue, le
législateur français voulait renforcer l'arsenal existant, pour
à la fois dissuader les citoyens français d'user de tels produits
et faire cesser cette pratique du coté des usagers. La crainte d'une
épidémie faisait par contre entrer la toxicomanie dans la lutte
contre les fléaux sociaux qu'il convenait d'éradiquer au
même titre que la syphilis ou la tuberculose. Cette dualité, entre
répression et santé publique, marque les débats et les
options choisies par le texte de 1970, inscrit au CSP mais prévoyant des
sanctions pénales.
Afin de préparer les débats parlementaires, le
ministre de la Justice procède à une enquête dans les
juridictions fin 1969108(*) afin d'avoir une image précise des affaires
de stupéfiants en cours et en particulier des caractéristiques
des inculpés. Cette enquête révèle que des
poursuites sont exercées contre des personnes qui ont fait usage de
stupéfiants, sous les qualifications de détention ou de port
illicite de stupéfiants, en l'absence d'incrimination spécifique
d'usage individuel109(*). Par la suite, soucieux de prendre en compte la
dimension sanitaire de l'usage de stupéfiants, le gouvernement
décide, à titre expérimental, de mettre en place un
dispositif permettant le traitement ou la surveillance par les services
sanitaires, des personnes signalées par le parquet110(*). Au niveau pénal, la
loi de 1970 était entrée en application environ un an avant
qu'elle ne soit votée, ceci d'autant plus que le ministre de la Justice
a édicté une circulaire affirmant cette orientation
d'anticipation de la pratique sur le droit111(*). Ainsi, la loi de 1970 paraît être la
consécration législative de la pratique antérieure des
parquets de laquelle résultait déjà la pénalisation
de fait de l'usage individuel de stupéfiants.
Il est néanmoins intéressant de se pencher sur
les débats parlementaires qui ont précédé le vote
de la loi n°70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures
sanitaires contre la toxicomanie et à la répression du trafic et
de l'usage illicite des substances vénéneuses112(*).
· Bref aperçu de la teneur des
débats parlementaires relatifs à la loi du 31 décembre
1970 :
Dans son premier rapport, « le rapport
1555 », P. MAZEAUD, rapporteur de l'administration
générale de la République, préconisait, s'agissant
de la consommation de stupéfiants, le vote d'un article qui
n'incriminait que « l'usage en société ».
Cette incrimination existait déjà avec les lois du 12 juillet
1916 et 24 décembre 1953 que le rapport prétendait modifier. M.
MAZEAUD, dans ce premier rapport a insisté sur le fait que la Commission
des lois, dont il était le rapporteur, a abouti à ce choix
délibéré après de nombreux débats au cours
desquels certains des intervenants prônaient la criminalisation de tout
usage solitaire de stupéfiants113(*). Or, la formule restreinte à laquelle
s'était finalement ralliée la Commission des lois (limitée
au seul usage en société) était le fruit d'une
première confrontation entre deux propositions de loi qu'avaient
déposées quelques mois plus tôt, sur le Bureau de
l'Assemblée, M. MAZEAUD d'une part, le 15 octobre 1969114(*), et M. WEBER d'autre part,
le 5 novembre 1969115(*). M.WEBER, lui, proposait de « punir tout
individu convaincu de s'être adonné régulièrement
à la pratique des stupéfiants ». Ensuite, et ce fut le
tournant de la question relative à l'incrimination de l'usage, le
Gouvernement, entre le 23 et le 29 juin 1970, décida d'intervenir
via de nombreux amendements modifiant complètement la
proposition de loi mise au point par la Commission des lois de
l'Assemblée Nationale et présentée par M.MAZEAUD dans le
« rapport 1155 ». En effet, il semble que le Gouvernement,
souhaitant consacrer la pratique antérieure des parquets au sujet de la
pénalisation de fait de l'usage solitaire, a voulu imposer la
criminalisation de ce type de comportements à l'occasion de la loi de
1970. Pour ce faire, les différents ministères impliqués,
que sont le ministère de la Justice et celui de la Santé, se sont
évertués à convaincre M.MAZEAUD de se prononcer en faveur
de la criminalisation de l'usage solitaire. L'exécutif réussit
finalement à parvenir ses fins ; il aurait été
impensable que le rapporteur de la Commission des lois, M.MAZEAUD, ne
défende pas un projet tenu pour élaboré par sa famille
politique, le parti gaulliste majoritaire à l'Assemblée. Ainsi,
à la veille du vote du 30 juin, M.MAZEAUD a recommandé dans son
« rapport supplémentaire 1330 »116(*), la position adoptée
par le Gouvernement.
C'est ainsi que l'article L.628,1 CSP sera adopté le 30
juin 1970 dès sa première lecture par l'Assemblée
Nationale, en dépit d'un ordre du jour très chargé et des
protestations exprimées par bon nombre de députés sur le
caractère inadmissible des conditions de l'adoption de ce texte,
voté dans la précipitation malgré l'importance de la
question qui leur était soumise117(*).
· L'incrimination d'usage illicite de
stupéfiants en elle-même :
L'usage illicite de stupéfiants, tel qu'il
résulte de la loi du 31 décembre 1970, figure à l'article
628 CSP. Cet article prévoyait une peine d'emprisonnement de 2 mois
à 1 an et une amende de 500 à 15 000F et de nombreuses peines
accessoires ou complémentaires118(*).
Aujourd'hui, l'incrimination d'usage figure à l'article
L.3421-1 CSP depuis l'ordonnance du 15 juin 2000 relative à la partie
législative du CSP119(*). Le nouvel article L.3421-1 CSP prévoit
désormais les peines principales d'1 an d'emprisonnement et 3750€
d'amende. Le législateur a prévu deux sanctions
secondaires : à titre complémentaire obligatoire, la
confiscation des produits incriminés et saisis avant le procès
(article L.3421-2 CSP) ; à titre complémentaire facultatif,
la fermeture d'établissement dans lequel a été commis le
délit (article L.3422-1 CSP).
Le CSP prévoit, outre les mesures répressives
exposées supra, des alternatives de nature sanitaires, avec
l'injonction thérapeutique des articles L.3411-1 à L.3414-1 CSP.
L'idée de prévention spéciale par les soins est en effet
prégnante dans le dispositif de lutte contre ce qui est
présenté comme un fléau des temps modernes. D'une part, le
lancement de la poursuite est entravé par le désir des
toxicomanes de se soigner, et d'autre part, au cas où l'action publique
aurait été lancée, une cure peut être
ordonnée par le juge d'instruction ou le juge des enfants ou même
ultérieurement par la juridiction de jugement. En cas d'exécution
de l'injonction de soins, le tribunal a la faculté de ne pas prononcer
les peines prévues par l'article 3421-1 CSP.
Tout ce système laisse clairement apparaître la
double dimension du problème de la consommation de
stupéfiants : soigner et punir. Le toxicomane,
considéré à la fois comme malade et comme déviant,
est d'une part, menacé d'une privation de liberté et d'une peine
pécuniaire pour l'atteinte à l'intégrité physique
qu'il s'inflige et qu'il est le seul à supporter, et d'autre part
accompagné dans le traitement de son addiction, tout ceci
procédant d'une coopération entre la justice et les
autorités sanitaires.
· Recours au droit pénal au service de
la lutte contre la consommation de tabac et d'alcool.
Dans leur lutte contre le tabac et l'alcool, le
législateur et le Gouvernement ont pris parti en faveur de la solution
répressive. Ce recours au droit pénal s'inscrit dans la mise en
place de politiques de santé publique, destinées à
infléchir les pratiques qui menacent la santé des citoyens qui
les reproduisent et ce, malgré le caractère nocif de leur usage
pour eux-mêmes. Il est donc question ici de protéger la population
contre elle-même, à raison des habitudes de vie qu'elle a
développées et qui menacent la santé publique, du fait des
maladies et également des accidents qui en découlent, en
particulier en ce qui concerne la consommation d'alcool. Cette lutte contre des
produits comme le tabac et l'alcool ne procède pas exclusivement de
cette volonté de protéger la population contre elle même en
terme de santé, elle est également due, en réalité,
à des considérations plus pragmatiques : en effet, le tabac
et l'alcool sont des produits qui font supporter à la
société toute entière, le coût des soins des
nombreux usagers devenus malades en raison de la consommation de ces produits
addictifs. C'est donc la prise de conscience du caractère nocif de ces
produits qui a poussé les pouvoirs publics à agir, à la
fois pour la santé des citoyens (en raison du nombre de maladies et
d'accidents) et en faveur d'une réduction des coûts sociaux qui
résultent du traitement des méfaits de la consommation de tabac
et d'alcool.
La lutte anti-alcoolique par des moyens légaux est un
travail qui a commencé avec les débuts de la IIIème
République. Le tabagisme, quant à lui, n'est pas combattu depuis
aussi longtemps, au moins dans les lois et règlements, car,
jusqu'à une date relativement récente, l'Etat était
détenteur du monopole de la fabrication du tabac en France. En
matière de lutte contre le tabac, c'est la « loi
VEIL » (du nom du Ministre de la santé à l'initiative
duquel la loi a été votée) du 9 juillet 1976120(*) qui a marqué le
début d'une réelle politique de santé publique.
Ordinairement, les deux fléaux que sont la tabac et
l'alcool font l'objet de textes distincts, mais puisqu'ils consistent l'un et
l'autre en des phénomènes de dépendance, les
spécialistes de la santé publique ont insisté pour en
faire la cible d'une unique loi, celle qui fut promulguée le 10 janvier
1991121(*) et qui entra
en vigueur le 1er janvier 1993.
La préparation de cette loi a donné lieu
à des débats contradictoires opposant d'un coté les
« hygiénistes » insistant sur la gravité du
mal et sur le nombre d'accidents et de maladies, et de l'autre, les
députés des régions viticoles invoquant le fait que le
vin, boisson antique, fait partie intégrante de notre
« patrimoine culturel » ; ces derniers étaient
également appuyés par les représentants des régions
tabacoles, qui, quant à eux, promettaient de fabriquer des produits
moins nocifs et insistant sur la défense du tabac français contre
les cigarettes étrangères bien plus dangereuses.
Au terme de ces affrontements parlementaires, c'est la
doctrine développée par M. DRAY, député socialiste
qui l'emporta : il mit en effet en exergue que l'inégalité
devant la maladie et la mort est l'une des plus choquantes de celle qui divise
la société française, et que, parmi ces causes, on note
une consommation d'alcool et de tabac plus malsaine, en qualité et en
quantité, chez les classes défavorisées. Or, cette
dernière catégorie de la population est en même temps,
à cause d'une culture insuffisante, peu sensible aux campagnes
d'éducation fondée sur des arguments rationnels, tandis que la
publicité commerciale, enveloppée d'irrationnel et de rêve,
la persuade aisément de consommer tabac et alcool. Supprimer ou
réduire la publicité à laquelle les classes
« culturellement favorisées » savent mieux
résister, c'est donc lutter contre les
inégalités122(*).
La loi du 10 janvier 1991 a ainsi pris le parti d'agir sur
la publicité de l'alcool et du tabac ; néanmoins, les
dispositions adoptées en matière de lutte contre le tabac sont
loin de se limiter à la seule publicité dont il pourrait faire
l'objet. En effet, ce produit ne jouit pas de la tradition immémoriale
qui ennoblit le vin et il est de plus considéré comme plus nocif.
Ce sont les raisons pour lesquelles, sans établir une nouvelle
prohibition dont il redoutait les effets pervers, le législateur a mis
en place un système tout à fait propre à dissuader les
fumeurs de s'adonner à leur plaisir : plus de prise en compte du
coût du tabac dans le calcul de l'indice des prix (ce qui sera la porte
ouverte à des augmentations ultérieures toujours plus dissuasives
du prix du tabac), leçons antitabagiques dispensées au personnel
enseignant, interdiction de fumer dans des lieux affectés à un
usage collectif, institution d'une manifestation annuelle (le 31 mai)
intitulée « Jour sans tabac »123(*).
S'agissant de la publicité de l'alcool et du tabac, le
dispositif de la loi de 1991 a interdit toute publicité (directe ou
indirecte) ou propagande en faveur de l'alcool ou du tabac, quel que soit le
support utilisé à cette fin. Cette loi a donc mis fin à la
pratique de la publicité par le biais des supports
cinématographes et d'affichage commercial ordinaire en plein air. Il
subsiste seulement deux exceptions qui sont la presse écrite et la
radiodiffusion (avec des réserves) pour la publicité de l'alcool,
et la seule presse écrite, moyennant des restrictions très
strictes pour le tabac. Le parrainage124(*) est également envisagé par la loi de
1991 qui est venue l'interdire et, cette fois-là, que le support soit
licite ou non. Cette question a vivement été débattue, car
sa prohibition a privé de ressource beaucoup d'activités
très nobles.
Les sanctions de l'inobservation des règles relatives
aux publicités interdites sont désormais, à titre de peine
principale, une amende allant de 50 000F(7500 €) à 500
000F(75 000 €) ou 50% des dépenses consacrées à
l'opération illégale. Il faut signaler que la loi de 1991 ne
modifie pas le quantum de l'amende encourue mais supprime l'emprisonnement de 2
mois à 2 ans jusque là prévu ; les
députés ont supprimé l'emprisonnement parce qu'ils ont
constaté qu'il n'était jamais prononcé, ce qui fait de
cette loi la consécration d'une certaine dépénalisation de
fait des délits en la matière. Une particularité est
à noter relativement au « dépassement de
quantité de publicité écrite » consacrée
aux produits du tabac : dans ce cas, la loi de 1991 avait prévu une
amende allant de 25 000 F(3750 €) à 250 000F(37 500 €),
ce qui était plus doux que ce que prévoyait antérieurement
la loi VEIL de 1976, qui alignait la répression de ce délit sur
celle des autres (c'est à dire les délits de publicité
interdite).
Cependant, il est difficile de pencher en faveur d'une analyse
qui consisterait à affirmer qu'il s'agit d'une loi de
dépénalisation car le recours au droit pénal est tout
d'abord considérablement élargi par la criminalisation de bon
nombre de pratiques de publicité commerciale jusque là
légales. Ensuite, une disposition prévoit, en cas de
récidive, une nouvelle peine complémentaire très
répressive qui est l' « interdiction de vente d'une
boisson ». Le nouveau dispositif apparaît donc plus comme une
rationalisation des solutions en la matière.
B - L'actuelle
rationalisation de la répression des pratiques euthanasiques :
L'euthanasie est un problème de société
pour le moins délicat qui procède tout d'abord de
difficultés d'ordre terminologique. La définition
étymologique de l'euthanasie, considérée comme une
« bonne mort », une « mort douce »,
semble aujourd'hui archaïque. Au début du XIXème
siècle, l'euthanasie a pu désigner ce que nous appelons
aujourd'hui les soins palliatifs, et qui recouvraient quelques gestes simples
censés apaiser le patient. Dans son acception contemporaine,
l'euthanasie se définit comme la mort provoquée pour
épargner au malade des souffrances physiques et psychiques
insupportables. Il existerait d'ailleurs non pas « une », mais
« des » euthanasies puisqu'on distingue l'euthanasie
active125(*), de
l'euthanasie passive126(*) et du suicide médicalement
assisté127(*).
En automne 2003, une affaire médiatisée à
outrance a relancé le débat sur l'euthanasie en France ;
Vincent HUMBERT, un jeune homme lourdement handicapé après la
survenance d'un accident de la circulation, est décédé en
septembre 2003 des suites d'un acte d'euthanasie pratiqué par son
médecin, via l'injection d'une substance létale.
La position du droit pénal traditionnel est
simple : l'euthanasie, prise dans son acception contemporaine la plus
large, est pénalisée, selon les qualifications de droit commun,
en tant que crime ou délit. C'est sur ce fond de pénalisation
classique et non spécifique de l'euthanasie que s'affrontent une
position conservatrice d'inspiration jusnaturaliste, et une position permissive
que l'on pourrait qualifier de positiviste sociologique128(*).
L'euthanasie a d'ailleurs fait l'objet de lois de
dépénalisation en Europe puisque la Hollande et la Belgique ont
opté pour une dépénalisation de l'euthanasie en 2001.
Votée le 10 avril 2001, la loi hollandaise définit, sous le
terme « critères de minutie », les obligations
du médecin qui pratique une euthanasie ; le non respect de ces
critères de minutie rend l'acte ainsi pratiqué, passible de 12
ans de réclusion criminelle et d'une très forte amende.
En Belgique, les députés ont voté, le 16
mai 2001, la légalisation de l'euthanasie dans certaines conditions,
très voisines de celles posées par la loi hollandaise ; le
non respect des conditions posées par la loi expose l'auteur de l'acte
illégal à la réclusion criminelle à
perpétuité, en vertu de l'article 394 du code pénal belge
qui réprime le meurtre commis avec préméditation. Il
existe également un pays européen qui n'autorise pas l'euthanasie
active mais qui accepte le suicide assisté (article 115 du Code
pénal) : la Suisse. Les moyens destinés à
abréger les souffrances du malade dans la dignité, sont
sollicités par le malade lui-même auprès d'une association
qui le lui fournit, après avoir s'être assuré de la
situation du malade et du sérieux de sa demande129(*).
En France, en l'absence de système spécifique
à la réalité que constitue l'euthanasie, les faits de
cette nature tombent irrémédiablement sous le coup de la loi
pénale qui, dans son application, a fait l'objet d'une relative
casuistique et d'une certaine dépénalisation de fait due à
la fois, aux implications de notre système de justice et à la
particularité de l'euthanasie, « crime noble » qui
touche chacun.
· La répression des actes euthanasiques
par les tribunaux français :
Il existe une casuistique officieuse en matière
d'euthanasie, qu'il s'agisse des incriminations pénales retenues pour
ces faits par les juridictions, ou de leur répression par ces
dernières. La pratique judiciaire révèle en effet une
adaptation des qualifications pénales retenues aux faits poursuivis et
de surcroît, une certaine mansuétude dans ses décisions,
voire même dans l'opportunité de l'engagement des poursuites qui
se font rares en la matière, en comparaison avec l'ampleur des pratiques
euthanasiques dans le milieu hospitalier. On peut ainsi parler de
dépénalisation de fait d'un phénomène qui est aussi
répandu qu'il provoque l'émotion.
· Qualifications retenues pour réprimer
l'euthanasie :
D'une part, selon les circonstances, l'euthanasie a
finalité homicide peut être condamnée en tant que meurtre
(article 221-1 CP) ou assassinat (article 221-3 CP)130(*). Les juges ont la plupart du
temps évité de qualifier de tels actes d'empoisonnement (article
221-5 CP) qui aurait pourtant été une qualification judicieuse
pour appréhender les cas d'euthanasie active ; c'est sans doute la
délicate caractérisation des éléments constitutifs
de cette infraction qui explique cette retenue131(*).
D'autre part, pour les cas litigieux dans lesquels la
volonté n'est pas nettement établie, des qualifications de droit
commun distinctes de l'homicide volontaires ont été
appliquées : il s'agit de la non assistance à personne en
danger (article 223-6 CP) et de l'homicide involontaire (article 221-6 CP).
Issu de la loi du 25 octobre 1941, le délit de non
assistance à personne en danger est le fondement sur lequel la Chambre
criminelle de la Cour de cassation a rendu le 3 janvier 1973 un
célèbre arrêt, dans l'affaire Gatineau132(*). Cet arrêt
précise les conditions dans lesquelles un médecin peut s'abstenir
de mettre en oeuvre des traitements extraordinaires. Dans cette affaire, le
médecin ayant été relaxé, la Cour de cassation
rejeta le pourvoi, approuvant les juges du fond de n'avoir reconnu aucune faute
professionnelle à l'encontre d'un médecin qui aurait tenté
de prodiguer des soins à une patiente, mais s'était heurté
à son « refus obstiné et même
agressif » (les éléments constitutifs du délit
de non assistance à personne en péril n'étant pas
réunis eu égard à ce refus).
Enfin, dans l'hypothèse d'un arrêt de soins, la
jurisprudence a parfois opté pour la qualification d'homicide
involontaire133(*).
· La dépénalisation de fait des
pratiques euthanasiques consacrée par la pratique
judiciaire :
De nombreux auteurs considèrent que l'absence
d'incrimination spécifique de l'euthanasie est en quelque sorte
compensée par la pratique judiciaire de répression des faits
euthanasiques134(*). Il
est vrai que si quelques procès médiatiques donnent l'impression
d'une certaine sévérité de la justice envers les
médecins qui pratiquent l'euthanasie, ces procès ne font que
masquer la rareté des condamnations dans ce domaine. Cette
réalité s'explique sans doute d'abord par le caractère
exceptionnel des faits d'euthanasie. Cependant, il faut également
prendre en compte la politique libérale des magistrats ; en vertu
du principe de l'opportunité des poursuites (article 40 CPP), le
procureur de la République peut décider de ne pas poursuivre en
cas de dénonciations de faits d'euthanasie. Les pratiques euthanasiques
sont donc sujettes à une dépénalisation de fait en amont
du procès pénal.
Si le procureur de la République décide de
donner suite à la dénonciation, c'est la Cour d'assises qui est
en principe compétente et, là encore, les verdicts
témoignent d'une grande mansuétude des jurés envers les
homicides euthanasiques qui se soldent souvent par une décision
d'acquittement ou une peine minimale135(*). Devant les Cours d'assises, tout se passe comme si
la prise en compte du mobile euthanasique submergeait toute autre
considération juridique. Cette mansuétude est notamment rendue
possible par les larges possibilités d'individualisation de la peine qui
permettent de réduire considérablement son quantum136(*) et par la faculté de
prononcer un sursis pour l'exécution de toute peine, même
criminelle137(*). Devant
les Cours d'assises également, l'euthanasie est donc une pratique qui
jouit d'une certaine dépénalisation de fait.
En réalité, la pratique judiciaire en la
matière, témoigne de l'inadéquation qui existe entre la
loi, qui réprime l'euthanasie comme un acte
homicide « classique », et l'opinion publique, qui
voit majoritairement cette pratique, le signe d'une médecine humaine,
respectueuse de la dignité de chacun dans les ultimes moments de son
existence. La justice se voit ainsi déborder par l'équité
intrinsèque au système de justice populaire et à ses
implications d'ordre passionnel.
Pour mettre fin à ces décisions jugées
par certains comme excessivement clémentes, il a été
envisagé de créer un crime d'euthanasie puni de 10 ans
d'emprisonnement et de 500 000F d'amende138(*). Ce projet n'a pas abouti mais certains auteurs
plaident encore aujourd'hui pour cette spécialisation de la
répression en matière d'euthanasie. Pour eux, cette infraction
permettrait d'assurer une meilleure sécurité juridique. De plus,
même maintenue dans la catégorie criminelle, l'infraction
d'homicide euthanasique serait moins sévèrement
réprimée que le meurtre, si bien que les jurés seraient
moins réticents à condamner les faits d'euthanasie.
Quoi qu'il en soit, en l'état actuel du droit, pour
éluder cette impunité fréquente de l'auteur de faits
euthanasiques devant la Cour d'assises, il est possible de procéder
à une correctionnalisation : par le biais des qualifications
correctionnelles, on fait échapper ces comportements à
l'appréciation clémente des jurés pour faire primer le
droit sur l'émotion du fait de l'examen de l'affaire par des juges
professionnels. Néanmoins, il est incontestable que la pratique de la
correctionnalisation judiciaire, conçue pour assurer une meilleure
effectivité de la loi pénale, constitue tout de même une
sorte de dépénalisation de fait. De plus, même si le
verdict est susceptible de s'avérer plus lourd que devant les Cours
d'assises, les peines encourues n'en restent pas moins dérisoires au
regard de celles qui sont attachées aux qualifications criminelles.
Ainsi, la correctionnalisation judiciaire témoigne elle aussi d'une
certaine dépénalisation de fait de l'euthanasie.
· La proposition d'instituer une
« exception d'euthanasie » :
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE)
a rendu public le 3 mars 2000 un avis n°63 intitulé Fin de vie,
arrêt de vie, euthanasie. Le rapport du CCNE formule une proposition
de nature juridique : tout en recommandant de ne pas modifier les
incriminations du Code pénal, il préconise la consécration
légale d'une « exception d'euthanasie ».
L'exception d'euthanasie serait un moyen de défense au
fond des individus poursuivis pour euthanasie.
Le Comité vise dans certains passages de son avis, les
situations dans lesquelles l'exception d'euthanasie aurait vocation à
jouer : il s'agit des cas, sans doute rares, « où la
mise en oeuvre résolue des trois démarches (...) (soins
palliatifs, accompagnement, refus de l'acharnement thérapeutique) se
révèle impuissante à offrir une fin de vie supportable.
Peuvent être évoqués, à titre d'exemples, les cas
exceptionnels où la douleur n'est pas maîtrisée en
dépit des moyens disponibles ; la personne totalement et
définitivement dépendante de machines pour vivre, demande
à en finir (...) ».
Cette exception d'euthanasie (après étude de
l'avis du Comité139(*)) peut s'analyser comme une cause justificative
sui generis propre aux cas d'euthanasie, comme l'état de
détresse de la femme est une cause justificative inhérente
à l'avortement et irréductible aux causes
d'irresponsabilité traditionnelles. La différence essentielle
tiendrait bien sûr au contrôle des tribunaux : alors que
l'état de détresse de la femme n'est pas contrôlé
par le juge, l'exception d'euthanasie devrait faire l'objet d'un contrôle
judiciaire étroit140(*).
· La dépénalisation partielle de
l'euthanasie par la loi du 22 avril 2005 :
L'euthanasie a récemment fait l'objet
d'une réforme qui a eu pour objet de décriminaliser certaines
pratiques constitutives d'homicide euthanasiques. C'est la loi du 22 avril 2005
relative aux droits des malades et à la fin de vie141(*) qui est venue
dépénaliser des pratiques si courantes qu'elles mettaient en
évidence l'obsolescence de la norme pénale.
La loi rappelle tout d'abord que le médecin doit se
faire un devoir (au moins déontologique) de ne pas tomber dans les
écueils de l'acharnement thérapeutique qui se caractérise
par des traitements inutiles, disproportionnés ou qui
n'ont pour effet que de maintenir le malade en vie artificiellement.
