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UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY - MONTPELLIER
III Art et lettres, Langues et Sciences Humaines et Sociales U.F.R
III: Géographie et aménagement
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Dossier d'Habilitation à Diriger des
Recherches
Présenté et soutenu publiquement le 18
décembre 2014
Par
Natali KOSSOUMNA LIBA'A
Inscrit aux fonctions de Maître de Conférences par
décision en date du 5 février 2009
VOLUME 1 - POSITION ET PROJET SCIENTIFIQUE
LES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE Quelle
mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone
soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?
Sous la Direction de:
Geneviève CORTES
Professeure des Universités
Université Paul Valéry - Montpellier III
(France)
Membres du jury:
· Emmanuel TORQUEBIAU (HDR, CIRAD de
Montpellier, Président)
· Geneviève CORTES (Professeure,
Université Paul Valéry Montpellier III, Tutrice)
· Jean Philippe TONNEAU (HDR, CIRAD de
Montpellier, Rapporteur)
· Hélène GUÉTAT
(Professeure, Université Jean Moulin Lyon III, Rapportrice)
· Thierry LINCK (Directeur de Recherche,
INRA, Rapporteur)
Année académique
2014-2015
Cette Habilitation à Diriger des Recherches a
été réalisée avec le soutien scientifique et/ou
financier des institutions et organismes suivants que nous tenons à
remercier.
Service de Coopération et d'Action Culturelle de
ARTDEV - Acteurs, Ressources et Territoires l'Ambassade de France
au Cameroun dans le Développement
ii
Université de Maroua (Cameroun)
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Centre de Coopération Internationale en Recherche
Agronomique pour le Développement
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iii
Résumé
Malgré la fixation des éleveurs sur de petits
territoires où restent une partie de la famille toute l'année, la
mobilité des animaux continue sur des territoires morcelés,
difficilement accessibles et en réduction permanente. L'objectif de
cette contribution était d'analyser le fonctionnement des territoires de
mobilité pastorale, les logiques et les stratégies des acteurs en
présence et de pouvoirs dégager les conditions de leur
réhabilitation et de leur préservation. Il s'agissait
également de mettre au point une démarche de recherche de
consensus entre les acteurs locaux pour la définition conjointe et
concertée des limites de ces territoires, des modalités de leur
fonctionnement et de leur gestion harmonieuse et durable.
Les résultats montrent que les territoires de
mobilité pastorale sont sous forte pression à cause des
migrations massives des agriculteurs vers les espaces dédié
anciennement à l'élevage qui sont mis en culture, l'augmentation
du cheptel bovin avec la diversification des acteurs qui s'intéressent
à cette activité, l'insécurité sur le foncier
pastoral exacerbée par l'omniprésence des autorités
traditionnelles qui impose leurs lois pour sa gestion et son contrôle en
lieu et place des lois étatiques et au détriment de ceux qui
l'exploitent, la présence de vastes zones protégées
interdit de pâturage. À cela il faut ajouter l'arrivée
récente des éleveurs mbororo venant de la République
Centrafricaine fuyant les exactions des anti-balaka. Les territoires de
mobilité pastorale semblent suffisants, mais ils sont mal
répartis dans l'espace et leur accessibilité pose
problème.
Les résultats montrent également que les acteurs
qui utilisent, gèrent et exploitent les territoires de mobilité
pastorale à savoir les éleveurs, les agriculteurs, les citadins,
les autorités traditionnelles et administratives entretiennent des
relations d'échanges, de complémentarités et de conflits.
La diversification de ces échanges et la proximité
géographique entre les acteurs contribuent à l'atténuation
des situations conflictuelles qui sont de moins en moins violentes. Elle peut
également être une base sociale solide pour la concertation autour
des territoires de mobilité pastorale.
Après avoir contextualisé la situation de la
mobilité pastorale, l'un des résultats majeurs de cette
contribution est la définition des territoires de mobilité
pastorale. Au Nord-Cameroun, les autorités traditionnelles locales sont
au centre de l'appropriation, de la gestion, de l'exploitation des territoires
ruraux. À la place de l'État et de ses lois foncières, le
pouvoir coutumier est au centre de toutes les décisions et actions sur
le territoire. C'est pour cela que sa caution est en permanence
recherchée pour garantir le succès de toute entreprise visant
à faire évoluer les modes de gestion, d'organisation et de
fonctionnement des territoires de mobilité pastorale.
Un autre acquis de cette contribution se fonde sur les efforts
de caractérisation des différents territoires de mobilité
pastorale au Nord-Cameroun avec les acteurs en présence et leur
fonctionnement. Ces territoires s'appuient et s'organisent à partir des
territoires d'attache où vit en permanence une partie de la famille des
éleveurs et où ils pratiquent une agriculture de subsistance.
Autour de ces territoires de fixation s'organise la mobilité dans les
territoires de proximité complémentaires des villages
environnants où les animaux pâturent les résidus de
récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que
dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes
principalement). Ces territoires sont complétés par les
territoires lointains délimités ou non pour la petite et grande
transhumance dont l'accès est souvent difficile à cause de
l'obstruction des pistes à bétail par les cultures. En plus de
ces territoires reconnus, les éleveurs utilisent également les
territoires illicites (aires protégées) où ils «
volent » du pâturage.
À la fin de ce travail, nous avons proposé une
démarche de concertation pour une gestion et exploitation durable et
harmonieuse des territoires de mobilité pastorale. Cette démarche
capitalise les acquis des principaux projets et programmes passés qui se
sont attachés à la sécurisation et à la gestion
intégrée des ressources agropastorales. Elle prend
également à son compte pour essayer de les minimiser les conflits
d'intérêts entre les utilisateurs et les conflits de pouvoirs
entre les instances de médiation et de régulation. La
démarche proprement dite s'appuie sur six phases allant de la phase
d'identification et de formulation à la phase de mise en oeuvre en
passant par l'analyse, la négociation, la concertation et le choix. En
ce qui concerne les territoires illicites de mobilité pastorale, un
consensus est à rechercher autour des aires protégées en
prenant des initiatives de cogestion et les plateformes de négociation
pour que les éleveurs et les agriculteurs se sentent concernés
par l'objectif de préservation de cette biodiversité.
En définitive, les processus actuels de
décentralisation de la gestion du territoire doivent aboutir à
l'élaboration de conventions locales et de règles de gestion
consensuelle des territoires de mobilité. Leur succès n'est
possible que si les différents groupes d'usagers et d'intervenants sont
suffisamment formés et impliqués dans cette gestion et si les
intérêts de chacun sont pris en compte. Même si les
autorités traditionnelles sont pour le moment les acteurs forts dans ce
système, une forte implication des pouvoirs publics pourraient permettre
aux acteurs faibles de mieux s'intégrer dans le dispositif
réglementaire de gestion de ces territoires de mobilité
pastorale.
Mots-clés : Territoire,
mobilité pastorale, élevage, agriculture, aires
protégées, consensus, négociation, Nord-Cameroun.
iv
Abstract
In spite of the settlement of cattle-rearers in tiny
territories where their families put on all year long, animals' mobility is
still going on small territories, hardly reachable and permanently reduced. .
The present contribution aimed at analyzing the functioning of territories of
husbandry mobility, the logics and strategies of stake-holders in presence and
to expose conditions of rehabilitation and preservation of those territories
therefrom. The aim was equally to put in place mechanisms of consensus among
the local populations for a joint and concerted definition of territorial
boundaries, of modalities of their functioning and of their good and
sustainable management.
Results arrived at show that territories of pastoral mobility
are under strong pressure due to mass farmers' migration toward spaces hitherto
dedicated to husbandry which are put to use, the increase in the number of cows
coupled with the diversification of actors getting interested in this activity,
the insecurity on land tenure further worsened by the omnipresence of
traditional authorities who impose their veto on the management and control in
the place of state laws to the detriment of those who exploit it, the presence
of large husbandry-free areas. To this, should be added the massive arrival of
Mbororo cattle rearers fleeing from the violence meted by the anti-balaka in
the Central African Republic.
The results also show that people who use and manage pastoral
mobility territory, namely shepherds, farmers, city-dwellers, traditional
authorities entertain exchange relations, of complementarity and conflicts. The
diversification of those exchanges and the geographical proximity between the
actors will contribute to the decrease in the heating situations of conflict
which are less and less violent. It can also be a stout social basis for
agreement around territories of pastoral mobility.
After contextualizing the situation of pastoral mobility one
of the major results of the present contribution is the definition of
territories of pastoral mobility. In Northern Cameroon, traditional authorities
are in the middle of the appropriation, management and exploitation of rural
territories. In the place of the State and its laws on land tenure, traditional
power is in the middle of all decisions and actions on this territory. This is
why its caution is permanently searched for in order to guarantee the success
of all enterprises aiming at moving forward modes of management, and of
organization and functioning the territories of pastoral mobility.
Another contribution which can be taken for granted is based
on the efforts of characterization of various territories of mobility in
Northern Cameroon with actors in presence and their functioning. Those
territories are based and leaned from their base-territories where part of
their family live permanently practicing subsistence agriculture. Around these
points of settlement, , mobility in complementary proximity territories
surrounding the villages where animals eat left-over grass of harvested crops
during the dry season as well as in small-size grazing areas which are thereto
found (uncultivated mountains mainly). These territories are completed by
farfetched territories limited or not for small or high mass-cattle movement
which makes access difficult due to hindrances found on the cattle-lanes. In
addition to those known territories, cattle rearers also illicitly use
(protected areas), where they `steal' grass.
At the end of this endeavor, we have made a proposal on how to
go about the management and e sustainable and good exploitation of territories
of pastoral mobility. This proposal takes into advantage main assets of former
fundamental projects and programs which were linked to the integrated
managements of agro-pastoral resources. It also takes into its account the duty
of minimizing conflicts of interest between the users and conflicts for power
between instances of mediation and regulation. How to go about it consists of
six stages ranging from the identification and formulation stage to the stage
of putting in place through the analysis, negotiation, concertation and choice.
As far as illicit pastoral mobility territories, a consensus should be searched
for around protected areas by taking initiatives of co-management and platforms
for negotiation so that cattle rearers and farmers should be part of the move
toward the preservation of biodiversity.
Finally, current processes of decentralization of the
management of territories should arrive at the elaboration of local conventions
and of rules of concerted management of natural resources. Success in these
initiatives is only possible if different groups of users and part-takers are
well informed and implicated into this management and if each person's interest
is taken into consideration. Even if traditional authorities are for now strong
actors in this system, a strong implication of public powers would eventually
enable weak actors to better integrate themselves within the regular set up of
the management of territories of pastoral mobility.
Key words: Territory, mobility, husbandry,
farming, protected areas, consensus, negotiation, Northern Cameroon.
v
Table des matières
Résumé i
Abstract iv
Table des matières v
Remerciements ix
INTRODUCTION GENERALE 1
Préambule 1
Problématisation 3
Démarche méthodologique 5
Échelle d'observation et d'analyse 6
Hypothèse de recherche 11
Clarification du concept de territoire de mobilité
pastorale 12
Positionnement théorique 16
Collecte de données complémentaires auprès
des acteurs 17
Apports majeurs dans le cadre de l'Habilitation à Diriger
des Recherches 20
PREMIERE PARTIE : CONTEXTUALISATION SPATIALE ET SOCIETALE DES
TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE 23
Chapitre I. Enjeu spatial de la mobilité pastorale au
Nord-Cameroun 24
I.1. Les enjeux du développement des territoires ruraux
au Nord Cameroun 25
I.2. Élevage soumis à plusieurs contraintes 29
I.2.1. Pressions sur l'espace pastoral 30
I.2.2. Crise écologique 31
I.2.3. Crise sociale 33
I.2.4. Problème de gouvernance 34
I.3. Pression permanente sur les territoires de mobilités
pastorales 35
I.3.1. Migrations et augmentation des surfaces agricoles 36
I.3.2. Augmentation du cheptel et réduction des
territoires d'élevage 39
I.3.3. Omniprésence des autorités traditionnelles
41
I.3.4. Les aires protégées sous forte pression des
agriculteurs et des éleveurs 43
I.3.5. Un flou juridique autour du système foncier 46
I.3.6. Crise centrafricaine et arrivée massive des
éleveurs mbororo 47
Chapitre II. Contexte sociétal autour des territoires de
mobilité pastorale : rapports entre les
acteurs locaux 51
II.1. Genèse de l'installation des éleveurs
mbororo dans la région 51
II.1.1. Les différents lignages présents dans la
région 52
II.1.2. Comment les éleveurs ont-ils acquis les espaces
de fixation ? 55
II.2. Rapports des éleveurs mbororo avec les acteurs
locaux 58
II.2.1. Rapports avec le pouvoir traditionnel : entre taxes et
conflits latents 59
II.2.2. Rapports avec le pouvoir administratif : entre
perception des taxes officielles et rackettes 62
II.2.3. Les rapports avec les citadins et les élites
commerçantes de la région 63 II.2.4. Les rapports avec les
agriculteurs : entre conflits, échanges et
complémentarités 64
vi
II.2.5. Rapports éleveurs/éleveurs : entre
échanges, complémentarités et conflits 69
DEUXIEME PARTIE : CONTRIBUTION À LA COMPREHENSION DES
TERRITOIRES
DE MOBILITE PASTORALE 75
Chapitre III. Le territoire de mobilité pastorale : essai
de définition et de caractérisation 76
III.1. Évolution du concept de territoire 76
III.2. Le territoire au service du développement 79
III.2.1. Le territoire comme champ d'application du pouvoir 81
III.2.2. Le territoire comme une réalité sociale
82
III.2.3. Le territoire comme lieux de symboles et de
représentations 84
III.2.4. Le territoire comme support d'identité et aire
culturelle 86
III.2.5. Finalement, une définition fondée sur
la boucle de rétroaction qui organise le territoire 89
III.3. Les intérêts du territoire pour
l'élevage mobile 91
III.4. Les enjeux et l'importance de la mobilité pastorale
96
III.5. Quels outils pour appréhender les territoires ?
99
III.6. La nécessité de diagnostiquer le territoire
104
III.7. Le territoire de mobilité pastorale :
définition et caractérisation 108
III.7.1. Le territoire, espace dont un groupe tire ses moyens
d'existence 110
III.7.2. Le territoire de mobilité pastorale, un champ
d'application du pouvoir
traditionnel 114
III.7.3. Le territoire de mobilités pastorales comme une
réalité sociale et culturelle 116
Chapitre IV. Les territoires de mobilité pastorale au
Nord-Cameroun : typologie, acteurs et
fonctionnement 119
IV.1. La zone de sédentarisation de la famille : le
territoire d'attache 119
IV.2. Le voisinage du territoire d'attache : les territoires
pastoraux de proximité 129
IV.2.1. Le territoire pastoral de proximité en saison
pluvieuse 130
IV.2.2. Le territoire pastoral de proximité en saison
sèche froide 132
IV.3. Les territoires de transhumance saisonnière
135 IV.3.1. Territoires complémentaires pour la petite transhumance
de saison sèche chaude 135
IV.3.2. Territoires délimités pour la grande
transhumance en saison des pluies 138
IV.4. Territoire illicite de mobilité pastorale : les
aires protégées 140
IV.4.1. Les acteurs illicites transhumant dans les aires
protégées 143
IV.4.2. Plusieurs raisons évoquées par les
éleveurs pour justifier leur mobilité dans les
parcs 145
IV.4.3. Mouvements des animaux dans les parcs 146
Chapitre V. Démarche de concertation pour l'organisation
et la gestion des territoires de
mobilité pastorale 153
V.1. Les territoires de mobilité pastorale comme bien
commun : comment cogérer ce qui
est à tous ? 154
V.1.1. Histoire et clarification du concept de bien commun
155
V.1.2. Un concept longtemps oublié, revenant
récemment sur le devant de la scène 156
V.2. De nombreuses interventions aux résultats
mitigés en matière de concertation et de
sécurisation foncière 164
vii
V.2.1. Délimitation foncières des villages,
des zones pastorales et des couloirs de
transhumance 165
V.2.2. Formalisation écrite des transactions
foncières individuelles 169
V.2.3. La planification concertée 169
V.2.4. Acquis des principaux projets passés 171
V.2.5. Conflits d'intérêts entre les utilisateurs
et conflits de pouvoirs entre les instances
de médiation et de régulation 173
V.2.6. Succès et insuccès des actions
menées par les projets 177
V.3. Proposition d'une démarche d'appui à la
gestion concertée des territoires de mobilités
pastorales 179
V.3.1. La phase d'identification et de formulation 182
V.3.2. La phase d'analyse 184
V.3.3. La phase de négociation et concertation 187
V.3.4. La phase de mise en oeuvre 191
V.3.5. Consensus à rechercher autour des aires
protégées 200
V.3.6. Difficultés et limites des approches
négociées 203
CONCLUSION GENERALE 207
Références bibliographiques 211
Liste des illustrations 233
Tableaux 233
Figures 233
Encadrés 233
Photo 233
ix
Remerciements
L'idée de faire l'Habilitation à Diriger des
Recherches m'a été suggérée le jour où j'ai
soutenu ma thèse de doctorat le 28 novembre 2008 par le Pr. Jean Louis
Dongmo (mon co-directeur de thèse). « Ce n'est pas la mer à
boire » m'avait-il dit ce jour-là. Depuis cette date, tous mes
efforts sur le plan scientifique, académique et administratif ont
été orientés vers cet objectif. Je tiens très
sincèrement à lui témoigner ma reconnaissance et ma
gratitude, lui qui a guidé depuis toujours mes pas dans la recherche en
ayant encadré ma Maîtrise, mon DEA et ma Thèse.
La décision définitive de m'engager dans cette
entreprise a été prise sous les conseils du Dr Emmanuel
Torquebiau qui m'a orienté vers le Pr Geneviève Cortes. Cette
dernière m'a permis de mieux élaborer mon dossier de candidature
et m'a accompagné dans son aboutissement. Je leur témoigne ici ma
gratitude.
Mes innombrables accueils au CIRAD de Montpellier ont
été facilités par de nombreuses personnes à qui
j'exprime ma reconnaissance. D'abord le Dr Patrick Dugué à qui je
dois beaucoup sur le plan scientifique et humain. De manière
déterminante, Patrick a participé à mes productions
scientifiques de par ses remarques et suggestions multiformes qui ont permis la
rédaction et la publication de plusieurs articles et communications.
Cette collaboration m'a permis de mieux saisir la pertinence et la
méthodologie de rédaction d'articles scientifiques. Sur le plan
administratif, je suis redevable de la diligence du Dr Guy Faure, Directeur
Adjoint de l'UMR Innovation qui de manière spontané à
toujours permis mon accueil au CIRAD. Je pense également à
Brigitte Gillet pour son accueil et son assistance tout le long de mes
séjours.
Je tiens également à remercier l'équipe
de l'UMR ARDEV pour l'accueil et leurs contributions à la finalisation
de ce volume. Je pense particulièrement à Christiane Lagarde pour
sa gentillesse et sa disponibilité.
Tout au long de ma jeune carrière d'étudiant et
d'universitaire, j'ai toujours bénéficié du soutien du
Gouvernement français à travers les bourses d'études et de
stages du
x
Service de Coopération et d'Action Culturelle de
l'Ambassade de France au Cameroun. Je tiens à remercier tous ceux qui de
près ou de loin m'ont facilité la tâche que ce soit pour
les démarches consulaires que pour mon installation et mon séjour
en France. Je pense notamment à Annick Mallet (très
méticuleuse) qui vient de prendre sa retraite bien
méritée, Khalid Difallah pour l'organisation de mon départ
et Éric Force qui a apprécié l'orientation que j'ai
donné à mes travaux et m'a encouragé à aller
jusqu'au bout. Je pense également à tous les conseillers de
Campus France de Montpellier qui, à chaque fois, ont organisé de
manière impeccable mon séjour : Farid Saadoun et Arielle
Michèle.
Lors de mes multiples séjours en France pour la
préparation de ce travail, j'ai bénéficié de
plusieurs appuis scientifiques. Ces séjours m'ont permis de discuter
avec plusieurs chercheurs notamment à l'UMR PRODIG de
l'Université de Paris X Nanterre (Pr Géraud Magrin et Dr
Christine Raimond ainsi les thésards Charline Range, Emmanuel Chauvin et
Audrey Mbagogo) ; au CIRAD de Montpellier à l'initiative d'Hubert
Guérin et coordonnée par le Dr Emmanuel Torquebiau en
présence d'André Marty (Anthropologue pastoraliste),
Véronique Ancey (pastoraliste) et Sergio Dario Magnani (Thésard
en pastoralisme). À tous, je dis merci.
Au Cameroun, mes sincères remerciements vont au Pr Ako
Edward Oben, Recteur de l'Université de Maroua, qui a toujours
accompagné le financement de mes ouvrages et permis ma mise en stage
malgré mes tâches administratives et académiques en tant
que Chef de Département de Géographie. Il en est de même du
Pr Dili Palaï Clément, Doyen de la Faculté des Lettres et
Sciences Humaines, qui n'a cessé de m'encourager dans mes entreprises
scientifiques. Je remercie également tous les collègues de
l'École Normale Supérieure, de la Faculté des Lettres et
Sciences Humaines et de l'Institut Supérieur de l'Université de
Maroua pour leurs appuis multiformes. Je remercie particulièrement M.
Baïmada Gigla (enseignant au Département des Lettres Bilingues)
pour la traduction du résumé.
Je pense sincèrement à mes collègues et
« amis de bière », le Pr Bernard Gonné, le Dr Gormo
Jean, le Dr Saotoing Pierre pour les nombreuses soirées à
discuter entre deux bières de nos travaux scientifiques et nos
carrières professionnelles.
xi
Ma reconnaissance va particulièrement à mon
épouse, Haïda Joséphine, qui a toujours supporté mes
innombrables voyages et mes longues heures tardives et très matinales
devant mon ordinateur pour la rédaction de communications, d'articles,
d'ouvrages et de ce volume de l'Habilitation à Diriger des
Recherches.
Merci à tous ceux qui, sur le terrain, m'ont fourni des
informations et données précieuses pour la finalisation de ce
travail.
Merci enfin aux membres du jury pour l'intérêt
qu'ils ont porté à ce travail et qui ont contribué,
à travers d'inestimables remarques et critiques, à construire une
réflexion pertinente autour de la problématique de gestion et
d'organisation des territoires de mobilité pastorale.
1
INTRODUCTION GENERALE
Préambule
Pendant mon immersion au sein de la communauté
d'éleveurs mbororo dans le cadre de ma thèse, j'ai pu constater
la difficulté pour eux de s'approprier un territoire de vie et
d'activité. Malgré leur volonté de se fixer et d'adopter
une partie des modes de vie sédentaires en pratiquant une agriculture de
subsistance, les éleveurs ne sont pas assurés de leur emprise
territoriale permanente. En août 2007, j'ai reçu sur mon terrain
de recherche Emmanuel Torquebiau, mon co-directeur de thèse. Nous avons
visité les deux terroirs de sédentarisation des éleveurs
mbororo dans le bassin de la Bénoué au Nord-Cameroun. Pendant
cette tournée, nous avons trouvé des villages abandonnés
par les éleveurs qui ont fui les attaques des coupeurs de route (photo
1).
Photo 1. Emmanuel Torquebiau visitant le village de
Laïndé Ngobare abandonné par les
éleveurs
Au cours de cette tournée, mon co-directeur a pu se rendre
compte de la réalité de la
situation que je lui expliquais, sans le convaincre, dans son
bureau au CIRAD à Montpellier. Ce phénomène de prise
d'otages vient compliquer davantage la situation des
Mbororo et de leur volonté d'appropriation territoriale
propre à leur mode de vie et d'activité. Alors qu'ils avaient
commencé à organiser leurs petits territoires de fixation
tout en continuant la mobilité avec leurs animaux,
l'insécurité physique les a obligé à se
déplacer dans les gros villages voisins.
2
Après la soutenance de ma thèse en novembre
20081, je suis revenu dans les deux terroirs pour faire une
enquête complémentaire pour un article que j'étais en train
de terminer avec Patrick Dugué sur la diversification des
activités des éleveurs avec leur fixation. J'ai ainsi pu
constater que de nombreux éleveurs qui faisaient partie de mon
échantillon d'enquête étaient repartis au Nigeria, d'autres
avaient recommencé le nomadisme tandis que la majorité
s'était définitivement implantée dans les villages voisins
tout en rentrant cultiver leurs parcelles. Tous ces mouvements permanents et
ces incertitudes autour des lieux de vie et d'activité de ces
éleveurs m'ont amené à m'interroger sur les territoires de
mobilité pastorale dans ce contexte de forte pression sociale et
sécuritaire. En effet, au Nord-Cameroun, les surfaces agricoles sont en
constante augmentation en même temps que les effectifs bovins. Par
contre, les territoires d'élevage sont en réduction. À
côté de cela, nous assistons au maintien des aires
protégées, des zones d'intérêt
cynégétique et des parcs nationaux. La pression sur ces
territoires pastoraux s'est renforcée depuis 2013 avec l'arrivée
massive des éleveurs mbororo venus de la RCA, accusés
d'être des partisans de la Séléka et violentés par
les anti-balaka (meurtres, rackets,...).
Face à cette situation, il est important pour une
gouvernance territoriale, une gestion harmonieuse et durable ainsi qu'une
limitation des situations conflictuelles entre les différents acteurs,
de réfléchir sur la problématique de gestion et
d'organisation des espaces entre multi-acteurs et activités. Ma
contribution va se limiter aux territoires de mobilité pastorale. En
effet, dans le cadre de ma thèse (Kossoumna Liba'a, 2008) et diverses
publications (Kossoumna Liba'a et al., 2010 ; Kossoumna Liba'a et
al., 2011 ; Dugué et al., 2011 ; Kossoumna Liba'a et
al., 2011 ; Kossoumna Liba'a, 2012 ; Dugué et al.,
2013), j'ai abordé la problématique de gestion des territoires et
des ressources naturelles à l'échelle de deux terroirs
d'éleveurs mbororo sédentarisés non loin de la ville de
Garoua dans le Nord du Cameroun (Ndiam Baba et Laïndé Ngobara). Les
résultats ont mis en évidence les différentes formes
d'organisation, d'exploitation et de gestion des territoires de fixation et de
mobilité (petite et grande transhumance). Ils ont permis
également d'identifier les structures de ces territoires, les espaces
d'appartenance et les
1 La thèse s'intitule : « De la
mobilité à la sédentarisation : gestion des ressources
naturelles et des territoires par les éleveurs mbororo au Nord Cameroun
». Elle a été soutenue le 28 novembre 2008 à
l'Université Paul Valéry - Montpellier III (France).
3
principales dynamiques passées et en cours. Ces travaux
ont relevé enfin les interférences entre les différentes
activités rurales dans et au-delà de ces territoires, les
nouvelles pratiques des éleveurs et les nouveaux niveaux d'organisation
individuels et collectifs.
Partant de la complexité de la mobilité
constatée lors des différents déplacements des animaux au
cours des différentes saisons2, il me paraît important
de mener une réflexion plus large afin de mieux appréhender le
problème plus global sur les territoires de mobilité pastorale au
niveau de la région du Nord-Cameroun en prenant en compte les autres
acteurs en présence que sont les agriculteurs et les lobbies
environnementaux ainsi que les autorités traditionnelles et
administratives. Il s'agit également de proposer, à partir de
l'analyse du contexte local, une démarche de coordination entre les
acteurs pour une gestion harmonieuse de ces territoires de mobilité
pastorale.
Problématisation
Dans la zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun, la
cohabitation entre territoires agricoles, territoires pastoraux et territoires
réservés pour la biodiversité est clairement antagoniste
et conflictuelle, bien que les différents acteurs entretiennent
certaines relations d'échanges et de complémentarité.
Les agriculteurs et les éleveurs, anciennement
implantés dans la région, grignotent les aires
protégées et ont le sentiment de payer au prix fort l'effort de
préservation imposé aux pouvoirs publics par les lobbies
environnementaux. L'augmentation de la pression anthropique dans certaines
zones protégées (favorisée par des mouvements migratoires
importants d'agriculteurs et d'éleveurs, camerounais et
étrangers), le refus de certains lamidats3 de recevoir des
troupeaux, les droits de passage très élevés
pratiqués par d'autres lamidats et le regain de braconnage créent
une situation de tension extrême que personne ne veut prendre le risque
de gérer.
De nombreux territoires de mobilité pastorale (espaces
de pâturage et les pistes à bétail) délimités
depuis longtemps ont été classifiés comme aires
protégées au grand dam des
2 Multitude d'acteurs aux intérêts et
stratégies complexes, difficultés d'accès aux grands
espaces de pâturage délimités, intrusion dans les aires
protégées, difficulté de maintien des espaces
délimités pour l'élevage, conflits,
complémentarités, échanges...
3 Dérivé du fulfulde francisé
« lamido », sur le modèle de sultanat, pour
désigner le territoire sur lequel s'étend le pouvoir d'un
laamii'do (Seignobos et Iyébi-Mandjek, 2000).
4
éleveurs qui se trouvent privés d'une partie de
leurs territoires et voient leurs déplacements réglementés
de façon telle qu'ils ne peuvent plus vivre suivant leur
expérience ancestrale de la terre et de l'eau. En plus, ces territoires
de mobilité sont grignotés par les champs des agriculteurs de
plus en plus nombreux. De manière générale, les
superficies disponibles pour les activités d'élevage et
d'agriculture semblent suffisantes mais leur accessibilité et leur
répartition dans l'espace posent problème.
Cependant, les autorités traditionnelles autant
qu'administratives n'assument plus leur rôle d'arbitrage et de
régulation pour une organisation harmonieuses des territoires ruraux qui
sont délaissés ou valorisés de manière anarchique
ou arbitraire sans prise en compte objective des besoins des populations, des
exigences du développement durable et de la paix sociale. De plus, la
crise économique des années 90 s'est traduite par la baisse des
interventions de l'État dans l'aménagement du
territoire4 et le règlement des conflits territoriaux,
même si certains projets de développement5 sont
intervenus dans la zone sans avoir des résultats probants.
La problématique a donc été
recentrée sur le questionnement suivant : dans un contexte de
densification agricole, d'augmentation du cheptel et de présence de
vastes zones protégées, à quelles conditions et sur quels
territoires l'élevage mobile peut-il continuer à se pratiquer
?
La question centrale de la recherche est donc celle de savoir
quelle est la place de la mobilité du troupeau dans un contexte de
pression sur le territoire rural ?
De nombreux questionnements et interrogations
spécifiques méritent des clarifications et réponses :
comment peut-on envisager une gestion harmonieuse et équitable des
territoires de mobilité pastorale en tenant compte des
préoccupations des autres acteurs en présence (agriculteurs et
lobbies environnementaux notamment) ? À quelles conditions peut-on
continuer à préserver les vastes espaces dédiés
à la biodiversité dans un contexte de forte demande d'espace
agricole et de raréfaction de l'espace de pâturage, en plus de
la
4 De façon générale,
l'État ne se donne pas les moyens financiers de ses politiques. Les
fonds mobilisés sont principalement issus de l'aide au
développement. L'État a donc rarement des moyens continus pour
assurer un contrôle effectif des espaces ou des ressources publics et
d'en réguler l'exploitation.
5 Projet de Développement Paysannal et de
Gestion des Terroirs (DPGT), Projet de Gestion Sécurisée des
Espaces Pastoraux (GESEP) Projet de développement de l'Ouest
Bénoué (PDOB)...
5
convoitise permanente des agriculteurs et des éleveurs
? Comment peut-on réhabiliter et préserver les territoires de
mobilité pastorale (espaces de pâturage et pistes à
bétail) délimités mais colonisés par les
agriculteurs ? Comment la mobilité pastorale peut-elle continuer
à se faire dans un contexte de forte pression sur les territoires qui
lui sont dédiés ? Comment les éleveurs adaptent-ils leurs
mobilités ? Quels sont les différents territoires de
mobilité utilisés par les éleveurs et quelles sont leurs
caractéristiques ? Comment faire émerger un consensus entre les
acteurs autour des territoires communs ? Quelles instances de gestion et
d'organisation pour les territoires de mobilité pastorale ? Quelles sont
les conditions de durabilité des modalités de gestion et
d'organisation de ces territoires de mobilité pastorale ? À
quelles conditions peut-on envisager une spécialisation territoriale ou
une mixité ? Telles sont les préoccupations qui guident notre
réflexion dans le cadre de cet essai.
Démarche méthodologique
La démarche méthodologique commence par le
cadrage de la thématique au cours d'un stage postdoctoral au sein de
diverses unités mixtes de recherche. Le concept de territoire de
mobilité qui est au centre de notre positionnement scientifique s'appuie
sur les travaux pionniers qui nous ont permis d'abord de mieux
appréhender le « territoire » de manière
général, puis de manière spécifique de saisir son
sens comme bien commun et enfin de le situer dans le contexte de la
mobilité pastorale. L'analyse de la place du territoire dans la
mobilité pastorale s'appuie également sur diverses
théories autour des biens communs dont celles de Garrett Hardin et
d'Elinor Ostrom dans leurs soucis respectifs de saisir la construction des
relations, d'appréhender les processus de négociation entre
acteurs aux intérêts parfois divergents qui partagent une
ressource commune.
Le thème abordé dans le cadre de cet essai
s'inscrit dans une réflexion partagée qui a débuté
en 2012 à travers diverses rencontres et stages de recherche. En effet,
du 1er novembre 2012 au 30 janvier 2013, j'ai effectué un stage
postdoctoral à l'UMR Innovation du CIRAD de Montpellier (France). Le
stage a été financé par le Service d'Action Culturelle et
de Coopération (SCAC) de l'Ambassade de France au Cameroun et
géré à Montpellier par Campus France. Ce séjour m'a
permis de discuter avec plusieurs
chercheurs notamment à l'UMR PRODIG de
l'Université de Paris X Nanterre et au CIRAD de Montpellier.
Les divers échanges m'ont permis de recadrer ma
thématique autour de l'approche géographique de la
mobilité de l'élevage dans un contexte de pression en insistant
sur le concept de territoire de mobilité pastorale. Nous avons ainsi
centré le contexte autour des incertitudes fortes sur les territoires de
mobilité pastorale sur le plan spatial (accroissement des surfaces
agricoles, maintien voire extension des aires protégées,
occupation des pistes à bétail et des parcours) et
sociétal (genèse de l'installation des éleveurs dans la
région, les processus et mode d'appropriation de l'espace de fixation,
relations entre les éleveurs et les autres acteurs). L'accent a
été porté sur la logique institutionnelle
défavorable à l'élevage alors que les élites
locales capitalisent ou investissent dans le bétail.
Échelle d'observation et d'analyse
La recherche se base sur la géographie des territoires
avec un accent spécifique sur les territoires de mobilité
pastorale. Deux types d'échelles nous intéressent dans le cadre
de cet essai : l'échelle d'étude et l'échelle d'action.
L'échelle d'étude correspond à des
échelles de gestion, d'exploitation et d'organisation des territoires de
mobilité (Figure 1).
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Territoires illicites de mobilité pastorale
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Territoires de transhumance saisonnière
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Territoires pastoraux de proximité Territoire de fixation
des éleveurs
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6
Figure 1. Échelles d'étude des
territoires de mobilité pastorale
Elle est régionale en considérant la
verticalité : petits territoires de fixation des éleveurs (Ndiam
Baba et Laïndé Ngobara) ; territoires pastoraux de proximité
(collines, bas-fonds et territoires d'agriculteurs voisins à savoir
Boklé, Sanguéré Paul, Djefatou, Djola) ; territoires de
transhumance saisonnière (bord des cours d'eau, espaces de
pâturage délimités, villages lointains à savoir
Kalgué, Mayo Bouki, Dembo et Gouna) ; territoires
7
illicites6 de mobilité pastorale (zones
d'intérêt cynégétique et parcs nationaux de Faro,
Bénoué et Bouba Ndjidda).
Sur le terrain, nous avons également cherché
à faire une superposition de différents niveaux de territoires
avec les autres acteurs en présence (élevage/chefferies ;
élevage/communes ; élevage/aires protégées ;
élevage/agriculture,...).
Nous nous sommes appuyés sur l'analyse de la place des
acteurs impliqués dans la gestion et l'organisation de la
mobilité au niveau des différents territoires. Cette
mobilité est d'autant plus singulière qu'elle ne s'intègre
pas dans une dynamique locale institutionnalisée, comme on le constate
au Niger et au Mali où l'on remarque une meilleure gestion de la
transhumance à condition que les éleveurs soient
intégrés ; exemple également au Sénégal avec
les peuls qui s'installent et s'intègrent dans la gestion des communes
et des forages grâce à leur cotisation et les taxes qu'ils
paient.
Nous avons également tenu compte de l'échelle
transnationale de la mobilité des éleveurs dans et autour des
aires protégées (relation de réciprocité entre les
nouveaux arrivants, avec les transhumants des autres pays, ceux qui partent du
Tchad pour le Nigeria en passant par le Nord-Cameroun). En même temps,
nous nous sommes focalisés sur les rapports entre les différents
territoires.
L'échelle d'action renvoie à des échelles
de décision, de négociation et de concertation spatiale. Elles se
répartissent entre le territoire villageois, le territoire communal, le
territoire intercommunal, le territoire coutumier et, dans une moindre mesure,
le territoire administratif.
|
Territoire administratif Territoire coutumier
Territoire intercommunal Territoire communal
Territoire villageois
|
Figure 2. Echelles d'action
6 Les territoires illicites sont constitués
des zones d'intérêt cynégétiques (aires
protégées et parcs naturels). Malgré l'interdiction d'y
pâturer, les éleveurs y « volent » du pâturage
selon leur propre terme, d'où son caractère illicite.
8
L'échelle de l'action dans le cadre de la
mobilité pastorale peut être diverse, mais l'impact de cette
action sur le spatial est toujours local. Une politique régionale aura
des impacts locaux, même si son étendue correspond à la
région. C'est pour cela que tous les niveaux spatiaux de décision
doivent être intégrés dans le processus de
négociation et de concertation.
La recherche se déroule dans le Nord du Cameroun. Cette
région se situe dans le bassin de la Bénoué entre
l'Extrême-Nord et l'Adamaoua (figure 3).
12° 16°
12° 16°
12°
8°
Légende
1200 mm
0 50 100 km
Chef-lieu de région Ville secondaire
Zone cotonnière
Aires protégées (Faro) Territoires
d'étude
Cours d'eau
Yaéré
Limite régionale
Limite nationale
Route nationale n°1
W + E
Ndiam Baba
Laïndé Ngobara
Kalgué Ngong
Mbé
Ngaoundéré
Garoua
Adamaoua
600 mm
Gouna
Mayo Bouki
Dembo
Nord
Adoumri
Extrême-Nord
Kaélé
Guider
Lac Tchad
Maroua
Tcholliré
Mora
Touboro
Kousséri
Yagoua
12°
8°
Figure 3. Présentation du Nord-Cameroun et
des territoires d'étude
9
Dans la plaine de la Bénoué, le climat est
soudanien à une seule saison des pluies au sud et de type
sahélien au nord (Roupsard, 1987). La pluviométrie est comprise
entre 700 et 1 500 mm d'eau par an répartie sur cinq mois. La diminution
globale de la pluviométrie au cours des deux dernières
décennies, liée à l'irrégularité de la
répartition et de la date d'arrêt des pluies, engendre un risque
climatique pour la culture cotonnière qui s'accroît avec la
latitude (M'biandoun, 1990).
La diversité des sols de cette zone provient de la
pluralité des conditions de pédogenèse liées aux
contrastes pluviométriques et aux contrastes des reliefs qui
caractérisent cette région. Cette diversité est croissante
du Sud vers le Nord (Brabant et Gavaud, 1985 ; ORSTOM, 1984 ; USAID fac, 1974).
Sur l'ensemble de la région, les principaux types de sols
rencontrés par ordre d'importance agronomique décroissante sont
d'abord les sols ferrugineux tropicaux (texture à dominante sableuse,
horizon argileux en profondeur) qui couvrent environ 2 000 000 ha et 60% des
terres cultivées, puis les vertisols (à forte teneur en argile 40
à 45% et forte capacité de rétention d'eau). Ensuite
viennent les sols fertialitiques (à teneur en argile moyenne 25%)
souvent caillouteux ; les sols hydromorphes (horizon à gley ou
pseudo-gley, forte activité biologique) fréquents au Sud de
Garoua (Tcholliré, Bocki sur environ 600 000 ha) ; les sols alluviaux
dans les vallées en bordure des rivières.
Les sols du bassin de la Bénoué se sont
formés à partir d'un socle cristallin fortement
arénisé et sur des grès datant du crétacé
(ORSTOM, 1984). Ce bassin contient des sols légers aptes aux cultures
pluviales. Ce sont les sols ferrugineux tropicaux profonds et souvent
lessivés des plaines d'alluvions anciennes et des zones
vallonnées. Ce sont aussi les sols profonds argilo-sableux et
argilo-limoneux formés d'alluvions fluviales récentes, comme ceux
de la vallée de la Bénoué et de la vallée du Faro.
Les vertisols sont assez peu représentés (vallée de la
Bénoué et du Mayo Kébi). Les sols hydromorphes, à
argiles gonflantes des bas-fonds et de plaines, sont très étendus
(Bocki, Tcholliré). Ils sont durs et sensibles à l'érosion
hydrique. Les lithosols peu évolués se situent aux pieds des
pentes (apports colluviaux) et sur les versants des reliefs (sols
d'érosion). Ils sont peu propices à l'agriculture.
10
Sur le plan géologique, cette région est
localisée sur un bassin crétacé, parsemé
d'inselbergs et dominé par des massifs gréseux, granitiques ou
volcaniques. Ils sont dominés par des sols minéraux bruts
lithosoliques et les sols peu évolués d'érosion lithiques
(Brabant et Humel, 1974). Ces massifs montagneux portent le nom fulfulde de
« hossere ». On peut citer hossere
Laïndé-Massa ; hossere Bangoura ; hossere
Wadjéré ; hossere Kokoumi ; hossere
Kalgué ; hossere Siddiri ; hossere Mbapé ;
hossere Harandé ; hossere Ndiam Baba ; hossere
Ngola ; hossere Sorké...
Sur un soubassement de roches cristallines ou
métamorphiques, se sont déposées d'importantes alluvions
le long du réseau hydrographique composé essentiellement de la
Bénoué (13 614 km), le Mayo Kebbi, le Mayo Rey et le Faro (13 493
km) très poissonneux (Segalen, 1967). Il existe cependant dans cette
zone plusieurs autres cours d'eaux intermittents qui tarissent presque tous
pendant la saison sèche. Parmi les cours d'eau les plus importants, on
peut citer : mayo Douka ; mayo Gabago ; mayo
Betnodjé ; mayo Binossi ; mayo Tane ; mayo
Dadi... À côté de ces cours d'eau, il existe des lacs
naturels dont les plus remarquables sont Ndjigoro manga, Ndjigoro
pétel, Ngouen, Babi, Goré...
La végétation varie suivant le climat, la
pluviométrie, le relief et les différents types de sols. D'une
manière générale, il existe dans la zone des savanes
boisées ou arborées ou arbustives voire des forêts claires
du bassin de la Bénoué. Les principales formations
végétales sont (Letouzey, 1985) : la formation grégaire
à Isoberlinia doka et Isoberlinia tomentosa ; la
formation à Boswellia odorata, Sclerocarya birrea,
Prosopis africana ; les formations à Combretum, Terminalia,
Anogeisus leiocarpus. Dans les zones inondables, on distingue les
formations graminéennes à Hyparrhenia rufa, Vetiveria
nigritana et Echinochloa pyramidalis ; sur les montagnes, on
rencontre une forêt claire faite de Ficus, Diospyros, Boswelia,
Vitellaria... Le bas des versants est recouvert de ligneux comme
Crossopteryx erinaceus, Bombax costatum, ainsi que Anigeisus
et Isoberlinia. La strate herbacée est à base de
Pennisetum pedicellatum et Andropogon tectorum. On trouve
également dans ces montagnes diverses espèces d'Acacia
(hockii, dudgeoni, senegal,..).
Sur le plan agricole, au Sud de Garoua, le coton, le maïs
et l'arachide constituent les principales sources de revenus pour les paysans.
Dans la région de Guider et des
11
piémonts, le coton et l'arachide demeurent les
principales cultures de rente tandis que le sorgho pluvial est
réservé à l'autoconsommation et à la fabrication de
la bière (bit bit).
Hypothèse de recherche
La recherche part de l'hypothèse que dans un contexte
de forte incertitude sur le territoire pastoral, la mobilité du troupeau
ne peut continuer à se faire que grâce à un consensus pour
une délimitation territoriale et une forte implication de l'État
et des acteurs locaux (élites, autorités traditionnelles,
agriculteurs, éleveurs, conservateurs). Il s'agit de considérer
l'ensemble des acteurs, individuels ou collectifs, étatiques, coutumiers
ou privés qui, de droit ou de fait, jouent un rôle effectif dans
la régulation de l'accès et de l'usage des terres et des
ressources naturelles, à travers des décisions portant sur la
définition des règles d'accès ou d'usage, l'attribution de
droits, l'arbitrage de conflits, la formalisation de droits ou d'accords, etc.
Il s'agit comme le suggèrent Benkahla et Hochet (2013) de décrire
concrètement la façon dont les choses se passent
réellement, sans présager de leur statut au regard de la loi,
avec leurs relations de complémentarité, de compétition,
de concurrence ou de synergie : pour un type de problème donné,
quelle(s) autorités sont mobilisées par quels acteurs ? Quels
sont les rapports entre pouvoirs coutumiers, administration territoriale,
services techniques dans le traitement de ce type de problème ?
Permettent-ils d'arriver à des solutions ? Ces questions permettent de
s'interroger sur le fait que de nombreux acteurs interviennent potentiellement,
que les acteurs qui jouent un rôle effectif ne sont pas forcément
ceux qui ont des prérogatives légales, que les relations qu'ils
ont entre eux sont variées.
Un travail de l'état de l'art nous a permis de nous
positionner par rapport à des controverses scientifiques ou au sein des
milieux du développement pour mieux problématiser la recherche
par rapport à la zone soudano-sahélienne d'Afrique et montrer ce
qui fait la spécificité du Nord-Cameroun. Nous avons
également fait le point sur les expériences passés et en
cours concernant l'appui à la mobilité du bétail,
l'organisation et la gestion des territoires ruraux dans cette région.
Les éleveurs étant les premiers concernés par la
recherche, nous avons voulu mettre en évidence l'identité des
éleveurs et leur place dans le contexte sociopolitique de la
région. La problématique des inégalités (sociales
et ethniques) des acteurs face aux enjeux territoriaux nous amène
à montrer que
12
les éleveurs sont des acteurs faibles dans le processus
de négociation, d'accès et de gestion des territoires ruraux dans
le Nord du Cameroun.
Clarification du concept de territoire de mobilité
pastorale
Notre vision du territoire s'appuie sur le courant de
pensée amorcé par les géographes « tropicalistes
», notamment africanistes, comme Jean Gallais, Pierre Gourou, André
Lericollais, Paul Pélissier, Gilles Sautter qui ont commencé
à se préoccuper de la diversité des milieux et de leurs
rapports à la société. L'apport des monographies de
terroir fut unanimement reconnu du fait de la rigueur méthodologique qui
les guidait, et même si leur composante était fondamentalement
descriptive, ces monographies tentaient d'avoir une compréhension
globale des processus (Gallais, 1989). Ces travaux se sont attelés
à montrer les faits d'organisation sociale, de structuration des
systèmes fonciers, de la relation à la nature. Cette
géographie tropicale africaine s'est surtout intéressée
aux grandes échelles, aux terroirs (et non à la région),
aux zones rurales et aux sociétés traditionnelles (Claval et
Sanguin, 1996).
Pendant mon séjour à Montpellier dans le cadre
de ma thèse, j'ai pu consulter les travaux d'autres géographes
qui s'intéressent davantage à l'analyse spatiale, l'utilisation
de méthodes statistiques, la valorisation graphique des études,
tout ceci teinté d'innovations dans tous les domaines, que ce soit
technique comme conceptuel. Le structuralisme a eu évidemment une
influence très forte sur ces travaux (Brunet, 1987 ; 1997). Ces derniers
étaient pratiquement tous orientés vers la détermination
de structures spatiales construites sur la base de similitudes des
paramètres des unités spatiales. Beaucoup d'espaces ont ainsi
été passés au peigne fin de la statistique et des
données socio-économiques, pour en dégager des
chorèmes, des modèles d'organisation, des cartes de
synthèse, des atlas. J'ai d'ailleurs pu m'approprier le langage
chorématique que j'ai appliqué à mon terrain de recherche
doctorale pour modéliser les petits territoires de fixation des
éleveurs (Kossoumna Liba'a, 2008).
Le choix de travailler sur la mobilité pastorale m'a
donc amené à manipuler le concept de territoire. Celui-ci est
issu de la longue histoire de la géographie, et en particulier de la
période des années 1950-1980, pour laquelle l'héritage des
géographes ruraux, et surtout tropicalistes, mais aussi les innombrables
débats théoriques qui eurent lieu, ont été
13
fondamentaux dans la construction d'une discipline qui a su
résister, dans une certaine mesure, au courant positiviste. Ce concept
est aujourd'hui bien approprié par la géographie, notamment
économique et sociale, mais aussi par d'autres disciplines comme la
sociologie et l'économie.
Sur le plan conceptuel, nous nous sommes attelé
à clarifier le concept de territoire de manière
générale avant de proposer une définition et une
caractérisation des territoires de mobilité pastorale. Partant de
son sens politico-administratif tel qu'utilisé à partir du
XVIIème siècle, le territoire est en effet
replacé dans la géographie universitaire avec sa
définition dans le Dictionnaire de Géographie dirigé par
Pierre George (1970) et la réorientation de son usage dans la
géographie française avec les travaux de Ferrier (1984) et sa
diffusion dans divers domaines des sciences (géographie,
économie, sociologie). Après le sens donné par les
géographes tel Le Berre, Brunet, Di Méo, Raffestin, le territoire
est placé au centre de débats sur sa place au service du
développement à travers les travaux de Moine (1995), Levy et
Lussault (2003), Le Berre (1992) ou Debarbieux (1999).
Une des questions épistémologique est
également de savoir si le territoire a un sens pour la
société. Au Nord-Cameroun, le territoire est le lieu
d'application du pouvoir traditionnel. Cette acception du territoire que les
géographes lient au contrôle et au pouvoir est attachée aux
problèmes de géographie politique que nous documentons en nous
appuyant sur les travaux de Pinchemel et Pinchemel (1997), de Claval (1995) et
de Gottmann (1973). Dans cette région, le territoire est
également une réalité sociale. Partant de
l'éthologie animale à partir des travaux l'autrichien Konrad
Lorenz (1973) et le Néerlandais Nikolaas Tinbergen (1967) qui font
découvrir le rôle que joue la territorialité dans la vie de
beaucoup d'espèces, nous nous attardons sur les points de vue des
géographes qui se refusent à transposer les leçons de ces
chercheurs à leur domaine. Il en est ainsi des travaux de Malmberg
(1980), Roncayolo (1990), Claval (1995), Le Berre (1992), Badie (1995) ou Di
Méo (1998) qui retirent des exemples fournis par l'éthologie
l'idée qu'il faut s'attacher aux moyens mis en oeuvre pour
contrôler l'espace afin de comprendre le dynamisme des
sociétés. Par ailleurs, que ce soit les éleveurs ou les
autres acteurs qui utilisent, gèrent et contrôlent le territoire,
ils le considèrent comme lieux de
14
symboles et de représentations qui ont fait
également l'objet de nombreux travaux de géographes. Cette
dimension symbolique du territoire est en effet présente dans les
travaux de Gottmann (1952), Dardel (1990), Brunet et al., (1992),
Claval (1995), Di Méo (1998) ou Raffestin (1986), Moine (2005) ou
Debarbieux (1999). En plus, les différents acteurs ont un sentiment
d'appartenance aux territoires qui est une construction mentale. Les
géographes se sont également intéressés à
cette place de l'identité dans la perception du territoire comme le
montrent les travaux de Bonnemaison et Cambrezy (1995), Le Berre (1992), Berque
(1970), Martin (1994), Claval (1995), Di Méo (1998), Moine (2005) ou
Brunet (2001). Le territoire est donc, comme le suggère Mazurek (2012),
du domaine des acteurs, mais surtout des actions et des stratégies qui
peuvent être du domaine du réel, de l'imaginaire ou du virtuel,
mais qui, toujours, reconstruisent des réalités identitaires sur
l'espace. Le territoire est donc multiple, fonction de l'appropriation des
groupes sociaux, et c'est l'interaction entre ces territoires qui forme
l'espace. Finalement, nous convenons avec Moine (2005) que le territoire est un
système complexe dont la définition est fondée sur la
boucle de rétroaction qui l'organise. Son fonctionnement s'appuie ainsi
sur le sous-système acteurs qui agit sur le sous-système de
l'espace géographique que nous allons tenter d'appliquer à la
situation du Nord-Cameroun.
Le territoire a également un intérêt pour
l'élevage. Les travaux sur les relations entre le territoire et
l'élevage montrent que les communautés d'agriculteurs y accordent
une place centrale comme l'attestent Hubert (1994), Gibon et Ickowicz (2010).
Ces relations façonnent les paysages et la biodiversité (Caron et
Hubert, 2000) et produisent des services écosystémiques (Burkhard
et al., 2009). Les différentes dimensions des interactions
entre l'élevage et le territoire ont fait l'objet de définitions
par des auteurs comme Manoli et al. (2010). Après avoir
cherché à comprendre le rapport à l'espace des
activités d'élevage, dans un contexte où les ressources
naturelles deviennent un facteur limitant et où il y a une
compétition avec d'autres activités pour l'utilisation de
l'espace, ces auteurs se centrent sur la représentation de la
localisation des systèmes de production et des densités animales.
Nous nous appuyons également sur les points de vue d'autres auteurs
comme Sere et Steinfeld (1996), Bourn et Wint (1994), Kruska et al.,
(2003), Reid et al., (2000), Thornton et al., (2007) qui ont
proposé de cartographier les différents types de systèmes
de production à une échelle régionale en les mettant en
relation avec divers
15
facteurs (agro-écologiques, localisation, contraintes).
Au regard de l'évolution de la situation des territoires
d'élevage au Nord-Cameroun, nous nous sommes intéressés
par ailleurs à d'autres groupes de travaux qui ont pour objectifs
d'étude les dynamiques d'utilisation des sols (Poccard-Chapuis, 2005 ;
Lambin et al., 2001 ; Ickowicz et al., 2010; Naylor et
al., 2005 ; Bommel et al., 2010).
Sur le plan méthodologique, en prenant en compte
l'emboîtement des sous-systèmes acteurs et espaces
géographiques qui rend difficile l'interprétation et la
compréhension des territoires de mobilité pastorale, nous nous
sommes appropriés la démarche systémique qui est
présentée comme un paradigme capable de guider l'approche et la
compréhension des systèmes complexes. Nous nous appuyons ainsi
sur les travaux de Moine (2005) qui, sans proposer de nouveaux outils, essaie
de repositionner des approches reconnues, les unes par rapport aux autres, dans
un ensemble susceptible de permettre une meilleure compréhension des
territoires. Le diagnostic territorial proposé par l'auteur s'appuie sur
trois sous-systèmes, liés entre eux : le contexte naturel du
territoire, l'organisation de l'espace géographique et l'organisation
des acteurs. L'approche suppose la mise en oeuvre combinée d'outils
permettant de comprendre le fonctionnement d'un territoire et, le cas
échéant, de proposer des simulations de son évolution.
Sans mobiliser, comme le suggère François (1997), la combinaison
d'outils (Systèmes Multi-Agents, Systèmes d'Information
Géographique, Automates Cellulaires, Systèmes de Gestion de Bases
de Données, Systèmes Experts, Réseaux Neuronaux) en amont
desquels l'approche systémique est toujours requise, nous proposons une
démarche concertée pour la gestion durable et paisible des
différents territoires en prenant en compte le point de vue des
différents acteurs en présence. Pour cela, s'impose une
nécessité de diagnostic du territoire qui distingue, à
partir des signes visibles dans le paysage, la situation, le fonctionnement et
la dynamique de l'activité agricole et distingue les enjeux relatifs
à son évolution et aux interactions avec les activités non
agricoles présentes dans le territoire, comme le propose Lardon et
al., (2007) et Benoît (1977). Nous avons tenté comme le
suggère Guetat-Bernard (1999) de repérer les dimensions
conjuguées des différents espaces à la fois social,
perçu ou représenté, de vie, produit. Afin d'aboutir
à une analyse du territoire la plus complète possible, nous avons
retenu comme Merenne (2002) le principe de considérer qu'un territoire
comprend de façon
16
pertinente et générique cinq
sous-systèmes territoriaux : i) la résidence, ii)
l'appropriation, iii) l'exploitation, iv) la communication et les
échanges et v) la gestion.
La capitalisation des approches, visions et expériences
des différents auteurs nous a permis de mieux appréhender les
territoires de mobilité pastorale pour lesquels nous avons
proposé une définition et une caractérisation qui prend en
compte sa diversification et sa complexification. En nous appuyant sur le
contexte du Nord-Cameroun, cette clarification conceptuelle coordonne notamment
les dimensions sociales, politiques, économiques et environnementales,
en considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus
en plus active de tous les acteurs concernés de près ou de loin.
Dans cette région, nous considérons le territoire de
mobilité pastorale comme un champ d'application du pouvoir traditionnel,
mais aussi comme une réalité sociale et culturelle qu'il faut
prendre en compte dans tout processus de décision pour son
fonctionnement et sa gestion.
Positionnement théorique
Sur le plan théorique, nous nous appuyons sur le
modèle de Garrett Hardin qui stipule que, lorsqu'une ressource est en
libre accès, chaque utilisateur est conduit spontanément à
y puiser sans limite, poussant à sa disparition. L'exemple donné,
qui correspond à la situation constatée au Nord-Cameroun, est
celui d'un pâturage sur lequel chaque éleveur cherche à
accroître son troupeau puisque, de toute façon, le prix à
payer est quasi nul par rapport au bénéfice immédiat
obtenu. Mais, au terme de ce processus, tous les éleveurs sont perdants.
On relève ici une parenté de cette « tragédie »
avec la thèse de la surpopulation que Malthus avait
énoncée à la fin du XVIIIème
siècle. Selon Hardin (1968), il n'y a que trois solutions à cette
« tragédie » : la limitation de la population pour stopper la
surconsommation, la nationalisation ou la privatisation. Émise à
la veille du grand mouvement de dérégulation et de
déréglementation de l'économie mondiale, on comprend que
la troisième voie fut exploitée à fond pour justifier le
recul de l'intervention publique. Le modèle de Hardin est une
application du dilemme du prisonnier mis en évidence par la
théorie des jeux. Si les suspects, au lieu de se dénoncer
mutuellement, coopèrent, ils subiront des peines moins lourdes. Mais ils
ne sont pas portés spontanément à la coopération
et, dès lors, tous ont tendance à se comporter en «
passagers clandestins ».
17
C'est la pertinence de ce modèle que va attaquer
vigoureusement Elinor Ostrom sur la base d'une approche
néo-institutionnaliste.
L'analyse s'appuie également sur la théorie de
l'intérêt commun d'Elinor Ostrom. Son approche renouvèle la
façon d'aborder les problèmes, occasion de saisir les relations
qui se construisent, les négociations qui s'observent. Ses travaux ont
montré comment l'étude de formes de propriété et de
gestion collective, outre l'intérêt qu'elle présente en
elle-même, permet des avancées majeures dans la
compréhension de nos économies, au-delà des institutions
dominantes sur lesquelles ont porté la plus grande partie des analyses
des économistes, à savoir les marchés, les firmes ou les
institutions publiques. La problématique d'Ostrom se situe dans ce cadre
néo-classique rénové par le courant
néo-institutionnaliste. Pour résoudre le problème des
passagers clandestins, sur lequel insistait Hardin, Ostrom veut «
contribuer au développement d'une théorie valide au plan
empirique des formes d'auto-organisation et d'autogouvernance de l'action
collective » (Ostrom, 2010 : 40), de telle sorte que « les
appropriateurs adoptent des stratégies coordonnées »
(ibid : 54). Autrement dit, et c'est l'originalité du travail d'Ostrom,
elle cesse de se fixer sur la nature des biens qui déterminerait leur
caractère de commun et elle se penche au contraire sur le cadre
institutionnel et réglementaire qui préside à leur
érection en tant que communs, mieux, qui les institue en tant que
communs. Si la problématique des biens communs/collectifs/publics
s'oppose à celle des enclosures, ce n'est pas parce que, soudainement,
la nature des biens aurait changé ; c'est parce qu'il s'est produit un
changement dans les rapports de forces, dont la sanction va être
l'abolition d'anciennes règles et l'adoption de nouvelles. Au lieu de
voir seulement dans les biens communs comme des ressources, Ostrom les
considère comme une forme particulière de propriété
qui ne peut être séparée d'une délibération
collective permanente.
