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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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i

 

UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY - MONTPELLIER III
Art et lettres, Langues et Sciences Humaines et Sociales
U.F.R III: Géographie et aménagement

Dossier d'Habilitation à Diriger des Recherches

Présenté et soutenu publiquement le 18 décembre 2014

Par

Natali KOSSOUMNA LIBA'A

Inscrit aux fonctions de Maître de Conférences par décision en date du 5 février 2009

VOLUME 1 - POSITION ET PROJET SCIENTIFIQUE

LES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE
Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire
rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?

Sous la Direction de:

Geneviève CORTES

Professeure des Universités

Université Paul Valéry - Montpellier III (France)

Membres du jury:

· Emmanuel TORQUEBIAU (HDR, CIRAD de Montpellier, Président)

· Geneviève CORTES (Professeure, Université Paul Valéry Montpellier III, Tutrice)

· Jean Philippe TONNEAU (HDR, CIRAD de Montpellier, Rapporteur)

· Hélène GUÉTAT (Professeure, Université Jean Moulin Lyon III, Rapportrice)

· Thierry LINCK (Directeur de Recherche, INRA, Rapporteur)

Année académique 2014-2015

Cette Habilitation à Diriger des Recherches a été réalisée avec le soutien scientifique et/ou financier des institutions et organismes suivants que nous tenons à remercier.

Service de Coopération et d'Action Culturelle de

ARTDEV - Acteurs, Ressources et Territoires l'Ambassade de France au Cameroun
dans le Développement

ii

Université de Maroua (Cameroun)

 

Centre de Coopération Internationale en
Recherche Agronomique pour le Développement

iii

Résumé

Malgré la fixation des éleveurs sur de petits territoires où restent une partie de la famille toute l'année, la mobilité des animaux continue sur des territoires morcelés, difficilement accessibles et en réduction permanente. L'objectif de cette contribution était d'analyser le fonctionnement des territoires de mobilité pastorale, les logiques et les stratégies des acteurs en présence et de pouvoirs dégager les conditions de leur réhabilitation et de leur préservation. Il s'agissait également de mettre au point une démarche de recherche de consensus entre les acteurs locaux pour la définition conjointe et concertée des limites de ces territoires, des modalités de leur fonctionnement et de leur gestion harmonieuse et durable.

Les résultats montrent que les territoires de mobilité pastorale sont sous forte pression à cause des migrations massives des agriculteurs vers les espaces dédié anciennement à l'élevage qui sont mis en culture, l'augmentation du cheptel bovin avec la diversification des acteurs qui s'intéressent à cette activité, l'insécurité sur le foncier pastoral exacerbée par l'omniprésence des autorités traditionnelles qui impose leurs lois pour sa gestion et son contrôle en lieu et place des lois étatiques et au détriment de ceux qui l'exploitent, la présence de vastes zones protégées interdit de pâturage. À cela il faut ajouter l'arrivée récente des éleveurs mbororo venant de la République Centrafricaine fuyant les exactions des anti-balaka. Les territoires de mobilité pastorale semblent suffisants, mais ils sont mal répartis dans l'espace et leur accessibilité pose problème.

Les résultats montrent également que les acteurs qui utilisent, gèrent et exploitent les territoires de mobilité pastorale à savoir les éleveurs, les agriculteurs, les citadins, les autorités traditionnelles et administratives entretiennent des relations d'échanges, de complémentarités et de conflits. La diversification de ces échanges et la proximité géographique entre les acteurs contribuent à l'atténuation des situations conflictuelles qui sont de moins en moins violentes. Elle peut également être une base sociale solide pour la concertation autour des territoires de mobilité pastorale.

Après avoir contextualisé la situation de la mobilité pastorale, l'un des résultats majeurs de cette contribution est la définition des territoires de mobilité pastorale. Au Nord-Cameroun, les autorités traditionnelles locales sont au centre de l'appropriation, de la gestion, de l'exploitation des territoires ruraux. À la place de l'État et de ses lois foncières, le pouvoir coutumier est au centre de toutes les décisions et actions sur le territoire. C'est pour cela que sa caution est en permanence recherchée pour garantir le succès de toute entreprise visant à faire évoluer les modes de gestion, d'organisation et de fonctionnement des territoires de mobilité pastorale.

Un autre acquis de cette contribution se fonde sur les efforts de caractérisation des différents territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun avec les acteurs en présence et leur fonctionnement. Ces territoires s'appuient et s'organisent à partir des territoires d'attache où vit en permanence une partie de la famille des éleveurs et où ils pratiquent une agriculture de subsistance. Autour de ces territoires de fixation s'organise la mobilité dans les territoires de proximité complémentaires des villages environnants où les animaux pâturent les résidus de récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes principalement). Ces territoires sont complétés par les territoires lointains délimités ou non pour la petite et grande transhumance dont l'accès est souvent difficile à cause de l'obstruction des pistes à bétail par les cultures. En plus de ces territoires reconnus, les éleveurs utilisent également les territoires illicites (aires protégées) où ils « volent » du pâturage.

À la fin de ce travail, nous avons proposé une démarche de concertation pour une gestion et exploitation durable et harmonieuse des territoires de mobilité pastorale. Cette démarche capitalise les acquis des principaux projets et programmes passés qui se sont attachés à la sécurisation et à la gestion intégrée des ressources agropastorales. Elle prend également à son compte pour essayer de les minimiser les conflits d'intérêts entre les utilisateurs et les conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et de régulation. La démarche proprement dite s'appuie sur six phases allant de la phase d'identification et de formulation à la phase de mise en oeuvre en passant par l'analyse, la négociation, la concertation et le choix. En ce qui concerne les territoires illicites de mobilité pastorale, un consensus est à rechercher autour des aires protégées en prenant des initiatives de cogestion et les plateformes de négociation pour que les éleveurs et les agriculteurs se sentent concernés par l'objectif de préservation de cette biodiversité.

En définitive, les processus actuels de décentralisation de la gestion du territoire doivent aboutir à l'élaboration de conventions locales et de règles de gestion consensuelle des territoires de mobilité. Leur succès n'est possible que si les différents groupes d'usagers et d'intervenants sont suffisamment formés et impliqués dans cette gestion et si les intérêts de chacun sont pris en compte. Même si les autorités traditionnelles sont pour le moment les acteurs forts dans ce système, une forte implication des pouvoirs publics pourraient permettre aux acteurs faibles de mieux s'intégrer dans le dispositif réglementaire de gestion de ces territoires de mobilité pastorale.

Mots-clés : Territoire, mobilité pastorale, élevage, agriculture, aires protégées, consensus, négociation, Nord-Cameroun.

iv

Abstract

In spite of the settlement of cattle-rearers in tiny territories where their families put on all year long, animals' mobility is still going on small territories, hardly reachable and permanently reduced. . The present contribution aimed at analyzing the functioning of territories of husbandry mobility, the logics and strategies of stake-holders in presence and to expose conditions of rehabilitation and preservation of those territories therefrom. The aim was equally to put in place mechanisms of consensus among the local populations for a joint and concerted definition of territorial boundaries, of modalities of their functioning and of their good and sustainable management.

Results arrived at show that territories of pastoral mobility are under strong pressure due to mass farmers' migration toward spaces hitherto dedicated to husbandry which are put to use, the increase in the number of cows coupled with the diversification of actors getting interested in this activity, the insecurity on land tenure further worsened by the omnipresence of traditional authorities who impose their veto on the management and control in the place of state laws to the detriment of those who exploit it, the presence of large husbandry-free areas. To this, should be added the massive arrival of Mbororo cattle rearers fleeing from the violence meted by the anti-balaka in the Central African Republic.

The results also show that people who use and manage pastoral mobility territory, namely shepherds, farmers, city-dwellers, traditional authorities entertain exchange relations, of complementarity and conflicts. The diversification of those exchanges and the geographical proximity between the actors will contribute to the decrease in the heating situations of conflict which are less and less violent. It can also be a stout social basis for agreement around territories of pastoral mobility.

After contextualizing the situation of pastoral mobility one of the major results of the present contribution is the definition of territories of pastoral mobility. In Northern Cameroon, traditional authorities are in the middle of the appropriation, management and exploitation of rural territories. In the place of the State and its laws on land tenure, traditional power is in the middle of all decisions and actions on this territory. This is why its caution is permanently searched for in order to guarantee the success of all enterprises aiming at moving forward modes of management, and of organization and functioning the territories of pastoral mobility.

Another contribution which can be taken for granted is based on the efforts of characterization of various territories of mobility in Northern Cameroon with actors in presence and their functioning. Those territories are based and leaned from their base-territories where part of their family live permanently practicing subsistence agriculture. Around these points of settlement, , mobility in complementary proximity territories surrounding the villages where animals eat left-over grass of harvested crops during the dry season as well as in small-size grazing areas which are thereto found (uncultivated mountains mainly). These territories are completed by farfetched territories limited or not for small or high mass-cattle movement which makes access difficult due to hindrances found on the cattle-lanes. In addition to those known territories, cattle rearers also illicitly use (protected areas), where they `steal' grass.

At the end of this endeavor, we have made a proposal on how to go about the management and e sustainable and good exploitation of territories of pastoral mobility. This proposal takes into advantage main assets of former fundamental projects and programs which were linked to the integrated managements of agro-pastoral resources. It also takes into its account the duty of minimizing conflicts of interest between the users and conflicts for power between instances of mediation and regulation. How to go about it consists of six stages ranging from the identification and formulation stage to the stage of putting in place through the analysis, negotiation, concertation and choice. As far as illicit pastoral mobility territories, a consensus should be searched for around protected areas by taking initiatives of co-management and platforms for negotiation so that cattle rearers and farmers should be part of the move toward the preservation of biodiversity.

Finally, current processes of decentralization of the management of territories should arrive at the elaboration of local conventions and of rules of concerted management of natural resources. Success in these initiatives is only possible if different groups of users and part-takers are well informed and implicated into this management and if each person's interest is taken into consideration. Even if traditional authorities are for now strong actors in this system, a strong implication of public powers would eventually enable weak actors to better integrate themselves within the regular set up of the management of territories of pastoral mobility.

Key words: Territory, mobility, husbandry, farming, protected areas, consensus, negotiation, Northern Cameroon.

v

Table des matières

Résumé i

Abstract iv

Table des matières v

Remerciements ix

INTRODUCTION GENERALE 1

Préambule 1

Problématisation 3

Démarche méthodologique 5

Échelle d'observation et d'analyse 6

Hypothèse de recherche 11

Clarification du concept de territoire de mobilité pastorale 12

Positionnement théorique 16

Collecte de données complémentaires auprès des acteurs 17

Apports majeurs dans le cadre de l'Habilitation à Diriger des Recherches 20

PREMIERE PARTIE : CONTEXTUALISATION SPATIALE ET SOCIETALE DES

TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE 23

Chapitre I. Enjeu spatial de la mobilité pastorale au Nord-Cameroun 24

I.1. Les enjeux du développement des territoires ruraux au Nord Cameroun 25

I.2. Élevage soumis à plusieurs contraintes 29

I.2.1. Pressions sur l'espace pastoral 30

I.2.2. Crise écologique 31

I.2.3. Crise sociale 33

I.2.4. Problème de gouvernance 34

I.3. Pression permanente sur les territoires de mobilités pastorales 35

I.3.1. Migrations et augmentation des surfaces agricoles 36

I.3.2. Augmentation du cheptel et réduction des territoires d'élevage 39

I.3.3. Omniprésence des autorités traditionnelles 41

I.3.4. Les aires protégées sous forte pression des agriculteurs et des éleveurs 43

I.3.5. Un flou juridique autour du système foncier 46

I.3.6. Crise centrafricaine et arrivée massive des éleveurs mbororo 47

Chapitre II. Contexte sociétal autour des territoires de mobilité pastorale : rapports entre les

acteurs locaux 51

II.1. Genèse de l'installation des éleveurs mbororo dans la région 51

II.1.1. Les différents lignages présents dans la région 52

II.1.2. Comment les éleveurs ont-ils acquis les espaces de fixation ? 55

II.2. Rapports des éleveurs mbororo avec les acteurs locaux 58

II.2.1. Rapports avec le pouvoir traditionnel : entre taxes et conflits latents 59

II.2.2. Rapports avec le pouvoir administratif : entre perception des taxes officielles et rackettes 62

II.2.3. Les rapports avec les citadins et les élites commerçantes de la région 63
II.2.4. Les rapports avec les agriculteurs : entre conflits, échanges et complémentarités 64

vi

II.2.5. Rapports éleveurs/éleveurs : entre échanges, complémentarités et conflits 69

DEUXIEME PARTIE : CONTRIBUTION À LA COMPREHENSION DES TERRITOIRES

DE MOBILITE PASTORALE 75

Chapitre III. Le territoire de mobilité pastorale : essai de définition et de caractérisation 76

III.1. Évolution du concept de territoire 76

III.2. Le territoire au service du développement 79

III.2.1. Le territoire comme champ d'application du pouvoir 81

III.2.2. Le territoire comme une réalité sociale 82

III.2.3. Le territoire comme lieux de symboles et de représentations 84

III.2.4. Le territoire comme support d'identité et aire culturelle 86

III.2.5. Finalement, une définition fondée sur la boucle de rétroaction qui organise le territoire 89

III.3. Les intérêts du territoire pour l'élevage mobile 91

III.4. Les enjeux et l'importance de la mobilité pastorale 96

III.5. Quels outils pour appréhender les territoires ? 99

III.6. La nécessité de diagnostiquer le territoire 104

III.7. Le territoire de mobilité pastorale : définition et caractérisation 108

III.7.1. Le territoire, espace dont un groupe tire ses moyens d'existence 110

III.7.2. Le territoire de mobilité pastorale, un champ d'application du pouvoir

traditionnel 114

III.7.3. Le territoire de mobilités pastorales comme une réalité sociale et culturelle 116

Chapitre IV. Les territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun : typologie, acteurs et

fonctionnement 119

IV.1. La zone de sédentarisation de la famille : le territoire d'attache 119

IV.2. Le voisinage du territoire d'attache : les territoires pastoraux de proximité 129

IV.2.1. Le territoire pastoral de proximité en saison pluvieuse 130

IV.2.2. Le territoire pastoral de proximité en saison sèche froide 132

IV.3. Les territoires de transhumance saisonnière 135
IV.3.1. Territoires complémentaires pour la petite transhumance de saison sèche chaude 135

IV.3.2. Territoires délimités pour la grande transhumance en saison des pluies 138

IV.4. Territoire illicite de mobilité pastorale : les aires protégées 140

IV.4.1. Les acteurs illicites transhumant dans les aires protégées 143

IV.4.2. Plusieurs raisons évoquées par les éleveurs pour justifier leur mobilité dans les

parcs 145

IV.4.3. Mouvements des animaux dans les parcs 146

Chapitre V. Démarche de concertation pour l'organisation et la gestion des territoires de

mobilité pastorale 153

V.1. Les territoires de mobilité pastorale comme bien commun : comment cogérer ce qui

est à tous ? 154

V.1.1. Histoire et clarification du concept de bien commun 155

V.1.2. Un concept longtemps oublié, revenant récemment sur le devant de la scène 156

V.2. De nombreuses interventions aux résultats mitigés en matière de concertation et de

sécurisation foncière 164

vii

V.2.1. Délimitation foncières des villages, des zones pastorales et des couloirs de

transhumance 165

V.2.2. Formalisation écrite des transactions foncières individuelles 169

V.2.3. La planification concertée 169

V.2.4. Acquis des principaux projets passés 171

V.2.5. Conflits d'intérêts entre les utilisateurs et conflits de pouvoirs entre les instances

de médiation et de régulation 173

V.2.6. Succès et insuccès des actions menées par les projets 177

V.3. Proposition d'une démarche d'appui à la gestion concertée des territoires de mobilités

pastorales 179

V.3.1. La phase d'identification et de formulation 182

V.3.2. La phase d'analyse 184

V.3.3. La phase de négociation et concertation 187

V.3.4. La phase de mise en oeuvre 191

V.3.5. Consensus à rechercher autour des aires protégées 200

V.3.6. Difficultés et limites des approches négociées 203

CONCLUSION GENERALE 207

Références bibliographiques 211

Liste des illustrations 233

Tableaux 233

Figures 233

Encadrés 233

Photo 233

ix

Remerciements

L'idée de faire l'Habilitation à Diriger des Recherches m'a été suggérée le jour où j'ai soutenu ma thèse de doctorat le 28 novembre 2008 par le Pr. Jean Louis Dongmo (mon co-directeur de thèse). « Ce n'est pas la mer à boire » m'avait-il dit ce jour-là. Depuis cette date, tous mes efforts sur le plan scientifique, académique et administratif ont été orientés vers cet objectif. Je tiens très sincèrement à lui témoigner ma reconnaissance et ma gratitude, lui qui a guidé depuis toujours mes pas dans la recherche en ayant encadré ma Maîtrise, mon DEA et ma Thèse.

La décision définitive de m'engager dans cette entreprise a été prise sous les conseils du Dr Emmanuel Torquebiau qui m'a orienté vers le Pr Geneviève Cortes. Cette dernière m'a permis de mieux élaborer mon dossier de candidature et m'a accompagné dans son aboutissement. Je leur témoigne ici ma gratitude.

Mes innombrables accueils au CIRAD de Montpellier ont été facilités par de nombreuses personnes à qui j'exprime ma reconnaissance. D'abord le Dr Patrick Dugué à qui je dois beaucoup sur le plan scientifique et humain. De manière déterminante, Patrick a participé à mes productions scientifiques de par ses remarques et suggestions multiformes qui ont permis la rédaction et la publication de plusieurs articles et communications. Cette collaboration m'a permis de mieux saisir la pertinence et la méthodologie de rédaction d'articles scientifiques. Sur le plan administratif, je suis redevable de la diligence du Dr Guy Faure, Directeur Adjoint de l'UMR Innovation qui de manière spontané à toujours permis mon accueil au CIRAD. Je pense également à Brigitte Gillet pour son accueil et son assistance tout le long de mes séjours.

Je tiens également à remercier l'équipe de l'UMR ARDEV pour l'accueil et leurs contributions à la finalisation de ce volume. Je pense particulièrement à Christiane Lagarde pour sa gentillesse et sa disponibilité.

Tout au long de ma jeune carrière d'étudiant et d'universitaire, j'ai toujours bénéficié du soutien du Gouvernement français à travers les bourses d'études et de stages du

x

Service de Coopération et d'Action Culturelle de l'Ambassade de France au Cameroun. Je tiens à remercier tous ceux qui de près ou de loin m'ont facilité la tâche que ce soit pour les démarches consulaires que pour mon installation et mon séjour en France. Je pense notamment à Annick Mallet (très méticuleuse) qui vient de prendre sa retraite bien méritée, Khalid Difallah pour l'organisation de mon départ et Éric Force qui a apprécié l'orientation que j'ai donné à mes travaux et m'a encouragé à aller jusqu'au bout. Je pense également à tous les conseillers de Campus France de Montpellier qui, à chaque fois, ont organisé de manière impeccable mon séjour : Farid Saadoun et Arielle Michèle.

Lors de mes multiples séjours en France pour la préparation de ce travail, j'ai bénéficié de plusieurs appuis scientifiques. Ces séjours m'ont permis de discuter avec plusieurs chercheurs notamment à l'UMR PRODIG de l'Université de Paris X Nanterre (Pr Géraud Magrin et Dr Christine Raimond ainsi les thésards Charline Range, Emmanuel Chauvin et Audrey Mbagogo) ; au CIRAD de Montpellier à l'initiative d'Hubert Guérin et coordonnée par le Dr Emmanuel Torquebiau en présence d'André Marty (Anthropologue pastoraliste), Véronique Ancey (pastoraliste) et Sergio Dario Magnani (Thésard en pastoralisme). À tous, je dis merci.

Au Cameroun, mes sincères remerciements vont au Pr Ako Edward Oben, Recteur de l'Université de Maroua, qui a toujours accompagné le financement de mes ouvrages et permis ma mise en stage malgré mes tâches administratives et académiques en tant que Chef de Département de Géographie. Il en est de même du Pr Dili Palaï Clément, Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, qui n'a cessé de m'encourager dans mes entreprises scientifiques. Je remercie également tous les collègues de l'École Normale Supérieure, de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines et de l'Institut Supérieur de l'Université de Maroua pour leurs appuis multiformes. Je remercie particulièrement M. Baïmada Gigla (enseignant au Département des Lettres Bilingues) pour la traduction du résumé.

Je pense sincèrement à mes collègues et « amis de bière », le Pr Bernard Gonné, le Dr Gormo Jean, le Dr Saotoing Pierre pour les nombreuses soirées à discuter entre deux bières de nos travaux scientifiques et nos carrières professionnelles.

xi

Ma reconnaissance va particulièrement à mon épouse, Haïda Joséphine, qui a toujours supporté mes innombrables voyages et mes longues heures tardives et très matinales devant mon ordinateur pour la rédaction de communications, d'articles, d'ouvrages et de ce volume de l'Habilitation à Diriger des Recherches.

Merci à tous ceux qui, sur le terrain, m'ont fourni des informations et données précieuses pour la finalisation de ce travail.

Merci enfin aux membres du jury pour l'intérêt qu'ils ont porté à ce travail et qui ont contribué, à travers d'inestimables remarques et critiques, à construire une réflexion pertinente autour de la problématique de gestion et d'organisation des territoires de mobilité pastorale.

1

INTRODUCTION GENERALE

Préambule

Pendant mon immersion au sein de la communauté d'éleveurs mbororo dans le cadre de ma thèse, j'ai pu constater la difficulté pour eux de s'approprier un territoire de vie et d'activité. Malgré leur volonté de se fixer et d'adopter une partie des modes de vie sédentaires en pratiquant une agriculture de subsistance, les éleveurs ne sont pas assurés de leur emprise territoriale permanente. En août 2007, j'ai reçu sur mon terrain de recherche Emmanuel Torquebiau, mon co-directeur de thèse. Nous avons visité les deux terroirs de sédentarisation des éleveurs mbororo dans le bassin de la Bénoué au Nord-Cameroun. Pendant cette tournée, nous avons trouvé des villages abandonnés par les éleveurs qui ont fui les attaques des coupeurs de route (photo 1).

Photo 1. Emmanuel Torquebiau visitant le village de Laïndé Ngobare abandonné par les

éleveurs

Au cours de cette tournée, mon co-directeur a pu se rendre compte de la réalité de la

situation que je lui expliquais, sans le convaincre, dans son bureau au CIRAD à Montpellier. Ce phénomène de prise d'otages vient compliquer davantage la situation des

Mbororo et de leur volonté d'appropriation territoriale propre à leur mode de vie et d'activité. Alors qu'ils avaient commencé à organiser leurs petits territoires de fixation

tout en continuant la mobilité avec leurs animaux, l'insécurité physique les a obligé à se déplacer dans les gros villages voisins.

2

Après la soutenance de ma thèse en novembre 20081, je suis revenu dans les deux terroirs pour faire une enquête complémentaire pour un article que j'étais en train de terminer avec Patrick Dugué sur la diversification des activités des éleveurs avec leur fixation. J'ai ainsi pu constater que de nombreux éleveurs qui faisaient partie de mon échantillon d'enquête étaient repartis au Nigeria, d'autres avaient recommencé le nomadisme tandis que la majorité s'était définitivement implantée dans les villages voisins tout en rentrant cultiver leurs parcelles. Tous ces mouvements permanents et ces incertitudes autour des lieux de vie et d'activité de ces éleveurs m'ont amené à m'interroger sur les territoires de mobilité pastorale dans ce contexte de forte pression sociale et sécuritaire. En effet, au Nord-Cameroun, les surfaces agricoles sont en constante augmentation en même temps que les effectifs bovins. Par contre, les territoires d'élevage sont en réduction. À côté de cela, nous assistons au maintien des aires protégées, des zones d'intérêt cynégétique et des parcs nationaux. La pression sur ces territoires pastoraux s'est renforcée depuis 2013 avec l'arrivée massive des éleveurs mbororo venus de la RCA, accusés d'être des partisans de la Séléka et violentés par les anti-balaka (meurtres, rackets,...).

Face à cette situation, il est important pour une gouvernance territoriale, une gestion harmonieuse et durable ainsi qu'une limitation des situations conflictuelles entre les différents acteurs, de réfléchir sur la problématique de gestion et d'organisation des espaces entre multi-acteurs et activités. Ma contribution va se limiter aux territoires de mobilité pastorale. En effet, dans le cadre de ma thèse (Kossoumna Liba'a, 2008) et diverses publications (Kossoumna Liba'a et al., 2010 ; Kossoumna Liba'a et al., 2011 ; Dugué et al., 2011 ; Kossoumna Liba'a et al., 2011 ; Kossoumna Liba'a, 2012 ; Dugué et al., 2013), j'ai abordé la problématique de gestion des territoires et des ressources naturelles à l'échelle de deux terroirs d'éleveurs mbororo sédentarisés non loin de la ville de Garoua dans le Nord du Cameroun (Ndiam Baba et Laïndé Ngobara). Les résultats ont mis en évidence les différentes formes d'organisation, d'exploitation et de gestion des territoires de fixation et de mobilité (petite et grande transhumance). Ils ont permis également d'identifier les structures de ces territoires, les espaces d'appartenance et les

1 La thèse s'intitule : « De la mobilité à la sédentarisation : gestion des ressources naturelles et des territoires par les éleveurs mbororo au Nord Cameroun ». Elle a été soutenue le 28 novembre 2008 à l'Université Paul Valéry - Montpellier III (France).

3

principales dynamiques passées et en cours. Ces travaux ont relevé enfin les interférences entre les différentes activités rurales dans et au-delà de ces territoires, les nouvelles pratiques des éleveurs et les nouveaux niveaux d'organisation individuels et collectifs.

Partant de la complexité de la mobilité constatée lors des différents déplacements des animaux au cours des différentes saisons2, il me paraît important de mener une réflexion plus large afin de mieux appréhender le problème plus global sur les territoires de mobilité pastorale au niveau de la région du Nord-Cameroun en prenant en compte les autres acteurs en présence que sont les agriculteurs et les lobbies environnementaux ainsi que les autorités traditionnelles et administratives. Il s'agit également de proposer, à partir de l'analyse du contexte local, une démarche de coordination entre les acteurs pour une gestion harmonieuse de ces territoires de mobilité pastorale.

Problématisation

Dans la zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun, la cohabitation entre territoires agricoles, territoires pastoraux et territoires réservés pour la biodiversité est clairement antagoniste et conflictuelle, bien que les différents acteurs entretiennent certaines relations d'échanges et de complémentarité.

Les agriculteurs et les éleveurs, anciennement implantés dans la région, grignotent les aires protégées et ont le sentiment de payer au prix fort l'effort de préservation imposé aux pouvoirs publics par les lobbies environnementaux. L'augmentation de la pression anthropique dans certaines zones protégées (favorisée par des mouvements migratoires importants d'agriculteurs et d'éleveurs, camerounais et étrangers), le refus de certains lamidats3 de recevoir des troupeaux, les droits de passage très élevés pratiqués par d'autres lamidats et le regain de braconnage créent une situation de tension extrême que personne ne veut prendre le risque de gérer.

De nombreux territoires de mobilité pastorale (espaces de pâturage et les pistes à bétail) délimités depuis longtemps ont été classifiés comme aires protégées au grand dam des

2 Multitude d'acteurs aux intérêts et stratégies complexes, difficultés d'accès aux grands espaces de pâturage délimités, intrusion dans les aires protégées, difficulté de maintien des espaces délimités pour l'élevage, conflits, complémentarités, échanges...

3 Dérivé du fulfulde francisé « lamido », sur le modèle de sultanat, pour désigner le territoire sur lequel s'étend le pouvoir d'un laamii'do (Seignobos et Iyébi-Mandjek, 2000).

4

éleveurs qui se trouvent privés d'une partie de leurs territoires et voient leurs déplacements réglementés de façon telle qu'ils ne peuvent plus vivre suivant leur expérience ancestrale de la terre et de l'eau. En plus, ces territoires de mobilité sont grignotés par les champs des agriculteurs de plus en plus nombreux. De manière générale, les superficies disponibles pour les activités d'élevage et d'agriculture semblent suffisantes mais leur accessibilité et leur répartition dans l'espace posent problème.

Cependant, les autorités traditionnelles autant qu'administratives n'assument plus leur rôle d'arbitrage et de régulation pour une organisation harmonieuses des territoires ruraux qui sont délaissés ou valorisés de manière anarchique ou arbitraire sans prise en compte objective des besoins des populations, des exigences du développement durable et de la paix sociale. De plus, la crise économique des années 90 s'est traduite par la baisse des interventions de l'État dans l'aménagement du territoire4 et le règlement des conflits territoriaux, même si certains projets de développement5 sont intervenus dans la zone sans avoir des résultats probants.

La problématique a donc été recentrée sur le questionnement suivant : dans un contexte de densification agricole, d'augmentation du cheptel et de présence de vastes zones protégées, à quelles conditions et sur quels territoires l'élevage mobile peut-il continuer à se pratiquer ?

La question centrale de la recherche est donc celle de savoir quelle est la place de la mobilité du troupeau dans un contexte de pression sur le territoire rural ?

De nombreux questionnements et interrogations spécifiques méritent des clarifications et réponses : comment peut-on envisager une gestion harmonieuse et équitable des territoires de mobilité pastorale en tenant compte des préoccupations des autres acteurs en présence (agriculteurs et lobbies environnementaux notamment) ? À quelles conditions peut-on continuer à préserver les vastes espaces dédiés à la biodiversité dans un contexte de forte demande d'espace agricole et de raréfaction de l'espace de pâturage, en plus de la

4 De façon générale, l'État ne se donne pas les moyens financiers de ses politiques. Les fonds mobilisés sont principalement issus de l'aide au développement. L'État a donc rarement des moyens continus pour assurer un contrôle effectif des espaces ou des ressources publics et d'en réguler l'exploitation.

5 Projet de Développement Paysannal et de Gestion des Terroirs (DPGT), Projet de Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux (GESEP) Projet de développement de l'Ouest Bénoué (PDOB)...

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convoitise permanente des agriculteurs et des éleveurs ? Comment peut-on réhabiliter et préserver les territoires de mobilité pastorale (espaces de pâturage et pistes à bétail) délimités mais colonisés par les agriculteurs ? Comment la mobilité pastorale peut-elle continuer à se faire dans un contexte de forte pression sur les territoires qui lui sont dédiés ? Comment les éleveurs adaptent-ils leurs mobilités ? Quels sont les différents territoires de mobilité utilisés par les éleveurs et quelles sont leurs caractéristiques ? Comment faire émerger un consensus entre les acteurs autour des territoires communs ? Quelles instances de gestion et d'organisation pour les territoires de mobilité pastorale ? Quelles sont les conditions de durabilité des modalités de gestion et d'organisation de ces territoires de mobilité pastorale ? À quelles conditions peut-on envisager une spécialisation territoriale ou une mixité ? Telles sont les préoccupations qui guident notre réflexion dans le cadre de cet essai.

Démarche méthodologique

La démarche méthodologique commence par le cadrage de la thématique au cours d'un stage postdoctoral au sein de diverses unités mixtes de recherche. Le concept de territoire de mobilité qui est au centre de notre positionnement scientifique s'appuie sur les travaux pionniers qui nous ont permis d'abord de mieux appréhender le « territoire » de manière général, puis de manière spécifique de saisir son sens comme bien commun et enfin de le situer dans le contexte de la mobilité pastorale. L'analyse de la place du territoire dans la mobilité pastorale s'appuie également sur diverses théories autour des biens communs dont celles de Garrett Hardin et d'Elinor Ostrom dans leurs soucis respectifs de saisir la construction des relations, d'appréhender les processus de négociation entre acteurs aux intérêts parfois divergents qui partagent une ressource commune.

Le thème abordé dans le cadre de cet essai s'inscrit dans une réflexion partagée qui a débuté en 2012 à travers diverses rencontres et stages de recherche. En effet, du 1er novembre 2012 au 30 janvier 2013, j'ai effectué un stage postdoctoral à l'UMR Innovation du CIRAD de Montpellier (France). Le stage a été financé par le Service d'Action Culturelle et de Coopération (SCAC) de l'Ambassade de France au Cameroun et géré à Montpellier par Campus France. Ce séjour m'a permis de discuter avec plusieurs

chercheurs notamment à l'UMR PRODIG de l'Université de Paris X Nanterre et au CIRAD de Montpellier.

Les divers échanges m'ont permis de recadrer ma thématique autour de l'approche géographique de la mobilité de l'élevage dans un contexte de pression en insistant sur le concept de territoire de mobilité pastorale. Nous avons ainsi centré le contexte autour des incertitudes fortes sur les territoires de mobilité pastorale sur le plan spatial (accroissement des surfaces agricoles, maintien voire extension des aires protégées, occupation des pistes à bétail et des parcours) et sociétal (genèse de l'installation des éleveurs dans la région, les processus et mode d'appropriation de l'espace de fixation, relations entre les éleveurs et les autres acteurs). L'accent a été porté sur la logique institutionnelle défavorable à l'élevage alors que les élites locales capitalisent ou investissent dans le bétail.

Échelle d'observation et d'analyse

La recherche se base sur la géographie des territoires avec un accent spécifique sur les territoires de mobilité pastorale. Deux types d'échelles nous intéressent dans le cadre de cet essai : l'échelle d'étude et l'échelle d'action.

L'échelle d'étude correspond à des échelles de gestion, d'exploitation et d'organisation des territoires de mobilité (Figure 1).

 
 
 
 

Territoires illicites de mobilité pastorale

 
 
 
 
 

Territoires de transhumance saisonnière

 
 
 
 
 

Territoires pastoraux de proximité Territoire de fixation des éleveurs

 
 
 
 
 
 

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Figure 1. Échelles d'étude des territoires de mobilité pastorale

Elle est régionale en considérant la verticalité : petits territoires de fixation des éleveurs (Ndiam Baba et Laïndé Ngobara) ; territoires pastoraux de proximité (collines, bas-fonds et territoires d'agriculteurs voisins à savoir Boklé, Sanguéré Paul, Djefatou, Djola) ; territoires de transhumance saisonnière (bord des cours d'eau, espaces de pâturage délimités, villages lointains à savoir Kalgué, Mayo Bouki, Dembo et Gouna) ; territoires

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illicites6 de mobilité pastorale (zones d'intérêt cynégétique et parcs nationaux de Faro, Bénoué et Bouba Ndjidda).

Sur le terrain, nous avons également cherché à faire une superposition de différents niveaux de territoires avec les autres acteurs en présence (élevage/chefferies ; élevage/communes ; élevage/aires protégées ; élevage/agriculture,...).

Nous nous sommes appuyés sur l'analyse de la place des acteurs impliqués dans la gestion et l'organisation de la mobilité au niveau des différents territoires. Cette mobilité est d'autant plus singulière qu'elle ne s'intègre pas dans une dynamique locale institutionnalisée, comme on le constate au Niger et au Mali où l'on remarque une meilleure gestion de la transhumance à condition que les éleveurs soient intégrés ; exemple également au Sénégal avec les peuls qui s'installent et s'intègrent dans la gestion des communes et des forages grâce à leur cotisation et les taxes qu'ils paient.

Nous avons également tenu compte de l'échelle transnationale de la mobilité des éleveurs dans et autour des aires protégées (relation de réciprocité entre les nouveaux arrivants, avec les transhumants des autres pays, ceux qui partent du Tchad pour le Nigeria en passant par le Nord-Cameroun). En même temps, nous nous sommes focalisés sur les rapports entre les différents territoires.

L'échelle d'action renvoie à des échelles de décision, de négociation et de concertation spatiale. Elles se répartissent entre le territoire villageois, le territoire communal, le territoire intercommunal, le territoire coutumier et, dans une moindre mesure, le territoire administratif.

 

Territoire administratif Territoire coutumier

Territoire intercommunal Territoire communal

Territoire villageois

Figure 2. Echelles d'action

6 Les territoires illicites sont constitués des zones d'intérêt cynégétiques (aires protégées et parcs naturels). Malgré l'interdiction d'y pâturer, les éleveurs y « volent » du pâturage selon leur propre terme, d'où son caractère illicite.

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L'échelle de l'action dans le cadre de la mobilité pastorale peut être diverse, mais l'impact de cette action sur le spatial est toujours local. Une politique régionale aura des impacts locaux, même si son étendue correspond à la région. C'est pour cela que tous les niveaux spatiaux de décision doivent être intégrés dans le processus de négociation et de concertation.

La recherche se déroule dans le Nord du Cameroun. Cette région se situe dans le bassin de la Bénoué entre l'Extrême-Nord et l'Adamaoua (figure 3).

12° 16°

12° 16°

12°

Légende

1200 mm

0 50 100 km

Chef-lieu de région Ville secondaire

Zone cotonnière

Aires protégées (Faro) Territoires d'étude

Cours d'eau

Yaéré

Limite régionale

Limite nationale

Route nationale n°1

W + E

Ndiam Baba

Laïndé Ngobara

Kalgué Ngong

Mbé

Ngaoundéré

Garoua

Adamaoua

600 mm

Gouna

Mayo Bouki

Dembo

Nord

Adoumri

Extrême-Nord

Kaélé

Guider

Lac Tchad

Maroua

Tcholliré

Mora

Touboro

Kousséri

Yagoua

12°

Figure 3. Présentation du Nord-Cameroun et des territoires d'étude

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Dans la plaine de la Bénoué, le climat est soudanien à une seule saison des pluies au sud et de type sahélien au nord (Roupsard, 1987). La pluviométrie est comprise entre 700 et 1 500 mm d'eau par an répartie sur cinq mois. La diminution globale de la pluviométrie au cours des deux dernières décennies, liée à l'irrégularité de la répartition et de la date d'arrêt des pluies, engendre un risque climatique pour la culture cotonnière qui s'accroît avec la latitude (M'biandoun, 1990).

La diversité des sols de cette zone provient de la pluralité des conditions de pédogenèse liées aux contrastes pluviométriques et aux contrastes des reliefs qui caractérisent cette région. Cette diversité est croissante du Sud vers le Nord (Brabant et Gavaud, 1985 ; ORSTOM, 1984 ; USAID fac, 1974). Sur l'ensemble de la région, les principaux types de sols rencontrés par ordre d'importance agronomique décroissante sont d'abord les sols ferrugineux tropicaux (texture à dominante sableuse, horizon argileux en profondeur) qui couvrent environ 2 000 000 ha et 60% des terres cultivées, puis les vertisols (à forte teneur en argile 40 à 45% et forte capacité de rétention d'eau). Ensuite viennent les sols fertialitiques (à teneur en argile moyenne 25%) souvent caillouteux ; les sols hydromorphes (horizon à gley ou pseudo-gley, forte activité biologique) fréquents au Sud de Garoua (Tcholliré, Bocki sur environ 600 000 ha) ; les sols alluviaux dans les vallées en bordure des rivières.

Les sols du bassin de la Bénoué se sont formés à partir d'un socle cristallin fortement arénisé et sur des grès datant du crétacé (ORSTOM, 1984). Ce bassin contient des sols légers aptes aux cultures pluviales. Ce sont les sols ferrugineux tropicaux profonds et souvent lessivés des plaines d'alluvions anciennes et des zones vallonnées. Ce sont aussi les sols profonds argilo-sableux et argilo-limoneux formés d'alluvions fluviales récentes, comme ceux de la vallée de la Bénoué et de la vallée du Faro. Les vertisols sont assez peu représentés (vallée de la Bénoué et du Mayo Kébi). Les sols hydromorphes, à argiles gonflantes des bas-fonds et de plaines, sont très étendus (Bocki, Tcholliré). Ils sont durs et sensibles à l'érosion hydrique. Les lithosols peu évolués se situent aux pieds des pentes (apports colluviaux) et sur les versants des reliefs (sols d'érosion). Ils sont peu propices à l'agriculture.

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Sur le plan géologique, cette région est localisée sur un bassin crétacé, parsemé d'inselbergs et dominé par des massifs gréseux, granitiques ou volcaniques. Ils sont dominés par des sols minéraux bruts lithosoliques et les sols peu évolués d'érosion lithiques (Brabant et Humel, 1974). Ces massifs montagneux portent le nom fulfulde de « hossere ». On peut citer hossere Laïndé-Massa ; hossere Bangoura ; hossere Wadjéré ; hossere Kokoumi ; hossere Kalgué ; hossere Siddiri ; hossere Mbapé ; hossere Harandé ; hossere Ndiam Baba ; hossere Ngola ; hossere Sorké...

Sur un soubassement de roches cristallines ou métamorphiques, se sont déposées d'importantes alluvions le long du réseau hydrographique composé essentiellement de la Bénoué (13 614 km), le Mayo Kebbi, le Mayo Rey et le Faro (13 493 km) très poissonneux (Segalen, 1967). Il existe cependant dans cette zone plusieurs autres cours d'eaux intermittents qui tarissent presque tous pendant la saison sèche. Parmi les cours d'eau les plus importants, on peut citer : mayo Douka ; mayo Gabago ; mayo Betnodjé ; mayo Binossi ; mayo Tane ; mayo Dadi... À côté de ces cours d'eau, il existe des lacs naturels dont les plus remarquables sont Ndjigoro manga, Ndjigoro pétel, Ngouen, Babi, Goré...

La végétation varie suivant le climat, la pluviométrie, le relief et les différents types de sols. D'une manière générale, il existe dans la zone des savanes boisées ou arborées ou arbustives voire des forêts claires du bassin de la Bénoué. Les principales formations végétales sont (Letouzey, 1985) : la formation grégaire à Isoberlinia doka et Isoberlinia tomentosa ; la formation à Boswellia odorata, Sclerocarya birrea, Prosopis africana ; les formations à Combretum, Terminalia, Anogeisus leiocarpus. Dans les zones inondables, on distingue les formations graminéennes à Hyparrhenia rufa, Vetiveria nigritana et Echinochloa pyramidalis ; sur les montagnes, on rencontre une forêt claire faite de Ficus, Diospyros, Boswelia, Vitellaria... Le bas des versants est recouvert de ligneux comme Crossopteryx erinaceus, Bombax costatum, ainsi que Anigeisus et Isoberlinia. La strate herbacée est à base de Pennisetum pedicellatum et Andropogon tectorum. On trouve également dans ces montagnes diverses espèces d'Acacia (hockii, dudgeoni, senegal,..).

Sur le plan agricole, au Sud de Garoua, le coton, le maïs et l'arachide constituent les principales sources de revenus pour les paysans. Dans la région de Guider et des

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piémonts, le coton et l'arachide demeurent les principales cultures de rente tandis que le sorgho pluvial est réservé à l'autoconsommation et à la fabrication de la bière (bit bit).

Hypothèse de recherche

La recherche part de l'hypothèse que dans un contexte de forte incertitude sur le territoire pastoral, la mobilité du troupeau ne peut continuer à se faire que grâce à un consensus pour une délimitation territoriale et une forte implication de l'État et des acteurs locaux (élites, autorités traditionnelles, agriculteurs, éleveurs, conservateurs). Il s'agit de considérer l'ensemble des acteurs, individuels ou collectifs, étatiques, coutumiers ou privés qui, de droit ou de fait, jouent un rôle effectif dans la régulation de l'accès et de l'usage des terres et des ressources naturelles, à travers des décisions portant sur la définition des règles d'accès ou d'usage, l'attribution de droits, l'arbitrage de conflits, la formalisation de droits ou d'accords, etc. Il s'agit comme le suggèrent Benkahla et Hochet (2013) de décrire concrètement la façon dont les choses se passent réellement, sans présager de leur statut au regard de la loi, avec leurs relations de complémentarité, de compétition, de concurrence ou de synergie : pour un type de problème donné, quelle(s) autorités sont mobilisées par quels acteurs ? Quels sont les rapports entre pouvoirs coutumiers, administration territoriale, services techniques dans le traitement de ce type de problème ? Permettent-ils d'arriver à des solutions ? Ces questions permettent de s'interroger sur le fait que de nombreux acteurs interviennent potentiellement, que les acteurs qui jouent un rôle effectif ne sont pas forcément ceux qui ont des prérogatives légales, que les relations qu'ils ont entre eux sont variées.

Un travail de l'état de l'art nous a permis de nous positionner par rapport à des controverses scientifiques ou au sein des milieux du développement pour mieux problématiser la recherche par rapport à la zone soudano-sahélienne d'Afrique et montrer ce qui fait la spécificité du Nord-Cameroun. Nous avons également fait le point sur les expériences passés et en cours concernant l'appui à la mobilité du bétail, l'organisation et la gestion des territoires ruraux dans cette région. Les éleveurs étant les premiers concernés par la recherche, nous avons voulu mettre en évidence l'identité des éleveurs et leur place dans le contexte sociopolitique de la région. La problématique des inégalités (sociales et ethniques) des acteurs face aux enjeux territoriaux nous amène à montrer que

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les éleveurs sont des acteurs faibles dans le processus de négociation, d'accès et de gestion des territoires ruraux dans le Nord du Cameroun.

Clarification du concept de territoire de mobilité pastorale

Notre vision du territoire s'appuie sur le courant de pensée amorcé par les géographes « tropicalistes », notamment africanistes, comme Jean Gallais, Pierre Gourou, André Lericollais, Paul Pélissier, Gilles Sautter qui ont commencé à se préoccuper de la diversité des milieux et de leurs rapports à la société. L'apport des monographies de terroir fut unanimement reconnu du fait de la rigueur méthodologique qui les guidait, et même si leur composante était fondamentalement descriptive, ces monographies tentaient d'avoir une compréhension globale des processus (Gallais, 1989). Ces travaux se sont attelés à montrer les faits d'organisation sociale, de structuration des systèmes fonciers, de la relation à la nature. Cette géographie tropicale africaine s'est surtout intéressée aux grandes échelles, aux terroirs (et non à la région), aux zones rurales et aux sociétés traditionnelles (Claval et Sanguin, 1996).

Pendant mon séjour à Montpellier dans le cadre de ma thèse, j'ai pu consulter les travaux d'autres géographes qui s'intéressent davantage à l'analyse spatiale, l'utilisation de méthodes statistiques, la valorisation graphique des études, tout ceci teinté d'innovations dans tous les domaines, que ce soit technique comme conceptuel. Le structuralisme a eu évidemment une influence très forte sur ces travaux (Brunet, 1987 ; 1997). Ces derniers étaient pratiquement tous orientés vers la détermination de structures spatiales construites sur la base de similitudes des paramètres des unités spatiales. Beaucoup d'espaces ont ainsi été passés au peigne fin de la statistique et des données socio-économiques, pour en dégager des chorèmes, des modèles d'organisation, des cartes de synthèse, des atlas. J'ai d'ailleurs pu m'approprier le langage chorématique que j'ai appliqué à mon terrain de recherche doctorale pour modéliser les petits territoires de fixation des éleveurs (Kossoumna Liba'a, 2008).

Le choix de travailler sur la mobilité pastorale m'a donc amené à manipuler le concept de territoire. Celui-ci est issu de la longue histoire de la géographie, et en particulier de la période des années 1950-1980, pour laquelle l'héritage des géographes ruraux, et surtout tropicalistes, mais aussi les innombrables débats théoriques qui eurent lieu, ont été

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fondamentaux dans la construction d'une discipline qui a su résister, dans une certaine mesure, au courant positiviste. Ce concept est aujourd'hui bien approprié par la géographie, notamment économique et sociale, mais aussi par d'autres disciplines comme la sociologie et l'économie.

Sur le plan conceptuel, nous nous sommes attelé à clarifier le concept de territoire de manière générale avant de proposer une définition et une caractérisation des territoires de mobilité pastorale. Partant de son sens politico-administratif tel qu'utilisé à partir du XVIIème siècle, le territoire est en effet replacé dans la géographie universitaire avec sa définition dans le Dictionnaire de Géographie dirigé par Pierre George (1970) et la réorientation de son usage dans la géographie française avec les travaux de Ferrier (1984) et sa diffusion dans divers domaines des sciences (géographie, économie, sociologie). Après le sens donné par les géographes tel Le Berre, Brunet, Di Méo, Raffestin, le territoire est placé au centre de débats sur sa place au service du développement à travers les travaux de Moine (1995), Levy et Lussault (2003), Le Berre (1992) ou Debarbieux (1999).

Une des questions épistémologique est également de savoir si le territoire a un sens pour la société. Au Nord-Cameroun, le territoire est le lieu d'application du pouvoir traditionnel. Cette acception du territoire que les géographes lient au contrôle et au pouvoir est attachée aux problèmes de géographie politique que nous documentons en nous appuyant sur les travaux de Pinchemel et Pinchemel (1997), de Claval (1995) et de Gottmann (1973). Dans cette région, le territoire est également une réalité sociale. Partant de l'éthologie animale à partir des travaux l'autrichien Konrad Lorenz (1973) et le Néerlandais Nikolaas Tinbergen (1967) qui font découvrir le rôle que joue la territorialité dans la vie de beaucoup d'espèces, nous nous attardons sur les points de vue des géographes qui se refusent à transposer les leçons de ces chercheurs à leur domaine. Il en est ainsi des travaux de Malmberg (1980), Roncayolo (1990), Claval (1995), Le Berre (1992), Badie (1995) ou Di Méo (1998) qui retirent des exemples fournis par l'éthologie l'idée qu'il faut s'attacher aux moyens mis en oeuvre pour contrôler l'espace afin de comprendre le dynamisme des sociétés. Par ailleurs, que ce soit les éleveurs ou les autres acteurs qui utilisent, gèrent et contrôlent le territoire, ils le considèrent comme lieux de

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symboles et de représentations qui ont fait également l'objet de nombreux travaux de géographes. Cette dimension symbolique du territoire est en effet présente dans les travaux de Gottmann (1952), Dardel (1990), Brunet et al., (1992), Claval (1995), Di Méo (1998) ou Raffestin (1986), Moine (2005) ou Debarbieux (1999). En plus, les différents acteurs ont un sentiment d'appartenance aux territoires qui est une construction mentale. Les géographes se sont également intéressés à cette place de l'identité dans la perception du territoire comme le montrent les travaux de Bonnemaison et Cambrezy (1995), Le Berre (1992), Berque (1970), Martin (1994), Claval (1995), Di Méo (1998), Moine (2005) ou Brunet (2001). Le territoire est donc, comme le suggère Mazurek (2012), du domaine des acteurs, mais surtout des actions et des stratégies qui peuvent être du domaine du réel, de l'imaginaire ou du virtuel, mais qui, toujours, reconstruisent des réalités identitaires sur l'espace. Le territoire est donc multiple, fonction de l'appropriation des groupes sociaux, et c'est l'interaction entre ces territoires qui forme l'espace. Finalement, nous convenons avec Moine (2005) que le territoire est un système complexe dont la définition est fondée sur la boucle de rétroaction qui l'organise. Son fonctionnement s'appuie ainsi sur le sous-système acteurs qui agit sur le sous-système de l'espace géographique que nous allons tenter d'appliquer à la situation du Nord-Cameroun.

Le territoire a également un intérêt pour l'élevage. Les travaux sur les relations entre le territoire et l'élevage montrent que les communautés d'agriculteurs y accordent une place centrale comme l'attestent Hubert (1994), Gibon et Ickowicz (2010). Ces relations façonnent les paysages et la biodiversité (Caron et Hubert, 2000) et produisent des services écosystémiques (Burkhard et al., 2009). Les différentes dimensions des interactions entre l'élevage et le territoire ont fait l'objet de définitions par des auteurs comme Manoli et al. (2010). Après avoir cherché à comprendre le rapport à l'espace des activités d'élevage, dans un contexte où les ressources naturelles deviennent un facteur limitant et où il y a une compétition avec d'autres activités pour l'utilisation de l'espace, ces auteurs se centrent sur la représentation de la localisation des systèmes de production et des densités animales. Nous nous appuyons également sur les points de vue d'autres auteurs comme Sere et Steinfeld (1996), Bourn et Wint (1994), Kruska et al., (2003), Reid et al., (2000), Thornton et al., (2007) qui ont proposé de cartographier les différents types de systèmes de production à une échelle régionale en les mettant en relation avec divers

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facteurs (agro-écologiques, localisation, contraintes). Au regard de l'évolution de la situation des territoires d'élevage au Nord-Cameroun, nous nous sommes intéressés par ailleurs à d'autres groupes de travaux qui ont pour objectifs d'étude les dynamiques d'utilisation des sols (Poccard-Chapuis, 2005 ; Lambin et al., 2001 ; Ickowicz et al., 2010; Naylor et al., 2005 ; Bommel et al., 2010).

Sur le plan méthodologique, en prenant en compte l'emboîtement des sous-systèmes acteurs et espaces géographiques qui rend difficile l'interprétation et la compréhension des territoires de mobilité pastorale, nous nous sommes appropriés la démarche systémique qui est présentée comme un paradigme capable de guider l'approche et la compréhension des systèmes complexes. Nous nous appuyons ainsi sur les travaux de Moine (2005) qui, sans proposer de nouveaux outils, essaie de repositionner des approches reconnues, les unes par rapport aux autres, dans un ensemble susceptible de permettre une meilleure compréhension des territoires. Le diagnostic territorial proposé par l'auteur s'appuie sur trois sous-systèmes, liés entre eux : le contexte naturel du territoire, l'organisation de l'espace géographique et l'organisation des acteurs. L'approche suppose la mise en oeuvre combinée d'outils permettant de comprendre le fonctionnement d'un territoire et, le cas échéant, de proposer des simulations de son évolution. Sans mobiliser, comme le suggère François (1997), la combinaison d'outils (Systèmes Multi-Agents, Systèmes d'Information Géographique, Automates Cellulaires, Systèmes de Gestion de Bases de Données, Systèmes Experts, Réseaux Neuronaux) en amont desquels l'approche systémique est toujours requise, nous proposons une démarche concertée pour la gestion durable et paisible des différents territoires en prenant en compte le point de vue des différents acteurs en présence. Pour cela, s'impose une nécessité de diagnostic du territoire qui distingue, à partir des signes visibles dans le paysage, la situation, le fonctionnement et la dynamique de l'activité agricole et distingue les enjeux relatifs à son évolution et aux interactions avec les activités non agricoles présentes dans le territoire, comme le propose Lardon et al., (2007) et Benoît (1977). Nous avons tenté comme le suggère Guetat-Bernard (1999) de repérer les dimensions conjuguées des différents espaces à la fois social, perçu ou représenté, de vie, produit. Afin d'aboutir à une analyse du territoire la plus complète possible, nous avons retenu comme Merenne (2002) le principe de considérer qu'un territoire comprend de façon

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pertinente et générique cinq sous-systèmes territoriaux : i) la résidence, ii) l'appropriation, iii) l'exploitation, iv) la communication et les échanges et v) la gestion.

La capitalisation des approches, visions et expériences des différents auteurs nous a permis de mieux appréhender les territoires de mobilité pastorale pour lesquels nous avons proposé une définition et une caractérisation qui prend en compte sa diversification et sa complexification. En nous appuyant sur le contexte du Nord-Cameroun, cette clarification conceptuelle coordonne notamment les dimensions sociales, politiques, économiques et environnementales, en considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus en plus active de tous les acteurs concernés de près ou de loin. Dans cette région, nous considérons le territoire de mobilité pastorale comme un champ d'application du pouvoir traditionnel, mais aussi comme une réalité sociale et culturelle qu'il faut prendre en compte dans tout processus de décision pour son fonctionnement et sa gestion.

Positionnement théorique

Sur le plan théorique, nous nous appuyons sur le modèle de Garrett Hardin qui stipule que, lorsqu'une ressource est en libre accès, chaque utilisateur est conduit spontanément à y puiser sans limite, poussant à sa disparition. L'exemple donné, qui correspond à la situation constatée au Nord-Cameroun, est celui d'un pâturage sur lequel chaque éleveur cherche à accroître son troupeau puisque, de toute façon, le prix à payer est quasi nul par rapport au bénéfice immédiat obtenu. Mais, au terme de ce processus, tous les éleveurs sont perdants. On relève ici une parenté de cette « tragédie » avec la thèse de la surpopulation que Malthus avait énoncée à la fin du XVIIIème siècle. Selon Hardin (1968), il n'y a que trois solutions à cette « tragédie » : la limitation de la population pour stopper la surconsommation, la nationalisation ou la privatisation. Émise à la veille du grand mouvement de dérégulation et de déréglementation de l'économie mondiale, on comprend que la troisième voie fut exploitée à fond pour justifier le recul de l'intervention publique. Le modèle de Hardin est une application du dilemme du prisonnier mis en évidence par la théorie des jeux. Si les suspects, au lieu de se dénoncer mutuellement, coopèrent, ils subiront des peines moins lourdes. Mais ils ne sont pas portés spontanément à la coopération et, dès lors, tous ont tendance à se comporter en « passagers clandestins ».

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C'est la pertinence de ce modèle que va attaquer vigoureusement Elinor Ostrom sur la base d'une approche néo-institutionnaliste.

L'analyse s'appuie également sur la théorie de l'intérêt commun d'Elinor Ostrom. Son approche renouvèle la façon d'aborder les problèmes, occasion de saisir les relations qui se construisent, les négociations qui s'observent. Ses travaux ont montré comment l'étude de formes de propriété et de gestion collective, outre l'intérêt qu'elle présente en elle-même, permet des avancées majeures dans la compréhension de nos économies, au-delà des institutions dominantes sur lesquelles ont porté la plus grande partie des analyses des économistes, à savoir les marchés, les firmes ou les institutions publiques. La problématique d'Ostrom se situe dans ce cadre néo-classique rénové par le courant néo-institutionnaliste. Pour résoudre le problème des passagers clandestins, sur lequel insistait Hardin, Ostrom veut « contribuer au développement d'une théorie valide au plan empirique des formes d'auto-organisation et d'autogouvernance de l'action collective » (Ostrom, 2010 : 40), de telle sorte que « les appropriateurs adoptent des stratégies coordonnées » (ibid : 54). Autrement dit, et c'est l'originalité du travail d'Ostrom, elle cesse de se fixer sur la nature des biens qui déterminerait leur caractère de commun et elle se penche au contraire sur le cadre institutionnel et réglementaire qui préside à leur érection en tant que communs, mieux, qui les institue en tant que communs. Si la problématique des biens communs/collectifs/publics s'oppose à celle des enclosures, ce n'est pas parce que, soudainement, la nature des biens aurait changé ; c'est parce qu'il s'est produit un changement dans les rapports de forces, dont la sanction va être l'abolition d'anciennes règles et l'adoption de nouvelles. Au lieu de voir seulement dans les biens communs comme des ressources, Ostrom les considère comme une forme particulière de propriété qui ne peut être séparée d'une délibération collective permanente.