Dans ce cas, le médecin peut décider de suspendre ou de ne pas
entreprendre de traitement142(*). La loi du 22 avril 2005 énonce
également la possibilité pour toute personne majeure, de
rédiger des directives anticipées relatives à sa fin de
vie concernant la limitation ou l'arrêt de traitement, pour le cas
où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté.
Pour être prises en compte par le médecin, ces directives doivent
avoir été rédigées moins de trois ans avant
l'état d'inconscience de la personne143(*).
Ceci étant, la loi nouvelle qui concerne exclusivement
les malades en fin de vie, c'est-à-dire « en phase
avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en
soit la cause », envisage deux cas bien distincts : celui du
malade encore conscient et celui du malade hors d'état d'exprimer sa
volonté.
Lorsque le malade en fin de vie encore conscient ne peut voir
sa souffrance soulagée que par un traitement qui peut avoir pour effet
secondaire de mettre fin à ses jours, le médecin peut
procéder à ce traitement après en avoir informé le
malade144(*). Ensuite,
lorsqu'une personne en fin de vie décide de limiter ou d'arrêter
son traitement, le médecin respecte sa volonté après
l'avoir informée des conséquences de son choix145(*).
Dans le cas particulier du malade en fin de vie hors
d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de
traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut en tout état
de cause être réalisé sans avoir respecté la
procédure collégiale définie par le Code de
déontologie médicale et sans que la personne de confiance
notamment, ait été consulté146(*). Ensuite, la loi rappelle la
possibilité pour le médecin (après avoir
respecté la procédure collégiale et consulté la
personne de confiance, voire le cas échéant les directives
anticipées de la personne) de limiter ou d'arrêter un traitement
qui serait synonyme d'acharnement thérapeutique pour le malade hors
d'état d'exprimer sa volonté147(*). Enfin, lorsque le malade a désigné
une personne de confiance, l'avis de cette dernière au sujet des
décisions d'investigation, d'intervention ou de traitement prises par le
médecin, prévaut sur tout autre avis non médical, à
l'exception des directives anticipées148(*).
La loi nouvelle est une loi de dépénalisation de
l'euthanasie puisqu'elle décriminalise certaines pratiques euthanasiques
en les encadrant strictement. Cependant, il ne s'agit que d'une
dépénalisation partielle de l'euthanasie, étant
donné que le législateur a délibérément
adopté une conception restrictive de l'euthanasie en ne visant que
les seuls cas relatifs aux malades en fin de vie. Or, dans son acception
contemporaine, l'euthanasie se définit comme la mort provoquée
pour épargner au malade des souffrances physiques et psychiques
insupportables, sans distinction des cas où ce dernier se trouve en fin
de vie ou non. C'est la raison pour laquelle cette loi nouvelle aurait par
exemple été inopérante dans des affaires comme celles du
jeune Vincent HUMBERT qui, bien qu'il souffrît sans commune mesure,
était loin d'être en fin de vie.
La loi du 22 avril 2005 est une initiative qui a au moins le
mérite de rationaliser le droit pénal français en offrant
aux praticiens de la santé, une certaine sécurité
juridique et une meilleure lisibilité du risque pénal qui
découle de l'exercice de leur profession. Enfin, à défaut
d'être pleinement consensuelle, la loi opère un relatif
rapprochement entre le droit et la réalité sociologique qui se
doit de ne pas être en rupture avec la norme à laquelle elle se
trouve assujettie. C'est cette adhésion minimum de la conscience
collective au droit qui confère à la norme sa
légitimité, synonyme pour elle d'effectivité.
§ 2 - La pénalisation : un instrument au
service de la lutte contre « l'insécurité
routière ».
Ces vingt dernières années ont été
le théâtre d'une pénalisation particulière des
infractions en matière de sécurité routière Le
législateur a, d'une part, créé de nouvelles
incriminations pour réprimer des comportements qui ne l'étaient
pas sous l'empire du droit antérieur (par le biais d'une
véritable criminalisation), ou encore afin de donner une base
légale spécifique à la répression de comportements
déjà appréhendés par le droit pénal par le
biais de textes plus généraux (A). Il a, d'autre part,
aggravé les peines encourues au titre de certaines infractions au Code
de la route (B), ciblant ainsi son action sur la dissuasion accrue qui pouvait
en résulter Cette tendance à la pénalisation des
infractions routières procède plus particulièrement de la
mise en place, ces dernières années, d'une véritable
politique publique en la matière, qui compte tout de même des
précédents, parmi lesquels la loi du 10 juillet 1987.
La loi du 10 juillet 1987 renforçant la
lutte contre l'alcool au volant :
La loi du 10 juillet 1987149(*) marque un tournant dans la répressions des
infractions au Code de la route, puisque, afin de lutter efficacement contre la
conduite sous l'empire alcoolique, source de nombreux accidents, cette
dernière est venue pénaliser spécifiquement ce type de
comportements par le doublement des peines principales encourues au titre de la
conduite en état d'ivresse150(*) et du délit de fuite151(*) : la répression
de ces deux infractions passe d'un emprisonnement de 1 mois à 1 an et
d'une amende de 500F à 15 000F à 2 mois à 2 ans
d'emprisonnement et 2000F à 30 000F d'amende. Cette loi vint
également pénaliser d'autres infractions déjà
existantes, en augmentant là encore les peines principales qui y
étaient attachées152(*).
C'est néanmoins surtout ces cinq dernières
années que la pénalisation des déviances routières
a pris une dimension particulièrement remarquable. Cette
pénalisation s'inscrit dans une réelle volonté du
gouvernement de mettre fin à ce que M. Gilles DE ROBIEN, ministre de
l'équipement et des transports (en 2003), qualifie
de « barbarie routière ».
L'actuel mouvement de pénalisation des
infractions en matière de circulation
routière :
Lors de son intervention du 14 juillet 2002, Jacques CHIRAC,
Président de la République, avait présenté la
sécurité routière comme l'un des trois grands chantiers de
son quinquennat, avec l'insertion. Il commença cette politique avec la
loi d'amnistie de la dernière élection
présidentielle153(*), qui écarte toute mansuétude à
l'égard des délinquants routiers et qui, de fait, se montre
beaucoup moins généreuse que les précédentes
à ce sujet. Depuis, le nombre de victimes a décliné de
façon relativement significative : de juillet 2002 à juin
2003, 6350 personnes ont été tuées sur les routes
françaises, soit une baisse de 18% (1405 de moins) par rapport à
l'année précédente. Cette politique publique, mise en
oeuvre par l'exécutif actuel, fait suite à certaines initiatives
du Gouvernement précédent qui, bien qu'elles ne témoignent
pas d'une rigueur comparable, procède d'une même volonté.
Pour répondre aux impératifs qu'il s'étaient
assignés, les pouvoirs publics ont à la fois créé
de nouvelles incriminations et fait le choix d'une aggravation des infractions
déjà existantes.
A - La pénalisation
par la création de nouvelles incriminations : criminalisations ou
spécialisation de la répression ?
· La conduite après usage de
stupéfiants :
C'est la loi du 3 février 2003154(*) qui a inséré
dans le code de la route les articles L.235-1 à L.235-5 qui
régissent la nouvelle infraction de « conduite après
usage de stupéfiants ». Cette nouvelle infraction
réprime la fait pour toute personne de « conduire un
véhicule alors qu'il résulte d'une analyse sanguine qu'elle a
fait usage de substances ou plantes classées comme
stupéfiants ». En vertu de cet article L.235-1, la peine est
de 2 ans d'emprisonnement et de 4500 € d'amende155(*). En effet, contrairement
à d'autres pays européens, la France n'avait pas fait de la
conduite sous l'influence de stupéfiants une infraction
spécifique. Il est vrai qu'une partie non négligeable des
accidents mortels paraît pourtant due à un usage de drogue, qui
entraîne des troubles du comportement et une perte des réflexes.
Cependant, ce qui est regrettable, c'est que les études
statistiques menées en la matière, qui identifient le nombre
d'accidents parmi lesquels sont impliqués des conducteurs ayant
consommé des produits stupéfiants, ne puissent pas
déterminer les cas dans lesquels il existe un véritable lien de
causalité en la survenance de l'accident et la consommation de
stupéfiants. Autrement dit, à chaque fois qu'un accident se
produit et qu'il résulte des analyses sanguines que le conducteur avait
fait usage de stupéfiants, on met en avant la seule consommation de
stupéfiants comme cause de l'accident en question alors qu'il n'est que
rarement établi si le contrevenant était réellement sous
l'influence de la drogue au moment de la conduite de son véhicule. Cette
faille dans l'évaluation de la dangerosité de la conduite
après usage de stupéfiants a contribué à
stigmatiser un peu plus les consommateurs de stupéfiants qui se sont vus
considérés, par la société toute entière,
comme des conducteurs irresponsables et dangereux.
Etant donné que la conduite sous l'emprise de l'alcool
est sévèrement réprimée, il paraît
néanmoins judicieux d'avoir comblé le vide de la
législation en matière de stupéfiants. Ce qui est
déplorable là encore, c'est que la loi nouvelle réprime la
« conduite après usage de stupéfiants » et
pas la « conduite sous l'influence de
stupéfiants », qui, elle, aurait légitimé la
criminalisation d'un tel comportement par la dangerosité qu'elle
représente. De fait, le consommateur d'alcool et le consommateur de
drogue ne sont pas sur un pied d'égalité : le premier,
contrairement au second, se voit sanctionné pour son état
dangereux et dispose des moyens pour déterminer s'il lui est
autorisé ou non de conduire eu égard à la
législation en vigueur156(*).
D'après certains parlementaires, ce comportement
était déjà répréhensible avant la loi du 3
février 2003 : ils affirment que la combinaison de l'article
L.3421-1 CSP punissant l'usage de stupéfiants, et des lois de 1999 et de
2001 (rendant le dépistage obligatoire en cas d'accident mortel et
possible en cas d'accident corporel) permettait déjà de
sanctionner toute personne conduisant sous l'emprise de stupéfiants. Il
est vrai qu'en cas de dépistage positif, le procureur de la
République pouvait poursuivre sur le fondement de l'article L.3421-1 CSP
et cette circonstance pouvait peser sur la décision du tribunal relative
à l'homicide ou aux blessures involontaires. Néanmoins, le
dépistage ne pouvait avoir lieu qu'en cas d'accident de la
circulation ; la nouvelle incrimination, parce qu'elle offre la
possibilité aux forces de l'ordre d'organiser des contrôles
aléatoires, même en l'absence d'infraction préalable ou
d'accident (article L.235-2 code de la route), axe la répression sur la
notion de dommage « potentiel » causé à
autrui (du fait de la consommation de stupéfiants), mais là
encore sans être réellement en mesure d'évaluer ce danger.
Cette nouvelle incrimination paraît donc injuste pour
les justiciables auxquels elle s'adresse tant le risque pénal
paraît impossible à identifier pour eux.
· L'usage du téléphone
portable :
En l'absence d'un texte spécial, les
condamnations157(*) se
fondaient sur l'article R.412-6 du Code de la route158(*). Un décret du 31 mars
2003159(*) a finalement
créé un article R.412-6-1 dans le Code de la route qui
réprime spécifiquement ce comportement par une amende de seconde
classe et le retrait de plein droit de 2 points du permis de conduire. Il ne
s'agit donc pas d'une criminalisation, mais seulement d'un texte
spécifique qui vient conforter la répression de ces comportements
par le droit antérieur grâce à un texte
« fourre-tout ».
· Le délit de conduite sans
permis :
La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité160(*) a recréé le délit de conduite
sans permis qui est désormais puni d'un an d'emprisonnement et
15 000 € d'amende (article L.221-2 Code de la route).
· Les délits d'homicide et de blessures
involontaires commis par un conducteur :
C'est la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre
la « violence routière »161(*) qui a innové en ce
qui concerne les infractions d'homicide et de blessures involontaires commis
dans le cadre de la sécurité routière. Il faut signaler
d'emblée que le terme « violence », juridiquement
impropre dans cette hypothèse, est hautement symbolique et
révèle la volonté pour le moins répressive des
pouvoirs publics à l'égard des chauffards qui, « par
leurs violations du Code de la route acceptent l'idée d'attenter
à l'intégrité d'autrui et adoptent un comportement
« pré-violent » qui peut se traduire par des
chocs... »162(*).
Cela étant, la loi du 12 juin 2003 ne met pas en place
un système d'aggravation de la répression à raison du
modus operandi spécifique que constitue la conduite d'un
véhicule terrestre à moteur dans la commission d'infractions
involontaires par le chauffeur imprudent. Il s'agit bien d'un système de
répression autonome par la création de trois nouvelles
incriminations. On ne peut tout de même pas parler de criminalisation
puisque les comportements appréhendés par la loi du 12 juin 2003
étaient déjà sanctionnables sous l'empire du droit
antérieur. Cependant, ce nouveau système de répression des
infractions non intentionnelles commises dans le cadre de la circulation
routière s'inscrit dans un mouvement de pénalisation redoutable
qui passe par l'aggravation de la répression de ces comportements, en
comparaison des sentences encourues jusqu'alors.
Trois nouvelles infractions sont insérées au
Code pénal, punies de 2 à 10 ans d'emprisonnement selon la
gravité du dommage causé :
- l'homicide involontaire commis à l'occasion de la
conduite d'un véhicule terrestre à moteur, puni de 5 ans
d'emprisonnement et 75 000 € d'amende (article 221-6-1 CP)163(*)
- les blessures involontaires commises dans le contexte
routier, desquelles ont résulté une ITT (incapacité totale
de travail) supérieure à trois mois, punies de 3 ans
d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende (article 222-19-1
CP)164(*)
- les blessures involontaires commises dans le même
contexte, desquelles ont résulté une ITT inférieure ou
égale à trois mois qui devient un délit puni d'un
emprisonnement de 2 ans et de 30 000euros d'amende (article 222-1-20
CP)165(*).
De plus, aux quatre circonstances aggravantes
déjà prévues (mise en danger
délibérée, consommation d'alcool, usage de
stupéfiants et délit de fuite), la loi ajoute deux
hypothèses : celle où le conducteur n'était pas
titulaire du permis ou avait fait l'objet d'une annulation, invalidation,
suspension ou rétention de permis, et celle où le conducteur a
commis un excès de vitesse égal ou supérieur à 50
km/h. Si le délit est commis avec deux ou plus de ces circonstances, les
peines sont encore élevées (jusqu'à 10 ans
d'emprisonnement et 150 000 € d'amende pour l'homicide
involontaire).
· Le refus de créer un délit
spécial d' « atteinte involontaire à l'enfant
à naître » :
Un amendement166(*) proposait de combler le vide juridique
révélé par plusieurs arrêts de la Cour de cassation
refusant d'appliquer l'article 221-6 CP et qui conduisaient à des
solutions incohérentes. Ce dispositif a finalement été
écarté au motif qu'il relevait d'une question d'une ampleur autre
que celle des accidents de la route, certains parlementaires voyant dans cette
nouvelle incrimination, une remise en cause indirecte de l'IVG. Pour certains
auteurs, au contraire, cette conception du problème est la
conséquence d'une confusion entre « IVG »
et « IIG » (Interruption Involontaire de
Grossesse)167(*).
B - L'accentuation de la
répression relative aux incriminations existantes.
Une autre caractéristique de ce mouvement de
pénalisation qui a touché les infractions en matière de
circulation routière est le choix par le législateur de peines
plus sévères à l'égard de certains comportements,
qui, si ils ne sont pas toujours la cause immédiate de la survenance
d'un accident, participent au moins à la création de risques ou
à l'inobservation des règles élémentaires
du « savoir vivre » sur la route.
Tout d'abord, la distance de sécurité entre deux
véhicules a fait l'objet d'une pénalisation par un bond dans la
classification des contraventions : un décret du 23 novembre
2001168(*) en a
précisé la notion et aggravé les sanctions (contravention
de 4e classe et non plus de 2e classe, article R.412-12
Code de la route)169(*).
Un décret du 31 mars 2003 aggrave la répression
de l'absence de port de la ceinture de sécurité, contravention de
4e classe et non plus de 2e classe (article R.412-1, Code
de la route)170(*).
Cette infraction est, quant à elle, une « infraction sans
plaignant » et le législateur, en pénalisant cette
imprudence malheureusement encore très répandue, a
souhaité protéger les individus contre eux-mêmes et non
sanctionner un comportement dangereux pour autrui.
La loi du 12 juin 2001 transforme également la
contravention de 5e classe, le fait de conduire malgré un
permis invalidé (après retrait de la totalité des points,
article R.221-1, Code de la route) en délit puni de 2 ans
d'emprisonnement et 4 500 € d'amende. Cette aggravation des peines
harmonise la répression de comportements très proches, la
conduite après annulation, suspension ou rétention du permis qui
est un délit puni de 2 ans d'emprisonnement et 4 500 €
d'amende.
La même loi a par ailleurs renforcé la
répression de la commercialisation des kits de débridage
(destinés à augmenter la vitesse d'un
vélomoteur)171(*)
et des détecteurs de radars172(*). Ces deux comportements, qui étaient des
contraventions de 5e classe, deviennent des délits punis de 2
ans de prison et 30 000 € d'amende.
Enfin, le décret du 11 juillet 2003 aggrave la
répression de la circulation en dehors de la chaussée ou sur une
voie de circulation réservée à d'autres catégories
de véhicules (article R.412-7, Code de la route), et du stationnement
sur un emplacement réservé aux personnes handicapées ou
aux grands invalides (Article R.417-11, Code de la route) qui deviennent des
contraventions de 4e classe et non plus de 2e classe. Les
pouvoirs publics n'ont donc pas oublié le coté moral des
transgressions au Code de la route qui, dans une certaine mesure, s'inscrit
dans la prise de conscience que ce mouvement de pénalisation entend
provoquer chez chaque conducteur, et ce, par la dissuasion qui découle
du recours accru au droit pénal.
Les résultats de cette politique de pénalisation
de la circulation routière se sont pour l'instant montrés
très satisfaisants, puisque selon l'Observatoire National
Interministériel de Sécurité Routière (O.N.I.S.R),
en métropole, on enregistre une baisse de 8,7% du nombre de tués
en 2004, par rapport à 2003. L'objectif de descendre en dessous des 5000
tuées en 2005 (5500 en comptant les départements d'outre-mer)
semble plus que jamais réalisable, au regard des premiers chiffres du
début de l'année 2005 qui traduisent déjà une
baisse de 5% du nombre de tués sur les routes
françaises173(*).
Néanmoins, les chiffres du mois de juillet 2005 traduisent un hausse de
7% du nombre de tués sur les routes par rapport au mois de juillet
2004 : ces derniers chiffres traduisent t-ils les limites du
système dissuasif mis en place ? Rien n'est moins sûr,
l'objectif du Gouvernement reste encore et toujours de descendre en dessous des
5000 tués sur les routes en 2005.
Section II - Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation dans une finalité d'adaptation du droit aux
évolutions de la société.
Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation a été guidé par un
impératif : celui d'encadrer aux mieux les mutations que la
société a pu connaître au cours de la période
étudiée. La dépénalisation a été le
moyen de rationaliser le champ d'application du droit pénal dans la
sphère des affaires qui est un domaine qui n'a connu jusqu'alors que des
phases de pénalisation successives (§1). La pénalisation a
également été le moyen de cadrer les évolutions
techniques récentes dont le développement suscite
l'inquiétude des pouvoirs publics (§2).
§ 1 - Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation en droit des affaires.
Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation apparaît très nettement en droit des
affaires ; après l'émergence d'un noyau dur
d'incriminations, la sphère des affaires a fait l'objet d'une
pénalisation croissante à partir de la seconde guerre mondiale
(A). Ce n'est que récemment que l'on observe un certain reflux du droit
pénal qui traduit la nécessité de se dégager du
schéma interventionniste qui caractérisait le droit des affaires
au sortir de la seconde guerre mondiale (B).
Le droit pénal des affaires est né depuis, voire
même un peu avant, le Code pénal de 1810 qui contenait
déjà quelques incriminations spécifiques à la
pratique des affaires. Ainsi, figuraient déjà dans ce code,
dès son origine, le faux monnayage (art.132 et s.), la banqueroute
(art.402 à 404), l'abus des besoins, faiblesses ou passions d'un mineur
(art.406), la tenue non autorisée de maisons de prêt, gages ou
nantissement (art.411), les entraves apportées à la
liberté des enchères (art.412), la violation d'un secret de
fabrique (art.418), l'altération des prix (art.419 et 420) sans compter
la répression de l'usure issue d'une loi du 3 septembre 1807.
Ces premières incriminations vont globalement
constituer le noyau dur du droit pénal des affaires jusqu'à la
première moitié du XXème siècle. Cette
dernière période est ensuite marquée par trois grandes
étapes dans l'émergence d'un droit pénal des affaires.
Tout d'abord, la loi du 1er août 1905, pionnière des
textes du droit de la consommation, vient réprimer les fraudes et les
falsifications. Ensuite, le Décret-loi du 8 août 1935 crée,
notamment, trois nouveaux délits en droit des
sociétés : la présentation ou la publication d'un
bilan inexact, l'abus des biens sociaux ou du crédit et l'abus des
pouvoirs ou des voix. Enfin, les deux grandes ordonnances du 30 juin 1945
marquèrent une étape décisive dans la construction
progressive de cette nouvelle branche du droit pénal puisqu'elle est
à la fois révélatrice d'une certaine conception de
l'intervention de l'Etat au sortir de la guerre et qu'elle marquent le
début d'un mouvement de pénalisation caractérisé de
la sphère des affaires.
A - La pénalisation
croissante du droit des affaires depuis le lendemain de la seconde guerre
mondiale.
Ces deux ordonnances du 30 juin 1945 sont relatives, pour la
première, à la réglementation sur les prix (ordonnance
n° 45-1983), et pour la seconde, à la procédure applicable
aux infractions à la législation économique (ordonnance
n° 45-1984). L'ordonnance relative aux prix est venue définir
notamment les délits de prix illicites, de pratique des prix illicites
et des actions assimilées à cette pratique. Ces deux ordonnances
de 1945 ont très vite vieilli même si elles ont eu une
durée de vie formelle de plus de quarante ans, cependant, elles ont
marqué leur époque par la conception hautement interventionniste
qui découle de leur dispositif : au lendemain de la seconde guerre
on est en effet entré dans une économie dirigiste, fortement
encadrée par l'Etat qui réglemente strictement le
marché174(*).
C'est à partir de cette période que l'on observe en droit
pénal des affaires, une tendance inflationniste
caractérisée, et ce, dans tous les domaines touchant au droit des
affaires.
Tout d'abord, dans le domaine des finances, et plus
précisément dans le secteur boursier, la loi du 23
décembre 1970 crée deux nouvelles incriminations,
insérées dans l'ordonnance du 28 septembre 1967 qui avait
institué la COB : la publication d'informations inexactes et
surtout le délit d'initié, amélioré par plusieurs
textes successifs. La politique criminelle d'adaptation aux nouveaux enjeux
économiques devient ensuite plus nette par la suite, puisque la loi du
22 juillet 1988 crée la manipulation des cours et la loi du 2 août
1989 criminalise la communication d'une information privilégiée.
C'est ensuite la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 dite de modernisation des
activités financières qui remodèle quelque peu les
incriminations majeures en la matière. A tout cela s'ajoute la loi
n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 qui ouvre de nouveaux horizons aux
infractions boursières. La lutte contre le blanchiment de l'argent sale
résulte quant à lui principalement de la loi n° 96-392 du 13
mai 1996.
Ensuite, dans le domaine du droit des sociétés,
le texte fondamental résulte de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966
dont un titre entier (le titre II) est consacré aux dispositions
pénales et équivaut à un véritable Code
pénal des sociétés commerciales. D'ailleurs, la loi du 31
décembre 1970 sur les sociétés immobilières a
été fortement marquée par ce modèle.
En matière de concurrence, le choix du
législateur a été celui de la répression para
pénale en ce qui concerne les ententes abusives, les abus de position
dominante et les concentrations. Ce choix se confirmera d'ailleurs plus
nettement avec la création du Conseil de la concurrence par la grande
ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des
prix et de la concurrence qui sera par la suite remodelée par la loi
n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et
l'équilibre des relations commerciales175(*). La répression pénale stricto sensu
s'impose cependant pour protéger les concurrents contre les diverses
agressions qu'il est susceptible de subir, avec la loi du 31 décembre
1964 à laquelle se substitue la loi du 4 janvier 1991 sur les marques de
fabrique, de commerce ou de service.
La consommation a également fait l'objet d'une
pénalisation non moins substantielle, par des interventions parcellaires
et compartimentées qui, en s'additionnant, forment un véritable
monument législatif, prélude d'une codification. Au titre des
textes essentiels, on peut citer la loi du 2 juillet 1963 qui a
créé le délit de publicité mensongère ou de
nature à induire en erreur, loi qui sera d'ailleurs remodelée par
la célèbre « loi ROYER » du 27
décembre 1973. La loi s'est ensuite évertuée à
protéger les consommateurs contre les agressions incessantes dont ils
sont victimes, avec notamment la loi du 22 décembre 1972 qui
réglemente sévèrement le démarchage de marchandises
à domicile ou sur le lieu de travail. La loi n° 78- 22 du 10
janvier 1978 assurera quant à elle l'information et la protection des
consommateurs dans certaines opérations de crédit. Il y aura
également la loi du 23 juin 1989 sur l'information et la protection des
consommateurs contre diverses pratiques commerciales. La loi n° 92-60 du
18 janvier 1992 a renforcé la protection des consommateurs et la loi
n° 93-949 du 26 juillet 1993 a finalement institué le Code de la
consommation. Le marché immobilier est lui aussi un domaine dans lequel
la pénalisation sera effectuée en faveur du consommateur, par
l'édiction de nombreuses règles qui le protègent tout
spécialement.
Parallèlement à cette inflation pénale en
droit des affaires, une innovation se distingue de par les répercussions
qu'elle implique dans ce domaine : c'est la responsabilité des
personnes morales (art.121-2 CP) qui trouve son origine dans la réforme
du Code pénal de 1994. Cette nouveauté relative à
l'imputation des infractions a eu un retentissement tout particulier en droit
pénal des affaires qui est un domaine dans lequel les incriminations
sont la plupart du temps assorties d'amendes conséquentes afin de tenir
compte de l'ampleur des intérêts financiers en jeu. Ce nouveau
domaine de responsabilité pénale a dès lors
été conçu de façon pragmatique en droit
pénal des affaires ; c'est en effet le moyen imaginé par le
législateur pour rendre possible le recouvrement de ces lourdes amendes
dont les dirigeants de société ne pouvaient pas toujours
s'acquitter176(*).
