Pénalisation et dépénalisation (1970 - 2005)( Télécharger le fichier original )par Gatien-Hugo RIPOSSEAU Université de Poitiers - Master II Droit pénal et sciences criminelles 2004 |
§ 2 - Dépénalisation de fait et développement des alternatives aux poursuites : des instruments de gestion de contentieux de masse.La gestion des contentieux de masse s'est également opérée grâce à l'émergence et au développement des procédures alternatives aux poursuites. De l'utilisation de ces nouveaux instruments de gestion des contentieux de masse résulte une dépénalisation de fait des infractions qui viennent à être traitées grâce à ces nouvelles procédures. Cette dépénalisation de fait a touché l'usage de cannabis (A) et certaines infractions courantes comme le vol simple (B).
A - La dépénalisation de fait de l'usage de cannabis.En matière d'usage de stupéfiants, « des solutions locales s'imposent au détriment de l'unité du droit. La tolérance de certaines juridictions dans les grandes villes contraste avec la sévérité de tribunaux de province. L'inertie du législateur conduit le Gouvernement à intervenir par voie de circulaires afin d'harmoniser l'application de la loi et de corriger ses imperfections les plus graves »220(*). Cette politique criminelle se heurte néanmoins à la réticence de certaines juridictions, de sorte que la dépénalisation de fait qui s'est mise en place principalement depuis 1995, apparaît comme une « dépénalisation de fait à géométrie variable ». Cette dépénalisation s'avère néanmoins nécessaire pour la gestion du contentieux de masse que constitue la consommation de stupéfiants et plus particulièrement de cannabis. Plusieurs périodes se succèdent en matière de politique pénale à l'égard des usagers de stupéfiants. Cette dépénalisation de fait de l'usage de cannabis, implicitement recommandée par le rapport PELLETIER, est le fait d'une importante circulaire du Ministère de la Justice du 17 mai 1978221(*). La circulaire propose la mise en oeuvre d'une procédure allégée de mise en garde des usagers de chanvres indiens. Si cette procédure allégée est proposée, c'est en raison du caractère particulier du produit qu'est le cannabis : la consommation de cannabis ne justifie en effet pas un traitement de désintoxication car elle n'engendre pas de dépendance physique. L'usager visé par la circulaire est un usager récréatif et non un véritable toxicomane, il ne peut donc pas bénéficier de l'option médicale offerte par le législateur. Ainsi, l'usager de « drogue douce » doit pouvoir bénéficier d'un traitement particulier qui n'a pas été envisagé par la loi de 1970, qui, si elle lui était appliquée avec rigueur, le conduirait systématiquement vers une sanction pénale, puisqu'il ne peut pas être orienté vers une traitement médical, à l'image de l'héroïnomane par exemple. La circulaire de 1978 s'efforce ainsi de corriger cette malfaçon de la loi de 1970 qui conduirait à une flagrante inégalité de traitement entre les toxicomanes. Les parquets sont alors invités à examiner attentivement les cas pour lesquels il lui paraît absolument indispensable d'engager des poursuites. Dans tous les autres cas, il se borne à l'usager une simple mise en garde. A l'égard des usagers de drogues dures, la circulaire privilégie l'action sanitaire en suggérant de multiplier les injonctions thérapeutiques. Cette circulaire sera diversement accueillie par les différentes juridictions et, en 1984, le Gouvernement éprouvera même le besoin de rappeler que la procédure de mise en garde doit être appliquée aux usagers de cannabis. A partir de 1986, la politique criminelle change complètement. Abandonnant la distinction entre drogues dures et drogues douces, la circulaire du 12 mai 1987 choisit de distinguer usage occasionnel et usage d'habitude222(*). L'usage occasionnel donne alors lieu à un avertissement par le parquet. Si l'habitude est constatée, les poursuites s'imposent quelle que soit la substance consommée. Cette circulaire très répressive n'aura pas plus d'influence sur la jurisprudence que les précédentes. Le Gouvernement renonce alors à tout objectif d'harmonisation du droit. La circulaire du 28 avril 1995 admet les poursuites pénales tout en recommandant tout en recommandant de développer le recours à l'injonction thérapeutique223(*). Elle rappelle que les parquets peuvent recourir au classement sans suite avec avertissement pour les usagers de drogues douces. La répression reste alors pour le moins inégalitaire pour ces usagers qui, suivant leur situation géographique, vont bénéficier ou non de la politique libérale qui est consécutive à cette circulaire de 1995. Le plan triennal de lutte contre les dépendances adopté en 1999 relance la politique publique de lutte contre la drogue. Il constate l'échec des actions précédemment menées en la matière et l'explique par le manque de coordination des acteurs publics. Ce plan préconise alors de rappeler l'interdit pénal et de réaffirmer la priorité donnée au traitement