Collecte de données complémentaires auprès des acteurs

La collecte des données complémentaires s'est étalée sur deux années (2012 et 2013). L'analyse de la genèse de l'installation des éleveurs mbororo dans le Nord-Cameroun a permis de mieux comprendre leur place et leurs rôles dans la gestion et le fonctionnement des territoires de mobilité. Les enquêtes et entretiens auprès de vingt chefs

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d'exploitation7, choisis de manière aléatoire, ont permis de revenir sur la façon dont ils ont acquis les espaces de fixation en analysant les rapports/alliances avec les lamibé et en insistant sur les rentes captées par ces derniers, les fréquentes remises en cause des droits d'accès. Nous nous sommes également penchés sur le rôle des liens que les éleveurs mbororo tissent avec les citadins et les élites commerçantes de la région pour pouvoir accéder à certains territoires. Ensuite, les enquêtes et entretiens dans les villages environnements nous ont permis de mieux saisir les rapports que les éleveurs mbororo entretiennent avec les autres groupes qui investissent également dans l'élevage (Massa, Moundang, Toupouri...) pour savoir si, par-delà tous les conflits, il n'y a pas des alliances, des échanges et des complémentarités. De manière générale, l'historique des migrations et des fixations de ces acteurs allogènes ont permis de s'intéresser à la politique au niveau local et régional d'accompagnement des mouvements des populations. Cela a permis de saisir les stratégies d'adaptation de ces acteurs à la crise et à l'évolution du fonctionnement de l'État et de la politique d'aménagement des espaces ruraux de manière générale.

Enfin, nous sommes revenus sur l'histoire de la protection des espaces pour savoir qui étaient les lobbies environnementaux, pour comprendre dans quels contextes l'État a accepté de classifier ces espaces et la place de l'élevage dans ces espaces.

Par rapport à la mobilité, nous avons fait des investigations sur les déterminants des mouvements et des mobilités, en ciblant plus particulier les points suivants : les raisons qui provoquent les départs, les mobilités, l'identité et les caractéristiques de ceux qui bougent c'est-à-dire ceux qui ont les moyens de partir8. Il s'agissait de connaitre le profil de ceux qui restent et ce que font ceux qui n'ont pas la capacité de s'adapter, leurs marges de manoeuvre, les dynamiques observées, les transformations, les évolutions de la mobilité avec la pression et les contraintes ainsi que les adaptations face à la fragmentation de l'espace. En outre, si les éleveurs « volent » du pâturage dans les aires

7 C'est une unité de production familiale qui se résume à l'ensemble regroupant un homme marié (chef de ménage), son (ses) épouse(s), leurs enfants et d'éventuels dépendants directs, les parcelles en propriété, le cheptel animal et l'ensemble des activités extra-agricoles. Cette définition assez globale correspond au saare qui, au Nord-Cameroun, est considéré comme l'exploitation.

8 En Côte-d'Ivoire par exemple, ceux qui partent ne sont pas n'importe qui.

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protégées, ce qu'ils vont au-delà des limites qui sont finalement flexibles et dénote de la capacité des éleveurs à bouger, à s'engouffrer dans des brèches.

Nous nous sommes intéressés non seulement à la mobilité du troupeau mais aussi à la mobilité des hommes. La mobilité s'inscrit en effet dans les trajectoires mêmes des éleveurs. C'est un fond culturel et de capacité ; nous faisons allusion ici à ce qu'on appelle « le capital mobilité » que l'on analyse en termes de capabilité. Cette notion s'appuie sur les débats actuels sur les politiques de transition en rapport à la mobilité des animaux (continuité de l'élevage extensif basé sur la mobilité ou évolution vers l'intensification, mais à quelles conditions ?).

Les enquêtes et entretiens avec les éleveurs ont par ailleurs permis de cerner la place de la gouvernance dans cette région, notamment en ce qui concerne la corruption, les rackets et brimades. Nous partons du constat que l'État laisse faire les autorités traditionnelles dans l'organisation de l'accès et de la gestion des territoires ruraux. Face à la puissance des lamibés dans cette région, les marges de manoeuvre semblent faibles, au risque d'une explosion sociale comme en RCA et au Nigeria. Or, si nous assistons à la démission de l'État dans la mise en oeuvre des politiques de développement territorial, un transfert de compétence dans ce sens doit être opéré. En effet, dans un contexte de crise économique persistante et de décentralisation en cours, on assiste à la mobilisation des acteurs locaux et à l'émergence des politiques de développement territorial local. Ainsi, le système administratif local doit être réactif et d'adapter rapidement aux diverses mutations du territoire. Ce système doit chercher alors à susciter la mobilisation des acteurs locaux autour du projet de développement territorial à partir de nouvelles pratiques de gestion, d'organisation, de fonctionnement, de négociation, de concertation, de décisions partagées. Cette orientation fait appel à la notion de gouvernance territoriale qui, au-delà d'un terme à la mode, est une nécessité face à la réalité des territoires en mouvement et en mutation dans une zone rurale sous forte pression. La gouvernance met l'accent sur la crise de la gouvernabilité des territoires, la multiplicité et la diversité des acteurs et l'interdépendance des acteurs entre eux. La superposition des textes étatiques avec les coutumes locales, qui a un impact direct ou indirect sur la vie du territoire, créée des

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incertitudes chez les acteurs, que vient encore aggraver leur complexité tant sur le plan juridique que social.

Concernant les modes de gouvernance, nous nous appuyons sur les travaux d'Olivier de Sardan (2004). En prenant le concept de « gouvernance » dans un sens purement descriptif et analytique, aussi empirique que possible, nous le définirons avec lui comme une forme organisée quelconque de délivrance de biens et services publics ou collectifs selon des normes et logiques spécifiques. Chaque forme organisée de cette délivrance (chaque arrangement institutionnel), fonctionnant selon des normes particulières et mettant en oeuvre des logiques spécifiques, peut alors être considérée comme un « mode de gouvernance ». Cette définition que nous avons retenue se focalise par contre sur une fonction particulière de l'action collective, de l'autorité ou de la régulation, qui a longtemps été associée à l'État, et qui aujourd'hui peut être mise en oeuvre par d'autres types d'institutions et d'acteurs (communes, villages, chefferies,...). Elle nous semble donc à ce titre plus opératoire et mieux adaptée à l'analyse de matériaux empiriques spécifiques dans le cadre de notre position scientifique.

Apports majeurs dans le cadre de l'Habilitation à Diriger des Recherches

- Le premier apport se situe au niveau de la contextualisation spatiale et sociétale de la mobilité pastorale dans la région du Nord-Cameroun ;

- En second lieu, les territoires de mobilité pastorale ont été définis et caractérisés avec leurs ressources, les acteurs en présence et leurs relations, les modalités d'accès, les modes de gestion, les stratégies d'accaparement et de contrôle, les conflits ;

- À la fin de l'essai, les démarches participatives pour la gestion harmonieuse des territoires communs sont proposées ainsi que des scenarii de gestion et d'organisation des territoires de mobilité pastorale dans la région du Nord-Cameroun. Ces démarches amorcent une réflexion sur la nécessité de coordination entre les différents types d'acteurs concernés par les territoires de mobilité pastorale à différentes échelles (villageois, communal et intercommunal, régional) en impliquant plusieurs niveaux d'acteurs : éleveurs, agriculteurs, autorités

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traditionnelles, gestionnaires des aires protégées, élus locaux, représentants de l'État, organismes d'appui aux développement,...) ;

Le document est organisé en deux grandes parties. La première comporte deux chapitres qui portent sur la contextualisation spatiale et sociétale des territoires de mobilité pastorale. Le premier chapitre analyse les enjeux spatiaux de la mobilité pastorale au Nord-Cameroun en s'appuyant d'abord sur les enjeux du développement des territoires ruraux, puis sur les contraintes de l'élevage mobile dans cette région et, enfin, sur la pression permanente exercée sur les territoires de mobilité pastorale. Le deuxième chapitre présente le contexte sociétal autour des territoires de mobilité. Il commence par revenir sur la genèse de l'installation des éleveurs mbororo dans la région afin de mieux comprendre la marginalité spatiale qu'ils subissent. Il analyse ensuite les relations tant d'échanges, de complémentarités que de conflits entre les différents acteurs locaux concernés par la gestion et l'exploitation des territoires de mobilité. Il s'agit des relations autorités traditionnelles/éleveurs ; autorités administratives/éleveurs ; citadins et élites commerçantes/éleveurs ; agriculteurs/éleveurs ; éleveurs/éleveurs.

La deuxième partie comporte trois chapitres et porte sur notre contribution à la compréhension des territoires de mobilité pastorale. Le troisième chapitre revient sur l'émergence du concept de territoire, un concept récent et polysémique dans la géographie humaine, sa place au service du développement, son application dans le champ du pouvoir, sa réalité sociale, symbolique et de représentation ainsi que sa perception comme support d'identité et aire culturelle. Il présente également l'intérêt du territoire pour l'élevage avant de discuter des outils pour appréhender les territoires et la nécessité de le diagnostiquer. Il se termine par la définition et la caractérisation du territoire de mobilité pastorale au Nord-Cameroun, en tant que champ d'application du pouvoir traditionnel et réalité sociale et culturelle. Le quatrième chapitre analyse en profondeur les territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun, leur typologie et leur fonctionnement. Il analyse en détail la zone de sédentarisation de la famille (le territoire d'attache), le voisinage du territoire d'attache (les territoires pastoraux de proximité en saison pluvieuse et en saison sèche froide), les territoires de transhumance saisonnière (les territoires complémentaires

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pour la petite transhumance de saison sèche chaude et les territoires délimités pour la grande transhumance en saison des pluies) et, enfin, les territoires illicites de mobilité (les aires protégées). Le cinquième et dernier chapitre propose une démarche de concertation pour la reconnaissance des territoires de mobilité pastorale dans un contexte de forte pression. Après avoir intégré le territoire de mobilité dans un contexte de bien commun, il présente les nombreuses interventions aux résultats mitigés en matière de concertation et de sécurisation foncière avec les objectifs poursuivis, leurs acquis, succès et insuccès ainsi que les conflits d'intérêts entre les utilisateurs et conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et de régulation. Tout en capitalisant les expériences de ces projets, nous proposons une démarche d'appui à la gestion concertée des territoires de mobilité pastorale. Cette démarche commence par la phase d'identification et de formulation, puis celle d'analyse, ensuite celle de négociation et concertation et enfin la phase de mise en oeuvre. Elle se termine par la recherche d'un consensus autour des aires protégées.

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PREMIERE PARTIE : CONTEXTUALISATION SPATIALE ET SOCIETALE DES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE

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Chapitre I. Enjeu spatial de la mobilité pastorale au Nord-Cameroun

La mobilité des bovins est confrontée à la dégradation continue des conditions de production, en particulier la raréfaction des ressources fourragères et l'amenuisement du foncier pastoral. En effet, le foncier pastoral a toujours fait l'objet de précarité, ce d'autant plus que les éleveurs laissent derrière eux une trace souvent discrète et passagère. Cette trace, précise Thébaut (1995), peut aussi varier géographiquement selon les saisons et les années, surtout dans des épisodes secs au cours desquels les déficits pluviométriques obligent à modifier les itinéraires de parcours. Peut-on en conclure que le pastoralisme nomade ne peut faire l'objet d'une appropriation foncière dans le sens strict du terme ? Doit-on donner raison à Hardin (1968) dans sa fameuse théorie de la « tragédie des communs » où il s'interroge sur le devenir d'une planète aux ressources limitées et surexploitées par une population en croissance exponentielle ? Hardin examine en effet le cas du pastoralisme, où les pâturages sont une ressource de libre accès mais exploitée par des éleveurs qui détiennent chacun un troupeau individuel. Dans un tel contexte, chaque berger cherchera à augmenter la taille de son troupeau afin de maximiser ses profits personnels, tandis que la perte de ressources en eau et en pâturages est infime, puisque répartie entre un grand nombre de consommateurs. À l'échelle d'une région, ce comportement aboutira inexorablement à une croissance illimitée du cheptel et à une dégradation irréversible du milieu.

Cette représentation alarmiste indexant les éleveurs mobiles comme irrationnels et gaspilleurs trouve sa place dans le contexte du Nord-Cameroun. En effet, l'accroissement de la population entraîne un accroissement des surfaces cultivées. Le caractère extensif des systèmes d'agriculture implique nécessairement de nouvelles défriches chaque année. La terre reste pour la majorité des populations l'unique moyen de subsistance dans des pays où les emplois industriels et tertiaires sont rares. La progression des espaces cultivés entraîne la disparition progressive des espaces non cultivés et pâturés : brousse et jachères, qui sont cultivées à leur tour.

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Si un des fondements du pastoralisme est le libre accès à l'espace (Milleville, 1992), les grands éleveurs de la zone soudanienne qui ont des pratiques de conduite extensive des troupeaux sont aujourd'hui évincés devant la poussée des agriculteurs. Ils sont obligés soit de migrer dans des zones où subsistent des brousses (zones moins peuplées et moins cultivées souvent plus au sud ou sur des massifs aux sols incultivables), soit de vendre leurs animaux ou d'en confier une partie à l'extérieur et se mettre à cultiver. Les territoires ruraux sont ainsi confrontés à plusieurs enjeux qui entravent leur développement.

I.1. Les enjeux du développement des territoires ruraux au Nord Cameroun

La population du Nord-Cameroun est à 86%, largement rurale (BUCREP, 2010). Le tableau I présente la répartition de la population entre urbain et rural dans les régions de l'Extrême-Nord, du Nord et de l'Adamaoua.

Tableau I. Population des trois régions septentrionales du Cameroun

Région

Urbain

Rural

Total

Extrême-Nord

708 060

2 403 732

3 111 792

Masculin

361 277

1 173 970

1 535 247

Féminin

346 783

1 229 762

1 576 545

Nord

470 913

1 217 046

1 687 959

Masculin

240 836

596 091

836 927

Féminin

230 077

620 955

851 032

Adamaoua

343 490

540 799

884 289

Masculin

173 531

265 382

438 913

Féminin

169 959

275 417

445 376

Source : BUCREP (2010)

Le tableau I montre que la région de l'Extrême-Nord, avec 3 111 792 habitants, fait partie de celles qui sont les plus peuplées du Cameroun à savoir le Centre (3 098 044 habitants) et le Littoral (2 510 263 habitants). Par contre, l'Adamaoua (884 289 habitants), fait partie des régions les moins peuplées, avec l'Est (771 755 habitants) et le Sud (634 655 habitants).

Le tableau I montre également que la population rurale dans les trois régions représente le double de la population urbaine avec une proportion féminine légèrement plus importante que celle des hommes. En effet, la population du Nord-Cameroun est marquée par un déséquilibre démographique entre la région de l'Extrême-Nord à forte densité de population (90,8 habitants/km2 en moyenne) et celle du nord sous-peuplée

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(25,5 habitants/km2) ainsi que de l'Adamaoua (13,9 habitants/km2). Les disparités sont fortes entre les départements et les arrondissements. Les zones à forte densité (supérieure à 50 habitants/km2) sont localisées dans l'Extrême-Nord, dans les monts et piémonts du massif des Mandara (chez les Mafa, Mofou, Guidar...) et le long du Logone (chez les Massa, Mousgoum, Toupouri). Dans ces régions, il existe une forte pression foncière. À l'opposé, au Sud de Garoua, les départements du Faro et du Mayo Rey sont des zones à faible densité de population (inférieure à 10 habitants/km2) où les ressources en terres agricoles et en parcours sont importantes. Cependant, depuis une dizaine d'années, ces zones sont devenues des fronts pionniers avec des migrations de seconde génération. Entre ces deux pôles, les interstices sont occupés par des zones de densité de population moyenne (Bénoué : environ 20 habitants/km2) à forte (Mayo Louti, Kaélé : environ 50 habitants/km2). À ces variations de densité de population correspondent des variations du taux d'occupation des terres agricoles et de charges animales comme l'ont montré Dugué et al., (1994). Les densités des populations entre 1976 et 2005 sont en constantes évolution (Tableau II).

Tableau II. Densités de la population dans les trois régions septentrionales du Cameroun

de 1976 à 2005

Région

Densité de population (habitants/km2)

1976

1987

2005

Adamaoua

5,6

7,8

13,9

Extrême-Nord

40,7

54,2

90,8

Nord

7,3

12,6

25,5

Source : BUCREP (2010)

Le Tableau II montre que malgré l'émigration des populations vers d'autres régions, les densités restent fortes et en constante évolution dans la région de l'Extrême-Nord. Elles sont passées de 40,7 habitants/km2 en 1976 à 54,2 en 1987 puis à 90,8 en 2005. Ces densités sont également en augmentation soutenue dans les régions de l'Adamaoua et du Nord à cause notamment de l'immigration.

Dans les trois régions septentrionales du Cameroun, la population urbaine (les villes de plus de 10 000 habitants) dépend aussi des activités agricoles et pastorales, soit directement (plusieurs dizaines de milliers de producteurs en ville ou en périphérie), soit indirectement en travaillant dans le secteur de l'agrofourniture, du commerce et de

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la transformation des produits (usines du secteur cotonnier, transport, petite transformation, commerces...). Environ 80% à 85% de la population du nord du Cameroun vivent directement ou indirectement du secteur agricole/élevage.

Dans la zone septentrionale du Cameroun, faute de secteurs secondaires et tertiaires développés (très peu de d'industries non liées à l'agriculture, pas de ressources minières, stagnation du tourisme9), le développement économique et social des 3 régions repose actuellement sur les performances technico-économiques (rendement, marges dégagées, rémunération des actifs familiaux et salariés), la résilience et la compétitivité du secteur agricole (CIRAD et GLG Consultants, 2013). En effet, l'agriculture et l'élevage de ces trois régions contribuent d'abord au développement local mais aussi national et sous-régional, dans 4 secteurs stratégiques :

- La sécurité alimentaire : la première fonction de l'agriculture est d'alimenter les populations rurales et urbaines des trois régions en quantité suffisante (céréales) et en améliorant la qualité nutritionnelle des régimes (importance des produits animaux mais la consommation en lait et en viande10 reste bien deçà des recommandations de l'OMS, des protéines végétales et des fruits et légumes). En raison de l'importance du secteur agricole dans l'économie du Cameroun (60,6% du PIB), les difficultés causées par la mauvaise performance de certaines cultures de rente sapent l'atteinte des Objectifs Nationaux pour le Développement et pourraient contribuer à accroitre la vulnérabilité à l'insécurité alimentaire. La région septentrionale du Cameroun, dont l'alimentation de base est essentiellement céréalière, est la plus touchée par cette baisse. L'insécurité alimentaire touche presque toutes les exploitations familiales (Abakachi, 2000). Cette situation d'instabilité alimentaire est issue de la combinaison de plusieurs facteurs : i) irrégularité et gestion peu rigoureuse de la production des céréales sur les marchés et par les paysans, ii) disponibilité insuffisante des céréales sur les marchés et iii) inaccessibilité aux populations défavorisées. Les variations dans

9 À cause des attaques régulières et des prises d'otages depuis 2012, le tourisme au Nord-Cameroun, autrefois animée par les touristes occidentaux - principalement des expatriés de Yaoundé - qui venaient visiter le parc animalier, ses éléphants et ses girafes, est aujourd'hui en déclin. Dans les campements touristiques des villes, les chambres sont désespérément vides et les murs tombent peu à peu en ruine.

10 Selon GESEP (2002), 6,5 à 7,5 kg de viande bovine/habitant/an à Garoua et Maroua au début des années 2000 contre 30 kg dans les années 1980, cette tendance est confirmée par Djamen Nana (2008).

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la combinaison de ces facteurs se caractérisent par l'instabilité des marchés qui a un impact considérable sur la sécurité alimentaire, sur le cours des vivriers, sur la trésorerie des producteurs et des commerçants (Kossoumna Liba'a, 2009).

- La création de richesses et d'emplois : le Nord-Cameroun concentre tout le secteur cotonnier qui compte en 2012/2013 trois cent mille (300 000) producteurs recensés pour 220 000 ha de coton et une production estimée à ce jour à 22 100 tonnes de coton graine. Ce secteur a montré sa capacité de faire face aux crises économiques en développant des mécanismes de stabilisation de revenu cotonnier pour les producteurs (subvention engrais,...) et en diversifiant la production afin de faire fonctionner ses huileries (développement rapide du soja) (Kossoumna Liba'a, 2014). Les agriculteurs et éleveurs de ces régions ont montré de fortes capacités d'adaptation et d'innovation dans d'autres secteurs et avec peu d'appui public : par exemples des filières de production exportent vers le Sud et dans la sous-région : arachide, niébé, maïs, oignon, fruits, bovins sur pied, porcs...). Ces filières fournissent des revenus substantiels qui viennent compléter celui du coton et induisent des emplois dans le secteur tertiaire (commerce et transport). Par exemple, le septentrion est la principale zone de production au Cameroun de viande bovine (effectifs du cheptel entre 1,7 et 3,2 millions de têtes selon les sources11), porcines et de petits ruminants (2 à 2,5 millions de têtes), d'oignon et de maïs (CIRAD et GLG Consultants, 2013).

- Les zones rurales, principaux fournisseurs de bois énergie : les zones pastorales et agricoles sont essentielles à toute la population car elles leur fournissent le bois d'énergie, le bois d'oeuvre et une partie de l'énergie nécessaire aux transports des marchandises (traction animale). Trop peu d'agriculteurs se sont lancés dans la sylviculture, mais une meilleure gestion des ressources arborées bénéficie directement à l'ensemble de la population en termes de fourniture durable de bois d'énergie et de charbon de bois à prix raisonnable en l'absence de politique de subvention et de vulgarisation massive du gaz domestique.

11 Faute de recensement sur le terrain actualisé il est impossible de fournir des chiffres précis et fiables d'effectifs d'animaux d'élevage. Les professionnels du secteur (MINEPIA, Organisation d'éleveurs, chercheurs) s'accordent tous sur un accroissement continu des effectifs sans en connaître l'ampleur et la répartition géographique, à l'exception des élevages transhumants mis à mal entre 1995 et 2008.

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- La paix sociale dans un environnement régionale instable : l'accroissement des revenus issus de l'agriculture et de l'élevage contribue à la paix sociale en limitant l'exode rurale, l'urbanisation anarchique et l'apparition d'une frange de la population sans emploi pouvant s'orienter vers des activités illicites (trafics en tout genre, banditisme, milice armée dans les pays voisins). Le dynamisme du secteur agropastoral du Nord-Cameroun constitue donc un atout pour limiter les insécurités et faire face à un contexte sociopolitique déliquescent et instable dans les pays voisins (Nigeria, RCA).

I.2. Élevage soumis à plusieurs contraintes

Les systèmes d'élevage au Nord-Cameroun sont peu intensifiés (sauf certains élevages porcins) et reposent essentiellement sur les ressources des parcours naturels et la vaine pâture (les résidus des cultures)). On distingue une diversité de systèmes d'élevage de ruminants, des systèmes très extensifs (élevage transhumant sans aucune complémentation alimentaire), des semi-intensifs alliant l'activité pastorale à l'agriculture à des systèmes relativement intensifs (unité d'embouche et de production laitière). Ces systèmes d'élevage sont conduits en grande majorité par des producteurs Peul mais il convient de distinguer le groupe des Fulbé historiquement bien implanté Au Nord-Cameroun et celui des Mbororo dont le processus de sédentarisation a débuté dans les années 1990. Cette communauté est peu présente dans les instances communales, dans les groupements et fédérations et entretient peu de relations avec les projets et les services techniques.

Au Nord-Cameroun, le maintien de cet élevage de ruminants se heurte à la réduction de la surface des parcours du fait de leur mise en culture par une population d'agriculteurs en croissance continue. De plus, les usages des résidus de culture se diversifient (construction, combustible, plus rarement couverture du sol) même si le droit de vaine pâture demeure fortement ancré dans les campagnes : les éleveurs et leurs troupeaux ne sont plus les seuls bénéficiaires de cette ressource gratuite, les agriculteurs (et ceux devenus agro-éleveurs) souhaitent que leurs sols et leur bétail en bénéficient prioritairement. La crise de l'élevage s'observe à plusieurs niveaux (spatial, écologique, social et en terme de gouvernance) (Figure 4).

Écologique

- Non définition des charges sur les

espaces de parcours

- Dégradation des parcours naturels

- Aléas pluviométriques

- Sécheresse

- Inondations, nombreuses mortalités et

dégradation des parcours

- Difficulté de régénération des parcours

- Feux de brousse et dégradation du

couverts végétal

Spatiale

- Augmentation du cheptel bovin

- Réduction des espaces exclusivement réservés aux troupeaux

- Contraintes de mobilité à cause du rétrécissement des pistes à bétail

- Emboîtement des différents espaces de pâturage avec les espaces agricoles

- Zones de pâturage sécurisées mais non respectées et menacées par les feux de brousse

- Hydrauliques pastorales réalisées mais manque de suivi

- Des points d'eau insuffisants

- De nombreuses utilisation des résidus de récolte ignorées

CRISES DE L'ÉLEVAGE

Gouvernance

- Dualité des décideurs - Difficulté pour les éleveurs d'avoir les mêmes droits sur les territoires ruraux

- Dysfonctionnements et des gaspillages de ressources - Corruption et difficulté de pérennisation des espaces acquis - Marginalisation

- Isolement sociopolitique

Sociale

- Accroissement des conflits entre les éleveurs et les autres acteurs (agriculteurs, lobbies environnementaux)

- Conflits intergénérationnels au sein des communautés d'éleveurs

- Implication des bergers non issus des communautés d'éleveurs

- Paupérisation de nombreux éleveurs

- Manque de soutiens institutionnels et de capital social des associations

- Arrivée massives des éleveurs centrafricains chassés par les anti-balaka

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Figure 4. Facteurs à l'origine des crises de l'élevage au Nord-Cameroun I.2.1. Pressions sur l'espace pastoral

La crise spatiale se manifeste par la réduction des surfaces exclusivement réservées aux troupeaux et les contraintes à leur mobilité, qu'ils s'agissent des déplacements quotidiens de saison de pluies ou de la transhumance plus ou moins longue. Les incertitudes sur le foncier sont entretenues et exacerbées par les autorités traditionnelles qui n'hésitent pas à remettre chaque année en cause les règles d'accès à la terre. Cela, évidemment, pousse les Mbororo à déplacer chaque fois leurs sites d'installation ou à renégocier ceux sur lesquels ils sont installés. Il en est de même de la reconnaissance des zones attribuées aux pâturages (hurum) qui sont à la fois octroyées aux agriculteurs. Cela engendre des conflits, sources de revenus pour les chefferies lors des médiations.

Une quinzaine de zones de pâturage ont été sécurisée avec l'aide du projet de Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux (GESEP), mais ces zones sont menacées par feux de brousse. Une centaine d'hydrauliques pastorales sont réalisées par le Projet de

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Réhabilitation et de Création des Points d'Eau pour le Bétail (PRCPB) mais n'a pas donné satisfaction à cause d'un manque de suivi. Le Ministère de l'Élevage des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA) a réalisé une vingtaine de points d'eau mais toujours insuffisante. De nombreuses utilisations possibles des résidus de récoltes sont ignorées des producteurs et peu d'entre eux tentent de récupérer, conserver et améliorer ces ressources pourtant non négligeables. Malgré cela, les résidus tel que les gousses d'arachide et de niébé, fanes de haricots et d'arachide, tige de mil, constituent l'essentiel de l'alimentation du bétail en saison sèche dans les zones Massa, Toupouri et Mousgoum. L'utilisation systématique de ces résidus est entravée par d'autres usages (combustibles, chaume, et la collecte eu égard à leur volume et à la distance avec les lieux d'habitations). Parmi les autres ressources alimentaires potentielles, on ne fait pas un usage adéquat des sous-produits agro-industriels comme le tourteau de coton et les sons. La SODECOTON produit le tourteau de coton (Nutribet), Coque, Provende. II faut signaler que l'obtention des tourteaux par des éleveurs est difficile. La SODECOTON a produit 3 225 tonnes de coque de graine de coton et les femmes de la région qui brassent la bière de mil produisent des quantités importantes de drèches qui sont vendues aux éleveurs de porcs et de petits ruminants. Les tiges de mil, les fanes d'arachide et de haricot sont couramment utilisées en saison sèche. En dehors de la SODECOTON, les particuliers dispose des industries de fabrication d'aliments de bétail (le SIFAB12, le SITRON13, etc.) qui fabrique le tourteau de coton, soja et d'arachide.

I.2.2. Crise écologique

La crise écologique s'observe par la dégradation des parcours naturels (la strate herbacée mais aussi arborée par émondage excessif) du fait des aléas pluviométriques mais surtout d'une trop grande charge en bétail, au moins dans les régions Extrême-Nord et Nord. Sur le plan régional, les ressources fourragères étant inégalement

12 Société Industrielle de Fabrication d'Aliments du Bétail

13 Société Industrielle de Transformation des Oléagineux du Nord

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réparties dans l'espace et dans le temps14, seule la transhumance permet pour le moment aux éleveurs un transfert de charge saisonnière entre zones. Les éleveurs constatent une forte régression de la qualité des pâturages sur les parcours sur la base de certains indicateurs qui leur permettent d'identifier les espaces dégradés ou en voie de dégradation. Les éleveurs sont sédentarisés sur de petits territoires dont la capacité de charge est largement dépassée par le nombre d'animaux dont ils ont la garde. Bien que les espaces cultivés et de parcours soient gérés par les communautés d'éleveurs avec une certaine sécurité15, la surface mise en valeur est insuffisante pour assurer toutes les activités d'élevage durant le cycle annuel. Vu les effectifs recensés, la sédentarisation définitive de ces éleveurs avec leurs troupeaux dans ces territoires s'avère impossible même si on maintient l'accès à des parcours extra villageois de proximité (dans les collines et le long des berges de la Bénoué qui sont aussi convoitées par d'autres éleveurs locaux). La culture fourragère ne pourrait pas apporter un surplus d'alimentation suffisant à moins de recourir à des systèmes de culture très intensifs, non compatibles avec les moyens des éleveurs (irrigation pour une culture permanente, fertilisation forte, clôture). Le recours à la transhumance ainsi qu'aux parcours de proximité hors des territoires d'attache est indispensable à l'entretien du bétail.

De plus, les inondations récurrentes dans la zone provoquent de nombreuses mortalités des animaux et la dégradation des parcours proches des lacs et des cours d'eau. Au début des inondations, les ressources végétales pastorales ont été fortement dégradées dans toute la zone inondable comprise entre Lagdo et Pitoa. Les herbacées ont été submergées et les animaux pâturant dans les zones inondables ont eu du mal à brouter. Les espèces herbeuses les plus dégradées sont : Nenuphar, Andropogon spp, hypparhenia rufa, Mimosa pigra, Echinochloa pyramidalis, Cyperus spp.

Cette situation a eu pour conséquence le déplacement des animaux dans des villages plus éloignés exacerbant les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. Elle a

14 Du fait du gradient de pluviométrie et de date d'arrivée des pluies observé entre le nord et le sud de la région du Nord.

15Si les enclaves des agriculteurs ne s'agrandissent pas.

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également entraîné localement la surcharge en bétail entrainant une dégradation de la végétation et de la structure des horizons de surface qui devient plus compacte et grossière.

Pendant la période de forte crue, les éleveurs se sont rabattus sur les espèces ligneuses présentes sur les parcours proches des territoires d'attache. Les espèces qui ont fait l'objet d'émondage régulier sont Pterocarpus erinaceus, Acacia sieberiana, Afzelia africana, Stereospermum kunthianum, Khaya senegalensis, Daniella olivieri.

Les calendriers agricoles et des transhumances ont été sérieusement perturbés. De nombreux éleveurs ont transhumé sur de longues distances pour nourrir leur bétail.

I.2.3. Crise sociale

Quant à la crise sociale, elle est de deux ordres. D'abord par l'accroissement de la fréquence des conflits entre éleveurs et agriculteurs qui constituent pour tous une perte de temps, d'argent et de production sociale. Au cours de chaque saison des pluies, des conflits opposent les agriculteurs et les éleveurs mbororo pour le respect des espaces délimités et réservés au pâturage (hurum). Ces conflits sont provoqués par le fait que les agriculteurs n'ont pas cessé d'y cultiver. Or, les espaces réservés aux bétails appartiennent en principe autant aux éleveurs qu'aux agriculteurs. Mais, les éleveurs sont plus engagés dans la préservation de ces espaces parce qu'ils ont plus d'animaux que les agriculteurs. S'estimant dans leurs droits, ils ne se privent pas d'y pâturer. Malgré les conventions locales mises en place, rien n'est fait à l'encontre des agriculteurs qui cultivent les parcours et les pistes. Lorsque des dégâts sont perpétrés dans les champs, les agriculteurs portent plainte surtout auprès des autorités traditionnelles qui ne se privent pas de légiférer afin de bénéficier des avantages liés aux règlements des litiges.

La crise sociale est également interne aux communautés d'éleveurs en particulier chez les jeunes qui ne souhaitent plus passer tout leur temps à berger les troupeaux. Au sein même des sociétés nomades, l'élevage mobile est de plus en plus considéré comme une activité pénible et fort contraignante, que la plupart des jeunes n'ont aucun désir d'entreprendre. De plus, le travail de berger est dévalorisé dans les sociétés rurales. Ces travailleurs sont en effet mal payés (5 000 FCFA par mois environ ou un veau

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après 5 mois de travail) et assez souvent mal considérés par les habitants. Certaines personnes ne voient en eux que de simples manoeuvres sans instruction. Les fils de paysans non-peuls cessent de faire ce travail après 18 ans. Ils préfèrent cultiver la terre et se marier. Par contre, les Mbororo continuent plus volontiers ce travail passé l'âge de 20 ans, sans doute par goût et aptitude mais aussi par manque d'autres opportunités professionnelles. Les membres des nouvelles générations qui acceptent de rester et de vivre de l'élevage sont cependant de moins en moins nombreux. Beaucoup prennent goût aux « lumières de la ville », y cherchent du travail salarié ou non et entreprennent des activités non pastorales (location de maisons, moto taxi, taxi brousse, commerce...).

Le recours à des bergers parfois non issus de la communauté d'éleveurs devient fréquent et affecte les performances des troupeaux et la gestion rationnelle des pâturages. En effet, il se pose le problème de transmission des pratiques et modes de gestion traditionnelle des parcours. Les bergers salariés, dont un nombre croissant ne sont plus des Peuls, sont en effet moins outillés et moins motivés pour la préservation des parcours et de leurs ressources naturelles que les anciens bergers Peuls. Leurs connaissances traditionnelles des plantes et de la nature sont insuffisantes. Le risque majeur de cette distanciation entre la conduite du troupeau et les autres activités (agriculture, commerce du bétail) est l'absence de contrôle et de gestion des grands parcours pourtant essentiels au maintien de la transhumance, et donc aux systèmes d'élevage extensifs.

I.2.4. Problème de gouvernance

La crise s'observe aussi en termes de gouvernance avec la dualité des décideurs, publics et coutumiers, dont certains perçoivent des taxes non officielles pour la résolution de conflits, le passage et la vente du bétail et les droits de transhumance. En effet, les dépenses annuelles liées aux diverses taxes traditionnelles souvent arbitraires sont importantes pour les éleveurs mbororo potentiellement riches en bovins. La zakkat constitue la plus courante. Celle qui est versée au Laamii'do est appelée jomorngol laamii'do ou hacce leddi (droit de la terre du Laamii'do). Par ailleurs, les éleveurs mbororo s'acquittent régulièrement des collectes ponctuelles (umroore

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laamii'do) qu'impose le Laamii'do aux habitants de son territoire lors d'un événement dans son lamidat (funérailles, fêtes, réception d'une autorité...), mais aussi pour la réfection de sa clôture, des murs de ses concessions... Sur le plan administratif et officiel, tous les éleveurs mbororo paient l'impôt forfaitaire annuel de 3 500 FCFA/an par adulte actif. À cela, il faut ajouter des taxes sur l'élevage comme la taxe de transhumance, le laissez-passer sanitaire, la taxe d'inspection sanitaire, la taxe de marché pour la commune. Les Mbororo sont également taxés pour défaut de fosse septique par le Service d'Hygiène.

Le Nord-Cameroun se trouve actuellement dans un contexte où la question de la gestion et de l'organisation du territoire rural est devenue un enjeu majeur à la fois pour les acteurs (agriculteurs, éleveurs, lobbies environnementaux...) et pour les structures publiques, parapubliques et non gouvernementales en charge de cette gestion. La réduction des inégalités, la recherche d'une plus grande équité et la préservation des ressources naturelles (conservation de la biodiversité, maintien du potentiel productif des territoires) sont devenus des impératifs qui impliquent la mise en place de nouvelles modalités de gouvernance territoriale.

I.3. Pression permanente sur les territoires de mobilités pastorales

Le territoire rural au Nord-Cameroun est occupé principalement par l'agriculture, l'élevage et l'entretien de la biodiversité (faune sauvage des aires protégées et accessoirement la biodiversité liée à toutes les activités de l'homme) qu'il convient de présenter avec leurs contraintes et défis (Figure 5).

Augmentation du cheptel

PRESSIONS SUR LES TERRITOIRES DE MOBILITÉS PASTORALES

- Occupation de plus de 45% de la région

- Interdiction de pâturage dans ces zones

- Convoitise par les éleveurs transhumants et sédentaires - Manque d'intérêt des populations riveraines dans le projet de conservation

Présence des aires protégées

Omniprésence des autorités traditionnelles

- Prééminence des droits traditionnels sur la législation foncière de l'Etat

- Gestion coutumière des espaces de pâturage

- Accès aux territoires pastoraux conditionnés par le paiement de l'impôt traditionnel

- Renégociation de l'accès aux parcours

- Rôles prépondérant dans le règlement des conflits ruraux

- Ingérence dans l'organisation des déplacements des troupeaux

- Efficacité relatives des comités de gestion des parcours mis en place par les projets

- Réduction constante des territoires d'élevage

- Dégradation des parcours

- Multiplication des acteurs pratiquants l'élevage

- Concurrences et conflits pour l'accès et le contrôle des ressources agropastorales - Difficulté d'amélioration de la productivité des parcours

Migrations permanentes

- Seuil migratoire dans les zones d'accueil

non défini

- Augmentation de la population

- Accroissement des surfaces agricoles

- Dégradation des terres agricoles et

pastorales

- Multiplication des conflits
agriculteurs/éleveurs

Insécurité foncière en milieu rural

- Revendications foncières concurrentes et litiges aux issues parfois tragiques

- Blocage des processus de renouvellement des parcours naturels

- Accaparement rapide et individualisé des ressources

- Rareté d'instances légitimes d'arbitrage et confusion des responsabilités en matière foncière

- Persistance de conflits non résolus

- Augmentation des dépenses des faveurs d'arbitres improbables

- Repli sur l'ethnie et éloignement du citoyen envers le projet de nation

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Figure 5. Pressions et contraintes sur les territoires de mobilité pastorale

De nombreuses pressions et contraintes pèsent sur les territoires de mobilité pastorale : migrations permanente, insécurité sur le foncier rural, augmentation du cheptel bovin, omniprésence des autorités traditionnelles, présence des aires protégées.

I.3.1. Migrations et augmentation des surfaces agricoles

Les surfaces dédiées à l'agriculture sont en constante augmentation à cause de l'accroissement de la population rurale due au croît naturel et aux migrations. En effet, la croissance démographique et l'ouverture du Nord-Cameroun aux marchés régionaux et internationaux ont fortement modifié le fonctionnement des sociétés rurales (Roupsard, 1987). Dès les années 1950, le colonisateur se distingue par une volonté de promouvoir la mise en valeur économique de la région par l'introduction notamment des cultures de rente parmi lesquelles le coton et l'arachide. C'est dans ce souci que la CFDT (Compagnie Française pour le Développement des Textiles) va apparaître au Nord-Cameroun. Les populations païennes des plaines et des rives du Logone vont ainsi bénéficier de programmes de formation et de vulgarisation agricoles, auxquelles

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vont venir s'adjoindre l'extension de la scolarisation et l'évangélisation. Certains groupes qui se trouvaient nombreux sur un espace pauvre et exigu vont également être déplacés de gré ou de force. Pendant le premier plan quinquennal (1960-1965), on s'est soucié dans la région septentrionale, de rééquilibrer population et ressources par le biais de petits projets (Ndembou, 1998).

Les performances cotonnières, compromises par les sécheresses des années 1970, vont obliger cependant l'État à déplacer le pôle géographique de la culture du coton vers la vallée de la Bénoué où les densités à ce moment-là étaient inférieures à 20 habitants/km2. Entretemps, la CFDT devient une société nationale (SODECOTON) avec le déplacement de la Direction Générale de Kaélé (Extrême-Nord) à Garoua dans le Nord. De plus, à partir des années 1980, les terroirs de l'Extrême-Nord vont se dégrader et se saturer. Dans les Monts Mandara par exemple, les densités atteignent 50 à plus de 100 habitants/km2. C'est pour cela que, dans le souci de corriger l'inégale répartition de la population dans le Nord et l'Extrême-Nord par rapport aux ressources naturelles et faire mettre en valeur les immenses réserves foncières, l'administration camerounaise va favoriser et même provoquer les déplacements de certains groupes ethniques (Toupouri, Massa, Guiziga, Guidar, Moundang, Mafa, Mofou...) vers le bassin de la Bénoué.

L'Etat du Cameroun a toujours joué un rôle important dans les déplacements des hommes et de leurs biens à travers les instances publiques de gestion et d'aménagement du territoire rural. C'est ainsi qu'une Mission d'Étude pour l'Aménagement de la Vallée Supérieure de la Bénoué (MEAVSB) va être créée en 1974 pour organiser et encadrer les migrations à travers les projets Nord-Est Bénoué (NEB16) et Sud-Est Bénoué (SEB) qui vont déplacer plus de 100 000 personnes entre 1974 et 1986 (Koulandi, 1986).

16 Le NEB a fait reposer toute son action sur la mise en place d'une infrastructure avec comme élément clé le pont sur le Mayo Kebbi qui, en 1975, ouvrait les espaces des lamidats de Bé et de Bibémi, et sur le déplacement des populations de l'Extrême-Nord. Dès le début, le suivi des migrants n'a pas été sérieusement pris en compte. Par la suite et jusqu'à la fin du NEB en 1993, le projet a déchiffré et identifié entre 90 000 et 130 000 migrants (Seignobos, 2002).

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Le flux migratoire, une fois amorcé, induit ensuite son propre flux. Les premiers arrivés donnent l'information à ceux restés au pays, fournissent les moyens de déplacement et d'hébergement à l'arrivée. C'est ainsi que de 1986 à nos jours, au flux organisé des migrants a ensuite suivi un flux spontané, de plus en plus important, faisant toujours courir le risque pour les zones d'accueil d'une « crise migratoire » car des seuils d'acceptabilité n'ont jamais été définis, ni par les encadrements de projets, ni par les administrations concernées (Seignobos, 2002). Ces migrations sont favorisées par l'État, la SODECOTON et certaines ONG comme le Comité Diocésain de Développement (CDD) qui réfectionnent une ancienne piste des troupeaux ou une route temporaire17, ouvre une pénétrante à partir d'un axe principal, jusqu'à un site éventuel d'installation des populations, crée un point d'eau, une école ou un centre de santé... Ainsi, depuis 1976, le bassin de la Bénoué connaît une augmentation régulière du nombre de migrants « spontanés ». La population a presque doublé entre 1976 et 1987 grâce à un taux de croissance annuelle d'environ 3,5% et un taux d'immigration de 2,8% (Bonifica, 1992). Dans certains villages, la proportion des migrants avoisine 70% de la population totale (Boutinot, 1995). Le croît démographique annuel en milieu rural entre 1980 et 2000 est ainsi estimé pour la région du Nord à 6% dont 3% environ de croît naturel et l'équivalent lié aux flux migratoires.

Aujourd'hui, la densité de population rurale du Nord-Cameroun dépasse 50 habitants/km2 avec certaines zones à plus de 100 habitants/km2 (Dongmo, 2009). Ces évolutions ont entraîné une forte concurrence entre ces différents acteurs (notamment agriculteurs et éleveurs) pour l'accès aux ressources naturelles. La culture continue sans pratique de la jachère s'est généralisée. Ce qui engendre une forte dégradation des terres agricoles et des parcours (baisse de fertilité du sol, prolifération d'adventices et de plantes non appétées par le bétail).

17 Par exemple la route Ngong-Tchéboa-Touroua. Avant 1985, cette route n'était praticable qu'en saison sèche (entre octobre et juin). La SODECOTON (Société d'État) entreprend sa réfection pour la rendre permanente à partir de cette date.

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I.3.2. Augmentation du cheptel et réduction des territoires d'élevage

Le territoire dédié à l'élevage s'est fortement transformé au cours des dernières décennies. Le cheptel a augmenté sans modification notable dans le système d'élevage. Les parcours de transhumance se sont considérablement rétrécis à l'Extrême-Nord et s'étendent eux aussi vers la vallée de la Bénoué où le nombre de bovins par habitant est déjà assez élevé (Dugué et al., 1994). Depuis une trentaine d'années, la densité en bovins détenus par les Peul s'est accrue du fait du croît naturel mais aussi d'un flux migratoire d'éleveurs Mbororo venant du Nigeria. De plus, la proximité de la ville de Garoua où nombre de fonctionnaires et de notables locaux ont capitalisé une part de leurs revenus dans l'élevage, y augmente encore les densités animales et partant, les conflits avec les agriculteurs. Ainsi, l'augmentation des effectifs des bovins et l'accroissement des surfaces cultivées ont engendré la réduction des territoires d'élevage.

L'élevage des ruminants (bovins principalement) en pleine expansion, est pratiqué par différentes catégories sociales : éleveurs Mbororo et Fulbé qui possèdent la majorité du bétail bovin, agriculteurs producteurs de céréales et de coton dont les troupeaux sont de petite taille et de fonctionnaires et commerçants qui confient leurs troupeaux aux éleveurs. Les effectifs du cheptel sont en augmentation alors que les superficies pâturables ont fortement régressé. Elles sont passées pour la Région du Nord de 7 millions d'hectares pour 160 000 têtes de bovins en 1974 à 3,5 millions d'hectares en 1996 pour un effectif 8 fois plus important de bovins. Ce chiffre va crescendo tandis que les surfaces continuent de diminuer. L'élevage pratiqué par les éleveurs peuls semi-sédentaires ou transhumant est conduit de façon extensive sans recourir à la culture fourragère, ni à l'achat massif d'aliments du bétail ou à la mise en défens des parcours les plus dégradés. Il s'appuie d'une part sur le prélèvement par les troupeaux de ressources fourragères « collectives », non appropriées par des individus - vaine pâture après les récoltes, parcours naturels exondés et de bas-fonds - et d'autre part, sur la mobilité du bétail au cours de l'année. En zone de surcharge en bétail, on peut considérer que ces systèmes d'élevage se caractérisent par une exploitation minière des ressources pastorales dont la dégradation peut être exacerbée par les feux de

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brousse. La saturation de l'espace suite à l'extension des cultures au détriment des pâturages, rend difficile la coexistence de l'agriculture et de l'élevage sur ces territoires. La concurrence et les conflits pour l'accès aux ressources agropastorales se multiplient et l'avenir du pastoralisme est incertain (Dongmo et al., 2009). Les éleveurs utilisent divers types de territoires pour leurs activités : les territoires d'attache, les territoires proches pour la petite transhumance et les territoires lointains pour la grande transhumance (Kossoumna Liba'a, 2008).

La plupart des techniciens chargés d'élaborer et de mettre en oeuvre les politiques foncières ont longtemps avancé l'appropriation individuelle (et l'arrêt de la transhumance) comme condition de développement du secteur d'élevage. L'état actuel des travaux de la recherche fournit des éléments nouveaux et la condamnation des utilisations communautaires des parcours. De même des principes considérés comme les piliers du pastoralisme (capacité de charge, dégradation...) sont remis en cause ou du moins relativisés (Scoones, 1999 ; Onana, 1995). Une étude de Boutrais (1978) notait déjà que « les éleveurs ne possèdent pas leurs pâturages et n'ont jamais l'assurance de pouvoir y rester longtemps. L'incertitude foncière entrave tout investissement quelconque des éleveurs, aussi bien dans leur habitat que dans leurs pâturages. Régler le problème foncier des pâturages représente le préalable indispensable à toute amélioration de l'élevage traditionnel... ».

Malgré de nombreux échanges entre les communautés d'éleveurs et d'agriculteurs (travail, matériel, produits, etc.), l'amélioration de productivité et de la gestion des parcours bornés de petite surface et des grands parcours n'a pu se faire. Ce manque de collaboration s'explique en partie par le poids inégal qu'occupe l'élevage au sein des deux communautés. Les agriculteurs cherchent d'abord à accroitre leur surface cultivée sans par exemple envisager de valoriser l'excédent de fumure animale produit par les animaux des éleveurs lors des parcages sur l'espace de pâturage.

Par contre, les éleveurs veulent préserver un vaste espace de parcours, capable au moins d'accueillir toute l'année une partie du troupeau pour la production de lait. Les comités de gestion mis en place par les projets de développement ou d'appui à la gestion des territoires ruraux (DPGT, GESEP, APESS, PDOB...) pour le maintien des

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parcours sécurisés n'apparaissent pas comme un dispositif de gestion stable, performant et confirmé à moyen et long terme. Ce qui montre que la situation pastorale ne peut pas s'améliorer avec des règles subsidiaires créées par des projets malgré leur engagement et leur efficacité en dehors du cadre législatif. Vu la faiblesse des superficies de parcours sécurisés en question et les difficultés techniques et sociales pour en améliorer la productivité, la transhumance apparait incontournable pour les éleveurs de cette région.

La durabilité basée sur le maintien de la transhumance reste aujourd'hui fonction, d'une part du règlement de l'insécurité des biens et des personnes et d'autre part, de la capacité des éleveurs à s'organiser collectivement pour revendiquer des espaces suffisants en y assurant la gestion des ressources naturelles pastorales. Cette situation est exacerbée par l'omniprésence des autorités traditionnelles dans la gestion des territoires ruraux.

I.3.3. Omniprésence des autorités traditionnelles

Au Nord-Cameroun, il existe dans les faits une prééminence du droit traditionnel sur la législation foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin saanou y sont omniprésents. Ainsi, même si la législation foncière camerounaise existe depuis 1932, elle n'empêche pas la prédominance du droit coutumier sur le droit « moderne » en zone rurale18 : la terre appartient au laamii'do qui en concède l'usage à ses sujets à condition de payer l'impôt traditionnel sur les revenus des ruraux, la zakkat19 et dans certains cas, ils prélèvent des taxes sur le commerce des produits vivriers (céréales, arachide) (Beauvillain, 1989).

18 La colonisation européenne va instaurer une administration étatique au-dessus des lamidats pour la gestion de l'ensemble du territoire tout en laissant le contrôle foncier aux lamibé (Ndembou, 1998).

19 Aumône légale instituée par le Coran. Normalement, la zakkat doit être prélevée pour constituer un grenier public et distribuée aux indigents en cas de nécessité. Elle a été depuis longtemps détournée pour n'être plus qu'une redevance versée au profit du laamii'do. Le paiement de la zakkat est une forme d'allégeance au laamii'do (Seignobos et Tourneux, 2002). Dans le lamidat de Tchéboa par exemple, chaque chef d'exploitation doit, pour la culture du coton, payer entre 1 000 et 5 000 Fcfa suivant la superficie plantée et donner entre deux à cinq tasses de céréales suivant l'importance de la production à ce titre. Tout manquement entraîne bastonnade ou réduction autoritaire de l'exploitation concédée (Ndembou, 1998).

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Les autorités coutumières restent dans toutes les situations et aux trois degrés de chefferie une force politique, sociale et décisionnelle à ne pas négliger, et continuent à jouer un rôle fondamental dans l'organisation du territoire, l'État les reconnaissant comme rouage de l'administration du territoire. Ces acteurs gardent notamment un rôle important dans la gestion du foncier (gestion coutumière), le règlement des conflits, l'organisation des déplacements des troupeaux et de la vie économique (taxation des productions agricoles et des ménages via la zakkat). Dans les zones de peuplement hétérogène les populations rurales cherchent à s'émanciper, surtout lorsque le pouvoir coutumier entrave leurs initiatives et les taxent trop fortement. La mise en place des actions du programme et leur chance de réussite nécessitent d'associer les autorités coutumières au plus haut niveau, dans le cadre d'un dialogue constructif et en toute transparence.

En plus de la gestion du foncier rural, le laamii'do et les chefs sous son autorité gèrent la circulation du bétail sur le territoire du lamidat. En contrepartie, le laamii'do doit apporter secours aux plus démunis et aux populations touchées par des accidents climatiques ou des incendies. Plus globalement, il doit faire régner la paix et la bonne entente entre les différents groupes sociaux qui peuplent son lamidat. Cette capacité à contrôler la totalité de son territoire (les activités, l'accès aux ressources naturelles et les flux de biens et de personnes) au besoin en mobilisant ses gardes (daugari), constitue la principale force du laamii'do.

L'insécurité foncière tant pour les agriculteurs que pour les éleveurs constitue une entrave majeure aux politiques de développement et de protection de l'environnement au Nord-Cameroun. La question foncière s'est donc imposée d'elle-même dans cette région et a été progressivement intégrée dans les projets de développement qui ont essayé de la résoudre mais avec peu de succès. Aujourd'hui, elle a été momentanément délaissée parce qu'elle est complexe et que les projets n'ont pas encore trouvé de solution simple pour la résoudre : les accords locaux entre acteurs ont beaucoup de mal à se maintenir après l'arrêt des projets (Raimond et al., 2010). C'est ainsi que agriculteurs ou éleveurs n'ont aucune emprise définitive sur les terres car elles sont gérées par les autorités coutumières dites « autochtones » qui ravivent les mises à

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distances des migrants. L'État est supposé dominer le système foulbé et donner la mesure des choses en même temps qu'il intervient dans la plaine pour permettre aux chefs de famille de produire plus pour vivre mieux, ce qui dérange les potentats locaux, peu favorables à la promotion des populations qu'ils contrôlent. Ne pouvant désobéir à la hiérarchie foulbé pour bénéficier du développement promu par un État qui ne les protège pas, ils vivent donc, au jour le jour, d'autant plus que le climat reste erratique pour une agriculture non irriguée. Dans ce contexte, les larges zones exclusives à la biodiversité subit les assauts permanents et soutenus des agriculteurs et des éleveurs.

I.3.4. Les aires protégées sous forte pression des agriculteurs et des éleveurs

L'État camerounais a classifié depuis l'Indépendance de larges superficies de savanes en zones exclusives de chasse et de protection de la flore et de la faune sauvage20. Interdit au pâturage et à l'agriculture, l'aire protégée a progressé en surface depuis les années 1970 pour se stabiliser depuis les années 1990. En fait, au Nord-Cameroun, la tradition de la conservation de la biodiversité est ancienne. Les aires protégées sont non seulement une réalité physique, mais également un atout économique important. Créées entre 1932 et 1980, elles se composent de trois parcs nationaux (Bénoué 180 000 ha, Faro 330 000 ha, Bouba Ndjidda 220 000 ha) et 27 zones cynégétiques (ZIC) ou réserves de chasse dont 23 sont affermées aux guides professionnels de chasse essentiellement expatriés21. Tout ce vaste réseau d'aires protégées représente près de trois millions d'hectares, soit 44% du territoire de la région. La principale contrainte environnementale dans cette zone de savane est la sécheresse et la pression anthropique forte dans les parcs et zones de chasse (Figure 6).

20 La première aire protégée date de l'administration coloniale française en 1916. Il s'agissait du domaine de chasse de Bouba Ndjidda. C'est surtout à partir de 1932 que le mouvement de transformation des réserves forestières s'est amplifié pour atteindre son apogée après l'indépendance, en 1960.

21 Les zones d'intérêt cynégétique (ZIC) ont été créées par arrêté (N° 86/SEDR/DEFC du 21/10/1969) pour les 16 premières. Dix autres seront classées ensuite vers 1972.

