Première partie
L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas
de Diamniadio (Dakar, Sénégal)
L'espace péri-dakarois à l'assaut des
espaces ruraux
Avec un rythme d'accroissement démographique
extrêmement rapide de 5,6% par an,
la région capitale est confrontée à de
nombreux dysfonctionnements révélés par de multiples
symptômes : aggravation de la pauvreté, multiplication
des zones d'habitat précaire, monstrueux embouteillages,
pollution industrielle, gestion urbaine inefficace. Au niveau national,
la capitale dévore plus l'espace qu'elle ne le structure, créant
un malaise urbain et une impression de mal-développement.
Paradoxalement signe du succès de la ville, cette tendance
menace de se transformer en « implosion urbaine » en raison
de la précarité des conditions de vie d'une grande
majorité de citadins dakarois qui s'installent dans des quartiers
dortoirs de plus en plus éloignés du centre
ville. Parallèlement, les Dakarois aisés
matérialisent leurs rêves de propriétaires sur l'espace
périurbain, où se transposent les enjeux inhérents
à une demande massive de ville.
En amorçant une politique de grands projets, le
Président Abdoulaye Wade cherche donc à contrebalancer la
macrocéphalie dakaroise, source de trop nombreuses nuisances. Mais
il souhaite aussi, en posant son empreinte sur le territoire
sénégalais, asseoir enfin son autorité politique. Le
retour de l'Etat, en s'exprimant sur les territoires locaux, permet
également aux réseaux ethniques, politiques, associatifs,
voire confrériques de trouver une nouvelle expression autour
d'enjeux très matériels. En créant des alliances avec ces
réseaux, le jeune Etat sénégalais cherche à
parfaire sa légitimité, qu'un cadre législatif et
réglementaire fortement influencé par l'ancien colonisateur
ne pouvait apporter à lui seul. Mais ces instruments juridiques
pourront être dépassés par des acteurs locaux bien
positionnés sur l'échiquier local, et à même
d'anticiper le processus urbain.
1 L'espace obligé de croissance d'une grande
ville
Du fait de la configuration du site et de la
saturation foncière dans les quartiers centraux et dans la proche
banlieue, Dakar se développe vers le nord-est, sans d'autre choix que
de suivre la configuration de la presqu'île. Celle-ci exerce une
influence évidente sur l'organisation spatiale de la ville.
L'étalement de la croissance spatiale ne peut se faire que dans une
seule direction, dans les actuels départements de Pikine et de
Rufisque qui concentrent les réserves foncières de la
Région dakaroise, et ce dans un contexte social où la
construction d'une maison est l'objectif d'une vie.
L'insertion de la ville dans plusieurs échelles
(nationale, sous régionale et mondiale)
nécessite des équipements industriels qui, faute de
place, ne peuvent plus s'implanter à Dakar.
Dans la mondialisation, Dakar est pour le
Sénégal la tête locale de la plupart des
réseaux internationaux qui irriguent le pays : réseaux
économiques, d'affaires, de télécommunications,
diplomatiques, migratoires... Diamniadio, par sa situation de carrefour
principal du pays, à l'intersection des routes de Mbour et Thiès,
à 37 Km de Dakar, apparaît ainsi comme une réponse locale
à des questions insérées dans un contexte bien plus
large.
A) Une ville façonnée sur un site
contraignant...
C'est l'administration coloniale française qui
fonde Dakar en 1857, après être longtemps
restée cantonnée sur l'île de Gorée. Les
lieux sont déjà occupés par plusieurs villages
Lébous, l'ethnie locale probablement implantée depuis le XVIIe
siècle. Lors de leur implantation sur la presqu'île, les
autorités françaises ont tenté d'imposer leur droit
en ignorant les occupants et en décrétant que le sol était
propriété de l'Etat français. Cependant,
les Lébous ont su traiter avec les Français la
reconnaissance de leur droit foncier coutumier,
et conserver une réelle force communautaire.
Les autorités françaises se sont établies
à la pointe de cet îlot volcanique faisant face à
Gorée et rattachée au continent par une
étroite bande sableuse qui mesure à peine plus de 4km
en son point le plus exigu. La capitale (de l'AOF, puis du
Sénégal) s'accroît de 4,9% par an
en moyenne, soit un doublement des effectifs tous les dix ans
environ.
Tableau 1 : Evolution démographique de
l'agglomération dakaroise.
Année
|
Nombre d'habitants
|
1904
|
5 000
|
1926
|
40 000
|
1945
|
190 000
|
1966
|
470 000
|
1990
|
1550 000
|
1995
|
1 870 000
|
2000
|
2 250 000 (estimation)
|
Source : rapport du comité Habitat II, 1996
L'afflux de population s'est accentuée dans les
années 70 en raison de deux faits majeurs :
d'une part, un contexte économique difficile et des
conditions climatiques désastreuses qui
ont favorisés l'exode rural dans l'espoir de
revenus meilleurs ; d'autre part l'attrait d'une modernité
occidentale qui se cristallisant autour de la capitale, au
détriment des villes secondaires.
Pourtant, la région de Dakar est une
presqu'île. Sa forme, son paysage, son relief, contribue à
façonner la ville autant que celle-ci façonne son site :
un seul axe de
circulation permet de communiquer avec le reste du
pays.
Carte 1 : la presqu'île du Cap Vert
Source : Carte IGN édition 2000
Administrativement, la région de Dakar est la plus petite
du Sénégal avec seulement
0,28 % de la superficie totale. Mais, avec 2 350 000 habitants en
2001, elle représente plus de
25% de la population nationale. Elle est
constituée de trois centres urbains que sont Dakar, Pikine et Rufisque
et de petites villes satellites comme Bargny et Guédiawaye.
Deux communautés rurales, Sangalkalm et Yène, se situent à
la limite administrative de la région.
Avec 63,3 % du total de la surface de la région, le
département de Rufisque, à l'Est de
la presqu'île, concentre les enjeux fonciers les
plus massifs : les fronts urbains progressent peu à peu sur les
espaces agricoles, on observe un mitage des espaces ruraux. Le
département
de Pikine, plus saturé, constitue une réserve
foncière bien plus faible avec 21,8% de la surface régionale,
alors que Dakar frise l'asphyxie avec seulement 19,4% des terres, et des voies
de communication saturées.
Cependant, la forme de presqu'île n'est pas
la seule contrainte physique au développement de la ville. La
péninsule, se terminant à l'ouest par des reliefs volcaniques,
les Mamelles, qui culminent à 105 m, comprend une zone
élevée au sud-est, de petites collines et
de plateaux cuirassés (massif de Ndiass). Une zone de
bas plateau constitué de calcaires et de marnes gonflantes pose
des problèmes de fondation (Rufisque, Bargny, Diamniadio,
Sébikhotane). Une zone de dépression intermédiaire
ou Niayes aux sols hydromorphes, domaine des cultures
maraîchères et fruitières, connaît un
affleurement de la nappe phréatique qui rend les bas fonds
inconstructibles.
La mer est très présente et attaque la
petite côte, affaissant les digues. Il existe également
quelques lacs fortement influencés par les dunes, et la langue
salée progresse en rendant les terres impropres à la culture.
Le site impose donc des contraintes techniques
évidentes, et rend difficile les communications entre le
Plateau, où est concentrée la majeure partie des
activités commerciales et administratives, et les communes
périphériques (Pikine, Guédiawaye), qui regroupent une
population plus nombreuse qu'à Dakar. Les voies de
communications convergent vers le Plateau, en créant un
système d'entonnoir qui se transforme en goulot
d'étranglement aux heures de pointe.
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