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Le manuel numérique - une nouvelle manière de découvrir un texte littéraire ?


par Romain Pinoteau
Université Paris III Sorbonne nouvelle - Master 1 - Lettres modernes recherche 2017
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE PARIS III - SORBONNE NOUVELLE

UFR LLD - Département de littérature et linguistique françaises et latines

Le manuel numérique - une nouvelle manière de

découvrir un texte littéraire ?

Mémoire préparé sous la direction de M. Michel Bernard

Par

Romain Pinoteau

Année universitaire 2016-2017

Numéro étudiant : 20862750

Jokisuunpolku 2 A 6, 00560, Helsinki, Finlande

romain.pinoteau@laposte.net

2

TABLE DE MATIÈRES

Introduction 4

I. Le manuel numérique littéraire en France 6

A. Définition du manuel scolaire 6

a) Typologies des manuels 8

a) L'évolution historique 10

b) L'ère du numérique 16

B. Le paysage éditorial 17

a) Éditeurs du secteur numérique 18

b) Une offre particulièrement riche 19

c) Un marché en plein essor 20

C. Utilisation et effets des manuels numériques 22

a) Des effets contrastés sur la santé 22

b) Des possibilités d'utilisation multiples 25

c) Le manuel numérique en 2017 : un véritable succès 27

II. Les manuels numériques du point de vue du lecteur 30

A. Débats sur la lecture numérique 30

a) La lecture numérique, une non-lecture ? 30

b) La lecture dynamique - une vision positive 32

c) Vers une théorie de la lecture numérique 34

B. Nature de la lecture numérique 35

a) L'hypertexte et l'hyperlecture 36

b) L'hyperlien - l'essence du texte numérique 38

c) Interactivité et facteurs matériels 40

C. Différences entre la lecture sur papier et numérique 42

a) Les réactions du cerveau face à la lecture classique et numérique 42

b) Différentes stratégies et rythmes de lecture 44

c) Compétences technologiques 46

III. Étude de quelques aspects pratiques du manuel numérique 48

A. Les textes littéraires et matériels hyperliés 49

a) Les textes littéraires figurant dans le manuel 49

b) Les liens internes - une autre manière de poursuivre la découverte 51

3

c) Les liens externes - une ouverture sur le monde 53

B. Présentation de la page-écran 55

a) Mise en page et matérialités 56

b) Fonctionnalités permettant la manipulation 58

c) La possibilité d'une lecture plus immersive 60

C. Rôle du lecteur - lecture guidée ou découverte ? 62

a) Les attentes du lecteur 62

b) Interactivité - réseaux sociaux et messages E-mail 64

c) Une certaine manière de guider le lecteur ? 66

Conclusion 69

4

Introduction

« Lire, c'est partir à la découverte d'un univers, c'est aussi partir à la rencontre de celui qu'on est. » Cette citation de Claire Genoux illustre parfaitement la rencontre unique entre le lecteur et le texte lors d'une première lecture, qui contribue à nous faire ce que nous sommes. Il existe dans le monde de l'éducation un outil extraordinaire pour la découverte de textes littéraires destiné à notre jeunesse qui, lorsque nous y réfléchissons, constitue à bien des égards, la première étape de la découverte d'une oeuvre ou d'un auteur. Qui n'a pas feuilleté par simple curiosité un manuel portant sur la littérature et lu un extrait qu'il ne connaissait pas lorsque nous étions Collégien ? En effet, le manuel scolaire n'est pas simplement un ouvrage d'apprentissage, il est aussi, et tout particulièrement en ce qui concerne le manuel scolaire littéraire, une ouverture extraordinaire sur le monde de la littérature mais qu'en est-il actuellement avec l'arrivée du numérique dans notre société et plus particulièrement à l'École ? La place des manuels numériques littéraires n'est pour l'instant pas très importante par rapport à celle du format papier. Pourtant lorsque nous regardons dans le détail son expansion au fil des ans, elle prend de plus en plus d'ampleur bien plus rapidement que la diffusion des premiers livres imprimés au temps de la Renaissance. Durant des siècles, l'École s'est appuyée pour diffuser le savoir sur les manuels scolaires