de l'accessoire « haussmannien » à
l'enjeu urbanistique actuel
MéMOIRE D'INITIATION À LA RECHERCHE
Diplôme d'État de paysagiste
Enseignante encadrant: Pierre Médecin
Chiara Santini année universitaire 2022-2023
5
REMERCIEMENTS
J'adresse mes plus sincères remerciements, tout
d'abord, à Chiara Santini ma tutrice de mémoire, historienne des
jardins, qui m'a fait intéresser à l'histoire dès les
premières années à l'École nationale
supérieure de paysage. Elle m'a fait pleinement confiance tout au long
de ce parcours de recherche. Nos échanges réguliers, ses
commentaires judicieux m'ont permis de me fondre au coeur du sujet aussi bien
dans le côté historique que paysager.
Je porte toute ma gratitude à Bernard Landau,
architecte-voyer honoraire de la Ville de Paris, pour m'avoir transmis ses
connaissances et son expérience de plus de trente ans au sein du
système administratif de la Mairie de Paris. Son savoir et les documents
remis m'ont aidé à appréhender ce mémoire.
Je souhaite remercier également l'ensemble des
personnes avec lesquelles j'ai pu m'entretenir. Elles sont la véritable
force sur laquelle les fondements du sujet ont pris ancrage. Leur bienveillance
mais également leur passion pour le sujet ont forgé en moi une
véritable motivation. Leur amour pour Paris se devait d'être
retranscrit. L'accueil par les personnes de la Mairie de Paris, tous services
confondus, a été particulièrement chaleureux :
Michèle Zaoui, Lily Munson, Benjamin Le Masson, Jean-Christophe Choblet,
Juliette Floc'h et Sarah Ananou.
Mes remerciements, et pas des moindres, sont adressés
à mes proches qui m'ont soutenu tout au long de cette démarche
par leur appui et leur compréhension face à une certaine absence
de ma part dans leur quotidien.
A ma mère qui m'a insufflé sa passion pour les
sciences sociales et qui m'a apporté son soutien inconditionnel dans ce
nouveau départ professionnel. Je lui suis infiniment reconnaissant.
7
RÉSUMÉ
Les réseaux sociaux ne manquent pas depuis quelques
années de mettre en exergue les moindres défauts de l'espace
public parisien. Cela a conduit à une certaine polémique qui a
décidé les acteurs publics depuis 2020, date de début de
la deuxième mandature d'Anne Hidalgo, maire de Paris, de revoir la
politique urbanistique parisienne.
Parmi les différents sujets critiqués depuis la
première mandature (2014-2020), le banc a été l'excuse
pour remettre en cause cette politique. La polémique a pris de
l'ampleur, ayant été relayée dans la presse nationale. Le
banc historique, créé au Second Empire sous Haussmann par Gabriel
Davioud, en est le fer de lance. Il s'agit du banc vert à double assise
en bois et aux piétements en fonte, véritable marqueur de la
capitale.
Ce mémoire, après un rappel historique de
l'apparition du banc dans l'espace public parisien, s'attache à
démontrer comment la Ville de Paris a engagé dès les
années 1970 une régulation de la multiplicité et des choix
du mobilier urbain. L'étude se concentre sur le banc Davioud, sur son
intégration, sur son oubli au profit d'expérimentations et sur sa
remise en valeur. De plus, nous nous sommes interrogés sur la place que
tient ce banc dans l'imaginaire collectif et les valeurs qu'il véhicule
en tant qu'élément prépondérant de l'espace public
parisien.
Les travaux de recherche, outre la bibliographie, s'appuient
sur des entretiens réalisés aussi bien auprès des services
techniques et des hautes instances administratives de la Mairie de Paris
qu'auprès d'architectes, de paysagistes et d'internautes.
Ces échanges ont permis de faire émerger trois
grandes thématiques. La première concerne l'organisation
municipale dans le choix et la gestion du mobilier urbain en s'attardant plus
spécifiquement sur les bancs. La deuxième est relative à
la place du banc Davioud dans l'espace public et le rapport qu'entretiennent
les Parisiens avec cet élément de la grammaire urbanistique.
Quant au dernier thème, il s'agit de la place qu'occupe ce banc dans les
projets d'aménagement et l'inte-raction entre les concepteurs et la
Mairie de Paris. Comment celle-ci a remis cette icône au centre des
projets par une réinterprétation de son design. Entre
patrimonialisation et contemporanéité, le banc Davioud en est le
trait d'union.
Mots clés : Paris, banc Davioud, marqueur,
esthétique, espace public, urbanisme
8
AB S T R A C T
Social networks have not failed for some years to highlight
the slightest defects of the Parisian public space. This has led to some
controversy that has decided public actors since 2020, date of the beginning of
the second term of Anne Hidalgo, mayor of Paris, to review the Parisian urban
planning policy.
Among the various topics criticized since the first term
(2014-2020), the bench has been the excuse to question this policy. The polemic
has gained momentum having been relayed in the national press. The historic
bench created in the Second Empire under Haussmann by Gabriel Davioud, is the
spearhead. This thesis, after a historical review of the appearance of the
bench in the Parisian public space, aims to demonstrate how the City of Paris
has engaged since the 1970s a regulation of the multiplicity and choices of
urban furniture. The study focuses on the Davioud bench, on its integration, on
its oblivion in favor of experimentation, and on its rehabilitation. In
addition, we questioned the place that this bench holds in the collective
imagination and the values that it conveys as a prominent element of Parisian
public space.
The research work, in addition to the bibliography, is based
on interviews conducted with the technical services and high administrative
authorities of the Paris City Council as well as with architects, landscape
designers and Internet users.
These exchanges have allowed three major themes to emerge. The
first concerns the municipal organization in the choice and management of
street furniture, focusing more specifically on benches. The second is related
to the place of the Davioud bench in public space and the relationship that
Parisians have with this element of urban grammar. The last theme is the place
of this bench in development projects and the interaction between the designers
and the Paris City Council. How the latter has put this icon back at the center
of projects by reinterpreting its design. Between heritage and contemporaneity,
the Davioud bench is the link.
Key words : Paris, bench Davioud, marker, aesthetic,
public, area, urbanism
9
Sommaire
Avant-Propos 11
Introduction 13
Méthodologie 15
De l'origine du banc au mobilier urbain 17
Une origine diffuse, une étymologie diversifiée
17
Les promenades parisiennes : du jardin au boulevard 18
Le banc Davioud, « accessoire» des promenades
plantées 21
Évolution et diversification tardive vers la fin du
XXème siècle 27
Une composante du mobilier urbain 27
Diversification des modèles 27
Des expérimentations peu comprises par les usagers 29
Les années 2020, une politique liant histoire
haussmannienne et modernité 32
Un marqueur de la capitale 33
Approbation et initiative 39
Politique de gestion et d'entretien 46
Un enjeu de l'espace urbain 57
Un choix intrinsèquement lié à l'usage 57
Esthétique et emplacement, des points de vue
contrastés 62
Entre uniformité et spécificité de l'espace
public parisien 69
La place du concepteur, un rapport ambivalent avec la Ville de
Paris 74
Conclusion 85
Glossaire 93
Annexes 95
11
AVANT-PROPOS
Depuis plusieurs années, au regard de mon parcours
professionnel, le sujet relatif à la place du banc dans l'espace public
comme élément identitaire d'un projet ou d'une ville m'a
interrogé. En effet, à peine diplômé en tant
qu'ingénieur agronome, j'ai été nommé comme chef de
section de la Voirie et de la Signalisation au sein du Service de
l'Aménagement Urbain de la Principauté de Monaco. Cette section,
dont j'avais la charge, a pour mission l'entretien du réseau viaire et
des voies piétonnes, des jeux d'enfants ainsi que la création de
projets urbains sur le territoire monégasque en matière de
maçonneries, de réseaux et de revêtement (voies
piétonnes, nouvelles routes, giratoire, jardins). De plus, la section
s'occupe de l'achat et de l'entretien du mobilier urbain : bancs, bornes,
potelets, signalisation routière ainsi que la passation de
marchés publics.
Mes études ne m'avaient pas préparé
à occuper une telle responsabilité. Mes connaissances dans ce
domaine se sont élargies suite à mon expérience du terrain
au cours des six années que j'ai passé à ce poste.
Certaines interrogations sont également restées en suspens dont
la gestion du banc.
Monaco présente une étendue géographique
de 202 ha répartie en cinq quartiers. Malgré la petitesse du
pays, les modèles de bancs foisonnaient (cela perdure) sans
unité, ni intraquartier, ni interquartier. À chaque nouveau
projet, de nouveaux modèles apparaissaient au bon gré du bureau
d'études du Service de l'Aménagement Urbain sans tenir compte des
contraintes d'entretien et bien entendu des impacts financiers. La vision
était d'associer un mobilier particulier aux nouveaux projets urbains
créés.
Alors que deux modèles de bancs étaient
entretenus par les agents de la section Voirie et dont les moules en fonte
étaient propriété de l'État, les autres, à
la suite du vieillissement ou de dégradations, devaient être
renouvelés par de nouveaux achats. Cela se faisait au risque de leur
disparition des catalogues des fournisseurs engendrant sur un même espace
une disparité avec de nouveaux modèles de substitution.
Je me retrouvais confronté à un système
administratif où il était difficile de faire évoluer les
mentalités ancrées dans un système qui en apparence
fonctionnait. Le frein au changement était palpable.
Au moment de quitter ce poste, j'ai eu un sentiment
d'inachèvement quant à redonner une cohérence au paysage
urbain, notamment le banc. Mes questions restaient en suspens : fallait-il
généraliser le banc type Belle Époque dans un souci de
patrimonialisation des quartiers historiques? Proposer un catalogue
limité de modèles pour donner un caractère plus moderne?
Ou associer ces deux types d'approches, et comment, afin de donner une vraie
particularité à l'espace public monégasque?
Lorsque mon attention a été attirée par
la polémique du banc Davioud à Paris, créé par
l'ar-chitecte éponyme dans les années 1860, j'ai trouvé
l'occasion de revenir sur mes interrogations bien qu'appliquées à
une autre ville, à une autre échelle détentrice d'un
patrimoine de renommée internationale. Cette polémique, datant de
2021 et dont l'origine prend sa source dans le collectif #saccageparis sur le
réseau social Twitter, a remué en moi ces souvenirs. J'ai
souhaité m'intéresser à ce sujet qui, par son
côté pouvant s'avérer anecdotique, est un
élément fort du paysage urbain parisien. Au-delà du simple
objet, par son design et sa couleur verte si caractéristique, il
véhicule l'image associée à la Ville Lumière dans
l'imaginaire collectif.
13
INTRODUCTION
Le banc parisien a fait l'objet d'une médiatisation
depuis quelques années par son choix et par son insertion dans l'espace
public en fonction du modèle. Il semble être le prétexte
pour certains de s'attaquer à la politique d'urbanisme parisienne. Nous
avons pu le constater depuis déjà quelques années par les
vives réactions des membres du collectif #saccageparis1 sur
Twitter. Sous couvert de pseudonymes, les internautes s'expriment le plus
souvent de façon virulente. Cela contribue à une certaine
émulation qui tend à amplifier des phénomènes que
toute ville connait au quotidien avec les aléas des travaux et des
mésusages.
L'événement qui a provoqué le plus grand
émoi auprès de #saccageparis a été le constat des
dégradations des bancs en bois dits bancs « mikado»
installés depuis 2013 sur la place de la République. Ces bancs
ont initialement été dessinés dans le cadre de
l'opération « Paris Plages», cette même année.
Leurs indignations face au changement laissent apparaître une
volonté de figer dans le temps le mobilier urbain historique du Second
Empire. Parmi ce mobilier, nous distinguons le banc vert parisien. Le
modèle original a été conçu par l'architecte
Gabriel Davioud (1824-1881) dans la deuxième partie du
XIXème siècle sous l'égide de
Georges-Eugène Haussmann alors préfet de Paris.
Les arts ont promu le banc Davioud comme un
élément distinctif de la capitale. Ses représentations
aussi bien dans la peinture de la fin du XIXème siècle
et du début du XXème siècle, par le simple fait
de sa présence, évoque Paris dans l'imaginaire de tout un chacun.
A cette époque, la ville est un spectacle. Les peintures l'associent le
plus souvent à d'autres éléments de mobilier urbain que
sont la colonne Morris, les clôtures et les grilles d'arbres. En outre,
la photographie de scènes de vie autour du banc Davioud, par
l'appropriation de son usage participe à développer cet
imaginaire. A ce propos, le domaine de la chanson n'a pas manqué de
reprendre cette vie quotidienne où la ville de l'amour s'exprime. On le
retrouve dans la chanson Les amoureux des bancs publics de Georges
Brassens. Enfin, la riche filmographie offre aux spectateurs depuis des
décennies une vision de Paris où le banc joue une place
prépondérante. Ce banc vert sapin ne passe pas inaperçu,
il devient lui-même un acteur aux côtés des artistes, un
élément incontournable de la Ville Lumière.
Tandis que Haussmann qualifiait le banc d'« accessoire
» dans les projets des promenades plantées d'Alphand, nous
constatons que 160 ans plus tard il devient l'épicentre d'un enjeu
beaucoup plus large que la simple assise. Il ne déchaîne pas des
passions uniquement parmi les usagers mais pose aussi des questions sur la
politique d'aménagement face à l'évolution des usages de
l'espace public et en relation avec les enjeux climatiques. La place de la
voiture s'amoindrit au profit des zones piétonnes et des pistes
cyclables. Le paysage urbain se transforme, les places deviennent des lieux de
promenades et de rencontres où le végétal prend de
l'ampleur.
Qu'en est-il alors de l'assise qui devient un
élément central au regard des espaces libérés? Le
banc Davioud, témoin du passé, doit-il faire place à une
nouvelle interprétation de l'espace public où le banc du Second
Empire n'aurait plus sa place? Entre patrimonialisation et
contemporanéité, il convient de s'interroger si le banc Davioud
reste un symbole figeant Paris dans l'époque hauss-mannienne ou alors
s'il est moteur d'un nouveau dynamisme assurant un lien entre le passé
et le Paris des prochaines décennies.
1 Le réseau social Twitter permet à ses
utilisateurs de s'exprimer et de joindre des photos sur tout sujet. Le
#saccageparis qui est mentionné dans les tweets fait
référence à une même thématique. Ainsi, toute
recherche sur le réseau social par rapport au sujet affichera l'ensemble
des tweets qui en fait mention.
14
Anne Hidalgo, maire de Paris depuis 2014, apporte
déjà quelques éléments de réponses dans
l'avant-propos du Manifeste pour la Beauté où elle
écrit que la capitale n'est pas une ville-musée tout en
précisant que ces nouveaux paysages vont « se conjuguer» avec
le patrimoine parisien2. Emmanuel Grégoire, son premier
adjoint chargé de l'Urbanisme, de l'Architecture, du Grand Paris et des
relations avec les arrondissements, reprend cette thématique où
il explique comment la ville d'aujourd'hui va pouvoir composer avec cette
« grammaire commune» historique pour bâtir la ville de
demain3.
Pour mieux comprendre la démarche urbanistique
actuelle, nous avons souhaité reprendre l'historique liant la Ville de
Paris et le banc. Nous nous attarderons sur de nombreux exemples de projets
réalisés au fil des mandatures d'Anne Hidalgo (2014-2020 et
depuis 2020) dans lesquels le banc Davioud est un élément
prépondérant que cela soit par son absence ou par sa
présence. Afin de construire notre argumentation, nous avons
réalisé neuf entretiens auprès des services techniques et
des hautes instances administratives de la Ville de Paris ainsi
qu'auprès d'acteurs privés (architectes, paysagistes concepteurs,
internautes). En complément, notre arpentage des rues de Paris et des
places nous a permis de réaliser des photographies, des croquis et des
plans pour étayer notre propos et comprendre les visions de chacun des
protagonistes.
Paysagistes/architectes
Parisiens
Touristes
Réseaux sociaux
Mairie de Paris
Interactions entre acteurs privés et acteurs publics, ((c)
Pierre Médecin).
2 Mairie de Paris, Paris Manifeste pour la
Beauté, Paris, Mairie de Paris, 2022, p. 3.
3 Ibid., p. 5.
15
Le panel interrogé apparaît des plus
représentatifs avec une diversité d'opinions. Bien que cela soit
sans incidence sur le travail de recherche, par souci d'apporter un
éclairage supplémentaire, nous avons sollicité
également d'autres concepteurs concernés par les
aménagements cités dans le présent mémoire afin de
recueillir leurs points de vue, leurs visions aussi bien sur leurs projets que
plus généralement sur la place du banc Davioud dans l'espace
public, ainsi que la relation concepteur/maître d'ouvrage.
Malheureusement, ces personnes n'ont pas donné suite à nos
demandes.
Les entretiens se sont déroulés soit dans le
bureau des intéressés, soit téléphoniquement ou en
visioconférence. Dans la suite du mémoire, certains propos seront
cités directement depuis la source, d'autres seront reformulés
tout en adhérant aussi scrupuleusement que possible au discours des
personnes interviewées. Néanmoins, certaines
interprétations pourront être faites au regard d'idées
sous-jacentes mais également par rapport à la formation et au
parcours professionnel de la personne. Quand cela est le cas, dans la mesure du
possible, nous l'avons signalé. Nos échanges n'ont pas fait
l'objet de demandes de relecture.
Initialement, les entretiens étaient
préparés selon une liste de six questions listées en
annexe. Nos connaissances s'enrichissant entretien après entretien, de
nouvelles questions plus ciblées sont venues améliorer le
modèle de recherche prévu à l'origine. Par
conséquent, la liste n'est devenue qu'une base de travail et la liste
des personnes interrogées s'est enrichie. Entre nos lectures, nos
rencontres et nos visites de terrain, il nous est apparu primordial de pouvoir
apporter toute l'exactitude requise par rapport aux constats et aux
interrogations soulevés.
Les personnes interviewées seront
présentées dans cette méthodologie par rapport à
leur parcours de formation et à leur poste actuel.
Sarah Ananou, ingénieure de la Ville de Paris (2014) et
architecte HMONP (2022) au Service des Aménagements et des Grands
Projets (SAGP) de la Direction de la Voirie et des Déplacements (DVD) de
la Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 2019.
Entretien réalisé le 20 mars 2023.
Emma Blanc, paysagiste DPLG (2001), Agence Emma Blanc Paysage.
Entretien réalisé le 24 février 2023.
Jean-Christophe Choblet, scénographe, urbaniste (1995),
au SAGP de la DVD de la Ville de Paris en poste à la Mairie de Paris
depuis 2014.
Entretien réalisé le 8 mars 2023.
Juliette Floc'h, architecte HMONP (2021) au SAGP de la DVD de la
Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 2019.
Entretien réalisé le 20 mars 2013.
Mathieu Gonthier, paysagiste DPLG (2007), Agence Wagon
Landscaping. Entretien réalisé le 9 février 2023.
Bernard Landau, architecte DPLG (1974), architecte-voyer
honoraire de la Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris entre 1983
et 2014
Entretien réalisé le 3 décembre 2022
16
Benjamin Le Masson, architecte DPLG (1991), architecte-voyer
en chef au SAGP de la DVD de la Ville de Paris, en poste à la Mairie de
Paris depuis 1995.
Entretien réalisé le 10 février 2023.
Lily Munson, Normalienne, diplômée de Sciences
Politiques, directrice de cabinet adjointe du premier adjoint de Paris en
charge de l'urbanisme, de l'architecture, du Grand Paris, des relations avec
les arrondissements et de la transformation des politiques publiques, en poste
à la Mairie de Paris depuis 2018.
Entretien réalisé le 15 février 2023.
David Rykner, ingénieur agronome (1985) et
diplômé de l'École du Louvre (1987), fondateur du site La
Tribune de l'Art.
Entretien réalisé le 10 février 2023.
Antoine Santiard, architecte EPFL (2001), Agence h2o. Entretien
réalisé le 6 mars 2023.
Michèle Zaoui, architecte DESA (1987),
conseillère architecture et espace public au Cabinet de la maire de
Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 2010.
Entretien réalisé le 13 février 2023.
Les agences n'ayant pas donné suite à nos
sollicitations sont :
- Agence Jean-Michel Wilmotte (architecte) : designer du banc des
Champs-Élysées
- Agence Franklin Azzi (architecte) : designer du banc Mikado
- Agence TVK (architecte) et l'architecte paysagiste Martha
Schwartz : concepteurs de la
place de la République
- Coloco : agence de paysagistes concepteurs de la place de la
Nation
Au terme des entretiens, des thèmes communs ont
été identifiés et seront confortés par l'apport
d'un corpus de sources bibliographiques.
Ce travail s'organise en trois parties. Après avoir
rappelé l'histoire du banc depuis son origine antique et sa
présence initiale dans les jardins, dans un premier temps nous
présenterons comment, par le réaménagement des rues de
Paris et par la création des promenades au cours des siècles, le
mobilier urbain a été installé sur les voies. Puis, nous
poursuivrons par l'histoire contemporaine tout en nous appuyant sur le fait que
le banc Davioud est devenu un marqueur de la capitale. À ce titre, au
regard des discussions avec les personnes interrogées, nous aborderons
l'organisation administrative des instances parisiennes depuis les
années 1970 dans le choix et la gestion du mobilier urbain
appliqué au banc Davioud. Enfin, nous nous attacherons à analyser
comment ce banc est intégré à l'espace public à
travers de nombreux exemples d'aménagements. Par ce biais, nous
envisagerons le rôle du concepteur et sa relation avec la Ville de Paris
pour le choix et l'intégration de l'assise où le banc Davioud
occupe une place primordiale.
17
DE L'O R I G I N E D U BANC A U MOBILIER
URBAIN
Une origine diffuse, une étymologie
diversifiée
La présence des bancs est confirmée par les
archéologues en Chine et en Inde mais également dans
l'Égypte ancienne dans des bas-reliefs et des tombeaux. On évoque
davantage une assise partagée exposant un mariage, des scènes de
la vie quotidienne d'une même famille illustrant un lien
déjà avéré. Dans l'Antiquité, en latin
classique, le banc est dénommé scannum qui aurait
précédé celui de bancus. Scannum
signifie «banc» ou «marchepied». Ce terme est relatif
à un siège de forme allongée qui, dans les
théâtres de la Rome antique, accueillait des citoyens romains de
l'ordre équestre4.
Les vestiges de Pompéi et d'Agrigente mettent en
lumière la présence d'un type particulier de banc :
l'exèdre ( ex «hors» et edra
«siège») où l'assise est fixée au mur, de
forme carrée ou arrondie, face au péristyle. Ce terme, de
manière plus générale, désigne des sièges
collectifs en hémicycle que l'on retrouve à la porte d'Herculanum
et à la porte de Stabies à Pompéi5.
Louis-Eustache Oudot indique que «Exèdre, par ce mot on entendait
en architecture, chez les anciens, un lieu de réunion où se
trouvaient disposés des bancs d'où l'on pouvait de l'un à
l'autre se voir et converser»6.
Tombe de Sennediem (12ème siècle avant
J-C),
((c) Wikipédia).
Exèdre de la porte d'Herculanum, Pompéi,
((c) Carole Radato).
Selon la définition d'Antoine Furetière au
XVIIème siècle7, le banc aurait une
diversité d'origines dont il est difficile de s'accorder. Il serait issu
de l'italien banco, voir du latin bancus, mais cette
évolution serait postérieure et influencée par l'origine
germanique pank. Il fait état d'autres origines comme benk
en saxon ou banq en arabe. Le terme est également
repéré pour la première fois dans la Chanson de Roland
entre 1050 et 1080 que Léon Gauthier, professeur à
l'École des Chartes a traduite en 18818.
4 BOURSIER-MOUGENOT Ernest-Jean, artiste plasticien et
historien de l'art des jardins, L'amour du banc, Arles, Acte Sud,
2002, p. 35.
5 Ibid., pp. 45-46.
6 AUDOT Louis-Eustache, ex-secrétaire du comité
de la composition des jardins à la société centrale
d'horticulture de Paris, Traité de composition et de l'ornement des
jardins, Paris, Audot, 1859, p. 212.
7 FURETIERE Antoine, abbé de Chalivois, de
l'Académie française, Dictionnaire universel, contenant
généralement tous les mots françois tant vieux que
modernes et les termes des sciences et des arts, Tome 1, Rotterdam, Arnoud
et Reinier Leers, 1702, p. 209.
8 GAUTHIER Léon, La chanson de Roland, texte
critique, traduction et commentaire, Tours, Alfred Mame et fils, 1881, p.
363.
18
« [...] Thierri quand il voit que la bataille est proche,
Présente à Charles son gant droit;
Et l'Empereur donne caution pour lui, et fournit des otages. Puis
Charles fait sur la place disposer quatres bancs; Là vont s'assoir ceux
qui doivent combattre [...] »
Au Moyen-Âge, le banc fait partie du mobilier domestique
et a également un usage semi-public. Il sert de siège pour les
réconciliations publiques liées à certaines institutions.
Ainsi, peut-on lire sur les gradins de pierre à l'entrée du
palais des Podestats en Arles : « bancs à degrés où
rendaient la justice du XIIIème siècle les consuls de
la république d'Arles » 9. De plus, au même
siècle précité, de chaque côté des maisons
françaises, on pouvait rencontrer fréquemment des bancs de pierre
sur la voie publique, propriété du bâtiment qui leur
faisait support10.
Bancs de justice du palais de Podestats, Arles,
((c) Christiane Bastien).
Néanmoins, c'est en Toscane que les bancs, panche
di via, sous la forme de dalles horizontales en pied de mur posées
sur des pieds de terre, s'implantent dans de nouveaux espaces urbains aux
XIVème et XVème siècles en vue de
valoriser la piazza, la loggia et les rues principales. Ils
commencent ainsi à s'imposer dans l'espace public, ayant un rôle
majeur mais peu considéré11.
