Université Panthéon-Assas- Institut
français de Presse
Mémoire de maîtrise d'information et
communication
En aparté sur Canal
plus : l'invité, le public et le média comme tiers
autoritaire dans une émission de conversation. »
Présenté par Marylène KHOURI
Soutenance en septembre 2005
Sous la direction de Frédéric Lambert
« L'université Panthéon-Assas n'entend
donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce
mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme
propres à leurs auteurs. »
SOMMAIRE
Introduction...............................................................................4
Première partie : Pascale Clark, une figure
de l'autorité.......................................13
a) Un parcours reconnu par ses
pairs.........................................................14
b) La mise en scène de
l'absence............................................................21
c) Une voix venue
d'ailleurs..................................................................26
d) De la mère au
maître........................................................................33
Deuxième partie : La spectacularisation de
l'intime.............................................40
a) Le « zoo
Humain »...............................................................................41
b) Un simulacre
d'intimité.........................................................................48
c) Le dévoilement de
l'invité.....................................................................55
Troisième partie : Une parodie de
conversation ?.............................................64
a) De l' « Olympien » au
« people »............................................................65
b) Le véritable interlocuteur : le tiers-
téléspectateur..........................................72
c) Le politique à
l'épreuve........................................................................78
Conclusion ...........................................................................85
ANNEXES
Introduction
Dans le paysage audiovisuel français se
détachent de nombreuses émissions à vocation
promotionnelle pour des artistes en mal de narcissisme et pour un public
en mal de confidences: Tout le monde en parle, On ne
peut pas plaire à tout le monde , 20h10
pétantes , On a tout
essayé , Recto
verso , Vivement dimanche ...Tous ces
programmes, sous un verni pseudo-culturel se repaissent des confessions plus ou
moins intimes de personnalités du monde du cinéma, de la
télévision, du sport, de la politique. La présence de ces
personnalités garantit à ces programmes sinon de l'audience, du
moins du contenu. Différents procédés ont
été mis en place pour leur conférer un caractère
original. Chez Thierry Ardisson, la provocation a du bon avec le fameux
« sucer, c'est tromper » posé à un Michel
Rocard sceptique ; chez Marc-Olivier Fogiel, le parfum de l'inattendu
dû au direct conjugué à l'impertinence de l'animateur
séduit. Chez certains, on mise sur la valorisation de l'invité
à travers une scénographie avantageuse comme dans
« Vivement dimanche ». Bref, autant de stratagèmes
pour attirer des têtes d'affiche et trouver des concepts plaisants.
Ces émissions créent un contexte particulier,
tant pour le média que pour l'invité : confronté
à un simulacre de conversation naturelle et
désintéressée, les participants s'adressent en fait au
public, dans l'attente d'un retour d'ordre affectif. Cela crée une
relation au sein de laquelle le concept d'autorité prend son sens.
Il existe même des conflits d'intérêts
entre les différents animateurs quant au choix des invités. La
presse rend compte parfois de cette guerre des tranchées
larvée ; on se souvient par exemple de l'affrontement entre Thierry
Ardisson et Marc-Olivier Fogiel, ce dernier étant
soupçonné d'avoir copié le concept de « Tout le
monde en parle » et de ce fait de « voler » les
invités. Il demeure en effet de plus en plus difficile d'inventer de
nouveaux formats d'entretien du fait de la prolifération de ce type
d'émissions et de l'inaccessibilité croissante des
« vrais stars » qui se défilent le plus souvent au
profit de vedettes éphémères au parcours moins riche de la
télé-réalité ou de la télévision.
C'est donc dans un contexte de féroce concurrence qu'est apparue
« En aparté » sur la chaîne cryptée
Canal plus à la rentrée 2001. Présentée
par Pascale Clark dont nous reviendrons sur le parcours et la
personnalité, sa diffusion succède à celle,
ultra-médiatisée, de Loft Story (sur la
chaîne M6). Pourquoi cette mise en parallèle ? Les
deux émissions adoptent toutes les deux le procédé de mise
en isolement dans un simulacre d'appartement-plateau, et ce à l'heure
où les médias s'intéressent de plus en plus aux questions
de voyeurisme.
En aparté : programme phare de
Canal plus
Depuis son apparition en 2001, En
aparté a conquis public, annonceurs ainsi que les
différents directeurs qui se sont succédés à la
tête de la chaîne cryptée. Diffusée à des
heures de grande écoute, en clair, elle est destinée au public de
Canal plus, plutôt cultivé, branché et
aisé. En premier lieu, elle était diffusée le samedi soir
à 20 heures puis le samedi à 13h40. Elle est l'un des programmes
dits « d'appel » de la chaîne. Canal plus en
effet se doit d'entretenir sa réputation de chaîne ouverte,
novatrice, exigence à laquelle En
aparté répond avec son concept de renouvellement des
codes de l'interview télévisée. Le projet était
intitulé, à sa genèse, « A
l'intérieur ». L'idée de l'émission revient
à Alexandre Drubigny, ex-directeur des programmes de Canal plus. Par
ailleurs, Canal plus a une tradition de promiscuité avec les
personnalités culturelles, par son rôle majeur dans le financement
du cinéma au succès de feu Nulle part
ailleurs qui séduisait la majeure partie des vedettes de
l'époque. De ce fait, la chaîne se devait d'avoir son
émission d'entretien à l'instar de La Méthode
Cauet sur TF1, Tout le monde en parle
sur France 2, ONPP1(*) sur France 3. Enfin, malgré les
nombreux problèmes identitaires et commerciaux qu'a connus Canal
plus depuis quelques années, En aparté n'a jamais
été menacé et a su conserver une audience stable,
500 000 téléspectateurs en moyenne, soit 3.5% de part de
marché, bien que la proportion d'invités par semaine ait
été réduite de trois auparavant à deux aujourd'hui.
Le budget de l'émission est de 60 000 à 90 000 euros
par numéro.
Le concept d' En aparté
Stéphane Breton dans son essai
« Télévision », le décrit
ainsi : « Il s'agit de l'interviouve d'un
Invité isolé dans une salle d'attente qui se donne des airs
d'appartement témoin, à moins que ce ne soit le contraire. Les
questions sont posées par un Présentateur absent, par la voix de
l'ange que délivrent des haut-parleurs tout autour. L'impression
d'ubiquité d'un interlocuteur anonyme et flottant est renforcée,
aux yeux du téléspectateur, par la multiplication de
caméras mobiles. On saute d'un point de vue à l'autre. Celui que
l'on interroge n'est vu par personne, mais par des caméras de
surveillance, une fois en plongée, de près, et puis de loin. On
aperçoit même les caméras
télécommandées glisser sur les rails. »2(*)
Le site de Canal plus, lui, présente ainsi le
procédé : « Chaque semaine, deux
personnalités de tous horizons pénètrent seules, dans ce
studio à huit clos, où cinq caméras commandées
à distance suivent leurs faits et gestes. Ils sont en communication
directe, grâce à une oreillette, avec la journaliste Pascale Clark
qui peut les questionner à loisir. »3(*)
On peut ajouter que les invités sont soumis à
toute une série d'exercices, comme commenter des diapositives,
écouter des messages, prendre une photo, choisir un disque.
Ainsi, l'originalité du concept réside dans le
fait que le plateau est ici un appartement-plateau où tout est
calculé pour mettre l'invité à l'aise. Les
décorateurs ont conçu un espace moderne que ne renierai pas les
préceptes du Feng-shui : aéré et clair, quoique un
peu froid, l'appartement de l'émission répond à
l'idée que l'on se fait des logements spacieux des gens aisés. La
promesse de l'émission est d'entrer dans l'intimité d'une
personnalité du spectacle, de la politique, du sport, de la
télévision. De plus, l'invité est seul et livré
à lui-même. Les questions lui sont posées par le biais
d'une oreillette. Fait rare à la télévision, l'animatrice
s'efface. On ne ressent sa présence que par l'intervention de sa voix
qui guide l'invité et qui va jusqu'à le pousser dans ses
retranchements. Il est important de souligner ce choix de l'absence de
l'animatrice, qui permet de concentrer l'attention du
téléspectateur sur l'invité. Il s'agit là d'un
choix atypique à l'heure où les animateurs sont de plus en plus
mis en valeur. Le phénomène est ainsi décrit par
Jean-Pierre Esquenazi :« Le présentateur est partout, il
est maintenant le personnage principal de la télévision et les
individus qui remplissent ce rôle sont les nouvelles
stars. »4(*)
Par ailleurs, l'émission ne suit pas la tendance
prééminente des entretiens agressifs ou provocateurs : ici,
l'invité est « bichonné », on a affaire
à une ambiance psychologisante plus proche du ton de Mireille Dumas par
exemple.
Enfin, le choix de l'invité relève de Pascale
Clark : celle-ci les sélectionne selon la légitimité
de leur parcours, refusant les célébrités
éphémères issues de la télé
réalité. A noter la présence ponctuelle d'invités
internationaux : Iggy pop, Bjork...
Pourquoi « En
aparté » ?
J'ai eu envie d'étudier cette émission pour le
caractère original de son format. En effet, on a l'impression d'assister
à une conversation assez intime dont on serait absent, assouvissant
notre travers de voyeurisme sans pour autant être inquiété,
car l'émission évite l'écueil de sensationnalisme trop
visible. On découvre de nouveaux aspects de la personnalité des
invités, des côtés qu'on ne leur connaissait pas. Dans
l'émission, le silence, l'hésitation sont signifiants.
L'espace-temps est comme suspendu et il s'avère intéressant de
voir de quelle façon les personnalités médiatiques se
démènent avec ce nouveau mode de conversation. Lorsque l'on
apprécie une personnalité, on apprécie de la voir dans
En aparté.
De plus, cette émission inspire de nombreux axes de
réflexion lorsque l'on étudie les sciences de l'information et de
la communication : l'absence de l'animatrice, le climat psychologisant, le
rôle de la voix, le caractère futuriste dû aux couleurs
métallisées,les jeux entre la parole et l'image...
Par ce procédé original, par le semblant
d'intimité qui se crée se tisse une relation toute
particulière, différente à chaque fois, entre
l'invité, l'animatrice et le téléspectateur à qui
l'échange est destiné. En effet, pour réussir à
obtenir des réactions intéressantes de la part de son
invité, Pascale Clark parle parfois comme une mère, une
psychologue, un juge...elle dépasse largement le statut un peu anodin
d'animatrice télévisée, apparaissant comme une figure
éminente d'autorité dans le monde médiatique. Les
personnalités défilent dans l'émission comme s'il
s'agissait d'un confessionnal de ce monde médiatique, un endroit
où l'on peut se dévoiler tel que l'on est. Néanmoins il
est important de garder à l'esprit qu'il s'agit d'un dévoilement
contrôlé, théâtralisé et il est à
étudier les limites de cette authenticité apparente.
L'art de la conversation
Je vais donc m'attacher à
étudier la relation triangulaire qui se tisse entre les trois
participants d' En aparté , c'est-à-dire
l'invité, le média qu'incarne Pascale Clark et le public qui
brille par son absence, mais dont on sent l'omniprésence du jugement. Le
public, avide d'intimité et d'identification, peut, selon son histoire
affective, se fier au repère autoritaire qu'est la
télévision. Seul devant En aparté , on
ressent si ce n'est de l'affection, du moins de la promiscuité avec la
personnalité interviewé. Mais ce contrat affectif est tout entier
orienté par le média incarné ici par Pascale Clark. Se
pose alors la question de l'autorité, substrat de la forme sociale la
plus originelle qui soit et qui pourrait hypothétiquement faire
défaut au téléspectateur assidu : la famille.
Mon hypothèse est l'apparition d'une nouvelle forme
d'autorité dans le rapport invité -animateur et dans le rapport
téléspectateur -invité ainsi que finalement dans le
rapport invité-télespectateur. Je souhaite aussi étudier
l'aspect d' « émission de conversation »
d' En aparté qui renouvelle les codes classiques de
la conversation pour les mettre à la « sauce »
télévisuelle.
Choix et constitution du corpus
Tout au long de cette année de
maîtrise, j'ai regardé tous les numéros de l'
émission En aparté. Certains ont été
enregistrées. Trois d'entre eux ont été retenus pour
constituer le corpus. Ils ont été sélectionnées
selon les personnalités qui y étaient invités. En effet,
ce programme a pour particularité d'inviter des personnalités
médiatiques de tous horizons et il paraissait souhaitable que le corpus
reflète cette multiplicité. De ce fait ont été
sélectionnées : une émission où intervenait un
acteur, pour étudier la question du rapport narcissique à l'image
dont on a tendance à dire que ceux-ci sont friands. Une émission
dont l'invité était une animatrice de télévision
afin d'observer la dualité avec Pascale Clark et pour analyser la
relation qui s'instaurera ainsi que l'éventuel compétition
sous-jacente entre deux personnalités connaissant les codes de
l'interview télévisée ; enfin, une émission
consacrée à un homme politique, qui est ici dans une situation
complexe, tiraillé entre la nécessité de
représentation et le souhait de paraître naturel.
Trois invités ont retenu mon attention et
répondaient à ces critères :
- Charles Berling dans l'émission du 15 janvier
2005 : il y défendait le film documentaire « la marche de
l'empereur » de Luc Jacquet où il prêtait sa voix
à un manchot. Sa prestation, faussement débonnaire et naturelle,
peu passionnante au demeurant pour le téléspectateur moyen est
néanmoins intéressante du fait des efforts de Pascale Clark pour
la rendre intéressante.
- Maitena Biraben dans l'émission du 8 janvier 2005.
Elle y présentait sa nouvelle émission, Nous ne sommes
pas des anges, diffusée sur la même chaîne. Cette
animatrice atypique retient l'attention car elle dégage une
énergie peu courante. D'une nature extravertie, on l'imagine
préparant sa prestation car elle venait sur le plateau d' En
aparté pour défendre son émission qui ne parvenait
pas à décoller. Tout comme Pascale Clark, elle ne correspond pas
aux critères classiques de l'animatrice de télévision et
il paraissait intéressant d'assister à leur confrontation.
- François Hollande dans l'émission du 22
janvier 2005. Tout comme Maitena Biraben mais dans un autre genre,
François Hollande défendait ici un programme et une
personnalité qui ne recueillent pas d'audience. On a affaire ici
à toutes les problématiques inhérentes au passage du
politique à la télévision : citons notamment la
nécessité d'adopter un langage dénominateur commun tout en
conservant une certaine crédibilité politique.
Par ailleurs, au sein du corpus annexe apparaissent d'autres
prestations d'invités destiné à appuyer les conclusions et
hypothèses défendues. En effet, durant cette année 2005,
de nombreux sportifs, chanteurs se sont pressés aux portes
d ' En aparté qu'il aurait été dommage
d'occulter. Sera également cité le Best of de l'année
2004.
Le corpus annexe est également composé de
nombreux articles de presse issus de recherches à la Bibliothèque
de l'Ina et à celle de Pompidou : il s'agit d'archives de
l' « Humanité »,
« Libération », « Le
Monde », « le Figaro »,
« Télérama », « Les
inrockuptibles » et « Le Nouvel
Observateur ».
Présentation du plan
Trois parties composent cette étude
sur l'émission En aparté. La première sera
entièrement consacrée à la présentation de Pascale
Clark. Sa position de figure prééminente au sein de
l'émission rend en effet pertinente et important le fait de se pencher
sur sa personnalité . Elle constitue une figure d'autorité
majeure et incarne entièrement l'émission. Je vais revenir sur
son parcours, sa carrière a la radio, le succès de sa voix.
Après avoir travaillé sur des radios telles que Europe 1, Europe
2, elle commence à la télévision avec des émissions
de décryptage des médias telles que « Arrêts sur
image », « Culture pub », ce qui sera signifiant
dans ma réflexion. On fera par ailleurs apparaître l'installation
de Pascale Clark dans une « généalogie des
animatrices », en montrant notamment, au moyen des articles de
presse de mon corpus annexe, la crédibilité dont elle
bénéficie au sein de la profession. Cela donnera lieu à
une réflexion sur la difficulté pour les femmes d'obtenir de la
crédibilité dans des émissions dites sérieuses,
réflexion qui s'appuiera sur le livre de Pierre Bourdieu « La
domination masculine ».
Je vais analyser le choix de l'absence de Pascale Clark dans
la mise en scène, choix qui semble étrange à l'heure
où le présentateur de télévision n'a jamais autant
occupé l'espace médiatique. Je vais aussi étudier sa
présence uniquement vocale, qui lui confère une aura mythique.
Cette présence vocale instaure en effet une relation charnelle, presque
maternelle. Il est à souligner, toujours d'après le livre de
Bourdieu, la nécessité pour l'animatrice d'être absente de
la mise en scène pour ne pas être prisonnière de sa
représentation.
Je consacrerai une partie sur les effets produits par
l'utilisation unique de la voix dans l'émission et faire un état
de lieux de la question du lien entre image et parole et ce, grâce au
« Médiamorphoses » n°7 d'avril 2003
« Télévision et radio : état de la
parole »
Enfin, je finirai sur les différents types de relation
qu'instaure Pascale Clark en m'appuyant sur l'ouvrage d'Alexandre Kojève
« La notion de l'autorité ». En effet, Pascale Clark
adapte son type de comportement au regard de l'attitude de
l'invité ; elle revêt tantôt le statut de la
mère, du Juge, du Confesseur...
Dans une seconde partie intitulée « la
spectacularisation de l'intime », j'aborderai en premier lieu la
tendance à vouloir enfermer l'individu pour mieux l'observer, tendance
de plus en plus notable à la télévision : en dehors
des inévitables émissions de télé
réalité émergent de nombreux cadres d'entretien dans
lesquels l'individu est retenu : Citons notamment deux
émissions de Paris Première : 93 faubourg Saint
Honoré, faux dîner chez Thierry Ardisson, Petites
confidences entes amis, où l'invité est retenu dans une
chambre d'hôtel où se succèdent des interviewers surprises.
L'expérience fut aussi tentée sur Tf1 avec
Devine qui vient dîner ? diffusée le vendredi 4
janvier 2002. Ce fut un échec. Pourtant l'émission se situait
dans la lignée des programmes du type d' En aparté.
Cette tendance est expliquée par Olivier Razac dans son livre
« L'écran et le zoo : spectacles et domestications, des
expositions coloniales à Loft Story »5(*), sur lequel je m'appuierai pour
soutenir l'analyse développée.
Puis dans une deuxième sous-partie, je traiterai du
simulacre d'intimité qui constitue la promesse de l'émission, en
montrant que la sphère de l'intimité n'est que prétexte au
média et pour le public d'assouvir son autorité sur
l'invité. Il s'agit d'une fausse intimité où on utilise
efficacement les artifices mais dans une volonté paradoxalement
spectacularisante. Mon ouvrage de référence sera « La
télévision de l'intimité »6(*) de Dominique Mehl.
Enfin, je m'intéresserai au dévoilement de
l'invité. En effet, Pascale Clark s'attaque moins aux faits qu'aux
réactions : elle provoque l'invité, le
« titille ». Il s'agira ici plus d'une étude
sémiologique de l'image, destiné à observer la
façon dont la caméra traque les réactions des
invités et épouse les propos de l'animatrice. On constate alors
que des réactions minimes sont spectacularisées. On pourrait
même dire que, d'une certaine manière, l'animatrice trouble ses
invités dans leur désir de représentation.
Ma dernière partie sera consacrée aux
problématiques liées aux caractères conversationnels de
l'émission et à ses limites. Dans une première sous-partie
intitulée « de l'Olympien au people », je traiterai
de la relation avec le « people » et de l'évolution
du statut de « star ». On est certes passé de
l'époque des stars lointaines et inaccessibles à l'ère de
la proximité certes, mais les médias perpétuent et
entretiennent les valeurs d'identification des personnalités. De ce
fait, celles-ci, bien que l'on puisse plonger dans leur intimité,
restent tout de même dans un univers Olympien, expression
empruntée à Edgar Morin dans son ouvrage « L'esprit du
temps ». Selon moi, En aparté participe
à cette tendance car l'invité est posé sur un socle que
l'on observe méticuleusement comme s'il était exceptionnel. Je
m'appuierai sur le « Médiamorphoses » n°8
consacré à la question du people et intitulé
« Médias people : du populaire au populisme ».
Je conclurai cette réflexion sur le constat de l'émergence du
« people » dans nos sphères affectives.
Puis je reviendrai sur le dispositif de « mise en
autorité » du programme, qui maîtrise le discours de
l'invité. Ce point-ci sera plus technique. J'y étudierai le
caractère artificiel de la conversation, les indices de la
représentation des invités, le discours adressé le plus
souvent plus au tiers public qu'au tiers animatrice. Pour ce, je m'appuierai
sur l'ouvrage de Patrick Charaudeau et Rosa Montes « La voix
cachée du tiers » et sur « L'ordre du
discours »7(*) de
Michel Foucault. Je tenterai de démonter les artifices de la
conversation.
Enfin, dans une dernière partie, je parlerai
spécifiquement de la question du politique à l'épreuve de
l'émission de conversation, le but étant de livrer une
réflexion sur sa place dans une émission populaire, son conflit
entre le désir d'être près du peuple et sa quête de
crédibilité, sa nécessité de tenir une relation
« équidistante » avec le média. Cela
permettra de mettre en exergue l'autorité du média qui
maîtrise la représentation du pouvoir du politique.
Ce mémoire dissèquera une émission qui
est symptomatique de l'évolution des formats d'interview, toujours plus
en quête d'intimité et de « scoops », de
regards différents sur des personnalités qui prennent de plus en
plus d'importance au sein de notre sphère affective. Les rapports de
force conversationnels se créent et font du média un
indéniable acteur politique qui module notre perception et notre opinion
sur les personnalités qui composent notre environnement
médiatique.
Première partie :
Pascale Clark : une figure de
l'autorité
Cette première partie sera consacrée au
portrait de Pascale Clark. Elle fait partie de ces animateurs qui s'incarnent
totalement dans leurs émissions, à l'instar de Nicolas Hulot avec
Ushuaia ou Thierry Ardisson avec Tout le monde en parle. On
ne peut imaginer En aparté sans Pascale Clark et je
projette de démontrer la façon dont un animateur peut se
confondre avec un concept. Je compte étudier la perception qu'en ont les
autres journalistes dans une première partie puis la façon dont
elle s'inscrit au sein d'une généalogie des animatrices et je
reviendrai sur la difficulté d'acquérir de la
crédibilité en tant que femme dans le monde des médias et
comment Pascale Clark a réussi, notamment grâce à sa
voix : son absence a contribué à conférer de
l'originalité et une dimension mystique à son programme. Je
terminerai par la mise en évidence des différentes figures
d'autorité qu'elle revêt durant son émission.
a) Un parcours reconnu par ses pairs
Tous les articles que j'ai
étudiés confirment un fait : Pascale Clark est
indéniablement une femme de radio. Il suffit de relever les titres des
articles la concernant pour s'en rendre compte : « Le charme des
mots » ; « Pascale Clark : une voix, des
visages » ; « Jean Rochefort en tête
à tête avec une voix » ; « Pascale
Clark, la voix sans maître » ; « Celle qui suit
sa voix »...d'autant plus qu'elle n'a de cesse de se réclamer
de ce monde radiophonique qu'elle affectionne « la
télé raconte un autre monde qu'est le mien » titre
à l'occasion d'un entretien le Monde télévision du samedi
3 août 2002.
En témoigne son parcours qui sera en bien des aspects
intéressants pour notre étude.
Après une licence de journalisme au Celsa (où,
affirme-t-elle, elle évitera le formatage), elle se lance comme reporter
pour une radio versaillaise, CVS, en 1983. Remarquée, elle
poursuit sa carrière à Europe 2, puis assure des
tranches d'information sur France Info. A Europe 1, elle est reporter
puis devient présentatrice, occupant d'abord des tranches
vespérales puis des matinales. Cependant Europe 1 connaissant
de graves problèmes de programmation, Pascale Clarke est
remerciée par Jérôme Bellay, son supérieur. Elle
fait un virage vers le petit écran dans Arrêt sur images
sur la cinquième au côté de Daniel Schneiderman, puis
réalisera des portraits pour TV+ et un an de plus
sur Canal plus. Elle réalisera aussi des reportages pour
Culture Pub sur M6. On devine par ses choix professionnels
des affinités pour le domaine du décryptage des médias.
Cependant, sa prestation au sein d' Arrêts sur image ne fut pas
jugée à l'époque convaincante. Elle-même n'a pas
appréciée cette incursion dans la sphère
télévisuelle. Elle prend l'habitude de fustiger la lucarne
qu'elle qualifie de « fille de joie » et de
« pute »8(*). Selon elle, « tout le monde est tout de
suite plus beau, plus intelligent, plus côté sur le
marché », un système qu'elle abhorre. Elle retourne
donc à son premier amour, la radio, en animant pendant un printemps les
matins de Oui FM où elle succède à Nicolas
Pointcaré ; elle y présente le 7-9 d'Inter puis l'interview
de 8 h20. Elle s'y forge une solide réputation en matière de
meneuse de revue de presse. Par la suite, elle animera pendant trois ans
« Tam-tam » sur France inter, une émission
quotidienne de société, en même temps
qu' « En aparté ». Tam tam lui fait gagner une
certaine crédibilité : cette émission qui a pour
vocation de revenir à la matière première de la radio,
« c'est-à-dire le son », est un joyeux
mélange d'interviews, de chroniques et de reportages, mis en musique et
destiné à entendre « le bruit du monde ». On
y parle d'ailleurs beaucoup de télévision. Pascale Clark y est
entouré de chroniqueurs comme Christine Masson, Laurent Bonelli, Nicolas
Rey... Son départ, après trois ans de bons et loyaux services
coïncide avec l'éviction du directeur de France Inter et le
départ de Claude Villiers et les changements de programmation que tout
cela suggère.
Depuis la rentrée 2004, Pascale Clark anime On
refait le monde sur RTL. Le site promeut son nouvelle recrue
en la décrivant ainsi « une personnalité hors norme,
son ton attire ou irrite, ses jugements sont tranchés et vont toujours
à l'essentiel, ses idées ne manquent pas d'originalité,
elle manie humour et ironie... ». La journaliste de 38 ans est
entourée de nombreux chroniqueurs comme Guy Birenbaum ou Alain-
Gérard Slama ainsi que de nombreux universitaires et journaliste. Le
ton y est polémique. Toujours d'après le site, On refait le
monde se définit comme « le plaisir de confronter ses
idées avec les autres ».
Par ailleurs, Pascale Clark a écrit deux romans
relativement bien accueillis : « Tout le monde fait
l'amour » publié en 2001 chez Albin Michel où,
reconnaissant une part auto biographique, elle raconte l'histoire d'une jeune
femme, trop sensible et fragile pour mener une relation amoureuse et
embarrassée par sa virginité. Ensuite, en 2004, elle publie
« Merci de votre attention », un polar sur le monde des
médias dans lequel elle y dénonce au passage le règne du
narcissisme et des faux semblants. Cela témoigne du fait que la
journaliste garde un regard critique sur le monde dans lequel elle
évolue.
1- Des critiques
Le parcours de Pascal Clark est loin
d'être exempts de critique. On lui reproche fréquemment son manque
de culture, « ses approximations, ses manques en matière de
géopolitique, d'histoire de la littérature ou de
musique »9(*),
sûrement dû à la brièveté de ses études
universitaires. Pascale Clark avait ses ennemis au sein de la maison du service
public. Lorsqu'elle intervenait au sein d' « Arrêts sur
image », on la décriait pour son manque de charisme et sa
confusion, ce qui peut aussi expliquer son aversion pour la lucarne.