pour que la prohibition soit enfin efficace. En d'autres termes, il s'agit de renouveler sa foi dans la loi de 1970224(*) et de décréter que « logique d'ordre public et de santé publique doivent être indissolublement intégrées »225(*). Dans cette perspective, le plan distingue usage, abus et dépendance. Il recommande de prévenir l'usage en rappelant l'existence de l'interdit pénal, tout en évitant l'incarcération des usagers interpellés par le recours à des mesures de soin incitatives. Cependant, ce manque de coordination, voire de cohérence dans la politique de lutte contre la consommation de stupéfiants en général et plus particulièrement du cannabis ne s'est pourtant pas dissipée comme le montrent les déclarations contradictoires du Garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur. Le Garde des Sceaux affirme que la priorité doit être donnée à l'interpellation des « personnes dont la consommation cause des dommages sanitaires ou sociaux pour elles-mêmes ou pour autrui » et que « les interpellations de simples usagers donneront lieu à des procès verbaux simplifiés ». Le ministre de l'Intérieur considère quant à lui que « cette priorité ne dispense pas, par ailleurs, d'intervenir à propos de la consommation de tous les produits prohibés par la loi, notamment le cannabis ». Néanmoins, malgré ces divergences, le plan triennal a été l'occasion d'améliorer les réponses alternatives apportées au traitement des infractions de consommation de cannabis. D'une part, la procédure d'avertissement reçoit un fondement légal dans le rappel à la loi du procureur de la République (art. 41-1, 1° Code de procédure pénale), et d'autre part, la loi du 23 juin 1999 étend à l'usage de stupéfiants, le domaine de la composition pénale (art. 41-2 Code de procédure pénale). Le Gouvernement, comme le parlement se sont défendus de vouloir dépénaliser l'usage des stupéfiants par le recours à la composition pénale. En réalité, la consécration législative de ces alternatives aux poursuites officialise bien la politique de dépénalisation de fait menée en la matière, certes de manière variable, par les différents parquets, et ce, depuis un certain nombre d'années déjà. Le rappel à la loi et la composition constituent des outils indispensables aux différents parquets pour pouvoir gérer le contentieux de masse que constitue la consommation de stupéfiants en général. Ces procédures ont en effet été consacrées dans une optique purement utilitaire : celle de pouvoir apporter une réponse pénale à des infractions qui représenteraient une réelle menace pour le bon fonctionnement du système pénal si elles ne faisaient pas l'objet d'une procédure dérogatoire simplifiée. Depuis 2002, la politique criminelle menée en matière de lutte et de prévention contre la consommation de cannabis, a bien intégré ces alternatives aux poursuites. Elles se sont d'ailleurs développées essentiellement à cause de l'explosion de la consommation de cannabis particulièrement chez les jeunes226(*). En effet, ce contentieux qui était déjà considéré comme problématique il y a dix ans à cause de son ampleur, a connu une véritable expansion particulièrement en France. La consommation de cannabis a doublé dans notre pays depuis une décennie. A l'âge de 16 ans, les jeunes Français sont actuellement les premiers consommateurs d'Europe. Chez les jeunes, scolarisés ou non, les chiffres sont préoccupants. 50 % d'entre eux ont expérimenté au moins une fois le cannabis, souvent par curiosité ou par pression de conformité. La plus grande part d'entre eux n'a pas persisté mais 30 % l'ont intégré dans leur comportement habituel à des degrés variables227(*). C'est ce phénomène observé un peu partout en Europe, mais qui prend une dimension particulièrement importante en France, qui a contraint les différents parquets à utiliser de plus en plus les alternatives aux poursuites dont ils disposent. Hormis la composition pénale qui « présente l'intérêt pédagogique d'un retour à la sanction pénale et du refus de toute permissivité »228(*), d'autres alternatives aux poursuites sont également utilisées. Elles peuvent aller du simple rappel à la loi, à l'obligation d'être pris en charge et suivi par les autorités sanitaires et sociales, sur une période plus ou moins longue. Il s'agit ici des mesures de classement avec orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle ou de classement sous condition. Le respect des obligations fixées par le parquet conditionne le classement sans suite de la procédure. Le maintien d'une réponse pénale à l'usage de cannabis apparaît aujourd'hui la préoccupation première de cette politique pénale qui doit composer avec l'explosion de la consommation de cannabis et le soucis de rappeler l'interdit légal qui prend ses sources dans la loi du 31 décembre 1970. Cette loi du 31 décembre 1970, qui malheureusement, n'a jamais connu la reforme pourtant préconisée par bon nombre d'auteurs et de praticiens, paraît ainsi vouée à s'adapter