qui sont à l'heure actuelle en plein bouleversement avec le numérique. En effet, depuis les années 2000, l'État investit d'une manière massive aussi bien dans le matériel informatique que dans les ressources pédagogiques numériques et il est devenu, en 2016, un acteur majeur dans le domaine des manuels numériques, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, face aux diverses maisons d'édition privées, qui jusque-là, étaient toutes puissantes dans ce secteur. De nouvelles questions se posent donc et portent notamment sur l'évolution de la lecture, qui est un des socles de tout enseignement dans l'éducation occidentale. Le modèle de lecture appris par les élèves repose encore sur d'anciennes règles et s'appuie toujours sur le livre papier.1 D'ailleurs, la lecture sur les écrans n'est pas encore prise en compte lors de son apprentissage. De plus, il y a un aspect qui nous semble primordial concernant le manuel numérique littéraire, qui relève de la découverte d'un texte littéraire et que nous allons tenter d'analyser : quel est l'impact du numérique dans la découverte d'un extrait de texte littéraire et en quoi, si celui-ci existe, fait-il une différence avec la lecture du même extrait sur un manuel papier ? Nous nous

1 Claire BELISLE, (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, pp. 75-76.

5

attarderons donc sur cette question, qui porte aussi sur l'aspect littéraire des manuels numériques. Nous commencerons par montrer en quoi le manuel scolaire n'est pas simplement un ouvrage destiné à l'apprentissage et nous verrons comment celui-ci s'inscrit dans l'histoire depuis le XVe siècle en montrant les diverses définitions qui le caractérisent et en nous attardant sur les événements qui ont jalonné son histoire. De plus, nous verrons de quelle manière il occupe une place unique dans le monde de l'édition, de par sa propre définition mais aussi dans le cadre du paysage éditorial des manuels scolaires. Nous montrerons aussi que le manuel numérique pose de nouvelles questions en présentant les termes du débat sur son utilité. Pour finir, nous analyserons en détail un manuel numérique de collège mis à disposition en ligne par le livrescolaire.fr afin de mettre en évidence, de manière plus précise, comment il permet la découverte d'un texte littéraire.

6

I. Le manuel numérique littéraire en France

Les manuels numériques littéraires entrent dans le champ des manuels scolaires, et par conséquent, nous devons, pour les définir, nous demander ce qu'est un manuel scolaire et comment il a évolué au cours de l'histoire. Il reste aussi à savoir comment le manuel numérique se différencie par rapport au manuel classique. Nous présenterons donc plusieurs définitions pour discerner les multiples aspects du manuel numérique. L'entrée du numérique dans l'Ecole est une véritable révolution car elle entraîne depuis maintenant une vingtaine d'années de nouvelles pratiques qu'il convient d'analyser dans toute leur globalité pour mieux cerner le bouleversement du paysage éditorial et l'utilisation des livres scolaires en France.

A. Définition du manuel scolaire

En premier lieu, d'un point de vue législatif, le statut des manuels scolaires actuel dépend de l'Article 1 du Décret n°2004-922 du 31 août 2004 relatif au prix du livre scolaire, où le livre scolaire est défini d'une façon générale. Comme nous pouvons le constater, même si cette définition n'a pas évolué depuis 1981, elle est aussi applicable aux manuels numériques :

Sont considérés comme livres scolaires, au sens de l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 susvisée, les manuels et leur mode d'emploi, ainsi que les cahiers d'exercices et de travaux pratiques qui les complètent ou les ensembles de fiches qui s'y substituent, régulièrement utilisés dans le cadre de l'enseignement primaire, secondaire et préparatoire aux grandes écoles, ainsi que des formations au brevet de technicien supérieur, et conçus pour répondre à un programme préalablement défini ou agréé par les ministres concernés2.