Limite nationale

Limite régionale

Transhumance avec points d'attache Transhumance sans points d'attache Migrations des populations

Zone d'intérêt cynégétique

Parc naturel

Légende

Ville

ADAMAOUA

Poli Tcholiré

Garoua

Ngaoundéré

Guider

Kaélé

Yagoua

0 100 km

N

44

Source : Adapté de CIRAD et GLG Consultants (2013)

Figure 6. Aires protégées et mouvements des populations et des animaux au Nord-

Cameroun

I.3.4.1. Des aires protégées convoitées par les éleveurs transhumants et sédentaires

Les éleveurs affirment qu'ils « volent fréquemment le pâturage » dans certaines aires protégées lors de la transhumance. En effet, des menaces planent sur leurs activités d'élevage car, à l'origine, les éleveurs de la région ont toujours considéré qu'il y avait concurrence entre le bétail et la faune sauvage (Ndamé, 2007). Fréquemment accusés de surpâturage, les éleveurs sont de plus en plus inquiets et coincés entre les aires protégées et les champs des agriculteurs. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les pistes à bétail, les zones de transhumance, même délimitées, et les aires de repos pour les animaux, sont sous la menace des cultures. C'est tout simplement la condamnation d'un système d'élevage traditionnel qui a montré la preuve de son efficacité face aux aléas climatiques récurrents dans la région. La « redistribution forcée » de la force de travail et de l'espace proposée aux différentes activités amène

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les éleveurs, particulièrement nombreux dans la région, à réduire de façon draconienne l'amplitude des transhumances, en abandonnant certains itinéraires et en modifiant leurs objectifs. Pour de nombreux observateurs, c'est une véritable crise des systèmes pastoraux sahéliens. On est en train de passer progressivement des mouvements de troupeaux dictés par des critères climatiques et écologiques, à des mouvements justifiés par des choix économiques. On assiste progressivement à un déplacement du centre de gravité de l'élevage du Nord-Cameroun vers les zones situées plus au sud de la région. Cela oblige désormais l'éleveur vivant dans la région et qui d'ailleurs ne profite d'aucune aide de l'État, à faire des choix s'il veut continuer son activité, puisqu'il est appelé à faire face à des charges nouvelles que la suppression du système traditionnel entraîne. Le cas des éleveurs transhumants Mbororo semble plus préoccupant. Ces derniers ne pourront survivre qu'en se sédentarisant et ceux qui ne pourront s'adapter aux mutations en cours en devenant aussi agriculteurs seront amenés à disparaître à moyen terme (Ndamé, 2007).

I.3.4.2. Des aires protégées sous la pression des agriculteurs migrants autochtones

L'afflux massif des migrants de l'Extrême-Nord du Cameroun, ajouté aux autochtones, vient compliquer la gestion des aires protégées. Il va sans dire que le problème migratoire dans le Nord n'a été que très partiellement résolu. Il entraîne dans la région une incompréhension culturelle qui complique la gestion des zones protégées. Les migrants ont en effet du mal à comprendre les règles du jeu (passage des animaux sauvages, pistes à bétail, limites des aires protégées...), par manque de « conscience » écologique disent les initiateurs de projets (PDOB, 2003), ce qui entraîne des conflits avec les gardes-chasses. Les agissements des migrants sur le terrain montrent bien qu'on a fait émigrer des gens de l'Extrême-Nord vers le Nord sans qu'ils soient au préalable mis au courant du fonctionnement des sociétés avec lesquelles ils vont cohabiter. Deux faits importants peuvent expliquer cette situation : l'inexistence de schéma directeur d'encadrement des récents flux migratoires depuis la fin du Projet Nord-Est Bénoué (NEB) et le rôle ambigu des chefs traditionnels qui souvent favorisent l'installation des migrants au détriment de tout souci de conservation. Il s'en suit une forte augmentation de l'emprise agricole (pour le coton

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essentiellement et par voie de conséquence pour les cultures vivrières), ce qui accroît les défrichements et crée des perturbations pour la faune sauvage (Ndamé, 2007). On assiste ainsi à une occupation régulière et une transformation en champs des espaces supposés protégés. Les populations acceptent de plus en plus mal la présence d'aires protégées qui leur paraissent « vides », raison pour laquelle, malgré les interdictions et les appels à la négociation par les pouvoirs publics, elles les empiètent.

I.3.5. Un flou juridique autour du système foncier

Le droit colonial mis en place sous le protectorat allemand (entre 1884 et 1916), puis le mandat (1919-1939) et la tutelle (1945-1960) franco-britannique, a ignoré les spécificités des nomades. Par conséquent, il a ainsi institutionnalisé leur marginalisation. Les conséquences de cette législation coloniale ont été des plus désastreuses en matière de gestion du foncier. Ces conséquences sévèrement catastrophiques ont persisté après l'Indépendance, parce que le Cameroun continue d'appliquer les principales orientations du droit colonial dans le domaine foncier (Nguiffo et al., 2009).

En effet, l'article 15 de l'ordonnance de 1974 fixant le régime foncier camerounais distingue « les terrains d'habitation, les terres de culture, de plantation, de pâturage et de parcours dont l'occupation se traduit par une emprise évidente de l'homme sur la terre et une mise en valeur probante » de celles « libres de toute occupation effective ». Autrement dit, ce texte foncier camerounais ne reconnaît pas l'usage et l'occupation des terres par les Mbororo comme source des droits fonciers coutumiers protégeables. Ceci parce que contrairement aux agriculteurs, ces communautés ont un mode de vie de type nomade et leur occupation des terres est parfois non permanente et sans traces apparentes. Et pourtant, la Constitution camerounaise de 1996 énonce en son article 1 alinéa 2 que la République du Cameroun « reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi ». Dans le régime juridique foncier actuel, l'État est gardien et propriétaire de toutes les terres depuis 1974.

Cependant, l'État n'a pu mener à bien son projet envisagé en 1994 visant à promouvoir une plus grande individualisation de la propriété foncière et une plus grande

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clarification de la propriété collective. Les dispositions de l'ordonnance n°74-1 du 6 juillet 1974 relative au régime foncier qui régissent jusqu'à présent le régime foncier et l'exploitation des terres au Cameroun se heurtent à la résistance du droit coutumier traditionnel qu'elles ignorent (Nguiffo et al., 2009). En effet, au Nord-Cameroun, il existe dans les faits une prééminence du droit traditionnel sur la législation foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin saanou y sont omniprésents.

Les conflits fonciers sont généralement du ressort de la chefferie, mais les parties peuvent aussi s'adresser à l'administration, notamment le sous-préfet. La commission consultative, composée de représentants de l'administration et présidée par le préfet ou le sous-préfet constitue une instance de règlement des litiges prévue par la loi, mais peu utilisée car très onéreuse (à noter que les communes n'en font pas partie, le texte les régissant étant antérieur au transfert de compétence en leur faveur).

I.3.6. Crise centrafricaine et arrivée massive des éleveurs mbororo

Les Mbororo de la République Centrafricaine sont très souvent victimes des crises successives que connaît ce pays. Éleveurs et gardiens de bétail dont ils ne sont souvent même pas les propriétaires, ils sont depuis plusieurs années, à chaque changement de régime, victimes de représailles : le nouveau les accusant d'être à la solde du précédent. Par exemple, lorsque Monsieur Ange Félix Patassé arrive au pouvoir en 1993, son entourage et les membres de la garde présidentielle arrêtent et rackettent les éleveurs mbororo en les accusant d'être les gardiens du bétail et les partisans de son prédécesseur André Kolingba.

Plus tard, après la chute du président Patassé, les membres de la garde rapprochée de son tombeur, François Bozizé, ont également arrêté arbitrairement et rançonné cette communauté, les accusant d'être des coupeurs de route et des partisans du président Ange Félix Patassé. En 2013, après que quelques groupes peuhls centrafricains aient rejoint la Séléka, toute la communauté a été stigmatisée par le régime de Monsieur Bozizé qui a ensuite mené des représailles contre eux.

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Après son coup de force, la Séléka a accusés les éleveurs mbororo d'être les complices et gardiens de bétail des figures de l'ancien régime. C'est ainsi que depuis 2013, ils sont victimes de meurtres et de rackets. Sous la Séléka, les éleveurs peuhls se sont vus imposer « un droit de pâturage » illégal variant de 500 000 à 10 000 000 de FCFA par famille en fonction de la taille du bétail. Cette rançon était dix fois plus élevée que celle qui leur était imposée sous le régime de François Bozizé. Ce sont maintenant les anti-Balaka également, qui tuent, torturent, violent et massacrent les Peulhs Bororo du fait de leur appartenance religieuse musulmane et en les accusant d'être de connivence avec les Sélékas. Toutes ces exécutions et violations des droits des Peulhs ont entraîné des déplacements massifs des populations à l'extérieur du pays où la situation est loin d'être favorable.

Avant la crise actuelle, les conflits opposant les transhumants aux populations locales étaient essentiellement liés aux ressources et les agriculteurs vivaient en relative harmonie avec les éleveurs peuls centrafricains. Alors que ces mouvements transfrontaliers existent depuis longtemps, l'éclatement des couloirs traditionnels, la modification des itinéraires de transhumance, l'évolution de l'armement de certains transhumants et l'amplification du phénomène des coupeurs de route nommés « zaraguinas », ont favorisé l'émergence de conflits violents.

Depuis 2008, la violence a pris des proportions alarmantes et entrainé l'exode de nombreux Centrafricains qui ont fui leurs villages et trouvé refuge dans des camps de déplacés à l'Est et au Nord-Cameroun après que leurs villages ont été brûlés. Face au chaos dans lequel est actuellement plongée la Centrafrique, ces conflits localisés sont relégués au second plan (International crisis group, 2014).

Depuis 2008, les Mbororo réfugiés au Cameroun envoient des éclaireurs qui, régulièrement, rendent compte des conditions de sécurité. Ils scrutent plus encore l'entourage du pouvoir à Bangui qui, sous François Bozizé, ne leur a pas été favorable et guère plus en 2013 sous Michel Djotodia. Toutefois, ce qui semble aujourd'hui le plus flagrant à leurs yeux, c'est leur dépossession des pâturages par des éleveurs venus du Tchad. Aussi, les réfugiés du Cameroun accusent-ils maintenant moins le gouvernement de Bangui de les avoir chassés de Centrafrique que les Mbororo à la

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fois « tchadiens » et zaraguinas d'avoir conduit de longue main un projet politique visant à les expulser de leur paradis pastoral (Chauvin et Seignobos, 2013).

Les différents phénomènes d'insécuritéì transfrontalière ont eu pour conséquence l'exode de près de 50 000 éleveurs mbororo de la RCA vers le Cameroun et leur réinstallation dans des campements avec l'appui des États et des organisations internationales notamment le HCR22 (Musila, 2012). L'arrivée de ces éleveurs avec leurs animaux ajoute à la saturation et à la pression sur les espaces de pâturage. Ces déplacements concourent également à la multiplication des conflits du fait des dégâts champêtres et de la compétition pour l'accès aux parcours.

Conclusion

La mobilité pastorale se déroule au Nord Cameroun dans un contexte spatial complexe et contraignant. Les différents territoires de mobilité sont diffus et leur accès est entravé par les champs. Cette région connait en effet une migration permanente à l'origine de l'augmentation des surfaces agricoles. Le cheptel bovin est lui aussi en augmentation. En plus des animaux détenus par les éleveurs purs, les agro-éleveurs et les citadins détiennent eux-aussi un grand nombre d'animaux. À côté de ces acteurs permanents sur ces espaces, nous assistons à l'arrivée massive des animaux venus de la RCA, fuyant les bande armées anti-balaka. Non seulement, l'élevage extensif pratiqué par les éleveurs dans le Nord du Cameroun est menacé par l'emprise agricole grandissante due à l'extension de cultures de rente ou vivrières, mais également par les classifications de larges superficies de savanes en zones exclusives de chasse et de protection de la faune sauvage. Ainsi, la mobilité se pratique entre ces zones protégées et les 15% de la région occupée par les cultures, les montagnes et les villages. Les éleveurs n'ont d'autres alternatives que de faire pâturer dans les quelques grands parcours et dans les zones marginales de collines mais aussi dans certaines ZIC peu gardées où ils pénètrent pour « voler » le pâturage. Les parcours deviennent ainsi une mosaïque de zones permises et interdites où il est difficile de se déplacer du fait de l'exigüité, voire de la disparition des pistes à bétail. La recherche de complémentarité

22 Haut-Commissariat des Nations Unis pour les Réfugiés.

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entre des zones aux productions fourragères différentes (en fonction des saisons) devient de plus en plus difficile alors qu'elle constitue la base de la conduite du bétail. À ces contraintes, s'ajoute la difficulté de traverser les zones mises en culture pour atteindre, à la fin de la saison sèche, les vastes zones au sud de la région, du fait de l'absence de relations contractuelles avec les agriculteurs. Les étendues pour l'agriculture et l'élevage semblent suffisantes, mais ils sont mal répartis dans l'espace et leur accessibilité pose problème. Le chapitre suivant présente les enjeux sociétaux de la mobilité pastorale dans la région du Nord-Cameroun.

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Chapitre II. Contexte sociétal autour des territoires de mobilité
pastorale : rapports entre les acteurs locaux

La mobilité pastorale au Nord-Cameroun se déroule dans un contexte sociétal complexe entre les différents acteurs (éleveurs, agriculteurs, citadins, autorités traditionnelles et administratives). Pour comprendre la marginalité que subissent que les éleveurs pour le contrôle, l'accès et la gestion des territoires de mobilité, nous allons revenir à la genèse de leur installation dans la région et les processus d'acquisition des territoires de fixation. Ensuite, seront analysé les relations ambigües qu'ils entretiennent avec les autorités traditionnelles et administratives. Quant aux relations des éleveurs avec les citadins, elle permettra de mieux comprendre la logique de leur insertion dans le système de pouvoir pouvant leur permettre de mieux défendre leurs intérêts et de s'intégrer. L'analyse des rapports des éleveurs avec les agriculteurs permettra de comprendre les relations qui oscillent entre conflits, échanges et complémentarités. Enfin, les éleveurs entretiennent entre eux également des relations tant d'échanges, de complémentarité que de conflits qui permettent de mieux saisir la difficulté de cohésion sociale et de vision commune pour défendre leurs intérêts.

II.1. Genèse de l'installation des éleveurs mbororo dans la région

Les Mbororo représentent l'une des composantes de la communauté peulh. Avec le temps, les foulbé sédentaires ont fini par les appeler « mbororo » ou « Fulbe ladde » (peulh de la brousse). Leur plus forte concentration se trouve au Nord du Cameroun. Ils font des déplacements entre les départements de la Bénoué, du Mayo Rey, du Faro, de la Vina dans la région de l'Adamaoua, et en fonction des saisons, d'autres se rendent au Nord du Nigeria, au Tchad ou en République Centrafricaine à la recherche des pâturages. Ils communiquent régulièrement entre eux les jours de marché où chaque clan envoie un représentant pour transmettre et en retour recueillir des nouvelles des autres communautés. Ces mouvements sont coordonnés sous l'oeil vigilant du Chef Spirituel. Ils se subdivisent en trois grands groupes, se distinguant surtout par les races bovines qu'ils élèvent, miroirs des groupes humains (Boutrais,

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1995). Mais ils ont en commun la particularité d'élever des animaux de grand format, dont les exigences alimentaires motivent leur grande mobilité.

II.1.1. Les différents lignages présents dans la région

Les Djaafun furent les premiers à s'installer sur les plateaux camerounais, antériorité dont ils retirent encore quelque prestige. Ce sont en effet les éleveurs les plus « urbains » et les moins mobiles. Ils possèdent des animaux de petite taille (gudaali) à proximité de Garoua et disséminés sur les bords de la Bénoué où les femmes commercialisent activement leurs produits laitiers (Reiss et al., 2002). Selon ces auteurs, les Djaafun avaient des animaux à robe rouge de plus grand format et ce changement de race indique que leur mode de vie n'a pas sensiblement changé dans les seules dernières décennies. Leur attrait pour les zones urbaines de consommation et la diversification des activités agricoles n'est pas un fait récent. Dans leurs pratiques d'élevage, les Djaafun limitent autant que possible les mouvements des troupeaux et tentent de conserver la plus grande part des effectifs en production laitière sur les lieux du domicile. Le reste du cheptel est assez mobile et même si les animaux supportent des conditions difficiles, les déplacements en quête de la pousse de l'herbe au moment des premières pluies sont assez systématiques ; d'autres éloignent aussi les troupeaux de l'habitat pendant de plus longues périodes. Ils tentent aujourd'hui de faire front aux pressions des agriculteurs en cultivant intensément, de façon à matérialiser leur emprise sur les espaces qu'ils revendiquent en qualité de premiers occupants. Leur installation est en effet antérieure à celle des agriculteurs migrants venus de l'Extrême-Nord dans les années 1970 et remonte déjà à 15 ou 20 ans auparavant. Ils pratiquent une agriculture « d'entreprise » et rémunèrent même les bergers toupouri ou massa de l'Extrême-Nord qui se font saisonniers. Leurs revendications territoriales sont très fortes et les zones d'installation et de pâturage qui leur sont réservées (hurum) sont précisément délimitées par les autorités coutumières parfois avec l'appui des projets et programmes de développement.

Les Daneedji comme leur nom l'indique possèdent systématiquement des animaux à robe blanche. Ces animaux de grand format sont appelés Mboroodji. Les animaux à robe rouge boodeeji sont dits davantage sélectifs ; les bokolos sont particulièrement

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exigeants et la recherche de conditions optimales d'élevage rassemble les éleveurs qui travaillent avec ces races de bétail de grande corpulence. Les daneeji commercialisent cependant leur production laitière et gravitent autour des villages.

Les woodaabe sont moins attachés à la vente du lait. Les transhumances d'assez grande amplitude sont systématiques. Ces éleveurs sont très spécialisés dans leur activité et seuls les plus anciens aspirent à imiter les djaafun en s'installant à proximité des villages et en développant des activités agricoles. Les activités pastorales en revanche ne sont jamais déléguées. Leurs animaux ne répondent qu'à leurs maîtres dont la vie pastorale est au coeur des préoccupations. L'autre préoccupation de ces éleveurs woodaabe, est de clarifier la question de la traversée des zones de chasse pour transhumer vers le Sud. Ces déplacements prêtent toujours à des transactions avec les gardes chasses qui n'offrent pas beaucoup de garanties lorsque les éleveurs sont interpellés dans les limites de ces zones cynégétiques.

Comme toutes les sociétés peules, les sociétés pastorales mbororo sont très hiérarchisées (Reiss et al., 2002). En effet, des unités familiales rassemblées autour d'un ou plusieurs troupeaux, évoluent ensemble et forment le toccal conduit par un ar'do23 qui joue le rôle de protecteur, de conciliateur et d'intermédiaire vis-à-vis du monde extérieur. L'origine généalogique et le charisme de certaines personnes leur confèrent la légitimité de représenter l'ensemble du lignage ou une partie de celui-ci qui rassemble plusieurs toccal. Leur titre est alors celui de laamii'do. Ces responsables prêtent allégeance au laamii'do peul sédentaire, souverain absolu de l'ensemble du territoire coutumier. Celui-ci exerce une pression fiscale occulte sur les lignages d'éleveurs mbororo, en contrepartie des droits d'accès offerts sur ses terres. Les modalités de séjour, d'installation et d'expropriation sont fixées par le sarkin saanu, responsable coutumier de l'élevage auprès du laamii'do Peul.

23 Littéralement, ar'do signifie « un homme qui marche devant ses personnes et le bétail ». Avant d'être intégré dans une organisation de pouvoir étendu, l'ar'do était le chef du groupe des éleveurs. Avec la restriction des espaces de pâturage, chaque famille a dû chercher son propre espace pour son bétail. Lorsque le processus de sédentarisation s'est amorcé, chaque ar'do est devenu un laamii'do, qui signifie souverain régissant un secteur géographique. L'espace a été structuré selon une organisation de puissance : le laamii'do est désormais le commandant d'un territoire appelé tuutawal ou du lamidat dans la littérature française du Nord-Cameroun. Toutes les terres cultivées ou non lui appartiennent (Koulandi, 2006).

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Au sein des lignages, les éleveurs mbororo apparaissent extrêmement solidaires et leurs richesses structurent avant tout l'organisation sociale avant de profiter aux individus qui les détiennent. En vertu du pulaaku (code de conduite des peuls)24, les relations sont fondées sur une moralité rarement transgressée à laquelle les éleveurs de brousse sont particulièrement attachés (Bocquené, 1986 ; Labatut et Issa, 1974). La vie sociale est constamment balisée par le jugement des pairs sur les agissements et comportements des membres du groupe. Gausset (2003) relève que la liberté est un aspect important du pulaaku. Pour cet auteur, le fulbe se définit par opposition aux populations locales qu'il décrit comme laides, grossières, païennes, de pauvres agriculteurs sédentaires et esclaves. La plupart de ces critères font référence à la liberté : forte capacité de contrôle de leurs émotions et de leurs besoins physiques, absence de superstition, liberté de déplacement avec le bétail (Gausset, 2003). Les lignages des woodaabe disposent d'ailleurs de personnalités morales, les gerema qui sont chargés de faire respecter le pulaaku. Leur plus haut responsable est le laamii'do pulaaku qui dispose d'au moins deux représentants dans chaque chefferie peule sédentaire. Il s'agit d'une seule personnalité pour tous les woodaabe. Il peut être consulté indifféremment dans les trois pays où les lignages sont dispersés (Nigeria, Cameroun et Centrafrique).

La plupart des lignages aujourd'hui présents situent leur entrée lors d'un transit par le Lamidat de Demsa, il y a de cela 35 à 40 ans25. Leur dispersion s'est poursuivie vers le sud de Garoua ou vers les pays voisins. Les statistiques du Ministère de l'Elevage, des Pêches et des Industries Animales ainsi que les témoignages des sarkin saanou, font état d'une forte diminution de plus de 50% des effectifs du Lamidat de Tchéboa depuis le début des années 90. À cause de leur permanente mobilité à la fois pour la recherche de pâturage et d'eau, mais aussi pour fuir les exactions des coupeurs de route, il est difficile de donner un chiffre précis sur les effectifs des Mbororo au Nord-Cameroun. L'Association pour la Promotion et le Développement Economique et Social (Hore

24 C'est un code social et moral, mais aussi un système de pression psychique dont les valeurs principales sont la résignation, l'intelligence, le courage, l'austérité, le sang-froid et l'absence de spontanéité (Schilder, 1994).

25 Mais les Mbororo sont arrivés depuis bien longtemps en Adamaoua et à l'Ouest du Cameroun

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Pulaaku) a avancé en 2010 le chiffre de plus de 500 000 Mbororo répartis en 52 clans. Leur nombre fluctue au grès de leurs allées et retour entre le Cameroun et le Nigeria ainsi que l'arrivée de ceux venus de RCA fuyant les persécutions et les exactions des anti-balaka qui tuent, torturent, violent.

II.1.2. Comment les éleveurs ont-ils acquis les espaces de fixation ?

Le Nord-Cameroun se caractérise par un peuplement complexe d'agriculteurs et d'éleveurs sous l'autorité des Peuls. Elle est caractérisée par une histoire ancienne sous l'influence des chefferies peules, une histoire récente avec l'introduction du coton et les migrations et entre ces deux phases, l'arrivée et la fixation des éleveurs mbororo. D'où les difficultés aujourd'hui de faire cohabiter des populations rurales aux systèmes de production, pratiques et références socioculturelles très différentes.

Pour comprendre l'origine les insécurités foncières et sociales touchant les Mbororo, il est nécessaire de revenir sur leur histoire et les raisons qui les ont amenés à se sédentariser et le contexte spatial et social dans lequel ils vivent et mènent leurs activités. En effet, les communautés mbororo se sont installées au Nord-Cameroun au cours du 20è siècle en provenance du Niger et du Nigeria à la recherche de régions peu peuplées et riches en pâturage. Ils ont obtenu des droits de pâture26 de la part des autorités coutumières, les lamibe peuls. Afin d'acquérir des droits fonciers et politiques, les Mbororo initialement nomades ont opté, depuis une quarantaine d'années, pour la sédentarisation de leur habitat. Leurs campements ont été reconnus par l'État comme des villages, et ils ont obtenu des cartes d'identité et le droit de vote. Cette fixation s'explique par leur souci d'améliorer leurs conditions de vie : accès à l'eau par des forages et puits, écoles et centres de santé au village ou à proximité. La fixation de l'habitat de ces éleveurs et la sédentarisation de certaines de leurs activités (production de céréales) les ont pourtant rapprochés des autorités administratives. Mais cela n'a pas été suffisant pour les insérer dans le jeu politique, économique et social local et pour garantir leur sécurité. Lorsqu'ils ont obtenu la nationalité

26 On utilise pour cela le terme de « vaine pâture » qui renvoie au fait qu'une communauté villageoise envoie ses troupeaux pâturer sur les champs en cultures après enlèvement des récoltes. Elle est souvent liée à des servitudes de passage (Seignobos, 2010).

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camerounaise, les Mbororo peuvent se faire représenter dans les instances locales de décision comme les communes rurales, les partis politiques, voire l'Assemblée Nationale. Mais leur poids dans ces instances est quasiment nul du fait, entre autres, de leur analphabétisme. Toutefois, leur sédentarisation les amène à être considérés comme des partenaires potentiels par les projets de développement rural surtout s'ils acceptent de créer des organisations d'éleveurs. Malgré leur antériorité dans la zone par rapport à d'autres acteurs comme les agriculteurs issus des migrations, les Mbororo connaissent une précarité foncière croissante sur les parcours et les pistes à bétail. Ils subissent également une pression fiscale souvent arbitraire de la part des autorités traditionnelles et administratives.

L'installation des éleveurs sur les différents sites se fait à travers les Sarkin Saanou. Ce sont ces derniers qui accueillent les éleveurs et connaissent leur emplacement au cours de la saison. Les éleveurs leur remettent pour le laamii'do une redevance à chaque installation. Selon l'ancienneté des éleveurs dans les zones de transhumance, les redevances diminuent jusqu'à devenir symboliques dans bien des cas. Lorsqu'ils ne font que passer sur le territoire, les éleveurs ne paient rien pour le pâturage. Et ce, d'autant plus que les éleveurs empruntent de plus en plus les routes nationales pour atteindre les zones de transhumance. Par contre, pour l'installation sur le site de transhumance ils s'acquittent d'une redevance auprès des autorités du lieu, le plus souvent négociée, même s'il existe un taux officiel27. Les éleveurs négocient des taux forfaitaires à 20 000 Fcfa par troupeau. Soit une somme moindre que le taux officiel lorsque le troupeau atteint 30 bovins.

La fixation des éleveurs leur a permis de sécuriser leur espace de vie et certaines de leurs activités : les productions animales et végétales, l'embouche. En effet, les éleveurs ont « subi » à plusieurs reprises sur des espaces qui ne leur étaient pas alloués l'installation des agriculteurs migrants. Ils ont compris qu'il fallait « s'approprier » un territoire. Aujourd'hui, comme l'affirme un éleveur, « le Mbororo n'est plus comme

27 200 à 500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe d'inspection sanitaire vétérinaire et 500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe de transhumance.

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un oiseau toujours prêt à s'envoler car il a pris conscience qu'il risquait de continuer à s'envoler sans jamais savoir où atterrir » (Kossoumna Liba'a, 2008).

Lors de l'installation des premiers éleveurs, il y avait assez d'espace ; ce qui a permis aux à d'autres membres de leur clan de les rejoindre. Ce n'est que quelques années plus tard que ces éleveurs ont vu les espaces de pâturage autour de leur territoire se resserrer à cause de l'arrivée de plus en plus importante des agriculteurs migrants dans les villages voisins.

D'autres éleveurs affirment que la raison de la fixation est bien celle de la pression qu'ils ont subie sur l'espace dans les sites successifs qu'ils ont occupés avant leur sédentarisation : « chaque fois qu'on s'installait quelque part, témoigne un éleveur, les agriculteurs mettaient leurs champs autour de nous dans les endroits où nos animaux passaient la nuit pour valoriser leurs déjections. A cette époque, nous ne cultivions pas et au début on ne voyait pas tellement d'inconvénient. Mais au fil des années, nous ne pouvions plus parquer ni faire pâturer nos animaux aux mêmes endroits et nous avons compris qu'il fallait s'approprier un territoire ». Les éleveurs nomment cette appropriation « nanngugo babal » (Kossoumna Liba'a, 2008), ce qui signifie « accaparer un territoire ».

Comme les agriculteurs migrants installés dans les villages voisins, les éleveurs mbororo ont défriché le territoire qu'ils ont finalement obtenus des autorités coutumières. Ils décrivent comment ils ont trouvé cet espace comme : « une étendue de brousse où on ne voyait pas à plus de cent mètres à cause des hautes herbes et de grands arbustes, où il y avait beaucoup d'animaux sauvages comme les singes, les serpents... » (Kossoumna Liba'a, 2008). Ils retracent les différentes étapes qu'ils ont traversées avant de se retrouver là. Une grande partie des agriculteurs migrants sont arrivés après eux. Ils étaient d'abord installés le long de l'axe routier Garoua-Ngaoundéré. Cet axe était également très prisé par les migrants. Ces derniers, du fait de la fréquence plus accélérée de leur arrivée dans la zone se sont retrouvés majoritaires et ont évincé les éleveurs vers l'hinterland. Les années passant, les éleveurs ont pris conscience que finalement il fallait s'approprier un territoire.

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Les sites sur lesquels ils sont installés actuellement n'ont pas été choisis par hasard. Ils sont entourés de montagnes ou des zones rocheuses incultes. Ce qui ne permet pas la pratique de l'agriculture et empêche la progression des agriculteurs. Entourés de ces terres ingrates et incultes, les éleveurs se sentent en sécurité car ces zones incultes constituent des zones de parcours ou de refuge en saison des pluies. La deuxième raison évoquée par les éleveurs est l'absence de mouches et de moustiques.

Les éleveurs mbororo estiment que lorsqu'ils séjournent sur un territoire, ce dernier leur appartient. Aujourd'hui, avec la délimitation des hurum dans lesquels ils vivent, les éleveurs mbororo ont le sentiment que ce territoire leur appartient légalement, même si les agro-éleveurs estiment que la charte qu'ils ont signée ne constitue un titre foncier accordé aux éleveurs. C'est le même sentiment pour le Délégué de l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales de l'arrondissement de Tchéboa qui estime que les différents projets qui ont travaillé sur la délimitation des hurum n'ont pas mené le processus au bout, puisque selon lui rien ne prouve que la zone appartient aux éleveurs. Cependant, force est de constater que depuis la délimitation de ces hurum, les populations des villages voisins reconnaissent la légitimité de cette zone destinée à l'élevage et ont fini par accepter la présence permanente des éleveurs. Ces derniers se sentent en sécurité même s'ils n'ont pas les moyens d'empêcher les agriculteurs de continuer à cultiver sur les espaces destinés aux pâturages et aux passages des animaux. Cette sécurisation a permis aux éleveurs de s'installer pour la plupart définitivement.

II.2. Rapports des éleveurs mbororo avec les acteurs locaux

Les éleveurs entretiennent de nombreux rapports avec les autres acteurs en présence (autorités traditionnelles, autorités administratives, agriculteurs, autres éleveurs, citadins et élites commerçantes). Ces rapports permettent aux éleveurs d'accéder à certains services et aux territoires de pâturage, mais aussi à des échanges et complémentarité. Cependant, quels que soient les acteurs, des conflits persistent (Figure 7).

Citadins et élites commerçantes

RAPPORTS DES ÉLEVEURS AVEC LES ACTEURS LOCAUX

- Gains liés aux règlement des conflits - Redevances annuelles (Zakkat sur le bétail, les produits agricoles et les vergers) - Contributions ponctuelles

- Confiscation d'une partie voire la totalité pour non vaccination des animaux

- Remise en cause des règles d'accès à la terre

- Chantage et obligation de renégociation des sites d'installation

- Conflits et manque de confiance

Autorités traditionnelles

Agriculteurs

- Conflits pour non respect des espaces de pâturage et des pistes à bétail délimités - Conflits pour l'accès aux points d'eau à cause des cultures maraîchères non clôturés - Conflits à cause des dégâts champêtres - Intensification des services (matériels agricoles, travaux champêtres, construction de maison et de clôture...)

- Consolidation des relations d'échanges et de complémentarité (mil, maïs, viande, lait...)

- Réception de nouveaux candidats à la fixation

- Multiplication des confiages

- Location de matériels agricoles

- Échanges et/ou vente des intrants agricoles (engrais, urée, herbicides...)

Eleveurs entre eux

- Échanges d'information sur les pâturages - Réception de nouveaux candidats à la sédentarisation

- Échanges et complémentarités autour des matériels de traction sous forme de prêt gratuit ou d'échange de travail

- Échanges des moyens de transport (vélos, motos)

- Émergence de travail communautaire non rétribué (surga) - Rivalités entre les campements

- Contestation des limites des champs - Conflits autour des transactions foncières telles les ventes, les prêts, les legs, les dons, l'héritage des terres

Autorités administratives - Impôts forfaitaires

- Taxe de transhumance

- Laissez-passer sanitaire

- Taxe de marché pour la commune - Taxe d'inspection sanitaire vétérinaire - Frais de vaccination (3 fois par an) - Amendes officielles et abusives réclamées par les services de sécurité - Amendes abusives pour défaut de latrines des services d'hygiène

- Epargne attractive en élevage gardé par les éleveurs

- Accès aux aliments pour bétail vendus en ville (tourteaux, sons...)

- Limitation des effets des conflits avec les autres acteurs

- Captage de la rente liée au confiage des animaux

- Augmentation du capital de mobilité

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Figure 7. Rapports des éleveurs mbororo avec les autres acteurs locaux II.2.1. Rapports avec le pouvoir traditionnel : entre taxes et conflits latents

Pour les autorités traditionnelles, la présence permanente des éleveurs mbororo sur leurs territoires est une aubaine. En plus, des gains liés au règlement des conflits, les éleveurs versent annuellement une redevance (la zakkat) au laamii'do. Ainsi, les dépenses annuelles liées aux diverses taxes traditionnelles souvent arbitraires sont-elles importantes pour les éleveurs mbororo potentiellement riches en bovins. La zakkat versée au Laamii'do est appelée jomorngol laamii'do ou hacce leddi (droit de la terre du Laamii'do). Auparavant, les éleveurs ne payaient que la zakkat sur les boeufs à raison d'un veau de 2 à 3 ans par troupeau de 30 têtes par an. Pour les moutons et les chèvres, elle était d'une tête par troupeau de 40. Avec la sédentarisation, ils ne s'en acquittent plus en nature mais en espèce (5 000 FCFA pour les jeunes chefs d'exploitation et 10 000 FCFA pour les grandes familles) que le jawro remet au sarkin saanou qui l'achemine au laamii'do. La zakkat par an sur les cultures est versée en nature au jawro à raison d'un sac de maïs par chef d'exploitation que

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collecte le jawro. Ce dernier l'achemine à l'ar'do qui se charge à son tour de l'envoyer au laamii'do.

Par ailleurs, les éleveurs mbororo s'acquittent régulièrement des collectes ponctuelles (umroore laamii'do) qu'impose le Laamii'do aux habitants de son territoire lors d'un événement dans son lamidat (funérailles, fêtes, réception d'une autorité...), mais aussi pour la réfection de sa clôture, des murs de ses concessions... Le Jawro se charge de collecter la somme exigée auprès des éleveurs puis la remet à l'ar'do qui à son tour l'achemine au laamii'do. Le sarkin saanou, « le ministre coutumier de l'élevage » du laamii'do, qui se situe à l'interface entre les éleveurs et les pressions extérieures (services vétérinaires, taxes coutumières, communales...) est chargé de veiller au respect de ces collectes. Les éleveurs qui détiennent un capital important se trouvent très exposés et excluent une partie des animaux des vaccinations pour préserver leur patrimoine. C'est sans doute pour cela qu'un éleveur mbororo a tenu les propos suivants : « du fait de notre ignorance, nous les mbororo sommes considérés par les autorités administratives, traditionnelles et sanitaires comme de véritables vaches à lait » (Kossoumna Liba'a, 2008).

Sans prendre un caractère ouvert, les conflits entre les différents niveaux des autorités traditionnelles et les éleveurs sont fréquents. Le ressentiment et la rancoeur sont grands dans les communautés d'éleveurs par rapport à l'application de l'échelle des peines et sanctions en cas de dégâts champêtres. Dans beaucoup de cas, c'est la victime elle-même qui se voit accorder la latitude de fixer unilatéralement le montant des dommages et intérêts dus. Les éleveurs estiment que les sanctions appliquées aux agro-éleveurs sont moins importantes car à l'inverse les sévices et les mauvais traitements infligés à leur bétail sont rarement indemnisés puisque le rapport de force n'est pas en leur faveur. Les faisceaux de présomption rendent vraisemblables cette pratique à la lumière de tous les entretiens recueillis dans les deux villages. Les nombreux cas portés à notre connaissance montrent qu'en cas de contestation de l'estimation des dégâts, c'est l'agriculteur qui a le dernier mot. C'est ce qui a fait dire au Délégué d'arrondissement de l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales de Tchéboa que « l'agriculteur n'a jamais tort. Ils sont là pour provoquer et s'ils

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provoquent, c'est l'éleveur qui paie » (Kossoumna Liba'a, 2008). Ainsi, chez les éleveurs prévaut le sentiment qu'il y a une complicité agissante entre les chefs traditionnels et les agriculteurs, vivants souvent depuis très longtemps ensemble, contre les éleveurs mbororo encore instables dans la région. Leur errance et leur analphabétisme les rendent vulnérables comme l'exprime Ndoudi Oumarou : « Quel que soit l'endroit où nous nous trouvons, aucune considération ne nous est due, à nous les Mbororo. Comment l'expliquer ? Nous sommes des gens sans village et sans terre, des illettrés, peu instruits de notre religion, ne sachant rien des choses du monde f...]. Tel est notre sort, à nous gens de la brousse, nomades sans instruction, tout juste bons à être exploités en tous lieux et par tous ! » (Bocquéné, 1986).

Les éleveurs reprochent également aux chefs traditionnels de ne pas toujours attirer l'attention de leurs administrés par rapport à des acquis de longue date notamment sur les couloirs de passage, les aires de pâturage colonisés par les agriculteurs qui n'hésitent pas à faire des champs pièges autour des mares et les cours d'eau traditionnellement réservés à l'élevage. C'est ainsi que dans les espaces de pâturage bornés, des agriculteurs possédant des parcelles ont déclaré qu'après la délimitation de cet espace, le laamii'do leur a demandé de reprendre l'exploitation de leurs parcelles au grand dam des éleveurs qui s'apprêtaient à cotiser de l'argent pour le sarkin saanou afin qu'il expulse ces agriculteurs.

Les incertitudes sur le foncier et la fiscalité sont ainsi cultivées et exacerbées par les autorités traditionnelles qui n'hésitent pas à remettre chaque année en cause les règles d'accès à la terre28. La rente captée par les autorités traditionnelles est donc le moyen par lequel les éleveurs ont obtenu des espaces. Ces autorités, pour continuer à obtenir des éleveurs des faveurs remettent régulièrement en cause ce droit d'accès et de jouissance ; ce qui, évidemment pousse les éleveurs à déplacer chaque fois leurs sites d'installation ou à renégocier ceux sur lesquels ils sont installés. Il en est de même de la reconnaissance des zones attribuées aux pâturages qui sont à la fois octroyées aux

28 Les éleveurs n'ont jamais l'assurance une année sur l'autre d'avoir accès aux mêmes zones pastorales qui peuvent leur être retirés par les autorités traditionnelles ou partiellement défrichés par les agriculteurs. Si les communautés d'éleveurs ne se plient pas à l'impôt coutumier (zakkat) et à d'autres formes de prélèvement, les autorités traditionnelles peuvent remettre en cause très rapidement leurs droits d'accès aux parcours.

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agriculteurs. Cela engendre des conflits, sources de revenus pour les chefferies lors des médiations.

II.2.2. Rapports avec le pouvoir administratif : entre perception des taxes officielles et rackettes

Sur le plan administratif et officiel, tous les éleveurs mbororo paient l'impôt forfaitaire annuel de 3 500 FCFA/an par adulte actif. À cela, il faut ajouter des taxes sur l'élevage comme la taxe de transhumance, le laissez-passer sanitaire, la taxe d'inspection sanitaire, la taxe de marché pour la commune. Les Mbororo sont également taxés pour défaut de fosse septique par le Service d'Hygiène29. La sédentarisation des Mbororo constitue ainsi une manne pour l'État. Les raisons évoquées par les décideurs politiques pour la sédentarisation des éleveurs ont trait à leur volonté de veiller au bien-être des populations marginales et à leur développement économique et social. Mais la raison inavouée est liée à la fiscalité et à une politique de répartition géographique de la population. En économie, toute activité qui génère des revenus permet à l'État, via la fiscalité de percevoir des recettes qui vont contribuer au développement du pays (construction des infrastructures, paie des fonctionnaires...). Le contrôle des revenus liés à l'élevage est donc un enjeu important pour l'État et les autorités traditionnelles. Ils ont besoin de maintenir les éleveurs dans la zone et de trouver un équilibre entre apports de service (santé principalement) et prélèvement de taxes. Au quotidien, les éleveurs subissent de nombreux rackets de la part des forces de maintien de l'ordre. Beaucoup d'entre eux ne possèdent pas de pièces d'identité et rencontrent, de ce fait, de multiples tracasseries de la part de la police et de la gendarmerie. Aussi aberrant qu'il soit, au Cameroun, celles-ci demandent parfois des actes de naissance aux barrières routières, faute de quoi elles harcèlent les Mbororo. Le harcèlement des éleveurs est en réalité une des multiples faces du système d'exactions perpétrées par tous les services administratifs, techniques et traditionnels. Ils sont taxés de façon illégale et démesurée même pour des petites infractions. Même

29 Les Mbororo habitué à vivre en brousse et en permanent mouvement ne sont pas très familiers des fosses septiques et tendent à négliger leur implantation. Ce qui les expose à des amendes régulières de la part des autorités.

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si les populations nomades subissent des effets de tracasseries, les Mbororo ne bénéficient pas d'une protection au niveau des autorités locales ; ils sont généralement perçus comme des gens aisés qui sont en mesure d'assumer des dépenses monétaires importantes. En somme, on constate que les éleveurs mbororo sont brimés et subissent un traitement défavorable.

En cas de conflits, les instances officielles de règlements des litiges agro-pastoraux institutionnalisés au niveau de chaque arrondissement par le Décret n° 78/263 du 03 septembre 1978 ne sont sollicitées qu'en cas de gravité (mort d'homme par exemple). Cette commission regroupe des représentants de tous les acteurs (administrations, laamii'do, Ministère de l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA), Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural (MINADER), un représentant du Cadastre, agriculteurs, éleveurs,...). Elle est présidée par le sous-préfet. Ce décret fixe également le fonctionnement de la commission consultative sous-préfectorale qui devait normalement être dotée de moyens de fonctionnement (au moins pouvoir se déplacer sur le terrain). Ce qui n'est pas le cas. Aussi, ces commissions ne se réunissent-elles pas, sauf si les plaignants les payent. Les sous-préfets sont les « chefs de terre », avec un statut de « diplomates pompiers » n'intervenant qu'en cas de conflits patents et risquant de créer des conflits sociaux violents. Ces commissions n'étant pas toujours acceptées par tous, elles n'empêchent nullement les pratiques (ou les tentatives, plus ou moins fréquentes) de détournement ou de contournement.

II.2.3. Les rapports avec les citadins et les élites commerçantes de la région

La durabilité sociale des systèmes de production des éleveurs peut aussi s'appuyer sur leurs alliances avec les citadins. Pour certains citadins fortunés en effet, l'élevage s'avère être une forme d'épargne attractive (meilleure rentabilité que la banque, mais aussi prestige social). C'est ainsi qu'ils participent de loin à la gestion et à la conduite du troupeau.

Plusieurs traits caractéristiques peuvent être repérés dans la pratique de l'élevage grâce aux rapports des éleveurs avec les citadins. Le trait le plus pertinent est l'orientation de cet élevage vers la vente avec la proximité des grands marchés à bétail (Adoumri, Ngong, Garoua). Les éleveurs sont ainsi intégrés dans de nouveaux circuits

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économiques permettant de limiter les ventes de leur propre bétail. La très bonne connaissance des bovins par les éleveurs est un atout qu'ils utilisent sur les marchés pour acheter ou vendre pour les autres notamment les citadins et les gros commerçants. Cette activité d'intermédiation s'est répandue auprès des éleveurs d'entre deux âges. En effet, pendant les périodes dites « favorables », ces éleveurs reçoivent de l'argent des mains d'hommes d'affaires, de fonctionnaires ou d'agriculteurs pour l'achat d'animaux. Selon les prix du moment et de leur capacité de négociation, ils peuvent ainsi dégager un bénéfice sur l'argent reçu. Certains se postent tout simplement à l'entrée du marché. Ils interceptent tout individu désirant vendre sa vache, discutent le prix avec lui puis l'amènent à l'intérieur du marché. C'est lui qui marchande avec le client. À la vente de l'animal, le surplus obtenu sur le prix discuté avec le propriétaire appartient à l'intermédiaire.

La moitié du bétail détenu par les éleveurs dans de nombreux villages autour des grandes villes appartient d'ailleurs aux citadins (commerçants et élites administratives). Cette relation de travail permet aux éleveurs d'avoir plus facilement accès aux aliments pour bétail vendus en ville (tourteaux, sons...). En effet, les hommes d'affaires de Garoua peuvent plus facilement acheter du tourteau de coton pour lequel il existe une forte spéculation du fait de leurs relations et la proximité avec les commerçants et la SODECOTON. Les éleveurs qui gardent le bétail de ces citadins peuvent ainsi y avoir accès. Ils utilisent également ces relations pour accéder à certains espaces de pâturage.

Par ailleurs, les éleveurs utilisent leurs relations avec les citadins pour limiter les effets des conflits avec les autres acteurs. Quels que soient les animaux ayant fait des dégâts, on déclare systématiquement qu'ils appartiennent aux citadins. Ces derniers ayant le pouvoir, grâce à leurs relations avec les instances de justice, de limiter les dédommagements.

II.2.4. Les rapports avec les agriculteurs : entre conflits, échanges et complémentarités

Au cours de chaque saison des pluies, des conflits opposent les agriculteurs et les éleveurs mbororo pour le respect des espaces délimités et réservés au pâturage

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(hurum). Ces conflits sont provoqués par le fait que les agriculteurs n'ont pas cessé d'y cultiver. Or, les espaces réservés aux bétails appartiennent en principe autant aux éleveurs qu'aux agriculteurs. Mais, les éleveurs sont plus engagés dans la préservation de ces espaces parce qu'ils ont plus d'animaux que les agriculteurs. S'estimant dans leurs droits, ils ne se privent pas d'y pâturer. Malgré les conventions locales mises en place, rien n'est fait à l'encontre des agriculteurs qui cultivent les parcours et les pistes. Lorsque des dégâts sont perpétrés dans les champs, les agriculteurs portent plainte surtout auprès des autorités traditionnelles qui ne se privent pas de légiférer afin de bénéficier des avantages liés aux règlements des litiges.

L'accès à l'eau constitue une autre source de conflits entre les éleveurs et les agriculteurs. Des conflits surviennent le long des cours d'eau où les animaux s'abreuvent lorsqu'ils sont en transhumance ou hors de leurs territoires d'attache. En effet, le plus souvent, les cultures maraîchères cultivées au bord de l'eau ne sont pas clôturées. Dans ces zones de passage incontournables pour abreuver les animaux, les éleveurs n'arrivent pas toujours à contenir leurs animaux.

Les conflits entre les éleveurs mbororo et les agriculteurs sur les dégâts champêtres sont en nette progression ces dernières années. Ils sont au centre des préoccupations tant des agriculteurs que des éleveurs qui se rejettent les responsabilités. Pour les agriculteurs cette situation résulte du refus délibéré des éleveurs mbororo de respecter les usages établis en la matière. Les Mbororo sont accusés de rester plus longtemps avec leurs animaux dans leurs territoires d'attache (fin juillet - début août) alors que les cultures des agriculteurs sont déjà bien développées. D'autre part, les agriculteurs disent que les éleveurs ne respectent plus « la date de libération des champs » pour entreprendre le retour de la transhumance. Ce genre d'incidents se déroule principalement en début de saison sèche, quand un grand nombre de champs ne sont pas encore récoltés. Cette situation occasionne de nombreux dégâts champêtres car les champs non récoltés sont souvent dévastés par les animaux. Les bergers sont alors accusés de négliger la surveillance de leurs animaux qui entrent dans une parcelle de céréales, arachide ou coton puis broutent une partie des végétaux. Il arrive parfois que des bergers abandonnent momentanément leur troupeau pour aller jusqu'à leur

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concession pour se ravitailler en eau ou nourriture ; les animaux en profitent donc pour entrer dans les champs. Les agriculteurs accusent les éleveurs mbororo de laisser sciemment leurs animaux dévorer la partie non récoltée d'un champ. C'est la raison pour laquelle on leur interdit systématiquement la vaine pâture quand une parcelle n'est pas totalement récoltée.

Quant aux éleveurs mbororo, ils estiment que la question des dégâts champêtres, au-delà de ces aspects, est aussi liée à la restriction d'un certain nombre de droits implicitement reconnus à eux. Il s'agit notamment les couloirs de passage, les aires de repos et de parcage qui ont été systématiquement colonisés par les champs rendant ainsi périlleux le déplacement des troupeaux. Ceux-ci trouvent difficilement les aires de repos. Ils se plaignent aussi de certains actes que posent, selon eux, délibérément les agriculteurs pour les amener à commettre des dégâts. Il s'agit des « champs pièges » autour des rares mares dans les flancs des montagnes, zone par excellence réservée à l'élevage où les animaux se réfugient pendant la saison pluvieuse en quête du pâturage. Le nombre de ces champs est en constante augmentation ces dernières années. Voyant leurs pâturages se réduire peu à peu devant l'avancée des emblavures de coton et de maïs, les éleveurs mbororo réagissent par des mouvements de provocation en faisant passer délibérément leurs troupeaux sur les champs car ils arrivent difficilement à se discipliner. Ils ne tiennent pas compte des blocs de culture et sont obligés de faire de « hors-piste » à bétail.

Les problèmes des champs de « coton récoltés tardivement » ont été également signalés par les éleveurs. En effet, les pistes sont fermées plus longtemps que prévue, bloquées par des champs non récoltés, jusqu'en décembre - janvier. Les agriculteurs utilisent cette méthode pour contraindre les éleveurs à partir ou à ne plus utiliser certains espaces de pâturage.

La fixation des éleveurs auprès des agriculteurs a également permis la consolidation des relations d'échanges et de complémentarité. Les échanges étaient autrefois limités au troc entre produits d'élevage et produits vivriers, ou à la contrepartie entre fumure organique des champs et consommation fourragère de la vaine pâture. Ils se

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diversifient désormais et au troc ont succédé les échanges commerciaux de produits alimentaires (mil, maïs, viande, lait...) et autres services.

La fixation des éleveurs auprès des gros villages d'agriculteurs les a rapprochés d'une main d'oeuvre peu onéreuse de paysans pauvres en quête d'un travail rémunéré. Les éleveurs leurs confient des tâches ingrates comme la construction des maisons, l'entretien des parcelles de maïs et la garde du troupeau... L'insécurité ambiante incite aussi les éleveurs à utiliser les bergers salariés issus des villages d'agriculteurs voisins.

Les confiages se sont également multipliés. En effet, après la saison agricole (octobre), le propriétaire mbororo reçoit des bovins de trait en confiage qui appartiennent à des cultivateurs des villages voisins dont les enfants sont scolarisés et qui ne peuvent, de ce fait, garder les bovins de trait. En contrepartie, ces cultivateurs labourent les champs des éleveurs mbororo pendant la saison agricole ou paient une certaine somme pour le service rendu.

Il existe également une forme d'échange entre les éleveurs ayant des boeufs de trait et les agriculteurs possédant du matériel agricole (charrues, corps sarcleurs, corps butteurs notamment). Cette association permet aux deux parties d'entretenir leurs parcelles, mais aussi de gagner de l'argent. C'est l'agriculteur, propriétaire du matériel agricole qui travaille avec les animaux. Outre s'occuper des champs de l'éleveur, il travaille également dans les champs d'autres personnes contre rémunération. Les revenus de ces prestations sont partagés entre les deux parties. Au cours d'une semaine, les revenus de quatre jours reviennent à l'éleveur30 et ceux des deux jours restant à l'agriculteur. Dans la journée, l'éleveur veille à ce que l'agriculteur ne fatigue pas trop les animaux de trait et les laisse se reposer et pâturer.

Les éleveurs peuvent également louer du matériel agricole au cours d'une saison. Pour les charrues, le coût varie de 20 000 et 30 000 Fcfa selon les relations d'affinité entre les deux parties pour toute la saison des pluies.

30 Chaque jour de prestation, l'éleveur remet 1 000 Fcfa à l'agriculteur pour la conduite du travail (jogugo hore).

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N'ayant pas de charrette, les éleveurs louent les services des agriculteurs pour transporter les récoltes, les tourteaux, les matériels de construction, que les voitures ne peuvent acheminer jusqu'au village.

On assiste ainsi à l'émergence d'un secteur qui s'apparente à la petite entreprise de travaux agricoles, et on peut anticiper que d'ici quelques années, certaines personnes en feront une activité principale, cessant ainsi d'être agriculteur ou éleveur.

Il existe des interdépendances entre les deux activités agriculture et élevage et les deux catégories d'acteurs - les agriculteurs et les éleveurs. Ces relations passent par de nombreux échanges commerciaux (vente de produits alimentaires : mil, maïs, viande, taurillons dressés pour le labour...), et des échanges professionnels (gardiennage des animaux, mains d'oeuvre salariée pour les champs, prêt de matériel agricole et prêt d'animaux de trait, ...). Le passage des animaux sur les champs après la récolte est aussi un exemple de coopération entre éleveurs et agriculteurs. Les premiers utilisent les résidus de récolte (pailles, tiges et rafles de céréales, ainsi que les fanes de légumineuses : arachide, niébé) pour nourrir le bétail, et cela permet dans le même temps de fertiliser la terre pour la prochaine saison agricole dans la mesure où les troupeaux y déposent leurs déjections.

La proximité des agriculteurs facilite l'accès des éleveurs aux intrants agricoles (engrais, urée, insecticides, herbicides...). En effet, les intrants acquis à crédits auprès de la SODECOTON et la CNPC-C sont vendus ou échangés contre les céréales aux éleveurs par les agriculteurs qui n'arrivent pas à assurer la couverture des besoins alimentaires pendant la période de soudure (juillet et août). Il en est de même pour le tourteau acquis auprès des groupements de producteurs de coton-graine. Le tourteau reçu par les producteurs non équipés et le surplus par rapport à la quantité destinée à l'alimentation animale chez les possesseurs de bétail sont le plus souvent revendus. Les éleveurs mbororo achètent le tourteau directement au domicile du producteur de coton ou dans les marchés de Djéfatou, Ngong, Djalingo, Djola ou sur l'axe routier Garoua-Ngong où des sacs de tourteau sont souvent exposés. Rappelons que le « bradage » par les paysans des produits de traitements insecticides et herbicides obtenus à crédit auprès de la SODECOTON ou de la CNPC-C est fréquent dans la

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région soit pour acheter des céréales, soit pour régler certains problèmes, soit pour se procurer de la bière de mil.

Cependant, les éleveurs mbororo ne sont pas les seuls à acheter le tourteau auprès des producteurs de coton. D'après une étude réalisée par la Cellule Suivi-évaluation de la SODECOTON en 2013, 48% des acheteurs de tourteaux sont les grands commerçants, 26% sont les producteurs de coton équipés, 13% les petits spéculateurs et 13% les éleveurs non planteurs de coton. Les enchères sur le prix du tourteau sont entretenues par les grands commerçants qui passent dans les villages au moment de la distribution du tourteau. Ils passent par l'intermédiaire des petits spéculateurs ou rachètent directement le tourteau livré aux planteurs par la SODECOTON. De ce fait, les éleveurs n'achètent pas les tourteaux aux prix fixés par la SODECOTON. Du fait de sa rareté et des spéculations autour de ce sous-produit, rares sont les cas de bradage à vil prix. Les prix pratiqués sont variables selon l'offre et de la demande dans la région. Le prix d'un sac de 60 kg de tourteau Nutribet est passé de 5 000 FCFA en 2005 à 9 500 FCFA en 2012. Ces prix varient entre les saisons. C'est pour cela que certains éleveurs, notamment ceux qui font de l'embouche, préfère se ravitailler à cette période pour stocker afin de complémenter à moindre coût leurs animaux pendant la saison sèche.

II.2.5. Rapports éleveurs/éleveurs : entre échanges, complémentarités et conflits

Depuis leur fixation, les échanges se sont intensifiés entre les éleveurs. Bien qu'il existe des compétitions entre eux pour l'accès aux ressources pastorales, les éleveurs ne cherchent pas à garder systématiquement pour eux les informations sur les pâturages. Les moyens de locomotion n'étant pas encore importants dans les campements, ceux qui en possèdent se chargent d'aller prospecter l'état des pâturages et partagent l'information sur le choix des lieux de transhumance sans aucune contrepartie. Ils rapportent également des informations sur les conflits, le nombre d'éleveurs présents, etc.

Malgré l'exiguïté de l'espace réservé à l'habitat et la saturation de l'espace agricole, les premiers éleveurs continuent de recevoir de nouveaux candidats à la

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sédentarisation. Par contre, ils refusent systématiquement l'installation de personnes étrangères à leur clan sur leur territoire. Lorsqu'un nouveau membre de leur clan désire s'installer, certaines précautions sont préalablement prises. Tout d'abord, le chef du quartier prend le soin de vérifier s'il n'est pas mal intentionné en se renseignant sur ses antécédents dans les différents sites qu'il a occupés. Il cherche notamment à savoir si le nouveau venu n'est pas voleur ou sorcier... S'il est accepté, le chef du quartier doit le présenter aux autorités traditionnelles, d'abord à l'ar'do puis au sarkin saanou. Cependant, il ne peut pas défricher une parcelle. Le chef du quartier lui en octroie une où il cultive et cette dernière lui appartient.

Les éleveurs étant peu outillés en matériels de traction, il s'ensuit des échanges et des complémentarités entre eux sous forme de prêt gratuit ou d'échange de travail. Il en est de même pour les moyens de transport comme les vélos et les motocyclettes pour le transport du maïs au moulin, diverses courses ponctuelles dans les villages voisins ou pour aller rendre visite aux bergers sur les lieux de transhumance.