Les promenades parisiennes : du jardin au boulevard
À Paris, le banc n'apparaît qu'au
XVIIème siècle bien que dès la Renaissance des
sièges étaient installés dans les jardins ombragés
sous des tonnelles12. L'art de la promenade s'est
développé dans les jardins royaux et les premiers bancs sont
installés dans le jardin de la place Royale (place des Vosges actuelle)
comme en témoigne la peinture anonyme « La place Royale, vers 1660.
Passage du carrosse du roi » 13. Dans le jardin des Tuileries,
de nombreux bancs en bois sont installés passant de huit en 1668
à environ deux cents à la fin du siècle14. Dans
le cadre de la promenade, ils participent au jeu social du « voir et
être vu » 15, accessoires de la scène de
théâtre qui se joue par l'acte de la marche,
réservée à une classe sociale mondaine. Les bancs sont
implantés pour servir la circulation, positionnés sur le
côté dans les allées centrales ou dans les
contre-allées afin d'accompagner les déplacements
16.
9 BOURSIER-MOUGENOT Ernest-Jean, 2002, op.cit., p.
75.
10 Association pour l'art urbain, ANTONI Robert-Max (dir.),
ingénieur, architecte et urbaniste, Vocabulaire français de
l'Art urbain, Paris, Certu, 2010, p. 100.
11 JAKOB Michaël, enseignant en théorie et histoire
du paysage, Poétique du banc, Paris, Macula, 2014, p.47.
12 Association pour l'art urbain, ANTONI Robert-Max (dir.),
op.cit., p. 100.
13 RODRIGUEZ TOME Denyse, maître de conférences
en histoire et culture architecturales, «Meubler Paris » in La
beauté d'une ville. Controverses esthétiques et transition
écologique à Paris, Paris, Pavillon de l'Arsenal -
Wildproject Éditions, 2021, p. 171.
14 TURCOT Laurent, professeur et historien, Le promeneur
à Paris du XVIIIème siècle, Paris,
Gallimard, 2007, p. 85.
15 Ibid., p. 56.
16 MALEK Stéphane, étudiant en master II en
recherche, dynamique, développement et aménagement des
territoires, Banc Public un prisme d'interprétation de la
composition de la rue parisienne, mémoire de recherche, Paris,
Université Paris 1, 2011, p. 51.
19
Inconnu, La place Royale vers 1660; passage du carrosse du
roi, peinture à l'huile, vers 1655-1665, ((c) Musée
Carnavalet, Histoire de Paris).
L'essor du banc public hors des jardins est lié
à la création de promenades par la destruction des anciens
remparts à la demande de Louis XIV. Ainsi à la fin du
XVIIème siècle, l'acte de se promener se
généralise à l'ensemble de la population et non plus
à une élite comme cela était le cas dans les jardins
royaux des Tuileries, du Palais Royal du Luxembourg et du Jardin des
Plantes17.
Sous le règne de Louis XIV est entamée la
transformation des enceintes de Charles V ainsi que de Louis XIII, rive droite,
donnant naissance aux Grands Boulevards (Poissonnière, Montmartre, des
Italiens, des Capucines, Saint-Martin, du Temple). L'architecte Pierre Bullet
(1639-1716) les a aménagés en cours plantés avec
une large chaussée et des contre-allées plantées
réalisées de façon irrégulière entre la
Bastille et la Madeleine. Du fait de leur fréquentation croissante, ces
promenades sont redéfinies comme voies urbaines par la
municipalité. Vers 1740, des cafés et des lieux de
divertissement s'installent sur ces boulevards18. Ces derniers se
définissent alors comme « un lieu particulier qui reste un
modèle de référence et un espace d'exception »
19. Les premiers bancs en pierre sont installés entre la
porte Saint-Antoine et la porte Saint-Honoré comme agréments en
1751, commande des instances municipales à Pierre Outrequin
(entrepreneur). On retrouve ainsi l'organisation du jardin par son mobilier
transposé sur la voie publique rendant à la promenade un
caractère d'intimité et d'appréciation du paysage. Le
Chevalier de Jaucourt définit le banc de
17 CASTEX Jean, architecte, «Grands jardins du
XVIIème siècle » in TEXIER
Simon (dir.), professeur en histoire de l'art contemporain et secrétaire
général de la Commission du Vieux Paris (2021), Les Parcs et
les jardins dans l'urbanisme parisien,
XIXème-XXème siècles, Paris,
Action artistique de la Ville de Paris, 2001, pp. 32-40.
18 CHATELET Anne-Marie, architecte, DARIN Michaël,
architecte et docteur en histoire, MONOD Claire, architecte, «Formation et
transformations» in LANDAU Bernard, architecte-voyer de la Ville
de Paris, MONOD Claire, LORH Evelyne (dir)., conservatrice du patrimoine,
Les Grands boulevards. Un parcours d'innovation et de
modernité, Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, 2000, pp.
42-43.
19 LANDAU Bernard, SAINTE MARIE GAUTHIER Vincent, «Espace
modèle et lieu d'exception » in LANDAU Bernard, MONOD
Claire, LORH Evelyne (dir)., Les Grands boulevards. Un parcours
d'innovation et de modernité, Paris, Action Artistique de la Ville
de Paris, 2000, p. 92.
20
jardin tel qu'il n'est rien de « si nécessaire
dans les grands jardins que les bancs : on en souhaiteroit à chaque bout
d'allée. Ils ont des places affectées, telles que les
renfoncements & les niches dans les charmilles, les
extrémités des allées, les terrasses et les beaux points
de vue. [...] On en fait de marbre, de pierre & de bois »
20.
Le boulevard, par effet de miroir avec le jardin, a pour
fonction de favoriser la promenade et ne peut s'apparenter à une rue :
« les bancs, chaises, illuminations et arrosages sont fondamentaux dans la
mesure où ils préservent la fonction récréative du
boulevard en le caractérisant comme promenade publique » 21.
«La promenade du boulevard du Temple du côté de
la porte du Temple», gravure,
in B. Landau, C. Monod, E. Lorh (dir)., Les
Grands boulevards. Un parcours d'inno-vation et de modernité,
Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, 2000,
((c) Collection particulière).
Il s'avère toutefois que les contre-allées,
malgré le fait d'être sablées et gravillonnées, sont
remplies de boue et peu sécuritaires. Les bornes dites «
montoirs» séparant le piéton de la voirie ne sont pas
suffisantes pour empêcher l'accès aux voitures hippomobiles. Par
là même, les trottoirs sont créés, le premier datant
de 1781 rue de l'Odéon, protégeant le passant des
éclaboussures. Cependant la rue reste malsaine. Même après
leurs créations, ils étaient censés canaliser l'eau
pluviale mais les caniveaux font également office
d'égouts22.
Entre 1793 et 1845, les différents services en charge
de la voirie réfléchissent aux aspects techniques et à
leur financement. Les trottoirs se voient dallés de pavés, de
dalles en granit ou en pierre de Château Landon puis de lave d'Auvergne.
Vient ensuite le mastic bitumineux mis en place pour la première fois en
1835 sur le pont Royal23.
Dans une volonté hygiéniste, mais
également d'expansion de la capitale, 180 rues sont
réalisées entre 1810 et 1848 à la demande des
préfets Chabrol (1812-1830) et Rambuteau (1833-1848). En comptant les
places, quais, boulevards, 1.400 voies ont été
aménagées sur 260 kilomètres de long.
20 JAUCOURT (de) Louis, philosophe, «banc de jardin
» in DIDEROT Denis, philosophe, ALEMBERT (d') Jean,
mathématicien et philosophe, Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, tome second, Paris, Briasson,
David, Le Breton et Durand, 1751-1765, p. 55.
21 TURCOT Laurent, 2007, op.cit, p. 159.
22 THEZY (de) Marie, conservateur en chef de la
bibliothèque historique de la Ville de Paris, « Le mobilier
urbain», Paris, Promotion immobilière, n°30, 1976, p.
13.
23 LANDAU Bernard, « La fabrication des rues de Paris au
XIXème siècle. Un territoire d'innovation
technique et politique», Paris, Les annales de la recherche
urbaine, n° 57-58, 1992, p. 26.
21
Concomitamment, le banc se développe, s'installe dans
les rues de la capitale sous la volonté du préfet de la
Restauration au rythme de la création des trottoirs qui passèrent
de 16.000 à 195.000 mètres durant ses fonctions24.
« [...] pour que la population pût se promener plus
commodément, je fis installer des bancs partout où j'en trouvai
la place. Dirai-je qu'alors il n'y en avait pas un seul à Paris tant on
craignait de nuire à la location des chaises? Aussi, quand je voyais
plus tard des hommes lourdement chargés se reposer un instant, des
vieillards se chauffer au soleil leur canne entre les genoux, des mères
faire un brin de causette en regardant jouer leurs enfants, et, le soir, des
familles deviser joyeusement réunies, je passais épanoui, content
d'eux et de moi. » 25
L'installation des bancs en pierre va de pair avec un
dimensionnement des trottoirs, lieux idéaux de la promenade, en
adéquation avec le flux de circulation des piétons. Ainsi, la
dimension des rues devient réglementée par arrêté du
15 avril 1846 où le trottoir représente les
2/5ème d'une rue et complété par
arrêté préfectoral du 5 juin 1856 concernant les boulevards
et avenues26. Les travaux exécutés sous le comte de
Rambuteau sont la préfiguration de ce que Haussmann
généralisera et développera sous le système de
promenades plantées durant le Second Empire.
Le banc Davioud, « accessoire» des promenades
plantées
Napoléon III a intensifié la politique
hygiéniste tant par la construction de nouveaux parcs et de jardins que
par la création de grandes promenades plantées. Cette politique
d'assainissement de l'air parisien concerne la santé, le
bien-être, la détente, la sociabilité et la
convivialité de la population parisienne27.
À ce titre, Haussmann, préfet de la Seine,
nommé de 1853 à 1870, décide de créer le Service
des Promenades et des Plantations. Il nomme à sa tête Adolphe
Alphand, ingénieur des Ponts et Chaussées.
L'originalité des nouvelles avenues
créées réside dans la systématisation d'un
modèle et des typologies variées : terre-pleins centraux,
plantations latérales avec doubles rangées d'arbres. À
cela s'ajoutent des bancs, disposés de façon
régulière entre les arbres. Haussmann indique dans ses
Mémoires qu'il fit « planter d'une rangée d'arbres
en alignement [...] et garnir de bancs comme toutes nos autres promenades, les
trottoirs des voies publiques anciennes et nouvelles d'une largeur minima de
vingt mètres » 28. De plus, tout un ensemble de mobilier
urbain est dévolu à ces aménagements pour lesquels
Haussmann emploie le terme d'« accessoire ». Il nous semble
intéressant de s'attarder sur ce terme démontrant le
côté insignifiant de la chose, de son caractère non
indispensable pour « garnir» les espaces publics.
Le mobilier urbain est dessiné par Gabriel Davioud
(1824-1881), architecte ayant intégré le service dirigé
par Alphand en 1855 après être entré au Service du «
Plan de la Ville» en 1843. Ses principales réalisations en tant
qu'architecte sous Alphand sont les aménagements des bois de Boulogne et
de Vincennes, la modification de la fontaine de la place des Innocents, la
construction de celles des places Saint-Michel, Médicis et Pigalle. Les
théâtres de la place du Châtelet et l'ancien
24 BARTHELOT Claude-Philibert (Comte de Rambuteau),
préfet du département de la Seine, Mémoires du Comte
de Rambuteau publiés par son petit-fils, Paris, Calmann-Levy, 1905,
p. 376.
25 Ibid., p. 377.
26 LANDAU Bernard, 1992, op. cit., p. 27.
27 SAINTE MARIE GAUTIER Vincent, « Pratique et
théorie du système», in TEXIER Simon (dir.),
professeur en histoire de l'art contemporain et secrétaire
général de la Commission du Vieux Paris (2021), Les Parcs et
les jardins dans l'urbanisme parisien,
XIXème-XXème siècles, Paris,
Action artistique de la Ville de Paris, 2001, p.78.
28 HAUSSMANN Georges, LANDAU Bernard, SAINTE MARIE GAUTHIER
Vincent, CHOAY Françoise (dir.), Mémoires, Paris,
éd Seuil - Ministère de la Culture et de la Communication, 2000,
p. 942.
22
palais du Trocadéro font également partie de ses
oeuvres29. Il occupe pour Haussmann le rôle que Visconti avait
auprès de Rambuteau. Il est l'architecte en charge de réaliser
entre 1858 et 1861 l'aménagement monumental des deux accès
à l'île de la Cité30.
Le mobilier urbain de Davioud se compose d'un ensemble
cohérent d'objets présentant une unicité stylistique dans
un esprit d'architecture industrielle. Davioud a développé sa
pensée vers la création industrielle du mobilier qu'il exprime
dans son rapport de 1866 à l'Union Centrale des Beaux-arts
appliqués à l'Industrie dans le cadre de la formation. Il
prône l'amour du beau par « l'étude des formes qui
procèdent de la nature et celles qui puisent leurs moyens d'action dans
une libre fantaisie basée sur l'harmonie des rapports, la grâce
des contours et la séduction de la couleur ». Il publie d'ailleurs
en 1874 L'Art et l'Industrie. Son idéologie vise à
former des « artistes industriels ». Afin d'assoir son propos, il
désigne sous le terme « d'industriel orné» : «
tout produit fabriqué dont l'utilité matérielle est
indiscutable et qui se présente avec la prétention d'être
beau». L'application de ce principe se traduit par une ornementation d'une
grande finesse des mobiliers qu'il a dessinés. Les ornements
n'apparaissent pas superflus pour donner une simple plus-value à l'objet
mais participe bien « à [leur] propre essence » 31.
Émile Hochereau, Émile Dardoize, « Square
des Batignolles - détails», in A. Alphand, Les Promenades
de Paris, Paris, J. Rotschild, (1867-1873),
((c) ENSP).
Le banc dit « banc Davioud», à ne pas
confondre avec le banc gondole également dessiné par Davioud,
mais à destination des jardins et des squares, se veut confortable
contrairement au banc en pierre froide et sans dossier
précédemment installé sous Rambuteau32. Pour
Alphand, le banc Davioud est un « complément obligé de la
voie plantée », et il en dénombre 8.428 avant
187033. Ces bancs sont installés tous les 20 à 50
mètres. On peut en apprécier la disposition dans les planches de
détails au 1/200ème des Promenades de Paris
d'Alphand34. Michèle Jolé, sociologue, analyse
cette composition urbaine où « le couple banc/arbre semble bien la
formule du confort de l'assis en ville» 35.
Alphand garde cette disposition comme incontournable. Ainsi,
dans la lettre qu'il adresse au maire des Batignolles le 24 janvier 1859, il
écrit qu'« il est indispensable si l'on veut arriver à un
ensemble satisfaisant qu'une pensée unique préside aux travaux.
S'il entrait dans vos vues et dans celles du conseil municipal de me charger de
l'exécution des projets, je demanderais, ainsi que cela se fait à
Paris, pour les ouvrages analogues que j'exécute, à être
chargé de la direction de tous les travaux : jardin, fontaine,
grilles... »36.
29 THEZY (de) Marie, «Grandeur du mobilier parisien au
temps du Second Empire » in Le mobilier urbain à Paris,
Cahiers du CREPIF, n°56, p 24.
30 VAULCHIER (de) Claudine, Gabriel Davioud, architecte du
Paris d'Haussmann, cat. exp. (Paris, 4-31 mars 1982), Caisse nationale des
monuments historiques et des sites, Paris, 1982, p. 4.
31 JARASSE Dominique, Gabriel Davioud, architecte du Paris
d'Haussmann, cat. exp. (Paris, 4-31 mars 1982), Caisse nationale des
monuments historiques et des sites, Paris, 1982, p. 15.
32 Ibid, p. 243.
33 ALPHAND Adolphe, 1867-1873, op. cit., p. 246.
34 ALPHAND Adolphe, Les promenades de Paris : histoire,
description des embellissements, dépenses de création et
d'en-tretien des Bois de Boulogne et de Vincennes,
Champs-Élysées, parcs, squares, boulevards, places
plantées, études sur l'art des jardins et arboretum, Paris,
J. Rothschild, 1867-1873, planche voie publique-détails, n.p.
35 JOLE Michèle, sociologue, «Quand la ville
s'invite à s'asseoir - Le banc parisien et la tentation de la
dépose», Paris, Les annales de la recherche urbaine,
n°94, 2002, p. 110.
36 SAINTE MARIE GAUTIER Vincent, «Pratique et théorie
du système», 2001, op.cit., p. 82.
23
Émile Hochereau, Émile Dardoize, « Voies
publiques - détails», gravure, in A. Alphand, Les
Promenades de Paris, Paris, J. Rotschild, (1867-1873),
((c) ENSP).
24
L'apparition de la fonte permet de fabriquer des séries
de mobilier à moindre coût et facilement reproductible. Un banc
revient à dix francs l'unité contre 54 francs pour le banc de
Rambuteau. La fonte a également été choisie pour sa
plasticité esthétique. On parle alors de décor
urbain.37 Son oeuvre en matière de mobilier urbain
répond aux règles strictes donnant à l'ensemble l'harmonie
que l'on peut trouver dans des jardins classiques. Il s'agit d'une «
démarche» normalisatrice officiant à l'implantation du
mobilier urbain dans une uniformité de style38. « Tous
ces éléments-là dans tous les quartiers de la ville font
sens, font globalité, font réseau » 39 tel que le
définit Chiara Santini, historienne des jardins.
Ce banc est composé d'une double assise et d'un dossier
en chêne, de deux piètements en fonte ornementés de motifs
floraux et des armoiries de la Ville de Paris (blason de 1853 avec une nef
à trois mâts), recouvert d'une peinture vert-sapin
renouvelée chaque année40. De nos jours, seule
l'assise a été modifiée. Elle est formée par deux
lattes de bois alors qu'elle était unique à l'époque.
Banc Davioud original, 2023, ((c) Pierre Médecin).
37 SAINTE MARIE GAUTIER Vincent, 2001, op. cit.,
p.79.
38 SANTINI Chiara, professeure d'Histoire des jardins et du
paysagisme, Adolphe Alphand et la construction du paysage de Paris,
Paris, Hermann, 2021.
39 SANTINI Chiara, Davioud Gabriel architecte du mobilier
urbain de Paris sous le Second Empire, Comité d'Histoire de la
Ville de Paris, Théâtre du Châtelet, Paris, avril 2021, min.
41.
40 Ibid, p. 246.
25
Le Cahier des charges et bordereau des prix des
fournitures de fontes et bancs nécessaires aux services de la voie
publique et des promenades de la Ville de Paris du 1er janvier 1881
au 31 décembre 1883 mentionne que « la fonte sera grise,
douce, se laissant aisément travailler à la lime et au burin
[...] le bois sera de coeur de chêne tout en précisant que
l'ingénieur pourra agréer des modèles nouveaux,
présentés par l'entrepreneur » 41.
Pendant le siège prussien, lors du conflit qui oppose
la République issue des cendres du Second Empire et la Prusse, les
arbres, aussi bien dans le bois de Boulogne, les parcs, les jardins et les
squares, sont abattus afin de fournir le charbon nécessaire à
l'armée et à la population. Toutefois, les plus pauvres
n'étant pas suffisamment approvisionnés, des destructions
massives et sauvages des voies publiques sont effectuées par un pillage
du mobilier urbain et des plantations. Les assises et dossiers des bancs
Davioud servaient alors de bois de chauffage42.
À la suite de cette guerre, après l'armistice du
26 janvier 1871 et l'épisode de la Commune de Paris (1870-1871), le
nouveau préfet de la Seine, Léon Say, réorganise les
services techniques administratifs avec la création de la direction des
Travaux en 1871 comprenant deux divisions : celle des Eaux et des Égouts
dirigée par Belgrand et celle de la Voie publique et des Plantations
dirigée par Alphand43. Au sein de cette dernière,
Alphonse Hugé succède à Gabriel Davioud en 1872, ce
dernier nommé « inspecteur général des travaux
d'architecture de la Ville de Paris» un an plus tôt et mis à
la retraite en 187544. En charge du dessin du mobilier urbain,
Hugé reste dans la droite ligne de son prédécesseur.
Jean-Camille Formigé le remplace en 1884 et tente une modification de
couleur des bancs que le Figaro du 26 mai 1884 qualifie de « petite
révolution». Le vert-sapin du banc est remplacé par un
« saumon foncé» et les montants de fonte en « gris argent
»45. L'expérience ne sera pas
réitérée.
41 THEZY (de) Marie, Paris la rue. Le mobilier urbain
parisien du second Empire à nos jours à travers les collections
photographiques de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris,
Paris, Société des Amis de la Bibliothèque
Historique, 1976, p. 35.
42 SANTINI Chiara, 2021, op. cit., p. 125.
43 Ibid, p. 130.
44 Ibid, p. 165.
45 THEZY (de) Marie., 1976, op. cit., p. 36.
27
ÉVOLUTION ET DIVERSIFICATION TARDIVE VERS LA FIN
DU XXÈME SIÈCLE Une composante du mobilier
urbain
Le banc parisien, du statut d'« accessoire » de
voirie selon Haussmann, devient un élément du « mobilier
urbain» : expression qui regroupe les candélabres, kiosques,
vespasiennes, signalisation routière, mobilier de dissuasion, poubelles.
Il semble difficile de s'accorder sur la date d'apparition de ce terme. Selon
certains chercheurs, il aurait été employé dès les
années 1950 pour « désigner les objets légers et
déplaçables, mais non mobiles, qui [...] complètent
l'ensemble des immeubles et de la voirie pour la commodité et le confort
extérieur des habitants » 46. Pour d'autres, cette
formulation serait issue de la production à grande échelle par JC
Decaux. Après Davioud, initiateur du mobilier urbain, l'industriel en
aurait impulsé le second avènement cent ans plus tard
47.
Michel de Sablet, architecte, préfère le terme
de « composant urbain», l'expression « mobilier urbain»
conférant à son avis un caractère statique. Il
précise que « ce n'est pas un équipement destiné
à être posé sur un territoire communal, mais comme un outil
d'aménagement de l'espace collectif dont l'assemblage avec d'autres
permet de mettre en scène cet espace». Par cette définition,
il désigne le banc comme élément servant à de
nombreux usages autres que celui de s'assoir48.
Diversification des modèles
Alors que le nombre de bancs entre le Second Empire et 1960
avait baissé à environ 6.000 exemplaires selon le
témoignage du préfet Benedetti49, un nouvel essor
s'engage à compter des années 1980 où la place du
piéton reprend ses droits dans une politique de mobilité. En
effet, jusqu'au milieu des années 1970, une place
prépondérante avait été donnée à
l'automobile, la rue lui étant dévolue au détriment du
piéton par un élargissement de la chaussée. La
priorité était à la fluidification du trafic
routier50.
Dans les années 1960 et 1970, le mobilier urbain est
hétéroclite et lié aux processus d'un urbanisme
moderniste. À compter des années 1980, s'agissant de
l'aménagement des espaces publics, la Ville de Paris fait de plus en
plus appel à des concepteurs extérieurs, bien que cela ne
concerne le plus souvent que les parcs et les jardins. Les projets sont issus
d'une réflexion de l'Atelier Parisien d'Urbanisme (APUR), bureau
d'études et de conception pour l'amélioration de l'espace urbain
parisien. La coordination de la conception, quant à elle, est
assurée par le Service Espace Public dépendant de la Direction de
l'Aménagement, de l'Urbanisme et de la Construction.
46 CHOAY Françoise, historienne des théories et
des formes urbaines et architecturales, MERLIN Pierre, géographe,
Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, Paris, PUF,
2009, p. 469.
47 BARBAUX Sophie, paysagiste DPLG, Objets urbains. Vivre la
ville autrement, Paris, ICI Interface, 2010, p. 15.
48 BOYER Annie, architecte DPLG, DEBOAISNE Diane, architecte
DPLG, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, directrice du CAUE 78, Le mobilier urbain
et sa mise en scène dans l'espace public, Montigny-le-Bretonneux,
Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement des Yvelines, 1990, p
10.
49 THEZY (de) Marie, 1976, op. cit., p. 36.
50 BLAIS Jean-Paul, sociologue et urbaniste, «Bancs de
service public», Paris, Architecture, n°240,
supplément, Société d'éditions architecturales,
2015, p. 19.
28
Certaines rues sont équipées de bancs qui leur
sont propres. C'est le cas de la rue du Docteur Finlay (15ème
arrondissement) dont Michel de Sablet crée le mobilier en 1980. Il
s'agit d'éléments préfabriqués en briques pour les
pieds et en bois pour l'assise. L'architecte a également
décliné sa propre ligne de mobilier urbain, le Mobitube,
système tubulaire permettant de multiples combinaisons. L'architecte
Alain Sarfati, quant à lui, dans le cadre de l'amé-nagement en
1995 de la ZAC Manin-Jaurès (19ème arrondissement) a
créé un mobilier sur mesure dans une vision d'accumulation, de
superposition des actions. Toutefois, les éléments sont fragiles
et difficiles d'entretien51.
|
|
Mobilier urbain de Michel de Sablet, Rue du Docteur Finlay,
Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).
|
Banc Wilmotte,
Avenue des Champs-Elysées, Paris, 2023, ((c) Pierre
Médecin).
