C) L'appétit foncier des Dakarois sur les espaces
ruraux : une appropriation de l'espace
en marge des lotissements qui reste difficile à
appréhender
En dehors des lotissements, on remarque que des
parcelles dont les coins sont matérialisés par des blocs de
ciments agglomérés, et ce au milieu de champs cultivés
lors de l'hivernage. Les habitants se montrent peu loquaces
vis-à-vis de ces appropriations, car il s'agit de ventes
illégales de terres du Domaine national, à usage
d'habitation, en majeure partie au profit d'habitants de Dakar. Ces futures
constructions sont en situation d'insécurité foncière,
mais sont pour le moment tolérées par la commune de
Diamniadio. Les réseaux politiques et familiaux semblent jouer assez
efficacement pour acquérir une parcelle. Mais les habitants non
solvables craignent de ne plus pouvoir acquérir de parcelles pour eux et
leurs
familles. L'appétit foncier des particuliers dakarois
est vécu comme une concurrence
préjudiciable par de nombreux habitants: « La
mairie vend tous les terrains à des Dakarois
qui ont plus des moyens que nous, si cela continue
ainsi, il ne va plus rien nous rester »
rapporte un habitant du quartier basse Casamance à
Sébikhotane.
Par contre, les enquêtés qui possèdent un
titre foncier ont conscience de la facilité à laquelle ils
arriveront à revendre leur parcelle. Cependant, tous
déclarent qu'ils veulent continuer l'agriculture ou bien
construire une maison pour leurs enfants sur le terrain. La vente de
terre à un étranger est perçue comme une situation
d'échec, car elle constitue une perte de patrimoine pour la famille.
Selon les personnes interrogées, la vente de terrains est le
fait de personnes qui ne peuvent plus continuer leurs
activités fautes de moyens. Celles-ci vendent leur parcelle afin
de nourrir leur famille. Selon les enquêtes, ces personnes se
tournent vers le commerce ou l'artisanat, et dans certains cas de
dénuement total, vers la mendicité.
Conclusion : une réforme de la loi sur le domaine
national nécessaire
Les dynamiques foncières en cours dans la zone
d'étude, et ailleurs au Sénégal suscitent des
interrogations sur la législation foncière adoptée
en 1964. Celle-ci semble constituer une entrave au développement
de l'investissement privé, à la modernisation de
l'agriculture et à la sécurité foncière des
exploitants. Si tous les acteurs interrogés, y compris
les autorités politiques, conviennent de la
nécessité de réformer la loi sur le domaine national,
ils n'ont cependant pas une vision partagée des
orientations de la nouvelle législation. Pour cette réforme, un
différend oppose les partisans d'une agriculture familiale
modernisée et ceux qui préconisent une privatisation des
terres pour favoriser le développement de l'entreprenariat
agricole, et l'appropriation par des urbains. L'Etat vient d'adopter
une loi d'orientation agro-sylvo-pastorale (LOAR) dont l'article 23
ordonne qu'une «une nouvelle politique foncière sera
définie et une loi de réforme foncière sera
soumise à l'Assemblée nationale dans un délai de deux
ans, à compter de la promulgation de la présente loi ».
Cette réforme modifiera sans aucun doute les rapports de la
société sénégalaise au sol, en favorisant l'achat
privé des terres du Domaine National. La question serait de savoir dans
quelle mesure
le Domaine National urbain resterait le « fait du prince
», et quelle marge de manoeuvre va-t-
elle être laissée aux acteurs privés.
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