On assiste également à l'émergence de travail communautaire non rétribué. En effet, la surga a fait son apparition chez les éleveurs lors des travaux agricoles. Emprunté aux agriculteurs des villages voisins, c'est une forme de solidarité dans l'accomplissement des travaux agricoles (sarclage et récolte) qui permet de gagner du temps et de réduire les coûts d'entretien des parcelles. Le propriétaire du champ informe les habitants du village la veille. En même temps, il achète 1 kg de sucre, 1 kg de thé, 2 kg de riz, des galettes d'arachide de 300 FCFA et réserve environ 2 litres de lait. Alors que chez les agriculteurs la surga peut prendre toute la matinée (6 heures - 13 heures), les éleveurs y consacrent moins de temps (6 heures - 9 heures) notamment parce qu'ils n'ont pas de grandes parcelles, mais aussi pour permettre aux bergers d'aller faire paître leur troupeau.

La sédentarisation a fait développer chez les éleveurs mbororo l'individualisme et la jalousie. En effet, malgré ces échanges et complémentarités, les rivalités entre les

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différents campements31 existent ainsi que l'effritement des logiques traditionnelles de prise de décision collective qui ne permettent pas la cohésion entre les différentes communautés mbororo pour faire foule face à leurs problèmes communs. Il n'existe donc pas une cohésion interne au sein des lignages. Les nombreuses réunions de sensibilisation qui, sans doute, ont contribué à accélérer la prise de conscience collective et permis quelques actions concrètes ont rendu d'indiscutables services aux éleveurs, mais il est résulté au final que des opérations encore timides. Dans certains campements, les bornes plantées par les projets de développement marquent bien les territoires, mais il n'existe aucun consensus collectif pour la gestion de ces espaces. Les porteurs de ces actions étant décédés, les autres membres de la communauté ne se sentent que faiblement concernés par la préservation de ces espaces. Il en est de même pour la culture des plantes fourragères qui, pour le moment, n'est pratiquée que de manière marginale. Le manque d'implication et d'organisation de tous les éleveurs dans ces opérations de production fourragère ne permet pas à ceux qui les pratiquent d'étendre leurs parcelles et de les protéger en saison sèche.

Les conflits inter-éleveurs sont fréquents. Ces conflits sont nouveaux pour les éleveurs et sont liés à leur sédentarisation. Ils s'étalent de la période allant des semis à la libération des champs. Les causes sont multiples et variées. Elles vont de la contestation des limites des champs aux questions relatives aux transactions foncières telles les ventes, les prêts, les legs, les dons, l'héritage des terres, mais rarement pour des dégâts de culture même si l'agriculture occupe une place déjà importante. Un consensus tacite existe entre les éleveurs pour l'organisation des activités agricoles notamment en ce qui concerne les périodes des semis et des récoltes.

La question des limites des parcelles est la cause de conflit la plus fréquemment évoquée. Elle est liée au fait que dans les deux territoires les limites sont sommaires et constituées d'espèces herbacées. Ces dernières disparaissent sous le poids des charges animales, des vents et même des opérations d'entretiens des parcelles (sarclages ou

31 Pour des réunions ou une action de développement, il est toujours difficile de trouver un consensus. Le choix d'un campement pour une action est rejeté par les autres communautés parce qu'ils ont le sentiment de faire allégeance à l'autre communauté. Ils refusent même souvent d'envoyer leurs enfants dans une école construite dans une communauté voisine.

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buttage réalisés par les manoeuvres maîtrisant mal les limites des champs de ceux qui les emploient). L'action des propriétaires des champs n'est pas écartée puisque certains interlocuteurs ont fait cas de tentatives délibérées pour grignoter les propriétés voisines. C'est pour cela qu'un vieux mbororo lors de la régulation d'un tel conflit auprès de chef du village à Laïndé Ngobara a insisté auprès de ses frères en ces termes : « Ngade keerol ! Ngade keerol ! » (Faites des limites ! Faites des limites). Ces genres de différends généralement gérés au niveau familial, aboutissent de plus en plus à la Cour du chef du village en raison de la valeur acquise par les terres.

Le second type de conflit inter-éleveurs est celui relatif aux transactions foncières de toutes sortes, notamment les dons, les legs et les prêts, les ventes n'étant pas monnaie courante. Au début de leur installation, les éleveurs n'avaient pas accordé une grande importance aux actes qu'ils posaient vis-à-vis de la terre. Après avoir défriché quelques parcelles proportionnellement à leur capacité à les exploiter et à leurs besoins alimentaires, les premiers arrivants octroyaient avec beaucoup de nonchalance des terres à ceux qui venaient après eux. Maintenant qu'il n'y a plus de terres à défricher et qu'il faut trouver des terres pour les enfants qui grandissent, commence la remise en cause des transactions. Les propriétaires ou ayant-droits du donateur ou du prêteur remettent en cause les accords souvent oraux et revendiquent la paternité de la terre. Ayant passé parfois 8 à 10 ans à exploiter les parcelles, l'autre partie refuse d'y accéder. Ces conflits sont gérés au niveau du chef du village et aucune altercation violente n'est encore survenue.

Conclusion

L'accès, la gestion et le contrôle des territoires de mobilité pastorale se jouent dans un contexte sociétal qui permet à chaque acteur de tirer parti de sa situation. Si le foncier pastoral est contrôlé et gérer étroitement par les autorités traditionnelles qui y tirent l'essentiel de leurs revenus, pour y accéder, les éleveurs dépensent régulièrement et annuellement en nature et en espèce.

Malgré les rentes qui leurs sont versées, les autorités traditionnelles n'hésitent pas à remettre en cause les acquis de longues dates sur les territoires pastoraux des éleveurs. Les autorités administratives quant à eux perçoivent les différentes taxes imposées par

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l'État, mais leur influence sur la gestion des territoires pastoraux et des conflits qui lui sont attachés est très limitée. En effet, il existe dans les faits une prééminence du droit traditionnel sur la législation foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin saanou y sont omniprésents.

La fixation des éleveurs a permis de développer de nouvelles relations entre eux. Ces relations ne se limitent plus à l'activité d'élevage. Elles se sont fortement diversifiées, allant des échanges et complémentarités autour des matériels de traction, des activités agricoles aux moyens de transports. Cependant, de nouvelles situations conflictuelles ont vu le jour notamment des rivalités entre les campements, la contestation des limites des champs et des transactions foncières.

Les éleveurs profitent également de leurs relations avec les citadins et élites commerçantes de la région pour accéder à certains produits d'élevage très convoités comme le tourteau et les coques de graines de coton, mais aussi à des services urbains et à la limitation des amendes en cas de conflits ou de dégâts.

Dans la région du Nord-Cameroun, de nombreux autres acteurs pratiquent l'élevage. Il s'agit des agriculteurs des gros villages qui détiennent deux ou plusieurs têtes de bétail Si les conflits classiques agriculteurs/éleveurs persistent avec cependant de moins en moins de violence grâce à la proximité géographique des acteurs, ces derniers entretiennent des relations d'échanges et de complémentarités. Ces relations permettent à chacun de tirer parti des atouts de l'autre et de créer une situation de paix sociale latente.

Pour le moment, si les relations entre les acteurs se diversifient en matière de service, une coordination entre eux pour la gestion, l'organisation et l'accès équitable et durable aux territoires de mobilité reste à impulser.

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DEUXIEME PARTIE : CONTRIBUTION À LA COMPREHENSION

DES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE

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Chapitre III. Le territoire de mobilité pastorale : essai de définition et
de caractérisation

Le présent essai s'appuie sur le concept de territoire qu'il convient de clarifier et de replacer dans son contexte général et spécifique avant de proposer une définition du territoire de mobilité pastorale. Il s'agit également de présenter les outils et méthodes qui nous ont permis de mieux appréhender et analyser le contexte d'évolution de la situation territoriale du Nord-Cameroun. Nous avons ainsi mobilisé le concept de territoire en mettant l'accent sur son historique, ses implications géographiques, les outils et méthodes pour son analyse. En nous appuyant sur cette clarification conceptuelle et théorique, nous allons essayer d'appréhender le territoire de mobilité pastorale avec ses caractéristiques et enjeux au Nord-Cameroun.

III.1. Évolution du concept de territoire

Depuis son apparition dans la langue française au XVIIIè siècle et avant l'inflation des usages contemporains, le mot territoire a surtout été utilisé, à partir du XVIIè siècle dans un sens politico-administratif. Issu des termes latins territorium et terra, le mot territoire évoque l'idée d'une domination et d'une gestion d'une portion du substrat terrestre par une puissance qui, elle-même, assoit son autorité et sa légitimité sur ce contrôle, qu'il s'agisse d'une collectivité territoriale ou d'un État. Le substantif territoire et le qualificatif territorial dans ce champ sémantique sont censés évoquer l'idée d'une intervention de la puissance publique sur une portion de la surface terrestre au nom d'intérêts supérieurs comme dans le cas de l'État-nation. À contrario, toute réduction de cette soumission a pu faire émerger l'idée d'une « fin des territoires » (Badie, 1995). Des limites (découpage territorial, maillage), dont l'emboîtement hiérarchique peut être dominé par des frontières nationales, matérialisent la pérennité du territoire.

La revitalisation de l'usage du terme territoire dans la géographie universitaire est postérieure aux années 1980 - ce mot ne figure pas en tant que définition dans le dictionnaire de Géographie dirigé par Pierre George (1970) - et s'accompagne d'un

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élargissement considérable de son champ sémantique. Ce n'est, en effet qu'en 1983 et 1985 que les termes « territorialité » et « territoire » font leur apparition dans les tables analytiques d'une revue comme L'espace géographique. Avant ces dates, rares furent les références à ces termes dans les sujets de thèses déposées ou soutenues (Elisalde, 2002).

C'est aux publications de Ferrier (1984) que l'on doit la réorientation de l'usage de ce terme dans la géographie française, allant dans le sens d'un approfondissement et d'un dépassement du mot espace. Comme tous les termes que les pratiques discursives des géographes ont rendus polysémiques, le concept de territoire est revendiqué par un panel très divers de géographes tandis que simultanément, il se diffuse de plus en plus vers des praticiens d'autres sciences sociales (Elisalde, 2002). Le concept est ainsi apparu dans la production scientifique de géographes à l'instar de Raffestin, Roncayolo, Brunet, Frémont, Sack, Turco, etc., de sociologues comme Marié, Barel, Ganne, etc., d'économistes comme Becattini, Bagnasco, Brusco, Triglia, etc., et d'autres auteurs en sciences sociales (Alliès, Lepetit, etc.) avant de connaître une formidable diffusion dans le domaine des sciences et, peut-être surtout, dans celui de l'action publique et collective (Séchet et Keerle, 2007).

Ces auteurs, selon Elisalde (2002), ne s'accordent que sur l'existence de plusieurs niveaux et de plusieurs postures épistémologiques. Outre un niveau premier où ce terme devient un substitut commode et passepartout du mot « espace », ou encore un synonyme du mot « lieu », ces usages indifférenciés privilégient soit l'approche additive, soit l'exceptionnalisme local : « le territoire est ainsi non seulement un espace économique, mais aussi un espace écologique, juridique et un espace vécu » (Auray, Bailly et al., 1994 : 74). Dans d'autres cas, il sert de socle à des tentatives polémiques de définition de la discipline : « le territoire est une notion concrète qui renvoie à une terre et non à un espace géométrique. Il est tout sauf isotrope et isomorphe. Le territoire a une localisation, une dimension, une forme, des caractéristiques physiques, des propriétés, des contraintes et des aptitudes. [...] Il y a un processus historique unique de formation d'une société et de son territoire. Le fonctionnement territorial d'une société ne peut être appréhendé hors de son rapport à

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sa propre histoire. En ce sens, la géographie est génétique » Scheibling (1994 : 88). Ces premières acceptions, dans lesquelles tout objet géographique ne peut exister en dehors du champ territoire ne peuvent, selon Elisalde (2002), suffire à cerner les logiques de fonctionnement de l'objet territoire.

Dans leurs synthèses respectives, Le Berre (1992) et Brunet (1986) reprennent les idées de reproduction et surtout d'appropriation, et insistent sur certaines finalités consubstantielles à l'idée de territoire. Le Berre le considère comme « la portion de la surface terrestre, appropriée par un groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux » tandis que Brunet (1990 : 27) le définit de manière analogique : « le territoire est à l'espace ce que la conscience de classe, ou plus exactement la conscience de classe conscientisée est à la classe sociale potentielle : une forme objectivée et consciente de l'espace ». Di Méo (1998 : 63) adopte également la même posture, qu'Elisalde (2002) a qualifié de syncrétique, du fait de sa tentative d'associer l'objectivisme et le subjectivisme : « On retiendra deux éléments constitutifs majeurs du concept territorial ; sa composante espace social et sa composante espace vécu ». L'auteur poursuit en précisant que pour la première, « il s'agit donc de l'identification d'une nouvelle fibre à la fois spatiale du social et sociale du spatial, décryptée par le moyen d'une démarche positiviste, objectivant des rapports dûment répertoriés et analysés par le chercheur », tandis que « le concept d'espace vécu exprime au contraire le rapport existentiel, forcément subjectif que l'individu socialisé établi avec la terre » (Di Méo, 1998 : 67).

Ces tentatives de définition appartiennent, selon Elisalde (2002), à un schéma de pensée qui commence par poser le cadre, l'enveloppe, qui serait l'espace terrestre, considéré comme un donné, puis que l'on remplit par un construit dénommé territoire. Elles ont également en commun de s'inscrire dans le sillon ouvert, il y a une vingtaine d'années par Raffestin (1983). Pour ce dernier, les processus d'organisation territoriale doivent s'analyser à deux niveaux distincts mais fonctionnant en interactions : celui de l'action des sociétés sur les supports matériels de leur existence et celui des systèmes de représentation. Puisque ce sont les idées qui guident les interventions humaines sur l'espace terrestre, les arrangements territoriaux résultent de la « sémiotisation » d'un

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espace progressivement « traduit » et transformé en territoire. Le territoire serait donc un édifice conceptuel reposant sur deux piliers complémentaires, souvent présentés comme antagonistes en géographie : le matériel et l'idéel fonctionnant en étroites interrelations l'un avec l'autre. Il reste à débattre du degré d'adéquation qui existe entre le ou les projets idéels initiaux et leurs « traductions ». C'est le domaine qu'essaient d'approcher les concepts de territorialisation et de territorialité.

III.2. Le territoire au service du développement

Le territoire est aujourd'hui au coeur des préoccupations des scientifiques, des politiques, mais également des acteurs économiques. Si les géographes n'ont pas été les seuls à s'approprier cette notion, ils ont cependant fait de l'espace leur entrée principale ; ce qui les distingue quelque peu des approches des économistes ou des sociologues (Moine, 1995). La conception actuelle du territoire remet en cause l'idée de "territorium" d'autrefois, ensemble monoscalaire conçu comme une aire délimitée et étanche, animé par des acteurs inclus dans ses limites. Le concept de territoire est ainsi fortement utilisé à la fois pour fournir des solutions de développement socioéconomique, mais aussi pour un aménagement cohérent, équitable et viable des lieux. Comme le note Lévy et Lussault (2003), petit à petit tout devient territoire, l'adjectif se généralise, à en devenir polysémique. Moine (1995) pense que le territoire est tout puisqu'il recouvre une complexité qui demeure difficile à saisir, à cerner. Le territoire est donc, avant toute définition, un système. Et pourtant, Le Berre (1992) estime qu'il n'est jamais véritablement défini comme tel, même si certaines approches le sous-entendent. Cela montre que le territoire doit aujourd'hui être abordé de manière globale, tant la recherche de consensus est nécessaire à toutes les étapes de son aménagement et de son utilisation. C'est pour cela que les outils mis en oeuvre à l'heure actuelle pour l'appréhender doivent intégrer sa diversification et sa complexification en coordonnant notamment les dimensions sociales, politiques, économiques et environnementales, en considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus en plus active de la population (Moine, 2005). C'est pour cela qu'Elisalde (2002) propose de prendre en compte les acteurs et leurs imaginaires parce qu'ils sont guidés par leurs visions du monde. En souscrivant à l'idée que « le monde

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est institué par les individus en fonction de leurs actions et de leurs intentions » Debarbieux (1999 : 56) propose d'interpréter les territoires et la territorialité à travers le prisme du seul subjectivisme, c'est-à-dire en dépassant l'extériorité du regard objectivant des habituelles analyses sur l'organisation de l'espace. Dans cette attitude, le territoire est le support par excellence des investigations menées sur l'intentionnalité des acteurs. Dans cette approche, il ne s'agit plus de construire le sens objectif, mais de le délivrer à travers les manifestations extérieures qui sont censées traduire des intentionnalités cachées. Les comportements des acteurs sociaux peuvent se lire comme des messages, qui, à condition d'être décryptés, veulent dire quelque chose sur le territoire.

Si l'approche territoriale a connu un renouveau, c'est également parce que les relations sociétés/territoire invalident l'approche par l'analyse d'un ensemble géographique selon une individualisation et une séparation des niveaux d'échelle. À ce niveau, se pose le problème des gabarits pour les objets de la géographie des territoires. Dans un territoire coexistent à la fois du local et du global, du spécifique et de l'universel, de l'individuel et du collectif. À partir du consensus autour de l'idée d'espace conscientisé, il y aurait autant de tailles de territoires que de possibilités pour des groupes de partager un même rapport aux lieux, une même territorialité (Elisalde, 2002). Le territoire « se repère à différentes échelles de l'espace géographique » (Di Méo, 1998 : 37). Ainsi, la plupart des études sur la territorialisation privilégient avant tout la mise à jour des logiques de fonctionnement internes d'un territoire, auquel s'adjoignent parfois des emboîtements multiscalaires. Tout se passe alors comme si elles reposaient sur un implicite qui est celui du fonctionnement autonome du lieu étudié, en laissant souvent de côté les réactivités induites par les interactions avec des ensembles spatiaux voisins et de même niveau. Cette notion complexe, qui est au centre de notre analyse, mérite d'être revisitée sous l'angle systémique afin de produire une définition opérationnelle qui cadre avec la situation du Nord-Cameroun dans le cas du territoire de mobilité pastorale.

Les géographes des années 1960 ont toujours ramené tout à l'espace alors que ceux d'aujourd'hui utilisent de plus en plus le terme de territoire pour qualifier la même

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entité. Certaines définitions des concepts de territoire et d'espace géographique sont en effet très proches32. Ce changement reflète selon Claval (1995), pour une part les débats épistémologiques internes à la discipline, mais surtout d'une transformation profonde du monde et d'une mutation corrélative des façons de le comprendre : ici, l'attention est plus accordée à la manière dont les hommes vivent le milieu où ils sont installés, la façon dont ils se l'approprie, le sentiment qu'ils ont ou non d'être chez eux, de se sentir parmi les leurs, de s'intégrer et de se battre pour se maintenir sur ce territoire.

III.2.1. Le territoire comme champ d'application du pouvoir

La première acception que les géographes se font du territoire est liée au contrôle et au pouvoir. C'est en effet lorsqu'ils s'attachent aux problèmes de géographie politique et traitent de l'espace dévolu à une nation et structuré par un État que les géographes sont amenés à parler de territoire dès le début du 20è siècle. Le territoire a des limites assez rigides, bien que de plus en plus mouvantes autour d'une infinité de lieux (Sack, 1986 ; 1997), qui sont administratives. La construction du territoire est alors dominée par le rôle de l'État qui selon Pinchemel et Pinchemel (1997) contrôle, maintient son intégrité, exerce une autorité, une compétence, l'étendue du territoire définissant alors le champ d'application du pouvoir. Ils s'intéressent notamment aux problèmes qui naissent du désaccord entre la distribution des populations et les limites étatiques33, mais aussi des difficultés que certains pays éprouvent à assurer leur sécurité dans les limites que le peuplement national devrait leur imposer : ils cherchent à se donner des frontières plus faciles à défendre, fleuves ou chaînes de montagne (Claval, 1995). Le territoire, dans ces acceptions, résulte ainsi de l'appropriation collective de l'espace par un groupe. Gottmann (1973) va associer la conception moderne du territoire à celle de souveraineté en tirant parti à la fois des approches de la géographie politique et de

32 Pour Brunet et al., (1993), « l'espace géographique est l'étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés en vue de leur reproduction, non seulement pour se nourrir et s'abriter, mais dans toute la complexité des actes sociaux » ; Dans le même sillage, Le Berre (1992) précise que « le territoire est la portion de surface terrestre appropriée par un groupe social pour assurer sa production et la satisfaction de ses besoins vitaux ».

33 Dans presque tous les pays africains, de nombreuses ethnies se retrouvent de part et d'autres des frontières étatiques tracées par la colonisation. Au Nord-Cameroun, nous avons ainsi les Massa, Toupouri, Moundang, Mozey, Peuls... entre le Tchad et le Cameroun ; les Kanouri, les Peuls entre le Cameroun et le Nigeria.

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la géopolitique de l'entre-deux-guerres ainsi que de la pensée des théoriciens de l'État. Selon lui, pour qu'une entité politique puisse faire l'expérience de l'absolu du pouvoir, il faut qu'elle soit sans concurrence et exerce un monopole total sur un espace donné : elle est alors souveraine. L'idée de territoire se trouve ainsi liée à celle de contrôle, et le justifie. Au territoire de l'État tel qu'il résulte de la théorie politique moderne s'oppose ceux qui reflétaient d'autres structures du pouvoir : la pratique féodale d'un pouvoir hiérarchisé et dont chaque échelon ne dispose que d'attributs limités aboutit à une structuration d'espaces qui s'emboîtent ou qui se chevauchent. C'est notamment le cas observé au Nord-Cameroun avec des lamidats qui exercent un contrôle féodal et absolu sur des territoires discontinus conquis lors des djihads au début du 19è siècle. C'est sans doute pour ces raisons que Sack (1986) a proposé une interprétation de la territorialité assez voisine de celle de Gottmann, mais applicable à toutes les échelles, de la pièce où nous dormons à celle de l'État.

III.2.2. Le territoire comme une réalité sociale

La deuxième acception que les géographes se font du territoire est liée à la réalité sociale qui vient de l'éthologie animale. Ils vont s'appuyer sur les travaux de l'Autrichien Konrad Lorenz (1973) et du Néerlandais Nikolaas Tinbergen (1967) qui font découvrir le rôle que joue la territorialité dans la vie de beaucoup d'espèces. Il s'agit de la prise de possession par un individu ou un organisme vivant d'une portion de surface et sa défense contre d'autres organismes, appartenant ou non à la même espèce. L'étude du territoire consiste ici à analyser un système de comportement et la territorialisation, la conduite d'un organisme pour prendre possession d'un territoire et le défendre. Les espaces de vie y sont jalousement marqués. À l'intérieur des cellules ainsi délimitées, un ordre hiérarchique est institué - un pecking order selon l'expression anglaise souvent reprise. Un mâle les domine généralement, affirme sa supériorité sur les plus jeunes à l'occasion d'affrontements qui reprennent périodiquement. Il élimine les concurrents éventuels dès qu'ils franchissent les limites. C'est par ce contrôle du territoire que les groupes animaux assurent leur reproduction et limitent leurs effectifs. Par contre, les géographes se refusent à transposer les leçons de Tinbergen ou de Lorenz à leur domaine, mais retirent des exemples fournis par

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l'éthologie, l'idée qu'il faut s'attacher aux moyens mis en oeuvre pour contrôler l'espace si l'on veut comprendre le dynamisme des sociétés (Malmberg, 1980). Défendant une spécificité de l'espace social, c'est-à-dire le primat des échanges sociaux dans les constructions territoriales, Roncayolo (1990) a indiqué les risques que contient le réductionnisme éthologique dans certains transferts en géographie sociale. Selon lui, « il reste à juger si l'on peut établir un continuum entre les espèces, traiter dans les mêmes termes de tous les niveaux de la territorialité, de l'environnement immédiat aux constructions politiques les plus audacieuses, et ,enfin ramener les phénomènes sociaux, collectifs qui supportent à la fois la division de l'espace et les sentiments d'appartenance soit à des exigences biologiques communes à des séries d'êtres vivants, soit à la psychologie individuelle ». Pourquoi l'appropriation d'une certaine étendue ne serait-elle pas nécessaire à l'épanouissement de certaines fonctions sociales, se demande Claval (1995) ? A cette interrogation, Le Berre (1992) répond en précisant qu'un territoire et un groupe social ne sont pas isolés : ils entretiennent des échanges avec l'extérieur dont il faut tenir compte pour décrire et comprendre la morphologie et la dynamique territoriales. Alors que la démarche identitaire et communautariste est par essence un construit social, son efficacité tient à sa capacité à dissimuler son origine humaine pour en faire une donnée de nature (Elisalde, 2002).

Di Méo (1998) énonce les conditions de l'édification d'un ancrage identitaire : « pour que les échanges sociaux s'y déroulent (dans la région) sans surprise, selon un ordonnancement bien réglé, plusieurs conditions territoriales doivent être remplies. Il convient en premier lieu que l'espace régional possède les caractères d'un espace social vécu et identitaire, découpé en fonction d'une logique organisationnelle culturelle ou politique. Il faut en second lieu qu'il constitue un champ symbolique dans lequel l'individu en déplacement éprouve un sentiment de connivence identitaire avec les personnes qu'il rencontre ». Une autre face du schéma territorial commence ainsi à se dessiner en filigrane.

Pourquoi rechercher à ne se rassembler, à ne se regrouper uniquement qu'avec ceux qui vous ressemblent ? S'interroge Elisalde (2002). Pour l'auteur, le territoire ainsi conçu deviendrait une machine à fabriquer des individus identiques ou cohabiteraient

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des territorialités de clonage à l'intérieur et d'exclusion avec l'extérieur. Ce type d'attitude qui contredit une certaine curiosité géographique tournée vers la découverte de l'Ailleurs et de l'Autre, présente pourtant tous les attributs de la territorialisation. Or, chez bon nombre d'analystes des territoires, le déséquilibre est grand entre le diagnostic précis porté sur les champs dans lesquels se déroulent la territorialisation et l'absence de regard critique sur la légitimité de certaines appropriations territoriales en référence à tel système de valeurs, à telle stratégie de contrôle de l'espace ou d'instrumentalisation de lieux de mémoire. Comme le note Badie (1995 : 83), nous sommes bien en présence de pratiques et d'interprétations ségrégatives de la territorialité : « doté d'un attribut naturel, sa raison d'être est alors de se conformer à l'ethnicité qu'il est censé incarner, d'instance de rassemblement, il devient fondement d'homogénéisation, conduisant à l'expulsion de l'autre ».

III.2.3. Le territoire comme lieux de symboles et de représentations

En troisième lieu, le territoire pour les géographes, se structure autour des symboles et des représentations. En effet, la dimension symbolique du territoire est en effet présente dans les travaux des géographes depuis l'entre-deux-guerres au moins. Claval (1995) précise que Jean Gottmann la systématise lorsqu'il propose, en 1952, de faire l'analyse des iconographies, c'est-à-dire des représentations territoriales, une des bases de la géographie politique. Dans le même ordre d'idée, les travaux d'inspiration phénoménologique et humaniste comme ceux de Dardel (1990) soulignent que pour « les sociétés primitives, la terre est puissance, car elle est origine (c'est d'elle que toute réalité procède), présence (c'est de sa rencontre avec un paysage qui lui fait face et s'annonce à lui, que le présent se retrempe et se transmet comme en une réserve cachée de verdeur et de force et force surnaturelle (à la base de la géographie des primitifs, il y a un comportement religieux, et c'est au travers de cette valeur sacrée que se manifestent les «faits» géographiques ». À partir de ce moment, la dimension symbolique du territoire devient un des thèmes essentiels de la géographie lorsque se développent les recherches sur l'espace vécu, dans les années 1970 et dans les années 1980. Dans les pays anglo-saxons, on s'attache au sens des lieux, the sense of place, la tradition vidalienne d'analyse de la personnalité des constructions géographiques

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ressuscite (Claval, 1995). L'attention va aussi à la manière dont les toponymes sont choisis, et aux significations qui leur sont attachés. Les hauts lieux suscitent un grand intérêt comme le soulignent Brunet et al., (1992 : 232) : « ce sont des lieux de mémoire ; leur valeur symbolique est plus ou moins élevée, locale, nationale, internationale, mondiale, ou propre à une religion, à une culture; ils sont souvent sources d'identité collective et, aussi, d'activités économiques ».

Par ailleurs, la géographie se penche de nouveau sur le sentiment d'enracinement, sur les liens affectifs et moraux que les groupes tissent avec le sol où ils sont nés et où sont enterrés leurs ancêtres. Les géographes s'étaient contentés, entre les deux guerres mondiales, de sonder les âmes et les coeurs des citoyens des nations modernes (Claval, 1995). Dans le même temps, les ethnologues découvraient des attachements analogues, mais souvent beaucoup plus forts encore, chez les peuples primitifs comme le soulignent les travaux d'Elkin (1967). Il montre que les aborigènes australiens pratiquaient une économie de chasse et de cueillette qui aurait dû les laisser indifférents à l'environnement à partir du moment où ils y trouvaient plantes utiles et gibier. Contrairement à cela, ils s'identifiaient si profondément aux lieux de séjour de leurs ancêtres fondateurs du temps du mythe, que beaucoup se laissaient mourir lorsqu'ils se trouvaient déplacés. C'est dans le même sens que Di Méo (1998 : 33) précise que « le territoire est souvent abstrait, idéel, vécu et ressenti plus que visuellement repéré ». Cette entrée fait donc référence aux processus d'organisation territoriale qui doivent, selon Raffestin (1986), s'analyser à deux niveaux : celui qui résulte de l'action des sociétés, et également celui qui résulte des systèmes de représentation. Au travers du vécu, du perçu, et des multiples filtres qui nuancent la perception que l'on a d'un paysage, d'une organisation spatiale, de notre voisin, nous donnons un sens aux territoires (Fourny, 1995). À partir de ce moment, les travaux de géographie tropicale commencent à se rapprocher peu à peu de ceux des ethnologues par les méthodes mises en oeuvre : les séjours sur le terrain se font plus longs, l'attention accordée aux monographies de détail devient plus grande (Claval, 1995).

En clair, Claval (1995) souligne que la prise en compte de la dimension territoriale traduit une mutation profonde dans la démarche géographique. Pour lui, parler de

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territoire au lieu d'espace, c'est souligner que les lieux dans lesquels s'inscrivent les existences humaines sont construits par les hommes à la fois par leur action technique et par les discours qu'ils tiennent à leur propos. C'est en fait le territoire des acteurs qui font le territoire. Ainsi, pour être opérationnelle, la géographie ne peut ni ne doit oublier ceux qui font et défont ces organisations et par qui les interactions se produisent : les acteurs, replacés au centre des territoires et constitués en un écheveau complexe d'interrelations, vivant, produisant, percevant et utilisant l'espace géographique pour constituer des territoires au sein desquels se déploient de multiples enjeux (Moine, 2005) comme nous allons le démontrer dans le cas du Nord-Cameroun. Il s'agit pour le même auteur des interrelations multiples qui lient ceux qui décident, perçoivent, s'entre-aperçoivent, s'opposent, s'allient, imposent et finalement aménagent. Cette dimension est essentielle, et Debarbieux (1999 : 54) déclare à ce propos que « le monde est institué par les individus en fonction de leurs actions et de leurs intentions ». Ainsi, les relations que les groupes nouent avec le milieu ne sont pas simplement matérielles : elles sont aussi d'ordre symbolique, ce qui les rend réflexives. Les hommes créent leur environnement, qui leur offre en miroir une image d'eux-mêmes et les aide à prendre conscience de ce qu'ils partagent et en retour, précisent Brunet et al., (1992), le territoire contribue à conforter le sentiment d'appartenance, il aide à la cristallisation de représentations collectives, des symboles qui s'incarnent dans des hauts lieux.

III.2.4. Le territoire comme support d'identité et aire culturelle

Les géographes se sont intéressés par ailleurs à la place de l'identité dans la perception du territoire. En effet, Bonnemaison et Cambrezy (1995) notent que dans les sociétés dites traditionnelles, le territoire ne se définit pas par un principe d'appropriation, mais par un principe d'identification. Le territoire ne peut alors être perçu comme une entité différente de la société qui l'habite ; le groupe local appartient à sa « terre » tout autant que la terre lui appartient. C'est effectivement ce qui fait dire à Le Berre (1992) que « toute société a des rapports avec son territoire : on peut appeler pratiques territoriales (de vie, de gestion, d'aménagement) l'ensemble des actions que le groupe entreprend pour assurer sa vie et son maintien sur son territoire. Elles ont pour

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résultat de mettre en relation les lieux qui constituent son territoire ». Ce ne sont donc plus nécessairement les centres du territoire qui comptent mais les symboles qui y sont inscrits et les lieux qui les enracinent. Ce principe d'identification explique la particularité et l'intensité de la relation à la terre ; le territoire ne peut être partagé, vendu, ou même donné ; il est un être et non pas un avoir. Perdre son territoire, c'est disparaître. Pour Berque (1970), la mémoire s'investit dans des lieux, des portions de nature où sont enracinés des potentiels. Dans la même lancée, Martin (1994) poursuit que la relation tissée entre l'histoire et l'espace fournit une base apparemment matérielle à l'identité : elle lui procure un territoire. Pour lui, l'occupation, entraînant le travail de la sensibilité sur l'enracinement physique, confère aux 'pays', aux villes, aux quartiers, une dimension symbolique, une qualité qui secrète l'attachement. On voit donc avec Claval (1995) pourquoi les problèmes du territoire et la question de l'identité sont indissolublement liés : la construction des représentations qui font de certaines portions de l'espace humanisé des territoires est inséparable de la construction des identités. L'une et l'autre de ces catégories sont des produits de la culture, à un certain moment, dans un certain cadre. Par contre, précise Claval (1995), le support territorial des identités n'a pas besoin d'être continu et d'un seul bloc lorsque la construction du moi et du nous est moins fragile et n'est pas menacée de dissolution au moindre contact : ce qui compte en pareil cas, c'est la dimension symbolique de certains référents spatiaux, lieux de culte, tombes des ancêtres. La territorialité s'exprime plus en termes de polarité que d'étendue. À ce moment, le territoire symbolique devient mobile. C'est le cas de certains nomades, qui reconstituent l'espace sacré qui donne un sens à leur vie partout où ils s'installent.

Cette approche identitaire du territoire pose le problème de limite supérieure des gabarits territoriaux. En effet, à partir du consensus autour de l'idée d'espace conscientisé, il y aurait autant de tailles de territoires que de possibilités pour des groupes de partager un même rapport aux lieux, une même territorialité. Autrement dit, les autochtones peuls sédentaires, les migrants venus de l'Extrême-Nord Cameroun et les éleveurs mbororo transhumants ont-ils la même perception et le même rapport avec le territoire sur lequel ils sont installés, qu'ils exploitent et gèrent ?

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À partir de ce moment, on peut avec Elissalde (2002) se poser la question de savoir si l'outillage conceptuel et les problématiques utilisables par une géographie des territoires devraient demeurer cloisonnés entre chaque aire culturelle ? Dans ce cas, un pan de l'analyse géographique demeure pourtant souvent négligé.

En effet, la plupart des études sur la territorialisation privilégient avant tout la mise à jour des logiques de fonctionnement internes d'un territoire, auquel s'adjoignent parfois des emboîtements multiscalaires. Tout se passe alors comme si elles reposaient sur un implicite qui est celui du fonctionnement autonome du lieu étudié, en laissant souvent de côté les réactivités induites par les interactions avec des ensembles spatiaux voisins et de même niveau. La conception actuelle du territoire remet ainsi en cause l'idée de territorium d'autrefois, ensemble monoscalaire conçu comme une aire délimitée et étanche, animé par des acteurs inclus dans ses limites. Ce serait donner à penser qu'une configuration territoriale ne serait que le résultat de l'action d'un seul groupe poursuivant un seul et unique projet. Ce serait imaginer qu'une configuration territoriale est le parfait décalque des idéaux du ou des groupes qui se la seraient approprié. Ce serait enfin cautionner une vision cynique des rapports sociaux ; l'organisation de l'espace n'appartiendrait qu'au champ des rapports de forces, en ignorant toute régulation équitable.

Une autre face du schéma territorial commence à se dessiner lorsque Di Méo (1998 : 47) énonce les conditions de l'édification d'un ancrage identitaire en ces termes : « pour que les échanges sociaux s'y déroulent (dans la région) sans surprise, selon un ordonnancement bien réglé, plusieurs conditions territoriales doivent être remplies. Il convient en premier lieu que l'espace régional possède les caractères d'un espace social vécu et identitaire, découpé en fonction d'une logique organisationnelle culturelle ou politique. Il faut en second lieu qu'il constitue un champ symbolique dans lequel l'individu en déplacement éprouve un sentiment de connivence identitaire avec les personnes qu'il rencontre ». Ainsi, les systèmes d'acteurs permettent-ils de gérer et, à travers leurs actions, de maintenir une stabilité du système au sein duquel ils agissent. Il en découle, comme c'est le cas actuellement dans la région du Nord-Cameroun, une indispensable coordination, une organisation et finalement

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l'aménagement avec ce que ce terme peut selon les définitions admises receler d'équité comme le souligne Moine (2005). En fait, Brunet (2001) argue que les acteurs doivent être replacés dans les systèmes qu'ils élaborent afin de leur permettre de s'approprier, d'habiter, d'échanger et d'exploiter dans les meilleures conditions qui soient et surtout, de manière cohérente. C'est pour cela qu'il faut être capable comme le formule Moine (2005) de comprendre les jeux spatialisés des acteurs et de leurs multiples choix pour comprendre les processus qui guident l'évolution de l'espace géographique. Ainsi, la notion de territoire ne doit pas se réduire à celle d'appropriation. Elle est en fait beaucoup plus que cela, un système d'acteurs, en tension car les acteurs sont concrets, repérables. Ils font les territoires au travers des subtiles relations qu'ils entretiennent et ils constituent autant de pouvoirs et de contrepouvoirs respectifs qui font équilibre. Le produit de ces interrelations peut être dénommé gouvernance, c'est-à-dire l'ensemble des règles, des procédures et des pratiques qui sous-tendent l'existence d'un territoire, autour du jeu complexe des acteurs, par rapport à une organisation spatiale évolutive.

III.2.5. Finalement, une définition fondée sur la boucle de rétroaction

qui organise le territoire

Le territoire est donc un système complexe que l'on ne peut finalement appréhender que sous l'angle d'un système qui suppose, non une nouvelle définition, mais un repositionnement conceptuel dans une perspective systémique. Considéré sous cet angle, on peut avancer la définition suivante empruntée à Moine (2005 : 77) : « le territoire est un système complexe dont la dynamique résulte de la boucle de rétroaction entre un ensemble d'acteurs et l'espace géographique qu'ils utilisent aménagent et gèrent ». Cette définition selon l'auteur s'appuie sur la mise en relation de trois sous-systèmes clairement définis (figure 8) :

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Source : Moine (2005)

Figure 8. Fonctionnement du système territoire

Le fonctionnement du système territoire s'appuie ainsi sur le sous-système acteurs qui agit sur le sous-système de l'espace géographique de la manière suivante :

- Les acteurs en interrelation qui vont permettre, soit dans un espace donné, soit par rapport à une problématique donnée, de comprendre en partie les raisons des équilibres ou des déséquilibres en présence qui déterminent une stabilité dynamique du territoire ;

- L'espace géographique, espace aménagé par les acteurs, en fonction du géosystème34, présentant de multiples objets en interaction et que l'on peut désagréger en trois sous-systèmes : i) le géosystème ou milieu géographique au

34 Le géosystème est un concept permettant d'analyser les combinaisons dynamiques de facteurs biotiques, abiotiques et anthropiques associés à un territoire. S'inscrivant dans une démarche systémique, il est utilisé en géographie pour étudier les interactions nature-sociétés dans une dimension à la fois temporelle et spatiale (Beroutchachvili et Rougerie, 1991).

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sein duquel évoluent les acteurs, on parlera des contraintes ou aménités naturelles qui entrent en interaction avec les acteurs et influencent l'organisation de l'espace géographique ; ii) l'espace anthropisé constitué par l'ensemble des objets anthropiques (réseaux, constructions, hommes, etc.) répartis au sein du géosystème ; iii) l'espace social, celui des rapports sociaux qui recèle « l'ensemble des interrelations sociales spatialisées » (Frémont et al., 1984), entre les individus, les groupes et en étroite relation avec l'espace politique et institutionnalisé ; iv) l'espace politique et institutionnalisé au sein duquel sont formalisées les multiples relations entre les acteurs. Il s'agit d'une portion d'espace régi par la reconnaissance de règles communes ;

- Les systèmes de représentation, qui se fondent sur l'interconnexion entre trois types de filtres : individuel, sociétal (valeur) et idéologique (théorie, modèle), qui forgent à la fois la connaissance et la conception qu'ont les acteurs du monde qui les entoure (Callon et Latour, 1990). Aménagé par les sociétés qui l'ont successivement investi, le territoire constitue un remarquable champ symbolique. Certains de ses éléments, instaurés en valeurs patrimoniales, contribuent à fonder ou à raffermir le sentiment d'identité collective des hommes qui l'occupent (Di Méo, 1998).

III.3. Les intérêts du territoire pour l'élevage mobile

Le territoire est au sens des écologues, « la zone de peuplement et de distribution d'une espèce végétale ou animale donnée ». Il résulte de « l'ensemble des relations qu'une société entretient non seulement avec elle-même, mais encore avec l'extériorité et l'altérité, à l'aide de médiateurs, pour satisfaire ses besoins dans la perspective d'acquérir la plus grande autonomie possible, compte tenu des ressources du système. » (Raffestin, 1997). Si les débats sur l'élevage d'herbivores sont largement posés à l'échelle planétaire (réduction des gaz à effets de serre, alimentation mondiale, biodiversité...), l'élevage contribue aussi au développement durable des territoires ruraux : il s'y présente comme une activité ancrée dans des sociétés, des filières et un espace local où il fournit des produits et services multiples (Manoli et al., 2011). Les travaux de ces derniers ont permis à partir d'une revue bibliographique de préciser

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comment les chercheurs abordent les relations entre élevage et territoire. Ils montrent qu'au niveau du territoire l'élevage est une activité centrale pour des communautés d'agriculteurs (Hubert, 1994 ; Gibon et Ickowicz, 2010), il y façonne les paysages et la biodiversité (Caron et Hubert, 2000) et produit des services écosystémiques (Burkhard et al., 2009). Il peut y remplir une diversité de fonctions qui vont bien au-delà de la fourniture de denrées alimentaires pour les filières longues, mais qui relèvent de spécificités locales comme la production de fibres pour l'habillement des personnes, celle de fertilisants organiques pour l'agriculture familiale comme l'ont montré Steinfeld et al., (2006) ou Iiyama et al., (2007), la valorisation des sous-produits agricoles et industriels de proximité (Dedieu et al., 2011). L'élevage est une source de revenus et d'emplois pour les éleveurs et l'ensemble de la filière. Il est aussi, dans certaines sociétés vulnérables, à la fois un véritable capital sur pied (Bonfiglioli, 1988), le support de dons resserrant les solidarités familiales et une source directe d'alimentation (Duteurtre et al., 2009). Enfin, l'élevage peut être une activité avec des significations symboliques et culturelles localement très fortes comme par exemple en pays gaucho du nom du vacher traditionnel des régions de Pampa (Litre et al., 2008).

C'est ainsi à ce niveau territorial que les politiques doivent pouvoir expliciter ce que l'on peut attendre de l'élevage, et que l'ensemble des acteurs, dont la recherche, doit pouvoir décliner les différentes dimensions des interactions entre l'élevage et les territoires (Manoli et al., 2011). Ces derniers ont distingué trois grandes familles d'investigation des interactions entre élevage et territoire. La première se centre sur les relations entre les systèmes d'élevage et les modes d'utilisation de ressources naturelles spatialisées. La seconde est focalisée sur la diversité des systèmes de production existant sur un territoire donné. La troisième considère les systèmes d'élevage comme des systèmes techniques enchâssés dans des collectifs et des sociétés humaines.

L'élevage extensif utilise une gamme de ressources naturelles spatialisées. La première famille d'approches a pour objet l'utilisation de ressources naturelles, caractérisées en premier lieu par leur localisation dans l'espace et qui impose une nécessité de reconnecter activités d'élevage et enjeux autour de l'usage de l'espace.

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Manoli et al., (2011) montrent que les objectifs des études faites dans ce sens sont de comprendre le rapport à l'espace des activités d'élevage dans un contexte où les ressources naturelles deviennent un facteur limitant, et où il y a donc compétition entre plusieurs usages possibles du sol. L'élevage est ici une activité en compétition avec d'autres activités pour l'utilisation de l'espace ; le territoire, vu à la fois comme le support d'activités humaines et comme le produit de ces activités, est considéré ici plus dans sa dimension spatiale que sociale : c'est l'espace qui est au centre des questions de recherche. À l'intérieur de ce courant, on peut distinguer deux types d'approches : d'un côté les études centrées sur la localisation de l'élevage (analyse statique des facteurs), de l'autre, l'analyse est plus dynamique et se centre sur les processus de changements d'utilisation du sol.

Le premier groupe de travaux recensé par Manoli et al., (2011) se centre sur la représentation de la localisation des systèmes de production et des densités animales à des échelles géographiques larges et sur l'identification des facteurs explicatifs de ces localisations. La classification des systèmes d'élevage faite par Sere et Steinfeld (1996) a fait date : elle propose de cartographier les différents types de systèmes de production à une échelle régionale (un ensemble de pays d'une même région du monde). Ce sont les facteurs agro-écologiques qui sont mis en avant pour expliquer cette distribution spatiale des systèmes de production. D'autres facteurs de localisation sont présentés dans le zonage de systèmes d'élevage européens, réalisé par Pflimlin et al., (2005). Les différentes zones sont délimitées principalement par des facteurs pédoclimatiques, mais les dynamiques socioéconomiques et des éléments d'histoires locales sont également pris en compte. Le rapport « Livestock Long Shadow » (Steinfeld et al., 2006) a été un autre travail montrant les liens entre systèmes d'élevages et éléments géographiques. Les localisations des différents types de systèmes d'élevage (définis par les espèces élevées, le système de production, le degré d'intensification par exemple) sont expliquées aussi par des caractéristiques humaines de l'espace : espaces urbains, ruraux, périurbains, existence d'infrastructures. Les contraintes naturelles sont toujours présentes dans cette description (présence de certains types de systèmes selon les climats par exemple). Bourn et Wint (1994) ont

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travaillé sur ce lien entre géographie et élevage, mais surtout à travers la spatialisation des densités animales. Ils ont eux aussi proposé d'autres facteurs que les facteurs agro-écologiques pour modéliser des densités animales : densité de la population humaine, maladies animales, présence d'agriculture, etc. Au final, la plupart de ces études s'identifient à un courant scientifique qui prend de l'ampleur, celui de `livestock geography' (Kruska et al., 2003 ; Reid et al., 2000 ; Sere et Steinfeld, 1996 ; Thornton et al., 2007 ; Wint, 2007), dont la finalité est d'aider à l'élaboration de politiques nationales et internationales du développement de l'élevage. C'est pourquoi elles sont faites à une échelle large. Des cartes de densités animales, de systèmes d'élevage à des échelles continentales à nationales, sont le produit commun de toutes ces études. Ces cartes sont élaborées grâce à des SIG et elles donnent une image statique des différents facteurs de localisation des activités d'élevage : les facteurs agro-écologiques sont prépondérants (climat, reliefs montagneux, maladies animales par exemple), quelques facteurs de type humain sont pris en compte (marché, zones urbaines, infrastructures, agriculture).

Manoli et al., (2011) ont recensé un deuxième groupe de travaux qui a pour objet d'étude des dynamiques d'utilisation des sols. Dans ce cas, l'accent est mis sur les processus qui expliquent ces dynamiques. Ces travaux abordent les liens entre activités agricoles (et utilisatrices d'espace en général) et dynamiques spatiales. Par exemple, les travaux de Poccard-Chapuis (2005) analysent l'avancée des fronts pionniers dans la forêt amazonienne et la place des systèmes d'élevage dans ce processus. Le rôle joué par les réseaux de commercialisation à la fois locaux, nationaux et internationaux est mis en avant dans la description de ces processus. Certains de ces travaux se réclament d'un courant relatif au « land use and land cover changes » (LULCC) : Lambin et al., (2000) ; Lambin et al., (2001) ; Stephenne et Lambin (2001) ; Veldkamp et Lambin (2001). Par exemple, Lambin et al., (2000) s'efforcent de mettre en lumière la complexité des mécanismes qui se cachent derrière les changements d'utilisation de l'espace, en cherchant à se différentier des approches simplificatrices qui sont faites pour expliquer les causes d'une dynamique spatiale particulière (déforestation, dégradation des pâturages, urbanisation, etc.). Ils déconstruisent ainsi certains

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« mythes » simplificateurs comme le concept de « capacité de charge ». Celui-ci est souvent avancé pour expliquer un seuil à partir duquel un pâturage donné sera surexploité. La capacité de charge est, à leurs yeux, à relativiser fortement lorsqu'elle est utilisée dans le cadre des écosystèmes arides, caractérisés par un déséquilibre permanent. Ces auteurs soulignent ainsi le besoin de mettre en place une compréhension rigoureuse des contextes locaux, par l'appui sur des études de cas par exemple, pour mieux appréhender notamment comment les grandes dynamiques globales se reformulent dans un lieu particulier (Ickowicz et al., 2010). Il s'agit de réexaminer de grandes hypothèses globales considérées comme des lois générales, ou au moins de bien les appliquer aux unités de temps et d'espace pertinentes.

Manoli et al., (2011) mentionnent que ces approches de `LULCC' sont très complémentaires des approches de localisation développées dans le premier groupe : elles donnent une analyse plus dynamique des utilisations de l'espace, elles se centrent sur la compréhension des processus. Les études de localisation des activités donnent une image des résultats de tout un processus. Elles sont une façon de montrer que les activités d'élevage ont des raisons de se placer là où elles se placent. Dans une réflexion sur le développement durable, les activités d`élevage doivent être reconnectées aux espaces et aux ressources qu'elles utilisent (Naylor et al., 2005) : elles sont bien une activité d'usage des ressources naturelles spatialisées (parmi d'autres). Dans cette perspective, donner une représentation du « maillage » de l'élevage (Wint, 2007) à l'échelle de grandes régions, est une première étape essentielle.

Pourtant, relèvent Manoli et al., (2011), quand il s'agit de développement, et de compréhension des dynamiques d'utilisation de l'espace, ces niveaux ou même les niveaux nationaux s'avèrent insuffisants (Hubert, 1994 ; Lambin et al., 2001) et le niveau de l'exploitation comme entité élémentaire de gestion de l'espace agricole devrait être mieux pris en compte (Wint, 2007). Ainsi, la compréhension du niveau local, grâce à l'analyse d'études de cas apparait comme une nécessité (Manoli et al., 2011). Bommel et al., (2010) ont ainsi proposé un modèle générique d'étude des interactions entre l'élevage et l'espace à ce niveau local sur la base de la comparaison

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de modèles multi-agents développés dans plusieurs territoires de France, Brésil, Uruguay et Sénégal.

Dans les deux types d'approches, les densités animales, leur répartition et leur localisation sont, comme l'ont montré Manoli et al., (2011), reliées majoritairement à des facteurs agro-écologiques. Par contre, le niveau socio-économique est peu étudié. Enfin, les spécificités des activités d'élevage ne sont généralement pas considérées : la mobilité par exemple qui marque des différences fortes dans l'utilisation de l'espace entre élevage et agriculture, n'est pas analysée, car les questions sont focalisées sur les ressources naturelles en elles-mêmes. Si l'on se place dans une perspective d'élaboration de politiques de développement, il est important de considérer le niveau local comme le niveau où se reformulent des grands facteurs globaux (agro écologiques, socio-économiques) et où ils se combinent à des facteurs plus spécifiquement locaux (place de la mobilité, fonctions particulières de l'élevage...).

III.4. Les enjeux et l'importance de la mobilité pastorale

La pression sur les territoires ruraux s'accentue à cause d'un fort accroissement démographique qui engendre l'avancée des terres agricoles au détriment des pâturages. Différentes études de cas notent que les pâturages se réduisent comme peau de chagrin au sud du Tchad (Magrin, 2001) ou encore au nord Cameroun (Moritz et al., 2013 ; Seignobos et Thys, 1998 ; Kossoumna Liba'a, 2008). Les politiques nationales semblent avoir du mal à concevoir des schémas d'aménagement des espaces ruraux qui ménagent un accès pour tous aux ressources. Pourtant, en même temps que les pâturages diminuent, les cheptels bovins augmentent (Gonin, 2014). Cependant, depuis la fin des années 90, différents travaux introduisent un regard renouvelé sur l'élevage mobile.

El Aich et Waterhouse (1999) montrent comment le pâturage peut favoriser la biodiversité et maintenir ainsi des biotopes particuliers. Bourbouze, Lhoste, Marty et Toutain (2002) soulignent que la mobilité pastorale est aujourd'hui considérée comme un outil de lutte contre la désertification, même si la démonstration scientifique du rôle de la mobilité dans la protection de l'environnement n'est pas aisée comme le montrent les travaux de Genin (2004), Dood (1994).

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Contrairement à l'image répandue, ce sont les troupeaux les plus mobiles qui présentent les meilleurs paramètres zootechniques (PSSP, 2009) ; ainsi, la mobilité permettrait d'intensifier la productivité des troupeaux. De nombreuses études ont démontré à contrario que les pratiques de nombreux commerçants bétail dans la cadre de l'embouche bovine, constituent des troupeaux « maigres » à la fin de la saison sèche pour les engraisser à l'herbe des parcours grâce à la transhumance effectuée par les bergers peuls (Colin De Verdière, 1995). Le même auteur montre que les phénomènes de croissance compensatoire jouant à plein, les animaux conduits dans une vraie logique pastorale reviennent avec une conformation supérieure et incomparable avec leur état de départ. Il montre que la productivité des systèmes d'élevage sédentaire serait globalement inférieure de 20% à celle des troupeaux nomades. Ceci donne sens à l'objectif des éleveurs mobiles qui est en effet de rechercher en permanence les meilleures conditions possibles pour leur troupeau, en s'adaptant aux contraintes du milieu en ce qui concerne l'eau et le pâturage. En effet, la principale raison à l'origine de la mobilité est de maximiser la productivité du cheptel. Lorsqu'ils se déplacent, les pasteurs ne cherchent pas seulement à trouver de la nourriture pour leurs bêtes, ils recherchent aussi les meilleurs pâturages et les meilleures sources d'eau. Des nutriments de qualité dans les parcours arides sont éphémères et, comme on peut s'y attendre, clairsemés. Pour les exploiter de manière performante, les pasteurs doivent se déplacer souvent et rapidement (Collectif, 2010). Le même collectif montre que la mobilité est également importante dans le domaine du commerce. En effet, le bétail a besoin d'être acheté et vendu. Or, les meilleurs marchés où les pasteurs tirent le meilleur prix de leurs bêtes sont souvent loin des meilleures zones de production. Les échanges peuvent être locaux, nationaux, voire internationaux, en fonction de la saison et de ce qui est à vendre ou à acheter. Bien souvent, les échanges impliquent de couvrir de longues distances et le déplacement des bêtes en toute sécurité joue donc un rôle pivot.

La mobilité pastorale a également une utilité écologique qui a été démontré par des études comme celle de Maïdagi et Hierneux (2006). Les conclusions de ce travail d'analyse des dynamiques de végétation en relation avec les modes de pâturage font

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ressortir que les effets du pâturage sont autant moins marqués que les troupeaux sont appelés à se déplacer et à développer la mobilité. Par contre, d'après cette étude, la sédentarisation des troupeaux a des effets conséquents en matière de dégradation des écosystèmes. La notion de surpâturage s'applique plus à une plus à une exploitation continue des ressources pastorales car les animaux, même peu nombreux, exploitent de manière sélective les espèces appétées (PSSP, 2009). Ainsi, la réduction des aires de pâturages, des couloirs de transhumance et des aires de repos jusque-là exploités par les pasteurs en zone agro-pastorale et pastorale, en réduisant la mobilité des troupeaux, augmente les risques environnementaux.

La mobilité pastorale est également un facteur d'adaptation aux aléas climatiques. En effet, au vu des réalités sociales, économiques et écologiques, l'enjeu est de préserver et de renforcer la mobilité pastorale, de manière à mieux valoriser durablement les ressources primaires des espaces de mobilité dans les zones soudano-sahéliennes. Ces espaces se caractérisent par des pénuries des ressources pastorales liées aux sécheresses plus ou moins fortes et fréquentes. Les observations faites par Beidou et al., (1990) montrent que ce sont les troupeaux les plus mobiles qui réussissent généralement le mieux à surmonter les épisodes critiques comme la grande sécheresse de 1984. Lorsqu'apparaissent les limites écologiques de la mise en valeur de terres nouvelles, la conception nomade multiplie les formules d'adaptation en intégrant des espaces marginaux qu'elle seule peut rapprocher (Retaillé, 1989).

En plus, la mobilité stratégique de l'élevage permet l'intégration agriculture-élevage à grande échelle spatiale et temporelle, et ce sur l'ensemble des systèmes de production plutôt qu'au niveau de la seule exploitation agricole. C'est à grande échelle que les systèmes pastoraux optimisent leur performance et leur résilience : des ressources clés telles que les nutriments et l'eau ne deviennent disponibles que dans des concentrations éphémères et imprévisibles, comme certaines herbacées des zones septentrionales, qui ne sont exploitables que grâce à la mobilité. Agriculture et élevage ont pu être intégrés entre des groupes distincts et spécialisés d'agriculteurs et d'éleveurs à même d'interagir à l'échelle transrégionale (voire transnationale) grâce à la mobilité pastorale. Cet ordre supérieur d'organisation des deux systèmes de

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production permet de renforcer la productivité, la durabilité et la résilience des deux côtés : c'est une conformation de systèmes qui repose sur la mobilité pastorale. Là où elle est entravée, cette organisation s'effondre (Krätli et al., 2013).