Un projet majeur, celui du réaménagement de
l'avenue des Champs-Élysées en 1989, a vu naître une ligne
de mobilier urbain dessinée par Jean-Michel Wilmotte dont un
modèle de banc. La réussite du projet réside dans
l'échange qu'il y a eu entre Wilmotte et Bernard Huet architecte et
concepteur de l'aménagement de l'en-semble aussi bien en matière
de design que d'implantation, sous couvert de la validation par la Mairie de
Paris52. L'emploi de matériaux traditionnels pour le banc, la
fonte et le bois associés à l'aluminium reste en cohérence
avec l'avenue, faisant le lien entre le passé hauss-mannien et la
modernité 53.
Le banc double Davioud a lui aussi fait l'ob-jet de
transformations. Il a été simplifié en 1993 par
l'architecte Hofmann. De plus, un modèle de banc simple a
également été créé. Ce mobilier reste
facilement reproductible, aussi bien les lattes de bois que les
piètements en fonte dont la Ville de Paris est propriétaire des
moules. Il fait l'objet de marchés à bons de commandes avec
divers fondeurs. Le Centre de Maintenance et d'Approvisionnement (CMA) est
chargé de la
gestion et de l'entretien de l'assise en bois du banc. 1200
planches en bois (assises et dossiers
confondus) font l'objet d'une rénovation ou d'une
fabrication annuelle, dont 90% sont recyclées54.
51 . BOYER Annie, architecte DPLG, DEBOAISNE Diane, architecte
DPLG, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, directrice du CAUE 78, Le mobilier urbain
et sa mise en scène dans l'espace public, Montigny-le-Bretonneux,
Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement des Yvelines, 1990, p.
11.
52 . MOLINER Charles, « Les Champs-Élysées
» in Le mobilier urbain à Paris, Paris, Cahiers du CREPIF,
1996, n°56, p. 79
53 . WILMOTTE Jean-Michel, architecte DPLG, Architecture
intérieure des villes, Paris, Le Moniteur, 1999, p. 144.
54 . PRALIAUD Claude (dir.), 10 ans de mobilier urbain,
Paris, Mairie de Paris, 2013, p. 99.
29
Enfin, bien qu'il s'agisse là d'un projet
destiné à la banlieue parisienne, à l'image de Gabriel
Davioud, Alexandre Chemetoff, architecte et paysagiste, dans le cadre de la
création de la ligne de tramway de Saint-Denis à Bobigny
(1990-1993), a créé une gamme de mobilier urbain qui
répond aux mêmes critères que ceux voulus par l'architecte
du Second Empire. Sa forme réinterprète celle du mobilier
parisien : une gamme cohérente, en fonte, reconnaissable par ses
couleurs bleues et vertes, à moindre coût où les moules en
fonte sont conservés par obligation contractuelle55.
Ligne de tramway Saint Denis - Bobigny in A. Boyer, D.
Deboaisne, E. Rojat-Lfevbre, Le mobilier urbain et sa mise en scène
dans l'espace public, Montigny-le-Bretonneux, CAUE, 1990,
((c) Alexandre Chemetoff & Associés).
Des expérimentations peu comprises par les
usagers
En 2013, la Mairie de Paris publie 10 ans de mobilier
urbain qui relate la politique de la ville dans ce domaine depuis 2002.
Julien Bargeton, alors adjoint au maire de Paris, chargé des
déplacements, des transports et de l'espace public, précise que
la Ville de Paris a souhaité mettre en place des expérimentations
fin 2012, et ce pour une durée d'un an, de douze modèles de
bancs, tabourets et chaises installés sur les Grands Boulevards. Ce
projet est à l'initiative de la Direction de l'Urbanisme. La Ville de
Paris envisage le rapport du piéton à l'espace public comme s'il
était chez lui, dans un environnement intimiste56. Les
habitants pouvaient s'exprimer concernant ces modèles sur le site
www.paris.fr pour
éventuellement enrichir la gamme actuelle de bancs. Ceci devait
permettre dès lors d'écrire de nouveaux cahiers des charges pour
des assises inédites57.
55 . BOYER Annie, DEBOAISNE Diane, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth,
1990, op. cit., p. 6.
56 PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p.3.
57 Ibid., p.99.
30
Marc Aurel, designer, dans ce même document, prend
position quant au mobilier urbain contemporain qui doit se détacher du
modèle haussmannien. L'implantation du banc doit être «
réinterprétée en fonction des lieux, des espaces et de
l'évolution des usages». Le mobilier urbain doit s'inscrire
à Paris entre histoire et modernité58.. C'est
également l'avis de Jérôme Courmet, maire du
13ème arrondissement depuis 2007, qui souhaite une
installation de chaises en lieu et place de bancs dont le rôle d'assise a
été détourné59.
Berges de la Seine, Paris, 2021, ((c)
www.paris.fr).
C'est dans cet esprit que l'aménagement des berges de
la Seine en 2013 offre l'oppor-tunité d'en faire un lieu
d'expérimentation. Les habitants deviennent acteurs de
l'évolution de l'espace public. Les quais deviennent un lieu de
promenade aussi bien pour les piétons que pour les usagers de moyens de
déplacement du type vélos et rollers. Le choix du mobilier se
veut adapté aux usages, mais également à la dynamique des
berges, que ce soit par l'organi-sation d'événements ou
simplement soumis au risque des crues60. L'APUR reconnaît lors
du projet d'aménagement que le choix des bancs en bois de chêne
dits « bancs Mikado» est perçu comme une «
incongruité » 61. Ils ont été dessi-
nés par l'architecte Franklin Azzi qui fait partie du
groupement de maîtrise d'oeuvre du projet. Azzi a eu pour principe de
dessiner un mobilier pouvant être redisposé afin de
répondre aux usages spor-
tifs, événementiels et culturels. « La
simplicité du Mikado, de son matériau, de sa forme, de son
assemblage participe à une ambiance conviviale » 62. En
complément de ces bancs sont également installés des
madriers en chêne. Des emmarchements démontables servant tour
à tour d'assises ou de scènes ont été construits
sur le port de Solferino et sur l'archipel du port du Gros
caillou63.
Alors que les bancs Mikado n'étaient destinés
à l'origine qu'à l'aménagement des berges de la Seine, la
Mairie de Paris a décidé de son propre chef de les installer sur
la place de la République sans consulter la Commission de Mobilier
Urbain (CMU) chargée des choix et installation de mobiliers. Depuis les
années 1970, es bancs, disposés en bordure de la place, servaient
d'obstacles contre les voitures béliers. Leur manque d'entretien a fait
l'objet de polémiques par l'intermédiaire des réseaux
sociaux en 2020. Ceci a été un élément
supplémentaire motivant la reprise de contrôle par la Mairie de
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Place de la République, Paris, 2020, ((c) G.
Freihalter).
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58 AUREL Marc, designer, « De la ville à
l'objet» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p.
31.
59 COUMET Jérôme, mairie du
13ème arrondissement, « De la ville à
l'objet» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p.
61.
60 ALBA Dominique, architecte, PELLOUX Patricia, directrice
adjointe de l'APUR, «Mobilier urbain et aménagement des
berges» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op.cit., p.
69.
61 ALBA Dominique, PELLOUX Patricia in PRALIAUD Claude
(dir.), 2013, op.cit., p. 70.
62 AZZI Franklin, architecte, Berges de Seine [75],
Paris, dossier de presse, 2013, p. 7.
63 ALBA Dominique, PELLOUX Patricia in PRALIAUD Claude
(dir.), 2013, op. cit., p. 71.
31
Paris concernant le choix du mobilier urbain par la
création en 2022 d'une nouvelle entité administrative :
la Commission de Réhabilitation de l'Espace Public (CREP). Pour
mémoire, le collectif sur twitter, #saccageparis, dénonce
quotidiennement les choix, les implantations et l'entretien du mobilier urbain
en ville, relayé par l'opposition municipale. Ces critiques sont
également alimentées par Didier Rykner, historien de l'art,
directeur de la rédaction de la Tribune de l'Art64
et auteur de La disparition de Paris.
En avril 2021, la mairie affirme que « la Ville
de Paris subit une campagne de dénigrement via #saccageparis »
65, propos appuyé par Anne Hidalgo dans son interview sur
France 2 lors de l'émis-sion les 4 vérités
le 15 avril 202166. En juillet de la même
année, Emmanuel Grégoire admet que ces critiques, bien que
virulentes, ont permis de « aiguillonner et stimuler»
l'administration pour « aller plus vite», ajoutant que « ce qui
irrite #saccageparis nous irrite aussi » 67. Il annonce qu'une
opération de démontage des mobiliers urbains est prévue
à l'automne 2021 concernant 150 petits bancs de type «
champignon» (ndla : expérimentations installées sur les
Grands Boulevards en 2012)68. A ce propos, en juin
2022, Quentin Divernois, un des initiateurs de #saccageparis affirme
dans Le Monde qu'aucun bilan n'a été fait concernant ces assises
sur les Grands Boulevards depuis 10 ans. Les bancs dissemblables étaient
toujours présents69. Nous avons contacté la Mairie de
Paris qui nous a informé que leur dépose s'effectuerait courant
2023.
Les bancs Mikado de la place de la République sont
enlevés en août 2022. Ils ont été
remplacés par des bancs granit70. De plus, 17 bancs
historiques modernisés type Davioud sont désormais
répartis sur la place.
Place de la République, Paris, 2023, ((c) Pierre
Médecin).
64 RYKNER Didier, «Mobilier urbain: les mensonges de la
Ville de Paris», La Tribune de l'art [En ligne], 23/05/2021.
65 BOUVIER Pierre, « #Saccageparis, un hastag qui relance
le problème récurrent de la propreté de la capitale»,
Le Monde - Billet de Blog [En ligne], 05/04/2021.
66 France Télévision, Les 4
vérités, émission télévisée,
France, 15 avril 2021, 2min18s.
67 CAZI Émeline, COSNARD Denis, 2022, «Paris
entame un grand tri dans son mobilier urbain», Le Monde [En
ligne], 15/06/2022, mis à jour le 15/06/2022.
68 COSNARD Denis, « A Paris, Anne Hidalgo va retirer les
mobiliers urbains les plus contestés», Le Monde [En
ligne], 05/07/2021, mis à jour le 08/07/2021.
69 CAZI Émeline, COSNARD Denis, op. cit.
70 BAVEREL Philippe,« « Les Mikado étaient
horribles! » : les bancs Davioud font leur grand retour sur la place de la
République», Le Figaro [En ligne], 15/08/2022.
32
Les années 2020, une politique liant histoire
haussmannienne et modernité
À l'aube du deuxième mandat d'Anne Hidalgo comme
maire de Paris en 2020 et suite aux écueils des
expérimentations entre 2014 et 2020, la ville a
souhaité revoir les règles d'urbanisme en matière
d'esthétique. L'objectif est de fournir Un manifeste pour une nouvelle
esthétique parisienne avec des principes applicables aux nouveaux
mobiliers urbains, comme l'indique Emmanuel Grégoire en septembre
2021 dans sa feuille de route. Ce dernier précise que cette
réflexion a comme objectif de faire des Parisiens les acteurs de leur
ville et non des figurants dans une cité figée dans son histoire
haussmannienne. « Si on enferme la ville dans le référentiel
haussmannien, c'est un Paris de touristes que l'on bâtit »
71. C'est ainsi que lors de la conférence de presse du 20
novembre 2020, le premier adjoint au maire a annoncé le
dispositif mis en place pour établir le Manifeste pour une nouvelle
esthétique parisienne72.
En préparation de ce document, l'APUR a organisé
en 2021 sept ateliers73 : Rénovation urbaine et
quartiers populaires; Le genre dans l'espace public; Esthétique du
sport; Nouveaux enjeux de végétalisation et de mobilité;
Enjeux esthétiques de la mémoire et de la culture;
Accessibilité dans l'espace public; Esthétique de la nuit.
Dans le cadre de l'atelier consacré aux enjeux
esthétiques de la mémoire et de la culture, Dominique Alba,
directrice générale de l'APUR, précise que : « Paris
est une ville de mémoire et de culture et l'espace public est
particulièrement impacté par cette histoire. L'espace public
parisien est une réalité puissante mise en place au
XIXème siècle, avec un vocabulaire [...] »
74. Carine Rolland, adjointe à la maire de Paris
chargée de la culture et de la ville du quart d'heure, ne pouvant
être présente, a fait parvenir une contribution écrite
abordant notamment le mobilier historique et le caractère
hétérogène de l'espace public. Elle propose dès
lors, afin de respecter l'identité parisienne, la création d'une
nouvelle charte de design des mobiliers urbains75.
|
Paris Manifeste pour la beauté - les objets, Ville de
Paris, 2022, ((c) Mairie de Paris).
|
En prenant en compte ces réflexions, la Mairie de Paris
publie en juin 2022 le Manifeste pour la Beauté dont
le tome III est consacré au mobilier urbain. Il détaille quelques
modèles de bancs existants (liste non exhaustive) tout en mentionnant,
outre les descriptions techniques, le contexte historique et les usages. Le
banc Davioud est bien dissocié du banc historique modernisé. Ce
dernier, outre l'aspect esthétique le différenciant du banc du
Second Empire, peut être installé non plus uniquement dans
l'aligne-ment des trottoirs mais également perpendiculairement à
celui-ci pour créer des espaces de « face à face»
76, comme l'avenue de la République.
71 COSNARD Denis, « Bientôt un grand débat
sur l'esthétique de Paris», Le Monde [En ligne],
05/10/2020, mis à jour le 05/10/2020.
72 Ville de Paris, Manifeste pour une nouvelle
esthétique parisienne, Paris, dossier de presse, 2021, 36 p.
73 APUR, Synthèse des sept ateliers pour une
connaissance partagée de l'espace public - contribution au manifeste de
la nouvelle esthétique parisienne, Paris, Atelier Parisien
d'Urbanisme, 2021, 122 p.
74 Ibid., p. 65.
75 Ibid., p. 83.
76 Mairie de Paris, Paris Manifeste pour la beauté -
les objets, Paris, Ville de Paris, 2022, pp. 8-14.
33
Concomitamment, l'APUR édite un Atlas du mobilier
urbain parisien détaillant le nombre, le type et l'implantation des
bancs. Ainsi,on dénombre 8.593 bancs et assises sur voies publiques. La
majorité est installée sur des trottoirs d'au moins 9 m de large
ainsi que sur les places, placettes, berges. L'APUR précise qu'un
recensement des bancs « Davioud» est en cours et fera l'objet d'une
prochaine publication77. Les prémices de cet inventaire ont
été dévoilées lors de l'exposition La
beauté d'une ville en 2021 au Pavillon de
l'Arsenal78.
«Les bancs et banquettes» in Atlas du mobilier
urbain parisien, Paris, Atelier Parisien d'Urbanisme, 2022, ((c) APUR).
Un marqueur de la capitale
La Mairie de Paris a compris que le banc historique est
porteur de significations et d'un imaginaire qui dépasse l'objet
lui-même. « Au fil des siècles [le banc] est par sa forme et
son emplacement le reflet culturel de l'évolution des civilisations et
des sociétés » 79.
Nous verrons comment l'art et la représentation sur
différents médiums ont participé activement à
l'établissement du marqueur dans l'imaginaire collectif.
Les entretiens permettront d'assoir ces constats par une prise
de conscience récente de la Mairie de Paris qui en a fait depuis peu un
élément moteur de sa politique.
77 APUR, 2022, op. cit., p. 45.
78 PELLOUX Patricia, « Un inventaire dessiné du
mobilier urbain » in La beauté d'une ville. Controverses
esthétiques et transition écologique à Paris, op.
cit., pp. 304-305.
79 BARBAUX, 2010, op. cit., p. 21.
34
Arts et iconographies
S'agissant du banc parisien, l'image d'Épinal est celle
du banc Davioud, et ce depuis sa création. Paris s'invite dans
l'imaginaire de tout un chacun à la vue de l'assise historique.
Dans la première partie du XXème
siècle, de nombreuses affiches et prospectus publicitaires font
réclame pour des produits et services de sociétés
parisiennes. Là encore, Paris n'est pas expressément citée
mais la référence est claire. Les entrepreneurs semblent
attachés à leur implantation parisienne et le banc sert
parfaitement la cause. Faire mention du banc, c'est faire penser à
Paris, capitale dénotant les notions de qualité et
d'excellence.
|
|
((c)
www.delcampe.net).
|
Outre celles-ci, Paris est considérée comme la
capitale de l'amour. Les arts la célèbre sans forcément la
nommer mais simplement en évoquant le banc Davioud. Dans le registre
musical, Georges Brassens dans Les amoureux des bancs publics fait
mention de la couleur caractéristique dudit banc. « Les gens qui
voient de travers pensent que les bancs verts » 80. Dans
l'univers de la photographie, nous pouvons citer entre autres Robert Doisneau,
René Jacques, Brassai ou encore Sabine Weiss. S'agissant de la peinture,
le banc Davioud associé aux autres marqueurs de mobilier du Second
Empire suffit à évoquer Paris.
Sabine Weiss, Regard profond, photographie, 1985, ((c) Sabine
Weiss).
80 BRASSENS Georges, Les Amoureux des bancs publics,
Polydor, 1953.
35
Le cinéma et les fictions
télévisées, français ou étrangers, sont le
reflet de cette transcription de Paris, un Paris historique dont l'histoire
aurait débuté au Second Empire et qui fait toujours sens. C'est
le Paris retranscrit par le film « Le Fabuleux destin d'Amélie
Poulain» (2001) de Jean-Pierre Jeunet, le Paris de Woody Allen. Le banc
assoit cet imaginaire comme en témoigne la série Emily in
Paris où la protagoniste est filmée en plan rapproché
assise sur des bancs Davioud81. De plus, de nombreuses scènes
ont été tournées place de l'Estrapade
(5ème arrondissement). Le square de la place est
agrémenté de quatre bancs Davioud où se rendent
les touristes pour photographier le lieu de vie d'« Emily ».
L'inconscient entre films et réalité concourt ensuite à
retranscrire cet imaginaire parisien.
Emily un Paris, saison 2, épisode 9, 2022,
((c) Darren Star productions).
Place de l'estrapade, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
Tous ces élements concourent, par le banc Davioud entre
autre, à pénétrer l'imaginaire de tout un chacun si bien
que la seule vision du banc induit le reflexe de la pensée à la
ville Lumière.
Une vision commune par l'ensemble des acteurs de
l'espace public
Le dossier de presse de novembre 2021, distribué lors
de la conférence d'Emmanuel Grégoire relative au Manifeste
pour une nouvelle esthétique parisienne, affirme que le mobilier
urbain historique, dont le banc Davioud fait partie, est un marqueur du paysage
parisien. D'ailleurs, suite à la concertation des Parisiens qui a
contribué à établir ce document, le chapitre concernant le
patrimoine historique fait part d'un témoignage issu de cette
concertation. « Le mobilier de la fin du XIXème
siècle est unique et est un élément de la
personnalité de la ville et est un marqueur identitaire. Il est le
témoin de son Histoire, un classement Monuments historiques ou
Patrimoine mondial reconnaîtrait ce statut et le protègerait
» 82.
Dans la continuité de cette idée, Emmanuel
Grégoire dans la préface de La beauté d'une ville
mentionne que le mobilier installé sur les promenades
plantées d'Alphand relève de la « grammaire urbaine» de
la capitale à l'instar des trottoirs, des arbres d'alignement pour
n'évoquer que l'espace public. Tout ceci contribue à créer
une « approche globale du paysage de la ville» par le dessin et ses
composants urbains. D'ailleurs, il précise qu'il ne saurait être
question d'abandonner ces mobiliers auxquels les Parisiens sont
attachés.83
81 FLEMING Andrew, Emily in Paris, 2021, série
télévisée couleur, Etats-Unis d'Amérique, Darren
Star productions, Jax Media, MTV Entertainment Studios, saison 2,
épisode 9.
82 Mairie de Paris, Manifeste pour une nouvelle
esthétique parisienne, 2021, op. cit., p. 7.
83 GRÉGOIRE Emmanuel, «Comment penser et
créer une nouvelle esthétique parisienne?» in La
beauté d'une ville. Controverses esthétiques et transition
écologique à Paris, 2021, op. cit., p. 17.
36
Les différentes discussions, tous acteurs confondus,
permettent d'aboutir à une convergence de vue quant à la
qualification du banc Davioud. Nous l'interprétons à travers le
terme « marqueur» qui revient souvent dans les entretiens bien que la
question initiale soulevait la valeur de géosymbole. Joël
Bonnemaison, le premier à avoir défini ce terme en 1981 dans le
cadre d'une mission au Vanuatu84, le conçoit comme « une
structure symbolique d'un milieu, d'un espace [...] il balise le territoire et
le charge de significations : monuments, statues, calvaires... Nous ne sommes
pas là dans le domaine de la fonction mais dans celui du signe »
85. Cette définition semble dépasser l'objet
lui-même qui ne saurait être considéré comme
l'identité d'une culture, notamment au regard de la diversité de
populations et des quartiers de Paris. Compte tenu de ce qui
précède, nous pourrons alors assimiler le terme de
géosymbole à celui de marqueur au fil des entretiens pour
éviter toute confusion dans la poursuite de la lecture.
Michèle Zaoui précise que le banc Davioud ne
conforte pas uniquement le Parisien dans son identité mais
également le visiteur. Il permet comme d'autres éléments
emblématiques créés
Colonne Morris, place de l'Hôtel de Ville, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
par Davioud (grilles d'arbres, candélabres) ainsi que les
colonnes Morris et les entrées de métro Guimard, de
démarquer Paris des autres grandes métropoles internationales.
« C'est un marqueur et encore une fois, avec tout ce que je lis, que je
pratique sur la ville contemporaine, c'est vraiment extrêmement important
de se dire : « on a des marqueurs de l'identité, on sait, on
reconnaît. » À ce titre, elle insiste sur l'uniformité
des grandes villes à pouvoir s'individualiser : « les
métropoles aujourd'hui se ressemblent énormément, et
notamment via le commerce franchisé, c'est vraiment là-dessus
qu'on doit être très attentif. »
Pour assoir ce particularisme parisien, bien que le code des
marchés publics implique le renouvellement des colonnes Morris, la
Mairie de Paris a souhaité qu'« elles ne soient pas
modifiées de façon importante. C'était la première
fois que cela était fait avec un mobilier urbain. Nous nous sommes dit
que le combo composé de la colonne Morris, du banc Davioud et de
l'entrée de métro Guimard arrivait vraiment à former une
espèce de trilogie où tout d'un coup [...] on était
géolocalisé et on se disait : on est à Paris, c'est
important.»
À la question de savoir si le banc Davioud est un
géosymbole de la capitale, Benjamin Le Masson
répond par l'affirmative. Il prend également pour
exemple les entrées de métro de Guimard qui ont été
copiées dans les pays asiatiques et aux États-Unis, les plans
étant tombés dans le domaine public. « Oui, pour moi on sait
qu'on est à Paris ou alors en effet ça peut vous rappeler Paris
comme la tour Eiffel. C'est une signature de Paris.» Il rajoute que le
banc Davioud au même titre que la colonne Morris, la borne de trottoir en
granit, le feu tricolore « tuyau de poêle» et la grille
d'arbres font partie « du vocabulaire historique, iconique de Paris»
et les qualifie également de « faire-valoir». Il explique
84 BONNEMAISON Joël, «Voyage autour du
territoire», Paris, L'Espace géographique, n°4, 1981,
pp. 249-262.
85 BONNEMAISON Joël, La géographie culturelle
- cours de l'université Paris IV Sorbonne (1994-1997), Paris,
C.T.H.S., 2004, p. 42.
37
que, depuis quelques années, après
différentes expérimentations « plus ou moins heureuses'>
lors de la précédente mandature (2014-2020), il y a eu un «
un retour de bâton ; les réseaux sociaux et l'organisation
d'influenceurs de #saccageparis [y ayant contribué]. Mais je pense qu'il
est difficile de contourner cette image patrimoniale historique de Paris.'>
Il avoue qu'initialement il n'était pas forcément favorable
à ce retour au passé, mais que « ça s'impose à
soi. Mais de mon point de vue, il ne faudrait pas qu'on oublie en effet qu'on
puisse introduire une certaine modernité.'>
Lily Munson s`accorde à dire que le
banc Davioud peut être considéré comme un
géosymbole. Elle relate, à ce titre, une expérience
vécue avec Emmanuel Grégoire quant à cette impression
d'appartenance à la capitale par l'observation de l'espace public.
« Où que nous soyons dans Paris, nous avons fermé les yeux
puis en regardant à nouveau de se dire quel est le premier objet qui
nous frappe afin de se sentir à Paris? C'est un jeu très
drôle parce que justement ça nous permettait d'identifier quels
étaient les marqueurs où on disait tout de suite : je suis
à Paris.'> Elle précise que le banc n'était pas que le
seul marqueur. On peut ajouter la grille d'arbre et d'autres encore comme la
colonne Morris, la fontaine Wallace, l'entrée de métro de
Guimard. « Toutefois, le banc fait bien partie de ce particularisme par
son implantation en alignement entre deux arbres. [...] Ce banc, où que
l'on soit dans le monde, je pense qu'il aurait cette identité
parisienne.'>
Fontaine Wallace, boulevard du Palais, Paris, 2023,
Édicule Guimard de la station Cité, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin). ((c) Pierre Médecin).
Elle estime que cette identité est essentielle pour les
Parisiens, identité à laquelle ils peuvent se raccrocher. Du fait
de la pression démographique journalière par l'afflux de
touristes, le Parisien se sent « pressurisé'>. Toutefois, cette
pression reste acceptable par l'habitant qui, par l'image
véhiculée par les bancs Davioud, se sent « fier de la
beauté et du capital symbolique et historique de ce que ça
charrie. Je pense que c'est un sujet majeur d'acceptabilité de la
densité, de vivabilité de la ville d'avoir ces marqueurs qui sont
le symbole d'une histoire, le symbole d'un patrimoine. Le mobilier a en
ça une charge affective énorme. [...]. C'est un
élément d'identité immédiate. Le banc est LE
mobilier auquel tout le monde a accès. C'est très rare car, en
fait il y a très peu de services qui sont aussi accessibles à
tous et donc d'éminemment appropriables. '>
86 . LEFRANÇOIS Carole, « Jean-Christophe Choblet,
l'urbaniste aux idées bien en place»,
Télérama, [en ligne], mis en ligne le 06/01/2018,
modifié le 08/12/2020.