Toutes ces lois successives montrent bien la volonté du
législateur de s'adapter au mieux aux mutations socio économiques
qui rythment l'évolution de la société. Cela
révèle également que l'Etat a fait le choix
délibéré du recours au droit pénal pour veiller
à la bonne santé de cet ordre socio économique. A cet
égard, certains auteurs dénoncent d'ailleurs ce mouvement de
pénalisation comme étant abusif et proposent même des
solutions pour opérer une réglementation de la sphère des
affaires, sans recourir au droit pénal177(*). Parallèlement à ce mouvement de
pénalisation en droit des affaires, s'est récemment
dessiné un mouvement inverse de dépénalisation. Certes, ce
mouvement de dépénalisation ne contrebalance pas la
pénalisation dont le monde des affaires a jusqu'alors fait l'objet, mais
il révèle néanmoins la volonté de remettre en cause
l'intervention infructueuse du droit répressif en procédant
à l'épuration de cette branche du droit pénal
grevée de nombreuses dispositions inappliquées.
B - Le récent
processus de dépénalisation en droit des affaires.
Avant d'évoquer le domaine du droit des affaires au
sein duquel le mouvement de dépénalisation s'est montré le
plus important (le droit des sociétés), il faut évoquer le
cas particulier des procédures collectives qui ont elles aussi
bénéficié d'une dépénalisation relativement
importante.
Tout d'abord, l'ordonnance du 23 novembre 1958
correctionnalisa la forme la plus grave de la banqueroute : la banqueroute
frauduleuse qui était jusqu'alors punie de peines criminelles. Le droit
de la faillite sera ensuite profondément réformé par la
loi du 13 juillet 1967, pour enfin subir un important mouvement de
dépénalisation avec la loi du 25 janvier 1985. Cette loi a eu
pour but la suppression d'incriminations alors considérées comme
désuètes. Des multiples cas de banqueroute et de délits
assimilés, la loi de 1985 en a retenu seulement quatre, qui
correspondent aux faits les plus graves. Ainsi, cette loi se caractérise
d'une part, par un certain nombre de décriminalisations, et d'autre
part, par un mouvement de dépénalisation partielle qui est le
fait de la substitution de la faillite personnelle aux peines d'emprisonnement
et/ou d'amende antérieurement encourues pour les mêmes
faits178(*).
En ce qui concerne le droit des sociétés, le
mouvement de dépénalisation est remarquable et procède
d'une réaction des praticiens et de la doctrine face à la
conception éminemment répressive du droit des
sociétés qui ressortait de la loi n° 66-537 du 24 juillet
1966 sur les sociétés commerciales. Cette loi accordait une place
prépondérante à la sanction pénale en ce que son
titre II, exclusivement consacré aux « dispositions
pénales », comptait plus de soixante dix articles qui
définissaient souvent plusieurs infractions. A cet égard, la
doctrine n'a même pas réussi à s'accorder sur le nombre
d'infractions contenues dans la loi de 1966 : variant entre
« environ 126 »179(*) et « environ
200 »180(*). Un décret n° 67-236 du 23 mars 1967,
complétant la loi de 1966 avait confirmé cette orientation du
droit des sociétés en prévoyant de nombreuses
contraventions. Cette présence presque permanente de la peine a bien
sûr posé la question de sa pertinence. Les commentateurs n'ont
jamais cessé de contester l'utilité d'un recours aussi abondant
au droit pénal pour sanctionner des actes consistant souvent dans
l'inobservation d'une obligation professionnelle. Il en a résulté
le projet d'opérer une dépénalisation du droit des
sociétés sous la pression des milieux d'affaires et avec
l'assentiment de la doctrine. Les partisans d'une
« dépénalisation massive » du droit des
sociétés se sont tous alliés derrière un rapport au
Premier ministre181(*),
qui préconisait non seulement la suppression de toutes les infractions
non intentionnelles, mais aussi une rédaction plus restrictive des
infractions intentionnelles. Ces recommandations étaient
vraisemblablement bien trop excessives car elles prônaient une
dépénalisation massive qui n'épargnait pas les
délits-phares d'abus de biens sociaux par le biais d'une
redéfinition restrictive de leur incrimination. Ce ne fut pas l'ambition
de la dépénalisation à laquelle la loi n° 2001-420 du
15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE),
a procédé.
La loi NRE a en effet opéré une
dépénalisation en droit des sociétés, mais cette
dernière s'avère bien plus modeste et moins spectaculaire que
celle qui avait été préconisée par le rapport
MARINI. Elle a en effet porté sur des délits qui avaient
été peu, sinon jamais appliqués. Il n'empêche
qu'elle a supprimé vingt délits182(*), ce qui lui donne une portée indiscutable,
nonobstant la faiblesse de leur mise en oeuvre antérieure. La loi NRE de
2001 a tiré les conséquences du constat que la sanction
pénale s'est avérée un moyen inefficace pour contraindre
les dirigeants à exécuter un certain nombre des obligations de
faire auxquels ils sont astreints. La loi leur a ainsi substitué des
« référés injonctions » par lesquels
les actionnaires ou associés peuvent demander au président du
tribunal de commerce d'imposer aux dirigeants qu'ils exécutent leurs
obligations au moyen d'une astreinte ou par la désignation d'un
mandataire chargé de procéder à la communication (art 122
et 123 de la loi NRE). La sanction pénale a également
été supprimée dans les cas où le droit pénal
commun prévoit des infractions qui s'appliquent aux faits qui en font
l'objet. C'est le cas des délits punissant des fraudes dans la
constitution des sociétés anonymes qui ont été
supprimés, parce qu'ils visent des faits qui relèvent sans aucune
difficulté des délits de faux ou d'escroquerie : ces
suppressions, parce qu'elles n'enlèvent en rien le caractère
punissable des pratiques qu'elles sanctionnaient jusqu'alors, ne constituent
pas de réelles décriminalisations stricto sensu.
Même si elle a peu de conséquences répressives, la
dépénalisation opérée par la loi NRE constitue un
moment important de l'évolution du droit pénal des
sociétés, en ce qu'elle procède d'une nouvelle conception
de la place de la sanction pénale en droit des sociétés
commerciales. Cette nouvelle conception se veut utilitariste , c'est ce qui
explique la suppression de la sanction pénale lorsqu'elle est
manifestement incapable de parvenir à l'effet pour lequel elle avait
été prévue, ou encore lorsqu' elle s'avère
constituer un doublon dénué d'utilité au regard de
l'existence de délits de droit commun. Cette première
dépénalisation opérée en 2001 constitue la
première manifestation législative de l'abandon d'un recours
systématique à la sanction pénale comme support des
obligations imposées aux dirigeants de société
commerciale.
Ce mouvement de dépénalisation a eu une
postérité en 2003 et 2004, par le biais de lois et d'ordonnances.
Ce sont en effet deux lois du 1er août 2003183(*) et deux ordonnances du 25
mars 2004184(*) et du 24
juin 2004185(*) qui ont
poursuivi la rationalisation du droit pénal des sociétés
commerciales entamée avec la loi NRE du 15 mai 2001. Ces quatre lois et
ordonnances abrogent des incriminations qui étaient parfaitement
inappliquées ou qui faisaient double emploi avec des textes du Code
pénal mieux adaptés. Ces lois et ordonnances de 2003 et 2004
opèrent en effet une dépénalisation de certaines
infractions, la plupart du temps formelles, qui concernaient, soit les
règles relatives au capital, soit les règles relatives au
fonctionnement des organes de décision, soit la protection des
obligataires et des actionnaires prioritaires sans droit de vote186(*). Ces diverses
décriminalisations, lorsqu'elles ne concernent pas des infractions
spécifiques constituant des doublons au regard du droit pénal
classique, s'accompagnent de l'instauration d'injonctions judiciaires ou encore
de nullité des actes dont la forme n'a pas été
respectée.
Toute cette évolution récente en droit des
sociétés commerciales traduit un net reflux du droit pénal
au profit du droit civil, qui, dans une optique purement pragmatique, a
été préféré au symbole que constitue le
recours à l'arme pénale jugée quant à elle
inefficace, voire superfétatoire dans certains cas. Le droit
pénal se voit ainsi rationalisé, et le contrôle du
fonctionnement des sociétés commerciales optimisé par des
mesures plus adaptées aux enjeux en cause. Cette évolution
dépénalisatrice s'avère salutaire et a certainement
vocation à prendre de l'ampleur à l'avenir dans le contexte
libéral qui est le nôtre et qui ne cesse de s'imposer comme
étant « le » modèle de société
moderne, voire « post-moderne »
§ 2- Le recours au droit pénal pour cadrer les
évolutions techniques.
Depuis les années 70, les
progrès techniques se sont montrés particulièrement
importants et cette évolution a vu l'émergence d'un nouveau type
de criminalité qui suscite l'inquiétude des pouvoirs publics dont
la crainte est de ne pas pouvoir maîtriser ces nouvelles formes de
déviance. La pénalisation a donc été le vecteur de
la mise en place d'un cadre aux évolutions techniques en matière
d'éthique biomédicale (A) et d'informatique (B).
A - Le mouvement de
pénalisation caractérisée en matière
d'éthique biomédicale.
« Vu de l'an 2000, un des phénomènes
historiques dont on ne mesure pas encore toute l'importance tient dans les
formidables avancées récentes des sciences biologiques et
médicales. Cela constitue assurément un bienfait pour
l'humanité à cause des multiples améliorations que cela
apporte pour la vie, la santé, la génération...Mais c'est
aussi un grand sujet d'inquiétude en raison des risques vertigineux que
cela engendre : de plus en plus, le scientifique dispose de la vie
humaine, le crée, la façonne, l'altère...187(*) ». C'est cette
inquiétude et les enjeux qu'elle implique nécessairement qui ont
conduit le législateur à opter le recours au droit pénal
pour encadrer les évolutions techniques pour le moins exponentielles en
matière biomédicale.
Ce choix législatif de l'arme pénale pour faire
barrage aux excès ou abus des progrès des sciences
biomédicales ne date pas de 1994, mais a au contraire été
précédé d'une initiative certes plus discrète, mais
qui marque cependant le début de la pénalisation
caractérisée dans ce domaine et ainsi l'émergence de la
répression d'une nouvelle forme de criminalité : la
criminalité « en blouse blanche ». En effet, la
première loi « bioéthique » en France est la
loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes
qui se prêtent à des recherches biomédicales. Elle s'est
efforcée d'encadrer les expérimentations sur la personne
humaine en imposant des conditions qu'elle assortit pour certaines de
sanctions pénales188(*). La pénalisation en matière
d'éthique biomédicale se poursuit ensuite avec les lois n°
94-653 et 94-654 du 29 juillet 1994189(*) qui marquent quant à elle la volonté
ostensible des pouvoirs publics de stigmatiser les comportements qu'elle
dénonce en brandissant la menace massive de sanctions pénales.
Avec cette législation de 1994, c'est en effet tout un champ nouveau
d'incriminations qui s'ouvre, un chapitre nouveau du droit pénal qui
s'écrit. Au prétexte qu'il s'agit de problèmes techniques
entièrement nouveaux bien qu'ils touchent à l'éternelle
question de la vie, le législateur préfère, au lieu de
s'en remettre au droit pénal existant, créer de multiples
infractions particulières qui tendent à proscrire les violations
éventuelles des règles de bioéthique qu'il vient de
consacrer juridiquement.
La loi du 29 juillet 1994 a créé une division
spéciale dans le Code pénal pour y introduire plusieurs dizaines
d'infractions nouvelles en matière d'éthique biomédicale
qu'elle répartit en trois sections consacrées successivement
à la protection de l'espèce humaine, du corps humain et de
l'embryon humain.
Au titre de la protection de l'espèce humaine, elle
incrimine tout d'abord « le fait de mettre en oeuvre une pratique
eugénique tendant à l'organisation de la sélection des
personnes », qui constitue alors (en 1994) le seul crime en
matière d'éthique biomédicale (art.511-1 CP). Il s'agit de
ce que l'on nomme couramment les manipulations génétiques dans un
but d'amélioration de la « race » (circulaire du 19
janvier 1995) si redoutées qu'il est apparu nécessaire qu'une
incrimination particulièrement préventive soit
créée, car consommée même en l'absence de
résultat.
Au titre de la protection du corps humain, sont alors
pénalisés les prélèvements illicites d'organes
(art.511-2 et 511-3), de tissus, cellules ou produits (art.511-4, 511-5) et de
gamètes (art.511-6 et 511-9). Il y a illicéité en
l'absence de consentement de la personne concernée (art.511-3, 511-5,
511-6), en cas de trafic contre paiement (art.511-2, 511-4, 511-9), en cas de
violation du principe de l'anonymat (art.511-10, 511-13) ou des règles
d'autorisation administrative et de sécurité sanitaire
(art.511-7, 511-8, 511-8-1, 511-8-2, 511-11, 511-12, 511-14). Ces
différents délits sont punissables à hauteur de 7 ans
d'emprisonnement (art.511-2 et 511-3) ou de 5 ans (art.511-4, 511-5,
511-6, ; 511-9) et de 2 ans pour les autres.
Au titre de la protection de l'embryon humain, sont
visés comme les plus graves et passibles de 7 ans d'emprisonnement et
de 100 000 € d'amende : le trafic d'embryons (art.511-15), le
don illicite d'embryons (art.511-16), la production et l'utilisation d'embryons
à des fins industrielles ou commerciales (art.511-17), la production
à des fins expérimentales (art.511-18) et
l'expérimentation sur embryons (art.511-19). Le détournement
d'assistance médicale à la procréation est quant à
lui passible de 5 ans d'emprisonnement (art.511-24). Les autres délits
de cette section sont quant à eux sanctionnés de 2 ans
d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. Il existe en outre d'autres
infractions en matière d'éthique biomédicale, qui, bien
que ne figurant pas au livre V du Code pénal, sont issues de la
même législation de 1994 ou bien d'une autre de semblable
inspiration190(*).
Au terme de ce rapide panorama de la législation en
matière d'éthique biomédicale telle qu'elle résulte
de la loi du 29 juillet 1994, plusieurs remarques sont nécessaires pour
évaluer la substantifique teneur de ces dispositions. Tout d'abord, le
système répressif ainsi mis en place se révèle
particulièrement sévère, la grande masse des délits
en matière d'éthique biomédicale étant punis soit
de 7 ans d'emprisonnement (et 100 000 € d'amende), soit de 5 ans
d'emprisonnement (et 75 000 € d'amende). Le législateur en
édictant de telles peines a nettement voulu tabler sur les vertus
dissuasives attachées traditionnellement au droit répressif.
Ensuite, le principal reproche que l'on pourrait adresser à cette
législation, est que les incriminations qui la composent, sont
particulièrement défectueuses. Cet écueil se manifeste
d'une part, par le fait que trop souvent, « le législateur
utilise des termes techniques et savants sans même les définir ou
des termes très peu précis qui ne peuvent que mettre le
pénaliste chargé de leur application dans le plus grand
embarras »191(*). Il est d'autre part regrettable que le
législateur abuse de la technique d'incrimination par renvoi. Dans ce
cas, les difficultés de lecture rendent le texte pénal en lui
même souvent très obscur, voire même parfois
incompréhensible : ce sont les textes de renvoi figurant dans le
CSP qui lui donnent sa véritable signification.
Cette loi du 29 juillet 1994 apparaît donc
défectueuse dans sa rédaction, ce qui est un facteur
indéniable de paralysie de la répression et
d'ineffectivité du système dans sa globalité. C'est ainsi
que pour des impératifs de qualité de la loi, tant au niveau
rédactionnel, qu'au niveau de son adéquation à la
réalité des progrès scientifiques du moment, le
législateur s'est fixé l'objectif de revoir le texte dans un
délai maximum de cinq ans. Cependant, cette promesse n'a pu être
tenue et il faudra finalement attendre la loi du 6 août 2004192(*) pour que cette
législation soit revue. Malheureusement, la nouvelle loi relative
à la bioéthique, souffre des mêmes maux que la
première : les incriminations, qu'elles soient nouvelles ou
simplement revues dans leur rédaction, se trouvent toujours
grevées de termes techniques difficilement accessibles aux juristes et
de renvois récurrents. Néanmoins, quelques innovations
symboliques sont à signaler. La loi du 6 août 2004 a en effet pris
le parti de stigmatiser un peu plus les atteintes aux règles en
matière d'éthique biomédicale, en créant au sein du
Livre II du Code pénal (relatif aux crimes et délits contre les
personnes), un titre II intitulé crimes contre l'espèce humaine,
juste après le titre I consacré au crimes contre
l'humanité. Ce titre II comporte deux infractions : le crime
d'eugénisme et celui de clonage reproductif auxquels sont
attachées des peines identiques193(*). Ce titre II aux vertus hautement symboliques se
distingue donc tout d'abord par la criminalisation du clonage reproductif qui
figure à l'article 214-2. Ensuite, les pratiques eugéniques sont
sorties du Livre V194(*), véritable partie fourre-tout du code dans
laquelle on trouvait même les infractions contre les animaux, pour
figurer désormais à l'article 214-1. Ce crime a également
fait l'objet d'une pénalisation particulière à l'occasion
de la nouvelle loi puisque la répression au titre de ce comportement
passe de 20 ans, à 30 ans de réclusion criminelle et 7
500 000 € d'amende pour les personnes physiques. Ces dernières
encourent même la réclusion criminelle à
perpétuité lorsque ces crimes (eugénisme ou clonage
reproductif) sont commis en bande organisée (art.214-3), ou lorsqu'il
s'agit de la participation à un groupement formé ou à une
entente établie en vue de la préparation de l'un de ces crimes
(art.214-4). Outre les innovations relatives aux crimes contre l'espèce
humaine, cette nouvelle loi se caractérise par une notable accentuation
de la répression puisqu'on observe d'une part, la criminalisation de
certains comportements195(*) et d'autre part, l'aggravation des peines
attachées à des infractions issues de la législation de
1994196(*).
Cette loi du 6 août 2004 ne bouleverse donc pas le
système mis en place en 1994, elle s'inscrit au contraire dans la
volonté de stigmatiser encore un peu plus les éventuelles
violations de l'éthique biomédicale consacrées
juridiquement. Pour ce faire, elle crée de nouvelles incriminations pour
suivre l'évolution des progrès, elle accentue la
répression des infractions déjà existantes, et surtout,
elle crée la catégorie des crimes contre l'espèce humaine
placés au sein du Livre II juste après les crimes contre
l'humanité, tout un symbole... Les lois du 29 juillet 1994, à
cause de leur défectuosité paralysante, n'avaient donné
lieu à aucune application jurisprudentielle. Dès lors, il
apparaît déplorable que la loi nouvelle n'améliore pas la
qualité du système de répression en la matière, de
sorte que ce dernier a vocation à demeurer dans le registre du symbole,
faute d'être appliqué et donc d'être efficace.
B - La création d'un
droit pénal de l'informatique
La plupart des grandes découvertes technologiques ont
engendré, à côté des progrès
économiques, sociaux et culturels qui en sont la finalité
sociale, des retombées négatives diverses, parmi lesquelles
figurent au premier chef la délinquance. L'informatique ne fait pas
exception à cette sorte de loi sociologique de développement des
sociétés industrielles et on peut même dire qu'elle en
constitue une illustration particulièrement suggestive et
amplifiée. L'invention de l'informatique et son développement
fulgurant au cours des quarante dernières années ont en effet
engendré une « délinquance informatique » qui
n'a cessé de se multiplier.
Ainsi, au début des années 1980, la
répression des délits informatiques apparaît
« parcellaire »197(*), dépassée par l'évolution
technique qui se montre exponentielle en la matière, la loi du 6 janvier
1978 relative à l'informatique, les fichiers et les libertés
n'ayant créé des délits spéciaux qu'en
matière d'atteinte informatique aux personnes. Les atteintes aux biens
ne peuvent alors ressortir que des incriminations traditionnelles, vol,
escroquerie, abus de confiance notamment.
C'est face à cet accroissement spectaculaire d'une
forme de délinquance à la fois spécifique et complexe que
le législateur, après avoir tenté de contenir cette
nouvelle forme de déviance par le biais des incriminations
traditionnelles198(*), a
consacré l'émergence d'un véritable droit pénal de
l'informatique. Il faut avouer que ce nouveau dispositif autonome était
très attendu et s'est vite avéré nécessaire pour
les professionnels, car bien que le droit pénal traditionnel
permît déjà de sanctionner des fraudes informatiques, de
nombreux agissements malveillants restaient impunis : vol de
données, vol de temps machine, la falsification et la modification de
données ou de programmes ainsi que leur destruction, etc.
La loi du 5 janvier 1988 relative à la fraude
informatique199(*)
ajoute un nouveau Chapitre au Code pénal
intitulé « de certaines infractions en matière
informatique ». Quatre catégories d'incriminations d'atteintes
aux biens se dégagent de cette loi de 1988200(*) et viennent compléter
les atteintes informatiques aux personnes issues de la loi de 1978 :
l'accès frauduleux (art.462-2 ACP), les atteintes portées au bon
fonctionnement du système (art.462-3 ACP), les atteintes à
l'intégrité physique et à l'authenticité des
données (art.462-4 ACP), et enfin, outre la falsification de documents
informatisés (art.462-5 ACP) qui constitue une infraction autonome,
l'utilisation d'un « faux informatique » (art.462-6
ACP)201(*). La
répression de la tentative des délits cités est
également prévue par la loi du 5 janvier 1988 (art.462-7 ACP) et
est punie des mêmes peines que le délit lui-même.
Depuis, la répression des infractions commises par le
biais de l'outil informatique a beaucoup progressé et ce, dans plusieurs
domaines. Cette avancée du mouvement de pénalisation en
matière de délinquance informatique est le fait d'une part, de la
création de circonstances aggravantes permettant d'appréhender ce
modus operandi spécifique, et d'autre part, de l'accentuation
de la répression des incriminations qui résultent de la loi de
1988 sur la fraude informatique.
Tout d'abord, la répression des infractions de droit
commun commises à l'aide de, ou exclusivement sur, les réseaux
numériques, à l'instar de la diffusion de contenus illicites,
relève de l'application de la loi pénale générale
bien que certaines incriminations aient fait l'objet d'adaptations aux
spécificités des réseaux numériques. Ainsi,
constitue une circonstance aggravante, le fait de commettre le délit de
proxénétisme « grâce à l'utilisation, pour
la diffusion de message à destination d'un public non
déterminé, d'un réseau de
télécommunications »202(*). Dans une approche similaire, l'article 227-3 CP,
qui punit de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait,
en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la
représentation à caractère pornographique d'un mineur,
porte les peines à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende
lorsqu'un réseau de télécommunication a été
utilisé pour la diffusion de ces images à destination d'un public
non déterminé. En matière de délinquance
économique et financière, la loi du 15 novembre 2001 relative
à la sécurité quotidienne a inséré un
article L 163-4-1 nouveau dans le code monétaire et financier qui punit
de 7 ans d'emprisonnement et de 750 000 € d'amende le fait,
« de fabriquer, de détenir, d'offrir ou de mettre à
disposition des équipements, instruments, programmes informatiques ou
toutes données conçus ou spécialement
adaptés » pour commettre des délits de
contrefaçon ou de falsification de cartes de paiement.
Ensuite, les infractions spécifiques contre les biens
sont envisagées dans le nouveau Code pénal, au sein au sein du
Chapitre III du Titre II du Livre troisième (art.323-1 à 323-7
CP). Ces infractions ont toutes fait l'objet d'une accentuation de la
répression par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004. Ainsi,
l'accès frauduleux (art.462-2 ACP, art.323-1 CP) est désormais
passible de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende contre 1
an et 15 000 € antérieurement à la loi de 2004. De
plus, la répression des délits d'entrave au bon fonctionnement du
système (art.462-3 ACP, art.323-2 CP) et d'atteinte à
l'intégrité et à l'authenticité des données
(art.462-4 ACP, art.323-3) passe de 3 ans d'emprisonnement et 45 000
€ d'amende à 5 ans et 75 000 €, la tentative de ces
délits étant toujours punissable au titre de l'article 323-7 CP.
En outre, la loi du 21 juin 2004 a introduit un article 323-1-1 qui
réprime spécifiquement la fourniture de moyens dans le dessein de
commettre les infractions citées supra.
Enfin, s'agissant des crimes et des délits contre les
personnes, le Chapitre IV du Titre II du Livre II du Code pénal comprend
une Section V relative aux atteintes aux droits de la personne résultant
des fichiers ou des traitements informatiques (art.226-16 à 226-24).
Ainsi, à titre d'exemple, l'article 226-18 CP punit de 5 ans
d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende le fait de collecter des
données par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, ou de
procéder à un traitement d'informations nominatives concernant
une personne physique malgré son opposition.
En tout état de cause, la délinquance
informatique, et en particulier celle qui s'inscrit dans l'utilisation de
réseaux de télécommunication , reste une
délinquance difficilement maîtrisable, car difficile à
évaluer et donc malaisée à déceler à cause
de l'ampleur de ces réseaux. Ce qui est certain, c'est que la
délinquance informatique en général est une
délinquance qui a vocation à croître au fil du temps,
à cause de l'avance qu'elle prend régulièrement sur le
droit : elle innove et le droit pénal s'adapte tant bien que mal.
C'est la contingence du droit au progrès qui est ici vraisemblablement
un facteur déterminant de l'évolution de cette nouvelle forme de
transgression des règles sociales établies.
Après avoir été guidé par la
qualité de l'auteur ou de la victime et par la nécessité
d'adapter le droit aux évolutions qu'a pu connaître notre
société, le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation s'est vu confronté à l'encombrement
du système pénal (Partie III).
Partie III - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation face à l'encombrement
du système pénal.