L'importance de la mobilité pastorale est également observée à travers les proverbes et dictons que le Projet PSSP (2009 : 19) a rassemblé : « Nous les Wodaabe, nous disons que l'élevage ne nous laisse pas de repos, ne nous donne pas d'apaisement. Un véritable berger ne peut jamais rester tranquillement au même endroit. Un bon berger cherche ce qui est le meilleur pour ses bêtes : la seule chose qui nous tracasse, c'est la santé de nos bêtes, parce que leur santé signifie notre richesse » (Angelo By Maliki, 1982) ; « L'animal est le meilleur topographe qui soit. Les géomètres qui ont tracé les routes dans la région de Zinder sont venus seulement justifier leurs honoraires, ils n'ont fait que reprendre les routes pastorales qui existaient notamment le couloir international de passage » (Issa Loutou, Leader Oudah) ; « La poussière des pieds est meilleure que celle des fesses » (Proverbe des pasteurs du Niger - Atelier Addis Abéba, 2008) ; « Si tu construis une maison à un éléphanteau, tu auras à détruire la maison pour le faire sortir » (El Jangouma).

L'actualité du nomadisme n'est pas donc dépassée, au contraire. Le nomadisme historique semblait une adaptation aux situations écologiques marginales, plaçant les nomades presque en dehors du monde et de son développement. Mais en observant les pratiques spatiales et sociales de ces nomades en voie de disparition, nous rencontrons quelques problèmes contemporains comme les nouvelles mobilités, les identités défaillantes etc. qui pourraient être avantageusement traités selon ces métriques trop ignorées du nomadisme (Retaillé, 1989).

III.5. Quels outils pour appréhender les territoires ?

L'emboîtement des sous-systèmes acteurs et espaces géographiques rend difficile l'interprétation et la compréhension des territoires. C'est pour cela qu'il est indispensable de proposer de manière précise des outils susceptibles d'aborder la complexité qui sous-tend à la fois les organisations spatiales, mais également les systèmes d'acteurs qui les font évoluer. L'approche systémique est ainsi présentée, comme un paradigme capable de guider l'approche et la compréhension des systèmes

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complexes et comme préalable à des démarches de modélisation plus avancées (Moine, 2005). Ce dernier, sans proposer de nouveaux outils, essaie de repositionner des approches reconnues, les unes par rapport aux autres, dans un ensemble susceptible de permettre une meilleure compréhension des territoires (figure 9).

Source : Moine (2005)

Figure 9. Outils et méthodes d'analyse et de compréhension de l'évolution d'un territoire Trois sous-systèmes, liés entre eux, sont donc à aborder dans le cadre d'un diagnostic que Moine (2005) qualifie de territorial :

- Le contexte naturel du territoire abordé, il peut présenter des contraintes et des atouts qui auront une incidence sur l'organisation de l'espace géographique, mais aussi sur les relations entre les acteurs. Dans la région du Nord-Cameroun, il s'agit notamment des contraintes liées à l'insuffisance des précipitations entraînant la

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dégradation des parcours, l'assèchement des mares, l'insuffisance des résidus de récolte ; les atouts peuvent être l'abondance des fourrages naturels dans certaines zones mieux arrosées et la disponibilité des eaux dans les cours d'eau... ;

- L'organisation de l'espace géographique, au travers de la répartition des objets, de l'interaction entre ces objets, des forces et faiblesses de cette organisation. Ici, on pourra, comme le suggère (Elissalde, 2002), analyser les discours souvent contradictoires, tenus à différents moments sur un territoire quelconque s'inscrivent dans une archéologie du savoir. L'importance du temps long, de l'histoire en matière de construction symbolique des territoires, retient l'attention (Di Méo, 1998). Très représentatif de ce point de vue, Marié (1982) estime que « l'espace a besoin de l'épaisseur du temps, de répétitions silencieuses, de maturations lentes, du travail de l'imaginaire social et de la norme pour exister comme territoire ». Cela permet bien entendu de faire « l'état des lieux », mais contribue tout à la fois à faire exister, et à façonner une certaine image « géographique » dudit territoire. Il peut également s'agir d'analyser l'influence du contexte naturel et de l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques actées dans le cadre des différents documents de programmation, d'orientation et de prescription ;

- L'organisation des acteurs du territoire étudié ou diagnostic stratégique (CERTU, 2001), la superposition de mailles de gestion, l'articulation des documents de programmation, d'orientation et de prescription, et leur mise en place autour d'acteurs clés, le décideur devant aujourd'hui intégrer la notion de « maillagement » (Monnoyer-Longe, 1996). L'objectif serait également de mettre à jour les logiques de fonctionnement et d'interaction spatiale dans le cadre des arrangements sociétés/territoire, y compris les relations sociétés/environnement (Elissalde, 2002).

Cette approche suppose la mise en oeuvre combinée d'outils permettant de comprendre le fonctionnement d'un territoire et le cas échéant, de proposer des simulations de son évolution. Ainsi, la complexité du territoire nécessite un agencement d'outils capable d'intégrer et d'analyser les différentes facettes du territoire. Plusieurs pistes s'offrent actuellement aux chercheurs, qui reposent sur la combinaison d'outils (Systèmes

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Multi-Agents, Systèmes d'Information Géographique, Automates Cellulaires, Systèmes de Gestion de Bases de Données, Systèmes Experts, Réseaux Neuronaux) en amont desquels l'approche systémique est toujours requise (François, 1997). Trois orientations émergent :

- Les recherches portant sur la mise en place d'outils d'observation, notamment les travaux du CERSOT portant sur la mise en place d'observatoires territoriaux fondés sur la liaison entre Système de Gestion de Base de Données et Système d'Information Géographique (De Sède et Moine, 2001) ;

- Les recherches portant sur l'évaluation des territoires notamment les travaux de Christiane Rolland-May, intégrant les principes de l'approche systémique et de la logique floue (Roland-May, 1996 et 2000) ;

- Les recherches portant sur la simulation d'évolutions de territoires, en témoignent notamment les modèles développés par le RIKS (Maastricht), couplant une base de données spatialisées (SIG), un modèle global d'interaction spatiale et un modèle d'automates cellulaires (Engelen et al., 1997).

Ces trois types d'approches sont en effet complémentaires si l'on souhaite disposer d'une vision globale du fonctionnement d'un territoire (Moine, 2005). En effet, pour cet auteur, les outils d'observation constituent le socle sur lequel on va pouvoir ancrer une analyse des différents phénomènes en interrelation sur un territoire donné, en fonction d'un projet porté par des acteurs. Fondée en amont sur une réflexion très poussée des besoins d'observation de la part des acteurs qui produisent, agissent et guident le fonctionnement d'un territoire, cette première étape, au travers de la pérennisation des informations qu'elle induit, est incontournable. L'observation est finalisée par des diagnostics qui peuvent être pluriels, en fonction des différents acteurs ou groupes d'acteurs porteurs de projet(s). C'est grâce à cet outil qu'il est ensuite possible d'évaluer un territoire au travers de la trajectoire qu'il poursuit en introduisant des dispositifs d'analyse capable de restituer les différents états occupés par le système étudié. Ils permettent également l'évaluation des politiques mises en oeuvre par les acteurs locaux, qui influencent l'évolution des territoires. Enfin, dans un

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troisième temps, des outils permettent de simuler le devenir d'un territoire donné sur la base de règles issues des observations précédentes.

En conclusion, « l'efficacité des démarches participatives en aménagement, sera conditionnée par un réel couplage entre décisions et instrumentation, notamment instrumentation géomatique, l'espace demeurant au centre de tous les enjeux » (De Sède, 2002), ceci dans la perspective d'un système territoire qui intègre simultanément trois dimensions : temporelle, spatiale, et organisationnelle, qui chacune se divisent de la manière suivante (Roland-May, 2000) :

- Le temps est composé d'un avant, d'un après et d'une durée : i) la prise en compte des évènements passés explique l'état actuel du système et sa dynamique. Ce passé constitue en quelque sorte le réservoir d'information par rapport auquel les acteurs vont se référer afin de mener à bien leurs politiques ; ii) la prise en compte de l'avenir en projetant ce que les acteurs souhaitent que le territoire devienne, sur la base de scénarios prospectifs guide les décisions. Cette démarche est productrice de nouvelles informations ; iii) la prise en compte de la durée des évènements est importante puisqu'elle permet finalement d'en nuancer les influences ;

- L'espace est composé d'échelles emboîtées qui peuvent se retrouver au sein : i) Du local et de l'ensemble des superpositions spatiales et des acteurs qui s'y matérialisent. Loin d'être isolés, ces différents niveaux et acteurs sont très étroitement imbriqués et liés, ils contribuent à définir les projets et donc à peser sur le devenir du territoire ; ii) Du global, ou environnement du système, qui symbolise les influences externes qui peuvent agir sur la trajectoire du système. Celui-ci ne peut ignorer en effet un certain nombre d'informations qui, aujourd'hui bien que dépendantes d'un contexte global, affectent indubitablement le devenir du système local ;

- La dimension organisationnelle est composée de trois sphères : i) celle des individus, « unité spécifique au sein des sociétés (...) on ne peut imaginer de société qui ait été totalement dépourvue d'autonomie individuelle car c'est grâce à cette autonomie que la répartition complexe de fonctions que suppose une société,

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peut exister » (Lévy, 1994) ; ii) Celle de la politique ; iii) Celle des relations économiques, culturelles et sociales.

L'enjeu est de comprendre comment se structurent les territoires, selon l'acception globale que nous avons proposée ; comment ils fonctionnent, comment ils évoluent. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des réalités quelquefois difficiles à mettre en adéquation, avec d'un côté une complexification croissante des contextes au sein desquels nous évoluons, de l'autre une exigence de résultat fondée sur les notions de cohérence et de développement durable qui forcent à adopter une approche globale capable de saisir et de rendre compte de cette complexité. En proposant une approche plus globale de la notion de territoire, nous pensons que sa compréhension en sera améliorée. Mais il faut faire attention à ne pas tenter de réduire la complexité à tout prix, il faut lui laisser sa liberté, c'est-à-dire la représenter en limitant les mutilations.

III.6. La nécessité de diagnostiquer le territoire

Le diagnostic géographique du territoire vise à éclairer, à partir des signes visibles dans le paysage, la situation, le fonctionnement et la dynamique de l'activité agricole et à distinguer les enjeux relatifs à son évolution et aux interactions avec les activités non agricoles présentes dans le territoire (Lardon et al., 2007). Le diagnostic du territoire selon Benoît (1977) est une action visant à analyser, à partir de signes, une situation écologique et sociale ainsi qu'une dynamique dans un territoire. Cela suppose de considérer l'organisation du territoire comme la résultante des actions qui l'ont façonné et qui le façonnent aujourd'hui, mais aussi comme issu de la coordination des activités sur ce territoire. L'attention portée aux signes susceptibles d'être porteurs d'avenir permet de formuler des hypothèses d'évolution du territoire. En premier lieu, le diagnostic de territoire doit permettre de formuler un jugement qui présente deux aspects. Il porte sur la cohérence du territoire : qu'est-ce qui fait l'unité ou le sens de l'espace étudié ? L'espace est-il correctement délimité ? Il s'agit donc de s'assurer que le territoire étudié constitue effectivement un « système ». Il porte également sur la « viabilité » du territoire. Le territoire est-il un territoire de « projet » ? Est-il doté en porteurs de projet ? Il s'agit donc de s'assurer, qu'au-delà de sa spécificité, le territoire est un enjeu pour ses acteurs. En second lieu, le diagnostic de territoire doit permettre

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d'accompagner un changement. On attend de lui qu'il fournisse l'opportunité d'une concertation, voire d'une mobilisation des acteurs. Le diagnostic de territoire peut être dans certains cas un révélateur, pour une prise de conscience et une reprise en main du devenir et de la vie du territoire. Mais on peut également l'utiliser pour préfigurer un observatoire du territoire. Il est en effet important que le diagnostic de territoire soit une image de référence, à laquelle on puisse se rapporter ultérieurement pour mesurer les changements et évaluer la portée des politiques et des mesures prises.

L'analyse géographique consiste à repérer les grandes unités socio-foncières et les différents pouvoirs qui s'exercent sur l'espace et les ressources, à les localiser, à situer leur zone d'influence, à caractériser leurs prérogatives actuelles. On se situe là à l'échelle de la petite région. En effet, l'histoire du peuplement (l'arrivée successive des différents groupes sociaux, leur origine, leur mode d'installation) en rapport avec l'histoire politique régionale permet d'identifier les groupes ou familles qui détiennent (ou détenaient historiquement) un contrôle sur certaines portions d'espace, et les rapports entre ces groupes. Les maîtrises territoriales concernent fréquemment des microrégions correspondant à des unités politiques historiques : le « village » n'est pas toujours une unité foncière pertinente. Le diagnostic nécessite de :

- Localiser sur une carte, au moins grossièrement, les lieux de pouvoir foncier ;

- Localiser si possible, au moins grossièrement, les espaces que ces pouvoirs contrôlent ou certaines de leurs limites (parfois contestées) ;

- Identifier les interdépendances entre lieux d'habitation (hameaux ou villages), qui n'ont pas tous nécessairement le même degré d'autonomie sur le plan foncier.

Représenter schématiquement ces « trames territoriales » permet alors de visualiser le statut foncier des différents lieux d'habitation, leurs interdépendances, les autorités ou les lieux dont ils relèvent et d'identifier les différents pouvoirs (éventuellement en concurrence ou contestés) qui s'exercent sur une portion d'espace donnée.

Cependant, le contrôle de l'espace ne prend pas toujours une forme « géométrique », marquée par des limites claires et jointives. Souvent, le contrôle de l'espace est de type « topocentrique » : il s'exerce à partir d'un lieu (le lieu de fondation, par exemple), la capacité de contrôle se distendant avec l'éloignement du centre de pouvoir. On a ainsi

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des limites floues avec un « no man's land », éventuellement contesté, entre deux unités territoriales.

Il faut enfin faire attention au pouvoir de la carte : il est important de noter le caractère imprécis ou contesté de certaines informations et de résister à la tentation de délimiter des unités aux limites clairement définies si ce n'est pas le cas.

Par ailleurs, Benoît (1977) suggère qu'il faut également prendre en compte l'impact de l'intervention publique sur la délimitation du territoire. En effet, l'action de l'Etat superpose à l'organisation spatiale précédemment décrite, un autre découpage (limites de localités, d'arrondissement) qui marque la zone d'influence des représentants locaux de l'État : quelles que soient leurs prérogatives officielles en matière foncière, ils interviennent dans la politique locale et dans l'arbitrage des conflits fonciers. Une disjonction entre statut foncier et statut administratif d'un village, entre trames territoriales et trames administratives peut être source de problèmes.

Ainsi, le territoire des géographes tente de repérer les dimensions conjuguées des différents espaces (Guetat-Bernard, 1999) :

- L'espace social qui reflète « l'ensemble des interrelations sociales spatialisées » (Frémont, 1984) : les rapports sociaux inscrits dans des lieux, les conflits et les enjeux entre les groupes sociaux, et inévitablement les règles de régulation (ces normes sont d'autant mieux acceptées qu'elles apparaissent légitimes) qui confortent et structurent ;

- L'espace perçu ou représenté, « chargé de valeurs, marqué par les codes culturels et les idéologies » (Gilbert, 1986) propres à chaque société à chacun des moments de son histoire ;

- L'espace de vie (l'espace réellement parcouru : espace d'usage, des expériences concrètes des lieux) et l'espace vécu (qui intègre autant l'espace des pratiques que l'espace imaginaire connu et/ou reconnu) : « l'espace concret des habitudes est reconstruit et dépassé au gré des images, des idées, des souvenirs et des rêves, des normes aussi qui habitent chacun » individuellement et collectivement (Di Méo, 1998) ;

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- L'espace produit qui résulte de l'action concrète des hommes et qui cristallise une mémoire collective.

Le concept du territoire tente donc de retrouver le sens des liens entre les mondes de l'objet et du sujet : Habermas (1985) parle ainsi d'une totalité socio-spatiale construite sur l'imbrication du monde objectif, du monde social et du monde subjectif.

Il importe alors de comprendre comment s'opère l'identification entre les dimensions collective et individuelle dans la mesure où le territoire en tant que construit social révèle une dimension collective alors que l'espace vécu et perçu dénote une dimension essentiellement individuelle.

Afin d'aboutir à une analyse du territoire la plus complète possible, nous retenons le principe de considérer qu'un territoire comprend de façon pertinente et générique cinq sous-systèmes territoriaux (Merenne, 2002) :

- Le premier sous-système est la résidence comme manière particulière d'exploiter l'espace et d'en produire de nouveaux. Les territoires de fixation constituent bien les lieux de résidence des éleveurs dans la mesure où chacun y dispose d'un habitat (case, concession...) permanent où demeure à l'année une partie de la famille ; Le terme « territoire » tel que nous l'employons dans cet essai correspond au terme peul wuro qui désigne tout espace approprié par un groupe avec un habitat groupé (saare) entouré d'une auréole de champs cultivés (Picard, 1999) et des espaces de pâturage. Riesman (1974) précise que le mot wuro désigne toute unité sociogéographique que possède un homme reconnu comme chef de cette unité, et dont les membres sont liés par des liens de parenté ou de voisinage suivis. Dans un sens plus large, il désigne tout groupement qui se pense comme une communauté ;

- Le second sous-système, qui permet de disposer d'un espace, est l'appropriation d'un espace. Il n'implique pas nécessairement la propriété mais plutôt l'attribution, le droit d'usage ou usufruit. Les territoires villageois (ou territoire de sédentarisation) sur lesquels porte le présent travail ont été attribués aux communautés d'éleveurs mbororo. Ces derniers exercent bien une certaine autorité sur ces territoires. Même si la terre appartient traditionnellement à la chefferie

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Peule, le sentiment d'être chez soi et d'appartenir à une communauté villageoise mbororo avec son territoire délimité est relativement fort ;

- Le troisième sous-système est l'exploitation de cet espace : très lié à l'appropriation « [...] mais encore aux hommes eux-mêmes qui exploitent ce sol, à leurs instruments et techniques, à leurs moyens financiers et à leurs systèmes sociaux et culturels », il concerne les ressources du sol. Même si les droits d'usage sur une bonne partie du territoire borné restent flous, une partie de ces territoires est effectivement exploitée par les éleveurs dans le cadre de leurs activités agricoles et pastorales ;

- Le quatrième sous-système concerne la communication et les échanges. Cela résulte « de la spécialisation des lieux qui crée un potentiel d'échange et de la nécessité de gestion ». Ainsi, dans les différents territoires de mobilité, les acteurs entretiennent, au-delà des concurrences et des conflits, de nombreuses et diverses relations d'échanges, de communications et de complémentarités ;

- Enfin, le cinquième sous-système correspond à la gestion, c'est à dire l'action qui coordonne toutes les autres : « la gestion permet le fonctionnement de l'espace en assurant l'intégration des hommes et des fonctions, en résolvant les conflits, en développant les projets ». Ainsi, à des degrés différents, tous les acteurs et instances locaux sont impliqués d'une manière ou d'une autre dans la gestion des différents territoires de mobilité pastorale.

Après avoir clarifié les contours du territoire de manière générale, nous allons tenter de présenter, définir et caractériser le territoire de mobilité pastorale.

III.7. Le territoire de mobilité pastorale : définition et caractérisation

Les études précises de l'espace vécu sont rares chez les pasteurs sahéliens. Toute recherche spécialisée sur ce thème semble particulièrement difficile dans ce milieu, et l'application stricte d'un questionnaire inadéquate (Gallais, 1976). Cependant, un certain nombre de travaux ont permis à Alain Beauvilain (1976) travaillant sur les Peul du Dallol Bosso au Niger, à Hervouet (1975) pour les éleveurs du Sud mauritanien, à Jérôme Marie (1974) pour les Foulankriabé du Gourma malien et Gallais (1976),

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Bernus (1982), Retaillé (1989), Boutrais (1984) de discuter du sens que les éleveurs donnent au milieu dans lequel ils vivent.

Les travaux de Bernus (1982) au Niger montrent que le territoire de mobilité est complexe car il est difficile de trouver un espace clos, exploité par un groupe humain cohérent. Les tentatives d'isoler un territoire nomade se heurte à quelques difficultés. Il existe souvent des régions exploitées en commun au cours de saisons particulières, mais au-delà de ces exploitations communes traditionnelles, le forage des points d'eau par les services publics ou les ONG a ouvert à tous les nomades des ouvrages publics. Cette désorganisation de l'espace pastoral rend difficile la délimitation d'un territoire approprié par un groupe qui y trouve ses moyens d'existence. Le même constat est fait par Retaillé (1989 : 2) pour qui « la réduction disciplinaire de la géographie à l'opération de découpage et de nomenclature, conduit à distinguer aussi l'espace du nomade comme une surface spécifique, isolable, refermée sur des caractères propres et explicatifs comme l'aridité. Il se construit, alors, une définition forcée qui peut convenir au tableau géographique des genres de vie bien délimités mais qui néglige la très forte originalité conceptuelle du nomadisme ». Pour lui, On ne peut le réduire à un sous-développement ou un à avortement du processus d'organisation de l'espace, en prenant l'espace sédentaire comme modèle ; on ne peut même pas vraiment aborder l'espace nomade en opposition à l'espace sédentaire.

Cette difficulté d'insérer le vécu dans un schéma s'exprime en termes de contrôle de l'espace par la faiblesse générale, voire l'absence de toute notion de territorialité, mises à part quelques organisations, comme par exemple celle des Peul du Delta intérieur (Gallais, 1967), très structurée et militaire, le contrôle des lahore, sources salées, dans les chefferies peul de l'Adamaoua (Boutrais, 1974), l'appropriation coutumière de chaque vallée du Tibesti par un clan Toubbou (Capot-Rey, 1967), les droits exercés par les fractions militaires des Touareg Kel Ahaggar sur les vallées du Hoggar (Rognon, 1963), l'exemple des Masaï du Kenya (Jacobs, 1965) qui possèdent une division territoriale stratifiée en accord avec leurs niveaux de regroupement socio-politique. Le contrôle territorial est resserré ponctuellement sur le puits ou les puisards, voire sur quelques pâturages de décrue; et même ici il admet en général une utilisation

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franche par d'autres usagers. Cette légèreté des institutions spatiales contribue au caractère contingent et flexible de l'espace vécu des éleveurs. Si la notion de territoire se réfère à une portion d'espace approprié par un groupe humain dont les limites sont déterminées par une pratique politique, économique, socio-culturelle, voire même affective, elle suppose a priori la stabilité, c'est-à-dire la permanence d'une population sur la terre qu'elle contrôle, préserve et à laquelle elle s'identifie. Or, les éleveurs, de par leur mobilité géographique sont-ils des « peuples sans territoire » s'interroge Cortès (1995).

III.7.1. Le territoire, espace dont un groupe tire ses moyens d'existence

Le territoire pastoral est considéré par Bernus (1982) comme une « aire de nomadisation ». Une telle définition selon l'auteur, n'empêche pas que d'un groupe à l'autre, la notion de territoire varie. Elle semble plus floue chez les certains éleveurs comme les peuls Wodaabe qui ne possèdent pas d'espace collectif continu, mais des enclaves dispersées. Ils peuvent ainsi abandonner leurs parcours en cas de difficultés (administratives, climatiques..), quitte à revenir après la crise. Les Touaregs semblent plus accrochés à leur territoire pour des raisons qui se conjuguent : ils ont tissé des liens plus anciens avec leur région, ils sont imbriqués dans une société plus hiérarchisée, faisant partie d'un ensemble plus solidaire. Ils ne quittent leurs parcours habituels que poussés par la nécessité.

Notre expérience et nos observations dans le Nord du Cameroun nous amène à considérer que le territoire de mobilité pastorale un espace utilisé par les éleveurs pour satisfaire les besoin alimentaires des animaux. C'est un espace économique, mais aussi un espace écologique et un espace vécu. Cela montre que le territoire de mobilité pastorale doit aujourd'hui être abordé de manière globale, tant la recherche permanente de consensus est nécessaire à toutes les étapes de sa délimitation, de son accès, de sa gestion, de son aménagement et de son utilisation. Ainsi, les outils mis en oeuvre à l'heure actuelle pour l'appréhender doivent intégrer sa diversification et sa complexification en coordonnant notamment les dimensions sociales, politiques, économiques et environnementales, en considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus en plus active de tous les acteurs concernés de près ou de loin.

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C'est pour cela qu'il faut prendre en compte les visions, les imaginaires, les perceptions de tous ces acteurs.

Au-delà du territoire où un groupe satisfait ses principaux besoins matériels, on pourrait parler du territoire symbolique, qui unit une communauté dont chaque élément possède la clef. C'est en somme un territoire géo-culturel (Bonnemaison : 1982) dont tous les hommes se font une même représentation. C'est l'espace auquel le voyageur aspire, cela peut devenir le territoire rêvé qu'on a perdu ; c'est en somme le lieu où s'incarne la conception collective d'un groupe vis-à-vis du temps et de l'espace. Cette notion, ainsi définie peut se matérialiser à différentes échelles (Bernus, 1974).

Cependant, la notion de territoire varie d'une société à l'autre et même au sein d'une même société. Chez les Touaregs, Bernus (1974) a montré que les Imghad (vassaux, tributaires) dressent la carte de leur territoire en dessinant les vallées et portent les puits où vivent et abreuvent leurs principaux campements en saison sèche. Le territoire représenté correspond à leur espace exploité. La même question posée aux Imajeghen, ancien détenteurs du pouvoir, reçoit une réponse différente. Ils incorporent dans leur territoire, l'ensemble des parcours de toutes les tribus dont ils ont le commandement traditionnel. Cela étend le territoire très loin autour du campement de l'amanokal, lieu géométrique de l'ensemble, lui fait de petits mouvements autour de chin Tabaraden. Il y a ici correspondance entre territoire traditionnel et administratif. Pour les imajeghen, tous leurs dépendants exploitent un espace collectif dont ils Sont les seuls répondants. Le même terme, akal, désigne le territoire des Imajeghen et celui des Imghad. Le premier est un territoire politique revendiqué, et d'autant plus affirmé aujourd'hui qu'il représente les pouvoirs d'une chefferie déclinante. Le second représente un espace exploité réellement, et manifeste l'indépendance économique d'un groupe sur ses parcours. Le territoire de la tribu peut aussi se définir selon la connaissance précise qu'en ont ses utilisateurs. Une enquête menée par Bernus (1974) a montré que ce savoir, infiniment précis sur l'espace exploité, est plus flou au-delà : chaque puits, chaque vallon, chaque site préhistorique, était connu, situé et décrit avec rigueur dans les parcours habituels ; au-delà de certaines limites les réponses étaient plus vagues, et la carte moins remplie. La toponymie évoquait les événements les plus intimes du

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groupe dans le territoire qu'il occupe et parcourt chaque année ; au-delà, la toponymie connue ne désignait plus que les puits et les sites majeurs.

Le territoire vécu, chez certaines populations insulaires du Pacifique, correspond à deux besoins essentiels, l'identité et la sécurité (Bonnemaison 1980). Cet espace où les habitants sont enracinés, avec une adéquation quasi parfaite entre les hommes et leur territoire, ne correspond pas à la vision des nomades. Leur territoire, s'il s'incarne dans une région donnée, est cependant plus mobile. La précarité des ressources, la variabilité des pluies, la fréquence des crises, provoquent des glissements et des déplacements. Le territoire peut se recréer, sur un autre espace, avec de nouvelles références et de nouvelles valeurs.

Le territoire est pour le nomade un espace maitrisé, dont il connait toutes les ressources ; il est jalonné de repères précis, sites préhistoriques, tombes anciennes, lieux de batailles célèbres, puits et mares. Ce territoire où il déplace sa tente et son campement incarne un univers mobile et libre. Le territoire n'est jamais figé et peut à tout moment être déplacé et reconstruit : il représente la possibilité d'une liberté de réajustements toujours possibles sous la pression d'événements inconnus (Bonnemaison, 1981).

Le territoire est considéré par les Touaregs comme le résultat d'un travail qui seul permet de rendre viable la nature à l'état brut (Claudot-Hawad, 1986 et 2008). La terre en effet ne protège que si elle est parcourue, domestiquée, modelée par les itinéraires nomades qui régulent les relations entre les êtres humains et le désert ou, dit autrement, entre la culture et la nature. Cette image renvoie à l'usage économique raisonné du sol, géré et ordonné de manière à rendre optimales l'exploitation et la reproduction des ressources. Elle correspond également à des usages sociaux et symboliques du territoire auquel s'identifient les individus et les groupes. Concrètement, toute unité sociale, de la plus petite (le campement) à la plus grande (la société tout entière), est associée à un territoire-parcours extensible selon les saisons, croisant d'autres parcours qui dessinent les trames complexes du vaste maillage territorial et politique touareg. Chaque groupe exerce des droits d'usage prioritaires bien que non exclusifs sur son parcours. Ces prérogatives se déterminent donc par

rapport aux mouvements dans l'espace définis par des étapes coutumières, liés à des droits territoriaux définis, mais aux contours flexibles et négociables suivant les conditions climatiques ou politiques (Claudot-Hawad, 2012).

La figure 10 présente la définition, les caractéristiques et les enjeux de pouvoir et les réalités autour des territoires de mobilité.

TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE

Définition et présentation

- Espace approprié ou non, utilisé par les éleveurs pour la satisfaction des besoins de leurs animaux

- Espace économique, écologique, vécu

- Espace à appréhender de manière globale (consensus permanent pour sa délimitation, son accès, sa gestion, son aménagement et son utilisation)

- Coordination des dimensions sociales,

politiques, économiques et
environnementales

- Considération de tous les usages et de la participation de tous les acteurs (intérêts, visions, perception)

Champ d'application du pouvoir traditionnel - Domination du rôle du chef traditionnel pour le contrôle, la gestion, l'exercice d'une autorité, une compétence

- Zone d'influence des lamidats qui en connaissent l'étendue, les limites, les utilisateurs

- Défense de la zone d'influence et d'autorité au-delà des limites administratives et communales - Opposition du territoire de l'Etat à la pratique féodale d'un pouvoir hiérarchisé

- Influence des chefs traditionnels sur les choix des politiques de gestion et d'organisation

- Perception des redevances à chaque installation, passage

Caractéristiques

- Espace avec des ressources (terres, fourrages, eau...)

- Une localisation (local, proche, lointain) - Une dimension (restreint, large)

- Une forme (étalée, compacte, éclatée)

- Des propriétés (fourni, dégradé, appété, non appété)

- Des aptitudes (disponible, libre d'accès, conflits limités)

- Des contraintes (menacé, inaccessible, insuffisant, conflictogène)

Une réalité sociale et culturelle

- Mobilisation des moyens pour le contrôle des territoires de mobilité (taxes traditionnelles, dons, consensus, réseaux d'influence...)

- Sentiment d'appartenance et une appropriation nécessaires à l'épanouissement des fonctions sociales (rencontres, fêtes, mariages, baptêmes, palabres, renseignements, nouvelles...)

- Relations avec d'autres communautés et rupture de l'isolement social (alliances, contrats, échanges, complémentarités)

- Construction d'une démarche identitaire et communautariste par la fréquentation des mêmes territoires

- Des relations particulières nouées avec les lieux de passage, de repos, d'escale, d'abreuvement, d'émondage des arbres

- Une connivence identitaire avec le territoire fréquenté et les acteurs rencontrés

- Une construction sociale observée à travers les initiatives de régulation à l'amiable des conflits

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Figure 10. Définition, caractéristiques, enjeux et réalités autour des territoires de mobilité Le territoire de mobilité est une notion concrète qui renvoie à un espace de terre avec des ressources (terres, fourrages, eau). Le territoire de mobilité a une localisation (local, proche, lointain), une dimension (restreint, grand), une forme (étalé, compact, éclaté), des caractéristiques physiques (fourni, dégradé), des propriétés (appété, non appété), des contraintes (menacé, inaccessible, insuffisant, conflictogène) et des aptitudes (disponible, libre d'accès).

Le territoire de mobilité pastorale peut être considéré comme la portion de la surface terrestre, appropriée ou non par les éleveurs pour assurer la reproduction et la satisfaction des besoins vitaux de leurs animaux (nutrition, abreuvement, mouvement).

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Ici l'attention doit être plus accordée à la manière dont les éleveurs vivent le milieu où ils se déplacent avec leurs animaux, la façon dont ils se l'approprie au cours des différentes saisons, le sentiment qu'ils ont ou non de l'utiliser et de le consommer à leur convenance, de se sentir parmi les leurs dans leur mouvement, de s'intégrer et de se battre pour se maintenir sur ce territoire. Les ressources en jeu sont essentiellement les pâturages, les points d'eau naturels ou aménagés (sources, mares, puisards, guelta, puits), le gibier, les produits de cueillette et le bois (Claudot-Hawad, 2012). L'espace nomade est tendu, comme le précise Retaillé (1989), entre des lieux éloignés séparés par de vastes vides ; chaque lieu appartient à un temps organisé, le territoire trouvant son lien dans le calendrier et non dans la frontière ; en chaque lieu la diversité humaine, sociale, économique se trouve concentrée, reproduisant presque la totalité de l'environnement. Dans le lieu, enfin, ne varie que l'ordre des composants, mais ils sont tous là, contrairement au lieu d'un espace sédentaire rural qui est marqué par l'exclusivité. L'espace nomade ressemble, de ce point de vue, à l'espace urbain.

Le territoire de mobilité est plus un espace socialement construit qu'une terre appropriée par les acteurs majeurs qui sont ceux qui l'exploitent directement (éleveurs, agro-éleveurs notamment). Même si ce territoire est une entité juridique et administrative reconnue, sa gestion échappe au contrôle de l'entité officielle parce que le pouvoir traditionnel dans le Nord-Cameroun y trouve un champ d'application de son pouvoir.

III.7.2. Le territoire de mobilité pastorale, un champ d'application du

pouvoir traditionnel

Le territoire de mobilité pastorale est dominé par le rôle des chefferies traditionnelles qui contrôlent, gèrent et exercent une autorité, une compétence. Ainsi, les zones de pâturage rentrent dans les zones d'influence des lamidats qui en connaissent l'étendu, les limites, les utilisateurs. Chaque lamidat défend étroitement sa zone d'influence et essai de maintenir son autorité sur ces espaces au-delà des limites administratives et communales. Les lamibe font prévaloir l'absolu du pouvoir, sans concurrence et exerce un monopole total sur les espaces de pâturage : Ils sont alors souverain. L'idée de territoire de mobilité pastorale se trouve ainsi liée à celle de contrôle, et le justifie. Au

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territoire de l'État tel qu'il résulte de la théorie politique moderne s'oppose dans ce cas ceux qui reflétaient d'autres structures du pouvoir : la pratique féodale d'un pouvoir hiérarchisé et dont chaque échelon ne dispose que d'attributs limités aboutit à une structuration d'espaces qui s'emboîtent ou qui se chevauchent comme le note Gottmann (1973). Les territoires de mobilités pastorales discontinus conquis lors des djihads au début du XIXème siècle sont ainsi contrôlés de manière féodale par les lamidats.

En tant que dépositaires et gestionnaires du foncier rural, les autorités traditionnelles influencent les choix des politiques de gestion et d'organisation des parcours (zones de pâturages, pistes à bétail) délimités ou non. C'est pour cette raison qu'il existe une ambigüité dans le comportement des autorités traditionnelles. Malgré leur accord de principe pour le bornage des zones de pâturage, les agriculteurs qui cultivent dans l'espace délimité affirment que ce sont les lamibe qui leur donnent l'autorisation de continuer à y cultiver. Ce qui remet en cause évidemment les clauses de la convention signée et place les éleveurs dans une position de faiblesse. Cette situation est entretenue expressément par les autorités traditionnelles pour continuer à bénéficier des « taxes d'arbitrage » que leur versent les éleveurs chaque année afin de maintenir la zone non cultivée. Dans un tel contexte, le rôle de l'État devient alors indispensable afin d'imposer le respect des droits de propriété ou d'usufruit permanent.

Au Nord-Cameroun, il existe dans les faits une prééminence du droit traditionnel sur la législation foncière de l'État. C'est pour cela que les territoires de mobilités pastorales où les éleveurs vont en transhumance sont coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin saanou y sont omniprésents. Ce sont ces derniers qui accueillent les éleveurs et connaissent leur emplacement au cours de la saison. Les éleveurs leur remettent pour le laamii'do une redevance à chaque installation. Selon l'ancienneté des éleveurs dans les zones de transhumance, les redevances diminuent jusqu'à devenir symboliques dans bien des cas. Lorsqu'ils ne font que passer sur le territoire, les éleveurs ne paient rien pour le pâturage. Et ce, d'autant plus que les éleveurs empruntent de plus en plus les routes nationales pour atteindre les zones de transhumance. Par contre, pour l'installation sur le site de transhumance ils s'acquittent d'une redevance auprès des autorités du lieu, le plus souvent négociée,

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même s'il existe un taux officiel35. Les éleveurs négocient des taux forfaitaires à 20 000 Fcfa par troupeau. Soit une somme moindre que le taux officiel lorsque le troupeau atteint 30 bovins.

III.7.3. Le territoire de mobilités pastorales comme une réalité sociale et

culturelle

Les éleveurs tentent de mettre des moyens en place pour contrôler les territoires de mobilité pour les animaux (taxes traditionnelles, dons, consensus, influences). C'est comme si parlant de mobilité pastorale, on parle des nomades, des Mbororo, des marcheurs permanents. Les éleveurs ont le sentiment d'appartenance à ces espaces de mobilité pastorale qui est une construction mentale, une nécessité biologique pour eux-mêmes et pour leurs animaux. L'appropriation d'une certaine étendue de territoire de mobilité est ainsi nécessaire à l'épanouissement de certaines fonctions sociales ; chaque lieu, selon les saisons, constitue une occasion de socialisation, de rencontre et d'expression d'un évènement précis (fêtes, mariages, baptême, soir au village...) et de relations précises avec d'autres communautés voisines. Ce sera l'occasion de demander les nouvelles de chacun, de se renseigner. À travers la mobilité le groupe social n'est pas isolé. Il entretient des échanges avec l'extérieure, avec les autres à travers des alliances, des contrats, des échanges, des complémentarités. Comme le relève Retaillé (1989), l'affectation des individus à un territoire administratif d'enregistrement ou à une identité ethnique transcendante n'a pas beaucoup de sens en dehors de ces liens sociaux qui permettent la survie. Or, ces liens ne sont pas territorialisés à l'intérieur d'une surface délimitée portant à la fois une identité, des richesses, des populations, des genres de vie. Rien n'est ainsi découpé, tout est plus flou. Le lieu n'assigne pas une identité qui réside dans autre chose, la tribu par exemple chez les "nomades" ou la chefferie chez les "sédentaires". Mais alors nomadisme ou sédentarité n'ont pas de sens puisque les pratiques spatiales sont croisées et ne renvoient pas à une appartenance spécifique.

35 200 à 500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe d'inspection sanitaire vétérinaire et 500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe de transhumance.

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Les éleveurs construisent leur démarche identitaire et communautariste par la fréquentation des mêmes territoires de mobilité. Ils assimilent leur appartenance à une même communauté suivant les mêmes itinéraires et en construisant une relation durable avec le territoire fréquenté. Des relations particulières sont ainsi nouées avec les lieux de passage, de repos, d'escale, d'abreuvement et même avec les arbres qu'ils émondent au passage. Il existe une sorte de connivence identitaire avec le territoire fréquenté et les autres acteurs rencontré sur ce territoire, le long de ce parcours. Le territoire nomade comprend un grand nombre de marqueurs, historiques (tifinagh, ruines médiévales...), géographiques, mémoriels, sacrés (tombes des martyrs et des saints, lieux de culte). Dans les cartes établies par les nomades, le territoire s'organise autour des points d'eau et des sentiers qui les relient (Bernus 1982 et 1988).

Le construit social à travers le territoire de mobilité s'observe également par les initiatives de régulation à l'amiable des conflits entre les éleveurs et les agriculteurs. Les relations de confiance, de tolérance prennent ainsi le pas sur les tensions perpétuelles.

Conclusion

Le concept de territoire, malgré sa récente apparition dans la littérature géographique est beaucoup évolué. S'il évoque une idée de domination, de gestion, d'appropriation d'une portion du substrat terrestre, il n'est plus du seul ressort du pouvoir public. Dans le Nord du Cameroun, les autorités traditionnelles locales exercent une appropriation et une gestion privative du territoire rural (domaine public) au détriment des acteurs de son exploitation pour assurer leurs besoins vitaux (agriculteurs et éleveurs notamment).

La composante sociale du territoire est donc étroitement liée aux rapports que les exploitants ont avec le pouvoir coutumier local. C'est ce dernier qui contrôle et gère l'accès au territoire rural ; c'est également lui qui tire des revenu pour l'accès et l'exploitation de ce territoire. Bien que vécu de manière permanente ou partielle par les exploitants, il demeure une précarité pour son appropriation et son exploitation durable. C'est pour cela que de nombreux acteurs se sont intéressé à ce concept pour

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fournir des solutions de développement socioéconomique, mais aussi pour un aménagement cohérent, équitable et viable des lieux avec plus ou moins de succès.

Le territoire a également un intérêt pour l'élevage en tant que support et source de sa survie surtout en ce qui concerne l'élevage extensif qui utilise une gamme de ressources naturelles spatialisées. Au Nord-Cameroun, cet élevage est ici une activité en compétition avec d'autres activités pour l'utilisation de l'espace (agriculture et biodiversité notamment) ; raison pour laquelle les relations entre ces acticités et l'élevage sont à la fois complémentaires et conflictuelles.

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Chapitre IV. Les territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun : typologie, acteurs et fonctionnement

Les éleveurs utilisent de manière permanente l'espace de pâturage délimité proche de leur village. Cet espace s'intègre dans ce que l'on a qualifié de « territoire d'attache » et dans les territoires complémentaires des villages environnants où les animaux pâturent les résidus de récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes principalement). Ces espaces sont insuffisants par rapport au nombre d'animaux détenus par les deux communautés d'éleveurs mbororo. C'est pour cela que dans les deux territoires étudiés, tous les éleveurs pratiquent la transhumance. Pour les grandes familles avec beaucoup de têtes de bétail, le cheptel est scindé en deux ou trois troupeaux ou lots. Le lot le moins important constitué des vaches laitières et des boeufs de trait est gardé à proximité des territoires de fixation (ou d'attache) pour contribuer à l'approvisionnement en lait des membres de la famille et labourer les parcelles. Le plus gros du bétail s'en va transhumer sous la garde de jeunes fils ou de bergers salariés. Les ovins accompagnent les bovins en transhumance tandis que les caprins restent dans le territoire attaché au piquet ou sous la garde des enfants en bas âge.

Les éleveurs utilisent au cours de l'année une diversité de territoires proches et éloignés de leur lieu de fixation. Cet ensemble de territoires correspond à ce que l'on a qualifié de territoire de mobilité d'un éleveur ou d'une communauté d'éleveurs. Quels sont ces territoires ? Par qui et comment sont-ils gérés ? Quelles sont les modalités d'accès et d'exploitation de ces territoires ? Avec l'obstruction des pistes de transhumance, comment les éleveurs font-ils pour y accéder ? Les pratiques de transhumances ont-elles évoluées avec la fixation de l'habitat ? Telles sont les préoccupations sur lesquelles se fonde cette analyse.

IV.1. La zone de sédentarisation de la famille : le territoire d'attache

Les éleveurs ont fixé leurs familles et une partie de leur bétail sur des territoires qui leur ont été affectés sur d'anciennes zones de transhumance. Après l'appropriation de

ces territoires, les premiers venus (bibbe wuro) ont accueilli de nouveaux habitants (jananbe). Ces derniers s'adressent au jawro du nouveau village mbororo avec une somme de 30 000 Fcfa. Ce dernier retient 10 000 Fcfa comme frais d'accueil et transmet le reste de la somme avec la demande d'installation au ar'do qui vient personnellement ou envoie un de ses fils indiquer une parcelle au nouvel arrivant où il peut s'installer et cultiver. Le nouvel arrivant doit s'acquitter régulièrement de la zakkat et de certaines collectes ponctuelles (umroore laamii'do) demandés par le laamii'do. Cependant, depuis longtemps, il n'y a plus d'espace à défricher ni à octroyer dans les deux territoires. Pour cette raison, les nouveaux arrivants n'obtiennent plus que des terres en prêt même pour y installer une habitation. La figure 11 présente les caractéristiques de ce territoire de fixation des éleveurs.

Pratiques agricoles

Statut du territoire - Reconnu par les autorités traditionnelles - Connu des autorités administratives - Accepté par les villages voisins

- Appropriés et exploités par les éleveurs

- Organisé sur le modèle peul avec à sa tête un chef (jawro)

- Allégeance au Laamii'do à travers le lawan et le sarkin saanou

- Parcelles appropriées et cultivées de manière individuelle par les éleveurs - Culture de maïs, de sorgho principalement et accessoire de l'arachide en association - Utilisation systématique de la fumure organique produite par le troupeau - Début d'utilisation de la fumure minérale, mais de manière anarchique

- Utilisation massive de manoeuvres pour les travaux

- Prêt et échanges de matériels de traction (charrues, corps sarcleurs, corps butteurs, charrettes)

- Autosuffisance alimentaire

- Logique d'organisation spatiale raisonnée au niveau collectif en auréole

- Au centre, le village regroupant les sièges des exploitations - Deuxième auréole constituée des parcelles strictement contigües aux habitations

- Troisième auréole constituée d'espace de pâturage et de parcage des animaux

- Des pistes à bétail pour la sortie et la rentrée des animaux pendant la saison des pluies

Organisation spatiale

TERRITOIRE D'ATTACHE

Activités et relations sociales

- Présence de services sociaux précaires (écoles, puits)

- Présence de mosquées en matériaux sommaires

- Habitat groupé par affinités claniques - Appuis divers des projets et programmes de développement (alphabétisation, sensibilisation, accompagnement, délimitation foncière...)

- Échanges et complémentarités entre les éleveurs

- Conflits latents entre les éleveurs

Pratiques pastorales

- Pâturages limitrophes pendant la saison des pluies

- Parcelles très rapidement pâturées à la récolte puis pendant la saison sèche - Parcages de nuits dans des barbelées pour la production de la fumure organique et la sécurité des animaux

- Installations pastorales (parcs de vaccination et forages

- Déficit fourragers en saison des pluies - Vaine pâture et parcours en libre accès - Tentatives infructueuses d'intensification - Petits ruminants attachés pendant la saison des pluies avec les veaux

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Figure 11. Caractéristiques du territoire d'attache

Les champs ont été strictement affectés de manière permanente aux premiers éleveurs
par l'ar'do avec l'assentiment du laamii'do. Du point de vue des droits exercés

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(pouvoirs de gestion au sens large), nous assistons à la prédominance de l'individualisation car il n'y a pas de champ commun au niveau des familles étendues ou lignages comme cela existait dans beaucoup de régions soudaniennes. L'acquisition de la terre est donc principalement le fait des droits permanents issus de la première occupation, mais aussi des modes traditionnels de transmission au sein des familles englobant les héritages et les dons. Les éleveurs reconnaissent les limites des parcelles de chaque membre des territoires. Ces limites assez visibles sont matérialisées par des pierres, des bandes enherbées ou des levées de terre faites à la charrue. Même si les limites des champs ne sont pas toujours très visibles, les éleveurs commencent à marquer les limites de leur territoire commun. Ils sont séparés par des touffes d'herbes ou des repères naturels comme un arbre, une termitière...

Le départ temporaire d'un éleveur propriétaire terrien ne met pas fin à son droit sur les parcelles qu'il possède. Ces dernières sont laissées en garde auprès d'amis ou entre les mains d'un membre de la famille restreinte. Ce détenteur de droits d'exploitation peut soit mettre en valeur la terre avec droit sur la récolte, soit la prêter à un ami ou la louer. Les revenus souvent modiques issus de cette location reviennent au locataire. A son retour, le propriétaire peut reprendre sa parcelle. Ces cas sont fréquents dans les deux territoires à cause notamment des voyages des jeunes chefs d'exploitation au Nigeria pour étudier le Coran ou des déplacements de certains éleveurs avec leurs animaux souvent sur une longue durée (2 à 3 ans). En effet, 2 à 3 éleveurs reprennent souvent le chemin du nomadisme (soit environ 10%). Ayant tenté une expérience de fixation avec construction d'une case et mise en culture de champs, ils estiment que leurs animaux ne se reproduisent pas normalement et qu'ils ne sont pas en bon état physique. Ils préfèrent donc quitter le village pour transhumer toute l'année avec leurs animaux. Certains éleveurs ayant perdu tous leurs animaux pour cause de maladie quittent également le village pour la ville pour faire du commerce ou pour d'autres villages pour être berger.

Le prêt est le mode privilégié d'accès à la terre pour les éleveurs qui viennent ponctuellement dans le village pour une saison des pluies afin d'y cultiver. Les autres formes de prêt se font sous la forme d'échange de travail avec les paysans des villages

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voisins mais cela concerne les parcelles qui sont situées à la limite de l'espace délimité pour le pâturage. S'ils acceptent de prêter de temps en temps quelques hectares à des connaissances, ils refusent systématiquement l'installation de personnes étrangères à leur clan dans les territoires, même s'ils ne se sentent pas encore à l'étroit.

Lorsqu'un nouveau Mbororo désire s'installer dans le territoire, certaines précautions sont prises. Tout d'abord, le jawro prend soin de vérifier s'il n'est pas mal intentionné en se renseignant sur ses antécédents dans les différents sites où il s'est installé. Ensuite, il le présente d'abord à l'ar'do puis au sarkin saanou. Cependant, il ne peut plus défricher de terre faute d'espace en friche disponible. C'est le jawro ou un autre chef d'exploitation qui lui octroie des parcelles partiellement vacantes appartenant à ceux qui sont partis en voyage ou en transhumance pour une longue durée.

Par contre, le droit individuel sur la terre ne confère pas le droit de contrôle social pouvant autoriser la vente. Dans les deux territoires en effet, le droit de vendre les terres n'est pas admis. Le chef d'exploitation peut accorder de manière provisoire à des étrangers des droits de culture, mais jamais il ne doit vendre le champ. Le don est donc rare en dehors de la famille. La transmission de la terre dans la plupart des cas se fait de plus en plus directement de père à fils. Lors du décès d'un chef de famille, les terres sont partagées entre ses enfants en âge adulte (mariés) ou exploitées par un membre de la famille avant la majorité des enfants.

Si les femmes possèdent généralement des animaux d'élevage en propriété, elles n'ont pas de champs distincts de ceux de leurs époux sauf les veuves qui continuent d'exploiter les parcelles laissées par le défunt mari si les enfants de sexe masculin sont encore en bas âge. Dès que leur premier fils se marie, il hérite des parcelles et prend en charge sa mère qui est de fait installée dans la concession. Le mode traditionnel de l'héritage et du don de terre n'empêche pas certains éleveurs, cependant minoritaires, d'acheter des parcelles ou d'en louer dans les villages voisins.

Les éleveurs exploitent un espace agropastoral reconnu ou autorisé par les autorités coutumières ou l'État qui constituent leur territoire d'attache. L'habitat y est construit en matériaux pérennes. Ils se sont intégrés au jeu politique local et régional et créent des organisations d'éleveurs copiées sur le modèle cotonnier, font du lobbying pour la

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reconnaissance des chefferies d'éleveurs, sollicitent des infrastructures socio-économique (écoles, routes, case de santé, etc.) et participent aux comités consultatifs (commune, terroir).

Les territoires d'attache sont généralement de surface très réduite, et composés d'un pâturage limitrophe, de parcs de nuit, d'installations pastorales (parc de vaccination, forage) et des parcelles individuellement cultivées par les familles (maïs, sorgho et rarement du coton) autour des habitations. Les parcelles sont rapidement pâturées dès la fin des récoltes pendant dabuunde. Puis, durant toute la saison sèche (dabuunde et ceedu), grâce au ratio nombre d'UBT/nombre d'ha cultivés qui varie en moyenne de 8 à 20 dans les UP des éleveurs et de 1 à 2 dans celles des agro-éleveurs, les déjections animales sont restituées sur les parcelles cultivées (Dongmo et al., 2007). Les producteurs créent des parcs de nuit ceinturés d'épineux qu'ils déplacent régulièrement pour enrichir convenablement les parcelles. L'excrétion fécale estimée à 1kg/100 kg de poids vif par 24 h (Landais et Guérin, 1992), est de 1,7kg/UBT au parc de nuit car le bétail y séjourne 14 h par jour (Dongmo, 2009). Le cheptel des éleveurs restituerait donc en moyenne 400 à 800 kg de fèces/ha/mois sur leurs parcelles cultivées, tandis que celui des agro-éleveurs restituerait seulement entre 50 et 100 kg de fèces/ha/mois sur les parcelles de ces derniers.

Le ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les résidus sont appétés/nombre d'UBT de l'UP varie de 0,25 à 0,75 et offre un important potentiel fourrager pour le cheptel des agro-éleveurs pendant la saison sèche (Dongmo et al., 2007). Avec des rendements de 1 t/ha de feuilles appétées de sorgho et de 3 t/ha de paille de maïs et de fanes d'arachide (Dongmo, 2009), le disponible fourrager est de 500 kg à 1 500 kg/UBT pendant la saison sèche dans ces UP des agro-éleveurs.

Par contre, au Cameroun, l'entrée précoce des troupeaux appartenant aux éleveurs sur les parcelles des agro-éleveurs, limite le stockage des résidus de culture. Le ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les résidus sont appétés/nombre d'UBT se situe en moyenne entre 0,04 et 0,07 dans les UP des éleveurs. Cela signifie que seulement 80 à 140 kg de résidus de cultures sont disponibles pour chaque UBT pendant la saison

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sèche. La vaine pâture dans les parcelles des agriculteurs et la transhumance de saison sèche sont donc incontournables.

Les territoires d'attache des éleveurs connaissent aussi un déficit fourrager en saison des pluies, en raison du défrichement des portions du pâturage qui conduisent dans certains cas à la disparition complète des pâturages ou tout au plus au maintien de reliques de pâturages dégradés.

L'action collective des éleveurs a surtout servi à faire reconnaître leur territoire d'attache, soit pour en faire respecter les contours, soit pour le sécuriser et acquérir une légitimité en termes de droit d'usufruit. Les éleveurs restent timides voire passifs et n'aménagent donc pas les pâturages du territoire d'attache, qu'ils utilisent comme un bien commun et le surexploitent.

En saison des pluies, l'affouragement journalier des troupeaux sédentaires (troupeaux de case) s'étend donc au-delà du territoire d'attache et essentiellement sur les terroirs avoisinants.

L'organisation politique dans les deux territoires est calquée sur le modèle peul. Les deux territoires ont à leur tête un jawro. Ce dernier joue le rôle de collecteur d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui sert de relais entre les populations et les résidents des villages voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes auprès des ar'do ou tout autre représentant du laamii'do comme celui qui est en charge de l'élevage, le sarkin saanou. L'élevage occupant une place très importante auprès de cette population, ce dernier fait de fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs le devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.

L'organisation politique dans les territoires de fixation est calquée sur le modèle peul. Ces territoires ont à leur tête un jawro qui joue le rôle de collecteur d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui sert de relais entre les populations et les résidents des villages voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes auprès des ar'do ou tout autre représentant du

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laamii'do comme celui qui est en charge de l'élevage, le sarkin saanou. L'élevage occupant une place très importante auprès de cette population, ce dernier fait de fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs le devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.

Les jawro ne passent pas leurs journées à la maison assis sous un arbre comme les chefs peuls. Ils n'utilisent pas non plus leurs habitants pour des corvées. Ils vaquent à leurs occupations comme tous les autres habitants. C'est ainsi qu'ils font paître les moutons et les veaux. Ils sont de plus en plus confrontés à la désobéissance des jeunes éleveurs qui commencent à s'émanciper et refusent de se soumettre à certaines règles ou ordres venant de la chefferie de Tchéboa.

Les jawro dans la communauté mbororo ne passent pas leurs journées à la maison assis sous un arbre comme les chefs peuls. Ils n'utilisent pas non plus leurs habitants pour des corvées. Ils vaquent à leurs occupations comme tous les autres habitants. C'est ainsi qu'ils font paître les moutons et les veaux. Ils sont de plus en plus confrontés à la désobéissance des jeunes éleveurs qui commencent à s'émanciper et refusent de se soumettre à certaines règles ou ordres venant de la chefferie comme celle de Tchéboa dans notre zone d'étude.

Le territoire de fixation est organisé autour de l'élevage. L'habitat est groupé en quartiers entourés par des champs de culture continue, ensuite vient l'espace des parcours. Cette organisation schématique évolue au cours des saisons. Si les 3 ensembles sont bien distincts en saison agricole, durant la saison sèche les éleveurs considèrent un seul ensemble comprenant les champs permettant la vaine pâture et les parcours qui sont en libre accès.