Par ailleurs, en parcourant le net, nombreux sont les
internautes à moquer son inconsistance et la vacuité de ses
émissions. Concernant « En aparté », il est
vrai que lorsque l'invité ne présente pas d'intérêts
particuliers, l'émission perd en contenu (par exemple, Estelle
Hallyday). Par ailleurs, dans certaines émissions satiriques comme
« les guignols de l'info » ou « la
téloose » sur Comédie, Pascale Clark est
représentée sous forme d'enceinte et est moquée sur son
physique, absent donc hypothétiquement laid.
Cependant, force est il de constater que Pascale Clark s'est
bâti une solide réputation et occupe une place institutionnelle
dans la sphère médiatique.
.
2 - La place de Pascale Clark dans une
généalogie des animatrices
Pour mieux comprendre la place qu'occupe
Pascale Clark au sein de l'espace médiatique, il convient d'esquisser
une généalogie des animatrices. Précisons tout d'abord ce
que l'on entend par « animateur »10(*) : on en recense
près de 200 en 1985. Avec le développement des chaînes
câblées et la télévision numérique terrestre,
on peut aujourd'hui doubler cette donne. Pasquier et Chalvon- Demersay
définissent l'animateur comme étant « toute personne qui
assure la présentation d'une émission ne relevant pas du secteur
de l'information, reprenant ainsi une coupure entre information et programmes
(...) qui oeuvrent dans des genres télévisuels variés, qui
possèdent des compétences diverses et qui jouissent d'une
renommée variable » En fait, Pascale Clark se situe à
la croisée de l'animatrice et de la journaliste, si l'on
considère qu'elle anime une émission de divertissement mais en
ayant une formation de journaliste. Cependant, il serait réducteur de
définir En aparté comme une simple émission de
divertissement ; il s'agirai plus ici d'une émission d'entretien,
que nous préciserons plus tard par la qualification
d' « émission de conversation ». Dans cette
lignée, on retrouve des femmes comme Ménie Grégoire et
Mireille Dumas, qui se sont spécialisées dans le recueil de
confidences. La différence majeure avec ces femmes est que Pascale Clark
recueille la parole de la personnalité, à laquelle on
s'identifie. Cependant, elle utilise les ressorts habituels de l'entretien
télévisé :
« Ses questions sont guidées par ce qu'il
suppose être le point de vue du téléspectateur et son
degré de connaissance du sujet ou de la personne (...) le
présentateur est un accoucheur d'idées ou d'histoires
instructives, un interprète requis pour nous éclairer et nous
familiariser avec le sujet. »11(*)
Pascale Clark reçoit les hommes politiques ce qui peut
apparenter son émission à une émission d'information. Tout
comme les émissions de Mireille Dumas ou de Ménie
Grégoire, l'émission de Pascale Clark s'inscrit dans une
perspective relationnelle, genre pour lequel l'univers machiste de la
télévision aime faire appel à des figures
féminines. En effet, selon Pierre Bourdieu, « les femmes
savent mieux identifier une émotion représentée non
verbalement et déchiffrer l'implicite d'un dialogue »12(*).
Il est intéressant d'établir un
parallèle entre le parcours de Ménie Grégoire et celui de
Pascale Clark ; toutes deux se sont arrêtées au niveau
licence, ont écrit des romans en parallèle de leur
carrière médiatique. Ménie Grégoire a
inventé la radio moderne, donnant la parole au public. Par ailleurs,
elle était réputée pour la qualité de sa voix, qui
mettait ses invités, eux anonymes, en confiance. Cependant, et surtout
pour son époque, Ménie Grégoire a complètement
révolutionné la notion d'intimité à la radio.
Quant à Mireille Dumas, elle possède le
même ton psychologisant et la même capacité à mettre
à l'aise l'invité. Elle apparaît souvent comme une
référence dans les ouvrages étudiés pour la
rédaction de ce mémoire.
Par ailleurs, la qualité des invités rehausse
la crédibilité de Pascale Clark au sein d'une
généalogie des animatrices/journalistes. Car comme le signifient
D. Pasquier et S. Chalvon-Demersay, l'animateur doit souvent choisir entre
« la consécration populaire et la reconnaissance
professionnelle ». Or Pascale Clark a réussit à
combiner respect du public et de la profession. Son émission reste assez
populaire en recevant des invités appréciés du grand
public (Mickael Youn, Jamel Debbouzze) tout en recevant des
personnalités culturelles plus « haut de gamme » comme
Amélie Nothomb ou Bjork.
3- La difficulté d'être une femme dans le
monde de la télévision
La télévision est un univers
particulier ; le règne de l'apparence, le culte de l'image imposent
aux femmes d'adopter un certain langage, celui de la séduction. Pierre
Bourdieu, réputé réfractaire à la
télévision, dénonce cette contrainte dans son ouvrage
« la domination masculine »13(*) :
« Tout, dans la genèse de l'habitus
féminin et dans les conditions sociales de son actualisation, concourt
à faire de l'expérience féminine du corps la limite de
l'expérience féminine de l'expérience
télévisuelle du corps -pour- autrui, sans cesse exposé
à l'objectivation opérée par le regard et le discours des
autres. Le rapport au corps propre ne se réduit pas à une
« image du corps », c'est-à-dire de la
représentation subjective (self-image ou looking -glass self),
associée à un degré déterminé de
self-esteem, qu'un agent a de ses effets sociaux (de sa séduction, de
son charme, etc..) et qui se constitue pour l'essentiel à partir de la
représentation objective du corps, feed-back descriptif et normatif
renvoyé par les autres (parents, pairs, etc.). »
Ce que décrit Bourdieu est en fait l'éducation
des femmes qui les incite à se considérer comme un
« être perçu » et à s'investir dans
leur potentiel de séduction, aux dépens d'un investissement plus
intellectuel. En fait, la confiance qu'elles accordent à leur propre
corps détermine leur degré d'investissement dans les
sphères sociales. De plus, cette confiance se détermine aussi par
rapport aux retours perçus par le regard d'autrui. Le mode de langage
de la télévision épouse cette manière de
pensée. Pour Bourdieu, deux solutions s'offrent alors à
elle :
« Plus généralement, l'accès au
pouvoir, quel qu'il soit, place les femmes en situation de double -bind :
si elles agissent comme des hommes, elles s'exposent à perdre les
attributs obligés de la
« féminité » et elles mettent en
question le droit naturel des hommes aux positions de pouvoir ; si elles
agissent comme des femmes, elles paraissent incapables et inadaptées
à la situation. »14(*)
Dans notre sphère médiatique actuelle, on peut
citer par exemple l'animatrice Christine Bravo, qui emprunte le langage et la
gestuelle des hommes pour se faire entendre et respecter. Ainsi, elle acquiert
une respectabilité certes relative mais perd en séduction.
Souvent, on remarque aussi que les femmes à la télévision
sont souvent réduites à leur caractère décoratif
(Sophie Favier, les femmes météos sur Canal plus...) et dans ce
cas, n'ont aucune possibilité d'accéder au pouvoir.
« Ces attentes contradictoires ne font que prendre
le relais de celles auxquelles elles sont structuralement exposées en
tant qu'objets offerts sur le marché des biens symboliques,
invitées à la fois à tout mettre en oeuvre pour plaire et
séduire et sommées de repousser les manoeuvres de
séduction que cette sorte de soumission préjudicielle au verdict
du regard masculin peut sembler avoir suscitées. Cette combinaison
contradictoire de fermeture et d'ouverture, de retenue et de séduction,
est d'autant plus difficile à réaliser qu'elle est soumise
à l'appréciation des hommes qui peuvent commettre des erreurs
d'interprétation inconscientes ou
intéressées. »15(*)
Ici, Pierre Bourdieu prend pour exemple la réception
de blagues sexuelles par une femme ; soit elle n'y participe pas et ainsi,
elle s'exclut, soit elle y participe dans une volonté
d'intégration et s'expose par la suite à des allusions sexistes
voire même à du harcèlement. La femme, que ce soit en
général ou à la télévision est
obligée de réfléchir le rapport qu'elle a avec son propre
corps. Il s'agit donc d'une véritable contrainte, qui limite ses
capacités à accéder au pouvoir.
Sandra Lee Bartky, citée par Bourdieu, nomme ce
phénomène le « complexe mode-beauté »
(Fashion beauty complex), soit l'inculcation aux femmes de profondes
anxiétés à propos de leur corps et d'un
« sentiment aigu de leur indignité corporelle ». De
ce fait, la femme est en attente de l'homme, qui représente le puissant,
d'une « réassurance » de sa part. Le désir
féminin revêtirait ainsi une dimension masochiste et les relations
sociales de domination sont érotisées. La femme aurait
constamment besoin d'être rassurée sur son potentiel
« corporel ». Elle se met donc immanquablement en position
d'infériorité car d'attente vis-à-vis de l'homme. Plus
prosaïquement, on le remarque dans de nombreuses émissions
télévisées : l'intervention de l'animatrice est
souvent accompagnée d'un silence dubitatif où l'erreur est
attendue et où règne une suspicion d'incompétence. De ce
fait, elles développent une anxiété plus visible que
chez les animateurs où l'erreur sera toujours accueillie par un rire
complice.
En effet, lorsque l'on considère les journalistes ou
animatrices actuelles, force est de constater qu'elles peuvent être
classées en deux catégories : celles qui animent ou
co-animent des émissions de divertissement et qui sont physiquement
agréables et celles, bien moins médiatisées, qui
présentent des émissions plus sérieuses. Dans une
première catégorie, la plus symbolique serait Flavie
Flament : belle, certes, mais elle est la quintessence de l'objet
décoratif qui illustre des émissions divertissantes et
légères. Mission qu'elle remplit à merveille. Dans les
« écoles d'animatrice » (malheureux et nouveau
concept de nos sociétés médiatiques), Flavie Flament
représente l'idéal à atteindre pour percer
professionnellement. Dans la seconde catégorie, on retrouve des femmes
comme Christine Ockrent et Arlette Chabot, qui s'illustrent plus sur le plan
intellectuel et qui doivent d'autant redoubler de compétences pour
obtenir le respect de l'homme. Arlette Chabot est directrice de l'information
sur France 2 et ainsi peut asseoir son pouvoir face à des interlocuteurs
masculins. Par contre, elle abandonne tout registre de séduction. Il est
à noter que certaines femmes journalistes considérées
comme des femmes de pouvoir sont associées à leur mari ce qui
tronque quelque peu leur crédibilité : Anne Sinclair a
dû démissionner de 7 sur 7 par sa liaison avec Dominique
Strauss-Kahn, Christine Ockrent se voit assimilée à son mari
Bernard Kouchner.
Toujours selon Pierre Bourdieu, la femme est originellement
destinée à supporter la domination masculine, titre de son
ouvrage.
« La domination masculine, qui constitue les femmes
en objets symboliques, dont l'être (esse) est un être perçu
(percipi), a pour effet de les placer dans un état permanent
d'insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance
symbolique ; elles existent d'abord par et pour le regard des autres,
c'est-à-dire en tant qu'objets accueillants, attrayants, disponibles. On
attend d'elles qu'elles soient « féminines »,
c'est-à-dire souriantes, sympathiques, attentionnées,
discrètes, retenues voire effacées. (...). En conséquence,
le rapport de dépendance à l'égard des autres (et pas
seulement des hommes) tend à devenir constitutif de leur
être. »16(*)
De ce fait, il s'avère compliqué pour une femme
d'asseoir une quelconque forme d'autorité. Pour Pascale Clark, on l'a
vu, son passage aux côtés de Daniel Schneidermann s'est
révélé infructueux. Elle l'évoque en ces termes
« Daniel Schneidermann, venant de la presse écrite, n'avait
besoin que d'une coprésentatrice, pour trouver ses marques. Quand il y
est parvenu, je suis partie »17(*). Difficile de s'imposer face à un homme et
difficile aussi d'imposer une présence...en effet, les
« duos » mixtes d'animateurs souffrent de ne pas
équilibrer leurs rapports de l'un par rapport à l'autre. Autre
exemple, celui de Linda Hardy, engagée en 2000 par Thierry Ardisson pour
Tout le monde en parle. La jeune femme fut instantanément
reléguée au statut de faire - valoir et de réceptacle de
plaisanteries douteuses.
« Lorsqu'elles participent à un débat
public, elles doivent lutter en permanence, pour accéder à la
parole et retenir l'attention ; et la minoration qu'elles subissent est
d'autant plus implacable qu'elle ne s'inspire d'aucune malveillance explicite,
et qu'elle s'exerce avec l'innocence parfaite de l'inconscience ; on leur
coupe la parole, on adresse en toute bonne foi à un homme la
réponse.. »18(*)
En 1985, Dominique Pasquier et Sabine
Chalvon-Demersay19(*)
livraient une morphologie des animateurs français et évoquaient
la minorité et le handicap des femmes animatrices.
« L'animation télévisuelle est
clairement un métier masculin, (...) l'âge est un handicap
évident pour les femmes animatrices, alors qu'il semble être un
des éléments de la réussite masculine ; il est
difficile de faire une carrière dans l'animation
télévisuelle quand on est une femme, il est encore plus difficile
de poursuivre cette carrière après quarante ans »
Sûrement influencée par ce mode de
pensée, Pascale Clark, dans ses interviews, n'a de cesse de critiquer la
télévision et son caractère réducteur :
« la radio, c'est tout sauf les faux-semblants. Pour cela, il y a la
télévision. ». Le choix de l'absence de Pascale Clark
au sein de l'émission se justifie donc pleinement.
b) La mise en scène de l'absence
Je vais étudier ici tant l'absence de
l'animatrice que celle du téléspectateur.
La mise en scène
d' « En aparté » a donc pour originalité
de se fonder sur l'absence de son animatrice vedette, choix des plus audacieux.
En effet, nous sommes dans une ère télévisuelle où
l'animateur est roi et personnalise son programme. Il y a une demande de la
part du téléspectateur pour des émissions
« relationnelles ». C'est ce qui caractérise, selon
Hélène Duccini le concept parfois controversé de
néo-télévision. Dominique Mehl définit
ainsi ce concept :
« Le premier registre sur lequel joue la
télévision relationnelle est celui de la convivialité.
Réduire la distance, partager d'égal à égal, abolir
les hiérarchies, créer une complicité typique d'une
communauté réduite (...) La communication ne se déploie
pas entre les partis et les citoyens, mais entre homme politique avec son
tempérament, ses mimiques et ses manies, et l'électeur
personnellement interpellé par lui »20(*).
Or, en proposant un espace privé comme lieu d'une
conversation aux aspects intimistes, Pascale Clark offre une communication
« émotionnelle » avec l'invité. Le
décor promet une intimité, accentuée par l'absence visible
de médiateur. Pourtant, cette absence aurait pu porter préjudice.
En effet, chez Dominique Mehl, ce caractère relationnel se
définit par rapport entre autres à l'animateur.
« La télévision relationnelle
consacre l'animateur. Compagnon du public, c'est lui qui va susciter,
cristalliser puis entretenir le lien avec le téléspectateur. Il
ne joue pas sur le registre de la traduction mais sur celui de l'identification
qui constitue la condition d'une implication affective. »21(*)
Le téléspectateur demande de la
convivialité, de la communication. Il réclame un lien social avec
l'animateur : « les animateurs suscitent des sentiments
intenses s'ils sont encore présents à l'antenne, et les forts
consommateurs de télévision ont sur eux un savoir
important »22(*). A cet égard, En aparté
correspond à cette demande, excepté le fait que le
téléspectateur ne connaît pas grand-chose de l'animatrice.
Cependant, l'absence de l'animateur s'y révèle originale. Pascale
Clark n'entretient pas de mythe médiatique sur sa personne, ni de
rivalités avec d'autres animateurs - comme les duels médiatiques
Arthur/Cauet ou Fogiel/Ardisson. Dans les entretiens, elle reste dans le
domaine professionnel. On ne lui connaît pas de relations sentimentales.
A cet égard, elle se différencie des autres animatrices et
mène plus sa carrière à l'image d'une Mireille Dumas. Elle
concède elle-même qu'elle ne participerait pas à sa propre
émission, car elle est trop pudique. Par ailleurs, grâce à
cette absence, elle échappe au conflit qu'ont la plupart des animateurs
de tenir une relation suffisamment distante avec le
téléspectateur tout en conservant un certain lien affectif.
Jérôme Bourdon23(*) décrit ainsi cette
problématique :
« Le ton intime et la présence
régulière des intercesseurs télévisuels
créent de nouveaux types d'interaction sociale, ce que Norton et Wohl
(1986), dans un article classique, baptisent
« interaction parasociale ». Parasocial
n'est pas loin de paranormal. Le retour régulier de figures
familières produit au sein du public une croyance : ces figures la
connaissent lui aussi, et cette familiarité est créatrice
d'attachements et de droits -d'où des malentendus sans fin qui obligent
les animateurs à cultiver ce lien à distance en rendant
impossible l'accomplissement de l'intimité, à vivre dans un
oxymoron de distance-proximité. Se sont établies ainsi, à
la télévision et à la radio des formes standard de la
familiarité publique, après quelques tâtonnements entre
l'excès de familiarité et l'excès de
formalité. »
Or, ici, Pascale Clark, par l'intervention unique de sa voix,
échappe à cette problématique. Cela lui confère un
mystère, une inaccessibilité, et elle garde ainsi son
indépendance affective face aux téléspectateurs.
A aucun moment, l'animatrice n'apparaît physiquement.
On est loin ici du regard « yy » d'Eliséo Veron
« il est là, je le vois, il me parle »24(*). Comme on l'a vu ce
procédé a pour effet de libérer l'animatrice de toutes les
contraintes liées au corps. Elle peut donc affirmer son autorité
sans jouer sur le registre de la séduction. De plus, cela a pour effet
de mettre en valeur la parole de l'invité ; ainsi, on peut se
concentrer sur ce qu'il dit mais surtout sur sa gestuelle. En effet, l'une des
promesses de l'émission est de révéler ce que normalement
l'invité tente de masquer dans d'autres émissions :
l'état de stress, la sensibilité, le regard... D'autant que
l'émission est enregistrée dans les conditions du direct ;
il n'y a aucune coupure, on assiste aux hésitations face à la
chaîne hi-fi lorsque l'invité doit choisir une chanson (il ne sait
presque jamais sur quel bouton appuyer ), à ses tâtonnements
lorsqu'il doit s'asseoir...
Par ailleurs, la présence de Pascale Clark en
coulisses auprès des techniciens lui confère une
indéniable légitimité ; en effet, Dominique Pasquier
et Sabine Chalvon-Demersay25(*) évoquent le conflit originel entre animateurs,
qui brassent une attention considérée comme illégitime, et
les techniciens ; « les animateurs sont visibles et
dépendants, les techniciens sont invisibles et
puissants »26(*). Or, ici, Pascale Clark quitte le piédestal du
plateau pour rejoindre le lieu du montage, du mixage... De même, Pasquier
et Chalvon-Demersay disent que l'animateur est un pion qui n'a le choix de rien
dans les conditions de tournage et de montage. Or, les techniciens et
l'animatrice d' « En aparté » travaillent en
étroite collaboration, par leur proximité spatiale.
Deux procédés indiquent la présence de
Pascale Clark : sa voix, ce qui occupera la partie suivante, et la mise en
scène : en effet, les cinq caméras
téléguidées suggèrent le regard de l'animatrice.
Ces cinq caméras signifient une énonciation dite zéro
où la narratrice est partout ; cela lui confère une
indéniable autorité. Ces cinq caméras ne rechignent pas
aux gros plans, elles n'hésitent pas à se focaliser sur des mains
qui tremblent, sur un geste gêné. Ces caméras
télécommandées naviguent sur des rails et ont chacune un
angle très précis du salon ; ce sont des cadreurs qui
s'occupent de les commander ; dans une régie au fond du couloir,
ils sont concentrés sur des joysticks qui permettent de diriger les
caméras à distance. La navigation des rails suit le fil
conducteur de l'entretien.
Par ailleurs, il est à relever que l'invité
aussi doit gérer cette absence. Il n'y pas ici de
« regard-caméra ». L'invité ne peut
s'adresser comme il peut avoir l'habitude de faire face à la
caméra, dans un souci d'interpellation ou de connivence avec le
téléspectateur27(*). Il est privé des ressorts traditionnels qui
l'aident habituellement à assurer l'entretien. Néanmoins, il
connaît le type de questions qui lui est posé et le dispositif
scénique désormais familier pour d'aucuns qui auraient
déjà vu l'émission.
Ils peuvent avoir différentes manières de
gérer cet « inconnu » : Charles Berling, par
exemple, agit comme s'il était chez lui, paraît extrêmement
détendu, ce que remarque l'animatrice. François Hollande, lui,
paraît plus crispé tandis que Maitena Biraben semble
contrôler le dispositif.
L'avantage de cette mise en scène, pour Pascale Clark,
est qu'elle peut simuler l'aisance ; inutile ici de cacher son prompteur
ou ses textes. Elle maîtrise sa narration à l'abri des
caméras.
Par ailleurs, cette absence crée un nouveau contrat
d'entretien entre l'interviewer et l'interviewé. Le contrat traditionnel
est ainsi définit par Hélène Duccini :
« L'interviewer fait modèle, la
qualité de son attention peut et doit guider celle du spectateur. Il
capte le regard de l'invité et recrée la situation normale de la
communication, qui passe par la parole et les gestes : les silences
parlent, les mimiques, le sourire, le froncement du sourcil, une moue,
quelquefois imperceptibles, en disent plus que de longs
discours »28(*).
Or, ici, le téléspectateur, comme
l'invité est privé de ce guide d'entretien qu'est l'animatrice.
L'effet de loupe est garanti sur l'invité. Les conditions de tournage
d' En aparté exagèrent cette tendance qu'à
la télévision d'amplifier les gestes et attitudes, ce que
Hélène Duccini décrit ainsi :
« Dotée d'un petit écran, la
télévision est obligée de s'approcher de son sujet, elle
produit un effet de loupe. Cette exagération impose donc aux
interlocuteurs une modération du geste et de l'expression. Les mains
surtout accompagnent normalement le discours pour qui « joint le
geste et la parole », mais il faut réprimer les mouvements
brusques ou trop amples qui distraient le regard. (...). Comme le dit
Rossellini, l'interview donne à la télé le sens du gros
plan »29(*)
Du fait qu'il n'y ait pas d'interactions avec le public,
l'invité ne peut que deviner ses réactions. Le silence et le
calme régnant sur le plateau créent de la confiance. En effet, la
tendance actuelle est à l'interactivité avec le public : sms
30(*) ( ONPP
), questions de téléspectateurs ( Nous ne sommes pas des
anges sur Canal plus entre autres), participation du public
( Ca se discute sur France 2, vingt heures dix
pétantes sur Canal plus).
L'intérêt d' En aparté est donc
de proposer un entretien sans filet où l'invité ne sait pas sur
quoi la caméra se focalise, ni où l'animatrice pose son regard.
Devant ce nouveau contrat d'entretien, l'invité a le choix de se
détendre ou celui de contrôler ses faits et gestes. Pascale Clark
confiait lors d'un entretien à Télé Loisirs que
les plus déroutés par ce processus étaient les vedettes de
la télévision qui, habituées à leur prompteurs et
au voyant rouge de la caméra, ne savaient plus où regarder.
Concernant l'absence du téléspectateur, elle
est aussi fort signifiante. Noël Nel31(*) remarque qu' « il n'est plus un seul
plateau d'émission qui ne soit peuplé d'un public parfois muet,
souvent bruyant, joyeux, prompt à applaudir, siffler, réagir.
C'est le règne du téléspectateur passé de l'autre
coté du miroir, du téléspectateur
in. ». Chez Pascale Clark, on revient à une
scène épurée comme dans 93, faubourg saint
honoré sur Paris Première ou Recto verso
sur la même chaîne. Ce procédé, récurrent au
sein des nouvelles émissions télévisées, a pour
effet certes de dépouiller le décor et le rendre moins bruyant,
moins intimidant pour l'invité, mais a pour effet de laisser deviner
l'omniprésence de ce même téléspectateur. En effet,
certes l'invité est seule et s'abandonne à une certaine
intimité mais est il conscient d'être face aux 500 000
téléspectateurs de l'émission ? Le choix même
du décor, un appartement, nie toute possibilité de
présence de téléspectateur. De ce fait, « En
aparté » possède un original mode d'intégration
du téléspectateur. Ainsi, la scénographie s'en trouve plus
fluide, plus inattendue. Sont mêlées ici les codes de la
télévision intimiste du gros plan à ceux de la mise en
spectacle de l'invité, ce qui fera l'objet de la seconde partie.
Par ailleurs, en excluant le « profane »,
soit le téléspectateur, le dispositif renforce
l'inaccessibilité de l'individu alors que l'on était censé
le rendre plus « humain ». A cet égard, la promesse
d' « En aparté » conserve quelques
contradictions.
Autre remarque, le caractère futuriste du
dispositif. « L'acteur (Jean Rochefort, ici) trouve
l'accès au plateau-salon « impressionnant ». Sorte
de « Metropolis » : « on passe par un
dédale de couloirs, tout est noir ». Avant, il était
détendu. A présent, il sent la claustrophobie le
gagner. »32(*).Ce dispositif intimide, d'autant plus qu'une fois
arrivé sur le plateau, l'intervention unique de la voix
déroute.
c) Une voix venue d'ailleurs
1- La dimension affective de la voix
« Pascale Clark est une
voix »33(*) ; La thématique de la voix dans
« En aparté » est prééminente. En
effet, cette voix est l'incarnation de Pascale Clark qui est elle-même
l'incarnation du média. Elle a réussi à construire sa
réputation sur la qualité de sa voix et de son écoute, ce
qui est la base de sa relation avec son public :
« Le lien entre l'animateur et le public n'est
toutefois pas acquis d'emblée. C'est une relation délicate, qui
se construit peu à peu, et qui suppose que l'animateur parvienne
à avoir une image parfaitement stable. (...) Il peut construire sa
personnalité à l'écran comme autant de
particularités multiples, un trait de caractère, une tournure
d'esprit, un genre physique. L'important est qu'il se caractérise d'une
certaine manière et qu'il n'en change pas »34(*)
Il est à noter que depuis quelques années, la
voix est devenue un acteur de premier ordre dans nos sociétés
médiatiques ; certaines affiches de dessins animés mettent
en valeur les artistes qui y ont prêté leur voix : Alain
Chabat pour « Shrek », Lorie pour « Les
Indestructibles »...Ceux-ci remportent par ce biais d'énormes
cachets, parfois relancent leur carrière (Eddy Murphy aux USA, Vanessa
Paradis en France). Ce phénomène témoigne d'une
valorisation de la voix.