Collecte de données complémentaires
auprès des acteurs
La collecte des données complémentaires s'est
étalée sur deux années (2012 et 2013). L'analyse de la
genèse de l'installation des éleveurs mbororo dans le
Nord-Cameroun a permis de mieux comprendre leur place et leurs rôles dans
la gestion et le fonctionnement des territoires de mobilité. Les
enquêtes et entretiens auprès de vingt chefs
18
d'exploitation7, choisis de manière
aléatoire, ont permis de revenir sur la façon dont ils ont acquis
les espaces de fixation en analysant les rapports/alliances avec les
lamibé et en insistant sur les rentes captées par ces derniers,
les fréquentes remises en cause des droits d'accès. Nous nous
sommes également penchés sur le rôle des liens que les
éleveurs mbororo tissent avec les citadins et les élites
commerçantes de la région pour pouvoir accéder à
certains territoires. Ensuite, les enquêtes et entretiens dans les
villages environnements nous ont permis de mieux saisir les rapports que les
éleveurs mbororo entretiennent avec les autres groupes qui investissent
également dans l'élevage (Massa, Moundang, Toupouri...) pour
savoir si, par-delà tous les conflits, il n'y a pas des alliances, des
échanges et des complémentarités. De manière
générale, l'historique des migrations et des fixations de ces
acteurs allogènes ont permis de s'intéresser à la
politique au niveau local et régional d'accompagnement des mouvements
des populations. Cela a permis de saisir les stratégies d'adaptation de
ces acteurs à la crise et à l'évolution du fonctionnement
de l'État et de la politique d'aménagement des espaces ruraux de
manière générale.
Enfin, nous sommes revenus sur l'histoire de la protection des
espaces pour savoir qui étaient les lobbies environnementaux, pour
comprendre dans quels contextes l'État a accepté de classifier
ces espaces et la place de l'élevage dans ces espaces.
Par rapport à la mobilité, nous avons fait des
investigations sur les déterminants des mouvements et des
mobilités, en ciblant plus particulier les points suivants : les raisons
qui provoquent les départs, les mobilités, l'identité et
les caractéristiques de ceux qui bougent c'est-à-dire ceux qui
ont les moyens de partir8. Il s'agissait de connaitre le profil de
ceux qui restent et ce que font ceux qui n'ont pas la capacité de
s'adapter, leurs marges de manoeuvre, les dynamiques observées, les
transformations, les évolutions de la mobilité avec la pression
et les contraintes ainsi que les adaptations face à la fragmentation de
l'espace. En outre, si les éleveurs « volent » du
pâturage dans les aires
7 C'est une unité de production familiale
qui se résume à l'ensemble regroupant un homme marié (chef
de ménage), son (ses) épouse(s), leurs enfants et
d'éventuels dépendants directs, les parcelles en
propriété, le cheptel animal et l'ensemble des activités
extra-agricoles. Cette définition assez globale correspond au saare
qui, au Nord-Cameroun, est considéré comme
l'exploitation.
8 En Côte-d'Ivoire par exemple, ceux qui partent
ne sont pas n'importe qui.
19
protégées, ce qu'ils vont au-delà des
limites qui sont finalement flexibles et dénote de la capacité
des éleveurs à bouger, à s'engouffrer dans des
brèches.
Nous nous sommes intéressés non seulement
à la mobilité du troupeau mais aussi à la mobilité
des hommes. La mobilité s'inscrit en effet dans les trajectoires
mêmes des éleveurs. C'est un fond culturel et de capacité ;
nous faisons allusion ici à ce qu'on appelle « le capital
mobilité » que l'on analyse en termes de capabilité. Cette
notion s'appuie sur les débats actuels sur les politiques de transition
en rapport à la mobilité des animaux (continuité de
l'élevage extensif basé sur la mobilité ou
évolution vers l'intensification, mais à quelles conditions
?).
Les enquêtes et entretiens avec les éleveurs ont
par ailleurs permis de cerner la place de la gouvernance dans cette
région, notamment en ce qui concerne la corruption, les rackets et
brimades. Nous partons du constat que l'État laisse faire les
autorités traditionnelles dans l'organisation de l'accès et de la
gestion des territoires ruraux. Face à la puissance des lamibés
dans cette région, les marges de manoeuvre semblent faibles, au risque
d'une explosion sociale comme en RCA et au Nigeria. Or, si nous assistons
à la démission de l'État dans la mise en oeuvre des
politiques de développement territorial, un transfert de
compétence dans ce sens doit être opéré. En effet,
dans un contexte de crise économique persistante et de
décentralisation en cours, on assiste à la mobilisation des
acteurs locaux et à l'émergence des politiques de
développement territorial local. Ainsi, le système administratif
local doit être réactif et d'adapter rapidement aux diverses
mutations du territoire. Ce système doit chercher alors à
susciter la mobilisation des acteurs locaux autour du projet de
développement territorial à partir de nouvelles pratiques de
gestion, d'organisation, de fonctionnement, de négociation, de
concertation, de décisions partagées. Cette orientation fait
appel à la notion de gouvernance territoriale qui, au-delà d'un
terme à la mode, est une nécessité face à la
réalité des territoires en mouvement et en mutation dans une zone
rurale sous forte pression. La gouvernance met l'accent sur la crise de la
gouvernabilité des territoires, la multiplicité et la
diversité des acteurs et l'interdépendance des acteurs entre eux.
La superposition des textes étatiques avec les coutumes locales, qui a
un impact direct ou indirect sur la vie du territoire, créée
des
20
incertitudes chez les acteurs, que vient encore aggraver leur
complexité tant sur le plan juridique que social.
Concernant les modes de gouvernance, nous nous appuyons sur
les travaux d'Olivier de Sardan (2004). En prenant le concept de «
gouvernance » dans un sens purement descriptif et analytique, aussi
empirique que possible, nous le définirons avec lui comme une forme
organisée quelconque de délivrance de biens et services publics
ou collectifs selon des normes et logiques spécifiques. Chaque
forme organisée de cette délivrance (chaque arrangement
institutionnel), fonctionnant selon des normes particulières et mettant
en oeuvre des logiques spécifiques, peut alors être
considérée comme un « mode de gouvernance ». Cette
définition que nous avons retenue se focalise par contre sur une
fonction particulière de l'action collective, de l'autorité ou de
la régulation, qui a longtemps été associée
à l'État, et qui aujourd'hui peut être mise en oeuvre par
d'autres types d'institutions et d'acteurs (communes, villages,
chefferies,...). Elle nous semble donc à ce titre plus opératoire
et mieux adaptée à l'analyse de matériaux empiriques
spécifiques dans le cadre de notre position scientifique.
Apports majeurs dans le cadre de l'Habilitation à
Diriger des Recherches
- Le premier apport se situe au niveau de la contextualisation
spatiale et sociétale de la mobilité pastorale dans la
région du Nord-Cameroun ;
- En second lieu, les territoires de mobilité pastorale
ont été définis et caractérisés avec leurs
ressources, les acteurs en présence et leurs relations, les
modalités d'accès, les modes de gestion, les stratégies
d'accaparement et de contrôle, les conflits ;
- À la fin de l'essai, les démarches
participatives pour la gestion harmonieuse des territoires communs sont
proposées ainsi que des scenarii de gestion et d'organisation des
territoires de mobilité pastorale dans la région du
Nord-Cameroun. Ces démarches amorcent une réflexion sur la
nécessité de coordination entre les différents types
d'acteurs concernés par les territoires de mobilité pastorale
à différentes échelles (villageois, communal et
intercommunal, régional) en impliquant plusieurs niveaux d'acteurs :
éleveurs, agriculteurs, autorités
21
traditionnelles, gestionnaires des aires
protégées, élus locaux, représentants de
l'État, organismes d'appui aux développement,...) ;
Le document est organisé en deux grandes parties. La
première comporte deux chapitres qui portent sur la contextualisation
spatiale et sociétale des territoires de mobilité pastorale. Le
premier chapitre analyse les enjeux spatiaux de la mobilité pastorale au
Nord-Cameroun en s'appuyant d'abord sur les enjeux du développement des
territoires ruraux, puis sur les contraintes de l'élevage mobile dans
cette région et, enfin, sur la pression permanente exercée sur
les territoires de mobilité pastorale. Le deuxième chapitre
présente le contexte sociétal autour des territoires de
mobilité. Il commence par revenir sur la genèse de l'installation
des éleveurs mbororo dans la région afin de mieux comprendre la
marginalité spatiale qu'ils subissent. Il analyse ensuite les relations
tant d'échanges, de complémentarités que de conflits entre
les différents acteurs locaux concernés par la gestion et
l'exploitation des territoires de mobilité. Il s'agit des relations
autorités traditionnelles/éleveurs ; autorités
administratives/éleveurs ; citadins et élites
commerçantes/éleveurs ; agriculteurs/éleveurs ;
éleveurs/éleveurs.
La deuxième partie comporte trois chapitres et porte
sur notre contribution à la compréhension des territoires de
mobilité pastorale. Le troisième chapitre revient sur
l'émergence du concept de territoire, un concept récent et
polysémique dans la géographie humaine, sa place au service du
développement, son application dans le champ du pouvoir, sa
réalité sociale, symbolique et de représentation ainsi que
sa perception comme support d'identité et aire culturelle. Il
présente également l'intérêt du territoire pour
l'élevage avant de discuter des outils pour appréhender les
territoires et la nécessité de le diagnostiquer. Il se termine
par la définition et la caractérisation du territoire de
mobilité pastorale au Nord-Cameroun, en tant que champ d'application du
pouvoir traditionnel et réalité sociale et culturelle. Le
quatrième chapitre analyse en profondeur les territoires de
mobilité pastorale au Nord-Cameroun, leur typologie et leur
fonctionnement. Il analyse en détail la zone de sédentarisation
de la famille (le territoire d'attache), le voisinage du territoire d'attache
(les territoires pastoraux de proximité en saison pluvieuse et en saison
sèche froide), les territoires de transhumance saisonnière (les
territoires complémentaires
22
pour la petite transhumance de saison sèche chaude et
les territoires délimités pour la grande transhumance en saison
des pluies) et, enfin, les territoires illicites de mobilité (les aires
protégées). Le cinquième et dernier chapitre propose une
démarche de concertation pour la reconnaissance des territoires de
mobilité pastorale dans un contexte de forte pression. Après
avoir intégré le territoire de mobilité dans un contexte
de bien commun, il présente les nombreuses interventions aux
résultats mitigés en matière de concertation et de
sécurisation foncière avec les objectifs poursuivis, leurs
acquis, succès et insuccès ainsi que les conflits
d'intérêts entre les utilisateurs et conflits de pouvoirs entre
les instances de médiation et de régulation. Tout en capitalisant
les expériences de ces projets, nous proposons une démarche
d'appui à la gestion concertée des territoires de mobilité
pastorale. Cette démarche commence par la phase d'identification et de
formulation, puis celle d'analyse, ensuite celle de négociation et
concertation et enfin la phase de mise en oeuvre. Elle se termine par la
recherche d'un consensus autour des aires protégées.
23
PREMIERE PARTIE : CONTEXTUALISATION SPATIALE ET
SOCIETALE DES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE
24
Chapitre I. Enjeu spatial de la mobilité
pastorale au Nord-Cameroun
La mobilité des bovins est confrontée à
la dégradation continue des conditions de production, en particulier la
raréfaction des ressources fourragères et l'amenuisement du
foncier pastoral. En effet, le foncier pastoral a toujours fait l'objet de
précarité, ce d'autant plus que les éleveurs laissent
derrière eux une trace souvent discrète et passagère.
Cette trace, précise Thébaut (1995), peut aussi varier
géographiquement selon les saisons et les années, surtout dans
des épisodes secs au cours desquels les déficits
pluviométriques obligent à modifier les itinéraires de
parcours. Peut-on en conclure que le pastoralisme nomade ne peut faire l'objet
d'une appropriation foncière dans le sens strict du terme ? Doit-on
donner raison à Hardin (1968) dans sa fameuse théorie de la
« tragédie des communs » où il s'interroge sur le
devenir d'une planète aux ressources limitées et
surexploitées par une population en croissance exponentielle ? Hardin
examine en effet le cas du pastoralisme, où les pâturages sont une
ressource de libre accès mais exploitée par des éleveurs
qui détiennent chacun un troupeau individuel. Dans un tel contexte,
chaque berger cherchera à augmenter la taille de son troupeau afin de
maximiser ses profits personnels, tandis que la perte de ressources en eau et
en pâturages est infime, puisque répartie entre un grand nombre de
consommateurs. À l'échelle d'une région, ce comportement
aboutira inexorablement à une croissance illimitée du cheptel et
à une dégradation irréversible du milieu.
Cette représentation alarmiste indexant les
éleveurs mobiles comme irrationnels et gaspilleurs trouve sa place dans
le contexte du Nord-Cameroun. En effet, l'accroissement de la population
entraîne un accroissement des surfaces cultivées. Le
caractère extensif des systèmes d'agriculture implique
nécessairement de nouvelles défriches chaque année. La
terre reste pour la majorité des populations l'unique moyen de
subsistance dans des pays où les emplois industriels et tertiaires sont
rares. La progression des espaces cultivés entraîne la disparition
progressive des espaces non cultivés et pâturés : brousse
et jachères, qui sont cultivées à leur tour.
25
Si un des fondements du pastoralisme est le libre accès
à l'espace (Milleville, 1992), les grands éleveurs de la zone
soudanienne qui ont des pratiques de conduite extensive des troupeaux sont
aujourd'hui évincés devant la poussée des agriculteurs.
Ils sont obligés soit de migrer dans des zones où subsistent des
brousses (zones moins peuplées et moins cultivées souvent plus au
sud ou sur des massifs aux sols incultivables), soit de vendre leurs animaux ou
d'en confier une partie à l'extérieur et se mettre à
cultiver. Les territoires ruraux sont ainsi confrontés à
plusieurs enjeux qui entravent leur développement.
I.1. Les enjeux du développement des territoires
ruraux au Nord Cameroun
La population du Nord-Cameroun est à 86%, largement
rurale (BUCREP, 2010). Le tableau I présente la répartition de la
population entre urbain et rural dans les régions de
l'Extrême-Nord, du Nord et de l'Adamaoua.
Tableau I. Population des trois régions
septentrionales du Cameroun
Région
|
Urbain
|
Rural
|
Total
|
Extrême-Nord
|
708 060
|
2 403 732
|
3 111 792
|
Masculin
|
361 277
|
1 173 970
|
1 535 247
|
Féminin
|
346 783
|
1 229 762
|
1 576 545
|
Nord
|
470 913
|
1 217 046
|
1 687 959
|
Masculin
|
240 836
|
596 091
|
836 927
|
Féminin
|
230 077
|
620 955
|
851 032
|
Adamaoua
|
343 490
|
540 799
|
884 289
|
Masculin
|
173 531
|
265 382
|
438 913
|
Féminin
|
169 959
|
275 417
|
445 376
|
Source : BUCREP (2010)
Le tableau I montre que la région de
l'Extrême-Nord, avec 3 111 792 habitants, fait partie de celles qui sont
les plus peuplées du Cameroun à savoir le Centre (3 098 044
habitants) et le Littoral (2 510 263 habitants). Par contre, l'Adamaoua (884
289 habitants), fait partie des régions les moins peuplées, avec
l'Est (771 755 habitants) et le Sud (634 655 habitants).
Le tableau I montre également que la population rurale
dans les trois régions représente le double de la population
urbaine avec une proportion féminine légèrement plus
importante que celle des hommes. En effet, la population du Nord-Cameroun est
marquée par un déséquilibre démographique entre la
région de l'Extrême-Nord à forte densité de
population (90,8 habitants/km2 en moyenne) et celle du nord
sous-peuplée
26
(25,5 habitants/km2) ainsi que de l'Adamaoua (13,9
habitants/km2). Les disparités sont fortes entre les
départements et les arrondissements. Les zones à forte
densité (supérieure à 50 habitants/km2) sont
localisées dans l'Extrême-Nord, dans les monts et piémonts
du massif des Mandara (chez les Mafa, Mofou, Guidar...) et le long du Logone
(chez les Massa, Mousgoum, Toupouri). Dans ces régions, il existe une
forte pression foncière. À l'opposé, au Sud de Garoua, les
départements du Faro et du Mayo Rey sont des zones à faible
densité de population (inférieure à 10
habitants/km2) où les ressources en terres agricoles et en
parcours sont importantes. Cependant, depuis une dizaine d'années, ces
zones sont devenues des fronts pionniers avec des migrations de seconde
génération. Entre ces deux pôles, les interstices sont
occupés par des zones de densité de population moyenne
(Bénoué : environ 20 habitants/km2) à forte
(Mayo Louti, Kaélé : environ 50 habitants/km2).
À ces variations de densité de population correspondent des
variations du taux d'occupation des terres agricoles et de charges animales
comme l'ont montré Dugué et al., (1994). Les
densités des populations entre 1976 et 2005 sont en constantes
évolution (Tableau II).
Tableau II. Densités de la population dans
les trois régions septentrionales du Cameroun
de 1976 à 2005
Région
|
Densité de population
(habitants/km2)
|
1976
|
1987
|
2005
|
Adamaoua
|
5,6
|
7,8
|
13,9
|
Extrême-Nord
|
40,7
|
54,2
|
90,8
|
Nord
|
7,3
|
12,6
|
25,5
|
Source : BUCREP (2010)
Le Tableau II montre que malgré l'émigration des
populations vers d'autres régions, les densités restent fortes et
en constante évolution dans la région de l'Extrême-Nord.
Elles sont passées de 40,7 habitants/km2 en 1976 à
54,2 en 1987 puis à 90,8 en 2005. Ces densités sont
également en augmentation soutenue dans les régions de l'Adamaoua
et du Nord à cause notamment de l'immigration.
Dans les trois régions septentrionales du Cameroun, la
population urbaine (les villes de plus de 10 000 habitants) dépend aussi
des activités agricoles et pastorales, soit directement (plusieurs
dizaines de milliers de producteurs en ville ou en périphérie),
soit indirectement en travaillant dans le secteur de l'agrofourniture, du
commerce et de
27
la transformation des produits (usines du secteur cotonnier,
transport, petite transformation, commerces...). Environ 80% à 85% de la
population du nord du Cameroun vivent directement ou indirectement du secteur
agricole/élevage.
Dans la zone septentrionale du Cameroun, faute de secteurs
secondaires et tertiaires développés (très peu de
d'industries non liées à l'agriculture, pas de ressources
minières, stagnation du tourisme9), le développement
économique et social des 3 régions repose actuellement sur les
performances technico-économiques (rendement, marges
dégagées, rémunération des actifs familiaux et
salariés), la résilience et la compétitivité du
secteur agricole (CIRAD et GLG Consultants, 2013). En effet, l'agriculture et
l'élevage de ces trois régions contribuent d'abord au
développement local mais aussi national et sous-régional, dans 4
secteurs stratégiques :
- La sécurité alimentaire : la première
fonction de l'agriculture est d'alimenter les populations rurales et urbaines
des trois régions en quantité suffisante (céréales)
et en améliorant la qualité nutritionnelle des régimes
(importance des produits animaux mais la consommation en lait et en
viande10 reste bien deçà des recommandations de l'OMS,
des protéines végétales et des fruits et légumes).
En raison de l'importance du secteur agricole dans l'économie du
Cameroun (60,6% du PIB), les difficultés causées par la mauvaise
performance de certaines cultures de rente sapent l'atteinte des Objectifs
Nationaux pour le Développement et pourraient contribuer à
accroitre la vulnérabilité à l'insécurité
alimentaire. La région septentrionale du Cameroun, dont l'alimentation
de base est essentiellement céréalière, est la plus
touchée par cette baisse. L'insécurité alimentaire touche
presque toutes les exploitations familiales (Abakachi, 2000). Cette situation
d'instabilité alimentaire est issue de la combinaison de plusieurs
facteurs : i) irrégularité et gestion peu rigoureuse de la
production des céréales sur les marchés et par les
paysans, ii) disponibilité insuffisante des céréales sur
les marchés et iii) inaccessibilité aux populations
défavorisées. Les variations dans
9 À cause des attaques
régulières et des prises d'otages depuis 2012, le tourisme au
Nord-Cameroun, autrefois animée par les touristes occidentaux -
principalement des expatriés de Yaoundé - qui venaient visiter le
parc animalier, ses éléphants et ses girafes, est aujourd'hui en
déclin. Dans les campements touristiques des villes, les chambres sont
désespérément vides et les murs tombent peu à peu
en ruine.
10 Selon GESEP (2002), 6,5 à 7,5 kg de
viande bovine/habitant/an à Garoua et Maroua au début des
années 2000 contre 30 kg dans les années 1980, cette tendance est
confirmée par Djamen Nana (2008).
28
la combinaison de ces facteurs se caractérisent par
l'instabilité des marchés qui a un impact considérable sur
la sécurité alimentaire, sur le cours des vivriers, sur la
trésorerie des producteurs et des commerçants (Kossoumna Liba'a,
2009).
- La création de richesses et d'emplois : le
Nord-Cameroun concentre tout le secteur cotonnier qui compte en 2012/2013 trois
cent mille (300 000) producteurs recensés pour 220 000 ha de coton et
une production estimée à ce jour à 22 100 tonnes de coton
graine. Ce secteur a montré sa capacité de faire face aux crises
économiques en développant des mécanismes de stabilisation
de revenu cotonnier pour les producteurs (subvention engrais,...) et en
diversifiant la production afin de faire fonctionner ses huileries
(développement rapide du soja) (Kossoumna Liba'a, 2014). Les
agriculteurs et éleveurs de ces régions ont montré de
fortes capacités d'adaptation et d'innovation dans d'autres secteurs et
avec peu d'appui public : par exemples des filières de production
exportent vers le Sud et dans la sous-région : arachide,
niébé, maïs, oignon, fruits, bovins sur pied, porcs...). Ces
filières fournissent des revenus substantiels qui viennent
compléter celui du coton et induisent des emplois dans le secteur
tertiaire (commerce et transport). Par exemple, le septentrion est la
principale zone de production au Cameroun de viande bovine (effectifs du
cheptel entre 1,7 et 3,2 millions de têtes selon les
sources11), porcines et de petits ruminants (2 à 2,5 millions
de têtes), d'oignon et de maïs (CIRAD et GLG Consultants, 2013).
- Les zones rurales, principaux fournisseurs de bois
énergie : les zones pastorales et agricoles sont essentielles à
toute la population car elles leur fournissent le bois d'énergie, le
bois d'oeuvre et une partie de l'énergie nécessaire aux
transports des marchandises (traction animale). Trop peu d'agriculteurs se sont
lancés dans la sylviculture, mais une meilleure gestion des ressources
arborées bénéficie directement à l'ensemble de la
population en termes de fourniture durable de bois d'énergie et de
charbon de bois à prix raisonnable en l'absence de politique de
subvention et de vulgarisation massive du gaz domestique.
11 Faute de recensement sur le terrain
actualisé il est impossible de fournir des chiffres précis et
fiables d'effectifs d'animaux d'élevage. Les professionnels du secteur
(MINEPIA, Organisation d'éleveurs, chercheurs) s'accordent tous sur un
accroissement continu des effectifs sans en connaître l'ampleur et la
répartition géographique, à l'exception des
élevages transhumants mis à mal entre 1995 et 2008.
29
- La paix sociale dans un environnement régionale
instable : l'accroissement des revenus issus de l'agriculture et de
l'élevage contribue à la paix sociale en limitant l'exode rurale,
l'urbanisation anarchique et l'apparition d'une frange de la population sans
emploi pouvant s'orienter vers des activités illicites (trafics en tout
genre, banditisme, milice armée dans les pays voisins). Le dynamisme du
secteur agropastoral du Nord-Cameroun constitue donc un atout pour limiter les
insécurités et faire face à un contexte sociopolitique
déliquescent et instable dans les pays voisins (Nigeria, RCA).
I.2. Élevage soumis à plusieurs
contraintes
Les systèmes d'élevage au Nord-Cameroun sont peu
intensifiés (sauf certains élevages porcins) et reposent
essentiellement sur les ressources des parcours naturels et la vaine
pâture (les résidus des cultures)). On distingue une
diversité de systèmes d'élevage de ruminants, des
systèmes très extensifs (élevage transhumant sans aucune
complémentation alimentaire), des semi-intensifs alliant
l'activité pastorale à l'agriculture à des systèmes
relativement intensifs (unité d'embouche et de production
laitière). Ces systèmes d'élevage sont conduits en grande
majorité par des producteurs Peul mais il convient de distinguer le
groupe des Fulbé historiquement bien implanté Au Nord-Cameroun et
celui des Mbororo dont le processus de sédentarisation a
débuté dans les années 1990. Cette communauté est
peu présente dans les instances communales, dans les groupements et
fédérations et entretient peu de relations avec les projets et
les services techniques.
Au Nord-Cameroun, le maintien de cet élevage de
ruminants se heurte à la réduction de la surface des parcours du
fait de leur mise en culture par une population d'agriculteurs en croissance
continue. De plus, les usages des résidus de culture se diversifient
(construction, combustible, plus rarement couverture du sol) même si le
droit de vaine pâture demeure fortement ancré dans les campagnes :
les éleveurs et leurs troupeaux ne sont plus les seuls
bénéficiaires de cette ressource gratuite, les agriculteurs (et
ceux devenus agro-éleveurs) souhaitent que leurs sols et leur
bétail en bénéficient prioritairement. La crise de
l'élevage s'observe à plusieurs niveaux (spatial,
écologique, social et en terme de gouvernance) (Figure 4).
Écologique
- Non définition des charges sur les
espaces de parcours
- Dégradation des parcours naturels
- Aléas pluviométriques
- Sécheresse
- Inondations, nombreuses mortalités et
dégradation des parcours
- Difficulté de régénération des
parcours
- Feux de brousse et dégradation du
couverts végétal
Spatiale
- Augmentation du cheptel bovin
- Réduction des espaces exclusivement
réservés aux troupeaux
- Contraintes de mobilité à cause du
rétrécissement des pistes à bétail
- Emboîtement des différents espaces de
pâturage avec les espaces agricoles
- Zones de pâturage sécurisées mais non
respectées et menacées par les feux de brousse
- Hydrauliques pastorales réalisées mais manque
de suivi
- Des points d'eau insuffisants
- De nombreuses utilisation des résidus de
récolte ignorées
CRISES DE L'ÉLEVAGE
Gouvernance
- Dualité des décideurs - Difficulté pour
les éleveurs d'avoir les mêmes droits sur les territoires
ruraux
- Dysfonctionnements et des gaspillages de ressources -
Corruption et difficulté de pérennisation des espaces acquis -
Marginalisation
- Isolement sociopolitique
Sociale
- Accroissement des conflits entre les éleveurs et les
autres acteurs (agriculteurs, lobbies environnementaux)
- Conflits intergénérationnels au sein des
communautés d'éleveurs
- Implication des bergers non issus des communautés
d'éleveurs
- Paupérisation de nombreux éleveurs
- Manque de soutiens institutionnels et de capital social des
associations
- Arrivée massives des éleveurs centrafricains
chassés par les anti-balaka
30
Figure 4. Facteurs à l'origine des crises de
l'élevage au Nord-Cameroun I.2.1. Pressions sur l'espace
pastoral
La crise spatiale se manifeste par la réduction des
surfaces exclusivement réservées aux troupeaux et les contraintes
à leur mobilité, qu'ils s'agissent des déplacements
quotidiens de saison de pluies ou de la transhumance plus ou moins longue. Les
incertitudes sur le foncier sont entretenues et exacerbées par les
autorités traditionnelles qui n'hésitent pas à remettre
chaque année en cause les règles d'accès à la
terre. Cela, évidemment, pousse les Mbororo à déplacer
chaque fois leurs sites d'installation ou à renégocier ceux sur
lesquels ils sont installés. Il en est de même de la
reconnaissance des zones attribuées aux pâturages (hurum)
qui sont à la fois octroyées aux agriculteurs. Cela engendre des
conflits, sources de revenus pour les chefferies lors des médiations.
Une quinzaine de zones de pâturage ont été
sécurisée avec l'aide du projet de Gestion
Sécurisée des Espaces Pastoraux (GESEP), mais ces zones sont
menacées par feux de brousse. Une centaine d'hydrauliques pastorales
sont réalisées par le Projet de
31
Réhabilitation et de Création des Points d'Eau
pour le Bétail (PRCPB) mais n'a pas donné satisfaction à
cause d'un manque de suivi. Le Ministère de l'Élevage des
Pêches et des Industries Animales (MINEPIA) a réalisé une
vingtaine de points d'eau mais toujours insuffisante. De nombreuses
utilisations possibles des résidus de récoltes sont
ignorées des producteurs et peu d'entre eux tentent de
récupérer, conserver et améliorer ces ressources pourtant
non négligeables. Malgré cela, les résidus tel que les
gousses d'arachide et de niébé, fanes de haricots et d'arachide,
tige de mil, constituent l'essentiel de l'alimentation du bétail en
saison sèche dans les zones Massa, Toupouri et Mousgoum. L'utilisation
systématique de ces résidus est entravée par d'autres
usages (combustibles, chaume, et la collecte eu égard à leur
volume et à la distance avec les lieux d'habitations). Parmi les autres
ressources alimentaires potentielles, on ne fait pas un usage adéquat
des sous-produits agro-industriels comme le tourteau de coton et les sons. La
SODECOTON produit le tourteau de coton (Nutribet), Coque, Provende. II
faut signaler que l'obtention des tourteaux par des éleveurs est
difficile. La SODECOTON a produit 3 225 tonnes de coque de graine de coton et
les femmes de la région qui brassent la bière de mil produisent
des quantités importantes de drèches qui sont vendues aux
éleveurs de porcs et de petits ruminants. Les tiges de mil, les fanes
d'arachide et de haricot sont couramment utilisées en saison
sèche. En dehors de la SODECOTON, les particuliers dispose des
industries de fabrication d'aliments de bétail (le SIFAB12,
le SITRON13, etc.) qui fabrique le tourteau de coton, soja et
d'arachide.
I.2.2. Crise écologique
La crise écologique s'observe par la dégradation
des parcours naturels (la strate herbacée mais aussi arborée par
émondage excessif) du fait des aléas pluviométriques mais
surtout d'une trop grande charge en bétail, au moins dans les
régions Extrême-Nord et Nord. Sur le plan régional, les
ressources fourragères étant inégalement
12 Société Industrielle de Fabrication
d'Aliments du Bétail
13 Société Industrielle de
Transformation des Oléagineux du Nord
32
réparties dans l'espace et dans le temps14,
seule la transhumance permet pour le moment aux éleveurs un transfert de
charge saisonnière entre zones. Les éleveurs constatent une forte
régression de la qualité des pâturages sur les parcours sur
la base de certains indicateurs qui leur permettent d'identifier les espaces
dégradés ou en voie de dégradation. Les éleveurs
sont sédentarisés sur de petits territoires dont la
capacité de charge est largement dépassée par le nombre
d'animaux dont ils ont la garde. Bien que les espaces cultivés et de
parcours soient gérés par les communautés
d'éleveurs avec une certaine sécurité15, la
surface mise en valeur est insuffisante pour assurer toutes les
activités d'élevage durant le cycle annuel. Vu les effectifs
recensés, la sédentarisation définitive de ces
éleveurs avec leurs troupeaux dans ces territoires s'avère
impossible même si on maintient l'accès à des parcours
extra villageois de proximité (dans les collines et le long des berges
de la Bénoué qui sont aussi convoitées par d'autres
éleveurs locaux). La culture fourragère ne pourrait pas apporter
un surplus d'alimentation suffisant à moins de recourir à des
systèmes de culture très intensifs, non compatibles avec les
moyens des éleveurs (irrigation pour une culture permanente,
fertilisation forte, clôture). Le recours à la transhumance ainsi
qu'aux parcours de proximité hors des territoires d'attache est
indispensable à l'entretien du bétail.
De plus, les inondations récurrentes dans la zone
provoquent de nombreuses mortalités des animaux et la dégradation
des parcours proches des lacs et des cours d'eau. Au début des
inondations, les ressources végétales pastorales ont
été fortement dégradées dans toute la zone
inondable comprise entre Lagdo et Pitoa. Les herbacées ont
été submergées et les animaux pâturant dans les
zones inondables ont eu du mal à brouter. Les espèces herbeuses
les plus dégradées sont : Nenuphar, Andropogon spp,
hypparhenia rufa, Mimosa pigra, Echinochloa pyramidalis, Cyperus spp.
Cette situation a eu pour conséquence le
déplacement des animaux dans des villages plus éloignés
exacerbant les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. Elle
a
14 Du fait du gradient de pluviométrie et de
date d'arrivée des pluies observé entre le nord et le sud de la
région du Nord.
15Si les enclaves des agriculteurs ne s'agrandissent
pas.
33
également entraîné localement la surcharge
en bétail entrainant une dégradation de la
végétation et de la structure des horizons de surface qui devient
plus compacte et grossière.
Pendant la période de forte crue, les éleveurs
se sont rabattus sur les espèces ligneuses présentes sur les
parcours proches des territoires d'attache. Les espèces qui ont fait
l'objet d'émondage régulier sont Pterocarpus erinaceus,
Acacia sieberiana, Afzelia africana, Stereospermum kunthianum, Khaya
senegalensis, Daniella olivieri.
Les calendriers agricoles et des transhumances ont
été sérieusement perturbés. De nombreux
éleveurs ont transhumé sur de longues distances pour nourrir leur
bétail.
I.2.3. Crise sociale
Quant à la crise sociale, elle est de deux ordres.
D'abord par l'accroissement de la fréquence des conflits entre
éleveurs et agriculteurs qui constituent pour tous une perte de temps,
d'argent et de production sociale. Au cours de chaque saison des pluies, des
conflits opposent les agriculteurs et les éleveurs mbororo pour le
respect des espaces délimités et réservés au
pâturage (hurum). Ces conflits sont provoqués par le fait
que les agriculteurs n'ont pas cessé d'y cultiver. Or, les espaces
réservés aux bétails appartiennent en principe autant aux
éleveurs qu'aux agriculteurs. Mais, les éleveurs sont plus
engagés dans la préservation de ces espaces parce qu'ils ont plus
d'animaux que les agriculteurs. S'estimant dans leurs droits, ils ne se privent
pas d'y pâturer. Malgré les conventions locales mises en place,
rien n'est fait à l'encontre des agriculteurs qui cultivent les parcours
et les pistes. Lorsque des dégâts sont perpétrés
dans les champs, les agriculteurs portent plainte surtout auprès des
autorités traditionnelles qui ne se privent pas de
légiférer afin de bénéficier des avantages
liés aux règlements des litiges.
La crise sociale est également interne aux
communautés d'éleveurs en particulier chez les jeunes qui ne
souhaitent plus passer tout leur temps à berger les troupeaux. Au sein
même des sociétés nomades, l'élevage mobile est de
plus en plus considéré comme une activité pénible
et fort contraignante, que la plupart des jeunes n'ont aucun désir
d'entreprendre. De plus, le travail de berger est dévalorisé dans
les sociétés rurales. Ces travailleurs sont en effet mal
payés (5 000 FCFA par mois environ ou un veau
34
après 5 mois de travail) et assez souvent mal
considérés par les habitants. Certaines personnes ne voient en
eux que de simples manoeuvres sans instruction. Les fils de paysans non-peuls
cessent de faire ce travail après 18 ans. Ils préfèrent
cultiver la terre et se marier. Par contre, les Mbororo continuent plus
volontiers ce travail passé l'âge de 20 ans, sans doute par
goût et aptitude mais aussi par manque d'autres opportunités
professionnelles. Les membres des nouvelles générations qui
acceptent de rester et de vivre de l'élevage sont cependant de moins en
moins nombreux. Beaucoup prennent goût aux « lumières de la
ville », y cherchent du travail salarié ou non et entreprennent des
activités non pastorales (location de maisons, moto taxi, taxi brousse,
commerce...).
Le recours à des bergers parfois non issus de la
communauté d'éleveurs devient fréquent et affecte les
performances des troupeaux et la gestion rationnelle des pâturages. En
effet, il se pose le problème de transmission des pratiques et modes de
gestion traditionnelle des parcours. Les bergers salariés, dont un
nombre croissant ne sont plus des Peuls, sont en effet moins outillés et
moins motivés pour la préservation des parcours et de leurs
ressources naturelles que les anciens bergers Peuls. Leurs connaissances
traditionnelles des plantes et de la nature sont insuffisantes. Le risque
majeur de cette distanciation entre la conduite du troupeau et les autres
activités (agriculture, commerce du bétail) est l'absence de
contrôle et de gestion des grands parcours pourtant essentiels au
maintien de la transhumance, et donc aux systèmes d'élevage
extensifs.
I.2.4. Problème de gouvernance
La crise s'observe aussi en termes de gouvernance avec la
dualité des décideurs, publics et coutumiers, dont certains
perçoivent des taxes non officielles pour la résolution de
conflits, le passage et la vente du bétail et les droits de
transhumance. En effet, les dépenses annuelles liées aux diverses
taxes traditionnelles souvent arbitraires sont importantes pour les
éleveurs mbororo potentiellement riches en bovins. La zakkat
constitue la plus courante. Celle qui est versée au Laamii'do
est appelée jomorngol laamii'do ou hacce leddi
(droit de la terre du Laamii'do). Par ailleurs, les
éleveurs mbororo s'acquittent régulièrement des collectes
ponctuelles (umroore
35
laamii'do) qu'impose le Laamii'do aux
habitants de son territoire lors d'un événement dans son
lamidat (funérailles, fêtes, réception d'une
autorité...), mais aussi pour la réfection de sa clôture,
des murs de ses concessions... Sur le plan administratif et officiel, tous les
éleveurs mbororo paient l'impôt forfaitaire annuel de 3 500
FCFA/an par adulte actif. À cela, il faut ajouter des taxes sur
l'élevage comme la taxe de transhumance, le laissez-passer sanitaire, la
taxe d'inspection sanitaire, la taxe de marché pour la commune. Les
Mbororo sont également taxés pour défaut de fosse septique
par le Service d'Hygiène.
Le Nord-Cameroun se trouve actuellement dans un contexte
où la question de la gestion et de l'organisation du territoire rural
est devenue un enjeu majeur à la fois pour les acteurs (agriculteurs,
éleveurs, lobbies environnementaux...) et pour les structures publiques,
parapubliques et non gouvernementales en charge de cette gestion. La
réduction des inégalités, la recherche d'une plus grande
équité et la préservation des ressources naturelles
(conservation de la biodiversité, maintien du potentiel productif des
territoires) sont devenus des impératifs qui impliquent la mise en place
de nouvelles modalités de gouvernance territoriale.
I.3. Pression permanente sur les territoires de
mobilités pastorales
Le territoire rural au Nord-Cameroun est occupé
principalement par l'agriculture, l'élevage et l'entretien de la
biodiversité (faune sauvage des aires protégées et
accessoirement la biodiversité liée à toutes les
activités de l'homme) qu'il convient de présenter avec leurs
contraintes et défis (Figure 5).
Augmentation du cheptel
PRESSIONS SUR LES TERRITOIRES DE MOBILITÉS
PASTORALES
- Occupation de plus de 45% de la région
- Interdiction de pâturage dans ces zones
- Convoitise par les éleveurs transhumants et
sédentaires - Manque d'intérêt des populations riveraines
dans le projet de conservation
Présence des aires
protégées
Omniprésence des autorités
traditionnelles
- Prééminence des droits traditionnels sur la
législation foncière de l'Etat
- Gestion coutumière des espaces de pâturage
- Accès aux territoires pastoraux conditionnés par
le paiement de l'impôt traditionnel
- Renégociation de l'accès aux parcours
- Rôles prépondérant dans le
règlement des conflits ruraux
- Ingérence dans l'organisation des déplacements
des troupeaux
- Efficacité relatives des comités de gestion
des parcours mis en place par les projets
- Réduction constante des territoires d'élevage
- Dégradation des parcours
- Multiplication des acteurs pratiquants l'élevage
- Concurrences et conflits pour l'accès et le
contrôle des ressources agropastorales - Difficulté
d'amélioration de la productivité des parcours
Migrations permanentes
- Seuil migratoire dans les zones d'accueil
non défini
- Augmentation de la population
- Accroissement des surfaces agricoles
- Dégradation des terres agricoles et
pastorales
- Multiplication des conflits agriculteurs/éleveurs
Insécurité foncière en milieu
rural
- Revendications foncières concurrentes et litiges aux
issues parfois tragiques
- Blocage des processus de renouvellement des parcours
naturels
- Accaparement rapide et individualisé des
ressources
- Rareté d'instances légitimes d'arbitrage et
confusion des responsabilités en matière foncière
- Persistance de conflits non résolus
- Augmentation des dépenses des faveurs d'arbitres
improbables
- Repli sur l'ethnie et éloignement du citoyen envers le
projet de nation
|
36
Figure 5. Pressions et contraintes sur les
territoires de mobilité pastorale
De nombreuses pressions et contraintes pèsent sur les
territoires de mobilité pastorale : migrations permanente,
insécurité sur le foncier rural, augmentation du cheptel bovin,
omniprésence des autorités traditionnelles, présence des
aires protégées.
I.3.1. Migrations et augmentation des surfaces
agricoles
Les surfaces dédiées à l'agriculture sont
en constante augmentation à cause de l'accroissement de la population
rurale due au croît naturel et aux migrations. En effet, la croissance
démographique et l'ouverture du Nord-Cameroun aux marchés
régionaux et internationaux ont fortement modifié le
fonctionnement des sociétés rurales (Roupsard, 1987). Dès
les années 1950, le colonisateur se distingue par une volonté de
promouvoir la mise en valeur économique de la région par
l'introduction notamment des cultures de rente parmi lesquelles le coton et
l'arachide. C'est dans ce souci que la CFDT (Compagnie Française pour le
Développement des Textiles) va apparaître au Nord-Cameroun. Les
populations païennes des plaines et des rives du Logone vont ainsi
bénéficier de programmes de formation et de vulgarisation
agricoles, auxquelles
37
vont venir s'adjoindre l'extension de la scolarisation et
l'évangélisation. Certains groupes qui se trouvaient nombreux sur
un espace pauvre et exigu vont également être
déplacés de gré ou de force. Pendant le premier plan
quinquennal (1960-1965), on s'est soucié dans la région
septentrionale, de rééquilibrer population et ressources par le
biais de petits projets (Ndembou, 1998).
Les performances cotonnières, compromises par les
sécheresses des années 1970, vont obliger cependant l'État
à déplacer le pôle géographique de la culture du
coton vers la vallée de la Bénoué où les
densités à ce moment-là étaient inférieures
à 20 habitants/km2. Entretemps, la CFDT devient une
société nationale (SODECOTON) avec le déplacement de la
Direction Générale de Kaélé (Extrême-Nord)
à Garoua dans le Nord. De plus, à partir des années 1980,
les terroirs de l'Extrême-Nord vont se dégrader et se saturer.
Dans les Monts Mandara par exemple, les densités atteignent 50 à
plus de 100 habitants/km2. C'est pour cela que, dans le souci de
corriger l'inégale répartition de la population dans le Nord et
l'Extrême-Nord par rapport aux ressources naturelles et faire mettre en
valeur les immenses réserves foncières, l'administration
camerounaise va favoriser et même provoquer les déplacements de
certains groupes ethniques (Toupouri, Massa, Guiziga, Guidar, Moundang, Mafa,
Mofou...) vers le bassin de la Bénoué.
L'Etat du Cameroun a toujours joué un rôle
important dans les déplacements des hommes et de leurs biens à
travers les instances publiques de gestion et d'aménagement du
territoire rural. C'est ainsi qu'une Mission d'Étude pour
l'Aménagement de la Vallée Supérieure de la
Bénoué (MEAVSB) va être créée en 1974 pour
organiser et encadrer les migrations à travers les projets Nord-Est
Bénoué (NEB16) et Sud-Est Bénoué (SEB)
qui vont déplacer plus de 100 000 personnes entre 1974 et 1986
(Koulandi, 1986).
16 Le NEB a fait reposer toute son action sur la
mise en place d'une infrastructure avec comme élément clé
le pont sur le Mayo Kebbi qui, en 1975, ouvrait les espaces des lamidats de
Bé et de Bibémi, et sur le déplacement des populations de
l'Extrême-Nord. Dès le début, le suivi des migrants n'a pas
été sérieusement pris en compte. Par la suite et
jusqu'à la fin du NEB en 1993, le projet a déchiffré et
identifié entre 90 000 et 130 000 migrants (Seignobos, 2002).
38
Le flux migratoire, une fois amorcé, induit ensuite son
propre flux. Les premiers arrivés donnent l'information à ceux
restés au pays, fournissent les moyens de déplacement et
d'hébergement à l'arrivée. C'est ainsi que de 1986
à nos jours, au flux organisé des migrants a ensuite suivi un
flux spontané, de plus en plus important, faisant toujours courir le
risque pour les zones d'accueil d'une « crise migratoire » car des
seuils d'acceptabilité n'ont jamais été définis, ni
par les encadrements de projets, ni par les administrations concernées
(Seignobos, 2002). Ces migrations sont favorisées par l'État, la
SODECOTON et certaines ONG comme le Comité Diocésain de
Développement (CDD) qui réfectionnent une ancienne piste des
troupeaux ou une route temporaire17, ouvre une
pénétrante à partir d'un axe principal, jusqu'à un
site éventuel d'installation des populations, crée un point
d'eau, une école ou un centre de santé... Ainsi, depuis 1976, le
bassin de la Bénoué connaît une augmentation
régulière du nombre de migrants « spontanés ».
La population a presque doublé entre 1976 et 1987 grâce à
un taux de croissance annuelle d'environ 3,5% et un taux d'immigration de 2,8%
(Bonifica, 1992). Dans certains villages, la proportion des migrants avoisine
70% de la population totale (Boutinot, 1995). Le croît
démographique annuel en milieu rural entre 1980 et 2000 est ainsi
estimé pour la région du Nord à 6% dont 3% environ de
croît naturel et l'équivalent lié aux flux migratoires.
Aujourd'hui, la densité de population rurale du
Nord-Cameroun dépasse 50 habitants/km2 avec certaines zones
à plus de 100 habitants/km2 (Dongmo, 2009). Ces
évolutions ont entraîné une forte concurrence entre ces
différents acteurs (notamment agriculteurs et éleveurs) pour
l'accès aux ressources naturelles. La culture continue sans pratique de
la jachère s'est généralisée. Ce qui engendre une
forte dégradation des terres agricoles et des parcours (baisse de
fertilité du sol, prolifération d'adventices et de plantes non
appétées par le bétail).
17 Par exemple la route
Ngong-Tchéboa-Touroua. Avant 1985, cette route n'était praticable
qu'en saison sèche (entre octobre et juin). La SODECOTON
(Société d'État) entreprend sa réfection pour la
rendre permanente à partir de cette date.
39
I.3.2. Augmentation du cheptel et réduction des
territoires d'élevage
Le territoire dédié à l'élevage
s'est fortement transformé au cours des dernières
décennies. Le cheptel a augmenté sans modification notable dans
le système d'élevage. Les parcours de transhumance se sont
considérablement rétrécis à l'Extrême-Nord et
s'étendent eux aussi vers la vallée de la Bénoué
où le nombre de bovins par habitant est déjà assez
élevé (Dugué et al., 1994). Depuis une trentaine
d'années, la densité en bovins détenus par les Peul s'est
accrue du fait du croît naturel mais aussi d'un flux migratoire
d'éleveurs Mbororo venant du Nigeria. De plus, la proximité de la
ville de Garoua où nombre de fonctionnaires et de notables locaux ont
capitalisé une part de leurs revenus dans l'élevage, y augmente
encore les densités animales et partant, les conflits avec les
agriculteurs. Ainsi, l'augmentation des effectifs des bovins et l'accroissement
des surfaces cultivées ont engendré la réduction des
territoires d'élevage.
L'élevage des ruminants (bovins principalement) en
pleine expansion, est pratiqué par différentes catégories
sociales : éleveurs Mbororo et Fulbé qui possèdent la
majorité du bétail bovin, agriculteurs producteurs de
céréales et de coton dont les troupeaux sont de petite taille et
de fonctionnaires et commerçants qui confient leurs troupeaux aux
éleveurs. Les effectifs du cheptel sont en augmentation alors que les
superficies pâturables ont fortement régressé. Elles sont
passées pour la Région du Nord de 7 millions d'hectares pour 160
000 têtes de bovins en 1974 à 3,5 millions d'hectares en 1996 pour
un effectif 8 fois plus important de bovins. Ce chiffre va crescendo tandis que
les surfaces continuent de diminuer. L'élevage pratiqué par les
éleveurs peuls semi-sédentaires ou transhumant est conduit de
façon extensive sans recourir à la culture fourragère, ni
à l'achat massif d'aliments du bétail ou à la mise en
défens des parcours les plus dégradés. Il s'appuie d'une
part sur le prélèvement par les troupeaux de ressources
fourragères « collectives », non appropriées par des
individus - vaine pâture après les récoltes, parcours
naturels exondés et de bas-fonds - et d'autre part, sur la
mobilité du bétail au cours de l'année. En zone de
surcharge en bétail, on peut considérer que ces systèmes
d'élevage se caractérisent par une exploitation minière
des ressources pastorales dont la dégradation peut être
exacerbée par les feux de
40
brousse. La saturation de l'espace suite à l'extension
des cultures au détriment des pâturages, rend difficile la
coexistence de l'agriculture et de l'élevage sur ces territoires. La
concurrence et les conflits pour l'accès aux ressources agropastorales
se multiplient et l'avenir du pastoralisme est incertain (Dongmo et
al., 2009). Les éleveurs utilisent divers types de territoires
pour leurs activités : les territoires d'attache, les territoires
proches pour la petite transhumance et les territoires lointains pour la grande
transhumance (Kossoumna Liba'a, 2008).
La plupart des techniciens chargés d'élaborer et
de mettre en oeuvre les politiques foncières ont longtemps avancé
l'appropriation individuelle (et l'arrêt de la transhumance) comme
condition de développement du secteur d'élevage. L'état
actuel des travaux de la recherche fournit des éléments nouveaux
et la condamnation des utilisations communautaires des parcours. De même
des principes considérés comme les piliers du pastoralisme
(capacité de charge, dégradation...) sont remis en cause ou du
moins relativisés (Scoones, 1999 ; Onana, 1995). Une étude de
Boutrais (1978) notait déjà que « les éleveurs ne
possèdent pas leurs pâturages et n'ont jamais l'assurance de
pouvoir y rester longtemps. L'incertitude foncière entrave tout
investissement quelconque des éleveurs, aussi bien dans leur habitat que
dans leurs pâturages. Régler le problème foncier des
pâturages représente le préalable indispensable à
toute amélioration de l'élevage traditionnel... ».
Malgré de nombreux échanges entre les
communautés d'éleveurs et d'agriculteurs (travail,
matériel, produits, etc.), l'amélioration de productivité
et de la gestion des parcours bornés de petite surface et des grands
parcours n'a pu se faire. Ce manque de collaboration s'explique en partie par
le poids inégal qu'occupe l'élevage au sein des deux
communautés. Les agriculteurs cherchent d'abord à accroitre leur
surface cultivée sans par exemple envisager de valoriser
l'excédent de fumure animale produit par les animaux des éleveurs
lors des parcages sur l'espace de pâturage.
Par contre, les éleveurs veulent préserver un
vaste espace de parcours, capable au moins d'accueillir toute l'année
une partie du troupeau pour la production de lait. Les comités de
gestion mis en place par les projets de développement ou d'appui
à la gestion des territoires ruraux (DPGT, GESEP, APESS, PDOB...) pour
le maintien des
41
parcours sécurisés n'apparaissent pas comme un
dispositif de gestion stable, performant et confirmé à moyen et
long terme. Ce qui montre que la situation pastorale ne peut pas
s'améliorer avec des règles subsidiaires créées par
des projets malgré leur engagement et leur efficacité en dehors
du cadre législatif. Vu la faiblesse des superficies de parcours
sécurisés en question et les difficultés techniques et
sociales pour en améliorer la productivité, la transhumance
apparait incontournable pour les éleveurs de cette région.
La durabilité basée sur le maintien de la
transhumance reste aujourd'hui fonction, d'une part du règlement de
l'insécurité des biens et des personnes et d'autre part, de la
capacité des éleveurs à s'organiser collectivement pour
revendiquer des espaces suffisants en y assurant la gestion des ressources
naturelles pastorales. Cette situation est exacerbée par
l'omniprésence des autorités traditionnelles dans la gestion des
territoires ruraux.
I.3.3. Omniprésence des autorités
traditionnelles
Au Nord-Cameroun, il existe dans les faits une
prééminence du droit traditionnel sur la législation
foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de
pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont
coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin
saanou y sont omniprésents. Ainsi, même si la
législation foncière camerounaise existe depuis 1932, elle
n'empêche pas la prédominance du droit coutumier sur le droit
« moderne » en zone rurale18 : la terre appartient au
laamii'do qui en concède l'usage à ses sujets à
condition de payer l'impôt traditionnel sur les revenus des ruraux, la
zakkat19 et dans certains cas, ils prélèvent
des taxes sur le commerce des produits vivriers (céréales,
arachide) (Beauvillain, 1989).
18 La colonisation européenne va instaurer
une administration étatique au-dessus des lamidats pour la gestion de
l'ensemble du territoire tout en laissant le contrôle foncier aux
lamibé (Ndembou, 1998).
19 Aumône légale instituée par
le Coran. Normalement, la zakkat doit être
prélevée pour constituer un grenier public et distribuée
aux indigents en cas de nécessité. Elle a été
depuis longtemps détournée pour n'être plus qu'une
redevance versée au profit du laamii'do. Le paiement de la
zakkat est une forme d'allégeance au laamii'do
(Seignobos et Tourneux, 2002). Dans le lamidat de Tchéboa par
exemple, chaque chef d'exploitation doit, pour la culture du coton, payer entre
1 000 et 5 000 Fcfa suivant la superficie plantée et donner entre deux
à cinq tasses de céréales suivant l'importance de la
production à ce titre. Tout manquement entraîne bastonnade ou
réduction autoritaire de l'exploitation concédée (Ndembou,
1998).
42
Les autorités coutumières restent dans toutes
les situations et aux trois degrés de chefferie une force politique,
sociale et décisionnelle à ne pas négliger, et continuent
à jouer un rôle fondamental dans l'organisation du territoire,
l'État les reconnaissant comme rouage de l'administration du territoire.
Ces acteurs gardent notamment un rôle important dans la gestion du
foncier (gestion coutumière), le règlement des conflits,
l'organisation des déplacements des troupeaux et de la vie
économique (taxation des productions agricoles et des ménages via
la zakkat). Dans les zones de peuplement
hétérogène les populations rurales cherchent à
s'émanciper, surtout lorsque le pouvoir coutumier entrave leurs
initiatives et les taxent trop fortement. La mise en place des actions du
programme et leur chance de réussite nécessitent d'associer les
autorités coutumières au plus haut niveau, dans le cadre d'un
dialogue constructif et en toute transparence.
En plus de la gestion du foncier rural, le laamii'do
et les chefs sous son autorité gèrent la circulation du
bétail sur le territoire du lamidat. En contrepartie, le
laamii'do doit apporter secours aux plus démunis et aux
populations touchées par des accidents climatiques ou des incendies.
Plus globalement, il doit faire régner la paix et la bonne entente entre
les différents groupes sociaux qui peuplent son lamidat. Cette
capacité à contrôler la totalité de son territoire
(les activités, l'accès aux ressources naturelles et les flux de
biens et de personnes) au besoin en mobilisant ses gardes (daugari),
constitue la principale force du laamii'do.
L'insécurité foncière tant pour les
agriculteurs que pour les éleveurs constitue une entrave majeure aux
politiques de développement et de protection de l'environnement au
Nord-Cameroun. La question foncière s'est donc imposée
d'elle-même dans cette région et a été
progressivement intégrée dans les projets de développement
qui ont essayé de la résoudre mais avec peu de succès.
Aujourd'hui, elle a été momentanément
délaissée parce qu'elle est complexe et que les projets n'ont pas
encore trouvé de solution simple pour la résoudre : les accords
locaux entre acteurs ont beaucoup de mal à se maintenir après
l'arrêt des projets (Raimond et al., 2010). C'est ainsi que
agriculteurs ou éleveurs n'ont aucune emprise définitive sur les
terres car elles sont gérées par les autorités
coutumières dites « autochtones » qui ravivent les mises
à
43
distances des migrants. L'État est supposé
dominer le système foulbé et donner la mesure des choses en
même temps qu'il intervient dans la plaine pour permettre aux chefs de
famille de produire plus pour vivre mieux, ce qui dérange les potentats
locaux, peu favorables à la promotion des populations qu'ils
contrôlent. Ne pouvant désobéir à la
hiérarchie foulbé pour bénéficier du
développement promu par un État qui ne les protège pas,
ils vivent donc, au jour le jour, d'autant plus que le climat reste erratique
pour une agriculture non irriguée. Dans ce contexte, les larges zones
exclusives à la biodiversité subit les assauts permanents et
soutenus des agriculteurs et des éleveurs.
I.3.4. Les aires protégées sous forte
pression des agriculteurs et des éleveurs
L'État camerounais a classifié depuis
l'Indépendance de larges superficies de savanes en zones exclusives de
chasse et de protection de la flore et de la faune sauvage20.
Interdit au pâturage et à l'agriculture, l'aire
protégée a progressé en surface depuis les années
1970 pour se stabiliser depuis les années 1990. En fait, au
Nord-Cameroun, la tradition de la conservation de la biodiversité est
ancienne. Les aires protégées sont non seulement une
réalité physique, mais également un atout
économique important. Créées entre 1932 et 1980, elles se
composent de trois parcs nationaux (Bénoué 180 000 ha, Faro 330
000 ha, Bouba Ndjidda 220 000 ha) et 27 zones cynégétiques (ZIC)
ou réserves de chasse dont 23 sont affermées aux guides
professionnels de chasse essentiellement expatriés21. Tout ce
vaste réseau d'aires protégées représente
près de trois millions d'hectares, soit 44% du territoire de la
région. La principale contrainte environnementale dans cette zone de
savane est la sécheresse et la pression anthropique forte dans les parcs
et zones de chasse (Figure 6).
20 La première aire protégée
date de l'administration coloniale française en 1916. Il s'agissait du
domaine de chasse de Bouba Ndjidda. C'est surtout à partir de 1932 que
le mouvement de transformation des réserves forestières s'est
amplifié pour atteindre son apogée après
l'indépendance, en 1960.
21 Les zones d'intérêt
cynégétique (ZIC) ont été créées par
arrêté (N° 86/SEDR/DEFC du 21/10/1969) pour les 16
premières. Dix autres seront classées ensuite vers 1972.
Limite nationale
Limite régionale
Transhumance avec points d'attache Transhumance sans points
d'attache Migrations des populations
Zone d'intérêt cynégétique
Parc naturel
Légende
Ville
ADAMAOUA
Poli Tcholiré
Garoua
Ngaoundéré
Guider
Kaélé
Yagoua
0 100 km
N
44
Source : Adapté de CIRAD et GLG Consultants (2013)
Figure 6. Aires protégées et
mouvements des populations et des animaux au Nord-
Cameroun
I.3.4.1. Des aires protégées
convoitées par les éleveurs transhumants et
sédentaires
Les éleveurs affirment qu'ils « volent
fréquemment le pâturage » dans certaines aires
protégées lors de la transhumance. En effet, des menaces planent
sur leurs activités d'élevage car, à l'origine, les
éleveurs de la région ont toujours considéré qu'il
y avait concurrence entre le bétail et la faune sauvage (Ndamé,
2007). Fréquemment accusés de surpâturage, les
éleveurs sont de plus en plus inquiets et coincés entre les aires
protégées et les champs des agriculteurs. Cette situation est
d'autant plus préoccupante que les pistes à bétail, les
zones de transhumance, même délimitées, et les aires de
repos pour les animaux, sont sous la menace des cultures. C'est tout simplement
la condamnation d'un système d'élevage traditionnel qui a
montré la preuve de son efficacité face aux aléas
climatiques récurrents dans la région. La « redistribution
forcée » de la force de travail et de l'espace proposée aux
différentes activités amène
45
les éleveurs, particulièrement nombreux dans la
région, à réduire de façon draconienne l'amplitude
des transhumances, en abandonnant certains itinéraires et en modifiant
leurs objectifs. Pour de nombreux observateurs, c'est une véritable
crise des systèmes pastoraux sahéliens. On est en train de passer
progressivement des mouvements de troupeaux dictés par des
critères climatiques et écologiques, à des mouvements
justifiés par des choix économiques. On assiste progressivement
à un déplacement du centre de gravité de l'élevage
du Nord-Cameroun vers les zones situées plus au sud de la région.