Les logiques d'organisation spatiale observées dans les territoires d'attache des éleveurs se raisonnent au niveau collectif. Elles montrent qu'au cours des différentes saisons, l'espace est structuré en différents niveaux d'organisation. L'élevage, dont l'importance est bien sûr primordiale, est organisé au niveau du territoire selon un consensus social lié à l'utilisation et la gestion de l'espace. Nous assistons à une organisation spatiale en auréoles. Au centre, se trouve le village où se regroupent les sièges d'exploitations. La deuxième auréole est constituée des parcelles strictement

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contigües aux habitations. Elle assure une fonction de production alimentaire pour les éleveurs pendant la saison des pluies. Pendant la saison sèche, elle est utilisée pour la vaine pâture pour l'alimentation et le parcage des animaux. L'espace de pâturage qui occupe la plus grande partie du territoire permet aux éleveurs de parquer leurs animaux la nuit après la généralisation des cultures dans le territoire. Les animaux y pâturent une partie de la journée avant de sortir du territoire à la recherche d'herbes plus abondantes aux abords des champs des villages voisins et des routes. Les territoires sont quadrillés par des routes pour la circulation des personnes et par des pistes à bétail pour la sortie des animaux. On note la présence dans l'espace de pâturage de parcelles appartenant aux agriculteurs des villages voisins. Ce qui constitue une violation des processus de concertation menée pour délimiter cet espace et la volonté de concertation autour de la gestion collective des parcours entre les différents acteurs (éleveurs, agriculteurs et autorités traditionnelles).

L'organisation groupée de l'habitat dans les territoires permet aux éleveurs de minimiser le gaspillage et la dispersion des terres notamment lorsqu'arrive la saison des pluies. Les cultures peuvent ainsi être mises en place de manière homogène et en auréoles concentriques autour de l'habitat, permettant d'éviter les dégâts. Entre les concessions, sont laissés pendant la saison des pluies, des petits espaces qui servent principalement de pâturage aux caprins et aux veaux qui sont attachés au piquet pendant la nuit. Dans la journée, ils sont déplacés aux abords des champs, toujours attachés.

Selon la durée du séjour, leur désir de se fixer et les moyens des éleveurs, l'habitat évolue de la case sommaire en branchage et pailles vers la case en terre avec un toit de chaumes à la maison en dur avec un toit de tôle. À la sortie ou à la périphérie des deux territoires sont construites des cases sommaires circulaires faites d'arceaux de branchage couverts de nattes ou de la paille. Ces huttes appartiennent aux derniers arrivants ou à ceux de passage dans le territoire.

En effet, à l'installation de chaque nouvel éleveur, l'espace qui lui est alloué est d'abord un champ sur lequel il pourra cultiver. Il y installe une case sommaire au milieu de la parcelle et ses animaux sont parqués autour de cette concession sommaire.

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En fait, l'éleveur cherche d'abord à se convaincre qu'il peut définitivement s'installer. Dans la plupart du temps, cette période d'observation dure deux à trois ans. Lors de ses déplacements avec ses animaux dans les différentes zones de transhumance au cours de l'année, il observe le pâturage et l'eau, il prend également le temps pour observer ses relations avec les autres éleveurs ou les agro-éleveurs de la zone. Il va dans les différents marchés pour voir les prix des animaux, des céréales, des produits vétérinaires... Il y rencontre également d'autres éleveurs qui sont installés ailleurs et qui lui parlent de leurs conditions de vie et d'exercice de leurs activités. Toutes ces données lui permettent donc de décider s'il va rester ou continuer son chemin. Ce n'est qu'à partir de ce moment qu'il décide de faire évoluer son habitat notamment en construisant une case en briques ou en terre.

La construction de cases rondes ou carrées avec des toits coniques faits de pailles constitue une étape importante dans le choix et de désir de l'éleveur de se fixer. Les modèles de cases construites sont largement empruntés aux agriculteurs guidar, massa ou toupouri des villages voisins. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui servent de manoeuvre pour la construction de toutes les cases dans les deux villages. Cet emprunt n'est pas un choix délibéré mais s'explique simplement pas le savoir-faire habituel des manoeuvres sollicités pour la construction des cases.

De plus, les femmes des éleveurs ne jouent plus aucun rôle dans la construction des cases comme lors des transhumances, ni les éleveurs eux-mêmes d'ailleurs. Depuis leur fixation, les éleveurs utilisent en effet systématiquement des manoeuvres issus de la population d'agriculteurs migrants. En effet, en se sédentarisant, les éleveurs et leurs femmes échappent à de nombreux travaux qu'ils font faire par des paysans pauvres en quête d'argent au cours de l'année. Ce transfert d'argent est un élément très important du processus de sédentarisation.

Alors que l'habitat n'avait que peu de place dans le mode de vie traditionnel des éleveurs transhumants, la salubrité, le confort, la construction en dur, tendent à s'imposer parmi les normes de construction lorsqu'ils se sédentarisent. Aujourd'hui, en l'absence de déplacement de toute sa famille, l'éleveur construit un habitat qui n'est plus marqué par sa précarité, son souci exclusif de l'immédiat. De nombreux éleveurs

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commencent à construire des maisons définitives, résistantes et confortables. Cette évolution amène une sorte de remodelage des formes et de la « substance » qui constitue la nature de l'habitat. C'est ainsi que les cases sont faites soit en terre pétrie, soit en briques. Aux formes rondes ont également succédé les formes rectangulaires avec des toits en tôle ondulée.

La concession est organisée selon la taille de la famille. Les familles monogames se contentent le plus souvent de deux constructions, une pour l'homme l'autre pour sa femme, jouant tous les rôles : protection des effets personnels et des personnes, mais aussi des réserves comme les récoltes, les semences, les provisions... Si les matériaux de construction des cases évoluent avec l'ancienneté de la fixation, la logique de disposition n'a pas évolué. Pour les familles monogames, la case du chef de famille se situe à gauche tandis que celle de la femme se trouve à droite. L'enclos est construit à l'est, et à proximité la case des jeunes.

La mobilité des troupeaux sur le territoire est facilitée par le regroupement des parcelles de culture en blocs aux abords des habitations (moins de 20% de la surface des deux territoires sont cultivés) et par le maintien de pistes à bétail pour sortir du territoire d'attache (départ en transhumance ou pâturage sur les parcours proches). La coordination pour le moment harmonieuse des deux activités de production - agriculture et élevage - au sein du territoire d'attache est favorisée par la forte cohésion sociale entre les éleveurs.

À la périphérie immédiate des concessions, les femmes cultivent des légumes et condiments (oseille, gombo, piment...) dans une première auréole de quelques mètres de large. Mais dans la plupart des cas, les environs immédiats des concessions sont constitués de champs de maïs. Malgré la grande tendance à la monoculture du maïs, quelques éleveurs pratiquent la culture de sorgho mbayeeri à la périphérie du territoire en association ou non avec de l'arachide.

Pendant toute la saison des pluies, l'espace agricole est dévolu aux cultures. Du fait de la présence des animaux dans le territoire et à proximité des habitations la nuit en début de saison des pluies jusqu'en mi-juillet, la mise en culture des champs se fait de façon ordonnée. En effet, les parcelles autour des concessions sont les premières à être

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semées. Pendant ce temps, les parcelles périphériques continuent à être fumées car les animaux ne sont pas encore partis en transhumance. A la fin de la fumure, les semis sont mis en place toujours après un labour à la charrue. Les animaux partent en transhumance et pour ceux qui restent dans le territoire, le parc de nuit est déplacé dans l'espace de pâturage.

Pendant toute la saison sèche, le territoire appartient aux animaux, c'est la période de la vaine pâture (nyayle). Les bovins et les ovins sont gardés par les bergers qui les font paître dans toute l'étendue du territoire. Pendant cette période de l'année, il n'y a aucune restriction sur la gestion du territoire du village. Aucune culture de contre saison n'est en effet pratiquée. Les caprins quant à eux sont attachés au piquet dans des grillages à cause des chiens des villages voisins. Ils sont nourris avec des résidus de récolte pendant la saison sèche, à l'herbe verte et aux fourrages arborés pendant la saison des pluies.

Les parcelles des éleveurs sont de forme quelconque contrairement aux champs des agriculteurs des villages voisins où la SODECOTON a imposé des formes quadrangulaires ou rectangulaires.

IV.2. Le voisinage du territoire d'attache : les territoires pastoraux de

proximité

Les territoires d'attache des éleveurs sont voisins à plusieurs territoires d'agriculteurs sur lesquels ils s'appuient pour alimenter leur cheptel bovin de case toute l'année (Figure 12).

Relations sociales

Fonctionnement

- Espaces de pâturage constitués d'interstices entre des parcelles cultivées, de jachères, de parcours naturels, de pistes à bétail, de routes, de points d'eau et de bas-fonds

- Recherche d'information sur l'état des récoltes

- Division du cheptel en petits lots pour accéder aux parcelles récoltés isolées

- Alimentation du cheptel bovin de case toute l'année

- Possibilité de pâturer les brousses, les zones incultes et les reliques de parcours délimités par l'administration ou la communauté

- Valorisation des résidus de cultures d'agriculteurs à la fin des récoltes - Circuit se terminant par un retour systématique au territoire d'attache - Distance parcouru par le bétail (7 à 15 km) - Pistes à bétail obstrués ou exiguë - Parcours morcelés

- Déplacements non coordonnés des animaux pour la recherche de pâturage

Statut du territoire

- Accords tacites non rémunérés avec les agriculteurs pour l'accès aux pâturages de proximité et aux résidus de récolte, - Conflits fréquents à cause des dégâts sur les cultures

- Utilisation des bergers salariés fils des agriculteurs

- Main d'oeuvre salarié pour les travaux agricoles fourni par les agriculteurs - Difficulté de négociation de l'amélioration de potentialités fourragers et de la gestion des parcours avec les agriculteurs

- Appropriés et exploités par les

agriculteurs des villages voisins

- Règles d'accès fixés par les agriculteurs

- Vaine pâture

- Sous l'autorité d'un jawro

- Allégeance au laamii'do à travers le lawan

TERRITOIRES PASTORAUX DE PROXIMITE

Pratiques pastorales

Pratiques agricoles

- Cultures de maïs, sorgho, arachide, coton...)

- Maraîchage au bord des mayos (maïs de contre-saison, légumes...)

- Dégâts fréquents sur les cultures

- Utilisation d'une main-d'oeuvre familiale et accessoirement des manoeuvres

- Utilisation accrue de la fumure minérale offerte à crédit à travers la culture du coton - Collecte de la fumure organique sur les parcours et les lieux de parcage nocturne des animaux pendant la saison des pluies

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Figure 12. Caractéristiques des territoires pastoraux de proximité

En saison des pluies, à cause de la présence des blocs de cultures, seuls les troupeaux de case dont l'effectif est limité parviennent à circuler pour pâturer des brousses, des zones incultes et des reliques de parcours délimités par l'administration ou la communauté. En saison sèche, ils valorisent les résidus de cultures d'agriculteurs s'ils estiment que les récoltes sont terminées. Les circuits de pâturage sur ces espaces fondamentaux qui constituent des territoires pastoraux de proximité, se terminent systématiquement par un retour journalier du bétail au territoire d'attache.

IV.2.1. Le territoire pastoral de proximité en saison pluvieuse

Pendant la pleine saison pluvieuse (nduungu), les espaces parcourus et valorisés par les troupeaux de case sont constitués d'interstices entre des parcelles cultivées, de jachères, de parcours naturels, de pistes à bétail, de routes, de points d'eau et de bas-fonds. Sur ces parcours, le bétail effectue journellement 7 à 14 km en 8 h de temps pour rechercher du fourrage et s'alimenter. La grande partie de ce trajet du troupeau (62 % du total) se trouve sur des espaces pastoraux légitimés (pistes à bétail, pâturages

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classés, collines), tandis que 27 % du trajet s'effectuent sur les interstices non cultivés situés à proximité ou entre les champs qui sont normalement exclus à l'élevage. La conduite du bétail sur les interstices est très risquée, à cause des dégâts occasionnés régulièrement sur les cultures qui génèrent souvent des conflits. La détermination des éleveurs à y faire paître leur bétail est liée à leur potentiel fourrager plus important que dans les parcours, mais aussi au fait que certains de ces champs ont été installés en empiétant sur les espaces réservés à l'élevage. La largeur des pistes à bétail fixée par la législation est de 50 m au minimum. Aujourd'hui, ces pistes dépassent rarement 5 m, ce qui rend difficile le passage de troupeaux et accentue les dégâts.

Encadré 1. Chaîne de pâturage d'un troupeau sédentaire au Cameroun

Pendant gataaje ou seeto (fin saison sèche-début saison des pluies), les animaux restés sur le terroir agropastoral broutent principalement là où l'herbe repousse vite : dans les bas-fonds (tchofol ou lougguere) et sur les zones en attente d'une mise en culture (soynere et n'guessa). A nduungu (hivernage), les jachères (soynere ou sabeere) et unités de collines (foukah, hossere), gagnent de l'intérêt, alors que les zones cultivées (n'guessa) sont exclues des parcours. Durant djaamde (fin de l'hivernage, saison de récoltes), les pâturages se font principalement le long des bas-fonds (tchofol, lougguere, fitaare), secondairement sur les jachères (soynere, sabeere) qui perdent de l'intérêt par rapport à la période précédente, et surtout sur les premiers résidus agricoles (n'guessa). La nuit, certains éleveurs installent temporairement le parc de nuit sur les collines (hossere) à l'écart des champs en attente de récolte. Durant dabuunde (vaine pâture, saison sèche froide), la récolte est finie, la grande majorité du temps de broutage se déroule dans le domaine agricole, sur les résidus (nyayle). Ensuite, tout au long de ceedu (saison sèche chaude), les troupeaux parcourent les parties du domaine agricole (n'guessa et soynere) épargnées par le feu, et les pâturages des zones inondables (tchofol, bolaaho, bomboru, fitaare) pour les repousses des herbacées vivaces. En fin de circuit de ceedu, les bergers émondent les ligneux fourragers pour alimenter les troupeaux.

Source : Dongmo et al., (2010)

Dorénavant, les éleveurs contestent tout morcellement des parcours sur les terroirs pastoraux de proximité. La tactique régulièrement déployée pour (ré) affirmer leurs droits consiste à diriger un broutage volontaire du bétail sur de nouvelles parcelles indument installées par les agriculteurs sur les parcours et les pistes à bétail, afin de les dissuader. Ils y expriment donc collectivement une appropriation qui se limite à sa défense à l'encontre d'une privatisation ou d'un accaparement par d'autres usagers du foncier et sa protection au profit d'une utilisation pastorale. En revanche, tout comme dans leur territoire d'attache, les éleveurs ne s'investissent pas pour améliorer le potentiel fourrager et la gestion de ces parcours. Ce désintérêt provient-il des difficultés à négocier avec les agriculteurs ou au contraire de la possibilité qu'ils ont encore d'envoyer une partie ou tout le troupeau en transhumance, bien loin du territoire d'attache ?

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IV.2.2. Le territoire pastoral de proximité en saison sèche froide

Dès la fin des récoltes, les troupeaux de case et les troupeaux transhumants revenus sur le territoire d'attache valorisent successivement les résidus de cultures des éleveurs, puis ceux des agriculteurs voisins durant toute la saison sèche dès que les productions sont sorties des champs. C'est pendant cette période de vaine pâture que le propriétaire peut décompter ses bêtes, faire le point avec le berger, et profiter de la fumure animale via le parcage du troupeau sur les parcelles.

La date d'ouverture de la vaine pâture est arbitraire. Avec le début des récoltes, les animaux commencent à revenir timidement dans les territoires d'attache en empruntant les routes ou les pistes de transhumance identifiées quelques jours avant pour éviter les dégâts sur les cultures. C'est la période de vaine pâture des résidus de culture (nyayle) dans le territoire d'attache et ceux des villages voisins où les champs de maïs et d'arachide semés précocement (en mai et juin) commencent à être récoltés.

Les éleveurs valorisent d'abord leurs propres résidus de cultures et ceux des agriculteurs qui les tiennent informés des parcelles dont les produits ont été précocement récoltés. Les éleveurs affirment leurs droits sur les résidus de cultures et anticipent parfois leur entrée sur la parcelle s'ils constatent que l'agriculteur propriétaire de la parcelle retarde la récolte. Face aux agriculteurs migrants, ils considèrent les résidus de cultures comme une contrepartie du fourrage qu'ils ont perdu suite au défrichement des grands parcours par ces derniers.

Les éleveurs qui sèment plus tard que les paysans leurs parcelles de maïs reviennent pour commencer la vaine pâture chez les paysans avant d'arriver sur leurs propres parcelles.

Les éleveurs prennent le soin au préalable de s'informer de l'état des récoltes par l'entremise de ceux restés dans le territoire. Les éleveurs ayant un nombre réduit d'animaux reviennent dans les territoires d'attache plus tôt (fin septembre) contrairement à ceux qui disposent d'un grand nombre d'animaux qui attendent trois semaines (mi-octobre), lorsque les récoltes sont fortement avancées. Ces derniers scindent leur troupeau en deux ou trois groupes et ne reviennent pas tous le même jour. Tandis qu'un premier groupe d'animaux rentre dans le village, les autres restent

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quelques jours dans les villages voisins pour y pâturer au fur et à mesure de l'avancée des récoltes.

L'installation dans les territoires se fait aussi progressivement. Les animaux sont parqués pour la nuit dans les hurum autour des parcelles. Après la traite, les bergers commencent par faire pâturer les animaux dans la zone de pâturage. Puis ils progressent prudemment dans les villages environnants à la recherche des champs récoltés. Les parcours journaliers sont assez courts (2 à 3 km). Cependant, la « course » aux parcelles récoltées s'impose à tous les bergers. La sortie des animaux se fait de plus en plus tôt le matin pour être les premiers à pâturer les parcelles nouvellement récoltées. Certains bergers de la même famille ou travaillant pour le même patron partent pâturer à deux. L'un suit les animaux et l'autre s'en va à la recherche des champs récoltés, identifie le passage pour y arriver et revient chercher son frère ou son collègue. S'il est seul à suivre ses animaux, le berger se lève très tôt le matin pour aller chercher les champs récoltés. Cette pratique est surtout le fait des enfants des propriétaires de bétail. Les bergers rémunérés le font très rarement. Le retour se fait également tard (autour de 19 heures 30). La traite du soir est ainsi reléguée au second plan et les stratégies laitières ne sont plus une priorité à cette période, il s'agit d'abord d'améliorer l'état d'engraissement du bétail en prévision de la deuxième moitié de la saison sèche caractérisée, par la rareté des ressources fourragères.

Dans le territoire d'attache, tous les éleveurs pâturent librement et gratuitement les différentes parcelles récoltées. Dans les champs des agriculteurs des villages voisins, c'est également le cas du fait du droit ancestral de vaine pâture. Si le propriétaire de la parcelle est présent, une autorisation lui est demandée. Sinon, le berger constate l'état de la récolte avant d'y pâturer. Les contrats de parcage sont rares, mais grâce à leurs bonnes relations, certains éleveurs peuvent être informés par certains agriculteurs du jour de la récolte pour venir pâturer gratuitement. Cependant, une modique somme de 500 ou 1 000 Fcfa peut être remise à l'agriculteur pour le remercier de son geste.

À partir du mois de décembre, les résidus de récolte dans les champs vivriers proches des habitations s'épuisent. L'aire de pâturage est plus importante qu'en novembre. Les

134

trajets sont plus longs (environ 5 km) dans la journée pour la recherche de parcelles cotonnières récoltées ou de repousses d'herbacées naturelles. Il s'agit de ressources localisées bien au-delà de la première auréole de cultures vivrières appartenant aux éleveurs, sur les territoires voisins. A cause des champs de coton non encore totalement récoltés, le berger doit emmener ses animaux plus loin pour qu'ils pâturent les repousses d'herbacées naturelles et les résidus d'autres champs.

Les petits éleveurs reviennent tous les soirs dans le territoire pour continuer à fumer leurs parcelles alors que ceux qui disposent de gros troupeaux passent quelque fois deux à trois nuits hors du territoire pour limiter les déplacements, sources de conflits. Certains éleveurs divisent leur cheptel en deux ou trois lots selon l'importance du troupeau. Un lot d'animaux revient passer la nuit dans le territoire pour fumer leurs parcelles et les autres passent parfois plusieurs nuits sur les espaces de pâturage voisins. Ceux qui ont des stratégies laitières recommencent à produire du lait, au moins avec le lot qui revient chaque soir au village à proximité des femmes qui commercialisent le lait. Tous les éleveurs complémentent leurs animaux pendant cette période avec du sel et/ou du natron ainsi qu'avec des écorces d'arbres et certaines plantes pour lutter contre les infections intestinales et les vers.

Durant le mois de juin les cultures sont mises progressivement en place dans tous les territoires situés au sud du bassin de la Bénoué. Les pluies sont plus régulières malgré des périodes de sécheresse qui surviennent certaines années. C'est la période au cours de laquelle les animaux rentrent au village en provenance de Bocki, Gouna ou Tchéboa. Les troupeaux reviennent pour quatre à cinq semaines entre juin et début juillet dans les territoires d'attache (tappugo ndunngu) pour plusieurs raisons. Il s'agit pour les bergers de présenter les animaux à leurs propriétaires afin qu'ils voient leur embonpoint et leur état sanitaire mais également pour vérifier leur nombre. Les éleveurs auscultent leurs bovins pour voir quelles femelles doivent rester dans le territoire d'attache pour la production de lait et quels males peuvent être utilisés pour le labour, ou encore pour certaines bêtes parce que leur état de santé ne leur permet pas d'aller en transhumance.

135

C'est également le moment pour les éleveurs de préparer leurs champs même si les semis de maïs ne débutent chez les Mbororo qu'à la moitié du mois de juillet. Les pâturages pendant cette période sont abondants autour des cases car l'espace réservé aux cultures n'est pas encore mis en culture. En pâturant dans les parcelles, les animaux laissent une fois de plus leurs déjections. Ensuite, les éleveurs le font dans le souci d'économiser les jachères voisines et les espaces de pâturages de saison des pluies dans les hurum qui les entourent et qu'ils exploiteront ensuite.

Lorsque les herbes fraîches et les cultures se généralisent (fin juillet) et que les cultures dans le territoire d'attache se mettent en place, les bergers sortent du territoire. Ils entrent dans les autres espaces non cultivés autour des villages voisins, au pied des montagnes dans des zones non cultivées, mais aussi au bord des routes. Le gardiennage est de plus en plus serré et la grande transhumance s'impose. Et par petits groupes, tout le monde se dirige vers les grands hurum (Kalgué, Dembo, Naddere).

IV.3. Les territoires de transhumance saisonnière

La transhumance saisonnière se déroule sur des zones bien éloignées et donc en discontinuité géographique par rapport au territoire d'attache.

IV.3.1. Territoires complémentaires pour la petite transhumance de

saison sèche chaude

La petite transhumance peut être considérée comme le déplacement de courte amplitude ou de courte durée des éleveurs mbororo avec leurs animaux (Figure 13).

Relations sociales

- Accès libre

- Les bergers font pâturer les

TERRITOIRE

COMPLEMENTAIRE POUR LA PETITE TRANSHUMANCE

Fonctionnement

- Manque de coordination collective pour le départ en transhumance entre les éleveurs - Conflits avec les maraîchers le long des berges

- Conflits avec les agriculteurs pour les dégâts sur les cultures lors du retour au territoire d'attache

- Déplacement de courte amplitude (20 km à partir du territoire d'attache)

- Séjour de courte durée (2 à 3 mois)

- Utilisation des berges de cours d'eau (mars - mai et juillet - septembre)

- Utilisation des petits hurum (mars - fin juin) - Départ en transhumance en rang dispersé à intervalle de deux à trois semaines selon les cas

- Pâturage peu fourni et de qualité médiocre - Les éleveurs ayant beaucoup d'animaux laissent une partie dans le territoire d'attache

- Utilisation des parcours naturels et notamment des fourrages arborés

- Réception des compléments alimentaires comme le tourteau de coton et le sel - Fin de la transhumance avec la généralisation des pluies (fin juillet)

Pratiques pastorales

Statut du territoire

- Bassins de transhumance non

juridiquement classés comme espaces pastoraux

- Statut pastoral précaire

- Non appropriés par des acteurs

- Exploités par les agriculteurs des villages voisins (berges pour le maraîchage, la riziculture)

- Exploités par les éleveurs de manière saisonnière

- Vaine pâture

Pratiques agricoles

- Cultures maraîchères le long des berges - Mise en place des culture vers la fin de cette transhumance (début avril)

- Dégâts minimes sur les cultures

- Retour des animaux dans le territoire d'attache pour la fumure des parcelles

animaux en traversant les villages

- Le retour se fait par route à

cause des cultures qui

commencent à être mise en place

136

Figure 13. Fonctionnement des territoires complémentaires pour la petite transhumance La petite transhumance concerne d'abord les petits troupeaux et se pratique à moins de 20 km du territoire d'attache. Deux territoires sont concernés par cette transhumance pendant des périodes bien distinctes : la berge de la Bénoué (mars - mai et juillet - septembre) et le hurum de Gouna (mars - fin juin). Les départs en transhumance pendant cette période se font en rang dispersé selon les types d'exploitations à un intervalle de deux à trois semaines. C'est chaque berger qui décide à quel moment partir, quel site choisir et quel itinéraire suivre. En effet, les petits éleveurs partent en transhumance plus tard que les autres. Le nombre réduit de leurs animaux leur permet de rester quelques jours de plus sur le territoire d'attache afin de pâturer les petits espaces dans ce territoire et dans celui des villages voisins. Les éleveurs traversent des villages en faisant pâturer leurs animaux en chemin avant d'arriver dans les territoires complémentaires. Par contre, le retour se fait par la route car les mises en place des cultures commencent à se généraliser.

Le début du mois de mars, en pleine saison sèche chaude (ceedu), est un moment très difficile pour l'alimentation des animaux car le pâturage est peu fourni et de qualité

137

médiocre. Le manque d'eau et la rareté des résidus de culture aggravés par le début de la préparation des champs pour la prochaine campagne agricole avec le brûlis des restes des pailles de culture sont les principaux facteurs qui déterminent les déplacements. Ainsi, après l'épuisement des résidus des cultures pluviales, le cheptel transhumant (horedji) effectue pendant la saison sèche chaude (ceedu : février-mars-avril), de petites transhumances dans les bassins de production céréalière de contre saison (sorgho muskuwaari cultivé sur les argiles gonflantes et riz en périmètres irrigués) ou dans les zones inondables pourvues d'importantes superficies de pâturage naturel situées sur un rayon de 50 à 75 km. Il peut être accompagné de certains animaux du cheptel de case (souredji) si les territoires d'attache et de proximité sont dépourvus de zones inondables accessibles au bétail. En fin de saison sèche chaude (avril), certains éleveurs non satisfaits si la saison a été rude pour le bétail, descendent au sud pour bénéficier des pluies précoces pendant 1 mois. Dans tous les cas, le bétail doit retourner sur le territoire d'attache (mai, juin, juillet) pour finaliser la fertilisation des parcelles à cultiver.

Les éleveurs qui ont beaucoup d'animaux en laissent une partie dans le territoire d'attache surtout pour la fumure des parcelles, mais aussi pour des besoins de production d'un peu de lait pour la famille et de complémentation ou de soin aux animaux mal en point. Ces derniers s'alimentent à partir des parcours naturels, principalement les fourrages arborés lorsqu'ils ne sont pas détruits par les feux. Ils reçoivent également des compléments alimentaires comme le tourteau de coton et le sel.

Ces bassins de transhumance ne sont pas juridiquement classés comme espaces pastoraux car cultivés ou inondés en saison des pluies. Leur rôle fondamental pour l'élevage est incontournable. Leur statut pastoral reste précaire du fait de la concurrence à venir entre les éleveurs qui en font un usage pastoral incontournable en saison sèche et les agriculteurs qui pourraient être amenés à les défricher pour implanter des cultures de contre saison (maraîchage, riziculture, etc.). Leur gestion durable ne peut émaner que d'une concertation entre les autorités traditionnelles en

charge, les services administratifs concernés et les fédérations d'éleveurs et d'agriculteurs.

La fin de la transhumance dans cette zone s'achève avec la généralisation des pluies, fin juillet. Elle peut également être précipitée par les dégâts dans les champs à proximité, obligeant les éleveurs à s'enfuir plus tôt que prévu. Au retour, toutes les pistes sont fermées par les champs. Les animaux ne peuvent passer qu'en bordure de la route.

IV.3.2. Territoires délimités pour la grande transhumance en saison des

pluies

La mise en culture des parcelles et l'exigüité des parcours sur les territoires d'attache et ses environs amènent les détenteurs de grands effectifs de bétail (80 têtes et plus) à effectuer une grande transhumance vers des sites éloignés (75 à 100 km) reconnus ou délimités par l'administration ou l'autorité traditionnelle (Figure 14).

Relations sociales

- Accès libre à ces territoires

- Les bergers pâturent les animaux dans la zone délimitée

- Les autorités traditionnelles contrôlent l'accès à ces territoires - Paie d'une taxe d'accès par les éleveurs

- Influence des hommes d'affaires et citadins pour l'accès à ces territoires

- Tragédie des communs

TERRITOIRE DELIMITE POUR LA GRANDE TRANSHUMANCE

Fonctionnement

- Manque de coordination collective pour le départ en transhumance entre les éleveurs - Conflits à l'intérieur de ces zones à causes des cultures des éleveurs et des agriculteurs - Échanges entre les éleveurs et les agriculteurs des villages voisins (lait, céréales) - Vente de lait sur les marchés voisins - Utilisation du téléphone portable pour les échanges avec les éleveurs des territoires d'attache et avec les citadins

- Déplacement de longue amplitude (75 à 100 km à partir du territoire d'attache) - Séjour de courte durée (1 à 2 mois) - Utilisation des parcours naturels

- Faible complémentation des animaux - Départ en transhumance en rang dispersé à intervalle très rapprochées (2 à 3 jours selon les cas)

- Pâturage fourni et de qualité bonne - Les éleveurs ayant beaucoup d'animaux laissent une partie dans le territoire d'attache pour le lait et le labour

- Fin de la transhumance avec le début des récoltes (fin septembre)

- Utilisation de bergers non peuls par certains éleveurs

- Risques de prises d'otages contre de fortes rançons

Pratiques pastorales

Statut du territoire - Zones de transhumance juridiquement classés comme espaces pastoraux

- Statut pastoral plus ou moins stable selon la personnalité de l'autorité traditionnelle compétente

- Appropriés par des acteurs (éleveurs et agriculteurs des villages voisins)

- Exploités par les éleveurs de manière saisonnière pendant l'hivernage

- Vaine pâture

Pratiques agricoles - Une violation permanente des agriculteurs pour la culture du maïs et du sorgho pluvial - Pratique de l'agriculture de case par les éleveurs

- Dégâts minimes sur les cultures

- Utilisation de la fumure organique

- Utilisation importante de la main-d'oeuvre par les éleveurs pour les activités agricoles

138

Figure 14. Caractérisation des territoires délimités pour la grande transhumance

139

Il s'agit plus généralement de la transhumance du cheptel horedji vers ces sites de grands parcours de plaines ou de collines difficilement cultivables. À la fin de l'hivernage, les animaux retournent sur le territoire d'attache, pour valoriser les résidus de cultures pluviales et fertiliser les parcelles des éleveurs. L'accès aux pâturages éloignés pour la grande transhumance d'hivernage passe à l'aller comme au retour par la route. Les pistes de transhumance délimitées traversent les villages et sont obstruées par les cultures.

Sur ces sites, les agriculteurs migrants cultivent de plus en plus et pourraient prochainement ne plus respecter les limites de ces grands parcours indispensables au pastoralisme. De même, certains éleveurs commencent à y délocaliser une partie de leur troupeau et pourraient à moyen terme s'y sédentariser et y développer l'agriculture de la même manière que sur leurs territoires d'attache originels.

La grande transhumance (ruumirde) (juillet - octobre) intéresse de plus grands effectifs et des parcours de grande surface partagés avec un grand nombre d'éleveurs dans le hurum de Kalgué à l'ouest et la région de Dembo au nord peu peuplée du fait du relief. Les gros éleveurs vont en transhumance plus tôt (dès la mi-juillet) et vont plus loin à cause du nombre assez élevé des animaux dont ils ont la garde. Les éleveurs n'ayant pas assez d'animaux peuvent rester sur place ou juste à côté du territoire d'attache, se contentant des espaces de pâturage dans le territoire et autour des territoires voisins.

Pendant ce temps, les gros éleveurs convoient leurs animaux en rangs dispersés et en petits groupes vers les espaces de pâturage. Cette division du troupeau est choisie afin d'éviter les dégâts des cultures en se frayant un chemin et pour valoriser au mieux les pâturages et pour dissimuler leur capital aux yeux des preneurs d'otage qui les rançonnent et des autorités traditionnelles qui les taxent.

Dans certaines zones de grande transhumance, les éleveurs très réguliers ou socialement bien intégrés, délocalisent une partie du troupeau pour atténuer divers risques et contraintes liés aux longs déplacements annuels. Le bétail est confié à un berger, généralement un membre de la famille, qui s'installe de façon quasi-permanente sur le site, et ne ramène plus le troupeau sur le territoire d'attache originel.

140

Des échanges d'animaux se font régulièrement entre les troupeaux délocalisés qui accueillent les veaux sevrés, et les troupeaux de case qui s'enrichissent de vaches laitières accompagnées de leurs veaux. Si le site se révèle intéressant, les bergers ressortissants d'un même clan ou d'une même grande famille agrandissent le noyau familial (mariage, rapatriement de femmes et d'enfants) et parviennent à terme, à développer un nouveau territoire d'attache sur lequel ils pratiquent également l'agriculture.

Bien plus qu'une simple stratégie d'élevage, la délocalisation du troupeau participe d'une stratégie d'essaimage des familles d'éleveurs et de sécurisation et fructification de leur patrimoine animalier. Certes, intéressante à court terme pour les familles d'éleveurs, cette délocalisation ne peut être durable pour l'élevage que si elle échappe au modèle préexistant de gestion des ressources naturelles sur les territoires d'attache anciens. Tout développement agricole sur ces zones d'accueil, doit être encadré et planifié de façon à préserver ses fonctions pastorales.

Sur les territoires d'attache et de proximité, les éleveurs accèdent gratuitement aux espaces et aux ressources, en s'efforçant de respecter et de faire respecter les règles traditionnelles. Par contre, sur les territoires de transhumance, ils sont étrangers et doivent payer une redevance forfaitaire. Un montant de 20 000 à 40 000 FCFA par troupeau est payé au sarkin saanou (ministre traditionnel de l'élevage). Cette redevance devient symbolique lorsque le transhumant s'intègre socialement dans le terroir et peut ultérieurement y délocaliser une partie de son troupeau ou s'y sédentariser.

IV.4. Territoire illicite de mobilité pastorale : les aires protégées

Le Nord-Cameroun abrite deux types d'espaces : un réseau d'aires protégées dont la vocation est la conservation de la biodiversité et des espaces de production au sein desquels les sociétés agro-pastorales pratiquent l'élevage transhumant et une agriculture souvent pionnière. Les logiques qui régissent l'accès à ces deux types d'espace sont extrêmement différentes et souvent conflictuelles. Malgré cet antagonisme apparent entre conservation et production, les décideurs et les organisations internationales soutiennent de plus en une approche inscrivant les

141

programmes de conservation de la faune sauvage et de ses habitats dans les logiques de développement durable (Binot, 2004).

Les migrations et les transhumances autour et dans les aires protégées ont pris de l'ampleur ces dix dernières années. L'emplacement de ces aires protégées dans la région du Nord constitue une des raisons de cette pression. En plus des terres de culture et le pâturage recherché, cette zone a position stratégique sécurisée entre l'Extrême-Nord Saturé et dégradé, l'Adamaoua convoité, la RCA en guerre, le Tchad désertique et le Nigeria confronté aux exactions de la secte islamiste boko haram. Tous ces pays exercent de nombreuses activités commerciales entre-deux et pratiques de manière extensive l'élevage mobile. La région du Nord en général et les parcs nationaux en particulier sont ainsi très convoités. Déjà en 1981, Mahamat Amine (1981) avait fait prendre conscience à la fois de l'augmentation de la transhumance locale et transfrontalière et les activités de chasse menaçant la faune et la flore de la réserve Faro, qui venait d'être érigé en un parc. En effet, la région du Nord dans laquelle se localisent les parcs est une zone de transit. Elle est divisée administrativement en quatre départements (Bénoué, Faro, Mayo Louti, Mayo Rey) et Garoua est la capitale régionale. Elle partage une frontière commune avec la région de l'Adamaoua au sud, avec l'Extrême-Nord au nord, le Nigeria à l'ouest, le Tchad et la République centrafricaine, à l'est. Cette position géographique de la région du Nord du Cameroun lui procure l'avantage d'échanges transfrontaliers importants et diversifiés (Figure 15).

Limite nationale
Limite régionale

Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique N°18

0 80 km

LEGENDE

Echanges Parc National

Barrage de Lagdo

N

Faro

Z13

Z16

Z18 bis

Z18

Z18

EXTRÊME-NORD

Z14

ADAMAOUA

Z26

Z2

Z15

Z5 Z1

Z18

Z4

Z7

Z9

Z3

Z10

Z25

Z24

Z11

Z22 bis Z22

Z20

Z12

Z17

Z23

Z21

Z27

142

Source : Enquêtes de terrain (2014)

Figure 15. Échanges transfrontaliers autour des parcs nationaux et des zones d'intérêt

cynégétique

À cause de leur enclavement, le Tchad et la RCA transitent par le Cameroun pour

évacuer leurs produits d'exportation. La région est également une zone de transit pour les bovins tchadiens en partance pour les marchés nigérians mais aussi en destinations des différents marchés de bétail du Cameroun Les Nigérians quant à eux achètent du

bétail et des céréales sur les marchés camerounais situés dans la région du Nord, de l'Adamaoua et de l'Extrême-Nord. Dans certaines villes et villages proches des

frontières, les échanges se font avec le Naïra, la monnaie nigériane. Un nombre important de braconniers dans cette région du Cameroun viennent d'ailleurs du

Nigeria. La croissance rapide des activités commerciales de cette région est une conséquence de sa frontière poreuse avec un géant économique comme le Nigeria et un pays émergent économiquement comme le Tchad (Djamen Nana, 2008).

La figure 16 présente les caractéristiques et le fonctionnement des territoires illicites pour la mobilité pastorale.

Relations sociales

- Accès en principe interdit pour les agriculteurs, les éleveurs, les cueilleurs, les chasseurs

- Forte amende en cas de contravention

- Corruption des gardes-chasses pour l'accent clandestin

- Information au préalable du sarkin saanou à l'arrivée des éleveurs et rôles ambigus des chefs traditionnels

TERRITOIRES ILLICITES DE MOBILITES PASTORALES

Modes d'accès

- Complicité avec les gardes-chasses pour l'accès illicite dans les parcs

- Indulgence et connivence avec les autorités traditionnelles lors du séjour autour et dans les parcs

- Abattage des animaux d'éleveurs par les gardes-chasses peu véreux ou mal rémunérés - Échanges entre les éleveurs et les agriculteurs des villages voisins (lait, céréales) - Vente de lait sur les marchés voisins

- Incursion régulière dans les parcs à la recherche d'un pâturage de bonne qualité et abondant

- De nombreux campements installés à l'intérieur des parcs

- Les éleveurs d'origine camerounaise viennent du Nord, de l'Extrême-Nord et de l'Adamaoua

- De nombreux éleveurs venant de l'étranger (Tchad, Nigéria, Niger)

- Les éleveurs parcourent de longues distances pour atteindre ces parcs (150-300 km)

- Transhumance pendant la saison sèche (janvier - juin)

- Construction des campements dans les zones périphériques des parcs , mais aussi installation dans les villages autour des parcs

Activités pastorales pratiquées

Statut du territoire

- Zones classées juridiquement comme espaces protégés pour la biodiversité - Géré et contrôlé par les autorités administratives et des exploitants privés - Approprié par les gestionnaires et supervisé par les gardes-chasses

- Interdit de pâturage, de culture, de chasse et de cueillette

Activités agricoles pratiquées

- Terres fertiles et convoitise des

populations riveraines

- Une violation permanente des agriculteurs pour la culture du maïs et du sorgho pluvial dans les extrémités intérieures

- Une agriculture sur-brûlis dégradant la végétation

143

Figure 16. Caractéristiques des territoires illicites de la mobilité pastorale

IV.4.1. Les acteurs illicites transhumant dans les aires protégées

Tous les éleveurs de bétail qui pâturent dans les aires protégées de la région du nord ne sont pas de nationalité camerounaise. Nombreux viennent du Nigeria, du Niger et du Tchad. Il faut préciser qu'au niveau de la nationalité, les personnes impliquées dans la transhumance dans le Parc National de Faro ne sont pas les mêmes que ceux qui sont impliqués dans le Parc national de la Bénoué. En effet, l'origine des éleveurs et leur localisation dans les différents parcs est d'influencée directement par leur situation géographique. Bien qu'il existe des éleveurs camerounais dans tous les parcs, il y a plus de Tchadiens dans le Parc national de la Bénoué et plus de Nigérians dans le parc national de Faro.

Il convient de noter que le Parc national de la Bénoué est situé à la frontière nord-est de la région du Nord, partageant ainsi une distance 10 km avec le Tchad au niveau notamment du village de Gambou. Les villages de Malih et Laro sont quant à eux situés le long de la frontière du parc national de Faro au sud-ouest de la région du

144

Nord à seulement 10 km de la frontière avec le Nigeria. Le tableau suivant donne plus de détails sur l'origine des éleveurs qui transhument dans les parcs.

Tableau III. Nationalités des éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du Nord-

Cameroun

Parc

Pays d'origine

Total

Cameroun

Tchad

Nigeria

Niger

Parc National de la Bénoué (107)

75

2

30

-

107

Parc National de Bouba Ndjidda

14

31

-

-

45

Parc National du Faro

34

4

82

12

132

Total

123

37

112

12

284

Pourcentage

43,3%

13%

39,4%

4,3%

100%

Le tableau III montre un fait important : il y a plus d'étrangers qui paissent dans les

parcs dans le Nord du Cameroun que les nationaux. Ces derniers viennent des trois régions septentrionales du Cameroun à savoir la région du Nord, qui est l'hôte, la

région de l'Extrême Nord, ainsi que la région de l'Adamaoua.

Tableau IV. Régions d'origine des éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du

Nord-Cameroun

Parc

Région d'origine

Total

Nord

Extrême-Nord

Adamaoua

Parc National de la Bénoué

53

2

20

75

Parc National de Bouba Ndjidda

6

4

4

14

Parc National de Faro

7

8

19

34

Total

66

14

43

513

Pourcentage

53,6%

11,38%

35,1%

100%

Le tableau IV montre que le Parc National de la Bénoué est celui qui reçoit beaucoup plus d'éleveurs transhumants et que la plupart viennent de la région du Nord. De nombreux éleveurs viennent également de la région de l'Adamaoua. Les grandes villes de départ sont Tcheboa, Tchamba, Voko et Poli pour le Parc National de faro ; Barnake, Touroua, Tcheboa, Ngong, Gouna et Gashiga pour le Parc National de la Bénoué ; Koum, Touborou, Madingring, Galke, Tcholleri et Mayo Djerandi pour le Parc National de la Bénoué.

En ce qui concerne les éleveurs transhumants en provenance de la région de l'Adamaoua, ils viennent pour la plupart des départements du Faro et Deo, de la Vina et du Mbéré. Plusieurs éleveurs qui transhument dans le Parc National de la Bénoué en provenance de cette région viennent de Tignère.

145

Il convient de noter que les éleveurs parcourent de longues distances pour atteindre ces parcs. L'analyse des itinéraires utilisés par les éleveurs avant d'arriver dans le Parc National de la Bénoué donne les trajectoires suivantes :

1. Tcheboa - Lagdo - Poli - Gouna - Tcholliré - Sakdjé ;

2. Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé ;

3. Gashiga - Garoua - Ngong - Na'ari - Tatou - Mayo Bocki - Gouna - Guidjiba ;

4. Barnaké - Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé - Gamba - Leunda - Parc National de la Bénoué - Holbali.

IV.4.2. Plusieurs raisons évoquées par les éleveurs pour justifier leur

mobilité dans les parcs

La recherche de pâturage vert pour le bétail constitue la principale raison évoquée par les éleveurs pour justifier la transhumance pendant la saison sèche. Tous les éleveurs interrogés, nonobstant leur pays ou région d'origine évoque l'absence de pâturage dans la région d'origine (Figure 17) dans tous les parcs.

140 120 100 80 60 40 20 0

 
 
 
 

Recherche du pâturage

Transit pour les marchés de bétail

Conflits avec d'autres éleveurs Pression des champs

Conflits avec les agriculteurs Fuite des taxes

Instruction des propriétaire Trop d'animaux

Parc National de la Parc National du Faro Parc National de

Bénoué Bouba Ndjidda

Source : Enquêtes de terrain (2014)

Figure 17. Raisons de mobilité évoquées par les éleveurs enquêtés

146

En dehors de la recherche du pâturage pour leur bétail, les éleveurs évoquent plusieurs autres raisons qui les poussent à quitter leur zone d'origine avec leur bétail. Ces raisons varient cependant en fonction des parcs. Dans le parc National de la Bénoué, 24% des éleveurs sont en transit vers le marché du Nigeria et du Cameroun notamment à Adoumri. Ces éleveurs qui entrent au Cameroun avec leurs troupeaux par le village de Gambou ne respectent pas la piste à bétail qui passe par Madingring, Mayo Ndjerandi, Koum, etc. Ils préfèrent traverser le parc de manière horizontale et arrivent à Koum avant de continuer à Adoumri.

Bien qu'ils prétendent ne pas nuire au parc, il a été observé qu'ils campent dans le parc et y font pâturer leur bétail. Toujours dans le même parc, d'autres éleveurs considèrent l'invasion des zones de pâturages par les agriculteurs et les conflits avec les autres éleveurs comme autres raisons de leur départ. Dans le Parc National de Faro, les éleveurs évoquent le trop plein d'animaux, les conflits avec les agriculteurs et les consignes des propriétaires des animaux pour justifier leurs mouvements. À ces raisons, il faut ajouter la fuite des taxes traditionnelles évoquée par les éleveurs qui transhument dans le parc de Bouba Ndjidda.

L'exigence de la transhumance, à cause de la longue distance et de nombreux obstacles à traverser comme les collines, n'empêche pas les femmes de participer à cette activité. Elles accompagnent leur mari dans ces déplacements et participent à la cuisson des aliments, la vente du lait et même la conduite des animaux. Dans 90% des campements visités, on note la présence des deux sexes. Deux groupes ethniques mbororo ont été rencontrés dans les parcs : les Danedji et les Uda qui représentent respectivement 98 et 2% du nombre total d'éleveurs. Les Uda sont beaucoup plus impliqués dans l'élevage de moutons. De plus en plus de familles entières partent pour la transhumance avec femmes et enfants même en bas âge. Les déplacements commencent en effet au mois de janvier.

IV.4.3. Mouvements des animaux dans les parcs

La transhumance dans les différents parcs commence au mois de Janvier, lorsque les éleveurs commencent à arriver avec leur bétail. La mise en place complète se fait au mois de mars. Dès leur arrivée, les éleveurs construisent leurs campements dans les

147

zones périphériques des parcs tandis que d'autres s'installent dans les villages autour des parcs. Ces derniers informent au préalable le Sarki Saanu de leur arrivée. Ce dernier, affirment certains éleveurs les accompagne, même si c'est en secret, dans leur passage dans la zone. La transhumance se termine en mai pour les uns et en juin pour les autres avec les premières pluies et la mise en place progressive des champs surtout pour ceux qui viennent de loin notamment du Tchad et du Nigeria. Les autres attendent la fin du mois de juin et le début du mois de juillet pour repartir.

Les éleveurs transhumants qui pâturent dans les parcs ont des préférences pour certaines zones. Après avoir campé aux alentours ou dans les zones tampons, ils peuvent facilement se déplacer dans les parcs pour y faire paître leurs animaux. Figure 18 montrent les zones préférées dans les parcs.

LEGENDE

Limite nationale

Limite régionale

Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique N°18

Parc National

Z18

EXTRÊME-NORD

Z18

Barrage de Lagdo

Zone convoitée pour le pâturage

Zone préférée dans les ZIC pour le pâturage Zone peu intéressante pour la pâturage dans

Z14

Z7

Z23

Z11

Z9

Z13

Z10

Z4

les ZIC

Z18

Z21

Z12

Z5

Z1

Z3

N

Faro Z18

Z20

Z17

Z16

Z26 Z24

Z2

Z15

Z18 bis

Z27

ADAMAOUA

Z22 bis Z22

0 80 km

Source : Enquêtes de terrain (2014) Figure 18. Zones préférées par les éleveurs transhumants dans les aires protégées

Dans le Parc National de la Bénoué, les zones 10, 11, 12, 21 et 23 sont hautement préférées pour pâturage. La partie du parc le long de la route de Koum à travers le Mayo Djerandi, de Madingring à Gambou est exploitée à la fois par les transhumants camerounais et étrangers. La moitié nord du parc est la zone préférée des éleveurs tchadiens qui viennent facilement à partir de Gambou. C'est une zone où la

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surveillance par les patrouilles est rendue difficile parce qu'elle est accidentée. Dans le Parc National de Bouba Ndjidda, la zone 25 est préférée par les transhumants du Tchad qui y viennent pâturer tout le temps. Quant au Parc National du Faro, on rencontre de nombreux camps dans les zones 16, 18 et 18b. Les Nigérians et Nigériens préfèrent plus entrer dans le parc par la confluence du Mayo Faro et du Mayo Deo. Ils campent dans les villages de Malih et de Laro et se déplacent dans le parc en traversant le Mayo Deo à volonté (Figure 19).

EXTRÊME-NORD

Z18

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N

Faro

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Z18 bis

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ADAMAOUA

Z22 bis Z22

0 80 km

LEGENDE

Limite nationale
Limite régionale

Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique N°18

Site de campement des éleveurs

Incursions des éleveurs dans les parcs

Parc National

Barrage de Lagdo

Source : Enquêtes de terrain (2014) Figure 19. Campements des éleveurs et leurs incursions dans les parcs

Dès leur arrivée, les éleveurs transhumants identifient un emplacement pour implanter leur campement qui est de préférence choisi dans les zones tampons des parcs. La localisation est toujours choisie de telle manière qu'ils puissent avoir accès aux pâturages suffisants pendant au moins cinq mois. Au début, ce lieu est choisi en relation avec la position des patrouilles des éco-gardes. Les huttes sont ensuite construites à l'aide de branches des arbres coupées et d'autres matériaux comme des sacs de Polythane transportés tout le temps depuis les lieux d'origine. Les lits sont faits à partir de branches d'arbustes.

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Les camps sont utilisés comme des lieux de repos permanent tout en se déplaçant dans le parc et ses zones tampons pour faire paître le bétail. Les femmes restent en permanence dans les campements pour préparer la nourriture pour les hommes qui rentrent manger tous les soirs. Chaque famille dispose ainsi d'ustensiles de cuisines complets (marmites, plats, couteaux...). Les éleveurs transhumants dans les parcs achètent également d'autres produits nécessaires dans les villages environnants (maïs, savons, sel...). Ils sont donc identifiés par les villageois avec lesquels ils vivent en harmonie. Certains restent mêmes dans les villages et paissent leurs animaux dans les zones du parc. Les bovins retournent tous les soirs dans les campements.

Bien que des camps soient introuvables dans les parcs, on a remarqué que c'est simplement une stratégie utilisée par les éleveurs pour prouver leur honnêteté. Des traces de pâturage ont été en effet identifiées dans le Parc National de la Bénoué en amont de la Bénoué. Ces traces ont été confirmées par de nombreux travailleurs du parc qui affirment que c'est la première fois qu'ils atteignent ce point.

Conclusion

Au Nord-Cameroun, le territoire d'élevage correspond finalement à un assemblage de territoires complémentaires raisonné par l'éleveur pour alimenter son bétail sur le pas de temps minimal d'un an. Ces territoires évoluent au fil du temps en fonction de la disponibilité des biomasses végétales, des règles d'accès, de la date d'arrivée des pluies, et de l'avancée des parcelles agricoles. Les éleveurs y ont des droits d'usage plus ou moins affirmés selon les cas. Le droit de vaine pâture, déjà contesté, pourrait être complètement remis en question par les agriculteurs s'ils trouvent les appuis politiques suffisants. Dans ce cas, ils pourront contrôler la totalité des résidus de culture pour alimenter leurs animaux, produire plus de fumure organique ou développer les systèmes de culture sur couverture végétale (SCV).

Malgré la fixation des hommes, la mobilité reste ancrée dans les pratiques de la conduite du troupeau chez tous les éleveurs au Nord-Cameroun. Depuis quelques années, le renforcement des aléas climatiques (arrivée tardive ou précoces des pluies), l'insécurité et la résurgence des conflits avec les agriculteurs amènent les éleveurs à changer de stratégie de transhumance parfois chaque année même si les itinéraires et

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les lieux restent généralement les mêmes. Au niveau des pouvoirs publics, les mécanismes de régulation, de protection des éleveurs ne fonctionnent pas bien. Les éleveurs adoptent de plus en plus des stratégies individuelles pour accéder aux petits espaces de pâturages. C'est ainsi qu'on assiste à un amenuisement des décisions collectives autour de la transhumance à cause de la compétition entre éleveurs pour l'accès aux espaces de pâturage.

La pratique de l'agriculture avec le souci de fertiliser les parcelles a aussi amené les éleveurs à modifier le calendrier de transhumance et a favorisé le recours aux bergers salariés, le propriétaire du bétail cherchant plutôt à rester dans son village et près des parcelles cultivées. Le chef d'exploitation souhaite en effet garder un oeil sur ses champs et le développement des transports motorisés et de la téléphonie mobile lui permet de se rendre rapidement si besoin, sur les lieux de transhumance.

Même si l'élevage reste au centre des activités des éleveurs, la sédentarisation les pousse à s'occuper différemment du bétail. Le troupeau est de plus en plus confié à des salariés pour d'une part maximiser l'accès aux divers espaces de pâturage morcelés en scindant le grand troupeau en sous-unités, et d'autre part, pour scolariser les enfants traditionnellement affectés au gardiennage.

L'appui au pastoralisme passe par des incitations à une intensification partielle et progressive des systèmes d'élevage, en partant de l'hypothèse que la mise en culture de certaines portions des parcours à des fins de production fourragère peut être plus productive que sa conservation dans le statu quo de production primaire. Mais, pour cela il faut apporter des solutions techniques robustes (choix de plantes fourragères et d'itinéraires techniques) et une logistique adéquate (formation et information, disponibilité en intrants) pour accompagner les éleveurs qui acceptent d'investir dans ce nouveau modèle productif du temps de travail.

Aujourd'hui, la gestion des territoires d'élevage ne peut pas être séparée de celle des territoires ruraux et des autres acteurs. Les différents responsables coutumiers ne parviennent plus à régler seuls, les problèmes qui se posent sur ces espaces. Les processus actuels de décentralisation de la gestion du territoire doivent aboutir à l'élaboration de conventions locales et de règles de gestion consensuelle des

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ressources naturelles. Leur succès n'est possible que si les différents groupes d'usagers et d'intervenants sont suffisamment formés et impliqués dans cette gestion.

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Chapitre V. Démarche de concertation pour l'organisation et la
gestion des territoires de mobilité pastorale

Une partie importante des territoires ruraux fait l'objet de plusieurs usages, simultanés ou successifs : les champs récoltés deviennent accessibles pour la pâture des résidus de récolte ; les brousses servent à la fois au pâturage, à la chasse, à la coupe de bois. Calendriers et règles locales définissent alors l'utilisation des zones de parcours par les animaux, la répartition de la cueillette, de la pêche ou de l'exploitation du sel, etc. Ce partage de l'usage des ressources ne se fait pas sans conflits. Les droits d'accès sont souvent remis en cause, au gré des rapports de force.

La superposition de règles contradictoires fragilise également la stabilité des accords, dès lors que certains acteurs se revendiquent de normes coutumières et d'autres de la loi. Des conflits peuvent aussi émerger lorsque la ressource est surexploitée et que son renouvellement n'est plus assuré. Cette pression accrue peut être liée à la croissance démographique, à l'immigration ou au développement d'opportunités commerciales nouvelles, qui conduit à vendre des ressources autrefois seulement autoconsommées. La surexploitation peut aussi être la conséquence d'un échec des systèmes de régulation : des règles inexistantes, obsolètes ou contradictoires, des dysfonctionnements des instances de gestion (Benkahla et Hochet, 2013).

Le territoire local apparait comme un niveau privilégié de coordination des parties prenantes et de mise en oeuvre du développement durable (D'Aquino, 2002). Le développement territorial est alors un processus qualitatif de transformation des structures économiques, sociales, culturelles, environnementales d'un territoire.

Quelle est la réelle capacité qu'ont les acteurs concernés à piloter leur devenir, à élaborer et mettre en oeuvre, à cet effet, des actions de gestion et d'exploitation harmonieuse des territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun ? Quelles outils et actions à mobiliser ? Comment pérenniser les résolutions prises tout en sachant que de nombreux projets d'appuis à la démarcation foncière et à la sécurisation des

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territoires pastoraux ont eu des résultats mitigés ? Quel rôle les autorités traditionnelles peuvent-elles jouer dans ce processus complexe et où l'État semble démissionner ?

Après avoir évoqué la notion de bien commun dans le contexte de territoire de mobilité, nous allons dérouler la démarche proposée.

V.1. Les territoires de mobilité pastorale comme bien commun : comment

cogérer ce qui est à tous ?

Les biens communs peuvent être définis comme des biens (au sens large : biens matériels ou immatériels et services) qui mobilisent une action collective dans un objectif d'intérêt commun, souvent associé à la soutenabilité (au sens large : respect des limites écologiques et justice sociale). Ils incorporent pour la plupart l'idée d'une construction simultanée d'un bien et d'une communauté. Leur mode de production et/ou de gestion (par l'action collective) les distingue des biens privés (produits par des individus pour eux-mêmes ou pour le marché) et des biens publics (produits et/ou gérés par les pouvoirs publics). Plus fondamentalement, le concept de « bien commun » nous invite à dépasser une définition économique de ce qu'est un bien (objet de production et de consommation) pour questionner notre sens philosophique du « bien » et de la « vie en commun » (Errembault, 2012).