On peut revenir sur la qualité de la voix de
l'animatrice. Celle-ci, interviewée par Psychologies magazine
à l'occasion d'un dossier, « Ce que la voix dit de
nous » n'est pas très loquace à ce propos :
« Ce que je pense de ma voix ? Je ne sais pas...À force
de dire qu'elle est particulière, j'ai fini par l'admettre. Mais dire en
quoi elle est singulière, j'en serais incapable ! C'est comme si on
me parlait de quelque chose que je ne connais pas, puisque je suis la seule
personne au monde à l'entendre comme je l'entends. C'est d'ailleurs
troublant, quand on y réfléchit. La changer ? Quelle
horreur ! »35(*). Cette voix est son instrument de travail ; le
choix de l'utiliser exclusivement répond à un refus des codes
traditionnels dans l'audiovisuel ; en effet, elle nie ainsi la domination
de l'image et de l'apparence. La problématique du règne de
l'apparence dans l'audiovisuel est explicitée dans le livre de Richard
Sennett « La chute de l'homme public » :
« Au moment où s'invente l'audiovisuel,
à l'orée du vingtième siècle, alors que les voix
vont s'échapper du corps, la question de la représentation en
public devient centrale. A un régime qu'on peut dire tranquille,
où chacun est dans sa catégorie (ce que dit notamment le
vêtement) et tient un rôle public, succède un régime
incertain, où l'apparence en public est l'occasion d'un perpétuel
et interminable déchiffrement, où nous sommes tous des
détectives lisant les visages, écoutant les vacillements de voix,
traquant les jeux des corps, et très soucieux de ce que nous projetons
(...). L'audiovisuel est intervenu dans cette histoire en séparant (...)
spectateurs-auditeurs (soit « nous ») et
« eux » soit les autres, les olympiens »36(*).
En intervenant uniquement par sa voix, Pascale Clark se
distingue d' « eux » pour rejoindre les
« spectateurs-auditeurs », c'est-à-dire
« nous ». Elle est invisible comme l'est le
téléspectateur et nous rejoint ainsi dans notre mode de
perception. A contrario, cette présence uniquement vocale a aussi pour
effet de la mystifier, de la rendre inaccessible, que ce soit pour nous ou pour
l'invité.
Selon Jean Abitbol37(*), oto-rhino-laryngologiste, une voix
révèle notre personnalité : faible, elle signifie une
peur de communiquer, forcée, elle révèle une
fragilité, monotone, un malaise avec son corps, criarde, un besoin de
s'imposer et aigue, un manque d'assurance. Or, la voix de Pascale Clark est
douce, rassurante, pousse à la confession. Elle a des accents maternels.
De plus, à l'écoute de l'émission, on remarque que le son
de sa voix imprègne tout l'espace, ce qui confirme cette impression de
« foetus » médiatique qu'est cet appartement.
Cependant, l'invité reçoit la parole de l'animatrice par le biais
d'oreillettes et on devine le trouble qu'il peut ressentir à
l'écoute de cette voix. Enfin, le téléspectateur n'a pas
la même perception de la voix que l'invité.
Certaines mythologies accordent à la voix un pouvoir
particulier, comme par exemple dans les textes d'Homère et sont repris
par la suite dans des études psychanalytiques :
« Dans le texte d'Homère, les sirènes
charment les marins par la douceur de leur chant (...) En quoi la voix pure
d'une femme, celle d'une séduction totale est-elle mortelle ?
Est-ce qu'elle empêtre l'homme dans son désir ? Le rend-elle
captif, lié ? Une des étymologies de Sirène est
« celles qui attachent avec une corde. »38(*)
On en revient ici au lien entre pouvoir et voix. La voix, par
ses caractères de séduction, peut donc hypothétiquement
exercer une forme de domination (en « liant » donc)
sur autrui.
« En effet, le chant séducteur des
sirènes se décline en trois expressions qui désignent leur
voix : « phtoggos » (le cri, l'inarticulé,
la mort), « op's » et
« aoïde » (qui n'est pas un contenant, mais un
contenu, ce n'est pas la voix mais l'hymne
lui-même) ».39(*)
Dans cette classification,
le « op's » va retenir notre attention.
« Op's » fait toujours peu ou prou
référence à la parole, il tire vers la
séduction ; dans ce terme prédomine le sens physique avec
une forte connotation d'harmonie et une fréquente récurrence pour
désigner une voix de femme.
« Op's »serait la voix douce, maternelle,
cette voix ancestrale, du début, d'avant le sevrage, en un temps
où rien n'étai encore perdu ».40(*)
Il est à noter que le parallèle de la voix de
Pascale Clark avec le chant des sirènes est présent sur le site
de Canal plus réunion, à l'occasion d'une article sur
« les coulisses de l'émission »41(*) : « Pendant
l'enregistrement, on peut entendre la voix suave de Pascale, qui
s'échappe des régies, et comme le chant des sirènes,
envoûte l'invité qui se laisse guider ».
Le « op's » serait le « Grand
Autre maternel ». Pascale Clark, par l'exercice de sa voix,
concentrerait donc tout une palette de séduction, qui serait ainsi son
instrument de pouvoir. Un pouvoir qui serai du registre maternel. Dans le
même ouvrage, Colette Bigio observe un changement de registre du point de
vue de la séduction : « Pourrait-on déduire que la
séduction passerait du registre pulsionnel lié à la voix,
à celui du regard, que la voix s'est tue au profit d'une capture du
regard par la beauté ? » Dans cette optique, Pascale
Clark s'inscrirait dans un registre antérieur du point de vue de la
séduction, ne souhaitant pas céder au diktat de l'apparence.
« La voix est une sorte de support au désir de l'autre que le
sujet trouve au même rang que le regard ».42(*)
Didier Lauru va plus loin en faisant un petit rappel
étymologique :
« La voix serait une sorte de troisième terme
qui noue le signifiant et le signifié et qui tisse le lien entre le
sujet et l'autre. Il se trouve que tessiture a la même origine que
« tisser ». Ainsi, le sujet tisse sa voix au miroir de
l'autre ».43(*)
Le choix de la voix comme unique mode de communication
confère à la conversation une intimité, un lien. On
tisse, on lie. On revient aussi a un mode de conversation originel où la
confiance repose sur la douceur de la voix : le mode maternel. Ici,
lorsque l'invité accepte de participer à « En
aparté », il sait qu'il devra confier ses gestes et sa parole
(qui est censée être dirigée par les questions de
l'interviewer) à l'animatrice. Un contrat tacite se crée. Une
certaine confiance doit être de mise, une certaine relation affective se
crée. Lorsque cette confiance est rompue, des conflits similaires
à des crises familiales peuvent avoir lieu. On peut penser par exemple
à la prestation de Mickaël Youn chez Marc-Olivier Fogiel du mardi
24 octobre 2004 ; l'humoriste, blessé que l'animateur ne le
supporte pas après une plaisanterie douteuse, s'était mis
à geindre et à l'insulter comme un adolescent aurait
réagit avec son père. Il sortit du plateau immédiatement
et créa un mini séisme médiatique.
Pascale Clark choisit ses invités : par exemple,
elle a pour mot d'ordre de ne pas recevoir les vedettes de la
télé-réalité. Pourtant, elle a bien voulu
accueillir Nolwenn, une transfuge de Star Academy :
appréciant son parcours, elle voulut le faire partager. Une certaine
part d'affectif intervient donc ici. Par ailleurs, ses invités le lui
rendent bien, car leur prestige rejaillit sur l'animatrice et conforte son
autorité ; « la vedette est l'indicateur de la position
de l'animateur (...). Chaque vedette cherchera à être reçue
par l'animateur le plus haut placé. Chaque animateur cherchera a
recevoir les plus grandes vedettes »44(*). Or, l'émission de Pascale Clark attire nombre
de personnalités courues, et même des hommes politiques majeurs,
tel François Hollande ; l'animatrice entraîne tout ce beau
monde sur le terrain affectif. De plus, elle donne à ses invités
l'occasion de se mettre en valeur. Elle les met rarement en
difficulté ; « Selon qu'il (l'animateur) leur posera
des questions idiotes ou adéquates, il leur offrira ou non l'occasion de
briller »45(*).
Pour aller plus loin, comparons le statut de Pascale Clark au
statut de l'analyste et celui de l'interviewé à celui du patient,
en se fondant sur l'étude de Françoise Meyer :
« (...) Il y a malgré tout un espace temps
entre le dire et l'entendu. Cet espace temps est un parcours incalculable du
son qui va du locuteur à l'auditeur. On peut repérer ce
décalage. Par exemple, au moment où l'analyste se fait
écho d'un mot du patient, une temporalité s'inscrit. La
répétition du dit par l'analyste marque
l'antériorité du dire de l'analysant par rapport au dire de
l'analyste. Le temps du dit de l'analyste fait retour sur le déjà
dit du patient, qui apparaît ainsi dans un temps disjoint du second dit.
Il y a une coupure du temps et une coupure de l'espace. L'analyste
apparaît dans sa présence, du fait de l'effet de sa parole, comme
un autre disjoint de sa parole. La parole de l'analyste marque :
- le temps du dire de l'analysant
- le temps où sa parole d'analysant est entendue de
l'analyste comme autre
- le temps où la parole de l'analyste fait retour
à l'analysant, il s'agit de sa propre parole, mais dite par l'autre.
Ainsi s'opère un circuit. Il y a homothétie d'un
dire et d'un autre dire, au regard de l'analysant. L'analyste apparaît
comme semblable au sujet. Comme Echo, la nymphe éconduite par Narcisse,
l'analyste renvoie l'écho, signe de l'amour »46(*).
L'isolement de la voix comme mode d'expression accentue ce
processus où le temps dissèque les paroles de l'animatrice et de
l'invité. Il se passe des micros plages de temps entre le moment
où l'animatrice pose sa question et où l'invité la capte.
Ce rapport au temps crée une promiscuité entre l'interlocuteur et
son destinataire. En fait, l'interlocuteur flatte le narcissisme de
l'invité en se posant symétriquement face à lui, par son
dire.
On devine que le type de relation instaurée peut soit
mettre l'invité à l'aise, qui enveloppé dans ce carcan
maternel peut s'y détendre, soit le être mal à l'aise selon
le rapport qu'il a pu avoir avec l'autorité maternelle.
Ce rapport à la voix est quelque peu novateur par
rapport à sa vision traditionnelle qui prend normalement effet dans les
médias : selon Michel Chion47(*), l'utilisation de la voix en audiovisuel est
trompeuse :
« L'audiovisuel est moins vococentrique qu'il n'est
verbocentrique. Enfin, les voix de l'audiovisuel sont aussi, potentiellement,
menteuses : entendez que, même au plus près du corps, disons
dans la transmission télévisuelle en direct, nous ne sommes
jamais sûrs de ne pas avoir affaire à un faux raccord du corps et
de la voix, à une demi-présence, à un ectoplasme qui se
fait passer pour un ami quotidien (...). L'audiovisuel est aussi une
technique qui permet la tricherie : voix en direct qui ne l'est pas (cas
classique), voix qui parait dans ce corps et qui ne l'est pas (c'est la play
back mais aussi le doublage) (...) Il y a, dans tout régime de la voix
de l'audiovisuel, un travail de réparation, une technique de la
croyance, pour ainsi dire, qui permet d'en rétablir le scandale de la
désincorporation. »
Or, ici, la voix apparaît pure, incarnée, ne
subit aucune modification, ce qui est inhabituel. Ainsi s'instaure un
régime de confiance. De plus, par le fait que l'émission soit
réalisée en direct, l'invité sait que questions et
réponses ne seront pas modifiées ou sorties de leur contexte. On
est loin ici des émissions comme Tout le monde en parle
où interviennent après le tournage de nombreuses modifications,
des mixages parfois improbables, qui dénaturent les propos des
invités, qui s'en plaignent par la suite. Le ton est de même
extrêmement différent car courtois en toutes circonstances. Or,
comme le dit Jacques Chancel, journaliste réputé,
« rechercher la polémique n'incite pas les invités
à s'ouvrir. C'est au contraire par la courtoisie que l'on recueille des
choses intéressantes. »48(*)
2- La dimension autoritaire de la voix de Pascale Clark
Selon Jérôme Bourdon49(*), il existerai trois
régimes de la voix: la familiarité des animateurs (qu'il appose
aux radios et télévisions privées), l'autorité des
commentateurs (concernant plus les stations publiques), et désormais la
voix de l'intimité, importée des Etats-Unis et des
émissions d'Oprah Winfrey. Il cite le Psy-show de Pascale
Breugnot, entre autres. En fait, la voix de Pascale Clark s'inscrirait plus
dans la dernière catégorie. Apparemment douce, cette voix n'en
garde pas moins un caractère autoritaire.
Selon le même auteur, « l'autorité,
c'est de pouvoir parler sans être touché, et parfois sans
être vu, ou de loin. (De ce fait, tout l'audiovisuel est d'emblée
autoritaire). Par contre, il dit que la voix d'autorité, distante,
intouchable, est une voix d'homme (...) tandis que les demoiselles du
téléphone, inférieures dans la hiérarchie, mais
aussi connectant des communications interpersonnelles, donc plus
incorporées, plus émotionnelles, ont été des voix
de femmes, tout de suite. »50(*).
Cette vision est intéressante car témoigne des
clichés de notre société qui permet peu aux femmes de
s'exprimer sur un mode autoritaire. Elles restent cantonnées à
des fonctions d'écoute et de conseil tandis que l'homme s'occupe plus
des caractères décisionnels. Quelques animateurs dérogent
à la règle : Jean-Luc Delarue dont l'émission Ca
se discute constitue une référence en matière
d'émissions confessionnelles, Pascale Bataille et Laurent Fontaine qui
eux, misent plus sur le côté
« réconciliation ». Mais il est vrai qu'en
général la femme occupe ce registre. En aparté
détourne ce code traditionnel pour ériger la femme en meneuse.
Elle mêle distance et rapport émotionnel, deux ingrédients
qu'elle dose selon le type d'invité qu'elle reçoit. En effet, la
relation qui s'instaure change à chaque fois ; Pascale Clark,
d'ailleurs, préfère ne pas voir ses invités avant
l'émission pour préserver la fraîcheur de la rencontre
« je (Pascale Clark) ne le vois jamais avant, je veux juger sur la
première impression, un peu comme dans la vie »51(*).
Cependant, on note que Pascale Clark combine cette
capacité relationnelle inhérente aux animatrices
« confessionnelles » et cette part d'autorité
presque masculine qui lui vaut une crédibilité qui lui permet
d'être face à des politiques. Son ton se doit d'osciller sans
cesse entre la familiarité et l'autorité. Cela dépend en
fait de son interlocuteur. Face à Charles Berling, elle se permet une
familiarité moins contrôlée qu'avec François
Hollande par exemple. Face à Maitena Biraben, elle recadre vers
l'autorité car une relation de compétition sous-jacente
s'instaure entre les deux animatrices. Il s'agit donc d'une personnalité
protéiforme.
d) De la mère au maître
Une animatrice de télévision
peut être aisément être perçue comme une figure
d'autorité. Les animateurs constituent au sein de l'espace
médiatique des figures de référence du moins auprès
du public. En effet, par rapport aux autres professionnels de la
télévision, ils souffrent d'un défaut de
légitimité. Comme l'évoquent Dominique Pasquier et Sabine
Chalvon-Demersay dans leur étude « Drôles de stars, la
télévision des animateurs » :
« Le moment du tournage se traduit par une
spectaculaire inversion des relations hiérarchiques : on assiste
à la prise de pouvoir de l'animateur sur toutes les catégories
qui le dominent : le producteur, le responsable de programmes et
même l'invité. C'est lui qui, en libre improvisation, distribue la
parole, module les questions, crée les enchaînements, rattrape les
incidents. »
Dans un lieu et pendant un temps, l'animateur a un
réel pouvoir sur toutes les entités qui l'entourent. Or, comme le
dit Michel Foucault, le pouvoir est l'exercice institutionnel de
l'autorité. Et, comme le constate Hannah Arendt, dans son étude
52(*)« Qu'est ce
que l'autorité ? », les autorités traditionnelles
s'effondrent de manière dramatique. Et l'on imagine l'émergence
d'autres types d'autorité, dont l'autorité
télévisuelle. La modernité, effectivement ne fait pas
toujours bon ménage avec cette notion d'autorité. Les
médias d'ailleurs s'intéressent régulièrement
à cette problématique de l'autorité, à travers
notamment des émissions de télé-réalité
comme « Super Nanny » ou « Le pensionnat de
Chavagnes ». Les chercheurs en sciences sociales s'accordent à
constater que les institutions traditionnelles comme l'Etat, la famille,
l'école, tendraient à s'effondrer. Par ailleurs, la
télévision se révèle être comme un substitut
familial dans nos sociétés contemporaines aux cellules familiales
éclatées. Les animateurs et autres figures médiatiques
tendent à devenir des figures d'autorité, avec qui nous
develloperions des liens affectifs.
Au sein de l'espace médiatique, acquérir une
autorité, surtout lorsque l'on est une femme, n'est pas chose
aisée. Il faut instaurer un certain type de rapport.
Dans cette partie je vais revenir sur les
différentes statures d'autorité que revêt Pascale Clark
dans cette émission. En effet, comme on l'a vu
précédemment, Pascale Clark se détache de la conception
classique que l'on peut avoir d'une animatrice télévisée.
Hormis les journalistes « pures » comme Christine Ockrent,
Anne Sinclair, rares sont celles qui réussissent à capter
l'auditoire masculin. On pense notamment à Ariane Massenet qui avait du
mal à s'imposer face à Marc-Olivier Fogiel dans ONPP.
L'émission d'entretien, surtout quand il est seul à seul requiert
un certain charisme pour que l'on arrive à extirper un discours non
convenu de la part de son interlocuteur. L'animateur, et surtout l'animatrice,
se doit de se tailler un personnage à sa mesure, et ce afin
d'acquérir une crédibilité, une autorité : une
légitimité suffisante pour questionner les puissants, soit les
hommes politiques.
En aparté peut être
considérée comme une institution télévisuelle. En
quatre ans, peu d'éléments du dispositif scénique ou du
décor ont changé. La voix, l'ambiance, restent les mêmes.
Cela confère à l'émission un côté
figé, contrôlé où la notion de pouvoir peut prendre
effet. Michel Foucault53(*) définit le pouvoir par le
« contrôle de la production du discours ». Or ici,
tout dans le dispositif et dans la stratégie de
« meneuse » de discours qu'est Pascale Clark tend à
nous démontrer que le discours de l'invité est cadré par
ce que le dispositif permet. De ce fait, on peut s'interroger sur le statut de
Pascale Clark. Celle-ci a acquis au long de ces années un
côté institutionnel, au même titre que son émission,
une autorité. Cette autorité prend différentes formes et
fonctions, ce que nous allons étudier.
Selon Alexandre Kojève54(*), « l'autorité est la
possibilité qu'a un agent d'agir sur les autres (ou sur un autre) sans
que ces autres réagissent sur lui tout en étant capables de le
faire ». Or, l'animateur en général a ce pouvoir ;
le temps d'une émission, il dispose d'un invité. Alors que dans
la plupart des émissions, ce contrôle de l'invité est
relatif, dans En aparté, il est bien plus remarquable. En
effet, la relation est ici limitée à deux personnes (et une
troisième entité, le public, ce que nous verrons plus tard).
Cependant, l'invité a moins la possibilité d'agir sur Pascale
Clark comme l'indique la définition. Quoi qu'il puisse toujours avoir la
possibilité de rejeter le dispositif, et aller dans les coulisses pour
aller la voir... Dans ce cas-ci, toute l'autorité de l'animatrice serait
remise en question.
On peut dire que l'autorité de l'animateur est en
quelque sorte originelle. Alexandre Kojève rajoute que l'autorité
doit être reconnue par ses sujets : « toute
autorité humaine qui existe doit avoir une cause, une raison, ou une
justification de son existence : une raison d'être ». En
pénétrant dans les locaux d' « En
aparté », l'invité sait à quoi s'en tenir. Par
le fait même d'avoir accepté de participer à
l'émission, il cautionne le dispositif et de ce fait l'autorité
de l'animatrice. Il accepte, le temps de l'émission d'être
« soumis » à ses questions. Il la reconnaît
comme légitime. Ces questions posées par l'animatrice
caractérisent cette autorité. En effet, la manifestation de
l'autorité selon Kojève est ce qui impose une action, un
changement :
« Il n'y a autorité que lorsqu'il y a
mouvement, changement, action (réelle ou du moins possible) : on
n'a d'autorité que sur ce qui peut
« réagir », c'est-à-dire changer en fonction
de ce ou de celui qui représente l'Autorité
(l' « incarne », la réalise, l'exerce). Et de
toute évidence, l'autorité appartient à celui qui fait
changer, et non à celui qui subit le changement :
l'autorité est essentiellement active et non passive. »
Les questions posées par l'animatrice ont pour
objectif d'apporter des données nouvelles sur l'invité. Ainsi,
elles ont pour but de le faire réagir. Ici, l'animatrice agit et
l'invité subit. Cependant, ce dernier peut avoir différentes
postures. Soit il respecte ce schéma, à l'image de Louis
Bertignac55(*) par exemple
qui se laisse entièrement guider par l'animatrice, ou il contourne les
questions et prend les devants à l'image de François
Hollande : Lorsque Pascale Clark voulut ériger un parallèle
entre le parcours de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande, ce
dernier a nettement évité le sujet pour en revenir à lui.
L'invité a toujours la possibilité de contrarier
l'autorité de Pascale Clark. Seulement, celle-ci risque de perdre son
autorité s'il y a trop fréquemment ce type de feinte. En effet,
nier la légitimité de l'autorité signifierait la
détruire.
Par la variété même des
personnalités qui se pressent aux portes d' « En
aparté », on a affaire successivement à plusieurs types
de rapports.
Kojève distingue quatre types d'autorité :
l'autorité du père (sur l'enfant), celle du maître (sur
l'esclave), celle du chef (sur la bande), et celle du juge (sur celui qu'il
juge). Nous allons observer comment Pascale Clark s'inscrit dans cette
classification.
1 - La mère
« L'autorité de
l'être, c'est l'autorité du type
« père » :l'autorité de la cause, de
l'auteur, de l'origine et de la source de ce qui est : l'autorité
du passé qui se maintient dans le présent par le seul fait de
l' « inertie » ontologique de
l'être »56(*).
Pascale Clark s'inscrit sans problème
dans cette définition car elle demeure aux yeux du
téléspectateur et pour l'ensemble de l'espace médiatique,
une institution, une autorité qui prend effet dans le temps. Par la
pérennité même de l'émission (quatre saisons
à ce jour), elle prend autorité. Ce serait donc la durée
et le rapport au temps d'une émission qui participerait à son
autorité. Ainsi, des émissions mythiques font autorité
dans chaque domaine : « Taratata » a fait date
dans l'histoire des émissions musicales, donnant une
légitimité pendant un certain temps à son animateur Nagui.
Le mythique « Bouillon de culture », par sa durée a
fait de Bernard Pivot une référence, une autorité dans le
domaine des présentateurs d'émissions littéraires.
C'est donc l'inscription dans un certain passé qui
définirait l'autorité. L'autorité du type
« père » se remarque aussi parfois chez
l'invité. En effet, cette autorité signifie aussi
l'autorité de la cause, soit l'autorité de l'auteur sur son
oeuvre ; or, la présence de l'invité dans cette
émission se justifie par l'existence de son oeuvre. L'émission
peut elle aussi être considérée comme l'oeuvre de Pascale
Clark. De ce fait se confronteraient deux types d'autorité de
type « père ». On en revient au fait que
Pascale Clark peut refuser d'accueillir un invité si celui-ci n'a pas un
parcours valable à ses yeux ; elle exige en fait l'existence d'une
oeuvre pour permettre la relation. Ce qui explique son refus d'accueillir des
vedettes de la télévision réalité.
L'autorité du type « père », comme son nom
l'indique, est donc une autorité de type familiale ; en fait,
Pascale Clark veut se reconnaître dans la figure en face d'elle. Ainsi,
elle se permet une relation de type maternel ; elle met à l'aise
l'invité par le biais de sa voix, le rassure dans son narcissisme par
des compliments...Elle apparaît comme une mère, effet
accentué par les indices d'hospitalité de l'émission. On
prend soin de l'invité, on le « materne » au sens
prosaïque du terme. Comme le dit Dominique Mehl57(*), « le pacte de
l'hospitalité est venu remplacer le pacte du spectacle et de
l'apprentissage ».
Par ailleurs, les questions posées par Pascale Clark
ont trait au passé, au vécu. Or, le Temps fait
autorité.
« Ce n'est pas la passé en tant que tel qui a
de l'autorité ; la nature est plus ancienne que l'homme,
l'âge d'une pierre peut être fort
« vénérable ». Il n'y a néanmoins
aucune autorité dans ces cas-là. Le passé qui exerce une
autorité sur moi est un passé historique ; c'est mon
passé, c'est-à-dire le passé qui est censé
déterminer le présent en vue de l'avenir (...) on peut donc dire
que le temps -dans le mode du passé - se manifeste sous forme
« autoritaire » en tant qu'autorité du père,
et que cette dernière a son fondement métaphysique dans la
présence du passé dans le présent, c'est-à-dire
dans toute réalité faisant partie d'un monde
temporel »58(*).
Par ailleurs, il est à noter que l'espace temps de
l'émission lui confère de même une autorité. En
effet, l'entretien se déroule dans un contexte spatio-temporel
indéfini : aucun indice dans l'appartement n'atteste d'une
inscription particulière dans le temps, hormis le fait que l'ensemble du
décor est assez futuriste. Or, Kojève érige
« l'autorité de l'éternité » comme
autorité supérieure ; lorsqu'il y aurait
« négation des modes particuliers du Temps59(*) ». En fait, ici, la
figure d'autorité de type « père » n'est
pas Pascale Clark mais tout le dispositif, incluant Pascale Clark. La pression
du décor, ajoutée à la pression de la voix, formerait une
entité qui ferait autorité auprès de l'invité. Ce
dernier, pris dans ce dispositif autoritaire se trouve alors dans la position
de celui qui se justifie, qui explique son passé. Pascale Clark
revêt alors une figure de « juge », autre type
d'autorité défini par Kojève.
2 - La juge
Chez Platon, l'autorité « juste »
ou « légitime » repose sur et émane de la
« justice », ou
« équité ». En appliquant ce précepte
à « En aparté », on constate que Pascale
Clark se doit d'être juste et équitable envers tous ses
invités. En effet, elle valide en quelque sorte le parcours artistique,
politique, sportif de son invité. La promesse d'En
aparté est de révéler le recul qu'ont les
personnalités face à leurs oeuvres. En effet, il est
fréquent que l'animatrice demande leurs avis sur des
éléments de leur biographie. Ceux-ci ont donc l'occasion ici de
justifier de leurs choix parfois hasardeux. En fait, Pascale Clark revêt
plus le rôle de confesseur que de juge. Kojève englobe dans cette
« autorité du juge » : l'autorité de
l'arbitre, du contrôleur, du censeur, du confesseur, de l'homme juste ou
honnête. Pascale Clark a donc pour rôle d'être
équitable dans ses jugements pour maintenir son autorité ;
de ce fait, l'émission « En aparté » a
revêtu au cours des années un caractère de
« confessionnal » du monde médiatique. On y vient se
confier, confesser ses erreurs et se voir rassurer dans son statut de
« personnalité ». On y vient conforter son
importance.
3- Le maître
La posture de Pascale Clark face à
son invité fait par ailleurs penser à la vision d'Aristote du
Maître face à l'esclave60(*).
« Le Maître a le droit d'exercer une
Autorité sur l'Esclave parce qu'il peut prévoir, tandis
que ce dernier ne fait qu'enregistrer les besoins immédiats et
se fait guider par eux. C'est donc, si l'on veut, l'Autorité de l'
« intelligent » sur la « bête »,
du « civilisé » sur le
« barbare » (...) C'est aussi l'autorité de qui
passe une commande sur celui qui exécute. Celui qui se rend compte du
fait qu'il voit moins bien et moins loin que l'autre se laisse facilement mener
ou guider par lui ».
