2 L'agriculture traditionnelle, une activité
à la marge ?
Dans ce chapitre, le milieu paysan apparaît comme
conservateur de traditions et de pratiques foncières
coutumières, à la marge des nouvelles pratiques spatiales
véhiculées par l'Etat et le droit de propriété.
Mais cette traditionnalité n'est peut être qu'une apparence... En
effet, l'entraide laisse progressivement la place à une logique
monétaire, révélatrice d'une remise en cause de
l'intégrité des groupes sociaux. Cette agriculture
connaît également des dynamiques spécifiques
émergeant de la part de groupements féminins et d'ONG venant de
Dakar, doublées d'interactions toujours prégnantes avec la ville.
Mais celles-ci ne semblent
pas suffire à moderniser une agriculture qui conserve des
rendements trop faibles.
A) Une prépondérance du domaine national et
un accès à la terre par l'héritage et le don.
Tableau 4 : Répartition des exploitations
familiales selon la superficie (27 exploitations):
Superficie
(ha)
|
=1
|
[1,1 - 2]
|
[2,1- 4]
|
= 4,1
|
Exploitations
(%)
|
40,4
|
33,3
|
19,9
|
7,4
|
Source : enquêtes personnelles
Nombre total d'exploitations : 27
Concernant les surfaces cultivées, près de
40% des exploitations familiales ont une
superficie inférieure à un hectare. La
faible taille de ces exploitations permet une mise en culture
intensive des terres lors de l'hivernage grâce à la
mobilisation de la main d'oeuvre familiale.
Un faible niveau d'investissement constitue un moindre
désavantage pour l'exploitation d'une parcelle de petite taille dans
laquelle la main d'oeuvre pourra être utilisée
de manière intensive.
Tableau 5 : Modes d'accès à la terre des
exploitations familiales et types de droit foncier
Modes accès à la terre et types droit foncier
|
Droit coutumier
(Domaine national non régularisé)
|
Droit d'usage
(Domaine national régularisé)
Régularisation par la commune ou à l'époque
par les communautés rurales
|
Droit réel
(immatriculation de la parcelle et possession de titre
foncier)
|
Héritage
|
Don
|
Achat
|
Héritage
|
Don
|
Achat
|
Héritage
|
Achat
|
Exploitations
%
|
33,3
|
25,9
|
0
|
14,8
|
0
|
11,1
|
7,4
|
14 ,8
|
Source : enquêtes personnelles
Total : 107,3
Nombre de doublons : deux exploitations ont été
comptées deux fois, le type de droit étant différent pour
les
parcelles secondaires.
Seuls 22,2% des exploitations de l'échantillon
détiennent des droits réels sur les terres qu'elle exploite
(titre foncier). Les droits fonciers des exploitations familiales de la zone
sont
de trois types : droit coutumier détenu par des
propriétaires socialement reconnus comme tels, droit d'usage
résultant d'une affectation, ou droit réel avec un titre
foncier. De nombreux exploitants (59,2%) se contentent des droits
traditionnels hérités ou reçus de leurs parents.
Pour eux, une pareille situation ne pose aucun problème parce
que ces droits reflètent une légitimité de fait.
Comme l'indique l'un de nos interlocuteurs, «chacun sait que
ces terres appartiennent à mes parents depuis de nombreuses
années, voire des générations».
Dans leur grande majorité, les exploitations
familiales ont accédé à la terre par
l'héritage ou par la donation (81,4% des exploitations). Aucun cas de
conflit lié à l'héritage
des terres n'a été relevé. L'analyse des cas
de donation tend à montrer, au sein des familles,
des pratiques qui favorisent la prévention ou la
limitation des risques de conflit. Toutes les donations ont été
effectuées par les propriétaires des parcelles
eux-mêmes, donc de leur vivant. Dans les cas les plus
fréquemment rencontrés, elles sont faites par le père
à ses fils adultes ou par le mari à son épouse. Au
sein de l'échantillon, elles sont toujours le fait de
personnes devenues trop âgées pour pouvoir continuer
l'exploitation de leurs champs.
Cependant, l'achat de terres constitue, dans la zone
d'étude, une forme courante d'accès à la terre, et
surtout pour la possession de droits réels (2/3 des possesseurs de
titres fonciers déclaraient l'avoir acheté). Dans cet
espace péri urbain, la valeur monétaire de la terre semble
être acquise pour tous, mais des différentiels liés
à l'information se créent : des jeunes locaux qui
bénéficient de fonds provenant de la migration
internationale, ou du commerce à Dakar, tentent d'acheter des
parcelles à moindre coût auprès des personnes
âgées moins au courant de la spéculation foncière
qui a cours au sein du le territoire d'étude.
Concernant le droit d'usage et le droit coutumier,
l'importance réelle des transactions foncières est difficile
à évaluer dans la mesure où les ventes se font de
façon «souterraine». Cela s'explique par le fait qu'elles
revêtent un caractère illégal au regard des dispositions
de
la législation foncière qui interdisent la vente
de terres ne faisant pas l'objet de titre foncier. Certains interlocuteurs
déclarent avoir acheté des parcelles mitoyennes pour
agrandir leurs exploitations, sans toutefois accepter de fournir des
indications détaillées sur ces transactions.
C'est seulement 14,8% des exploitants qui ont fait
régulariser leurs droits fonciers coutumiers en sollicitant une
affectation auprès du conseil rural à l'époque à
laquelle les deux communes étaient réunies en formant la
communauté rurale de Yène. Ces affectations constituent de
fait la reconnaissance du droit d'usage par la loi. En règle
générale, cette même démarche a été
adoptée par ceux qui achètent des terres auprès de
propriétaires coutumiers. Ces personnes n'ont manifestement pas eu
suffisamment confiance en la filière coutumière, et sont
conscient qu'une légitimité double (auprès des chefs
coutumiers et du conseil rural) serait plus à même de
sécuriser leur acquisition. En effet, l'obtention d'une
décision d'affectation délivrée par le conseil rural
donne à ces acquéreurs la garantie (théorique) de
bénéficier d'une indemnisation pour les investissements
réalisés, en cas de désaffectation.
En ce qui concerne les propriétaires coutumiers qui ne
bénéficient d'aucun justificatif manuscrit, l'indemnisation en
cas d'expropriation est plus aléatoire. En cas d'agriculture
d'hivernage, le terrain n'est mis en valeur que 3 mois par an. La
mise en valeur est donc considérée comme nulle par la
commune, et les exploitants sont dépossédés
sans contrepartie.
Selon les exploitants interrogés, une autre forme
d'accès au foncier est le prêt. Mais les prêts de terres
sont devenus une pratique de plus en plus rare (aucune
enquête). La raison mise en cause est que certains
bénéficiaires ont tendance à se reconnaître des
droits sur les
parcelles qui leur sont prêtées, au motif qu'ils y
ont effectué une mise en valeur.
Cela les conduit à s'adresser au conseil rural
pour solliciter l'affectation de ces parcelles. De l'avis de plusieurs
interlocuteurs, les prêts de terres ne se font actuellement
qu'entre des personnes entretenant des relations de confiance,
notamment des amis, des individus apparentés ou alliés. En
tout état de cause, il est interdit au bénéficiaire du
planter
des arbres ou de réaliser des investissements
(fonçage de puits, aménagement de réseaux
d'irrigation, construction de bâtiments...) qui pourraient être
considéré comme des mises en valeur.
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