Nous ne le savons que trop bien, notre civilisation planétaire se trouve prise dans des crises multiples : environnementale, sociale, économique mais aussi démocratique et culturelle. Nous n'avons jamais été aussi riches et pourtant les inégalités augmentent tous les jours. Nous avons atteint un développement scientifique et technologique élevé, mais au prix d'une dégradation environnementale sans précédent. La crise économique, principalement provoquée par l'irresponsabilité de certains acteurs privés financiers, rend les pays occidentaux endettés incapables d'entrevoir le bout du tunnel ailleurs qu'au sein du crédo habituel de la croissance et de l'austérité. Dans ce contexte, le repli sur soi, le recul des liens sociaux et de la démocratie semblent faire leur chemin, mettant à mal notre prospérité commune (Errembault, 2012). C'est dans ce contexte que de nombreuses pratiques collectives ont émergé, renouant parfois avec des pratiques très anciennes provisoirement délaissées, comme autant de résistances aux finalités que véhicule la logique capitaliste. Ces pratiques ne peuvent être rangées

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ni dans la catégorie de l'activité marchande ni dans celle de l'action publique traditionnelle (réglementations, politiques d'incitants), ce qui ne les empêche pas d'interférer avec l'une ou l'autre. Elles méritent une attention particulière car elles sont vraisemblablement porteuses d'une forme d'innovation sociale susceptible de répondre aux défis du XXIème siècle (écologie, justice sociale, finalités).

L'approche des biens communs (commons en anglais) nous offre des pistes de sortie face à ces nombreux obstacles. Elle a été développée depuis de nombreuses années, et popularisée notamment par les travaux d'Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie. Ostrom a mis en lumière la façon dont des communautés dans le monde entier s'organisent pour gérer en commun des ressources naturelles (rivière, forêt, etc.). Pour en éviter la surexploitation, les communautés se donnent des normes et des règles, et, au rythme des expérimentations, parviennent non seulement à protéger durablement leurs ressources mais également à renforcer les liens sociaux qui les animent (Errembault, 2012). L'auteur ajoute qu'en dehors des ressources naturelles, l'approche des biens communs permet de repenser la production et la gestion de différents biens (culture, transport, logement, etc.) et leur réappropriation collective par les citoyens, au-delà de la dichotomie traditionnelle État/marché. Au carrefour du social, de l'environnemental et de l'économique, les biens communs sont un outil pour réinventer ensemble une prospérité partagée.

V.1.1. Histoire et clarification du concept de bien commun

Les biens communs ou commons en anglais couvrent une multitude de biens ou de ressources allant du plus tangible - exemple : l'eau - au plus virtuel - exemple : le logiciel libre -, en passant par le réseau de vélos partagés d'une ville. Ils sont caractérisés par une diversité de modes de production et de gestion relevant tantôt d'une communauté, tantôt des pouvoirs publics mais aussi de régimes hybrides. L'important est que les biens communs mobilisent une action collective qui émane d'une communauté ou de réseaux citoyens. Au travers des biens communs, les utilisateurs sont aussi codécideurs du mode de production et de gestion de ceux-ci. L'objectif qui sous-tend les biens communs est la soutenabilité écologique, sociale et économique (Errembault, 2012). Ce dernier précise que jadis, c'était une pratique

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courante pour gérer et utiliser les terres en commun. En effet, le berceau des biens communs se situe dans l'Europe du XIIème-XIIIème siècle. Il était alors question de gérer les usages concurrents du sol entre culture, prairie et bois, principalement lorsque la pression démographique poussait vers l'intensification de l'agriculture et du pâturage. Le concept de bien commun permettait également un arbitrage lors de différends entre seigneur et villageois. Des droits partagés sur un même lopin de terre étaient mis en oeuvre.

Les biens communs constituent ainsi une forme institutionnelle historique qui permet l'action collective par laquelle les protagonistes définissent eux-mêmes le bien commun et la structure institutionnelle qui en assure la pérennité ainsi que les règles d'accès et d'utilisation basées sur un principe de confiance mutuelle et de sanction en cas de transgression des règles communément admises.

V.1.2. Un concept longtemps oublié, revenant récemment sur le devant de la scène.

Plusieurs évolutions ont fait reculer le fait communautaire qui faisait la part belle à l'implication des citoyens et à l'ancrage local. D'abord, les Lumières qui firent de l'individu émancipé l'unité de base de la société. Ensuite, la constitution des Etats-Nations par laquelle la société devint centralisée. Ce fut désormais à L'État qu'échut de définir le cadre économique et les formes des institutions légalement acceptables. Enfin, le modèle de l'économie de marché qui allait mener à la surexploitation. Ces trois évolutions conduisirent, dans le milieu du XIXème siècle, à la dissolution des terres communales ou détenues en commun à travers toute l'Europe de l'Ouest (Errembault, 2012).

En 1968, le biologiste américain Hardin offrit au monde une puissante métaphore en publiant dans le magazine Science un article intitulé « The Tragedy of the Commons » (« La tragédie des communs », encadré 2). Pour lui, le destin inévitable d'un pâturage abandonné au commun est la surexploitation, qui pourra être évitée par la reconnaissance de la propriété privée ou par le recours à la gestion publique.

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L'encadré 2 présente la tragédie des communs de Hardin que nous illustrons avec le cas des espaces de pâturages commun utilisé à la fois par les éleveurs et les agriculteurs.

Encadré 2. La tragédie des communs de Hardin : analyse à partir des espaces de pâturage au Nord-Cameroun

L'image proposée par Hardin est celle d'un pâturage sur lequel les fermiers mènent leurs troupeaux. Chaque fermier a intérêt à laisser brouter son cheptel davantage que ne le fait le fermier voisin. Si chaque fermier agit de la sorte pour maximiser son profit, le pâturage se dégrade petit à petit, de manière imperceptible au début, mais de manière définitive au bout du compte. C'est la surexploitation. Tel est le destin inévitable d'un pâturage abandonné au commun, selon Hardin.

La tragédie du commun peut être appliquée au contexte des zones de pâturage au Nord-Cameroun. En effet, après la délimitation des zones de pâturage par l'Etat avec l'appui des projets de développement, les agriculteurs ont continué à y cultiver. Ne pouvant rien contre ces pratiques, les éleveurs ont commencé à installer leurs campements à l'intérieur et à leur tour à y cultiver. Les premiers venus invitent et accueillent même de nouveaux candidats à la sédentarisation qui à leur tour se mettent à cultiver. Ce qui contribue à l'amenuisement et à la longue à la disparition des espaces de pâturage de saison de pluie.

Le modèle de la tragédie des communs de Hardin stipule que, lorsqu'une ressource est en libre accès, chaque utilisateur est conduit spontanément à puiser sans limite sur la ressource, conduisant à sa disparition. L'exemple donné est basée sur la métaphore du pâturage communal en accès libre : chaque éleveur individuel, rationnel, est incité à y placé un nombre (trop) élevé d'animaux car le bénéfice qu'il en tire est privé alors que le coût de la surexploitation est collectif (et donc moindre que le bénéfice privé). En d'autres termes, chaque éleveur cherche à accroître son troupeau puisque, de toute façon, le prix à payer est quasi-nul par rapport au bénéfice immédiat obtenu. Mais, au terme de ce processus, tous les éleveurs sont perdants. En outre, si chaque éleveur partageant un pâturage prenait la décision économique, individuellement rationnelle, d'augmenter le nombre d'animaux qu'il fait paître, cela aurait l'effet global d'appauvrir ou de détruire le pâturage. Autrement dit, des individus multiples, agissant indépendamment et rationnellement selon leur intérêt personnel, finiront par épuiser la ressource limitée qu'ils partagent, même s'il est évident que cela va contre l'intérêt à long terme de chacun (Burke, 2011). On relève ici une parenté de cette « tragédie » avec la thèse de la surpopulation que Malthus avait énoncée à la fin du XVIIIème siècle. Selon Hardin, il n'y a que trois solutions à cette « tragédie » : la limitation de la population pour stopper la surconsommation, la nationalisation ou la privatisation. Émise à la veille du grand mouvement de dérégulation et de déréglementation de

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l'économie mondiale, on comprend que la troisième voie fut exploitée à fond pour justifier le recul de l'intervention publique (Harribey, 2011).

Le jeu du dilemme du prisonnier modélise grâce à la théorie des jeux la tragédie des jeux non coopératifs de Hardin : lors d'un jeu non coopératif (absence de communication) avec information complète, les joueurs sont toujours rationnellement incités à « trahir ». Rappelons ainsi que la théorie des jeux part de l'homo economicus et cherche à comprendre l'action collective. L'une des situations les plus connues est caractérisée comme « dilemme du prisonnier » qui constitue la représentation emblématique de situations où « des comportements individuels rationnels conduisent à des résultats collectivement irrationnels » (Ostrom, 1990 : 5). Le dilemme du prisonnier (encadré 3) a été appliqué à la question des ressources naturelles (Hardin, 1968). Ce dernier explique que les ressources qui sont en libre-accès ne peuvent être préservées qu'en maintenant dans une situation de sous-consommation, et donc de sous-population. Que la population augmente ou que les droits soient mal définis et nous assistons à la « tragédie des communs » : chaque acteur a intérêt à maximiser sa consommation et ce comportement conduit à la destruction des « communs ».

Encadré 3. Le dilemme du prisonnier : analyse à partir des relations entre agriculteurs et

éleveurs

On résume souvent cette situation de la manière suivante : Deux suspects sont arrêtés par la police. Mais les agents n'ont pas assez de preuves pour les inculper, donc ils les interrogent séparément en leur faisant la même offre. « Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l'autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Si personne ne se dénonce, vous aurez tous deux 6 mois de prison ». Si chacun poursuit son intérêt individuel, ils vont se dénoncer mutuellement et écoper de cinq ans de prison. S'ils coopèrent ils ne feront que six mois. Mais pourquoi coopèreraient-ils ? C'est là que la discussion commence, que l'on étudie le rôle de la confiance, des institutions, etc. Le fond du débat est qu'il existe des situations « gagnant-gagnant » qui ne sont pas immédiatement accessible, que cela vienne d'un défaut d'information (Herbert Simon, mais aussi Joseph Stiglitz sur les asymétries d'information), d'un défaut de confiance, d'attentes non-partagées, de défaut de sécurité juridique ou autre, tous ces biais générant des incitations à se comporter comme un « passager clandestin » : tirer les bénéfices Sans payer son dû (Flipo, 2010).

Si les suspects, au lieu de se dénoncer mutuellement, coopèrent, ils subiront des peines moins lourdes. Mais ils ne sont pas portés spontanément à la coopération, et, dès lors, tous ont tendance à se comporter en « passagers clandestins ». C'est la pertinence de ce modèle que va attaquer vigoureusement Elinor Ostrom sur la base d'une approche néo-institutionnaliste. Ostrom estime que cette « tragédie » n'est pas inéluctable comme le pensait Hardin. Au contraire, les éleveurs peuvent l'éviter s'ils décident de

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coopérer en instaurant une surveillance mutuelle de l'utilisation de la terre et des règles pour la gérer. Dans le même sens, Olson (1965) s'attaque à l'idée qu'une hypothèse de comportement individuel rationnel conduirait spontanément les groupes sociaux à agir collectivement conformément à leur intérêt. Pour lui, c'est précisément ce que la théorie des jeux tend à démentir. Les comportements de passager clandestin seraient au centre des défaillances de l'action collective : l'intérêt de chacun est de profiter d'un bien collectif, sans investir lui-même dans sa production et sa gestion. La logique de l'action collective telle que décrite par Mancur Olson est l'application de ces principes à l'action collective : il est, pour cet auteur, entièrement irrationnel de participer à une action collective, dans la mesure où il est plus efficace de laisser les autres se mobiliser tout en profitant des résultats de leur action (comportement du passager clandestin).

Ostrom et Basurto (2011) proposent une classification des règles, qui prend appui sur le langage de la théorie des jeux. Pour eux, toute « situation d'action » (à quelque niveau que ce soit, depuis une communauté jusqu'au niveau national ou international) s'analyse comme une interaction entre des acteurs qui ont certaines positions, des capacités d'action aux différentes étapes des processus de décision, liées au degré de contrôle et aux informations dont ils disposent, aux conséquences vraisemblables de leurs actions et aux coûts et bénéfices attendus de ces conséquences (Ostrom et Basurto, 2011 : 323).

D'ailleurs, des années après, Hardin fut amené à revenir sur son article et précisa alors qu'il s'agissait d'une analyse de la « tragédie des communs non gérés ». La métaphore de Hardin se révèle en fait erronée sur trois points : (1) il confondait bien commun et no man's land - ou open access - ; (2) il partait du principe que les fermiers ne parlaient pas entre eux or les personnes exploitant des ressources en commun échangent beaucoup entre eux. Ils établissent des règles d'accès et d'utilisation des biens communs pour les sauvegarder ; (3) il partait du principe que les hommes produisent dans le but de dégager un profit or la logique des biens communs vise avant tout la satisfaction des besoins de subsistance des utilisateurs (Errembault, 2012).

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Elinor Ostrom propose une vision très enthousiasmante des biens communs dans son ouvrage, paru en 1990, Governing the commons. The Evolution of Institutions for Collective Action. Ses années de recherche ont été récompensées par le prix Nobel d'économie en 2009. Elinor Ostrom a scruté de très nombreux biens communs. Les « ressources communes » sont en effet des biens dont la consommation est à rivalité élevée et dont il est difficile de limiter le nombre de bénéficiaires. Cela peut être le cas des pêcheries, des forêts, de l'eau des canalisations d'une vile etc. Le pêcheur qui prélève du poisson le rend indisponible pour les autres pêcheurs. Mais il ne peut pas exclure les autres pêcheurs. Et Ostrom constate que, contrairement à ce que disait Hardin, il existe de par le monde des dizaines de milliers de cas de gestion des ressources qui ne tournent pas à la « tragédie des communs ». Il existe aussi de nombreux cas où ce que Hardin prévoyait se produit effectivement. Sa recherche consiste à essayer de mettre en évidence les régularités qui expliquent quels sont les facteurs décisifs (Flipo, 2010).

Dans son troisième chapitre, l'auteur livre plusieurs monographies sur des études de cas qu'elle a menées ou dont elle fait la synthèse. Son objet d'étude est les ressources communes le plus souvent renouvelables dans une communauté de petite échelle. À partir de l'hypothèse que la connaissance des règles est totale pour chaque membre de la société, la conclusion est que la solution trouvée est la meilleure possible : l'optimum est toujours au rendez-vous de la coordination (Harribey, 2011). Elle a retenu puis analysé ceux qui étaient en bon état malgré leur utilisation intensive. Pour ceux-là, elle a identifié sept caractéristiques communes qui peuvent servir de principes pour maintenir des biens communs en bon état : (1) des frontières clairement définies qui soient reconnues ; (2) des règles d'accès et d'appropriation qui soient en adéquation avec les conditions sociales et environnementales locales ; (3) des règles collectives permettant aux utilisateurs des biens communs de participer à la prise de décisions ; (4) un monitoring de l'usage et de l'état du bien commun réalisé par des utilisateurs mandatés par la communauté ; (5) une échelle de sanctions graduelles à l'encontre de ceux qui outrepassent les règles communautaires ; (6) des mécanismes de résolution de conflit qui soient simples et accessibles facilement ; (7) l'auto-

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détermination de la communauté est reconnue et encouragée par les niveaux supérieurs successifs d'autorité. Ostrom cesse de se fixer sur la nature des biens qui déterminerait leur caractère de commun et elle se penche au contraire sur le cadre institutionnel et réglementaire qui préside à leur érection en tant que communs, mieux, qui les institue en tant que communs (Harribey, 2011).

Les facteurs qui rendent les systèmes socio-écologiques « robustes » sont au nombre de huit : des frontières clairement définies (qui a droit de pêcher) ; des bénéfices proportionnés aux coûts (la quantité permise dépend du travail fourni, des matériaux, du capital) ; des règles issues des individus qui en participent, au moins de leur élite ; une « surveillance » (ceux qui surveillent le comportement des individus et le niveau de la ressource peuvent eux-mêmes être surveillés, ce qui s'obtient notamment par le biais de rotation dans les tâches) ; des sanctions graduées (de la part des autres usagers ou autre) ; la présence de mécanismes de résolution des conflits rapides, accessibles et peu coûteux, que ce soit pour les conflits entre usagers ou les conflits entre usagers et autorités ; le droit des usagers à s'organiser eux-mêmes et à participer à l'évolution des règles ; et, dans le cas de systèmes de taille importante, des entreprises « imbriquées » (« nested ») dans le tissu local (Flipo, 2010).

L'auto-gouvernance peut fonctionner de manière efficiente. Elle vise à laisser la gestion du bien commun à ceux qui sont en prise directe avec lui. Finalement, en matière agricole, ce sont ceux qui travaillent la terre qui sont le plus à même de la connaître le mieux. Mais il y a certaines conditions préalables à la bonne gestion des biens communs, notamment celle de la reconnaissance et du soutien des niveaux successifs d'autorité de tutelle qui peuvent être rassurées qu'un tel mode de gestion peut faire face sereinement à la pression du mode de marché ou trouver avec lui des interactions intéressantes (Errembault, 2012).

Ostrom met en évidence cinq facteurs qui sont régulièrement présents dans les échecs : des changements exogènes rapides, qui ne permettent pas de changer les règles internes assez rapidement (exemple des pêcheries du nord de la Norvège) ; un déficit de transmission des principes opérationnels d'une génération à une autre ; les programmes qui reposent sur des « modèles » (« blueprint thinking ») et un accès aisé

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à des fonds extérieurs ; la corruption et d'autres formes de comportement « opportuniste » (qu'Ostrom définit comme) ; et enfin le manque de d'institutions permettant d'établir une information vérifiable, de la disséminer, de résoudre les conflits à un coût peu élevé, d'assurer l'éducation, le manque d'équipements pour faire face aux catastrophes naturelles et autres problèmes majeurs à l'échelle locale.

Par ailleurs, l'analyse d'Olson (1965) s'appuie sur l'importance donnée à la différenciation des groupes selon leur taille. Olson distingue en effet les petits groupes, les groupes « de taille intermédiaire » et les grands groupes. Et il considère que les comportements des agents et les conditions de coordination ne sont pas les mêmes, dans ces différents types de groupes. Sans entrer ici dans le détail de son argumentation, et des conclusions très discutables qu'il tirera de ses analyses, il estime que si, dans les grands groupes, seuls des systèmes d'incitation imposés aux agents peuvent assurer une coordination efficace, dans les petits groupes et, dans une certaine mesure dans les groupes de taille intermédiaire, les comportements sont tels que des mécanismes de coordination prévenant les comportements de passager clandestin pourront se mettre en place spontanément. Elinor Ostrom va reprendre et développer cette idée, à sa manière, pour expliquer ce qui est pour elle le constat majeur qui résulte de l'observation de l'organisation des pools communs de ressources : la capacité des acteurs privés à résoudre des problèmes d'action collective, en construisant par eux-mêmes des systèmes de règles, des « modes de gouvernance » adaptés aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés. Cette manière d'aborder la question générale des communs délimite à notre sens assez strictement le champ d'application des analyses d'Ostrom : le cas de la gestion de ressources communes à un groupe aux frontières bien définies, et de taille limitée (Weinstein, 2013).

Toutes les situations de ressources communes sont confrontées à des environnements incertains et complexes. Par contraste, les populations de ces endroits font montre de stabilité, ont partagé leur passé et comptent partager leur avenir. Autrement dit, leur taux d'actualisation est faible. Si de lourds investissements sont à faire, elles sont susceptibles d'en récupérer les bénéfices. Les normes élaborées sont développées dans

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toutes les situations de manière précise. L'intérêt personnel prudent de long terme renforce l'acceptation des normes de comportement approprié.

Principes de conception : On peut s'attendre à ce que de tels individus s'engagent conditionnellement à suivre des règles, lorsque :

- les limites sont clairement définies : « les individus ou ménages possédant des droits de prélever des unités de ressources d'une ressource commune doivent être clairement définis, ainsi que les limites de la ressource en tant que telle » ;

- la concordance entre les règles d'appropriation et de fourniture et les conditions locales : « les règles qui restreignent, en termes de temps, d'espace, de technologie et/ou quantité l'appropriation des unités de ressources sont liées aux conditions locales et aux obligations en termes de main d'oeuvre, de matériel et/ou d'argent » ;

- des dispositifs de choix collectif : « la plupart des individus concernés par les règles opérationnelles peuvent participer à la modification des règles opérationnelles » ;

- la surveillance : « les surveillants qui examinent les conditions de la ressource commune et le comportement des appropriateurs rendent compte aux appropriateurs ou sont des appropriateurs eux-mêmes » ;

- des sanctions graduelles : « les appropriateurs qui transgressent les règles s'exposent à des sanctions graduelles (en fonction de la gravité et du contexte de l'infraction) par les autres appropriateurs et/ou agents travaillant pour le compte des appropriateurs » ;

- des mécanismes de résolution des conflits : « les appropriateurs et leurs représentants disposent d'un accès rapide à des arènes locales bon marché pour résoudre les conflits entre appropriateurs ou entre les appropriateurs et leurs représentants et agents » ;

- une reconnaissance minimale des droits d'organisation : « les droits des appropriateurs d'élaborer leurs propres institutions ne sont pas remis en cause par des autorités gouvernementales externes ».

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- des entreprises imbriquées pour les ressources communes appartenant à des systèmes plus grands : « les activités d'appropriation, de fourniture et de surveillance, d'application des règles, de résolution de conflits et de gouvernance sont organisés par de multiples niveaux d'entreprises imbriquées » (publiques et privées).

Après avoir fait les contours des démarches théoriques proposées par divers chercheurs et spécialistes dans le domaine de la gestion des ressources communes, nous allons faire le point sur les actions menées au Nord-Cameroun et proposer des scenarii de gestion et de concertation autour des territoires de mobilité.

V.2. De nombreuses interventions aux résultats mitigés en matière de

concertation et de sécurisation foncière

De nombreuses interventions se sont attachées, depuis les années 90, à la sécurisation et à la gestion intégrée des ressources agropastorales. Nous pouvons citer le projet de Développement du Paysannat et de Gestion de Terroirs (DPGT), le Projet d'Appui à la Gestion des Terroirs Villageois (PAGTV), le Projet d'Appui à l'Auto-Promotion Rurale (PAAR), le projet GESEP, le PDOB....

Ces projets ont développé trois grands types d'actions : i) Les premières concernaient la sécurisation d'une part, des limites villageoises, et, d'autre part, des parcours pastoraux et des pistes à bétail grâce à la délimitation de zones agricoles et pastorales au sein des terroirs. Elles ont aussi porté sur la définition de règles de gestion des espaces et des ressources (cahiers des charges) ; ii) Quelques expériences ont concerné la sécurisation des droits fonciers à l'instar du DPGT ; iii) Plus récemment le Programme de Développement Ouest Bénoué (PDOB), le Programme National de Développement Participatif (PNDP), le projet PAGEPA, le Projet de Gestion Durable des Terres et des systèmes agro-sylvo-pastoraux (PGDT) ont facilité la mise en place de cadre de concertation pour l'élaboration de Plans d'Aménagement et de Développement Locaux (niveau village) et communaux.

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V.2.1. Délimitation foncières des villages, des zones pastorales et des couloirs de transhumance

Des méthodes de négociation des limites villageoises d'une part et, d'autre part des zones pastorales et des couloirs ont été mises au point. Ces actions ont été engagées par le DPGT à partir de 1997 avec les notables de la chefferie chargés des questions d'élevage, notamment le sarkin saanu, pour identifier et statuer sur l'étendue des aires pastorales et sur les axes de circulation du bétail qu'il semblait nécessaire de préserver pour permettre le maintien des éleveurs face à la progression des espaces cultivés par les agriculteurs migrants. Ces méthodes s'appuient sur des négociations menées par « commission ». Celles-ci regroupent des représentants des différents villages concernés, des campements d'éleveurs, de la chefferie36, parfois de l'administration territoriale. Il faut noter l'importance du rôle de l'animateur, plus ou moins neutre, dans la préparation et la tenue des sessions de la commission. Une « descente » sur le terrain est systématiquement organisée.

La méthode a consisté à repérer le tracé des limites des aires pastorales ou des pistes à bétail après concertation entre agriculteurs et éleveurs, avec l'aval des autorités coutumières, dans l'espoir d'éviter des litiges quant à l'occupation de l'espace. Les différentes articulations des limites ont été matérialisées par l'implantation de bornes en ciment de grande taille pesant 100 kg. Les coordonnées géographiques de ces points ont été relevées au GPS. Ces bornes ont été peintes en blanc, les noms des villages y ont été inscrits en noir. De petites bornes de 20 à 25 kg, peintes en orange, ont été positionnées entre les grosses, à 100 m d'intervalle les unes des autres. Une peinture orange appliquée sur les arbres indique l'emplacement d'une limite entre territoires. Ensuite on a procédé à un bornage « lourd » des lignes de démarcation (bornes de 200 kg, théoriquement inamovibles pour des paysans). Rappelons que le bornage n'est pas l'aboutissement concret d'une procédure juridique d'immatriculation foncière, mais l'implantation après négociation entre les parties prenantes de bornes sur limites de

36 Les négociations ont eu lieu certes avec beaucoup de difficultés car au début, l'autorité traditionnelle s'était catégoriquement opposée à l'opération. Pour cette personnalité la procédure était un moyen d'immatriculation de la zone. Elle pensait en effet que les bénéficiaires devaient s'approprier cette zone et qu'il n'aurait plus un droit de regard dans sa gestion. Il a fallu plusieurs séances d'explication et de négociation pour avoir son adhésion.

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l'aire de pâturage ou de la piste à bétail utilisé par les campements des éleveurs mbororo. Enfin, les limites et les bornes ont été reportées sur une carte signée par les représentants des différentes communautés et diffusée auprès d'elles, de l'administration territoriale, des services techniques agricoles, pastoraux, forestiers et enfin des autorités traditionnelles, ces dernières lui ayant donné la caution nécessaire pour lui conférer une certaine applicabilité et légitimité.

Les décisions obtenues après débats ont valeur de nouvelles règles. Un procès-verbal est établi. Il reprend le contenu des accords et décrit les limites négociées. Un levé des contours et une représentation cartographique des espaces sont réalisés. Dans le cas des délimitations des aires pastorales et des pistes à bétail, une charte mentionne les droits et devoirs des éleveurs utilisant ces pâturages et des agriculteurs voisins. Les limites sont matérialisées par bornage.

Le report de la limite et des bornes est fait sur une carte signée par les parties. Une copie du procès-verbal, des cartes et des chartes est remise aux parties et, parfois, enregistrée auprès de la sous-préfecture compétente.

Les décisions sont dans un premier temps respectées. Elles doivent néanmoins être validées à la fois par les autorités coutumières et l'administration territoriale. Mais les accords sont soumis, avec le temps, à une certaine érosion. De manière plus conséquente, la délimitation ne peut rester figée : elle doit évoluer en fonction des pressions accrues sur la ressource. Le besoin de la pérennité des commissions de concertation se fait sentir pour accompagner les évolutions. Les méthodologies sont aujourd'hui largement diffusées. Mais la maîtrise est bien moins partagée. L'exercice demande une qualité et un engagement de la part des animateurs, qui doivent dépasser la simple mise en oeuvre de recettes "formalisées". Deux enseignements peuvent en être tirés de cette expérience :

- la sélection des animateurs doit être faite avec soin. Les animateurs devront toujours être capables d'adapter une "méthodologie de base" à la complexité des situations ;

167

- La formation et l'accompagnement doivent être une préoccupation permanente. Ils se feront sur la base des retours d'expérience, d'abord des projets antérieurs puis des actions.

Un autre élément négatif est que la délimitation et, de manière plus générale, la concertation dépend trop des projets. Même les commissions officielles de conflits agro-pastoraux présidées par le sous-préfet, instaurées par la loi de 1978 ne fonctionnent que de manière précaire, compte tenu de leurs coûts, considérés comme exorbitants. Les projets les plus récents, sauf le projet GESEP, ne s'appuient plus sur ce dispositif, auxquelles les populations rurales font peu confiance.

Le projet GESEP (Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux) a contractualisé TERDEL-GIE37 pour réaliser un travail de médiation et de sécurisation des parcours dans trois unités administratives du Département de la Bénoué notamment dans les arrondissements de Ngong, Touroua et Lagdo (GESEP, 2006). Comme pour le DPGT, le travail de médiation et de négociation s'est appuyé sur une large consultation des acteurs concernés ainsi que d'autres personnes ressources. Cette consultation a permis d'avoir une meilleure connaissance du conflit et de mieux appréhender les enjeux dans le but de définir un cadre approprié de négociations. Une attention particulière a été accordée à la cartographie. Elle a fourni d'importants renseignements sur l'état des lieux et les différents modes d'occupation de l'espace. On a obtenu grâce à ce travail un support visuel qui permet d'amorcer les négociations sur la base d'éléments objectifs. Le travail de cartographie est intervenu également après les négociations. Il s'agissait alors de reporter sur les cartes le tracé des limites retenues de manière consensuelle. L'opération de cartographie a nécessité un important travail de terrain. Les activités ont démarré mi-août 2002 et se sont achevées fin janvier 2003.

Le GESEP a également mené des actions en faveur de l'évolution institutionnelle de la commission paritaire. La commission paritaire a été mise en place dans le cadre des activités du projet DPGT. Elle a été mise en place pour faire face aux nombreuses demandes d'interventions dans le domaine de la médiation foncière au regard de la

37 Territoire et Développement Local-Groupement d'Intérêt Économique.

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multiplication des conflits agro-pastoraux suite à la création des villages ex-nihilo par des migrants. La commission consultative d'arrondissement étant difficile à mobiliser et à déplacer, il a fallu trouver une solution « provisoire » pour répondre aux nombreuses demandes afin de régler des conflits là où ils existent ou d'intervenir par anticipation afin d'éviter que les conflits ne se produisent. La commission a été placée sous la présidence du Chef de District, ce qui lui confère un caractère formel. Toutes les activités menées dans le cadre de cette convention ont bénéficié du concours de la commission paritaire.

Trois innovations ont été introduites pour favoriser l'évolution de la commission paritaire :

- Une session de formation a été organisée avec pour de fournir aux éleveurs tous les outils et informations nécessaires pour leur permettre de participer activement aux négociations qui seront organisées par la commission paritaire. Jusque-là, on constatait que c'était les agriculteurs (qui bénéficient d'un meilleur encadrement en matière d'organisation notamment) qui réagissaient rapidement pour défendre leurs intérêts.

- Les responsables des services régionaux des domaines et du cadastre ont été déplacés sur les sites à borner pour travailler avec la commission paritaire. L'objectif était d'établir une passerelle entre la commission paritaire et la commission d'arrondissement. Si ces types de mission étaient concluants, on pourrait proposer que la commission paritaire intervienne comme « une annexe » de la commission d'arrondissement ;

- Des modèles de nouveaux documents d'officialisation et de contractualisation ont été proposés pour appréciation aux autorités départementales. Ces documents avaient pour finalité d'officialiser et de légaliser les travaux de la commission paritaire.

Si ces innovations avaient été menées à terme, elles auraient permis à la commission paritaire d'évoluer dans le sens du renforcement de sa légitimité et de conférer à ses actions un caractère légal.

169

V.2.2. Formalisation écrite des transactions foncières individuelles

Les règles du foncier évoluent rapidement. Le droit du premier défricheur reste le droit prioritairement reconnu mais les reconstitutions historiques restent difficiles et leurs résultats sont souvent contestés. D'autre part, des conceptions différentes des droits apparaissent. Elles font référence à des modes de transmissions d'avant l'arrivée des populations musulmanes ou à des pratiques de partage égalitaire pour tous les ayants droits.

Les expériences de sécurisation foncière ont évolué. Elles ont d'abord favorisé la mise en application des lois concernant la propriété. La perception négative du droit de propriété, peu compatible avec les us, coutumes et pratiques actuelles, le manque de moyens de l'administration domaniale, le coût élevé de l'immatriculation et l'opposition des autorités traditionnelles ont conduit les projets à rechercher la "confortation" de pratiques sociales, par une stratégie de "petits papiers", document écrit, contractualisant les droits d'accès et d'usage. Le projet PAGEPA fait en sorte que les contrats ainsi conclus soient signés sur deux ou trois ans (l'accord oral étant habituellement d'un an).

En résumé, la question foncière est complexe et source de tensions qui peuvent dégénérer en conflits. L'approche doit être prudente et de qualité. Elle devra prendre en compte les intérêts des différentes autorités (administratives, traditionnelles et communales) et réussir à créer un consensus de pratiques, basés sur le retour d'expériences.

V.2.3. La planification concertée

L'ensemble des projets revendiquent une approche participative, partant de diagnostics participatifs au niveau des terroirs et des villages, diagnostics consolidés au niveau communal. Un diagnostic institutionnel est souvent effectué. Il met en évidence les processus de prise de décision et de résolution de conflits, toujours complexes.

La phase de planification est de la responsabilité de commissions de concertation. La composition des commissions varie mais elles traduisent la coexistence des autorités traditionnelles (lamibe, lawan), de l'administration (sous-préfecture et préfecture) et

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des collectivités territoriales. Le choix des membres des commissions est fait en concertation entre les communes et les projets. Les structures de concertation ont été officialisées par des arrêtés préfectoraux ou municipaux. Le travail a permis l'élaboration de Plan d'aménagement communal (POGT) ou de Plan d'Utilisation et Gestion du territoire (PDUGT) comportant un ensemble de cartes, une description des actions et un corpus de règles de gestion.

Les plans d'aménagements communaux ont fait l'objet d'approbation en Conseil municipal après restitution et prise en compte des retours des populations concernés. Une priorisation a été faite. Des requêtes en financement ont été rédigées.

Comme pour les démarches de sécurisation, les approches participatives au niveau des diagnostics villageois sont courantes. La qualité de leurs résultats dépend de la qualité de l'intervention et de la prise en compte des diagnostics précédents. La population n'adhère plus à des approches normatives, répétant pour la nième fois les mêmes exercices convenus. Le recours à la cartographie et au SIG est moins fréquent mais des compétences existent. L'agrégation, trop souvent quantitative, au niveau de la commune, des données villageoises appauvrit ou simplifie trop le diagnostic. Elle ne rend pas compte des dynamiques territoriales.

Par ailleurs, la démarche participative est moins maîtrisée dans les processus de planification. La participation des villageois se limite souvent au diagnostic et à la gestion des aménagements. La discussion et la définition des options stratégiques restent encore du domaine des services techniques et des autorités administratives, plus ou moins influencées par les élus, au niveau communal.

Les expériences n'analysent que partiellement la pertinence des actions planifiés (capacité à répondre aux enjeux). Elles prennent peu en compte la diversité des situations, les projets des acteurs individuels (producteurs) et collectifs (communautés, GIS, associations), la cohérence entre les actions. À cet égard, l'absence de typologie fine des producteurs au-delà de la catégorisation classique entre agriculteurs et éleveurs est révélatrice.

Les travaux des commissions sont d'ailleurs plus des travaux de validation de plans rédigés par des techniciens que des travaux d'élaboration proprement dite.

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V.2.4. Acquis des principaux projets passés

V.2.4.1. Pour une meilleure gestion des espaces et des ressources pastorales

Au cours des deux dernières décennies, l'Etat a mis en oeuvre plusieurs projets de développement d'appui à l'élevage afin de rechercher de nouvelles modalités de gestion des ressources communes (pâturages et points d'eau) en règlementant les accès. Les objectifs étaient d'assurer la durabilité des investissements et d'améliorer les performances et la durabilité de tous les systèmes d'élevage.

Le projet Développement Paysannal et Gestion de Terroir (DPGT) mis en oeuvre par la SODECOTON entre 1994 et 2002, comprenait 4 volets (animation et appuis aux OP ; zootechnie ; fertilité des sols ; gestion du terroir, des ressources naturelles, de l'eau et du bois). Il est le premier à conduire une opération de délimitation des aires pastorales et des couloirs à bétail dans le Nord Cameroun. Le volet « gestion de terroirs » a mis au point une démarche afin de résoudre les problèmes d'abreuvement des animaux en saison sèche ainsi que les conflits persistants entre agriculteurs et éleveurs. Les délimitations des hurum (zone de parcours) par l'administration sont anciennes mais ont rarement été respectées faute d'une réelle concertation avec les différents acteurs. Le DPGT a initié à partir de 1996 une méthode plus participative, débouchant sur le repérage et le bornage des limites des parcours. Ce projet, qui a mis en oeuvre une approche recherche-développement, a obtenu beaucoup de résultats qui ont permis d'identifier de nouveaux projets (ESA, GESEP et PRCPB).

Le projet Eau Sol Arbre (ESA) : ce projet qui a pris la suite du DPGT à partir de 2002 a poursuivi le travail de sécurisation des parcours avec l'appui de TERDEL-GIE38. Il a par ailleurs vulgarisé entre autres, (i) des plantes de couverture à travers les SCV dont certaines ont été adoptées par les producteurs comme cultures fourragères et (ii) la construction des biefs et des puits qui ont contribué à améliorer l'alimentation et l'abreuvement des animaux.

L'environnement SODECOTON, maître d'oeuvre des projets DPGT et ESA, a donné à ces deux projets des conditions favorables à la réalisation de leurs activités,

38 Territoire et Développement Local - Groupement d'Intérêt Économique.

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notamment en termes de moyens logistiques, matériels et financiers, et de relations fortes avec le milieu rural et les paysans grâce à l'organisation de la filière coton. Mais ces projets ont surtout appuyé les producteurs de coton et de moins en moins les éleveurs.

Le Projet GESEP (Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux) et le Projet de Développement du Bassin de la Bénoué (PDBB) ont valorisé également les résultats du DPGT en matière de sécurisation des parcours avec l'appui de l'APESS et de TERDEL-GIE. Le projet GESEP est allé plus loin en faisant reconnaître par l'administration (par arrêté préfectoral) l'existence des zones de parcours délimitées après accord de toutes les parties prenantes. La reconnaissance officielle des parcours délimités et surtout la constitution de GIC d'éleveurs dont l'objectif est la gestion des zones sécurisées, ont permis de garantir la pérennité de ces actions dans plusieurs situations. Ainsi, dans le Mayo Louti, cette pérennisation a été atteinte car le projet a pu y développer une intervention complète : formation des agro-éleveurs, facilitation des négociations, cartographie, signature de la charte par les usagers, les services techniques et les autorités administratives et traditionnelles, appui à la structuration des GIC des usagers des zones sécurisés (et mise en place d'une union départementale) ; viabilisation de certains parcours (bornage, biefs, mares)... Ailleurs, les résultats de cette action sont moins visibles sur le terrain. Ce projet très ambitieux au départ par rapport aux moyens financiers et humains dégagés n'a cependant pas pu atteindre tous ces objectifs quantitatifs du fait de sa courte durée (3 ans).

Le projet de Réhabilitation et de création de points d'eau pour le bétail (PRCPB) a développé des méthodologies d'intervention comparables à celles initiées par le DPGT : réponse à une demande formulée par les éleveurs et agro-éleveurs, participation financière des populations concernées, consensus entre les différents acteurs sur la localisation du point d'eau, organisation des bénéficiaires en GIC pour gérer les infrastructures (mares, puits, motopompes, etc.). On note que bon nombre de points d'eau n'ont pas été efficacement gérés après la fin du projet du fait d'un manque de concertation initiale entre bénéficiaires potentiels et sur les responsabilités et engagements de chaque type d'acteurs.

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V.2.4.2. Vers une intensification des systèmes d'élevage de ruminants.

L'association internationale APESS (Association pour la Promotion de l'Elevage au Sahel et en Savane) a promu une évolution de l'élevage traditionnel et une meilleure intégration économique, sociale et politique des éleveurs. Elle encourage, à travers des actions de formation, de sensibilisation et d'échanges entre éleveurs de différentes régions et pays, l'évolution des pratiques, allant dans le sens de la diversification des activités agropastorales, et de l'intensification raisonnée de l'élevage. Cette mutation des pratiques ne peut s'opérer, selon l'APESS, que dans le cadre d'une sédentarisation progressive des éleveurs afin, notamment, de sécuriser l'approvisionnement de l'alimentation du bétail en saison sèche par la culture et le stockage du foin. Cette intensification devrait permettre aux éleveurs de tirer des revenus décents de la production de lait et de viande et de contribuer ainsi au développement des filières alimentaires nationales. Par ses actions de sensibilisation (sur la question de la scolarisation notamment), APESS entend également favoriser une meilleure intégration des éleveurs quelle que soit leur origine sur le plan politique afin que les intérêts de ceux-ci soient pris en compte dans les stratégies de développement locales, nationales et internationales.

V.2.5. Conflits d'intérêts entre les utilisateurs et conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et de régulation

Les territoires pastoraux délimités sont soumis à de fortes contraintes liées à des conflits d'intérêts entre les différents utilisateurs (éleveurs et agriculteurs) et à des conflits de pouvoirs entre les différentes instances de médiation et de régulations (institutions étatiques et autorités traditionnelles) (Figure 20).

Ressources

Institutions de
l'État
(Règles, Lois)

Territoire
des éleveurs

Population

Instance de gestion
(Conventions locales, règles,
participation population)

Territoire
pastoral délimité

Conflit d'intérêt

Ressources

Conflit de pouvoir

Population

Territoire

Des agriculteurs

Ressources

Autorités
traditionnelles
(Coutumes)

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Figure 20. Relations entre les différents acteurs autour du territoire pastoral

Malgré quelques effets positifs les premières années de la mise en place de ces conventions39, ces opérations de sécurisation des parcours n'ont pas donné les résultats escomptés. Les comités de gestion et d'entretien des pistes à bétail et des zones de pâturage mis en place éprouvent encore d'énormes difficultés pour contrôler régulièrement le respect des limites à chaque début de campagne agricole et faire adhérer tous les riverains au respect des espaces bornés. En principe, la délimitation précise des espaces de pâturage avec des bornes numérotées et peintes en vert devrait en faciliter la gestion, mais ces espaces sont violés en plusieurs points par les agriculteurs. L'article 5 de la convention précise pourtant clairement que « toute personne qui tente d'ouvrir un bloc de culture dans le hurum sera traduite devant le comité chargé de la gestion et encourt des sanctions prévues dans l'article 14 de la convention ». Et en fonction de la gravité des faits reprochés au contrevenant, le

39 Il s'agit de l'économie des préjudices particulièrement les dommages subis (broutage et piétinement des récoltes, abattage d'animaux, dommages corporels...) ainsi que les coûts connexes de la gestion de ces conflits résultant de leur traitement devant les instances administratives ou coutumières (frais de déplacement, amendes, frais de corruption).

175

comité pourra saisir les autorités compétentes. De même, la location et l'octroi des parcelles pour les cultures à des tierces personnes dans l'espace de pâturage sont interdits.

Il existe également une ambiguïté dans le comportement des autorités traditionnelles. Malgré son accord de principe pour le bornage des zones de pâturage, tous les agriculteurs qui cultivent dans l'espace délimité affirment que c'est le laamii'do qui leur a donné l'autorisation de continuer à y cultiver. Ce qui remet en cause évidemment les clauses de la convention signée et place les éleveurs dans une position de faiblesse. Cette situation semble entretenue expressément par les autorités traditionnelles pour continuer à bénéficier des « taxes d'arbitrage » que leur versent les éleveurs chaque année afin de maintenir la zone non cultivée. Dans un tel contexte, le rôle de l'État devient alors indispensable afin d'imposer le respect des droits de propriété ou d'usufruit permanent.

Par ailleurs, si ces droits ne sont pas clairement reconnus par les textes légaux, ou si les représentants de l'État ont tendance à les ignorer, les arrangements promus par le projet DPGT deviennent très précaires et vulnérables. Les autorités administratives qui se sont succédé à la tête des unités administratives n'ont pas en effet la même attitude vis-à-vis des conventions écrites mises en place avec l'appui de ce projet. Les responsables des services techniques, notamment forestiers ou les autorités administratives, hésitent à infliger des sanctions en se référant aux conventions locales en argumentant que celles-ci ne sont pas en conformité avec les textes en vigueur.

Pourtant, certaines dispositions du Code pénal permettent de réprimer des personnes qui contreviennent aux lois relatives aux litiges agropastoraux. En effet, selon les lois camerounaises, les conventions librement convenues et formalisées par les parties en présence ont valeur de loi pour ceux qui les ont conclues. Les membres d'une même communauté ou d'un même secteur d'activité peuvent déléguer un représentant (mandataire) qui pourra signer la charte en leur nom ; mais il faut qu'il se munisse d'une procuration qui mentionne au nom de qui il agit. De la sorte, deux personnes seulement peuvent bien conclure une convention mais au nom d'un groupe d'éleveurs et d'agriculteurs bien nommés ou cités.

176

Lorsqu'un responsable coutumier signe une convention, il doit le faire comme partie prenante à telle enseigne que les dispositions lui soient également applicables ainsi qu'au groupe social qu'il représente. Il ne saurait le faire en d'autre qualité que celle de membre de la commission consultative. La pratique consistant à formaliser au préalable, ou plutôt après coup, de telles conventions par une autorité administrative n'a pour seul effet que de leur donner une certaine date, mais leur valeur juridique découle de l'arrêté pris par le préfet en vue d'organiser l'espace rural comme convenu dans ladite convention.

Les conventions sont donc les lois entre parties prenantes issues d'une négociation et acceptées par tous, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte aux lois et règlement en vigueur. Cela sous-entend que lorsqu'elles sont négociées dans le cadre strict de la gestion du domaine national et dans le but de prévenir tout litige dans l'espace rural envisagé, on présume qu'elles ont respecté les textes en vigueur. D'ailleurs l'autorité administrative, avant de prendre son arrêté, s'assure de cette conformité avec les textes législatifs de base. Les textes ont toujours précisé les domaines de compétence de chaque structure. Ainsi, les commissions consultatives sont compétentes pour régler les litiges relatifs aux oppositions à l'immatriculation des terrains des dépendances du domaine national, ainsi que pour régler toute revendication ou contestation d'un droit de propriété sur les terrains non immatriculés, introduites par les collectivités ou les individus devant les tribunaux. Par contre, tous les autres litiges fonciers (à l'exclusion de ceux relatifs aux conflits frontaliers) sont de la compétence des juridictions judiciaires. De même il ne saurait être admis que dans une convention, les membres du comité de gestion déclarent qu'ils sont compétents pour sanctionner.

Par contre, les sanctions qui devraient figurer dans les conventions sont celles relatives au non-respect par les parties des engagements qui y figurent. Si par exemple les parties conviennent de ne pas effectuer de cultures dans l'espace faisant l'objet de délimitation, les parties peuvent prévoir qu'en cas de violation, le champ du contrevenant sera acquis au groupe en guise de réparation. La sanction doit être suffisamment coercitive, mais prise avec un large consensus. Les lois précisent qu'il faut éviter d'insérer dans les chartes ou conventions des sanctions qui portent atteinte

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aux biens ou aux personnes, comme détruire les semences, tuer les boeufs qui dévastent les champs ou encore exercer des actes violents sur les contrevenants.

Au regard des superficies sur lesquelles les Mbororo sont sédentarisés et le nombre d'animaux dont ils ont la charge, la mobilité apparaît comme le moyen le plus efficace pour tirer avantage au mieux de la grande variabilité temporelle et spatiale des ressources pastorales. Au lieu de confirmer les hypothèses des techniciens et décideurs selon lesquels les nomades avec leurs animaux ne peuvent faire autrement que de se sédentariser sur des espaces de pâturage bornés, les Mbororo ont mis en place un système d'élevage original différent. Ils tentent d'adapter leur mobilité à au nouveau contexte en exploitant de nouvelles opportunités (Kossoumna Liba'a, 2008). Les Mbororo développent en effet de nouvelles formes de mobilité basées sur des circuits plus courts avec un nombre d'animaux moins important. Ce qui les oblige à scinder le grand troupeau en sous-unités qu'ils confient à plusieurs bergers salariés afin de maximiser l'accès aux divers espaces de pâturage morcelés. Le coût de la garde du troupeau avec plusieurs bergers est compensé par l'apport monétaire des propriétaires de bétail citadins.

V.2.6. Succès et insuccès des actions menées par les projets

Les trois régions du Nord-Cameroun regroupent l'essentiel du cheptel camerounais, qui représente une composante importante de la production agricole nationale, équivalente aux cultures d'exportation (coton, cultures vivrières vers le sud du pays et de la sous-région). Cependant, la place de l'élevage est constamment remise en cause notamment par la pression sur la terre exercée les agriculteurs et source de conflits qui, dans une situation socio-économique tendue, sont des facteurs de déstabilisation majeurs.

Dans ce contexte, les objectifs des principaux projets présentés, qui visaient à une meilleure intégration de l'élevage et des éleveurs dans le développement local à travers la structuration professionnelle et une démarche de gestion négociée et de sécurisation de l'espace, paraissent tout à fait pertinents. Dans l'ensemble, on peut relever que ces projets ont réussi à :

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- initier un début d'adoption des cultures fourragères et à améliorer encore modestement l'offre fourragère ;

- produire des référentiels techniques pour la construction des ouvrages hydrauliques (biefs, puits et mares) ;

- produire des démarches d'appui à la gestion concertée des espaces et ressources naturelles au niveau local ;

- impulser une dynamique permettant l'émergence de GIC, d'Unions Départementales et de Fédérations d'éleveurs reconnues, renforçant ainsi les capacités des éleveurs.

Le tableau V présente de façon synthétique les actions qui ont réussi et celles qui ont eu moins de succès.

Tableau V. Succès et insuccès des actions menées par les projets de développement

 

Succès

Insuccès

Sécurisation des pâturages

- Beaucoup de réalisations qui répondent à un besoin urgent

- Parcours sécurisés dotés de chartes

- Difficultés d'inclure certains transhumants dans la concertation - Risque de non-respect des accords à la fin du Projet

Amélioration de l'offre fourragère

- Référentiel existe et adapté dans la zone de l'Adamaoua mais nécessite une recherche adaptative dans la zone semi- aride

- Difficultés d'insertion des cultures fourragères annuelles et surtout pluriannuelles dans les systèmes agraires tant que la vaine pâture n'est pas encadrée

Sédentarisation et réduction de la transhumance

Une dynamique de sédentarisation existe

- Besoin de sensibilisation soutenue dans le long terme face aux pesanteurs traditionnelles

- Succès dépend de l'espace disponible et de la qualité de la concertation

Aménagement des points d'eau pastoraux

- Référentiel technique avéré et forte demande

- Forte volonté et capacité contributrice

Faible taux de réussite du fait d'un manque concertation

Soutien à l'élevage périurbain (lait et embouche)

- Développement encore modeste des cultures fourragères

- Forte augmentation de la valeur ajoutée du lait

Faible soutien aux activités d'embouche

Source : CIRAD et GLG consultants (2013)

Cependant, les organisations d'éleveurs présentent des faiblesses tant au niveau de leur fonctionnement, de leur gouvernance qu'au niveau financier. Les organisations d'éleveurs sont essentiellement le fait des producteurs Peul Fulbé avec une faible participation des éleveurs mbororo, toujours réticents à s'impliquer dans les débats locaux et les arènes de négociation. Toutefois, ces derniers ont créés leurs propres

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associations de développement surtout après la vague d'insécurité qui les a frappés en 2007-2008. Plus globalement, la démarche de gestion concertée n'a pas encore permis d'aboutir à une sécurisation durable des espaces pastoraux, notamment du fait de l'absence d'actions en matière d'amélioration de la capacité productive de ces espaces. Aussi, des contraintes doivent être levées afin d'apporter une réponse globale et cohérente aux problèmes des éleveurs et à la question sensible de la gestion de l'espace.

V.3. Proposition d'une démarche d'appui à la gestion concertée des

territoires de mobilités pastorales

Les problèmes décisionnels à référence spatiale réfèrent à tout problème dont l'espace géographique constitue un élément prépondérant en tant que milieu de vie, d'activité et d'intervention humaine, en tant que support d'évaluation de toute décision, mais aussi en tant que lieu d'implémentation de cette décision. Ces problèmes spatiaux sont (i) de natures multidimensionnelle, interdisciplinaire et semi-structuré, (ii) impliquant plusieurs personnes et institutions, ayant généralement des préférences et des objectifs conflictuels, (iii) nécessitant la définition de plusieurs critères contradictoires et dont l'importance n'est pas la même, et (iv) demandent une quantité considérable des données quantitatives et qualitatives (Pusceddu et Chakhar, 2010). Tous ces éléments confèrent aux problèmes spatiaux une nature multicritère et semi-structurée requérant, selon Epstein (1989), l'usage d'analyse et de modèles. Ces spécificités des problèmes spatiaux fait que le modèle classique du processus de décision linéaire de Simon (1960) et les différentes extensions qui y sont apportées sont insuffisants pour faire face à cette complexité décisionnelle.

Plusieurs modèles sont disponibles dans la littérature : Vance (1960), Simon (1960), Mintzberg et al., (1976), Mintzberg (1991), etc. La plupart de ces modèles assument l'existence de trois phases : intelligence, conception et choix. Cependant, le modèle le plus diffusé est vraisemblablement celui de Simon (1960). Comme mentionné plus haut, ces modèles ne sont pas adaptés aux problèmes de décision à référence spatiale.

Dans le cadre de notre travail, nous adopterons et étendrons le modèle de Simon au contexte spatial. Le processus de décision à référence spatiale proposé conserve la

- Identifier et formuler les problèmes avec tous les acteurs concernés

- Mettre en évidence les enjeux à prendre en compte autour des territoires

- Clarifier les objectifs à atteindre pour chaque type d'acteur et pour la communauté

1. Phase d'identification et de formulation

phase d'intelligence mais il la complète par une phase de formulation, subdivise la phase de conception en cinq étapes : analyse, négociation et concertation, choix et mise en oeuvre (Figure 21).

4. La phase de concertation - Agréger les différents points de vue en tenant compte des arguments avancées et de leur pertinence

- Faire émergence de solutions supportées par les différents intervenants

Démarche d'appui à la gestion
concertée des territoires de
mobilité pastorale

5. La phase de choix - Investigation profonde des différentes variantes proposées par chaque partie - Sélection des alternatives jugées comme les plus appropriées

2. Phase d'analyse - Identification des atouts socioculturels locaux

- Définition des alternatives potentielles aux problèmes posés

- Clarification des critères d'évaluation des actions à envisagées

6. La phase de mise en oeuvre

- Choix méthodologiques

- Sensibilisation et information

- Sélection des unités spatiales (villages,

communes, intercommunalités)

- Recrutement et formation des

animateurs

- Démarrage du processus

3. Phase de négociation

- Permettre à chaque acteurs intervenant dans le processus décisionnel de promouvoir et défendre ses idées au détriment des autres

- Faire émergence au fil des négociations et avec la pression du temps la nécessité de collaborer plutôt de que de se confronter

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Figure 21. Démarche d'appui à la gestion concertée des territoires de mobilités pastorales Le but de la phase d'identification et formulation est d'identifier, puis formuler le problème en termes d'enjeux à prendre en compte et des objectifs à atteindre. La phase d'analyse focalise sur la définition des alternatives potentielles et des critères d'évaluation. Durant la phase de négociation, chaque intervenant (individu ou groupe) dans le processus décisionnel essaie de promouvoir et défendre ses idées (en terme d'objectifs, préférences, critères d'évaluation et des alternatives potentielles) au détriment des autres intervenants. Avec l'avancement dans le processus décisionnel et la pression du temps, les différents intervenants sentent la nécessité de collaborer plutôt que de se confronter. Une phase de concertation commence alors. Son objectif est d'agréger les différents points de vue afin de faire surgir les solutions supporter par les différents intervenants. La phase du choix nécessite une investigation profonde des

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différentes variantes afin de sélectionner une (ou éventuellement plusieurs) alternative(s) jugée(s) comme la (les) plus appropriée(s).

Bien évidemment, le processus proposé est itératif et non nécessairement séquentiel. Il est fondé selon Pusceddu et Chakhar (2010) sur une démarche participative dans laquelle on met à contribution la compétence et l'expérience de chaque intervenant dans le processus décisionnel. Il incarne ce que Chassande (2002) désigne par la « rationalité procédurale », dans laquelle une action est jugée comme rationnelle parce qu'elle aura été choisie au terme d'une procédure jugée appropriée, par opposition à la « rationalité positive » de Simon (1960). Sa première nouveauté revient au fait qu'il fait de la formulation du problème une partie intégrante du processus décisionnel. Sa deuxième nouveauté découle du fait qu'il couple deux concepts importants, celles de négociation et de concertation, qui sont assez souvent traités séparément. En effet, la négociation est valable dans un contexte conflictuel, caractérisé par l'affrontement et l'antagonisme. Mais en pratique, cette étape de négociation est souvent suivie par une phase complémentaire de concertation cherchant à converger des points de vue divergents, voire contradictoires.

Remarquons enfin que la frontière entre la phase de négociation et celle de concertation n'est pas définie de manière exacte. En fait, il se peut que les deux phases se chevauchent mais au fur et à mesure de progression dans le processus de décision, il y aura de moins en moins de négociation et de plus en plus de concertation.

Ainsi, la gestion durable des ressources agricoles et pastorales demande de profondes modifications des pratiques. Ces évolutions auront un coût à la fois pour l'État et les acteurs40. Pour investir, tant en capital qu'en travail, ces acteurs devront être d'abord persuadés de la pertinence et de l'intérêt des changements, compte tenu de leurs objectifs et des situations qu'ils vivent. Ils auront aussi besoin de garanties.