Cela oblige désormais l'éleveur vivant dans la région et
qui d'ailleurs ne profite d'aucune aide de l'État, à faire des
choix s'il veut continuer son activité, puisqu'il est appelé
à faire face à des charges nouvelles que la suppression du
système traditionnel entraîne. Le cas des éleveurs
transhumants Mbororo semble plus préoccupant. Ces derniers ne pourront
survivre qu'en se sédentarisant et ceux qui ne pourront s'adapter aux
mutations en cours en devenant aussi agriculteurs seront amenés à
disparaître à moyen terme (Ndamé, 2007).
I.3.4.2. Des aires protégées sous la pression
des agriculteurs migrants autochtones
L'afflux massif des migrants de l'Extrême-Nord du
Cameroun, ajouté aux autochtones, vient compliquer la gestion des aires
protégées. Il va sans dire que le problème migratoire dans
le Nord n'a été que très partiellement résolu. Il
entraîne dans la région une incompréhension culturelle qui
complique la gestion des zones protégées. Les migrants ont en
effet du mal à comprendre les règles du jeu (passage des animaux
sauvages, pistes à bétail, limites des aires
protégées...), par manque de « conscience »
écologique disent les initiateurs de projets (PDOB, 2003), ce qui
entraîne des conflits avec les gardes-chasses. Les agissements des
migrants sur le terrain montrent bien qu'on a fait émigrer des gens de
l'Extrême-Nord vers le Nord sans qu'ils soient au préalable mis au
courant du fonctionnement des sociétés avec lesquelles ils vont
cohabiter. Deux faits importants peuvent expliquer cette situation :
l'inexistence de schéma directeur d'encadrement des récents flux
migratoires depuis la fin du Projet Nord-Est Bénoué (NEB) et le
rôle ambigu des chefs traditionnels qui souvent favorisent l'installation
des migrants au détriment de tout souci de conservation. Il s'en suit
une forte augmentation de l'emprise agricole (pour le coton
46
essentiellement et par voie de conséquence pour les
cultures vivrières), ce qui accroît les défrichements et
crée des perturbations pour la faune sauvage (Ndamé, 2007). On
assiste ainsi à une occupation régulière et une
transformation en champs des espaces supposés protégés.
Les populations acceptent de plus en plus mal la présence d'aires
protégées qui leur paraissent « vides », raison pour
laquelle, malgré les interdictions et les appels à la
négociation par les pouvoirs publics, elles les empiètent.
I.3.5. Un flou juridique autour du système
foncier
Le droit colonial mis en place sous le protectorat allemand
(entre 1884 et 1916), puis le mandat (1919-1939) et la tutelle (1945-1960)
franco-britannique, a ignoré les spécificités des nomades.
Par conséquent, il a ainsi institutionnalisé leur
marginalisation. Les conséquences de cette législation coloniale
ont été des plus désastreuses en matière de gestion
du foncier. Ces conséquences sévèrement catastrophiques
ont persisté après l'Indépendance, parce que le Cameroun
continue d'appliquer les principales orientations du droit colonial dans le
domaine foncier (Nguiffo et al., 2009).
En effet, l'article 15 de l'ordonnance de 1974 fixant le
régime foncier camerounais distingue « les terrains d'habitation,
les terres de culture, de plantation, de pâturage et de parcours dont
l'occupation se traduit par une emprise évidente de l'homme sur la terre
et une mise en valeur probante » de celles « libres de toute
occupation effective ». Autrement dit, ce texte foncier camerounais ne
reconnaît pas l'usage et l'occupation des terres par les Mbororo comme
source des droits fonciers coutumiers protégeables. Ceci parce que
contrairement aux agriculteurs, ces communautés ont un mode de vie de
type nomade et leur occupation des terres est parfois non permanente et sans
traces apparentes. Et pourtant, la Constitution camerounaise de 1996
énonce en son article 1 alinéa 2 que la République du
Cameroun « reconnaît et protège les valeurs traditionnelles
conformes aux principes démocratiques, aux droits de l'homme et à
la loi ». Dans le régime juridique foncier actuel, l'État
est gardien et propriétaire de toutes les terres depuis 1974.
Cependant, l'État n'a pu mener à bien son projet
envisagé en 1994 visant à promouvoir une plus grande
individualisation de la propriété foncière et une plus
grande
47
clarification de la propriété collective. Les
dispositions de l'ordonnance n°74-1 du 6 juillet 1974 relative au
régime foncier qui régissent jusqu'à présent le
régime foncier et l'exploitation des terres au Cameroun se heurtent
à la résistance du droit coutumier traditionnel qu'elles ignorent
(Nguiffo et al., 2009). En effet, au Nord-Cameroun, il existe dans les
faits une prééminence du droit traditionnel sur la
législation foncière de l'État. C'est pour cela que les
espaces de pâturage où les éleveurs vont en transhumance
sont coutumièrement gérés par les chefferies et les
sarkin saanou y sont omniprésents.
Les conflits fonciers sont généralement du
ressort de la chefferie, mais les parties peuvent aussi s'adresser à
l'administration, notamment le sous-préfet. La commission consultative,
composée de représentants de l'administration et
présidée par le préfet ou le sous-préfet constitue
une instance de règlement des litiges prévue par la loi, mais peu
utilisée car très onéreuse (à noter que les
communes n'en font pas partie, le texte les régissant étant
antérieur au transfert de compétence en leur faveur).
I.3.6. Crise centrafricaine et arrivée massive des
éleveurs mbororo
Les Mbororo de la République Centrafricaine sont
très souvent victimes des crises successives que connaît ce pays.
Éleveurs et gardiens de bétail dont ils ne sont souvent
même pas les propriétaires, ils sont depuis plusieurs
années, à chaque changement de régime, victimes de
représailles : le nouveau les accusant d'être à la solde du
précédent. Par exemple, lorsque Monsieur Ange Félix
Patassé arrive au pouvoir en 1993, son entourage et les membres de la
garde présidentielle arrêtent et rackettent les éleveurs
mbororo en les accusant d'être les gardiens du bétail et les
partisans de son prédécesseur André Kolingba.
Plus tard, après la chute du président
Patassé, les membres de la garde rapprochée de son tombeur,
François Bozizé, ont également arrêté
arbitrairement et rançonné cette communauté, les accusant
d'être des coupeurs de route et des partisans du président Ange
Félix Patassé. En 2013, après que quelques groupes peuhls
centrafricains aient rejoint la Séléka, toute la
communauté a été stigmatisée par le régime
de Monsieur Bozizé qui a ensuite mené des représailles
contre eux.
48
Après son coup de force, la Séléka a
accusés les éleveurs mbororo d'être les complices et
gardiens de bétail des figures de l'ancien régime. C'est ainsi
que depuis 2013, ils sont victimes de meurtres et de rackets. Sous la
Séléka, les éleveurs peuhls se sont vus imposer « un
droit de pâturage » illégal variant de 500 000 à 10
000 000 de FCFA par famille en fonction de la taille du bétail. Cette
rançon était dix fois plus élevée que celle qui
leur était imposée sous le régime de François
Bozizé. Ce sont maintenant les anti-Balaka également, qui tuent,
torturent, violent et massacrent les Peulhs Bororo du fait de leur appartenance
religieuse musulmane et en les accusant d'être de connivence avec les
Sélékas. Toutes ces exécutions et violations des droits
des Peulhs ont entraîné des déplacements massifs des
populations à l'extérieur du pays où la situation est loin
d'être favorable.
Avant la crise actuelle, les conflits opposant les
transhumants aux populations locales étaient essentiellement liés
aux ressources et les agriculteurs vivaient en relative harmonie avec les
éleveurs peuls centrafricains. Alors que ces mouvements transfrontaliers
existent depuis longtemps, l'éclatement des couloirs traditionnels, la
modification des itinéraires de transhumance, l'évolution de
l'armement de certains transhumants et l'amplification du
phénomène des coupeurs de route nommés « zaraguinas
», ont favorisé l'émergence de conflits violents.
Depuis 2008, la violence a pris des proportions alarmantes et
entrainé l'exode de nombreux Centrafricains qui ont fui leurs villages
et trouvé refuge dans des camps de déplacés à l'Est
et au Nord-Cameroun après que leurs villages ont été
brûlés. Face au chaos dans lequel est actuellement plongée
la Centrafrique, ces conflits localisés sont relégués au
second plan (International crisis group, 2014).
Depuis 2008, les Mbororo réfugiés au Cameroun
envoient des éclaireurs qui, régulièrement, rendent compte
des conditions de sécurité. Ils scrutent plus encore l'entourage
du pouvoir à Bangui qui, sous François Bozizé, ne leur a
pas été favorable et guère plus en 2013 sous Michel
Djotodia. Toutefois, ce qui semble aujourd'hui le plus flagrant à leurs
yeux, c'est leur dépossession des pâturages par des
éleveurs venus du Tchad. Aussi, les réfugiés du Cameroun
accusent-ils maintenant moins le gouvernement de Bangui de les avoir
chassés de Centrafrique que les Mbororo à la
49
fois « tchadiens » et zaraguinas d'avoir conduit de
longue main un projet politique visant à les expulser de leur paradis
pastoral (Chauvin et Seignobos, 2013).
Les différents phénomènes
d'insécuritéì transfrontalière ont eu
pour conséquence l'exode de près de 50 000 éleveurs
mbororo de la RCA vers le Cameroun et leur réinstallation dans des
campements avec l'appui des États et des organisations internationales
notamment le HCR22 (Musila, 2012). L'arrivée de ces
éleveurs avec leurs animaux ajoute à la saturation et à la
pression sur les espaces de pâturage. Ces déplacements concourent
également à la multiplication des conflits du fait des
dégâts champêtres et de la compétition pour
l'accès aux parcours.
Conclusion
La mobilité pastorale se déroule au Nord
Cameroun dans un contexte spatial complexe et contraignant. Les
différents territoires de mobilité sont diffus et leur
accès est entravé par les champs. Cette région connait en
effet une migration permanente à l'origine de l'augmentation des
surfaces agricoles. Le cheptel bovin est lui aussi en augmentation. En plus des
animaux détenus par les éleveurs purs, les agro-éleveurs
et les citadins détiennent eux-aussi un grand nombre d'animaux. À
côté de ces acteurs permanents sur ces espaces, nous assistons
à l'arrivée massive des animaux venus de la RCA, fuyant les bande
armées anti-balaka. Non seulement, l'élevage extensif
pratiqué par les éleveurs dans le Nord du Cameroun est
menacé par l'emprise agricole grandissante due à l'extension de
cultures de rente ou vivrières, mais également par les
classifications de larges superficies de savanes en zones exclusives de chasse
et de protection de la faune sauvage. Ainsi, la mobilité se pratique
entre ces zones protégées et les 15% de la région
occupée par les cultures, les montagnes et les villages. Les
éleveurs n'ont d'autres alternatives que de faire pâturer dans les
quelques grands parcours et dans les zones marginales de collines mais aussi
dans certaines ZIC peu gardées où ils pénètrent
pour « voler » le pâturage. Les parcours deviennent ainsi une
mosaïque de zones permises et interdites où il est difficile de se
déplacer du fait de l'exigüité, voire de la disparition des
pistes à bétail. La recherche de complémentarité
22 Haut-Commissariat des Nations Unis pour les
Réfugiés.
50
entre des zones aux productions fourragères
différentes (en fonction des saisons) devient de plus en plus difficile
alors qu'elle constitue la base de la conduite du bétail. À ces
contraintes, s'ajoute la difficulté de traverser les zones mises en
culture pour atteindre, à la fin de la saison sèche, les vastes
zones au sud de la région, du fait de l'absence de relations
contractuelles avec les agriculteurs. Les étendues pour l'agriculture et
l'élevage semblent suffisantes, mais ils sont mal répartis dans
l'espace et leur accessibilité pose problème. Le chapitre suivant
présente les enjeux sociétaux de la mobilité pastorale
dans la région du Nord-Cameroun.
51
Chapitre II. Contexte sociétal autour des
territoires de mobilité pastorale : rapports entre les acteurs
locaux
La mobilité pastorale au Nord-Cameroun se
déroule dans un contexte sociétal complexe entre les
différents acteurs (éleveurs, agriculteurs, citadins,
autorités traditionnelles et administratives). Pour comprendre la
marginalité que subissent que les éleveurs pour le
contrôle, l'accès et la gestion des territoires de
mobilité, nous allons revenir à la genèse de leur
installation dans la région et les processus d'acquisition des
territoires de fixation. Ensuite, seront analysé les relations
ambigües qu'ils entretiennent avec les autorités traditionnelles et
administratives. Quant aux relations des éleveurs avec les citadins,
elle permettra de mieux comprendre la logique de leur insertion dans le
système de pouvoir pouvant leur permettre de mieux défendre leurs
intérêts et de s'intégrer. L'analyse des rapports des
éleveurs avec les agriculteurs permettra de comprendre les relations qui
oscillent entre conflits, échanges et complémentarités.
Enfin, les éleveurs entretiennent entre eux également des
relations tant d'échanges, de complémentarité que de
conflits qui permettent de mieux saisir la difficulté de cohésion
sociale et de vision commune pour défendre leurs
intérêts.
II.1. Genèse de l'installation des éleveurs
mbororo dans la région
Les Mbororo représentent l'une des composantes de la
communauté peulh. Avec le temps, les foulbé sédentaires
ont fini par les appeler « mbororo » ou « Fulbe ladde
» (peulh de la brousse). Leur plus forte concentration se trouve au
Nord du Cameroun. Ils font des déplacements entre les
départements de la Bénoué, du Mayo Rey, du Faro, de la
Vina dans la région de l'Adamaoua, et en fonction des saisons, d'autres
se rendent au Nord du Nigeria, au Tchad ou en République Centrafricaine
à la recherche des pâturages. Ils communiquent
régulièrement entre eux les jours de marché où
chaque clan envoie un représentant pour transmettre et en retour
recueillir des nouvelles des autres communautés. Ces mouvements sont
coordonnés sous l'oeil vigilant du Chef Spirituel. Ils se subdivisent en
trois grands groupes, se distinguant surtout par les races bovines qu'ils
élèvent, miroirs des groupes humains (Boutrais,
52
1995). Mais ils ont en commun la particularité
d'élever des animaux de grand format, dont les exigences alimentaires
motivent leur grande mobilité.
II.1.1. Les différents lignages présents dans
la région
Les Djaafun furent les premiers à s'installer
sur les plateaux camerounais, antériorité dont ils retirent
encore quelque prestige. Ce sont en effet les éleveurs les plus «
urbains » et les moins mobiles. Ils possèdent des animaux de petite
taille (gudaali) à proximité de Garoua et
disséminés sur les bords de la Bénoué où les
femmes commercialisent activement leurs produits laitiers (Reiss et
al., 2002). Selon ces auteurs, les Djaafun avaient des
animaux à robe rouge de plus grand format et ce changement de race
indique que leur mode de vie n'a pas sensiblement changé dans les seules
dernières décennies. Leur attrait pour les zones urbaines de
consommation et la diversification des activités agricoles n'est pas un
fait récent. Dans leurs pratiques d'élevage, les Djaafun
limitent autant que possible les mouvements des troupeaux et tentent de
conserver la plus grande part des effectifs en production laitière sur
les lieux du domicile. Le reste du cheptel est assez mobile et même si
les animaux supportent des conditions difficiles, les déplacements en
quête de la pousse de l'herbe au moment des premières pluies sont
assez systématiques ; d'autres éloignent aussi les troupeaux de
l'habitat pendant de plus longues périodes. Ils tentent aujourd'hui de
faire front aux pressions des agriculteurs en cultivant intensément, de
façon à matérialiser leur emprise sur les espaces qu'ils
revendiquent en qualité de premiers occupants. Leur installation est en
effet antérieure à celle des agriculteurs migrants venus de
l'Extrême-Nord dans les années 1970 et remonte déjà
à 15 ou 20 ans auparavant. Ils pratiquent une agriculture «
d'entreprise » et rémunèrent même les bergers toupouri
ou massa de l'Extrême-Nord qui se font saisonniers. Leurs revendications
territoriales sont très fortes et les zones d'installation et de
pâturage qui leur sont réservées (hurum) sont
précisément délimitées par les autorités
coutumières parfois avec l'appui des projets et programmes de
développement.
Les Daneedji comme leur nom l'indique
possèdent systématiquement des animaux à robe blanche. Ces
animaux de grand format sont appelés Mboroodji. Les animaux
à robe rouge boodeeji sont dits davantage sélectifs ;
les bokolos sont particulièrement
53
exigeants et la recherche de conditions optimales
d'élevage rassemble les éleveurs qui travaillent avec ces races
de bétail de grande corpulence. Les daneeji commercialisent
cependant leur production laitière et gravitent autour des villages.
Les woodaabe sont moins attachés à la
vente du lait. Les transhumances d'assez grande amplitude sont
systématiques. Ces éleveurs sont très
spécialisés dans leur activité et seuls les plus anciens
aspirent à imiter les djaafun en s'installant à
proximité des villages et en développant des activités
agricoles. Les activités pastorales en revanche ne sont jamais
déléguées. Leurs animaux ne répondent qu'à
leurs maîtres dont la vie pastorale est au coeur des
préoccupations. L'autre préoccupation de ces éleveurs
woodaabe, est de clarifier la question de la traversée des
zones de chasse pour transhumer vers le Sud. Ces déplacements
prêtent toujours à des transactions avec les gardes chasses qui
n'offrent pas beaucoup de garanties lorsque les éleveurs sont
interpellés dans les limites de ces zones cynégétiques.
Comme toutes les sociétés peules, les
sociétés pastorales mbororo sont très
hiérarchisées (Reiss et al., 2002). En effet, des
unités familiales rassemblées autour d'un ou plusieurs troupeaux,
évoluent ensemble et forment le toccal conduit par un
ar'do23 qui joue le rôle de protecteur, de
conciliateur et d'intermédiaire vis-à-vis du monde
extérieur. L'origine généalogique et le charisme de
certaines personnes leur confèrent la légitimité de
représenter l'ensemble du lignage ou une partie de celui-ci qui
rassemble plusieurs toccal. Leur titre est alors celui de
laamii'do. Ces responsables prêtent allégeance au
laamii'do peul sédentaire, souverain absolu de l'ensemble du
territoire coutumier. Celui-ci exerce une pression fiscale occulte sur les
lignages d'éleveurs mbororo, en contrepartie des droits d'accès
offerts sur ses terres. Les modalités de séjour, d'installation
et d'expropriation sont fixées par le sarkin saanu, responsable
coutumier de l'élevage auprès du laamii'do Peul.
23 Littéralement, ar'do signifie
« un homme qui marche devant ses personnes et le bétail ».
Avant d'être intégré dans une organisation de pouvoir
étendu, l'ar'do était le chef du groupe des
éleveurs. Avec la restriction des espaces de pâturage, chaque
famille a dû chercher son propre espace pour son bétail. Lorsque
le processus de sédentarisation s'est amorcé, chaque ar'do
est devenu un laamii'do, qui signifie souverain régissant
un secteur géographique. L'espace a été structuré
selon une organisation de puissance : le laamii'do est
désormais le commandant d'un territoire appelé tuutawal
ou du lamidat dans la littérature française du
Nord-Cameroun. Toutes les terres cultivées ou non lui appartiennent
(Koulandi, 2006).
54
Au sein des lignages, les éleveurs mbororo apparaissent
extrêmement solidaires et leurs richesses structurent avant tout
l'organisation sociale avant de profiter aux individus qui les
détiennent. En vertu du pulaaku (code de conduite des
peuls)24, les relations sont fondées sur une moralité
rarement transgressée à laquelle les éleveurs de brousse
sont particulièrement attachés (Bocquené, 1986 ; Labatut
et Issa, 1974). La vie sociale est constamment balisée par le jugement
des pairs sur les agissements et comportements des membres du groupe. Gausset
(2003) relève que la liberté est un aspect important du
pulaaku. Pour cet auteur, le fulbe se définit par
opposition aux populations locales qu'il décrit comme laides,
grossières, païennes, de pauvres agriculteurs sédentaires et
esclaves. La plupart de ces critères font référence
à la liberté : forte capacité de contrôle de leurs
émotions et de leurs besoins physiques, absence de superstition,
liberté de déplacement avec le bétail (Gausset, 2003). Les
lignages des woodaabe disposent d'ailleurs de personnalités
morales, les gerema qui sont chargés de faire respecter le
pulaaku. Leur plus haut responsable est le laamii'do pulaaku
qui dispose d'au moins deux représentants dans chaque chefferie
peule sédentaire. Il s'agit d'une seule personnalité pour tous
les woodaabe. Il peut être consulté indifféremment
dans les trois pays où les lignages sont dispersés (Nigeria,
Cameroun et Centrafrique).
La plupart des lignages aujourd'hui présents situent
leur entrée lors d'un transit par le Lamidat de Demsa, il y a
de cela 35 à 40 ans25. Leur dispersion s'est poursuivie vers
le sud de Garoua ou vers les pays voisins. Les statistiques du Ministère
de l'Elevage, des Pêches et des Industries Animales ainsi que les
témoignages des sarkin saanou, font état d'une forte
diminution de plus de 50% des effectifs du Lamidat de Tchéboa
depuis le début des années 90. À cause de leur permanente
mobilité à la fois pour la recherche de pâturage et d'eau,
mais aussi pour fuir les exactions des coupeurs de route, il est difficile de
donner un chiffre précis sur les effectifs des Mbororo au Nord-Cameroun.
L'Association pour la Promotion et le Développement Economique et Social
(Hore
24 C'est un code social et moral, mais aussi un
système de pression psychique dont les valeurs principales sont la
résignation, l'intelligence, le courage, l'austérité, le
sang-froid et l'absence de spontanéité (Schilder, 1994).
25 Mais les Mbororo sont arrivés depuis bien
longtemps en Adamaoua et à l'Ouest du Cameroun
55
Pulaaku) a avancé en 2010 le chiffre de plus
de 500 000 Mbororo répartis en 52 clans. Leur nombre fluctue au
grès de leurs allées et retour entre le Cameroun et le Nigeria
ainsi que l'arrivée de ceux venus de RCA fuyant les persécutions
et les exactions des anti-balaka qui tuent, torturent, violent.
II.1.2. Comment les éleveurs ont-ils acquis les
espaces de fixation ?
Le Nord-Cameroun se caractérise par un peuplement
complexe d'agriculteurs et d'éleveurs sous l'autorité des Peuls.
Elle est caractérisée par une histoire ancienne sous l'influence
des chefferies peules, une histoire récente avec l'introduction du coton
et les migrations et entre ces deux phases, l'arrivée et la fixation des
éleveurs mbororo. D'où les difficultés aujourd'hui de
faire cohabiter des populations rurales aux systèmes de production,
pratiques et références socioculturelles très
différentes.
Pour comprendre l'origine les insécurités
foncières et sociales touchant les Mbororo, il est nécessaire de
revenir sur leur histoire et les raisons qui les ont amenés à se
sédentariser et le contexte spatial et social dans lequel ils vivent et
mènent leurs activités. En effet, les communautés mbororo
se sont installées au Nord-Cameroun au cours du 20è
siècle en provenance du Niger et du Nigeria à la recherche de
régions peu peuplées et riches en pâturage. Ils ont obtenu
des droits de pâture26 de la part des autorités
coutumières, les lamibe peuls. Afin d'acquérir des
droits fonciers et politiques, les Mbororo initialement nomades ont
opté, depuis une quarantaine d'années, pour la
sédentarisation de leur habitat. Leurs campements ont été
reconnus par l'État comme des villages, et ils ont obtenu des cartes
d'identité et le droit de vote. Cette fixation s'explique par leur souci
d'améliorer leurs conditions de vie : accès à l'eau par
des forages et puits, écoles et centres de santé au village ou
à proximité. La fixation de l'habitat de ces éleveurs et
la sédentarisation de certaines de leurs activités (production de
céréales) les ont pourtant rapprochés des autorités
administratives. Mais cela n'a pas été suffisant pour les
insérer dans le jeu politique, économique et social local et pour
garantir leur sécurité. Lorsqu'ils ont obtenu la
nationalité
26 On utilise pour cela le terme de « vaine
pâture » qui renvoie au fait qu'une communauté villageoise
envoie ses troupeaux pâturer sur les champs en cultures après
enlèvement des récoltes. Elle est souvent liée à
des servitudes de passage (Seignobos, 2010).
56
camerounaise, les Mbororo peuvent se faire représenter
dans les instances locales de décision comme les communes rurales, les
partis politiques, voire l'Assemblée Nationale. Mais leur poids dans ces
instances est quasiment nul du fait, entre autres, de leur
analphabétisme. Toutefois, leur sédentarisation les amène
à être considérés comme des partenaires potentiels
par les projets de développement rural surtout s'ils acceptent de
créer des organisations d'éleveurs. Malgré leur
antériorité dans la zone par rapport à d'autres acteurs
comme les agriculteurs issus des migrations, les Mbororo connaissent une
précarité foncière croissante sur les parcours et les
pistes à bétail. Ils subissent également une pression
fiscale souvent arbitraire de la part des autorités traditionnelles et
administratives.
L'installation des éleveurs sur les différents
sites se fait à travers les Sarkin Saanou. Ce sont ces derniers
qui accueillent les éleveurs et connaissent leur emplacement au cours de
la saison. Les éleveurs leur remettent pour le laamii'do une
redevance à chaque installation. Selon l'ancienneté des
éleveurs dans les zones de transhumance, les redevances diminuent
jusqu'à devenir symboliques dans bien des cas. Lorsqu'ils ne font que
passer sur le territoire, les éleveurs ne paient rien pour le
pâturage. Et ce, d'autant plus que les éleveurs empruntent de plus
en plus les routes nationales pour atteindre les zones de transhumance. Par
contre, pour l'installation sur le site de transhumance ils s'acquittent d'une
redevance auprès des autorités du lieu, le plus souvent
négociée, même s'il existe un taux officiel27.
Les éleveurs négocient des taux forfaitaires à 20 000 Fcfa
par troupeau. Soit une somme moindre que le taux officiel lorsque le troupeau
atteint 30 bovins.
La fixation des éleveurs leur a permis de
sécuriser leur espace de vie et certaines de leurs activités :
les productions animales et végétales, l'embouche. En effet, les
éleveurs ont « subi » à plusieurs reprises sur des
espaces qui ne leur étaient pas alloués l'installation des
agriculteurs migrants. Ils ont compris qu'il fallait « s'approprier »
un territoire. Aujourd'hui, comme l'affirme un éleveur, « le
Mbororo n'est plus comme
27 200 à 500 Fcfa par tête de
bétail pour la taxe d'inspection sanitaire vétérinaire et
500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe de transhumance.
57
un oiseau toujours prêt à s'envoler car il a
pris conscience qu'il risquait de continuer à s'envoler sans jamais
savoir où atterrir » (Kossoumna Liba'a, 2008).
Lors de l'installation des premiers éleveurs, il y
avait assez d'espace ; ce qui a permis aux à d'autres membres de leur
clan de les rejoindre. Ce n'est que quelques années plus tard que ces
éleveurs ont vu les espaces de pâturage autour de leur territoire
se resserrer à cause de l'arrivée de plus en plus importante des
agriculteurs migrants dans les villages voisins.
D'autres éleveurs affirment que la raison de la
fixation est bien celle de la pression qu'ils ont subie sur l'espace dans les
sites successifs qu'ils ont occupés avant leur sédentarisation :
« chaque fois qu'on s'installait quelque part, témoigne un
éleveur, les agriculteurs mettaient leurs champs autour de nous dans les
endroits où nos animaux passaient la nuit pour valoriser leurs
déjections. A cette époque, nous ne cultivions pas et au
début on ne voyait pas tellement d'inconvénient. Mais au fil des
années, nous ne pouvions plus parquer ni faire pâturer nos animaux
aux mêmes endroits et nous avons compris qu'il fallait s'approprier un
territoire ». Les éleveurs nomment cette appropriation «
nanngugo babal » (Kossoumna Liba'a, 2008), ce qui signifie «
accaparer un territoire ».
Comme les agriculteurs migrants installés dans les
villages voisins, les éleveurs mbororo ont défriché le
territoire qu'ils ont finalement obtenus des autorités
coutumières. Ils décrivent comment ils ont trouvé cet
espace comme : « une étendue de brousse où on ne voyait
pas à plus de cent mètres à cause des hautes herbes et de
grands arbustes, où il y avait beaucoup d'animaux sauvages comme les
singes, les serpents... » (Kossoumna Liba'a, 2008). Ils retracent les
différentes étapes qu'ils ont traversées avant de se
retrouver là. Une grande partie des agriculteurs migrants sont
arrivés après eux. Ils étaient d'abord installés le
long de l'axe routier Garoua-Ngaoundéré. Cet axe était
également très prisé par les migrants. Ces derniers, du
fait de la fréquence plus accélérée de leur
arrivée dans la zone se sont retrouvés majoritaires et ont
évincé les éleveurs vers l'hinterland. Les
années passant, les éleveurs ont pris conscience que finalement
il fallait s'approprier un territoire.
58
Les sites sur lesquels ils sont installés actuellement
n'ont pas été choisis par hasard. Ils sont entourés de
montagnes ou des zones rocheuses incultes. Ce qui ne permet pas la pratique de
l'agriculture et empêche la progression des agriculteurs. Entourés
de ces terres ingrates et incultes, les éleveurs se sentent en
sécurité car ces zones incultes constituent des zones de parcours
ou de refuge en saison des pluies. La deuxième raison
évoquée par les éleveurs est l'absence de mouches et de
moustiques.
Les éleveurs mbororo estiment que lorsqu'ils
séjournent sur un territoire, ce dernier leur appartient. Aujourd'hui,
avec la délimitation des hurum dans lesquels ils vivent, les
éleveurs mbororo ont le sentiment que ce territoire leur appartient
légalement, même si les agro-éleveurs estiment que la
charte qu'ils ont signée ne constitue un titre foncier accordé
aux éleveurs. C'est le même sentiment pour le
Délégué de l'Élevage, des Pêches et des
Industries Animales de l'arrondissement de Tchéboa qui estime que les
différents projets qui ont travaillé sur la délimitation
des hurum n'ont pas mené le processus au bout, puisque selon
lui rien ne prouve que la zone appartient aux éleveurs. Cependant, force
est de constater que depuis la délimitation de ces hurum, les
populations des villages voisins reconnaissent la légitimité de
cette zone destinée à l'élevage et ont fini par accepter
la présence permanente des éleveurs. Ces derniers se sentent en
sécurité même s'ils n'ont pas les moyens d'empêcher
les agriculteurs de continuer à cultiver sur les espaces destinés
aux pâturages et aux passages des animaux. Cette sécurisation a
permis aux éleveurs de s'installer pour la plupart
définitivement.
II.2. Rapports des éleveurs mbororo avec les acteurs
locaux
Les éleveurs entretiennent de nombreux rapports avec
les autres acteurs en présence (autorités traditionnelles,
autorités administratives, agriculteurs, autres éleveurs,
citadins et élites commerçantes). Ces rapports permettent aux
éleveurs d'accéder à certains services et aux territoires
de pâturage, mais aussi à des échanges et
complémentarité. Cependant, quels que soient les acteurs, des
conflits persistent (Figure 7).
Citadins et élites commerçantes
RAPPORTS DES ÉLEVEURS AVEC LES ACTEURS
LOCAUX
- Gains liés aux règlement des conflits -
Redevances annuelles (Zakkat sur le bétail, les produits
agricoles et les vergers) - Contributions ponctuelles
- Confiscation d'une partie voire la totalité pour non
vaccination des animaux
- Remise en cause des règles d'accès à la
terre
- Chantage et obligation de renégociation des sites
d'installation
- Conflits et manque de confiance
Autorités traditionnelles
Agriculteurs
- Conflits pour non respect des espaces de pâturage et des
pistes à bétail délimités - Conflits pour
l'accès aux points d'eau à cause des cultures
maraîchères non clôturés - Conflits à cause
des dégâts champêtres - Intensification des services
(matériels agricoles, travaux champêtres, construction de maison
et de clôture...)
- Consolidation des relations d'échanges et de
complémentarité (mil, maïs, viande, lait...)
- Réception de nouveaux candidats à la fixation
- Multiplication des confiages
- Location de matériels agricoles
- Échanges et/ou vente des intrants agricoles (engrais,
urée, herbicides...)
Eleveurs entre eux
- Échanges d'information sur les pâturages -
Réception de nouveaux candidats à la sédentarisation
- Échanges et complémentarités autour des
matériels de traction sous forme de prêt gratuit ou
d'échange de travail
- Échanges des moyens de transport (vélos,
motos)
- Émergence de travail communautaire non
rétribué (surga) - Rivalités entre les
campements
- Contestation des limites des champs - Conflits autour des
transactions foncières telles les ventes, les prêts, les legs, les
dons, l'héritage des terres
Autorités administratives -
Impôts forfaitaires
- Taxe de transhumance
- Laissez-passer sanitaire
- Taxe de marché pour la commune - Taxe d'inspection
sanitaire vétérinaire - Frais de vaccination (3 fois par an) -
Amendes officielles et abusives réclamées par les services de
sécurité - Amendes abusives pour défaut de latrines des
services d'hygiène
- Epargne attractive en élevage gardé par les
éleveurs
- Accès aux aliments pour bétail vendus en ville
(tourteaux, sons...)
- Limitation des effets des conflits avec les autres acteurs
- Captage de la rente liée au confiage des animaux
- Augmentation du capital de mobilité
|
59
Figure 7. Rapports des éleveurs mbororo avec
les autres acteurs locaux II.2.1. Rapports avec le pouvoir traditionnel : entre
taxes et conflits latents
Pour les autorités traditionnelles, la présence
permanente des éleveurs mbororo sur leurs territoires est une aubaine.
En plus, des gains liés au règlement des conflits, les
éleveurs versent annuellement une redevance (la zakkat) au
laamii'do. Ainsi, les dépenses annuelles liées aux
diverses taxes traditionnelles souvent arbitraires sont-elles importantes pour
les éleveurs mbororo potentiellement riches en bovins. La zakkat
versée au Laamii'do est appelée jomorngol
laamii'do ou hacce leddi (droit de la terre du
Laamii'do). Auparavant, les éleveurs ne payaient que la
zakkat sur les boeufs à raison d'un veau de 2 à 3 ans
par troupeau de 30 têtes par an. Pour les moutons et les chèvres,
elle était d'une tête par troupeau de 40. Avec la
sédentarisation, ils ne s'en acquittent plus en nature mais en
espèce (5 000 FCFA pour les jeunes chefs d'exploitation et 10 000 FCFA
pour les grandes familles) que le jawro remet au sarkin saanou
qui l'achemine au laamii'do. La zakkat par an sur les
cultures est versée en nature au jawro à raison d'un sac
de maïs par chef d'exploitation que
60
collecte le jawro. Ce dernier l'achemine à
l'ar'do qui se charge à son tour de l'envoyer au
laamii'do.
Par ailleurs, les éleveurs mbororo s'acquittent
régulièrement des collectes ponctuelles (umroore
laamii'do) qu'impose le Laamii'do aux habitants de son territoire
lors d'un événement dans son lamidat
(funérailles, fêtes, réception d'une
autorité...), mais aussi pour la réfection de sa clôture,
des murs de ses concessions... Le Jawro se charge de collecter la
somme exigée auprès des éleveurs puis la remet à
l'ar'do qui à son tour l'achemine au laamii'do. Le
sarkin saanou, « le ministre coutumier de l'élevage »
du laamii'do, qui se situe à l'interface entre les
éleveurs et les pressions extérieures (services
vétérinaires, taxes coutumières, communales...) est
chargé de veiller au respect de ces collectes. Les éleveurs qui
détiennent un capital important se trouvent très exposés
et excluent une partie des animaux des vaccinations pour préserver leur
patrimoine. C'est sans doute pour cela qu'un éleveur mbororo a tenu les
propos suivants : « du fait de notre ignorance, nous les mbororo
sommes considérés par les autorités administratives,
traditionnelles et sanitaires comme de véritables vaches à lait
» (Kossoumna Liba'a, 2008).
Sans prendre un caractère ouvert, les conflits entre
les différents niveaux des autorités traditionnelles et les
éleveurs sont fréquents. Le ressentiment et la rancoeur sont
grands dans les communautés d'éleveurs par rapport à
l'application de l'échelle des peines et sanctions en cas de
dégâts champêtres. Dans beaucoup de cas, c'est la victime
elle-même qui se voit accorder la latitude de fixer
unilatéralement le montant des dommages et intérêts dus.
Les éleveurs estiment que les sanctions appliquées aux
agro-éleveurs sont moins importantes car à l'inverse les
sévices et les mauvais traitements infligés à leur
bétail sont rarement indemnisés puisque le rapport de force n'est
pas en leur faveur. Les faisceaux de présomption rendent vraisemblables
cette pratique à la lumière de tous les entretiens recueillis
dans les deux villages. Les nombreux cas portés à notre
connaissance montrent qu'en cas de contestation de l'estimation des
dégâts, c'est l'agriculteur qui a le dernier mot. C'est ce qui a
fait dire au Délégué d'arrondissement de l'Élevage,
des Pêches et des Industries Animales de Tchéboa que «
l'agriculteur n'a jamais tort. Ils sont là pour provoquer et
s'ils
61
provoquent, c'est l'éleveur qui paie »
(Kossoumna Liba'a, 2008). Ainsi, chez les éleveurs prévaut le
sentiment qu'il y a une complicité agissante entre les chefs
traditionnels et les agriculteurs, vivants souvent depuis très longtemps
ensemble, contre les éleveurs mbororo encore instables dans la
région. Leur errance et leur analphabétisme les rendent
vulnérables comme l'exprime Ndoudi Oumarou : « Quel que soit
l'endroit où nous nous trouvons, aucune considération ne nous est
due, à nous les Mbororo. Comment l'expliquer ? Nous sommes des gens sans
village et sans terre, des illettrés, peu instruits de notre religion,
ne sachant rien des choses du monde f...]. Tel est notre sort, à nous
gens de la brousse, nomades sans instruction, tout juste bons à
être exploités en tous lieux et par tous ! »
(Bocquéné, 1986).
Les éleveurs reprochent également aux chefs
traditionnels de ne pas toujours attirer l'attention de leurs
administrés par rapport à des acquis de longue date notamment sur
les couloirs de passage, les aires de pâturage colonisés par les
agriculteurs qui n'hésitent pas à faire des champs pièges
autour des mares et les cours d'eau traditionnellement réservés
à l'élevage. C'est ainsi que dans les espaces de pâturage
bornés, des agriculteurs possédant des parcelles ont
déclaré qu'après la délimitation de cet espace, le
laamii'do leur a demandé de reprendre l'exploitation de leurs
parcelles au grand dam des éleveurs qui s'apprêtaient à
cotiser de l'argent pour le sarkin saanou afin qu'il expulse ces
agriculteurs.
Les incertitudes sur le foncier et la fiscalité sont
ainsi cultivées et exacerbées par les autorités
traditionnelles qui n'hésitent pas à remettre chaque année
en cause les règles d'accès à la terre28. La
rente captée par les autorités traditionnelles est donc le moyen
par lequel les éleveurs ont obtenu des espaces. Ces autorités,
pour continuer à obtenir des éleveurs des faveurs remettent
régulièrement en cause ce droit d'accès et de jouissance ;
ce qui, évidemment pousse les éleveurs à déplacer
chaque fois leurs sites d'installation ou à renégocier ceux sur
lesquels ils sont installés. Il en est de même de la
reconnaissance des zones attribuées aux pâturages qui sont
à la fois octroyées aux
28 Les éleveurs n'ont jamais l'assurance une
année sur l'autre d'avoir accès aux mêmes zones pastorales
qui peuvent leur être retirés par les autorités
traditionnelles ou partiellement défrichés par les agriculteurs.
Si les communautés d'éleveurs ne se plient pas à
l'impôt coutumier (zakkat) et à d'autres formes de
prélèvement, les autorités traditionnelles peuvent
remettre en cause très rapidement leurs droits d'accès aux
parcours.
62
agriculteurs. Cela engendre des conflits, sources de revenus
pour les chefferies lors des médiations.
II.2.2. Rapports avec le pouvoir administratif :
entre perception des taxes officielles et rackettes
Sur le plan administratif et officiel, tous les
éleveurs mbororo paient l'impôt forfaitaire annuel de 3 500
FCFA/an par adulte actif. À cela, il faut ajouter des taxes sur
l'élevage comme la taxe de transhumance, le laissez-passer sanitaire, la
taxe d'inspection sanitaire, la taxe de marché pour la commune. Les
Mbororo sont également taxés pour défaut de fosse septique
par le Service d'Hygiène29. La sédentarisation des
Mbororo constitue ainsi une manne pour l'État. Les raisons
évoquées par les décideurs politiques pour la
sédentarisation des éleveurs ont trait à leur
volonté de veiller au bien-être des populations marginales et
à leur développement économique et social. Mais la raison
inavouée est liée à la fiscalité et à une
politique de répartition géographique de la population. En
économie, toute activité qui génère des revenus
permet à l'État, via la fiscalité de percevoir des
recettes qui vont contribuer au développement du pays (construction des
infrastructures, paie des fonctionnaires...). Le contrôle des revenus
liés à l'élevage est donc un enjeu important pour
l'État et les autorités traditionnelles. Ils ont besoin de
maintenir les éleveurs dans la zone et de trouver un équilibre
entre apports de service (santé principalement) et
prélèvement de taxes. Au quotidien, les éleveurs subissent
de nombreux rackets de la part des forces de maintien de l'ordre. Beaucoup
d'entre eux ne possèdent pas de pièces d'identité et
rencontrent, de ce fait, de multiples tracasseries de la part de la police et
de la gendarmerie. Aussi aberrant qu'il soit, au Cameroun, celles-ci demandent
parfois des actes de naissance aux barrières routières, faute de
quoi elles harcèlent les Mbororo. Le harcèlement des
éleveurs est en réalité une des multiples faces du
système d'exactions perpétrées par tous les services
administratifs, techniques et traditionnels. Ils sont taxés de
façon illégale et démesurée même pour des
petites infractions. Même
29 Les Mbororo habitué à vivre en
brousse et en permanent mouvement ne sont pas très familiers des fosses
septiques et tendent à négliger leur implantation. Ce qui les
expose à des amendes régulières de la part des
autorités.
63
si les populations nomades subissent des effets de
tracasseries, les Mbororo ne bénéficient pas d'une protection au
niveau des autorités locales ; ils sont généralement
perçus comme des gens aisés qui sont en mesure d'assumer des
dépenses monétaires importantes. En somme, on constate que les
éleveurs mbororo sont brimés et subissent un traitement
défavorable.
En cas de conflits, les instances officielles de
règlements des litiges agro-pastoraux institutionnalisés au
niveau de chaque arrondissement par le Décret n° 78/263 du 03
septembre 1978 ne sont sollicitées qu'en cas de gravité (mort
d'homme par exemple). Cette commission regroupe des représentants de
tous les acteurs (administrations, laamii'do, Ministère de
l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA),
Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural (MINADER),
un représentant du Cadastre, agriculteurs, éleveurs,...). Elle
est présidée par le sous-préfet. Ce décret fixe
également le fonctionnement de la commission consultative
sous-préfectorale qui devait normalement être dotée de
moyens de fonctionnement (au moins pouvoir se déplacer sur le terrain).
Ce qui n'est pas le cas. Aussi, ces commissions ne se réunissent-elles
pas, sauf si les plaignants les payent. Les sous-préfets sont les «
chefs de terre », avec un statut de « diplomates pompiers »
n'intervenant qu'en cas de conflits patents et risquant de créer des
conflits sociaux violents. Ces commissions n'étant pas toujours
acceptées par tous, elles n'empêchent nullement les pratiques (ou
les tentatives, plus ou moins fréquentes) de détournement ou de
contournement.
II.2.3. Les rapports avec les citadins et les élites
commerçantes de la région
La durabilité sociale des systèmes de production
des éleveurs peut aussi s'appuyer sur leurs alliances avec les citadins.
Pour certains citadins fortunés en effet, l'élevage
s'avère être une forme d'épargne attractive (meilleure
rentabilité que la banque, mais aussi prestige social). C'est ainsi
qu'ils participent de loin à la gestion et à la conduite du
troupeau.
Plusieurs traits caractéristiques peuvent être
repérés dans la pratique de l'élevage grâce aux
rapports des éleveurs avec les citadins. Le trait le plus pertinent est
l'orientation de cet élevage vers la vente avec la proximité des
grands marchés à bétail (Adoumri, Ngong, Garoua). Les
éleveurs sont ainsi intégrés dans de nouveaux circuits
64
économiques permettant de limiter les ventes de leur
propre bétail. La très bonne connaissance des bovins par les
éleveurs est un atout qu'ils utilisent sur les marchés pour
acheter ou vendre pour les autres notamment les citadins et les gros
commerçants. Cette activité d'intermédiation s'est
répandue auprès des éleveurs d'entre deux âges. En
effet, pendant les périodes dites « favorables », ces
éleveurs reçoivent de l'argent des mains d'hommes d'affaires, de
fonctionnaires ou d'agriculteurs pour l'achat d'animaux. Selon les prix du
moment et de leur capacité de négociation, ils peuvent ainsi
dégager un bénéfice sur l'argent reçu. Certains se
postent tout simplement à l'entrée du marché. Ils
interceptent tout individu désirant vendre sa vache, discutent le prix
avec lui puis l'amènent à l'intérieur du marché.
C'est lui qui marchande avec le client. À la vente de l'animal, le
surplus obtenu sur le prix discuté avec le propriétaire
appartient à l'intermédiaire.
La moitié du bétail détenu par les
éleveurs dans de nombreux villages autour des grandes villes appartient
d'ailleurs aux citadins (commerçants et élites administratives).
Cette relation de travail permet aux éleveurs d'avoir plus facilement
accès aux aliments pour bétail vendus en ville (tourteaux,
sons...). En effet, les hommes d'affaires de Garoua peuvent plus facilement
acheter du tourteau de coton pour lequel il existe une forte spéculation
du fait de leurs relations et la proximité avec les commerçants
et la SODECOTON. Les éleveurs qui gardent le bétail de ces
citadins peuvent ainsi y avoir accès. Ils utilisent également ces
relations pour accéder à certains espaces de pâturage.
Par ailleurs, les éleveurs utilisent leurs relations
avec les citadins pour limiter les effets des conflits avec les autres acteurs.
Quels que soient les animaux ayant fait des dégâts, on
déclare systématiquement qu'ils appartiennent aux citadins. Ces
derniers ayant le pouvoir, grâce à leurs relations avec les
instances de justice, de limiter les dédommagements.
II.2.4. Les rapports avec les agriculteurs : entre
conflits, échanges et complémentarités
Au cours de chaque saison des pluies, des conflits opposent
les agriculteurs et les éleveurs mbororo pour le respect des espaces
délimités et réservés au pâturage
65
(hurum). Ces conflits sont provoqués par le
fait que les agriculteurs n'ont pas cessé d'y cultiver. Or, les espaces
réservés aux bétails appartiennent en principe autant aux
éleveurs qu'aux agriculteurs. Mais, les éleveurs sont plus
engagés dans la préservation de ces espaces parce qu'ils ont plus
d'animaux que les agriculteurs. S'estimant dans leurs droits, ils ne se privent
pas d'y pâturer. Malgré les conventions locales mises en place,
rien n'est fait à l'encontre des agriculteurs qui cultivent les parcours
et les pistes. Lorsque des dégâts sont perpétrés
dans les champs, les agriculteurs portent plainte surtout auprès des
autorités traditionnelles qui ne se privent pas de
légiférer afin de bénéficier des avantages
liés aux règlements des litiges.
L'accès à l'eau constitue une autre source de
conflits entre les éleveurs et les agriculteurs. Des conflits
surviennent le long des cours d'eau où les animaux s'abreuvent
lorsqu'ils sont en transhumance ou hors de leurs territoires d'attache. En
effet, le plus souvent, les cultures maraîchères cultivées
au bord de l'eau ne sont pas clôturées. Dans ces zones de passage
incontournables pour abreuver les animaux, les éleveurs n'arrivent pas
toujours à contenir leurs animaux.
Les conflits entre les éleveurs mbororo et les
agriculteurs sur les dégâts champêtres sont en nette
progression ces dernières années. Ils sont au centre des
préoccupations tant des agriculteurs que des éleveurs qui se
rejettent les responsabilités. Pour les agriculteurs cette situation
résulte du refus délibéré des éleveurs
mbororo de respecter les usages établis en la matière. Les
Mbororo sont accusés de rester plus longtemps avec leurs animaux dans
leurs territoires d'attache (fin juillet - début août) alors que
les cultures des agriculteurs sont déjà bien
développées. D'autre part, les agriculteurs disent que les
éleveurs ne respectent plus « la date de libération des
champs » pour entreprendre le retour de la transhumance. Ce genre
d'incidents se déroule principalement en début de saison
sèche, quand un grand nombre de champs ne sont pas encore
récoltés. Cette situation occasionne de nombreux
dégâts champêtres car les champs non récoltés
sont souvent dévastés par les animaux. Les bergers sont alors
accusés de négliger la surveillance de leurs animaux qui entrent
dans une parcelle de céréales, arachide ou coton puis broutent
une partie des végétaux. Il arrive parfois que des bergers
abandonnent momentanément leur troupeau pour aller jusqu'à
leur
66
concession pour se ravitailler en eau ou nourriture ; les
animaux en profitent donc pour entrer dans les champs. Les agriculteurs
accusent les éleveurs mbororo de laisser sciemment leurs animaux
dévorer la partie non récoltée d'un champ. C'est la raison
pour laquelle on leur interdit systématiquement la vaine pâture
quand une parcelle n'est pas totalement récoltée.
Quant aux éleveurs mbororo, ils estiment que la
question des dégâts champêtres, au-delà de ces
aspects, est aussi liée à la restriction d'un certain nombre de
droits implicitement reconnus à eux. Il s'agit notamment les couloirs de
passage, les aires de repos et de parcage qui ont été
systématiquement colonisés par les champs rendant ainsi
périlleux le déplacement des troupeaux. Ceux-ci trouvent
difficilement les aires de repos. Ils se plaignent aussi de certains actes que
posent, selon eux, délibérément les agriculteurs pour les
amener à commettre des dégâts. Il s'agit des « champs
pièges » autour des rares mares dans les flancs des montagnes, zone
par excellence réservée à l'élevage où les
animaux se réfugient pendant la saison pluvieuse en quête du
pâturage. Le nombre de ces champs est en constante augmentation ces
dernières années. Voyant leurs pâturages se réduire
peu à peu devant l'avancée des emblavures de coton et de
maïs, les éleveurs mbororo réagissent par des mouvements de
provocation en faisant passer délibérément leurs troupeaux
sur les champs car ils arrivent difficilement à se discipliner. Ils ne
tiennent pas compte des blocs de culture et sont obligés de faire de
« hors-piste » à bétail.
Les problèmes des champs de « coton
récoltés tardivement » ont été
également signalés par les éleveurs. En effet, les pistes
sont fermées plus longtemps que prévue, bloquées par des
champs non récoltés, jusqu'en décembre - janvier. Les
agriculteurs utilisent cette méthode pour contraindre les
éleveurs à partir ou à ne plus utiliser certains espaces
de pâturage.
La fixation des éleveurs auprès des agriculteurs
a également permis la consolidation des relations d'échanges et
de complémentarité. Les échanges étaient autrefois
limités au troc entre produits d'élevage et produits vivriers, ou
à la contrepartie entre fumure organique des champs et consommation
fourragère de la vaine pâture. Ils se
67
diversifient désormais et au troc ont
succédé les échanges commerciaux de produits alimentaires
(mil, maïs, viande, lait...) et autres services.
La fixation des éleveurs auprès des gros
villages d'agriculteurs les a rapprochés d'une main d'oeuvre peu
onéreuse de paysans pauvres en quête d'un travail
rémunéré. Les éleveurs leurs confient des
tâches ingrates comme la construction des maisons, l'entretien des
parcelles de maïs et la garde du troupeau... L'insécurité
ambiante incite aussi les éleveurs à utiliser les bergers
salariés issus des villages d'agriculteurs voisins.
Les confiages se sont également multipliés. En
effet, après la saison agricole (octobre), le propriétaire
mbororo reçoit des bovins de trait en confiage qui appartiennent
à des cultivateurs des villages voisins dont les enfants sont
scolarisés et qui ne peuvent, de ce fait, garder les bovins de trait. En
contrepartie, ces cultivateurs labourent les champs des éleveurs mbororo
pendant la saison agricole ou paient une certaine somme pour le service
rendu.
Il existe également une forme d'échange entre
les éleveurs ayant des boeufs de trait et les agriculteurs
possédant du matériel agricole (charrues, corps sarcleurs, corps
butteurs notamment). Cette association permet aux deux parties d'entretenir
leurs parcelles, mais aussi de gagner de l'argent. C'est l'agriculteur,
propriétaire du matériel agricole qui travaille avec les animaux.
Outre s'occuper des champs de l'éleveur, il travaille également
dans les champs d'autres personnes contre rémunération. Les
revenus de ces prestations sont partagés entre les deux parties. Au
cours d'une semaine, les revenus de quatre jours reviennent à
l'éleveur30 et ceux des deux jours restant à
l'agriculteur. Dans la journée, l'éleveur veille à ce que
l'agriculteur ne fatigue pas trop les animaux de trait et les laisse se reposer
et pâturer.
Les éleveurs peuvent également louer du
matériel agricole au cours d'une saison. Pour les charrues, le
coût varie de 20 000 et 30 000 Fcfa selon les relations d'affinité
entre les deux parties pour toute la saison des pluies.
30 Chaque jour de prestation, l'éleveur remet 1
000 Fcfa à l'agriculteur pour la conduite du travail (jogugo
hore).
68
N'ayant pas de charrette, les éleveurs louent les
services des agriculteurs pour transporter les récoltes, les tourteaux,
les matériels de construction, que les voitures ne peuvent acheminer
jusqu'au village.
On assiste ainsi à l'émergence d'un secteur qui
s'apparente à la petite entreprise de travaux agricoles, et on peut
anticiper que d'ici quelques années, certaines personnes en feront une
activité principale, cessant ainsi d'être agriculteur ou
éleveur.
Il existe des interdépendances entre les deux
activités agriculture et élevage et les deux catégories
d'acteurs - les agriculteurs et les éleveurs. Ces relations passent par
de nombreux échanges commerciaux (vente de produits alimentaires : mil,
maïs, viande, taurillons dressés pour le labour...), et des
échanges professionnels (gardiennage des animaux, mains d'oeuvre
salariée pour les champs, prêt de matériel agricole et
prêt d'animaux de trait, ...). Le passage des animaux sur les champs
après la récolte est aussi un exemple de coopération entre
éleveurs et agriculteurs. Les premiers utilisent les résidus de
récolte (pailles, tiges et rafles de céréales, ainsi que
les fanes de légumineuses : arachide, niébé) pour nourrir
le bétail, et cela permet dans le même temps de fertiliser la
terre pour la prochaine saison agricole dans la mesure où les troupeaux
y déposent leurs déjections.
La proximité des agriculteurs facilite l'accès
des éleveurs aux intrants agricoles (engrais, urée, insecticides,
herbicides...). En effet, les intrants acquis à crédits
auprès de la SODECOTON et la CNPC-C sont vendus ou
échangés contre les céréales aux éleveurs
par les agriculteurs qui n'arrivent pas à assurer la couverture des
besoins alimentaires pendant la période de soudure (juillet et
août). Il en est de même pour le tourteau acquis auprès des
groupements de producteurs de coton-graine. Le tourteau reçu par les
producteurs non équipés et le surplus par rapport à la
quantité destinée à l'alimentation animale chez les
possesseurs de bétail sont le plus souvent revendus. Les éleveurs
mbororo achètent le tourteau directement au domicile du producteur de
coton ou dans les marchés de Djéfatou, Ngong, Djalingo, Djola ou
sur l'axe routier Garoua-Ngong où des sacs de tourteau sont souvent
exposés. Rappelons que le « bradage » par les paysans des
produits de traitements insecticides et herbicides obtenus à
crédit auprès de la SODECOTON ou de la CNPC-C est fréquent
dans la
69
région soit pour acheter des céréales,
soit pour régler certains problèmes, soit pour se procurer de la
bière de mil.
Cependant, les éleveurs mbororo ne sont pas les seuls
à acheter le tourteau auprès des producteurs de coton.
D'après une étude réalisée par la Cellule
Suivi-évaluation de la SODECOTON en 2013, 48% des acheteurs de tourteaux
sont les grands commerçants, 26% sont les producteurs de coton
équipés, 13% les petits spéculateurs et 13% les
éleveurs non planteurs de coton. Les enchères sur le prix du
tourteau sont entretenues par les grands commerçants qui passent dans
les villages au moment de la distribution du tourteau. Ils passent par
l'intermédiaire des petits spéculateurs ou rachètent
directement le tourteau livré aux planteurs par la SODECOTON. De ce
fait, les éleveurs n'achètent pas les tourteaux aux prix
fixés par la SODECOTON. Du fait de sa rareté et des
spéculations autour de ce sous-produit, rares sont les cas de bradage
à vil prix. Les prix pratiqués sont variables selon l'offre et de
la demande dans la région. Le prix d'un sac de 60 kg de tourteau
Nutribet est passé de 5 000 FCFA en 2005 à 9 500 FCFA en
2012. Ces prix varient entre les saisons. C'est pour cela que certains
éleveurs, notamment ceux qui font de l'embouche, préfère
se ravitailler à cette période pour stocker afin de
complémenter à moindre coût leurs animaux pendant la saison
sèche.
II.2.5. Rapports éleveurs/éleveurs :
entre échanges, complémentarités et
conflits
Depuis leur fixation, les échanges se sont
intensifiés entre les éleveurs. Bien qu'il existe des
compétitions entre eux pour l'accès aux ressources pastorales,
les éleveurs ne cherchent pas à garder systématiquement
pour eux les informations sur les pâturages. Les moyens de locomotion
n'étant pas encore importants dans les campements, ceux qui en
possèdent se chargent d'aller prospecter l'état des
pâturages et partagent l'information sur le choix des lieux de
transhumance sans aucune contrepartie. Ils rapportent également des
informations sur les conflits, le nombre d'éleveurs présents,
etc.
Malgré l'exiguïté de l'espace
réservé à l'habitat et la saturation de l'espace agricole,
les premiers éleveurs continuent de recevoir de nouveaux candidats
à la
70
sédentarisation. Par contre, ils refusent
systématiquement l'installation de personnes étrangères
à leur clan sur leur territoire. Lorsqu'un nouveau membre de leur clan
désire s'installer, certaines précautions sont
préalablement prises. Tout d'abord, le chef du quartier prend le soin de
vérifier s'il n'est pas mal intentionné en se renseignant sur ses
antécédents dans les différents sites qu'il a
occupés. Il cherche notamment à savoir si le nouveau venu n'est
pas voleur ou sorcier... S'il est accepté, le chef du quartier doit le
présenter aux autorités traditionnelles, d'abord à l'ar'do
puis au sarkin saanou. Cependant, il ne peut pas défricher une
parcelle. Le chef du quartier lui en octroie une où il cultive et cette
dernière lui appartient.
Les éleveurs étant peu outillés en
matériels de traction, il s'ensuit des échanges et des
complémentarités entre eux sous forme de prêt gratuit ou
d'échange de travail. Il en est de même pour les moyens de
transport comme les vélos et les motocyclettes pour le transport du
maïs au moulin, diverses courses ponctuelles dans les villages voisins ou
pour aller rendre visite aux bergers sur les lieux de transhumance.
On assiste également à l'émergence de
travail communautaire non rétribué. En effet, la surga a
fait son apparition chez les éleveurs lors des travaux agricoles.