artificiellement (par le biais des procédures alternatives aux poursuites) à l'évolution du contentieux et à celle des mentalités. Cette situation est pour le moins déplorable dans le sens où la loi se montre déconnectée des situations qu'elle a vocation à régir et perd de sa crédibilité. Cette loi de 1970 semble pour le moins dénuée d'efficacité si on se réfère aux répercussions qu'elle a eu en terme de dissuasion et c'est la raison pour laquelle une réforme de cette dernière dans le sens d'une rationalisation de la sanction (et non d'une décriminalisation) destinée aux usagers de cannabis paraît être la meilleure solution. Cette solution qui pourrait par exemple se caractériser par une contraventionnalisation, serait bénéfique tant au niveau de la légitimité de la règle, qu'au niveau des garanties apportées aux justiciables qui, dans la situation qui est la nôtre, dépendent plus des différentes politiques pénales locales que d'une réelle politique criminelle unique en la matière. Une refonte de l'incrimination d'usage (L.3421-1 CSP) s'inscrirait ainsi dans un mouvement d'accentuation de la sécurité juridique qui se trouve mise à mal par la déresponsabilisation de l'Etat au profit des magistrats avec le développement des procédures alternatives aux poursuites. Cette réforme pourrait aussi restaurer une relative confiance et un consensus minimum des usagers envers la règle de droit. Enfin, une telle évolution du droit mettrait fin au développement d'une politique hypocrite de dépénalisation de fait qui ne fait que masquer les imperfections de la loi de 1970. Une telle réforme a d'ailleurs été discutée au Sénat le 21 juin 2004, consécutivement à une nouvelle proposition de loi. Cette proposition de loi préconise une dépénalisation de l'usage de stupéfiants par la contraventionnalisation de l'usage occasionnel et la consécration des alternatives aux poursuites déjà pratiquées dans ce domaine. En effet, les premières interpellations pour usage simple ne seraient plus un délit mais feraient l'objet d'une contravention de la 5ème classe. L'interpellation d'un usager de stupéfiant par la police ferait alors l'objet d'un procès verbal transmis au procureur, lequel disposerait d'une large palette de moyens pour mettre en place une réponse de sanction- prévention adaptée. Après deux contraventions pour usage de stupéfiant en moins de 24 mois, toute nouvelle infraction du même chef constituerait un délit passible du Tribunal Correctionnel qui pourrait prononcer, soit une injonction de soins en alternative aux poursuites, soit une amende (de 1 à 1500€), et/ou une ou plusieurs peines complémentaires contenues dans les articles 131-16 et 131-17 du Code pénal, et/ou le placement, sur avis médical, dans un Centre agréé spécialisé dans le traitement de la toxicomanie.« Le système ainsi mis en place ne réduirait pas la lutte contre la toxicomanie à la simple perception d'espèces par voie d'amende. Par l'éventail des solutions offertes au juge, il appréhenderait la dimension humaine du problème de la drogue et permettrait que la nouvelle loi soit appliquée systématiquement et rapidement. Rien ne serait pire que remplacer une loi inappliquée par une loi inapplicable »229(*). Malheureusement, un an après, cette proposition de loi n'a toujours pas été adoptée et paraît même ne plus être à l'ordre du jour. Le législateur ne semble pas encore tout à fait prêt à modifier la législation de 1970, malgré l'inapplication caractérisée de celle-ci et les inégalités qui en découlent nécessairement. * 220 CABALLERO F. et BISIOU Y., Droit de la drogue, Précis Dalloz, 2e Ed., 2000, p. 563. * 221 Circ. 78-08bis du 17 mai 1978 relative à l'usage de stupéfiants et à l'application de certaines recommandations du rapport de la mission d'étude sur la drogue, BO Min. just. 1978, 8bis, pp. 1et s. * 222 Circ. CAB 87-01/12-05-87 du 12 mai 1987, BO Min just. n° 26, avril-juin 1987. * 223 Circ. CRIM 95-24, G/21-12-95 du 21déc.1995, BO Min. just. n° 60, 1995. * 224 Circ. Premier ministre, 13 sept. 1999, JO 17 sept., p. 13 929. * 225 MILDT, Plan triennal de lutte contre la drogue et la dépendance, p. 50. * 226 Sur ce point, v. BECK F. et LEGLEYE S., Regards sur l'actualité (La Documentation française), n° 294, octobre 2003, pp. 53 à 63. * 227 Statistiques recueillies sur le site du ministère de l'Intérieur : www.intérieur.gouv.fr, La consommation de drogues en France, (site consulté mi juillet 2005). * 228 Discours prononcé par M. le Garde des Sceaux en ouverture du colloque « réalités du cannabis » organisé par GARRAUD J-P., Ass. Nat., le 24 oct. 2002, disponible sur le site du ministère de la Justice : www.justice.gouv.fr (site consulté mi juillet 2005). * 229 SENAT, Proposition de loi relative à la lutte contre la toxicomanie, à la prévention et à la répression de l'usage illicite de plantes ou de produits classés comme stupéfiants, www.senat.fr (site consulté en juillet 2005). |
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