Un deuxième texte officiel en date du 14 mars 1986, émanant du Ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, montre un aspect particulièrement important du point de vue de la définition du livre scolaire et porte sur sa valeur pour le collège : « Le manuel est aussi un livre, un instrument de référence, un

2 Journal Officiel, 2 septembre 2004

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=898749E2E0E0F5D83626F4CA414294 1F.tpdila08v_1?idArticle=JORFARTI000002058410&cidTexte=JORFTEXT000000445213&dateTexte= 29990101&categorieLien=id

7

moyen d'accès à la culture »3. Les professeurs et bibliothécaires-documentalistes sont également encouragés à mettre en valeur le manuel scolaire comme un livre que l'élève a plaisir à lire et à posséder, même si ce n'est que provisoirement. Il est notamment précisé que le livre scolaire doit être utilisé, comme d'autres ouvrages dans le cadre du développement de la lecture. Selon Jean-Pierre Villain4, inspecteur général de l'Éducation nationale, le manuel scolaire est un outil structurant pour l'élève car il permet de comprendre la nature d'un savoir en apprenant par exemple à le distinguer d'une opinion. De plus, il sert à montrer la valeur variable et la multiplicité des sources d'information.

Quant au manuel numérique, il est notamment défini dans le cadre d'une expérimentation faite dans 64 collèges et environ 320 classes de 6ème par le Ministère de l'Éducation nationale en 2009 :

C'est un manuel dématérialisé que l'on utilise avec un ordinateur. Il est vu sur l'écran ou projeté en classe avec un vidéoprojecteur. En plus des textes et images que l'on trouve dans le manuel papier, le manuel numérique peut proposer des documents sonores, des animations ou des vidéos.5

Nous verrons que cette définition ne recouvre pas entièrement la réalité d'aujourd'hui, compte tenu de l'évolution des nouvelles technologies. En effet, un rapport fait en 2010 et adressé au Ministre de l'Éducation nationale précise que le manuel numérique est lié à une multiplicité de supports, qu'il est un produit hybride et essentiellement interactif et n'est pas un objet mais un service dont la valeur se développe par son usage6.

3 Note de service n° 86-133 du 14 mars 1986 relative aux manuels scolaires de collèges http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/cadre-reglementaire.

4 Colloque " Ecole, où sont passés tes livres ? : Enjeux d'apprentissage, enjeux d'égalité "- 16/05/03, http://www.savoirlivre.com/manuels-scolaires/tous-gagnants.php?page=1.

5 Site éduscol de l'Éducation nationale,

http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/notions.

6 Le manuel scolaire à l'heure du numérique, Une « nouvelle donne » de la politique des ressources pour l'enseignement, Inspection générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche, Rapport n° 2010-087 JUILLET 2010 http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/telechargement/rapport-ig-manuels-scolaires-2010.pdf

8

En comparant ces définitions, nous pouvons voir que la plus grande différence entre les divers supports est que le contenu numérique est dématérialisé et que son utilisation nécessite donc une machine électronique programmable. En effet, comme le souligne Alain Choppin, le livre scolaire est avant tout un objet à part entière7. Il est constitué de feuilles qui forment un ouvrage dévolu à un seul emploi. Il n'en va pas de même pour le livre scolaire numérique car celui-ci ne se retrouve pas dans un seul objet. En effet, il peut être consulté par le biais d'un écran d'ordinateur, de portable, de tablette ou de téléphone portable mais aussi vu sur l'écran d'un téléviseur. En fait, le contenu peut toujours être le même, avec des dispositifs de consultation forts différents. Les possibilités qu'offre le livre scolaire numérique, de ce fait, sont donc bien plus diverses que celles d'un livre scolaire papier. Quant aux objectifs fixés pour les manuels scolaires, ils semblent applicables aux deux types de manuels, qu'ils soient en version papier ou numérique. De plus, il est à noter que le manuel numérique entre dans le cadre de l'apprentissage de nouvelles technologies et des moyens actuels de communication. Le manuel numérique s'inscrit donc pleinement dans l'actualité.