38
Jean-Christophe Choblet, du fait de son
parcours professionnel avec par exemple la création de Paris-Plages en
2013 et bien que travaillant à la Mairie de Paris possède une
opinion forte et engagée quant à l'aménagement de l'espace
public parisien. Il avait déclaré en 2018 dans
Télérama86 : « Le Paris haussmannien, c'est le
cercueil de chacun. On tue une ville avec les pesanteurs de son patrimoine. Il
n'y a rien de pire qu'une ville musée qui recule devant la
modernité.»
Il est actuellement responsable de la nouvelle
esthétique, de l'urbanisme transitoire et de l'acti-vation des
territoires. Sa vision reste toujours dans cette droite ligne, mais il
relativise quand il s'agit de parler du banc Davioud. « C'est un marqueur
esthétique, mais aussi un marqueur d'une forme de mémoire
collective parisienne qui est très puissante comme d'ailleurs les
entrées de métro Guimard. Je pense que c'est suffisamment
intéressant pour voir comment le design a pu évoluer dans le
mobilier urbain ces derniers temps, que ça soit Marc Aurel ou
Jean-Michel Wilmotte qui reprennent des courbes déjà
présentes dans ces mobiliers-là. C'est une façon plus
contemporaine, mais c'est une réinterprétation malgré tout
d'une forme qui est quand même dans un art très floral de
l'époque.»
Antoine Santiard, quant à lui, estime
le mot géosymbole trop fortement connoté. « C'est un banc
qui fait tellement partie du paysage quotidien que les gens ne le voient plus,
c'est un peu comme la tour Eiffel. Les gens ne se posent plus la question de
savoir si c'est beau ou pas beau. Dès qu'on voit ça, on se dit
que c'est Paris. Ça participe de l'écriture que tout le monde, je
pense, a acceptée au fil du temps. [...] Si on le leur met sous le nez,
je pense que ça participe à l'esthétique parisienne et
à la reconnaissance. » Il prend l'exemple des films où la
présence d'acteurs assis sur ce type de banc induit dans l'imaginaire de
chacun qu' « on sait que ça se passe à Paris. »
Emma Blanc, elle, définit le banc
Davioud comme une véritable esthétique. « C'est une vraie
identité de Paris. Ça marque aussi une époque en fait. [Ce
banc] est très lié à son histoire, au
XIXème siècle. Par conséquent, je crois que
c'est un marqueur d'une époque dans Paris. À ce titre, c'est
intéressant d'avoir sa présence dans l'espace public, les parcs,
à certains endroits, mais qu'au-jourd'hui sa présence n'est pas
forcément justifiée partout. »
Du fait de la diversité de la population à
Paris, par cette mixité sociale, Emma Blanc pense que le banc Davioud ne
peut pas être défini comme un élément fort du
paysage urbain de la capitale pour ses habitants. « Ce n'est pas
uniquement que ce banc qui peut faire penser à Paris. C'est l'ensemble
de ce mobilier en fonte qui a été pensé en fait. À
l'époque, on concevait tout de A à Z. » Elle a plutôt
l'impression que cela identifie Paris davantage aux « populations externes
à Paris qui ont besoin de s'en faire une représentation, [...]
que c'est un côté touristique aujourd'hui. [...] Si je
résume, en prenant l'exemple du banc, si on le voit à Tokyo, on
pense à Paris. [...] Il est quand même suffisamment puissant pour
évoquer quelque chose aux personnes qui ne connaissent pas ou qui n'ont
pas vu Paris.»
Pour Mathieu Gonthier, le banc Davioud est
effectivement un géosymbole de la capitale au même titre que la
grille d'arbres, les candélabres, les kiosques « que tout le monde
a l'habitude d'associer symboliquement à Paris, comme d'ailleurs
certaines bouches de métro dans le style Art déco. » Leur
emploi dans l'espace public est « à manier avec précaution
parce que si aujourd'hui un arbre peut être considéré comme
patrimonial, alors le mobilier a toute légitimité à
l'être aussi. » Il concède que tous ces mobiliers peuvent
être revisités de façon contemporaine, mais que, toutefois,
« sans parler de muséification, [il est important] de garder
quelques jalons de repères. C'est presque aussi emblématique
quand on parle de géosymboles que certains monuments parisiens.
»
39
David Rykner joue un rôle actif sur
Twitter commentant régulièrement la politique
d'aména-gement de l'espace public de la Ville de Paris sous le couvert
du #saccageparis. Il défend le banc Davioud comme l'un des symboles de
la capitale. Toutefois, il ne l'enferme pas dans une patrimo-nialisation mais
comme élément du patrimoine qu'il convient de respecter. «
Les bancs Davioud font partie du patrimoine historique de Paris et si les gens
viennent à Paris, si les touristes viennent à Paris, ce n'est
sûrement pas pour s'asseoir sur les bancs hidalguiens. [...]. D'ailleurs,
il n'y a qu'à voir dans les films américains sur Paris ou si vous
allez dans les parcs à thème américain, il est bien rare
qu'il n'y ait pas un banc Davioud.»
Ce banc fait bien partie du vocabulaire urbanistique de la
capitale. Il ne peut être dissocié des autres mobiliers aussi bien
dessinés au Second Empire que dans la période de l'Art nouveau.
Nous comprenons qu'il y a une volonté de le protéger, de le faire
perdurer. Le banc Davioud représente un véritable attachement des
Parisiens à leur ville.
Approbation et initiative
D'une commission à l'autre
Dès les années 1970, la Ville de Paris a fait le
constat que la multiplicité du mobilier urbain dans l'espace public le
rend illisible et encombre les déplacements. Pour Jean-Pierre
Charbonneau, architecte, « le meilleur mobilier urbain, c'est celui qui
n'existe pas. Au pire, celui qu'on ne voit pas. » 87 Ce constat a conduit
la Mairie de Paris à créer une instance consultative, la
Commission extramunicipale du Mobilier Urbain dont les prérogatives
concernent le choix et l'implantation du mobilier dépendant de la DVD.
La Direction des Parcs et des Jardins (devenue la Direction des Espaces Verts
et de l'Environnement, DEVE) en était exclu. Cette commission a vu le
jour une première fois en 1977 par arrêté municipal du 5
octobre de la même année, mais a été dissoute en
1987. Du fait de sa composition trop disparate entre élus et
société civile, elle avait un faible poids
décisionnaire88.
La commission a été réinstaurée
par arrêté municipal du 31 janvier 1991 sous le nom de Commission
Municipale du Mobilier Urbain (CMU). Elle était présidée
par l'adjoint au maire chargé de l'urbanisme et comprenait 15 personnes
: le préfet de police, l'ABF, des élus, des représentants
de la direction de la ville, l'APUR. Se réunissant de façon
bisannuelle, elle a été renouvelée successivement en 2003
et 2008 et s'est réunie dix-sept fois entre 2003 et 201189..
De plus, la Mairie de Paris a édité en 2011 un
récapitulatif des CMU concernant les propositions de
designers90..
À l'initiative de la commission, un premier catalogue
limité du mobilier urbain, édité en 1995, se
répartit en trois catégories de mobilier tout en précisant
les principes de positionnement : celui haussmannien, celui pour les quartiers
anciens et celui pour les quartiers plus modernes. Le banc Davioud
revisité fait office de référence. On distingue quatre
autres types de bancs91. Ils seront ceux devant être
employés par les services techniques et les concepteurs. En 1993, on
dénombrait 9.000 bancs avec une multiplicité de modèles,
l'harmonisation devenant dès lors une
nécessité92.
87 CORAJOUD Michel, CHARBONNEAU Jean-Pierre, TEXIER Simon
(dir.), « L'espace public contemporain : crise ou mutation?» in
Voie publique. Histoires et Pratiques de l'Espace public à Paris,
Pavillon de l'Arsenal, Paris, éditons A&J Picard, 2006, p. 261.
88 BOYER Annie, DEBOAISNE Diane, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, 2013,
op. cit., p. 210.
89 Direction de l'Urbanisme, « Le mobilier urbain
à Paris : nouvelles problématiques» in PRALIAUD
Claude (dir.), 2013, op. cit., p. 6.
90 Direction de l'Urbanisme, Designers proposés par la
Commission de Mobilier Urbain, Paris, Mairie de Paris, 2011, 15 p.
91 Mairie de Paris, Le mobilier urbain parisien, Paris,
Commission municipale du mobilier urbain, 1995.
92 JOLE Sylvie, 2002, op. cit., p. 112.
40
Pour qu'un banc, comme tout autre mobilier urbain, soit
agréé auprès de la CMU, il doit répondre aux
critères suivants : être utile à l'usager, être peu
encombrant, adapté à son environnement par son côté
esthétique, offrir des qualités de solidité et être
facile d'entretien.
À ce sujet, Bernard Landau rappelle
que le classeur, édité en 1995, était la base de travail
de toutes les sections territoriales de la DVD. « Le moindre mobilier qui
était installé sur l'espace public était discuté en
commission et ensuite proposé au maire.» Des concours ont
été organisés relatifs aux mobiliers d'éclairages
publics. « Sur les bancs, on a eu des discussions infinies pour essayer
d'élargir la gamme en trouvant des bancs plus contemporains.» De
cela en sont ressortis deux bancs emblématiques, en complément du
banc Davioud : le banc Wilmotte sur les Champs-Élysées (1994) et
les bancs du tramway de la marque Area (modèles Porto et Lisbonne).
S'agissant de ces derniers, les modèles ont été
présentés en 2005 à la CMU qui les a fait modifier afin de
les équiper d'accoudoirs et de tiges de scellements d'après les
dessins d'Antoine Grumbach, architecte du projet 93.
Banc Lisbonne, Station de tramway Porte de Choisy, Paris,
2023,
((c) Pierre Médecin).
Banc Porto, Station de tramway Desnouettes, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
En outre, nous pouvons citer également le banc en
pierre calcaire berges de la Seine (1993) et le banc en acier de la promenade
Bastille Vincennes (1995) 94.
|
Banc en pierre sur les berges de la Seine, Paris, 1993,
((c) Philippe Mathieux).
|
93 Direction de la Voirie et des Déplacements, «
Le tramway requalifie l'espace public» in PRALIAUD Claude (dir.),
2013, op. cit., p.40.
94 APUR, Atlas du mobilier urbain parisien, Paris,
Atelier Parisien d'Urbanisme, 2022, p. 45.
41
La Ville de Paris publie en 2002 une charte
d'aménagement des espaces civilisés. Elle prend conscience de
l'importance du mobilier urbain dont le banc pour l'image de la ville. «
Par la qualité de sa conception, le mobilier urbain peut affirmer le
caractère et l'image d'une voie, et plus largement d'une ville. Il peut
embellir la rue ou au contraire l'enlaidir.» 95 Cette charte
indique que seul un type de modèle de mobilier, et donc de banc, doit
être installé dans une rue. Il doit être inscrit sur le
catalogue précité ou être validé par la CMU.
Bernard Landau s'est beaucoup impliqué
dans la redynamisation de la CMU sous l'impulsion d'Élisabeth Borne
alors Directrice générale de l'Urbanisme à la Mairie de
Paris (2008-2013). Elle avait déjà ressenti un certain «
malaise sur l'espace public». Il précise que « l'idée
n'était pas de sacraliser de façon historique pour des
siècles et des siècles l'image de Woody Allen du Paris
rêvé de la Belle Époque ou d'Haussmann, mais de faire vivre
la qualité de production de mobilier urbain parisien par un travail
à la fois de design, de choix de mobilier qui peut être
pérenne, qui tient dans le temps et qui est significatif d'une exigence
d'excellence du mobilier urbain parisien.» C'est ainsi que la CMU a
été réorganisée par délibération des
24 et 25 novembre 2008. Bernard Landau précise que cette
réorganisation a été décidée afin que cette
structure consultative puisse voir son rôle et son efficacité
renforcés dans le cadre de la politique mise en oeuvre par la
municipalité en matière d'aménagement de l'espace public.
Il insiste sur le fait que cette commission était vouée à
« impulser de véritables concertations, impulsions et
réflexions en associant les élus, les partenaires institutionnels
(comme la Préfecture de Police et le Service Territorial de
l'Architecture et du Patrimoine), des personnes qualifiées, des
designers et des représentants d'associations. » Il nous fait part
en complément de ce document que la dernière commission s'est
tenue le 6 juin 2011 dont l'ordre du jour était :
- Autolib'
Concepteur : High Graph Architecture associé
à Bolloré.
- Les mobiliers urbains intelligents.
Dans la continuité de son propos, il souhaite expliquer
la genèse du #sacageparis en rapport justement avec les choix de
mobiliers urbains de la Ville de Paris. « Quand Jean-Louis Missika [ndla :
premier adjoint au maire de Paris en charge de l'Urbanisme de 2014 à
2020] est arrivé, le Conseil de Paris n'a jamais décidé de
dissoudre cette commission. Jean-Louis Missika ne l'a jamais re-réunie
à partir de 2014. » La raison, d'après lui, est que le
premier adjoint avait décidé de réinventer l'espace public
en s'affranchissant de toute commission pouvant freiner ses ambitions. «
Si on ne comprend pas ça, on ne comprend pas pourquoi il y a eu une
telle dérive et le #saccageparis. [...] Toutes les dérives qu'on
a vues avec les bancs Mikado arrivent un peu par la bande, faute d'es-pace
d'une administration qui était quand même éduquée
sur l'ensemble des gammes du mobilier urbain. Cela concerne les directions de
la ville, la propreté, les parcs et jardins, la voirie. »
L'arrêt de la tenue de la CMU conduit à une
politique où chaque service ou mairie d'arrondisse-ment peuvent exprimer
leur vision urbanistique à travers le mobilier urbain.
De la sorte, concomitamment à l'annonce du Manifeste
pour la Beauté en janvier 2022, la Mairie de Paris crée une
commission, la CREP (Commission de Régulation de l'Espace Public). Elle
s'apparente à la CMU, bien que non dissoute, tout en reprenant ses
prérogatives, mais en élargissant ses domaines de
compétences et sa composition.
95 APUR, Charte d'aménagement des espaces
civilisés, Paris, Mairie de Paris, 2002, p. 58.
42
Lily Munson, initiatrice de la CREP sous
l'impulsion d'Emmanuel Grégoire, raconte comment cette dernière a
vu le jour donnant ainsi un éclairage sur les changements de politique
entre les deux mandatures de la maire actuelle, Anne Hidalgo. « La
commission du mobilier urbain était composée de l'ensemble des
groupes politiques. Elle a perdu son souffle, a périclité parce
que les élus s'y étaient un peu désengagés. Je
pense qu'on n'était pas sur le temps de production de nouveaux
mobiliers. Par conséquent, le besoin de recréer un nouveau
dispositif s'est fait ressentir, notamment avec les invectives sur les
réseaux sociaux et le fait que beaucoup de directions avaient pris des
libertés avec des catalogues propres, avec des ateliers propres avec des
contraintes propres. Au secrétariat général, nous n'avions
plus de concentration de l'information, ce qui rendait impossible d'assurer sa
coordination. L'ensemble de l'exécutif, des élus se
désolidarisaient entre eux de tous ces reproches concernant
l'aménagement de l'espace public.»
Le cabinet d'Emmanuel Grégoire a dès lors
souhaité remettre une procédure où le partage de
l'information serait réinitié, où les
éléments posés sur l'espace public validés en
prenant en compte toutes les contraintes inhérentes à chaque
service. La CREP répond à cette problématique « dans
un vrai souci de transversalité de l'information, de passage en revue de
l'ensemble de nos critères : financiers, d'entretien, d'implantation,
d'associations des mairies d'arrondissement, d'utilisations réelles, de
réponses à des objectifs de la politique publique parisienne, de
désencombrement.»
Elle explique que cette commission permet de se concerter avec
les services techniques sur un type de mobilier dans l'ensemble des espaces
publics, aussi bien sur voirie que dans les jardins, tout en prenant en compte
les contraintes d'entretien posées à la direction de la
Propreté et de l'Eau (DPE). Quand « on a un modèle qui
fonctionne aujourd'hui, il faut qu'on harmonise [en parlant du nouveau
modèle d'ombrière]. » La différence avec la CMU est
que la CREP inclut désormais la DEVE, mais aussi la DPE, contribuant
ainsi à la transversalité de l'information. « Si la DPE a
dit « non » à un type de mobilier, je ne veux pas le voir sur
l'espace public. » En effet, toutes remarques sur l'entretien leur sont
imputées.
Elle rajoute aussi que celui-ci demeure une difficulté
par le manque d'effectif. « On a triplé les surfaces de
végétation, on a triplé les surfaces pour profiter de
l'espace public, mais sans ressources supplémentaires d'entretien. Et
ça aussi, ça a demandé beaucoup d'adaptation dans nos
pratiques, dans plein de choses. On a quand même un peu recruté
à la marge, mais ce n'est pas anodin aussi. » Le fait de pouvoir
être acteur de l'espace public en profitant de ces nombreux atouts
à comme revers des contraintes sur son entretien, sur sa qualité.
En ce sens, « l'idée de la CREP est de réaxer un peu pour
que [l'espace public] reste un agrément et non une source de nuisances,
de difficultés. »
Outre les aspects techniques d'entretien et de gestion au sein
des services de la Ville de Paris, elle conclut que la CREP est un outil au
service de la politique de la ville, traduction administrative du Manifeste
pour la Beauté « avec l'envie de faire un
référentiel un peu commun, redonner de la lisibilité,
redonner du sens à tout ce qu'on était en train de faire et des
protocoles d'intervention. »
Jean-Christophe Choblet a été
membre de la CMU et siège également à la CREP, instruisant
les dossiers concernant la voirie. Bien qu'il ne voit pas trop la
différence entre les deux commissions, il estime que les
expérimentations lors de la précédente mandature d'Anne
Hidalgo n'ont pas donné de résultats réellement
satisfaisants par « toute cette mode, à laquelle j'ai largement
participé d'ail-leurs, de collectifs de concepteurs qui a amené
un peu de palettes, un peu de bois, de trucs bricolés pour essayer les
choses. » Le temps de l'expérimentation semble révolu pour
proposer des objets « qui ont du sens, qu'ils soient pérennes, du
moins entretenables. » Il insiste sur le sujet de l'entre-tien qui est
primordial.
|
Place de la Bastille, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
|
43
|
Juliette Floc'h relate ses premières
années en tant qu'architecte au service de l'aménagement et des
grands projets (SAGP) de la DVD et son vécu sur l'évolution du
choix des assises avant 2020 et après la création de la CREP.
À son arrivée à la DVD, tout était possible dans la
programmation de l'espace public en matière d'assises. « On avait
beaucoup de liberté.» nous confie-t-elle. C'est ainsi que dans le
cadre de l'aménagement de la place de la Bastille, des bancs et chaises
sur catalogue ont été installés. L'arrangement en petit
salon de jardin offre un franc succès pour les utilisateurs avis qu'elle
étaye de ses rencontres avec des personnes âgées qui l'ont
informée qu'elles appréciaient les « petites chaises de
Bastille».
Avec la publication du Manifeste pour la Beauté
et la création de la CREP, elle constate que les choix dans les
assises sont alors plus restreints, l'imagination dans la conception plus
« bridée». Elle estime que #saccageparis a conduit à un
rétropédalage dû à la puissance du mouvement. Alors
que l'ABF contrôle déjà tous les projets, elle s'interroge
sur la nécessité d'une double préconisation entre les deux
institutions, la CREP et l'ABF. Par conséquent, seuls subsistent d'une
part le banc Davioud et ses réinterprétations comme place de la
Madeleine ou place de la Nation et d'autre part le bloc granit. Ce sont des
bancs validés et conseillés en termes d'esthétisme
à mettre sur l'espace public suivant le contexte. Le banc Davioud,
classique ou reconfiguré, est préconisé dans les quartiers
historiques de la ville alors que le banc granit, beaucoup plus moderne, «
fait partie du modèle de la rue aux écoles idéale tel
qu'imaginé aussi dans le Manifeste pour la Beauté.
»
Fervent défenseur du Paris historique, Didier
Rykner estime que la CREP n'est pas un outil nécessaire quant
à la validation de l'esthétique du mobilier urbain. Il faut
rester dans la continuité esthétique existante du Paris
haussmannien. « Simplement on respecte l'histoire de Paris. Il y a des
bancs Davioud, on les restaure, on les laisse et on les installe. [...]. Je
demande qu'ils [les services techniques] entretiennent l'espace public. Il n'y
a pas besoin de commission pour ça. » Toutefois, il mesure son
propos quand il s'agit de nouveaux quartiers, de friches ou à la
périphérie de Paris, où une commission « de ce que
vous voulez» pourrait être opportune.
44
Pour Mathieu Gonthier, le choix du mobilier
reste assez complexe et est lié à une histoire
d'esthétique qui reste subjective. « Beau, pas beau, je trouve que
c'est assez compliqué de se prononcer, de faire un choix sur ce qui
reste effectivement de l'ordre du patrimoine parisien et qu'on va conserver et
puis ce qui peut permettre avec le temps de s'adapter. C'est peut-être
sur les bancs, mais pas que, il y a aussi les candélabres, les fontaines
Wallace.» Nous précisons qu'aucune référence directe
à la CREP ne fut faite pendant cet entretien, nous-mêmes n'en
connaissions pas encore l'existence à cette étape de la
recherche. Toutefois, l'avis apporté par Mathieu Gonthier nous semble
répondre aux attentes de la CREP et le choix qui entre dans ses
prérogatives.
Du parallèle au
perpendiculaire
Juliette Floc'h a eu en charge le projet d'aménagement
du boulevard de la République achevé en 2021. Il s'agissait de
l'implantation d'une piste cyclable tout en réaménageant le
trottoir et les plantations. Initialement, dans l'esprit des promenades
plantées d'Alphand, le projet prévoyait l'installation de bancs
Davioud dans la continuité de l'axe de la chaussée. S'est alors
posée la question de l'interface entre l'utilisateur du bâtiment
et son rapport avec le paysage. Soit il était en bord de chaussée
d'une avenue à forte circulation soit sa vision s'arrêtait
brusquement sur un bâtiment.
Rue Poliveau, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).
45
L'intéressée explique que cela a fait l'objet de
nombreuses réunions avec l'ABF qui en a conclu que positionner les bancs
parallèles au trottoir relevait d'une aberration. Les bancs Davioud ont
été enlevés et remplacés par des bancs simples
(banc Hofmann) mis face à face avec 3 mètres d'écart. Ce
positionnement perpendiculaire au trottoir redonne un aspect de
convivialité et d'attractivité qui invite à s'assoir. Elle
conclut sur le sujet en énonçant le fait que conjointement
à l'ABF ce principe sera généralisé sur les Grands
Boulevards pour les bancs en bords de trottoirs, si la largeur de ce dernier le
permet. « C'est validé hors contexte du Manifeste pour la
Beauté, ce n'est écrit nulle part, mais nous, on se le met
comme principe.»
Avenue de la République, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
46
Politique de gestion et d'entretien
Un héritage du Second Empire
L'organisation municipale actuelle de la gestion de la voirie
et des jardins est le fruit d'une histoire qui a débuté avec le
service des Promenades et des Plantations sous Haussmann.
Ce service était dirigé par Alphand,
ingénieur des Ponts et Chaussées. Il veillait à la bonne
coordination entre ses collaborateurs dans la création de projets.
L'approche pluridisciplinaire a permis de garantir la pérennité
au sein du service sur le long terme. Certes, la place des ingénieurs
reste centrale à cette époque, en charge des travaux
d'études techniques, de soutènement, de nivellement. Toutefois,
la réussite et la renommée de ce service, pour la qualité
des projets qui ont transformé Paris, sont conditionnées par la
volonté d'Alphand d'avoir fait également appel à d'autres
corps de métiers en relation avec l'art des jardins. Ceux-ci font
l'objet de deux sous-services : l'un dirigé par un architecte, l'autre
par le jardinier en chef96. Le système alphandien centralise
ainsi les compétences, valorisant la place de chacun et la
complémentarité.
Alphand défend son bilan et son organisation lors du
conseil municipal du 21 juillet 1886 par ces propos : « Ce service m'est
cher ; c'est naturel, je l'ai créé. Quand je suis arrivé
au service de la ville, il n'y avait pas de promenades [...] Les choses ont
changé depuis, Messieurs. Promenez-vous dans nos rues, sur nos
boulevards, vous vous apercevrez de ce changement. Il est tel que je n'en crois
pas qu'il est une ville au monde qui ait de plantations pareilles aux
nôtres. Comment en sommes-nous arrivés à ces
résultats? Par le concours de tous, Messieurs et il a fallu le concours
de toutes les bonnes volontés, de tous les talents pour organiser un
service aussi complet. En effet, les promenades réclament le concours
d'ingénieurs habiles [...]. On a souvent besoin d'installer [...] toutes
choses ressortissantes à l'art et pour lesquelles la collaboration avec
les architectes est nécessaire. Et enfin, il y a un troisième
concours indispensable, Messieurs, c'est celui des horticulteurs et des
jardiniers, pour le choix et l'aménagement du bois à utiliser. Le
service des Promenades n'est donc pas aussi simple qu'on le dise et on se
tromperait si on voulait le placer sous les ordres du service
d'Architecture.»
