Conclusion générale
Le développement n'est plus imaginé qu'en termes
d'intégration au marché mondial,
et cette nouvelle modernité bouleverse
complètement les rapports entre progrès économique,
progrès politique et progrès social. L'Etat
sénégalais a clairement affiché son intention de
confier le développement du monde rural aux initiatives
privées ou populaires. Mais en se réservant le droit
d'encourager, par des mesures appropriées, les investissements
privés lourds étrangers ou nationaux, le pouvoir politique
central a décidé de faire de la zone d'étude une annexe
urbaine plutôt qu'une entité rurale spécifique, dans
une volonté de discipliner l'extension urbaine de Dakar et dans
la mouvance d'un axe de développement privilégié
s'étendant de Dakar à Thiès. L'espace périurbain
est donc géré en fonction des priorités des acteurs
citadins qui le perçoivent comme une zone transitoire. Ces zones
agricoles autour de
la ville sont des zones à raser lorsque le besoin se fera
sentir...
Si des ateliers de concertation locale ont bien permis de faire
émerger le point de vue
des acteurs locaux sur l'évolution souhaitable des
communes concernées par le projet de ville,
il faut rendre compte de la crainte, formulée par
certains acteurs au cours des entretiens de voir les propositions
formulées rester « lettre morte » et que le processus de
concertation ne serve que « d'alibi », pour asseoir la
légitimité de l'Etat. Les agriculteurs redoutent la
répétition du « syndrome de la ZAC de Mbao », où
les agriculteurs n'ont pas été indemnisés,
et les investissements qu'ils avaient effectués n'ont
pas été pris en compte par l'Etat. Dans cette perspective, les
promesses d'embauche consécutives aux expropriations apparaissent
comme des leurres pour des populations locales manquant cruellement de
formation et d'informations. Pour le pouvoir politique, c'est
désormais à la région du fleuve
Sénégal qu'appartient l'avenir agricole du pays. Les
entrepreneurs agricoles les plus avisés ont bien intégrés
cette tendance en s'arrogeant des réserves foncières au sein de
communautés rurales situées dans les départements de Louga
et de Podor.
L'interpénétration ville campagne peut-elle
être facteur de développement pour les agriculteurs
périurbains? D'un point de vue économique, la
réponse est nuancée. Les producteurs de Diamniadio et de
Sébikhotane sont maintenant dépendants du marché
pour
leur subsistance.
Au moment des enquêtes de terrain, la phase de
transition entre économie de subsistance et économie de
marché était largement achevée. Mais ce système
repose sur une politique du prix des céréales importées
d'Asie, qui rend hypothétique les cultures
céréalières,
et impossible le retour à une agriculture rurale
indépendante de la ville. La seule alternative
des agriculteurs réside dans une intensification
de leurs productions tant agricoles que pastorales. Or, celle-ci passera
sans aucun doute par une réforme de la loi sur le Domaine National. La
loi d'orientation agro-sylvo-pastorale adoptée en juin 2003 vise
à définir une nouvelle politique foncière qui
permettrait une appropriation privée de la terre, d'ici quatre à
cinq ans, comme le préconise la Banque mondiale. Celle-ci y voit la
nécessité d'assurer, par le
jeu des hypothèques, un accès au crédit
rural. La privatisation des terres du Domaine National permettrait aussi
l'établissement d'un impôt foncier, nécessaire au
budget de l'Etat. En s'accompagnant d'un remembrement des terres, les
appropriations privées pourraient être une occasion pour
l'ethnie Lébou, qui détient à la fois le pouvoir
politique et coutumier, de chasser les ethnies et entrepreneurs allochtones
de leurs terres.
Le développement de l'espace urbain au
Sénégal semble donc devoir passer par une accentuation des
inégalités, et par l'émergence d'une classe paysanne
pluri fonctionnelle,
intégrée et fortement dépendante de
l'économie de marché.
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