a) Typologies des manuels

Afin de mieux comprendre toutes les dimensions du livre scolaire, il est nécessaire de s'attarder sur certaines typologies qui ont été proposées sur la question. Ainsi, Pascale Shlegel Gossin nous en présente quatre exemples dans le tableau 18 :

7 Alain Choppin. L'histoire des manuels scolaires. Une approche globale. Dans : Histoire de l'éducation, n° 9, 1980, p.1. DOI : 10.3406/hedu.1980.1017

www.persee.fr/doc/hedu 0221-6280 1980 num 9 1 1017

8 Pascale Schlegel Gossin, Du manuel papier au manuel numérique enjeux et perspectives : Etude des inférences en recherche d'information, Thèse de doctorat : Sciences de l'information et de la communication : Mulhouse : 2005, p. 136-137.

9

Tableau 1. Typologies des manuels selon Pascale Shlegel Gossin 9

Patrice Quéréel

Il publie en 1982 Au feu les manuels où il distingue, jusqu'aux années 80, trois grands types de manuels :

1) le manuel d'auteur, héritier des Aventures de Télémaque de
Fénelon

2) le manuel par extraits de textes

3) les manuels par « documents vrais ». Les extraits ne sont pas des
textes d'auteurs.

François Richaudeau

Il publie en 1979 Conception et production des manuels scolaires : Guide pratique. Un ouvrage de référence pour les concepteurs de manuels. Il explique qu'il y a aussi trois types de manuels mais lui se réfère au point de vue des auteurs :

1) le point de vue scientifique

2) le point de vue pédagogique

3) le point de vue institutionnel.

Alain Choppin

Il esquisse en 1999 une typologie qu'il destine aux ouvrages publiés durant la IIIe République et qui paraît toujours très actuelle, en distinguant :

1) le modèle catéchétique : structure qui repose sur le concept de
question - réponse et sur une pédagogie fondée principalement sur la mémorisation.

2) le modèle apologétique : leçons dans le but d'une édification
naguère religieuse puis morale

3) le modèle juridique : des manuels qui s'apparentent à des codes
juridiques par leurs formes comme l'impersonnalité du ton et/ou la rigueur du classement

4) le modèle encyclopédique

5) le modèle attrayant avec comme outil : le jeu

6) le roman scolaire.

Michèle Métoudi et Marie-Françoise Audouard

Elles publient en 1999, De Charybde en manuel ou de manuel en Scylla ? où elles établissent une typologie critique en trois points :

1) le manuel bateau-pilote qui entrave toute liberté, appelé :
Charybde

2) le manuel révélateur de difficultés théoriques, baptisé : Scylla

3) le manuel pirate d'identité professionnelle, un véritable
Maelström.

Ce tableau montre que le livre scolaire peut aussi se définir par rapport à des modèles très divers : tout dépend des objectifs du concepteur du manuel. En effet, la réflexion de Quéréel porte sur des types d'écriture alors que Richaudeau se concentre sur des objectifs

9 Ibid.

10

pédagogiques. Quant à Choppin, il s'intéresse aux formes d'écriture tandis que Métoudi et Audouard sont bien plus polémiques. Parmi ces typologies, celles de Quéréel et de Choppin prennent en compte le manuel littéraire comme un genre spécifique.

a) L'évolution historique

Une mise en perspective historique est nécessaire afin de mieux comprendre le manuel numérique d'aujourd'hui, même si des aspects de certaines typologies présentées dans le tableau 1 ne correspondent plus à aucun manuel contemporain, comme le manuel fait selon le modèle apologétique ou le manuel d'auteur. Il nous faut donc remonter au XVe siècle pour trouver les Lettres de Gasparin de Pergame. Ce recueil, un modèle de style en latin destiné à la jeunesse, est imprimé en 1470 dans les ateliers de la Sorbonne. Il est considéré comme le premier livre scolaire publié en France 10.

Figure 1. Extrait des Lettres de Gasparin de Pergame, source : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8602971b/f15.image.