Déjà à cette époque,
ingénieurs et architectes n'avaient pas la même approche de
l'espace public. Ces derniers considéraient que l'approche technique et
fonctionnelle de l'espace public était dévolue aux
ingénieurs et par conséquent se limitait uniquement aux
plantations d'aligne-ments. Les architectes s'attribuaient la partie
créative traduite par les squares et les jardins. Sous la pression de
cette profession et à la mort d'Alphand, le service des Plantations et
des Promenades devient alors une sous-section du service
d'Architecture97.
Les organisations administratives se sont
succédées au cours des décennies où
désormais deux directions se partagent les projets d'urbanisme : la
Direction de la Voirie et des Déplacements en charge de l'espace public
et la Direction des Espaces Verts et de l'Environnement concernant les parcs et
jardins. Les entrevues ont permis de mettre en évidence que le
système d'Alphand avec un partage de compétences, de savoir et de
savoir-faire serait adapté aux projets d'aujourd'hui.
96 SANTINI Chiara, Adolphe Alphand et la construction du
paysage de Paris, op. cit., p. 164.
97 Ibid., pp. 171-172.
47
Deux directions sur un même espace
Lily Munson mentionne
précédemment que l'objectif de la CREP est d'assurer une
transver-salité entre les services suite au constat par les
secrétariats généraux de la Mairie de Paris de manquements
de communication. Les entretiens effectués avec les cadres de la DVD ont
mis en exergue cet état de fait. En effet, les espaces plantés se
sont invités dans l'espace public et chaque direction DVD, DEVE essaie
de garder son domaine de compétences au détriment de l'avancement
du projet. Il apparaît une réelle volonté politique
d'assurer une complémentarité entre les deux directions et
d'effacer toute défiance, l'une vis-à-vis de l'autre.
Bernard Landau précise que lorsqu'il
était en poste au début des années 1980 au service des
espaces publics, du mobilier et des murs peints de la direction de l'Urbanisme,
son service ainsi que l'APUR se coordonnaient et centralisaient le travail pour
les autres directions administratives. Il considère que la genèse
de cet infléchissement est un abandon de la responsabilité de la
mairie au détriment d'un « libéralisme» par une
délégation des attributions à des entités
extérieures. Parallèlement à ça, au regard de son
expérience professionnelle, il explique le relatif abandon d'en-tretien
de l'espace public par une diminution de 50% des crédits entre 2005 et
2020.
Au regard des critiques des dernières années, il
s'accorde à dire que la mairie a depuis peu repris le sujet de
façon positive. Il comprend la position d'Emmanuel Grégoire de
demander à l'APUR de reprendre la main. Néanmoins, bien que cela
soit positif d'un certain côté, de l'autre il précise que
si les directions gestionnaires ne sont pas impliquées, les mêmes
travers se reproduiront.
Lily Munson explique que la politique
urbanistique a beaucoup influé sur l'état dans lequel le domaine
public s'est retrouvé, mais également en relation avec la
politique de gestion de ses équipes aussi bien à la DEVE,
à la DVD et à la DPE. De nombreux mobiliers urbains se sont
trouvés installés sur le domaine public, implantations
accélérées au moment de la pandémie de Covid-19 en
2020 avec la création des coronapistes (pistes cyclables
aménagées provisoirement) « Quand on crée de nouveaux
espaces comme ça, ce n'est pas juste un traumatisme pour les habitants,
mais aussi pour ceux qui s'en occupent. En fait, quand on crée une piste
cyclable qui n'était pas prévue en tant que telle, elle
désorganise tout, notre parcours de propreté est
chamboulé. Pareil sur la manière dont on a eu de créer des
espaces verts. On ne savait plus quels services [DEVE, DVD, DPE] devaient s'en
occuper, car du coup, on est sur l'espace public. [...] ça a aussi
créé du traumatisme dans les équipes de la ville. Cela a
conduit à une nécessité de recomposition extrêmement
rapide qui, de fait, a induit effectivement des difficultés d'entretien,
des incompréhensions sur certains objets. Tout ceci a prêté
le flanc à des critiques et je pense que ça s'est associé
à aussi une difficulté pour les Parisiens, soudainement,
d'accepter l'espace public. [...] Tout ça combiné a donné,
effectivement, #saccageParis. »
Enfin, en matière de gestion des bancs, suivant leur
implantation, la couleur des pieds en fonte désigne la direction
affectée au site, système existant depuis la fin du
XIXème siècle. Si le pied est vert, l'entretien est
assuré par la DEVE, si le pied est gris c'est à la DVD d'en
assurer la gestion. « ça, c'est du Alphand plein et
entier.»
Juliette Floc'h et Sarah Ananou
ont intégré depuis quatre ans la DVD en tant
qu'architectes. Elles apportent un regard neuf sur un système
administratif qui semble avoir peu évolué alors que les enjeux en
matière d'espace public ont profondément changé depuis les
promenades plantées d'Alphand jusqu'aux projets de
réaménagements piétonniers des grandes places parisiennes
de ces dernières années.
48
Historiquement l'espace public (chaussée, bordures,
trottoirs) était géré par des ingénieurs des Ponts
et Chaussées. Haussmann a réformé le service municipal des
Travaux publics en 1856 en le subdivisant en trois : le service de la Voie
Publique, le service des Eaux et le service des Promenades et Plantations.
Adolphe Alphand était chef de ce dernier. Par décret
préfectoral du 13 avril 1867, Haussmann fait réunir les services
des Promenades et Plantations et de la Voie publique en une seule entité
dont Alphand prend la direction98. Haussmann dit à ce sujet
qu'il s'agit « du plus grand service d'ingénieurs du pays »
99.
Les deux jeunes architectes de la DVD font le constat que face
aux enjeux écologiques actuels (transition énergétique,
ilots de chaleur), les espaces plantés ne se cantonnent plus uniquement
aux parcs, squares et jardins, mais s'invitent dans l'espace public, ce dernier
étant géré par la DVD et celui des espaces plantés
par la DEVE. En matière des nouveaux projets d'espace public, des
conflits se produisent dans le cadre des projets, à savoir qui porte le
rôle de maître d'oeuvre (MOE). Juliette Floc'h précise
qu'à la DVD, bien qu'il n'y ait aucun paysagiste concepteur, les
architectes ont également une lecture du paysage, pas forcément
avec le même vocabulaire que le paysagiste, mais « un architecte
d'espaces publics est plus un paysagiste qu'un architecte de bâtiment. On
porte le statut de nos études, mais en fait on conçoit de
l'espace public donc on traite du végétal et du
minéral.» Elle déplore que l'organisation administrative
actuelle n'est plus adaptée aux projets où tous les corps de
métiers sont concernés. « Quand les espaces verts se sont
invités de plus en plus dans nos projets depuis les quatre
dernières années, on a demandé de constituer une agence
classique comme dans le privé, c'est-à-dire un groupement avec
des architectes, des ingénieurs, des paysagistes et puis tous ensemble
en MOE on conçoit le projet.» Dans la réalité des
faits, les paysagistes de la DEVE sont assistants à la maîtrise
d'ouvrage (MOA), mais pas assistants à la MOE alors qu'ils
conçoivent les espaces plantés, leur domaine de
prédilection. Cela révèle également un domaine de
responsabilité, car ils ne sont ni MOA ni MOE, mais veulent dessiner les
plans de ce qui a trait aux espaces plantés sur l'espace public, domaine
réservé à la DVD. « Il ne peut pas y avoir deux
concepteurs sur un même projet qui avancent dans deux directions
différentes et qui portent deux programmes différents.
Aujourd'hui au-delà du mobilier, c'est comment concevoir ensemble. [...]
Il faut travailler en bonne intelligence et être soudé avec eux
sinon c'est conflictuel et on n'avance pas. »
Didier Rykner a un avis beaucoup plus
tranché et peu élogieux quant aux compétences des services
techniques de la Ville de Paris et de la politique d'entretien du mobilier
urbain en prenant pour exemple les bancs Davioud. Il estime d'ailleurs que la
restauration du banc Davioud offert à la Mairie de Paris (par le
collectif #saccageparis) n'était pas à la hauteur. Pour sa part,
il préfèrerait que la COARC gère ces mobiliers urbains
d'époque, au même titre que les monuments civils et religieux voir
même ceux qui sont en charge des travaux sur les monuments
historiques.
Cette relation entre la DEVE et la DVD dans la gestion de
l'espace public n'a pas manqué de nous interroger au regard des
entretiens et de nos visites de sites. Alors que ce banc était
initialement dévolu à l'espace public et non au jardin, ce choix
d'installer des bancs Davioud dans des jardins complexifie la gestion entre
services. Originellement, ces bancs étaient destinés aux
trottoirs. Des bancs plus confortables dessinés par Davioud, les bancs
gondoles principalement, étaient dédiés aux jardins
laissant aux promeneurs toute liberté de se reposer, de profiter de leur
environnement sur une assise plus ergonomique que le banc d'espace public. Dans
le cadre de notre arpentage, nous nous sommes rendus compte que le choix de la
couleur de piétement du banc Davioud dans un espace planté ne
répondait à aucune règle et que la présence de ce
banc pouvait prêter à confusion quant à la
définition de l'espace où il se situe.
98 SANTINI Chiara, Adolphe Alphand et la construction du
paysage de Paris, op. cit., p 69-70.
99 Lettre d'Haussmann au ministre des Travaux Publics, 8 sept.
1869 (AN, F/14)
49
En effet, ce choix de couleur apparaît
révélateur de la limite physique qui existe entre l'espace public
et les jardins. Dans la majorité des cas, ils sont séparés
de la voirie par des clôtures. Nous avons deux espaces bien
identifiés avec un langage qui leur est propre en termes de
végétalisa-tion, de revêtements au sol, de mobilier urbain.
Toutefois, l'absence de clôture signifie-t-elle que nous ne sommes plus
dans un jardin si l'espace est aménagé avec des allées en
sols stabilisés, des parterres de pelouses, de fleurs et d'arbres non
alignés? Le banc Davioud, par la couleur de son piétement devrait
alors nous renseigner puisque celui peint en vert dépend de la DEVE,
donc du langage du jardin et celui en gris de la DVD. Dans ce cas-là, il
est un composant de la grammaire composant l'espace public. Toutefois, certains
espaces ne peuvent plus être clairement identifiés par ce simple
jeu de couleur.
Le Champs de Mars est défini comme un espace
planté dit « espace vert» bien qu'aucune grille ne
sépare les allées et parterres de la voirie. Dans un souci
paysager, cela permet de donner au regard toute l'amplitude de la perspective
du lieu. Les bancs Davioud sont régulièrement répartis
entre les arbres d'alignement des grandes allées en sol stabilisé
entre l'École militaire et la tour Eiffel. Le piétement est vert,
nous nous confortons dans l'idée que nous sommes dans un jardin. Nous
pouvons néanmoins relever que le positionnement des bancs est identique
à ceux du trottoir, assimilant les allées du jardin à des
promenades plantées. De plus, des bancs droits, qui eux sont bien
assimilés comme élément de jardin, sont positionnés
dans les allées latérales. L'espace n'ap-paraît plus si
clair qu'il semblait l'être.
|
Champs de Mars, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
|
La confusion se poursuit lorsque nous comparons les
aménagements des places d'Italie et de la Nation, réalisés
durant la première mandature d'Anne Hidalgo. Les projets concourent l'un
et l'autre à redonner une place au piéton dans la partie centrale
de la place dans un environnement végétalisé. Dans les
deux projets, des bancs Davioud ont été installés. Sur la
place de la Nation, plus précisément, il s'agit d'un
modèle de banc modernisé avec des assises en porte-à-faux.
Alors que ces deux places répondent aux mêmes codes du jardin
public parisien, nous avons pu constater que les bancs ont un piétement
vert sur la place d'Italie et gris sur la place de la Nation. Le jardin de la
place d'Italie est clôturé, l'espace planté de la place de
la Nation ne l'est pas. Est-ce la condition
50
suffisante pour l'attribution du service qui en a la charge?
Le banc Davioud dans ce cas, par la couleur de son piétement,
démontre l'incertitude qui demeure : deux lieux, une même
destination, deux services gestionnaires.
De plus, ces mêmes bancs aux assises en
porte-à-faux sont également installés en grand nombre sur
le pourtour extérieur de la place de la Nation. L'espace public
périphérique et la place centrale autour de la statue se
confondent dès lors. D'une place à l'autre, la lecture
paysagère se brouille. Cela est d'autant plus accentué que sont
également positionnées des assises en bois en bordure de l'espace
central, mobilier urbain similaire à celui de la place des Fêtes.
Il semble qu'aucun choix ne soit réellement arrêté quant
à la définition de ces nouveaux aménagements par ce
mélange des genres. Est-ce simplement le fait que le porteur de projet
soit différent, la DEVE pour l'un et la DVD pour l'autre?
Bancs avec piétements verts, place d'Italie, Paris,
croquis, 2023, ((c) Pierre Médecin).
51
Les projets de la Mairie de Paris tendent à introduire
de plus en plus le végétal dans l'espace public. Au regard des
exemples précédents, comment ces espaces vont pouvoir être
définis aussi bien dans le choix du mobilier que dans la gestion?
S'agit-il de jardins dans l'espace public ou d'un espace public avec une
végétalisation importante? À partir de là
s'opèrera le choix du service et donc concrètement du
modèle de banc définissant l'espace.
Le Manifeste pour la Beauté apporte
déjà une réponse à cette interrogation où
les assises agréées dans les parcs et les jardins ne listent pas
le banc Davioud. Toutefois, le document indique que l'entretien ou le
gestionnaire des bancs droits (ceux du Champs de Mars, par exemple) peuvent
être la DEVE ou la DVD dans ces lieux normalement sous la
responsabilité de la DEVE100. Notre incompréhension
demeure face à cette dualité pouvant avoir une implication dans
la lecture du paysage.
Bancs avec piétements gris, place de la Nation, Paris,
croquis, 2023, ((c) Pierre Médecin).
100 Mairie de Paris, Paris Manifeste pour la beauté -
le sol, Paris, Ville de Paris, 2022, pp. 75-79.
52
53
Plan de situation des bancs Davioud, Place de la Nation, Paris,
2023, ((c) Pierre Médecin).
54
Place de la Nation, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).
55
Place des Fêtes, Paris, 2023, ((c) Pierre
Médecin).
de l'accessoire « haussmannien » à
l'enjeu urbanistique actuel
MéMOIRE D'INITIATION À LA RECHERCHE
Diplôme d'État de paysagiste
Enseignante encadrant: Pierre Médecin
Chiara Santini année universitaire 2022-2023
57
UN ENJEU DE L'ESPACE URBAIN
Un choix intrinsèquement lié à
l'usage
Choisir un banc dans l'espace public n'est pas anodin, car
outre l'aspect paysager, il est l'objet de nombreuses sollicitations. Les
entrevues nous ont permis de mettre en lumière le rôle primordial
du choix du banc au regard de ces éléments et sa prise en
considération aussi bien par les pouvoirs publics que par les
concepteurs.
Bernard Landau reconnaît l'importance
capitale quant à la pérennité de l'entretien du mobilier
urbain. « Le grand génie du système alphandien en fait, sur
lequel on vit encore, c'est un kit que l'on peut entretenir sur la longue
durée.» Ce mobilier répond à trois grands
critères : l'élégance, la qualité et la
durabilité. « La qualité, c'est la qualité de
fabrication. La question du scellement du mobilier, soit sur la pierre soit sur
l'asphalte, c'est un problème. Quand je dis la qualité, c'est
ça aussi aujourd'hui. Comment le mobilier-il est scellé dans
l'espace? C'est un détail qui tue. Il y a l'héritage d'un
savoir-faire qui fait qu'il y a une patte de scellement qui est un vrai
principe de ce type de mobilier.» De plus, s'agissant du mobilier urbain
en fonte, il précise que trois grands fondeurs possèdent les
moules d'époque, renvoyant ainsi à une grande tradition de
fonderie de la fin du XIXème siècle où tout
leur savoir-faire est issu de la Mairie de Paris. La qualité de la fonte
a évolué, mais toute la chaîne de production en
série perdure, principe fondamental de l'économie
d'échelle du mobilier créé par Davioud.
Michèle Zaoui aborde le sujet en
précisant qu'un audit avait été engagé sur tous les
mobiliers urbains parisiens. Bien qu'elle soit architecte, tournée vers
le contemporain, elle reconnaît que le banc Davioud est le meilleur en
terme « d'entretien, d'esthétique, d'usage». Le bois lui
confère des qualités appréciées des Parisiens,
notamment pour ses qualités thermiques : « chaud en
été, frais en hiver». De plus, sa conception en fait un banc
moins enclin à être dégradé par la pluie. « En
effet, le modèle Davioud, avec son espace entre les lames, c'est
vraiment la panacée, c'est exactement ce qu'il faut. Un enfant ne peut
pas se coincer les doigts dedans, mais ça laisse passer la pluie
suffisamment pour ne pas avoir de stagnation. Ensuite, sur tous les projets, je
demande à ce que ce soit en bois peint. Nous en avons fait
l'expérience et malheureusement, même s'il y a des interstices
chaque fois qu'on a du bois brut, c'est quand même beaucoup plus
compliqué en entretien. Cela a été le cas place de la
République. Ce n'était que du bois brut. Il n'est pas
réparé tout de suite et est juste poncé, même pas
verni. » Ayant participé à la création de ce mobilier
avec l'agence TVK (maître d'oeuvre du projet de rénovation de
ladite place), Michèle Zaoui assume ce choix, mais en tire les
conclusions qu'il devait être enlevé. « Il vaut mieux se dire
qu'il va falloir [le] repeindre, c'est beaucoup plus pérenne que d'avoir
du bois brut. Voilà, donc peint ou à l'extrême limite
verni, mais en tout cas sur le projet de la place Gambetta on est en train d'y
réfléchir.»
|
Place de la République, Paris, 2022,
((c) Tweeter #parisbynight, mis en ligne le 05/07/22).
|
58
|
Banc Davioud historique, rue du Temple, Paris, 2023, ((c) Pierre
Médecin).
|
Banc avec assises en porte-à-faux, Place de la Nation,
Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).
Pour sa part, la qualité du banc Davioud reste sa
grande simplicité avec des piètements en fonte, une assise
uniquement en bois et des lattes démontables. « C'est un niveau de
facilité, de gestion qui est extrêmement important.» De plus,
les éléments en fonte sont aisément reproductibles
(marché à bons de commande) et d'une très grande
résistance. De plus, leur complexité dans le dessin en relief
limite l'en-vie de les tagger contrairement à une surface lisse. «
Encore une fois, je suis vraiment pour l'architecture contemporaine, mais en
analysant le génie, on va dire, technique de ce banc, franchement on
s'est dit que c'était vraiment quelque chose qui était un
modèle absolu, que d'autres avaient déjà
réfléchi pour nous. Donc, on n'allait peut-être pas
réinventer totalement les assises. »
D'autre part, Michèle Zaoui
évoque le projet de la place de la Nation. Elle raconte qu'avec
Jean-Christophe Choblet, ils ont repensé le banc Davioud. Leur
engagement en faveur de la rencontre dans l'espace public s'est traduit au
niveau de la place de la Nation par une réin-terprétation du banc
Davioud en élargissant les assises afin de « créer des
nouveaux en cercle qui permettent d'être plus confortablement
installés» ainsi que le souligne Jean-Christophe Choblet. Le banc
Davioud a été rallongé, lui donnant ainsi un
porte-à-faux. En plus, une troisième lame a été
rajoutée. L'assise est devenue plus conséquente, accueillante et
confortable. De plus, Jean-Christophe Choblet en 2021, dans le cadre de
l'atelier sur le genre de l'es-pace public motive le choix de «
tordre» le banc Davioud, car ceci a « permis d'autres postures qui
aident pas mal à l'inclusion» 101. Elle ajoute que cette
déclinaison du banc Davioud, comme sur la place de la Madeleine
également, a démontré de la part de la Ville de Paris une
volonté d'expérimenter. « Lors de la mandature
dernière, entre 2014 et 2020, on a cherché à le
décliner; cette année, on cherche à l'associer avec
d'autres bancs. Ça veut dire qu'en fait on y revient toujours, en le
déclinant on ne veut pas l'abandonner. Il nous sert de base
stabilisatrice. C'est en ça, je trouve, qu'on fait des progrès.
»
Juliette Floc'h reconnaît que les bancs
sont très qualitatifs au niveau esthétique. Leurs implantations
sur les trottoirs qui cadrent avec le traitement de l'entourage de l'arbre.
Toutefois, ces bancs semblent poser un problème d'usage. Par la
structure de l'assise en porte-à-faux, ils gondolent, le bois se
fissure. En tout état de cause, elle valorise le fait d'avoir
joué la carte de l'expérimentation.
101 APUR, 2021, op.cit., p. 26
59
S'agissant du mobilier du Second Empire, Lily
Munson en défend ses nombreuses qualités en
matière de beauté qui répond à une forme
d'esthétique complexe à laquelle est attachée Emmanuel
Grégoire. « Pas beau pour le beau, mais parce qu'en fait, ce qui
est beau, c'est ce qui fonctionne parce qu'il arrive à rester beau. Il a
été conçu intelligemment en termes de maintenance, en
termes d'entretien, en termes de réparation. Et deuxièmement,
parce qu'il participe à une sorte de qualité de l'espace public
qui rend la densité parisienne acceptable. Ce n'est pas juste, c'est
beau, c'est moche, mais plutôt est-ce que ça sait rester beau ?
» Elle précise que par cette facilité d'entretien et de
maintenance de la qualité, cela participe à prendre soin des
habitants, à rendre supportable un espace public où habitants et
touristes peuvent se sentir oppressés.
CMA, Ivry-sur-Seine, 2023,
((c) Lily Munson).
À propos du CMA, elle indique qu'il s'agit du lieu
où sont réfléchis et assemblés les mobiliers. La
production des pièces en fonte, par exemple, est réalisée
à Saint Dizier par GHM. « Les entreprises de fonderie continuent
à avoir des partenariats d'exclusivités industrielles avec Paris
pour tout ce qui a trait aux entrées de métro Guimard, fontaines
Wallace et bancs Davioud.» Par là même, elle loue les
qualités d'usage et d'entretien du banc Davioud. « On sait faire,
c'est à bas coût, c'est solide. Il y a une intelligence du pied
qui fait qu'on arrive à les greffer dans pas mal de situations, ce qu'on
n'a vraiment pas retrouvé sur d'autres bancs.»
Lily Munson explique qu'aux endroits où le banc Davioud
n'est pas forcément un choix à faire, comme pour de nouveaux
aménagements, la volonté est de retrouver les mêmes
qualités de modularité du banc historique. Le choix du banc en
granit est un bon compromis, peu onéreux et facile d'entretien.
Toutefois, des difficultés d'entretien se sont
révélées du fait de la finition de la pierre où les
services techniques, la DVD et la DPE, ne s'étaient pas concertés
en amont. Suivant que le revêtement était flammé ou non,
les équipes ne savaient pas le nettoyer ou alors suivant un protocole
très compliqué : « Nous leur avons demandé de
travailler, de faire une cellule de travail commune pour voir comment en fait,
quel type de traitement appliquer sur les revêtements, a minima sur le
granit, pour ne pas se retrouver avec un spectre [tache
indélébile] si ça a été tagué.
»
Elle rejoint Michèle Zaoui, en parlant des bancs
Mikado, s'agissant de la difficulté d'entretien du bois brut. « On
ne sait pas le faire à Paris ou alors sur du très temporaire
événementiel. Et d'ailleurs , les bancs Mikado, ils avaient
été pensés comme tels. C'était de
l'événementiel au début. De par notre vision avec Emmanuel
Grégoire sur l'exigence parisienne, on a un tel niveau de
fréquentation et d'usages et une telle qualité patrimoniale qu'en
fait, le temporaire tel qu'on l'avait imaginé en 2017-2018 a du mal
à trouver sa place. »
Toutefois, elle estime que cela ne remet pas en question les
possibilités d'expérimentations de nouvelles assises tout en
ayant conscience de l'usage intensif qu'elles pourront subir. Ainsi, Reprenant
L'exemple de la place de la République, les assises n'étaient pas
prévues pour de telles sollicitations à savoir le collectif Nuit
Debout où des milliers de personnes se sont mobilisées sur la
place des mois durant. « C'est un niveau de stress sur du mobilier qui est
incommensurable, qu'il n'y a qu'à Paris qu'on vit des choses comme
ça [en termes de sollicitation du mobilier urbain
60
en comparaison au reste de la France]. Cela induit une
nécessité de résistance, d'intégration des
contraintes en amont, mais aussi de flexibilité et de la capacité
colossales de la part des services [...]. Voilà pourquoi nous sommes
devenus un peu plus réactionnaires peut-être que
précédemment ou dans la précaution a minima. C'est vrai
qu'on s'était mis dans la panade en essayant de tester des choses et je
pense que Paris ne le supporte pas autant que ça. » dit-elle.
En tant qu'homme de l'art, Benjamin Le Masson
précise que le choix du banc doit d'abord répondre
à des critères fonctionnels puis à des critères
esthétiques. L'installation d'assises est une nécessité
dont les principes sont mentionnés dans le plan de mise en
accessibilité de la voirie et des espaces publics (PAVE)
édité en 2012 : créer un maillage adapté au repos,
prenant en compte les populations ayant des difficultés à marcher
(personnes âgées, personnes à mobilité
réduite). Il s'agit de l'assise plus généralement dont le
banc reste majoritaire. La préconisation est une installation tous les
cent mètres au maximum102. « Il y a une
nécessité d'agréments, de l'espace public, de fonction.