En fait, le dispositif d' « En
aparté » crée artificiellement un rapport, certes
limité dans le temps, de maître sur l'esclave. Le temps d'un
entretien, l'animateur contrôle l'invité et de même pose les
conditions au sein desquelles son discours va se produire. Pour ce, le discours
produit serait considéré pour certains comme
dénaturé car « contraint » ; Pierre
Bourdieu61(*) par exemple,
estime que les « conditions de communication » et le fait
que le « sujet soit imposé » conjugué
à « la limitation du temps (...) impose au discours des
contraintes telles qu'il est peu probable que quelque chose puisse se
dire ». En fait, ce dispositif, selon lui ne faciliterait pas
l'échange. Pourtant, il ne faut pas oublier que Pierre Bourdieu reste
extrêmement sceptique vis-à-vis de la télévision en
général et que les contraintes, si elles posent les limites d'un
certain discours, n'entravent que peu la liberté de l'invité au
final. Celui-ci, en choisissant pour sa promotion d'apparaître au sein de
telle ou telle émission sait à quoi s'en tenir. Lui même a
choisi plus ou moins sciemment le type de contrainte au sein duquel il
souhaitait apparaître. En choisissant une émission dans lesquelles
il sait que son corps et ses réponses seront fortement guidés par
l'animatrice, il a la possibilité de prévoir ce qu'il va
dire et comment il va réagir. Dans ce cadre ci, il reprend de
l'autorité sur la Maître originel qu'est Pascale Clark. Il peut
aussi renverser la donne et imposer à l'animatrice son rythme, sa
volonté. On le voit lors de l'intervention de Charles Berling :
Pascale Clark avait prévu un certain emplacement pour le premier
entretien qui a lieu normalement d'un certain côté du bar. Or,
l'acteur s'est mis de l'autre côté ce qui a surpris l'animatrice -
et qui le lui a fait remarquer- Lui, notant sa surprise l'a
déstabilisé en y restant. Or, avant chaque enregistrement, des
acteurs testent les caméras téléguidées et
prévoient les plans ; le parcours de l'invité est
planifié. Celui-ci peut aussi s'amuser avec le dispositif,
détourner certains codes : Béatrice Dalle, lors de son
passage, avait photographié son nombril au lieu du traditionnel
portrait.
Michel Foucault dans « L'ordre du
discours » parle de lieu du discours qui nous impose des
comportements et nous installe dans un ordre. Cette définition prend
sens ici : un style de discours est imposé, certes, mais on peut
toujours avoir la volonté d'en tester les limites. Le dispositif
d'En aparté est juste, ou du moins semble juste ; de ce
fait, les invités respectent le lieu du discours. De même, deux
types d'autorité se confrontent ici, la personnalité
médiatique et une personnalité
« réfèrent ». L'une porte le sceau de la
création, l'autre du jugement.
Deuxième partie :
La spectacularisation de l'intime
En Aparté s'inscrit dans un mouvement des
médias en général et de la télévision en
particulier qui privilégie les instincts voyeuristes chez le
téléspectateur. L'arrivée de l'émission est
simultanée à celle de Loft Story. Je vais
étudier dans une première partie en quoi cette tendance
au « zoo humain » devient un genre de spectacle
caractéristique de notre époque.
A) Le « zoo humain »
A titre de rappel, l'arrivée de Loft
story avait déclenché une vive polémique qui
nous paraît désormais fort obsolète, au regard de toutes
les nouvelles émissions de télé-réalité qui
inondent nos écrans. Le dispositif était fortement
critiqué, on parlait de violation d'intimité, on comparait avec
le 1984 d'Orwell ou avec les camps de concentration nazis. Le débat fut
violent. Or, En aparté s'est glissé discrètement,
en septembre 2001, soit un été après Loft
Story, dans nos programmations en empruntant le dispositif cher aux
émissions de télé réalité mais en
l'utilisant pour interviewer des célébrités plus
« nobles ».
Pourtant, une même volonté guide les
émissions de télé-réalité et En
aparté: chacune joue le jeu de l'exhibitionnisme des
candidats/invités répondant au voyeurisme du
téléspectateur. Cependant, l'émission de Canal
plus détourne la promesse de la télé
réalité en mettant en spectacle des habitués justement de
la mise en spectacle. De ce fait, elle en tire une légitimité que
les autres émissions n'ont pas. On ne blâme pas son exploitation
des anonymes, critique récurrente des émissions de
télé-réalité. De plus le cadre temporel restreint
de cette mise en spectacle -l'émission ne dure que vingt deux minutes-
ne prête pas à une dénonciation de l'enfermement de
l'invité.
1- Les mêmes fonctions qu'un zoo
On retrouve cependant les mêmes
ressorts que dans le spectacle zoologique ; en premier lieu, la
quête de l'authenticité. Olivier Razac62(*) énonce la maladresse
comme première forme d'authenticité : «
Cette spontanéité dans l'expression garantit l'intensité
émotionnelle de l'émission ». Or le dispositif d'En
aparté propose moult stratagèmes pour tester la
maladresse de l'invité : manipuler un appareil photo, faire
fonctionner des diapositives, une chaîne hi-fi ultra moderne... La
plupart d'ailleurs fait une petite remarque là dessus. Par ailleurs, les
émissions de télé-réalité ont pour but
d'attester de la « normalité » de
l'invité/candidat :
« L'invité espère que la discussion
l'éclairera sur lui même et confirmera sa normalité.
L'émotion et la vérité exprimées avec
spontanéité assurent l'authenticité de l'anonyme (ici, la
personnalité). « Il est comme vous et moi, ce qu'il dit est
vrai et réel ».
En fait, tout comme l'anonyme a envie de se sentir
accepté dans la société, la personnalité a elle
aussi besoin de prouver à son public qu'elle est comme lui, qu'elle
aussi peut être mal à l'aise. Pour ce, nous allons établir
un parallèle avec l'étude qu'en a fait Olivier Razac dans de son
ouvrage « L'écran et le zoo : spectacles et
domestications, des expositions coloniales à Loft Story ».
Celui-ci a pris pour exemple « Loft Story » et nous allons
appliquer sa réflexion à En aparté. Son
hypothèse est que les émissions de
télé-réalité reprennent le principe de
« zoo » humain :
« Dans ce spectacle, celui qui est exposé est
placé dans un décor qui imite son milieu naturel. Il est
dressé par des indications de mise en scène. Il s'expose selon ce
qu'il attend d'un public (...). Il se compare à des individus
sincères qui ne sont que les spécimens d'une typologie
spectaculaire. Il adhère à une réalité
domestiquée par le spectacle »
Cette comparaison est judicieuse sur de nombreux points. En
effet, dès le dix neuvième siècle, des expositions
ethnographiques sont apparues, avec succès, témoignant de
l'intérêt originel de l'homme pour ce type de spectacle. Carl
Hagenbeck, un citoyen allemand, avait exposé des lapons avec des rennes
dans son jardin et avait fait payer cette exposition. Devant le succès
rencontré, il en avait fait de même avec des nubiens du
désert. Puis il fut l'un des précurseurs des expositions
ethnographique reproduisant ce type de spectacles à travers le monde
pendant une quarantaine d'années. Hagenbeck, pour justifier ce
succès, invoquait la naïveté de la mise en
scène : « Le principe est là. Le
succès tient au caractère ambigu de ce spectacle. Ce n'est pas
l'artifice, l'illusion qui attirent, mais l'authenticité et la
vérité de ce qui est vu »63(*). Cependant, au fur et à
mesure que ces spectacles réussissaient, certaines tribus identifiaient
ce qui plaisait aux spectateurs et le reproduisaient dans le but de leur
plaire : il cite les indiens qui faisaient payer pour leurs danses et
acrobaties. Ce que l'on peut aisément appliquer à
l'émission qui nous intéresse ; l'invité y a tout
à fait le choix d'y feindre l'authenticité en livrant un
numéro cher à son public. Cependant, le dispositif d'En
aparté limite cette tendance. Par exemple, un animateur
télévisé, citons Arthur, ne peut se permettre une
prestation comme dans Les enfants de la télé ou
Arthur et les pirates, émissions au ton régressif. Le
cadre d'En aparté l'invite à la réflexion,
à la maturité. Cependant, pour d'autres personnalités
naturellement enclines à cette réflexion, notamment les acteurs,
rompus aux entretiens sur leur vie privée, ce cadre peut les inciter
à livrer une prestation dont ils savent qu'elle sera
appréciée par leur public : ils peuvent feindre une
personnalité torturée par exemple.
Autre point commun entre les spectacles zoologiques et les
émissions que l'on qualifierait
d' « enfermement » : la réaction du
public. Dans les deux cas, certains sont réticents, voire
gênés face à ce type de spectacle tandis que d'autres
crient au scandale. Mais la plupart ne cesse de se moquer. Une certaine
condescendance se crée chez les spectateurs ; condescendance que
l'on peut aussi ressentir devant En aparté. En effet, libre
à nous de rire de certaines réactions. Nous sommes dans un type
de relation où l'on est invisible et où l'on n'est pas
jugé tandis que l'invité est livré à des milliers
d'avis et de jugements de téléspectateurs. Ainsi, on peut
inverser le rapport de supériorité que
l'invité/personnalité a sur nous. L'invité quant à
lui est réellement enfermé le temps de l'émission. Or,
selon Olivier Razac, « la première fonction d'un zoo est
d'exercer un pouvoir sur les corps des hommes ou des animaux voués
à être exposé ». Le média s'octroie donc
un pouvoir de ce type le temps d'un entretien. Au final, l'invité est
confronter à la domination tant du média que du
téléspectateur tout comme l'animal est dominé par ceux qui
l'exposent et ceux qui le regardent. Il ajoute64(*) que « le zoo est un lieu d'étude et
de restitution pédagogique de ce savoir (...). On peut aussi utiliser le
zoo comme un lieu privilégié d'observation des
comportements ». Ainsi, comme seconde fonction, « le zoo
produirait un savoir sur les individus et les populations qu'il enferme et
qu'il exhibe ». Or, En aparté a pour promesse de nous
faire découvrir les états d'âme, l'intimité des
« people ». On est ici dans la découverte d'une
altérité qui échappe à
l'anonyme-téléspectateur, celle des gens célèbres.
Enfin, troisième fonction énoncée par Oliver Razac et
applicable à « En aparté », le zoo fournit un
spectacle aux visiteurs. « Pour ça, il faut que les
spécimens soient bien visibles, que l'oeil du spectateur accède
le plus directement possible à l'image du comportement
spectaculaire »65(*). Or ici, place est faite aux gros plans et à
une mise en scène omnisciente. Dans l'émission de Pascale Clark,
chaque attitude, geste est traqué. Cette traque de l'intimité
fournit un spectacle aux téléspectateurs. Ces deux notions
antinomiques cohabitent dans cette émission, tout comme elles cohabitent
dans l'espace zoologique. De même, autre point commun, la volonté
de recréer un espace « naturel ». Ici, on rejoint
l'esthétique de Loft Story sauf que chez Pascale Clark, le
« standing » est supérieur. Malgré des objets
et meubles à peu près ordinaires, la lumière artificielle,
de plateau, et les indices de caméra viennent tronquer cette
prétention d'authenticité, cette illusion du réel.
Olivier Razac définit de même
l'intérêt d'un zoo par le fait que ceux qui sont exhibés
doivent attirer l'attention des spectateurs d'une manière
« positive ». « Si l'animal ou le sauvage parait
paresseux, il faut le stimuler. On impose des exercices typiques ».
Il en est de même pour l'invité. Si il est inactif, le rôle
de Pascale Clark est de le simuler par des exercices ; Charles Berling,
s'il n'était pas dirigé par l'animatrice n'aurait pas grand
intérêt. Il n'est pas bavard, n'a pas a priori quelque chose
à dire.
2- « Voir sans être vu »
Selon Michel Foucault cité par
Olivier Razac, « notre société n'est pas celle du
spectacle, mais de la surveillance »66(*). Il définit le principe de surveillance par le
fait de voir sans être vu. Ce principe de « voir sans
être vu » contamine les formes de spectacle actuelles67(*). Dans En
aparté, l'invité ne sait où les caméras se
focalisent, où le téléspectateur regarde ;
l'invité vit une vraie situation de surveillance totale ; en effet,
un candidat de télé réalité ou un prisonnier sait
quels sont les moments forts de sa surveillance et quand il peut
réaliser les choses interdites ; il sait quand la surveillance
faiblit. Or, ici, pas de répit. La « dissymétrie
optique » est encore plus flagrante que dans un spectacle classique.
La dissymétrie optique définit le fait que la scène et le
public soient deux espaces séparés où les spectateurs sont
invisibles et les acteurs éclairés. « Le spectateur est
d'autant plus réceptif que sa personnalité n'est plus en jeu
pendant le spectacle »68(*).Ainsi, le téléspectateur concentre son
attention sur l'invité. L'une des prétentions du décor
d' En aparté est de recréer un espace
scénique censé être semblables aux espaces de vie du
téléspectateur. L'appartement pourrait ressembler à celui
d'un téléspectateur de Canal plus : branché,
confortable, un brin « high tech ». Ainsi, lors de la
diffusion de l'émission, invité comme
téléspectateur se retrouvent dans un salon, un effet de
symétrie s'opère autour de l'écran. La dissymétrie
optique chère au spectacle classique s'atténue. Comme dans un
zoo, les invités et les téléspectateurs se retrouvent dans
des espaces distincts mais semblables sauf que l'individu/animal observé
se situe dans un faux espace recréant le réel. Pour
définir l'intérêt d'un zoo, Olivier Razac énonce
qu' « il n'est pas le dépassement du quotidien vers le
rêve de la fiction, c'est une descente du rêve exotique dans la
banalité d'une sortie familiale du week-end ». Pour le
téléspectateur face à En aparté, il
s'agit d'une sorte de « tourisme » dans
l'altérité du « people », cette entité
jugé potentiellement supérieure car célèbre. Les
deux univers par leur similitude de décor,
s'entrechoquent. « Ce n'est pas la rue ou la forêt, il
s'agit bien d'un spectacle, d'une réalité travaillée en
vue d'une jouissance esthétique ». Cependant, contrairement au
précepte de Michel Foucault « voir et être
vu », l'invité ne peut percevoir ceux qui le regardent alors
que dans un zoo, visiteurs et animaux sont sur le même plan. Ici,
l'invité est véritablement isolé. Et tout comme dans un
zoo, même si l'individu exhibé et le spectateur partagent le
même réel, ils n'ont ni le même rang, ni la même
fonction. «Il y en a un qui est là pour être montré et
un pour regarder. Le spécimen est infériorisé par le
simple fait d'être mis dans une situation contraignante pour le plaisir
d'un autre»69(*). En
fait, le spécimen/invité est une personnalité qui justifie
sa célébrité par le fait d'avoir accompli quelque chose de
relativement louable ; on le considère donc. Cependant, le
dispositif d' En aparté l'infériorise en le mettant
à la merci des regards et des jugements des
téléspectateurs.
Pour résumer, Olivier Razac énonce que le zoo
est «un dispositif multiple, un mélange complexe de prison, de
laboratoire et de théâtre »70(*) ; or, nous pouvons
appliquer cette définition à En aparté :
« En tant que prison, il façonne les
dispositions des corps exposés en contrôlant leur vie et leur
milieu, leur espace et leur temps. Mais c'est une prison étrange qui
voile l'enfermement derrière une simulation de liberté. (...)En
tant que laboratoire, le zoo produit un savoir sur la biologie, la psychologie
et les relations des spécimens. (C'est un savoir disciplinaire de
gardiennage)(...)En tant que théâtre, le zoo (...) suscite un
plaisir ou un déplaisir selon les comportements montrés. (...).
Mais c'est un théâtre sans scène ni salle, un spectacle du
réel ou une réalité spectaculaire (...).La prison assure
une sincérité factice mais convaincante, le laboratoire propose
une vérité pédagogique et rassurante, le
théâtre produit l'intensité excitante du comportement
sauvage. »
A partir de cette définition, Olivier Razac rapproche
les dispositifs zoologiques de ceux de la
télé-réalité qu'il définit ainsi
« une mise en scène du réel que l'on regarde à
distance comme un spectacle divertissant ».
3- L'importance du décor
Le décor, chez Olivier Razac est un
élément extrêmement important :
« l'environnement d'un corps l'influence ». Ainsi, on peut
dire que le décor d'« En aparté », ses
volumes, ses formes ont été conçus pour produire certains
effets. Or, il s'y côtoie indices d'intimité et indices de
spectacularisation. L'appartement est spacieux et confortable, clair, ce qui
évoque le confort soit l'intimité ; cependant, les couleurs
employées et l'absence de détails trop personnels
confèrent à l'ensemble une certaine froideur. Par ailleurs, la
fonction du décor, avec l'émergence de la télé
réalité, a changé ; désormais, il se constitue
comme habitat pour les candidats. Cependant, dans « En
aparté », il n'est ni habitation, ni simple décor
illustratif, il est entre les deux. Cette neutralité lui confère
un effet institutionnel ; il a été conçu pour
accueillir les « Olympiens » médiatiques, il se
devait donc, d'être haut de gamme, sans être prétentieux,
prêtant tant à l'intimité qu'à la mise en spectacle.
De même, il se doit de faire rêver le téléspectateur
par sa modernité sans le complexer. Par ailleurs, « le choix
des éléments et leur agencement sont influencés par les
goûts supposés d'un public inconnu ». En effet, on ne
peut que supposer les goûts du public de Canal plus. D'où
cette neutralité et cette simplicité du décor d' En
aparté : « Un décor trop complexe n'est pas
lisible. (...)Un décor typé est d'emblée
signifiant »71(*).Ce qui est sûr est que le décor d'
En aparté a voulu clairement se détacher du décor
de Loft Story.
4- La mise en scène/ dressage
L'invité est certes plongé dans un
décor-habitat qui n'est pas le sien et certes dressé par une mise
en scène contraignante mais ils sont volontaires.
« Ils sont venus de leur propre chef et attendent
quelques profits de la représentation dont la seule exigence est
d'être soi même »72(*). L'invité attend « une image
valorisante de soi ». ; « cette valorisation de soi
passe par la mise en scène d'un rôle qui confirme publiquement le
statut que veut se donner celui qui s'expose ». Ainsi, on peut
trouver des similitudes à la démarche de l'anonyme qui se
présente à une émission de télé
réalité et celle de la personnalité qui se fait
interviewer chez Pascale Clark. Dans les deux cas est attendu l'aval du public
pour confirmer sa normalité, pour justifier sa
célébrité. Il veut plaire dans les deux cas. Le dispositif
des émissions accentue cette pression :
« Par le décor, le dressage et la mise en
scène de soi, il se produit une résonance entre ce qui est
demandé et prescrit à l'anonyme (l'invité pour
« en Aparté »), c'est-à-dire
représenter un statut comme un soi, et les contraintes conscientes et
inconscientes qu'il s'impose pour ressembler à cette image qu'il
désire. (...)L'anonyme imite une déclinaison de lui-même
dans le rêve d'être davantage lui-même. »
Au final, les mises en scène proposées par les
émissions de télé réalité et « En
aparté » nous livrent une certaine réalité
conditionnée tant par le média que par le rapport au
téléspectateur et le rapport à soi même. En
aparté livre en pâture tel un spectacle zoologique, un
invité. Cependant cela paraît moins indécent que dans les
émissions de télé réalité car en premier
lieu l'invité n'est pas un anonyme, ensuite le temps de l'enfermement
est réduit, l'invité connaît les conditions de sa
détention ...Mais finalement, le même objectif : conforter
l'image que l'on a de soi même et par rapport aux autres.
De ce fait, l'émission s'inscrit comme une sorte de
dérivé des émissions de confession, des émissions
de l'intime comme celles de Mireille Dumas. La sphère de
l'intimité, en effet n'est qu'un prétexte pour obtenir des
réactions qui feront « spectacle ». De même,
une promesse sous-jacente de l'émission de Pascale Clark est de tester
la maîtrise de la représentation de ses invités, le
contrôle qu'ils en ont. On peut distinguer les invités qui sont
anxieux, ceux qui sont plus à l'aise, ceux qui répondent
spontanément, ceux qui éludent les questions... De même, on
peut distinguer ceux qui préparent leur prestation. Pour ce, Pascale
Clark préparent des questions inattendues, afin d'obtenir le maximum de
spontanéité.
b) Un simulacre d'intimité
Revenons sur l'étymologie du titre de
l'émission, En aparté : selon le dictionnaire
de l'Académie Française, le nom masculin
« aparté », issu de la locution adverbiale italienne
a parte signifie « à part, à
l'écart ». Il s'agit d'une expression du monde du
théâtre qui définit « ce qu'un acteur dit
à part soi et que les personnages en scène sont censés ne
pas entendre, mais que le public comprend parfaitement ». En second
sens, cela signifie aussi « un petit groupe séparé ou
conversation particulière en marge d'une réunion, d'une
assemblée. »Et enfin, l'expression « en
aparté » signifie « de façon à ne pas
être entendu »73(*). Le titre de l'émission sous-entend en fait
que cette conversation est en marge du circuit promotionnel classique, qu'elle
convoque une intimité particulière. Ce titre suggère un
statut particulier « à part ». Pourtant, et c'est ce
que nous allons voir, cette intimité est bien factice et sert juste de
prétexte au média et au public d'assouvir son autorité sur
l'invité. Ici, il s'agit d'une fausse intimité où on y
utilise les artifices mais dans une volonté paradoxalement
spectacularisante. Par ailleurs, le ton psychologisant de l'émission est
symptomatique d'une certaine « télévision de
l'intimité » qui s'est développé ces
dernières décennies. En effet, « la psychologisation
des écrans accompagne la psychologisation des
sociétés.74(*) »
Cette « télévision de
l'intimité », sujet de l'ouvrage éponyme de Dominique
Mehl, concerne traditionnellement des émissions traitant des
problèmes de l'anonyme. Les figures de proue de notre époque sont
Mireille Dumas et Jean-Luc Delarue mais de nombreux dérivés sont
apparus au fur et à mesure ( Confessions intimes entre autres).
Ces émissions ont pour but de recueillir la parole de l'anonyme
témoignant de problèmes sociaux. Celui-ci acquiert ainsi son
heure de gloire mais une heure de gloire étrange appelant à la
prise de pitié du téléspectateur ; Le média
occupe dans ses émissions une place particulière :
« Face à la télévision de l'exclu,
télévision du pauvre, le média se donne à voir
comme un candidat au traitement des défections du lien
social »75(*).
Face à cette intimité du pathétique, on peut ériger
« En aparté » comme une télévision de
l'intimité valorisatrice, d'autant plus qu'elle ne concerne pas les
anonymes mais les personnalités. Celles-ci, grâce à
l'émission, traitent une défection originelle du lien social
qu'ils ont avec le public. Elles recherchent, par cette intimité
proposée par l'émission un lien affectif avec leur public ;
« La confession médiatique induit un rapport
de soi à soi et aussi un rapport de soi au monde social. Porter sur
scène son histoire ou ses sentiments personnels contribue à les
assurer d'une certaine validité ; l'exhibition devient dès
lors un moyen de parfaire une identité sociale. Celle-ci ne peut se
dessiner dans des rapports interindividuels, dans des espaces purement
privatifs, familiaux oui domestiques, car elle recqiert un regard, une sanction
par la société. »76(*)
La personnalité recherche en fait deux messages
à travers son intervention dans l'émission : l'affirmation
de sa reconnaissance professionnelle « oui, je suis une
célébrité, je le mérite », et
l'affirmation de sa normalité « oui, je suis comme vous, j'ai
des états d'âme ». L'invité recherche une
validation de son parcours individuel par la collectivité ce qu'explique
Arnaud Marty-Lavazelle77(*) :
« La confession n'a pas, à l'image du
message personnel ou du verbe thérapeutique, une fonction seulement
personnelle. Elle entretient un rapport particulier avec le collectif. Elle s'y
plonge et s'y alimente. Elle est à la fois révélation
personnelle et message. Elle confronte l'expérience individuelle au
regard et à l'écoute du monde social, sans pour autant tenir des
propos sur ce monde lui-même. Elle n'est pas prophétique mais
factuelle. Elle n'est ni propagandiste, ni prosélyte mais
égocentrée ; Elle est en même temps affirmation
individuelle et quête de reconnaissance par la collectivité. Elle
est définition d'une identité sociale par la déclamation
d'une identité privée »
La confession cathodique ressemble à plusieurs
égards, en premier lieu étymologique, à la confession
catholique. L'invité justifie son parcours, reconnaît ses fautes,
cherche le pardon en quelque sorte. L'espace public et l'espace privé se
mêlent, les personnages publics se sentent obligés à
l'heure de la médiatisation à tout va, d'exposer leur
intimité. Dominique Mehl impute cette tendance à l'époque
moderne :
« Etalage de l'intimité sur la place
publique, visibilité du relationnel, exhibition de l'interrelationnel,
exposition publique du savoir et de la démarche psy :
l'époque moderne approfondit le double-mouvement de publicisation de
l'espace privé et de privatisation de l'espace
public »78(*)
Cette « intimisation » de l'espace public
est contestée. Pour Richard Sennett, « la
société intimiste est une société
incivile » qui a perdu le sens des intérêts du groupe.
L'idéologie intimiste a selon lui pour premier effet de vider la vie
sociale de sa dimension politique. En effet, intimité et narcissisme
sont intrinsèquement liés, et selon Christophe Lasch, le
narcissisme est symptomatique de ces sociétés vidées de
leur âme :
« La popularité du mode de pensée
psychiatrique, (...) le rêve de célébrité, et le
sentiment angoissé de l'échec (...) ont en commun un
caractère d'intense préoccupation narcissique. Cette
concentration sur soi définit le climat social de la
société contemporaine (...) La concentration de la personne
aboutit à la négation de la personne »
L'émission « En aparté »
par son importance au sein de l'espace médiatique participerait donc
à la déliquescence du sens politique des citoyens. Au-delà
de cette émission, l'émergence de la sphère de
l'intimité dans nos médias est un phénomène global,
qui concerne de nombreux domaines et qui modifierai notre regard politique.
Citons entre autres l'érosion de livres intimes (« La vie
sexuelle de Catherine Millet »), d'expériences
cinématographiques (les films de Catherine Breillat) qui tendent
à toujours plus vouloir élargir notre seuil de tolérance
face au thème de l'intimité. La sociologue Numa Murard s'est
intéressée à cette question sur le site « Loft
Scary »79(*) : Elle pose comme hypothèse la
domination du regard en tant que sens. En effet, face à un
phénomène de voyeurisme comme Loft Story, et donc par
extension comme En aparté, le sens du regard
prédomine, certes mais n'intervient pas à priori dans ce qui
concerne notre intériorité, soit notre intimité. Pourtant
les émissions de télévision percent de plus en plus cette
barrière qu'a le regard face à l'intimité. Le
téléspectateur assiste de plus en plus à des scènes
auxquelles il n'a pas été convié : familles à
l'autorité défaillante, situations de vie quotidiennes
atypiques...Or en érigeant le regard comme sens dominant face à
l'intimité, la sociologue craint une déperdition de la
culture :
« (...) On n'est pas obligé d'accepter sans
broncher la domination du regard. Le regard est le sens dominant, qui ordonne,
classifie, hiérarchise, il est le sens du pouvoir. On n'est pas
obligé d'accepter qu'il domine aussi l'intériorité. Au
lieu d'un big brother totalitaire, nous dit Jean-Claude Kaufmann, Loft Story
manifesterait la démocratisation du regard, le fait que chacun, et non
plus seulement une élite, peut être soi et tenter d'exister
davantage en étant regardé et en regardant. Mais je crois que la
domination du regard sur les autres sens est une négation de la culture,
ou plutôt une soumission à ce qu'elle a de plus hypocrite, ce
qu'elle dissimule sous la politesse ou la courtoisie, ce que traduit
l'expression "pas vu, pas pris".