10 Alain Choppin. « L'histoire des manuels scolaires. Une approche globale ». Histoire de l'éducation, n° 9, 1980, p. 3. DOI : 10.3406/ hedu.1980.1017. www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1980_num_9_1_1017

Durant des siècles, jusqu'à la Révolution de 1789, la notion de livre scolaire n'est pas vraiment déterminée et demeure complexe. En fait, l'enseignement à l'époque, est individuel et repose sur une logique de transmission des savoirs essentiellement assurée par l'Eglise11. Louis XIV, par son ordonnance du 13 décembre 169812, oblige les parents à envoyer leurs enfants dans des écoles paroissiales pour recevoir une instruction de base afin qu'ils sachent lire, écrire et compter. Pourtant, cette instruction aura des effets très disparates car les parents doivent payer intégralement l'école de leurs enfants. Le principe d'égalité n'existe pas encore, c'est pourquoi seule une petite partie de la population, la plus privilégiée, a accès à une instruction de qualité. De plus, les ouvrages qui entrent dans le champ scolaire sont plus ou moins utilisés, au bon vouloir de ceux qui enseignent. Le livre de Fénelon intitulé Les Aventures de Télémaque, publié en 1699, en est le parfait exemple. D'ailleurs ce roman est, par certains aspects, aussi un livre scolaire car l'auteur associe au récit d'aventure une dimension didactique portant sur la morale et la politique.13 En effet, Fénelon écrit son ouvrage pour ses élèves, qui sont en l'occurrence de sang royal et, plus précisément, pour le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, dont il est le précepteur.

11

11 Ibid.

12 Déclaration du roi en date du 16 octobre 1700 faite à Fontainebleau qui confirme l'article X de la déclaration royale du 13 décembre 1698.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86225273/f3.image

13 Christian Biet, « LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE, livre de F. de Fénelon ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 12 juin 2017. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/les-aventures-de-telemaque/

12

Figure 2. Extraits de « Les Aventures de Télémaque » de Fénelon, source : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10401634/f9.image et http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10401634/f13.item.zoom.

Le XVIIIe siècle voit apparaître de nouvelles idées pédagogiques avec les Lumières. C'est à partir de ce moment que certains livres commencent à prendre de l'importance dans l'acte éducatif. D'ailleurs, Rousseau est très critique envers cet enseignement dans l'Émile (publié en 1762), son traité de l'éducation, où il livre sa pensée sur le sujet en la résumant d'une phrase : « Je hais les livres. Ils n'apprennent rien qu'à parler de ce qu'on ne sait pas »14.

14 Jean-Jacques Rousseau, Émile, volume II, manuscrit, date d'édition : 1701-1800. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8447157g/f80.item

13

En fait, il faut attendre jusqu'en 1791, durant la Révolution, avec une intervention de Talleyrand devant l'Assemblée constituante, pour que le livre scolaire soit défini pour la première fois :

« Il faut, en un mot, que des livres élémentaires, clairs, précis, méthodiques, répandus avec profusion, rendent universellement familières toutes les vérités, et épargnent d'inutiles efforts pour les apprendre. De tels livres sont de grands bienfaits : la Nation ne peut ni trop les encourager, ni trop les récompenser. » 15.

Les articles Ier et IIe du décret « Bouquier » daté du 19 décembre 1793 officialisent la volonté de la Convention nationale qu'il lui soit présenté des livres pour former les citoyens ainsi que l'obligation pour les enseignants de les utiliser exclusivement. Durant la même année, sept ouvrages sont adoptés comme livres officiels de la République, ce qui est une exception dans l'histoire de France. En effet, selon Alain Choppin, « pour des raisons diverses, ils eurent peu de succès et malgré quelques tentatives ultérieures, le principe de la composition de livres officiels ne connut plus jamais d'application en France : l'élaboration des livres scolaires resta donc du ressort de l'initiative privée »16. Ledit décret est d'ailleurs annulé en 1796. Dès 1799, avec le Consulat, l'État exerce un contrôle sur les livres scolaires par le biais de commissions dont l'autorisation est rendue nécessaire par le pouvoir en place. Depuis la Révolution, le nombre des titres nouveaux ou des éditions nouvelles d'ouvrages scolaires est de l'ordre d'une centaine de milliers, concernant toutes les disciplines et tous les niveaux à l'exception de l'enseignement supérieur17. De fait, cela montre, que depuis des siècles, le manuel scolaire se révèle être un outil irremplaçable pour la découverte de textes littéraires grâce aux très grand nombre de livres divers qui ont été publiés et ils constituent donc un éventail impressionnant d'un point de vue culturel.