40 Les acteurs ruraux sont l'ensemble des personnes ou groupes ayant des intérêts à faire valoir sur la terre rurale : il s'agit tant d'acteurs privés (exploitants agricoles familiaux, éleveurs transhumants, agro businessmen ou nouveaux acteurs...) que d'acteurs publics (État, administration territoriale, services techniques, collectivités territoriales, entreprises publiques...).

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À partir de ce constat, deux grands types d'actions sont à mener : la sécurisation foncière41 et l'élaboration de plans de mise en valeur (d'aménagement et de gestion) des terres et des ressources naturelles. Le lien entre actions de sécurisation, d'une part, et investissements et production durable, d'autre part, doit être clairement affirmé pour éviter toute dérive d'appropriation ou de constitution de rente foncière.

V.3.1. La phase d'identification et de formulation

Il s'agit d'arriver à une compréhension partagée du problème en partant d'un problème particulier à un enjeu collectif. Un problème peut être ressenti par un acteur ou un groupe d'acteurs, sans être forcément partagé. Avant d'engager une négociation, il faut affiner la compréhension du problème et éclairer les différentes positions. L'enjeu est de passer d'un problème ressenti par certains groupes à un problème suffisamment partagé pour qu'il soit pris en charge par des autorités ou porté par un nombre suffisant d'acteurs. Le problème doit devenir un enjeu public ou collectif (Benkahla et Hochet, 2013). Les problèmes et les enjeux à prendre en compte pendant la phase d'identification et de formulation au Nord-Cameroun sont divers :

- En premier lieu, il n'existe pas au sein des instances d'exploitation et de gestion des territoires de mobilité (villages, communes), des comités de concertation, reconnus et fonctionnels de façon participative et inclusive. Ces comités seront, dans la mesure du possible, identifiés à partir des structures déjà existantes mises en place par les projets précédents ;

- En second lieu, les communes d'intervention ne sont pas dotées d'un plan de zonage. Or, il est déterminant de doter les territoires villageois d'un plan d'utilisation des terres délimitant les espaces pastoraux et agricoles, de règles de gestion de ces espaces et d'un plan d'amélioration du terroir ; ces plans et règles devront être connus des intéressés et appliqués ;

41 La "sécurisation foncière est entendue comme étant l'ensemble des processus, actions et mesures de toute nature, visant à permettre à l'utilisateur et au détenteur de terres rurales de mener efficacement leurs activités productives, en les protégeant contre toute contestation ou trouble de jouissance de leurs droits (Définition retenue au Burkina Faso dans le cadre de la loi d'orientation agricole).

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- Troisièmement, il subsiste une précarité des droits fonciers et une pluralité des normes de référence. En même temps, ces droits fonciers ne sont pas enregistrés au sein des communes. Souvent, règles coutumières et règles étatiques se confrontent. Les unes et les autres ont leur source de légitimité (la tradition, l'histoire, les autorités coutumières, une certaine conception de la communauté et de son rapport à son territoire d'un côté ; l'État, la citoyenneté nationale, la rationalité technique, de l'autre). Elles renvoient à des principes de justice, d'équité, qui ne sont pas les mêmes. Dès lors que des règles différentes coexistent, on ne sait plus lesquelles doivent s'appliquer. Ceux qui voient leurs intérêts contraints par un type de règles vont les contester en s'appuyant sur les autres, en tentant de mobiliser l'appui des autorités qui les incarnent. Des règles contradictoires, c'est comme pas de règles du tout. Dès lors, négocier les principes à partir desquels gérer telle ou telle ressource, telle ou telle portion du territoire, est un préalable ;

- Enfin, il reste à améliorer les outils stratégiques et réglementaires pour une meilleure gestion des ressources agro-pastorales à différent niveau (villageois, communal, régional). En effet, des carences et faiblesses subsistent après la mise en place des instances de régulation. Qu'elles soient étatiques, coutumières, communales ou liées à des comités de gestion issus de projets, les instances censées gérer les ressources naturelles, arbitrer les conflits, édicter et mettre en oeuvre des sanctions, rencontrent fréquemment de nombreuses difficultés à exercer leur rôle de façon neutre et efficace.

Somme toute, il faut partir d'un problème perçu à un problème partagé. En effet, la construction d'un réseau d'acteurs conduit souvent en parallèle à une évolution de la formulation du problème. La perception du problème évolue en effet en fonction des débats et des discussions pour plusieurs raisons : i) les points de vue que chacun défend permettent de mieux prendre en compte la diversité des enjeux et des intérêts en présence ; ii) la connaissance du problème se précise, car chacun apporte son expertise propre ; iii) les débats et argumentations de chacun peuvent aussi remettre en

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cause certaines idées reçues et conduire à poser les questions de manière différente Benkahla et Hochet (2013).

V.3.2. La phase d'analyse

Les systèmes d'élevage au Nord-Cameroun sont peu intensifiés et reposent essentiellement sur les parcours naturels et la vaine pâture. Le maintien de cet élevage de ruminants se heurte à la réduction de la surface des parcours du fait de leur mise en culture. Les usages des résidus de culture se diversifient (construction, combustible, plus rarement couverture du sol) même si le droit de vaine pâture demeure fortement ancré dans les campagnes. La crise de l'élevage est diverse : spatiale par la réduction des surfaces exclusivement réservées aux troupeaux, écologique par la dégradation des parcours naturels, sociale par l'accroissement de la fréquence des conflits entre éleveurs et agriculteurs et aussi en termes de gouvernance, avec la dualité des décideurs, publics et coutumiers (CIRAD et GCG Consultants, 2013).

Les problèmes de gestion des ressources naturelles, non directement liés à l'agriculture et l'élevage, sont aussi à prendre en compte dans une gestion systémique des écosystèmes. Le Nord-Cameroun est internationalement reconnues pour la richesse de leur faune sauvage mais le maintien de pratiques de gestion non participatives des aires protégées et des ZIC et l'augmentation des surfaces protégées depuis les années 1960, sont mal vécus par les populations.

Plus globalement, les producteurs du Nord-Cameroun doivent faire face à un faisceau d'insécurités. Alors que la question de l'insécurité des biens et des personnes semble moins prégnante aujourd'hui, les autres formes d'insécurité demeurent : insécurité foncière, insécurité juridique et fiscale, insécurité économique.

Sur le plan institutionnel, les appuis et services pour le monde rural sont fournis et coordonnés par trois types de structure : les services de l'État mais ils manquent de moyens et d'engagement sur le terrain, les entreprises et les banques contribuent peu au développement du secteur primaire sauf la SODECOTON qui demeure l'acteur principal du développement régional, et enfin, le secteur associatif et les organisations de producteurs qui prennent de plus en plus d'importance mais restent fragiles. Hormis l'intervention dans la durée de la SODECOTON (depuis 1974) et des services de

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l'État (surtout en santé vétérinaire) l'appui au monde agricole est orchestré depuis des décennies par les projets de développement.

Le processus de décentralisation est ancien au Cameroun mais le transfert de compétences entre l'État et les Communes est partiel. La Commune devient un nouvel acteur du développement local et un partenaire incontournable des projets de développement. Les autorités coutumières restent dans toutes les situations une force politique, sociale et décisionnelle à ne pas négliger, et continuent à jouer un rôle fondamental dans l'organisation du territoire. La mise en place des actions du programme et leur chance de réussite nécessite d'associer les autorités coutumières au plus haut niveau, dans le cadre d'un dialogue constructif et en toute transparence.

Trois facteurs vont peser fortement dans les années à venir sur le secteur de l'agriculture et de l'élevage du Nord-Cameroun d'après Cirad et GCG Consultants (2013) : (i) les changements climatiques et leurs conséquences sur les systèmes de production, (ii) l'état des marchés (coton, produits vivriers) et (iii) la capacité de l'Etat camerounais à mener à bien des réformes (décentralisation, foncier, etc.) et à développer un climat de confiance et de sécurité propice au développement économique. Le bilan des expériences passées montrent qu'il existe une large gamme de solutions techniques mais que leur mise en oeuvre se heurte à des contraintes d'ordre social, culturel et organisationnel. Les approches sectorielles demeurent très fortes et chaque groupe d'acteurs (agriculture, élevage, environnement) travaillent le plus souvent séparément. L'intervention mal coordonnée de nombreux projets avec des méthodes d'intervention différentes voire divergentes, a développé une dépendance des acteurs publics et privés (OP, ...) par rapport à l'aide extérieure et étatique. Cette évolution limite l'initiative de ces différents acteurs et compromet même la durabilité des actions engagés par les projets.

Sur le plan socioculturel, de nombreux atouts peuvent être valorisés dans le cadre du processus : i) la fixation de plus en plus importante des éleveurs avec une emprise territoriale évidente. Cela permettrait de mieux les intégrer dans les négociations et dans la défense de leurs intérêts et points de vue. La proximité géographique et sociale avec les agriculteurs des villages voisins et le long des parcours concoure à la

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limitation des situations conflictuelles et peut être un atout pour trouver un consensus partagé entre les deux acteurs ; ii) De nombreux projets ont essayé de mettre en place un processus de gestion et de négociation des territoires pastoraux. Les acquis de ces actions ainsi que les échecs rencontrés peuvent être valorisés pour aller au-delà des problèmes rencontrés ; iii) Le processus de décentralisation en cours a été suivi de plusieurs formation et sensibilisation en matière de gestion des espaces et des ressources communes. Les outils utilisés par les différents projets, les actions déjà menés peuvent être également mobilisés ; iv) Certains projets ont été montés et ne sont pas encore mis en oeuvre. Il en est par exemple du programme d'appui à la sécurisation et à la gestion intégrée des ressources agropastorales au Nord-Cameroun (ASGIRAP). Les démarches adoptées par ces derniers peuvent aider à la mise en application du processus proposé dans le cadre de ce travail.

Les critères d'évaluation doivent également être clarifiés.

Par rapport au premier résultat attendu : des comités de concertation communaux et villageois sont créés, reconnus et fonctionnent de façon participative et inclusive : i) Nombre de communes dans lesquels un comité de concertation a été officiellement crée et fonctionne ; ii) Nombre de villages (à l'intérieur des communes retenues) où un comité de concertation a été créé et fonctionne ; iii) Nombre des réunions par an des comités et taux d'absentéisme ; iv) Participation dans les comités villageois de toutes les catégories d'acteurs concernés (transhumants, éleveurs non transhumants, agriculteurs, ...).

Par rapport au deuxième résultat attendu : les communes d'intervention se dotent d'un plan de zonage ; les villages d'intervention se dotent d'un plan d'utilisation des terres délimitant les espaces pastoraux et agricoles, de règles de gestion de ces espaces et d'un plan d'amélioration du terroir ; Ces plans et règles sont appliqués : i) Nombre de plans de zonage effectivement adoptés par les Communes ; ii) Nombre de villages dans lesquels un plan d'utilisation, gestion et d'aménagement des terres a été adoptés et entériné par la commune ; iii) Pourcentage des litiges soumis aux comités communaux et résolus ; iv) Satisfaction des acteurs (agriculteurs et éleveurs) quant à la

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délimitation des espaces dans les villages d'intervention ; v) Durabilité des délimitations des parcours : Respect des délimitations de zones 2 ans après le bornage.

Par rapport au troisième résultat attendu : la précarité des droits fonciers est réduite et un mécanisme d'enregistrement communal de ces droits est initié : i) Nombre de communes ayant testé l'enregistrement des droits foncier ; ii) Réduction de la précarité des contrats de faire-valoir dans les villages test.

Tous ces résultats et indicateurs sont évidemment conditionnés par l'acceptation par la chefferie traditionnelle d'une concertation sur ces territoires de mobilités pastorales.

V.3.3. La phase de négociation et concertation

L'objectif de cette partie est de proposer un processus de concertation adapté au contexte local et privilégiant le compromis et le dialogue entre les différents acteurs concernés par l'exploitation et la gestion des différents territoires. Pour Benkahla et Hochet (2013), il n'y a pas une démarche standard pour conduire une concertation ou mettre en place une convention locale. Les méthodologies clés en main, qui prédéfinissent les étapes et le temps à y consacrer, ont toutes les chances de ne toucher qu'à des enjeux secondaire, sans réel investissement de la part des acteurs locaux, et sans guère d'efficacité ensuite. Les concertations suivent des itinéraires qui ne peuvent pas être prédéfinis. Pour autant, les acteurs qui promeuvent une concertation ou la négociation d'une convention locale ont besoin de se définir une stratégie, en fonction du contexte spécifique. Les auteurs soulèvent un certain nombre de questions que pose la démarche de concertation : comment se pose le problème ? À quelle(s) échelle(s) ? Qui sont les différentes parties prenantes ? Leur inclusion dans les débats est-elle problématique ou non ? Quel est le degré de tension ? Y a-t-il des préalables avant que les parties prenantes soient prêtes à dialoguer ? Y a-t-il besoin d'étude ou d'enquête préalable pour mieux comprendre la situation ou objectiver un problème ?Faut-il impliquer dès le départ les services techniques ou bien attendre que les acteurs locaux aient commencé à élaborer des propositions ? Comment mobiliser les autorités coutumières dans le processus ? Comment éviter les récupérations du processus par certains groupes d'intérêts ? Définir une stratégie de concertation, c'est choisir la façon d'aborder le problème, la façon de gérer les relations avec les différentes parties

prenantes, discuter la place des moments collectifs de discussion (pour quoi faire ? avec qui ? animé comment ?), etc. Il s'agit bien sûr d'une stratégie indicative, à adapter en fonction de la façon dont se déroule le processus, des réactions des différents acteurs, des événements extérieurs. C'est un guide pour réfléchir et mener l'action, et non une méthodologie figée une fois pour toute.

La figure 22 présente les déterminants du processus collectif de négociation et de légitimation territoriale.

Acteurs à impliquer

- Habitants du territoire concerné

- Autorités traditionnelles

- Autorités administratives

- Élus locaux (toutes les communes

concernées)

- Techniciens étatiques et du
développement local

- Gestionnaires des aires protégées

- Eleveurs transhumants nationaux et étrangers

PROCESSUS COLLECTIF DE
NEGOCIATION ET DE
LEGITIMATION TERRITORIALE

Unités spatiales de concertation à privilégier

- Le territoire villageois - La commune

- L'intercommunalité - Le lamidat

Inclusion des éleveurs transhumants

- Intégration dans les négociations à travers un village ou un campement

- Choix de dates adaptées pour les transhumants n'ayant pas de territoires d'attache pour les faire participer aux négociations

- Définir des règles et les porter à la connaissance des transhumants irréguliers via les auxiliaires des chefs traditionnels

Justification du processus

- Une multiplicité et une diversité des acteurs de l'utilisation et de la gestion des territoires

- Un compromis entre les stratégies des différents acteurs

- Une expression des intérêts spécifiques et des différents points de vue

- Recherche de synergies

- Renforcement de la cohésion sociale - Augmentation du potentiel de réflexion, d'échange et d'action - Adaptation à la réalité des situations locales

- Renforcement de la légitimité de la décision

- Nouvelles formes de gouvernance garantissant le dialogue social et les modalités de reconnaissance institutionnelle

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Figure 22. Déterminants du processus collectif de négociation et de légitimation territoriale La concertation se réalise par travail en commun des autorités traditionnelles et administratives, des élus, des techniciens et des habitants d'un territoire. C'est un processus collectif de négociation et de légitimation, qui se justifie parce qu'il :

- prend en compte la multiplicité et la diversité des acteurs qui utilisent les ressources agricoles et pastorales et qui interviennent dans leur gestion. La gestion des ressources naturelles et des espaces sera toujours le fruit d'un compromis entre les stratégies de ces différents acteurs. Le travail en commun permet l'expression des intérêts spécifiques et des différents points de vue ;

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- favorise la recherche de synergies et ainsi le renforcement de la cohésion sociale entre les différentes parties prenantes et contribue à une meilleure réponse aux enjeux en augmentant le potentiel de réflexion, d'échange et d'action ;

- favorise l'adaptation à la réalité des situations locales qui présentent une grande variabilité (ressources, densité, hétérogénéité, homogénéité culturelle, systèmes de production et poids respectifs de la chefferie, de l'administration et de la société civile...).

- renforce la légitimité de la décision, favorise son acceptation par tous et permet de préparer les évolutions juridiques et institutionnelles en cours (la décentralisation étant inachevée au Cameroun, les politiques foncières ne sont pas définies et les droits traditionnels, parfois concurrentiels, et les droits modernes se juxtaposent).

V.3.3.1. Lieux de concertation à privilégier : le territoire villageois et la commune

Des structures de concertation seront identifiées parmi les structures déjà existantes au niveau de la commune (les comités communaux de concertation sur les ressources agro-pastorales) et des territoires villageois (les comités villageois) d'intervention :

- Le territoire village est le lieu de la délimitation, de l'affectation des terres et de la programmation. La délimitation définit et fixe des espaces. L'affectation propose une vocation en fonction des ressources et des occupations actuelles. Elle précise des règles d'utilisation. La programmation choisit, localise et spatialise les interventions et les investissements.

- Les communes sont probablement les échelons politiques pouvant le plus aisément rapprocher légalité étatique et légitimité locale. Autorités locales reconnues par l'État, elles peuvent faire le lien entre administrations publiques et autorités coutumières. Les élus locaux sont censés être plus proches des populations et être garants d'une meilleure prise en compte des pratiques et des droits locaux existants. La commune est ainsi le niveau de l'orientation et des directives. C'est aussi le niveau de la validation institutionnelle (dans une perspective d'harmonisation des décisions des différentes autorités) et du suivi-

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évaluation/contrôle/capitalisation. La validation passe par des actions d'enregistrement qui préfigurent des outils tels que plans locaux d'occupation des sols, des schémas de cohérence, des registres fonciers, des cadastres. C'est enfin le lieu de mise en cohérence, aussi par des investissements communaux. Le niveau communal gère ainsi les questions et espaces inter-villageois et intercommunaux (couloir de transhumance par exemple). La commune42, en tant que collectivité territoriale, a donc le droit de prendre des arrêtés s'imposant à tous, ce qui donne une valeur légale aux conventions locales et les rend « opposables aux tiers », c'est-à-dire applicables à des acteurs qui n'en ont pas été partie prenante. Ces arrêtés peuvent porter sur tout ou partie du territoire communal.

Les instances de concertation devront prendre en compte la coexistence des autorités administratives, traditionnelles et territoriales, dont les pouvoirs sont reconnus par la loi. Les conditions d'une gouvernance des collectivités locales restent donc largement à inventer. Les revendications de la société civile et la culture de la participation que portent les projets modifient aussi les conditions de cette gouvernance. Un des enjeux de la démarche sera l'émergence de nouvelles formes de gouvernance43 qui garantissent à la fois le dialogue social et des modalités de reconnaissance institutionnelle, pouvant orienter dans le futur des textes réglementaires.

Le résultat de la concertation sera l'élaboration des plans d'utilisation, de gestion et d'amélioration des ressources agro-pastorales largement diffusé parmi les populations concernées et faisant l'objet d'un consensus local.

42 La commune peut-être une instance de pérennisation des décisions et des actions de concertation autour des territoires de mobilité pastorale. Les conventions appuyées par les projets et programmes ont présenté des limites. Elles restent fragiles et fortement dépendantes des structures des projets qui souvent soutiennent entièrement le coût des interventions. Les instances mises en place disparaissent souvent avec la fin desdits projets.

43 La gouvernance est une démarche de concertation et de prise de décision, qui implique de façon responsable les acteurs ou les populations concernées par les politiques de développement durable et leurs plans d'actions.

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V.3.3.2. Problématique de l'inclusion des transhumants dans le processus de concertation

La question de l'inclusion des transhumants dans la concertation est centrale. À partir d'une typologie sommaire, on peut distinguer :

- les transhumants dépendant d'un village ou campement qui pourront être insérés dans les négociations d'abord villageoises, puis communales et enfin intercommunales.

- les transhumants n'ayant pas de territoires d'attache mais organisant des transhumances régulières qui pourront participer aux négociations aux mêmes niveaux, en choisissant des dates adaptées.

- Enfin pour les transhumants irréguliers, l'inclusion dans les cadres de concertation locale est problématique. Il s'agira plutôt pour eux de définir des règles, de les porter à leur connaissance, via les contacts avec les chefs traditionnels de premier niveau, avant l'entrée dans le territoire, et de suivre le respect de ces règles, via les autorités administratives.

V.3.3.3. Choix du renforcement institutionnel des communes dans le cadre de la décentralisation

Le renforcement des compétences (en tant que capacité à agir des communes) sera conçu comme un accompagnement des acteurs, en répondant aux besoins apparaissant au cours du processus. Cette volonté d'accompagnement consistera à doter les communes des moyens et outils pour favoriser le "travail ensemble", à la fois au sein des commissions de concertations et des équipes techniques.

L'accompagnement se fera principalement par la formation qui répondra aux différents besoins du processus : besoin d'analyse de la complexité des situations foncières, des enjeux de sécurisation foncière et des exigences d'intensification de la mise en valeur ; besoin de compétences techniques pour accompagner les processus de concertation.

V.3.4. La phase de mise en oeuvre

La phase de mise en oeuvre est l'étape ultime et déterminante. Elle nécessite que toutes les données et conditions soient réunies et que toutes les parties prenantes soient en phase et en adéquation avec le processus qui va démarrer. Elle suppose également une

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entité (projet, programme) qui puisse coordonner les actions et mobiliser les acteurs. Cela demande également des moyens qui peuvent être mobilisés par l'État à travers diverses coopérations ou au niveau local à travers les communes. La figure 23 reprend la démarche de mise en oeuvre.

Préparation de la concertation

- Clarifier la démarche méthodologique à adopter

- Affiner les critères de choix des villages et des communes

- Sensibiliser et informer les acteurs à la base

- Sélectionner les villages et les communes

- Sélection des villages d'intervention - Création des comités villageois - Élaboration d'un diagnostic villageois - Reconnaissance des limites territoriales et des vocations des sols (zonage, validation, plans et schémas inter villageois) - Programmation des actions de préservation et d'amélioration des ressources des territoires pastoraux - Validation des résultats de la concertation

Concertation au niveau villageois

Légitimation

- Implication et caution des autorités traditionnelles

- Adoption en conseil communal - Validation par les autorités administratives

MISE EN OEUVRE DE LA CONCERTATION

Concertation au niveau communal

- Identification ou création des comités

communaux

- Contenu de la concertation (zonage,

validation, plans et schémas inter

villageois et intercommunaux)

- Cas spécifiques des couloirs de transhumance (intercommunal et

lamidats)

Figure 23. Démarche de mise en oeuvre de la concertation V.3.6.1. Préparation de la concertation

Clarification de la démarche méthodologique

La phase de mise en oeuvre commence par une clarification de la démarche méthodologique et son appropriation par les principaux acteurs ayant des expériences en matière de planification concertée. Lors de cette phase, seront discutés et proposés les choix méthodologiques. Ce sera également l'occasion d'affiner les critères de choix des territoires villageois et des communes concernés par l'opération en rapport évidemment avec leurs liens avec la mobilité pastorale.

Sensibilisation et information

La sensibilisation et l'information est une étape déterminante pour assoir la dynamique de collaboration et de dialogue entre les acteurs. Elle permettra également à chaque

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partie d'affûter ses arguments et de s'approprier le processus de territorialisation de la mobilité pastorale. Une présentation des enjeux du projet, de l'option de la concertation sera faite au plus grand nombre en utilisant tous les moyens de communication possible : réunions spécifiques, présentation aux conseils municipaux, aux assemblées de chefferie, article de presse, émission de radio et de télévision... À l'issue de cette phase, l'administration, les chefferies, les communes et les populations connaissent l'intérêt du projet et les conditions de la participation. Une première estimation de la perception et de la motivation des acteurs peut être faite.

Sélection des villages et des communes

La sélection des villages et des communes prendra d'abord en compte un critère de répartition géographique. Dans un premier temps, l'objectif sera dans la mesure du possible, de retenir au moins deux communes dans chacune des zones concernées par les problèmes de mobilité pastorale. Cette phase permettra de tester l'approche et de bâtir des référentiels d'intervention adaptés à chacune de ces zones. Les villages et les communes au sein desquelles une dynamique de gestion des ressources agro-pastorales est identifiée ou mise en place dans le cadre de projets précédents seront d'autre part privilégiées (mais ne devront pas constituer plus de la moitié des villages et des communes, afin de ne pas limiter les actions aux zones les plus favorables).

Outre ces critères, la condition nécessaire de sélection des villages et des communes sera la capacité et la volonté des autorités locales à « jouer le jeu » de la concertation, dans une posture d'expérimentation sociale. Les villages et les communes intéressés par la démarche proposée par ces actions devront faire acte de candidature par une délibération du conseil communal. L'obligation de cette demande se justifie par le souci de faire émerger un besoin endogène qui avait manqué lors de la mise en oeuvre des actions précédentes en matière de gestion des territoires ruraux. Des lettres de soutien des autorités traditionnelles et des autorités administratives (sous-préfecture) seront en outre demandées.

Des animaux animateurs villageois et communaux de concertation pourront être recrutés afin d'accompagner cette action.

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V.3.6.2. Concertation au niveau communal

Identification ou création des comités communaux

Il s'agira dans un premier temps d'identifier ou de créer des comités communaux de concertation. De nombreuses communes se sont déjà dotées de structures de concertation, dans le cadre de projets précédents : CCPA (commission communale de planification et d'aménagement) et commission technique pour le projet PDOB ; CPAC (Comité paritaire d'approbation et de supervision au niveau communal.) et commission technique d'aménagement pour le projet PNDT ; commission technique d'aménagement du territoire et sous-commission technique (agriculture, élevage, forêt et environnement) pour le PDUGT ; commission consultative de règlement des litiges ; Agents de développement recrutés dans le cadre du PNDP.

Il s'agira, dans la mesure du possible, d'éviter de créer des nouvelles structures (qui ne manqueraient pas d'être perçues comme des comités d'un autre projet s'ajoutant aux structures existantes) et d'utiliser, en les adaptant autant que faire se peut aux besoins d'une véritable concertation locale. On ne peut néanmoins exclure que dans certains cas de nouvelles structures communales devront être créées, soit parce qu'il n'existe pas de structure existante fonctionnelle, soit parce qu'elles auront été discréditées auprès de certains acteurs incontournables, soit parce que les règles de fonctionnement des structures existantes ne peuvent être adaptées pour en faire de véritables structures de concertation.

Le comité de concertation communal s'attachera à réunir des représentants des diverses autorités et catégories socio-professionnelles existantes : administration territoriale (sous-préfet), chefferie traditionnelle, élus communaux, représentants des agriculteurs et des éleveurs, forestiers, garde-chasse, transhumants... Au fur et à mesure du choix des villages, des représentants de ces derniers seront intégrés. Le choix des membres sera le fruit d'une concertation entre les autorités et l'instance de gestion des actions à mener.

La nature du Comité de concertation est dans un premier temps obligatoirement ambigu : c'est d'abord un forum ; c'est aussi une commission, lieu d'instruction et d'analyse de situations complexes ; mais c'est aussi probablement une arène, un lieu de

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décision informelle. Ce choix n'est pas orthodoxe mais il est nécessaire pour garantir l'accord entre les « quatre pouvoirs » : société civile, chefferie, Commune, administration. Le comité préparera la décision formelle qui, en l'absence de texte, pourrait être constituée d'une délibération du conseil communal, contresignée par les autorités traditionnelles et administratives.

Le nombre des participants aux commissions doit, dans un premier temps, être estimé en fonction d'un équilibre recherché entre l'exhaustivité et l'efficacité. Dans la fonction forum, un plus grand nombre est recherché pour assurer la diffusion des idées. Dans la fonction commission, la délégation à un petit groupe et surtout aux comités villageois sera recherchée. Dans la fonction « décision informelle », l'intérêt est que les accords entre les trois pouvoirs soient contrôlés par des représentants.

Contenu de la concertation au niveau communal

Le comité effectuera un réel travail :

- réalisation du zonage ;

- propositions de choix de villages ;

- validation de l'ensemble des plans villageois ;

- validation des schémas de cohérence communale ;

- instruction et validation des plans intra-villageois et intercommunaux.

Il jouera un rôle de premier plan dans la délimitation des pistes de moyenne et grande transhumance (qui traversent plusieurs villages d'une même commune et parfois plusieurs communes). Il assurera le suivi de la réalisation des plans villageois tout au long du déroulement de l'action de concertation. Il pourra également se saisir de la problématique foncière. Le rôle du comité ne peut être déterminé et limité à l'avance : il évoluera, selon les dynamiques propres à chaque commune, et en fonction des forces en présence et des conditions locales.

Un animateur communal aura pour responsabilité d'organiser et de faire vivre la concertation communale. Benkahla et Hochet (2013) précisent que dans une négociation, le métier d'animateur (ou de facilitateur) consiste à savoir accompagner la recherche de solutions à des problèmes, par des acteurs qui sont dans des positions

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différentes et ont des intérêts différents. Cela passe par des discussions individuelles ou collectives pour comprendre comment se pose le problème pour les différents groups d'acteurs concernés, par l'animation de rencontres et de discussions qui permettent de débattre des problèmes et des solutions possibles, tout en assurant la prise de parole de tous et en respectant les façons locales de s'exprimer et de négocier (les cadres sociaux de la négociation) tout en assurant la prise de parole de tous. L'animateur a une fonction d'aide à la recherche de solutions par les acteurs concernés, et non un rôle d'expert qui propose ses solutions. Or les agents de développement tendent spontanément à jouer ce rôle d'expert. Agir en tant que facilitateur suppose un positionnement et une sensibilité particulière, parfois un apprentissage spécifique.

Une des premières tâches du comité de coordination communal sera de réaliser un zonage à dire d'acteurs. La méthode de zonage proposée s'appuie sur les connaissances que les acteurs locaux et régionaux ont de leur territoire. Cette connaissance est confrontée avec les documents cartographiques existants. Il s'agit de formaliser l'ensemble de ces connaissances pour délimiter les villages et les zones « affectées » (zones d'habitation, zones agricoles, zones pastorales, zones de chasse, zones de conservation...).

Le zonage à dire d'acteur permet l'établissement rapide d'une première organisation de l'espace qui peut donner de la cohérence aux actions au niveau villageois.

Cas spécifique des couloirs de transhumance

Pour le cas spécifique des couloirs de transhumance, la délimitation des pistes à bétail constituera un des points d'application principaux du zonage au niveau communal. La question des pistes à bétail et des couloirs de grande transhumance peut cependant concerner plusieurs terroirs et souvent plusieurs communes. Son traitement implique de travailler à plusieurs échelles. Les deux échelles retenues (village et commune) ne suffisent pas. La délimitation de ces zones sera effectuée au niveau intercommunal et au niveau des lamidats, en forte liaison avec les équipes techniques des services de l'élevage. Ces couloirs ainsi définis seront repris dans les plans communaux et les plans villageois.

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V.3.6.3. Concertation au niveau du village

Sélection des villages d'intervention

Le choix des villages d'intervention se fera conjointement par l'instance de coordination des actions de concertation et le comité communal et devra être validé par le conseil communal.

Les villages retenus devront avoir fait acte de candidature avec l'appui de la chefferie locale, selon des modalités qui seront définies dans le guide méthodologique. Le choix pourra porter sur des groupes de villages ayant accès à des ressources partagées, afin d'éviter une trop grande dispersion dans la commune. Le zonage à dire d'acteur réalisé dans l'étape précédente sera utilisée. Le choix final des villages retenus reviendra aux communes.

Création des comités villageois

La création du comité villageois de concertation répondra aux mêmes règles que pour le niveau communal et réunira des représentants des diverses autorités et catégories socio-professionnelles existantes44. Les autorités seront les chefs de terre, les chefs de villages et les chefs de quartiers (leurs représentants). La représentation sera faite sur une double base catégorielle et géographique. La composition du comité se fera sur la base du volontariat. Une assemblée villageoise sera convoquée pour présenter le projet, les travaux et les fonctions du Comité villageois. La présentation sera faite conjointement par les membres du comité communal de concertation et les animateurs. Quelques critères pour la composition du Comité (taille, nombre, principales caractéristiques) seront fournis. Après la sensibilisation et les concertations internes, une nouvelle assemblée générale validera les candidatures reçus.

Élaboration d'un diagnostic villageois

À partir de l'analyse de données secondaires et d'enquêtes auprès des villageois, le diagnostic synthétise les données sur la population, les marchés, les systèmes de production, les potentialités, les problèmes et contraintes. Il caractérise l'occupation

44 Comme pour les comités communaux, on s'attachera, dans la mesure du possible, à travailler avec des comités villageois existants, dans la mesure où leur mode de fonctionnement est compatible avec les objectifs de concertation.

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actuelle de l'espace, la répartition spatiale des activités d'élevage et d'agriculture, les investissements existants. Une typologie classifie les producteurs en grands groupes, en fonctions de leur stratégie d'utilisation et de leurs accès aux ressources naturelles.

Les contraintes, potentialités et problèmes sont identifiés. Les problèmes sont hiérarchisés et les « solutions proposés par les acteurs » sont recensés. L'évaluation de « l'état » des ressources naturelles est réalisée. Un diagnostic institutionnel (la gouvernance45) est élaboré. Il met en évidence les processus de prise de décision et de résolution de conflits, toujours complexes.

Le diagnostic sera réalisé par le comité de concertation avec la participation active des responsables techniques régionaux en matière d'élevage, d'agriculture, de cadastre. Les résultats seront présentés à la fois aux villageois et au comité de concertation communal.

Reconnaissance des limites territoriales et des vocations des sols

Un premier travail à réaliser est la délimitation des espaces villageois. Ce travail est réalisé sous la supervision du comité de concertation communal en réunissant les différents comités de coordinations villageois d'une zone ou, si ce comité n'existe pas dans les villages avoisinants, en conviant les autorités de ces villages.

Une deuxième étape est liée à l'affectation des terres, en particulier dans la séparation entre zones agricoles, zones pastorales et pistes à bétail. Les comités de concertation analysent les utilisations actuelles, jugent de leur durabilité46. Après débat, les terroirs et les espaces (agricoles, pastoraux...) seront délimités, avec des « autorités de gestion » clairement identifiées.

Les méthodes de délimitation sont bien connues. La méthode utilisée dans cette action sera définie à partir des acquis des précédents projets (lors de l'atelier méthodologique). Cette délimitation se fait par négociation entre les acteurs, les

45 La gouvernance est souvent définie comme le gouvernement à plusieurs. La définition apparaît particulièrement adaptée aux régions du Nord Cameroun.

46 L'occupation est-elle pertinente ? Doit-on modifier l'affectation des terres ? La production de biomasse est-elle à la hauteur des besoins : alimentation, coton, élevage du village, élevage des transhumants ? Le niveau de pression met-il en péril la fertilité ? Quelles tendances prospectives... (Migration, mobilisation de nouvelles ressources, intensification par le travail...) ?

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aménagements prévus étant un des éléments de cette négociation. Un procès-verbal de négociation est établi. Un relevé de limites est reporté sur une carte. Procès-verbal et carte sont paraphés par les différents acteurs, les autorités (administratives, chefferie et commune) et déposés dans un registre communal. Un bornage est effectué pour matérialiser les limites.

Le plan de délimitation des espaces sera largement diffusé auprès des populations concernées afin d'être pleinement approprié par ces dernières.

Ce plan ne doit pas être considéré comme figé : il pourra évoluer, dans le cadre des mécanismes de concertation, en fonction notamment de l'évolution de la pression sur les ressources.

Programmation des actions de préservation et d'amélioration des ressources

Sur la base du diagnostic précédemment établi, les agents techniques des différents services étatiques (élevage, agriculture, cadastre...) aideront les comités à faire émerger, de façon participative, les actions souhaitables pour améliorer la gestion des ressources agro-pastorales. Il s'agira de mettre en place une véritable approche participative, au cours de laquelle les populations, avec l'appui des techniciens, pourront elles-mêmes concevoir les solutions les mieux adaptées à leur milieu. Cette démarche, novatrice par rapport à celles adoptées au cours des projets DPGT et ESA, sera appuyée par des visites de sites pour permettre aux comités de visualiser les effets des actions possibles et du matériel didactique élaboré par les composantes techniques. Ce matériel didactique décrira la technique, présentera l'intérêt et les avantages espérés. Il s'attachera à identifier avec précision i) les « besoins » en termes de ressources, de travail, de compétences, ii) les conséquences sur le système de production et sa logique (une étable fumière implique des animaux en stabulation...). En croisant ces éléments et le disponible (identifié lors du diagnostic), la programmation définit le champ du travail: que va-t-il être fait ? Pour chacune des zones homogènes, à partir des dynamiques actuelles, des aspirations des populations, des possibilités techniques et en investissements, il s'agit de définir, toujours en concertation avec les populations, de grandes orientations de mise en valeur, puis de préciser les actions à entreprendre.

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En fonction des exigences (espace disponible, organisation, intrants, disponibilités financières, technicité...) et des propositions techniques, le comité définit les lieux et les acteurs les plus adaptés. Le décalage entre les nécessités liées à l'introduction d'une innovation technique et les ressources existantes détermine les appuis nécessaires (appui technique, subvention, appui organisationnel, appui institutionnel...). Des programmes d'actions, détaillés par zones et par types d'exploitants, préciseront les enjeux auxquels les actions répondent, leur faisabilité et les mesures d'accompagnements nécessaires.

Les règles de gestion des espaces et des ressources, nécessaires à la mise en place du plan, sont précisées. Ces règles de gestion, y compris droits de faire valoir seront établies en fonction de deux critères : critères de pertinences (en fonction de l`état des ressources et des systèmes de production) et de légitimité (acceptées à la fois par les populations et par les autorités).

Validation des résultats de la concertation

Les comités de concertation présentent leurs propositions en assemblée villageoise et tiennent comptent ensuite des remarques et suggestions des villageois pour faire les derniers ajustements. Enfin, les plans villageois sont présentés, discutés et adoptés en Conseil communal, après validation par les autorités coutumières47 et administratives. La triple légitimité est nécessaire pour éviter que les mécontents (il y en aura toujours) puissent utiliser les instances de résolutions parallèles que chacune des autorités (maire, préfecture ou chefferies) met en place.

V.3.5. Consensus à rechercher autour des aires protégées

V.3.5.1. Le rôle des acteurs locaux dans la gestion de la mobilité des animaux dans les parcs

Le rôle des chefs traditionnels dans la gestion des parcs de la région du Nord a toujours été ambigüe (Djamen Nana, 2008). Le fait que les chefs traditionnels soient

47 Les autorités coutumières sont des autorités locales ayant, de par l'histoire et selon les normes locales, un pouvoir sur les hommes et/ou sur les territoires et les ressources naturelles qu'ils comportent. Leur légitimité est le plus souvent issue de l'histoire et du peuplement, mais leur rôle ou leur processus de désignation ont pu être profondément transformés par l'intervention de l'État, pendant la colonisation et après Benkahla et Hochet (2013).

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en majorité musulmans peut justifier leur tolérance vis-à-vis des éleveurs transhumants, eux-mêmes de cette religion. Ils savent néanmoins que les parcs sont considérés comme des biens de l'État et ils n'ont donc aucune raison de participer à sa gestion. C'est ce qui explique leur nature lointaine et la négligence qu'ils ont toujours eu dans sa gestion. Leur intégration récente dans la commission de gestion des parcs peut-être une meilleure solution pour les impliquer de manière plus engagée. Par ailleurs, le Sarki Saanou, Ministre de l'élevage dans l'administration traditionnelle, n'est pas impliqué dans la gestion du parc alors qu'il est bien informé sur les questions de transhumance.

En ce qui concerne les projets et programmes de développement en faveur des populations locales, leur action en faveur de la politique de conservation est mitigée. Dans une étude réalisée dans la région du Nord sur le mouvement du bétail, Djamen Nana (2008) a mentionné la position contradictoire de ces acteurs. Ces derniers malgré leur compréhension et leur acceptation des politiques de conservation sollicitent la mise en place d'actions concertées pour améliorer les conditions des populations locales afin de susciter leurs intérêts pour les actions de conservations. Le déséquilibre qui existe entre les missions de développement et la gestion de sites de conservation comme les parcs dans le Nord est tellement criard, selon les projets et programmes de développement. Il s'impose l'obligation d'associer obligations de développement et nécessité de conservation dans et autour des parcs. Dans un contexte de rareté des ressources, de pression démographique et de faible rôle de l'Etat, est-il possible de demander plus de vigilance de la part des acteurs intermédiaires ?

En plus, en matière des politiques étatiques d'aménagement du territoire national, le MINEPIA peut être considéré comme un maillon faible. Il a été toujours ignoré au cours du processus de création d'aires protégées en particulier les parcs nationaux. Malheureusement, jusqu'aujourd'hui, il y a eu peu ou pas de changement dans cette carence administrative. Le micro projet intercommunal pour le suivi de la matérialisation des zones de pâturage et des pistes à bétail a constaté que la création, l'extension et le maintien des parcs nationaux dans le Nord, est de la seule

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responsabilité du MINFOF48. La création de parcs nationaux réduit les pâturages et se fait sans la consultation du service en charge de l'élevage et la gestion des terres de pâturage. Les autorités en charge du MINEPIA n'ont d'ailleurs rien à dire lorsqu'on leur demande ce qu'ils pensent des incursions des éleveurs transhumants dans les parcs parce qu'ils ne sont pas impliqués dans sa gestion. Ainsi, la contribution technique de MINEPIA dans la gestion des activités des éleveurs transhumants dans les parcs nationaux du Nord Cameroun ne peut pas être sous-estimée et négligée. Aucune action concertée solide ne peut être effectuée sur cette question sans la mise à contribution du MINEPIA.

Par ailleurs, les acteurs locaux se sentent bousculés dans cette zone : les autochtones qui revendiquent la propriété des zones du parc, les migrants qui exploitent les ressources ainsi que les éleveurs transhumants qui sont des exploitants saisonniers. Chacun rejettent la responsabilité sur l'autre pour le non-respect des lois mise en place.

V.3.5.2. Les initiatives de cogestion et les plateformes de négociation

L'approche « co-gestion » a été ces dernières années très fortement soutenue par les bailleurs et les institutions en charge des programmes de conservation de la biodiversité.

Un des principaux outils de la cogestion est le cadre de concertation, mais la question de leur mise en oeuvre et de leur légitimité et efficacité sur le terrain reste une conception abstraite tant que les bailleurs et institutions en question ne lui transfèrent pas un véritable pouvoir de décision. D'autre part, ce cadre de concertation bute sur la question de la volonté politique (souhaite-t-on réellement partager les prises de décisions avec tous les acteurs en présence) et de la mauvaise compréhension de l'approche cogestion par les professionnels de la conservation.

En outre, le Nord-Cameroun connait d'importants bouleversements dans sa dynamique démographique, socioéconomique et son cadre de référence culturels et politiques. Cela induit de manière récurrente un déséquilibre dans les rapports de production entre les différents acteurs, compte tenu par exemple de la sédentarisation des éleveurs, de

48 Ministère de la Forêt et de la Faune.

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l'accroissement démographique, des flux migratoires. Il en résulte que les cadres de concertation constituent un espace de négociation efficace à un temps « t » mais sont rarement viables à long terme, comme le souligne, compte tenu de l'évolution rapide du contexte démographique, socioéconomique et politique. Il est ainsi important de prendre en compte dans les cadres de concertation l'aspect dynamique des relations entre acteurs et des modes de gestion des pâturages et des espaces cultivés. Cela fait parfois référence à des comportements tout à fait opportunistes de la part de certains individus ou groupes d'intérêt, lesquels ne peuvent être pris en compte dans les cadres de concertation qu'à condition d'adopter une démarche souple incluant une évaluation continue du dispositif de négociation adopté et des groupes d'intérêt identifiés.

Une action concertée menant à la cogestion a été suggérée par les institutions internationales et le gouvernement du Cameroun (Tagueguim, 2010 ; Tsama, 2010) dans le cadre d'une approche participative dans la gestion du parc. Dans un contexte de croissance démographique et le manque de ressources, l'adhésion de la population locale et même la population migrante aux politiques de conservation devient difficile. Cela s'explique par le fait que les besoins de la population locale ne sont pas pris en compte dans la création de parcs. Dans le cas spécifique du Nord Cameroun, il a été constaté que les questions de transhumance transfrontalière dans son ensemble ne sont pas prévues. Les problèmes actuels rencontrés dans ces parcs du fait de cette activité montrent que tous ces éléments doivent être revisités.

V.3.6. Difficultés et limites des approches négociées

Ces différentes dimensions rendent la gestion des territoires de mobilité particulièrement complexe. Il faut savoir dépasser les conflits d'intérêts et composer avec les rapports de force en place, pour aboutir à des solutions acceptables par le plus grand nombre. Le risque est grand, quand les rapports de force sont trop déséquilibrés, que finalement la négociation conduise à exclure une catégorie d'acteurs comme les éleveurs transhumants.

Une fois que des accords ont pu être trouvés, il faut encore pallier les carences du cadre juridique et réglementaire. Il faut également compter avec le faible respect des

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règles, que ce soit au niveau de l'administration et des élus, ou des populations. Il est en effet difficile de réaliser un contrôle collectif quand tout le monde se connaît.

La négociation n'est donc pas une solution facile. Et, elle ne sera pas forcément vouée au succès. Mais c'est encore elle qui permet le mieux de garantir la prise en compte les différents intérêts et de réduire les inégalités et les opportunismes. C'est elle qui conduit à ce que les règles soient le plus légitimes possibles et les dispositifs de gestion capables d'en assurer réellement la mise en oeuvre. Dès lors, entre des conventions rédigées rapidement et qui n'auront pas d'effet, et des processus, plus lents, de construction d'accords capables d'aboutir à une véritable régulation.

Conclusion

Les territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun ont été l'objet d'intérêt pour de nombreux projets de développement. Ils ont essayé de mettre en place des actions et de nombreuses interventions aux résultats mitigés en matière de concertation et de sécurisation foncière : délimitations foncières des villages, des zones pastorales et des couloirs de transhumance ; formalisation écrite des transactions foncières individuelles ; la planification concertée... De manière générale, les objectifs des principaux projets visaient une meilleure intégration de l'élevage et des éleveurs dans le développement local à travers la structuration professionnelle et une démarche de gestion négociée et de sécurisation de l'espace ; ce qui était tout à fait pertinent. Ces projets ont à leur actif la production des démarches d'appui à la gestion concertée des espaces et ressources naturelles au niveau local. Cependant, des difficultés sont apparues pour inclure certains transhumants dans la concertation et le non-respect des accords à la fin des projets qui supportaient entièrement le coût des opérations. Il en est de même des faiblesses au niveau des organisations d'éleveurs en ce qui concerne leur fonctionnement, leur gouvernance et le financement. Ces organisation ont en effet une faible participation et sont toujours réticents à s'impliquer dans les débats locaux et les arènes de négociation.

Partant des limites et insuccès des actions menées, nous avons proposé une démarche innovante qui capitalise les acquis de ces projets (démarches et comités de concertation) et propose un processus de décision qui prend en compte plusieurs étapes

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et s'appuie sur un contexte spatial local permanent (villages et communes). Les villages sont en effet le lieu où vivent tous les acteurs qui utilisent les territoires de mobilité pastorale et où une certaines cohésion sociale peut être une base à la négociation et la concertation. Quant à la commune, elle est dans un processus de décentralisation, certes inachevée mais déjà assez avancée pour lui permettre de s'approprier les initiatives de concertation spatiale. Cette option spatiale est motivée par le fait que l'une des raisons des échecs des projets de développement en matière de concertation spatiale était sa durée limitée dans le temps et son manque d'encrage institutionnel dans la pérennité. La commune qui est une entité locale pérenne pourrait ainsi intégrer dans son programme et son budget les actions de concertation autour des territoires.

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CONCLUSION GENERALE

À la suite de mes travaux sur l'élevage mobile, nous nous sommes intéressés dans le cadre de l'Habilitation à Diriger des Recherches aux territoires de mobilité pastorale. Nous partons du constat que malgré la fixation des éleveurs sur de petits territoires où restent une partie de la famille toute l'année, la mobilité des animaux continue. Mais cette mobilité se fait sur des territoires morcelés, diffus et instables. La mobilité pastorale est confrontée à la dégradation continue des conditions de production, en particulier la raréfaction des ressources fourragères et l'amenuisement du foncier pastoral. La progression des espaces cultivés entraîne ainsi la disparition progressive des espaces non cultivés et pâturés : brousse et jachères, qui sont cultivées à leur tour. Si un des fondements de la mobilité pastorale est le libre accès à l'espace, les grands éleveurs de la zone soudano-sahélienne du Cameroun, qui ont des pratiques de conduite extensive des troupeaux, sont aujourd'hui évincés devant la poussée des agriculteurs et la présence importante des aires protégées. Se pose ainsi un problème de gouvernance territoriale entre les différentes activités en présence pour une gestion harmonieuse et durable des ressources et une limitation des situations conflictuelles entre les acteurs.

L'objectif de ce travail était d'analyser le fonctionnement des territoires de mobilité pastorale, les logiques et les stratégies des acteurs en présence et de pouvoir dégager les conditions de réhabilitation et de préservation de ces territoires. Il s'agissait également de mettre au point une démarche de recherche de consensus entre les acteurs locaux pour la définition conjointe et concertée des limites de ces territoires et des modalités de leur fonctionnement et de leur gestion harmonieuse et durable en s'appuyant sur les expériences passées dans ce domaine.

Le premier résultat mis en évidence est la clarification du contexte spatial de l'élevage mobile. Ce dernier est en permanence sous le joug des problèmes spatiaux en lien avec les migrations massives des agriculteurs vers les espaces dédié anciennement à l'élevage qui sont mises en culture, l'augmentation du cheptel bovin du fait de la diversification des acteurs qui s'intéressent à cette activité, l'insécurité sur le foncier

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rural en général, et pastoral en particulier, exacerbée par l'omniprésence des autorités traditionnelles qui impose leurs lois pour la gestion et le contrôle du foncier au détriment des lois étatiques, la présence de vastes zones protégées interdites de pâturage. À ces facteurs internes, il faut ajouter les situations conjoncturelles comme l'arrivée massive des éleveurs mbororo venant de la République Centrafricaine fuyant les exactions des anti-balaka. Les territoires dédiés à la mobilité pastorale semblent suffisants, mais ils sont mal répartis dans l'espace et leur accessibilité pose problème.

Le deuxième résultat tient au contexte sociétal autour des territoires de mobilité avec les rapports entre les acteurs locaux. De nombreux acteurs utilisent, gèrent et exploitent les territoires de mobilité pastorale (éleveurs, agriculteurs, citadins, autorités traditionnelles et administratives). Ils entretiennent entre eux des relations tant d'échanges, de complémentarité que de conflits. Si la marginalité que subissent les éleveurs est la conséquence de leur installation récente dans le Nord-Cameroun, ces derniers ont pu tisser diverses relations avec les acteurs dominants comme les autorités traditionnelles et les citadins pour accéder aux territoires de fixation et de mobilité et les renégocier en permanence grâce aux diverses taxes qu'ils sont obligés de verser chaque année. Ces relations se sont étendues aux agriculteurs installés dans les territoires de proximité pour l'accès aux résidus de récolte, aux travaux champêtres, aux matériels de traction, aux intrants. La diversification de ces échanges et la proximité géographique contribuent à l'atténuation des situations conflictuelles qui sont de moins en moins violentes. Elles peuvent également être une base sociale solide pour la concertation autour des territoires de mobilité pastorale.

Après avoir contextualisé la situation de la mobilité pastorale, l'un des résultats majeurs de ce travail est la définition et la caractérisation des territoires de mobilité pastorale. Partant de l'acception du territoire autour de l'idée de domination, de gestion, d'appropriation d'une portion du substrat terrestre, nous nous sommes évertués à l'adapter au contexte du Nord-Cameroun. Ainsi, les autorités traditionnelles locales sont au centre de l'appropriation, de la gestion, de l'exploitation des territoires ruraux. À la place de l'État et de ses lois foncières, le pouvoir coutumier est au centre de toutes les décisions et actions sur le territoire. Pour cette raison, la recherche de sa

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caution est en permanence recherchée pour garantir le succès de toute entreprise visant à faire évoluer les modes de gestion, d'organisation et de fonctionnement des territoires de mobilité pastorale.

Un autre acquis de ce travail se fonde sur les efforts de caractérisation des différents territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun avec les acteurs en présence et leur fonctionnement. Ces territoires s'appuient et s'organisent à partir des territoires d'attache où vit en permanence une partie de la famille des éleveurs et où ils pratiquent de l'agriculture de subsistance. Autour de ces territoires de fixation s'organise la mobilité dans les territoires de proximité complémentaires des villages environnants où les animaux pâturent les résidus de récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes principalement). Ces territoires sont complétés par les territoires lointains délimités ou non pour la petite et grande transhumance dont l'accès est souvent difficile à cause de l'obstruction des pistes à bétail par les cultures. Cela oblige les éleveurs à emprunter les routes avec tous les risques d'accident avec les véhicules. En plus de ces territoires reconnus, les éleveurs utilisent également les territoires illicites où ils « volent » du pâturage. Il s'agit des aires protégées interdit de pâturage, mais fréquemment exploités par les éleveurs, clandestinement ou avec la complicité des gardes-chasses corrompus.

À la fin de ce travail, nous avons proposé une démarche de concertation pour une gestion et exploitation durable et harmonieuse des territoires de mobilité pastorale. Cette démarche capitalise les acquis des principaux projets et programmes passés qui se sont attachés à la sécurisation et à la gestion intégrée des ressources agropastorales. Elle prend également à son compte, pour essayer de les minimiser, les conflits d'intérêts entre les utilisateurs et les conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et de régulation. La démarche proprement dite s'appuie sur six phases allant de la phase d'identification et de formulation à la phase de mise en oeuvre en passant par l'analyse, la négociation, la concertation et le choix. La mise en oeuvre est la phase la plus délicate. Elle requiert une approche minutieuse et prudente commençant par la préparation de la concertation, la concertation elle-même au niveau des villages puis

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des communes, et enfin la légitimation par les autorités traditionnelles dont l'influence n'est pas à négliger ainsi que celles des autorités administratives. En ce qui concerne les territoires illicites de mobilité pastorale, un consensus est à rechercher autour des aires protégées. Il s'agit d'impliquer les acteurs locaux dans la gestion de la mobilité des animaux dans les parcs, mais aussi de prendre des initiatives de cogestion et les plateformes de négociation pour que les éleveurs et les agriculteurs se sentent concernés par l'objectif de préservation de cette biodiversité.

En définitive, les processus actuels de décentralisation de la gestion du territoire doivent aboutir à l'élaboration de conventions locales et de règles de gestion consensuelle des ressources naturelles. Leur succès n'est possible que si les différents groupes d'usagers et d'intervenants sont suffisamment formés et impliqués dans cette gestion et si les intérêts de chacun sont pris en compte. Même si les autorités traditionnelles sont pour le moment acteurs forts dans ce système, une forte implication des pouvoirs publics pourraient permettre aux acteurs faibles de mieux s'intégrer dans le dispositif réglementaire de gestion de ces territoires menacés de disparition.

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233

Liste des illustrations

Tableaux

Tableau I. Population des trois régions septentrionales du Cameroun 25
Tableau II. Densités de la population dans les trois régions septentrionales du Cameroun de

1976 à 2005 26
Tableau III. Nationalités des éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du Nord-

Cameroun 144
Tableau IV. Régions d'origine des éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du

Nord-Cameroun 144

Tableau V. Succès et insuccès des actions menées par les projets de développement 178

Figures

Figure 1. Échelles d'étude des territoires de mobilité pastorale 6

Figure 2. Echelles d'action 7

Figure 3. Présentation du Nord-Cameroun et des territoires d'étude 8

Figure 4. Facteurs à l'origine des crises de l'élevage au Nord-Cameroun 30

Figure 5. Pressions et contraintes sur les territoires de mobilité pastorale 36

Figure 6. Aires protégées et mouvements des populations et des animaux au Nord-Cameroun

44

Figure 7. Rapports des éleveurs mbororo avec les autres acteurs locaux 59

Figure 8. Fonctionnement du système territoire 90

Figure 9. Outils et méthodes d'analyse et de compréhension de l'évolution d'un territoire . 100
Figure 10. Définition, caractéristiques, enjeux et réalités autour des territoires de mobilité . 113

Figure 11. Caractéristiques du territoire d'attache 120

Figure 12. Caractéristiques des territoires pastoraux de proximité 130

Figure 13. Fonctionnement des territoires complémentaires pour la petite transhumance 136

Figure 14. Caractérisation des territoires délimités pour la grande transhumance 138

Figure 15. Échanges transfrontaliers autour des parcs nationaux et des zones d'intérêt

cynégétique 142

Figure 16. Caractéristiques des territoires illicites de la mobilité pastorale 143

Figure 17. Raisons de mobilité évoquées par les éleveurs enquêtés 145

Figure 18. Zones préférées par les éleveurs transhumants dans les aires protégées 147

Figure 19. Campements des éleveurs et leurs incursions dans les parcs 148

Figure 20. Relations entre les différents acteurs autour du territoire pastoral 174

Figure 21. Démarche d'appui à la gestion concertée des territoires de mobilités pastorales 180

Figure 22. Déterminants du processus collectif de négociation et de légitimation territoriale

188

Figure 23. Démarche de mise en oeuvre de la concertation 192

Encadrés

Encadré 1. Chaîne de pâturage d'un troupeau sédentaire au Cameroun 131
Encadré 2. La tragédie des communs de Hardin : analyse à partir des espaces de pâturage au

Nord-Cameroun 157
Encadré 3. Le dilemme du prisonnier : analyse à partir des relations entre agriculteurs et

éleveurs 158

Photo

Photo 1. Emmanuel Torquebiau visitant le village de Laïndé Ngobare abandonné par les

éleveurs 1






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