Le double mouvement de pénalisation,
dépénalisation fait preuve de paradoxe dans son
évolution : d'un côté ; le législateur
entreprend de dépénaliser certains domaines afin d'optimiser le
fonctionnement du système pénal (Section I)et de l'autre, il
encombre ce dernier par de véritables politiques publiques de
pénalisation (Section II) qui d'une part, n'apportent souvent aucune
amélioration à la répression des comportements
visés, et d'autre part, nuisent à la lisibilité du droit
répressif. Ce paradoxe met en exergue l'absence de cohérence de
l'action du législateur à long terme : il s'agit plus d'une
accumulation d'interventions ponctuelles, que d'une politique criminelle
globale.
.
Section I - La logique pragmatique du processus de
dépénalisation au service de l'économie du système
pénal.
Certaines entreprises de dépénalisation ont
pour point commun leur pragmatisme : elles ont toutes été le
fruit du constat que le fonctionnement et même l'efficacité du
système pénal est dans une large mesure contingente des
contentieux qu'il a vocation à traiter. Ainsi, afin de faire face
à certains contentieux dits de « masse », le
législateur a entrepris des « campagnes » de
décriminalisation et de dépénalisation (de
droit)(§1), voire de dépénalisation de fait (§2) pour
éviter l'asphyxie du système pénal du fait de l'importance
quantitative de ces contentieux.
§ 1 - Dépénalisation et
décriminalisation au service de l'économie du système
pénal.
L'économie du système pénal est une
préoccupation perpétuelle du législateur. C'est dans
l'optique de désencombrer les tribunaux correctionnels qu'un mouvement
de dépénalisation a été initié en
matière de circulation routière (A) et d'émission de
chèques sans provision (B).
A - Le mouvement de
dépénalisation en matière de circulation routière
dans les années 1980.
Au cours des années 1980, dans le domaine de la
circulation routière, ne se manifeste aucune volonté
délibérée de dépénalisation, tout au moins
entendu au sens commun d'abandon des poursuites. Ceci est renforcé par
le fait qu'à cette période, de nouvelles infractions
apparaissent203(*) et la
répression de certains comportements s'aggrave204(*). Néanmoins, se
dessine une certaine forme de dépénalisation en la
matière, conséquence inéluctable de l'importance du
contentieux auquel il apparaît impossible de faire face sans nuire
à la lutte contre d'autres types de délinquance. Le droit de la
sécurité routière n'échappe pas au reflux du droit
pénal motivé par l'impossible emprise du droit sur le fait.
« Les termes numériques du problème condamnent en fait
l'idéal que seraient la personnalisation et l'individualisation de
l'action répressive»205(*).
Le mouvement de dépénalisation de certaines
infractions routières s'est traduit d'une part, par une importante vague
de contraventionnalisations et d'autre part, par les implications des
procédures utilisées afin de ne pas entraîner un
encombrement des tribunaux de police suite à cette
contraventionnalisation massive.
Ce mouvement de dépénalisation se
caractérise donc tout d'abord par un certain nombre de
contraventionnalisations. Le mouvement n'est pas nouveau dans les années
1980, mais il semble accéléré. Par exemple, c'est
l'encombrement des tribunaux répressifs par les affaires d'accident de
la circulation routière qui a motivé le législateur,
dès 1958, à disqualifier en simple contraventions les blessures
par imprudence n'ayant pas entraîné une incapacité totale
de travail supérieure à trois mois. Une contraventionnalisation
massive a ensuite été réalisée par la loi du 30
décembre 1985 et des décrets postérieurs : de
nombreux articles de la partie législative du Code de la route ont
été transférés dans la partie réglementaire
dans le but clairement affirmé de décharger les tribunaux
correctionnels de bon nombre d'infractions routières et notamment de
celles qu'on appelait les délits papiers. Cette vague de
contraventionnalisations a transformé en contraventions, le
défaut d'autorisation ou de pièces administratives exigées
pour la circulation des véhicules, l'usage d'autorisations ou de
pièces administratives périmées ou annulées, le
défaut de permis de conduire (sauf récidive), le défaut
d'assurance, voire les infractions à la réglementation relative
aux barrières de dégel et au passage sur les ponts. La plupart de
ces infractions sont devenues des contraventions de 4e classe, les
autres (défaut de permis, défaut d'assurance et infractions aux
barrières de dégel et au passage sur les ponts) des
contraventions de 5e classe. La partie législative du Code de
la route s'est ainsi appauvrie afin d'opérer un recentrage de la
répression sur les délits subsistants ; les tribunaux
correctionnels ont ainsi pu se focaliser sur les principales atteintes
involontaires à la vie humaine ou sur des délits obstacles comme
la conduite sous l'empire d'un état alcoolique ou encore le délit
de fuite.
Cette dépénalisation en matière
d'infractions routières se décline ensuite à travers les
implications des procédures utilisées pour faire face à
cette contraventionnalisation massive. Le législateur n'a pas
souhaité encombrer d'avantage les tribunaux de police avec le mouvement
de contraventionnalisation auquel il s'est livré pour décharger
les tribunaux correctionnels. Ainsi, les contraventions de 5e classe
et certaines contraventions de classe inférieure mais punissables
d'emprisonnement ou de suspension de permis de conduire, relèvent de la
procédure ordinaire (citation directe) ou de la procédure
simplifiée dite de l'ordonnance pénale. A ce sujet, toujours afin
de pouvoir traiter le plus d'infractions possibles sans encombrer les tribunaux
de police, le Garde des Sceaux recommande de procéder par la voie
d'ordonnance pénale lorsque ni l'emprisonnement, ni aucune peine
complémentaire n'apparaissent nécessaires. « Et l'on
constate que cette procédure simplifiée est en pratique
très utilisée, ce qui aboutit à faire perdre à la
loi une partie de sa force, puisque, par cette procédure, les peines
encourues d'emprisonnement ou de suspension de permis de conduire ne peuvent
être prononcées »206(*). Les autres contraventions207(*) sont alors soumises à
l'amende forfaitaire. Ainsi, pour permettre l'application de l'amende
forfaitaire et donc optimiser les capacités du système
pénal en matière de traitement simplifié du contentieux
contraventionnel, certaines contraventions, sans changer de classe, ne sont
plus punissables de l'emprisonnement208(*) depuis le décret du 18 septembre 1986.
Toujours dans le but de pouvoir recourir à l'amende forfaitaire, la
répression d'un certain nombre de récidives a été
abandonnée209(*).
B - La
décriminalisation de l'émission de chèques sans
provision.
Le chèque a été
introduit en France au cours du Second Empire et a très vite
donné lieu à des débordements sources de préjudices
financiers pour un nombre de victimes sans cesse en augmentation. La
constatation du caractère préjudiciable des pratiques de certains
débiteurs négligents, va conduire à une
pénalisation toujours plus forte et envahissante en matière de
chèque. En matière de chèques sans provision, une loi du
14 juin 1865 criminalise l'émission d'un chèque sans date et
l'émission d'un chèque sans provision pour pallier
l'impossibilité de réprimer ses pratiques frauduleuses au titre
de l'escroquerie (art. 405 ACP) : à compter de cette loi, ces deux
comportements constituent des délits. Par la suite, le décret-loi
du 30 octobre 1935 reprendra toutes les incriminations élaborées
en matière de chèque et créera le délit
d'acceptation de mauvaise foi d'un chèque sans provision.
Paradoxalement, c'est la prise de conscience du nombre de
pratiques irrégulières en matière de chèques qui va
motiver la pénalisation comme la dépénalisation
initiée par la suite via de différentes réformes
successives. En effet, devant la multiplication des chèques sans
provision, s'ouvre « la phase de reflux du droit
pénal »210(*). Les chiffres des émissions sans provision
ont considérablement augmentés et, corrélativement, celui
des condamnations pénales pour défaut de provision : 5 600
en 1950, 10 420 en 1960, 19 187 en 1965 et 22 567 en 1966. On peut dire que
l'explosion de ce contentieux date des années 60. Certes, le nombre de
condamnations a fortement augmenté, mais ce nombre reste bien
inférieur à la prolifération des chèques sans
provision, et ce, à cause de l'encombrement sans précédent
des parquets et des tribunaux correctionnels, véritablement
submergés sous l'importance de ce contentieux de masse. Cet encombrement
a été à l'origine d'une première phase de reflux du
droit pénal, celle de la dépénalisation de fait de
l'émission de chèques sans provision puisque seulement 8% des
infractions étaient réprimées. Cette
« impunité quasi-totale » et « cette
disparité inadmissible de la répression » furent
jugées « incompatibles avec la dignité de la
justice »211(*). Une réforme substantielle du droit existant
s'est alors avérée indispensable.
Une première réforme fut mise au point par la
loi du 3 janvier 1972 dont l'application partielle212(*) sur le plan pénal, se
solda par un échec. Cette loi a tout d'abord contraventionnalisé
l'émission des chèques sans provision d'une valeur
inférieur à 1000F (contravention de 5e
classe213(*)), tout en
gardant la qualification délictuelle pour les chèques d'une
valeur égale ou supérieure à 1000F214(*). On espérait ainsi
diminuer l'embouteillage des juridictions pénales, la
régularisation instituée à cette occasion devant
entraîner la disparition d'une infraction sur trois ; mais il est
apparu que l'application totale de la loi eût conduit à multiplier
par sept le nombre des poursuites pénales, et que les tribunaux
pourraient y faire face encore moins facilement que par le passé.
Face à cet échec, la loi du 3 janvier 1975 a eu
pour objectif d'amender substantiellement le droit tel qu'il résultait
de la loi du 3 janvier 1972 et a opéré une
dépénalisation encore un peu plus poussée de
l'émission de chèques sans provisions. Elle n'a pas
décriminalisé l'émission de chèques sans
provisions, puisqu'elle a pris le parti de garder la délit qui y est
attaché ; néanmoins, celui-ci est compris comme devant
être rare, étant donné qu' « il sera
seulement celui de l'escroc confirmé »215(*). La loi de 1975 non
seulement, ne fait plus état de l'exigence de « mauvaise
foi », abandonnée par la loi de 1972, mais elle abandonne
également l'emploi de l'adverbe ambigu
« frauduleusement », qui avait eu la
préférence du législateur de 1972. Le délit
d'émission sans provision qui subsiste, est celui du tireur qui
émet un chèque sans provision dans l'intention de porter atteinte
aux droits d'autrui, L'intention devant être clairement
caractérisée, le délit d'émission de chèque
sans provision a ainsi vu son champ d'application considérablement
réduit par cette loi de 1975. Cette initiative législative de
1975 n'a cependant pas enrayé l'augmentation du nombre de chèques
sans provision : ainsi, en 1986, on déplorait presque neuf millions
de chèques sans provision, ce chiffre dépassant même les
douze millions en 1990216(*).
Ce processus de dépénalisation entamé
depuis de nombreuses années déjà, aura pour terme la loi
n° 91-1382 du 30 décembre 1991 relative à la
sécurité des chèques et des cartes de paiement ( elle
même quelque peu modifiée par une loi du 16 juillet 1992). La loi
de 1991 décriminalise l'infraction d'émission de chèque
sans provision, mais conformément au droit commun, certaines
hypothèses d'émission sans provision demeurent punissables au
titre de l'escroquerie217(*). En tout état de cause, l'émission de
chèque sans provision ne constitue plus une infraction
spécifique. La France rejoint ainsi les Etats-Unis, le Royaume-Uni et
l'Allemagne où l'émission sans provision n'est pas d'avantage un
délit spécifique.
Désormais, le juge pénal n'est plus
compétent en matière d'émission de chèques sans
provision, hors les cas de récidive après l'interdiction bancaire
qui résulte d'une première émission sans provision :
cette première émission entraînant une interdiction
bancaire d'autres émissions, la violation de cette interdiction reste
délictueuse.
En définitive, la rationalisation du droit
pénal au profit de sanctions de nature économiques218(*) mieux adaptées
à la nature de ce contentieux et donc plus efficaces a permis de
considérablement soulager l'activité des tribunaux
correctionnels. La décriminalisation de l'émission des
chèques sans provision entrée en vigueur en 1992 a en effet
réduit de 10 % le volume des affaires poursuivies devant les tribunaux
correctionnels en 1992 et 1993, après une période de
stabilité de ce volume jusqu'en 1991219(*).
§ 2 - Dépénalisation de fait et
développement des alternatives aux poursuites : des instruments de
gestion de contentieux de masse.
La gestion des contentieux de masse s'est également
opérée grâce à l'émergence et au
développement des procédures alternatives aux poursuites. De
l'utilisation de ces nouveaux instruments de gestion des contentieux de masse
résulte une dépénalisation de fait des infractions qui
viennent à être traitées grâce à ces nouvelles
procédures. Cette dépénalisation de fait a touché
l'usage de cannabis (A) et certaines infractions courantes comme le vol simple
(B).
A - La
dépénalisation de fait de l'usage de cannabis.
En matière d'usage de stupéfiants,
« des solutions locales s'imposent au détriment de
l'unité du droit. La tolérance de certaines juridictions dans les
grandes villes contraste avec la sévérité de tribunaux de
province. L'inertie du législateur conduit le Gouvernement à
intervenir par voie de circulaires afin d'harmoniser l'application de la loi et
de corriger ses imperfections les plus graves »220(*). Cette politique criminelle
se heurte néanmoins à la réticence de certaines
juridictions, de sorte que la dépénalisation de fait qui s'est
mise en place principalement depuis 1995, apparaît comme une
« dépénalisation de fait à
géométrie variable ». Cette
dépénalisation s'avère néanmoins nécessaire
pour la gestion du contentieux de masse que constitue la consommation de
stupéfiants et plus particulièrement de cannabis.
Plusieurs périodes se succèdent en
matière de politique pénale à l'égard des usagers
de stupéfiants.
Cette dépénalisation de fait de l'usage de
cannabis, implicitement recommandée par le rapport PELLETIER, est le
fait d'une importante circulaire du Ministère de la Justice du 17 mai
1978221(*). La
circulaire propose la mise en oeuvre d'une procédure
allégée de mise en garde des usagers de chanvres indiens. Si
cette procédure allégée est proposée, c'est en
raison du caractère particulier du produit qu'est le cannabis : la
consommation de cannabis ne justifie en effet pas un traitement de
désintoxication car elle n'engendre pas de dépendance physique.
L'usager visé par la circulaire est un usager récréatif et
non un véritable toxicomane, il ne peut donc pas
bénéficier de l'option médicale offerte par le
législateur. Ainsi, l'usager de « drogue douce »
doit pouvoir bénéficier d'un traitement particulier qui n'a pas
été envisagé par la loi de 1970, qui, si elle lui
était appliquée avec rigueur, le conduirait
systématiquement vers une sanction pénale, puisqu'il ne peut pas
être orienté vers une traitement médical, à l'image
de l'héroïnomane par exemple. La circulaire de 1978 s'efforce ainsi
de corriger cette malfaçon de la loi de 1970 qui conduirait à une
flagrante inégalité de traitement entre les toxicomanes. Les
parquets sont alors invités à examiner attentivement les cas pour
lesquels il lui paraît absolument indispensable d'engager des poursuites.
Dans tous les autres cas, il se borne à l'usager une simple mise en
garde. A l'égard des usagers de drogues dures, la circulaire
privilégie l'action sanitaire en suggérant de multiplier les
injonctions thérapeutiques. Cette circulaire sera diversement accueillie
par les différentes juridictions et, en 1984, le Gouvernement
éprouvera même le besoin de rappeler que la procédure de
mise en garde doit être appliquée aux usagers de cannabis.
A partir de 1986, la politique criminelle change
complètement. Abandonnant la distinction entre drogues dures et drogues
douces, la circulaire du 12 mai 1987 choisit de distinguer usage occasionnel et
usage d'habitude222(*).
L'usage occasionnel donne alors lieu à un avertissement par le parquet.
Si l'habitude est constatée, les poursuites s'imposent quelle que soit
la substance consommée. Cette circulaire très répressive
n'aura pas plus d'influence sur la jurisprudence que les
précédentes. Le Gouvernement renonce alors à tout objectif
d'harmonisation du droit.
La circulaire du 28 avril 1995 admet les poursuites
pénales tout en recommandant tout en recommandant de développer
le recours à l'injonction thérapeutique223(*). Elle rappelle que les
parquets peuvent recourir au classement sans suite avec avertissement pour les
usagers de drogues douces. La répression reste alors pour le moins
inégalitaire pour ces usagers qui, suivant leur situation
géographique, vont bénéficier ou non de la politique
libérale qui est consécutive à cette circulaire de 1995.
Le plan triennal de lutte contre les dépendances
adopté en 1999 relance la politique publique de lutte contre la drogue.
Il constate l'échec des actions précédemment menées
en la matière et l'explique par le manque de coordination des acteurs
publics. Ce plan préconise alors de rappeler l'interdit pénal et
de réaffirmer la priorité donnée au traitement pour que la
prohibition soit enfin efficace. En d'autres termes, il s'agit de renouveler sa
foi dans la loi de 1970224(*) et de décréter
que « logique d'ordre public et de santé publique doivent
être indissolublement intégrées »225(*). Dans cette perspective, le
plan distingue usage, abus et dépendance. Il recommande de
prévenir l'usage en rappelant l'existence de l'interdit pénal,
tout en évitant l'incarcération des usagers interpellés
par le recours à des mesures de soin incitatives. Cependant, ce manque
de coordination, voire de cohérence dans la politique de lutte contre la
consommation de stupéfiants en général et plus
particulièrement du cannabis ne s'est pourtant pas dissipée comme
le montrent les déclarations contradictoires du Garde des Sceaux et du
ministre de l'Intérieur. Le Garde des Sceaux affirme que la
priorité doit être donnée à l'interpellation des
« personnes dont la consommation cause des dommages sanitaires ou
sociaux pour elles-mêmes ou pour autrui » et que
« les interpellations de simples usagers donneront lieu à des
procès verbaux simplifiés ». Le ministre de
l'Intérieur considère quant à lui que « cette
priorité ne dispense pas, par ailleurs, d'intervenir à propos de
la consommation de tous les produits prohibés par la loi, notamment le
cannabis ». Néanmoins, malgré ces divergences, le plan
triennal a été l'occasion d'améliorer les réponses
alternatives apportées au traitement des infractions de consommation de
cannabis. D'une part, la procédure d'avertissement reçoit un
fondement légal dans le rappel à la loi du procureur de la
République (art. 41-1, 1° Code de procédure pénale),
et d'autre part, la loi du 23 juin 1999 étend à l'usage de
stupéfiants, le domaine de la composition pénale (art. 41-2 Code
de procédure pénale). Le Gouvernement, comme le parlement se sont
défendus de vouloir dépénaliser l'usage des
stupéfiants par le recours à la composition pénale. En
réalité, la consécration législative de ces
alternatives aux poursuites officialise bien la politique de
dépénalisation de fait menée en la matière, certes
de manière variable, par les différents parquets, et ce, depuis
un certain nombre d'années déjà. Le rappel à la loi
et la composition constituent des outils indispensables aux différents
parquets pour pouvoir gérer le contentieux de masse que constitue la
consommation de stupéfiants en général. Ces
procédures ont en effet été consacrées dans une
optique purement utilitaire : celle de pouvoir apporter une réponse
pénale à des infractions qui représenteraient une
réelle menace pour le bon fonctionnement du système pénal
si elles ne faisaient pas l'objet d'une procédure dérogatoire
simplifiée.
Depuis 2002, la politique criminelle menée en
matière de lutte et de prévention contre la consommation de
cannabis, a bien intégré ces alternatives aux poursuites. Elles
se sont d'ailleurs développées essentiellement à cause de
l'explosion de la consommation de cannabis particulièrement chez les
jeunes226(*). En effet,
ce contentieux qui était déjà considéré
comme problématique il y a dix ans à cause de son ampleur, a
connu une véritable expansion particulièrement en France. La
consommation de cannabis a doublé dans notre pays depuis une
décennie. A l'âge de 16 ans, les jeunes Français
sont actuellement les premiers consommateurs d'Europe. Chez les jeunes,
scolarisés ou non, les chiffres sont préoccupants. 50 % d'entre
eux ont expérimenté au moins une fois le cannabis, souvent par
curiosité ou par pression de conformité. La plus grande part
d'entre eux n'a pas persisté mais 30 % l'ont intégré dans
leur comportement habituel à des degrés variables227(*). C'est ce
phénomène observé un peu partout en Europe, mais qui prend
une dimension particulièrement importante en France, qui a contraint les
différents parquets à utiliser de plus en plus les alternatives
aux poursuites dont ils disposent. Hormis la composition pénale qui
« présente l'intérêt pédagogique d'un
retour à la sanction pénale et du refus de toute
permissivité »228(*), d'autres alternatives aux poursuites sont
également utilisées. Elles peuvent aller du simple rappel
à la loi, à l'obligation d'être pris en charge et suivi par
les autorités sanitaires et sociales, sur une période plus ou
moins longue. Il s'agit ici des mesures de classement avec orientation vers une
structure sanitaire, sociale ou professionnelle ou de classement sous
condition. Le respect des obligations fixées par le parquet conditionne
le classement sans suite de la procédure.
Le maintien d'une réponse pénale à
l'usage de cannabis apparaît aujourd'hui la préoccupation
première de cette politique pénale qui doit composer avec
l'explosion de la consommation de cannabis et le soucis de rappeler l'interdit
légal qui prend ses sources dans la loi du 31 décembre 1970.
Cette loi du 31 décembre 1970, qui malheureusement, n'a jamais connu la
reforme pourtant préconisée par bon nombre d'auteurs et de
praticiens, paraît ainsi vouée à s'adapter artificiellement
(par le biais des procédures alternatives aux poursuites) à
l'évolution du contentieux et à celle des mentalités.
Cette situation est pour le moins déplorable dans le sens où la
loi se montre déconnectée des situations qu'elle a vocation
à régir et perd de sa crédibilité. Cette loi de
1970 semble pour le moins dénuée d'efficacité si on se
réfère aux répercussions qu'elle a eu en terme de
dissuasion et c'est la raison pour laquelle une réforme de cette
dernière dans le sens d'une rationalisation de la sanction (et non d'une
décriminalisation) destinée aux usagers de cannabis paraît
être la meilleure solution. Cette solution qui pourrait par exemple se
caractériser par une contraventionnalisation, serait
bénéfique tant au niveau de la légitimité de la
règle, qu'au niveau des garanties apportées aux justiciables qui,
dans la situation qui est la nôtre, dépendent plus des
différentes politiques pénales locales que d'une réelle
politique criminelle unique en la matière. Une refonte de
l'incrimination d'usage (L.3421-1 CSP) s'inscrirait ainsi dans un mouvement
d'accentuation de la sécurité juridique qui se trouve mise
à mal par la déresponsabilisation de l'Etat au profit des
magistrats avec le développement des procédures alternatives aux
poursuites. Cette réforme pourrait aussi restaurer une relative
confiance et un consensus minimum des usagers envers la règle de droit.
Enfin, une telle évolution du droit mettrait fin au développement
d'une politique hypocrite de dépénalisation de fait qui ne fait
que masquer les imperfections de la loi de 1970.
Une telle réforme a d'ailleurs été
discutée au Sénat le 21 juin 2004, consécutivement
à une nouvelle proposition de loi. Cette proposition de loi
préconise une dépénalisation de l'usage de
stupéfiants par la contraventionnalisation de l'usage occasionnel et la
consécration des alternatives aux poursuites déjà
pratiquées dans ce domaine. En effet, les premières
interpellations pour usage simple ne seraient plus un délit mais
feraient l'objet d'une contravention de la 5ème classe.
L'interpellation d'un usager de stupéfiant par la police ferait alors
l'objet d'un procès verbal transmis au procureur, lequel disposerait
d'une large palette de moyens pour mettre en place une réponse de
sanction- prévention adaptée. Après deux contraventions
pour usage de stupéfiant en moins de 24 mois, toute
nouvelle infraction du même chef constituerait un délit
passible du Tribunal Correctionnel qui pourrait
prononcer, soit une injonction de soins en alternative aux poursuites, soit une
amende (de 1 à 1500€), et/ou une ou plusieurs peines
complémentaires contenues dans les articles 131-16 et 131-17 du Code
pénal, et/ou le placement, sur avis médical, dans un Centre
agréé spécialisé dans le traitement de la
toxicomanie.« Le système ainsi mis en place ne
réduirait pas la lutte contre la toxicomanie à la simple
perception d'espèces par voie d'amende. Par l'éventail des
solutions offertes au juge, il appréhenderait la dimension humaine du
problème de la drogue et permettrait que la nouvelle loi soit
appliquée systématiquement et rapidement. Rien ne serait pire que
remplacer une loi inappliquée par une loi
inapplicable »229(*). Malheureusement, un an après, cette
proposition de loi n'a toujours pas été adoptée et
paraît même ne plus être à l'ordre du jour. Le
législateur ne semble pas encore tout à fait prêt à
modifier la législation de 1970, malgré l'inapplication
caractérisée de celle-ci et les inégalités qui en
découlent nécessairement.
B- La
dépénalisation de fait d'infractions courantes : l'exemple
du vol simple230(*).
La petite délinquance et notamment le vol simple
(art.311-1 CP) occupe une place prédominante dans les faits
constatés par les services de police et de gendarmerie : les vols
simples constituent près de 45% des faits constatés en 2001.
Cette infraction recouvre l'ensemble des soustractions frauduleuses sans
violences telle que les vols de véhicules, les vols à
l'étalage chez les commerçants ou les vols sans violence sur la
voie publique. Le nombre de vols simples constatés par la police et la
gendarmerie a augmenté de 6% entre 1991 et 2001231(*). Cette infraction
représente d'ailleurs encore près des trois quarts de l'ensemble
des infractions de vol et recel constatés par la police au cours d'une
année.
D'un point de vue judiciaire, le traitement de cette
infraction a subi d'énormes transformations au cours des dix
dernières années et ce, au service de l'économie du
système pénal, qui, s'il avait pour objectif d'apporter une
réponse traditionnelle à tout ces faits de petite
délinquance, risquerait de défaillir confronté à ce
contentieux de masse. C'est donc pour sauver le système
pénal d'une véritable apoplexie, que le vol simple a fait l'objet
d'une véritable dépénalisation de fait, par une
opération de tri des affaires poursuivies entre classement sans suite,
procédures alternatives aux poursuites et poursuites à proprement
parler.
Une étude réalisée récemment
portant sur l'activité des parquets des sept principales juridictions
d'Ile-de-France232(*)
(représentant 20% de l'activité nationale) donne une vision
détaillée du traitement des affaires pour vol simple.