Quand on réaménage une place, ne pas proposer d'assises, c'est
problématique. Dans le projet qu'on développe, on essaie de les
intégrer au projet. » Cela rentre dans une politique de
désengorgement de l'espace public initiée il y a
déjà quelques années après des décennies
où les mobiliers urbains ont été installés par
surenchère.
|
Schéma explicitant la norme NF P 99 610 (juin 1991) et
Fascicule de documentation P 98-350 publié par l'AFNOR, 2012,
((c) DVD).
|
Après l'aspect fonctionnel et esthétique,
Benjamin Le Masson insiste sur la partie exploitation et entretien. Il constate
que l'usage du banc est souvent détourné par les
mésusages. Le problème récurrent concerne les
attroupements, sources de nuisances sonores pour les riverains qui s'en
plaignent aux maires d'arrondissements : « Il faut inventer le banc
déplaçable. On le met ailleurs, dans un endroit qui gêne
moins, pas forcément le supprimer, mais le déplacer. »
Toutefois, il précise que ce type de problème se
rencontre peu fréquemment avec le banc Davioud : « Je pense qu'il
est moins confortable que certains [...] et que ça, ça
joue.» Il ajoute que le banc granit par la rudesse de son assise a les
mêmes qualités d'empêcher un stationnement trop long en
position assis, limitant dès lors les nuisances auprès des
riverains.
102 Direction de la Voirie et des Déplacements, Plan
de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics,
Paris, Ville de Paris, 2012, fiche R26.
61
En outre, il apprécie le banc Davioud pour sa
facilité d'entretien; bois peint et protégé,
piétements en fonte bien que les bancs plus anciens ont tendance
à casser pour des questions de scellements des piétements :
« C'est pour ça qu'on a des problèmes, d'ailleurs, de
trouver des bancs Davioud historiques.» nous dit-il.
Travaillant sur la réhabilitation des
Champs-Élysées, il renouvelle l'importance du CMA et de sa
qualité de travail que ça soit aussi bien pour la
réhabilitation des bancs Davioud au bas de l'avenue que des bancs
Wilmotte dans la partie haute : « C'est assez magnifique ce qu'ont fait
les ateliers en interne. Il fallait retrouver les RAL de l'époque. Les
planches ont été poncées et retraitées avec un
vernis et c'est assez réussi. On a fait plusieurs tests. On arrive
à entretenir même le banc Wilmotte qui est un peu plus
sophistiqué [...] c'est vraiment très réussi. »
Jean-Christophe Choblet privilégie les
usages : « comment les gens s'y assoient, puissent discuter entre eux, ce
qu'on appelle stationner en réunion». Il fait ressortir la
même difficulté qu'évo-quait Benjamin Le Masson à
propos de la mise en réunion autour des bancs. Les riverains, la police,
les élus s'en plaignent. De façon cohérente, il prend la
défense de l'usager qui prime avant tout « si on installe un banc,
c'est pour que les gens s'y assoient. Sinon ça n'a pas de sens.
»
Il relate l'histoire où les emplacements des bancs au
XIXème siècle étaient faits de sorte que la
rencontre sociale devait être limitée : « La distance entre
les bancs dans les squares parisiens, par exemple, c'est une distance qui a
été calée pour éviter que les nounous discutent
entre elles quand elles gardent les gamins. Tout l'espace public parisien
d'Haussmann est un espace de contrôle. [...] Il faut comprendre que le
design parisien de cette époque est un design de contrôle de la
rue après les révolutions qu'il y a eu. Le banc Davioud
n'échappe pas à la règle, ce n'est pas un banc
confortable, on n'y reste pas longtemps.»
Mathieu Gontier a l'habitude de dessiner le
mobilier pour ses projets. Toutefois, s'agissant du banc Davioud, il
apprécie ses qualités environnementales au regard des
matériaux employés et de la possibilité de le recycler
à l'infini : « C'est une armature métallique, une planche en
bois, on peut les changer. Et puis il est facile de lui redonner un coup de
peinture.» De plus, il constate que c'est également une
facilité d'entretien pour le centre de maintenance et
d'approvisionnement de la Ville de Paris basé à Ivry-sur-Seine
(94), véritable plaque tournante d'une économie circulaire de
recyclage et de réemploi des matériaux : « Ils ont des
stocks de mobiliers défectueux, qu'ils réparent, qu'ils
ressoudent, qu'ils rechapent comme les bordures de trottoirs, des pavés
qu'ils retaillent, qu'ils rebouchardent. »
Ce banc semble être une réponse aux questions de
« frugalité et de sobriété» que l'on se pose
aujourd'hui. Les projets peuvent devenir « économes en termes de
production de matériaux par la réutilisation de ce qui a
déjà été fait et qui fonctionne bien. [...] Dans
une logique, un peu, de sobriété heureuse comme certains disent,
on peut aussi dire que réemployer n'est pas mal. »
Emma Blanc reste plus mesurée quant
à l'efficacité du modèle Davioud dans sa conception
même s'il reste cohérent dans sa «
matérialité». Elle estime que l'entretien des pieds en fonte
est problématique à cause du coût de production «
alors qu'au XIXème siècle on était à
fond dans la révolution industrielle, tout allait bien.» Le bois
peint est également une source d'entretien qui, suivant les lieux de la
capitale, peut s'avérer conséquent. La Ville de Paris lui «
a dit qu'elle était frileuse pour mettre des bancs Davioud à
certains endroits. » Les services techniques seraient dès lors
davantage sollicités au regard du maintien de la qualité
exigé pour l'entretien des nombreux qui seraient installés. Cela
se ferait au détriment dans d'autres sites au regard de
l'immensité du parc de mobilier urbain. Elle précise que tout
ceci est quand même à relativiser.
62
Esthétique et emplacement, des points de vue
contrastés
De tout temps, l'implantation et le choix des bancs ont
été l'objet de plaintes et de polémiques. Que cela soit
pour des raisons de confort, de nuisances ou de qualités
esthétiques des lieux, les griefs ne manquent pas à
l'égard de l'administration. Nous verrons que les plaintes ne
proviennent pas uniquement des usagers, mais également de pressions
politiques des mairies d'arrondissement.
Demande de pose de bancs sur l'avenue des Champs Elysées
en 1843 in S.Malek, Banc Public un prisme d'in-terprétation
de la composition de la rue parisienne, mémoire de recherche,
Paris, Université Paris 1, 2011, ((c) Archives de Paris).
63
À l'époque d'Haussmann, les quartiers sont
aménagés suivant leur type de fréquentation. En ce
temps-là, déjà, les habitants se plaignent de
l'implantation des bancs, de leur manque ou qu'ils attirent des gens à
la moralité douteuse. C'est le cas pour une réclamation de bancs
sur le boulevard de l'Opéra, mais Alphand ne donne pas suite à
cette demande, estimant que les bourgeois préfèrent les chaises.
D'autres auraient souhaité que les bancs Davioud soient installés
dans les squares alors qu'ils n'y sont pas adaptés du fait de leur
double assise qui les positionneraient devant les arbres103.
Toutefois, le Service Municipal des Travaux Publics de Paris a
accédé à certaines demandes comme en 1867 pour le
déplacement d'un banc du boulevard des Invalides à la demande
d'un riverain.
L'implantation des bancs est motivée par leurs
utilités sociales qui officient pour l'intérêt
général. Ainsi, le directeur des Travaux de Paris, en 1907,
écrit aux commerçants du boulevard Sébastopol qui
demandaient l'enlèvement des bancs, que « sur toutes nos grandes
voies, les bancs ont une utilité publique ; ils permettent aux gens
fatigués de prendre un instant de repos, [...] ils sont d'autant plus
nécessaires que le trafic est dense.» 104
#saccageparis et la rue du Temple
Banc Davioud mis aux enchères le 18 mai 2021, Paris,
2021,
((c) Lucien Paris/Studio Sebert Photographes).
L'exemple le plus récent et le plus
médiatisé, qui a été à l'origine de la
réflexion du présent mémoire, est bien entendu le banc
Davioud, devenu cheval de bataille de #saccageparis quant à la politique
urbanistique de la Ville de Paris. Le collectif a d'ailleurs acquis un banc
Davioud lors d'une vente aux enchères organisée par
l'étude de Maître Lucien le 18 mai 2021 à
l'Hôtel Drouot pour la somme de 1.200 euros. La mairie
précise que « la Ville cède très peu son patrimoine.
Les bancs publics sont réemployés après restauration, et
les mobiliers métalliques sont vendus à la ferraille, favorisant
le réemploi dès que cela est possible.» Ce banc a
été retiré de la vente aux enchères par le
propriétaire pour le céder de gré à gré
à l'association105. Il a ensuite été offert
à la Mairie de Paris le 25 mai 2021 qui l'a fait
installer dans un premier temps au pavillon de l'Arsenal dans le cadre de
l'exposition « La Beauté d'une ville». Puis, il a
été transféré en juin 2022 dans la rue du
Temple sur la placette Albert Memmi ainsi que trois autres bancs similaires
suite à sa piétonnisation entre la rue de la Verrerie et le
croisement avec les rues Saint-Merri et Sainte-Croix de la Bretonnerie 106.
103 SANTINI Chiara, 2021, op. cit.
104 SAINTE MARIE GAUTHIER Vincent, « Initiative
privée et service public : mobilier urbain et espaces publics parisiens
au XIXème siècle » in Le mobilier urbain à Paris,
Paris, Cahiers du CREPIF, n°56, p. 35.
105 AZIMI Roxana, « A Paris, une victoire pour les
amoureux du banc public», Le Monde [En ligne], 18/05/2021, mis
à jour le 19/05/2021.
106 BAVEREL Philippe, Fontaine Wallace, « Bancs
Davioud... la rue du Temple transformée en carte postale du nouveau
Paris», Le Parisien [en ligne], 21/06/2022.
64
Cet évènement est révélateur d'un
changement de la politique de la ville. Le projet initial de
piétonnisation de cette partie de la rue ne comprenait aucun mobilier
historique.
Cet aménagement a été
présenté aux Parisiens lors d'une réunion publique le 10
mars 2021107. À la suite de cela, les parisiens ont pu voter
en ligne entre le 10 et 21 mars 2021 à propos de certains points du
projet : type de revêtement de sol, compositions des
végétaux, design des bancs. S'agissant de ce dernier point, le
projet proposé offrait la possibilité entre des bancs :
- en blocs de granit accolés de différentes
nuances de gris
- en dalles en granit superposées de différentes
nuances de gris
Le deuxième choix a remporté plus de la
moitié des suffrages108. Toutefois, après travaux,
lors de l'inauguration en juin 2022, les assises prévues n'avaient pas
été construites. À la place, quatre bancs Davioud, dont
celui offert par le collectif #saccageparis, ont été
implantés. Ce dernier ne porte pas d'identification particulière,
respectant ainsi l'unité donnée à la place. Il s'agit du
deuxième banc depuis la rue de la Verrerie. La placette reprend le
langage du mobilier historique avec également un candélabre de
style Empire à lanterne carrée, une fontaine Wallace et un
accès métro Dervaux (1924).
Projet d'aménagement de la rue du Temple, dallettes en
granit, Paris, 2021,
((c) Mairie de Paris).
107 Direction de la Voirie et des Déplacements, Paris
Centre, Réunion Publique, Projet d'aménagement du bas de la rue
du Temple, Ville de Paris, 2021.
108
https://mairiepariscentre.paris.fr/pages/projet-de-reamenagement-du-bas-de-la-rue-du-temple-reunion-de-concer-tation-16744
(consulté le 15/10/2022)
65
Juliette Floc'h, architecte du projet,
raconte comment le paysage initial prévu, plus moderne, s'est revu
transformé par la présence de marqueurs forts de la capitale dans
un quartier au coeur de l'histoire parisienne et à la
fréquentation touristique élevée.
L'origine est la création d'une nouvelle sortie de
métro dans la rue du Temple réalisée par la RATP entre
2017 et 2019 et qui n'a donc rien d'historique. Le maire de l'arrondissement de
Paris Centre, Ariel Weill, souhaitait un projet qualitatif « qui soit
minéral et qui réponde aux objectifs de zonage pluvial de Paris.
[...] Le choix a été de faire quelque chose à la fois dans
l'air du temps un petit peu moderne, mais qui gardait les codes des rues du
Marais.'>
Ainsi, devaient se côtoyer de la dalle mécanique
et du pavé de réemploi dans la continuité de la sortie de
métro. Concernant la végétalisation, l'ABF avait
imposé de laisser le cône de vision sur Notre-Dame. De ce fait,
seules des jardinières sont basses et dépourvues d'arbres
côté numéros impairs de la rue. Trois arbres avaient
été abattus lors de la réalisation de la trémie
côté numéros pairs et ont été
remplacés aux mêmes endroits. Les rectangles de bancs
plantés restaient sobres et modernes en granit. L'idée de
l'architecte de la DVD a été d'intégrer des assises en
granit au sein des bordures des jardinières. « Cette bordure de
granit venait prendre une épaisseur et une hauteur pour se transformer
en assise.'> L'ABF l'a validée en appréciant ce choix qui
permet de se se démarquer l'assise parisienne historique. Les choix
d'assises granit proposés lors de la concertation diffèrent par
l'agencement de la pierre et de ses teintes.
Aménagement définitif de la rue du Temple, Paris,
2023, ((c) Pierre Médecin).
Toutefois, #saccageparis a fait infléchir le choix.
Malgré la consultation sur les bancs granit, la Mairie de Paris Centre a
décidé de ne pas les construire, mais d'insérer quatre
bancs Davioud pour éviter toute nouvelle polémique, initiative
étayée par une modification de l'avis de l'ABF pour imposer les
bancs Davioud.
66
Cet exemple récent apparaît emblématique
de la nouvelle politique de la Ville de Paris à travers son
Manifeste pour la Beauté. Lily Munson
précise déjà qu'Ariel Weill est d'abord très
attaché à la concertation avec les Parisiens pour les
aménagements. Outre la consultation elle-même, il semblerait que
les Parisiens auraient émis le souhait de retrouver ce langage
urbanistique du Paris ancré dans l'imaginaire de tout un chacun. Par
ailleurs, la modification radicale des bancs contemporains en granit par des
bancs Davioud fait suite à l'expérimentation malheureuse de la
place de la République ainsi que pour les problèmes d'entretien
qui ont déjà été évoqués. De plus,
s'agissant du banc Davioud acquis par #saccageparis, Lily Munson précise
qu'« on voulait quelque chose qui soit symbolique, à
proximité de l'Hôtel de Ville. En plus de ça, sur un
secteur où il y a du passage, il y a de la visibilité. Ça
nous semblait être un bon compromis. Le maire de Paris Centre
était ravi.»
L'influence des mairies d'arrondissements
Bernard Landau confirme l'idée que
certaines mairies préfèrent éviter les attroupements, le
« squattage par les SDF », tout en précisant que le centre de
Paris et les collines de Montmartre sont plus faiblement équipées
en bancs que les autres arrondissements comme on peut d'ailleurs le constater
dans l'atlas de l'APUR de 2022.
Juliette Floc'h aborde le sujet
délicat de l'implantation des bancs et les pressions politiques à
ce sujet. Elle mentionne l'exemple de la placette de la rue Jacquard dans le
11ème arrondissement. Le projet prévoyait
l'installation de bancs Davioud ainsi qu'une petite fontaine en fonte, des
candélabres adaptés et des pavés au sol : « On
rentrait dans tous les critères de la placette parisienne
classique.» Néanmoins, le maire s'est opposé à
l'implantation des bancs afin d'éviter tout mécontentement des
riverains. Ces derniers auraient été enclins à se plaindre
des nuisances sonores provoquées par les discussions ou attroupements
bien que cette rue de 40 mètres de long soit peu passante.
Sarah Ananou rebondit sur l'aspect politique
lié aux aménagements s'agissant de la place Pigalle. Elle indique
que la mairie du 9ème arrondissement est « très
directive». Les élus souhaitaient un banc signature de la place
Pigalle, et ce, dans un délai assez court. Cela semblait difficile, le
temps de le concevoir et de le faire agréer par la CREP. Aussi, une
solution leur a été soumise : créer un banc en granit
reprenant le matériau des marches de la fontaine, qui viendrait
encercler cette dernière. Un aménagement simple, qualitatif,
faisant écho à ceux déjà présents autour de
la fontaine et validé de surcroît par l'ABF. Les élus ont
refusé cette proposition. L'ABF, sous pression politique et en signe de
compromis, a changé d'avis et a alors proposé un banc Davioud
courbe afin de contenter la mairie d'arrondissement.
Nous constatons ainsi que le choix politique l'emporte sur la
fonctionnalité et le besoin. De plus, il convient de rappeler que le
PAVE, qui reprend la loi sur le handicap, fixe la règle d'une assise
tous les 100 m. Patricia Pelloux, directrice adjointe de l'APUR et Yann-Fanch
Vauléon, paysagiste et chargé d'étude à l'APUR en
font un des actes en 2021 de l'atelier « Accessibilité dans
l'espace public pour le manifeste de la nouvelle esthétique
parisienne». Ils mettent en avant la question du nombre, de la situation
géographique et de la cadence, en admettant que l'assise n'est pas
forcément le banc et qu'il faut aussi adapter le projet en fonction des
lieux au regard des nuisances sonores potentielles109.
109 APUR, 2021, op. cit., pp. 89-90.
67
Les réseaux sociaux, un moyen de communication de
promotion de la ville
Les réseaux sociaux amplifient les
épiphénomènes de dégradations de mobilier. Le 7
mars 2022, un banc d'inspiration Davioud a été
découvert peint en rose sur le quai d'Anjou de l'Île Saint-Louis.
La photo a été mise en ligne très rapidement provoquant
l'ire de certains inter-nautes. La réaction de la Mairie de Paris Centre
a été immédiate en faisant remplacer rapidement les lattes
de bois dégradées, mais également en signifiant qu'elle
envisageait de porter plainte « contre ceux qui en sont les auteurs. Mais
aussi contre ceux qui se permettent de mettre en cause la maire de Paris, son
premier adjoint [ou moi-même], en suggérant que la Ville aurait
décidé de ce geste» comme le déclare Ariel Weil,
maire de Paris Centre110.
|
Banc Davioud peint en rose, place d'Anjou, Paris, 2022, ((c)
JCQDSE/Twitter).
|
110 LE MITOUARD Eric, «Paris : un banc Davioud repeint en
rose sur l'Île Saint-Louis, la Ville voit rouge», Le Parisien
[En ligne], 07/03/2022, mis à jour le 08/03/2022.
Lily Munson à ce propos regrette non
pas forcément la mise en couleur du banc, mais l'absence d'informations
sur les motivations de certains qui auraient engagé le changement de
couleur originelle. « Je pense qu'il y a une impression d'être mis
devant le fait accompli. On s'est fait alpaguer. C'est vrai que ce sont des
choses qu'on peut envisager dans le cadre d'événementiel. »
S'organiser et communiquer en amont aurait permis à la mairie de
soutenir cette initiative si cela servait une cause particulière tenue
à coeur par la Ville de Paris. Cela aurait éventuellement
évité toute intervention négative des réseaux
sociaux, car pour Lily Munson ils « sont le symptôme de cette
attention à ce besoin d'avoir un espace public de qualité pour
tolérer l'autre. Cependant, je me dis que c'est le revers de la
médaille d'un phénomène plus large, positif.»
Pour illustrer le propos de Lily Munson, nous souhaitons
évoquer ici quelques exemples où le banc est vecteur de
communication de la ville ou d'associations pour des causes à
défendre. C'est ainsi que la ville de Strasbourg a souhaité se
démarquer en installant des bancs de couleur soit pour promouvoir la
ville et dans un geste de réconciliation sociale après le COVID.
Il s'agit de bancs roses géants qui ont été placés
dans 10 places de la capitale alsacienne durant cinq jours en février
2022 dans le cadre du festival « Strasbourg mon amour». Les
utilisateurs, qui ont dépassé le
68
million selon les chiffres publiés par l'office du
tourisme strasbourgeois111, étaient invités à
publier les photos de leurs passages sur le site internet de la ville, mais
également sur les réseaux sociaux afin de créer le «
buzz». Ce banc, devenu un acte de promotion, a été un
élément primordial de la découverte de l'espace public
strasbourgeois à travers l'histoire de ses lieux
emblématiques.
Festival «Strasbourg mon Amour»,
Strasbourg, 2022,
((c)
www.visitstrasbourg.fr).
L'autre exemple concerne le banc rouge en hommage aux femmes
victimes de violences, mouvement qui a débuté en 2017 grâce
à la détermination d'associations de défense du droit des
femmes aussi bien à Ajaccio112 qu'à Saint-Malo. Cette
initiative s'est poursuivie dans d'autres villes de France dont plus de 20
bancs à ce jour en Corse ont fait leur apparition, mais aussi à
l'université de Clermont Auvergne et dans les villes de Toul, Oisemont,
Nozay.
Banc rouge, symbole de la violence faite aux femmes,
Santa-Maria-di-Lota, 2022,
((c) Corse Matin).
111 . GEOFFROY Bettina, « «Strasbourg mon
amour» : le bilan»,
www.visitstrasbourg.fr, mis
en ligne le 7 avril 2022, (consulté le 22/03/2023)
112 France 3 Corse Via Stella, « Ajaccio : un banc rouge
pour sensibiliser aux violences faites aux femmes», France3
région [en ligne], 25/11/2017, mis à jour le 12/06/2020,
consulté le 22/03/2023).
69
Entre uniformité et spécificité de
l'espace public parisien
La question ici se pose de savoir, au regard des
éléments déjà évoqués, si le banc
historique parisien se doit d'être déployé dans toute la
ville, pris en compte dans tous les projets à venir dans un souci de
respect patrimonial, tout quartier confondu ou si chaque quartier, par la
diversité de sa population, peut conduire à des projets paysagers
leur conférant une identité propre.
Une identité patrimoniale partagée, une
singularité affichée
Anne Hidalgo en introduction de la Beauté d'une
ville fait part de la complémentarité entre le passé
haussmannien qui a façonné la ville par son unité
urbanistique et « le patrimoine vernaculaire populaire». Pour sa
part, il s'agit d'une union entre « conservation patrimoniale et
modernité, entre tradition et audace » 113.
Lily Munson poursuit la réflexion sur
l'orientation politique de ne pas se figer dans « un passéisme avec
uniquement le mobilier du Second Empire, bien que valable. Il faut pouvoir
continuer à innover.» La ville crée davantage d'espaces
partagés en restituant des espaces de voiries. Cela génère
de nouveaux usages, « des nouvelles velléités qu'il faut
l'accompagner avec du mobilier sans pour autant trop donner de
spécificité aux espaces. [...] On doit vraiment faire
évoluer aussi notre espace public un peu au regard de ce nouveau
partage.»
En évoquant à nouveau le Manifeste pour la
Beauté, Lily Munson explique qu'il était important
d'identifier les marqueurs, toutes époques confondues et « ne pas
rester que dans un repli patrimonial. » Dans ces conditions, les nouveaux
aménagements peuvent porter des mobiliers plus contemporains, mais qui
restent en droite ligne avec la vision d'harmonie exprimée dans le
manifeste susnommé : « On ne s'inscrit pas dans Paris en faisant
une chose qui sort de l'ordinaire, on a des séquences urbaines, on a de
grandes perspectives. [...] L'idée était de recréer, de
sanctuariser de grands marqueurs plutôt que des objets qui ne pourraient
pas évoluer.»
C'est ainsi qu'elle évoque le cas de quartiers
populaires plus aux franges périphériques de Paris en indiquant
qu'aussi bien les maires d'arrondissements, les élus locaux que les
habitants ont comme discours d'avoir droit à des aménagements
d'aussi bonne qualité et en rapport avec l'histoire, en termes de
mobilier dans le cas présent, que ceux du centre de Paris : « Il y
avait la tentation par les concepteurs de proposer des mobiliers alternatifs en
mode : on a le crayon, on peut faire ce qu'on veut. En fait, les habitants nous
ont dit à un moment : « Nous aussi, on veut des [bancs] Davioud,
des colonnes Morris. Ce n'est pas juste. Nous aussi, on est à Paris et
nous aussi, on est fiers d'être à Paris et on veut de la
qualité patrimoniale.» Donc en fait, c'était plutôt
une demande.» Néanmoins, elle tempère son propos plus
particulièrement au sujet des assises dans les jardins qui sont plus
propices à de l'innovation, les usages étant plus
récréatifs ou de détente que sur l'espace public
lui-même qui offre moins de latitude. Cependant, au regard des
aménagements des places de la Nation, du Panthéon, de la
Madeleine, l'adaptation, la transformation du banc Davioud ou un changement
radical de registre architectural peuvent être des réponses
à « un usage spécifique auquel le banc Davioud ne
répondait pas. »
Dans le cadre du réaménagement des sept places
décidées par la maire de Paris à savoir : place de la
Bastille, place de la Nation, place du Panthéon, place d'Italie, place
de la Madeleine, place Gambetta et place des Fêtes,
Michèle Zaoui indique que cela s'est effectué en
co-élaboration et co-construction avec les habitants. Le mobilier a fait
partie des consultations. Ainsi, pour chacune
113 Hidalgo Anne in La beauté d'une ville.
Controverses esthétiques et transition écologique à Paris,
op. cit., p. 11.
70
de ces places, dans des quartiers aux populations
contrastées, il a été permis de mettre en exergue une
diversité sur des attentes et des usages. Le mobilier a pour objectif de
pacifier l'espace public et de redonner de l'espace au piéton sur la
chaussée circulée : « On a fait appel à des
collectifs qui se sont installés sur l'espace public, dans des
containers et qui ont parlé vraiment en vis-à-vis avec en tout
8.000 personnes sur les sept places. Très vite, le sujet des assises est
venu. On a commencé à préfigurer en matière
d'assises. On a fait beaucoup à Madeleine, au Panthéon. À
Nation, ce n'est pas vraiment de la préfiguration et Bastille rien n'a
été effectué.»