Emprunté aux agriculteurs des villages voisins, c'est une forme de
solidarité dans l'accomplissement des travaux agricoles (sarclage et
récolte) qui permet de gagner du temps et de réduire les
coûts d'entretien des parcelles. Le propriétaire du champ informe
les habitants du village la veille. En même temps, il achète 1 kg
de sucre, 1 kg de thé, 2 kg de riz, des galettes d'arachide de 300 FCFA
et réserve environ 2 litres de lait. Alors que chez les agriculteurs la
surga peut prendre toute la matinée (6 heures - 13 heures), les
éleveurs y consacrent moins de temps (6 heures - 9 heures) notamment
parce qu'ils n'ont pas de grandes parcelles, mais aussi pour permettre aux
bergers d'aller faire paître leur troupeau.
La sédentarisation a fait développer chez les
éleveurs mbororo l'individualisme et la jalousie. En effet,
malgré ces échanges et complémentarités, les
rivalités entre les
71
différents campements31 existent ainsi que
l'effritement des logiques traditionnelles de prise de décision
collective qui ne permettent pas la cohésion entre les
différentes communautés mbororo pour faire foule face à
leurs problèmes communs. Il n'existe donc pas une cohésion
interne au sein des lignages. Les nombreuses réunions de sensibilisation
qui, sans doute, ont contribué à accélérer la prise
de conscience collective et permis quelques actions concrètes ont rendu
d'indiscutables services aux éleveurs, mais il est résulté
au final que des opérations encore timides. Dans certains campements,
les bornes plantées par les projets de développement marquent
bien les territoires, mais il n'existe aucun consensus collectif pour la
gestion de ces espaces. Les porteurs de ces actions étant
décédés, les autres membres de la communauté ne se
sentent que faiblement concernés par la préservation de ces
espaces. Il en est de même pour la culture des plantes fourragères
qui, pour le moment, n'est pratiquée que de manière marginale. Le
manque d'implication et d'organisation de tous les éleveurs dans ces
opérations de production fourragère ne permet pas à ceux
qui les pratiquent d'étendre leurs parcelles et de les protéger
en saison sèche.
Les conflits inter-éleveurs sont fréquents. Ces
conflits sont nouveaux pour les éleveurs et sont liés à
leur sédentarisation. Ils s'étalent de la période allant
des semis à la libération des champs. Les causes sont multiples
et variées. Elles vont de la contestation des limites des champs aux
questions relatives aux transactions foncières telles les ventes, les
prêts, les legs, les dons, l'héritage des terres, mais rarement
pour des dégâts de culture même si l'agriculture occupe une
place déjà importante. Un consensus tacite existe entre les
éleveurs pour l'organisation des activités agricoles notamment en
ce qui concerne les périodes des semis et des récoltes.
La question des limites des parcelles est la cause de conflit
la plus fréquemment évoquée. Elle est liée au fait
que dans les deux territoires les limites sont sommaires et constituées
d'espèces herbacées. Ces dernières disparaissent sous le
poids des charges animales, des vents et même des opérations
d'entretiens des parcelles (sarclages ou
31 Pour des réunions ou une action de
développement, il est toujours difficile de trouver un consensus. Le
choix d'un campement pour une action est rejeté par les autres
communautés parce qu'ils ont le sentiment de faire allégeance
à l'autre communauté. Ils refusent même souvent d'envoyer
leurs enfants dans une école construite dans une communauté
voisine.
72
buttage réalisés par les manoeuvres
maîtrisant mal les limites des champs de ceux qui les emploient).
L'action des propriétaires des champs n'est pas écartée
puisque certains interlocuteurs ont fait cas de tentatives
délibérées pour grignoter les propriétés
voisines. C'est pour cela qu'un vieux mbororo lors de la régulation d'un
tel conflit auprès de chef du village à Laïndé
Ngobara a insisté auprès de ses frères en ces termes :
« Ngade keerol ! Ngade keerol ! » (Faites des limites !
Faites des limites). Ces genres de différends généralement
gérés au niveau familial, aboutissent de plus en plus à la
Cour du chef du village en raison de la valeur acquise par les terres.
Le second type de conflit inter-éleveurs est celui
relatif aux transactions foncières de toutes sortes, notamment les dons,
les legs et les prêts, les ventes n'étant pas monnaie courante. Au
début de leur installation, les éleveurs n'avaient pas
accordé une grande importance aux actes qu'ils posaient vis-à-vis
de la terre. Après avoir défriché quelques parcelles
proportionnellement à leur capacité à les exploiter et
à leurs besoins alimentaires, les premiers arrivants octroyaient avec
beaucoup de nonchalance des terres à ceux qui venaient après eux.
Maintenant qu'il n'y a plus de terres à défricher et qu'il faut
trouver des terres pour les enfants qui grandissent, commence la remise en
cause des transactions. Les propriétaires ou ayant-droits du donateur ou
du prêteur remettent en cause les accords souvent oraux et revendiquent
la paternité de la terre. Ayant passé parfois 8 à 10 ans
à exploiter les parcelles, l'autre partie refuse d'y accéder. Ces
conflits sont gérés au niveau du chef du village et aucune
altercation violente n'est encore survenue.
Conclusion
L'accès, la gestion et le contrôle des
territoires de mobilité pastorale se jouent dans un contexte
sociétal qui permet à chaque acteur de tirer parti de sa
situation. Si le foncier pastoral est contrôlé et gérer
étroitement par les autorités traditionnelles qui y tirent
l'essentiel de leurs revenus, pour y accéder, les éleveurs
dépensent régulièrement et annuellement en nature et en
espèce.
Malgré les rentes qui leurs sont versées, les
autorités traditionnelles n'hésitent pas à remettre en
cause les acquis de longues dates sur les territoires pastoraux des
éleveurs. Les autorités administratives quant à eux
perçoivent les différentes taxes imposées par
73
l'État, mais leur influence sur la gestion des
territoires pastoraux et des conflits qui lui sont attachés est
très limitée. En effet, il existe dans les faits une
prééminence du droit traditionnel sur la législation
foncière de l'État. C'est pour cela que les espaces de
pâturage où les éleveurs vont en transhumance sont
coutumièrement gérés par les chefferies et les sarkin
saanou y sont omniprésents.
La fixation des éleveurs a permis de développer
de nouvelles relations entre eux. Ces relations ne se limitent plus à
l'activité d'élevage. Elles se sont fortement
diversifiées, allant des échanges et
complémentarités autour des matériels de traction, des
activités agricoles aux moyens de transports. Cependant, de nouvelles
situations conflictuelles ont vu le jour notamment des rivalités entre
les campements, la contestation des limites des champs et des transactions
foncières.
Les éleveurs profitent également de leurs
relations avec les citadins et élites commerçantes de la
région pour accéder à certains produits d'élevage
très convoités comme le tourteau et les coques de graines de
coton, mais aussi à des services urbains et à la limitation des
amendes en cas de conflits ou de dégâts.
Dans la région du Nord-Cameroun, de nombreux autres
acteurs pratiquent l'élevage. Il s'agit des agriculteurs des gros
villages qui détiennent deux ou plusieurs têtes de bétail
Si les conflits classiques agriculteurs/éleveurs persistent avec
cependant de moins en moins de violence grâce à la
proximité géographique des acteurs, ces derniers entretiennent
des relations d'échanges et de complémentarités. Ces
relations permettent à chacun de tirer parti des atouts de l'autre et de
créer une situation de paix sociale latente.
Pour le moment, si les relations entre les acteurs se
diversifient en matière de service, une coordination entre eux pour la
gestion, l'organisation et l'accès équitable et durable aux
territoires de mobilité reste à impulser.
75
DEUXIEME PARTIE : CONTRIBUTION À LA
COMPREHENSION
DES TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE
76
Chapitre III. Le territoire de mobilité
pastorale : essai de définition et de
caractérisation
Le présent essai s'appuie sur le concept de territoire
qu'il convient de clarifier et de replacer dans son contexte
général et spécifique avant de proposer une
définition du territoire de mobilité pastorale. Il s'agit
également de présenter les outils et méthodes qui nous ont
permis de mieux appréhender et analyser le contexte d'évolution
de la situation territoriale du Nord-Cameroun. Nous avons ainsi mobilisé
le concept de territoire en mettant l'accent sur son historique, ses
implications géographiques, les outils et méthodes pour son
analyse. En nous appuyant sur cette clarification conceptuelle et
théorique, nous allons essayer d'appréhender le territoire de
mobilité pastorale avec ses caractéristiques et enjeux au
Nord-Cameroun.
III.1. Évolution du concept de territoire
Depuis son apparition dans la langue française au
XVIIIè siècle et avant l'inflation des usages
contemporains, le mot territoire a surtout été utilisé,
à partir du XVIIè siècle dans un sens
politico-administratif. Issu des termes latins territorium et
terra, le mot territoire évoque l'idée d'une domination
et d'une gestion d'une portion du substrat terrestre par une puissance qui,
elle-même, assoit son autorité et sa légitimité sur
ce contrôle, qu'il s'agisse d'une collectivité territoriale ou
d'un État. Le substantif territoire et le qualificatif territorial dans
ce champ sémantique sont censés évoquer l'idée
d'une intervention de la puissance publique sur une portion de la surface
terrestre au nom d'intérêts supérieurs comme dans le cas de
l'État-nation. À contrario, toute réduction de cette
soumission a pu faire émerger l'idée d'une « fin des
territoires » (Badie, 1995). Des limites (découpage territorial,
maillage), dont l'emboîtement hiérarchique peut être
dominé par des frontières nationales, matérialisent la
pérennité du territoire.
La revitalisation de l'usage du terme territoire dans la
géographie universitaire est postérieure aux années 1980 -
ce mot ne figure pas en tant que définition dans le dictionnaire de
Géographie dirigé par Pierre George (1970) - et s'accompagne
d'un
77
élargissement considérable de son champ
sémantique. Ce n'est, en effet qu'en 1983 et 1985 que les termes «
territorialité » et « territoire » font leur apparition
dans les tables analytiques d'une revue comme L'espace
géographique. Avant ces dates, rares furent les
références à ces termes dans les sujets de thèses
déposées ou soutenues (Elisalde, 2002).
C'est aux publications de Ferrier (1984) que l'on doit la
réorientation de l'usage de ce terme dans la géographie
française, allant dans le sens d'un approfondissement et d'un
dépassement du mot espace. Comme tous les termes que les pratiques
discursives des géographes ont rendus polysémiques, le concept de
territoire est revendiqué par un panel très divers de
géographes tandis que simultanément, il se diffuse de plus en
plus vers des praticiens d'autres sciences sociales (Elisalde, 2002). Le
concept est ainsi apparu dans la production scientifique de géographes
à l'instar de Raffestin, Roncayolo, Brunet, Frémont, Sack, Turco,
etc., de sociologues comme Marié, Barel, Ganne, etc.,
d'économistes comme Becattini, Bagnasco, Brusco, Triglia, etc., et
d'autres auteurs en sciences sociales (Alliès, Lepetit, etc.) avant de
connaître une formidable diffusion dans le domaine des sciences et,
peut-être surtout, dans celui de l'action publique et collective
(Séchet et Keerle, 2007).
Ces auteurs, selon Elisalde (2002), ne s'accordent que sur
l'existence de plusieurs niveaux et de plusieurs postures
épistémologiques. Outre un niveau premier où ce terme
devient un substitut commode et passepartout du mot « espace », ou
encore un synonyme du mot « lieu », ces usages
indifférenciés privilégient soit l'approche additive, soit
l'exceptionnalisme local : « le territoire est ainsi non seulement un
espace économique, mais aussi un espace écologique, juridique et
un espace vécu » (Auray, Bailly et al., 1994 : 74).
Dans d'autres cas, il sert de socle à des tentatives polémiques
de définition de la discipline : « le territoire est une notion
concrète qui renvoie à une terre et non à un espace
géométrique. Il est tout sauf isotrope et isomorphe. Le
territoire a une localisation, une dimension, une forme, des
caractéristiques physiques, des propriétés, des
contraintes et des aptitudes. [...] Il y a un processus historique unique de
formation d'une société et de son territoire. Le fonctionnement
territorial d'une société ne peut être
appréhendé hors de son rapport à
78
sa propre histoire. En ce sens, la géographie est
génétique » Scheibling (1994 : 88). Ces
premières acceptions, dans lesquelles tout objet géographique ne
peut exister en dehors du champ territoire ne peuvent, selon Elisalde (2002),
suffire à cerner les logiques de fonctionnement de l'objet
territoire.
Dans leurs synthèses respectives, Le Berre (1992) et
Brunet (1986) reprennent les idées de reproduction et surtout
d'appropriation, et insistent sur certaines finalités consubstantielles
à l'idée de territoire. Le Berre le considère comme «
la portion de la surface terrestre, appropriée par un groupe social
pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux
» tandis que Brunet (1990 : 27) le définit de manière
analogique : « le territoire est à l'espace ce que la
conscience de classe, ou plus exactement la conscience de classe
conscientisée est à la classe sociale potentielle : une forme
objectivée et consciente de l'espace ». Di Méo (1998 :
63) adopte également la même posture, qu'Elisalde (2002) a
qualifié de syncrétique, du fait de sa tentative d'associer
l'objectivisme et le subjectivisme : « On retiendra deux
éléments constitutifs majeurs du concept territorial ; sa
composante espace social et sa composante espace vécu ».
L'auteur poursuit en précisant que pour la première, «
il s'agit donc de l'identification d'une nouvelle fibre à la fois
spatiale du social et sociale du spatial, décryptée par le moyen
d'une démarche positiviste, objectivant des rapports dûment
répertoriés et analysés par le chercheur »,
tandis que « le concept d'espace vécu exprime au contraire le
rapport existentiel, forcément subjectif que l'individu socialisé
établi avec la terre » (Di Méo, 1998 : 67).
Ces tentatives de définition appartiennent, selon
Elisalde (2002), à un schéma de pensée qui commence par
poser le cadre, l'enveloppe, qui serait l'espace terrestre,
considéré comme un donné, puis que l'on remplit par un
construit dénommé territoire. Elles ont également en
commun de s'inscrire dans le sillon ouvert, il y a une vingtaine
d'années par Raffestin (1983). Pour ce dernier, les processus
d'organisation territoriale doivent s'analyser à deux niveaux distincts
mais fonctionnant en interactions : celui de l'action des
sociétés sur les supports matériels de leur existence et
celui des systèmes de représentation. Puisque ce sont les
idées qui guident les interventions humaines sur l'espace terrestre, les
arrangements territoriaux résultent de la « sémiotisation
» d'un
79
espace progressivement « traduit » et
transformé en territoire. Le territoire serait donc un édifice
conceptuel reposant sur deux piliers complémentaires, souvent
présentés comme antagonistes en géographie : le
matériel et l'idéel fonctionnant en étroites
interrelations l'un avec l'autre. Il reste à débattre du
degré d'adéquation qui existe entre le ou les projets
idéels initiaux et leurs « traductions ». C'est le domaine
qu'essaient d'approcher les concepts de territorialisation et de
territorialité.
III.2. Le territoire au service du développement
Le territoire est aujourd'hui au coeur des
préoccupations des scientifiques, des politiques, mais également
des acteurs économiques. Si les géographes n'ont pas
été les seuls à s'approprier cette notion, ils ont
cependant fait de l'espace leur entrée principale ; ce qui les distingue
quelque peu des approches des économistes ou des sociologues (Moine,
1995). La conception actuelle du territoire remet en cause l'idée de
"territorium" d'autrefois, ensemble monoscalaire conçu comme
une aire délimitée et étanche, animé par des
acteurs inclus dans ses limites. Le concept de territoire est ainsi fortement
utilisé à la fois pour fournir des solutions de
développement socioéconomique, mais aussi pour un
aménagement cohérent, équitable et viable des lieux. Comme
le note Lévy et Lussault (2003), petit à petit tout devient
territoire, l'adjectif se généralise, à en devenir
polysémique. Moine (1995) pense que le territoire est tout puisqu'il
recouvre une complexité qui demeure difficile à saisir, à
cerner. Le territoire est donc, avant toute définition, un
système. Et pourtant, Le Berre (1992) estime qu'il n'est jamais
véritablement défini comme tel, même si certaines approches
le sous-entendent. Cela montre que le territoire doit aujourd'hui être
abordé de manière globale, tant la recherche de consensus est
nécessaire à toutes les étapes de son aménagement
et de son utilisation. C'est pour cela que les outils mis en oeuvre à
l'heure actuelle pour l'appréhender doivent intégrer sa
diversification et sa complexification en coordonnant notamment les dimensions
sociales, politiques, économiques et environnementales, en
considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus en
plus active de la population (Moine, 2005). C'est pour cela qu'Elisalde (2002)
propose de prendre en compte les acteurs et leurs imaginaires parce qu'ils sont
guidés par leurs visions du monde. En souscrivant à l'idée
que « le monde
80
est institué par les individus en fonction de leurs
actions et de leurs intentions » Debarbieux (1999 : 56) propose
d'interpréter les territoires et la territorialité à
travers le prisme du seul subjectivisme, c'est-à-dire en
dépassant l'extériorité du regard objectivant des
habituelles analyses sur l'organisation de l'espace. Dans cette attitude, le
territoire est le support par excellence des investigations menées sur
l'intentionnalité des acteurs. Dans cette approche, il ne s'agit plus de
construire le sens objectif, mais de le délivrer à travers les
manifestations extérieures qui sont censées traduire des
intentionnalités cachées. Les comportements des acteurs sociaux
peuvent se lire comme des messages, qui, à condition d'être
décryptés, veulent dire quelque chose sur le territoire.
Si l'approche territoriale a connu un renouveau, c'est
également parce que les relations sociétés/territoire
invalident l'approche par l'analyse d'un ensemble géographique selon une
individualisation et une séparation des niveaux d'échelle.
À ce niveau, se pose le problème des gabarits pour les objets de
la géographie des territoires. Dans un territoire coexistent à la
fois du local et du global, du spécifique et de l'universel, de
l'individuel et du collectif. À partir du consensus autour de
l'idée d'espace conscientisé, il y aurait autant de tailles de
territoires que de possibilités pour des groupes de partager un
même rapport aux lieux, une même territorialité (Elisalde,
2002). Le territoire « se repère à différentes
échelles de l'espace géographique » (Di Méo,
1998 : 37). Ainsi, la plupart des études sur la territorialisation
privilégient avant tout la mise à jour des logiques de
fonctionnement internes d'un territoire, auquel s'adjoignent parfois des
emboîtements multiscalaires. Tout se passe alors comme si elles
reposaient sur un implicite qui est celui du fonctionnement autonome du lieu
étudié, en laissant souvent de côté les
réactivités induites par les interactions avec des ensembles
spatiaux voisins et de même niveau. Cette notion complexe, qui est au
centre de notre analyse, mérite d'être revisitée sous
l'angle systémique afin de produire une définition
opérationnelle qui cadre avec la situation du Nord-Cameroun dans le cas
du territoire de mobilité pastorale.
Les géographes des années 1960 ont toujours
ramené tout à l'espace alors que ceux d'aujourd'hui utilisent de
plus en plus le terme de territoire pour qualifier la même
81
entité. Certaines définitions des concepts de
territoire et d'espace géographique sont en effet très
proches32. Ce changement reflète selon Claval (1995), pour
une part les débats épistémologiques internes à la
discipline, mais surtout d'une transformation profonde du monde et d'une
mutation corrélative des façons de le comprendre : ici,
l'attention est plus accordée à la manière dont les hommes
vivent le milieu où ils sont installés, la façon dont ils
se l'approprie, le sentiment qu'ils ont ou non d'être chez eux, de se
sentir parmi les leurs, de s'intégrer et de se battre pour se maintenir
sur ce territoire.
III.2.1. Le territoire comme champ d'application du
pouvoir
La première acception que les géographes se font
du territoire est liée au contrôle et au pouvoir. C'est en effet
lorsqu'ils s'attachent aux problèmes de géographie politique et
traitent de l'espace dévolu à une nation et structuré par
un État que les géographes sont amenés à parler de
territoire dès le début du 20è siècle.
Le territoire a des limites assez rigides, bien que de plus en plus mouvantes
autour d'une infinité de lieux (Sack, 1986 ; 1997), qui sont
administratives. La construction du territoire est alors dominée par le
rôle de l'État qui selon Pinchemel et Pinchemel (1997)
contrôle, maintient son intégrité, exerce une
autorité, une compétence, l'étendue du territoire
définissant alors le champ d'application du pouvoir. Ils
s'intéressent notamment aux problèmes qui naissent du
désaccord entre la distribution des populations et les limites
étatiques33, mais aussi des difficultés que certains
pays éprouvent à assurer leur sécurité dans les
limites que le peuplement national devrait leur imposer : ils cherchent
à se donner des frontières plus faciles à défendre,
fleuves ou chaînes de montagne (Claval, 1995). Le territoire, dans ces
acceptions, résulte ainsi de l'appropriation collective de l'espace par
un groupe. Gottmann (1973) va associer la conception moderne du territoire
à celle de souveraineté en tirant parti à la fois des
approches de la géographie politique et de
32 Pour Brunet et al., (1993), «
l'espace géographique est l'étendue terrestre utilisée et
aménagée par les sociétés en vue de leur
reproduction, non seulement pour se nourrir et s'abriter, mais dans toute la
complexité des actes sociaux » ; Dans le même sillage, Le
Berre (1992) précise que « le territoire est la portion de surface
terrestre appropriée par un groupe social pour assurer sa production et
la satisfaction de ses besoins vitaux ».
33 Dans presque tous les pays africains, de
nombreuses ethnies se retrouvent de part et d'autres des frontières
étatiques tracées par la colonisation. Au Nord-Cameroun, nous
avons ainsi les Massa, Toupouri, Moundang, Mozey, Peuls... entre le Tchad et le
Cameroun ; les Kanouri, les Peuls entre le Cameroun et le Nigeria.
82
la géopolitique de l'entre-deux-guerres ainsi que de la
pensée des théoriciens de l'État. Selon lui, pour qu'une
entité politique puisse faire l'expérience de l'absolu du
pouvoir, il faut qu'elle soit sans concurrence et exerce un monopole total sur
un espace donné : elle est alors souveraine. L'idée de territoire
se trouve ainsi liée à celle de contrôle, et le justifie.
Au territoire de l'État tel qu'il résulte de la théorie
politique moderne s'oppose ceux qui reflétaient d'autres structures du
pouvoir : la pratique féodale d'un pouvoir hiérarchisé et
dont chaque échelon ne dispose que d'attributs limités aboutit
à une structuration d'espaces qui s'emboîtent ou qui se
chevauchent. C'est notamment le cas observé au Nord-Cameroun avec des
lamidats qui exercent un contrôle féodal et absolu sur des
territoires discontinus conquis lors des djihads au début du
19è siècle. C'est sans doute pour ces raisons que Sack
(1986) a proposé une interprétation de la territorialité
assez voisine de celle de Gottmann, mais applicable à toutes les
échelles, de la pièce où nous dormons à celle de
l'État.
III.2.2. Le territoire comme une réalité
sociale
La deuxième acception que les géographes se font
du territoire est liée à la réalité sociale qui
vient de l'éthologie animale. Ils vont s'appuyer sur les travaux de
l'Autrichien Konrad Lorenz (1973) et du Néerlandais Nikolaas Tinbergen
(1967) qui font découvrir le rôle que joue la
territorialité dans la vie de beaucoup d'espèces. Il s'agit de la
prise de possession par un individu ou un organisme vivant d'une portion de
surface et sa défense contre d'autres organismes, appartenant ou non
à la même espèce. L'étude du territoire consiste ici
à analyser un système de comportement et la territorialisation,
la conduite d'un organisme pour prendre possession d'un territoire et le
défendre. Les espaces de vie y sont jalousement marqués. À
l'intérieur des cellules ainsi délimitées, un ordre
hiérarchique est institué - un pecking order selon
l'expression anglaise souvent reprise. Un mâle les domine
généralement, affirme sa supériorité sur les plus
jeunes à l'occasion d'affrontements qui reprennent
périodiquement. Il élimine les concurrents éventuels
dès qu'ils franchissent les limites. C'est par ce contrôle du
territoire que les groupes animaux assurent leur reproduction et limitent leurs
effectifs. Par contre, les géographes se refusent à transposer
les leçons de Tinbergen ou de Lorenz à leur domaine, mais
retirent des exemples fournis par
83
l'éthologie, l'idée qu'il faut s'attacher aux
moyens mis en oeuvre pour contrôler l'espace si l'on veut comprendre le
dynamisme des sociétés (Malmberg, 1980). Défendant une
spécificité de l'espace social, c'est-à-dire le primat des
échanges sociaux dans les constructions territoriales, Roncayolo (1990)
a indiqué les risques que contient le réductionnisme
éthologique dans certains transferts en géographie sociale. Selon
lui, « il reste à juger si l'on peut établir un
continuum entre les espèces, traiter dans les mêmes termes de tous
les niveaux de la territorialité, de l'environnement immédiat aux
constructions politiques les plus audacieuses, et ,enfin ramener les
phénomènes sociaux, collectifs qui supportent à la fois la
division de l'espace et les sentiments d'appartenance soit à des
exigences biologiques communes à des séries d'êtres
vivants, soit à la psychologie individuelle ». Pourquoi
l'appropriation d'une certaine étendue ne serait-elle pas
nécessaire à l'épanouissement de certaines fonctions
sociales, se demande Claval (1995) ? A cette interrogation, Le Berre (1992)
répond en précisant qu'un territoire et un groupe social ne sont
pas isolés : ils entretiennent des échanges avec
l'extérieur dont il faut tenir compte pour décrire et comprendre
la morphologie et la dynamique territoriales. Alors que la démarche
identitaire et communautariste est par essence un construit social, son
efficacité tient à sa capacité à dissimuler son
origine humaine pour en faire une donnée de nature (Elisalde, 2002).
Di Méo (1998) énonce les conditions de
l'édification d'un ancrage identitaire : « pour que les
échanges sociaux s'y déroulent (dans la région) sans
surprise, selon un ordonnancement bien réglé, plusieurs
conditions territoriales doivent être remplies. Il convient en premier
lieu que l'espace régional possède les caractères d'un
espace social vécu et identitaire, découpé en fonction
d'une logique organisationnelle culturelle ou politique. Il faut en second lieu
qu'il constitue un champ symbolique dans lequel l'individu en
déplacement éprouve un sentiment de connivence identitaire avec
les personnes qu'il rencontre ». Une autre face du schéma
territorial commence ainsi à se dessiner en filigrane.
Pourquoi rechercher à ne se rassembler, à ne se
regrouper uniquement qu'avec ceux qui vous ressemblent ? S'interroge Elisalde
(2002). Pour l'auteur, le territoire ainsi conçu deviendrait une machine
à fabriquer des individus identiques ou cohabiteraient
84
des territorialités de clonage à
l'intérieur et d'exclusion avec l'extérieur. Ce type d'attitude
qui contredit une certaine curiosité géographique tournée
vers la découverte de l'Ailleurs et de l'Autre, présente pourtant
tous les attributs de la territorialisation. Or, chez bon nombre d'analystes
des territoires, le déséquilibre est grand entre le diagnostic
précis porté sur les champs dans lesquels se déroulent la
territorialisation et l'absence de regard critique sur la
légitimité de certaines appropriations territoriales en
référence à tel système de valeurs, à telle
stratégie de contrôle de l'espace ou d'instrumentalisation de
lieux de mémoire. Comme le note Badie (1995 : 83), nous sommes bien en
présence de pratiques et d'interprétations
ségrégatives de la territorialité : « doté
d'un attribut naturel, sa raison d'être est alors de se conformer
à l'ethnicité qu'il est censé incarner, d'instance de
rassemblement, il devient fondement d'homogénéisation, conduisant
à l'expulsion de l'autre ».
III.2.3. Le territoire comme lieux de symboles et de
représentations
En troisième lieu, le territoire pour les
géographes, se structure autour des symboles et des
représentations. En effet, la dimension symbolique du territoire est en
effet présente dans les travaux des géographes depuis
l'entre-deux-guerres au moins. Claval (1995) précise que Jean Gottmann
la systématise lorsqu'il propose, en 1952, de faire l'analyse des
iconographies, c'est-à-dire des représentations territoriales,
une des bases de la géographie politique. Dans le même ordre
d'idée, les travaux d'inspiration phénoménologique et
humaniste comme ceux de Dardel (1990) soulignent que pour « les
sociétés primitives, la terre est puissance, car elle est origine
(c'est d'elle que toute réalité procède), présence
(c'est de sa rencontre avec un paysage qui lui fait face et s'annonce à
lui, que le présent se retrempe et se transmet comme en une
réserve cachée de verdeur et de force et force surnaturelle
(à la base de la géographie des primitifs, il y a un comportement
religieux, et c'est au travers de cette valeur sacrée que se manifestent
les «faits» géographiques ». À partir de ce
moment, la dimension symbolique du territoire devient un des thèmes
essentiels de la géographie lorsque se développent les recherches
sur l'espace vécu, dans les années 1970 et dans les années
1980. Dans les pays anglo-saxons, on s'attache au sens des lieux, the sense
of place, la tradition vidalienne d'analyse de la personnalité des
constructions géographiques
85
ressuscite (Claval, 1995). L'attention va aussi à la
manière dont les toponymes sont choisis, et aux significations qui leur
sont attachés. Les hauts lieux suscitent un grand intérêt
comme le soulignent Brunet et al., (1992 : 232) : « ce sont
des lieux de mémoire ; leur valeur symbolique est plus ou moins
élevée, locale, nationale, internationale, mondiale, ou propre
à une religion, à une culture; ils sont souvent sources
d'identité collective et, aussi, d'activités économiques
».
Par ailleurs, la géographie se penche de nouveau sur le
sentiment d'enracinement, sur les liens affectifs et moraux que les groupes
tissent avec le sol où ils sont nés et où sont
enterrés leurs ancêtres. Les géographes s'étaient
contentés, entre les deux guerres mondiales, de sonder les âmes et
les coeurs des citoyens des nations modernes (Claval, 1995). Dans le même
temps, les ethnologues découvraient des attachements analogues, mais
souvent beaucoup plus forts encore, chez les peuples primitifs comme le
soulignent les travaux d'Elkin (1967). Il montre que les aborigènes
australiens pratiquaient une économie de chasse et de cueillette qui
aurait dû les laisser indifférents à l'environnement
à partir du moment où ils y trouvaient plantes utiles et gibier.
Contrairement à cela, ils s'identifiaient si profondément aux
lieux de séjour de leurs ancêtres fondateurs du temps du mythe,
que beaucoup se laissaient mourir lorsqu'ils se trouvaient
déplacés. C'est dans le même sens que Di Méo (1998 :
33) précise que « le territoire est souvent abstrait,
idéel, vécu et ressenti plus que visuellement
repéré ». Cette entrée fait donc
référence aux processus d'organisation territoriale qui doivent,
selon Raffestin (1986), s'analyser à deux niveaux : celui qui
résulte de l'action des sociétés, et également
celui qui résulte des systèmes de représentation. Au
travers du vécu, du perçu, et des multiples filtres qui nuancent
la perception que l'on a d'un paysage, d'une organisation spatiale, de notre
voisin, nous donnons un sens aux territoires (Fourny, 1995). À partir de
ce moment, les travaux de géographie tropicale commencent à se
rapprocher peu à peu de ceux des ethnologues par les méthodes
mises en oeuvre : les séjours sur le terrain se font plus longs,
l'attention accordée aux monographies de détail devient plus
grande (Claval, 1995).
En clair, Claval (1995) souligne que la prise en compte de la
dimension territoriale traduit une mutation profonde dans la démarche
géographique. Pour lui, parler de
86
territoire au lieu d'espace, c'est souligner que les lieux
dans lesquels s'inscrivent les existences humaines sont construits par les
hommes à la fois par leur action technique et par les discours qu'ils
tiennent à leur propos. C'est en fait le territoire des acteurs qui font
le territoire. Ainsi, pour être opérationnelle, la
géographie ne peut ni ne doit oublier ceux qui font et défont ces
organisations et par qui les interactions se produisent : les acteurs,
replacés au centre des territoires et constitués en un
écheveau complexe d'interrelations, vivant, produisant, percevant et
utilisant l'espace géographique pour constituer des territoires au sein
desquels se déploient de multiples enjeux (Moine, 2005) comme nous
allons le démontrer dans le cas du Nord-Cameroun. Il s'agit pour le
même auteur des interrelations multiples qui lient ceux qui
décident, perçoivent, s'entre-aperçoivent, s'opposent,
s'allient, imposent et finalement aménagent. Cette dimension est
essentielle, et Debarbieux (1999 : 54) déclare à ce propos que
« le monde est institué par les individus en fonction de leurs
actions et de leurs intentions ». Ainsi, les relations que les
groupes nouent avec le milieu ne sont pas simplement matérielles : elles
sont aussi d'ordre symbolique, ce qui les rend réflexives. Les hommes
créent leur environnement, qui leur offre en miroir une image
d'eux-mêmes et les aide à prendre conscience de ce qu'ils
partagent et en retour, précisent Brunet et al., (1992), le territoire
contribue à conforter le sentiment d'appartenance, il aide à la
cristallisation de représentations collectives, des symboles qui
s'incarnent dans des hauts lieux.
III.2.4. Le territoire comme support d'identité et
aire culturelle
Les géographes se sont intéressés par
ailleurs à la place de l'identité dans la perception du
territoire. En effet, Bonnemaison et Cambrezy (1995) notent que dans les
sociétés dites traditionnelles, le territoire ne se
définit pas par un principe d'appropriation, mais par un principe
d'identification. Le territoire ne peut alors être perçu comme une
entité différente de la société qui l'habite ; le
groupe local appartient à sa « terre » tout autant que la
terre lui appartient. C'est effectivement ce qui fait dire à Le Berre
(1992) que « toute société a des rapports avec son
territoire : on peut appeler pratiques territoriales (de vie, de gestion,
d'aménagement) l'ensemble des actions que le groupe entreprend pour
assurer sa vie et son maintien sur son territoire. Elles ont pour
87
résultat de mettre en relation les lieux qui
constituent son territoire ». Ce ne sont donc plus
nécessairement les centres du territoire qui comptent mais les symboles
qui y sont inscrits et les lieux qui les enracinent. Ce principe
d'identification explique la particularité et l'intensité de la
relation à la terre ; le territoire ne peut être partagé,
vendu, ou même donné ; il est un être et non pas un avoir.
Perdre son territoire, c'est disparaître. Pour Berque (1970), la
mémoire s'investit dans des lieux, des portions de nature où sont
enracinés des potentiels. Dans la même lancée, Martin
(1994) poursuit que la relation tissée entre l'histoire et l'espace
fournit une base apparemment matérielle à l'identité :
elle lui procure un territoire. Pour lui, l'occupation, entraînant le
travail de la sensibilité sur l'enracinement physique, confère
aux 'pays', aux villes, aux quartiers, une dimension symbolique, une
qualité qui secrète l'attachement. On voit donc avec Claval
(1995) pourquoi les problèmes du territoire et la question de
l'identité sont indissolublement liés : la construction des
représentations qui font de certaines portions de l'espace
humanisé des territoires est inséparable de la construction des
identités. L'une et l'autre de ces catégories sont des produits
de la culture, à un certain moment, dans un certain cadre. Par contre,
précise Claval (1995), le support territorial des identités n'a
pas besoin d'être continu et d'un seul bloc lorsque la construction du
moi et du nous est moins fragile et n'est pas menacée de dissolution au
moindre contact : ce qui compte en pareil cas, c'est la dimension symbolique de
certains référents spatiaux, lieux de culte, tombes des
ancêtres. La territorialité s'exprime plus en termes de
polarité que d'étendue. À ce moment, le territoire
symbolique devient mobile. C'est le cas de certains nomades, qui reconstituent
l'espace sacré qui donne un sens à leur vie partout où ils
s'installent.
Cette approche identitaire du territoire pose le
problème de limite supérieure des gabarits territoriaux. En
effet, à partir du consensus autour de l'idée d'espace
conscientisé, il y aurait autant de tailles de territoires que de
possibilités pour des groupes de partager un même rapport aux
lieux, une même territorialité. Autrement dit, les autochtones
peuls sédentaires, les migrants venus de l'Extrême-Nord Cameroun
et les éleveurs mbororo transhumants ont-ils la même perception et
le même rapport avec le territoire sur lequel ils sont installés,
qu'ils exploitent et gèrent ?
88
À partir de ce moment, on peut avec Elissalde (2002) se
poser la question de savoir si l'outillage conceptuel et les
problématiques utilisables par une géographie des territoires
devraient demeurer cloisonnés entre chaque aire culturelle ? Dans ce
cas, un pan de l'analyse géographique demeure pourtant souvent
négligé.
En effet, la plupart des études sur la
territorialisation privilégient avant tout la mise à jour des
logiques de fonctionnement internes d'un territoire, auquel s'adjoignent
parfois des emboîtements multiscalaires. Tout se passe alors comme si
elles reposaient sur un implicite qui est celui du fonctionnement autonome du
lieu étudié, en laissant souvent de côté les
réactivités induites par les interactions avec des ensembles
spatiaux voisins et de même niveau. La conception actuelle du territoire
remet ainsi en cause l'idée de territorium d'autrefois,
ensemble monoscalaire conçu comme une aire délimitée et
étanche, animé par des acteurs inclus dans ses limites. Ce serait
donner à penser qu'une configuration territoriale ne serait que le
résultat de l'action d'un seul groupe poursuivant un seul et unique
projet. Ce serait imaginer qu'une configuration territoriale est le parfait
décalque des idéaux du ou des groupes qui se la seraient
approprié. Ce serait enfin cautionner une vision cynique des rapports
sociaux ; l'organisation de l'espace n'appartiendrait qu'au champ des rapports
de forces, en ignorant toute régulation équitable.
Une autre face du schéma territorial commence à
se dessiner lorsque Di Méo (1998 : 47) énonce les conditions de
l'édification d'un ancrage identitaire en ces termes : « pour
que les échanges sociaux s'y déroulent (dans la région)
sans surprise, selon un ordonnancement bien réglé, plusieurs
conditions territoriales doivent être remplies. Il convient en premier
lieu que l'espace régional possède les caractères d'un
espace social vécu et identitaire, découpé en fonction
d'une logique organisationnelle culturelle ou politique. Il faut en second lieu
qu'il constitue un champ symbolique dans lequel l'individu en
déplacement éprouve un sentiment de connivence identitaire avec
les personnes qu'il rencontre ». Ainsi, les systèmes d'acteurs
permettent-ils de gérer et, à travers leurs actions, de maintenir
une stabilité du système au sein duquel ils agissent. Il en
découle, comme c'est le cas actuellement dans la région du
Nord-Cameroun, une indispensable coordination, une organisation et
finalement
89
l'aménagement avec ce que ce terme peut selon les
définitions admises receler d'équité comme le souligne
Moine (2005). En fait, Brunet (2001) argue que les acteurs doivent être
replacés dans les systèmes qu'ils élaborent afin de leur
permettre de s'approprier, d'habiter, d'échanger et d'exploiter dans les
meilleures conditions qui soient et surtout, de manière
cohérente. C'est pour cela qu'il faut être capable comme le
formule Moine (2005) de comprendre les jeux spatialisés des acteurs et
de leurs multiples choix pour comprendre les processus qui guident
l'évolution de l'espace géographique. Ainsi, la notion de
territoire ne doit pas se réduire à celle d'appropriation. Elle
est en fait beaucoup plus que cela, un système d'acteurs, en tension car
les acteurs sont concrets, repérables. Ils font les territoires au
travers des subtiles relations qu'ils entretiennent et ils constituent autant
de pouvoirs et de contrepouvoirs respectifs qui font équilibre. Le
produit de ces interrelations peut être dénommé
gouvernance, c'est-à-dire l'ensemble des règles, des
procédures et des pratiques qui sous-tendent l'existence d'un
territoire, autour du jeu complexe des acteurs, par rapport à une
organisation spatiale évolutive.
III.2.5. Finalement, une définition
fondée sur la boucle de rétroaction
qui organise le territoire
Le territoire est donc un système complexe que l'on ne
peut finalement appréhender que sous l'angle d'un système qui
suppose, non une nouvelle définition, mais un repositionnement
conceptuel dans une perspective systémique. Considéré sous
cet angle, on peut avancer la définition suivante empruntée
à Moine (2005 : 77) : « le territoire est un système
complexe dont la dynamique résulte de la boucle de rétroaction
entre un ensemble d'acteurs et l'espace géographique qu'ils utilisent
aménagent et gèrent ». Cette définition selon
l'auteur s'appuie sur la mise en relation de trois sous-systèmes
clairement définis (figure 8) :
90
Source : Moine (2005)
Figure 8. Fonctionnement du système
territoire
Le fonctionnement du système territoire s'appuie ainsi
sur le sous-système acteurs qui agit sur le sous-système de
l'espace géographique de la manière suivante :
- Les acteurs en interrelation qui vont permettre, soit dans
un espace donné, soit par rapport à une problématique
donnée, de comprendre en partie les raisons des équilibres ou des
déséquilibres en présence qui déterminent une
stabilité dynamique du territoire ;
- L'espace géographique, espace aménagé
par les acteurs, en fonction du géosystème34,
présentant de multiples objets en interaction et que l'on peut
désagréger en trois sous-systèmes : i) le
géosystème ou milieu géographique au
34 Le géosystème est un concept
permettant d'analyser les combinaisons dynamiques de facteurs biotiques,
abiotiques et anthropiques associés à un territoire. S'inscrivant
dans une démarche systémique, il est utilisé en
géographie pour étudier les interactions
nature-sociétés dans une dimension à la fois temporelle et
spatiale (Beroutchachvili et Rougerie, 1991).
91
sein duquel évoluent les acteurs, on parlera des
contraintes ou aménités naturelles qui entrent en interaction
avec les acteurs et influencent l'organisation de l'espace géographique
; ii) l'espace anthropisé constitué par l'ensemble des objets
anthropiques (réseaux, constructions, hommes, etc.) répartis au
sein du géosystème ; iii) l'espace social, celui des rapports
sociaux qui recèle « l'ensemble des interrelations sociales
spatialisées » (Frémont et al., 1984), entre les individus,
les groupes et en étroite relation avec l'espace politique et
institutionnalisé ; iv) l'espace politique et institutionnalisé
au sein duquel sont formalisées les multiples relations entre les
acteurs. Il s'agit d'une portion d'espace régi par la reconnaissance de
règles communes ;
- Les systèmes de représentation, qui se fondent
sur l'interconnexion entre trois types de filtres : individuel, sociétal
(valeur) et idéologique (théorie, modèle), qui forgent
à la fois la connaissance et la conception qu'ont les acteurs du monde
qui les entoure (Callon et Latour, 1990). Aménagé par les
sociétés qui l'ont successivement investi, le territoire
constitue un remarquable champ symbolique. Certains de ses
éléments, instaurés en valeurs patrimoniales, contribuent
à fonder ou à raffermir le sentiment d'identité collective
des hommes qui l'occupent (Di Méo, 1998).
III.3. Les intérêts du territoire pour
l'élevage mobile
Le territoire est au sens des écologues, « la
zone de peuplement et de distribution d'une espèce
végétale ou animale donnée ». Il résulte
de « l'ensemble des relations qu'une société entretient
non seulement avec elle-même, mais encore avec
l'extériorité et l'altérité, à l'aide de
médiateurs, pour satisfaire ses besoins dans la perspective
d'acquérir la plus grande autonomie possible, compte tenu des ressources
du système. » (Raffestin, 1997). Si les débats sur
l'élevage d'herbivores sont largement posés à
l'échelle planétaire (réduction des gaz à effets de
serre, alimentation mondiale, biodiversité...), l'élevage
contribue aussi au développement durable des territoires ruraux : il s'y
présente comme une activité ancrée dans des
sociétés, des filières et un espace local où il
fournit des produits et services multiples (Manoli et al., 2011). Les
travaux de ces derniers ont permis à partir d'une revue bibliographique
de préciser
92
comment les chercheurs abordent les relations entre
élevage et territoire. Ils montrent qu'au niveau du territoire
l'élevage est une activité centrale pour des communautés
d'agriculteurs (Hubert, 1994 ; Gibon et Ickowicz, 2010), il y façonne
les paysages et la biodiversité (Caron et Hubert, 2000) et produit des
services écosystémiques (Burkhard et al., 2009). Il peut
y remplir une diversité de fonctions qui vont bien au-delà de la
fourniture de denrées alimentaires pour les filières longues,
mais qui relèvent de spécificités locales comme la
production de fibres pour l'habillement des personnes, celle de fertilisants
organiques pour l'agriculture familiale comme l'ont montré Steinfeld et
al., (2006) ou Iiyama et al., (2007), la valorisation des
sous-produits agricoles et industriels de proximité (Dedieu et
al., 2011). L'élevage est une source de revenus et d'emplois
pour les éleveurs et l'ensemble de la filière. Il est aussi, dans
certaines sociétés vulnérables, à la fois un
véritable capital sur pied (Bonfiglioli, 1988), le support de dons
resserrant les solidarités familiales et une source directe
d'alimentation (Duteurtre et al., 2009). Enfin, l'élevage peut
être une activité avec des significations symboliques et
culturelles localement très fortes comme par exemple en pays gaucho
du nom du vacher traditionnel des régions de Pampa (Litre et
al., 2008).
C'est ainsi à ce niveau territorial que les politiques
doivent pouvoir expliciter ce que l'on peut attendre de l'élevage, et
que l'ensemble des acteurs, dont la recherche, doit pouvoir décliner les
différentes dimensions des interactions entre l'élevage et les
territoires (Manoli et al., 2011). Ces derniers ont distingué
trois grandes familles d'investigation des interactions entre élevage et
territoire. La première se centre sur les relations entre les
systèmes d'élevage et les modes d'utilisation de ressources
naturelles spatialisées. La seconde est focalisée sur la
diversité des systèmes de production existant sur un territoire
donné. La troisième considère les systèmes
d'élevage comme des systèmes techniques enchâssés
dans des collectifs et des sociétés humaines.
L'élevage extensif utilise une gamme de ressources
naturelles spatialisées. La première famille d'approches a pour
objet l'utilisation de ressources naturelles, caractérisées en
premier lieu par leur localisation dans l'espace et qui impose une
nécessité de reconnecter activités d'élevage et
enjeux autour de l'usage de l'espace.
93
Manoli et al., (2011) montrent que les objectifs des
études faites dans ce sens sont de comprendre le rapport à
l'espace des activités d'élevage dans un contexte où les
ressources naturelles deviennent un facteur limitant, et où il y a donc
compétition entre plusieurs usages possibles du sol. L'élevage
est ici une activité en compétition avec d'autres
activités pour l'utilisation de l'espace ; le territoire, vu à la
fois comme le support d'activités humaines et comme le produit de ces
activités, est considéré ici plus dans sa dimension
spatiale que sociale : c'est l'espace qui est au centre des questions de
recherche. À l'intérieur de ce courant, on peut distinguer deux
types d'approches : d'un côté les études centrées
sur la localisation de l'élevage (analyse statique des facteurs), de
l'autre, l'analyse est plus dynamique et se centre sur les processus de
changements d'utilisation du sol.
Le premier groupe de travaux recensé par Manoli et
al., (2011) se centre sur la représentation de la localisation
des systèmes de production et des densités animales à des
échelles géographiques larges et sur l'identification des
facteurs explicatifs de ces localisations. La classification des
systèmes d'élevage faite par Sere et Steinfeld (1996) a fait date
: elle propose de cartographier les différents types de systèmes
de production à une échelle régionale (un ensemble de pays
d'une même région du monde). Ce sont les facteurs
agro-écologiques qui sont mis en avant pour expliquer cette distribution
spatiale des systèmes de production. D'autres facteurs de localisation
sont présentés dans le zonage de systèmes d'élevage
européens, réalisé par Pflimlin et al., (2005).
Les différentes zones sont délimitées principalement par
des facteurs pédoclimatiques, mais les dynamiques
socioéconomiques et des éléments d'histoires locales sont
également pris en compte. Le rapport « Livestock Long Shadow »
(Steinfeld et al., 2006) a été un autre travail montrant
les liens entre systèmes d'élevages et éléments
géographiques. Les localisations des différents types de
systèmes d'élevage (définis par les espèces
élevées, le système de production, le degré
d'intensification par exemple) sont expliquées aussi par des
caractéristiques humaines de l'espace : espaces urbains, ruraux,
périurbains, existence d'infrastructures. Les contraintes naturelles
sont toujours présentes dans cette description (présence de
certains types de systèmes selon les climats par exemple). Bourn et Wint
(1994) ont
94
travaillé sur ce lien entre géographie et
élevage, mais surtout à travers la spatialisation des
densités animales. Ils ont eux aussi proposé d'autres facteurs
que les facteurs agro-écologiques pour modéliser des
densités animales : densité de la population humaine, maladies
animales, présence d'agriculture, etc. Au final, la plupart de ces
études s'identifient à un courant scientifique qui prend de
l'ampleur, celui de `livestock geography' (Kruska et al., 2003 ; Reid
et al., 2000 ; Sere et Steinfeld, 1996 ; Thornton et al., 2007 ; Wint,
2007), dont la finalité est d'aider à l'élaboration de
politiques nationales et internationales du développement de
l'élevage. C'est pourquoi elles sont faites à une échelle
large. Des cartes de densités animales, de systèmes
d'élevage à des échelles continentales à
nationales, sont le produit commun de toutes ces études. Ces cartes sont
élaborées grâce à des SIG et elles donnent une image
statique des différents facteurs de localisation des activités
d'élevage : les facteurs agro-écologiques sont
prépondérants (climat, reliefs montagneux, maladies animales par
exemple), quelques facteurs de type humain sont pris en compte (marché,
zones urbaines, infrastructures, agriculture).
Manoli et al., (2011) ont recensé un
deuxième groupe de travaux qui a pour objet d'étude des
dynamiques d'utilisation des sols. Dans ce cas, l'accent est mis sur les
processus qui expliquent ces dynamiques. Ces travaux abordent les liens entre
activités agricoles (et utilisatrices d'espace en général)
et dynamiques spatiales. Par exemple, les travaux de Poccard-Chapuis (2005)
analysent l'avancée des fronts pionniers dans la forêt amazonienne
et la place des systèmes d'élevage dans ce processus. Le
rôle joué par les réseaux de commercialisation à la
fois locaux, nationaux et internationaux est mis en avant dans la description
de ces processus. Certains de ces travaux se réclament d'un courant
relatif au « land use and land cover changes » (LULCC) :
Lambin et al., (2000) ; Lambin et al., (2001) ; Stephenne et
Lambin (2001) ; Veldkamp et Lambin (2001). Par exemple, Lambin et al.,
(2000) s'efforcent de mettre en lumière la complexité des
mécanismes qui se cachent derrière les changements d'utilisation
de l'espace, en cherchant à se différentier des approches
simplificatrices qui sont faites pour expliquer les causes d'une dynamique
spatiale particulière (déforestation, dégradation des
pâturages, urbanisation, etc.). Ils déconstruisent ainsi
certains
95
« mythes » simplificateurs comme le concept de
« capacité de charge ». Celui-ci est souvent
avancé pour expliquer un seuil à partir duquel un pâturage
donné sera surexploité. La capacité de charge est,
à leurs yeux, à relativiser fortement lorsqu'elle est
utilisée dans le cadre des écosystèmes arides,
caractérisés par un déséquilibre permanent. Ces
auteurs soulignent ainsi le besoin de mettre en place une compréhension
rigoureuse des contextes locaux, par l'appui sur des études de cas par
exemple, pour mieux appréhender notamment comment les grandes dynamiques
globales se reformulent dans un lieu particulier (Ickowicz et al.,
2010). Il s'agit de réexaminer de grandes hypothèses globales
considérées comme des lois générales, ou au moins
de bien les appliquer aux unités de temps et d'espace pertinentes.
Manoli et al., (2011) mentionnent que ces approches
de `LULCC' sont très complémentaires des approches de
localisation développées dans le premier groupe : elles donnent
une analyse plus dynamique des utilisations de l'espace, elles se centrent sur
la compréhension des processus. Les études de localisation des
activités donnent une image des résultats de tout un processus.
Elles sont une façon de montrer que les activités
d'élevage ont des raisons de se placer là où elles se
placent. Dans une réflexion sur le développement durable, les
activités d`élevage doivent être reconnectées aux
espaces et aux ressources qu'elles utilisent (Naylor et al., 2005) :
elles sont bien une activité d'usage des ressources naturelles
spatialisées (parmi d'autres). Dans cette perspective, donner une
représentation du « maillage » de l'élevage (Wint,
2007) à l'échelle de grandes régions, est une
première étape essentielle.
Pourtant, relèvent Manoli et al., (2011),
quand il s'agit de développement, et de compréhension des
dynamiques d'utilisation de l'espace, ces niveaux ou même les niveaux
nationaux s'avèrent insuffisants (Hubert, 1994 ; Lambin et al.,
2001) et le niveau de l'exploitation comme entité
élémentaire de gestion de l'espace agricole devrait être
mieux pris en compte (Wint, 2007). Ainsi, la compréhension du niveau
local, grâce à l'analyse d'études de cas apparait comme une
nécessité (Manoli et al., 2011). Bommel et al.,
(2010) ont ainsi proposé un modèle générique
d'étude des interactions entre l'élevage et l'espace à ce
niveau local sur la base de la comparaison
96
de modèles multi-agents développés dans
plusieurs territoires de France, Brésil, Uruguay et
Sénégal.
Dans les deux types d'approches, les densités animales,
leur répartition et leur localisation sont, comme l'ont montré
Manoli et al., (2011), reliées majoritairement à des
facteurs agro-écologiques. Par contre, le niveau socio-économique
est peu étudié. Enfin, les spécificités des
activités d'élevage ne sont généralement pas
considérées : la mobilité par exemple qui marque des
différences fortes dans l'utilisation de l'espace entre élevage
et agriculture, n'est pas analysée, car les questions sont
focalisées sur les ressources naturelles en elles-mêmes. Si l'on
se place dans une perspective d'élaboration de politiques de
développement, il est important de considérer le niveau local
comme le niveau où se reformulent des grands facteurs globaux (agro
écologiques, socio-économiques) et où ils se combinent
à des facteurs plus spécifiquement locaux (place de la
mobilité, fonctions particulières de l'élevage...).
III.4. Les enjeux et l'importance de la mobilité
pastorale
La pression sur les territoires ruraux s'accentue à
cause d'un fort accroissement démographique qui engendre
l'avancée des terres agricoles au détriment des pâturages.
Différentes études de cas notent que les pâturages se
réduisent comme peau de chagrin au sud du Tchad (Magrin, 2001) ou encore
au nord Cameroun (Moritz et al., 2013 ; Seignobos et Thys, 1998 ;
Kossoumna Liba'a, 2008). Les politiques nationales semblent avoir du mal
à concevoir des schémas d'aménagement des espaces ruraux
qui ménagent un accès pour tous aux ressources. Pourtant, en
même temps que les pâturages diminuent, les cheptels bovins
augmentent (Gonin, 2014). Cependant, depuis la fin des années 90,
différents travaux introduisent un regard renouvelé sur
l'élevage mobile.
El Aich et Waterhouse (1999) montrent comment le
pâturage peut favoriser la biodiversité et maintenir ainsi des
biotopes particuliers. Bourbouze, Lhoste, Marty et Toutain (2002) soulignent
que la mobilité pastorale est aujourd'hui considérée comme
un outil de lutte contre la désertification, même si la
démonstration scientifique du rôle de la mobilité dans la
protection de l'environnement n'est pas aisée comme le montrent les
travaux de Genin (2004), Dood (1994).
97
Contrairement à l'image répandue, ce sont les
troupeaux les plus mobiles qui présentent les meilleurs
paramètres zootechniques (PSSP, 2009) ; ainsi, la mobilité
permettrait d'intensifier la productivité des troupeaux. De nombreuses
études ont démontré à contrario que les pratiques
de nombreux commerçants bétail dans la cadre de l'embouche
bovine, constituent des troupeaux « maigres » à la fin de la
saison sèche pour les engraisser à l'herbe des parcours
grâce à la transhumance effectuée par les bergers peuls
(Colin De Verdière, 1995). Le même auteur montre que les
phénomènes de croissance compensatoire jouant à plein, les
animaux conduits dans une vraie logique pastorale reviennent avec une
conformation supérieure et incomparable avec leur état de
départ. Il montre que la productivité des systèmes
d'élevage sédentaire serait globalement inférieure de 20%
à celle des troupeaux nomades. Ceci donne sens à l'objectif des
éleveurs mobiles qui est en effet de rechercher en permanence les
meilleures conditions possibles pour leur troupeau, en s'adaptant aux
contraintes du milieu en ce qui concerne l'eau et le pâturage. En effet,
la principale raison à l'origine de la mobilité est de maximiser
la productivité du cheptel. Lorsqu'ils se déplacent, les pasteurs
ne cherchent pas seulement à trouver de la nourriture pour leurs
bêtes, ils recherchent aussi les meilleurs pâturages et les
meilleures sources d'eau. Des nutriments de qualité dans les parcours
arides sont éphémères et, comme on peut s'y attendre,
clairsemés. Pour les exploiter de manière performante, les
pasteurs doivent se déplacer souvent et rapidement (Collectif, 2010). Le
même collectif montre que la mobilité est également
importante dans le domaine du commerce. En effet, le bétail a besoin
d'être acheté et vendu. Or, les meilleurs marchés où
les pasteurs tirent le meilleur prix de leurs bêtes sont souvent loin des
meilleures zones de production. Les échanges peuvent être locaux,
nationaux, voire internationaux, en fonction de la saison et de ce qui est
à vendre ou à acheter. Bien souvent, les échanges
impliquent de couvrir de longues distances et le déplacement des
bêtes en toute sécurité joue donc un rôle pivot.
La mobilité pastorale a également une
utilité écologique qui a été démontré
par des études comme celle de Maïdagi et Hierneux (2006). Les
conclusions de ce travail d'analyse des dynamiques de végétation
en relation avec les modes de pâturage font
98
ressortir que les effets du pâturage sont autant moins
marqués que les troupeaux sont appelés à se
déplacer et à développer la mobilité. Par contre,
d'après cette étude, la sédentarisation des troupeaux a
des effets conséquents en matière de dégradation des
écosystèmes. La notion de surpâturage s'applique plus
à une plus à une exploitation continue des ressources pastorales
car les animaux, même peu nombreux, exploitent de manière
sélective les espèces appétées (PSSP, 2009). Ainsi,
la réduction des aires de pâturages, des couloirs de transhumance
et des aires de repos jusque-là exploités par les pasteurs en
zone agro-pastorale et pastorale, en réduisant la mobilité des
troupeaux, augmente les risques environnementaux.
La mobilité pastorale est également un facteur
d'adaptation aux aléas climatiques. En effet, au vu des
réalités sociales, économiques et écologiques,
l'enjeu est de préserver et de renforcer la mobilité pastorale,
de manière à mieux valoriser durablement les ressources primaires
des espaces de mobilité dans les zones soudano-sahéliennes. Ces
espaces se caractérisent par des pénuries des ressources
pastorales liées aux sécheresses plus ou moins fortes et
fréquentes. Les observations faites par Beidou et al., (1990)
montrent que ce sont les troupeaux les plus mobiles qui réussissent
généralement le mieux à surmonter les épisodes
critiques comme la grande sécheresse de 1984. Lorsqu'apparaissent les
limites écologiques de la mise en valeur de terres nouvelles, la
conception nomade multiplie les formules d'adaptation en intégrant des
espaces marginaux qu'elle seule peut rapprocher (Retaillé, 1989).
En plus, la mobilité stratégique de
l'élevage permet l'intégration agriculture-élevage
à grande échelle spatiale et temporelle, et ce sur l'ensemble des
systèmes de production plutôt qu'au niveau de la seule
exploitation agricole. C'est à grande échelle que les
systèmes pastoraux optimisent leur performance et leur résilience
: des ressources clés telles que les nutriments et l'eau ne deviennent
disponibles que dans des concentrations éphémères et
imprévisibles, comme certaines herbacées des zones
septentrionales, qui ne sont exploitables que grâce à la
mobilité. Agriculture et élevage ont pu être
intégrés entre des groupes distincts et spécialisés
d'agriculteurs et d'éleveurs à même d'interagir à
l'échelle transrégionale (voire transnationale) grâce
à la mobilité pastorale. Cet ordre supérieur
d'organisation des deux systèmes de
99
production permet de renforcer la productivité, la
durabilité et la résilience des deux côtés : c'est
une conformation de systèmes qui repose sur la mobilité
pastorale. Là où elle est entravée, cette organisation
s'effondre (Krätli et al., 2013).