La décision la plus fréquente reste le
classement sans suite, principalement pour préjudice peu important. Pour
des raisons identiques qui tiennent au caractère souvent bénin de
ce type de délit, le vol simple fait l'objet de procédures
alternatives plus souvent que d'autres contentieux. Ces dernières
représentent en effet 23% des orientations pour ce type d'affaires
contre 21% tous contentieux confondus. Enfin, 25% des affaires de vol simple
sont poursuivis par les parquets soit un taux très inférieur
à celui observé pour l'ensemble des affaires (43%).
La part des vols simples au sein des condamnations pour
délit se situe autour de 20% de 1984 à 1993. Elle diminue ensuite
et tombe en dessous de 10% à partir de 1999 pour atteindre 7,6% en
2001233(*).
A la lecture de ces quelques chiffres, il apparaît
qu'outre le classement sans suite qui a toujours représenté une
part importante dans le traitement des vols simples, les procédures
alternatives aux poursuites remplissent un rôle qui ne cesse de
croître en la matière. Le législateur a dû trouver
une solution pour répondre rapidement et efficacement à un fort
contentieux de masse (au sein duquel le vol simple représente une part
non négligeable) et surtout ne pas laisser se développer la
pratique du classement sans suite, véritable déni de justice
même lorsqu'il concerne des infractions de faible importance comme le vol
simple : c'est donc une logique pragmatique qui a gouverné
l'émergence de ces procédures alternatives aux poursuites ainsi
que leur développement postérieur234(*).
C'est ainsi que l'arrivée et le développement de
des procédures alternatives a été le moyen de cette
dépénalisation de fait qui a touché le traitement
judiciaire du vol simple235(*). Le développement des procédures
alternatives aux poursuites a donc offert aux parquets la possibilité
d'orienter les affaires de vol simple en fonction de la gravité des
faits et de la qualité de l'auteur, de sorte que la réponse
pénale se trouve graduée. C'est cette graduation de la
réponse pénale qui a conduit à privilégier les
voies alternatives pour les primo délinquants et donc à
réserver le cas des poursuites aux récidivistes,
présentant un risque particulier de récidive. Ainsi, la part des
récidivistes au sein du nombre total des condamnés pour vol
simple est passée de 31% en 1989, à 49% en 2001 et le nombre de
condamnations pour vol simple a chuté de plus de 73% de 1984 à
2001.
Toutes les évolutions conduisant à une baisse
des condamnations pour vol simple, sans modification substantielle des
sanctions, il s'ensuit logiquement une baisse des incarcérations pour de
tels faits : ainsi, entre 1993 et 2002, les entrées en
établissements pénitentiaires justifiées par une affaire
de vol simple sont divisées par deux236(*). Cette diminution des flux s'accompagne d'une baisse
de moitié de ce type de délinquants dans la population des
condamnés incarcérés237(*). Apparaît alors le second impératif
poursuivi par le processus de dépénalisation des vols simples par
la création des procédures alternatives aux poursuites : la,
maîtrise de la surpopulation carcérale qui est devenue, au
même titre que le traitement judiciaire rapide des infractions courantes
de la petite délinquance, une véritable préoccupation de
politique criminelle.
Section II - La fièvre législative ou la
pénalisation comme remède apparent aux maux de la
société.
Le législateur utilise de plus en plus le droit
pénal pour tenter de répondre à un nombre croissant de
malaises sociaux que les instances extra pénales ont
échoué à résoudre ou du moins à
réguler. Il en résulte un véritable processus de
pénalisation de la précarité par la criminalisation de
comportements marginaux constituant le plus souvent des
« incivilités » (§ 1) et la
pérennisation des politiques de pénalisation relatives à
l'immigration clandestine (§ 2).
Cette instrumentalisation du droit répressif contribue
à encombrer le système pénal qui a pourtant fait l'objet
d'une certaine rationalisation à certains égards au service de
son économie et de son bon fonctionnement.
§ 1- Le récent processus de pénalisation de
la précarité.
L'actuelle pénalisation de la précarité
est avant tout tributaire d'un contexte, celui de la montée du sentiment
d'insécurité qui s'est accentuée ces dernières
années (A). Le législateur s'est donc montré
particulièrement réactif en décidant de pénaliser
cette forme de misère sociale en 2003 (B).
A - La pénalisation
de la précarité, réponse à la montée du
sentiment d'insécurité
« Ne plus rien laisser passer, faire régner
en France un sentiment de sécurité »238(*). Tels sont les mots par
lesquels Nicolas SARKOZY, ministre de l'Intérieur, résumait
l'esprit qui devait animer et soutenir ses projets de loi.
Le but premier de cette pénalisation de la
précarité résidait avant toute chose dans la
nécessité de lutter contre la multiplication de ces fameuses
incivilités à l'origine d'une grande inquiétude et d'un
fort sentiment d'exaspération au sein de la population. Il s'agissait
donc de s'attaquer à toutes ces formes de petite délinquance dont
l'augmentation conséquente polluait toujours plus le quotidien des
Français, et favorisait dans le même temps la montée d'un
inquiétant sentiment d'insécurité.
Déjà en 1977, dans son rapport intitulé
« Réponses à la violence », A. PEYREFITTE
déplorait une explosion des crimes et délits, et
témoignait de la crispation sécuritaire des Français.
Pourtant, dès 1982, alors que la délinquance et la
criminalité se stabilisent, on constate une persistance de ce sentiment
d'insécurité. Celui-ci, néfaste pour le bon
développement économique et social d'une société,
est facteur de tensions sociales et engendre souvent une poussée des
idéologies extrémistes.
Ainsi, concernant les chiffres de la délinquance
précédant la loi du 18 mars 2003239(*), on peut constater en 2001
un ralentissement de la progression du phénomène criminel.
L'essentiel de celui-ci (63%) résulte de l'augmentation du nombre de
vols caractéristiques de la petite délinquance : vols
à la roulotte, vols simples, etc. Le mouvement des crimes et
délits contre les personnes reste, quant à lui, stable
(même s'il a été multiplié par quatre depuis 1972)
et représente 6,76% de l'ensemble des crimes et délits.
En outre, les comportements délictuels évoluent.
Ainsi, les vols commis au préjudice des particuliers s'accompagnent le
plus souvent de violences individuelles ou collectives. De nouvelles formes de
vols apparaissent et se propagent, comme celles concernant les
téléphones mobiles. Les délinquants s'approprient
violemment un appareil en cours de communication pour ne pas se retrouver
bloqués par le code verrouillage. A Paris, près d'un vol sur deux
est un vol à l'arraché de téléphone portable.
Cette part considérable prise par la petite
délinquance au sein des statistiques criminelles résulte avant
tout de la relative impunité dont jouissent ses auteurs, en raison du
faible préjudice causé par leurs actes et des difficultés
liées à leur identification. Il en résulte chez les
victimes, un sentiment d'abandon et la conviction de l'inefficacité des
pouvoirs publics. Toutes ces carences débouchent sur la montée
d'un sentiment d'insécurité, l'accroissement de la
méfiance des citoyens, et le renforcement d'une tension sociale latente.
La médiatisation à outrance des actes de délinquance joue
également un rôle non négligeable dans la montée du
sentiment d'insécurité à l'origine de ce malaise
social : la délinquance est banalisée, et l'exceptionnel se
trouve même fréquemment généralisé de
façon hyperbolique dans les représentations médiatiques du
phénomène de la délinquance. Le sociologue
Sébastien ROCHE définit le sentiment d'insécurité
comme « un processus de lecture du monde environnant qui est saisi
chez les individus comme un syndrome d'émotion (peur, haine, jalousie)
cristallisée sur le crime et ses auteurs »240(*). Ce sentiment ne
reflète pas forcément la réalité mais s'impose aux
esprits comme l'idée que l'on se fait de sa propre
sécurité. Il n'y a pas besoin d'avoir été
soi-même victime d'une infraction ou d'en connaître une pour se
sentir inquiet. Les faits que l'on craint ne sont pas ceux auxquels on a
été directement ou indirectement confronté, mais ceux que
l'on perçoit comme pouvant nous arriver.
Ce sentiment d'insécurité se ressent plus
fortement dans les grosses agglomérations où un nombre important
de personnes en situation déjà précaire
préfèrent fréquenter le monde de la rue ou viennent
à y basculer par la force des choses. Certains comportements sont
facteur de la montée palpable de ce sentiment
d'insécurité. C'est le cas de la mendicité et du
vagabondage, qui seront d'ailleurs envisagés dans un sens de
pénalisation accrue par la loi pour la sécurité
intérieure du 18 mars 2003.
D'autres attitudes, souvent considérées comme
anodines, peuvent contribuer fortement au développement croissant du
sentiment d'insécurité au sein de la population française.
Il s'agit de ce que l'on appelle pudiquement
les « incivilités ». En effet, ce sentiment
d'insécurité ne procède pas tant de la délinquance
elle-même, que du contact plus ou moins fréquent que certains
citoyens peuvent avoir avec elle. Sans définition précise, les
« incivilités » reflètent avant tout une
réalité sociologique. Prises isolément, elles n'attirent
en général qu'une faible réprobation de la part de ceux
qui les subissent. Il peut s'agir, par exemple, du défaut de politesse,
d'une forme d'agressivité verbale ou encore du manque d'hygiène
ou de bruit dans les habitations collectives. Mais, ajoutées les unes
aux autres, ou commises dans certaines situations, ces incivilités
prennent une dimension autrement moins supportable. Ainsi en est-il de la
mendicité agressive ou de l'occupation de halls d'immeubles souvent
inscrites sur la longue liste des incivilités qui polluent le quotidien
d'un nombre croissant de citoyens.Ces comportements inquiètent et
dérangent. Un certain nombre d'entre eux sont perçus comme des
incivilités parce qu'ils menacent nos « rituels de mise
à distance d'autrui », sans pour autant constituer des
infractions pénales au sens propre du terme. Le sociologue E. GOFFMAN
montrait que « la non observance de certains rituels suffit à
faire naître le sentiment du danger par la rupture qu'ils
établissent dans l'ensemble des obligations
sociales »241(*).
Ce climat d'insécurité, source de
méfiance, de tension sociale, est allègrement
« récupéré » par les initiatives
politiciennes obéissant à une logique pragmatique de
stigmatisation débouchant sur un discours purement populiste et au
final, sur l'utilisation systématique et parfois déraisonnable de
l'arme pénale : la loi du 18 mars 2003 en est l'illustration
contemporaine la plus flagrante.
B - Teneur de la
pénalisation de la précarité par loi du 18 mars 2003 pour
la sécurité intérieure.
Les pouvoirs publics ont créé de nouvelles
incriminations sanctionnant des personnes en situation précaire avec
l'entée en vigueur de la loi du 18 mars 2003 relative à la
sécurité intérieure qui pénalise certaines formes
de précarité, notamment, le racolage, la mendicité,
l'attroupement abusif dans les parties communes d'immeubles et l'installation
illicite sur un terrain appartenant à autrui. Cette pénalisation
de la précarité est une initiative répressive qui n'a
d'autre but que de répondre aux préoccupations
sécuritaires qui animent de plus en plus les Français, victimes
de la psychose ambiante relative à la peur du crime qui est devenue, ces
dernières années, la peur la plus probante à travers tout
l'hexagone.
Le paragraphe 1er de l'article 50 de la loi pour la
sécurité intérieure a inséré, dans le Code
pénal, un article 225-10-1 pour faire du racolage, même passif, un
délit et compléter sa définition. Depuis la fermeture des
maisons closes par la « loi Marthe RICHARD » du 13 avril
1946, l'ordonnance du 23 novembre 1958 a institué deux contraventions
réprimant respectivement le racolage public (contravention de
4ème classe) et l'attitude indécente sur la voie
publique, encore appelée racolage passif (contravention de
1ère classe). En 1960, la France ratifie la Convention
internationale du 2 décembre 1949 (lois des 28 et 30 juillet
1960) : le racolage devient alors une contravention de
5ème classe (punie de 10 jours à un mois
d'emprisonnement et de 10 000 F d'amende) et l'attitude indécente sur la
voie publique, une contravention de 3ème classe (seulement
punie d'une amende). Le Code pénal de 1994 n'a ensuite conservé
que l'incrimination de racolage de l'article R.625-8, qui est demeurée
une contravention de 5ème classe (punie de 1500 €
d'amende). Le nouveau texte tel qu'il résulte de la loi du 18 mars
2003242(*),
correctionnalise le racolage en l'érigeant au rang de délit puni
de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende. Cette
pénalisation a pris pour prétexte la gêne qu'elle pourrait
occasionner aux proxénètes et les implications de la lutte contre
la lutte contre le proxénétisme, qui nécessite des
témoignages des personnes exploitées, preuves qui seraient
rendues plus aisées grâce aux procédures engagées
pour racolage contre les prostituées. En réalité, cette
pénalisation s'adresse directement aux victimes de ces réseaux de
prostitution, à la fois victime d'une forme d'exploitation gravissime,
et d'une attention toute particulière de la loi
répressive243(*).
En outre, la rédaction de l'incrimination est une source d'abus et de
non sens dans l'application de la loi : comment établir en effet
qu'une personne se livre au racolage public d'autrui si elle reste purement
passive sur la chaussée ? Il est à craindre que seule la
tenue vestimentaire puisse servir de preuve... La loi pénale se veut
alors imprévisible à cause de la subjectivité qu'elle
implique et l'insécurité juridique qui en découle
nécessairement ne peut que nuire au système répressif
lui-même. Quoi qu'il en soit, les premières conséquences de
la loi se sont montrées des plus déplorables, puisque le nouveau
dispositif n'a eu d'autre effet que de repousser les prostituées dans de
véritables zones de non droit qui constituent un facteur
supplémentaire de danger pour leur propre sécurité.
L'article a loi du 18 mars 2003 crée également
le nouveau délit de demande fonds sous contrainte (art.312-12-1), lui
aussi puni de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende. Cette
nouvelle incrimination punit la sollicitation, sur la voie publique, de valeurs
ou d'un bien, ou encore de la remise de fonds, en réunion et de
manière agressive, ou sous la menace d'un animal dangereux. Outre le
fait que ce nouveau délit soulève la question de la forme de
l'agression (physique ou seulement verbale ?), il semble une fois de plus
que cette incrimination obéisse à une logique de pur affichage.
En effet, le droit antérieur permettait déjà de
réprimer ce genre de pratiques par le biais de l'incrimination
d'extorsion de fonds de l'article 312-1 CP. La volonté des politiques
apparaît ainsi claire : utiliser le droit pénal pour rassurer
l'opinion exaspérée de voir ce genre de pratiques altérer
leur quotidien. Ce « droit pénal spectacle »
surcharge un peu plus un droit répressif qui manque de lisibilité
et a de plus pour effet de stigmatiser un peu plus encore la pauvreté
qui envahit nos rues.
L'occupation illégale de terrain a aussi fait l'objet
de la création d'une nouvelle incrimination qui figure à
l'article 322-4-1 CP (art.53 à 58 de la loi du 18 mars 2003). Ce
délit punit de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 € d'amende
l'installation en réunion, en vue d'y établir une habitation,
même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui
s'est conformée aux obligations de la « loi BESSON »
du 5 juillet 2000244(*)
organisant l'accueil des gens du voyage, soit à tout propriétaire
sans être en mesure de justifier d'une autorisation. La loi, bien que
d'application générale, concerne encore une autre forme de
précarité en se focalisant sur les gens du voyage245(*) qui déplorent le fait
que la loi BESSON ne soit que très peu suivie par les différentes
communes de France : il existe a peu près 10 000 emplacements pour
accueillir une population qui représente 30 000 caravanes. Il
apparaît dès lors difficile pour cette communauté de se
conformer à la loi alors que peu de moyens ont été mis en
place pour la respecter.
La loi pour la sécurité intérieure a
également criminalisé une forme courante d'incivilité dans
les tours des grandes agglomérations : les attroupements portant
atteinte à la liberté de circulation dans les parties communes
d'immeubles (art.61 de la loi du 18 mars 2003, art. L.126-3 du Code de la
construction et de l'habitation) qui est passible de 2 mois d'emprisonnement et
de 3750 € d'amende246(*). Le problème visé est bien connu, mais
relève-t-il de la loi pénale de tenter d'y répondre ?
« N'est-on pas typiquement dans des hypothèses où si
aucune infraction pénale classique (violence, dégradation,
menace, injure, etc.) n'est constituée, la réponse au
comportement déviant doit être sociétale (conciliation,
médiation sociale, groupe de parole, etc.) »247(*). La loi n° 2001-1062 du
15 novembre 2001 contenait déjà des dispositions permettant aux
services de police d'intervenir en cas d'occupation des espaces communs par des
personnes qui entravent l'accès ou nuisent à la
tranquillité des lieux (art. L 126-2 Code de la construction et de
l'habitation). Une fois de plus, cette nouvelle incrimination ne vient pas
apporter une réponse adaptée et surtout rationnelle à un
problème de société qui requiert plus une véritable
réflexion de fond, que l'utilisation systématique et
déraisonnable de l'arme pénale.
Pour conclure, derrière ces nouveaux modes de
répression, se dessine en filigrane la volonté de masquer cette
délinquance de rue, afin de regagner la confiance des citoyens en leur
ôtant toute raison de succomber au sentiment
d'insécurité.
En effet, en prohibant le racolage des prostituées et
en réglementant l'errance et la mendicité, les pouvoirs publics
ont pour principal objectif d'éradiquer les seuls effets visibles de ces
délinquances issues de la précarité et de l'exclusion. La
précarité qui est souvent la résultante de l'exclusion,
constitue très certainement un foyer potentiel de naissance et de
propagation de la délinquance. Mais, peut-on penser sincèrement
qu'en supprimant les manifestations visibles liées à ce type de
délinquance particulière, les problèmes qui en sont la
cause disparaîtront pour autant ? Certainement pas ! Le droit
pénal apparaît alors comme un remède apparent, superficiel,
au malaise social profond dont souffre notre société. Au sujet de
cette loi du 18 mars 2003, la Commission nationale consultative des droits de
l'Homme, a d'ailleurs fait part de ses inquiétudes relatives à
l'évolution contemporaine du droit pénal. Selon elle,
« l'inflation des règles encadrant l'exercice des
libertés publiques et parfois même la vie privée des
individus suscite l'inquiétude de notre société
démocratique (...). L'action à mener contre
l'insécurité ne légitime pas certaines formes de
répressions d'ordre moral (...). Les nouvelles dispositions de la loi
risquent d'accroître inutilement les contrôles sur le plus grand
nombre, sans faire progresser pour autant la sécurité, et sans,
à tout le moins, donner aux individus, les garanties qui leur sont
dues »248(*).
Ainsi, le législateur use de plus en plus de l'arme
pénale pour satisfaire aux exigences contemporaines de
médiatisation de la volonté politique, elle-même
érigée en véritable « show » de la vie
publique. Aujourd'hui, il est plus important pour le législateur de
montrer aux citoyens spectateurs qu'il agit, plutôt que de
véritablement agir sur la réalité, tout comme il
apparaît désormais plus important d'accuser, que de condamner.
L'action du législateur s'inscrit alors dans les logiques de
présentisme et d'instantanéité qui caractérisent
notre époque : « l'urgence est devenue
structurelle »249(*) et le politique se doit de réagir au plus
vite aux événements brûlants qui constituent
désormais le principal moteur d'édiction de la norme et plus
particulièrement de la norme pénale. De cette urgence
découlent nécessairement une altération de la
lisibilité du droit, une perversion de la norme qui perd de son
rationalisme et de sa prééminence sur le fait.
§ 2 - Les politiques de pénalisation de
l'immigration clandestine.
La logique sécuritaire qui a progressé,
inégalement mais constamment, dans le droit et dans les esprits depuis
un quart de siècle a, selon une loi historique bien connue,
frappé sélectivement voire prioritairement les
étrangers(A). De ce point de vue, la loi n° 2003-1119 du 26
novembre 2003 (B) constitue moins une révolution qu'une aggravation,
certes de grande ampleur, d'un « ciblage »
récurrent250(*).
Les législations antérieures en la matière, illustrent
bien ce mouvement croissant de pénalisation de la lutte contre
l'immigration clandestine.
A - Bref rappel des
politiques récentes de lutte contre l'immigration clandestine et du
contexte antérieur à la loi du 26 novembre 2003.
La loi du 24 août 1993, dite
« loi PASQUA », renforce le dispositif répressif
visant à éloigner du territoire les étrangers en situation
irrégulière et restreint la liste des catégories
d'étrangers protégées contre une mesure
d'éloignement du territoire. Outre les modifications qu'elle apporte au
Code civil, au Code de la sécurité sociale et au Code de l'aide
sociale, cette loi touche également les dispositions du Code
pénal notamment, en ce qui concerne la limitation des immunités
contre l'interdiction du territoire accordées aux étrangers ayant
des attaches en France.
La loi du 24 avril 1997, dite « loi
DEBRE », tout en assouplissant certaines dispositions de la
« loi PASQUA », renforce la dimension répressive de
la législation : confiscation du passeport des étrangers en
situation irrégulière, nouvelles possibilités de retrait
du titre de séjour, suppression de garanties de procédure comme
la commission du séjour, etc.
La dernière grande réforme en date en
matière d'immigration remontait à la « loi
CHEVENEMENT », dite aussi loi Reseda (loi relative à
l'entrée, au séjour des étrangers en France et au droit
d'asile), du 11 mai 1998. Critiquée par les défenseurs des droits
des étrangers comme s'inscrivant trop nettement dans la
continuité de la politique précédente, marquée par
les lois PASQUA de 1993 et 1997, mais apportant d'incontestables
assouplissements à la législation antérieure, la loi avait
été présentée comme un texte d'équilibre,
susceptible de recueillir un consensus, et destiné par conséquent
à durer. La modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'avait en
effet pas été annoncée immédiatement par le
gouvernement de l'alternance, de sorte que l'on concevait la
pérennité de la loi de 1998 telle qu'elle avait été
promise à cette date. C'est en octobre 2002 qu'il a été
pour la première fois question de réformer la législation
existante, dans un sens libéral au demeurant, afin d'assouplir le
régime de la « double peine ». C'est ensuite en
février 2003 seulement que la presse a dévoilé l'existence
d'un avant projet de loi destiné à réformer, cette fois
dans le sens d'une sévérité accrue, l'ordonnance de 1945.
Cette volonté de lutter plus durement contre l'immigration clandestine
est la résultante du contexte sécuritaire qui a initié
cette réforme du droit des étrangers, réforme qui avait
d'ailleurs déjà fait irruption dans les débats sur la loi
pour la sécurité intérieure. « Mettre fin
à l'incapacité de l'Etat à maîtriser les flux
migratoires », tel est le premier objectif de la réforme mis
en avant par son promoteur, Nicolas SARKOZY. Cela suppose de renforcer le
dispositif répressif, mais aussi de traquer la fraude partout où
elle peut surgir, donc de multiplier les contrôles et les fichiers et
d'aggraver les sanctions.
B - La loi du 26 novembre
2003 relative à la maîtrise de l'immigration : une
pénalisation accrue de l'immigration clandestine.
Les dispositions de cette nouvelle loi
contribuent au durcissement du droit relatif aux étrangers par une
impressionnante pénalisation qui touche nombre de domaines fondamentaux
de ce droit issu de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Cette loi, entrée
en vigueur le 29 novembre 2003, a suscité de vives controverses au sein
des milieux associatifs en charge des problèmes liés à
l'immigration. En effet, de nombreuses associations dénoncent le
caractère sévère et stigmatisant de certaines dispositions
promues par la loi251(*).
Dans le cadre de la maîtrise des flux migratoires et de
la lutte contre les filières de clandestins, la loi autorise tout
d'abord un allongement des délais de rétention. Pour couper court
à toute contestation, le gouvernement justifie sa politique en
évoquant son alignement sur la législation des autres pays
européens, et prône l'efficacité d'une telle mesure pour
améliorer le taux de reconduite.
La loi prévoit également la création
d'un fichier d'empreintes digitales et de photos établi à partir
des demandes de visas, et permettant l'identification des étrangers qui,
entrés légalement sur le territoire français, s'y seraient
maintenus clandestinement.
Le renforcement des peines en cas d'aide à
l'entrée et au séjour irréguliers est aussi une
orientation de la législation nouvelle. La loi prévoit pour les
personnes physiques, une peine de 5 ans d'emprisonnement, mais aussi la
possibilité de prononcer une interdiction de séjour de 5 ans (au
lieu de 3), de suspendre le permis de conduire pour 5 ans (10 en cas de
récidive) au lieu de 3. Ces peines sont aggravées si l'infraction
est commise en bande organisée. La loi instaure en outre des
restrictions à l'accès à la nationalité
française et de nouvelles hypothèses du retrait du titre de
séjour.
La loi du 26 novembre 2003 se distingue également par
la création du délit de mariage de complaisance, puni de 5 ans de
prison et de 15 000 € d'amende (10 ans et 750 000 € si
l'infraction est commise en bande organisée).
« L'utilité pratique de cette nouvelle incrimination nouvelle
est douteuse , puisque un mariage de complaisance encourt l'annulation et
que l'administration peut, dans ce cas, refuser un titre de
séjour : elle a surtout une fonction
d'intimidation »252(*). On relève par ailleurs que le nouveau
délit est sélectif puisqu'il ne vise pas ceux qui
détournent l'institution du mariage dans un autre but que celui de
l'obtention d'un titre de séjour, par exemple, dans le but pour un
fonctionnaire, d'obtenir sa mutation.
La loi prévoit également des sanctions plus
sévères en cas d'emploi d'un étranger démuni
d'autorisation de travail: les peines encourues au titre de ce type de
comportement, passe de 3 ans d'emprisonnement et 4500 € d'amende, à
5 ans d'emprisonnement et 15 000 € d'amende. Ces peines sont aussi
aggravées si l'infraction est commise en bande organisée.
L'article 14 bis de la loi relative à la
maîtrise de l'immigration introduit une nouveauté : la
poursuite et la sanction des salariés étrangers sans autorisation
de travail est désormais envisageable. Ces derniers encourent
désormais 3750 € d'amende assortis d'une interdiction du territoire
de trois ans. Auparavant, l'article L.314-4 du Code du travail imposait bien
à un étranger l'obligation de détenir une autorisation de
travail pour se livrer à une activité salariée ;
mais, le seul fait d'en être dépourvu n'entraînait aucune
sanction pénale, le droit allant même jusqu'à accorder au
travailleur irrégulier une protection légale sur le plan civil.