Numa Murard s'inquiète de la
généralisation d'une intimité qui ne renforce que peu
l' « intériorité » du
téléspectateur. En effet, les émissions de
l'intimité contribueraient à brouiller les pistes entre ce qui
relève de l'intimité et ce qui relève de
l'intériorité.
« C'est le regard des autres qui conduit les hommes
à plonger en eux-mêmes. C'est pourquoi l'intimité a
changé de sens après l'âge classique. Elle désignait
le cercle des proches (les intimes), elle a ensuite désigné le
rapport de soi-même à soi-même, l'intériorité.
Mais il ne faut pas confondre l'effet avec la cause. Si les agencements des
regards dans les groupes dominants sont à l'origine du
développement de l'intériorité, il ne s'ensuit pas que
cette intériorité soit et doive être dominée par le
regard. »
Jacques Hassoun80(*) a une vision quelque peu plus nuancée de ces
émissions de télévision. Celles-ci, par leur nature ne
peuvent convoquer la « vraie » intimité :
« Ce qui se donne à voire dans nos
étranges lucarnes n'a rien à voir avec l'intimité.
L'intime, c'est plus que la chambre à coucher. C'est quelque chose qui
est à l'intérieur de soi, le lieu des pulsions où il n'y a
pas de négation, où la pulsion de mort n'a pas de
représentation, où le temps n'est pas
inscrit »81(*)
Jean-Pierre Winter ose le terme
d' « extime » pour décrire l'intimité
supposée des émissions de télévision. Le for
intérieur resterait épargné par les opérations de
publicisation. Pourtant, là encore le propos est modéré
par la constatation d'un déplacement des frontières du secret,
d'une « évolution des conventions sociales concernant le
domaine privatif ». La télévision tend à
repousser toujours plus les limites entre espace public et espace privé.
Les personnalités médiatiques ont souvent des difficultés
a définir les frontières entre leurs intimités et ce
qu'elles doivent à leur public. Elles livrent parfois des mises en
scène de leur intimité (Johnny Hallyday présentant son
fils dans Paris Match dans un décor de rêve,
Nicolas Sarkozy jouant au football avec son fils toujours dans le même
magazine) pour éviter que les paparazzi leur volent des morceaux de leur
« vraie » intimité, bien moins idyllique. En cela,
le concept d' En aparté leur offre une manière
institutionnelle de présenter une de leurs facettes intimes dans un
décor codifié qu'ils peuvent tenter de maîtriser. Une
prestation chez Pascale Clark leur permet de définir et
différencier ce qui relève du public et ce qui relève du
privé. Ils donnent ainsi ce qu'ils ont envie de donner. Tout le travail
(et le talent) de Pascale Clark est de les pousser dans des retranchements
inédits, ce qui arrive parfois. Lors du passage de l'actrice Elsa
Zylberstein en mars 2003, celle-ci avait fondu en larme à
l'évocation d'une des frustrations majeures de sa vie, l'abandon de la
danse. De même, Martine Aubry avait elle aussi pleuré en
visionnant des images de l'élection présidentielle 2003. Lors de
ces deux émissions, Pascale Clark a réussit à faire
partager au public des réactions d'un ordre pulsionnel, soit de l'ordre
de l'intimité. Par ailleurs, l'animatrice essaie à tout moment de
créer des « ponts » conversationnels entre vie
privée et publique. Par exemple, lorsqu'elle retrace le parcours de
Maitena Biraben, elle évoque la difficulté de faire garder ses
enfants ; s'ensuit une longue réponse de Maitena Biraben concernant
son expérience sur la garde alternée. On pénètre
ainsi dans la vie privée de la personnalité, sous ses aspects les
plus prosaïques.
Dominique Mehl rappelle82(*)que « les émissions de
l'intimité qui affluent sur nos écrans cathodiques
français contribuent à remodeler les rapports entre espace public
et espace privé dans les sociétés contemporaines. La
psychologisation du jeu social et la mise en scène du relationnel
nourrissent un processus de subjectivisation où le regard supplante le
verbe, la monstration l'emporte sur la démonstration. L'exhibition des
affects et la valorisation de l'expérience individuelle deviennent des
prismes de lecture du monde social »
Norbert Elias83(*) rappelle que la différenciation des
sphères publiques et privées date du dix neuvième
siècle :
« Il est certain que le partage entre vie
professionnelle et vie privée s'est manifesté déjà
au dix neuvième siècle, et même plus tôt dans des
couches sans grande influence, mais il ne pouvait produire tous ses effets que
dans une société de masse urbaine. C'est là seulement que
l'individu pouvait- tout en restant soumis au contrôle de la loi-
échapper jusqu'à un certain point au contrôle de la
société. Pour l'homme de la société de cour- au
sens le plus large du terme- du dix septième et du dix huitième
siècle- ce partage n'existait pas encore. Les effets heureux ou
malheureux de son comportement ne se manifestaient pas dans la sphère
professionnelle, pour ensuite déborder sur la sphère
privée. A toute heure de la journée, son attitude pouvait
décider de son succès ou de son insuccès social. C'est
pourquoi le contrôle social s'exerçait aussi directement sur
toutes les sphères de l'activité et sur tous les
comportements. »84(*)
La société exerce donc depuis bien longtemps un
contrôle insidieux de l'individu et cette constatation prend tous son
sens aujourd'hui chez nos personnalités médiatiques. Celles-ci,
en devenant célèbres concluent un pacte tacite avec le
public ; elles doivent rendre compte d'un bon comportement et de ce
comportement dépend un éventuel succès en salle ou
ailleurs. Le dispositif d' En aparté permet un contrôle
« physique » de la personnalité. Elle propose une
visite dans l'intimité de ses postures sociales.
« Bien sûr, le discours émeut, la
parole trouble, le secret dévoilé déconcerte et
dérange. Cependant, au-delà des mots, les postures corporelles,
les réactions physiques frappent plus encore l'imagination du
téléspectateur »85(*)
Ce n'est pas tant ce qui est dit qui intéresse le
téléspectateur mais comment il est dit. Après un passage
dans l'émission, le téléspectateur se rend compte alors du
degré de sympathie ou d'antipathie que provoque chez lui tel
invité. Par exemple, alors que j'avais imaginé Maitena Biraben
comme une personne assez douce et sympathique, j'ai découvert une
personnalité brute, un peu prétentieuse et
égocentrée. Concernant la prestation de François Hollande,
cela m'a conforté dans l'idée que j'en avais. On le
découvre mal à l'aise avec les médias avec un
côté attendrissant : un côté que l'on aurait du
mal à trouver dans les émissions politiques classiques. Quant
à Charles Berling, abonné aux rôles de timide dans sa
filmographie, on le découvre naturel, simple et très à
l'aise. Cette émission, loin des mises en scène de Tout le
monde en parle prétend à une vraie découverte de
l'invité.
En aparté serait donc une émission de
l' « extime », pour reprendre l'expression de
Jean-Pierre Winter, où finalement rien de réellement intime ne
nous serait dévoilée. Par contre, l'émission nous fait
partager tout ce que le regard peut nous permettre de percevoir de
l'intimité des invités. Ainsi, en lieu et place de la fausse
proposition d'intimité volée proposée par les
tabloïds, En aparté a pour promesse un dévoilement
« externe » des manifestations de l'intimité,
validé par l'approbation de l'invité. Ainsi, le
téléspectateur perçoit de nombreux indices qui pourraient
laisser croire à son réel dévoilement. Contrairement au
phénomène du voyeurisme qui imprègne nos médias
à travers des émissions comme Ca se discute ou
Confessions intimes ou encore les nombreuses émissions de
télé réalité, « En
aparté » propose de renouveler la notion même
d'intimité télévisuelle. Cette intimité qui est
ainsi définie sur le site
www.fabula.org où un chapitre
est intitulé « Pour une définition de
l'intimité » :
« Souvent caractérisée par un
mouvement de retrait vers un quotidien-refuge retranché de la
sphère publique et sociale encline à l'exhibitionnisme et au
voyeurisme (Internet, phénomène Loft Story, presse people...),
l'intimité n'admettrait-elle pas une double définition à
la fois constituée d'une intimité intérieure et solitaire
propice à l'introspection, à la méditation et aux secrets
de l'âme et d'une intimité extérieure de
"coprésence" insérée dans une dialectique de la communion
(amicale, familiale, conjugale), de la confidence, de la complicité et
de la sociabilité communautaire ? Faut-il, comme Tournier, recourir
à l'opposition de l' " intime " et de l' " ex time" pour qualifier avec
justesse certaines formes d'art et d'attitudes propres au siècle
présent ? De même, les concepts d' " imploration " et d' "
exploration " proposés par Butor ouvrent-ils des perspectives pour
décrire les abîmes de la vie
intérieure »86(*)
Ainsi, En aparté possède de nombreux
indices de l'intimité : solitude, volonté d'introspection,
confidences...Mais en même temps, l'émission par sa nature
s'adresse à une masse de téléspectateurs, ce qui contredit
la notion même d'intimité. Il s'agit en fait d'une intimité
mise en spectacle : les codes de l'intimité sont singés et
les participants le savent bien, mais parfois se laissent aller. On note
d'ailleurs une évolution du comportement des invités :
ceux-ci étaient bien plus naturels au début. Désormais, il
n'est pas rare de voir des personnalités revenir plusieurs fois. Nous
allons maintenant analyser les conditions du dévoilement de
l'invité.
c) Le dévoilement de l'invité
La qualité de l `émission dépend
de la prestation de l'invité. Le dispositif de l'émission est
désormais instauré, avec parfois quelques changements. Nous
allons voir en premier lieu les coulisses de l'émission et le
dispositif.
1- Les coulisses de l'émission
Le site Internet de Canal
réunion87(*)
nous fait entrer dans les coulisses d' En aparté. La
rédaction a environ une semaine pour préparer une
émission. Une personne, Pierre, s'occupe de la programmation des
invités, Nathalie et ses assistantes rédigent les revues de
presse détaillées sur chaque invité et Priya visionne et
classe les documents vidéo. Le tournage se fait en une journée.
Quelques heures avant le début de l'enregistrement, Pascale modifie une
dernière fois ses questions en fonction du conducteur d'émission
que lui a préparé Agathe, rédactrice en chef de
l'émission. A 10h30, la loge est prête pour recevoir les
invités. Habiba et Samia s'occupent d'eux pendant leur attente. A 11h15,
la première répétition commence avec l'assistant
réalisateur qui reproduit les déplacements du futur invité
dans le salon. Bruno Piney, concepteur et réalisateur, formule ses
dernières critiques. A 13 heures, l'invité entre dans le couloir
qui le mène au studio-appartement. Vers 14 heures, l'invité
quitte le studio en emportant son cadeau. Ce n'est qu'après
l'enregistrement qu'il rencontre l'animatrice.
2- Le déroulement d'une émission
Le générique est sobre :
on y voit le logo de l'émission apparaître, pendant trois
secondes. Puis par l'effet d'un fondu s'ensuit directement la
présentation de l'invité. On le voit empruntant le couloir qui le
mène au studio-appartement. Sur ces images, Pascale Clark introduit la
personnalité et conclut son petit texte par « voici Monsieur X
(l'invité) dans En aparté. Sur ces images, on voit
encore le logo de l'émission apparaître par dessus l'image,
toujours par l'effet d'un fondu. L'animatrice parle sur une bande-son à
chaque fois identique, bande son qui a pour effet de dramatiser l'entrée
de l'invité dans le studio. Lors de cette présentation orale,
l'animatrice rappelle l'actualité de la personnalité et donne
parfois quelques indices du fil conducteur de
l'émission (« Mais qu'est ce qui fait courir Monsieur
X ?»). Puis l'invité entre dans l'appartement :
après avoir été accueilli vocalement par l'animatrice,
cette dernière lui propose un verre. Ce verre peut être du
champagne, du vin, du jus d'orange...Tout est signifiant : selon la
réaction de l'invité face à ce verre, Pascale Clark
introduit la conversation : « Vous avez une vieille histoire
avec le sancerre ? » questionne-elle après avoir
constaté l'enthousiasme de Maïtena Biraben face à ce verre.
Le lieu de ce verre peut être sur le bar, ou sur la table. Le temps de ce
verre est un temps de réflexion sur le moment « comment
ça va ? », « comment vous abordez
l'année ? », « comment vous
sentez-vous ? ». Cela reste assez superficiel, l'animatrice pose
quelques questions sur le mode de vie, selon le comportement de
l'invité. Lorsqu'elle voit Charles Berling déambuler sans
gêne dans le studio dés son entrée, elle se permet un
« je vous vois comme quelqu'un de sociable » :
l'acteur nous fait alors partager sa vision des rapports sociaux. Le temps de
ce verre dure selon la participation de l'invité.
Le décor d' En aparté est typique des
émissions de conversations » :
« Souvent, le plateau est organisé en coins,
ce qui permet en changeant de lieu de varier le ton et les sujets de
conversation : coin-salon pour les sujets sérieux, coin-repas ou
coin-cuisine...Les salons dominent dans les émissions de
conversation. »88(*)
Hélène Duccini appelle le présentateur
un « meneur de jeu ». Celui-ci doit sans cesse penser au
téléspectateur et par conséquent « entrer dans
la peau d'un naïf ou d'un ignorant : « Pourriez-vous
m'expliquer ? » ou encore du pédagogue
« vouliez vous préciser le sens ? ».
Il est là pour accomplir une maïeutique, pour amener son
interlocuteur à accoucher de son savoir ou de son
expérience. ».89(*) Les interviewers redoutent le
« tunnel » : « un discours prolongé
qui est vécu ou prévu comme soporifique ». Pour ce, le
recours au document (vidéo ici) permet d'aérer la conversation.
Si les invités connaissent le dispositif, ils savant qu'ils ne doivent
pas trop parler pendant le verre et se réserver pour la séquence
suivante, qui est le commentaire d'une séquence vidéo les
concernant. Cette séquence peut donner lieu à une conversation
d'ordre rétrospective ou introspective. La conversation prend alors un
tout bien plus personnel. Ensuite vient la séquence du commentaire
d'images. L'invité s'installe devant un rétroprojecteur et fait
défiler des images. L'animatrice lui donne le choix de les commenter ou
non. Ces images ou photos ont pour but de faire réagir l'invité
sur ses idées politiques, son opinion sur l'actualité : par
exemple, l'image d'un livre qui fait scandale pour recueillir l'avis de la
personnalité sur le livre ou le scandale...Cette séquence donne
parfois l'occasion de vérifier les connaissances politiques ou
culturelles de l'invité, ou parfois même son indifférence
par rapport à certains sujets.
Après ces deux séquences de conversation vient
le moment où l'invité choisit une musique pour illustrer son
départ. Parfois vient s'interposer une séquence où la
personnalité est invitée à s'installer devant un miroir et
à commenter son aspect physique. Pour la séquence musicale, la
présentatrice a sélectionné trois à cinq morceaux,
qui ont toujours un lien avec l'invité. Le titre de la chanson peut
renvoyer à sa personnalité ou à son parcours par exemple.
Souvent l'animatrice a mis d'office un album dans la chaîne en imaginant
que ce sera ce morceau qui sera choisi. Si elle a raison ou si elle s'est
trompée, cela donne l'occasion d'une discussion sur ce sujet. L'invite
tâtonne souvent sur le fonctionnement de la chaîne hi-fi :
cela confère un caractère authentique à l'émission.
Sur ce fond musical, Pascale Clark demande à l'invité de se
prendre en photo. Ce moment témoigne quelque peu du degré de
narcissisme de l'invité. Celui-ci apparaît parfois comme coquet,
ou parfois original, certains se mettent en scène, d'autres
détournent le procédé (Béatrice Dalle se
photographiant le nombril). La photographie est ensuite conservée par
l'équipe de rédaction. Le public peut les consulter sur le site
Internet de Canal plus. Après la photo, l'animatrice propose un
ou plusieurs cadeaux à la personnalité. Souvent ce sont des
fleurs accompagnées d'un présent qui peut avoir un lien ou non
avec l'invité. Ce dernier commente alors ces cadeaux.
L'émission se conclut alors sur le départ de
l'invité, chargé de cadeaux, le tout sur un fond musical. La
dernière image est celle de la photographie de la personnalité
accompagnée d'un commentaire de celle-ci. Enfin, sous fond du logo
d' En aparté, Pascale Clark salue les
téléspectateurs. Lors de la présentation comme lors de la
conclusion, l'animatrice a toujours un ton monocorde dans sa voix : ce
choix de la sobriété s'explique par une volonté de mettre
en valeur son invité.
Je vais étudier maintenant les prestations des
personnalités choisies pour mon corpus : l'animatrice Maïtena
Biraben et l'acteur Charles Berling. Ceux-ci ont des parcours, des
métiers et des personnalités très différents et
nous allons voir comment les mécanismes de l'entretien varient en
fonction de ces données.
3 - Maïtena Biraben
Maïtena Biraben est une animatrice
considérée comme une valeur montante dans le paysage audiovisuel
français. Réputée pour son sens de la répartie et
son humour, elle possède aussi une large connaissance des médias,
du fait de son expérience - elle a longtemps travaillé pour la
télévision suisse romande. Elle venait d'arriver sur Canal
plus pour présenter Nous ne sommes pas des anges une
émission diffusée sur la tranche de midi. Cette émission,
qui mêle information sur la vie pratique et divertissement peinait
à décoller. Le passage dans En aparté est donc
l'occasion pour elle de se présenter. Cette prestation a donc
évidemment des visées promotionnelles : en souhaitant mettre
en valeur la gouaille et la sympathie de son animatrice-vedette, la
chaîne veut remonter l'audience de l'émission.
Pour Pascale Clark, l'enjeu est donc double : pour mener
un entretien qui a de l'intérêt, elle doit à la fois mettre
en valeur ce qui fait la réputation de l'animatrice mais aussi
révéler des aspects inédits. En effet, le
téléspectateur d' En aparté souhaite
découvrir des côtés inattendus de l'invité. En
parallèle, elle doit aussi s'imposer : l'entretien se donne parfois
des allures de confrontation car les deux femmes sont animatrices et un certain
parfum de compétition se fait parfois ressentir.
A l'arrivée de Maïtena dans le studio, Pascale
Clark tente une plaisanterie qui tombe à plat
« Maïtena Biraben, vous allez ben ? »
qu'elle rattrape rapidement, professionnalisme oblige :
« C'est le début de l'année, il faut être
indulgent ». L'invité émet un alors un petit rire
moqueur : elle prend tout de suite une ascendance sur son interviewer. On
note que lors de son entrée s'enchaîne une multitude de type de
plans et d'angles de prise de vue qui ont pour effet de cerner sa stature et sa
prestance et de donner au téléspectateur une vue
d'ensemble : plan américain, plan général, plan
rapproché, angle en plongée, en contre-plongée. Cependant,
pendant les premiers instants, les gros et très gros plans sont exclus.
Ce n'est que lors de l'installation sur la chaise du bar que la mise en
scène privilégie les plans plus rapprochés. Pendant que
l'invité prend le temps de s'installer et de faire quelques remarques
sur la collation offerte, l'animatrice en profite pour introduire l'angle de
son entretien : « Si vous attaquez l'année pleine de
résolutions diététiques, c'est
râpé » et de Maïtena Biraben de
répondre : « Ce n'est pas mon genre »
pour qu'ensuite l'animatrice réplique par un « D'ailleurs,
vous l'abordez comment cette année ? ». Les jeunes
femmes sont réceptives l'une à l'autre : l'invité
sait parfaitement qu'elle est là pour parler d'elle et aide son
interlocutrice. Cette dernière recentre la conversation sur le bilan de
l'année pour que son invité évoque les difficultés
de son émission et non tout de suite « son genre ».
Elle aurait pu bien aussi poser comme question « Ah bon, et c'est
quoi votre genre ? ». Maïtena Biraben souhaite
soutenir sa réputation : « Je suis quelqu'un qui
provoque la surprise ». Pascale Clark n'a pas besoin de poser
beaucoup de questions : l'invité se dévoile toute seule, se
met en valeur, « J'adore quand les gens prennent des
risques » (en parlant d'elle), « c'est pas grave,
non ? ». Pascale Clark essaie de modérer son
enthousiasme : « Non, il y a des choses graves et des choses
plus graves, là non ». Elle recentre la conversation sur
le parcours en dents de scie de son invité et sur ces moments de creux
afin de l'inciter à plus de modestie « Vous êtes du
genre « forte exposition » et puis plus rien »
« vous n'avez pas travaillé pendant quatre ans ?
Rien ? ». A ce moment, on sent l'invité plus
fragilisée : elle commence à rechercher la caméra et
cette dernière traque cette nervosité par un travelling. Mais
elle reprend vite le dessus de l'entretien en cumulant les petites anecdotes
qui contribuent à la rendre sympathique
Maïtena : « J'ai appelé
Alain de Greef et vous savez ce que je lui ai dit ?
Pascale : « Non »
Maïtena : « Il m'a dit
« pourquoi vous m'appelez ? « Et je lui ai
répondu « parce que vous m'appelez pas ! »
(Rires) « (...) Je crois qu'à cette époque,
j'étais vraiment inconsciente ! »
Pascale : « Je ne vous crois pas
inconsciente »
Maïtena : « À un moment,
je l'ai été »
Le retour au document vidéo est l'occasion
d'imposer vraiment ce que Pascale Clark veut entendre de son
invité : son opinion par rapport au mauvais démarrage de son
émission, ses angoisses face à l'échec...ses
fragilités en somme. Pour ce, le reportage est orienté : on
y voit l'équipe de Nous ne sommes pas des anges
confronté aux difficultés d'une émission bancale, qui
n'a pas encore pris ses repères. Maïtena Biraben rit nerveusement
devant les nombreuses bévues de son émission. Le document se
conclut par la jeune femme qui demande sous forme de plaisanterie à
Antoine de Caunes : « Mais dites nous comment on fait pour
faire une émission-culte parce qu'ici, on rame un
peu ! ». Le document s'arrête à ce moment,
laissant l'invité face à cet aveu et face à la sentence de
Pascale Clark : « Ca se voit lorsque l'on se cherche
à la télé... ». L'invité se voit
alors dans l'obligation de se justifier : « Vous savez,
c'est pas scientifique...C'est une histoire d'alchimie... ».
Elle semble oublier un temps qu'elle est face à une animatrice dont
l'émission marche. Elle parle du média qui l'embauche, Canal
plus, qui est aussi celui de Pascale Clark : on a affaire plus ici
à une confrontation et l'invité se voit fragilisé par la
position dominante de son interlocutrice. Le débat est houleux :
Maïtena Biraben se cherche des excuses et Pascale Clark ne rebondit
pas : elle semble un peu se justifier dans le vide : il s'agit sans
doute d'une invitation à la modestie de la part de Pascale Clark.
La séquence des diapositives va pacifier un peu la
conversation : l'entretien s'oriente vers le parcours et les rencontres de
l'invité et cette dernière peut s'exprimer sans avoir peur de se
justifier comme ce fut le cas précédemment. La conversation prend
un tour un peu plus superficielle : on parle de la blondeur de
l'animatrice...mais ce tour superficiel n'est qu'apparent : Pascale Clark
veut faire connaître le rapport de son invité sur son narcissisme.
Celle-ci veut clairement clamer son indépendance face aux modes. Mais
elle le clame un peu trop fort : on a un peu l'impression qu'elle s'en
persuade, ou du moins qu'elle veut convaincre le téléspectateur.
Le final me conforte dans l'idée que Maïtena
Biraben connaît parfaitement les codes de l'émission (elle
dit : « Comme on dit toujours dans cette
émission ») et qu'elle les utilise pour se mettre en
valeur et promouvoir une certaine image d'elle-même. Alors qu'elle sait
qu'est arrivé le moment où elle doit se prendre en photo, elle
feint de visiter le studio et d'examiner les livres qui y sont exposés.
L'invité sort du studio sous une bande-son d'applaudissements :
serait ce un clin d'oeil complice ou moqueur ? C'est au
téléspectateur d'interpréter.
La prestation de Maïtena Biraben chez En
aparté laisse donc un arrière goût de confrontation,
de duel : on découvre une personnalité forte qui correspond
à l'idée que l'on peut avoir en visionnant ces émissions
mais aussi un côté narcissique et auto-satisfait. On peut aussi
imaginer que Pascale Clark ait souhaité mettre en valeur cet aspect en
lui bridant la parole lorsqu'elle se mettait un peu trop en avant.
Malgré la forte personnalité de son interlocutrice, elle a su
conserver son autorité.
4 - Charles Berling
Du fait qu'il s'agit d'un acteur et de surcroît d'un
homme, le rapport ne peut être ici que différent du
précédent. D'abord parce qu'il introduit la notion de
séduction inhérent au rapport entre les hommes et les femmes. Et
ensuite parce que l'invité n'exerce pas la même profession que
Pascale Clark : on a peu de chance d'avoir affaire à une
confrontation.
Charles Berling a été
révélé en 1996 par le film de Patrice Leconte
« Ridicule » : acteur français majeur, il
n'intéresse pas vraiment les médias : il est assez discret.
Il ne s'agit donc pas d'une personnalité à priori
« spectaculaire » comme pourrait l'être Maïtena
Biraben. Son passage chez En aparté est dû à la
promotion d'un film dont il assure le doublage « La marche de
l'empereur ». La pression promotionnelle n'est donc pas très
élevée. Cette décontraction va mener l'entretien.
Dès le début, Charles Berling donne le ton.
Joueur, il imite le ton solennel de l'animatrice mais pénètre
timidement dans l'antre du studio. Pascale Clark l'invite à
« prendre possession » du bar. Au lieu de s'installer sur
le tabouret prévu à cet effet, il prend littéralement
possession du bar et se place derrière. L'animatrice d'abord surprise
l'invite à rester là où il le désire. Il
déguste la collation, ne montre aucun signe visible de gêne, ce
que constate l'animatrice : « Mais pourquoi voulez-vous que
je soit mal à l'aise ? ». On sent qu'il est
habitué aux caméras, mais il ne s'agit pas de la même
aisance que Maïtena Biraben. Lui montre bien moins de calcul, ne semble
pas vouloir prouver quelque chose. Il répond tranquillement aux
questions de l'animatrice, qui concerne surtout la promotion du film. Des
images du film sont projetées. L'acteur a choisi de rester debout,
soutenant le bar, comme pour dominer le dispositif. L'entretien reste assez en
surface : l'animatrice semble respecter la vie privée de Charles
Berling et s'en tient au commentaire des images du film. Elle essaie
néanmoins d'établir des ponts entre le film et la vie :
« Mais ce qui les (les manchots dans « La marche
de l'empereur ») fait courir, c'est l'amour, comme dans la vie,
non ? ». Elle aborde aussi le rapport de l'homme par
rapport à son métier d'acteur. D'ailleurs, la mise en
scène a choisi de privilégier des plans où apparaissent
à la fois l'acteur et l'image du film. Ensuite, un autre petit film
retraçant sa carrière est projeté. Le
téléspectateur le regarde en même temps que le regarde
Charles Berling. Ce dernier paraît indifférent et s'applique
à manger la galette des rois préparée à son
intention. Les plans d'ensemble mettent en valeur cette indifférence. Se
succèdent des plans où on voit le film et des plans d'ensemble
où on voit l'acteur regarder le film en mangeant. A la fin de la
projection, l'animatrice conclut par : « Vous ne vous
intéressez pas à vous-même... » Mais voyant
Charles Berling cherchant à boire, la conversation s'oriente vers des
aspects plus prosaïques : où est le frigo, pourquoi les
bouteilles n'ont pas de marque...L'animatrice a quelque difficulté
à faire parler son hôte, mais réussit finalement,
après moult efforts. Ce n'est qu'à la dixième minute
qu'elle arrive à lui extirper une réflexion sur le métier
d'acteur. Celui-ci avoue finalement : « Bien sûr que
je m'intéresse à moi-même, comme tous mes
collègues ».