L'importance de la mobilité pastorale est
également observée à travers les proverbes et dictons que
le Projet PSSP (2009 : 19) a rassemblé : « Nous les Wodaabe,
nous disons que l'élevage ne nous laisse pas de repos, ne nous donne pas
d'apaisement. Un véritable berger ne peut jamais rester tranquillement
au même endroit. Un bon berger cherche ce qui est le meilleur pour ses
bêtes : la seule chose qui nous tracasse, c'est la santé de nos
bêtes, parce que leur santé signifie notre richesse »
(Angelo By Maliki, 1982) ; « L'animal est le meilleur topographe qui
soit. Les géomètres qui ont tracé les routes dans la
région de Zinder sont venus seulement justifier leurs honoraires, ils
n'ont fait que reprendre les routes pastorales qui existaient notamment le
couloir international de passage » (Issa Loutou, Leader Oudah) ;
« La poussière des pieds est meilleure que celle des fesses
» (Proverbe des pasteurs du Niger - Atelier Addis Abéba, 2008)
; « Si tu construis une maison à un éléphanteau,
tu auras à détruire la maison pour le faire sortir »
(El Jangouma).
L'actualité du nomadisme n'est pas donc
dépassée, au contraire. Le nomadisme historique semblait une
adaptation aux situations écologiques marginales, plaçant les
nomades presque en dehors du monde et de son développement. Mais en
observant les pratiques spatiales et sociales de ces nomades en voie de
disparition, nous rencontrons quelques problèmes contemporains comme les
nouvelles mobilités, les identités défaillantes etc. qui
pourraient être avantageusement traités selon ces métriques
trop ignorées du nomadisme (Retaillé, 1989).
III.5. Quels outils pour appréhender les
territoires ?
L'emboîtement des sous-systèmes acteurs et
espaces géographiques rend difficile l'interprétation et la
compréhension des territoires. C'est pour cela qu'il est indispensable
de proposer de manière précise des outils susceptibles d'aborder
la complexité qui sous-tend à la fois les organisations
spatiales, mais également les systèmes d'acteurs qui les font
évoluer. L'approche systémique est ainsi présentée,
comme un paradigme capable de guider l'approche et la compréhension des
systèmes
100
complexes et comme préalable à des
démarches de modélisation plus avancées (Moine, 2005). Ce
dernier, sans proposer de nouveaux outils, essaie de repositionner des
approches reconnues, les unes par rapport aux autres, dans un ensemble
susceptible de permettre une meilleure compréhension des territoires
(figure 9).
Source : Moine (2005)
Figure 9. Outils et méthodes d'analyse et de
compréhension de l'évolution d'un territoire Trois
sous-systèmes, liés entre eux, sont donc à aborder dans le
cadre d'un diagnostic que Moine (2005) qualifie de territorial :
- Le contexte naturel du territoire abordé, il peut
présenter des contraintes et des atouts qui auront une incidence sur
l'organisation de l'espace géographique, mais aussi sur les relations
entre les acteurs. Dans la région du Nord-Cameroun, il s'agit notamment
des contraintes liées à l'insuffisance des précipitations
entraînant la
101
dégradation des parcours, l'assèchement des
mares, l'insuffisance des résidus de récolte ; les atouts peuvent
être l'abondance des fourrages naturels dans certaines zones mieux
arrosées et la disponibilité des eaux dans les cours d'eau...
;
- L'organisation de l'espace géographique, au travers
de la répartition des objets, de l'interaction entre ces objets, des
forces et faiblesses de cette organisation. Ici, on pourra, comme le
suggère (Elissalde, 2002), analyser les discours souvent
contradictoires, tenus à différents moments sur un territoire
quelconque s'inscrivent dans une archéologie du savoir. L'importance du
temps long, de l'histoire en matière de construction symbolique des
territoires, retient l'attention (Di Méo, 1998). Très
représentatif de ce point de vue, Marié (1982) estime que «
l'espace a besoin de l'épaisseur du temps, de
répétitions silencieuses, de maturations lentes, du travail de
l'imaginaire social et de la norme pour exister comme territoire ».
Cela permet bien entendu de faire « l'état des lieux
», mais contribue tout à la fois à faire exister, et
à façonner une certaine image « géographique
» dudit territoire. Il peut également s'agir d'analyser
l'influence du contexte naturel et de l'évaluation de la mise en oeuvre
des politiques actées dans le cadre des différents documents de
programmation, d'orientation et de prescription ;
- L'organisation des acteurs du territoire
étudié ou diagnostic stratégique (CERTU, 2001), la
superposition de mailles de gestion, l'articulation des documents de
programmation, d'orientation et de prescription, et leur mise en place autour
d'acteurs clés, le décideur devant aujourd'hui intégrer la
notion de « maillagement » (Monnoyer-Longe, 1996).
L'objectif serait également de mettre à jour les logiques de
fonctionnement et d'interaction spatiale dans le cadre des arrangements
sociétés/territoire, y compris les relations
sociétés/environnement (Elissalde, 2002).
Cette approche suppose la mise en oeuvre combinée
d'outils permettant de comprendre le fonctionnement d'un territoire et le cas
échéant, de proposer des simulations de son évolution.
Ainsi, la complexité du territoire nécessite un agencement
d'outils capable d'intégrer et d'analyser les différentes
facettes du territoire. Plusieurs pistes s'offrent actuellement aux chercheurs,
qui reposent sur la combinaison d'outils (Systèmes
102
Multi-Agents, Systèmes d'Information
Géographique, Automates Cellulaires, Systèmes de Gestion de Bases
de Données, Systèmes Experts, Réseaux Neuronaux) en amont
desquels l'approche systémique est toujours requise (François,
1997). Trois orientations émergent :
- Les recherches portant sur la mise en place d'outils
d'observation, notamment les travaux du CERSOT portant sur la mise en place
d'observatoires territoriaux fondés sur la liaison entre Système
de Gestion de Base de Données et Système d'Information
Géographique (De Sède et Moine, 2001) ;
- Les recherches portant sur l'évaluation des
territoires notamment les travaux de Christiane Rolland-May, intégrant
les principes de l'approche systémique et de la logique floue
(Roland-May, 1996 et 2000) ;
- Les recherches portant sur la simulation d'évolutions
de territoires, en témoignent notamment les modèles
développés par le RIKS (Maastricht), couplant une base de
données spatialisées (SIG), un modèle global d'interaction
spatiale et un modèle d'automates cellulaires (Engelen et al.,
1997).
Ces trois types d'approches sont en effet
complémentaires si l'on souhaite disposer d'une vision globale du
fonctionnement d'un territoire (Moine, 2005). En effet, pour cet auteur, les
outils d'observation constituent le socle sur lequel on va pouvoir ancrer une
analyse des différents phénomènes en interrelation sur un
territoire donné, en fonction d'un projet porté par des acteurs.
Fondée en amont sur une réflexion très poussée des
besoins d'observation de la part des acteurs qui produisent, agissent et
guident le fonctionnement d'un territoire, cette première étape,
au travers de la pérennisation des informations qu'elle induit, est
incontournable. L'observation est finalisée par des diagnostics qui
peuvent être pluriels, en fonction des différents acteurs ou
groupes d'acteurs porteurs de projet(s). C'est grâce à cet outil
qu'il est ensuite possible d'évaluer un territoire au travers de la
trajectoire qu'il poursuit en introduisant des dispositifs d'analyse capable de
restituer les différents états occupés par le
système étudié. Ils permettent également
l'évaluation des politiques mises en oeuvre par les acteurs locaux, qui
influencent l'évolution des territoires. Enfin, dans un
103
troisième temps, des outils permettent de simuler le
devenir d'un territoire donné sur la base de règles issues des
observations précédentes.
En conclusion, « l'efficacité des
démarches participatives en aménagement, sera conditionnée
par un réel couplage entre décisions et instrumentation,
notamment instrumentation géomatique, l'espace demeurant au centre de
tous les enjeux » (De Sède, 2002), ceci dans la perspective
d'un système territoire qui intègre simultanément trois
dimensions : temporelle, spatiale, et organisationnelle, qui chacune se
divisent de la manière suivante (Roland-May, 2000) :
- Le temps est composé d'un avant, d'un après et
d'une durée : i) la prise en compte des évènements
passés explique l'état actuel du système et sa dynamique.
Ce passé constitue en quelque sorte le réservoir d'information
par rapport auquel les acteurs vont se référer afin de mener
à bien leurs politiques ; ii) la prise en compte de l'avenir en
projetant ce que les acteurs souhaitent que le territoire devienne, sur la base
de scénarios prospectifs guide les décisions. Cette
démarche est productrice de nouvelles informations ; iii) la prise en
compte de la durée des évènements est importante
puisqu'elle permet finalement d'en nuancer les influences ;
- L'espace est composé d'échelles
emboîtées qui peuvent se retrouver au sein : i) Du local et de
l'ensemble des superpositions spatiales et des acteurs qui s'y
matérialisent. Loin d'être isolés, ces différents
niveaux et acteurs sont très étroitement imbriqués et
liés, ils contribuent à définir les projets et donc
à peser sur le devenir du territoire ; ii) Du global, ou environnement
du système, qui symbolise les influences externes qui peuvent agir sur
la trajectoire du système. Celui-ci ne peut ignorer en effet un certain
nombre d'informations qui, aujourd'hui bien que dépendantes d'un
contexte global, affectent indubitablement le devenir du système local
;
- La dimension organisationnelle est composée de trois
sphères : i) celle des individus, « unité
spécifique au sein des sociétés (...) on ne peut imaginer
de société qui ait été totalement dépourvue
d'autonomie individuelle car c'est grâce à cette autonomie que la
répartition complexe de fonctions que suppose une
société,
104
peut exister » (Lévy, 1994) ; ii) Celle
de la politique ; iii) Celle des relations économiques, culturelles et
sociales.
L'enjeu est de comprendre comment se structurent les
territoires, selon l'acception globale que nous avons proposée ; comment
ils fonctionnent, comment ils évoluent. Nous sommes aujourd'hui
confrontés à des réalités quelquefois difficiles
à mettre en adéquation, avec d'un côté une
complexification croissante des contextes au sein desquels nous
évoluons, de l'autre une exigence de résultat fondée sur
les notions de cohérence et de développement durable qui forcent
à adopter une approche globale capable de saisir et de rendre compte de
cette complexité. En proposant une approche plus globale de la notion de
territoire, nous pensons que sa compréhension en sera
améliorée. Mais il faut faire attention à ne pas tenter de
réduire la complexité à tout prix, il faut lui laisser sa
liberté, c'est-à-dire la représenter en limitant les
mutilations.
III.6. La nécessité de diagnostiquer le
territoire
Le diagnostic géographique du territoire vise à
éclairer, à partir des signes visibles dans le paysage, la
situation, le fonctionnement et la dynamique de l'activité agricole et
à distinguer les enjeux relatifs à son évolution et aux
interactions avec les activités non agricoles présentes dans le
territoire (Lardon et al., 2007). Le diagnostic du territoire selon
Benoît (1977) est une action visant à analyser, à partir de
signes, une situation écologique et sociale ainsi qu'une dynamique dans
un territoire. Cela suppose de considérer l'organisation du territoire
comme la résultante des actions qui l'ont façonné et qui
le façonnent aujourd'hui, mais aussi comme issu de la coordination des
activités sur ce territoire. L'attention portée aux signes
susceptibles d'être porteurs d'avenir permet de formuler des
hypothèses d'évolution du territoire. En premier lieu, le
diagnostic de territoire doit permettre de formuler un jugement qui
présente deux aspects. Il porte sur la cohérence du territoire :
qu'est-ce qui fait l'unité ou le sens de l'espace étudié ?
L'espace est-il correctement délimité ? Il s'agit donc de
s'assurer que le territoire étudié constitue effectivement un
« système ». Il porte également sur la «
viabilité » du territoire. Le territoire est-il un
territoire de « projet » ? Est-il doté en porteurs de
projet ? Il s'agit donc de s'assurer, qu'au-delà de sa
spécificité, le territoire est un enjeu pour ses acteurs. En
second lieu, le diagnostic de territoire doit permettre
105
d'accompagner un changement. On attend de lui qu'il fournisse
l'opportunité d'une concertation, voire d'une mobilisation des acteurs.
Le diagnostic de territoire peut être dans certains cas un
révélateur, pour une prise de conscience et une reprise en main
du devenir et de la vie du territoire. Mais on peut également l'utiliser
pour préfigurer un observatoire du territoire. Il est en effet important
que le diagnostic de territoire soit une image de référence,
à laquelle on puisse se rapporter ultérieurement pour mesurer les
changements et évaluer la portée des politiques et des mesures
prises.
L'analyse géographique consiste à repérer
les grandes unités socio-foncières et les différents
pouvoirs qui s'exercent sur l'espace et les ressources, à les localiser,
à situer leur zone d'influence, à caractériser leurs
prérogatives actuelles. On se situe là à l'échelle
de la petite région. En effet, l'histoire du peuplement
(l'arrivée successive des différents groupes sociaux, leur
origine, leur mode d'installation) en rapport avec l'histoire politique
régionale permet d'identifier les groupes ou familles qui
détiennent (ou détenaient historiquement) un contrôle sur
certaines portions d'espace, et les rapports entre ces groupes. Les
maîtrises territoriales concernent fréquemment des
microrégions correspondant à des unités politiques
historiques : le « village » n'est pas toujours une
unité foncière pertinente. Le diagnostic nécessite de :
- Localiser sur une carte, au moins grossièrement, les
lieux de pouvoir foncier ;
- Localiser si possible, au moins grossièrement, les
espaces que ces pouvoirs contrôlent ou certaines de leurs limites
(parfois contestées) ;
- Identifier les interdépendances entre lieux
d'habitation (hameaux ou villages), qui n'ont pas tous nécessairement le
même degré d'autonomie sur le plan foncier.
Représenter schématiquement ces «
trames territoriales » permet alors de visualiser le statut
foncier des différents lieux d'habitation, leurs
interdépendances, les autorités ou les lieux dont ils
relèvent et d'identifier les différents pouvoirs
(éventuellement en concurrence ou contestés) qui s'exercent sur
une portion d'espace donnée.
Cependant, le contrôle de l'espace ne prend pas toujours
une forme « géométrique », marquée par
des limites claires et jointives. Souvent, le contrôle de l'espace est de
type « topocentrique » : il s'exerce à partir d'un
lieu (le lieu de fondation, par exemple), la capacité de contrôle
se distendant avec l'éloignement du centre de pouvoir. On a ainsi
106
des limites floues avec un « no man's land
», éventuellement contesté, entre deux unités
territoriales.
Il faut enfin faire attention au pouvoir de la carte : il est
important de noter le caractère imprécis ou contesté de
certaines informations et de résister à la tentation de
délimiter des unités aux limites clairement définies si ce
n'est pas le cas.
Par ailleurs, Benoît (1977) suggère qu'il faut
également prendre en compte l'impact de l'intervention publique sur la
délimitation du territoire. En effet, l'action de l'Etat superpose
à l'organisation spatiale précédemment décrite, un
autre découpage (limites de localités, d'arrondissement) qui
marque la zone d'influence des représentants locaux de l'État :
quelles que soient leurs prérogatives officielles en matière
foncière, ils interviennent dans la politique locale et dans l'arbitrage
des conflits fonciers. Une disjonction entre statut foncier et statut
administratif d'un village, entre trames territoriales et trames
administratives peut être source de problèmes.
Ainsi, le territoire des géographes tente de
repérer les dimensions conjuguées des différents espaces
(Guetat-Bernard, 1999) :
- L'espace social qui reflète « l'ensemble des
interrelations sociales spatialisées » (Frémont, 1984)
: les rapports sociaux inscrits dans des lieux, les conflits et les enjeux
entre les groupes sociaux, et inévitablement les règles de
régulation (ces normes sont d'autant mieux acceptées qu'elles
apparaissent légitimes) qui confortent et structurent ;
- L'espace perçu ou représenté, «
chargé de valeurs, marqué par les codes culturels et les
idéologies » (Gilbert, 1986) propres à chaque
société à chacun des moments de son histoire ;
- L'espace de vie (l'espace réellement parcouru :
espace d'usage, des expériences concrètes des lieux) et l'espace
vécu (qui intègre autant l'espace des pratiques que l'espace
imaginaire connu et/ou reconnu) : « l'espace concret des habitudes est
reconstruit et dépassé au gré des images, des
idées, des souvenirs et des rêves, des normes aussi qui habitent
chacun » individuellement et collectivement (Di Méo, 1998)
;
107
- L'espace produit qui résulte de l'action
concrète des hommes et qui cristallise une mémoire collective.
Le concept du territoire tente donc de retrouver le sens des
liens entre les mondes de l'objet et du sujet : Habermas (1985) parle ainsi
d'une totalité socio-spatiale construite sur l'imbrication du monde
objectif, du monde social et du monde subjectif.
Il importe alors de comprendre comment s'opère
l'identification entre les dimensions collective et individuelle dans la mesure
où le territoire en tant que construit social révèle une
dimension collective alors que l'espace vécu et perçu
dénote une dimension essentiellement individuelle.
Afin d'aboutir à une analyse du territoire la plus
complète possible, nous retenons le principe de considérer qu'un
territoire comprend de façon pertinente et générique cinq
sous-systèmes territoriaux (Merenne, 2002) :
- Le premier sous-système est la résidence comme
manière particulière d'exploiter l'espace et d'en produire de
nouveaux. Les territoires de fixation constituent bien les lieux de
résidence des éleveurs dans la mesure où chacun y dispose
d'un habitat (case, concession...) permanent où demeure à
l'année une partie de la famille ; Le terme « territoire
» tel que nous l'employons dans cet essai correspond au terme peul
wuro qui désigne tout espace approprié par un groupe
avec un habitat groupé (saare) entouré d'une
auréole de champs cultivés (Picard, 1999) et des espaces de
pâturage. Riesman (1974) précise que le mot wuro
désigne toute unité sociogéographique que
possède un homme reconnu comme chef de cette unité, et dont les
membres sont liés par des liens de parenté ou de voisinage
suivis. Dans un sens plus large, il désigne tout groupement qui se pense
comme une communauté ;
- Le second sous-système, qui permet de disposer d'un
espace, est l'appropriation d'un espace. Il n'implique pas
nécessairement la propriété mais plutôt
l'attribution, le droit d'usage ou usufruit. Les territoires villageois (ou
territoire de sédentarisation) sur lesquels porte le présent
travail ont été attribués aux communautés
d'éleveurs mbororo. Ces derniers exercent bien une certaine
autorité sur ces territoires. Même si la terre appartient
traditionnellement à la chefferie
108
Peule, le sentiment d'être chez soi et d'appartenir
à une communauté villageoise mbororo avec son territoire
délimité est relativement fort ;
- Le troisième sous-système est l'exploitation
de cet espace : très lié à l'appropriation «
[...] mais encore aux hommes eux-mêmes qui exploitent ce sol,
à leurs instruments et techniques, à leurs moyens financiers et
à leurs systèmes sociaux et culturels », il concerne
les ressources du sol. Même si les droits d'usage sur une bonne partie du
territoire borné restent flous, une partie de ces territoires est
effectivement exploitée par les éleveurs dans le cadre de leurs
activités agricoles et pastorales ;
- Le quatrième sous-système concerne la
communication et les échanges. Cela résulte « de la
spécialisation des lieux qui crée un potentiel d'échange
et de la nécessité de gestion ». Ainsi, dans les
différents territoires de mobilité, les acteurs entretiennent,
au-delà des concurrences et des conflits, de nombreuses et diverses
relations d'échanges, de communications et de
complémentarités ;
- Enfin, le cinquième sous-système correspond
à la gestion, c'est à dire l'action qui coordonne toutes les
autres : « la gestion permet le fonctionnement de l'espace en assurant
l'intégration des hommes et des fonctions, en résolvant les
conflits, en développant les projets ». Ainsi, à des
degrés différents, tous les acteurs et instances locaux sont
impliqués d'une manière ou d'une autre dans la gestion des
différents territoires de mobilité pastorale.
Après avoir clarifié les contours du territoire
de manière générale, nous allons tenter de
présenter, définir et caractériser le territoire de
mobilité pastorale.
III.7. Le territoire de mobilité pastorale :
définition et caractérisation
Les études précises de l'espace vécu sont
rares chez les pasteurs sahéliens. Toute recherche
spécialisée sur ce thème semble particulièrement
difficile dans ce milieu, et l'application stricte d'un questionnaire
inadéquate (Gallais, 1976). Cependant, un certain nombre de travaux ont
permis à Alain Beauvilain (1976) travaillant sur les Peul du Dallol
Bosso au Niger, à Hervouet (1975) pour les éleveurs du Sud
mauritanien, à Jérôme Marie (1974) pour les
Foulankriabé du Gourma malien et Gallais (1976),
109
Bernus (1982), Retaillé (1989), Boutrais (1984) de
discuter du sens que les éleveurs donnent au milieu dans lequel ils
vivent.
Les travaux de Bernus (1982) au Niger montrent que le
territoire de mobilité est complexe car il est difficile de trouver un
espace clos, exploité par un groupe humain cohérent. Les
tentatives d'isoler un territoire nomade se heurte à quelques
difficultés. Il existe souvent des régions exploitées en
commun au cours de saisons particulières, mais au-delà de ces
exploitations communes traditionnelles, le forage des points d'eau par les
services publics ou les ONG a ouvert à tous les nomades des ouvrages
publics. Cette désorganisation de l'espace pastoral rend difficile la
délimitation d'un territoire approprié par un groupe qui y trouve
ses moyens d'existence. Le même constat est fait par Retaillé
(1989 : 2) pour qui « la réduction disciplinaire de la
géographie à l'opération de découpage et de
nomenclature, conduit à distinguer aussi l'espace du nomade comme une
surface spécifique, isolable, refermée sur des caractères
propres et explicatifs comme l'aridité. Il se construit, alors, une
définition forcée qui peut convenir au tableau
géographique des genres de vie bien délimités mais qui
néglige la très forte originalité conceptuelle du
nomadisme ». Pour lui, On ne peut le réduire à un
sous-développement ou un à avortement du processus d'organisation
de l'espace, en prenant l'espace sédentaire comme modèle ; on ne
peut même pas vraiment aborder l'espace nomade en opposition à
l'espace sédentaire.
Cette difficulté d'insérer le vécu dans
un schéma s'exprime en termes de contrôle de l'espace par la
faiblesse générale, voire l'absence de toute notion de
territorialité, mises à part quelques organisations, comme par
exemple celle des Peul du Delta intérieur (Gallais, 1967), très
structurée et militaire, le contrôle des lahore, sources
salées, dans les chefferies peul de l'Adamaoua (Boutrais, 1974),
l'appropriation coutumière de chaque vallée du Tibesti par un
clan Toubbou (Capot-Rey, 1967), les droits exercés par les fractions
militaires des Touareg Kel Ahaggar sur les vallées du Hoggar (Rognon,
1963), l'exemple des Masaï du Kenya (Jacobs, 1965) qui possèdent
une division territoriale stratifiée en accord avec leurs niveaux de
regroupement socio-politique. Le contrôle territorial est resserré
ponctuellement sur le puits ou les puisards, voire sur quelques pâturages
de décrue; et même ici il admet en général une
utilisation
110
franche par d'autres usagers. Cette
légèreté des institutions spatiales contribue au
caractère contingent et flexible de l'espace vécu des
éleveurs. Si la notion de territoire se réfère à
une portion d'espace approprié par un groupe humain dont les limites
sont déterminées par une pratique politique, économique,
socio-culturelle, voire même affective, elle suppose a priori la
stabilité, c'est-à-dire la permanence d'une population sur la
terre qu'elle contrôle, préserve et à laquelle elle
s'identifie. Or, les éleveurs, de par leur mobilité
géographique sont-ils des « peuples sans territoire »
s'interroge Cortès (1995).
III.7.1. Le territoire, espace dont un groupe tire ses
moyens d'existence
Le territoire pastoral est considéré par Bernus
(1982) comme une « aire de nomadisation ». Une telle
définition selon l'auteur, n'empêche pas que d'un groupe à
l'autre, la notion de territoire varie. Elle semble plus floue chez les
certains éleveurs comme les peuls Wodaabe qui ne possèdent pas
d'espace collectif continu, mais des enclaves dispersées. Ils peuvent
ainsi abandonner leurs parcours en cas de difficultés (administratives,
climatiques..), quitte à revenir après la crise. Les Touaregs
semblent plus accrochés à leur territoire pour des raisons qui se
conjuguent : ils ont tissé des liens plus anciens avec leur
région, ils sont imbriqués dans une société plus
hiérarchisée, faisant partie d'un ensemble plus solidaire. Ils ne
quittent leurs parcours habituels que poussés par la
nécessité.
Notre expérience et nos observations dans le Nord du
Cameroun nous amène à considérer que le territoire de
mobilité pastorale un espace utilisé par les éleveurs pour
satisfaire les besoin alimentaires des animaux. C'est un espace
économique, mais aussi un espace écologique et un espace
vécu. Cela montre que le territoire de mobilité pastorale doit
aujourd'hui être abordé de manière globale, tant la
recherche permanente de consensus est nécessaire à toutes les
étapes de sa délimitation, de son accès, de sa gestion, de
son aménagement et de son utilisation. Ainsi, les outils mis en oeuvre
à l'heure actuelle pour l'appréhender doivent intégrer sa
diversification et sa complexification en coordonnant notamment les dimensions
sociales, politiques, économiques et environnementales, en
considérant tous les usages, sur la base d'une participation de plus en
plus active de tous les acteurs concernés de près ou de loin.
111
C'est pour cela qu'il faut prendre en compte les visions, les
imaginaires, les perceptions de tous ces acteurs.
Au-delà du territoire où un groupe satisfait ses
principaux besoins matériels, on pourrait parler du territoire
symbolique, qui unit une communauté dont chaque élément
possède la clef. C'est en somme un territoire géo-culturel
(Bonnemaison : 1982) dont tous les hommes se font une même
représentation. C'est l'espace auquel le voyageur aspire, cela peut
devenir le territoire rêvé qu'on a perdu ; c'est en somme le lieu
où s'incarne la conception collective d'un groupe vis-à-vis du
temps et de l'espace. Cette notion, ainsi définie peut se
matérialiser à différentes échelles (Bernus,
1974).
Cependant, la notion de territoire varie d'une
société à l'autre et même au sein d'une même
société. Chez les Touaregs, Bernus (1974) a montré que les
Imghad (vassaux, tributaires) dressent la carte de leur territoire en dessinant
les vallées et portent les puits où vivent et abreuvent leurs
principaux campements en saison sèche. Le territoire
représenté correspond à leur espace exploité. La
même question posée aux Imajeghen, ancien détenteurs du
pouvoir, reçoit une réponse différente. Ils incorporent
dans leur territoire, l'ensemble des parcours de toutes les tribus dont ils ont
le commandement traditionnel. Cela étend le territoire très loin
autour du campement de l'amanokal, lieu géométrique de
l'ensemble, lui fait de petits mouvements autour de chin Tabaraden. Il
y a ici correspondance entre territoire traditionnel et administratif. Pour les
imajeghen, tous leurs dépendants exploitent un espace collectif dont ils
Sont les seuls répondants. Le même terme, akal,
désigne le territoire des Imajeghen et celui des Imghad. Le premier est
un territoire politique revendiqué, et d'autant plus affirmé
aujourd'hui qu'il représente les pouvoirs d'une chefferie
déclinante. Le second représente un espace exploité
réellement, et manifeste l'indépendance économique d'un
groupe sur ses parcours. Le territoire de la tribu peut aussi se définir
selon la connaissance précise qu'en ont ses utilisateurs. Une
enquête menée par Bernus (1974) a montré que ce savoir,
infiniment précis sur l'espace exploité, est plus flou
au-delà : chaque puits, chaque vallon, chaque site préhistorique,
était connu, situé et décrit avec rigueur dans les
parcours habituels ; au-delà de certaines limites les réponses
étaient plus vagues, et la carte moins remplie. La toponymie
évoquait les événements les plus intimes du
112
groupe dans le territoire qu'il occupe et parcourt chaque
année ; au-delà, la toponymie connue ne désignait plus que
les puits et les sites majeurs.
Le territoire vécu, chez certaines populations
insulaires du Pacifique, correspond à deux besoins essentiels,
l'identité et la sécurité (Bonnemaison 1980). Cet espace
où les habitants sont enracinés, avec une adéquation quasi
parfaite entre les hommes et leur territoire, ne correspond pas à la
vision des nomades. Leur territoire, s'il s'incarne dans une région
donnée, est cependant plus mobile. La précarité des
ressources, la variabilité des pluies, la fréquence des crises,
provoquent des glissements et des déplacements. Le territoire peut se
recréer, sur un autre espace, avec de nouvelles références
et de nouvelles valeurs.
Le territoire est pour le nomade un espace maitrisé,
dont il connait toutes les ressources ; il est jalonné de repères
précis, sites préhistoriques, tombes anciennes, lieux de
batailles célèbres, puits et mares. Ce territoire où il
déplace sa tente et son campement incarne un univers mobile et libre. Le
territoire n'est jamais figé et peut à tout moment être
déplacé et reconstruit : il représente la
possibilité d'une liberté de réajustements toujours
possibles sous la pression d'événements inconnus (Bonnemaison,
1981).
Le territoire est considéré par les Touaregs
comme le résultat d'un travail qui seul permet de rendre viable la
nature à l'état brut (Claudot-Hawad, 1986 et 2008). La terre en
effet ne protège que si elle est parcourue, domestiquée,
modelée par les itinéraires nomades qui régulent les
relations entre les êtres humains et le désert ou, dit autrement,
entre la culture et la nature. Cette image renvoie à l'usage
économique raisonné du sol, géré et ordonné
de manière à rendre optimales l'exploitation et la reproduction
des ressources. Elle correspond également à des usages sociaux et
symboliques du territoire auquel s'identifient les individus et les groupes.
Concrètement, toute unité sociale, de la plus petite (le
campement) à la plus grande (la société tout
entière), est associée à un territoire-parcours extensible
selon les saisons, croisant d'autres parcours qui dessinent les trames
complexes du vaste maillage territorial et politique touareg. Chaque groupe
exerce des droits d'usage prioritaires bien que non exclusifs sur son parcours.
Ces prérogatives se déterminent donc par
rapport aux mouvements dans l'espace définis par des
étapes coutumières, liés à des droits territoriaux
définis, mais aux contours flexibles et négociables suivant les
conditions climatiques ou politiques (Claudot-Hawad, 2012).
La figure 10 présente la définition, les
caractéristiques et les enjeux de pouvoir et les réalités
autour des territoires de mobilité.
TERRITOIRES DE MOBILITE PASTORALE
Définition et
présentation
- Espace approprié ou non, utilisé par les
éleveurs pour la satisfaction des besoins de leurs animaux
- Espace économique, écologique, vécu
- Espace à appréhender de manière globale
(consensus permanent pour sa délimitation, son accès, sa gestion,
son aménagement et son utilisation)
- Coordination des dimensions sociales,
politiques, économiques et environnementales
- Considération de tous les usages et de la
participation de tous les acteurs (intérêts, visions,
perception)
|
Champ d'application du pouvoir traditionnel
- Domination du rôle du chef traditionnel pour le
contrôle, la gestion, l'exercice d'une autorité, une
compétence
- Zone d'influence des lamidats qui en connaissent
l'étendue, les limites, les utilisateurs
- Défense de la zone d'influence et d'autorité
au-delà des limites administratives et communales - Opposition du
territoire de l'Etat à la pratique féodale d'un pouvoir
hiérarchisé
- Influence des chefs traditionnels sur les choix des
politiques de gestion et d'organisation
- Perception des redevances à chaque installation,
passage
Caractéristiques
- Espace avec des ressources (terres, fourrages, eau...)
- Une localisation (local, proche, lointain) - Une dimension
(restreint, large)
- Une forme (étalée, compacte,
éclatée)
- Des propriétés (fourni, dégradé,
appété, non appété)
- Des aptitudes (disponible, libre d'accès, conflits
limités)
- Des contraintes (menacé, inaccessible, insuffisant,
conflictogène)
Une réalité sociale et
culturelle
- Mobilisation des moyens pour le contrôle des territoires
de mobilité (taxes traditionnelles, dons, consensus, réseaux
d'influence...)
- Sentiment d'appartenance et une appropriation
nécessaires à l'épanouissement des fonctions sociales
(rencontres, fêtes, mariages, baptêmes, palabres, renseignements,
nouvelles...)
- Relations avec d'autres communautés et rupture de
l'isolement social (alliances, contrats, échanges,
complémentarités)
- Construction d'une démarche identitaire et
communautariste par la fréquentation des mêmes territoires
- Des relations particulières nouées avec les lieux
de passage, de repos, d'escale, d'abreuvement, d'émondage des arbres
- Une connivence identitaire avec le territoire
fréquenté et les acteurs rencontrés
- Une construction sociale observée à travers les
initiatives de régulation à l'amiable des conflits
|
113
Figure 10. Définition,
caractéristiques, enjeux et réalités autour des
territoires de mobilité Le territoire de mobilité
est une notion concrète qui renvoie à un espace de terre avec des
ressources (terres, fourrages, eau). Le territoire de mobilité a une
localisation (local, proche, lointain), une dimension (restreint, grand), une
forme (étalé, compact, éclaté), des
caractéristiques physiques (fourni, dégradé), des
propriétés (appété, non appété), des
contraintes (menacé, inaccessible, insuffisant, conflictogène) et
des aptitudes (disponible, libre d'accès).
Le territoire de mobilité pastorale peut être
considéré comme la portion de la surface terrestre,
appropriée ou non par les éleveurs pour assurer la reproduction
et la satisfaction des besoins vitaux de leurs animaux (nutrition, abreuvement,
mouvement).
114
Ici l'attention doit être plus accordée à
la manière dont les éleveurs vivent le milieu où ils se
déplacent avec leurs animaux, la façon dont ils se l'approprie au
cours des différentes saisons, le sentiment qu'ils ont ou non de
l'utiliser et de le consommer à leur convenance, de se sentir parmi les
leurs dans leur mouvement, de s'intégrer et de se battre pour se
maintenir sur ce territoire. Les ressources en jeu sont essentiellement les
pâturages, les points d'eau naturels ou aménagés (sources,
mares, puisards, guelta, puits), le gibier, les produits de cueillette
et le bois (Claudot-Hawad, 2012). L'espace nomade est tendu, comme le
précise Retaillé (1989), entre des lieux éloignés
séparés par de vastes vides ; chaque lieu appartient à un
temps organisé, le territoire trouvant son lien dans le calendrier et
non dans la frontière ; en chaque lieu la diversité humaine,
sociale, économique se trouve concentrée, reproduisant presque la
totalité de l'environnement. Dans le lieu, enfin, ne varie que l'ordre
des composants, mais ils sont tous là, contrairement au lieu d'un espace
sédentaire rural qui est marqué par l'exclusivité.
L'espace nomade ressemble, de ce point de vue, à l'espace urbain.
Le territoire de mobilité est plus un espace
socialement construit qu'une terre appropriée par les acteurs majeurs
qui sont ceux qui l'exploitent directement (éleveurs,
agro-éleveurs notamment). Même si ce territoire est une
entité juridique et administrative reconnue, sa gestion échappe
au contrôle de l'entité officielle parce que le pouvoir
traditionnel dans le Nord-Cameroun y trouve un champ d'application de son
pouvoir.
III.7.2. Le territoire de mobilité pastorale,
un champ d'application du
pouvoir traditionnel
Le territoire de mobilité pastorale est dominé
par le rôle des chefferies traditionnelles qui contrôlent,
gèrent et exercent une autorité, une compétence. Ainsi,
les zones de pâturage rentrent dans les zones d'influence des lamidats
qui en connaissent l'étendu, les limites, les utilisateurs. Chaque
lamidat défend étroitement sa zone d'influence et essai de
maintenir son autorité sur ces espaces au-delà des limites
administratives et communales. Les lamibe font prévaloir
l'absolu du pouvoir, sans concurrence et exerce un monopole total sur les
espaces de pâturage : Ils sont alors souverain. L'idée de
territoire de mobilité pastorale se trouve ainsi liée à
celle de contrôle, et le justifie. Au
115
territoire de l'État tel qu'il résulte de la
théorie politique moderne s'oppose dans ce cas ceux qui
reflétaient d'autres structures du pouvoir : la pratique féodale
d'un pouvoir hiérarchisé et dont chaque échelon ne dispose
que d'attributs limités aboutit à une structuration d'espaces qui
s'emboîtent ou qui se chevauchent comme le note Gottmann (1973). Les
territoires de mobilités pastorales discontinus conquis lors des djihads
au début du XIXème siècle sont ainsi
contrôlés de manière féodale par les lamidats.
En tant que dépositaires et gestionnaires du foncier
rural, les autorités traditionnelles influencent les choix des
politiques de gestion et d'organisation des parcours (zones de pâturages,
pistes à bétail) délimités ou non. C'est pour cette
raison qu'il existe une ambigüité dans le comportement des
autorités traditionnelles. Malgré leur accord de principe pour le
bornage des zones de pâturage, les agriculteurs qui cultivent dans
l'espace délimité affirment que ce sont les lamibe qui
leur donnent l'autorisation de continuer à y cultiver. Ce qui remet en
cause évidemment les clauses de la convention signée et place les
éleveurs dans une position de faiblesse. Cette situation est entretenue
expressément par les autorités traditionnelles pour continuer
à bénéficier des « taxes d'arbitrage » que leur
versent les éleveurs chaque année afin de maintenir la zone non
cultivée. Dans un tel contexte, le rôle de l'État devient
alors indispensable afin d'imposer le respect des droits de
propriété ou d'usufruit permanent.
Au Nord-Cameroun, il existe dans les faits une
prééminence du droit traditionnel sur la législation
foncière de l'État. C'est pour cela que les territoires de
mobilités pastorales où les éleveurs vont en transhumance
sont coutumièrement gérés par les chefferies et les
sarkin saanou y sont omniprésents. Ce sont ces derniers qui
accueillent les éleveurs et connaissent leur emplacement au cours de la
saison. Les éleveurs leur remettent pour le laamii'do une
redevance à chaque installation. Selon l'ancienneté des
éleveurs dans les zones de transhumance, les redevances diminuent
jusqu'à devenir symboliques dans bien des cas. Lorsqu'ils ne font que
passer sur le territoire, les éleveurs ne paient rien pour le
pâturage. Et ce, d'autant plus que les éleveurs empruntent de plus
en plus les routes nationales pour atteindre les zones de transhumance. Par
contre, pour l'installation sur le site de transhumance ils s'acquittent d'une
redevance auprès des autorités du lieu, le plus souvent
négociée,
116
même s'il existe un taux officiel35. Les
éleveurs négocient des taux forfaitaires à 20 000 Fcfa par
troupeau. Soit une somme moindre que le taux officiel lorsque le troupeau
atteint 30 bovins.
III.7.3. Le territoire de mobilités pastorales
comme une réalité sociale et
culturelle
Les éleveurs tentent de mettre des moyens en place pour
contrôler les territoires de mobilité pour les animaux (taxes
traditionnelles, dons, consensus, influences). C'est comme si parlant de
mobilité pastorale, on parle des nomades, des Mbororo, des marcheurs
permanents. Les éleveurs ont le sentiment d'appartenance à ces
espaces de mobilité pastorale qui est une construction mentale, une
nécessité biologique pour eux-mêmes et pour leurs animaux.
L'appropriation d'une certaine étendue de territoire de mobilité
est ainsi nécessaire à l'épanouissement de certaines
fonctions sociales ; chaque lieu, selon les saisons, constitue une occasion de
socialisation, de rencontre et d'expression d'un évènement
précis (fêtes, mariages, baptême, soir au village...) et de
relations précises avec d'autres communautés voisines. Ce sera
l'occasion de demander les nouvelles de chacun, de se renseigner. À
travers la mobilité le groupe social n'est pas isolé. Il
entretient des échanges avec l'extérieure, avec les autres
à travers des alliances, des contrats, des échanges, des
complémentarités. Comme le relève Retaillé (1989),
l'affectation des individus à un territoire administratif
d'enregistrement ou à une identité ethnique transcendante n'a pas
beaucoup de sens en dehors de ces liens sociaux qui permettent la survie. Or,
ces liens ne sont pas territorialisés à l'intérieur d'une
surface délimitée portant à la fois une identité,
des richesses, des populations, des genres de vie. Rien n'est ainsi
découpé, tout est plus flou. Le lieu n'assigne pas une
identité qui réside dans autre chose, la tribu par exemple chez
les "nomades" ou la chefferie chez les "sédentaires". Mais alors
nomadisme ou sédentarité n'ont pas de sens puisque les pratiques
spatiales sont croisées et ne renvoient pas à une appartenance
spécifique.
35 200 à 500 Fcfa par tête de
bétail pour la taxe d'inspection sanitaire vétérinaire et
500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe de transhumance.
117
Les éleveurs construisent leur démarche
identitaire et communautariste par la fréquentation des mêmes
territoires de mobilité. Ils assimilent leur appartenance à une
même communauté suivant les mêmes itinéraires et en
construisant une relation durable avec le territoire fréquenté.
Des relations particulières sont ainsi nouées avec les lieux de
passage, de repos, d'escale, d'abreuvement et même avec les arbres qu'ils
émondent au passage. Il existe une sorte de connivence identitaire avec
le territoire fréquenté et les autres acteurs rencontré
sur ce territoire, le long de ce parcours. Le territoire nomade comprend un
grand nombre de marqueurs, historiques (tifinagh, ruines
médiévales...), géographiques, mémoriels,
sacrés (tombes des martyrs et des saints, lieux de culte). Dans les
cartes établies par les nomades, le territoire s'organise autour des
points d'eau et des sentiers qui les relient (Bernus 1982 et 1988).
Le construit social à travers le territoire de
mobilité s'observe également par les initiatives de
régulation à l'amiable des conflits entre les éleveurs et
les agriculteurs. Les relations de confiance, de tolérance prennent
ainsi le pas sur les tensions perpétuelles.
Conclusion
Le concept de territoire, malgré sa récente
apparition dans la littérature géographique est beaucoup
évolué. S'il évoque une idée de domination, de
gestion, d'appropriation d'une portion du substrat terrestre, il n'est plus du
seul ressort du pouvoir public. Dans le Nord du Cameroun, les autorités
traditionnelles locales exercent une appropriation et une gestion privative du
territoire rural (domaine public) au détriment des acteurs de son
exploitation pour assurer leurs besoins vitaux (agriculteurs et éleveurs
notamment).
La composante sociale du territoire est donc
étroitement liée aux rapports que les exploitants ont avec le
pouvoir coutumier local. C'est ce dernier qui contrôle et gère
l'accès au territoire rural ; c'est également lui qui tire des
revenu pour l'accès et l'exploitation de ce territoire. Bien que
vécu de manière permanente ou partielle par les exploitants, il
demeure une précarité pour son appropriation et son exploitation
durable. C'est pour cela que de nombreux acteurs se sont
intéressé à ce concept pour
118
fournir des solutions de développement
socioéconomique, mais aussi pour un aménagement cohérent,
équitable et viable des lieux avec plus ou moins de succès.
Le territoire a également un intérêt pour
l'élevage en tant que support et source de sa survie surtout en ce qui
concerne l'élevage extensif qui utilise une gamme de ressources
naturelles spatialisées. Au Nord-Cameroun, cet élevage est ici
une activité en compétition avec d'autres activités pour
l'utilisation de l'espace (agriculture et biodiversité notamment) ;
raison pour laquelle les relations entre ces acticités et
l'élevage sont à la fois complémentaires et
conflictuelles.
119
Chapitre IV. Les territoires de mobilité
pastorale au Nord-Cameroun : typologie, acteurs et fonctionnement
Les éleveurs utilisent de manière permanente
l'espace de pâturage délimité proche de leur village. Cet
espace s'intègre dans ce que l'on a qualifié de « territoire
d'attache » et dans les territoires complémentaires des villages
environnants où les animaux pâturent les résidus de
récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que
dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes
principalement). Ces espaces sont insuffisants par rapport au nombre d'animaux
détenus par les deux communautés d'éleveurs mbororo. C'est
pour cela que dans les deux territoires étudiés, tous les
éleveurs pratiquent la transhumance. Pour les grandes familles avec
beaucoup de têtes de bétail, le cheptel est scindé en deux
ou trois troupeaux ou lots. Le lot le moins important constitué des
vaches laitières et des boeufs de trait est gardé à
proximité des territoires de fixation (ou d'attache) pour contribuer
à l'approvisionnement en lait des membres de la famille et labourer les
parcelles. Le plus gros du bétail s'en va transhumer sous la garde de
jeunes fils ou de bergers salariés. Les ovins accompagnent les bovins en
transhumance tandis que les caprins restent dans le territoire attaché
au piquet ou sous la garde des enfants en bas âge.
Les éleveurs utilisent au cours de l'année une
diversité de territoires proches et éloignés de leur lieu
de fixation. Cet ensemble de territoires correspond à ce que l'on a
qualifié de territoire de mobilité d'un éleveur ou d'une
communauté d'éleveurs. Quels sont ces territoires ? Par qui et
comment sont-ils gérés ? Quelles sont les modalités
d'accès et d'exploitation de ces territoires ? Avec l'obstruction des
pistes de transhumance, comment les éleveurs font-ils pour y
accéder ? Les pratiques de transhumances ont-elles
évoluées avec la fixation de l'habitat ? Telles sont les
préoccupations sur lesquelles se fonde cette analyse.
IV.1. La zone de sédentarisation de la famille : le
territoire d'attache
Les éleveurs ont fixé leurs familles et une
partie de leur bétail sur des territoires qui leur ont été
affectés sur d'anciennes zones de transhumance. Après
l'appropriation de
ces territoires, les premiers venus (bibbe wuro) ont
accueilli de nouveaux habitants (jananbe). Ces derniers s'adressent au
jawro du nouveau village mbororo avec une somme de 30 000 Fcfa. Ce
dernier retient 10 000 Fcfa comme frais d'accueil et transmet le reste de la
somme avec la demande d'installation au ar'do qui vient
personnellement ou envoie un de ses fils indiquer une parcelle au nouvel
arrivant où il peut s'installer et cultiver. Le nouvel arrivant doit
s'acquitter régulièrement de la zakkat et de certaines
collectes ponctuelles (umroore laamii'do) demandés par le
laamii'do. Cependant, depuis longtemps, il n'y a plus d'espace
à défricher ni à octroyer dans les deux territoires. Pour
cette raison, les nouveaux arrivants n'obtiennent plus que des terres en
prêt même pour y installer une habitation. La figure 11
présente les caractéristiques de ce territoire de fixation des
éleveurs.
Pratiques agricoles
Statut du territoire - Reconnu par les
autorités traditionnelles - Connu des autorités administratives -
Accepté par les villages voisins
- Appropriés et exploités par les
éleveurs
- Organisé sur le modèle peul avec à sa
tête un chef (jawro)
- Allégeance au Laamii'do à travers le
lawan et le sarkin saanou
- Parcelles appropriées et cultivées de
manière individuelle par les éleveurs - Culture de maïs, de
sorgho principalement et accessoire de l'arachide en association - Utilisation
systématique de la fumure organique produite par le troupeau -
Début d'utilisation de la fumure minérale, mais de manière
anarchique
- Utilisation massive de manoeuvres pour les travaux
- Prêt et échanges de matériels de traction
(charrues, corps sarcleurs, corps butteurs, charrettes)
- Autosuffisance alimentaire
- Logique d'organisation spatiale raisonnée au niveau
collectif en auréole
- Au centre, le village regroupant les sièges des
exploitations - Deuxième auréole constituée des parcelles
strictement contigües aux habitations
- Troisième auréole constituée d'espace de
pâturage et de parcage des animaux
- Des pistes à bétail pour la sortie et la
rentrée des animaux pendant la saison des pluies
Organisation spatiale
TERRITOIRE D'ATTACHE
Activités et relations
sociales
- Présence de services sociaux précaires
(écoles, puits)
- Présence de mosquées en matériaux
sommaires
- Habitat groupé par affinités claniques - Appuis
divers des projets et programmes de développement
(alphabétisation, sensibilisation, accompagnement, délimitation
foncière...)
- Échanges et complémentarités entre les
éleveurs
- Conflits latents entre les éleveurs
Pratiques pastorales
- Pâturages limitrophes pendant la saison des pluies
- Parcelles très rapidement pâturées à
la récolte puis pendant la saison sèche - Parcages de nuits dans
des barbelées pour la production de la fumure organique et la
sécurité des animaux
- Installations pastorales (parcs de vaccination et forages
- Déficit fourragers en saison des pluies - Vaine
pâture et parcours en libre accès - Tentatives infructueuses
d'intensification - Petits ruminants attachés pendant la saison des
pluies avec les veaux
120
Figure 11. Caractéristiques du territoire
d'attache
Les champs ont été strictement affectés de
manière permanente aux premiers éleveurs par l'ar'do
avec l'assentiment du laamii'do. Du point de vue des droits
exercés
121
(pouvoirs de gestion au sens large), nous assistons à
la prédominance de l'individualisation car il n'y a pas de champ commun
au niveau des familles étendues ou lignages comme cela existait dans
beaucoup de régions soudaniennes. L'acquisition de la terre est donc
principalement le fait des droits permanents issus de la première
occupation, mais aussi des modes traditionnels de transmission au sein des
familles englobant les héritages et les dons. Les éleveurs
reconnaissent les limites des parcelles de chaque membre des territoires. Ces
limites assez visibles sont matérialisées par des pierres, des
bandes enherbées ou des levées de terre faites à la
charrue. Même si les limites des champs ne sont pas toujours très
visibles, les éleveurs commencent à marquer les limites de leur
territoire commun. Ils sont séparés par des touffes d'herbes ou
des repères naturels comme un arbre, une termitière...
Le départ temporaire d'un éleveur
propriétaire terrien ne met pas fin à son droit sur les parcelles
qu'il possède. Ces dernières sont laissées en garde
auprès d'amis ou entre les mains d'un membre de la famille restreinte.
Ce détenteur de droits d'exploitation peut soit mettre en valeur la
terre avec droit sur la récolte, soit la prêter à un ami ou
la louer. Les revenus souvent modiques issus de cette location reviennent au
locataire. A son retour, le propriétaire peut reprendre sa parcelle. Ces
cas sont fréquents dans les deux territoires à cause notamment
des voyages des jeunes chefs d'exploitation au Nigeria pour étudier le
Coran ou des déplacements de certains éleveurs avec leurs animaux
souvent sur une longue durée (2 à 3 ans). En effet, 2 à 3
éleveurs reprennent souvent le chemin du nomadisme (soit environ 10%).
Ayant tenté une expérience de fixation avec construction d'une
case et mise en culture de champs, ils estiment que leurs animaux ne se
reproduisent pas normalement et qu'ils ne sont pas en bon état physique.
Ils préfèrent donc quitter le village pour transhumer toute
l'année avec leurs animaux. Certains éleveurs ayant perdu tous
leurs animaux pour cause de maladie quittent également le village pour
la ville pour faire du commerce ou pour d'autres villages pour être
berger.
Le prêt est le mode privilégié
d'accès à la terre pour les éleveurs qui viennent
ponctuellement dans le village pour une saison des pluies afin d'y cultiver.
Les autres formes de prêt se font sous la forme d'échange de
travail avec les paysans des villages
122
voisins mais cela concerne les parcelles qui sont
situées à la limite de l'espace délimité pour le
pâturage. S'ils acceptent de prêter de temps en temps quelques
hectares à des connaissances, ils refusent systématiquement
l'installation de personnes étrangères à leur clan dans
les territoires, même s'ils ne se sentent pas encore à
l'étroit.
Lorsqu'un nouveau Mbororo désire s'installer dans le
territoire, certaines précautions sont prises. Tout d'abord, le
jawro prend soin de vérifier s'il n'est pas mal
intentionné en se renseignant sur ses antécédents dans les
différents sites où il s'est installé. Ensuite, il le
présente d'abord à l'ar'do puis au sarkin
saanou. Cependant, il ne peut plus défricher de terre faute
d'espace en friche disponible. C'est le jawro ou un autre chef
d'exploitation qui lui octroie des parcelles partiellement vacantes appartenant
à ceux qui sont partis en voyage ou en transhumance pour une longue
durée.
Par contre, le droit individuel sur la terre ne confère
pas le droit de contrôle social pouvant autoriser la vente. Dans les deux
territoires en effet, le droit de vendre les terres n'est pas admis. Le chef
d'exploitation peut accorder de manière provisoire à des
étrangers des droits de culture, mais jamais il ne doit vendre le champ.
Le don est donc rare en dehors de la famille. La transmission de la terre dans
la plupart des cas se fait de plus en plus directement de père à
fils. Lors du décès d'un chef de famille, les terres sont
partagées entre ses enfants en âge adulte (mariés) ou
exploitées par un membre de la famille avant la majorité des
enfants.
Si les femmes possèdent généralement des
animaux d'élevage en propriété, elles n'ont pas de champs
distincts de ceux de leurs époux sauf les veuves qui continuent
d'exploiter les parcelles laissées par le défunt mari si les
enfants de sexe masculin sont encore en bas âge. Dès que leur
premier fils se marie, il hérite des parcelles et prend en charge sa
mère qui est de fait installée dans la concession. Le mode
traditionnel de l'héritage et du don de terre n'empêche pas
certains éleveurs, cependant minoritaires, d'acheter des parcelles ou
d'en louer dans les villages voisins.
Les éleveurs exploitent un espace agropastoral reconnu
ou autorisé par les autorités coutumières ou l'État
qui constituent leur territoire d'attache. L'habitat y est construit en
matériaux pérennes. Ils se sont intégrés au jeu
politique local et régional et créent des organisations
d'éleveurs copiées sur le modèle cotonnier, font du
lobbying pour la
123
reconnaissance des chefferies d'éleveurs, sollicitent
des infrastructures socio-économique (écoles, routes, case de
santé, etc.) et participent aux comités consultatifs (commune,
terroir).
Les territoires d'attache sont généralement de
surface très réduite, et composés d'un pâturage
limitrophe, de parcs de nuit, d'installations pastorales (parc de vaccination,
forage) et des parcelles individuellement cultivées par les familles
(maïs, sorgho et rarement du coton) autour des habitations. Les parcelles
sont rapidement pâturées dès la fin des récoltes
pendant dabuunde. Puis, durant toute la saison sèche
(dabuunde et ceedu), grâce au ratio nombre d'UBT/nombre
d'ha cultivés qui varie en moyenne de 8 à 20 dans les UP des
éleveurs et de 1 à 2 dans celles des agro-éleveurs, les
déjections animales sont restituées sur les parcelles
cultivées (Dongmo et al., 2007). Les producteurs créent des parcs
de nuit ceinturés d'épineux qu'ils déplacent
régulièrement pour enrichir convenablement les parcelles.
L'excrétion fécale estimée à 1kg/100 kg de poids
vif par 24 h (Landais et Guérin, 1992), est de 1,7kg/UBT au parc de nuit
car le bétail y séjourne 14 h par jour (Dongmo, 2009). Le cheptel
des éleveurs restituerait donc en moyenne 400 à 800 kg de
fèces/ha/mois sur leurs parcelles cultivées, tandis que celui des
agro-éleveurs restituerait seulement entre 50 et 100 kg de
fèces/ha/mois sur les parcelles de ces derniers.
Le ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les
résidus sont appétés/nombre d'UBT de l'UP varie de 0,25
à 0,75 et offre un important potentiel fourrager pour le cheptel des
agro-éleveurs pendant la saison sèche (Dongmo et al., 2007). Avec
des rendements de 1 t/ha de feuilles appétées de sorgho et de 3
t/ha de paille de maïs et de fanes d'arachide (Dongmo, 2009), le
disponible fourrager est de 500 kg à 1 500 kg/UBT pendant la saison
sèche dans ces UP des agro-éleveurs.
Par contre, au Cameroun, l'entrée précoce des
troupeaux appartenant aux éleveurs sur les parcelles des
agro-éleveurs, limite le stockage des résidus de culture. Le
ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les résidus sont
appétés/nombre d'UBT se situe en moyenne entre 0,04 et 0,07 dans
les UP des éleveurs. Cela signifie que seulement 80 à 140 kg de
résidus de cultures sont disponibles pour chaque UBT pendant la
saison
124
sèche. La vaine pâture dans les parcelles des
agriculteurs et la transhumance de saison sèche sont donc
incontournables.
Les territoires d'attache des éleveurs connaissent
aussi un déficit fourrager en saison des pluies, en raison du
défrichement des portions du pâturage qui conduisent dans certains
cas à la disparition complète des pâturages ou tout au plus
au maintien de reliques de pâturages dégradés.
L'action collective des éleveurs a surtout servi
à faire reconnaître leur territoire d'attache, soit pour en faire
respecter les contours, soit pour le sécuriser et acquérir une
légitimité en termes de droit d'usufruit. Les éleveurs
restent timides voire passifs et n'aménagent donc pas les
pâturages du territoire d'attache, qu'ils utilisent comme un bien commun
et le surexploitent.
En saison des pluies, l'affouragement journalier des troupeaux
sédentaires (troupeaux de case) s'étend donc au-delà du
territoire d'attache et essentiellement sur les terroirs avoisinants.
L'organisation politique dans les deux territoires est
calquée sur le modèle peul. Les deux territoires ont à
leur tête un jawro. Ce dernier joue le rôle de collecteur
d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations
venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les
séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui
sert de relais entre les populations et les résidents des villages
voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes
auprès des ar'do ou tout autre représentant du
laamii'do comme celui qui est en charge de l'élevage, le
sarkin saanou. L'élevage occupant une place très
importante auprès de cette population, ce dernier fait de
fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs le
devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.
L'organisation politique dans les territoires de fixation est
calquée sur le modèle peul. Ces territoires ont à leur
tête un jawro qui joue le rôle de collecteur
d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations
venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les
séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui
sert de relais entre les populations et les résidents des villages
voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes
auprès des ar'do ou tout autre représentant du
125
laamii'do comme celui qui est en charge de
l'élevage, le sarkin saanou. L'élevage occupant une
place très importante auprès de cette population, ce dernier fait
de fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs
le devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.
Les jawro ne passent pas leurs journées
à la maison assis sous un arbre comme les chefs peuls. Ils n'utilisent
pas non plus leurs habitants pour des corvées. Ils vaquent à
leurs occupations comme tous les autres habitants. C'est ainsi qu'ils font
paître les moutons et les veaux. Ils sont de plus en plus
confrontés à la désobéissance des jeunes
éleveurs qui commencent à s'émanciper et refusent de se
soumettre à certaines règles ou ordres venant de la chefferie de
Tchéboa.
Les jawro dans la communauté mbororo ne
passent pas leurs journées à la maison assis sous un arbre comme
les chefs peuls. Ils n'utilisent pas non plus leurs habitants pour des
corvées. Ils vaquent à leurs occupations comme tous les autres
habitants. C'est ainsi qu'ils font paître les moutons et les veaux. Ils
sont de plus en plus confrontés à la désobéissance
des jeunes éleveurs qui commencent à s'émanciper et
refusent de se soumettre à certaines règles ou ordres venant de
la chefferie comme celle de Tchéboa dans notre zone d'étude.
Le territoire de fixation est organisé autour de
l'élevage. L'habitat est groupé en quartiers entourés par
des champs de culture continue, ensuite vient l'espace des parcours. Cette
organisation schématique évolue au cours des saisons. Si les 3
ensembles sont bien distincts en saison agricole, durant la saison sèche
les éleveurs considèrent un seul ensemble comprenant les champs
permettant la vaine pâture et les parcours qui sont en libre
accès.
Les logiques d'organisation spatiale observées dans les
territoires d'attache des éleveurs se raisonnent au niveau collectif.
Elles montrent qu'au cours des différentes saisons, l'espace est
structuré en différents niveaux d'organisation. L'élevage,
dont l'importance est bien sûr primordiale, est organisé au niveau
du territoire selon un consensus social lié à l'utilisation et la
gestion de l'espace. Nous assistons à une organisation spatiale en
auréoles. Au centre, se trouve le village où se regroupent les
sièges d'exploitations. La deuxième auréole est
constituée des parcelles strictement
126
contigües aux habitations. Elle assure une fonction de
production alimentaire pour les éleveurs pendant la saison des pluies.