En cas de contrôle, seul l'employeur encourait de véritables
sanctions pénales. Le législateur considérait le
salarié comme une victime et non comme le co-auteur d'une infraction
(même avec consentement). Le droit pénal avait même
érigé la protection de cette main-d'oeuvre en situation
précaire contre l'exploitation, en véritable priorité avec
la criminalisation des conditions de travail et d'hébergement contraires
à la dignité humaine, à l'occasion de la réforme du
Code pénal de 1994. Cette nouvelle législation marque donc une
réorientation de la politique criminelle en la matière en
considérant désormais cette catégorie de personnes comme
des délinquants, alors qu'elle les voyait jadis comme des victimes
dignes d'une protection particulière de la part du droit. Le nouveau
dispositif vise maintenant deux objectifs : d'une part, garantir
l'application des normes sociales minimales, et d'autre part, inciter à
la dénonciation de la situation illégale par le salarié.
Ce deuxième objectif se démarque de par son utopie : il est
peu probable, voire même illogique, d'envisager que des travailleurs
clandestins, ne disposant d'aucune autre source de revenu que celle qui est
issue de leur activité salariée illégale, puissent
dénoncer leur employeur qui leur apporte le seul moyen d'espérer
subsister en France. Pour de nombreuses associations comme G.I.S.T.I.,
« c'est toute la logique sur laquelle repose le Code du travail qui
se voit mise en cause ; c'est le rapport de domination inhérent
à la relation de travail qui se voit nié ; c'est la
réalité concrète du monde du travail qui est
ignorée »253(*). Cette association insiste également sur la
dimension discriminatoire flagrante de l'article, en ce qui ne s'attaque qu'aux
étrangers en infraction relativement à la législation du
travail, et se désintéresse volontairement du cas des
salariés français non déclarés. Il apparaît
que le législateur se trompe de cible en pénalisant des
salariés en situation de faiblesse face à leur employeur :
il punit injustement ces personnes en les précarisant d'avantage.
La loi nouvelle, enrichit le droit pénal de
dispositions permettant de lutter plus efficacement contre les organisations
mafieuses qui profitent de la précarité liée à
l'immigration clandestine, mais apparaît quelque peu surfaite en ce qui
concerne la pénalisation des étrangers en situation
irrégulière. Où est la logique, lorsque le
législateur dans la cadre de la lutte contre le ces bandes
organisées, pénalise les victimes de ces réseaux qui se
trouvent déjà dans une situation de profonde
précarité ?
Toutes ces initiatives des pouvoirs publics
révèlent en réalité la volonté de lutter
contre un phénomène qui engendre la peur et contribue lui aussi
à la montée du sentiment d'insécurité. La loi du 26
novembre 2003 semble ainsi répondre aux exigences de maîtrise de
l'immigration qui résultent de la récente montée des
extrémismes politiques à laquelle le gouvernement s'est vu
contraint de répondre par le recours toujours plus massif au droit
répressif. Ce droit répressif apparaît aujourd'hui plus
comme une arme politique, que comme un moyen de régulation des conduites
individuelles susceptibles de porter gravement atteinte aux règles
sociales élémentaires.
Conclusion générale
Au terme de cette étude relative aux
phénomènes de pénalisation, dépénalisation
des années 1970 à nos jours, quelques constats s'imposent. Tout
d'abord, des caractéristiques et des causes explicatives propres
à ces deux phénomènes semblent ressortir clairement de
l'évolution contemporaine du droit. Ensuite, il semble en
résulter une modification, voire une altération de quelques
préceptes fondateurs du droit pénal
« moderne » qu'il conviendra d'identifier et ce, au regard
de l'actuel objet d'étude de l'Institut de Sciences Criminelles de
Poitiers : l'éventuelle émergence d'un droit pénal
« post-moderne ».
Variations sur les deux thèmes de la
pénalisation, dépénalisation :
Ces deux phénomènes ont fait l'objet d'une
évolution antagonique ces trente dernières années et de
celle-ci, ressort de véritables causes explicatives qui leurs sont
propres.
Concernant le phénomène de
dépénalisation, on constate en premier lieu que la France n'a
jamais érigé la dépénalisation en politique. Elle a
toujours été considérée comme un outil de travail,
comme un moyen et non comme une fin. Il apparaît en effet que la
dépénalisation fait l'objet d'une certaine instrumentalisation
qui répond à des considérations purement pragmatiques. La
dépénalisation est en effet un instrument souple d'adaptation du
droit pénal à l'évolution sociale ou de régulation
des dysfonctionnements du système. Dans ces perspectives, c'est un
instrument ponctuel dont l'intervention est plus motivée par des besoins
immédiats, que par l'élaboration d'une véritable
stratégie.
En outre, les initiatives de dépénalisation ont
pour le moins été timides au cours de la période
étudiée. Les rares entreprises de dépénalisation se
sont heurtées à des obstacles qui ont considérablement
freiné leur action, et ce, malgré la montée d'un discours
contemporain prônant le retour à un « droit pénal
minimum ». Ces obstacles sont d'ordre juridiques et sociaux.
Tout d'abord, la dépénalisation suscite
l'inquiétude des pouvoirs publics qui craignent que la
dépénalisation qui se traduit par un reflux du droit
pénal, soit perçue comme l'aveu que les processus du
système pénal ont été mis en oeuvre dans le
passé sans justification suffisante ; cette situation pourrait
remettre en cause la confiance des justiciables envers les pouvoirs publics et
altérer gravement le respect indispensable que devrait inspirer le
système pénal.
Ensuite, la dépénalisation et plus
particulièrement la décriminalisation, est
généralement perçue par le législateur comme
représentant un risque de forte recrudescence des comportements
dépénalisés ou décriminalisés ; cette
perception pessimiste des implications de la dépénalisation et
surtout de la décriminalisation, s'accompagne d'ailleurs souvent de
l'appréhension d'assister à un retour de la vengeance
privée et au développement de l'autodéfense en cas de non
protection des citoyens par le droit répressif. Ainsi, « pour
qu'une politique courageuse de dépénalisation puisse se
concrétiser, il faut que le système politique et la
société civile sachent concevoir des réponses
différentes aux problèmes qui sont traités par la logique
pénale »254(*). La dépénalisation est une entreprise
périlleuse qui implique une évaluation prévisionnelle
précise de sa postérité, c'est la raison pour laquelle les
dépénalisations qui interviennent ne sont en
réalité souvent que la remise en adéquation du droit avec
une évolution sociétale confirmée de longue date255(*).
Enfin, la décriminalisation pose un problème en
terme de protection juridique du délinquant : « les
notions d'égalité de la justice et le principe de
proportionnalité entre les infractions et les sanctions renferment un
élément de protection du délinquant et de
rationalité qu'il ne faut pas négliger »256(*). Le fait que le traitement
extra pénal des comportements décriminalisés n'offre
souvent pas ce degré de protection est souvent un obstacle
supplémentaire à la décriminalisation.
En définitive, la dépénalisation
constitue donc un mouvement timide, plus fréquemment utilisé dans
l'intérêt du système pénal257(*), que dans
l'intérêt du justiciable. Les entreprises de
dépénalisation restent ainsi majoritairement motivées par
des besoins du système pénal lui-même, au détriment
de la nécessité actuelle de revenir parfois à des modes de
régulation plus adaptés pour tenter de résoudre le
fractionnement des valeurs morales que connaissent nos sociétés
contemporaines.
Le mouvement de pénalisation se montre quant à
lui particulièrement virulent et surpasse à bien des
égards les rares dépénalisations que le droit pénal
français a pu connaître jusqu'à présent. Ce
phénomène est tout d'abord dû à l'inflation
pénale qui ne cesse de pérenniser dans l'hexagone
particulièrement depuis les années 1960. Ce recours au droit
pénal est quant à lui favorisé par notre système,
contrairement à la dépénalisation qui, elle, se heurte
souvent aux réticences du législateur. La pénalisation est
en effet encouragée par le mode d'adoption de la norme
pénale : la loi pénale n'est pas soumise avant adoption,
à l'obligation traditionnelle d'évaluer les moyens permettant de
faire face aux coûts qu'elle engendrera258(*). Par conséquent, la liberté d'action
législative est totale en matière pénale et le
législateur en oublie d'ailleurs souvent les capacités du
système pénal à pouvoir traiter les contentieux qu'il
introduit par une telle frénésie de production de la norme.
La pénalisation n'est pas non plus la
conséquence d'une politique criminelle globale établie,
cohérente, elle apparaît plus aujourd'hui comme un moyen de
renforcer la présence de l'Etat par le biais du recours accru au droit
répressif pour tenter de répondre à des malaises
socio-économiques, ce qui aboutit parfois à une
instrumentalisation de la sanction pénale au profit de nouvelles
logiques de régulation de ces problèmes.
Quoi qu'il en soit, le champ d'intervention du droit
répressif a littéralement explosé au cours de la
période étudiée : le droit pénal est
désormais omniprésent et son caractère systématique
renforce l'actuelle altération de certains grands préceptes du
« droit pénal moderne ».
De quelques évolutions contemporaines du droit
pénal : est-ce la fin du droit pénal
« moderne » ?
Depuis un vingtaine d'années, dans les
sociétés occidentales, on assiste à la prise en charge par
la pénalité, de manière directe ou sur le plan des
logiques d'intervention, d'un nombre croissant de problèmes sociaux qui
étaient auparavant du ressort d'autres institutions sociales (famille,
école, monde associatif, monde du travail, etc.). De ces nouvelles
logiques d'action du droit répressif découlent l'extension et le
durcissement du contrôle social, en particulier à l'égard
des groupes dits « à risque » : les jeunes, les
étrangers, les usagers de drogue, les délinquants
sexuels259(*).
En outre, le droit pénal tel qu'il existe aujourd'hui,
semble avoir perdu de son rationalisme et de sa cohérence : le
droit pénal « moderne », lui, parvenait quelque peu
à se dégager de la dimension morale de la déviance
sociale, pour ne sanctionner que les atteintes les plus graves à l'ordre
social. « Selon une formule célèbre si le droit et la
morale sont deux cercles concentriques, le rayon de la morale est plus grand
que celui des législations répressives »260(*). Ce paradigme ne
paraît plus être absolu aujourd'hui au regard de l'évolution
du droit : on en vient à pénaliser de plus en plus la
précarité et ses manifestations visibles. Cette politique de
pénalisation de la misère sociale entretient les logiques
d'intervention superficielles du droit répressif telles qu'elles se
développent de plus en plus actuellement et contribuent d'ailleurs
à exclure un peu plus les exclus au détriment de réponses
adaptées à ces problèmes sociaux.
Le droit pénal « moderne » se
caractérisait par sa place réduite, mais centrale : il avait
vocation à protéger les valeurs sociales les plus fondamentales
et seulement celles-la. Aujourd'hui, le droit pénal semble s'être
dispersé et avoir perdu son objectif initial de régulation des
relations sociales inter individuelles au travers les valeurs essentielles
qu'il est appelé à protéger. On est désormais
passé à un droit pénal de remplacement, de gestion par
défaut qui intervient de plus en plus là où le
système politique et la société civile ont
échoué. L'émiettement des états forts de la
conscience collective, cher à E. DURKHEIM, semble avoir eu raison du
rationalisme pénal : le bloc monolithique des valeurs morales et
sociales n'existe plus et le recours accru au droit pénal semble
être la principale solution utilisée par le pouvoir politique pour
y remédier.
Ce recours accru au droit pénal est accentué par
les logiques contemporaines de l'action politique qui se trouve de plus en plus
fréquemment asservie à la logique d'instantanéité
qui gouverne le temps médiatique : le législateur se veut
aujourd'hui hautement réactif à chaque problème mis en
avant par le jeu des médias et doit donc montrer qu'il agit. Cette
action se traduit généralement par le recours au droit
pénal comme remède apparent et superficiel. Le droit pénal
se voit ainsi dénaturé par des initiatives politiciennes
circonstancières et donc dénuées d'efficacité.
L'important semble plus de montrer qu'on agit, que d'agir réellement sur
la réalité. Il en résulte la prolifération de lois
d'affichages, floues, trop bavardes tel que le Conseil d'Etat l'a
dénoncé en 1991261(*).
Le présentisme qui gouverne désormais les
politiques criminelles remet en cause la sagesse qui fondait jadis l'action du
droit pénal « moderne » et qui lui valait une
confiance et même une certaine fascination des justiciables. Le droit
pénal apparaît désormais se disperser au gré des
sautes d'humeur du législateur et des grognes de l'opinion de l'opinion
publique. Le droit pénal, qui est pourtant le droit duquel
découlent les enjeux les plus importants en terme de liberté
individuelle et publique, se banalise dangereusement, au point que certains
dénoncent une « pénalisation de la
République »262(*) pour caractériser les dérives
actuelles de notre droit répressif.
La plupart de ces évolutions du droit pénal ne
sont pas des phénomènes nouveaux puisqu'ils avaient
déjà leur place au sein du droit pénal
« moderne », mais dans une toute autre mesure. Les
phénomènes constatés prennent en effet une ampleur
particulière à mesure que le temps passe. Faut-il déduire
de ces évolutions l'émergence d'un droit pénal
« post-moderne » ? Rien n'est moins sûr ;
l'appréciation de ces variations est sujette à la plus grande
subjectivité et il ne semble pas exister à l'heure actuelle, de
véritables critères objectifs permettant d'affirmer
raisonnablement que la teneur de ces évolutions constitue la
« rupture » caractéristique du passage d'un droit
pénal « moderne » à un droit pénal
« post-moderne ».
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· THESES :
COQUIN C., Le concept de proportionnalité en droit
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SAUTEL O., Le double mouvement de
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· RAPPORTS :
COMITE EUROPEEN POUR LES PROBLEMES CRIMINELS, Rapport sur
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COMMISSION D'ENQUETE NOMMEE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, Les
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ROGER P., Le projet de loi Sarkozy sur l'immigration
suscite l'hostilité des associations et suscite l'hostilité des
associations et les réticences de M.Fillon, Le Monde, 10 octobre
2003.
Annexes
Tableau récapitulatif des diverses
pénalisations et dépénalisations de 1970 à
2005.
Lois, décrets, ordonnances
|
Pénalisation
|
Dépénalisation
|
Loi du 23 décembre 1970
|
Criminalisations : publication d'informations inexactes et
délit d'initié.
|
|
Loi du 31 décembre 1970
|
Criminalisation de l'usage solitaire de stupéfiants.
|
|
Loi du 31 décembre 1970
|
Criminalisations : droit des sociétés
immobilières.
|
|
Loi du 3 janvier 1972
|
|
Dépénalisation partielle :émission de
chèques sans provision.
|
Loi du 1er juillet 1972
|
Criminalisation : discriminations
« racistes », provocation publique à la
discrimination.
Extension du champ d'application des propos racistes
répréhensibles.
|
|
Loi du 22 décembre 1972
|
Pénalisation du démarchage de marchandises à
domicile ou sur le lieu de travail.
|
|
Loi du 27 décembre 1973
|
Pénalisation de publicité mensongère ou de
nature à induire en erreur (criminalisé par la loi du 2 juillet
1963).
|
|
Loi du 3 janvier 1975
|
|
Dépénalisation partielle :émission de
chèques sans provision.
|
Loi du 11 juillet 1975
|
Extension des motifs répréhensibles de
discriminations : sexe et situation de famille.
|
Décriminalisation de l'adultère.
Dépénalisation partielle de l'avortement (pour 5
ans et dans les seuls cas prévus par la loi).
|
Loi du 9 juillet 1976
|
Pénalisation de la publicité : tabac.
|
|
Loi du 7 juin 1977
|
Extension du champ d'application des discriminations
répréhensibles.
|
|
Loi du 30 décembre 1977
|
Augmentation des peines pour l'abus des besoins d'un mineurs.
|
|
Loi du 6 janvier 1978
|
Criminalisations en matière d'atteinte informatique aux
personnes.
|
|
Loi du 10 janvier 1978
|
Pénalisation : information et la protection des
consommateurs dans certaines opérations de crédit.
|
|
Loi du 31 décembre 1979
|
|
Dépénalisation de l'avortement.
|
Loi du 4 août 1982
|
|
Décriminalisation de l'homosexualité.
|
Loi du 25 janvier 1985
|
|
Dépénalisation : banqueroute ;
décriminalisation de certains cas de banqueroute et de quelques
délits assimilés.
|
Loi du 25 juillet 1985
|
Extension des motifs répréhensibles de
discriminations : moeurs.
|
|
Loi du 30 décembre 1985
|
|
Contraventionnalisations en matière de
sécurité routière : défaut d'autorisation ou
de pièces administratives exigées pour la circulation des
véhicules, l'usage d'autorisations ou de pièces administratives
périmées ou annulées, le défaut de permis de
conduire (sauf récidive), le défaut d'assurance, voire les
infractions à la réglementation relative aux barrières de
dégel et au passage sur les ponts.
|
Décret du 18 septembre 1986
|
|
Suppression de l'emprisonnement pour certaines contraventions au
Code de la route.
|
Loi du 10 juillet 1987
|
Aggravation des peines : conduite en état d'ivresse
et délit de fuite.
|
|
Loi du 5 janvier 1988
|
Criminalisations en matière d'atteinte informatique aux
biens.
|
|
Loi du 20 décembre 1988
|
Criminalisations : bioéthique.
|
|
Loi du 22 juillet 1988
|
Criminalisation : manipulation des cours.
|
|
Loi du 23 juin 1989
|
Pénalisation :information et protection des
consommateurs contre diverses pratiques commerciales.
|
|
Loi du 13 juillet 1989
|
Extension des motifs répréhensibles de
discriminations : handicap.
|
|
Loi du 2 août 1989
|
Criminalisation : communication d'une information
privilégiée
|
|
Loi du 12 juillet 1990
|
Extension des motifs répréhensibles de
discriminations : état de santé.
|
|
Loi du13 juillet 1990
|
Criminalisation : propos négationnistes.
|
|
Loi du 4 janvier 1991
|
Pénalisation : droit de la concurrence (marques de
fabrique, de commerce ou de service.).
|
|
Loi du 10 janvier 1991
|
Pénalisation de la publicité en faveur du tabac et
de l'alcool.
|
|
Loi du 30 décembre 1991 (quelque peu modifiée par
une loi du 16 juillet 1992).
|
|
Décriminalisation : émission de chèques
sans provision.
|
Loi du 18 janvier 1992
|
Renforcement de la protection des consommateurs.
|
|
4 lois du 22 juillet 1992 (réforme du Code pénal de
1994)
|
Responsabilité des personnes morales.
Criminalisations : abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la
situation de faiblesse, tortures et actes de barbarie, entrave aux mesures
d'assistance, provocation des mineurs à la mendicité ou à
l'alcoolisme, organisation de groupements aux fins de trafic de
stupéfiants, de nouvelles hypothèses de discriminations (et
augmentation des peines), crime de terrorisme écologique,
harcèlement sexuel, conditions de travail et d'hébergement
contraires à la dignité humaine, délit de mise en
danger.
|
Décriminalisations :vagabondage, mendicité,
certains petits délits contre la chose publique, détention de
fausse monnaie, contre façon de clé, délits d'abandon de
femme enceinte ou d'abandon de foyer.
|
Loi du 27 janvier 1993
|
Criminalisation : entrave à l'IVG.
|
Décriminalisation de l'auto-avortement.
|
Loi du 24 août 1993
|
Pénalisation de l'immigration clandestine.
|
|
2 lois du 29 juillet 1994
|
Criminalisations : bioéthique.
|
|
Loi du 13 mai 1996.
|
Pénalisation du blanchiment d'argent.
|
|
Loi du 24 avril 1997
|
Pénalisation de l'immigration clandestine.
|
|
Loi du 11 mai 1998
|
Pénalisation de l'immigration clandestine.
|
|
Loi du 17 juin 1998
|
Elargissement du champ d'application du harcèlement
sexuel.
|
|
Loi du 10 juillet 2000
|
|
Dépénalisation partielle des infractions non
intentionnelles.
|
Loi du 15 mai 2001
|
|
Décriminalisation de vingt délits relatifs aux
sociétés commerciales (délits contenus dans la loi du
24juillet 1966 à l'origine de nombreuses criminalisations en la
matière).
|
Loi du 12 juin 2001
|
Criminalisations: promotion en faveur des mouvements sectaires et
manipulation mentale. Extension de la responsabilité pénale des
personnes morales.
Aggravation des peines : conduite malgré un permis
invalidé, commercialisation des kits de débridage et des
détecteurs de radars.
|
|
Loi du 4 juillet 2001
|
Aggravation des peines : entrave à l'IVG.
|
|
Loi du 15 novembre 2001
|
Pénalisation en matière boursière et
informatique.
|
|
Loi du 15 novembre 2001
|
Aggravation des peines : atteinte sexuelle sur un mineur et
proxénétisme simple.
Pénalisation des « rave party ».
|
|
Loi du 16 novembre 2001
|
Extension des motifs répréhensibles de
discriminations : apparence physique, patronyme, orientation sexuelle et
âge.
Extension du champ d'application des discriminations
répréhensibles.
|
|
Décret du 23 novembre 2001
|
Aggravation des peines : distances de sécurité
entre deux véhicules.
|
|
Loi du 11 janvier 2002
|
Elargissement du champ d'application du harcèlement
sexuel.
|
|
Loi du 17 janvier 2002
|
Criminalisation : harcèlement moral.
|
|
Loi du 4 mars 2002
|
Criminalisations : proxénétisme des mineurs et
recours à la prostitution d'un mineur (tourisme sexuel).
|
|
Loi du 4 mars 2002
|
Extension des motifs répréhensibles de
discriminations : caractéristiques génétiques.
|
|
Loi du 3 février 2003
|
Pénalisation de certaines infractions à
caractère raciste, antisémite ou xénophobe.
|
|
Loi du 3 février 2003
|
Criminalisation : conduite après usage de
stupéfiants.
|
|
Loi du 18 mars 2003.
|
Aggravation des peines : conditions de travail et
d'hébergement contraires à la dignité humaine.
Correctionnalisation :racolage passif.
Criminalisations : recours à la prostitution des
personnes particulièrement vulnérables, exploitation de la
mendicité d'autrui, traite des êtres humains, demande fonds sous
contrainte, occupation illégale de terrain, attroupements portant
atteinte à la liberté de circulation dans les parties communes
d'immeubles.
Pénalisation des infractions sexuelles motivées par
un mobile xénophobe.
|
|
Décret du 31 mars 2003
|
Criminalisation : usage du téléphone portable
au volant.
Aggravation des peines : absence de port de la ceinture de
sécurité.
|
|
Loi du 12 juin 2003
|
Aggravation des peines : infractions non intentionnelles
commises dans le cadre de la circulation routière.
|
|
Décret du 11 juillet 2003
|
Aggravation des peines : circulation en dehors de la
chaussée ou sur une voie de circulation réservée à
d'autres catégories de véhicules, stationnement sur un
emplacement réservé aux personnes handicapées ou aux
grands invalides.
|
|
2 lois du 1er août 2003
|
|
Décriminalisations en droit des sociétés
commerciales.
|
Loi du 26 août 2003
|
Aggravation des peines : aide à l'entrée et au
séjour irréguliers, emploi d'un étranger démuni
d'autorisation de travail.
Criminalisations : mariage de complaisance, travail d'un
étranger sans autorisation.
|
|
Loi du 9 mars 2004
|
Aggravation des peines : discriminations.
Extension de la liste des infractions à caractère
raciste, antisémite ou xénophobe pénalisées.
Pénalisation de la conduite sans permis.
Généralisation de la responsabilité
pénale des personnes morales (entrée en vigueur : 31
décembre 2005).
|
|
Ordonnance du 25 mars 2004
|
|
Décriminalisations en droit des sociétés
commerciales.
|
Loi du 21 juin 2004
|
Criminalisalisation de la fourniture de
moyens dans le dessein de commettre
les infractions spécifiques contre les
biens en matière informatique.
Aggravation des peines pour ces mêmes infractions.
|
|
Ordonnance du 24 juin 2004
|
|
Décriminalisations en droit des sociétés
commerciales.
|
Loi du 6 août 2004
|
Aggravations des peines et criminalisations en matière de
bioéthique.
|
|
Loi du 22 avril 2005
|
|
Dépénalisation partielle de l'euthanasie.
|
Table des matières
Remerciements
1
Sommaire
2
Liste des abréviations
3
Liste des abréviations
3
Introduction
4
Partie I - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation en fonction de la
qualité de l'auteur ou de la victime.
17
Section I - Le processus de pénalisation,
consacré à la protection de catégories de victimes
déterminées.
17
§ 1 - La protection des personnes
particulièrement vulnérables, archétype de
l'émergence d'un droit pénal catégoriel.
17
A - La criminalisation de l'abus frauduleux de la
vulnérabilité d'autrui et la lutte contre les mouvements
sectaires.
18
B - La lutte contre le trafic d'êtres
humains.
24
§ 2 - La pénalisation des atteintes
à la respectabilité d'autrui.
29
A - La criminalisation des harcèlements.
29
B - La criminalisation des discriminations :
la volonté d'assurer l'égalité dans un contexte
d'éclatement de la société.
33
Section II - Le processus de
dépénalisation au profit d'auteurs déterminés.
37
§ 1 - La récente
dépénalisation des infractions non intentionnelles
opérée en faveur des titulaires d'un pouvoir
décisionnel.
37
A - Le double processus de flux et de reflux du
droit pénal relatif aux fonctions de décideur public.
37
B - Les incidences de la
dépénalisation partielle des fautes non intentionnelles sur la
responsabilité pénale des chefs d'entreprise.
43
§ 2 - La dépénalisation en
matière de moeurs, vecteur d'intégration sociale de personnes
déterminées : les femmes et les homosexuels.
44
A - La décriminalisation de l'IVG et de
l'adultère.
45
B - La décriminalisation de
l'homosexualité :
47
Partie II - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation dans une finalité
d'adaptation du droit.
49
Section I - La pénalisation au service de
politiques publiques.