S'ensuit une séquence assez originale, qui fait partie
des surprises d' En aparté : l'acteur s'installe devant le
rétroprojecteur. Il y apparaît la photographie d'un ami, Marc
Thiercelin, qui venait d'abandonner à cette époque le
Vendée Globe. Il confie qu'il ne l'a pas appelé depuis son
abandon. Pascale Clark lui demande alors de se justifier : on entre alors
dans la sphère vraiment intime de la personnalité. Ce n'est plus
le ton désinvolte du début. L'animatrice a réservé
une surprise à son invité : son ami lui a enregistré
un message qu'elle lui fait écouter. Dans ce message, son ami lui avoue
qu'il l'a inscrit à une course et qu'il lui écrit un film.
Charles Berling est visiblement ému.
L'émission se révèle assez rapide et
superficielle mais l'équipe a réussi à extirper de
l'émotion. Lors de la séquence musicale, l'acteur se
dévoile un peu, parle avec enthousiasme des musiques qu'il affectionne.
L'animatrice perd un peu de son contrôle physique car l'acteur se ressert
à boire, tarde à choisir sa musique, critique le dispositif...on
sent qu'il veut donner l'image d'un électron libre. Devant son cadeau,
un coffret « Star Wars », il ne force pas son
enthousiasme : « Je ne suis pas fan. »
De la prestation de Charles Berling, nous en retiendrons que
celui-ci a dévoilé quelques bribes de sa
personnalité : discret et désinvolte, il n'ignore cependant
pas le pouvoir de l'image et en joue. Pascale Clark aura eu un peu de mal
à conférer de l'intimité à l'entretien :
l'acteur s'est tout de même donné en spectacle pour affirmer son
indépendance. Il a donné ce qu'il a eu envie de donner. Seul le
message de Marc Thiercelin a donné un tout un peu personnel au passage
de Charles Berling. Grâce à pouvoir du média,
l'émission a livré une émotion à son invité,
et donc à son téléspectateur.
L'émission En aparté repose sur les
mêmes ressorts que les « émissions de
l'intime » de ces deux dernières décennies : elle
exploite le désir de voyeurisme du téléspectateur qui
répond à la volonté d'exhibitionnisme de l'invité.
Dans le cadre de cette émission, le média s'efface -absence de
l'animatrice- pour mieux mettre en valeur cette relation dans un souci de
« spectacularisation » de l'intime. Cet intimité
reste par contre relativement superficielle, l'invité connaissant le
principe de l'émission. Pourtant, le média parvient parfois par
des stratagèmes originaux à obtenir des parcelles
d'intimité qui échappent au contrôle de la
représentation de l'invité. L'originalité majeure d'
En aparté par rapport aux autres
« émissions de l'intime » est qu'elle concerne les
célébrités, plus communément appelés les
« people ». Ceux qu'Edgar Morin appelait les
« Olympiens » ont acquis une importance dans notre
sphère affective et médiatique majeure, qui sera le sujet de
notre prochaine partie. Les médias redoublent d'imagination pour
établir des liens et des connexions affectives entre le
peuple/téléspectateur et l'Olympien/people.
Troisième partie :
Une parodie de conversation ?
En aparté peut donc se définir comme
une « émission de l'intime » mais aussi comme une
« émission de conversation ». Cette tendance
témoigne de l'esprit de notre époque : on ne
s'intéresse plus aux enjeux sociaux, mais aux enjeux de
l'intimité. On ne s'intéresse plus à la politique ou au
cinéma mais aux hommes politiques et aux acteurs. Ces derniers,
contrairement aux « Olympiens » d'Edgar Morin se doivent
d'être plus accessibles et les médias travaillent pour
correspondre à cette demande du public.
L' « émission de conversation » a l'avantage
d'humaniser, de normaliser le « people » : la
caméra agit comme un miroir et le téléspectateur peut se
reconnaître, s'identifier. Le plateau d' En aparté, en
singeant la réalité d'un appartement veut créer une
correspondance avec la réalité de ce
téléspectateur.
« Avant d'être un spectacle, disait Orson
Welles, la télévision est une conversation. » (...)
Assigner à la télévision d'être de la radio
illustrée, ce n'est pas la stigmatiser, c'est au contraire, lui faire
compliment de donner la parole aux gens et de montrer, grâce à
l'image, que ce sont bien eux qui parlent puisqu'ils sont réellement
présents devant nos yeux »90(*)
En aparté répond donc bien à
cette demande de relationnel de la part du public. Il s'agit presqu' ici de
radio illustrée. Cependant ce plateau agit aussi comme un
piédestal : cerné par les caméras, nouvel opium du
peuple, seul le « people » y a accès.
La personnalité, en acceptant un passage chez Pascale
Clark, souhaite se rendre sympathique auprès du public, et auprès
de la profession. La « réputation » est un souci
majeur pour celui qui souhaite entretenir sa célébrité.
Pascale Clark agit comme une médiatrice : en fait, en lui parlant,
l'invité parle au public. Le tiers média (Pascale Clark) n'est
qu'un intermédiaire entre le tiers public et le tiers invité. De
ce fait, une parodie de conversation s'instaure car le réel
interlocuteur (le public) est en quelque sort fantôme, masqué sous
le tiers média (Pascale Clark).
Nous allons étudier en premier lieu l'enjeu du
tiers-invité lors de son passage au sein de l'émission. La
diffusion de la première d' En aparté (septembre 2001)
succède en effet à l'ébranlement médiatique de
« Loft story » (printemps 2001). Suite à
l'apparition de cette première expérience de télé
réalité, une réflexion sur la définition du
« people » a émergé.
A) De l' « Olympien » au
« people »
1 - De l'ère du mystère à
l'avènement de la proximité
En premier lieu, rappelons la définition d'Edgar Morin
(le mot est originellement d'Henri Raymond) :
« L'Olympisme naît de l'imaginaire, c'est
à dire des rôles incarnés dans les films (stars) ;
l'olympisme des autres naît de leurs fonctions sacrées
(royauté, présidence), de leurs travaux héroïques
(champion, explorateurs), ou érotiques (play-boy, distels).
Margaret,B.B., Soraya et Liz Taylor, la princesse et la Star, se rencontrent
dans l'Olympe de la « une », des quotidiens,
réceptions, Capri, Canaries et autres séjours
enchantés »(...) « Le nouvel Olympe est
effectivement le produit le plus original du cours nouveau de la culture de
masse. Les stars avaient déjà été
antérieurement promues à la divinité. Le cours nouveau les
a humanisées. Il a multiplié les relations humaines avec le
public. Il a starifié par la suite le cours royales, les play-boy et
même certains hommes politiques »91(*)
« La vie des Olympiens participe à la vie
quotidienne des mortels, ils incarnent les mythes d'auto-réalisation de
la vie privée (...) et sans doute, ils tendent à
détrôner les anciens modèles (parents, éducateurs,
héros nationaux) »92(*)
L' « Olympien » d'Edgar Morin
correspond à son époque : inaccessible, la star vivait
« au-dessus du commun des mortels ».Elle se devait de
justifier de son importance par des actes majeurs ou une ascendance
particulière Déjà, elle agissait comme un modèle
pour les grandes masses. Elle a néanmoins les moyens de communiquer
avec son public par le biais de la télévision :
« La télévision a multiplié la
familiarité, la grande familiarité de la culture de masse (...).
Cette multiplication des médiations, des communications et des contacts
crée et entretient un climat sympathique entre la culture et son public.
La culture de masse tend à constituer un gigantesque club d'amis, une
grande famille non hiérarchisée. »93(*)
La « Star » d'Edgar Morin entretient avec
son public une relation d'identification. On souhaite l'imiter, sans toutefois
prétendre lui ressembler. Edgar Morin appelle ce phénomène
le « courant mimétique »
« Les stars guident nos manières, gestes,
poses, attitudes, soupirs d'extase, (« c'est
merveilleux »), regrets sincères
(« désolé Fred, mais j'ai une très grande
amitié pour vous, mais je ne vous aime pas d'amour »),
façon d'allumer une cigarette, d'en expirer la fumée, de boire
avec désinvolture ou sex-appeal, de saluer avec ou sans chapeau, de
prendre des mines mutines, profondes, tragiques, de décliner une
invitation, d'accepter un présent, de refuser ou permettre un
baiser »94(*)
Observer la « Star », la dévisager
pour mieux l'envisager... « En aparté »
répond à cette demande sous-jacente du
téléspectateur. L'invité est observé,
regardé, mais, contrairement à la vision d'Edgar Morin, c'est
pour mieux établir une correspondance avec le
téléspectateur. La « Star » est ici
isolé de toute mise en scène cinématographique qui
pourrait l'embellir. Elle apparaît telle qu'elle est. Même si elle
est tentée de se mettre en valeur, la valse des plans rapprochés,
plans d'ensemble et gros plan l'en dissuade. Pourtant, on retrouve chez
« En aparté » des phénomènes
décrits par Edgar Morin. Les personnalités invitées voient
leurs parcours retracés -la carrière de Charles Berling,
l'émission de Maïtena Biraben- comme autant d'histoires
mythifiées. Elles apparaissent comme des personnages enviables. Le
document vidéo retraçant la carrière de Charles Berling
fait état d'une vie remplie, plein de succès artistiques. Sont
occultés ses moments de doutes et de vide.
« Les mass media ont répandu la conscience
populaire de ce qui constitue une « bonne vie ». En rendant
cette bonne vie familière, elles l'ont fait paraître possible
autant que désirable pour les grandes masses. »95(*)
Le discours d' En aparté fait état,
par la diffusion de documents vidéo, d' «une information
olympienne ».
« Dans l'information olympienne, le personnage
vedette est privilégié et il privilégie des situations
qui, pour le commun des mortels, seraient noyés dans l'anonymat. (...).
L'information romancée et vedettisée, d'une part, le fait divers
de l'autre font appel finalement aux mêmes processus de
projection-identification que les films, romans,
nouvelles. »96(*)
En aparté a donc une double-promesse :
elle conserve un certain degré de rêve quant à ces
personnalités, elle les met en valeur. Le passage au sein d'une
émission, comme on l'a déjà vu, valide la réussite
de la personnalité. Mais d'un autre côté, elle
intègre les nouveaux codes issus de la télé
réalité et de l'ère du voyeurisme. L'émission donne
accès à tous ces gestes et postures intimes autrefois
cachées. L'espace d'une demie-heure on peut observer se mouvoir des
célébrités telles que Vanessa Paradis ou Iggy Pop comme on
a put observer Loana ou Jean-Edouard. Les deux types de personnalités se
retrouvent sur le même type de socle médiatique. En
aparté s'inscrit totalement dans l'ère de la
proximité. Le ton, quant à lui, se fait tantôt
hagiographique, tantôt critique, ce qui peut déstabiliser
l'invité.
Les années 80 et 90 ont accentué cette tendance
au sein de la sphère médiatique. Désormais règne ce
culte du relationnel et de la proximité. Les réseaux
médiatiques se sont multipliés, la télévision et
Internet ont offerts des nouvelles formes de célébrités
qui concurrencent la « star inaccessible ». Cette
dernière ne fait plus (ou peu) recette. La mort de Lady Di, en 1997, a
sonné le glas des stars mythiques dont on épie la moindre sortie
publique. Avec l'avènement de la
télé-réalité en 2001 en Europe, le
phénomène du « people » s'est
généralisé et a atteint l'ensemble de la sphère
médiatique. Par ailleurs, l'exploitation de l'intimité s'est mise
au service de l'anonyme. « L'intimité à la
télévision, c'est de moins en moins la vie des stars, c'est de
plus en plus la vie des inconnus, des quidams, des gens de la
rue. »97(*).
Ainsi, la « star » s'est muée en
« people » une entité passe-partout, dont la
profession peut être bien éloignée des
« exploits » ou de
l' « ascendance » de l'antique Olympien.
Désormais, les chanteurs et acteurs côtoient les hommes politiques
dans les mêmes émissions. Un plateau de Thierry Ardisson peut se
composer d'une vedette de films pornographique, d'un homme politique, un
écrivain, un participant d'une émission de télé
réalité...tout un chacun peut prétendre à son quart
d'heure de gloire « warholien ». Les journaux, les
rubriques « people » se multiplient : Closer
(titre faisant référence encore à l'intimité),
Public (parler des éléments privés d'un
personnage public). Ces magazines ne sont plus l'apanage des
ménagères et des salles d'attente. Désormais, il s'agit
d'un produit d'appel pour de nombreux médias. Des émissions comme
Capital ou Zone interdite prennent le prétexte du
people comme sujet de reportage pour attirer l'audience. Tout comme le sexe, le
« people » fait vendre.
Deux tendances sont à observer concernant les
émissions où intervient ce type de personnalités :
« (...) Il y a deux écoles : celle de
Thierry Ardisson et celle de Michel Drucker. Et ce n'est pas
inintéressant de noter, c'est que les deux travaillent sur les
chaînes nationales. Ils ne sont ni sur TF1, ni sur M6.
A priori, on peut se poser la question de savoir si c'est de l'ordre de la
mission du service public que de donner au peuple du people en pâture aux
téléspectateurs »98(*).
D'un côté, on note une tendance provocatrice ou
à visée humoristique - Tout le monde en parle sur
France 2, On ne peut pas plaire à tout le monde sur
France 3, les émissions d'Arthur, La Grosse
émission - et de l'autre les émissions qui souhaitent mettre
à l'aise l'invité pour recueillir des confidences - Petites
confessions entre amis et Recto Verso sur Paris
Première, Vivement dimanche sur France 2. Si la
première recueille pour l'instant le plus de suffrages - les
émissions de confession étant le plus souvent sur les
chaînes câblées-, la seconde semble être fortement
apprécié par les personnalités, attiré par le
côté convivial et la présence d'un animateur unique.
Celles-ci apprécient en effet maintenir un certain mythe de bonheur
autour d'elles tout en laissant croire à une certaine proximité.
Or ces émissions prêtent bien à ce type de confession
contrôlée.
Ces émissions de « confession »,
dont fait partie En aparté remplissent sur certains aspects le
même cahier des charges que la presse à sensation dite
« people ». Les médias répondent aux
désirs de voyeurisme et d'identification du public. Ils font partie d'un
système à vocation commerciale où la personnalité
fait vendre des produits. En effet, ce culte de la personnalité du
« people » n'a jamais été aussi
présent dans nos modes de vie :
« Ce que peut révéler le
succès d'un magazine comme « Voici », c'est d'abord
la prégnance dans notre société du star system. Dans une
société bloquée, où l' « ascenseur
social » n'a sans doute jamais aussi mal fonctionné depuis la
dernière guerre, le star system et ses mythes paraît être le
seul recours pour des ambitions populaires »99(*)
Certes, En aparté n'est pas Voici,
mais force est il de constater que tous deux s'inscrivent dans un désir
de dévoilement des célébrités, chacun à sa
manière. Tous deux sont impudiques : en souhaitant extirper des
larmes à Charles Berling, en exploitant une amitié pour obtenir
une belle image d'émotion, En aparté se
révèle impudique. Mais contrairement aux journaux à
scandales, En aparté se présente comme un porte-voix
officiel des personnalités. Si Pascale Clark
« vole » des moments d'émotion et
d'authenticité à ses invités, c'est dans un cadre
institutionnel. Ainsi, les invités peuvent venir entretenir leur propre
mythe en passant dans l'émission. Le « people »
à la télévision conserve tout de même des
visées promotionnelles alors que celui de la presse à sensation
possède d'autres visées. Nombreuses sont les personnalités
sans aucune actualité depuis des années qui conservent leur
célébrité par le biais de la presse
« people ». Là se situe la différence
essentielle entre la presse « people » et l'émission
télévisée sur un « people ». Ce
dernier doit entretenir son image par ses deux biais, la voix officielle et la
voix non-officielle. Loin des rumeurs, racontar et bavardages de la voix non
officielle, les émissions « officielles » comme
l'est En aparté permettent à la personnalité de
rétablir son image, parfois écornée par la presse. C'est
le cas d'Arthur, par exemple, souvent qualifié de mégalomane.
Lors de sa prestation chez Pascale Clark en 2002 , peu après la
déferlante de la télé réalité, il eût
l'occasion d'offrir une image, peut être étudiée,
très éloignée de sa réputation.
2 - Le discours du tiers invité au sein d' En
aparté
Le discours de l'invité au sein de
cette émission se situe donc à la croisée de celui de
l' « Olympien » et de celui du
« people » : d'un côté, il veut
entretenir un certain mythe et il est en cela aidé par le dispositif.
Pendant près d'une demi-heure, l'invité occupe entièrement
un créneau dans la grille des programmes de Canal plus. En
aparté sert en quelque sorte d'écrin à la
personnalité et de ce point de vue, il entretient son caractère
« Olympien ».De l'autre côté,
l'émission donne l'occasion à son invité
d'apparaître comme normal.
« La télévision transforme les
choses : quelqu'un d'extraordinaire, comme un acteur, va essayer de passer
pour quelqu'un d'ordinaire à la télévision, alors qu'on
fera l'inverse avec les anonymes. On va demander à quelqu'un d'ordinaire
soit de devenir extraordinaire, soit de jouer son propre rôle de
personnage banal ».100(*)
L'émission suit donc le courant inverse de
l'époque. Au lieu de rendre célèbre un anonyme, une
célébrité se rend « normal » pour
mieux appuyer sa promotion. Il doit donc se mettre au même niveau que son
public. Le temps où les « stars » telles que Greta
Garbo ou Marlene Dietrich entretenait le mystère sur leur vie
privée est révolu. Le discours d' «En
aparté » plaît aux personnalités car il prend le
prétexte du professionnel pur aborder des questions privées. Chez
Pascale Clark, les questions d'ordre sentimental ne sont jamais abordées
crûment. On passe par divers stratagèmes pour les aborder. Par
exemple, pour poser la question du couple Ségolène
Royal/François Hollande à ce dernier, l'animatrice projette un
document vidéo établissant un parallèle avec le couple
Sarkozy. Ainsi, les questions d'inimitié sont abordées sans
dépasser outrageusement le cadre professionnel. Car ce qui
intéresse le téléspectateur sont souvent ces questions. De
ce point de vue, la pensée d'Edgar Morin se confirme :
« Certes, la projection-identification intervient
dans tous les rapports humains, dés que ceux-ci sont colorés
d'affectivité : nous nous projetons et nous nous identifions dans
nos amitiés, nos amours, nos admirations, nos haines, nos colères
etc...Et par là l'imaginaire se trouve engagé dans le tissu
quotidien de nos vies. Mais l'important est de relever que l'irruption de la
culture de masse dans l'information développe un certain type de
rapports de projection et d'identification qui vont dans le sens du romanesque,
de la tragédie, et de la mythologie ».101(*)
Le téléspectateur continue d'entretenir avec la
personnalité un rapport affectif. « J'adore Gad
Elmaleh », « Amanda Lear ? Je la
déteste ! ». Une popularité s'entretient sur des
valeurs d'identification au public. Plus on est proche de lui, plus la
célébrité a des chances de croître. Jamel Debbouzze
par exemple, a bâti sa popularité sur son public, qui à
l'origine lui ressemblait. Au contraire, Isabelle Adjani, autrefois symbole de
la star inaccessible à la française n'a pas su correctement
s'adapter à la nouvelle donne.
En aparté donne une chance aux
célébrités de se rapprocher du
téléspectateur. Cependant, bien que l'on puisse aborder
grâce à l'émission leur intimité, elles continuent
de rester tout de même dans un univers « Olympien »
qui nous paraît inaccessible. Chez Pascale Clark, l'invité est
posé sur un socle que l'on observe méticuleusement comme si il
était exceptionnel. Cette émission, à bien des
égards, m'a fait penser à l' « Actor's
studio » présentée par James Lipton et diffusée
en version sous-titrée sur Paris Première. Même
ambiance intimiste, même mise en valeur de l'invité dont la parole
(souvent banale) est mythifiée, même ton psychologisant de
l'animateur, même « spectacularisation » de l'intime.
Différence majeure, l'invité fait face au public comme à
l'animateur. Le tiers-public y revêt un rôle majeur. Nous allons
voir maintenant l'importance de ce tiers-public au sein d' En
aparté.
a) Le véritable interlocuteur : le
tiers-téléspectateur
En aparté, comme tout lieu de parole et de
dialogue, constitue le lieu d'un discours. Nous allons voir les conditions de
ce discours ainsi que sa principale particularité, à savoir sa
« situation trilogique de conversation ».
1 - Un discours
« ordonné »
Le dispositif, le ton de l'animatrice incite en effet
à un certain type de discours dont nous allons voir les
spécificités. En premier lieu, rappelons que l'invité
s'adresse à deux interlocuteurs : l'animatrice et le
téléspectateur. De ce fait, la conversation est
déjà conditionnée par cette contrainte. Les codes de
l'intime mêlés aux codes de la
« spectacularisation », comme nous l'avons
précédemment vu, constituent aussi une contrainte. Cependant, les
invités sont attirés par le lieu de discours qu'est En
aparté. L'émission représente un
« rituel » pour eux, une institution pour valider sa
célébrité. Sans n'avoir rien préparé, ils se
trouvent portés par les rites du discours de l'émission.
« Le désir dit : « Je ne
voudrais pas avoir à entrer moi-même dans cet ordre du discours
(...). Je voudrais qu'il soit tout autour de moi comme une transparence calme,
profonde, indéfiniment ouverte, où les autres répondraient
à mon attente et d'où les vérités, une à
une, se lèveraient ; je n'aurais qu'à me laisser porter, en
lui et par lui, comme une épave heureuse. »102(*)
Il est à constater deux particularités
contradictoires dans le discours de cette émission. En premier lieu, et
ceci est le cas de toutes les productions audiovisuelles , le discours est
enregistré : si la conversation instaurée par Pascale Clark
tente de singer une conversation naturelle et
désintéressée, elle n'en reste pas moins destiné
à être conservé, rediffusé. Les propos de
l'invité peuvent être repris, réinterprétés.
Michel Foucault parle d' « existence transitoire du
discours »103(*). Or, ici, le discours est voué à la
pérennité. De ce fait, l'invité doit à la fois
être naturel tout en se rappelant la vocation de l'émission
(être vu par le maximum de téléspectateur). Le rôle
de l'animatrice et du dispositif est de créer un discours à la
fois satisfaisant pour l'invité ainsi que pour le
téléspectateur, tout en masquant les velléités
commerciales de la conversation :
« Dans toute société, la production
du discours est à la fois contrôlée,
sélectionnée, organisée et redistribuée par un
certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les
pouvoirs et les dangers, d'en maîtriser l'événement
aléatoire, d'en esquiver la lourde, la redoutable
matérialité ».104(*)
L'animatrice doit donc réguler, contrôler le
discours de l'invité. Par ce contrôle, elle se trouve dans une
position de pouvoir : « Le discours n'est pas simplement ce
qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi,
ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à
s'emparer »105(*). On retrouve cette particularité dans la
confrontation entre Pascale Clark et Maïtena Biraben : les deux,
rompues à l'exercice, cherchent la parole, la domination dans le
discours. Pourtant, Pascale Clark, par sa position, et par le contrôle du
dispositif a clairement l'avantage alors que son invité se laisse
dépasser. Cependant, le dispositif de l'émission donne aussi
à l'invité une part de pouvoir : celui-ci investit l'espace
et le temps, peut longuement réfléchir pour répondre
à une question. On lui confère une importance :
« Ecoute d'un désir qui est investi par le désir et qui
se croit - pour sa plus grande exaltation ou sa plus grande angoisse-
chargé de terribles pouvoirs »106(*). La présentatrice
ordonne son discours : elle donne des occasions à son invité
de parler sans contraintes, lorsqu'il pénètre dans le studio par
exemple. Puis elle l'incite à commenter le document vidéo, puis
les diapositives. Elle lui donne une impression de contrôle puisque c'est
l'invité qui actionne les diapositives. Cette invitation au commentaire
instaure un second niveau de discours :
« Le commentaire n'a pour rôle, quelles que
soient les techniques mises en oeuvre, que de dire enfin ce qui était
articulé silencieusement là-bas (...). Le commentaire conjure le
hasard du discours en lui faisant la part ; il permet bien de dire autre
chose que le texte lui-même, mais à condition que ce soit le texte
même qui soit dit et en quelque sorte accompli. »107(*)
Le commentaire a pour rôle d'orienter le discours de
l'invité. Celui-ci, qui n'avait donc rien préparé, se voit
alors dans l'obligation d'aborder certains thèmes. La manière
dont il va accepter ou rejeter les propositions influent sur la perception que
va en avoir le téléspectateur. Il a donc une certaine pression.
Cette pression est visible : l'invité a toujours un temps de
surprise puis un temps de réflexion lorsque l'image apparaît sur
le rétroprojecteur. Ensuite, il peut soit s'exprimer, soit n'avoir rien
à dire : c'est le cas de Charles Berling qui restait silencieux
à la fin de la projection du document vidéo le concernant :
manière de dire « je n'ai rien à dire, à
toi, l'animatrice de me poser une question ». Il revendique ainsi sa
liberté, et d'une certaine façon son autorité. Il met
aussi en difficulté l'animatrice qui se voit alors obligé
d'improviser un enchaînement, et donc de réinvestir aussi
l'autorité de sa parole.
S'inscrivant dans ce qu'appelle Foucault « une
société de discours », En aparté joue
donc sur les processus de limitation, d'exclusion, d'appropriation du
discours : invité et animatrice se renvoient la parole, se
transmettent l'autorité, jouent de leurs pouvoirs respectifs.
L'animatrice recherche un « jaillissement spontané du
discours »108(*)à contrôler tandis que l'invité
cherche à dissimuler son intimité -ou du moins l'intimité
qui ne servirait pas sa promotion. En effet, celui-ci souhaite avant tout
s'adresser aux téléspectateurs. Tour à tour, chacun peut
prendre le « pouvoir » dans la conversation :
« Les acteurs (de l'énonciation) peuvent
assumer, au fur et à mesure que se déroule
l'évènement, différents rôles dans l'interaction, en
échangeant l'usage de la parole. Les rôles qui sont
échangés, selon le degré de participation autorisé
par chaque évènement en particulier, seraient ceux de locuteur,
d'auditeur ou auditoire ».109(*)
Il y a donc deux niveaux d'audition : l'auditeur premier
qui peut être l'animatrice ou l'invité, et de l'autre
côté, un auditeur principal, qui est le
téléspectateur.
2- La question du « tiers »
L'émission En aparté témoigne
d'une « situation trilogique de conversation ». Par le
biais de l'Autorité du média (l'animatrice, l'équipe de
rédaction, la chaîne), le tiers invité s'adresse à
un public qui est le véritable destinataire du discours. L'existence
d'un tiers « caché » a fait l'objet de recherches
dans un livre conçu sous la direction de Patrick Charaudeau
« La voix cachée du tiers : des non-dits du
discours ». Comme il le dit dans sa présentation :
« Pourquoi consacrer une étude à la
question du « tiers » dans le discours ? Peut
être parce que cette question, bien au-delà de la simple situation
trilogique d'échange verbal, est au fondement de la vie sociale, et en
tout cas du phénomène de communication. »110(*)
Patrick Charaudeau se pose la question du « Tiers,
où es tu ? » : au nom de quoi parle le sujet ?