Pendant la saison sèche, elle est utilisée pour la vaine
pâture pour l'alimentation et le parcage des animaux. L'espace de
pâturage qui occupe la plus grande partie du territoire permet aux
éleveurs de parquer leurs animaux la nuit après la
généralisation des cultures dans le territoire. Les animaux y
pâturent une partie de la journée avant de sortir du territoire
à la recherche d'herbes plus abondantes aux abords des champs des
villages voisins et des routes. Les territoires sont quadrillés par des
routes pour la circulation des personnes et par des pistes à
bétail pour la sortie des animaux. On note la présence dans
l'espace de pâturage de parcelles appartenant aux agriculteurs des
villages voisins. Ce qui constitue une violation des processus de concertation
menée pour délimiter cet espace et la volonté de
concertation autour de la gestion collective des parcours entre les
différents acteurs (éleveurs, agriculteurs et autorités
traditionnelles).
L'organisation groupée de l'habitat dans les
territoires permet aux éleveurs de minimiser le gaspillage et la
dispersion des terres notamment lorsqu'arrive la saison des pluies. Les
cultures peuvent ainsi être mises en place de manière
homogène et en auréoles concentriques autour de l'habitat,
permettant d'éviter les dégâts. Entre les concessions, sont
laissés pendant la saison des pluies, des petits espaces qui servent
principalement de pâturage aux caprins et aux veaux qui sont
attachés au piquet pendant la nuit. Dans la journée, ils sont
déplacés aux abords des champs, toujours attachés.
Selon la durée du séjour, leur désir de
se fixer et les moyens des éleveurs, l'habitat évolue de la case
sommaire en branchage et pailles vers la case en terre avec un toit de chaumes
à la maison en dur avec un toit de tôle. À la sortie ou
à la périphérie des deux territoires sont construites des
cases sommaires circulaires faites d'arceaux de branchage couverts de nattes ou
de la paille. Ces huttes appartiennent aux derniers arrivants ou à ceux
de passage dans le territoire.
En effet, à l'installation de chaque nouvel
éleveur, l'espace qui lui est alloué est d'abord un champ sur
lequel il pourra cultiver. Il y installe une case sommaire au milieu de la
parcelle et ses animaux sont parqués autour de cette concession
sommaire.
127
En fait, l'éleveur cherche d'abord à se
convaincre qu'il peut définitivement s'installer. Dans la plupart du
temps, cette période d'observation dure deux à trois ans. Lors de
ses déplacements avec ses animaux dans les différentes zones de
transhumance au cours de l'année, il observe le pâturage et l'eau,
il prend également le temps pour observer ses relations avec les autres
éleveurs ou les agro-éleveurs de la zone. Il va dans les
différents marchés pour voir les prix des animaux, des
céréales, des produits vétérinaires... Il y
rencontre également d'autres éleveurs qui sont installés
ailleurs et qui lui parlent de leurs conditions de vie et d'exercice de leurs
activités. Toutes ces données lui permettent donc de
décider s'il va rester ou continuer son chemin. Ce n'est qu'à
partir de ce moment qu'il décide de faire évoluer son habitat
notamment en construisant une case en briques ou en terre.
La construction de cases rondes ou carrées avec des
toits coniques faits de pailles constitue une étape importante dans le
choix et de désir de l'éleveur de se fixer. Les modèles de
cases construites sont largement empruntés aux agriculteurs guidar,
massa ou toupouri des villages voisins. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui
servent de manoeuvre pour la construction de toutes les cases dans les deux
villages. Cet emprunt n'est pas un choix délibéré mais
s'explique simplement pas le savoir-faire habituel des manoeuvres
sollicités pour la construction des cases.
De plus, les femmes des éleveurs ne jouent plus aucun
rôle dans la construction des cases comme lors des transhumances, ni les
éleveurs eux-mêmes d'ailleurs. Depuis leur fixation, les
éleveurs utilisent en effet systématiquement des manoeuvres issus
de la population d'agriculteurs migrants. En effet, en se sédentarisant,
les éleveurs et leurs femmes échappent à de nombreux
travaux qu'ils font faire par des paysans pauvres en quête d'argent au
cours de l'année. Ce transfert d'argent est un élément
très important du processus de sédentarisation.
Alors que l'habitat n'avait que peu de place dans le mode de
vie traditionnel des éleveurs transhumants, la salubrité, le
confort, la construction en dur, tendent à s'imposer parmi les normes de
construction lorsqu'ils se sédentarisent. Aujourd'hui, en l'absence de
déplacement de toute sa famille, l'éleveur construit un habitat
qui n'est plus marqué par sa précarité, son souci exclusif
de l'immédiat. De nombreux éleveurs
128
commencent à construire des maisons définitives,
résistantes et confortables. Cette évolution amène une
sorte de remodelage des formes et de la « substance » qui constitue
la nature de l'habitat. C'est ainsi que les cases sont faites soit en terre
pétrie, soit en briques. Aux formes rondes ont également
succédé les formes rectangulaires avec des toits en tôle
ondulée.
La concession est organisée selon la taille de la
famille. Les familles monogames se contentent le plus souvent de deux
constructions, une pour l'homme l'autre pour sa femme, jouant tous les
rôles : protection des effets personnels et des personnes, mais aussi des
réserves comme les récoltes, les semences, les provisions... Si
les matériaux de construction des cases évoluent avec
l'ancienneté de la fixation, la logique de disposition n'a pas
évolué. Pour les familles monogames, la case du chef de famille
se situe à gauche tandis que celle de la femme se trouve à
droite. L'enclos est construit à l'est, et à proximité la
case des jeunes.
La mobilité des troupeaux sur le territoire est
facilitée par le regroupement des parcelles de culture en blocs aux
abords des habitations (moins de 20% de la surface des deux territoires sont
cultivés) et par le maintien de pistes à bétail pour
sortir du territoire d'attache (départ en transhumance ou pâturage
sur les parcours proches). La coordination pour le moment harmonieuse des deux
activités de production - agriculture et élevage - au sein du
territoire d'attache est favorisée par la forte cohésion sociale
entre les éleveurs.
À la périphérie immédiate des
concessions, les femmes cultivent des légumes et condiments (oseille,
gombo, piment...) dans une première auréole de quelques
mètres de large. Mais dans la plupart des cas, les environs
immédiats des concessions sont constitués de champs de maïs.
Malgré la grande tendance à la monoculture du maïs, quelques
éleveurs pratiquent la culture de sorgho mbayeeri à la
périphérie du territoire en association ou non avec de
l'arachide.
Pendant toute la saison des pluies, l'espace agricole est
dévolu aux cultures. Du fait de la présence des animaux dans le
territoire et à proximité des habitations la nuit en début
de saison des pluies jusqu'en mi-juillet, la mise en culture des champs se fait
de façon ordonnée. En effet, les parcelles autour des concessions
sont les premières à être
129
semées. Pendant ce temps, les parcelles
périphériques continuent à être fumées car
les animaux ne sont pas encore partis en transhumance. A la fin de la fumure,
les semis sont mis en place toujours après un labour à la
charrue. Les animaux partent en transhumance et pour ceux qui restent dans le
territoire, le parc de nuit est déplacé dans l'espace de
pâturage.
Pendant toute la saison sèche, le territoire appartient
aux animaux, c'est la période de la vaine pâture
(nyayle). Les bovins et les ovins sont gardés par les bergers
qui les font paître dans toute l'étendue du territoire. Pendant
cette période de l'année, il n'y a aucune restriction sur la
gestion du territoire du village. Aucune culture de contre saison n'est en
effet pratiquée. Les caprins quant à eux sont attachés au
piquet dans des grillages à cause des chiens des villages voisins. Ils
sont nourris avec des résidus de récolte pendant la saison
sèche, à l'herbe verte et aux fourrages arborés pendant la
saison des pluies.
Les parcelles des éleveurs sont de forme quelconque
contrairement aux champs des agriculteurs des villages voisins où la
SODECOTON a imposé des formes quadrangulaires ou rectangulaires.
IV.2. Le voisinage du territoire d'attache : les
territoires pastoraux de
proximité
Les territoires d'attache des éleveurs sont voisins
à plusieurs territoires d'agriculteurs sur lesquels ils s'appuient pour
alimenter leur cheptel bovin de case toute l'année (Figure 12).
Relations sociales
Fonctionnement
- Espaces de pâturage constitués d'interstices entre
des parcelles cultivées, de jachères, de parcours naturels, de
pistes à bétail, de routes, de points d'eau et de bas-fonds
- Recherche d'information sur l'état des
récoltes
- Division du cheptel en petits lots pour accéder aux
parcelles récoltés isolées
- Alimentation du cheptel bovin de case toute l'année
- Possibilité de pâturer les brousses, les zones
incultes et les reliques de parcours délimités par
l'administration ou la communauté
- Valorisation des résidus de cultures d'agriculteurs
à la fin des récoltes - Circuit se terminant par un retour
systématique au territoire d'attache - Distance parcouru par le
bétail (7 à 15 km) - Pistes à bétail
obstrués ou exiguë - Parcours morcelés
- Déplacements non coordonnés des animaux pour la
recherche de pâturage
Statut du territoire
- Accords tacites non rémunérés avec les
agriculteurs pour l'accès aux pâturages de proximité et aux
résidus de récolte, - Conflits fréquents à cause
des dégâts sur les cultures
- Utilisation des bergers salariés fils des
agriculteurs
- Main d'oeuvre salarié pour les travaux agricoles fourni
par les agriculteurs - Difficulté de négociation de
l'amélioration de potentialités fourragers et de la gestion
des parcours avec les agriculteurs
- Appropriés et exploités par les
agriculteurs des villages voisins
- Règles d'accès fixés par les
agriculteurs
- Vaine pâture
- Sous l'autorité d'un jawro
- Allégeance au laamii'do à travers le
lawan
TERRITOIRES PASTORAUX DE PROXIMITE
Pratiques pastorales
Pratiques agricoles
- Cultures de maïs, sorgho, arachide, coton...)
- Maraîchage au bord des mayos (maïs de contre-saison,
légumes...)
- Dégâts fréquents sur les cultures
- Utilisation d'une main-d'oeuvre familiale et accessoirement des
manoeuvres
- Utilisation accrue de la fumure minérale offerte
à crédit à travers la culture du coton - Collecte de la
fumure organique sur les parcours et les lieux de parcage nocturne des animaux
pendant la saison des pluies
|
130
Figure 12. Caractéristiques des territoires
pastoraux de proximité
En saison des pluies, à cause de la présence des
blocs de cultures, seuls les troupeaux de case dont l'effectif est
limité parviennent à circuler pour pâturer des brousses,
des zones incultes et des reliques de parcours délimités par
l'administration ou la communauté. En saison sèche, ils
valorisent les résidus de cultures d'agriculteurs s'ils estiment que les
récoltes sont terminées. Les circuits de pâturage sur ces
espaces fondamentaux qui constituent des territoires pastoraux de
proximité, se terminent systématiquement par un retour journalier
du bétail au territoire d'attache.
IV.2.1. Le territoire pastoral de proximité en
saison pluvieuse
Pendant la pleine saison pluvieuse (nduungu), les
espaces parcourus et valorisés par les troupeaux de case sont
constitués d'interstices entre des parcelles cultivées, de
jachères, de parcours naturels, de pistes à bétail, de
routes, de points d'eau et de bas-fonds. Sur ces parcours, le bétail
effectue journellement 7 à 14 km en 8 h de temps pour rechercher du
fourrage et s'alimenter. La grande partie de ce trajet du troupeau (62 % du
total) se trouve sur des espaces pastoraux légitimés (pistes
à bétail, pâturages
131
classés, collines), tandis que 27 % du trajet
s'effectuent sur les interstices non cultivés situés à
proximité ou entre les champs qui sont normalement exclus à
l'élevage. La conduite du bétail sur les interstices est
très risquée, à cause des dégâts
occasionnés régulièrement sur les cultures qui
génèrent souvent des conflits. La détermination des
éleveurs à y faire paître leur bétail est
liée à leur potentiel fourrager plus important que dans les
parcours, mais aussi au fait que certains de ces champs ont été
installés en empiétant sur les espaces réservés
à l'élevage. La largeur des pistes à bétail
fixée par la législation est de 50 m au minimum. Aujourd'hui, ces
pistes dépassent rarement 5 m, ce qui rend difficile le passage de
troupeaux et accentue les dégâts.
Encadré 1. Chaîne de pâturage
d'un troupeau sédentaire au Cameroun
Pendant gataaje ou seeto (fin saison
sèche-début saison des pluies), les animaux restés sur le
terroir agropastoral broutent principalement là où l'herbe
repousse vite : dans les bas-fonds (tchofol ou lougguere) et
sur les zones en attente d'une mise en culture (soynere et
n'guessa). A nduungu (hivernage), les jachères
(soynere ou sabeere) et unités de collines
(foukah, hossere), gagnent de l'intérêt, alors
que les zones cultivées (n'guessa) sont exclues des parcours.
Durant djaamde (fin de l'hivernage, saison de récoltes), les
pâturages se font principalement le long des bas-fonds (tchofol,
lougguere, fitaare), secondairement sur les jachères
(soynere, sabeere) qui perdent de l'intérêt par
rapport à la période précédente, et surtout sur les
premiers résidus agricoles (n'guessa). La nuit, certains
éleveurs installent temporairement le parc de nuit sur les collines
(hossere) à l'écart des champs en attente de
récolte. Durant dabuunde (vaine pâture, saison
sèche froide), la récolte est finie, la grande majorité du
temps de broutage se déroule dans le domaine agricole, sur les
résidus (nyayle). Ensuite, tout au long de ceedu (saison
sèche chaude), les troupeaux parcourent les parties du domaine agricole
(n'guessa et soynere) épargnées par le feu, et
les pâturages des zones inondables (tchofol, bolaaho,
bomboru, fitaare) pour les repousses des herbacées
vivaces. En fin de circuit de ceedu, les bergers émondent les
ligneux fourragers pour alimenter les troupeaux.
|
Source : Dongmo et al., (2010)
Dorénavant, les éleveurs contestent tout
morcellement des parcours sur les terroirs pastoraux de proximité. La
tactique régulièrement déployée pour (ré)
affirmer leurs droits consiste à diriger un broutage volontaire du
bétail sur de nouvelles parcelles indument installées par les
agriculteurs sur les parcours et les pistes à bétail, afin de les
dissuader. Ils y expriment donc collectivement une appropriation qui se limite
à sa défense à l'encontre d'une privatisation ou d'un
accaparement par d'autres usagers du foncier et sa protection au profit d'une
utilisation pastorale. En revanche, tout comme dans leur territoire d'attache,
les éleveurs ne s'investissent pas pour améliorer le potentiel
fourrager et la gestion de ces parcours. Ce désintérêt
provient-il des difficultés à négocier avec les
agriculteurs ou au contraire de la possibilité qu'ils ont encore
d'envoyer une partie ou tout le troupeau en transhumance, bien loin du
territoire d'attache ?
132
IV.2.2. Le territoire pastoral de proximité en
saison sèche froide
Dès la fin des récoltes, les troupeaux de case
et les troupeaux transhumants revenus sur le territoire d'attache valorisent
successivement les résidus de cultures des éleveurs, puis ceux
des agriculteurs voisins durant toute la saison sèche dès que les
productions sont sorties des champs. C'est pendant cette période de
vaine pâture que le propriétaire peut décompter ses
bêtes, faire le point avec le berger, et profiter de la fumure animale
via le parcage du troupeau sur les parcelles.
La date d'ouverture de la vaine pâture est arbitraire.
Avec le début des récoltes, les animaux commencent à
revenir timidement dans les territoires d'attache en empruntant les routes ou
les pistes de transhumance identifiées quelques jours avant pour
éviter les dégâts sur les cultures. C'est la période
de vaine pâture des résidus de culture (nyayle) dans le
territoire d'attache et ceux des villages voisins où les champs de
maïs et d'arachide semés précocement (en mai et juin)
commencent à être récoltés.
Les éleveurs valorisent d'abord leurs propres
résidus de cultures et ceux des agriculteurs qui les tiennent
informés des parcelles dont les produits ont été
précocement récoltés. Les éleveurs affirment leurs
droits sur les résidus de cultures et anticipent parfois leur
entrée sur la parcelle s'ils constatent que l'agriculteur
propriétaire de la parcelle retarde la récolte. Face aux
agriculteurs migrants, ils considèrent les résidus de cultures
comme une contrepartie du fourrage qu'ils ont perdu suite au
défrichement des grands parcours par ces derniers.
Les éleveurs qui sèment plus tard que les
paysans leurs parcelles de maïs reviennent pour commencer la vaine
pâture chez les paysans avant d'arriver sur leurs propres parcelles.
Les éleveurs prennent le soin au préalable de
s'informer de l'état des récoltes par l'entremise de ceux
restés dans le territoire. Les éleveurs ayant un nombre
réduit d'animaux reviennent dans les territoires d'attache plus
tôt (fin septembre) contrairement à ceux qui disposent d'un grand
nombre d'animaux qui attendent trois semaines (mi-octobre), lorsque les
récoltes sont fortement avancées. Ces derniers scindent leur
troupeau en deux ou trois groupes et ne reviennent pas tous le même jour.
Tandis qu'un premier groupe d'animaux rentre dans le village, les autres
restent
133
quelques jours dans les villages voisins pour y pâturer
au fur et à mesure de l'avancée des récoltes.
L'installation dans les territoires se fait aussi
progressivement. Les animaux sont parqués pour la nuit dans les
hurum autour des parcelles. Après la traite, les bergers
commencent par faire pâturer les animaux dans la zone de pâturage.
Puis ils progressent prudemment dans les villages environnants à la
recherche des champs récoltés. Les parcours journaliers sont
assez courts (2 à 3 km). Cependant, la « course » aux
parcelles récoltées s'impose à tous les bergers. La sortie
des animaux se fait de plus en plus tôt le matin pour être les
premiers à pâturer les parcelles nouvellement
récoltées. Certains bergers de la même famille ou
travaillant pour le même patron partent pâturer à deux. L'un
suit les animaux et l'autre s'en va à la recherche des champs
récoltés, identifie le passage pour y arriver et revient chercher
son frère ou son collègue. S'il est seul à suivre ses
animaux, le berger se lève très tôt le matin pour aller
chercher les champs récoltés. Cette pratique est surtout le fait
des enfants des propriétaires de bétail. Les bergers
rémunérés le font très rarement. Le retour se fait
également tard (autour de 19 heures 30). La traite du soir est ainsi
reléguée au second plan et les stratégies laitières
ne sont plus une priorité à cette période, il s'agit
d'abord d'améliorer l'état d'engraissement du bétail en
prévision de la deuxième moitié de la saison sèche
caractérisée, par la rareté des ressources
fourragères.
Dans le territoire d'attache, tous les éleveurs
pâturent librement et gratuitement les différentes parcelles
récoltées. Dans les champs des agriculteurs des villages voisins,
c'est également le cas du fait du droit ancestral de vaine pâture.
Si le propriétaire de la parcelle est présent, une autorisation
lui est demandée. Sinon, le berger constate l'état de la
récolte avant d'y pâturer. Les contrats de parcage sont rares,
mais grâce à leurs bonnes relations, certains éleveurs
peuvent être informés par certains agriculteurs du jour de la
récolte pour venir pâturer gratuitement. Cependant, une modique
somme de 500 ou 1 000 Fcfa peut être remise à l'agriculteur pour
le remercier de son geste.
À partir du mois de décembre, les résidus
de récolte dans les champs vivriers proches des habitations
s'épuisent. L'aire de pâturage est plus importante qu'en novembre.
Les
134
trajets sont plus longs (environ 5 km) dans la journée
pour la recherche de parcelles cotonnières récoltées ou de
repousses d'herbacées naturelles. Il s'agit de ressources
localisées bien au-delà de la première auréole de
cultures vivrières appartenant aux éleveurs, sur les territoires
voisins. A cause des champs de coton non encore totalement
récoltés, le berger doit emmener ses animaux plus loin pour
qu'ils pâturent les repousses d'herbacées naturelles et les
résidus d'autres champs.
Les petits éleveurs reviennent tous les soirs dans le
territoire pour continuer à fumer leurs parcelles alors que ceux qui
disposent de gros troupeaux passent quelque fois deux à trois nuits hors
du territoire pour limiter les déplacements, sources de conflits.
Certains éleveurs divisent leur cheptel en deux ou trois lots selon
l'importance du troupeau. Un lot d'animaux revient passer la nuit dans le
territoire pour fumer leurs parcelles et les autres passent parfois plusieurs
nuits sur les espaces de pâturage voisins. Ceux qui ont des
stratégies laitières recommencent à produire du lait, au
moins avec le lot qui revient chaque soir au village à proximité
des femmes qui commercialisent le lait. Tous les éleveurs
complémentent leurs animaux pendant cette période avec du sel
et/ou du natron ainsi qu'avec des écorces d'arbres et certaines plantes
pour lutter contre les infections intestinales et les vers.
Durant le mois de juin les cultures sont mises progressivement
en place dans tous les territoires situés au sud du bassin de la
Bénoué. Les pluies sont plus régulières
malgré des périodes de sécheresse qui surviennent
certaines années. C'est la période au cours de laquelle les
animaux rentrent au village en provenance de Bocki, Gouna ou Tchéboa.
Les troupeaux reviennent pour quatre à cinq semaines entre juin et
début juillet dans les territoires d'attache (tappugo ndunngu)
pour plusieurs raisons. Il s'agit pour les bergers de présenter les
animaux à leurs propriétaires afin qu'ils voient leur embonpoint
et leur état sanitaire mais également pour vérifier leur
nombre. Les éleveurs auscultent leurs bovins pour voir quelles femelles
doivent rester dans le territoire d'attache pour la production de lait et quels
males peuvent être utilisés pour le labour, ou encore pour
certaines bêtes parce que leur état de santé ne leur permet
pas d'aller en transhumance.
135
C'est également le moment pour les éleveurs de
préparer leurs champs même si les semis de maïs ne
débutent chez les Mbororo qu'à la moitié du mois de
juillet. Les pâturages pendant cette période sont abondants autour
des cases car l'espace réservé aux cultures n'est pas encore mis
en culture. En pâturant dans les parcelles, les animaux laissent une fois
de plus leurs déjections. Ensuite, les éleveurs le font dans le
souci d'économiser les jachères voisines et les espaces de
pâturages de saison des pluies dans les hurum qui les entourent
et qu'ils exploiteront ensuite.
Lorsque les herbes fraîches et les cultures se
généralisent (fin juillet) et que les cultures dans le territoire
d'attache se mettent en place, les bergers sortent du territoire. Ils entrent
dans les autres espaces non cultivés autour des villages voisins, au
pied des montagnes dans des zones non cultivées, mais aussi au bord des
routes. Le gardiennage est de plus en plus serré et la grande
transhumance s'impose. Et par petits groupes, tout le monde se dirige vers les
grands hurum (Kalgué, Dembo, Naddere).
IV.3. Les territoires de transhumance
saisonnière
La transhumance saisonnière se déroule sur des
zones bien éloignées et donc en discontinuité
géographique par rapport au territoire d'attache.
IV.3.1. Territoires complémentaires pour la petite
transhumance de
saison sèche chaude
La petite transhumance peut être
considérée comme le déplacement de courte amplitude ou de
courte durée des éleveurs mbororo avec leurs animaux (Figure
13).
Relations sociales
- Accès libre
- Les bergers font pâturer les
TERRITOIRE
COMPLEMENTAIRE POUR LA PETITE TRANSHUMANCE
Fonctionnement
- Manque de coordination collective pour le départ en
transhumance entre les éleveurs - Conflits avec les maraîchers le
long des berges
- Conflits avec les agriculteurs pour les dégâts sur
les cultures lors du retour au territoire d'attache
- Déplacement de courte amplitude (20 km à
partir du territoire d'attache)
- Séjour de courte durée (2 à 3 mois)
- Utilisation des berges de cours d'eau (mars - mai et juillet
- septembre)
- Utilisation des petits hurum (mars - fin juin) -
Départ en transhumance en rang dispersé à intervalle de
deux à trois semaines selon les cas
- Pâturage peu fourni et de qualité médiocre
- Les éleveurs ayant beaucoup d'animaux laissent une partie dans le
territoire d'attache
- Utilisation des parcours naturels et notamment des fourrages
arborés
- Réception des compléments alimentaires comme le
tourteau de coton et le sel - Fin de la transhumance avec la
généralisation des pluies (fin juillet)
Pratiques pastorales
Statut du territoire
- Bassins de transhumance non
juridiquement classés comme espaces pastoraux
- Statut pastoral précaire
- Non appropriés par des acteurs
- Exploités par les agriculteurs des villages voisins
(berges pour le maraîchage, la riziculture)
- Exploités par les éleveurs de manière
saisonnière
- Vaine pâture
|
Pratiques agricoles
- Cultures maraîchères le long des berges - Mise en
place des culture vers la fin de cette transhumance (début avril)
- Dégâts minimes sur les cultures
- Retour des animaux dans le territoire d'attache pour la fumure
des parcelles
|
animaux en traversant les villages
- Le retour se fait par route à
cause des cultures qui
commencent à être mise en place
136
Figure 13. Fonctionnement des territoires
complémentaires pour la petite transhumance La petite
transhumance concerne d'abord les petits troupeaux et se pratique à
moins de 20 km du territoire d'attache. Deux territoires sont concernés
par cette transhumance pendant des périodes bien distinctes : la berge
de la Bénoué (mars - mai et juillet - septembre) et le hurum
de Gouna (mars - fin juin). Les départs en transhumance pendant
cette période se font en rang dispersé selon les types
d'exploitations à un intervalle de deux à trois semaines. C'est
chaque berger qui décide à quel moment partir, quel site choisir
et quel itinéraire suivre. En effet, les petits éleveurs partent
en transhumance plus tard que les autres. Le nombre réduit de leurs
animaux leur permet de rester quelques jours de plus sur le territoire
d'attache afin de pâturer les petits espaces dans ce territoire et dans
celui des villages voisins. Les éleveurs traversent des villages en
faisant pâturer leurs animaux en chemin avant d'arriver dans les
territoires complémentaires. Par contre, le retour se fait par la route
car les mises en place des cultures commencent à se
généraliser.
Le début du mois de mars, en pleine saison sèche
chaude (ceedu), est un moment très difficile pour
l'alimentation des animaux car le pâturage est peu fourni et de
qualité
137
médiocre. Le manque d'eau et la rareté des
résidus de culture aggravés par le début de la
préparation des champs pour la prochaine campagne agricole avec le
brûlis des restes des pailles de culture sont les principaux facteurs qui
déterminent les déplacements. Ainsi, après
l'épuisement des résidus des cultures pluviales, le cheptel
transhumant (horedji) effectue pendant la saison sèche chaude
(ceedu : février-mars-avril), de petites transhumances dans les
bassins de production céréalière de contre saison (sorgho
muskuwaari cultivé sur les argiles gonflantes et riz en
périmètres irrigués) ou dans les zones inondables pourvues
d'importantes superficies de pâturage naturel situées sur un rayon
de 50 à 75 km. Il peut être accompagné de certains animaux
du cheptel de case (souredji) si les territoires d'attache et de
proximité sont dépourvus de zones inondables accessibles au
bétail. En fin de saison sèche chaude (avril), certains
éleveurs non satisfaits si la saison a été rude pour le
bétail, descendent au sud pour bénéficier des pluies
précoces pendant 1 mois. Dans tous les cas, le bétail doit
retourner sur le territoire d'attache (mai, juin, juillet) pour finaliser la
fertilisation des parcelles à cultiver.
Les éleveurs qui ont beaucoup d'animaux en laissent une
partie dans le territoire d'attache surtout pour la fumure des parcelles, mais
aussi pour des besoins de production d'un peu de lait pour la famille et de
complémentation ou de soin aux animaux mal en point. Ces derniers
s'alimentent à partir des parcours naturels, principalement les
fourrages arborés lorsqu'ils ne sont pas détruits par les feux.
Ils reçoivent également des compléments alimentaires comme
le tourteau de coton et le sel.
Ces bassins de transhumance ne sont pas juridiquement
classés comme espaces pastoraux car cultivés ou inondés en
saison des pluies. Leur rôle fondamental pour l'élevage est
incontournable. Leur statut pastoral reste précaire du fait de la
concurrence à venir entre les éleveurs qui en font un usage
pastoral incontournable en saison sèche et les agriculteurs qui
pourraient être amenés à les défricher pour
implanter des cultures de contre saison (maraîchage, riziculture, etc.).
Leur gestion durable ne peut émaner que d'une concertation entre les
autorités traditionnelles en
charge, les services administratifs concernés et les
fédérations d'éleveurs et d'agriculteurs.
La fin de la transhumance dans cette zone s'achève avec
la généralisation des pluies, fin juillet. Elle peut
également être précipitée par les
dégâts dans les champs à proximité, obligeant les
éleveurs à s'enfuir plus tôt que prévu. Au retour,
toutes les pistes sont fermées par les champs. Les animaux ne peuvent
passer qu'en bordure de la route.
IV.3.2. Territoires délimités pour la
grande transhumance en saison des
pluies
La mise en culture des parcelles et l'exigüité des
parcours sur les territoires d'attache et ses environs amènent les
détenteurs de grands effectifs de bétail (80 têtes et plus)
à effectuer une grande transhumance vers des sites
éloignés (75 à 100 km) reconnus ou délimités
par l'administration ou l'autorité traditionnelle (Figure 14).
Relations sociales
- Accès libre à ces territoires
- Les bergers pâturent les animaux dans la zone
délimitée
- Les autorités traditionnelles contrôlent
l'accès à ces territoires - Paie d'une taxe d'accès par
les éleveurs
- Influence des hommes d'affaires et citadins pour l'accès
à ces territoires
- Tragédie des communs
TERRITOIRE DELIMITE POUR LA GRANDE
TRANSHUMANCE
Fonctionnement
- Manque de coordination collective pour le départ en
transhumance entre les éleveurs - Conflits à l'intérieur
de ces zones à causes des cultures des éleveurs et des
agriculteurs - Échanges entre les éleveurs et les agriculteurs
des villages voisins (lait, céréales) - Vente de lait sur les
marchés voisins - Utilisation du téléphone portable pour
les échanges avec les éleveurs des territoires d'attache et avec
les citadins
- Déplacement de longue amplitude (75 à 100 km
à partir du territoire d'attache) - Séjour de courte durée
(1 à 2 mois) - Utilisation des parcours naturels
- Faible complémentation des animaux - Départ en
transhumance en rang dispersé à intervalle très
rapprochées (2 à 3 jours selon les cas)
- Pâturage fourni et de qualité bonne - Les
éleveurs ayant beaucoup d'animaux laissent une partie dans le territoire
d'attache pour le lait et le labour
- Fin de la transhumance avec le début des
récoltes (fin septembre)
- Utilisation de bergers non peuls par certains
éleveurs
- Risques de prises d'otages contre de fortes
rançons
Pratiques pastorales
Statut du territoire - Zones de
transhumance juridiquement classés comme espaces pastoraux
- Statut pastoral plus ou moins stable selon la
personnalité de l'autorité traditionnelle compétente
- Appropriés par des acteurs (éleveurs et
agriculteurs des villages voisins)
- Exploités par les éleveurs de manière
saisonnière pendant l'hivernage
- Vaine pâture
Pratiques agricoles - Une violation
permanente des agriculteurs pour la culture du maïs et du sorgho pluvial -
Pratique de l'agriculture de case par les éleveurs
- Dégâts minimes sur les cultures
- Utilisation de la fumure organique
- Utilisation importante de la main-d'oeuvre par les
éleveurs pour les activités agricoles
138
Figure 14. Caractérisation des territoires
délimités pour la grande transhumance
139
Il s'agit plus généralement de la transhumance
du cheptel horedji vers ces sites de grands parcours de plaines ou de
collines difficilement cultivables. À la fin de l'hivernage, les animaux
retournent sur le territoire d'attache, pour valoriser les résidus de
cultures pluviales et fertiliser les parcelles des éleveurs.
L'accès aux pâturages éloignés pour la grande
transhumance d'hivernage passe à l'aller comme au retour par la route.
Les pistes de transhumance délimitées traversent les villages et
sont obstruées par les cultures.
Sur ces sites, les agriculteurs migrants cultivent de plus en
plus et pourraient prochainement ne plus respecter les limites de ces grands
parcours indispensables au pastoralisme. De même, certains
éleveurs commencent à y délocaliser une partie de leur
troupeau et pourraient à moyen terme s'y sédentariser et y
développer l'agriculture de la même manière que sur leurs
territoires d'attache originels.
La grande transhumance (ruumirde) (juillet - octobre)
intéresse de plus grands effectifs et des parcours de grande surface
partagés avec un grand nombre d'éleveurs dans le hurum
de Kalgué à l'ouest et la région de Dembo au nord peu
peuplée du fait du relief. Les gros éleveurs vont en transhumance
plus tôt (dès la mi-juillet) et vont plus loin à cause du
nombre assez élevé des animaux dont ils ont la garde. Les
éleveurs n'ayant pas assez d'animaux peuvent rester sur place ou juste
à côté du territoire d'attache, se contentant des espaces
de pâturage dans le territoire et autour des territoires voisins.
Pendant ce temps, les gros éleveurs convoient leurs
animaux en rangs dispersés et en petits groupes vers les espaces de
pâturage. Cette division du troupeau est choisie afin d'éviter les
dégâts des cultures en se frayant un chemin et pour valoriser au
mieux les pâturages et pour dissimuler leur capital aux yeux des preneurs
d'otage qui les rançonnent et des autorités traditionnelles qui
les taxent.
Dans certaines zones de grande transhumance, les
éleveurs très réguliers ou socialement bien
intégrés, délocalisent une partie du troupeau pour
atténuer divers risques et contraintes liés aux longs
déplacements annuels. Le bétail est confié à un
berger, généralement un membre de la famille, qui s'installe de
façon quasi-permanente sur le site, et ne ramène plus le troupeau
sur le territoire d'attache originel.
140
Des échanges d'animaux se font
régulièrement entre les troupeaux délocalisés qui
accueillent les veaux sevrés, et les troupeaux de case qui
s'enrichissent de vaches laitières accompagnées de leurs veaux.
Si le site se révèle intéressant, les bergers
ressortissants d'un même clan ou d'une même grande famille
agrandissent le noyau familial (mariage, rapatriement de femmes et d'enfants)
et parviennent à terme, à développer un nouveau territoire
d'attache sur lequel ils pratiquent également l'agriculture.
Bien plus qu'une simple stratégie d'élevage, la
délocalisation du troupeau participe d'une stratégie d'essaimage
des familles d'éleveurs et de sécurisation et fructification de
leur patrimoine animalier. Certes, intéressante à court terme
pour les familles d'éleveurs, cette délocalisation ne peut
être durable pour l'élevage que si elle échappe au
modèle préexistant de gestion des ressources naturelles sur les
territoires d'attache anciens. Tout développement agricole sur ces zones
d'accueil, doit être encadré et planifié de façon
à préserver ses fonctions pastorales.
Sur les territoires d'attache et de proximité, les
éleveurs accèdent gratuitement aux espaces et aux ressources, en
s'efforçant de respecter et de faire respecter les règles
traditionnelles. Par contre, sur les territoires de transhumance, ils sont
étrangers et doivent payer une redevance forfaitaire. Un montant de 20
000 à 40 000 FCFA par troupeau est payé au sarkin saanou
(ministre traditionnel de l'élevage). Cette redevance devient
symbolique lorsque le transhumant s'intègre socialement dans le terroir
et peut ultérieurement y délocaliser une partie de son troupeau
ou s'y sédentariser.
IV.4. Territoire illicite de mobilité pastorale :
les aires protégées
Le Nord-Cameroun abrite deux types d'espaces : un
réseau d'aires protégées dont la vocation est la
conservation de la biodiversité et des espaces de production au sein
desquels les sociétés agro-pastorales pratiquent l'élevage
transhumant et une agriculture souvent pionnière. Les logiques qui
régissent l'accès à ces deux types d'espace sont
extrêmement différentes et souvent conflictuelles. Malgré
cet antagonisme apparent entre conservation et production, les décideurs
et les organisations internationales soutiennent de plus en une approche
inscrivant les
141
programmes de conservation de la faune sauvage et de ses
habitats dans les logiques de développement durable (Binot, 2004).
Les migrations et les transhumances autour et dans les aires
protégées ont pris de l'ampleur ces dix dernières
années. L'emplacement de ces aires protégées dans la
région du Nord constitue une des raisons de cette pression. En plus des
terres de culture et le pâturage recherché, cette zone a position
stratégique sécurisée entre l'Extrême-Nord
Saturé et dégradé, l'Adamaoua convoité, la RCA en
guerre, le Tchad désertique et le Nigeria confronté aux exactions
de la secte islamiste boko haram. Tous ces pays exercent de nombreuses
activités commerciales entre-deux et pratiques de manière
extensive l'élevage mobile. La région du Nord en
général et les parcs nationaux en particulier sont ainsi
très convoités. Déjà en 1981, Mahamat Amine (1981)
avait fait prendre conscience à la fois de l'augmentation de la
transhumance locale et transfrontalière et les activités de
chasse menaçant la faune et la flore de la réserve Faro, qui
venait d'être érigé en un parc. En effet, la région
du Nord dans laquelle se localisent les parcs est une zone de transit. Elle est
divisée administrativement en quatre départements
(Bénoué, Faro, Mayo Louti, Mayo Rey) et Garoua est la capitale
régionale. Elle partage une frontière commune avec la
région de l'Adamaoua au sud, avec l'Extrême-Nord au nord, le
Nigeria à l'ouest, le Tchad et la République centrafricaine,
à l'est. Cette position géographique de la région du Nord
du Cameroun lui procure l'avantage d'échanges transfrontaliers
importants et diversifiés (Figure 15).
Limite nationale Limite régionale
Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique
N°18
0 80 km
LEGENDE
Echanges Parc National
Barrage de Lagdo
N
Faro
Z13
Z16
Z18 bis
Z18
Z18
EXTRÊME-NORD
Z14
ADAMAOUA
Z26
Z2
Z15
Z5 Z1
Z18
Z4
Z7
Z9
Z3
Z10
Z25
Z24
Z11
Z22 bis Z22
Z20
Z12
Z17
Z23
Z21
Z27
142
Source : Enquêtes de terrain (2014)
Figure 15. Échanges transfrontaliers autour
des parcs nationaux et des zones d'intérêt
cynégétique
À cause de leur enclavement, le Tchad et la RCA transitent
par le Cameroun pour
évacuer leurs produits d'exportation. La région est
également une zone de transit pour les bovins tchadiens en partance pour
les marchés nigérians mais aussi en destinations des
différents marchés de bétail du Cameroun Les
Nigérians quant à eux achètent du
bétail et des céréales sur les
marchés camerounais situés dans la région du Nord, de
l'Adamaoua et de l'Extrême-Nord. Dans certaines villes et villages
proches des
frontières, les échanges se font avec le
Naïra, la monnaie nigériane. Un nombre important de braconniers
dans cette région du Cameroun viennent d'ailleurs du
Nigeria. La croissance rapide des activités commerciales
de cette région est une conséquence de sa frontière
poreuse avec un géant économique comme le Nigeria et un pays
émergent économiquement comme le Tchad (Djamen Nana, 2008).
La figure 16 présente les caractéristiques et le
fonctionnement des territoires illicites pour la mobilité pastorale.
Relations sociales
- Accès en principe interdit pour les agriculteurs, les
éleveurs, les cueilleurs, les chasseurs
- Forte amende en cas de contravention
- Corruption des gardes-chasses pour l'accent clandestin
- Information au préalable du sarkin saanou
à l'arrivée des éleveurs et rôles ambigus des
chefs traditionnels
TERRITOIRES ILLICITES DE MOBILITES PASTORALES
Modes d'accès
- Complicité avec les gardes-chasses pour l'accès
illicite dans les parcs
- Indulgence et connivence avec les autorités
traditionnelles lors du séjour autour et dans les parcs
- Abattage des animaux d'éleveurs par les gardes-chasses
peu véreux ou mal rémunérés - Échanges entre
les éleveurs et les agriculteurs des villages voisins (lait,
céréales) - Vente de lait sur les marchés voisins
- Incursion régulière dans les parcs à la
recherche d'un pâturage de bonne qualité et abondant
- De nombreux campements installés à
l'intérieur des parcs
- Les éleveurs d'origine camerounaise viennent du Nord, de
l'Extrême-Nord et de l'Adamaoua
- De nombreux éleveurs venant de l'étranger
(Tchad, Nigéria, Niger)
- Les éleveurs parcourent de longues distances pour
atteindre ces parcs (150-300 km)
- Transhumance pendant la saison sèche (janvier - juin)
- Construction des campements dans les zones
périphériques des parcs , mais aussi installation dans les
villages autour des parcs
Activités pastorales pratiquées
Statut du territoire
- Zones classées juridiquement comme espaces
protégés pour la biodiversité - Géré et
contrôlé par les autorités administratives et des
exploitants privés - Approprié par les gestionnaires et
supervisé par les gardes-chasses
- Interdit de pâturage, de culture, de chasse et de
cueillette
Activités agricoles
pratiquées
- Terres fertiles et convoitise des
populations riveraines
- Une violation permanente des agriculteurs pour la culture du
maïs et du sorgho pluvial dans les extrémités
intérieures
- Une agriculture sur-brûlis dégradant la
végétation
143
Figure 16. Caractéristiques des territoires
illicites de la mobilité pastorale
IV.4.1. Les acteurs illicites transhumant dans les
aires protégées
Tous les éleveurs de bétail qui pâturent
dans les aires protégées de la région du nord ne sont pas
de nationalité camerounaise. Nombreux viennent du Nigeria, du Niger et
du Tchad. Il faut préciser qu'au niveau de la nationalité, les
personnes impliquées dans la transhumance dans le Parc National de Faro
ne sont pas les mêmes que ceux qui sont impliqués dans le Parc
national de la Bénoué. En effet, l'origine des éleveurs et
leur localisation dans les différents parcs est d'influencée
directement par leur situation géographique. Bien qu'il existe des
éleveurs camerounais dans tous les parcs, il y a plus de Tchadiens dans
le Parc national de la Bénoué et plus de Nigérians dans le
parc national de Faro.
Il convient de noter que le Parc national de la
Bénoué est situé à la frontière nord-est de
la région du Nord, partageant ainsi une distance 10 km avec le Tchad au
niveau notamment du village de Gambou. Les villages de Malih et Laro sont quant
à eux situés le long de la frontière du parc national de
Faro au sud-ouest de la région du
144
Nord à seulement 10 km de la frontière avec le
Nigeria. Le tableau suivant donne plus de détails sur l'origine des
éleveurs qui transhument dans les parcs.
Tableau III. Nationalités des éleveurs
qui transhument dans les parcs nationaux du Nord-
Cameroun
Parc
|
Pays d'origine
|
Total
|
Cameroun
|
Tchad
|
Nigeria
|
Niger
|
Parc National de la Bénoué (107)
|
75
|
2
|
30
|
-
|
107
|
Parc National de Bouba Ndjidda
|
14
|
31
|
-
|
-
|
45
|
Parc National du Faro
|
34
|
4
|
82
|
12
|
132
|
Total
|
123
|
37
|
112
|
12
|
284
|
Pourcentage
|
43,3%
|
13%
|
39,4%
|
4,3%
|
100%
|
Le tableau III montre un fait important : il y a plus
d'étrangers qui paissent dans les
parcs dans le Nord du Cameroun que les nationaux. Ces derniers
viennent des trois régions septentrionales du Cameroun à savoir
la région du Nord, qui est l'hôte, la
région de l'Extrême Nord, ainsi que la région
de l'Adamaoua.
Tableau IV. Régions d'origine des
éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du
Nord-Cameroun
Parc
|
Région d'origine
|
Total
|
Nord
|
Extrême-Nord
|
Adamaoua
|
Parc National de la Bénoué
|
53
|
2
|
20
|
75
|
Parc National de Bouba Ndjidda
|
6
|
4
|
4
|
14
|
Parc National de Faro
|
7
|
8
|
19
|
34
|
Total
|
66
|
14
|
43
|
513
|
Pourcentage
|
53,6%
|
11,38%
|
35,1%
|
100%
|
Le tableau IV montre que le Parc National de la
Bénoué est celui qui reçoit beaucoup plus
d'éleveurs transhumants et que la plupart viennent de la région
du Nord. De nombreux éleveurs viennent également de la
région de l'Adamaoua. Les grandes villes de départ sont Tcheboa,
Tchamba, Voko et Poli pour le Parc National de faro ; Barnake, Touroua,
Tcheboa, Ngong, Gouna et Gashiga pour le Parc National de la
Bénoué ; Koum, Touborou, Madingring, Galke, Tcholleri et Mayo
Djerandi pour le Parc National de la Bénoué.
En ce qui concerne les éleveurs transhumants en
provenance de la région de l'Adamaoua, ils viennent pour la plupart des
départements du Faro et Deo, de la Vina et du Mbéré.
Plusieurs éleveurs qui transhument dans le Parc National de la
Bénoué en provenance de cette région viennent de
Tignère.
145
Il convient de noter que les éleveurs parcourent de
longues distances pour atteindre ces parcs. L'analyse des itinéraires
utilisés par les éleveurs avant d'arriver dans le Parc National
de la Bénoué donne les trajectoires suivantes :
1. Tcheboa - Lagdo - Poli - Gouna - Tcholliré -
Sakdjé ;
2. Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé ;
3. Gashiga - Garoua - Ngong - Na'ari - Tatou - Mayo Bocki -
Gouna - Guidjiba ;
4. Barnaké - Tcheboa - Poli - Gouna - Sakdjé -
Gamba - Leunda - Parc National de la Bénoué - Holbali.
IV.4.2. Plusieurs raisons évoquées par les
éleveurs pour justifier leur
mobilité dans les parcs
La recherche de pâturage vert pour le bétail
constitue la principale raison évoquée par les éleveurs
pour justifier la transhumance pendant la saison sèche. Tous les
éleveurs interrogés, nonobstant leur pays ou région
d'origine évoque l'absence de pâturage dans la région
d'origine (Figure 17) dans tous les parcs.
140 120 100 80 60 40 20 0
|
|
|
|
|
Recherche du pâturage
Transit pour les marchés de bétail
Conflits avec d'autres éleveurs Pression des champs
Conflits avec les agriculteurs Fuite des taxes
Instruction des propriétaire Trop d'animaux
|
Parc National de la Parc National du Faro Parc National de
Bénoué Bouba Ndjidda
Source : Enquêtes de terrain (2014)
Figure 17. Raisons de mobilité
évoquées par les éleveurs
enquêtés
146
En dehors de la recherche du pâturage pour leur
bétail, les éleveurs évoquent plusieurs autres raisons qui
les poussent à quitter leur zone d'origine avec leur bétail. Ces
raisons varient cependant en fonction des parcs. Dans le parc National de la
Bénoué, 24% des éleveurs sont en transit vers le
marché du Nigeria et du Cameroun notamment à Adoumri. Ces
éleveurs qui entrent au Cameroun avec leurs troupeaux par le village de
Gambou ne respectent pas la piste à bétail qui passe par
Madingring, Mayo Ndjerandi, Koum, etc. Ils préfèrent traverser le
parc de manière horizontale et arrivent à Koum avant de continuer
à Adoumri.
Bien qu'ils prétendent ne pas nuire au parc, il a
été observé qu'ils campent dans le parc et y font
pâturer leur bétail. Toujours dans le même parc, d'autres
éleveurs considèrent l'invasion des zones de pâturages par
les agriculteurs et les conflits avec les autres éleveurs comme autres
raisons de leur départ. Dans le Parc National de Faro, les
éleveurs évoquent le trop plein d'animaux, les conflits avec les
agriculteurs et les consignes des propriétaires des animaux pour
justifier leurs mouvements. À ces raisons, il faut ajouter la fuite des
taxes traditionnelles évoquée par les éleveurs qui
transhument dans le parc de Bouba Ndjidda.
L'exigence de la transhumance, à cause de la longue
distance et de nombreux obstacles à traverser comme les collines,
n'empêche pas les femmes de participer à cette activité.
Elles accompagnent leur mari dans ces déplacements et participent
à la cuisson des aliments, la vente du lait et même la conduite
des animaux. Dans 90% des campements visités, on note la présence
des deux sexes. Deux groupes ethniques mbororo ont été
rencontrés dans les parcs : les Danedji et les Uda qui
représentent respectivement 98 et 2% du nombre total d'éleveurs.
Les Uda sont beaucoup plus impliqués dans l'élevage de moutons.
De plus en plus de familles entières partent pour la transhumance avec
femmes et enfants même en bas âge. Les déplacements
commencent en effet au mois de janvier.
IV.4.3. Mouvements des animaux dans les parcs
La transhumance dans les différents parcs commence au
mois de Janvier, lorsque les éleveurs commencent à arriver avec
leur bétail. La mise en place complète se fait au mois de mars.
Dès leur arrivée, les éleveurs construisent leurs
campements dans les
147
zones périphériques des parcs tandis que
d'autres s'installent dans les villages autour des parcs. Ces derniers
informent au préalable le Sarki Saanu de leur arrivée.
Ce dernier, affirment certains éleveurs les accompagne, même si
c'est en secret, dans leur passage dans la zone. La transhumance se termine en
mai pour les uns et en juin pour les autres avec les premières pluies et
la mise en place progressive des champs surtout pour ceux qui viennent de loin
notamment du Tchad et du Nigeria. Les autres attendent la fin du mois de juin
et le début du mois de juillet pour repartir.
Les éleveurs transhumants qui pâturent dans les
parcs ont des préférences pour certaines zones. Après
avoir campé aux alentours ou dans les zones tampons, ils peuvent
facilement se déplacer dans les parcs pour y faire paître leurs
animaux. Figure 18 montrent les zones préférées dans les
parcs.
LEGENDE
Limite nationale
Limite régionale
Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique
N°18
Parc National
Z18
EXTRÊME-NORD
Z18
Barrage de Lagdo
Zone convoitée pour le pâturage
Zone préférée dans les ZIC pour le
pâturage Zone peu intéressante pour la pâturage dans
Z14
Z7
Z23
Z11
Z9
Z13
Z10
Z4
les ZIC
Z18
Z21
Z12
Z5
Z1
Z3
N
Faro Z18
Z20
Z17
Z16
Z26 Z24
Z2
Z15
Z18 bis
Z27
ADAMAOUA
Z22 bis Z22
0 80 km
Source : Enquêtes de terrain (2014) Figure
18. Zones préférées par les éleveurs transhumants
dans les aires protégées
Dans le Parc National de la Bénoué, les zones
10, 11, 12, 21 et 23 sont hautement préférées pour
pâturage. La partie du parc le long de la route de Koum à travers
le Mayo Djerandi, de Madingring à Gambou est exploitée à
la fois par les transhumants camerounais et étrangers. La moitié
nord du parc est la zone préférée des éleveurs
tchadiens qui viennent facilement à partir de Gambou. C'est une zone
où la
148
surveillance par les patrouilles est rendue difficile parce
qu'elle est accidentée. Dans le Parc National de Bouba Ndjidda, la zone
25 est préférée par les transhumants du Tchad qui y
viennent pâturer tout le temps. Quant au Parc National du Faro, on
rencontre de nombreux camps dans les zones 16, 18 et 18b. Les Nigérians
et Nigériens préfèrent plus entrer dans le parc par la
confluence du Mayo Faro et du Mayo Deo. Ils campent dans les villages de Malih
et de Laro et se déplacent dans le parc en traversant le Mayo Deo
à volonté (Figure 19).
EXTRÊME-NORD
Z18
Z18
Z14
Z7
Z11
Z23
Z13
Z9
Z10
Z10
Z5 Z1
Z4
Z3
Z12
Z21
N
Faro
Z18
Z25
Z20
Z16
Z18 bis
Z26
Z2
Z15
Z24
Z17
Z27
ADAMAOUA
Z22 bis Z22
0 80 km
LEGENDE
Limite nationale Limite régionale
Z18 Zone d'Intérêt Cynégétique
N°18
Site de campement des éleveurs
Incursions des éleveurs dans les parcs
Parc National
Barrage de Lagdo
Source : Enquêtes de terrain (2014) Figure
19. Campements des éleveurs et leurs incursions dans les
parcs
Dès leur arrivée, les éleveurs
transhumants identifient un emplacement pour implanter leur campement qui est
de préférence choisi dans les zones tampons des parcs. La
localisation est toujours choisie de telle manière qu'ils puissent avoir
accès aux pâturages suffisants pendant au moins cinq mois. Au
début, ce lieu est choisi en relation avec la position des patrouilles
des éco-gardes. Les huttes sont ensuite construites à l'aide de
branches des arbres coupées et d'autres matériaux comme des sacs
de Polythane transportés tout le temps depuis les lieux d'origine. Les
lits sont faits à partir de branches d'arbustes.
149
Les camps sont utilisés comme des lieux de repos
permanent tout en se déplaçant dans le parc et ses zones tampons
pour faire paître le bétail. Les femmes restent en permanence dans
les campements pour préparer la nourriture pour les hommes qui rentrent
manger tous les soirs. Chaque famille dispose ainsi d'ustensiles de cuisines
complets (marmites, plats, couteaux...). Les éleveurs transhumants dans
les parcs achètent également d'autres produits nécessaires
dans les villages environnants (maïs, savons, sel...). Ils sont donc
identifiés par les villageois avec lesquels ils vivent en harmonie.
Certains restent mêmes dans les villages et paissent leurs animaux dans
les zones du parc. Les bovins retournent tous les soirs dans les campements.
Bien que des camps soient introuvables dans les parcs, on a
remarqué que c'est simplement une stratégie utilisée par
les éleveurs pour prouver leur honnêteté. Des traces de
pâturage ont été en effet identifiées dans le Parc
National de la Bénoué en amont de la Bénoué. Ces
traces ont été confirmées par de nombreux travailleurs du
parc qui affirment que c'est la première fois qu'ils atteignent ce
point.
Conclusion
Au Nord-Cameroun, le territoire d'élevage correspond
finalement à un assemblage de territoires complémentaires
raisonné par l'éleveur pour alimenter son bétail sur le
pas de temps minimal d'un an. Ces territoires évoluent au fil du temps
en fonction de la disponibilité des biomasses végétales,
des règles d'accès, de la date d'arrivée des pluies, et de
l'avancée des parcelles agricoles. Les éleveurs y ont des droits
d'usage plus ou moins affirmés selon les cas. Le droit de vaine
pâture, déjà contesté, pourrait être
complètement remis en question par les agriculteurs s'ils trouvent les
appuis politiques suffisants. Dans ce cas, ils pourront contrôler la
totalité des résidus de culture pour alimenter leurs animaux,
produire plus de fumure organique ou développer les systèmes de
culture sur couverture végétale (SCV).
Malgré la fixation des hommes, la mobilité reste
ancrée dans les pratiques de la conduite du troupeau chez tous les
éleveurs au Nord-Cameroun. Depuis quelques années, le
renforcement des aléas climatiques (arrivée tardive ou
précoces des pluies), l'insécurité et la résurgence
des conflits avec les agriculteurs amènent les éleveurs à
changer de stratégie de transhumance parfois chaque année
même si les itinéraires et
150
les lieux restent généralement les mêmes.
Au niveau des pouvoirs publics, les mécanismes de régulation, de
protection des éleveurs ne fonctionnent pas bien. Les éleveurs
adoptent de plus en plus des stratégies individuelles pour
accéder aux petits espaces de pâturages. C'est ainsi qu'on assiste
à un amenuisement des décisions collectives autour de la
transhumance à cause de la compétition entre éleveurs pour
l'accès aux espaces de pâturage.
La pratique de l'agriculture avec le souci de fertiliser les
parcelles a aussi amené les éleveurs à modifier le
calendrier de transhumance et a favorisé le recours aux bergers
salariés, le propriétaire du bétail cherchant plutôt
à rester dans son village et près des parcelles cultivées.
Le chef d'exploitation souhaite en effet garder un oeil sur ses champs et le
développement des transports motorisés et de la
téléphonie mobile lui permet de se rendre rapidement si besoin,
sur les lieux de transhumance.
Même si l'élevage reste au centre des
activités des éleveurs, la sédentarisation les pousse
à s'occuper différemment du bétail. Le troupeau est de
plus en plus confié à des salariés pour d'une part
maximiser l'accès aux divers espaces de pâturage morcelés
en scindant le grand troupeau en sous-unités, et d'autre part, pour
scolariser les enfants traditionnellement affectés au gardiennage.
L'appui au pastoralisme passe par des incitations à une
intensification partielle et progressive des systèmes d'élevage,
en partant de l'hypothèse que la mise en culture de certaines portions
des parcours à des fins de production fourragère peut être
plus productive que sa conservation dans le statu quo de production primaire.
Mais, pour cela il faut apporter des solutions techniques robustes (choix de
plantes fourragères et d'itinéraires techniques) et une
logistique adéquate (formation et information, disponibilité en
intrants) pour accompagner les éleveurs qui acceptent d'investir dans ce
nouveau modèle productif du temps de travail.
Aujourd'hui, la gestion des territoires d'élevage ne
peut pas être séparée de celle des territoires ruraux et
des autres acteurs. Les différents responsables coutumiers ne
parviennent plus à régler seuls, les problèmes qui se
posent sur ces espaces. Les processus actuels de décentralisation de la
gestion du territoire doivent aboutir à l'élaboration de
conventions locales et de règles de gestion consensuelle des
151
ressources naturelles. Leur succès n'est possible que si
les différents groupes d'usagers et d'intervenants sont suffisamment
formés et impliqués dans cette gestion.
153
Chapitre V. Démarche de concertation pour
l'organisation et la gestion des territoires de mobilité
pastorale
Une partie importante des territoires ruraux fait l'objet de
plusieurs usages, simultanés ou successifs : les champs
récoltés deviennent accessibles pour la pâture des
résidus de récolte ; les brousses servent à la fois au
pâturage, à la chasse, à la coupe de bois. Calendriers et
règles locales définissent alors l'utilisation des zones de
parcours par les animaux, la répartition de la cueillette, de la
pêche ou de l'exploitation du sel, etc. Ce partage de l'usage des
ressources ne se fait pas sans conflits. Les droits d'accès sont souvent
remis en cause, au gré des rapports de force.
La superposition de règles contradictoires fragilise
également la stabilité des accords, dès lors que certains
acteurs se revendiquent de normes coutumières et d'autres de la loi. Des
conflits peuvent aussi émerger lorsque la ressource est
surexploitée et que son renouvellement n'est plus assuré. Cette
pression accrue peut être liée à la croissance
démographique, à l'immigration ou au développement
d'opportunités commerciales nouvelles, qui conduit à vendre des
ressources autrefois seulement autoconsommées. La surexploitation peut
aussi être la conséquence d'un échec des systèmes de
régulation : des règles inexistantes, obsolètes ou
contradictoires, des dysfonctionnements des instances de gestion (Benkahla et
Hochet, 2013).
Le territoire local apparait comme un niveau
privilégié de coordination des parties prenantes et de mise en
oeuvre du développement durable (D'Aquino, 2002). Le
développement territorial est alors un processus qualitatif de
transformation des structures économiques, sociales, culturelles,
environnementales d'un territoire.
Quelle est la réelle capacité qu'ont les acteurs
concernés à piloter leur devenir, à élaborer et
mettre en oeuvre, à cet effet, des actions de gestion et d'exploitation
harmonieuse des territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun ?
Quelles outils et actions à mobiliser ? Comment pérenniser les
résolutions prises tout en sachant que de nombreux projets d'appuis
à la démarcation foncière et à la
sécurisation des
154
territoires pastoraux ont eu des résultats
mitigés ? Quel rôle les autorités traditionnelles
peuvent-elles jouer dans ce processus complexe et où l'État
semble démissionner ?
Après avoir évoqué la notion de bien
commun dans le contexte de territoire de mobilité, nous allons
dérouler la démarche proposée.
V.1. Les territoires de mobilité pastorale comme
bien commun : comment
cogérer ce qui est à tous ?
Les biens communs peuvent être définis comme des
biens (au sens large : biens matériels ou immatériels et
services) qui mobilisent une action collective dans un objectif
d'intérêt commun, souvent associé à la
soutenabilité (au sens large : respect des limites écologiques et
justice sociale). Ils incorporent pour la plupart l'idée d'une
construction simultanée d'un bien et d'une communauté. Leur mode
de production et/ou de gestion (par l'action collective) les distingue des
biens privés (produits par des individus pour eux-mêmes ou pour le
marché) et des biens publics (produits et/ou gérés par les
pouvoirs publics). Plus fondamentalement, le concept de « bien commun
» nous invite à dépasser une définition
économique de ce qu'est un bien (objet de production et de consommation)
pour questionner notre sens philosophique du « bien » et de la «
vie en commun » (Errembault, 2012).