49
§ 1 - Le recours au droit pénal pour
des impératifs de santé publique.
49
A - La réponse pénale
favorisée en matière de consommation de produits dangereux pour
la santé.
49
B - L'actuelle rationalisation de la
répression des pratiques euthanasiques :
57
§ 2 - La pénalisation : un
instrument au service de la lutte
contre « l'insécurité
routière ».
63
A - La pénalisation par la création
de nouvelles incriminations : criminalisations ou spécialisation de
la répression ?
64
B - L'accentuation de la répression relative
aux incriminations existantes.
68
Section II - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation dans une finalité
d'adaptation du droit aux évolutions de la société.
69
§ 1 - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation en droit des affaires.
70
A - La pénalisation croissante du droit des
affaires depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale.
70
B - Le récent processus de
dépénalisation en droit des affaires.
73
§ 2- Le recours au droit pénal pour
cadrer les évolutions techniques.
75
A - Le mouvement de pénalisation
caractérisée en matière d'éthique
biomédicale.
76
B - La création d'un droit pénal de
l'informatique
79
Partie III - Le double mouvement de
pénalisation, dépénalisation face à l'encombrement
du système pénal.
83
Section I - La logique pragmatique du processus de
dépénalisation au service de l'économie du système
pénal.
83
§ 1 - Dépénalisation et
décriminalisation au service de l'économie du système
pénal.
83
A - Le mouvement de dépénalisation en
matière de circulation routière dans les années 1980.
84
B - La décriminalisation de
l'émission de chèques sans provision.
85
§ 2 - Dépénalisation de fait et
développement des alternatives aux poursuites : des instruments de
gestion de contentieux de masse.
88
A - La dépénalisation de fait de
l'usage de cannabis.
88
B- La dépénalisation de fait
d'infractions courantes : l'exemple du vol simple.
92
Section II - La fièvre législative ou
la pénalisation comme remède apparent aux maux de la
société.
95
§ 1- Le récent processus de
pénalisation de la précarité.
95
A - La pénalisation de la
précarité, réponse à la montée du sentiment
d'insécurité
95
B - Teneur de la pénalisation de la
précarité par loi du 18 mars 2003 pour la sécurité
intérieure.
97
§ 2 - Les politiques de pénalisation de
l'immigration clandestine.
101
A - Bref rappel des politiques récentes de
lutte contre l'immigration clandestine et du contexte antérieur à
la loi du 26 novembre 2003.
101
B - La loi du 26 novembre 2003 relative à la
maîtrise de l'immigration : une pénalisation accrue de
l'immigration clandestine.
102
Conclusion générale
105
Bibliographie
110
Annexes
117
Table des matières
122
* 1 GIROT.M., La
dépénalisation, un instrument au service du droit
pénal, thèse, Poitiers, 1994 pp.3 à 7.
* 2 Ibid., pp.3 à
7.
* 3 Selon DURKHEIM E., les
valeurs d'un groupe ne sont pas immuables et la bonne santé sociale
commande aux états forts de la conscience collective
d'évoluer.
* 4 COQUIN C., Le concept
de proportionnalité en droit pénal, thèse, Poitiers,
2001, p.7.
* 5 GIROT M., la
dépénalisation ,un instrument au service du droit
pénal, op.cit,p.7.
* 6,GIROT M. la
dépénalisation ,un instrument au service du droit
pénal, op.cit, p.7.
* 7 VAN DE KERCHOVE.M.,
Le droit sans peine, aspects de la dépénalisation en Belgique
et aux USA , Publication des Facultés universitaires Saint
Louis, Bruxelles, 1987, p.303.
* 8 En ce sens, CORNU G.,
Vocabulaire juridique - Ass.CAPITANT H. (dir.CORNU G.), 7eme Ed, PUF,
1998, v. Criminalisation.
* 9 LECLERCQ J.,
Variations sur le thème
pénalisation/dépénalisation, RDPC, 1978, p.807.
* 10 VAN DE KERCHOVE M.,
«Médicalisation» et «fiscalisation» du droit
pénal: deux versions asymétriques de la
dépénalisation, Déviance et société,
Genève, 1981, vol.5, n°1, pp.1-23.
* 11 DEMAS-MARTY M.,
Modèles et mouvements de politique criminelle, Paris, 1983,
pp.160 et 170 ; même auteur, Permanence, dérive du
modèle libéral de politique criminelle, APC, 1983, n°6,
pp.41 et 49.
* 12 PRADEL J., Droit
pénal général, introduction
générale,8eme Ed, Cujas, Paris, 1992,n°10, pp.25 et
s.
* 13 LEVASSEUR G., Le
problème de la dépénalisation, APC, 1983,n°6,
pp.56-57.
* 14CONSEIL DE L'EUROPE,
Comité européen pour les problèmes criminels, Rapport
sur la décriminalisation, Strasbourg,1980, p.13.
* 15 Le terme de
dépénalisation apparaît par exemple dans la table des
matières de la 8eme édition du manuel de STEFANI G. et LEVASSEUR
G., Droit pénal général, 8eme Ed, Dalloz,
Précis, 1975.
* 16 Distinction
opérée par GIROT M. dans sa thèse, déjà
citée, pp.18 et s.
* 17 CONSEIL DE
L `EUROPE, Comité européen pour les problèmes
criminels, op.cit, p.15.
* 18 CORNIL P. in Actes
du colloque sur la décriminalisation à Bellagio, 7 et 12 mai
1973, RDPC,1973-1974, p.268.
* 19 LEVASSEUR G., Le
problème de la dépénalisation, op. cit. pp.56-57.
* 20 PRADEL J., Droit
pénal général, op.cit, n°10, pp.25 et s.
* 21 DEMAS-MARTY M.,
Modèles et mouvements de politique criminelle
,op.cit, pp.279 et s.
* 22 Commission pour la
réforme du code pénal belge in Rapport, Bruxelles, 1979,
p.30.
* 23 LEVASSEUR G., le
problème de la dépénalisation, op.cit, p.53.
* 24 LECLERCQ J.,
Variations sur le thème
pénalisation/dépénalisation, op.cit, p.807.
* 25 VAN DE KERCHOVE M.,
Le droit sans peine, aspects de la dépénalisation en Belgique
et aux USA,op.cit, pp.317 et s.
* 26 SAUTEL O., Le
double mouvement de dépénalisation et de pénalisation dans
le nouveau code pénal, thèse, Montpellier I, 2 vol, 1998.
* 27Bien qu'il n'existe pas
de réel consensus relatif à cette notion, le droit pénal
« moderne » débute à partir du positivisme
scientifique, puis avec SALEILLES et La Défense sociale nouvelle.
* 28 On parle de droit
pénal « classique » pour la période qui part
de la révolution française et qui s'achève à la fin
du XIX ème siècle.
* 29 COUVRAT P., La
réforme du Code pénal, Regards sur l'actualité (La
Documentation française), février 1993, p.34.
* 30 Pour le viol, la
répression passe de 10 à 15 ans de réclusion criminelle,
non pas pour des impératifs de politique criminelle, mais pour une
raison purement technique : préserver la qualification criminelle
du viol consécutivement à la mise en place d'une nouvelle
frontière entre délits et crimes.
* 31 Les tortures et actes
de barbarie, jusqu'alors uniquement envisagées comme circonstance
aggravante de certaines infractions, deviennent désormais une infraction
distincte punie de peines criminelles.
* 32 COUVRAT P., Les
infractions contre les personnes dans le nouveau code pénal, RSC
1993, p.474.
* 33 DESPORTES F.,
Présentation des dispositions du nouveau Code pénal (lois
n°92-683 à 92-686 du 22 juillet 1992), JCP 1992, I, 3615,
p.422.
* 34 Cette innovation fait
suite à une décision du Conseil constitutionnel du 28 novembre
1973, à l'occasion de laquelle le Conseil a affirmé le
caractère inconstitutionnel de l'édiction, par le pouvoir
réglementaire, d'incriminations assorties de peines privatives de
liberté.
* 35 Pour une approche plus
approfondie sur les différentes dispositions opérant
pénalisation ou dépénalisation dans le nouveau Code
pénal, v. AL BCHERAOUI D., Du caractère plus doux ou plus
sévère de certaines dispositions du nouveau Code pénal
,JCP 1994, I, 3767.
* 36 En outre, le montant de
l'amende pouvait être porté au quart des restitutions et des
dommages et intérêts.
* 37 Cette loi a
également élevé le montant de l'amende encourue au titre
de l'abus de confiance à 5 000 000F (article 408 ACP).
* 38 La
déstabilisation mentale est une technique utilisée à la
fois pour le recrutement des adeptes et pour que soit rendu possible le
maintien d'un état d'assujettissement total, nécessaire à
la pérennité de l'engagement dans le mouvement.
* 39 DORSNER -DOLIVET A.,
La loi sur les sectes,D.2002, chr.1086, pp.1089 à 1091.
* 40 HUYETTE M., Les
sectes et la protection judiciaire des mineurs, D.1996, chr.271.
* 41
Dissolution également au civil, grâce aux articles 3 et 7 de la
loi du 1er juillet 1901 et à l'article 18 de la loi du 9
décembre 1905, sans oublier l'article 6 du Code civil lorsque les
mouvements sectaires se présentent sous la forme de
sociétés.
* 42Ainsi, au 31 juillet
1999, seulement 250 procédures pénales relatives aux mouvements
sectaires étaient en cours. Elles se répartissaient 134
enquêtes préliminaires - parmi lesquelles, en décembre
1999, 53 ont été classées sans suite, 58 étaient en
cours, 11 ont fait l'objet d'une décision de relaxe et 12 d'une
condamnation - et 116 informations judiciaires - dont 77 étaient
à la même époque en cours, 10 avaient fait l'objet d'un non
lieu, 1 d'une extinction de l'action pour décès du mis examen, 2
ont fait l'objet d'une décision de relaxe et 25 seulement d'une
décision de condamnation. Quant à la procédure de
dissolution, elle a été utilisée de manière
rarissime.
Chiffres cités par le rapport n° 131 fait au
Sénat au nom de la commission des lois, J.O Sénat, session
1999-2000.
* 43 Les sectes en
France, rapport n°2468 (22 déc.1995) ; Les sectes et
l'argent, rapport n°1687 (10 juin 1999).
* 44 LAZERGES C., De la
fonction déclarative de la loi pénale, RSC 2004, pp.194
à 202.
* 45DORSNER -DOLIVET A.,
La loi n°2001-504 du 12 juin 2001 relative aux sectes, JCP 2001,
Actu.48, (pour un aperçu rapide da la loi du 12 juin 2001).
* 46 Le nouvel article
223-15-2 reprend l'essentiel des dispositions de l'ancien article 313-4, sauf
à considérer que la vulnérabilité doit à la
fois être apparente et connue de l'auteur alors qu'auparavant, une seule
de ces qualités suffisait. De plus, il punit de peines principales
identiques à l'infraction d'origine : 3 ans d'emprisonnement et 2
500 000F d'amende (375 000 €).
* 47 L'expression
« manipulation mentale » qui est purement doctrinale et qui
ne figure pas dans le Code pénal sera ici employée par
commodité.
* 48 DORSNER -DOLIVET A.,
La loi sur les sectes,D.2002, chr.1086., p.1094.
* 49 Loi n°92-634 du 22
juillet 1992.
* 50 LICARY S., Des
conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine
résultant d'un abus de la situation de vulnérabilité ou de
dépendance de la victime, RSC 2001, pp. 553 à 569.
* 51 Loi n°2003-239 du
18 mars 2003 « pour la sécurité
intérieure ».
* 52 Les peines encourues au
titre des articles 225-13 et 225-14 passent à 5 ans d'emprisonnement et
150 000 € d'amende. Les peines encourues au titre de l'article 225-15
passent à 7 ans et 200 000 € d'amende si les infractions ont
été commises, soit l'égard de plusieurs personnes
(alinéa 1), soit à l'égard d'un mineur (alinéa
2) ; lorsque les infractions ont été commise à
l'égard de plusieurs personnes parmi lesquelles figurent un ou plusieurs
mineurs, la peine culmine même à 10 ans d'emprisonnement et 300
000 € d'amende.
* 53 La loi n° 98-468
du 17 juin 1998 fait passer la répression des atteintes sexuelles sur
mineur commises sans circonstances aggravantes de 2 à 5 ans
d'emprisonnement et de 30 000 à 75 000 € d'amende (art.227-25 CP).
Pour un rapide aperçu du contenu de cette loi de 1998, v. LE GUNEHEC
F., Dispositions de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 renforçant
la prévention et la répression des infractions sexuelles JCP
1998, Act. n° 27, pp.1257 à 1260. Cette élévation des
pénalités est d'une certaine façon la conséquence
logique de l'élévation de 5 à 10 ans de l'emprisonnement
encouru pour les atteintes sexuelles commises sur un mineur avec une
circonstance aggravante, intervenue en 1995 (art.227-26 CP).
* 54 La loi n°2001-1062
du 15 novembre 2001 a fait passer les peines encourues au titre du
proxénétisme simple (article 225-5 CP), de 5 ans d'emprisonnement
et 150 000 € d'amende, à 7 ans d'emprisonnement et 150 000 €
d'amende.
* 55 Constat effectué
lors de la Conférence Internationale sur les disparitions et
l'exploitation sexuelle des enfants, Interpol, Lyon, décembre 1999.
* 56 Loi n°2002-305 du
4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.
* 57 OIPC-Interpol, Ass.
Gén., Budapest, 24-28 septembre 2001.
* 58 Ibid.
* 59 Concernant les
différentes législations nationales de lutte contre la traite des
êtres humains, v. DURSCH S., Le trafic d'êtres humains,
PUF, Coll. Criminalité internationale, 2002, pp.279 et s.
* 60 Loi n° 92-684 du
22 juillet 1992.
* 61 De plus, des colloques
et publications tendaient à convaincre de l'importance du
phénomène social que les instances communautaires prescrivaient
de pourchasser ; le texte le plus important est la recommandation de la
Commission en date du 27 novembre 1991 sur la protection de la
dignité des femmes et des hommes au travail à laquelle est
annexé un Code de pratique visant à combattre le
harcèlement sexuel.
* 62 Le délit de
harcèlement moral est puni d'1 an d'emprisonnement et de 15 000
€.d'amende.
* 63 Cette adjonction permit
de réprimer également les chantages à l'emploi, consistant
à faire de l'obtention de relations sexuelles la condition de celle de
l'emploi.
* 64 CONTE P., Une fleur
de légistique : le crime en boutons, A propos de la nouvelle
définition du harcèlement sexuel, JCP 2002, Act. 320.
* 65 La loi n'abandonne pas
la répression des abus d'autorité commis par les employeurs ou
les supérieurs hiérarchiques dans le but d'obtenir des faveurs de
nature sexuelle, mais ouvre cependant la répression à des
hypothèses d'initiatives séductrices qui s'avèrent
être l'expression légitime des penchants de chacun.
* 66 Sur les dérives
du système anglo-saxon pourtant à l'origine de la
répression du harcèlement sexuel, v. DEKEUWER - DEFOSSEZ F.,
Le harcèlement sexuel en droit français : discrimination
ou atteinte à la liberté, JCP 1993, I, 3662.
* 67 Au titre de l'article
26 alinéa 2 de la Charte sociale européenne, la France
s'était engagée à promouvoir la sensibilisation,
l'information et la prévention en matière d'actes condamnables ou
explicitement hostiles et offensifs dirigés de façon
répétée contre tout salarié sur le lieu de travail
ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure
appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels
comportements.
* 68 L'art. L.122-49 est une
incrimination complémentaire qui interdit toute sanction, tout
licenciement ou toute mesure discriminatoire prise à l'encontre d'un
salarié qui aurait refusé de subir des agissements de
harcèlement moral, en aurait témoigné ou les aurait
relaté.
* 69 Sur le concours
idéal de ces incriminations avec le délit de harcèlement
moral, v. MONTERO E., Le concept de harcèlement moral dans le Code
pénal et dans le Code du travail, RSC 2003, pp. 284-285.
* 70 BRILL J-P., La
lutte contre les discriminations raciales dans le cadre de l'article 416 du
Code pénal, RSC 1977, p. 35.
* 71 Tous les commentateurs
soulignèrent alors que cette loi avait eu pour objectif de lutter contre
les attitudes de rejet dont font l'objet les homosexuels, 5 ans à peine
après la dépénalisation relative à cette
orientation sexuelle.
* 72 Sur cette
dernière loi, v. VERON M., Le renforcement du dispositif
répressif contre les discriminations et le racisme. Présentation
des lois des 12 et 13 juillet 1990, Dr. pén. 1990, chr. 1. Cette
dernière loi s'est inscrite dans le débat relatif au traitement
des personnes atteintes du virus du S.I.D.A. dont la protection contre la
discrimination n'était pas pleinement assurée avant 1990.
* 73 Désormais,
l'ensemble de la carrière professionnelle, y compris le cas de formation
et de stage et non plus seulement l'embauche ou le licenciement, est
protégé contre les actes discriminatoires.
* 74 Il s'agit des
discriminations commises « à l'entrée
d'établissements accueillant du public ».
* 75 Les peines encourues
par les dépositaires de l'autorité publique ou en charge d'une
mission de service public, passe de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 €,
à 5 ans et 75 000 €.
* 76 BOURETTE M., Le
droit pénal face au racisme, Regards sur l'actualité (La
Documentation française), n° 305, novembre 2004, p.53.
* 77 Désormais, la
répression des propos racistes comprend quatre délits contenus
dans la loi sur la liberté de la presse : la provocation à
la discrimination ethnique, nationale, raciale ou religieuse (art.24, al.6), la
diffamation(art.32, al.2) et l'injure présentant les mêmes
caractères ainsi que les propos négationnistes (art.24 bis). Il
existe également trois contraventions qui sanctionnent les propos
racistes non publics : les injures raciales art.R.624-4 CP), la
diffamation raciale (art.R.624-3 CP) qui sont des contraventions de
4e classe, et la provocation à la discrimination, à la
haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes
(art.R.625-7 CP) qui est une contravention de 5e classe.
* 78 La loi du 9 mars 2004
porte le délai de prescription des infractions de presse à
caractère raciste, de 3 mois à 1 an. Par ailleurs, la
pénalisation des propos racistes a fait l'objet d'une extension de son
domaine au mode d'Internet par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la
confiance dans l'économie numérique.
* 79 Pierre LELLOUCHE a
lui-même dénoncé le fait que cette loi
« n'était pas appliquée », mettant en avant
le très faible nombre de procédures pour les quelles la
circonstance aggravante avait été retenue par les parquets :
v. LELLOUCHE P., Une loi tragiquement inappliquée, Le Monde, 15
juin 2004.
* 80 La démocratie
d'imputation est fondée sur la dénonciation des
responsabilités individuelleS et la stigmatisation des personnes.
ROSANVALLON P., Le peuple introuvable, histoire de la représentation
démocratique en France, Ed. Gallimard, 1998, Paris, p.332.
* 81 PONTIER J-M., La
responsabilité des élus locaux, RA, n°293, 1996,
p.36.
* 82 PORTELLI H., SIRINELLI
J-F., La majorité et l'opposition, RD publ., 1998, n°5-6,
pp.1640-1648.
* 83 STECKEL M-C.,
Plaidoyer pour une « dépénalisation »
des fautes non intentionnelles des élus locaux, Rev. jur. Dr.
Prosp., 2002, I, p.428 et pp.432-433.
* 84 Selon l'article 6 de la
D.D.H.C. du 26 août 1789, « Tous les citoyens, étant
égaux à ses yeux, sont également admissibles à
toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité
et sans autre distinction que celles de leur vertus et de leurs
talents ».
* 85 Loi n°96-393 du 13
mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des
faits d'imprudence ou de négligence, J.O., 14 mai 1996, p.7211.
* 86 Loi n°2000-647 du
10 juillet relative à la définition des délits non
intentionnels, J.O, 11 juillet 2000, p.10483.
* 87 MAYAUD Y., Retour
sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal à
propos de la loi n°2000-6470 du 10 juillet 2000, D.2000,
n°40,pp.603-604 et 606.
* 88 MASSOT J
(prés.), Groupe d'étude sur la responsabilité
pénale des décideurs publics, Rapport remis au Garde des
Sceaux le 16 décembre 1999,op.cit. p.36.Rapport publié
à La Documentation française, 2000.
* 89 MASSOT J., Groupe
d'étude sur la responsabilité pénale des
décideurs publics, op.cit, p.22.
* 90 PRADEL J., Droit
pénal général, Cujas, Paris, 2000, n°518,
p.451.
* 91 V. not. J.O,
déb.Sén.2000, pp.4095, 4097, 4102, 4492; J.O, déb.
AN,2000, 6218, 6220.
* 92 DESPORTE F., La
responsabilité pénale en matière d'infractions non
intentionnelles .La loi du 10 juillet 2000 devant la Chambre criminelle,
http://www.courdecassation.fr,
v. également STEINLE-FEUERBACH M-F., A la loupe :les
délits non intentionnels au regard de la loi du 10 juillet 2000,
Journal des Accidents et des Catastrophes, http://www.iutcolmar.uha.fr
* 93 RUET C., La
responsabilité pénale pour faute d'imprudence après la loi
n°2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la
définition des délits non intentionnels ; PRADEL
J., Droit pénal général, Cujas, Paris, 2000,
n°518,p.451.
* 94 En cas
d'adultère, le femme encourait une peine de 3 mois à 2 ans
d'emprisonnement (art.337 ACP). Le mari infidèle
bénéficiait quant à lui d'une mansuétude du
législateur tant au niveau du champ d'application de l'adultère
dont il pouvait se rendre coupable, qu'au niveau des sanctions qu'il encourait
pour un tel manquement : en effet, le mari ne tombait sous le coup de la
répression que s'il avait entretenu une concubine au domicile conjugal
et il n'encourait qu'une amende de 360 à 7200 F (art.339 ACP).
* 95 Il faut cependant noter
qu'une hypothèse d'adultère est toujours en vigueur : celle
qui résulte de l'article 1er de la loi du 23 décembre
1942 tendant à protéger la dignité du foyer loin duquel
l'époux est retenu par la suite de circonstances de guerre.
* 96 PRADEL J. et DANTI-JUAN
M., Droit pénal spécial, Cujas, 2e Ed., 2001,
n° 31, p. 51.
* 97 Les femmes
aisées peuvent aller se faire avorter à l'étranger dans
des conditions sanitaires souvent correctes et les femmes plus pauvres, doivent
quant à elle recourir en France, à des praticiens sans
compétences médicales.
* 98 Sur les arguments
invoqués contre la dépénalisation de l'IVG lors du
débat relatif à cette dernière, v. MAYER D., De
quelques aspects de la dépénalisation actuelle en France :
en matière de moeurs, RSC 1989, pp.446-447.
* 99 L'alinéa 3 de
l'article 223-12 incrimine cependant « le fait de fournir à la
femme, les moyens matériels de pratiquer l'IVG
elle-même ».
* 100 Les peines passent de
2 ans d'emprisonnement et 30 000 F d'amende, à 2 ans et 30 000 €.
* 101 Conseil
constitutionnel, 19 décembre 1980, déc. N° 80-125, J.O 1980,
p. 3005.
* 102 Loi du 12 juillet
1916, JO, 14 juillet 1996.
* 103 Décret-loi du
29 juillet 1939, JO, 30 juillet 1939.
* 104 Circulaire
n°52-10 du 19 février 1952 sur La répressions des
infractions en matière de stupéfiants.
* 105 SIMMAT-DURAND L.,
La lutte contre la toxicomanie, De la législation à la
réglementation, L'Harmattan, coll. Logiques sociales, 2001,
p.25.
* 106 Convention
internationale de l'opium, Société des Nations, Recueil des
traités, pp.188 et s.
* 107 « Les
parties, soucieuses de la santé physique et morale de
l'humanité ;... Reconnaissant que la toxicomanie est un
fléau pour l'individu et constitue un danger économique et social
pour l'humanité... ».
* 108 Circulaire 69F.389 du
20 octobre 1969 ; objet : Affaires de stupéfiants.
* 109 Circulaire Justice
69F.389 du 15 décembre 1969 ; objet : Trafic et usage
illicite de stupéfiants.
* 110 Même circulaire
du 15 décembre 1969.
* 111 « Il a
été décidé de mettre en oeuvre,
immédiatement, un certain nombre de mesures dont l'application
préfigurera l'organisation spécifique
envisagée », Circulaire DGS/1394/MS1 du 15 décembre
1969, Lutte contre la toxicomanie, p.2.
* 112 Loi n°70-1320 du
31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires contre la toxicomanie
et à la répression du trafic et de l'usage illicite des
substances vénéneuses, JO du 3 janvier 1971, p.74.
* 113 Ce point de vue
était celui de la Commission culturelle, v. BERNAT DE CELIS J.,
Fallait-il créer un délit d'usage illicite de
stupéfiants ?, CESDIP, 1992, n°54, p.40.
* 114 Proposition de loi de
M.MAZEAUD, député, Documents de l'Assemblée nationale,
Première session ordinaire de 1969-1970, séance du 15 octobre
1969.
* 115 Proposition de loi de
M.WEBER, député, Séance du 5 novembre 1969.
* 116 Rapport
supplémentaire 1330, annexe au procès verbal du 26 juin 1970, mis
en distribution le 29 juin 1970.
* 117 Sur ce contexte, v.
BERNAT DE CELIS J Fallait-il créer un délit d'usage illicite
de stupéfiants ?, CESDIP, 1992, n°54, pp.46 à
53.
* 118 Pour une description
précise de l'incrimination de l'article L.628 CSP, v. . BERNAT DE CELIS
J Fallait-il créer un délit d'usage illicite de
stupéfiants ?, CESDIP, 1992, n°54.
* 119 Ordonnance
n°200-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative
du CSP (D.2000.279).
* 120 Loi n°76-616 du
9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, JO
« Lois et décrets », 10 juillet 1976.
* 121 Loi n°91-32 du
10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcool,
JO.12 janvier 1991.
* 122 ROBERT J-H.,
Cachez ce vin que je ne saurai boire !, Dr.pén., mars
1991, p.2.
* 123 ROBERT J-H.,
L'interdiction de la publicité en faveur du tabac selon la loi du
10 janvier 1991, Dr.pén., juin 1991,p.1.