Elle indique que certains bancs ont été
créés avec des accoudoirs et des dossiers, mais que pour autant
le banc Davioud ne doit pas être délaissé, et ce quel que
soit le quartier. Par conséquent, pour les projets
précités, elle demande de compléter l'espace avec des
bancs Davioud, notamment pour les personnes âgées, fragiles :
« Au niveau, peut-être, stylistique [...] on n'est pas tant sur un
sujet de moderne contre ancien. On est sur un sujet identité de Paris.
Quand on veut vraiment porter haut l'identité, dire voilà : on
est à Paris. Ou bien on est plutôt dans un nouveau quartier ou
dans un autre quartier. Donc pour moi c'est plutôt ça
l'équilibre.»
|
Place des Fêtes, Paris, 2023, ((c) Pierre
Médecin).
|
Quoiqu'il en soit, le banc Davioud répond aux
critères « techniques, symbolique et identitaire ». Son
utilisation n'est pas faite de façon aléatoire
(«saupoudrée») : « Je défends vraiment le fait
qu'on va le mettre, par exemple, en périphérie parce qu'on va
vouloir délimiter un territoire parisien. Au coeur, on peut se permettre
autre chose. C'est une implantation très ciblée qui fait projet.
Un vrai projet dans l'implantation, c'est très important.»
Jean-Christophe Choblet explique que Paris
fonctionne par des systèmes assez simples : les grandes avenues
haussmanniennes et celles récemment créées comme l'avenue
de France, par exemple, dans le nouveau quartier Paris Rive Gauche
(13ème arrondissement). Il préconise pour les grandes
artères de maintenir l'identité parisienne, un langage connu de
tous, par la présence de bancs Davioud, de colonnes Morris et d'autres
marqueurs identitaires de la capitale. D'un autre côté, « au
sein des ZAC, on peut se permettre dans ces nouveaux espaces d'évoluer
sur le mobilier urbain, notamment sur le mobilier de confort. Pourquoi ne pas
garder une image classique, mais franchement pérenne quand les gens
arrivent à Paris même si c'est un quartier nouveau sur les grandes
artères. Par contre dès qu'on rentre dans les quartiers neufs et
récents, on travaille avec les architectes qui pilotent ces
opérations sur d'autres systèmes de bancs, d'autres
systèmes d'as-sises qui sont beaucoup plus contemporaines. Ça me
semble plus logique. »
71
À savoir si le banc Davioud doit être
généralisé dans tout l'espace public parisien,
Mathieu Gonthier tempère : « Il faut voir
où on met le curseur, bien le placer pour garder, conserver certains
repères et par contre venir un peu apporter le contemporain dans le
reste.'> La dimension écologique est un élément
important dans le choix du mobilier « par souci simplement des fois de ne
pas tout réinventer, mais plutôt de réemployer, de
réutiliser. C'est vrai qu'après, l'esthétique on peut la
discuter.'> D'autre part, il ajoute qu'on ne peut réduire
l'aménagement de l'espace public au banc, mais que les sujets sont
multiples et sont autant d'indicateurs des quartiers : les pieds d'arbres, la
manière de les planter, de les gérer, de calepiner : « Je
pense qu'il y a pas mal d'astuces à trouver autour de ça pour
amener un peu de contemporain et conserver aussi une ligne de mobilier que tout
le monde a toujours eu l'habitude de voir à Paris.'>
D'autre part, hors contexte de Paris, il précise que
dans les projets de son agence, il aime « beaucoup justement faire du
mobilier sur mesure, de se dire que chaque banc ou chaque assise vient un peu
marquer, signer un espace, parler d'espace. Le banc dans le projet de paysage
joue énormément dans la mise en scène et même dans
la disposition spatiale qu'on souhaite faire d'un espace.'>
Proposer d'autres assises dans les quartiers parisiens en
dehors du banc Davioud, n'est pas chose aisée d'après
Benjamin Le Masson : « On est plutôt dans une
période où il faut conserver au maximum, voire même
réutiliser. Mais je pense que ça va changer dans quelque temps.
C'est une question de balancier. Dans l'ancienne mandature, on était
plutôt sur l'innovation. Il fallait introduire de nouvelles assises, de
nouveaux mobiliers. On a vu les limites de l'exercice. On revient plutôt
à une homogénéité, un consensus.'> Il indique
concernant les projets sur lesquels il travaille actuellement qu'il n'y pas
plus de prise de risque pour éviter la moindre critique. Le choix du
banc Davioud reste une évidence.
Ce changement d'orientation en termes de projet se retrouve
issu d'une prise de conscience des élus par rapport aux résultats
de ces expérimentations et également par l'ambition d'Emma-nuel
Grégoire de redonner à la ville un nouveau regard traduit par le
Manifeste pour la Beauté dont il est à l'initiative.
L'architecte voyer en chef attire l'attention sur le sujet de
la muséification de l'espace parisien. « Une tendance naturelle qui
est liée à son patrimoine préexistant, y compris dans
l'espace public. Cela n'exclut pas une certaine dose de modernité.'>
Pour introduire cette modernité, cela passerait par une
réinterprétation du mobilier patrimonial, de jouer avec ces
éléments.
Un aménagement uniforme sur l'ensemble de la capitale
en matière de mobilier urbain n'est pas une solution pour Emma
Blanc. Le banc Davioud reste un symbole du Paris touristique. Le
mettre dans des quartiers hors du centre historique comme au pied des tours du
13ème arrondissement ou de l'avenue de France serait une
incongruité. Ces endroits plus contemporains mérite une
identité propre: « Ce qui est beau dans la ville comme dans la vie,
c'est le contraste. Il faut trouver le juste équilibre entre quelque
chose de rassurant comme le banc Davioud et aller de l'avant. Toutefois, ce
banc est une vraie résonance avec des espaces qui sont de la même
époque, qui sont de la même pensée, de la même
philosophie, donc de la même esthétique. En fait, il y a cette
pensée de l'époque, cet urbanisme et ces paysages de
l'époque, il y a un tout cohérent. Toutes les grandes avenues
où il trouve sa place. [...] Pour autant, en tant que paysagiste je
travaille contex-tuellement. Après, c'est une question très
difficile de savoir pour Paris s'il faut figer les choses, avoir un seul
modèle de bancs.'>
72
L'exemple du 13ème arrondissement est repris
par Juliette Floc'h qui considère que le banc Davioud
ne convient pas à un déploiement sur ce territoire: « Le
banc Davioud se prête bien rue de Rivoli, il raisonne avec le bâti.
Les quartiers historiques qui ont un bâti haussmannien devraient avoir un
mobilier historique de la même époque, réinventé ou
non. » Le 13ème arrondissement est quant à lui
très hétéroclite, restructuré, démoli,
reconstruit. Pour elle, « L'identité du 13ème est
propre au 13ème. » Sarah Ananou rajoute
que certes les bancs Davioud restent un marqueur de la capitale, mais qu'une
ville évolue, elle se réinterprète : «
L'identité de Paris est multiple. [...] Les quartiers bougent, ce ne
sont pas que des boulevards haussmanniens. »
Juliette Floc'h explique que lorsqu'elle se
rend dans des concertations et que les projets présentent le même
mobilier, certains riverains lui disent : « Mais pourquoi vous
obstinez-vous à mettre un Davioud ou un bloc granit alors que moi dans
ma rue ou quand je traverse un parc je vois tel type d'assises?». Elle
admet que pour les usagers, la lecture de l'espace public est difficile pour
comprendre comment il s'organise, il se hiérarchise entre les
différentes directions administratives.
Pour répondre au type de choix de mobilier urbain dans
la capitale, Antoine Santiard revient sur sa participation en
2022 au grand débat sur l'esthétique parisienne et notamment sur
ce qui fait le commun au niveau mobilier urbain et qui rend Paris identifiable.
Le banc Davioud n'a pas fait partie de la liste, a contrario
de la grille d'arbre ou de la bordure, mais cela serait un oubli
: « Dans une ZAC qui paraît un peu parachutée comme
ça, de manière un peu malhabile, si on reprenait des
éléments de grammaire du Paris que tout le monde a en tête,
peut-être que ça pourrait permettre de le raccrocher plus
facilement. C'est les travers des concepteurs de toujours vouloir
réinventer les trucs, nous les premiers.»
Didier Rykner est assez tranché sur le
choix des bancs dans la capitale. De son point de vue, il vaut mieux
éviter de diversifier les modèles et préférer le
banc Davioud qui n'est pas sujet à discussion. À la limite, il
consent à ce que des expérimentations soient faites hors du Paris
historique. Pour ce dernier, seuls les bancs Davioud doivent être choisis
« parce que c'est ce qu'on aime, parce que ça a fait ses preuves et
parce que c'est effectivement patrimonial. Il y a un certain vocabulaire.»
Ses critiques sont purement esthétiques quant aux choix éventuels
de nouveaux modèles, estimant que le décisionnaire ne fait pas
souvent le bon choix : « C'est une question de goût, d'ac-cord. Il y
a le bon goût et le mauvais goût. Je considère qu'ils ont un
goût, un mauvais goût.»
En outre, il reconnaît un léger changement dans
la nouvelle mandature là où #saccageparis avait pointé du
doigt certaines lacunes, de son point de vue : « Il y a quelques
concessions ponctuellement. Dès qu'il y a un banc Davioud qui revient,
oui c'est satisfaisant, bien sûr. Ce sont des concessions ponctuelles et
toute concession est une petite victoire. Mais ce n'est pas du tout
suffisant.»
Des projets contemporains attachés à l'histoire
parisienne
Michèle Zaoui détaille le
projet en cours de la porte de Montreuil dans son aménagement
piétonnier et plus spécifiquement les réflexions quant aux
assises : « La porte de Montreuil va devenir une très grande place
métropolitaine. Nous nous sommes dits avec TVK, le maître d'oeuvre
(ndla : cabinet d'architecte concepteur de la place de la République en
2013) qu'on devait disposer tout d'abord des assises d'une très grande
simplicité, très pures, très bien dessinées.
Réflexion faite, au regard du nombre important à installer, il
convenait de choisir un modèle existant dans le catalogue avec des
assises contemporaines. J'ai plutôt conseillé à TVK d'avoir
comme levier deux types de mobilier sur cette place. »
73
Plan projet de la porte de Montreuil, Paris, 2017,
((c) TVK).
Du fait du positionnement géographique de la place en
périphérie du tissu urbain parisien, elle préconise le
banc Davioud. Il a toute sa place et sa légitimité en
cohérence avec le continuum de l'espace public de la capitale : «
On est au contact avec un tissu parisien historique bien sûr, celui des
HBM. » À l'intérieur de la place, elle donne latitude
à TVK de choisir un mobilier davantage en rapport avec le vocabulaire du
jardin à l'image des jardins et squares de la capitale
équipés du banc gondole, banc également dessiné par
Gabriel Davioud. S'agissant de la traversée elle-même, elle a
demandé que soit créé un banc signature. « On est
parti sur cette trilogie. C'est ma réflexion la plus récente,
où il s'agit de se dire que le mobilier doit être utilisé
ad hoc en fonction d'une situation.» La densité du
réseau viaire fait qu'on a besoin d'espace de respiration au milieu de
tout ce trafic qui donne un sentiment d'agoraphobie. Avec le vocabulaire du
mobilier urbain, banc Davioud, colonne Morris, candélabres à lyre
« on installe une périphérie, un milieu, une ambiance
parisienne. À l'in-térieur, chaque fois que, justement, lorsqu'il
y a des surfaces plantées, on est plutôt dans le registre du
square parisien.» La spécificité du lien
métropolitain entre Paris, Bagnolet et Montreuil s'ex-prime par le lien
piéton et ses bancs signature. « C'est le coeur du projet. On veut
venir structurer la ville, soigner cette coupure» par une grande
allée piétonne, marquant la mobilité de demain et donnant
un caractère fort au paysage de la place. S'agissant du banc signature,
« je me disais qu'on pouvait vraiment avoir quelque chose de très
contemporain, même d'une couleur unique.»
74
Michèle Zaoui poursuit son propos par
le projet de la Porte de la Chapelle où une nouvelle fois le choix de
l'assise s'est posé. Ce lieu se rattache difficilement à son
appartenance parisienne, étant en périphérie dans un tissu
urbain et routier dense. Toutefois, la population du quartier revendique son
attachement à la capitale. Elle demande que le projet reprenne les codes
du Paris historique s'agissant des assises. « C'est ça qui est
rassurant, qui fait qu'on fait communauté. On a un destin commun, on a
des objectifs communs.»
Le projet prévoit des jardinières sur la place
centrale de la porte de la Chapelle bordées d'élé-ments en
granit qui servent d'assises, même matériau utilisé pour le
revêtement de sol. Dans le sens orthogonal, de larges trottoirs à
l'image « d'un paseo ou des grands ramblas » et des bancs Davioud
seront installés. Cette dualité a été
validée par l'ABF. Ces types d'assises s'adressent à des usagers
différents : une personne âgée aura toujours à
proximité, dans son champ visuel un banc Davioud avec un dossier tandis
que les jeunes, qui sont plutôt en groupe iront plus facilement vers les
bancs en granit à l'assise plus large et libre de tout accoudoir :
« Ce sont toujours des stratégies. C'est toujours quelque chose de
très lisible. Le banc Davioud, il veut dire quelque chose, il a sa
place. Ou il est en périphérie, en bas des immeubles historiques
ou il est le long d'un axe historique. Et puis après on peut se
permettre autre chose ailleurs. Mais l'ambiance est campée, elle est
mise en place tout de suite.»
|
Plan projet de la porte de la Chapelle, Paris, 2020,
((c) Richez Associés).
|
Jean-Christophe Choblet, également en
charge du projet, précise qu'il y a une dissonance réelle sur les
assises non pas en termes d'esthétique, mais au sujet du nombre et de
l'agencement. En effet, élus et riverains craignent les attroupements.
Un mobilier peut être agréé par la CREP ; ce n'est pas pour
autant qu'il sera aisé de l'installer sur le domaine public. Cet exemple
n'est pas isolé.
La place du concepteur, un rapport ambivalent avec la
Ville de Paris
Un dialogue évident pour un projet
cohérent
Dans le projet de paysage se pose dès lors la question,
au regard de la spécificité de Paris : est-ce au maître
d'oeuvre de décider des bancs qui feront partie de son projet dans un
esprit d'uniformité et de cohérence d'ensemble tel qui le
conçoit? Ou alors est-ce à la Ville de Paris, en tant que
maître d'ouvrage, d'imposer ses choix au regard de l'historique de la
capitale, des contraintes d'entretien?
75
Emmanuel Grégoire assure que, certes, Paris
possède un fort enracinement historique mais qu'il va falloir ne pas
occulter les grands enjeux écologiques d'aujourd'hui et aussi apprendre
à les conjuguer sans les annihiler. Il écrit que «
l'attachement affectif au patrimoine ne doit pas se traduire par une
créativité frileuse qui aurait pour conséquence d'enfermer
Paris dans un passé formel, alors même que notre ville a su
évoluer tout au long de son histoire » 114.
Avec son expérience de plus de trente ans au sein de la
Ville de Paris, Bernard Landau estime que c'est à elle
de choisir le mobilier, et ce pour des problèmes en termes d'entretien
et de pérennité. Il est persuadé qu'il faut maintenir
à Paris une gamme unitaire dans son exigence d'esthé-tique. En
outre, la Mairie de Paris doit être à même de proposer une
gamme de mobiliers agréés. Quel que soit le projet, ce dernier
est réussi si le mobilier urbain ne se fait pas remarquer, qu'il se fond
dans le paysage, ce qui en fait un critère d'excellence. Par
conséquent, le catalogue doit être à même
d'évoluer. Ce qui l'interroge est désormais ce terme
d'esthétique : « J'ai peur que [ce terme] soit conservatoire,
conservateur c'est-à-dire que l'on tombe dans l'effet inverse qui
flatterait une partie de l'opinion de #saccageparis qui est très
conservatrice et qui serait :« hors de ce que nous a légué
l'héritage haussmannien : point de salut. » Or je pense vraiment
qu'il y a matière à innover, à dessiner des mobiliers
contemporains qui soient très élégants et que Paris,
ça ne peut pas se limiter à l'héritage haussmannien, y
compris en matière de mobilier urbain. » Il prône les
concours de designers pour élargir la gamme, une nouvelle gamme
adaptée au Paris contemporain et à ses nouveaux quartiers.
Lily Munson, au regard de certains projets
à l'étude, avait déjà interrogé des
aménageurs à ce propos après s'être rendue compte
que ces derniers avaient fait appel à des maîtres d'oeuvre qui
« n'avaient aucune conscience des enjeux d'usage parisien. J'ai quand
même eu des architectes qui m'ont proposé pour le projet
Saint-Vincent de Paul [ndla : livraison courant 2023] des mobiliers en palettes
qu'on pouvait bouger. On retombe sur les contraintes classiques d'entretien du
mobilier urbain pour les services et qui n'étaient même pas pris
en compte. Je suis pour une collaboration paysagistes et designers parce que
les designers intègrent la contrainte très, très en amont
sur du mobilier. L'architecte, il prend la chose complètement à
l'envers, enfin, pas tous. »
La question s'est également posée pour
l'aménagement de la porte de Montreuil toujours en matière
d'entretien et de pérennité du mobilier, nous fait-elle part.
Toutefois, si la proposition de nouveau mobilier est bien justifiée et
répond à toutes les attentes et contraintes, ce dernier aurait
toute disposition à être inscrit au catalogue, argue-t-elle.
Michèle Zaoui s'accorde à dire
que la Ville de Paris doit pouvoir décider du mobilier urbain dans son
espace public dans un esprit de cohérence et de vision d'ensemble
urbanistique : « C'est très intéressant d'avoir des
personnes, des maîtres d'oeuvre diplômés qui sont dans la
maîtrise d'ou-vrage, ce qui est mon cas parce que c'est important d'avoir
un propos. Il faut évidemment laisser la créativité du
concepteur. C'est lui qui va proposer son projet, son idée. En revanche,
il est impératif que la maîtrise d'ouvrage ait une vision
extrêmement forte d'une stratégie. C'est un grand principe et
après, le maître d'oeuvre rentre dedans et propose un projet
singulier. Il faut vraiment un dialogue et une vision. »
Jean-Christophe Choblet estime que si la
maîtrise d'oeuvre est externe, « quelle que soit sa qualité,
architecte, urbaniste, paysagiste, c'est à elle de proposer dans son
aménagement les usages. Cela impose un plan d'usage : quels sont les
usages qu'on imagine et qu'on projette sur les espaces en dehors des
systèmes de circulation, voiture ou piéton.» Les
études de circulation
114 Mairie de Paris, 2022, op. cit., p. 5.
76
sont déjà effectuées par les
ingénieurs de la Ville de Paris. Le maître d'oeuvre,
avec son regard de concepteur, est là pour apporter une
plus-value justement sur ces usages : zone de repos, de rencontres, zone
ombragée avec nécessaire par rapport au changement climatique,
utilisation pour la pause méridienne... « C'est vraiment eux [les
concepteurs] qui font des propositions souvent sur des diagnostics que nous
avons faits avant. Après, l'arbitrage est effectué par les
élus, ce qui n'est pas chose aisée'> nous dit-il. De plus, il
précise que même si un banc est accepté par la CREP, cela
n'est pas suffisant pour le voir installé sur l'espace public : «
Dans beaucoup de projets, on met des bancs et ensuite on les enlève
parce que les élus, les gens qui habitent là disent que ça
fait trop de bruit.'> On en revient à l'idée que le banc,
outre sa fonctionnalité indiscutable, reste toujours un objet sujet
à controverse.
Mathieu Gonthier, en tant que paysagiste
concepteur, estime que le choix du mobilier urbain revient à la Ville de
Paris. Toutefois, au regard de ses projets en cours dans la capitale (la place
Saint-Gervais, la Cité Bonnier), il prône une discussion entre le
maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage. Certains
endroits doivent n'être équipés que de bancs Davioud, au
regard du passé historique du quartier, tandis que dans d'autres «
où la ville aura envie d'en mettre, par discussion on arrive à
faire passer d'autres choses. Il s'agit d'une bonne mesure entre maîtrise
d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre de ce qui doit en fait
faire partie de cette ligne un peu de design parisien et puis ce qui doit faire
contraste par rapport à un projet à porter.'> La Ville de
Paris doit veiller à une uniformité d'en-semble, mais cela
n'exclut pas que le concepteur, « c'est notre rôle'>, puisse
remettre en question la commande afin d'entamer une discussion de façon
judicieuse. Dans le même temps, il suggère qu'on peut aussi
utiliser une ligne de mobilier issue de catalogues dans un esprit
d'homogénéité de la ville : « Il n'y a rien de pire
aussi que d'avoir une espèce de connexion dans chaque quartier ou dans
chaque espace public d'un type de mobilier décidé par une
personne ou une agence qui a souhaité faire son petit design à
lui. [...] Il nous faut être vigilant à la bonne disposition, que
ça vienne s'intégrer, pas parachuté.'>
Benjamin Le Masson officie aussi bien en tant
que maître d'oeuvre en interne que maître
d'ou-vrage à la Ville de Paris. Il estime que c'est « au
maître d'oeuvre de concevoir son projet, son
aménagement et d'intégrer, d'insérer les assises, et donc
le choix de ces objets qu'ils soient anciens ou modernes. [...] Les
maîtres d'oeuvre doivent être à la fois des
grands historiens, faire connaitre l'histoire de Paris et son vocabulaire, son
esthétisme, pour pouvoir introduire une certaine modernité, mais
en prenant en compte cette histoire. Ce n'est pas forcément facile, mais
passionnant.'>
Il reprend le même terme que Mathieu Gonthier, à
savoir le « curseur'> donné au maître d'oeuvre
: « Il faut faire confiance [au maître d'oeuvre]
à partir du moment où on l'a choisi. Mais il faut lui
dire aussi qu'il est préférable de piocher dans les catalogues,
sauf si vraiment son projet nécessiterait d'introduire de nouveaux
objets.'> Quoiqu'il en soit, le sujet de l'entretien est récurrent.
En plus d'éviter un « patchwork'> dans l'espace public, le
discours de la Ville de Paris, de façon légitime est «
Voilà, prenez plutôt dans nos catalogues [de mobiliers urbains]
qu'on sait entretenir plutôt qu'un mobilier spécifique qui nous
posera plus de difficultés.'>
Toutefois, dans sa position de maître d'ouvrage, il
estime que le catalogue devrait être enrichi d'assises contemporaines,
éprouvées et économiquement viables. Il manque un banc
double contemporain, des chaises dont les mairies sont preneuses. Il a
oeuvré en ce sens lors de la mise en place de la ligne
de tramway s'agissant des bancs. Ceux-ci ont été dessinés
par Marc Aurel pour le fournisseur Area, les modèles Porto et Lisbonne.
Ces deux modèles avaient d'ailleurs été
agréés par la CMU et se sont imposés sur tous les
arrêts de cette ligne de transport. Il les décrit comme ayant
« un petit côté Jean Prouvé et en même temps les
lames font penser à l'aspect un peu jardin de certains bancs.'>
77
Pour les jeunes architectes que sont Juliette Floc'h
et Sarah Ananou, en tant que MOE en interne à
la Ville de Paris au sein de la DVD, le choix du mobilier dans les projets se
fait en équipe (architectes, ingénieurs, ingénieurs
paysagistes). La proposition reste mesurée : soit un banc Davioud soit
un banc granit. Toutefois, elles restent force de proposition pour des
modèles différents, mais qui demeurent des adaptations des bancs
listés ci-dessus, afin d'être en cohérence avec la
dimension du projet comme, par exemple, de grandes places. Juliette Floc'h
précise que pour sa part « le banc Davioud a vraiment
été conçu pour être dans la linéarité.
Dans cette épaisseur fonctionnelle, on met les arbres, les
éclairages, les bancs.'>
Avec l'expérience du projet de la place du
Panthéon, Emma Blanc adhère au fait que le
concepteur doit être à même de proposer le mobilier urbain :
« On m'a laissé le choix même à Paris. J'aurais
tendance à dire qu'il faut travailler en bonne intelligence avec les
maîtres d'oeuvre. C'est à eux de faire le bon choix. Un projet
c'est un partenariat entre un maître d'oeuvre, une maîtrise
d'ouvrage. Si le maître d'oeuvre porte haut ses convictions et qu'il
défend son propos, il doit être capable de convaincre son
maître d'ouvrage qu'il a toute raison d'écouter.'> Elle est
favorable à ce que les concepteurs puissent choisir dans des catalogues
proposés par les villes, « quitte à les réinterroger
et les remettre à jour'>. Elle conclut que c'est, dans ce cas, aux
élus à prendre la décision finale.
D'une manière générale, Antoine
Santiard indique que dans son agence d'architecte « on aime bien
souvent faire des bancs qui soient en résonance avec ce qu'on dessine.
On a fait aussi avec Michel Desvigne les abords de la cathédrale
d'Évreux. Les bancs sont faits avec la même pierre que ce qu'on a
fait le sol. Ils sont un peu furtifs. On voulait rester le plus neutre
possible, avec les mêmes matériaux que tout le reste.'> D'une
manière générale, il estime peu évident pour les
concepteurs de se référer aux catalogues des villes. La
réutilisation des matériaux sur place demeure également un
modèle avec l'exemple de la transformation de la place d'armes de
l'ancienne caserne de Reuilly en jardin où les bancs ont
été façonnés dans le bois des arbres
présents sur place. L'aménagement des jardins apparaît
moins contraignant, moins empreint de règles que le domaine public.