Nous ne le savons que trop bien, notre civilisation
planétaire se trouve prise dans des crises multiples : environnementale,
sociale, économique mais aussi démocratique et culturelle. Nous
n'avons jamais été aussi riches et pourtant les
inégalités augmentent tous les jours. Nous avons atteint un
développement scientifique et technologique élevé, mais au
prix d'une dégradation environnementale sans précédent. La
crise économique, principalement provoquée par
l'irresponsabilité de certains acteurs privés financiers, rend
les pays occidentaux endettés incapables d'entrevoir le bout du tunnel
ailleurs qu'au sein du crédo habituel de la croissance et de
l'austérité. Dans ce contexte, le repli sur soi, le recul des
liens sociaux et de la démocratie semblent faire leur chemin, mettant
à mal notre prospérité commune (Errembault, 2012). C'est
dans ce contexte que de nombreuses pratiques collectives ont
émergé, renouant parfois avec des pratiques très anciennes
provisoirement délaissées, comme autant de résistances aux
finalités que véhicule la logique capitaliste. Ces pratiques ne
peuvent être rangées
155
ni dans la catégorie de l'activité marchande ni
dans celle de l'action publique traditionnelle (réglementations,
politiques d'incitants), ce qui ne les empêche pas d'interférer
avec l'une ou l'autre. Elles méritent une attention particulière
car elles sont vraisemblablement porteuses d'une forme d'innovation sociale
susceptible de répondre aux défis du XXIème
siècle (écologie, justice sociale, finalités).
L'approche des biens communs (commons en anglais)
nous offre des pistes de sortie face à ces nombreux obstacles. Elle a
été développée depuis de nombreuses années,
et popularisée notamment par les travaux d'Elinor Ostrom, prix Nobel
d'économie. Ostrom a mis en lumière la façon dont des
communautés dans le monde entier s'organisent pour gérer en
commun des ressources naturelles (rivière, forêt, etc.). Pour en
éviter la surexploitation, les communautés se donnent des normes
et des règles, et, au rythme des expérimentations, parviennent
non seulement à protéger durablement leurs ressources mais
également à renforcer les liens sociaux qui les animent
(Errembault, 2012). L'auteur ajoute qu'en dehors des ressources naturelles,
l'approche des biens communs permet de repenser la production et la gestion de
différents biens (culture, transport, logement, etc.) et leur
réappropriation collective par les citoyens, au-delà de la
dichotomie traditionnelle État/marché. Au carrefour du social, de
l'environnemental et de l'économique, les biens communs sont un outil
pour réinventer ensemble une prospérité
partagée.
V.1.1. Histoire et clarification du concept de bien
commun
Les biens communs ou commons en anglais couvrent une
multitude de biens ou de ressources allant du plus tangible - exemple : l'eau -
au plus virtuel - exemple : le logiciel libre -, en passant par le
réseau de vélos partagés d'une ville. Ils sont
caractérisés par une diversité de modes de production et
de gestion relevant tantôt d'une communauté, tantôt des
pouvoirs publics mais aussi de régimes hybrides. L'important est que les
biens communs mobilisent une action collective qui émane d'une
communauté ou de réseaux citoyens. Au travers des biens communs,
les utilisateurs sont aussi codécideurs du mode de production et de
gestion de ceux-ci. L'objectif qui sous-tend les biens communs est la
soutenabilité écologique, sociale et économique
(Errembault, 2012). Ce dernier précise que jadis, c'était une
pratique
156
courante pour gérer et utiliser les terres en commun.
En effet, le berceau des biens communs se situe dans l'Europe du
XIIème-XIIIème siècle. Il
était alors question de gérer les usages concurrents du sol entre
culture, prairie et bois, principalement lorsque la pression
démographique poussait vers l'intensification de l'agriculture et du
pâturage. Le concept de bien commun permettait également un
arbitrage lors de différends entre seigneur et villageois. Des droits
partagés sur un même lopin de terre étaient mis en
oeuvre.
Les biens communs constituent ainsi une forme institutionnelle
historique qui permet l'action collective par laquelle les protagonistes
définissent eux-mêmes le bien commun et la structure
institutionnelle qui en assure la pérennité ainsi que les
règles d'accès et d'utilisation basées sur un principe de
confiance mutuelle et de sanction en cas de transgression des règles
communément admises.
V.1.2. Un concept longtemps oublié, revenant
récemment sur le devant de la scène.
Plusieurs évolutions ont fait reculer le fait
communautaire qui faisait la part belle à l'implication des citoyens et
à l'ancrage local. D'abord, les Lumières qui firent de l'individu
émancipé l'unité de base de la société.
Ensuite, la constitution des Etats-Nations par laquelle la
société devint centralisée. Ce fut désormais
à L'État qu'échut de définir le cadre
économique et les formes des institutions légalement acceptables.
Enfin, le modèle de l'économie de marché qui allait mener
à la surexploitation. Ces trois évolutions conduisirent, dans le
milieu du XIXème siècle, à la dissolution des
terres communales ou détenues en commun à travers toute l'Europe
de l'Ouest (Errembault, 2012).
En 1968, le biologiste américain Hardin offrit au monde
une puissante métaphore en publiant dans le magazine Science un article
intitulé « The Tragedy of the Commons » (« La
tragédie des communs », encadré 2). Pour lui, le destin
inévitable d'un pâturage abandonné au commun est la
surexploitation, qui pourra être évitée par la
reconnaissance de la propriété privée ou par le recours
à la gestion publique.
157
L'encadré 2 présente la tragédie des
communs de Hardin que nous illustrons avec le cas des espaces de
pâturages commun utilisé à la fois par les éleveurs
et les agriculteurs.
Encadré 2. La tragédie des communs
de Hardin : analyse à partir des espaces de pâturage au
Nord-Cameroun
L'image proposée par Hardin est celle d'un
pâturage sur lequel les fermiers mènent leurs troupeaux. Chaque
fermier a intérêt à laisser brouter son cheptel davantage
que ne le fait le fermier voisin. Si chaque fermier agit de la sorte pour
maximiser son profit, le pâturage se dégrade petit à petit,
de manière imperceptible au début, mais de manière
définitive au bout du compte. C'est la surexploitation. Tel est le
destin inévitable d'un pâturage abandonné au commun, selon
Hardin.
La tragédie du commun peut être appliquée
au contexte des zones de pâturage au Nord-Cameroun. En effet,
après la délimitation des zones de pâturage par l'Etat avec
l'appui des projets de développement, les agriculteurs ont
continué à y cultiver. Ne pouvant rien contre ces pratiques, les
éleveurs ont commencé à installer leurs campements
à l'intérieur et à leur tour à y cultiver. Les
premiers venus invitent et accueillent même de nouveaux candidats
à la sédentarisation qui à leur tour se mettent à
cultiver. Ce qui contribue à l'amenuisement et à la longue
à la disparition des espaces de pâturage de saison de pluie.
|
Le modèle de la tragédie des communs de
Hardin stipule que, lorsqu'une ressource est en libre accès, chaque
utilisateur est conduit spontanément à puiser sans limite sur la
ressource, conduisant à sa disparition. L'exemple donné est
basée sur la métaphore du pâturage communal en accès
libre : chaque éleveur individuel, rationnel, est incité à
y placé un nombre (trop) élevé d'animaux car le
bénéfice qu'il en tire est privé alors que le coût
de la surexploitation est collectif (et donc moindre que le
bénéfice privé). En d'autres termes, chaque éleveur
cherche à accroître son troupeau puisque, de toute façon,
le prix à payer est quasi-nul par rapport au bénéfice
immédiat obtenu. Mais, au terme de ce processus, tous les
éleveurs sont perdants. En outre, si chaque éleveur partageant un
pâturage prenait la décision économique, individuellement
rationnelle, d'augmenter le nombre d'animaux qu'il fait paître, cela
aurait l'effet global d'appauvrir ou de détruire le pâturage.
Autrement dit, des individus multiples, agissant indépendamment et
rationnellement selon leur intérêt personnel, finiront par
épuiser la ressource limitée qu'ils partagent, même s'il
est évident que cela va contre l'intérêt à long
terme de chacun (Burke, 2011). On relève ici une parenté de cette
« tragédie » avec la thèse de la surpopulation
que Malthus avait énoncée à la fin du
XVIIIème siècle. Selon Hardin, il n'y a que trois
solutions à cette « tragédie » : la limitation
de la population pour stopper la surconsommation, la nationalisation ou la
privatisation. Émise à la veille du grand mouvement de
dérégulation et de déréglementation de
158
l'économie mondiale, on comprend que la
troisième voie fut exploitée à fond pour justifier le
recul de l'intervention publique (Harribey, 2011).
Le jeu du dilemme du prisonnier modélise
grâce à la théorie des jeux la tragédie des jeux
non coopératifs de Hardin : lors d'un jeu non coopératif
(absence de communication) avec information complète, les joueurs sont
toujours rationnellement incités à « trahir ».
Rappelons ainsi que la théorie des jeux part de l'homo economicus
et cherche à comprendre l'action collective. L'une des situations
les plus connues est caractérisée comme « dilemme du
prisonnier » qui constitue la représentation
emblématique de situations où « des comportements
individuels rationnels conduisent à des résultats collectivement
irrationnels » (Ostrom, 1990 : 5). Le dilemme du prisonnier
(encadré 3) a été appliqué à la
question des ressources naturelles (Hardin, 1968). Ce dernier explique que les
ressources qui sont en libre-accès ne peuvent être
préservées qu'en maintenant dans une situation de
sous-consommation, et donc de sous-population. Que la population augmente ou
que les droits soient mal définis et nous assistons à la «
tragédie des communs » : chaque acteur a intérêt
à maximiser sa consommation et ce comportement conduit à la
destruction des « communs ».
Encadré 3. Le dilemme du prisonnier :
analyse à partir des relations entre agriculteurs et
éleveurs
On résume souvent cette situation de la manière
suivante : Deux suspects sont arrêtés par la police. Mais les
agents n'ont pas assez de preuves pour les inculper, donc ils les interrogent
séparément en leur faisant la même offre. « Si tu
dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu seras remis
en liberté et l'autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le
dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de
prison. Si personne ne se dénonce, vous aurez tous deux 6 mois de prison
». Si chacun poursuit son intérêt individuel, ils vont
se dénoncer mutuellement et écoper de cinq ans de prison. S'ils
coopèrent ils ne feront que six mois. Mais pourquoi
coopèreraient-ils ? C'est là que la discussion commence, que l'on
étudie le rôle de la confiance, des institutions, etc. Le fond du
débat est qu'il existe des situations « gagnant-gagnant » qui
ne sont pas immédiatement accessible, que cela vienne d'un défaut
d'information (Herbert Simon, mais aussi Joseph Stiglitz sur les
asymétries d'information), d'un défaut de confiance, d'attentes
non-partagées, de défaut de sécurité juridique ou
autre, tous ces biais générant des incitations à se
comporter comme un « passager clandestin » : tirer les
bénéfices Sans payer son dû (Flipo, 2010).
|
Si les suspects, au lieu de se dénoncer mutuellement,
coopèrent, ils subiront des peines moins lourdes. Mais ils ne sont pas
portés spontanément à la coopération, et,
dès lors, tous ont tendance à se comporter en «
passagers clandestins ». C'est la pertinence de ce modèle
que va attaquer vigoureusement Elinor Ostrom sur la base d'une approche
néo-institutionnaliste. Ostrom estime que cette «
tragédie » n'est pas inéluctable comme le pensait
Hardin. Au contraire, les éleveurs peuvent l'éviter s'ils
décident de
159
coopérer en instaurant une surveillance mutuelle de
l'utilisation de la terre et des règles pour la gérer. Dans le
même sens, Olson (1965) s'attaque à l'idée qu'une
hypothèse de comportement individuel rationnel conduirait
spontanément les groupes sociaux à agir collectivement
conformément à leur intérêt. Pour lui, c'est
précisément ce que la théorie des jeux tend à
démentir. Les comportements de passager clandestin seraient au centre
des défaillances de l'action collective : l'intérêt de
chacun est de profiter d'un bien collectif, sans investir lui-même dans
sa production et sa gestion. La logique de l'action collective telle que
décrite par Mancur Olson est l'application de ces principes à
l'action collective : il est, pour cet auteur, entièrement irrationnel
de participer à une action collective, dans la mesure où il est
plus efficace de laisser les autres se mobiliser tout en profitant des
résultats de leur action (comportement du passager clandestin).
Ostrom et Basurto (2011) proposent une classification des
règles, qui prend appui sur le langage de la théorie des jeux.
Pour eux, toute « situation d'action » (à quelque
niveau que ce soit, depuis une communauté jusqu'au niveau national ou
international) s'analyse comme une interaction entre des acteurs qui ont
certaines positions, des capacités d'action aux différentes
étapes des processus de décision, liées au degré de
contrôle et aux informations dont ils disposent, aux conséquences
vraisemblables de leurs actions et aux coûts et bénéfices
attendus de ces conséquences (Ostrom et Basurto, 2011 : 323).
D'ailleurs, des années après, Hardin fut
amené à revenir sur son article et précisa alors qu'il
s'agissait d'une analyse de la « tragédie des communs non
gérés ». La métaphore de Hardin se
révèle en fait erronée sur trois points : (1) il
confondait bien commun et no man's land - ou open access - ;
(2) il partait du principe que les fermiers ne parlaient pas entre eux or les
personnes exploitant des ressources en commun échangent beaucoup entre
eux. Ils établissent des règles d'accès et d'utilisation
des biens communs pour les sauvegarder ; (3) il partait du principe que les
hommes produisent dans le but de dégager un profit or la logique des
biens communs vise avant tout la satisfaction des besoins de subsistance des
utilisateurs (Errembault, 2012).
160
Elinor Ostrom propose une vision très enthousiasmante
des biens communs dans son ouvrage, paru en 1990, Governing the commons.
The Evolution of Institutions for Collective Action. Ses années de
recherche ont été récompensées par le prix Nobel
d'économie en 2009. Elinor Ostrom a scruté de très
nombreux biens communs. Les « ressources communes » sont en
effet des biens dont la consommation est à rivalité
élevée et dont il est difficile de limiter le nombre de
bénéficiaires. Cela peut être le cas des pêcheries,
des forêts, de l'eau des canalisations d'une vile etc. Le pêcheur
qui prélève du poisson le rend indisponible pour les autres
pêcheurs. Mais il ne peut pas exclure les autres pêcheurs. Et
Ostrom constate que, contrairement à ce que disait Hardin, il existe de
par le monde des dizaines de milliers de cas de gestion des ressources qui ne
tournent pas à la « tragédie des communs ». Il
existe aussi de nombreux cas où ce que Hardin prévoyait se
produit effectivement. Sa recherche consiste à essayer de mettre en
évidence les régularités qui expliquent quels sont les
facteurs décisifs (Flipo, 2010).
Dans son troisième chapitre, l'auteur livre plusieurs
monographies sur des études de cas qu'elle a menées ou dont elle
fait la synthèse. Son objet d'étude est les ressources communes
le plus souvent renouvelables dans une communauté de petite
échelle. À partir de l'hypothèse que la connaissance des
règles est totale pour chaque membre de la société, la
conclusion est que la solution trouvée est la meilleure possible :
l'optimum est toujours au rendez-vous de la coordination (Harribey, 2011). Elle
a retenu puis analysé ceux qui étaient en bon état
malgré leur utilisation intensive. Pour ceux-là, elle a
identifié sept caractéristiques communes qui peuvent servir de
principes pour maintenir des biens communs en bon état : (1) des
frontières clairement définies qui soient reconnues ; (2) des
règles d'accès et d'appropriation qui soient en adéquation
avec les conditions sociales et environnementales locales ; (3) des
règles collectives permettant aux utilisateurs des biens communs de
participer à la prise de décisions ; (4) un monitoring de l'usage
et de l'état du bien commun réalisé par des utilisateurs
mandatés par la communauté ; (5) une échelle de sanctions
graduelles à l'encontre de ceux qui outrepassent les règles
communautaires ; (6) des mécanismes de résolution de conflit qui
soient simples et accessibles facilement ; (7) l'auto-
161
détermination de la communauté est reconnue et
encouragée par les niveaux supérieurs successifs
d'autorité. Ostrom cesse de se fixer sur la nature des biens qui
déterminerait leur caractère de commun et elle se penche au
contraire sur le cadre institutionnel et réglementaire qui
préside à leur érection en tant que communs, mieux, qui
les institue en tant que communs (Harribey, 2011).
Les facteurs qui rendent les systèmes
socio-écologiques « robustes » sont au nombre de huit : des
frontières clairement définies (qui a droit de pêcher) ;
des bénéfices proportionnés aux coûts (la
quantité permise dépend du travail fourni, des matériaux,
du capital) ; des règles issues des individus qui en participent, au
moins de leur élite ; une « surveillance » (ceux qui
surveillent le comportement des individus et le niveau de la ressource peuvent
eux-mêmes être surveillés, ce qui s'obtient notamment par le
biais de rotation dans les tâches) ; des sanctions graduées (de la
part des autres usagers ou autre) ; la présence de mécanismes de
résolution des conflits rapides, accessibles et peu coûteux, que
ce soit pour les conflits entre usagers ou les conflits entre usagers et
autorités ; le droit des usagers à s'organiser eux-mêmes et
à participer à l'évolution des règles ; et, dans le
cas de systèmes de taille importante, des entreprises «
imbriquées » (« nested ») dans le tissu
local (Flipo, 2010).
L'auto-gouvernance peut fonctionner de manière
efficiente. Elle vise à laisser la gestion du bien commun à ceux
qui sont en prise directe avec lui. Finalement, en matière agricole, ce
sont ceux qui travaillent la terre qui sont le plus à même de la
connaître le mieux. Mais il y a certaines conditions préalables
à la bonne gestion des biens communs, notamment celle de la
reconnaissance et du soutien des niveaux successifs d'autorité de
tutelle qui peuvent être rassurées qu'un tel mode de gestion peut
faire face sereinement à la pression du mode de marché ou trouver
avec lui des interactions intéressantes (Errembault, 2012).
Ostrom met en évidence cinq facteurs qui sont
régulièrement présents dans les échecs : des
changements exogènes rapides, qui ne permettent pas de changer les
règles internes assez rapidement (exemple des pêcheries du nord de
la Norvège) ; un déficit de transmission des principes
opérationnels d'une génération à une autre ; les
programmes qui reposent sur des « modèles » («
blueprint thinking ») et un accès aisé
162
à des fonds extérieurs ; la corruption et
d'autres formes de comportement « opportuniste » (qu'Ostrom
définit comme) ; et enfin le manque de d'institutions permettant
d'établir une information vérifiable, de la disséminer, de
résoudre les conflits à un coût peu élevé,
d'assurer l'éducation, le manque d'équipements pour faire face
aux catastrophes naturelles et autres problèmes majeurs à
l'échelle locale.
Par ailleurs, l'analyse d'Olson (1965) s'appuie sur
l'importance donnée à la différenciation des groupes selon
leur taille. Olson distingue en effet les petits groupes, les groupes « de
taille intermédiaire » et les grands groupes. Et il
considère que les comportements des agents et les conditions de
coordination ne sont pas les mêmes, dans ces différents types de
groupes. Sans entrer ici dans le détail de son argumentation, et des
conclusions très discutables qu'il tirera de ses analyses, il estime que
si, dans les grands groupes, seuls des systèmes d'incitation
imposés aux agents peuvent assurer une coordination efficace, dans les
petits groupes et, dans une certaine mesure dans les groupes de taille
intermédiaire, les comportements sont tels que des mécanismes de
coordination prévenant les comportements de passager clandestin pourront
se mettre en place spontanément. Elinor Ostrom va reprendre et
développer cette idée, à sa manière, pour expliquer
ce qui est pour elle le constat majeur qui résulte de l'observation de
l'organisation des pools communs de ressources : la capacité des acteurs
privés à résoudre des problèmes d'action
collective, en construisant par eux-mêmes des systèmes de
règles, des « modes de gouvernance » adaptés
aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés. Cette
manière d'aborder la question générale des communs
délimite à notre sens assez strictement le champ d'application
des analyses d'Ostrom : le cas de la gestion de ressources communes à un
groupe aux frontières bien définies, et de taille limitée
(Weinstein, 2013).
Toutes les situations de ressources communes sont
confrontées à des environnements incertains et complexes. Par
contraste, les populations de ces endroits font montre de stabilité, ont
partagé leur passé et comptent partager leur avenir. Autrement
dit, leur taux d'actualisation est faible. Si de lourds investissements sont
à faire, elles sont susceptibles d'en récupérer les
bénéfices. Les normes élaborées sont
développées dans
163
toutes les situations de manière précise.
L'intérêt personnel prudent de long terme renforce l'acceptation
des normes de comportement approprié.
Principes de conception : On peut s'attendre à ce que
de tels individus s'engagent conditionnellement à suivre des
règles, lorsque :
- les limites sont clairement définies : « les
individus ou ménages possédant des droits de prélever des
unités de ressources d'une ressource commune doivent être
clairement définis, ainsi que les limites de la ressource en tant que
telle » ;
- la concordance entre les règles d'appropriation et de
fourniture et les conditions locales : « les règles qui
restreignent, en termes de temps, d'espace, de technologie et/ou
quantité l'appropriation des unités de ressources sont
liées aux conditions locales et aux obligations en termes de main
d'oeuvre, de matériel et/ou d'argent » ;
- des dispositifs de choix collectif : « la plupart
des individus concernés par les règles opérationnelles
peuvent participer à la modification des règles
opérationnelles » ;
- la surveillance : « les surveillants qui examinent
les conditions de la ressource commune et le comportement des appropriateurs
rendent compte aux appropriateurs ou sont des appropriateurs eux-mêmes
» ;
- des sanctions graduelles : « les appropriateurs qui
transgressent les règles s'exposent à des sanctions graduelles
(en fonction de la gravité et du contexte de l'infraction) par les
autres appropriateurs et/ou agents travaillant pour le compte des
appropriateurs » ;
- des mécanismes de résolution des conflits :
« les appropriateurs et leurs représentants disposent d'un
accès rapide à des arènes locales bon marché pour
résoudre les conflits entre appropriateurs ou entre les appropriateurs
et leurs représentants et agents » ;
- une reconnaissance minimale des droits d'organisation :
« les droits des appropriateurs d'élaborer leurs propres
institutions ne sont pas remis en cause par des autorités
gouvernementales externes ».
164
- des entreprises imbriquées pour les ressources
communes appartenant à des systèmes plus grands : « les
activités d'appropriation, de fourniture et de surveillance,
d'application des règles, de résolution de conflits et de
gouvernance sont organisés par de multiples niveaux d'entreprises
imbriquées » (publiques et privées).
Après avoir fait les contours des démarches
théoriques proposées par divers chercheurs et spécialistes
dans le domaine de la gestion des ressources communes, nous allons faire le
point sur les actions menées au Nord-Cameroun et proposer des scenarii
de gestion et de concertation autour des territoires de mobilité.
V.2. De nombreuses interventions aux résultats
mitigés en matière de
concertation et de sécurisation
foncière
De nombreuses interventions se sont attachées, depuis
les années 90, à la sécurisation et à la gestion
intégrée des ressources agropastorales. Nous pouvons citer le
projet de Développement du Paysannat et de Gestion de Terroirs (DPGT),
le Projet d'Appui à la Gestion des Terroirs Villageois (PAGTV), le
Projet d'Appui à l'Auto-Promotion Rurale (PAAR), le projet GESEP, le
PDOB....
Ces projets ont développé trois grands types
d'actions : i) Les premières concernaient la sécurisation d'une
part, des limites villageoises, et, d'autre part, des parcours pastoraux et des
pistes à bétail grâce à la délimitation de
zones agricoles et pastorales au sein des terroirs. Elles ont aussi
porté sur la définition de règles de gestion des espaces
et des ressources (cahiers des charges) ; ii) Quelques expériences ont
concerné la sécurisation des droits fonciers à l'instar du
DPGT ; iii) Plus récemment le Programme de Développement Ouest
Bénoué (PDOB), le Programme National de Développement
Participatif (PNDP), le projet PAGEPA, le Projet de Gestion Durable des Terres
et des systèmes agro-sylvo-pastoraux (PGDT) ont facilité la mise
en place de cadre de concertation pour l'élaboration de Plans
d'Aménagement et de Développement Locaux (niveau village) et
communaux.
165
V.2.1. Délimitation foncières des
villages, des zones pastorales et des couloirs de transhumance
Des méthodes de négociation des limites
villageoises d'une part et, d'autre part des zones pastorales et des couloirs
ont été mises au point. Ces actions ont été
engagées par le DPGT à partir de 1997 avec les notables de la
chefferie chargés des questions d'élevage, notamment le
sarkin saanu, pour identifier et statuer sur l'étendue des
aires pastorales et sur les axes de circulation du bétail qu'il semblait
nécessaire de préserver pour permettre le maintien des
éleveurs face à la progression des espaces cultivés par
les agriculteurs migrants. Ces méthodes s'appuient sur des
négociations menées par « commission ».
Celles-ci regroupent des représentants des différents villages
concernés, des campements d'éleveurs, de la
chefferie36, parfois de l'administration territoriale. Il faut noter
l'importance du rôle de l'animateur, plus ou moins neutre, dans la
préparation et la tenue des sessions de la commission. Une «
descente » sur le terrain est systématiquement
organisée.
La méthode a consisté à repérer le
tracé des limites des aires pastorales ou des pistes à
bétail après concertation entre agriculteurs et éleveurs,
avec l'aval des autorités coutumières, dans l'espoir
d'éviter des litiges quant à l'occupation de l'espace. Les
différentes articulations des limites ont été
matérialisées par l'implantation de bornes en ciment de grande
taille pesant 100 kg. Les coordonnées géographiques de ces points
ont été relevées au GPS. Ces bornes ont été
peintes en blanc, les noms des villages y ont été inscrits en
noir. De petites bornes de 20 à 25 kg, peintes en orange, ont
été positionnées entre les grosses, à 100 m
d'intervalle les unes des autres. Une peinture orange appliquée sur les
arbres indique l'emplacement d'une limite entre territoires. Ensuite on a
procédé à un bornage « lourd » des
lignes de démarcation (bornes de 200 kg, théoriquement
inamovibles pour des paysans). Rappelons que le bornage n'est pas
l'aboutissement concret d'une procédure juridique d'immatriculation
foncière, mais l'implantation après négociation entre les
parties prenantes de bornes sur limites de
36 Les négociations ont eu lieu certes avec
beaucoup de difficultés car au début, l'autorité
traditionnelle s'était catégoriquement opposée à
l'opération. Pour cette personnalité la procédure
était un moyen d'immatriculation de la zone. Elle pensait en effet que
les bénéficiaires devaient s'approprier cette zone et qu'il
n'aurait plus un droit de regard dans sa gestion. Il a fallu plusieurs
séances d'explication et de négociation pour avoir son
adhésion.
166
l'aire de pâturage ou de la piste à bétail
utilisé par les campements des éleveurs mbororo. Enfin, les
limites et les bornes ont été reportées sur une carte
signée par les représentants des différentes
communautés et diffusée auprès d'elles, de
l'administration territoriale, des services techniques agricoles, pastoraux,
forestiers et enfin des autorités traditionnelles, ces dernières
lui ayant donné la caution nécessaire pour lui conférer
une certaine applicabilité et légitimité.
Les décisions obtenues après débats ont
valeur de nouvelles règles. Un procès-verbal est établi.
Il reprend le contenu des accords et décrit les limites
négociées. Un levé des contours et une
représentation cartographique des espaces sont réalisés.
Dans le cas des délimitations des aires pastorales et des pistes
à bétail, une charte mentionne les droits et devoirs des
éleveurs utilisant ces pâturages et des agriculteurs voisins. Les
limites sont matérialisées par bornage.
Le report de la limite et des bornes est fait sur une carte
signée par les parties. Une copie du procès-verbal, des cartes et
des chartes est remise aux parties et, parfois, enregistrée
auprès de la sous-préfecture compétente.
Les décisions sont dans un premier temps
respectées. Elles doivent néanmoins être validées
à la fois par les autorités coutumières et
l'administration territoriale. Mais les accords sont soumis, avec le temps,
à une certaine érosion. De manière plus
conséquente, la délimitation ne peut rester figée : elle
doit évoluer en fonction des pressions accrues sur la ressource. Le
besoin de la pérennité des commissions de concertation se fait
sentir pour accompagner les évolutions. Les méthodologies sont
aujourd'hui largement diffusées. Mais la maîtrise est bien moins
partagée. L'exercice demande une qualité et un engagement de la
part des animateurs, qui doivent dépasser la simple mise en oeuvre de
recettes "formalisées". Deux enseignements peuvent en être
tirés de cette expérience :
- la sélection des animateurs doit être faite
avec soin. Les animateurs devront toujours être capables d'adapter une
"méthodologie de base" à la complexité des situations ;
167
- La formation et l'accompagnement doivent être une
préoccupation permanente. Ils se feront sur la base des retours
d'expérience, d'abord des projets antérieurs puis des actions.
Un autre élément négatif est que la
délimitation et, de manière plus générale, la
concertation dépend trop des projets. Même les commissions
officielles de conflits agro-pastoraux présidées par le
sous-préfet, instaurées par la loi de 1978 ne fonctionnent que de
manière précaire, compte tenu de leurs coûts,
considérés comme exorbitants. Les projets les plus
récents, sauf le projet GESEP, ne s'appuient plus sur ce dispositif,
auxquelles les populations rurales font peu confiance.
Le projet GESEP (Gestion Sécurisée des Espaces
Pastoraux) a contractualisé TERDEL-GIE37 pour réaliser
un travail de médiation et de sécurisation des parcours dans
trois unités administratives du Département de la
Bénoué notamment dans les arrondissements de Ngong, Touroua et
Lagdo (GESEP, 2006). Comme pour le DPGT, le travail de médiation et de
négociation s'est appuyé sur une large consultation des acteurs
concernés ainsi que d'autres personnes ressources. Cette consultation a
permis d'avoir une meilleure connaissance du conflit et de mieux
appréhender les enjeux dans le but de définir un cadre
approprié de négociations. Une attention particulière a
été accordée à la cartographie. Elle a fourni
d'importants renseignements sur l'état des lieux et les
différents modes d'occupation de l'espace. On a obtenu grâce
à ce travail un support visuel qui permet d'amorcer les
négociations sur la base d'éléments objectifs. Le travail
de cartographie est intervenu également après les
négociations. Il s'agissait alors de reporter sur les cartes le
tracé des limites retenues de manière consensuelle.
L'opération de cartographie a nécessité un important
travail de terrain. Les activités ont démarré
mi-août 2002 et se sont achevées fin janvier 2003.
Le GESEP a également mené des actions en faveur
de l'évolution institutionnelle de la commission paritaire. La
commission paritaire a été mise en place dans le cadre des
activités du projet DPGT. Elle a été mise en place pour
faire face aux nombreuses demandes d'interventions dans le domaine de la
médiation foncière au regard de la
37 Territoire et Développement Local-Groupement
d'Intérêt Économique.
168
multiplication des conflits agro-pastoraux suite à la
création des villages ex-nihilo par des migrants. La commission
consultative d'arrondissement étant difficile à mobiliser et
à déplacer, il a fallu trouver une solution « provisoire
» pour répondre aux nombreuses demandes afin de régler des
conflits là où ils existent ou d'intervenir par anticipation afin
d'éviter que les conflits ne se produisent. La commission a
été placée sous la présidence du Chef de District,
ce qui lui confère un caractère formel. Toutes les
activités menées dans le cadre de cette convention ont
bénéficié du concours de la commission paritaire.
Trois innovations ont été introduites pour
favoriser l'évolution de la commission paritaire :
- Une session de formation a été
organisée avec pour de fournir aux éleveurs tous les outils et
informations nécessaires pour leur permettre de participer activement
aux négociations qui seront organisées par la commission
paritaire. Jusque-là, on constatait que c'était les agriculteurs
(qui bénéficient d'un meilleur encadrement en matière
d'organisation notamment) qui réagissaient rapidement pour
défendre leurs intérêts.
- Les responsables des services régionaux des domaines
et du cadastre ont été déplacés sur les sites
à borner pour travailler avec la commission paritaire. L'objectif
était d'établir une passerelle entre la commission paritaire et
la commission d'arrondissement. Si ces types de mission étaient
concluants, on pourrait proposer que la commission paritaire intervienne comme
« une annexe » de la commission d'arrondissement ;
- Des modèles de nouveaux documents d'officialisation
et de contractualisation ont été proposés pour
appréciation aux autorités départementales. Ces documents
avaient pour finalité d'officialiser et de légaliser les travaux
de la commission paritaire.
Si ces innovations avaient été menées
à terme, elles auraient permis à la commission paritaire
d'évoluer dans le sens du renforcement de sa légitimité et
de conférer à ses actions un caractère légal.
169
V.2.2. Formalisation écrite des transactions
foncières individuelles
Les règles du foncier évoluent rapidement. Le
droit du premier défricheur reste le droit prioritairement reconnu mais
les reconstitutions historiques restent difficiles et leurs résultats
sont souvent contestés. D'autre part, des conceptions différentes
des droits apparaissent. Elles font référence à des modes
de transmissions d'avant l'arrivée des populations musulmanes ou
à des pratiques de partage égalitaire pour tous les ayants
droits.
Les expériences de sécurisation foncière
ont évolué. Elles ont d'abord favorisé la mise en
application des lois concernant la propriété. La perception
négative du droit de propriété, peu compatible avec les
us, coutumes et pratiques actuelles, le manque de moyens de l'administration
domaniale, le coût élevé de l'immatriculation et
l'opposition des autorités traditionnelles ont conduit les projets
à rechercher la "confortation" de pratiques sociales, par une
stratégie de "petits papiers", document écrit, contractualisant
les droits d'accès et d'usage. Le projet PAGEPA fait en sorte que les
contrats ainsi conclus soient signés sur deux ou trois ans (l'accord
oral étant habituellement d'un an).
En résumé, la question foncière est
complexe et source de tensions qui peuvent dégénérer en
conflits. L'approche doit être prudente et de qualité. Elle devra
prendre en compte les intérêts des différentes
autorités (administratives, traditionnelles et communales) et
réussir à créer un consensus de pratiques, basés
sur le retour d'expériences.
V.2.3. La planification concertée
L'ensemble des projets revendiquent une approche
participative, partant de diagnostics participatifs au niveau des terroirs et
des villages, diagnostics consolidés au niveau communal. Un diagnostic
institutionnel est souvent effectué. Il met en évidence les
processus de prise de décision et de résolution de conflits,
toujours complexes.
La phase de planification est de la responsabilité de
commissions de concertation. La composition des commissions varie mais elles
traduisent la coexistence des autorités traditionnelles
(lamibe, lawan), de l'administration (sous-préfecture
et préfecture) et
170
des collectivités territoriales. Le choix des membres
des commissions est fait en concertation entre les communes et les projets. Les
structures de concertation ont été officialisées par des
arrêtés préfectoraux ou municipaux. Le travail a permis
l'élaboration de Plan d'aménagement communal (POGT) ou de Plan
d'Utilisation et Gestion du territoire (PDUGT) comportant un ensemble de
cartes, une description des actions et un corpus de règles de
gestion.
Les plans d'aménagements communaux ont fait l'objet
d'approbation en Conseil municipal après restitution et prise en compte
des retours des populations concernés. Une priorisation a
été faite. Des requêtes en financement ont
été rédigées.
Comme pour les démarches de sécurisation, les
approches participatives au niveau des diagnostics villageois sont courantes.
La qualité de leurs résultats dépend de la qualité
de l'intervention et de la prise en compte des diagnostics
précédents. La population n'adhère plus à des
approches normatives, répétant pour la nième fois les
mêmes exercices convenus. Le recours à la cartographie et au SIG
est moins fréquent mais des compétences existent.
L'agrégation, trop souvent quantitative, au niveau de la commune, des
données villageoises appauvrit ou simplifie trop le diagnostic. Elle ne
rend pas compte des dynamiques territoriales.
Par ailleurs, la démarche participative est moins
maîtrisée dans les processus de planification. La participation
des villageois se limite souvent au diagnostic et à la gestion des
aménagements. La discussion et la définition des options
stratégiques restent encore du domaine des services techniques et des
autorités administratives, plus ou moins influencées par les
élus, au niveau communal.
Les expériences n'analysent que partiellement la
pertinence des actions planifiés (capacité à
répondre aux enjeux). Elles prennent peu en compte la diversité
des situations, les projets des acteurs individuels (producteurs) et collectifs
(communautés, GIS, associations), la cohérence entre les actions.
À cet égard, l'absence de typologie fine des producteurs
au-delà de la catégorisation classique entre agriculteurs et
éleveurs est révélatrice.
Les travaux des commissions sont d'ailleurs plus des travaux
de validation de plans rédigés par des techniciens que des
travaux d'élaboration proprement dite.
171
V.2.4. Acquis des principaux projets passés
V.2.4.1. Pour une meilleure gestion des espaces et des
ressources pastorales
Au cours des deux dernières décennies, l'Etat a
mis en oeuvre plusieurs projets de développement d'appui à
l'élevage afin de rechercher de nouvelles modalités de gestion
des ressources communes (pâturages et points d'eau) en
règlementant les accès. Les objectifs étaient d'assurer la
durabilité des investissements et d'améliorer les performances et
la durabilité de tous les systèmes d'élevage.
Le projet Développement Paysannal et Gestion de Terroir
(DPGT) mis en oeuvre par la SODECOTON entre 1994 et 2002, comprenait 4 volets
(animation et appuis aux OP ; zootechnie ; fertilité des sols ; gestion
du terroir, des ressources naturelles, de l'eau et du bois). Il est le premier
à conduire une opération de délimitation des aires
pastorales et des couloirs à bétail dans le Nord Cameroun. Le
volet « gestion de terroirs » a mis au point une démarche afin
de résoudre les problèmes d'abreuvement des animaux en saison
sèche ainsi que les conflits persistants entre agriculteurs et
éleveurs. Les délimitations des hurum (zone de parcours)
par l'administration sont anciennes mais ont rarement été
respectées faute d'une réelle concertation avec les
différents acteurs. Le DPGT a initié à partir de 1996 une
méthode plus participative, débouchant sur le repérage et
le bornage des limites des parcours. Ce projet, qui a mis en oeuvre une
approche recherche-développement, a obtenu beaucoup de résultats
qui ont permis d'identifier de nouveaux projets (ESA, GESEP et PRCPB).
Le projet Eau Sol Arbre (ESA) : ce projet qui a pris la suite
du DPGT à partir de 2002 a poursuivi le travail de sécurisation
des parcours avec l'appui de TERDEL-GIE38. Il a par ailleurs
vulgarisé entre autres, (i) des plantes de couverture à travers
les SCV dont certaines ont été adoptées par les
producteurs comme cultures fourragères et (ii) la construction des biefs
et des puits qui ont contribué à améliorer l'alimentation
et l'abreuvement des animaux.
L'environnement SODECOTON, maître d'oeuvre des projets
DPGT et ESA, a donné à ces deux projets des conditions favorables
à la réalisation de leurs activités,
38 Territoire et Développement Local -
Groupement d'Intérêt Économique.
172
notamment en termes de moyens logistiques, matériels et
financiers, et de relations fortes avec le milieu rural et les paysans
grâce à l'organisation de la filière coton. Mais ces
projets ont surtout appuyé les producteurs de coton et de moins en moins
les éleveurs.
Le Projet GESEP (Gestion Sécurisée des Espaces
Pastoraux) et le Projet de Développement du Bassin de la
Bénoué (PDBB) ont valorisé également les
résultats du DPGT en matière de sécurisation des parcours
avec l'appui de l'APESS et de TERDEL-GIE. Le projet GESEP est allé plus
loin en faisant reconnaître par l'administration (par arrêté
préfectoral) l'existence des zones de parcours délimitées
après accord de toutes les parties prenantes. La reconnaissance
officielle des parcours délimités et surtout la constitution de
GIC d'éleveurs dont l'objectif est la gestion des zones
sécurisées, ont permis de garantir la pérennité de
ces actions dans plusieurs situations. Ainsi, dans le Mayo Louti, cette
pérennisation a été atteinte car le projet a pu y
développer une intervention complète : formation des
agro-éleveurs, facilitation des négociations, cartographie,
signature de la charte par les usagers, les services techniques et les
autorités administratives et traditionnelles, appui à la
structuration des GIC des usagers des zones sécurisés (et mise en
place d'une union départementale) ; viabilisation de certains parcours
(bornage, biefs, mares)... Ailleurs, les résultats de cette action sont
moins visibles sur le terrain. Ce projet très ambitieux au départ
par rapport aux moyens financiers et humains dégagés n'a
cependant pas pu atteindre tous ces objectifs quantitatifs du fait de sa courte
durée (3 ans).
Le projet de Réhabilitation et de création de
points d'eau pour le bétail (PRCPB) a développé des
méthodologies d'intervention comparables à celles initiées
par le DPGT : réponse à une demande formulée par les
éleveurs et agro-éleveurs, participation financière des
populations concernées, consensus entre les différents acteurs
sur la localisation du point d'eau, organisation des
bénéficiaires en GIC pour gérer les infrastructures
(mares, puits, motopompes, etc.). On note que bon nombre de points d'eau n'ont
pas été efficacement gérés après la fin du
projet du fait d'un manque de concertation initiale entre
bénéficiaires potentiels et sur les responsabilités et
engagements de chaque type d'acteurs.
173
V.2.4.2. Vers une intensification des systèmes
d'élevage de ruminants.
L'association internationale APESS (Association pour la
Promotion de l'Elevage au Sahel et en Savane) a promu une évolution de
l'élevage traditionnel et une meilleure intégration
économique, sociale et politique des éleveurs. Elle encourage,
à travers des actions de formation, de sensibilisation et
d'échanges entre éleveurs de différentes régions et
pays, l'évolution des pratiques, allant dans le sens de la
diversification des activités agropastorales, et de l'intensification
raisonnée de l'élevage. Cette mutation des pratiques ne peut
s'opérer, selon l'APESS, que dans le cadre d'une sédentarisation
progressive des éleveurs afin, notamment, de sécuriser
l'approvisionnement de l'alimentation du bétail en saison sèche
par la culture et le stockage du foin. Cette intensification devrait permettre
aux éleveurs de tirer des revenus décents de la production de
lait et de viande et de contribuer ainsi au développement des
filières alimentaires nationales. Par ses actions de sensibilisation
(sur la question de la scolarisation notamment), APESS entend également
favoriser une meilleure intégration des éleveurs quelle que soit
leur origine sur le plan politique afin que les intérêts de
ceux-ci soient pris en compte dans les stratégies de
développement locales, nationales et internationales.
V.2.5. Conflits d'intérêts entre les
utilisateurs et conflits de pouvoirs entre les instances de médiation et
de régulation
Les territoires pastoraux délimités sont soumis
à de fortes contraintes liées à des conflits
d'intérêts entre les différents utilisateurs
(éleveurs et agriculteurs) et à des conflits de pouvoirs entre
les différentes instances de médiation et de régulations
(institutions étatiques et autorités traditionnelles) (Figure
20).
Ressources
Institutions de l'État (Règles, Lois)
Territoire des éleveurs
Population
Instance de gestion (Conventions locales,
règles, participation population)
Territoire pastoral
délimité
Conflit d'intérêt
Ressources
Conflit de pouvoir
Population
Territoire
Des agriculteurs
Ressources
Autorités traditionnelles (Coutumes)
174
Figure 20. Relations entre les différents
acteurs autour du territoire pastoral
Malgré quelques effets positifs les premières
années de la mise en place de ces conventions39, ces
opérations de sécurisation des parcours n'ont pas donné
les résultats escomptés. Les comités de gestion et
d'entretien des pistes à bétail et des zones de pâturage
mis en place éprouvent encore d'énormes difficultés pour
contrôler régulièrement le respect des limites à
chaque début de campagne agricole et faire adhérer tous les
riverains au respect des espaces bornés. En principe, la
délimitation précise des espaces de pâturage avec des
bornes numérotées et peintes en vert devrait en faciliter la
gestion, mais ces espaces sont violés en plusieurs points par les
agriculteurs. L'article 5 de la convention précise pourtant clairement
que « toute personne qui tente d'ouvrir un bloc de culture dans le
hurum sera traduite devant le comité chargé de la gestion et
encourt des sanctions prévues dans l'article 14 de la convention
». Et en fonction de la gravité des faits reprochés au
contrevenant, le
39 Il s'agit de l'économie des
préjudices particulièrement les dommages subis (broutage et
piétinement des récoltes, abattage d'animaux, dommages
corporels...) ainsi que les coûts connexes de la gestion de ces conflits
résultant de leur traitement devant les instances administratives ou
coutumières (frais de déplacement, amendes, frais de
corruption).
175
comité pourra saisir les autorités
compétentes. De même, la location et l'octroi des parcelles pour
les cultures à des tierces personnes dans l'espace de pâturage
sont interdits.
Il existe également une ambiguïté dans le
comportement des autorités traditionnelles. Malgré son accord de
principe pour le bornage des zones de pâturage, tous les agriculteurs qui
cultivent dans l'espace délimité affirment que c'est le
laamii'do qui leur a donné l'autorisation de continuer à
y cultiver. Ce qui remet en cause évidemment les clauses de la
convention signée et place les éleveurs dans une position de
faiblesse. Cette situation semble entretenue expressément par les
autorités traditionnelles pour continuer à
bénéficier des « taxes d'arbitrage » que leur versent
les éleveurs chaque année afin de maintenir la zone non
cultivée. Dans un tel contexte, le rôle de l'État devient
alors indispensable afin d'imposer le respect des droits de
propriété ou d'usufruit permanent.
Par ailleurs, si ces droits ne sont pas clairement reconnus
par les textes légaux, ou si les représentants de l'État
ont tendance à les ignorer, les arrangements promus par le projet DPGT
deviennent très précaires et vulnérables. Les
autorités administratives qui se sont succédé à la
tête des unités administratives n'ont pas en effet la même
attitude vis-à-vis des conventions écrites mises en place avec
l'appui de ce projet. Les responsables des services techniques, notamment
forestiers ou les autorités administratives, hésitent à
infliger des sanctions en se référant aux conventions locales en
argumentant que celles-ci ne sont pas en conformité avec les textes en
vigueur.
Pourtant, certaines dispositions du Code pénal
permettent de réprimer des personnes qui contreviennent aux lois
relatives aux litiges agropastoraux. En effet, selon les lois camerounaises,
les conventions librement convenues et formalisées par les parties en
présence ont valeur de loi pour ceux qui les ont conclues. Les membres
d'une même communauté ou d'un même secteur d'activité
peuvent déléguer un représentant (mandataire) qui pourra
signer la charte en leur nom ; mais il faut qu'il se munisse d'une procuration
qui mentionne au nom de qui il agit. De la sorte, deux personnes seulement
peuvent bien conclure une convention mais au nom d'un groupe d'éleveurs
et d'agriculteurs bien nommés ou cités.
176
Lorsqu'un responsable coutumier signe une convention, il doit
le faire comme partie prenante à telle enseigne que les dispositions lui
soient également applicables ainsi qu'au groupe social qu'il
représente. Il ne saurait le faire en d'autre qualité que celle
de membre de la commission consultative. La pratique consistant à
formaliser au préalable, ou plutôt après coup, de telles
conventions par une autorité administrative n'a pour seul effet que de
leur donner une certaine date, mais leur valeur juridique découle de
l'arrêté pris par le préfet en vue d'organiser l'espace
rural comme convenu dans ladite convention.
Les conventions sont donc les lois entre parties prenantes
issues d'une négociation et acceptées par tous, pourvu qu'elles
ne portent pas atteinte aux lois et règlement en vigueur. Cela
sous-entend que lorsqu'elles sont négociées dans le cadre strict
de la gestion du domaine national et dans le but de prévenir tout litige
dans l'espace rural envisagé, on présume qu'elles ont
respecté les textes en vigueur. D'ailleurs l'autorité
administrative, avant de prendre son arrêté, s'assure de cette
conformité avec les textes législatifs de base. Les textes ont
toujours précisé les domaines de compétence de chaque
structure. Ainsi, les commissions consultatives sont compétentes pour
régler les litiges relatifs aux oppositions à l'immatriculation
des terrains des dépendances du domaine national, ainsi que pour
régler toute revendication ou contestation d'un droit de
propriété sur les terrains non immatriculés, introduites
par les collectivités ou les individus devant les tribunaux. Par contre,
tous les autres litiges fonciers (à l'exclusion de ceux relatifs aux
conflits frontaliers) sont de la compétence des juridictions
judiciaires. De même il ne saurait être admis que dans une
convention, les membres du comité de gestion déclarent qu'ils
sont compétents pour sanctionner.
Par contre, les sanctions qui devraient figurer dans les
conventions sont celles relatives au non-respect par les parties des
engagements qui y figurent. Si par exemple les parties conviennent de ne pas
effectuer de cultures dans l'espace faisant l'objet de délimitation, les
parties peuvent prévoir qu'en cas de violation, le champ du contrevenant
sera acquis au groupe en guise de réparation. La sanction doit
être suffisamment coercitive, mais prise avec un large consensus. Les
lois précisent qu'il faut éviter d'insérer dans les
chartes ou conventions des sanctions qui portent atteinte
177
aux biens ou aux personnes, comme détruire les
semences, tuer les boeufs qui dévastent les champs ou encore exercer des
actes violents sur les contrevenants.
Au regard des superficies sur lesquelles les Mbororo sont
sédentarisés et le nombre d'animaux dont ils ont la charge, la
mobilité apparaît comme le moyen le plus efficace pour tirer
avantage au mieux de la grande variabilité temporelle et spatiale des
ressources pastorales. Au lieu de confirmer les hypothèses des
techniciens et décideurs selon lesquels les nomades avec leurs animaux
ne peuvent faire autrement que de se sédentariser sur des espaces de
pâturage bornés, les Mbororo ont mis en place un système
d'élevage original différent. Ils tentent d'adapter leur
mobilité à au nouveau contexte en exploitant de nouvelles
opportunités (Kossoumna Liba'a, 2008). Les Mbororo développent en
effet de nouvelles formes de mobilité basées sur des circuits
plus courts avec un nombre d'animaux moins important. Ce qui les oblige
à scinder le grand troupeau en sous-unités qu'ils confient
à plusieurs bergers salariés afin de maximiser l'accès aux
divers espaces de pâturage morcelés. Le coût de la garde du
troupeau avec plusieurs bergers est compensé par l'apport
monétaire des propriétaires de bétail citadins.
V.2.6. Succès et insuccès des actions
menées par les projets
Les trois régions du Nord-Cameroun regroupent
l'essentiel du cheptel camerounais, qui représente une composante
importante de la production agricole nationale, équivalente aux cultures
d'exportation (coton, cultures vivrières vers le sud du pays et de la
sous-région). Cependant, la place de l'élevage est constamment
remise en cause notamment par la pression sur la terre exercée les
agriculteurs et source de conflits qui, dans une situation
socio-économique tendue, sont des facteurs de déstabilisation
majeurs.
Dans ce contexte, les objectifs des principaux projets
présentés, qui visaient à une meilleure intégration
de l'élevage et des éleveurs dans le développement local
à travers la structuration professionnelle et une démarche de
gestion négociée et de sécurisation de l'espace,
paraissent tout à fait pertinents. Dans l'ensemble, on peut relever que
ces projets ont réussi à :
178
- initier un début d'adoption des cultures
fourragères et à améliorer encore modestement l'offre
fourragère ;
- produire des référentiels techniques pour la
construction des ouvrages hydrauliques (biefs, puits et mares) ;
- produire des démarches d'appui à la gestion
concertée des espaces et ressources naturelles au niveau local ;
- impulser une dynamique permettant l'émergence de GIC,
d'Unions Départementales et de Fédérations
d'éleveurs reconnues, renforçant ainsi les capacités des
éleveurs.
Le tableau V présente de façon synthétique
les actions qui ont réussi et celles qui ont eu moins de
succès.
Tableau V. Succès et insuccès des
actions menées par les projets de développement
|
Succès
|
Insuccès
|
Sécurisation des pâturages
|
- Beaucoup de réalisations qui répondent
à un besoin urgent
- Parcours sécurisés dotés de chartes
|
- Difficultés d'inclure certains transhumants dans la
concertation - Risque de non-respect des accords à la fin du Projet
|
Amélioration de l'offre fourragère
|
- Référentiel existe et adapté dans la zone
de l'Adamaoua mais nécessite une recherche adaptative dans la zone semi-
aride
|
- Difficultés d'insertion des cultures fourragères
annuelles et surtout pluriannuelles dans les systèmes agraires tant que
la vaine pâture n'est pas encadrée
|
Sédentarisation et réduction de la transhumance
|
Une dynamique de sédentarisation existe
|
- Besoin de sensibilisation soutenue dans le long terme face aux
pesanteurs traditionnelles
- Succès dépend de l'espace disponible et de la
qualité de la concertation
|
Aménagement des points d'eau pastoraux
|
- Référentiel technique avéré et
forte demande
- Forte volonté et capacité contributrice
|
Faible taux de réussite du fait d'un manque
concertation
|
Soutien à l'élevage périurbain (lait et
embouche)
|
- Développement encore modeste des cultures
fourragères
- Forte augmentation de la valeur ajoutée du lait
|
Faible soutien aux activités d'embouche
|
Source : CIRAD et GLG consultants (2013)
Cependant, les organisations d'éleveurs
présentent des faiblesses tant au niveau de leur fonctionnement, de leur
gouvernance qu'au niveau financier. Les organisations d'éleveurs sont
essentiellement le fait des producteurs Peul Fulbé avec une faible
participation des éleveurs mbororo, toujours réticents à
s'impliquer dans les débats locaux et les arènes de
négociation. Toutefois, ces derniers ont créés leurs
propres
179
associations de développement surtout après la
vague d'insécurité qui les a frappés en 2007-2008. Plus
globalement, la démarche de gestion concertée n'a pas encore
permis d'aboutir à une sécurisation durable des espaces
pastoraux, notamment du fait de l'absence d'actions en matière
d'amélioration de la capacité productive de ces espaces. Aussi,
des contraintes doivent être levées afin d'apporter une
réponse globale et cohérente aux problèmes des
éleveurs et à la question sensible de la gestion de l'espace.
V.3. Proposition d'une démarche d'appui à la
gestion concertée des
territoires de mobilités pastorales
Les problèmes décisionnels à
référence spatiale réfèrent à tout
problème dont l'espace géographique constitue un
élément prépondérant en tant que milieu de vie,
d'activité et d'intervention humaine, en tant que support
d'évaluation de toute décision, mais aussi en tant que lieu
d'implémentation de cette décision. Ces problèmes spatiaux
sont (i) de natures multidimensionnelle, interdisciplinaire et
semi-structuré, (ii) impliquant plusieurs personnes et institutions,
ayant généralement des préférences et des objectifs
conflictuels, (iii) nécessitant la définition de plusieurs
critères contradictoires et dont l'importance n'est pas la même,
et (iv) demandent une quantité considérable des données
quantitatives et qualitatives (Pusceddu et Chakhar, 2010). Tous ces
éléments confèrent aux problèmes spatiaux une
nature multicritère et semi-structurée requérant, selon
Epstein (1989), l'usage d'analyse et de modèles. Ces
spécificités des problèmes spatiaux fait que le
modèle classique du processus de décision linéaire de
Simon (1960) et les différentes extensions qui y sont apportées
sont insuffisants pour faire face à cette complexité
décisionnelle.
Plusieurs modèles sont disponibles dans la
littérature : Vance (1960), Simon (1960), Mintzberg et al.,
(1976), Mintzberg (1991), etc. La plupart de ces modèles assument
l'existence de trois phases : intelligence, conception et choix. Cependant, le
modèle le plus diffusé est vraisemblablement celui de Simon
(1960). Comme mentionné plus haut, ces modèles ne sont pas
adaptés aux problèmes de décision à
référence spatiale.
Dans le cadre de notre travail, nous adopterons et
étendrons le modèle de Simon au contexte spatial. Le processus de
décision à référence spatiale proposé
conserve la
- Identifier et formuler les problèmes avec tous les
acteurs concernés
- Mettre en évidence les enjeux à prendre en
compte autour des territoires
- Clarifier les objectifs à atteindre pour chaque type
d'acteur et pour la communauté
1. Phase d'identification et de formulation
phase d'intelligence mais il la complète par une phase
de formulation, subdivise la phase de conception en cinq étapes :
analyse, négociation et concertation, choix et mise en oeuvre (Figure
21).
4. La phase de concertation -
Agréger les différents points de vue en tenant compte des
arguments avancées et de leur pertinence
- Faire émergence de solutions supportées par les
différents intervenants
|
Démarche d'appui à la
gestion concertée des territoires de mobilité
pastorale
5. La phase de choix - Investigation
profonde des différentes variantes proposées par chaque partie -
Sélection des alternatives jugées comme les plus
appropriées
2. Phase d'analyse - Identification des
atouts socioculturels locaux
- Définition des alternatives potentielles aux
problèmes posés
- Clarification des critères d'évaluation des
actions à envisagées
6. La phase de mise en oeuvre
- Choix méthodologiques
- Sensibilisation et information
- Sélection des unités spatiales (villages,
communes, intercommunalités)
- Recrutement et formation des
animateurs
- Démarrage du processus
3. Phase de négociation
- Permettre à chaque acteurs intervenant dans le processus
décisionnel de promouvoir et défendre ses idées au
détriment des autres
- Faire émergence au fil des négociations et avec
la pression du temps la nécessité de collaborer plutôt de
que de se confronter
180
Figure 21. Démarche d'appui à la
gestion concertée des territoires de mobilités pastorales
Le but de la phase d'identification et formulation est
d'identifier, puis formuler le problème en termes d'enjeux à
prendre en compte et des objectifs à atteindre. La phase d'analyse
focalise sur la définition des alternatives potentielles et des
critères d'évaluation. Durant la phase de négociation,
chaque intervenant (individu ou groupe) dans le processus décisionnel
essaie de promouvoir et défendre ses idées (en terme d'objectifs,
préférences, critères d'évaluation et des
alternatives potentielles) au détriment des autres intervenants. Avec
l'avancement dans le processus décisionnel et la pression du temps, les
différents intervenants sentent la nécessité de
collaborer plutôt que de se confronter. Une phase de
concertation commence alors. Son objectif est d'agréger les
différents points de vue afin de faire surgir les solutions supporter
par les différents intervenants. La phase du choix nécessite une
investigation profonde des
181
différentes variantes afin de sélectionner une
(ou éventuellement plusieurs) alternative(s) jugée(s) comme la
(les) plus appropriée(s).
Bien évidemment, le processus proposé est
itératif et non nécessairement séquentiel. Il est
fondé selon Pusceddu et Chakhar (2010) sur une démarche
participative dans laquelle on met à contribution la compétence
et l'expérience de chaque intervenant dans le processus
décisionnel. Il incarne ce que Chassande (2002) désigne par la
« rationalité procédurale », dans laquelle une action
est jugée comme rationnelle parce qu'elle aura été choisie
au terme d'une procédure jugée appropriée, par opposition
à la « rationalité positive » de Simon (1960). Sa
première nouveauté revient au fait qu'il fait de la formulation
du problème une partie intégrante du processus
décisionnel. Sa deuxième nouveauté découle du fait
qu'il couple deux concepts importants, celles de négociation et de
concertation, qui sont assez souvent traités séparément.
En effet, la négociation est valable dans un contexte conflictuel,
caractérisé par l'affrontement et l'antagonisme. Mais en
pratique, cette étape de négociation est souvent suivie par une
phase complémentaire de concertation cherchant à converger des
points de vue divergents, voire contradictoires.
Remarquons enfin que la frontière entre la phase de
négociation et celle de concertation n'est pas définie de
manière exacte. En fait, il se peut que les deux phases se chevauchent
mais au fur et à mesure de progression dans le processus de
décision, il y aura de moins en moins de négociation et de plus
en plus de concertation.
Ainsi, la gestion durable des ressources agricoles et
pastorales demande de profondes modifications des pratiques. Ces
évolutions auront un coût à la fois pour l'État et
les acteurs40. Pour investir, tant en capital qu'en travail, ces
acteurs devront être d'abord persuadés de la pertinence et de
l'intérêt des changements, compte tenu de leurs objectifs et des
situations qu'ils vivent. Ils auront aussi besoin de garanties.