Comment le droit à la parole vient au sujet ? Pour appuyer son
propos, il s'appuie sur un exemple significatif, qui met en évidence
l'émergence des trois types de tiers et qui montre leur interrelation.
Il cite l'extrait d'une émission littéraire de
télévision « Apostrophes », dans laquelle
l'animateur, Bernard Pivot, après avoir interrogé l'un de ses
invités, Jean-François Revel, à propos d'une interview que
celui-ci avait donné à la revue Playboy, se tourne vers
les deux invités et leur demande :
-Bernard Pivot : « Et vous est ce que
vous lisez Playboy ? »
-Jean Cau (sec) :
« Non ! »
-Jean Dutourd (bonhomme) : « Oui,
ça m'arrive, parfois chez le coiffeur »
« Le dispositif de cette émission est
triangulaire : émission dite de débat qui met en relation
entre eux les participants à l'échange, mais également met
ceux-ci en relation avec un tiers présent-absent : le public. On
peut donc faire l'hypothèse que tout locuteur de cette situation sait
qu'il est vu et écouté par ce tiers, et que même l'enjeu de
l'échange est davantage tourné vers celui-ci que vers son
interlocuteur, ou celui-ci via son interlocuteur. De plus, chacun des
participants peut se trouver à tour de rôle, en position de tiers
par rapport à ceux qui dialoguent »
Patrick Charaudeau parle de niveaux de
problématisation dans ce discours :
« Dans le processus de
sémantisation, la réplique de Jean Dutourd peut
être interprétée, pour faire vite, de la façon
suivante : « je lis cette revue quand l'occasion se
présente (...) sans que j'ai besoin d'aller l'acheter chez le marchand
de journaux. Tout se passe comme si Dutourd faisait appel au discours d'un
méta-énonciateur qui dirait : « un intellectuel
institutionnellement reconnu doit aussi être curieux de tout »
et, corrélativement, laisserait entendre : « dans al vie,
il faut savoir faire preuve de tolérance ».
« Enonciativement, cette réplique
est susceptible d'avoir des effets divers :
Elle répond en apparence à Bernard Pivot, qui,
en l'occurrence devient le tu-destinataire auquel J. Dutourd signifie qu'il
n'est pas tombé dans le piège de la question :
répondre « non » serait se montrer sectaire,
répondre « oui » serait frivole. Mais en même
temps, cette réplique institue Jean Cau en tiers. Elle construit de
celui-ci une image de « sectaire » et, par opposition de
Dutourd une image de personne « tolérante. (...) Et enfin, et
cela simultanément, cette réplique est comme un clin d'oeil
adressé au téléspectateur, tiers prévu dans le
dispositif, clin d'oeil qui signifie : « Vous voyez comment on
sort de cette question piège ? En faisant de l'humour ».
Il appelle ce tiers à rentrer en complicité avec
lui ».111(*)
Patrick Charaudeau se permet alors de dire que
« comme tout acte de communication, les discours
s'entremêlent ». Cet exemple peut donc être
appliqué à En aparté. Notre émission est
définie par Patrick Charaudeau comme une émission dite
« de scène » : « Dans ce dispositif,
il y a trois partenaires dont deux sont physiquement présents dans une
co-énonciation dyadique d'alternance de parole, et un troisième
(...) ; lequel est en position d'écoute, de témoin, mais n'a
pas le droit à prendre la parole ». L'invité d' En
aparté se sert donc du dispositif et donc de Pascale Clark pour
s'adresser à son public. Le média sert de filtre à cette
parole. Par la mise en scène, par l'orientation des questions, il peut
conférer un sens tout autre à un certain discours. Lorsque
Maïtena Biraben pénètre dans le plateau d' En
aparté, c'est dans le but d'offrir une image sympathique d'elle et
de relancer sa propre émission. Elle se promeut elle-même en des
termes flatteurs : « Je suis gâtée par la
vie », «Je suis inconsciente » : elle veut
donner l'image d'un électron libre, qui a du caractère. Or, le
dispositif d' En aparté met en valeur cette promotion
d'elle-même au lieu de la soutenir « Je ne vous crois pas
inconsciente » répond Pascale Clark. Les deux animatrices
sont toutes deux conscientes de s'adresser au tiers invité. De la
même manière, Charles Berling, sous des couverts d'insouciance,
sait très bien qu'il est face à son public. En feignant
d'être à l'aise et de ne pas respecter les codes de
l'émission, il veut communiquer à son public le message
suivant : « Regardez comme je n'ai que faire de toute cette
promotion, comment je le prend à la
légère ».
L'animatrice peut aussi recourir à la convocation d'un
autre tiers à l'intérieur même de son discours, afin
d'aborder des thèmes plus difficiles. Par exemple, la participation de
l'ami navigateur de Charles Berling a servi à rendre l'échange
plus intime. De même, lors de la prestation de François Hollande,
l'animatrice a préparé un document vidéo traçant
les ressemblances et les différences entre lui et Nicolas Sarkozy. Ce
document a servi à aborder d'une manière un peu originale le
sujet, épineux pour le premier secrétaire du parti socialiste.
« Dans l'espace de l'énoncé, la
référence à des tiers permet de reconstruire un
évènement depuis la perspective du locuteur et d'extrapoler
l'attitude de ce locuteur par rapport aux faits narrés ainsi qu'aux
autres acteurs qui sont intervenus dans l'évènement, à
partir des jugements positifs ou négatifs qu'il exprime et la
façon dont il se situe en même temps, soit comme interprète
face à autrui, soit en situation d'opposition déclarée ou
d'affrontements, mais toujours à l'intérieur du cadre
idéologique partagé d'une même communauté de
discours. »112(*)
Néanmoins l'émission ne se perd pas en de
multiples convocations de tiers différents. L'animatrice choisit
soigneusement les tiers afin qu'ils aient une résonance précise
sur l'invité. Un « tiers » est défini comme
un « énonciateur abstrait convoquant des valeurs ou croyances
supposées partagées »113(*), ce qui définit donc en premier abord le
téléspectateur.
3- Une situation symbolique
Le dispositif d' En aparté a pour effet
d'isoler les acteurs de l'énonciation : le
téléspectateur a vraiment l'impression que les participants de
l'échange sont seuls. L'importance du tiers-public en est
souligné. En guise de comparaison, on peut comparer le lieu de
l'échange de l'émission à un lieu où deux personnes
discuteraient en ayant l'impression d'être seuls, et ce en face de
l'équivalent d'une centaine de stade de France remplis de spectateurs.
La situation tripartite d' En aparté rappelle
aussi à plusieurs égards la relation entre les médias, la
politique et les citoyens. Pascale Clark se positionne comme le relais du
citoyen : « Les gens se demandent... »,
« On dit que... ». Comme l'énonce
Charaudeau, « l'instance citoyenne est érigée en tiers
opinion de référence »114(*). L'animatrice est une
médiatrice. L'importance de l'invité est souligné :
son discours est attendu, mais ce qu'entend le téléspectateur est
en fait le produit à la fois de l'invité et de l'animatrice.
Chaque tiers participant de l'émission revêt une
autorité. L'invité détient l'autorité de l'auteur.
Il reste l'acteur principal et donne le ton de l'émission :
intimiste, drôle, décalé...L'attractivité d' En
aparté dépend de la qualité des invités. En
second lieu, l'animatrice qui incarne le média possède
l'autorité la plus remarquable, ce que nous avons démontré
avec notre première partie. Et enfin, le téléspectateur
qui est le destinataire du discours. Celui-ci, s'il n'est pas une figure
d'autorité visible, possède néanmoins un pouvoir non
négligeable. Le public impose les principales conditions du discours,
mais d'une manière indirecte.
B) Le politique à l'épreuve
La prestation de François Hollande au sein d' En
aparté pose toutes les problématiques relatives au passage
d'un homme politique dans une émission populaire. Ceux-ci ont investi ce
créneau d'émission au cours de ces dernières
années : citons entre autres les prestations de Nicolas Sarkozy ou
de Claude Allègre chez Marc-Olivier Fogiel, celle de Michel Rocard chez
Thierry Ardisson...Lorsqu'ils sont ministres, ils évitent soigneusement
les émissions populaires à l'exception notable de celle de Michel
Drucker Vivement dimanche où ils savent qu'ils ne prennent
aucun risque. Ils limitent leurs prestations aux émissions politiques (
Cent minutes pour convaincre ) et aux journaux
télévisés. La télévision y joue son
rôle d' « agent médiateur entre les gouvernants et
la société civile »115(*). Le politique, dans les émissions populaires,
doit adopter un discours complexe, orienté par deux
impératifs : être prêt du peuple, tout en
revêtant une stature de Chef au sens de Kojève :
« Le chef, plus apte que d'autres à prévoir, plus
intelligent et clairvoyant, qui conçoit un projet, dirige et
commande »116(*). Pour réussir son discours, il doit
s'éloigner du style « glacé », qui primait
auparavant dans les émissions politiques :
« L'organisation temporelle est un miroir de la
relation au pouvoir dans la parole politique : elle symbolise la distance
sociale qui existe entre l'homme politique et son audience. La distance entre
les individus peut être divisée en quatre catégories
majeures : intime, informelle, sociale et publique. A chacune de ces
distances correspond une distance physique entre les individus et un type de
voix et de parole. Par exemple, la distance publique (qui est celle du discours
politique) est caractérisé par le « style
glacé » typique des individus qui sont (et souvent doivent)
rester étrangers l'un à l'autre. Une prononciation soignée
(dite hyperarticulée), une voix forte et une vitesse de parole lente
sont des traits de ce style. Utilisée consciemment par l'homme
politique, l'organisation temporelle de la parole symbolise la distance
publique qui le sépare de ces concitoyens »117(*).
Or, le politique, lors d'une prestation dans une
émission populaire doit se détacher de ce style là. Plus
encore chez En aparté, il doit établir une réelle
correspondance avec les citoyens-télespectateurs. Mais il doit, plus que
tout autre invité, maîtriser son discours. Il ne peut en aucun cas
adopter la même nonchalance que Charles Berling :
« L'homme politique doit donc être un professionnel du savoir
dire (...). Il doit répondre aux exigences de l'intelligibilité
dictées par la situation, le niveau intellectuel de l'auditeur et par
l'adversité de l'environnement (salle, rue bruyante, contact
indirect) ». Sur ce point de vue En aparté offre des
conditions extrêmement confortables pour
s'exprimer. « Mais il doit aussi paraître spontané
quand il est interrogé sur sa vie, ses goûts. A ces exigences
vient s'ajouter la contrainte du temps (souvent bref) qui lui est imparti.
(...). Il doit gérer l'organisation temporelle de sa parole, entre temps
d'activité et temps de repos, s'il veut donner sens à son
message et atteindre son objectif »118(*). On imagine alors la somme de préparations
dont a dû faire l'objet François Hollande avant sa prestation chez
Pascale Clark. Car il doit avoir la prestance d'un homme présidentiable
et au-delà adopter une attitude qui le détache de ses
concurrents :
« L'homme politique n'est plus seulement l'avocat de
son parti. Il est requis de produire une mise en scène plus
élaborée de son personnage, d'afficher les signes d'un
équilibre, d'une aisance personnelle »119(*).
Dominique Mehl précise que l'homme politique doit aussi
se détacher de l'homme ordinaire : face à
l' « émotif », le
« profane », il doit apparaître comme un homme
fort : « L'homme politique, comme homme public, se
caractérise depuis plusieurs siècles par une presque parfaite
maîtrise de soi »120(*). Cette maîtrise de soi est
particulièrement requise lors d'une prestation chez Pascale Clark. Par
ailleurs, l'enjeu est d'autant plus important que « les citoyens sont
très désireux de connaître leurs gouvernants, d'approcher
leur personnalité et de les mettre à nu, plus de connaître
leurs programmes ».121(*)L'entretien télévisé est donc un
excellent moyen d'approcher les citoyens-télespectateurs.
« L'entretien, par opposition à l'interview, est une situation
dans laquelle l'interviewer interroge son invité non pour apprendre
quelque chose mais pour révéler sa personne, sa pensée,
son histoire. L'entretien ressemble davantage à al psychologie
qu'à l'information. »122(*)
Analysons maintenant la prestation de François Hollande
chez Pascale Clark. Rappelons que celui-ci en début d'année
était l'homme fort du parti socialiste face à une division au
sein même de ce parti. L'ébranlement du
« Non » à la constitution européenne ne l'a
pas encore fragilisé et François Hollande essaie de s'imposer
face à un Nicolas Sarkozy agressif sur le plan médiatique. Le
premier secrétaire du parti socialiste jouit encore de sa victoire aux
régionales, d'où l'introduction de l'animatrice
« François Hollande, victorieux
jusqu'où ? ». « En 2004, il a tout
gagné, régionales, européennes, référendum
interne sur la constitution européenne (...) que lui manque t-il pour
encore s'imposer ? ». Dès le début,
l'animatrice présente l'angle de l'émission : mettre le
politique face à ses failles pour expliquer sa relative inconsistance.
Elle dit ce texte sur les images de François Hollande
pénétrant dans le studio : celui-ci ignore à ce
moment-là ce qui va être dit. Il ne maîtrise donc pas le
dispositif et est déjà mis en difficulté au cas où
il voulait imposer une stature de présidentiable. De plus, au moment
où il est dans le studio, Pascale Clark remarque son pas
décidé comme pour en souligné le caractère
superficiel : « François Hollande, pas
décidé hum... Bienvenue ! ».
L'équipe a préparé comme collation un verre d'eau gazeuse,
boisson banale s'il en est, et un biscuit en chocolat : « Et
ça, je sais que ce n'est pas très sympa » se
permet l'animatrice. Celle-ci, on le devine, souhaite peut être aborder
la question de l'embonpoint de son invité. Celui-ci rejette cette
proposition par un « mais si, c'est très
sympa ». On imagine qu'il ne souhaite introduire sa prestation
par une question aussi peu fondamentale. Il souhaite se mettre en valeur. Par
contre, en acceptant cette proposition, il aurait sûrement pu la
retourner élégamment à son avantage, en jouant avec les
mots ou en soumettant une réflexion pertinente. Dès le
début, on le sent en fait sur la défensive, et peu
décidé à prendre des risques.
L'animatrice se permet peu de digressions avec l'homme
politique. Les traditionnelles remarques sur le studio sont rapidement
évacuées, Hollande donne l'occasion de rappeler qu'il est
déjà passé « Ca a changé
depuis... », et se dirige naturellement vers le canapé.
Là, il adoptera une posture rigide, et un regard fixe. Les hommes
politiques, comme les animateurs d'ailleurs, habitués à jouer du
regard face à la caméra, sont souvent déstabilisés
par le dispositif d' En aparté. D'où parfois cette
rigidité qui traduit une certaine gêne. L'animatrice est assez
efficace : elle pose une question qui sera le fil conducteur de tout
l'entretien : « C'est une question que je me suis souvent
posé...Comment les hommes politiques font pour tenir le
coup ? ». Ici, l'animatrice se met dans la position du
citoyen. Elle ne souhaite pas aborder certains points du programme mais la
force de l'homme politique. Se pose ici la question de l'autorité :
l'autorité du média, incarné par Pascale Clark, agit comme
un médiateur pour les citoyens et souhaite vérifier la
crédibilité de « chef » d'un politique. Deux
types d'autorité sont donc ici face à face. En parlant à
l'animatrice, François Hollande s'adresse à toute une frange de
citoyens qu'il souhaite atteindre : le public de Canal plus. Face
à ce type de questions, le politique doit donc soigner son discours,
tout en paraissant spontané. L'invité essaie de se
détendre, s'installe confortablement sur le canapé :
« C'est une vie que l'on a choisi (...) on l'organise, parfois
mal (...), on n'est pas là pour faire pitié, d'ailleurs, je ne
crois pas que l'on fasse pitié ». L'invité saisit
l'occasion que lui donne l'animatrice pour faire partager quelques bribes de sa
vie privée : il sait très bien que ce sont ces bribes qui
intéressent le téléspectateur. « Le
dimanche, quoi qu'il arrive, je reste avec ma famille ». Il
s'offre une image sympathique aidée en cela par Pascale Clark qui
évoque sa « normalité » en citant le moment
où on l'a surpris faisant les magasins.
Par la suite, l'animatrice revient à son fil
conducteur : « Pour commencer, je vais vous parler de vos
victoires ». Elle sous-entend que l'entretien s'orientera par la
suite vers les échecs. On imagine qu'elle souhaite mettre à
l'aise l'invité et paraître « juste ». Elle
revêt à ce moment-là l'autorité du juge au sens de
Kojève. Pour appuyer son propos, elle projette sur deux écrans,
l'un situé derrière Hollande, l'autre devant, une couverture de
magazine où figure le même Hollande titré
« L'homme de l'année ». Le
téléspectateur, par l'effet d'une mise en abyme, voit donc deux
Hollande dont l'un se regardant tout en se commentant (voir I). Celui-ci
est donc invité à commenter sa représentation, et ce sous
un angle flatteur voulu par l'animatrice. Celle-ci lui demande
« avez-vous senti que l'on vous regardez
différemment ? ». Celui-ci acquiesce : il se
sent à ce moment-là à son avantage. Il évoque alors
son idée de la politique tout en regardant la couverture : la mise
en scène de l'émission confère un effet narcissique
à cette évocation : Hollande contrecarre toutes les
présomptions de Pascale Clark concernant sa présupposée
« faiblesse » : « Et cela vous mets la
pression, non ? » « Mais il s'agit d'une
bonne pression, une pression démocratique... ».
L'invité évacue toutes possibilités de montrer ses
failles. Et il a tout intérêt : il n'est pas ici pour
susciter une quelconque pitié mais pour s'affirmer tout en se montrant
accessible. L'échange relève alors plus de la lutte entre les
deux autorités. Hollande répète alors ce que les
électeurs lui disent : « Mais on en peut plus de
cette droite, parlez plus fort ! ». Pascale Clark en
profite pour le faire parler du dialogue avec ses électeurs :
« et vous y arrivez ? » « C'est
que l'on essaie de faire, là » répond il en se
désignant. L'animatrice introduit doucement sa transition vers les
échecs de son invité : « Mais vous n'y
êtes pas arrivé », « mais vous n'êtes
pas très audibles ». L'invité se permet alors une
pique vers Jacques Chirac, en évoquant son audition et en
désignant ses oreillettes : « Faut peut être
l'équiper ! ». Ce type d'éloquence le
sert : l'humour peut s'avérer utile pour retenir l'attention du
télespectateur-électeur. Il évoque alors Nicolas Sarkozy
« ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui représente le
changement ! ». Cette remarque va aussi servir le fil
conducteur de Pascale Clark : il est évident qu'un parallèle
avec l'homme fort de la droite allait s'imposer, celui-ci étant le
principal adversaire, tant politique que médiatique de l'invité.
« C'est curieux que vous évoquiez spontanément ce
nom... ». Pourtant, on imagine Hollande parfaitement conscient
qu'en intervenant dans un média, on allait parler de Sarkozy. Il se
montre donc prompt à expliquer son point de vue concernant son
adversaire. L'échange s'en trouve fluidifié. Il se trouve que
l'équipe d' En aparté avait préparé un
document vidéo intitulé « Hollande-Sarkozy, destins
à part », retraçant les parcours des deux hommes ;
le but est d'établir entre eux un parallèle. L'invité
esquisse un léger sourire : peut être se sent il
piégé ou sûrement il s'attendait à ce type de
parallèle.
Le document, réalisé par David Dufresne,
ex-chroniqueur télé à Libération et
spécialiste des questions médiatiques, compare les deux
hommes : sur leurs âges « Lui et lui, tous les deux de
la même génération, 52 ans en 2007 », leurs
gestuelles : « Tous les deux les bras qui
moulinent », leur profession d'origine « avocats
à l'occasion », leur ami commun « entre
eux, Christian Clavier, ami de l'un pendant les années lycée,
passé depuis dans le clan Sarkozy », leurs épouses
« leurs épouses en porte-voix, en
porte-chance », leurs carrières « premier
siège de député la même année,
1988 » et enfin, pour conclure sur leurs points communs , leur
« ennemi intime » :Jacques Chirac et leurs ambitions
présidentielles. Le second mouvement du document vidéo s'oriente
vers leurs différences : « l'homme pressé et
les petits pas, la bonne blague et la férocité, Sarko qu'on sur
estime, Hollande qu'on sous estime dit-on, et les deux qu'on
guette ». Le document se conclue, d'une manière un peu
brusque sur une image de Nicolas Sarkozy qui s'adresse à Hollande d'un
air supérieur : « Mais monsieur Hollande, ne vous
fâchez pas ! ». On sent dans cette conclusion une
manière de provoquer l'invité. Par ce procédé, un
autre tiers entre en jeu dans la conversation à deux : l'accepter
aurait été d'en souligner son importance. Or, Hollande veut
s'imposer en homme fort et rejeter l'omniprésence médiatique de
son adversaire. Malgré les ressemblances évidentes
établies par le document, Hollande se refuse à les
commenter : « Je ne suis pas là pour faire la
psychologie de Sarkozy, je vais vous parler de la mienne ». Pour
le téléspectateur, ce refus fait sens : Hollande minimise
son autorité. Pourtant, il va continuer à parler de lui tout en
évoquant Sarkozy : « Je ne suis pas un obsessionnel,
je ne suis pas quelqu'un qui pense tous les jours à ce qu'il sera
demain ». Dans cette dernière phrase se fait ressentir
une certaine perte de spontanéité et
d'honnêteté : l'invité hésite, peine à
trouver ses mots et dit finalement une banalité : évidemment
que l'homme politique, comme tout homme d'ailleurs, pense toujours au
lendemain. En voulant absolument s'éloigner de la description de son
adversaire, Hollande fait des erreurs de communication. Ces erreurs, dans le
dispositif d' « En aparté », sont
extrêmement visibles. Pascale Clark profite de cette faille pour aborder
le thème qui fâche : « sous estimé...on
sent qu'il vous manque quelque chose pour complètement vous
imposer ». L'invité, déstabilisé a du mal
à répondre. A ce moment là, les caméras
perçoivent cette gêne et la mettent en valeur en cumulant les gros
plans et les plans sur des jambes qui se décroisent nerveusement.
L'invité répond alors par ce que définirai par une erreur
de communication : « mais je ne suis pas dans un rapport de
séduction, je ne suis pas dans la communication ». Or,
Hollande se trouve dans une émission plutôt populaire. Nier la
communication de sa démarche ne le sert pas, ce que Pascale Clark
remarque justement. Il se reprend alors en précisant qu'il n'est pas
dans un rapport narcissique à l'image : l'ombre de Nicolas Sarkozy
plane encore sur le plateau d' En aparté.... L'animatrice le
met alors en difficulté : « Mais pourquoi pas, ce ne
serait pas honteux ! ». François Hollande,
agacé, évoque alors Nicolas Sarkozy :
« Puisque vous me parlez de lui... ». Il se refuse
à parler « comme lui...ou d'autres »
à la première personne : « Je ne suis pas dans
un rapport égocentrique ». En définitive, Hollande
explique son manque de charisme par sa propension à refuser la promotion
de soi-même. Lorsqu'il dit « je ne suis pas dans la
communication », cette affirmation peut paraître effectivement
juste. L'animatrice tente de le suivre dans son sens : « Est
ce que votre humour, votre côté enjoué, ne finit il pas
nuire à votre crédibilité ? ».
« Il faut regarder les choses avec humour. Il y a une part de
spectacle que j'assume ». Rappelons que l'invité niait
être dans la communication quelques instants auparavant. Hollande est
alors filmé en contre-plongée, comme pour accentuer le
côté spectaculaire et appuyer son propos.
Vient la séquence « diapositives ».
Pascale Clark précise « que l'on va continuer à
parler politique ». L'animatrice lui fait projeter une image
où apparaît un livre polémique « Au secours
Lionel revient ! ». L'invité s'esclaffe
« Ah celle-là, je l'attendais ! ».
Effectivement, le choix des diapositives tient compte des attentes du
téléspectateur, qui aimerait connaître l'avis de ses
dirigeants sur ce genre d'actualités. Hollande en profite pour
glisser : « Je vais vous faire une confidence...puisqu'il en
faut ». Ce type de phrase ne peut être qu'attendu dans ce
type d'émissions. L'invité sait qu'il doit impliquer le
téléspectateur : le « vous » est ici
adressé tant à ce téléspectateur qu'à
Pascale Clark. Pascale Clark évoque ce livre pour faire parler Hollande
du départ de Jospin, sujet qui est assez épineux. On note que la
stratégie de l'animatrice est de toujours passer par un autre tiers
absent pour faire parler son interlocuteur. Ainsi, l'émission
paraît plus attractive qu'une émission politique. Pour parler de
la constitution européenne, elle passe par la projection d'une
publicité espagnole qui fait appel à des
célébrités. On peut dire que le média souhaite
retenir l'attention du téléspectateur, et pour ce, il utilise ce
type de stratagème. Il donne l'occasion au politique de parler de ses
idées sous un angle moins rébarbatif. Pascale Clark en profite
pour parler de Laurent Fabius -toujours ce recours à un autre tiers-
pour aborder les questions d'inimitié au sein du parti. L'invité
se montre alors gêné : on voit qu'il cherche la caméra
des yeux. Pour se rattraper, il adopte une gestuelle dynamique, tente de parler
avec conviction, expose ses idées...
Pascale Clark (après un temps):
« J'ai failli m'endormir ».
La présentatrice provoque son invité par cette
remarque, comme pour lui rappeler d'être plus concis. Cette remarque nuit
à la crédibilité de l'argumentation qu'il a
déjà eue du mal à développer. La caméra
insiste sur la posture qu'il prend sur sa chaise, par le biais d'un plan
d'ensemble : on voit que ses pieds ne touchent pas terre.
Enfin, Pascale Clark projette un encart du magazine
Elle où est écrit « Astro 2005 ».
Par ce biais, l'animatrice aborde la question du couple Hollande-Royal :
« 2005, c'est l'année du mariage,
non ? ». Elle passe un peu abruptement de la politique
à des questions plus intimes : le dispositif des diapositives
permet ce type d'enchaînements. François Hollande limite sa
réponse aux questions politiques de son couple. L'animatrice insiste sur
les problèmes que poseraient une éventuelle concurrence entre les
deux partenaires « Ne faites pas semblant de ne pas
comprendre ! ». On sent que le caractère consensuel
de la réponse de son invité l'énerve. Elle se permet donc
d'être plus brutale dans ses questionnements. François Hollande
finit cette séquence avec une pointe d'humour qui rattrape son
malaise : « Mais cela va être même plus facile
avec Ségolène, je vis avec elle et non avec les autres
prétendants ! ».
Vient ensuite la séquence du disque :
l'invité paraît plus à l'aise ; j'ai néanmoins
remarqué à ce moment là qu'il était en costume, ce
qui lui donne un aspect assez rigide, surtout lors de cette séquence. Il
se permet là encore quelques piques d'humour, appuyé par
l'animatrice. L'échange est bien plus détendu, Hollande choisit
la bande originale de « L'un reste, l'autre part », comme
un ultime pied de nez à ses adversaires. En prenant sa photographie, il
offre encore une plaisanterie : « Je vais chercher le petit
quelque chose ».