Une réinterprétation source
d'inspiration pour de futurs projets
L'exemple le plus emblématique, qui a changé la
vision du banc Davioud et qui a apporté une touche de modernité
à l'espace public, est le projet de réaménagement de la
place de la Madeleine par l'agence h2O dont Antoine Santiard est architecte
associé. La réinterprétation des bancs Davioud reste un
élément des plus marquants. Les projets actuels s'en inspirent
comme nous le verrons plus avant. Les modèles dessinés par h2o
ont retenu toute l'attention de l'APUR qui en a demandé les fichiers 3D
pour d'éventuels essais dans d'autres espaces parisiens.
Antoine Santiard nous raconte qu'« Emma
[Blanc] avait effectué un important diagnostic de la place. Elle avait
gagné le marché d'accompagnement pour tout ce qui est
préfiguration, un diagnostic analytique de la situation.'> Il
évoque tout d'abord le contexte dans lequel la place est
appréhendée, que ce soit par les véhicules ou pour les
piétons. Toute l'étude et le projet sont relatés dans
l'ouvrage Faire place, à la Madeleine que l'agence h2o a
publié en 2020 et qui est accompagné d'un kit d'assemblage des
bancs revisités en modèles réduits115. La place
est située dans un quartier de bureaux. Elle est, de ce fait,
sollicitée intensément à la pause méridienne par
les nombreux salariés environnants. Une première approche a
été de comprendre comment la place vivait à ce moment
crucial de la journée, heure d'affluence : « La meilleure place,
c'était sur les marches
115 h2o architectes, Faire place, à la Madeleine,
Paris, Building Books, 2020, 88 p.
78
Banc Davioud existant
4
5
3
2
1
6
7
Plan d'implantation des bancs Davioud modernisés, place de
la Madeleine, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).
80
de l'église parce qu'on est plein sud, parce qu'on est
un peu en retrait des voitures. On est un peu surélevé, c'est
confortable tout simplement d'être sur un escalier.'> Toutefois, le
prêtre de l'église avait émis un certain
mécontentement par rapport à ces mésusages. De plus, la
place ne disposait que de deux bancs, des bancs Davioud : « La commande
était d'amoindrir la place de la voiture et que cette place soit moins
un rond-point, mais un lieu où on peut venir pour faire du vélo,
pour faire du roller, pour s'assoir, pour que le « marcher'> soit un
peu moins moribond. Les contre-allées ont été
comblées et la zone du parvis étendue. On avait des espaces plus
propices pour installer des pauses méridiennes et faire en sorte que les
gens puissent désenclaver ces marches et trouver un peu d'ombre,
différentes situations pour déjeuner, pour s'assoir, pour
attendre.'>
Néanmoins, il évoque que tout ceci ne s'est pas
effectué sans mal. De nombreux débats, des réunions
publiques, ont eu lieu avec les architectes des Bâtiments des France, les
représentants des commerçants, les riverains, le prêtre
ainsi que la Mairie de Paris. Les propositions d'assises ne convenaient jamais
en rapport avec l'édifice religieux que ce soit en termes de
positionnement que d'esthétique. De plus, chaque direction de la Mairie
de Paris listait également ses propres contraintes, ce qui rendait la
tâche d'autant plus complexe.
En reprenant le projet, l'agence h2o a pris conscience qu'il
fallait se reculer suffisamment et utiliser les alignements d'arbres existants.
Ces derniers étant incomplets pour diverses raisons techniques,
historiques et la présence locaux en soubassement de la place. Ils ont
néanmoins pu compléter les alignements afin de redonner une
cohérence d'ensemble à cette place. Grâce à cette
idée, la question de positionnement des bancs était devenue
évidente : « utiliser le rythme de ces arbres pour installer une
situation d'assises.'> Cependant, au regard de l'ampleur de la place, les
bancs Davioud en l'état ne paraissaient pas occuper pleinement l'espace.
Oublié dans un premier temps avec les autres propositions, le banc
Davioud avait été à nouveau suggéré dans sa
réin-terprétation. Les avis négatifs s'agissant des
assises concernaient le design non sur l'usage ou le nombre. Ce banc offrait
les mêmes possibilités que toute autre assise sauf que la question
de l'esthétique n'en était plus une.
Antoine Santiard nous confie : «
Pourquoi c'était le banc Davioud au départ sur ce projet? Nous
avons fait des visites au CMA. Ils nous ont dit : « Voilà, vous
avez de la matière, soyez inventifs, travaillez avec des bordures, avec
des grilles d'arbres'> et au milieu il y avait un paquet de tas de
piétements. On s'était dit « tiens, on peut peut-être
faire quelque chose avec ces piétements. C'était une alternative
qui, au début, n'avait pas été très
regardée. On a bossé ce scénario-là et on s'est
rendu compte qu'on pouvait le faire vivre et qu'avec une même base il y
avait plein de solutions possibles. [...] C'est un banc redoutablement
efficace. [...] Ce qui nous intéressait, ce n'était pas le banc
en lui-même, mais de créer des situations. Le banc Davioud, il est
magique, parce qu'il a deux côtés, une assise, un dossier. Les
gens l'utilisent de mille façons [...] Toutes ces situations quand on
les décuple en enlevant peut-être des planches d'un
côté, en rajoutant une table, génèrent des
manières innombrables de se l'approprier. Nous, on adore, ça.
'>
Les études ont abouti à sept modèles de
bancs déclinés en variantes suivant leur implantations :
près d'un kiosque, autour d'un arbre, avec une table, tronqués.
Il précise : « On avait fait [des] petites maquettes, pour essayer
d'emmener tout le monde dans notre récit. Quand on l'a remontré
en réunion de concertation, ça n'a plus fait débat. Ils
ont trouvé ça formidable. On m'a demandé de laisser la
maquette à Anne Hidalgo et c'était entériné.
Quelque part, ça n'a plus fait débat.'> De plus, il informe
que ce projet a été permis hors clivage politique. Il s'agit du
seul projet de réaménagement des sept places dans un
arrondissement dirigé par l'opposition municipale.
81
De plus, Antoine Santiard apprécie ce banc pour son
côté furtif. L'aménagement s'en révèle
réussi dans la mesure où les gens identifient le banc Davioud
tout en notant éventuellement une forme différente. Mais les
codes du banc Davioud restent.
Jean-Christophe Choblet a été
agréablement surpris par la proposition de h2O bien que
réfractaire initialement. Pour lui, il faut donner toute l'importance
dans le projet à ceux qui font vivre la rue : « Je ne suis pas du
tout pour cette espèce de retour en arrière bourgeois de la
ville. Je trouve que, si on arrête d'expérimenter, on arrête
de vivre. Moi, [le banc] Davioud, je l'ai toujours dit, on y est mal assis. Ce
banc twisté c'est vraiment pour moi un pied de nez à une forme
passéiste de l'espace public. Ça marche assez bien, car il est
clair que la première fonction d'un objet, c'est qu'il soit
utilisable.»
Cette réinterprétation moderne des bancs Davioud
s'accorde avec des projets en études. Juliette Floc'h
détaille le projet en cours du parvis de Saint-Augustin dans le
8ème arrondissement. Les propositions se veulent innovantes
sans toutefois dévier de la trajectoire politique du Manifeste pour
la Beauté. « On est volontaire, on propose.»
L'aménagement du parvis reste classique par la suppression de la
chaussée circulée, la création d'un ensemble
piétonnier entre l'église et la statue avec des bandes
plantées, du granit au sol et la conservation des candélabres
existants. Le petit détail réside dans le choix du banc : «
À l'échelle de cette future place qui fait plus de 1.000
m2, on trouvait qu'un banc Alphand de dimension normale faisait un
peu petit, il aurait fallu en mettre beaucoup. On a proposé typiquement
les mêmes bancs que sur la place de la Madeleine, c'est-à-dire les
trois pieds et la latte de bois qui fait 5 mètres.» Bien que ce
mobilier ait été validé par la CREP lors du projet de la
place de la Madeleine, il a fait l'objet d'une nouvelle validation pour ce
projet. Ce modèle très spécifique ne peut pas être
déployé partout. Il doit être préalablement et
systématiquement soumis à l'approbation de la CREP.
6 7
Cet exemple le rôle primordial de la CREP.
Au-delà de son rôle de choix de l'esthétique du mobilier
urbain, elle donne également son aval pour chaque projet afin de
maintenir la cohérence telle que portée par le Manifeste pour
la Beauté. Néanmoins, s'agissant de l'aménagement de
la place de la Madeleine, il semble qu'il y ait quelques incongruités.
Certains bancs, aussi bien en arc de cercle que droits sont orientés
vers les kiosques des fleuristes. L'aspect paysager reste
équilibré par une occupation cohérente de l'espace.
Toutefois, en termes d'utilisation, la position assise face à un mur
à moins de 2 mètres pose question. Faut-il essayer de maximiser
le nombre de places par banc alors qu'une simple assise aurait pu suffire?
82
Entre projet artistique et paysage
Emma Blanc est la paysagiste conceptrice de
la place du Panthéon dans le 5ème arrondissement. La
Ville de Paris semblait être demandeuse de bancs Davioud à
l'initiation du projet. Néanmoins, la paysagiste a estimé que le
projet n'était pas cohérent avec l'aménagement qu'elle
avait établi : « Le projet défendait une symbiose et une
forme d'osmose avec la matérialité du sol. Il se
présentait comme un projet hybride à cheval entre le paysage et
une intervention artistique.» Elle précise que ce projet devait
être éphémère pour l'année 2018,
uniquement, bien qu'il perdure encore.
Après nous être rendu sur site le samedi 18
mars 2023, en après-midi, lors d'une journée
ensoleillée, nous avons compris la vision d'Emma Blanc qui le voit comme
un lieu incroyable de rencontres. Les assises bien que nombreuses, aussi bien
les bordures de trottoir en pierre recyclées qu'en lattes de bois en
acacia, étaient prises d'assaut. L'utilité du banc a
dépassé le côté design et la dimension historique
attachée au Panthéon (1764) : « C'est intéressant en
fait toute cette friction entre des lieux contemporains et des lieux
sacralisés. Le pourcentage de l'un vis-à-vis de l'autre, c'est
ça qui pose problème aujourd'hui. Mais je pense qu'on peut vivre,
avec ces espaces, ces dichotomies dans l'espace public très facilement.
Il faut juste être en pleine conscience de ce qu'on fait et
d'assumer.»
|
Place du Panthéon, Paris, 2023,
((c) Pierre Médecin).
|
Cet aménagement est en droit d'interroger puisqu'en
fait tout le monde se focalise davantage sur le bâtiment. Ce dernier est
considéré d'ailleurs par Bernard Debarbieux comme « un lieu
de réalisation d'un territoire qui confère la structuration dudit
territoire et des points d'ancrage de l'enracinement mémoriel
»116. Pour Emma Blanc, « on ne parle pas de ce qui fait
sens, c'est-à-dire de la place. Elle permet au bâtiment d'avoir le
recul nécessaire pour qu'on puisse apprécier. Et ça, c'est
dommage, ce n'est pas très cohérent. » Elle déplore
qu'on ne parle pas assez d'espace public dans ses « qualités
propres, mais toujours par rapport aux bâtiments alors que ce sont deux
choses qui vont de pair.»
Quant au choix des matériaux, ils se voulaient
modestes. Initialement, il s'agissait de cales en bois, car pour Emma Blanc
l'assise répond à un besoin d'usage plus qu'un besoin de design :
« On choisit de ne pas rentrer dans la question du design, de rester le
plus sobre possible. Le non-design, c'est du design aussi. » Elle indique
toutefois que des études en amont avaient été
engagées pour
116 DEBARBIEUX Bernard, « Le lieu, le territoire et trois
figures de rhétoriques», L'espace géographie,
n°24/2, p 108.
83
proposer des piétements de type Davioud ou en les
réinterprétant pour « lui faire un clin d'oeil
contemporain». Toutefois, la Ville de Paris a décliné cette
proposition pour des questions financières au regard du nombre important
de bancs prévus.
De plus, la réalisation des assises a été
pensée telle qu'elles ne devaient pas dépasser la hauteur du
socle du bâtiment « pour le mettre en scène» afin de
respecter son histoire, sa matérialité et sa dimension symbolique
: « En fait l'idée était vraiment de s'emparer de la place
par la duplication des bancs, arriver à faire projet et à faire
oeuvre.» La multiplicité des assises n'est pas uniquement là
pour accueillir la foule d'étudiants du quartier de la Sorbonne, mais
également, quand elle est vide, à donner une présence
à l'espace : « C'est une réciprocité de pensée
entre l'objet, l'espace et l'usage. »
Cet aménagement qui ne devait être que temporaire
s'inscrit désormais dans le temps. Emma Blanc se pose la question de
savoir quel sera le prochain aménagement et quelles leçons en
seront tirées par rapport à son projet qui somme toute a
suscité de vives réactions aussi bien positives que
négatives.
Jean-Christophe Choblet précise que la
question de l'assise a également été envisagée par
rapport à la question du genre, plus particulièrement de la femme
dans l'espace public, qui fait référence au « guide
référentiel du Genre et espace public» édité
la première fois en 2016 et dont la deuxième édition a
été publiée par la Mairie de Paris en 2021117.
Il prend pour ce faire l'exemple des méridiennes, les « tapis
volants», larges assises ondulées sur lesquelles il est facile de
s'allonger : « En termes d'usage, ça fonctionne et puis on est
vraiment sur l'abandon du banc. On va au-delà du banc, quelque chose qui
est plus généreux que le banc. » Déjà en 2021,
lors de l'atelier organisé par l'APUR sur le genre dans l'espace public,
il mentionnait que « l'ergonomie est un outil très efficace pour
permettre aux femmes et aux jeunes femmes de se mettre dans une forme
d'aménité de sécurité dans l'espace public »
118. D'ailleurs à ce propos, Emma blanc dans son intervention
lors de l'atelier « Enjeux esthétiques de la mémoire et de
la culture» justifiait également ses choix en faisant un travail
sur la mémoire emblématique du Panthéon où la
devise « Aux grands hommes la Patrie reconnaissante» est devenue pour
elle « Aux grandes femmes la Patrie reconnaissante» 119.
|
Méridiennes en bois,
place du Panthéon, Paris, 2023, ((c) Pierre
Médecin).
|
|
|
|
117 Direction de la démocratie des citoyen.nes et des
territoires, Guide référentiel 2, Genre & espace
public, Paris, Ville de Paris, 2021, 187 p.
118 APUR, 2021, op. cit, p. 26.
119 APUR, 2021, op. cit, p. 72.
84
Limite entre espace public et jardin
L'agence de Mathieu Gonthier, Wagon
Landscaping, a été lauréate du projet du jardin
mémoriel de la place Saint-Gervais (4ème
arrondissement). S'agissant du projet et des assises, les bancs Davioud
présents sur la place seront déplacés et
positionnés en périphérie du jardin dans le cadre d'une
réflexion totale d'une façade à l'autre. Des bancs en
pierre seront disposés à l'intérieur, devant les
stèles en accord avec le revêtement de sol de la même pierre
: « On a fait une espèce de frontière entre l'espace public
et le jardin. Le banc Davioud nous aide parce que, justement, il appartient au
vocabulaire de l'espace public, identifié partout, depuis toujours. On a
vraiment envie de conserver des usages urbains du quotidien ou touristique
autour du jardin.» Il travaille sur le contraste entre intérieur et
extérieur, en jouant sur les deux vocabulaires à la fois, celui
du jardin et du lieu de recueillement et celui de l'espace public. Cette
volonté risque de ne pas être réalisée et demeure
liée aux problèmes de sécurité. En effet, des
bornes en granit pourraient être installées contre les
véhicules béliers, comme c'est le cas récemment sur la
place de la Bastille.
Projet du jardin mémoriel de la place Saint-Gervais,
Paris, 2022, ((c) Wagon Landscaping).
85
CONCLUSION
Notre travail de recherche a mis en évidence la place
prépondérante qu'occupe le banc Davioud au sein de la politique
urbanistique parisienne. L'ensemble des personnes avec lesquelles nous nous
sommes entretenus sont unanimes quant à la qualification du banc
conçu au Second Empire. Alors qu'il n'était qu'un «
accessoire » des promenades d'Alphand, qualificatif donné par
Haussmann, il est désormais un marqueur de l'identité parisienne,
une icône, un élément de la grammaire de l'espace
public.
Nous constatons que dès les années 1970 il y a
eu une volonté de maîtriser le choix et l'implan-tation du
mobilier par la Mairie de Paris. A ce titre, des commissions successives ont
été créées pour la sélection notamment des
bancs sur la voirie. Ces commissions sont sources d'impulsions et de
réflexions pour l'aménagement de l'espace public. Il s'agit tout
d'abord de la Commission de Mobilier Urbain (CMU) qui a été
remplacée depuis janvier 2022 par la Commission de Réhabilitation
de l'Espace Public (CREP). Le mobilier urbain des jardins est maintenant inclus
dans les attributions de cette nouvelle commission.
Cependant, la CMU ne s'était plus réunie depuis
2014 pouvant expliquer certaines dérives qui font l'objet de
polémiques sur les réseaux. A l'aube de la deuxième
mandature de la première édile, la Mairie de Paris fort des
écueils rencontrés par les choix de certains bancs, hormis le
banc Davioud « nouvelle génération», décide de
réinstaurer une nouvelle commission, la CREP qui s'ins-crit dans sa
politique d'un manifeste pour l'esthétique d'une ville. C'est ainsi
qu'elle publie en juin 2022 le Manifeste pour la Beauté qui
répond aux précédentes interrogations où le banc
Davioud reprend sa place, reconsidéré comme incontournable.
Néanmoins, il serait réducteur d'envisager le
banc Davioud comme la réponse absolue à tous les projets. Nous
avons pu constater que l'espace public donné au piéton
s'agrandit. L'adaptation du banc historique et sa réinvention font toute
l'intelligence aussi bien des concepteurs que de la Mairie de Paris. Savoir
proposer des adaptations de modèles qui ont déjà fait
leurs preuves montre la capacité à jouer avec le
côté patrimonial approprié aux besoins contemporains
où le dialogue est une volonté commune entre les concepteurs et
la Ville de Paris. La Ville Lumière n'est pas une ville musée et
depuis le Manifeste pour la Beauté, elle renforce cette envie
d'adaptabilité et de respect. Le banc Davioud en est le trait d'union.
Cette vision et cette intelligence portées par la mairie se conjuguent
pour redonner un côté contemporain à des lieux aussi bien
emblématiques du coeur de la capitale qu'à sa
périphérie où le lien, un véritable cordon
ombilical, est vecteur de cet attachement. Ceci n'est pas un frein à
l'innovation, et faire confiance au concepteur pour oser, tout en respectant
les lieux, c'est aussi faire preuve d'une ouverture d'esprit traduite par l'art
qui s'introduit dans la ville.
A ce propos, des réadaptions du banc Davioud ont vu le
jour. Concernant la place de la Nation, le banc Davioud dispose d'assises en
porte-à-faux. Sur la place de la Madeleine toute une déclinaison
du banc Davioud a été conçue dont des bancs courbes. Ces
réinterprétations sont une réponse à la
fréquentation de plus en plus importante de l'espace public. Le banc
Davioud classique par sa taille ne répond plus aux critères
à moins de les multiplier sur de grands espaces, desservant ainsi
l'aspect paysager. Notre arpentage a toutefois mis en évidence que
certains projets servent davantage une cohérence paysagère au
détriment de l'usage avec des bancs disposés, par exemple, face
à une cloison.
86
Toutefois, bien que le catalogue de bancs soit clairement
défini, il demeure une interrogation vis-à-vis de leurs gestions.
Nous constatons que la limite entre l'espace public et le jardin devient floue.
En effet, la couleur du piètement des bancs renseigne sur le service
administratif gestionnaire : vert pour la Direction des Espaces Verts et gris
pour la Direction de la Voirie et des Déplacements. Historiquement, le
banc Davioud est associé à la voirie. Les aménagements
actuels voient pénétrer les espaces verts dans l'espace public
conduisant alors à certaines incohérences ou
incompréhensions en matière paysagère. La CREP
désormais assure une transversalité des informations entre
services pour harmoniser l'espace public. Elle reprend le modèle
alphandien qui impulse une porosité au sein des services de
l'époque où chaque corps de métier se met au service de
l'autre.
Assoir la ville, ce n'est pas la soumettre, ni l'imposer.
Assoir la ville, c'est considérer la richesse de la population,
Parisiens, Parisiennes, touristes, qui font de l'espace public le lieu de vie
du vivre ensemble. S'assoir, c'est profiter. Profiter de soi et de sa propre
existence dans l'espace public, profiter de l'autre où le banc devient
un lieu d'échanges, profiter du paysage qui nous entoure et
apprécier Paris à travers son histoire et son impulsion dans un
urbanisme toujours mouvant.
87
BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES
AUREL Marc, designer, « De la ville à
l'objet» in PRALIAUD Claude (dir.), 10 ans de mobilier
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CONFERENCES
SANTINI Chiara, Davioud Gabriel architecte du mobilier urbain
de Paris sous le Second Empire, Comité d'Histoire de la Ville de
Paris, Théâtre du Châtelet, Paris, avril 2021, 58 min.
https://www.youtube.com/watch?v=ALediYdZ5Ws
92
CHANSONS
BRASSENS Georges, Les Amoureux des bancs publics,
Polydor, 1953.
FILMOGRAPHIE/REPORTAGES
FLEMING Andrew, Emily in Paris, 2021, série
télévisée couleur, États-Unis d'Amérique,
Darren Star productions, Jax Media, MTV Entertainment Studios, saison 2,
épisode 9, 29 min.
France 2, Les 4 vérités, émission
télévisée, France, 15 avril 2021, France
Télévision, 2 min 18 s.
KING Michael Patrick, Sex and the City, 2004,
série télévisée couleur, États-Unis
d'Amérique, King Michael Patrick, saison 6, épisode 20, 45 min 05
s.
SITES INTERNET :
https://idee.paris.fr/project/reamenagement-du-bas-de-la-rue-du-temple/step/retrouvez-ici-les-resultats-du-vote
consulté le 15/10/2022
https://idee.paris.fr/project/reamenagement-du-bas-de-la-rue-du-temple/questionnaire/projet-de-reamenagement-definitif-du-bas-de-la-rue-du-temple-entre-la-rue-de-la-verrerie-et-la-rue-sainte-croix-de-la-bretonnerie
consulté le 15/10/2022
93
GLOSSAIRE
ABF : architecte des Bâtiments de France
AEAT : Agence des Études Architecturales et
Techniques
APUR : Atelier Parisien d'Urbanisme
CMA : Centre de Maintenance et d'Approvisionnement
CMU : Commission Municipale du Mobilier Urbain
COARC : Conservation des OEuvres d'Art Religieuses et
Civiles
CREP : Commission de Réhabilitation de l'Espace
Public
DAUC : Direction de l'Aménagement, de l'Urbanisme et de
la Construction
DCPA : Direction de la Construction, du Patrimoine et de
l'Architecture
DEVE : Direction des Espaces Verts et de l'Environnement
DPE : Direction de la Propreté et de l'Eau
DVD : Direction de la Voirie et des Déplacements
HBM : Habitation à Bon Marché
MOA : Maître d'Ouvrage
MOE : Maître d'OEuvre
PAVE : Plan de mise en Accessibilité de la Voirie des
Espaces publics
SAGP : Service des Aménagements et des Grands
Projets
ZAC : Zone d'Aménagement Concertée
Les réseaux sociaux ne manquent pas depuis quelques
années de mettre en exergue les moindres défauts de l'espace
public parisien. Cela a conduit à une certaine polémique qui a
décidé les acteurs publics depuis 2020, date de début de
la deuxième mandature d'Anne Hidalgo, maire de Paris, de revoir la
politique urbanistique parisienne.
Parmi les différents sujets critiqués depuis la
première mandature (2014-2020), le banc a été l'excuse
pour remettre en cause cette politique. La polémique a pris de
l'ampleur, ayant été relayée dans la presse nationale. Le
banc historique, créé au Second Empire sous Haussmann par Gabriel
Davioud, en est le fer de lance. Il s'agit du banc vert à double assise
en bois et aux piétements en fonte, véritable marqueur de la
capitale.
Ce mémoire, après un rappel historique de
l'apparition du banc dans l'espace public parisien, s'attache à
démontrer comment la Ville de Paris a engagé dès les
années 1970 une régulation de la multiplicité et des choix
du mobilier urbain. L'étude se concentre sur le banc Davioud, sur son
intégration, sur son oubli au profit d'expérimenta-tions et sur
sa remise en valeur. De plus, nous nous sommes interrogés sur la place
que tient ce banc dans l'imaginaire collectif et les valeurs qu'il
véhicule en tant qu'élément prépondérant de
l'espace public parisien.
Les travaux de recherche, outre la bibliographie, s'appuient
sur des entretiens réalisés aussi bien auprès des services
techniques et des hautes instances administratives de la Mairie de Paris
qu'auprès d'ar-chitectes, de paysagistes et d'internautes.
Ces échanges ont permis de faire émerger trois
grandes thématiques. La première concerne l'organisation
municipale dans le choix et la gestion du mobilier urbain en s'attardant plus
spécifiquement sur les bancs. La deuxième est relative à
la place du banc Davioud dans l'espace public et le rapport qu'entretiennent
les Parisiens avec cet élément de la grammaire urbanistique.
Quant au dernier thème, il s'agit de la place qu'occupe ce banc dans les
projets d'aménagement et l'interaction entre les concepteurs et la
Mairie de Paris. Comment celle-ci a remis cette icône au centre des
projets par une réinterpré-tation de son design. Entre
patrimonialisation et contemporanéité, le banc Davioud en est le
trait d'union.
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