40 Les acteurs ruraux sont l'ensemble des personnes
ou groupes ayant des intérêts à faire valoir sur la terre
rurale : il s'agit tant d'acteurs privés (exploitants agricoles
familiaux, éleveurs transhumants, agro businessmen ou nouveaux
acteurs...) que d'acteurs publics (État, administration territoriale,
services techniques, collectivités territoriales, entreprises
publiques...).
182
À partir de ce constat, deux grands types d'actions
sont à mener : la sécurisation foncière41 et
l'élaboration de plans de mise en valeur (d'aménagement et de
gestion) des terres et des ressources naturelles. Le lien entre actions de
sécurisation, d'une part, et investissements et production durable,
d'autre part, doit être clairement affirmé pour éviter
toute dérive d'appropriation ou de constitution de rente
foncière.
V.3.1. La phase d'identification et de formulation
Il s'agit d'arriver à une compréhension
partagée du problème en partant d'un problème particulier
à un enjeu collectif. Un problème peut être ressenti par un
acteur ou un groupe d'acteurs, sans être forcément partagé.
Avant d'engager une négociation, il faut affiner la compréhension
du problème et éclairer les différentes positions. L'enjeu
est de passer d'un problème ressenti par certains groupes à un
problème suffisamment partagé pour qu'il soit pris en charge par
des autorités ou porté par un nombre suffisant d'acteurs. Le
problème doit devenir un enjeu public ou collectif (Benkahla et Hochet,
2013). Les problèmes et les enjeux à prendre en compte pendant la
phase d'identification et de formulation au Nord-Cameroun sont divers :
- En premier lieu, il n'existe pas au sein des instances
d'exploitation et de gestion des territoires de mobilité (villages,
communes), des comités de concertation, reconnus et fonctionnels de
façon participative et inclusive. Ces comités seront, dans la
mesure du possible, identifiés à partir des structures
déjà existantes mises en place par les projets
précédents ;
- En second lieu, les communes d'intervention ne sont pas
dotées d'un plan de zonage. Or, il est déterminant de doter les
territoires villageois d'un plan d'utilisation des terres délimitant les
espaces pastoraux et agricoles, de règles de gestion de ces espaces et
d'un plan d'amélioration du terroir ; ces plans et règles devront
être connus des intéressés et appliqués ;
41 La "sécurisation foncière est
entendue comme étant l'ensemble des processus, actions et mesures de
toute nature, visant à permettre à l'utilisateur et au
détenteur de terres rurales de mener efficacement leurs activités
productives, en les protégeant contre toute contestation ou trouble de
jouissance de leurs droits (Définition retenue au Burkina Faso dans le
cadre de la loi d'orientation agricole).
183
- Troisièmement, il subsiste une
précarité des droits fonciers et une pluralité des normes
de référence. En même temps, ces droits fonciers ne sont
pas enregistrés au sein des communes. Souvent, règles
coutumières et règles étatiques se confrontent. Les unes
et les autres ont leur source de légitimité (la tradition,
l'histoire, les autorités coutumières, une certaine conception de
la communauté et de son rapport à son territoire d'un
côté ; l'État, la citoyenneté nationale, la
rationalité technique, de l'autre). Elles renvoient à des
principes de justice, d'équité, qui ne sont pas les mêmes.
Dès lors que des règles différentes coexistent, on ne sait
plus lesquelles doivent s'appliquer. Ceux qui voient leurs
intérêts contraints par un type de règles vont les
contester en s'appuyant sur les autres, en tentant de mobiliser l'appui des
autorités qui les incarnent. Des règles contradictoires, c'est
comme pas de règles du tout. Dès lors, négocier les
principes à partir desquels gérer telle ou telle ressource, telle
ou telle portion du territoire, est un préalable ;
- Enfin, il reste à améliorer les outils
stratégiques et réglementaires pour une meilleure gestion des
ressources agro-pastorales à différent niveau (villageois,
communal, régional). En effet, des carences et faiblesses subsistent
après la mise en place des instances de régulation. Qu'elles
soient étatiques, coutumières, communales ou liées
à des comités de gestion issus de projets, les instances
censées gérer les ressources naturelles, arbitrer les conflits,
édicter et mettre en oeuvre des sanctions, rencontrent
fréquemment de nombreuses difficultés à exercer leur
rôle de façon neutre et efficace.
Somme toute, il faut partir d'un problème perçu
à un problème partagé. En effet, la construction d'un
réseau d'acteurs conduit souvent en parallèle à une
évolution de la formulation du problème. La perception du
problème évolue en effet en fonction des débats et des
discussions pour plusieurs raisons : i) les points de vue que chacun
défend permettent de mieux prendre en compte la diversité des
enjeux et des intérêts en présence ; ii) la connaissance du
problème se précise, car chacun apporte son expertise propre ;
iii) les débats et argumentations de chacun peuvent aussi remettre en
184
cause certaines idées reçues et conduire
à poser les questions de manière différente Benkahla et
Hochet (2013).
V.3.2. La phase d'analyse
Les systèmes d'élevage au Nord-Cameroun sont peu
intensifiés et reposent essentiellement sur les parcours naturels et la
vaine pâture. Le maintien de cet élevage de ruminants se heurte
à la réduction de la surface des parcours du fait de leur mise en
culture. Les usages des résidus de culture se diversifient
(construction, combustible, plus rarement couverture du sol) même si le
droit de vaine pâture demeure fortement ancré dans les campagnes.
La crise de l'élevage est diverse : spatiale par la réduction des
surfaces exclusivement réservées aux troupeaux, écologique
par la dégradation des parcours naturels, sociale par l'accroissement de
la fréquence des conflits entre éleveurs et agriculteurs et aussi
en termes de gouvernance, avec la dualité des décideurs, publics
et coutumiers (CIRAD et GCG Consultants, 2013).
Les problèmes de gestion des ressources naturelles, non
directement liés à l'agriculture et l'élevage, sont aussi
à prendre en compte dans une gestion systémique des
écosystèmes. Le Nord-Cameroun est internationalement reconnues
pour la richesse de leur faune sauvage mais le maintien de pratiques de gestion
non participatives des aires protégées et des ZIC et
l'augmentation des surfaces protégées depuis les années
1960, sont mal vécus par les populations.
Plus globalement, les producteurs du Nord-Cameroun doivent
faire face à un faisceau d'insécurités. Alors que la
question de l'insécurité des biens et des personnes semble moins
prégnante aujourd'hui, les autres formes d'insécurité
demeurent : insécurité foncière, insécurité
juridique et fiscale, insécurité économique.
Sur le plan institutionnel, les appuis et services pour le
monde rural sont fournis et coordonnés par trois types de structure :
les services de l'État mais ils manquent de moyens et d'engagement sur
le terrain, les entreprises et les banques contribuent peu au
développement du secteur primaire sauf la SODECOTON qui demeure l'acteur
principal du développement régional, et enfin, le secteur
associatif et les organisations de producteurs qui prennent de plus en plus
d'importance mais restent fragiles. Hormis l'intervention dans la durée
de la SODECOTON (depuis 1974) et des services de
185
l'État (surtout en santé
vétérinaire) l'appui au monde agricole est orchestré
depuis des décennies par les projets de développement.
Le processus de décentralisation est ancien au Cameroun
mais le transfert de compétences entre l'État et les Communes est
partiel. La Commune devient un nouvel acteur du développement local et
un partenaire incontournable des projets de développement. Les
autorités coutumières restent dans toutes les situations une
force politique, sociale et décisionnelle à ne pas
négliger, et continuent à jouer un rôle fondamental dans
l'organisation du territoire. La mise en place des actions du programme et leur
chance de réussite nécessite d'associer les autorités
coutumières au plus haut niveau, dans le cadre d'un dialogue constructif
et en toute transparence.
Trois facteurs vont peser fortement dans les années
à venir sur le secteur de l'agriculture et de l'élevage du
Nord-Cameroun d'après Cirad et GCG Consultants (2013) : (i) les
changements climatiques et leurs conséquences sur les systèmes de
production, (ii) l'état des marchés (coton, produits vivriers) et
(iii) la capacité de l'Etat camerounais à mener à bien des
réformes (décentralisation, foncier, etc.) et à
développer un climat de confiance et de sécurité propice
au développement économique. Le bilan des expériences
passées montrent qu'il existe une large gamme de solutions techniques
mais que leur mise en oeuvre se heurte à des contraintes d'ordre social,
culturel et organisationnel. Les approches sectorielles demeurent très
fortes et chaque groupe d'acteurs (agriculture, élevage, environnement)
travaillent le plus souvent séparément. L'intervention mal
coordonnée de nombreux projets avec des méthodes d'intervention
différentes voire divergentes, a développé une
dépendance des acteurs publics et privés (OP, ...) par rapport
à l'aide extérieure et étatique. Cette évolution
limite l'initiative de ces différents acteurs et compromet même la
durabilité des actions engagés par les projets.
Sur le plan socioculturel, de nombreux atouts peuvent
être valorisés dans le cadre du processus : i) la fixation de plus
en plus importante des éleveurs avec une emprise territoriale
évidente. Cela permettrait de mieux les intégrer dans les
négociations et dans la défense de leurs intérêts et
points de vue. La proximité géographique et sociale avec les
agriculteurs des villages voisins et le long des parcours concoure à
la
186
limitation des situations conflictuelles et peut être un
atout pour trouver un consensus partagé entre les deux acteurs ; ii) De
nombreux projets ont essayé de mettre en place un processus de gestion
et de négociation des territoires pastoraux. Les acquis de ces actions
ainsi que les échecs rencontrés peuvent être
valorisés pour aller au-delà des problèmes
rencontrés ; iii) Le processus de décentralisation en cours a
été suivi de plusieurs formation et sensibilisation en
matière de gestion des espaces et des ressources communes. Les outils
utilisés par les différents projets, les actions
déjà menés peuvent être également
mobilisés ; iv) Certains projets ont été montés et
ne sont pas encore mis en oeuvre. Il en est par exemple du programme d'appui
à la sécurisation et à la gestion intégrée
des ressources agropastorales au Nord-Cameroun (ASGIRAP). Les démarches
adoptées par ces derniers peuvent aider à la mise en application
du processus proposé dans le cadre de ce travail.
Les critères d'évaluation doivent également
être clarifiés.
Par rapport au premier résultat attendu : des
comités de concertation communaux et villageois sont
créés, reconnus et fonctionnent de façon participative et
inclusive : i) Nombre de communes dans lesquels un comité de
concertation a été officiellement crée et fonctionne ; ii)
Nombre de villages (à l'intérieur des communes retenues)
où un comité de concertation a été
créé et fonctionne ; iii) Nombre des réunions par an des
comités et taux d'absentéisme ; iv) Participation dans les
comités villageois de toutes les catégories d'acteurs
concernés (transhumants, éleveurs non transhumants, agriculteurs,
...).
Par rapport au deuxième résultat attendu : les
communes d'intervention se dotent d'un plan de zonage ; les villages
d'intervention se dotent d'un plan d'utilisation des terres délimitant
les espaces pastoraux et agricoles, de règles de gestion de ces espaces
et d'un plan d'amélioration du terroir ; Ces plans et règles sont
appliqués : i) Nombre de plans de zonage effectivement adoptés
par les Communes ; ii) Nombre de villages dans lesquels un plan d'utilisation,
gestion et d'aménagement des terres a été adoptés
et entériné par la commune ; iii) Pourcentage des litiges soumis
aux comités communaux et résolus ; iv) Satisfaction des acteurs
(agriculteurs et éleveurs) quant à la
187
délimitation des espaces dans les villages
d'intervention ; v) Durabilité des délimitations des parcours :
Respect des délimitations de zones 2 ans après le bornage.
Par rapport au troisième résultat attendu : la
précarité des droits fonciers est réduite et un
mécanisme d'enregistrement communal de ces droits est initié : i)
Nombre de communes ayant testé l'enregistrement des droits foncier ; ii)
Réduction de la précarité des contrats de faire-valoir
dans les villages test.
Tous ces résultats et indicateurs sont
évidemment conditionnés par l'acceptation par la chefferie
traditionnelle d'une concertation sur ces territoires de mobilités
pastorales.
V.3.3. La phase de négociation et concertation
L'objectif de cette partie est de proposer un processus de
concertation adapté au contexte local et privilégiant le
compromis et le dialogue entre les différents acteurs concernés
par l'exploitation et la gestion des différents territoires. Pour
Benkahla et Hochet (2013), il n'y a pas une démarche standard pour
conduire une concertation ou mettre en place une convention locale. Les
méthodologies clés en main, qui prédéfinissent les
étapes et le temps à y consacrer, ont toutes les chances de ne
toucher qu'à des enjeux secondaire, sans réel investissement de
la part des acteurs locaux, et sans guère d'efficacité ensuite.
Les concertations suivent des itinéraires qui ne peuvent pas être
prédéfinis. Pour autant, les acteurs qui promeuvent une
concertation ou la négociation d'une convention locale ont besoin de se
définir une stratégie, en fonction du contexte spécifique.
Les auteurs soulèvent un certain nombre de questions que pose la
démarche de concertation : comment se pose le problème ? À
quelle(s) échelle(s) ? Qui sont les différentes parties prenantes
? Leur inclusion dans les débats est-elle problématique ou non ?
Quel est le degré de tension ? Y a-t-il des préalables avant que
les parties prenantes soient prêtes à dialoguer ? Y a-t-il besoin
d'étude ou d'enquête préalable pour mieux comprendre la
situation ou objectiver un problème ?Faut-il impliquer dès le
départ les services techniques ou bien attendre que les acteurs locaux
aient commencé à élaborer des propositions ? Comment
mobiliser les autorités coutumières dans le processus ? Comment
éviter les récupérations du processus par certains groupes
d'intérêts ? Définir une stratégie de concertation,
c'est choisir la façon d'aborder le problème, la façon de
gérer les relations avec les différentes parties
prenantes, discuter la place des moments collectifs de
discussion (pour quoi faire ? avec qui ? animé comment ?), etc. Il
s'agit bien sûr d'une stratégie indicative, à adapter en
fonction de la façon dont se déroule le processus, des
réactions des différents acteurs, des événements
extérieurs. C'est un guide pour réfléchir et mener
l'action, et non une méthodologie figée une fois pour toute.
La figure 22 présente les déterminants du
processus collectif de négociation et de légitimation
territoriale.
Acteurs à impliquer
- Habitants du territoire concerné
- Autorités traditionnelles
- Autorités administratives
- Élus locaux (toutes les communes
concernées)
- Techniciens étatiques et du développement
local
- Gestionnaires des aires protégées
- Eleveurs transhumants nationaux et étrangers
PROCESSUS COLLECTIF DE NEGOCIATION ET
DE LEGITIMATION TERRITORIALE
Unités spatiales de concertation à
privilégier
- Le territoire villageois - La commune
- L'intercommunalité - Le lamidat
Inclusion des éleveurs transhumants
- Intégration dans les négociations à
travers un village ou un campement
- Choix de dates adaptées pour les transhumants n'ayant
pas de territoires d'attache pour les faire participer aux
négociations
- Définir des règles et les porter à la
connaissance des transhumants irréguliers via les auxiliaires des chefs
traditionnels
|
Justification du processus
- Une multiplicité et une diversité des acteurs
de l'utilisation et de la gestion des territoires
- Un compromis entre les stratégies des
différents acteurs
- Une expression des intérêts spécifiques
et des différents points de vue
- Recherche de synergies
- Renforcement de la cohésion sociale - Augmentation du
potentiel de réflexion, d'échange et d'action - Adaptation
à la réalité des situations locales
- Renforcement de la légitimité de la
décision
- Nouvelles formes de gouvernance garantissant le dialogue social
et les modalités de reconnaissance institutionnelle
|
188
Figure 22. Déterminants du processus
collectif de négociation et de légitimation territoriale
La concertation se réalise par travail en commun des
autorités traditionnelles et administratives, des élus, des
techniciens et des habitants d'un territoire. C'est un processus collectif de
négociation et de légitimation, qui se justifie parce qu'il :
- prend en compte la multiplicité et la
diversité des acteurs qui utilisent les ressources agricoles et
pastorales et qui interviennent dans leur gestion. La gestion des ressources
naturelles et des espaces sera toujours le fruit d'un compromis entre les
stratégies de ces différents acteurs. Le travail en commun permet
l'expression des intérêts spécifiques et des
différents points de vue ;
189
- favorise la recherche de synergies et ainsi le renforcement
de la cohésion sociale entre les différentes parties prenantes et
contribue à une meilleure réponse aux enjeux en augmentant le
potentiel de réflexion, d'échange et d'action ;
- favorise l'adaptation à la réalité des
situations locales qui présentent une grande variabilité
(ressources, densité, hétérogénéité,
homogénéité culturelle, systèmes de production et
poids respectifs de la chefferie, de l'administration et de la
société civile...).
- renforce la légitimité de la décision,
favorise son acceptation par tous et permet de préparer les
évolutions juridiques et institutionnelles en cours (la
décentralisation étant inachevée au Cameroun, les
politiques foncières ne sont pas définies et les droits
traditionnels, parfois concurrentiels, et les droits modernes se
juxtaposent).
V.3.3.1. Lieux de concertation à privilégier
: le territoire villageois et la commune
Des structures de concertation seront identifiées parmi
les structures déjà existantes au niveau de la commune (les
comités communaux de concertation sur les ressources agro-pastorales) et
des territoires villageois (les comités villageois) d'intervention :
- Le territoire village est le lieu de la délimitation,
de l'affectation des terres et de la programmation. La délimitation
définit et fixe des espaces. L'affectation propose une vocation en
fonction des ressources et des occupations actuelles. Elle précise des
règles d'utilisation. La programmation choisit, localise et spatialise
les interventions et les investissements.
- Les communes sont probablement les échelons
politiques pouvant le plus aisément rapprocher légalité
étatique et légitimité locale. Autorités locales
reconnues par l'État, elles peuvent faire le lien entre administrations
publiques et autorités coutumières. Les élus locaux sont
censés être plus proches des populations et être garants
d'une meilleure prise en compte des pratiques et des droits locaux existants.
La commune est ainsi le niveau de l'orientation et des directives. C'est aussi
le niveau de la validation institutionnelle (dans une perspective
d'harmonisation des décisions des différentes autorités)
et du suivi-
190
évaluation/contrôle/capitalisation. La validation
passe par des actions d'enregistrement qui préfigurent des outils tels
que plans locaux d'occupation des sols, des schémas de cohérence,
des registres fonciers, des cadastres. C'est enfin le lieu de mise en
cohérence, aussi par des investissements communaux. Le niveau communal
gère ainsi les questions et espaces inter-villageois et intercommunaux
(couloir de transhumance par exemple). La commune42, en tant que
collectivité territoriale, a donc le droit de prendre des
arrêtés s'imposant à tous, ce qui donne une valeur
légale aux conventions locales et les rend « opposables aux tiers
», c'est-à-dire applicables à des acteurs qui n'en ont pas
été partie prenante. Ces arrêtés peuvent porter sur
tout ou partie du territoire communal.
Les instances de concertation devront prendre en compte la
coexistence des autorités administratives, traditionnelles et
territoriales, dont les pouvoirs sont reconnus par la loi. Les conditions d'une
gouvernance des collectivités locales restent donc largement à
inventer. Les revendications de la société civile et la culture
de la participation que portent les projets modifient aussi les conditions de
cette gouvernance. Un des enjeux de la démarche sera l'émergence
de nouvelles formes de gouvernance43 qui garantissent à la
fois le dialogue social et des modalités de reconnaissance
institutionnelle, pouvant orienter dans le futur des textes
réglementaires.
Le résultat de la concertation sera
l'élaboration des plans d'utilisation, de gestion et
d'amélioration des ressources agro-pastorales largement diffusé
parmi les populations concernées et faisant l'objet d'un consensus
local.
42 La commune peut-être une instance de
pérennisation des décisions et des actions de concertation autour
des territoires de mobilité pastorale. Les conventions appuyées
par les projets et programmes ont présenté des limites. Elles
restent fragiles et fortement dépendantes des structures des projets qui
souvent soutiennent entièrement le coût des interventions. Les
instances mises en place disparaissent souvent avec la fin desdits projets.
43 La gouvernance est une démarche de
concertation et de prise de décision, qui implique de façon
responsable les acteurs ou les populations concernées par les politiques
de développement durable et leurs plans d'actions.
191
V.3.3.2. Problématique de l'inclusion des
transhumants dans le processus de concertation
La question de l'inclusion des transhumants dans la
concertation est centrale. À partir d'une typologie sommaire, on peut
distinguer :
- les transhumants dépendant d'un village ou campement
qui pourront être insérés dans les négociations
d'abord villageoises, puis communales et enfin intercommunales.
- les transhumants n'ayant pas de territoires d'attache mais
organisant des transhumances régulières qui pourront participer
aux négociations aux mêmes niveaux, en choisissant des dates
adaptées.
- Enfin pour les transhumants irréguliers, l'inclusion
dans les cadres de concertation locale est problématique. Il s'agira
plutôt pour eux de définir des règles, de les porter
à leur connaissance, via les contacts avec les chefs traditionnels de
premier niveau, avant l'entrée dans le territoire, et de suivre le
respect de ces règles, via les autorités administratives.
V.3.3.3. Choix du renforcement institutionnel des
communes dans le cadre de la décentralisation
Le renforcement des compétences (en tant que
capacité à agir des communes) sera conçu comme un
accompagnement des acteurs, en répondant aux besoins apparaissant au
cours du processus. Cette volonté d'accompagnement consistera à
doter les communes des moyens et outils pour favoriser le "travail ensemble",
à la fois au sein des commissions de concertations et des équipes
techniques.
L'accompagnement se fera principalement par la formation qui
répondra aux différents besoins du processus : besoin d'analyse
de la complexité des situations foncières, des enjeux de
sécurisation foncière et des exigences d'intensification de la
mise en valeur ; besoin de compétences techniques pour accompagner les
processus de concertation.
V.3.4. La phase de mise en oeuvre
La phase de mise en oeuvre est l'étape ultime et
déterminante. Elle nécessite que toutes les données et
conditions soient réunies et que toutes les parties prenantes soient en
phase et en adéquation avec le processus qui va démarrer. Elle
suppose également une
192
entité (projet, programme) qui puisse coordonner les
actions et mobiliser les acteurs. Cela demande également des moyens qui
peuvent être mobilisés par l'État à travers diverses
coopérations ou au niveau local à travers les communes. La figure
23 reprend la démarche de mise en oeuvre.
Préparation de la concertation
- Clarifier la démarche méthodologique à
adopter
- Affiner les critères de choix des villages et des
communes
- Sensibiliser et informer les acteurs à la base
- Sélectionner les villages et les communes
- Sélection des villages d'intervention - Création
des comités villageois - Élaboration d'un diagnostic villageois -
Reconnaissance des limites territoriales et des vocations des sols (zonage,
validation, plans et schémas inter villageois) - Programmation des
actions de préservation et d'amélioration des ressources des
territoires pastoraux - Validation des résultats de la concertation
Concertation au niveau villageois
Légitimation
- Implication et caution des autorités
traditionnelles
- Adoption en conseil communal - Validation par les
autorités administratives
MISE EN OEUVRE DE LA CONCERTATION
Concertation au niveau communal
- Identification ou création des comités
communaux
- Contenu de la concertation (zonage,
validation, plans et schémas inter
villageois et intercommunaux)
- Cas spécifiques des couloirs de transhumance
(intercommunal et
lamidats)
Figure 23. Démarche de mise en oeuvre de la
concertation V.3.6.1. Préparation de la concertation
Clarification de la démarche méthodologique
La phase de mise en oeuvre commence par une clarification de
la démarche méthodologique et son appropriation par les
principaux acteurs ayant des expériences en matière de
planification concertée. Lors de cette phase, seront discutés et
proposés les choix méthodologiques. Ce sera également
l'occasion d'affiner les critères de choix des territoires villageois et
des communes concernés par l'opération en rapport
évidemment avec leurs liens avec la mobilité pastorale.
Sensibilisation et information
La sensibilisation et l'information est une étape
déterminante pour assoir la dynamique de collaboration et de dialogue
entre les acteurs. Elle permettra également à chaque
193
partie d'affûter ses arguments et de s'approprier le
processus de territorialisation de la mobilité pastorale. Une
présentation des enjeux du projet, de l'option de la concertation sera
faite au plus grand nombre en utilisant tous les moyens de communication
possible : réunions spécifiques, présentation aux conseils
municipaux, aux assemblées de chefferie, article de presse,
émission de radio et de télévision... À l'issue de
cette phase, l'administration, les chefferies, les communes et les populations
connaissent l'intérêt du projet et les conditions de la
participation. Une première estimation de la perception et de la
motivation des acteurs peut être faite.
Sélection des villages et des communes
La sélection des villages et des communes prendra
d'abord en compte un critère de répartition géographique.
Dans un premier temps, l'objectif sera dans la mesure du possible, de retenir
au moins deux communes dans chacune des zones concernées par les
problèmes de mobilité pastorale. Cette phase permettra de tester
l'approche et de bâtir des référentiels d'intervention
adaptés à chacune de ces zones. Les villages et les communes au
sein desquelles une dynamique de gestion des ressources agro-pastorales est
identifiée ou mise en place dans le cadre de projets
précédents seront d'autre part privilégiées (mais
ne devront pas constituer plus de la moitié des villages et des
communes, afin de ne pas limiter les actions aux zones les plus favorables).
Outre ces critères, la condition nécessaire de
sélection des villages et des communes sera la capacité et la
volonté des autorités locales à « jouer le jeu »
de la concertation, dans une posture d'expérimentation sociale. Les
villages et les communes intéressés par la démarche
proposée par ces actions devront faire acte de candidature par une
délibération du conseil communal. L'obligation de cette demande
se justifie par le souci de faire émerger un besoin endogène qui
avait manqué lors de la mise en oeuvre des actions
précédentes en matière de gestion des territoires ruraux.
Des lettres de soutien des autorités traditionnelles et des
autorités administratives (sous-préfecture) seront en outre
demandées.
Des animaux animateurs villageois et communaux de concertation
pourront être recrutés afin d'accompagner cette action.
194
V.3.6.2. Concertation au niveau communal
Identification ou création des comités communaux
Il s'agira dans un premier temps d'identifier ou de
créer des comités communaux de concertation. De nombreuses
communes se sont déjà dotées de structures de
concertation, dans le cadre de projets précédents : CCPA
(commission communale de planification et d'aménagement) et commission
technique pour le projet PDOB ; CPAC (Comité paritaire d'approbation et
de supervision au niveau communal.) et commission technique
d'aménagement pour le projet PNDT ; commission technique
d'aménagement du territoire et sous-commission technique (agriculture,
élevage, forêt et environnement) pour le PDUGT ; commission
consultative de règlement des litiges ; Agents de développement
recrutés dans le cadre du PNDP.
Il s'agira, dans la mesure du possible, d'éviter de
créer des nouvelles structures (qui ne manqueraient pas d'être
perçues comme des comités d'un autre projet s'ajoutant aux
structures existantes) et d'utiliser, en les adaptant autant que faire se peut
aux besoins d'une véritable concertation locale. On ne peut
néanmoins exclure que dans certains cas de nouvelles structures
communales devront être créées, soit parce qu'il n'existe
pas de structure existante fonctionnelle, soit parce qu'elles auront
été discréditées auprès de certains acteurs
incontournables, soit parce que les règles de fonctionnement des
structures existantes ne peuvent être adaptées pour en faire de
véritables structures de concertation.
Le comité de concertation communal s'attachera à
réunir des représentants des diverses autorités et
catégories socio-professionnelles existantes : administration
territoriale (sous-préfet), chefferie traditionnelle, élus
communaux, représentants des agriculteurs et des éleveurs,
forestiers, garde-chasse, transhumants... Au fur et à mesure du choix
des villages, des représentants de ces derniers seront
intégrés. Le choix des membres sera le fruit d'une concertation
entre les autorités et l'instance de gestion des actions à
mener.
La nature du Comité de concertation est dans un premier
temps obligatoirement ambigu : c'est d'abord un forum ; c'est aussi une
commission, lieu d'instruction et d'analyse de situations complexes ; mais
c'est aussi probablement une arène, un lieu de
195
décision informelle. Ce choix n'est pas orthodoxe mais
il est nécessaire pour garantir l'accord entre les « quatre
pouvoirs » : société civile, chefferie, Commune,
administration. Le comité préparera la décision formelle
qui, en l'absence de texte, pourrait être constituée d'une
délibération du conseil communal, contresignée par les
autorités traditionnelles et administratives.
Le nombre des participants aux commissions doit, dans un
premier temps, être estimé en fonction d'un équilibre
recherché entre l'exhaustivité et l'efficacité. Dans la
fonction forum, un plus grand nombre est recherché pour assurer la
diffusion des idées. Dans la fonction commission, la
délégation à un petit groupe et surtout aux comités
villageois sera recherchée. Dans la fonction « décision
informelle », l'intérêt est que les accords entre les trois
pouvoirs soient contrôlés par des représentants.
Contenu de la concertation au niveau communal
Le comité effectuera un réel travail :
- réalisation du zonage ;
- propositions de choix de villages ;
- validation de l'ensemble des plans villageois ;
- validation des schémas de cohérence communale
;
- instruction et validation des plans intra-villageois et
intercommunaux.
Il jouera un rôle de premier plan dans la
délimitation des pistes de moyenne et grande transhumance (qui
traversent plusieurs villages d'une même commune et parfois plusieurs
communes). Il assurera le suivi de la réalisation des plans villageois
tout au long du déroulement de l'action de concertation. Il pourra
également se saisir de la problématique foncière. Le
rôle du comité ne peut être déterminé et
limité à l'avance : il évoluera, selon les dynamiques
propres à chaque commune, et en fonction des forces en présence
et des conditions locales.
Un animateur communal aura pour responsabilité
d'organiser et de faire vivre la concertation communale. Benkahla et Hochet
(2013) précisent que dans une négociation, le métier
d'animateur (ou de facilitateur) consiste à savoir accompagner la
recherche de solutions à des problèmes, par des acteurs qui sont
dans des positions
196
différentes et ont des intérêts
différents. Cela passe par des discussions individuelles ou collectives
pour comprendre comment se pose le problème pour les différents
groups d'acteurs concernés, par l'animation de rencontres et de
discussions qui permettent de débattre des problèmes et des
solutions possibles, tout en assurant la prise de parole de tous et en
respectant les façons locales de s'exprimer et de négocier (les
cadres sociaux de la négociation) tout en assurant la prise de parole de
tous. L'animateur a une fonction d'aide à la recherche de solutions par
les acteurs concernés, et non un rôle d'expert qui propose ses
solutions. Or les agents de développement tendent spontanément
à jouer ce rôle d'expert. Agir en tant que facilitateur suppose un
positionnement et une sensibilité particulière, parfois un
apprentissage spécifique.
Une des premières tâches du comité de
coordination communal sera de réaliser un zonage à dire
d'acteurs. La méthode de zonage proposée s'appuie sur les
connaissances que les acteurs locaux et régionaux ont de leur
territoire. Cette connaissance est confrontée avec les documents
cartographiques existants. Il s'agit de formaliser l'ensemble de ces
connaissances pour délimiter les villages et les zones «
affectées » (zones d'habitation, zones agricoles, zones pastorales,
zones de chasse, zones de conservation...).
Le zonage à dire d'acteur permet l'établissement
rapide d'une première organisation de l'espace qui peut donner de la
cohérence aux actions au niveau villageois.
Cas spécifique des couloirs de transhumance
Pour le cas spécifique des couloirs de transhumance, la
délimitation des pistes à bétail constituera un des points
d'application principaux du zonage au niveau communal. La question des pistes
à bétail et des couloirs de grande transhumance peut cependant
concerner plusieurs terroirs et souvent plusieurs communes. Son traitement
implique de travailler à plusieurs échelles. Les deux
échelles retenues (village et commune) ne suffisent pas. La
délimitation de ces zones sera effectuée au niveau intercommunal
et au niveau des lamidats, en forte liaison avec les équipes techniques
des services de l'élevage. Ces couloirs ainsi définis seront
repris dans les plans communaux et les plans villageois.
197
V.3.6.3. Concertation au niveau du
village
Sélection des villages d'intervention
Le choix des villages d'intervention se fera conjointement par
l'instance de coordination des actions de concertation et le comité
communal et devra être validé par le conseil communal.
Les villages retenus devront avoir fait acte de candidature
avec l'appui de la chefferie locale, selon des modalités qui seront
définies dans le guide méthodologique. Le choix pourra porter sur
des groupes de villages ayant accès à des ressources
partagées, afin d'éviter une trop grande dispersion dans la
commune. Le zonage à dire d'acteur réalisé dans
l'étape précédente sera utilisée. Le choix final
des villages retenus reviendra aux communes.
Création des comités villageois
La création du comité villageois de concertation
répondra aux mêmes règles que pour le niveau communal et
réunira des représentants des diverses autorités et
catégories socio-professionnelles existantes44. Les
autorités seront les chefs de terre, les chefs de villages et les chefs
de quartiers (leurs représentants). La représentation sera faite
sur une double base catégorielle et géographique. La composition
du comité se fera sur la base du volontariat. Une assemblée
villageoise sera convoquée pour présenter le projet, les travaux
et les fonctions du Comité villageois. La présentation sera faite
conjointement par les membres du comité communal de concertation et les
animateurs. Quelques critères pour la composition du Comité
(taille, nombre, principales caractéristiques) seront fournis.
Après la sensibilisation et les concertations internes, une nouvelle
assemblée générale validera les candidatures
reçus.
Élaboration d'un diagnostic villageois
À partir de l'analyse de données secondaires et
d'enquêtes auprès des villageois, le diagnostic synthétise
les données sur la population, les marchés, les systèmes
de production, les potentialités, les problèmes et contraintes.
Il caractérise l'occupation
44 Comme pour les comités communaux, on
s'attachera, dans la mesure du possible, à travailler avec des
comités villageois existants, dans la mesure où leur mode de
fonctionnement est compatible avec les objectifs de concertation.
198
actuelle de l'espace, la répartition spatiale des
activités d'élevage et d'agriculture, les investissements
existants. Une typologie classifie les producteurs en grands groupes, en
fonctions de leur stratégie d'utilisation et de leurs accès aux
ressources naturelles.
Les contraintes, potentialités et problèmes sont
identifiés. Les problèmes sont hiérarchisés et les
« solutions proposés par les acteurs » sont recensés.
L'évaluation de « l'état » des ressources naturelles
est réalisée. Un diagnostic institutionnel (la
gouvernance45) est élaboré. Il met en évidence
les processus de prise de décision et de résolution de conflits,
toujours complexes.
Le diagnostic sera réalisé par le comité
de concertation avec la participation active des responsables techniques
régionaux en matière d'élevage, d'agriculture, de
cadastre. Les résultats seront présentés à la fois
aux villageois et au comité de concertation communal.
Reconnaissance des limites territoriales et des vocations des
sols
Un premier travail à réaliser est la
délimitation des espaces villageois. Ce travail est
réalisé sous la supervision du comité de concertation
communal en réunissant les différents comités de
coordinations villageois d'une zone ou, si ce comité n'existe pas dans
les villages avoisinants, en conviant les autorités de ces villages.
Une deuxième étape est liée à
l'affectation des terres, en particulier dans la séparation entre zones
agricoles, zones pastorales et pistes à bétail. Les
comités de concertation analysent les utilisations actuelles, jugent de
leur durabilité46. Après débat, les terroirs et
les espaces (agricoles, pastoraux...) seront délimités, avec des
« autorités de gestion » clairement identifiées.
Les méthodes de délimitation sont bien connues.
La méthode utilisée dans cette action sera définie
à partir des acquis des précédents projets (lors de
l'atelier méthodologique). Cette délimitation se fait par
négociation entre les acteurs, les
45 La gouvernance est souvent définie comme
le gouvernement à plusieurs. La définition apparaît
particulièrement adaptée aux régions du Nord Cameroun.
46 L'occupation est-elle pertinente ? Doit-on
modifier l'affectation des terres ? La production de biomasse est-elle à
la hauteur des besoins : alimentation, coton, élevage du village,
élevage des transhumants ? Le niveau de pression met-il en péril
la fertilité ? Quelles tendances prospectives... (Migration,
mobilisation de nouvelles ressources, intensification par le travail...) ?
199
aménagements prévus étant un des
éléments de cette négociation. Un procès-verbal de
négociation est établi. Un relevé de limites est
reporté sur une carte. Procès-verbal et carte sont
paraphés par les différents acteurs, les autorités
(administratives, chefferie et commune) et déposés dans un
registre communal. Un bornage est effectué pour matérialiser les
limites.
Le plan de délimitation des espaces sera largement
diffusé auprès des populations concernées afin
d'être pleinement approprié par ces dernières.
Ce plan ne doit pas être considéré comme
figé : il pourra évoluer, dans le cadre des mécanismes de
concertation, en fonction notamment de l'évolution de la pression sur
les ressources.
Programmation des actions de préservation et
d'amélioration des ressources
Sur la base du diagnostic précédemment
établi, les agents techniques des différents services
étatiques (élevage, agriculture, cadastre...) aideront les
comités à faire émerger, de façon participative,
les actions souhaitables pour améliorer la gestion des ressources
agro-pastorales. Il s'agira de mettre en place une véritable approche
participative, au cours de laquelle les populations, avec l'appui des
techniciens, pourront elles-mêmes concevoir les solutions les mieux
adaptées à leur milieu. Cette démarche, novatrice par
rapport à celles adoptées au cours des projets DPGT et ESA, sera
appuyée par des visites de sites pour permettre aux comités de
visualiser les effets des actions possibles et du matériel didactique
élaboré par les composantes techniques. Ce matériel
didactique décrira la technique, présentera
l'intérêt et les avantages espérés. Il s'attachera
à identifier avec précision i) les « besoins » en
termes de ressources, de travail, de compétences, ii) les
conséquences sur le système de production et sa logique (une
étable fumière implique des animaux en stabulation...). En
croisant ces éléments et le disponible (identifié lors du
diagnostic), la programmation définit le champ du travail: que va-t-il
être fait ? Pour chacune des zones homogènes, à partir des
dynamiques actuelles, des aspirations des populations, des possibilités
techniques et en investissements, il s'agit de définir, toujours en
concertation avec les populations, de grandes orientations de mise en valeur,
puis de préciser les actions à entreprendre.
200
En fonction des exigences (espace disponible, organisation,
intrants, disponibilités financières, technicité...) et
des propositions techniques, le comité définit les lieux et les
acteurs les plus adaptés. Le décalage entre les
nécessités liées à l'introduction d'une innovation
technique et les ressources existantes détermine les appuis
nécessaires (appui technique, subvention, appui organisationnel, appui
institutionnel...). Des programmes d'actions, détaillés par zones
et par types d'exploitants, préciseront les enjeux auxquels les actions
répondent, leur faisabilité et les mesures d'accompagnements
nécessaires.
Les règles de gestion des espaces et des ressources,
nécessaires à la mise en place du plan, sont
précisées. Ces règles de gestion, y compris droits de
faire valoir seront établies en fonction de deux critères :
critères de pertinences (en fonction de l`état des ressources et
des systèmes de production) et de légitimité
(acceptées à la fois par les populations et par les
autorités).
Validation des résultats de la concertation
Les comités de concertation présentent leurs
propositions en assemblée villageoise et tiennent comptent ensuite des
remarques et suggestions des villageois pour faire les derniers ajustements.
Enfin, les plans villageois sont présentés, discutés et
adoptés en Conseil communal, après validation par les
autorités coutumières47 et administratives. La triple
légitimité est nécessaire pour éviter que les
mécontents (il y en aura toujours) puissent utiliser les instances de
résolutions parallèles que chacune des autorités (maire,
préfecture ou chefferies) met en place.
V.3.5. Consensus à rechercher autour des aires
protégées
V.3.5.1. Le rôle des acteurs locaux dans la
gestion de la mobilité des animaux dans les parcs
Le rôle des chefs traditionnels dans la gestion des
parcs de la région du Nord a toujours été ambigüe
(Djamen Nana, 2008). Le fait que les chefs traditionnels soient
47 Les autorités coutumières sont des
autorités locales ayant, de par l'histoire et selon les normes locales,
un pouvoir sur les hommes et/ou sur les territoires et les ressources
naturelles qu'ils comportent. Leur légitimité est le plus souvent
issue de l'histoire et du peuplement, mais leur rôle ou leur processus de
désignation ont pu être profondément transformés par
l'intervention de l'État, pendant la colonisation et après
Benkahla et Hochet (2013).
201
en majorité musulmans peut justifier leur
tolérance vis-à-vis des éleveurs transhumants,
eux-mêmes de cette religion. Ils savent néanmoins que les parcs
sont considérés comme des biens de l'État et ils n'ont
donc aucune raison de participer à sa gestion. C'est ce qui explique
leur nature lointaine et la négligence qu'ils ont toujours eu dans sa
gestion. Leur intégration récente dans la commission de gestion
des parcs peut-être une meilleure solution pour les impliquer de
manière plus engagée. Par ailleurs, le Sarki Saanou,
Ministre de l'élevage dans l'administration traditionnelle, n'est pas
impliqué dans la gestion du parc alors qu'il est bien informé sur
les questions de transhumance.
En ce qui concerne les projets et programmes de
développement en faveur des populations locales, leur action en faveur
de la politique de conservation est mitigée. Dans une étude
réalisée dans la région du Nord sur le mouvement du
bétail, Djamen Nana (2008) a mentionné la position contradictoire
de ces acteurs. Ces derniers malgré leur compréhension et leur
acceptation des politiques de conservation sollicitent la mise en place
d'actions concertées pour améliorer les conditions des
populations locales afin de susciter leurs intérêts pour les
actions de conservations. Le déséquilibre qui existe entre les
missions de développement et la gestion de sites de conservation comme
les parcs dans le Nord est tellement criard, selon les projets et programmes de
développement. Il s'impose l'obligation d'associer obligations de
développement et nécessité de conservation dans et autour
des parcs. Dans un contexte de rareté des ressources, de pression
démographique et de faible rôle de l'Etat, est-il possible de
demander plus de vigilance de la part des acteurs intermédiaires ?
En plus, en matière des politiques étatiques
d'aménagement du territoire national, le MINEPIA peut être
considéré comme un maillon faible. Il a été
toujours ignoré au cours du processus de création d'aires
protégées en particulier les parcs nationaux. Malheureusement,
jusqu'aujourd'hui, il y a eu peu ou pas de changement dans cette carence
administrative. Le micro projet intercommunal pour le suivi de la
matérialisation des zones de pâturage et des pistes à
bétail a constaté que la création, l'extension et le
maintien des parcs nationaux dans le Nord, est de la seule
202
responsabilité du MINFOF48. La
création de parcs nationaux réduit les pâturages et se fait
sans la consultation du service en charge de l'élevage et la gestion des
terres de pâturage. Les autorités en charge du MINEPIA n'ont
d'ailleurs rien à dire lorsqu'on leur demande ce qu'ils pensent des
incursions des éleveurs transhumants dans les parcs parce qu'ils ne sont
pas impliqués dans sa gestion. Ainsi, la contribution technique de
MINEPIA dans la gestion des activités des éleveurs transhumants
dans les parcs nationaux du Nord Cameroun ne peut pas être
sous-estimée et négligée. Aucune action concertée
solide ne peut être effectuée sur cette question sans la mise
à contribution du MINEPIA.
Par ailleurs, les acteurs locaux se sentent bousculés
dans cette zone : les autochtones qui revendiquent la propriété
des zones du parc, les migrants qui exploitent les ressources ainsi que les
éleveurs transhumants qui sont des exploitants saisonniers. Chacun
rejettent la responsabilité sur l'autre pour le non-respect des lois
mise en place.
V.3.5.2. Les initiatives de cogestion et les plateformes de
négociation
L'approche « co-gestion » a été ces
dernières années très fortement soutenue par les bailleurs
et les institutions en charge des programmes de conservation de la
biodiversité.
Un des principaux outils de la cogestion est le cadre de
concertation, mais la question de leur mise en oeuvre et de leur
légitimité et efficacité sur le terrain reste une
conception abstraite tant que les bailleurs et institutions en question ne lui
transfèrent pas un véritable pouvoir de décision. D'autre
part, ce cadre de concertation bute sur la question de la volonté
politique (souhaite-t-on réellement partager les prises de
décisions avec tous les acteurs en présence) et de la mauvaise
compréhension de l'approche cogestion par les professionnels de la
conservation.
En outre, le Nord-Cameroun connait d'importants
bouleversements dans sa dynamique démographique, socioéconomique
et son cadre de référence culturels et politiques. Cela induit de
manière récurrente un déséquilibre dans les
rapports de production entre les différents acteurs, compte tenu par
exemple de la sédentarisation des éleveurs, de
48 Ministère de la Forêt et de la
Faune.
203
l'accroissement démographique, des flux migratoires. Il
en résulte que les cadres de concertation constituent un espace de
négociation efficace à un temps « t » mais sont
rarement viables à long terme, comme le souligne, compte tenu de
l'évolution rapide du contexte démographique,
socioéconomique et politique. Il est ainsi important de prendre en
compte dans les cadres de concertation l'aspect dynamique des relations entre
acteurs et des modes de gestion des pâturages et des espaces
cultivés. Cela fait parfois référence à des
comportements tout à fait opportunistes de la part de certains individus
ou groupes d'intérêt, lesquels ne peuvent être pris en
compte dans les cadres de concertation qu'à condition d'adopter une
démarche souple incluant une évaluation continue du dispositif de
négociation adopté et des groupes d'intérêt
identifiés.
Une action concertée menant à la cogestion a
été suggérée par les institutions internationales
et le gouvernement du Cameroun (Tagueguim, 2010 ; Tsama, 2010) dans le cadre
d'une approche participative dans la gestion du parc. Dans un contexte de
croissance démographique et le manque de ressources, l'adhésion
de la population locale et même la population migrante aux politiques de
conservation devient difficile. Cela s'explique par le fait que les besoins de
la population locale ne sont pas pris en compte dans la création de
parcs. Dans le cas spécifique du Nord Cameroun, il a été
constaté que les questions de transhumance transfrontalière dans
son ensemble ne sont pas prévues. Les problèmes actuels
rencontrés dans ces parcs du fait de cette activité montrent que
tous ces éléments doivent être revisités.
V.3.6. Difficultés et limites des approches
négociées
Ces différentes dimensions rendent la gestion des
territoires de mobilité particulièrement complexe. Il faut savoir
dépasser les conflits d'intérêts et composer avec les
rapports de force en place, pour aboutir à des solutions acceptables par
le plus grand nombre. Le risque est grand, quand les rapports de force sont
trop déséquilibrés, que finalement la négociation
conduise à exclure une catégorie d'acteurs comme les
éleveurs transhumants.
Une fois que des accords ont pu être trouvés, il
faut encore pallier les carences du cadre juridique et réglementaire. Il
faut également compter avec le faible respect des
204
règles, que ce soit au niveau de l'administration et
des élus, ou des populations. Il est en effet difficile de
réaliser un contrôle collectif quand tout le monde se
connaît.
La négociation n'est donc pas une solution facile. Et,
elle ne sera pas forcément vouée au succès. Mais c'est
encore elle qui permet le mieux de garantir la prise en compte les
différents intérêts et de réduire les
inégalités et les opportunismes. C'est elle qui conduit à
ce que les règles soient le plus légitimes possibles et les
dispositifs de gestion capables d'en assurer réellement la mise en
oeuvre. Dès lors, entre des conventions rédigées
rapidement et qui n'auront pas d'effet, et des processus, plus lents, de
construction d'accords capables d'aboutir à une véritable
régulation.
Conclusion
Les territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun
ont été l'objet d'intérêt pour de nombreux projets
de développement. Ils ont essayé de mettre en place des actions
et de nombreuses interventions aux résultats mitigés en
matière de concertation et de sécurisation foncière :
délimitations foncières des villages, des zones pastorales et des
couloirs de transhumance ; formalisation écrite des transactions
foncières individuelles ; la planification concertée... De
manière générale, les objectifs des principaux projets
visaient une meilleure intégration de l'élevage et des
éleveurs dans le développement local à travers la
structuration professionnelle et une démarche de gestion
négociée et de sécurisation de l'espace ; ce qui
était tout à fait pertinent. Ces projets ont à leur actif
la production des démarches d'appui à la gestion concertée
des espaces et ressources naturelles au niveau local. Cependant, des
difficultés sont apparues pour inclure certains transhumants dans la
concertation et le non-respect des accords à la fin des projets qui
supportaient entièrement le coût des opérations. Il en est
de même des faiblesses au niveau des organisations d'éleveurs en
ce qui concerne leur fonctionnement, leur gouvernance et le financement. Ces
organisation ont en effet une faible participation et sont toujours
réticents à s'impliquer dans les débats locaux et les
arènes de négociation.
Partant des limites et insuccès des actions
menées, nous avons proposé une démarche innovante qui
capitalise les acquis de ces projets (démarches et comités de
concertation) et propose un processus de décision qui prend en compte
plusieurs étapes
205
et s'appuie sur un contexte spatial local permanent (villages
et communes). Les villages sont en effet le lieu où vivent tous les
acteurs qui utilisent les territoires de mobilité pastorale et où
une certaines cohésion sociale peut être une base à la
négociation et la concertation. Quant à la commune, elle est dans
un processus de décentralisation, certes inachevée mais
déjà assez avancée pour lui permettre de s'approprier les
initiatives de concertation spatiale. Cette option spatiale est motivée
par le fait que l'une des raisons des échecs des projets de
développement en matière de concertation spatiale était sa
durée limitée dans le temps et son manque d'encrage
institutionnel dans la pérennité. La commune qui est une
entité locale pérenne pourrait ainsi intégrer dans son
programme et son budget les actions de concertation autour des territoires.
207
CONCLUSION GENERALE
À la suite de mes travaux sur l'élevage mobile,
nous nous sommes intéressés dans le cadre de l'Habilitation
à Diriger des Recherches aux territoires de mobilité pastorale.
Nous partons du constat que malgré la fixation des éleveurs sur
de petits territoires où restent une partie de la famille toute
l'année, la mobilité des animaux continue. Mais cette
mobilité se fait sur des territoires morcelés, diffus et
instables. La mobilité pastorale est confrontée à la
dégradation continue des conditions de production, en particulier la
raréfaction des ressources fourragères et l'amenuisement du
foncier pastoral. La progression des espaces cultivés entraîne
ainsi la disparition progressive des espaces non cultivés et
pâturés : brousse et jachères, qui sont cultivées
à leur tour. Si un des fondements de la mobilité pastorale est le
libre accès à l'espace, les grands éleveurs de la zone
soudano-sahélienne du Cameroun, qui ont des pratiques de conduite
extensive des troupeaux, sont aujourd'hui évincés devant la
poussée des agriculteurs et la présence importante des aires
protégées. Se pose ainsi un problème de gouvernance
territoriale entre les différentes activités en présence
pour une gestion harmonieuse et durable des ressources et une limitation des
situations conflictuelles entre les acteurs.
L'objectif de ce travail était d'analyser le
fonctionnement des territoires de mobilité pastorale, les logiques et
les stratégies des acteurs en présence et de pouvoir
dégager les conditions de réhabilitation et de
préservation de ces territoires. Il s'agissait également de
mettre au point une démarche de recherche de consensus entre les acteurs
locaux pour la définition conjointe et concertée des limites de
ces territoires et des modalités de leur fonctionnement et de leur
gestion harmonieuse et durable en s'appuyant sur les expériences
passées dans ce domaine.
Le premier résultat mis en évidence est la
clarification du contexte spatial de l'élevage mobile. Ce dernier est en
permanence sous le joug des problèmes spatiaux en lien avec les
migrations massives des agriculteurs vers les espaces dédié
anciennement à l'élevage qui sont mises en culture,
l'augmentation du cheptel bovin du fait de la diversification des acteurs qui
s'intéressent à cette activité, l'insécurité
sur le foncier
208
rural en général, et pastoral en particulier,
exacerbée par l'omniprésence des autorités traditionnelles
qui impose leurs lois pour la gestion et le contrôle du foncier au
détriment des lois étatiques, la présence de vastes zones
protégées interdites de pâturage. À ces facteurs
internes, il faut ajouter les situations conjoncturelles comme l'arrivée
massive des éleveurs mbororo venant de la République
Centrafricaine fuyant les exactions des anti-balaka. Les territoires
dédiés à la mobilité pastorale semblent suffisants,
mais ils sont mal répartis dans l'espace et leur accessibilité
pose problème.
Le deuxième résultat tient au contexte
sociétal autour des territoires de mobilité avec les rapports
entre les acteurs locaux. De nombreux acteurs utilisent, gèrent et
exploitent les territoires de mobilité pastorale (éleveurs,
agriculteurs, citadins, autorités traditionnelles et administratives).
Ils entretiennent entre eux des relations tant d'échanges, de
complémentarité que de conflits. Si la marginalité que
subissent les éleveurs est la conséquence de leur installation
récente dans le Nord-Cameroun, ces derniers ont pu tisser diverses
relations avec les acteurs dominants comme les autorités traditionnelles
et les citadins pour accéder aux territoires de fixation et de
mobilité et les renégocier en permanence grâce aux diverses
taxes qu'ils sont obligés de verser chaque année. Ces relations
se sont étendues aux agriculteurs installés dans les territoires
de proximité pour l'accès aux résidus de récolte,
aux travaux champêtres, aux matériels de traction, aux intrants.
La diversification de ces échanges et la proximité
géographique contribuent à l'atténuation des situations
conflictuelles qui sont de moins en moins violentes. Elles peuvent
également être une base sociale solide pour la concertation autour
des territoires de mobilité pastorale.
Après avoir contextualisé la situation de la
mobilité pastorale, l'un des résultats majeurs de ce travail est
la définition et la caractérisation des territoires de
mobilité pastorale. Partant de l'acception du territoire autour de
l'idée de domination, de gestion, d'appropriation d'une portion du
substrat terrestre, nous nous sommes évertués à l'adapter
au contexte du Nord-Cameroun. Ainsi, les autorités traditionnelles
locales sont au centre de l'appropriation, de la gestion, de l'exploitation des
territoires ruraux. À la place de l'État et de ses lois
foncières, le pouvoir coutumier est au centre de toutes les
décisions et actions sur le territoire. Pour cette raison, la recherche
de sa
209
caution est en permanence recherchée pour garantir le
succès de toute entreprise visant à faire évoluer les
modes de gestion, d'organisation et de fonctionnement des territoires de
mobilité pastorale.
Un autre acquis de ce travail se fonde sur les efforts de
caractérisation des différents territoires de mobilité
pastorale au Nord-Cameroun avec les acteurs en présence et leur
fonctionnement. Ces territoires s'appuient et s'organisent à partir des
territoires d'attache où vit en permanence une partie de la famille des
éleveurs et où ils pratiquent de l'agriculture de subsistance.
Autour de ces territoires de fixation s'organise la mobilité dans les
territoires de proximité complémentaires des villages
environnants où les animaux pâturent les résidus de
récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que
dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes
principalement). Ces territoires sont complétés par les
territoires lointains délimités ou non pour la petite et grande
transhumance dont l'accès est souvent difficile à cause de
l'obstruction des pistes à bétail par les cultures. Cela oblige
les éleveurs à emprunter les routes avec tous les risques
d'accident avec les véhicules. En plus de ces territoires reconnus, les
éleveurs utilisent également les territoires illicites où
ils « volent » du pâturage. Il s'agit des aires
protégées interdit de pâturage, mais fréquemment
exploités par les éleveurs, clandestinement ou avec la
complicité des gardes-chasses corrompus.
À la fin de ce travail, nous avons proposé une
démarche de concertation pour une gestion et exploitation durable et
harmonieuse des territoires de mobilité pastorale. Cette démarche
capitalise les acquis des principaux projets et programmes passés qui se
sont attachés à la sécurisation et à la gestion
intégrée des ressources agropastorales. Elle prend
également à son compte, pour essayer de les minimiser, les
conflits d'intérêts entre les utilisateurs et les conflits de
pouvoirs entre les instances de médiation et de régulation. La
démarche proprement dite s'appuie sur six phases allant de la phase
d'identification et de formulation à la phase de mise en oeuvre en
passant par l'analyse, la négociation, la concertation et le choix. La
mise en oeuvre est la phase la plus délicate. Elle requiert une approche
minutieuse et prudente commençant par la préparation de la
concertation, la concertation elle-même au niveau des villages puis
210
des communes, et enfin la légitimation par les
autorités traditionnelles dont l'influence n'est pas à
négliger ainsi que celles des autorités administratives. En ce
qui concerne les territoires illicites de mobilité pastorale, un
consensus est à rechercher autour des aires protégées. Il
s'agit d'impliquer les acteurs locaux dans la gestion de la mobilité des
animaux dans les parcs, mais aussi de prendre des initiatives de cogestion et
les plateformes de négociation pour que les éleveurs et les
agriculteurs se sentent concernés par l'objectif de préservation
de cette biodiversité.
En définitive, les processus actuels de
décentralisation de la gestion du territoire doivent aboutir à
l'élaboration de conventions locales et de règles de gestion
consensuelle des ressources naturelles. Leur succès n'est possible que
si les différents groupes d'usagers et d'intervenants sont suffisamment
formés et impliqués dans cette gestion et si les
intérêts de chacun sont pris en compte. Même si les
autorités traditionnelles sont pour le moment acteurs forts dans ce
système, une forte implication des pouvoirs publics pourraient permettre
aux acteurs faibles de mieux s'intégrer dans le dispositif
réglementaire de gestion de ces territoires menacés de
disparition.
211
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Liste des illustrations
Tableaux
Tableau I. Population des trois régions septentrionales
du Cameroun 25 Tableau II. Densités de la population dans les trois
régions septentrionales du Cameroun de
1976 à 2005 26 Tableau III. Nationalités des
éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du Nord-
Cameroun 144 Tableau IV. Régions d'origine des
éleveurs qui transhument dans les parcs nationaux du
Nord-Cameroun 144
Tableau V. Succès et insuccès des actions
menées par les projets de développement 178
Figures
Figure 1. Échelles d'étude des territoires de
mobilité pastorale 6
Figure 2. Echelles d'action 7
Figure 3. Présentation du Nord-Cameroun et des
territoires d'étude 8
Figure 4. Facteurs à l'origine des crises de
l'élevage au Nord-Cameroun 30
Figure 5. Pressions et contraintes sur les territoires de
mobilité pastorale 36
Figure 6. Aires protégées et mouvements des
populations et des animaux au Nord-Cameroun
44
Figure 7. Rapports des éleveurs mbororo avec les autres
acteurs locaux 59
Figure 8. Fonctionnement du système territoire 90
Figure 9. Outils et méthodes d'analyse et de
compréhension de l'évolution d'un territoire . 100 Figure 10.
Définition, caractéristiques, enjeux et réalités
autour des territoires de mobilité . 113
Figure 11. Caractéristiques du territoire d'attache
120
Figure 12. Caractéristiques des territoires pastoraux de
proximité 130
Figure 13. Fonctionnement des territoires
complémentaires pour la petite transhumance 136
Figure 14. Caractérisation des territoires
délimités pour la grande transhumance 138
Figure 15. Échanges transfrontaliers autour des parcs
nationaux et des zones d'intérêt
cynégétique 142
Figure 16. Caractéristiques des territoires illicites de
la mobilité pastorale 143
Figure 17. Raisons de mobilité évoquées
par les éleveurs enquêtés 145
Figure 18. Zones préférées par les
éleveurs transhumants dans les aires protégées 147
Figure 19. Campements des éleveurs et leurs incursions
dans les parcs 148
Figure 20. Relations entre les différents acteurs autour
du territoire pastoral 174
Figure 21. Démarche d'appui à la gestion
concertée des territoires de mobilités pastorales 180
Figure 22. Déterminants du processus collectif de
négociation et de légitimation territoriale
188
Figure 23. Démarche de mise en oeuvre de la concertation
192
Encadrés
Encadré 1. Chaîne de pâturage d'un troupeau
sédentaire au Cameroun 131 Encadré 2. La tragédie des
communs de Hardin : analyse à partir des espaces de pâturage au
Nord-Cameroun 157 Encadré 3. Le dilemme du prisonnier
: analyse à partir des relations entre agriculteurs et
éleveurs 158
Photo
Photo 1. Emmanuel Torquebiau visitant le village de
Laïndé Ngobare abandonné par les
éleveurs 1
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