L'échange entre l'invité et l'animatrice s'est
donc révélé houleux : on a senti Hollande mal
à l'aise, parfois maladroit. Il avait parfois du mal à rendre
attractif ses propos. L'animatrice l'a souvent mis en difficulté.
L'exercice est ardu : il faut rendre naturel une prestation qui ne l'est
pas, tout en lâchant un peu de spontanéité. Pourtant, il y
a une réelle différence entre le début et la fin :
l'invité paraît bien plus sympathique au fur et à mesure.
L'animatrice a donc livré une émission où on a pu observer
le type de tempérament, plutôt bonhomme, de François
Hollande. La mise en scène a accentué son manque de charisme mais
Pascale Clark lui a donné l'occasion de se justifier et de montrer son
humour. L'entretien était donc fortement orienté, mais
orienté vers ce que le média suppose des attentes du public.
L'homme politique, plus que tout autre invité, s'adresse plus
particulièrement au tiers téléspectateur. Le média,
incarné ici par Pascale Clark, jouit d'un réel pouvoir : il
peut faire et défaire la réputation d'un politique par
l'orientation des questions. Cependant, l'émission n'est pas
considérée comme un guet-apens par les personnalités,
grâce au talent de l'animatrice qui revêt l'Autorité du
Juge : juste et équitable, elle est le porte-parole du public, et
parfois du citoyen. Son importance est donc réelle. Un rapport de force
se crée mais un rapport nécessaire pour accoucher non pas de ce
que dit Hollande (qui reste finalement assez banal), mais de la manière
dont il le dit. Le public juge alors de sa prestance ; cela peut donc
entretenir aussi le climat de « communication à tout
va » qui a tendance à régir notre politique
contemporaine. Il ne faut donc rester lucide sur les qualités de cette
émission, qui entretient l'excès de personnification dans la
politique.
Conclusion
Le choix d' En aparté comme sujet de
mémoire dans un séminaire traitant des figures d'autorité
et de pouvoir me parait désormais largement justifié à la
lumière de l'étude que je viens d'effectuer. En effet, le
triangle formé par l'invité, le téléspectateur et
le public est lourd de sens.
En premier lieu, nous avons vu en première partie en
quoi Pascale Clark constitue une figure d'autorité. En faisant le choix
de ne pas se montrer à l'écran et de s'appuyer sur son talent
vocal, elle s'est imposé comme une institution de la confession
médiatique : alors que la tendance est plutôt aux animateurs
provocateurs, elle renverse ce phénomène en épousant et en
s'adaptant à une autre tendance, celle de la télévision
relationnelle et intimiste ; ainsi, elle rejoint la famille des Mireille
Dumas et autres Ménie Grégoire. Le personnage de Pascale Clark
est une figure d'autorité aux multiples facettes : elle se fait
tantôt mère, tantôt maître, tantôt
juge...Incarnant son émission, l'animatrice fait corps avec son
studio-appartement : elle est une entité médiatique dont les
visées dominatrices sont masquées par la douceur envoûtante
de sa voix. Par ailleurs, du fait qu'elle soit une femme et qu'elle ne mise pas
sur sa présence physique, la constatation de son autorité est
d'autant plus remarquable. Elle acquiert une stature quasiment mythique car
inaccessible. Aussi inaccessible que les célébrités avec
qui elle s'entretient. Celles-ci reconnaissent cette autorité. Rajoutons
que les figures d'autorité féminines sont rares dans le paysage
audiovisuel français.
Ensuite nous avons analysé la rencontre contradictoire
de deux langages au sein de cette émission : en effet, En
aparté est apparu simultanément à Loft Story
et emprunte de nombreux codes à la télé
réalité. Pourtant, le voyeurisme du
téléspectateur répondant à l'exhibitionnisme de
l'invité ici ne choque pas : le média a réussi
à conférer un vernis respectable à l'émission. Nous
avons vu qu' En aparté au-delà de s'inscrire
parfaitement dans une ère de l'intimité, répond aussi
à des désirs primitifs de l'homme. « En
aparté » est en quelque sorte un zoo télévisuel
où le téléspectateur se délecte à regarder
l'inaccessible, la célébrité. Le studio, conçu
comme le reflet d'un appartement-type d'un téléspectateur de
Canal plus crée une correspondance entre l'invité et ce
téléspectateur. Cette correspondance est ambivalente car elle
repose sur des valeurs d'identification, de reconnaissance, mais aussi de
domination : l'invité est valorisé, mythifié, mais
dans un second mouvement il est aussi soumis aux jugements des milliers de
téléspectateurs qui l'observent. Tout le monde l'écoute,
il est sur un socle, comme un animal prestigieux. Le
téléspectateur assiste à une conversation-spectacle.
Grâce à ces effets de correspondance, le
téléspectateur peut s'imaginer dans la peau de
l'invité : « Il y a quinze ans, deux mondes
cohabitaient : le monde des gens dans le poste et celui des gens devant le
poste. Aujourd'hui, chacun se voit sur un écran de
télévision via le caméscope et peut s'imaginer sur un
plateau ».123(*)
L'originalité de l'émission de Pascale Clark
réside aussi dans le fait qu'elle emprunte les codes des
émissions de l'intimité mais, au lieu de confesser les anonymes
elle s'appuie sur les figures médiatiques. La télévision
de l'intimité qui auparavant apparaissait comme une réponse aux
« défections du lien social » se voit
exploité pour confesser les célébrités. En fait,
En aparté stigmatise deux tendances de la
télévision des années 2000 : d'un côté,
l'avènement du voyeurisme institutionnalisé et de l'autre
côté l'émergence de nouvelles formes de
célébrités « warholienne »,
éphémères. L'émission répond à cette
seconde tendance en se positionnant comme une institution qui valide les
parcours des gens célèbres et de ce fait les reconnais. En effet,
l'émission répond à la demande du public d'une relation
avec les gens médiatiques. Ceux-ci, désormais baptisés
« people », sont devenues des références
affectives : la télévision les a rendu accessible. Les
médias cherchent incessamment de nouvelles possibilités
d'interactivité avec eux. D'ailleurs, quelques émissions ont
imité certain des éléments du dispositif d' En
aparté : citons entre autres « La boîte à
questions » dans Le grand journal,
présenté par Michel Denisot sur Canal plus ou
Petites confessions entre amis sur Paris Première.
Plus généralement, la, tendance au confessionnal se
généralise sur de nombreuses chaînes.
Mon corpus a permis d'étudier les différents
types de prestation possibles dans En aparté. Le passage de
Maïtena Biraben a donné une confrontation entre deux figures
d'autorité. Pascale Clark a mis à l'épreuve sa
collègue et a « filtré » son narcissisme.
Avec Charles Berling, l'animatrice s'est trouvé confronté
à un électron libre, peut être moins naturel qu'il
semblait : le dispositif de l'émission rend visible les
faux-semblants. La prestation de François Hollande m'a parut la plus
intéressante à étudier : le politique se trouve
confronté l'espace d'une émission télévisée
à une autorité supérieure qui est le médiateur
entre lui et le citoyen. Entre confession et promotion, le choix du ton
paraît difficile.
On l'a vu, En aparté donne à voir une
« situation trilogique de conversation », qui est le reflet
du rapport entre média, citoyen et politique. Cette situation de
conversation met en exergue un tiers autoritaire : le média.
Celui-ci contrôle, régule le discours, en fonction de la demande
du public auquel il s'adresse. La situation dans laquelle l'invité se
trouve est de nature autoritaire : il reste quand même
enfermé, telle une souris de laboratoire, et soumis à de
multiples questions. La figure auquel il est confronté est une figure
autoritaire : Pascale Clark. Celle-ci, sous des couverts psychologisants,
revêt en fait l'autorité du Juge, au sens de Kojève. Son
autorité est effectivement reconnue de part et d'autre de l'écran
car elle est juste. L'autre figure autoritaire, indirecte, est le
téléspectateur. En effet, le média reste un agent
médiateur entre les deux instances de conversation. Ce
téléspectateur est le tiers caché de la conversation.
Cette dernière s'adresse à lui. Les deux participants de
l'échange singent une conversation naturelle alors que le
véritable interlocuteur est invisible.
L'espace d' En aparté peut donc
être défini comme un confessionnal du monde médiatique. On
y vient pour s'adresser aux téléspectateurs. Chacun y trouve son
compte et a ses intérêts dans l'émission, ce qui
crée des rapports de force, des relations d'ordre affectifs. Cette
émission reste appréciée, que ce soit par les
téléspectateurs, les autres médias et les invités.
Des rumeurs évoqueraient un éventuel arrêt de
l'émission : le concept s'effriterait car la plupart des
personnalités sont passés, parfois plusieurs fois...
Mon principal regret est de ne pas avoir pu
pénétrer les coulisses de l'émission, et ce malgré
mes efforts. Je n'ai pu recueillir que quelques témoignages d'anciens
stagiaires qui avaient rencontré Pascale Clark : celle-ci
apparemment, si elle apparaît dans mon mémoire comme une
indéniable figure d'autorité, reste une personnalité
effacée dans la vie.
En définitive, En aparté est donc
une conversation-spectacle où les deux participants vise le même
interlocuteur. Le vernis d'intimité reste superficiel et donne
l'occasion de renouveler les codes traditionnelles de mise en scène. On
ne peut que parier sur l'accentuation de cette tendance. En
aparté, à l'inverse des émissions de
télé réalité traitant avec les
célébrités ( la Ferme sur TF1 entre
autres) respecte ses invités et ne participe pas au climat ambiant de
déliquescence des autorités.
Au regard des recherches menées pour la conception de
ce mémoire, je ne peux que conclure qu' En aparté
représente une synthèse des deux tendances de programmation de
notre télévision actuelles : voyeurisme et culte de la
personnalité se rencontrent au sein d'une émission devenue
institution.
ANNEXES
Sources audiovisuelles
- Emission « En aparté » du 8
janvier 2 005, enregistré sur cassette VHS, chaîne Canal
plus, consultable à l'INA.
- Emission « En aparté » du 15
janvier 2005, enregistré sur cassette VHS, chaîne Canal
plus, consultable à l'INA.
- Emission « En aparté » du 22
janvier 2005, enregistré sur cassette VHS, chaîne Canal
plus, consultable à l'INA.
- Emission « Best of En aparté »,
du 31 décembre 2004, enregistré sur casette VHS, chaîne
Canal plus, consultable à l'INA.
Sources presse
« La pro du réveil mutin »,
Stéphane Jarno, Télérama n°2482, 6 août 1997
« Les petits matins de Pascale Clark »,
Daniel Psenny, Le Monde télévision,
Dimanche 2/Lundi 3 août 1998
« Pascale Clark, une voix, des visages »,
Nicolas Rey, Le Figaro, le 11 août 1998
« Pascale Clark, la voix sans
maître », Aude Dassonville, Libération, le 25 août
1998
« Meneuse de revue », Natahlie Dray, Les
Inrockuptibles, le 14 octobre 1998
« Revue de presse sous pression », Annick
Peigne-Giuly, Libération, le 23 décembre 1998
« Le charme des mots », Sylvie Kerviel, Le
Monde Télévision,
Dimanche/ Lundi 18 juin 2005
« La femme invisible », Cecile
Deffontaines, Le Nouvel Observateur, le 6 septembre 2001
« Derrière le masque », Sylvie
Kerviel, Le Monde, le 16 septembre 2001
« Mickael Youn sous le regard de Pascale
Clark », Sylvie Kerviel, Le Monde télévision, le 13
avril 2002
« Tam Tam électoral », Annick
Peigné-Giuly, Libération, le 20 avril 2002
« La télé raconte un autre monde que
le mien », Sylvie Kerviel, Le Monde, le 3 août 2002
« Jean Rochefort en tête à tête
avec une voix », le Figaro, le 14 septembre 2002
« Pascale Clark : dans les coulisses de la
télé », Bruno Corty, le Figaro, le 20 mai 2003
« La femme sans visage », Emanuelle
Dasque, Télérama, le 18 juin 2003
« Celle qui suit sa voix »,
Sébastien Homer, L'Humanité, le 15 novembre 2005
« La force de l'absence », Marco Mosca, le
Nouvel Observateur, le 6 décembre 2003
« L'effrontée des maternelles »,
Emmanuelle Anizon, Télérama n°2837, 26 mai 2004
« Cas d'école », Pierre Siankowski,
Les Inrockuptibles, le 2 juin 2004
« Pascale Clark, tout dans le ton »,
Véronique Mortaigne, Le Monde, le 14 juillet 2004
« Pascale Clark en aparté »,
Marie-Laure Germon, Le Figaro, le 8 septembre 2001
Sources électroniques
www.canalplus.fr
www.canalreunion.fr
www.loftscary.free.fr
Centres de documentation consultés
- Bibliothèque Sainte Geneviève, 10 place
Panthéon, 75005 PARIS
- Bibliothèque nationale de France, quai
François Mauriac, 75013 PARIS
- Inathèque, quai François Mauriac, 75013
PARIS
- Bibliothèque de l'Institut Français de
Presse, 92, rue d'Assas, 75006 PARIS
Bibliographie
BOURDIEU Pierre, « La domination
masculine », Paris, éditions Seuil, 2002, 192 pages
« Sur la
télévision », Paris, éditions Raisons d'agir,
1996, 95 pages
BRETON Stéphane, « La
télévision », Paris, éditions Grasset, 2005, 260
pages
DUCCINI Hélène, « La
télévision et ses mises en scène »,
éditions Armand Colin, Paris,
1999, 127 pages
CHARAUDEAU Patrick et al. « La voix
cachée du tiers, des non-dits du discours », éditions
l'Harmattan, Paris, 2005, 235 pages
ESQUENAZI Jean-Pierre, « La télévision
et ses téléspectateurs », éditions l'Harmattan,
collection Champs visuels, Paris, 1995, 220 pages
FOUCAULT Michel, « L'ordre du discours »,
éditions Gallimard, Paris, 1989, 84 pages
JOST François, « La promesse des
genres », revue Réseaux n°81, Paris 1997
« Introduction à l'analyse de la
télévision », collection Ellipses infocom, Paris, 1999,
192 pages.
KOJEVE Alexandre, « La notion de
l'autorité », éditions Gallimard, Paris, 2004, 204
pages
MEHL Dominique, « La télévision de
l'intimité », éditions Nathan, Paris, 123 pages
« La fenêtre et le miroir »,
éditions Payot, collection documents Payot
MEYER Françoise et al. « Quand la voix prend
corps : entre la scène et le divan », journées
d'étude des 20 et 21 mars 1999, éditions l'Harmattan, Paris, 151
pages
MORIN Edgar « L'esprit du temps : essai sur la
culture de masse », éditions Grasset, Paris, 1962, 280
pages
« Les stars », éditions Points
Seuil, Paris, 1972, 188 pages
RAZAC Olivier « L'écran et le zoo, spectacle
et domestication, des expositions coloniales à Loft Story »,
éditions Denoël, Paris, 2002, 211 pages
Revues consultées
« Médiamorphoses n°7 »,
« Télévision et radio, états de la
parole », février 2003, revue de l'INA, PUF, Paris, 120
pages
« Médiamorphoses
n°8 », « Médias people : du populaire
au populisme », revue de l'INA, PUF, 2003, Paris, 116 pages
« Drôles de stars, la
télévision des animateurs », CHALVON-DEMERSAY Sabine et
PASQUIER Dominique, Paris, 1990, 344 pages.
Travaux universitaires consultés
- « La télévision-miroir : le
nouveau divan médiatique. De la thérapie interpersonnelle
à la consécration publique. », MARGUERITE
Stéphanie, Sous la direction de Frédéric Lambert, 2003.
- « Analyse des phénomènes
réflexifs de l'émission Tout le monde en parle, Ngo Hai
Hong Sous la direction de Virginie Spies, 2001
Table des matières
Introduction..................................................................................4
- En aparté, programme phare de Canal
plus.............................................5
- Le concept d' En
aparté.......................................................................5
- Pourquoi En aparté
?.........................................................................7
- Ma problématique : l'art de la
conversation..................................................7
- Mon
corpus........................................................................................ 8
Première partie : Pascale Clark : une
figure de l'autorité....13
a) Un parcours reconnu par ses
pairs...........................................14
- Des
critiques.....................................................................................16
- La place de Pascale Clark dans une généalogie des
animatrices.......................15
- La difficulté d'être une femme dans le monde de la
télévision...........................18
b) La mise en scène de
l'absence.................................................21
c) Une voix venue
d'ailleurs......................................................26
1- Une dimension affective de la
voix...........................................................26
2- La dimension autoritaire de la voix de Pascale
Clark....................................23
d) De la mère au
maître............................................................33
1- La
mère..........................................................................................36
2- Le
maître.........................................................................................38
3- La
juge..........................................................................................38
Deuxième partie : la spectacularisation de
l'intime............40
a) Le « zoo
humain »................................................................41
1- Les mêmes fonctions qu'un
zoo...............................................................41
2- « Voir sans être
vu »............................................................................44
3- L'importance du
décor........................................................................46
3-La mise en
scène/dressage......................................................................46
b) Un simulacre
d'intimité........................................................48
c) Le dévoilement de
l'invité...................................................55
1- Les coulisses de
l'émission....................................................................55
2- Le déroulement d'une
émission............................................................55
3- Maïtena
Biraben...............................................................................58
4- Charles
Berling..................................................................................60
Troisième partie : une parodie de
conversation ?......................64
a) De l' « Olympien » au
« people ».............................................66
1-De l'ère du mystère à l'avènement
de la proximité......................................66
2- Le discours du tiers invité au sein d' En
aparté......................................70
b) Le véritable interlocuteur : le tiers
téléspectateur........................70
1-Un discours
ordonné..............................................................................72
2-La question du
tiers...............................................................................74
3- Une situation
symbolique........................................................................77
c) Le politique à
l'épreuve........................................................78
Conclusion....................................................................86
ANNEXES....................................................................89
* 1 ONPP
étant l'abréviation d' On ne peut pas plaire à
tout le monde « , je l'utiliserai souvent au cours de ce
mémoire.
* 2
« Télévision », Stéphane Breton,
essai, 2004, page 29
* 3
http://canalreunion.com/programmes/coulissses/enaparte/accueil.html,
vu le 13 mai 2005
* 4 « la
télévision et ses téléspectateurs »,
Jean-Pierre Esquenazi, ed. L'Harmattan, 1995, page 29
* 5 « L'écran
et le zoo », Olivier Razac, ed.Denoël, 2001
* 6 « La
télévision de l'intimité », Dominique Mehl,
ed.Seuil, 1996
* 7 « La voix
cachée du tiers », sous la direction de Patrick Charaudeau,
éd.L'Harmattan, 2004
* 8 « Pascale Clark,
la voix sans maître », Libération, 25 août 1998
* 9 « Pascale
Clark, « tout dans le ton » Le Monde, mercredi 14
juillet
* 10 « Drôles
de stars, la télévision des animateurs », Dominique
Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, ed.aubier page 18
* 11 « La
fenêtre et le miroir », Dominique Mehl, ed. Payot, page 22
* 12 « La domination
masculine », Pierre Bourdieu, ed.Le seuil, page 37
* 13 Ibid, page 70
* 14 Ibid page 71
* 15 Ibid.page 75
* 16 Ibid.p.73
* 17
« L'humanité », la semaine télé,
« celle qui suit sa voix », samedi 15 novembre 2003, page
41
* 18 « La domination
masculine », Pierre Bourdieu, ed.Le seuil, page 75
* 19 « Drôles
de stars,la télévision des animateurs », éd.
Aubier, page 273
* 20 « La
télévision et ses programmes », Dominique Mehl, page
35
* 21 Ibid page 36
* 22 « La
télévision et ses téléspectateurs », sous
la direction de Jean-Pierre Esquenazi, éd.L'harmattan, coll.Champs
visuels, page 22
* 23
« Médiamorphoses n°7 », avril 2003,
« télévision et radio : états de la
parole », page 41
* 24 Eliséo
Véron, « il est là, je le vois, il me
parle », in Communications n°38,1983
* 25 « Drôles
de stars, la télévision des animateurs », Dominique
Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, page 130
* 26 « La
télévision et ses mises en scène »,
Hélène Duccini, éd ? Nathan université, page
75
* 27 Ibid page 76
* 28 Ibid page 81
* 29 Ibid, chapitre
« les dispositifs scéniques ; seul ou à
deux », page 80
* 30 Abréviation
passé dans le langage courant signifiant les petits textes
envoyés d'un portable à un autre portable, utilisés
notamment dans les émissions de télévision
réalité
* 31 « La
télévision et ses téléspectateurs », sous
la direction de Jean-Pierre Esquenazi, chapitre « le
téléspectateur mis en s cène », page 65
* 32 « Jean Rochefort
en tête à tête avec une voix », le Figaro, samedi
14 septembre 2002
* 33 « La
porte », Libération n°7379, lundi 31 janvier 2005, page
30
* 34 « Drôles
de stars, la télévision des animateurs », Dominique
Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, page 18
* 35 « Psychologies
magazine », février 2005
* 36 Richard Sennett, titre
français, « les tyrannies de l'intimité »,
1976
* 37
« L'odyssée de la voix », Jean Abitbol, ed.Robert
Laffont, 2005.
* 38 « Quand la voix
prend corps : entre le scène et le divan ». Textes
réunis par Françoise Meyer, éd. L'Harmattan, chapitre
« Sirènes et chofar : incarnation mythique et rituelle de
la voix », page 89
* 39 Ibid p.92
* 40 Ibid p.94
* 41
http://www.canalreunion.com/programmes/coulissses/enaparte/accueil.html,
vu le 6 avril 2005
* 42 « Quand la voix
prend corps, entre la scène et le divan », textes
réunis par Françoise Meyer, éd. L'Harmattan, page 94
* 43 Ibid, chapitre
« la voix au miroir » de Didier Lauru, page 87
* 44 « Drôles
de stars, la télévision des animateurs », Sabine
Chalvon-Demersay, page144
* 45 Ibid, page 139
* 46 « Quand la voix
prend corps : entre la scène et le divan », textes
réunis par Françoise Meyer, ed.L'Harmattan, page 19,20
* 47
« Médiamorphoses n°7, avril 2003,
« télévision et radio : états de la
parole », page 38
* 48 « Drôles
de stars, la télévision des animateurs », Sabine
Chalvon-Demersay et Dominique Pasquier, page 148
* 49 Ibid, page 44
* 50 Ibid, page 40
* 51 « Jean Rochefort
entête à tête avec une voix », Le Figaro, samedi
14 septembre
* 52 « La crise de la
culture », Hannah Arendt, Paris, Gallimard, « folio
essais », 1989, page 121
* 53 Michel Foucault,
« l'ordre du discours », ed.Gallimard, page 11
* 54 Alexandre Kojève,
La notion de l'autorité », ed.Gallimard, page 25
* 55 Émission du samedi
12 février 2005
* 56 Alexandre Kojève,
« la notion de l'autorité », ed. Gallimard,
page14
* 57 « La
fenêtre et le miroir », Dominique Mehl, documents Payot,
page30
* 58 Ibid, page 125
* 59 Ibid, page 34
* 60 « La notion de
l'autorité », Alexandre Kojève, ed.Gallimard, page73
* 61 « Sur la
télévision », Pierre Bourdieu, ed. Raisons d'agir, page
13
* 62 « L'écran
et le zoo », Olivier Razac, essais, ed. Denoel, page
* 63 Ibid, page 32
* 64 Ibid, page 76
* 65 Ibid, page 78
* 66 « Surveiller et
punir », Michel Foucault, Paris, Gallimard, 1975, page 252
* 67 « L'écran
et le zoo », Olivier Razac, page 90
* 68 Ibid, page 92
* 69 Ibid, page 96
* 70 Ibid, page 97
* 71 Ibid page 113
* 72 Ibid page 127
* 73
http://atilf.atilf.fr/academie9.htm,,
version électronique du dictionnaire de l'académie
française, vu le 16 juin 2005
* 74 « La
télévision de l'intimité », Dominique Mehl, ed.
Seuil, page 101
* 75 Ibid page 63
* 76 Ibid, page 108
* 77 Ibid, page 114-5
* 78 Ibid page 156
* 79
« L'intimité au risque du regard », Numa Marard, sur
le site « Loft Scary »,
http://loftscary.free.fr/za05.htm,
vu le 31 juillet 2005
* 80 La
télévision de l'intimité », Dominique Mehl,
éd. Seuil, page 148
* 81 Ibid page 163
* 82 « La vie
publique privée », Dominqiue Mehl, revue Hermès
n°13, septembre 1994, cité sur le site
http://www.wolton.cnrs.fr/hermes/b_13_14fr_resume.htm
, vu le 21 juillet 2 005
* 83 Norbert Elias
« La société de cour », Paris Flammarion,
1985
* 84 Ibid page148-9
* 85 Ibid page 162
* 86
http://www.fabula.org/actualites/article3477.php,
vue le 3 août 2005
* 87
«www.canalreunion.com/programmes/coulisses/enaparte », vu le 3
juillet 2005
* 88 « La
télévision et ses mises en scène »,
Hélène Duccini, éd Armand Colin, page 72
* 89 Ibid page 75
* 90 Jean Ungaro « De
la radio à la télévision : un art de la
conversation » in « Médiamorphoses
n°7 » page 24
* 91« L'esprit du
temps », Edgar Morin, ed. Grasset, page 143
* 92 Ibid. page 146
* 93 Ibid page 140
* 94 « Les
stars », MORIN Edgar, Editions essais, page 122
* 95 Léo Bogart dans
« The Age of television» in «L'esprit du temps», Edgar
Morin, éditions Grasset, page 121
* 96 Ibid, page 120
* 97 Entretien avec David
Dufresne in « Médiamorphoses n°8 »,
« Médias people : du populaire au populisme »,
page 33
* 98 ibid page 35
* 99 Jean-Pierre Esquenazi
« Voici et le star system » cité dans
« Médiamorphoses n°8 », septembre 2003, page
69
* 100 Entretien avec David
Dufresne, cité dans « médiamorphoses
n°8 », septembre 2003, page 33
* 101 « L'esprit du
temps », Edgar Morin, éditions Grasset, Paris, 1962, page
137
* 102 « L'ordre du
discours », Michel Foucault, éditions Gallimard, page 9
* 103 Ibid page 9
* 104 Ibid page 11
* 105 Ibid page 12
* 106 Ibid page 13
* 107 Ibid page 27
* 108 Ibid page 68
* 109 « La voix
cachée du tiers », sous la direction de Patrick Charaudeau et
Rosa Montès, éd. L'Harmattan, page 55
* 110Ibid page 11
* 111 Ibid page 20, 21
* 112 Ibid page 76
* 113 Ibid page 171
* 114 Ibid page 29
* 115 « La
fenêtre et le miroir », Dominique Mehl, Documents Payot, page
31
* 116 « La notion de
l'autorité », Alexandre Kojève, éditions
Gallimard, page 15
* 117 « Le pouvoir
du silence et le silence du pouvoir » in
« médiamorphoses n°8 », Danielle Duez, page
82
* 118 Ibid page 78
* 119 « La
télévision de l'intimité », Dominique Mehl, page
167
* 120 Ibid page 167
* 121 « La
télévision et ses mises en scène »,
Hélène Duccini, éditions Armand Colin, 1999, page 58
* 122 Ibid page 47
* 123
« L'intimité surexposée », Serge Tisseron,
éditions Ramsay, cité par le Nouvel Observateur,
« Les visiteurs du soir », semaine du samedi 2 juillet au
vendredi 8 juillet.
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