* 124 Une activité
est parrainée quand ceux qui s'y livrent s'engagent, contre argent,
à promouvoir le nom ou la marque d'une entreprise dite le parrain ou le
sponsor.
* 125 L'euthanasie active
est l'acte par lequel il est délibérément mis fin aux
jours d'un individu, sur sa demande, par une action positive, telle que
l'injection d'une substance létale.
* 126 L'euthanasie passive
consiste dans l'interruption des techniques de suppléances vitales
(ventilation assistée, dialyse).
* 127 En cas de suicide
médicalement assisté, le médecin se contente de fournir
à son malade les moyens de mettre fin à ses jours, sa
participation ne va pas au delà.
* 128 Sur ces deux
positions et leurs arguments, v. ANDRE C., Euthanasie et droit
pénal : la loi peut-elle définir l'exception ?,
RSC, janvier-mars 2004, p.45.
* 129 Sur ces
différentes législations étrangères, v. Anonyme,
Pour la dépénalisation de l'euthanasie. Entretien avec HENRI
CAVAILLET (ancien ministre, membre honoraire du parlement, président de
l'association pour le droit de mourir dans la dignité), Regard sur
l'actualité (La Documentation française), mars 2004, n°299,
pp.77-78.
* 130 Toulouse 9 août
1973, D.1974, p.452.
* 131 La
responsabilité pénale du médecin dans l'affaire VINCENT
HUMBERT a toutefois été engagée sur le fondement de
l'empoisonnement avec préméditation, passible de la
réclusion criminelle à perpétuité.
* 132 Crim. 3 janvier 1973,
bull. crim. n°2, p.4.
* 133 Crim. 19
février 1997, D.1998, p.236, note LEGROS B.
* 134 V. entre
autres : MERLES R. et VITU A., Traité de droit criminel,
Ed. Cujas, 1982, tome 2, p.1366 ; HENNETTE S., L'euthanasie est-elle
pensable en droit ?, Les Cahiers de la sécurité
intérieure. 1997, p.150.
* 135 GIRAULT C., Le
droit à l'épreuve des pratiques euthanasiques, PUAM, 2002,
n°786, p.387.
* 136 La plupart des
minima ont disparu, sauf en matière criminelle où
l'article 132-18 CP précise que lorsque la réclusion criminelle
à perpétuité est encourue, la peine d'emprisonnement ne
peut être inférieure à 2 ans.
* 137 Ainsi, le 11 mars
1998, la Cour d'assises d'Ille-et-Vilaine a condamné à 5 ans
d'emprisonnement avec sursis un jeune homme qui avait étouffé sa
grand mère devenue grabataire et sénile, v. Libération, 13
mars 1998.
* 138 L'avant-projet de
réforme du Code pénal prévoyait la création d'un
crime d'euthanasie, défini comme « le fait de mettre fin
à la vie d'une personne menacée d'une mort prochaine et
inévitable dans le but d'abréger ses souffrances et sur sa
demande sérieuse, insistante et
répétée ». Sur ce point, v. ANDRE C.,
Euthanasie et droit pénal : la loi peut-elle définir
l'exception ?, RSC, janvier-mars 2004, pp.60-61.
* 139 L'analyse suivante
ressort de l'étude de l'avis du Comité menée par ANDRE
C.,, in Euthanasie et droit pénal : la loi peut-elle
définir l'exception ?, RSC, janvier-mars 2004, pp.47 à
50.
* 140 Telle est en tout cas
la conclusion qui ressort de la lecture de l'avis selon
lequel « le juge resterait bien entendu maître de la
situation ».
* 141 Loi n°2005-370
du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (JO,
23 avril 2005, p.7089).
* 142 Article L.1110-5 al.2
CSP (article 1 de la loi).
* 143 Article L.1111-11 CSP
(article 7 de la loi).
* 144 Article L.1110-5
dernier al. CSP (article 2 de la loi).
* 145 Article L.1111-10 CSP
(article 6 de la loi).
* 146 Article L.1111-4 CSP
(article 5 de la loi).
* 147 Article L.1111-13 CSP
(article 9 de la loi).
* 148 Article L.1111-12 CSP
(article 8 de la loi).
* 149 La loi n°87-519
du 10 juillet 1987 renforçant la lutte contre l'alcool au volant, JO 12
juillet 1987, p.7827.
* 150 Article L.1 code de
la route ; article L.234-1 nouveau Code de la route.
* 151 Article L.2 code de
la route ; article L.231-1 nouveau Code de la route.
* 152 Par exemple, la
conduite d'un véhicule sans être titulaire du permis de conduire
correspondant à la catégorie du véhicule, passe d'un
emprisonnement d'1 mois à 6 mois et 500F à 20 000F d'amende,
à 2 mois à 2 ans d'emprisonnement et 2000 à 30 000F
d'amende.
* 153 Loi n°2002-1062
du 6 août 2002, JO, 9 août 2002, p.13647.
* 154 Loi n°20003-95
du 3 février 2003, JO, 4 février 2003, p.2103.
* 155 La peine passe
même à 3 ans d'emprisonnement et 9000 € d'amende si le
conducteur est également sous l'empire d'un état alcoolique.
* 156 En ce sens, PIRE
E., Conduite automobile et usage de stupéfiants : à trop
vouloir en faire..., D.2003, point de vue, p.771.
* 157 3 774 condamnations
en 1996 et 234 279 en 2002.
* 158 Selon cet
article : « tout conducteur doit se tenir constamment en
état et en position d'exécuter commodément et sans
délai toutes les manoeuvres qui lui incombent », sous peine
d'une amende prévue pour les contraventions de seconde classe, soit un
maximum de 150 €.
* 159 Décret
n°2003-293 du 31 mars 2003, JO, 1er avril 2003, p.5702.
* 160 Loi n°2004-204
du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, D.2004, 737.
* 161 Loi n°2003-495
du 12 juin 2003, JO, 13 juin 2003, p.9943.
* 162 GUEDON J-P., Les
efforts du législateur contre la violence routière,
JCP.2003, doctr., p.2077.
* 163 Alors que l'homicide
involontaire de l'article 221-6 CP est lui, puni de 3 ans d'emprisonnement et
45 000 € d'amende.
* 164 Le même
comportement hors contexte routier n'encourt quant à lui que 2 ans
d'emprisonnement et 30 000 € d'amende (article 222-19 CP).
* 165 De telles atteintes
à l'intégrité physique d'autrui, lorsqu'elles ne sont pas
commises dans le contexte routier, constituent une simple contravention de
5e classe (1500 € d'amende, article R-625-1 CP). Il faut noter
que la répression est en revanche uniforme s'il ne résulte pas
d'ITT du comportement incriminé : qu'on se situe ou non dans le
contexte routier, l'infraction est une contravention de 2e classe
(150 € d'amende).
* 166 JOAN 20 mars 2003,
p.2234. Un article 223-11 CP aurait puni de façon
générale « l'interruption de la grossesse sans le
consentement de l'intéressée, causée (...) par maladresse,
imprudence, inattention, négligence ou manquement à une
obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou
le règlement », les peines d'1 an d'emprisonnement et 15 000
€ d'amende étant portées, selon l'article 223-12, à 2
ans et 30 000 € si l'auteur de l'infraction est un
conducteur (six circonstances aggravantes portant les peines à 3 ans et
45 000 €).
* 167 En ce sens, GUEDON
J-P., Les efforts du législateur contre la violence routière,
JCP.2003, doctr., p.2079.
* 168 Décret
n°2001-1127 du 23 novembre 2001, JO, 30 novembre 2001, p.19 040.
* 169 De plus, la loi
n°2002-3 du 3 janvier 2002 (JO, 4 janvier 2002, p.215) punit de 6 mois
d'emprisonnement et de 3750 € d'amende tout conducteur qui,
« dans un tunnel, ne respecte pas la distance de
sécurité suffisante entre deux véhicules (...) et qui
commet la même infraction dans un délai d'un an à compter
de la date à laquelle cette condamnation est devenue
définitive » (article L.412-2, Code de la route).
* 170 En outre, le nombre
de points perdus de plein droit passe de un à trois (il en va de
même pour l'absence de casque, article R.431-1, Code de la route).
* 171 Article R.317-29,
Code de la route, abrogé , article L.317-5 du même code.
* 172 Article R.413-5 Code
de la route.
* 173O.N.I.S.R,
L'accidentologie générale, la synthèse
générale de l'année 2004,
www.securiteroutiere.equipement.gouv.fr,
(site consulté fin juillet 2005).
* 174 Ces ordonnances de
1945 ont d'ailleurs été suivies de la célèbre loi
du 30 août instituant l'interdiction générale d'exercer une
profession industrielle ou commerciale.
* 175 La création du
Conseil de la concurrence emporte un transfert du pouvoir de sanction vers
cette autorité administrative indépendante et ne constitue pas
une dépénalisation. en vertu de la typologie d'acceptions
adoptée dans le cadre de cette étude.
* 176 La
responsabilité pénale des personnes morales qui a bien entendu
des implications dans d'autres branches du droit pénal, obéissait
à son origine au principe de spécialité et a d'ailleurs
fait l'objet d'une extension successive de son champ d'application qui va
déboucher sur le principe de généralité dont
l'entrée en vigueur est programmée pour le 31 décembre
2005 en vertu de l'article 54 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004
« portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité » (J.O, 10 mars 2004).
* 177 En ce sens, v.
CALAIS-AULOY M-TH., La dépénalisation en droit pénal
des affaires, D.1988, chr, p.315.
* 178 Sur cette loi du 25
janvier 1985 et la dépénalisation qui en découle, v.
DERRIDA F., La dépénalisation dans la loi du 25 janvier 1985
relative au redressement et à la liquidation judiciaires des
entreprises, RSC 1989, p.663.
* 179 BOULOC B., La
liberté et le droit pénal, Rev. Sociétés 1989.
377, p.379.
* 180 DELMAS-MARTY M. et
GIUDICELLI DELAGE G. (sous la dir. de), Droit pénal des affaires
,4e éd., 2000, PUF, p. 315.
* 181 MARINI P., Rapport au
Premier ministre, La modernisation du droit des sociétés,
1996, La documentation française, pp. 100 et s.
* 182 Pour une liste
complète des délits décriminalisés par la loi NRE,
v. REBUT D., Rép. Pénal, sociétés, p.6.
* 183 Loi n° 2003-706
du 1er août 2003 de sécurité financière
et loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative
économique. Pour un bilan des dépénalisations
consécutives à ces deux lois de 2003, v. ROBERT J-H.,
Dépénalisations saupoudrées, Dr. pén.,
Octobre 2003, pp. 17 et s.
* 184 Ordonnance n°
2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des
formalités pour les entreprises.
* 185 Ordonnance n°
2004-604 du 24 mai 2004 portant réforme du régime des valeurs
mobilières émises par les sociétés commerciales.
* 186 Pour un panorama
détaillé des dépénalisations opérées
en 2003 et 2004, v. ROBERT J-H., Tableau récapitulatif des
dépénalisations opérées depuis 2003 dans le droit
des sociétés par action, Dr. pén., février
2005, pp. 6 et s.
* 187 PROTHAIS A., Un
droit pénal pour les besoins de la bioéthique, RSC 2000,
p.39.
* 188 Une seule des
infractions ainsi créées est reprise depuis 1994 dans le Code
pénal à la faveur de sa réforme : le fait de
pratiquer ou de faire pratiquer sur une personne une recherche
biomédicale sans avoir recueilli le consentement de celle-ci notamment
(art.223-8) qui est punissable de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000
€ d'amende. Les autres délits sont demeurés dans le CSP.
* 189 La loi n° 94-653
(relative à la protection du corps humain) et la loi n°94-654
(relative au don et à l'utilisation des éléments et
produits du corps humain, à la procréation et au diagnostique
prénatal) du 29 juillet 1994 ont été reconnues conformes
à la constitution par une décision du Conseil constitutionnel du
27 juillet 1994 (Cons. const. 27 juillet 1994, déc. n° 94-343-344
DC: JO 29 juillet 1994, p.11024).
* 190 Il s'agit des
délits relatifs aux examens génétiques, à la
maternité de substitution et à l'expérimentation
humaine.
* 191 PROTHAIS A.,
Tribulations d'un pénaliste au royaume de l'éthique
biomédicale, JCP 1999, I, 129, p.723.
* 192 La loi n°
2004-800 du 6 août 2004 a été reconnue conforme à la
constitution par la décision n° 2004-498 DC du Conseil
constitutionnel intervenue le 29 juillet 2004. Pour une présentation
détaillée du contenu de cette loi, v. VERON M.,
Bioéthique, le contenu pénal de la loi du 6 août
2004, Dr. Pénal, 2004, Chr.16, pp.11 à 13.
* 193 30 ans de
réclusion criminelle et 7 500 000 € d'amende pour les
personnes physiques.
* 194 Au sein duquel il
figurait à l'article 511-1.
* 195 Ainsi, la loi a par
exemple criminalisé le clonage d'embryons humains à des fins
thérapeutiques, puni de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 €
d'amende (art.511-18-1). Trois nouvelles infractions assorties de 2 ans
d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende sont également issues
de la loi de 2004 : deux d'entres elles encadrent les conditions et les
modalités de conservation et d'utilisation des tissus ou cellules
embryonnaires ou foetaux (art.511-19-1 et 511-19-2) et la dernière
réglemente l'importation ou l'exportation à des fins de recherche
des tissus ou des cellules embryonnaires ou foetaux (art.511-19-3).
* 196 C'est notamment le
cas pour l'importation ou l'exportation des organes, tissus, cellules et
produits cellulaires à finalité thérapeutique en violation
des disposition du CSP dont la répression passe de 2 ans et 30 000
€ à 5 ans et 75 000 €.
* 197 Ainsi, le professeur
LE GUENNEC N. affirme à cette époque que « le droit
pénal de l'informatique en général est un droit encore
parcellaire ». v. LE GUENNEC N., Le droit de
l'informatique : encore parcellaire, Act. Jur. P.I. 1983.514
* 198 Concernant la
répression des infractions contre les biens commises à l'occasion
de l'utilisation de l'outil informatique, v. GASSIN R., Le droit
pénal de l'informatique, D.1986, chr., pp.37 à 39.
* 199 Loi n° 88-19 du
5 janvier 1988 (J.O. 6 janvier 1988).
* 200 CHAMOUX F., La
loi sur la fraude informatique : de nouvelles incriminations, JCP
1988, I, 3321.
* 201 Pour une approche
plus conceptuelle de l'émergence d'un droit pénal de
l'informatique autonome, v., CROZE H., L'apport du droit pénal
à la théorie générale de l'informatique (à
propos de la loi n° 88-19 du 5 janvier 1988 relative à la fraude
informatique), JCP 1988 , I, 3333.
* 202 V. l'article 225-7
CP, 9° introduit par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998.
* 203 Il s'agit notamment
de l'obligation du port du casque ou encore d'attacher la ceinture de
sécurité, de l'interdiction d'utiliser des appareils anti- radar,
etc.
* 204 La loi du 10 juillet
1987 renforçant la lutte contre l'alcool au volant a doublé les
peines pour les délits d'alcoolémie mais aussi pour d'autres
infractions comme le délit de fuite
* 205 SARGOS P., La
politique législative des infractions routières, RSC,
n° spécial, 1978, p. 79.
* 206 COUVRAT P. et MASSE
M., De quelques aspects de la dépénalisation actuelle en
France : les décalages de la répression en matière de
sécurité routière, RSC 1989, p. 454.
* 207 Cela englobe toutes
les contraventions des quatre premières classes non soumises à
l'emprisonnement et à la suspension du permis de conduire, et donc
seulement punissables d'une amende.
* 208 C'est le cas par
exemple pour l'arrêt et le stationnement gênant.
* 209 Par exemple,
concernant les infractions aux règles relatives à
l'équipement des véhicules.
* 210 PRADEL J. et
DANTI-JUAN M., Droit pénal spécial, Cujas, 2e
Ed., 2001, n° 1004, p. 652.
* 211 DERRIDA F, Le
nouveau régime des chèques sans provision, Dalloz 1976, chr.
p. 205.
* 212 Les principales
innovations résultant de ce texte ne sont jamais entrées en
vigueur, notamment l'exigence d'une intention frauduleuse lors de
l'émission.
* 213 La peine encourue au
titre de la contravention d'émission de chèque sans provision
était de 10 jours à 2 mois de prison et de 1000 à 2000F
d'amende.
* 214 La peine encourue au
titre du délit d'émission de chèque sans provision n'a pas
été modifiéE par cette loi de 1972 : de 1 à 5
ans d'emprisonnement et de 3 600 à 36 000F d'amende.
* 215 VASSEUR M., Le
chèque sans provision en France (18965-1992), JCP 1992, I, 3562, p.
111.
* 216 Pour un aperçu
plus complet des chiffres concernant l'émission de chèques sans
provision entre 1986 et 1990, v. CHAPUT Y., La loi du 30 décembre
1991 relative à la sécurité des chèques et des
cartes de paiement, D. 1992, chr., p. 101.
* 217 L'émission
sana provision d'un ou de plusieurs chèques, si elle a été
accompagnée de manoeuvres frauduleuses en vue de persuader une personne
de l'accepter ou de les accepter (mais encore faut-il qu'elle l'ait
été), rendra son auteur passible des peines de l'escroquerie.
L'exposé des motifs de la loi l'a expressément rappelé.
* 218 Pour un aperçu
du nouveau dispositif institué par la loi du 30 décembre 1991, v.
PRADEL J. et DANTI-JUAN M., Droit pénal spécial, Cujas,
2e Ed., 2001, n° 1004, p. 652.
* 219
* 220 CABALLERO F. et
BISIOU Y., Droit de la drogue, Précis Dalloz, 2e
Ed., 2000, p. 563.
* 221 Circ. 78-08bis du 17
mai 1978 relative à l'usage de stupéfiants et à
l'application de certaines recommandations du rapport de la mission
d'étude sur la drogue, BO Min. just. 1978, 8bis, pp. 1et s.
* 222 Circ. CAB
87-01/12-05-87 du 12 mai 1987, BO Min just. n° 26, avril-juin 1987.
* 223 Circ. CRIM 95-24,
G/21-12-95 du 21déc.1995, BO Min. just. n° 60, 1995.
* 224 Circ. Premier
ministre, 13 sept. 1999, JO 17 sept., p. 13 929.
* 225 MILDT, Plan triennal
de lutte contre la drogue et la dépendance, p. 50.
* 226 Sur ce point, v. BECK
F. et LEGLEYE S., Regards sur l'actualité (La Documentation
française), n° 294, octobre 2003, pp. 53 à 63.
* 227 Statistiques
recueillies sur le site du ministère de l'Intérieur :
www.intérieur.gouv.fr,
La consommation de drogues en France, (site consulté mi juillet
2005).
* 228 Discours
prononcé par M. le Garde des Sceaux en ouverture du colloque
« réalités du cannabis » organisé par
GARRAUD J-P., Ass. Nat., le 24 oct. 2002, disponible sur le site du
ministère de la Justice :
www.justice.gouv.fr (site
consulté mi juillet 2005).
* 229 SENAT, Proposition de
loi relative à la lutte contre la toxicomanie,
à la prévention et à la répression
de l'usage illicite de plantes ou de produits
classés comme stupéfiants,
www.senat.fr (site consulté en
juillet 2005).
* 230 Ces
développements ont été effectués à partir
d'une publication faute de documentations dans ce domaine malgré
l'ampleur du phénomène : INFOSTAT JUSTICE n° 74, mai
2004.
* 2311 702 890 vols simples
constatés en 1991 contre 1 811 852 en 2001.
* 232 Etude
réalisée sur les sept parquets d'Ile de France grâce
à l'Infocentre alimenté par le système de gestion de la
« Nouvelle chaîne pénale ».
* 233 Cette forte
diminution des condamnations pour vol simple a eu peu d'incidence sur la nature
des peines prononcées.
* 234 La loi du 4 janvier a
instauré la médiation pénale (art. 41-1 Code de
procéd. pén.). Ensuite, la loi du 23 juin 1999 a introduit dans
l'article 41-1 du Code de procédure pénale, des modes alternatifs
de règlement des litiges encore plus souples que la médiation
pénale (rappel à la loi, orientation vers une structure sanitaire
sociale ou professionnelle, la régularisation de la situation, la
réparation du dommage, etc.). Cette loi a également mis en place
la composition pénale de l'article 41-2 du Code de procédure
pénale.
* 235 La création
avec le nouveau Code pénal de 1994, du délit de vol avec
destruction, dégradation ou détérioration (art.311-4 CP),
a déplacé une partie des vols simples vers les vols
aggravés ; la création de cette nouvelle infraction a donc
également contribué à la baisse des condamnations pour vol
simple, mais dans une mesure qui reste marginale (2% des condamnations).
* 236 15 300 en 1993 et
7800 en 2002.
* 237 Au 1er
janvier 1993, 22% des condamnés l'étaient pour des faits de vol
simple ; au 1er janvier 2002, ils n'en représentaient
plus que 11%.
* 238 ROGER P, Le
projet de loi Sarkozy sur l'immigration suscite l'hostilité des
associations et suscite l'hostilité des associations et les
réticences de M.Fillon, Le Monde, 10 octobre 2003.
* 239Loi n°2003-239 du
18 mars 2003 « pour la sécurité
intérieure ».
* 240 ROCHE S., La
société incivile, Seuil collection, 1996.
* 241 GOFFMAN E.,
Stigmate, Minuit, Paris, 1989.
* 242 L'article 225-10-1
punit le fait, par tout moyen, y compris par une attitude passive (c'est
à dire par sa tenue vestimentaire ou son attitude), de procéder
publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations
sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse
de rémunération.
*
243 Le Conseil constitutionnel,
pour l'application de la loi nouvelle, a cependant recommandé aux
juridictions de considérer dans le prononcé de la peine, la
circonstance que l'auteur a agi sous la menace ou la contrainte.
L'effectivité de cette disposition reste subordonnée à
l'attitude du juge, ce qui ne représente évidemment pas une
garantie suffisante de l'équité qui devrait gouverner
l'application du nouveau dispositif.
* 244 Loi n° 2000-614
du 5 juillet 2000 impose la création d'aires d'accueil aux villes de
plus de 5000 habitants.
* 245 Sont également
concernés par cette nouvelle incrimination, les
« raveurs », qui, pour s'adonner en toute liberté
à leur passion festive, prennent possession des terrains publics ou
privés. Les « rave party » ou
encore « free party » ont d'ailleurs fait l'objet
d'une prohibition par l'article 53 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre
2001 sur la sécurité quotidienne (J.O. 16 novembre 2001). Cette
loi prévoit une amende de 1500€ et de nombreuses
peines complémentaires (dont la confiscation du matériel et
suspension du permis de conduire notamment) en cas de non respect de
l'obligation de déclaration préalable à la
préfecture au plus tard un mois avant la date prévue pour le
rassemblement.
* 246 Ce délit
réprime les voies de fait ou la menace de commettre des violences
contre une personne, ou l'entrave apportée, de manière
délibérée, à l'accès et à la libre
circulation des personnes, ou au bon fonctionnement des dispositifs de
sécurité et de sûreté, lorsqu'elles sont commises en
réunion de plusieurs auteurs ou complices, dans les entrées,
cages d'escalier ou autres parties communes d'immeubles collectifs
d'habitation.
* 247LAZERGES C., De la
fonction déclarative de la loi pénale, RSC 2004, p.199.
* 248 NUTTENS J-D., La
loi pour la sécurité intérieure, Regards sur
l'actualité (La documentation française), n° 290, avril
2003, p. 78.
* 249 VOGLIOTTI M.,
Mutation dans le champ pénal contemporain : vers un droit
pénal en réseau ? , RSC 2002,
pp. 727-728.
* 250 LOCHAK D., La
logique législative de « ciblage » des
étrangers, Après demain, journal mensuel de la documentation
politique, n° 469, p.9.
* 251 V. Assemblée
nationale. Compte rendu du conseil des ministres du 30 avril 2003 sur la
maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en
France.
www.assemblée.nationale.fr
(site consulté fin janvier 2005).
* 252 LOCHAK D., La loi
sur la maîtrise de l'immigration : analyse critique, Regards
sur l'actualité (La Documentation française), n°299, mars
2004, pp.22-23.
* 253 G.I.S.T.I., La
pénalisation des étrangers dépourvus d'autorisation de
travail.
www.gisti.org (site consulté
en mai 2005).
* 254 VOGLIOTTI M.,
Mutation dans le champ pénal contemporain : vers un droit
pénal en réseau ? ,
RSC 2002, p. 738.
* 255 C'est le cas en ce
qui concerne la dépénalisation de l'homosexualité et de
l'adultère. La dépénalisation de l'IVG est quant à
elle intervenue à un moment où la dépénalisation de
ce comportement était loin de faire l'unanimité.
* 256 COMITE EUROPEEN POUR
LES PROBLEMES CRIMINELS, Rapport sur la décriminalisation,
Strasbourg : Conseil de l'Europe, 1980, p.65.
* 257 C'est le cas
notamment en ce qui concerne la dépénalisation de fait de
certaines infractions courantes comme le vol simple ou l'usage de
stupéfiants, ou encore la décriminalisation de l'émission
de chèques sans provision, chacun de ces comportements
représentant un contentieux de masse à lui tout seul.
* 258 On peut criminaliser
une action sans évaluer le coût ou payer le prix de ce processus.
Il n'existe d'ailleurs aucune obligation de voter les crédits
nécessaires au supplément de moyens dont les services
pénaux pourraient avoir besoin.
* 259 MARY P.,
Délinquance te insécurité en Europe : vers une
pénalisation du social ? , GROUPE EUROPEEN DE RECHERCHE SUR LA
JUSTICE PENALE, Délinquance et insécurité en Europe :
vers une pénalisation du social ? Actes des 2 et 3eme
séminaires tenus à Corfou, 1998 et 1999, Bruxelles, Bruylant,
2001, p. 22.
* 260 MERLES R. et VITU A.,
Traité de droit criminel, Ed. Cujas, 1973, 2e Ed., pp.31-32.
* 261 ZARKA J-C., A propos
de l'inflation législative, D.2005, p.660.
* 262 SALAS D., La
République pénalisée, Hachette, Paris, 1996
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