La IIIe République, qui s'étend de 1870 à 1940, est une période particulièrement riche pour l'édition de manuels de lecture mais aussi portant sur la littérature. D'ailleurs,

15 Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Rapport sur l'instruction publique fait au nom du Comité de Constitution, les 10, 11 et 19 septembre 1791. Paris, 1791, p. 115. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49002n/f119.image.r=Maurice+de+Talleyrand-P%C3%A9rigord+Rapport+sur+l'Instruction+Publique.langFR

16 Alain Choppin. L'histoire des manuels scolaires. Une approche globale. Dans : Histoire de l'éducation, n° 9, 1980, p. 6. DOI : 10.3406/hedu.1980.1017

17 Ibid. p. 9.

14

apparaît à cette époque, le roman scolaire qui se situe entre pédagogie et littérature. Ces ouvrages sont constitués d'un récit avec des personnages récurrents qui évoluent au fil de l'histoire ainsi qu'accompagné de matériel pédagogique. En effet, sous l'impulsion de Jules Ferry, auteur des principales lois sur l'enseignement de cette République, l'État rétablit en 1881 l'instruction obligatoire et gratuite qui avait été instaurée en 1793 par la Ière République. D'ailleurs, c'est à partir de 1880 que l'État renonce à exercer un contrôle sur le livre scolaire, avec une réelle liberté de choix pour les enseignants. Il faut donc une production massive de livres scolaires pour répondre à la nouvelle politique éducative du pays. De ce fait, le paysage éditorial des manuels scolaires est en plein effervescence, avec l'arrivée de plusieurs éditeurs dans ce secteur. La maison d'édition Belin développe son offre de manuel scolaire à partir de 1850 et 1865 pour Charles Delagrave. Quant à Alexandre Hatier, il se spécialise dans l'enseignement de la lecture et de l'écriture à partir de 1880. Fernand Nathan assure le développement et la rénovation de l'enseignement primaire en 1881 en publiant ses manuels scolaires, et la maison d'édition Didier est créée en 189818. Un de ces manuels de lecture est particulièrement intéressant car il réunit les trois conceptions de l'époque, à savoir : 1) un modèle encyclopédique constitué de lectures instructives, 2) un modèle éducatif avec des récits moralisants et 3) un modèle culturel fait de textes littéraires. Il s'agit du Tour de la France par deux enfants, publié en 1877 par les éditions Belin, qui connaît un grand succès grâce à la conciliation de ces trois modèles.19

18 Site Savoir livre http://www.savoirlivre.com/manuels-scolaires/tradition-republicaine.php?page=1.

19 Pascale Schlegel Gossin, Du manuel papier au manuel numérique enjeux et perspectives : Etude des inférences en recherche d'information, Thèse de doctorat : Sciences de l'information et de la communication : Mulhouse : 2005, p. 163.

15

Figure 3. Extrait du Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, source : Gallica, Bibliothèque Nationale de France http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102640z/f6.image.

On peut se rendre compte de l'évolution du livre scolaire littéraire à la fin de la IIIe République en consultant par exemple un ouvrage intitulé Une semaine avec... de Marcel Berry, publié en 1938, qui présente une structure différente des précédents exemples. Il s'apparente aux manuels actuels avec un extrait d'un texte littéraire toujours suivi d'une compréhension de texte qui relève de l'extrait et finit par divers exercices. Le livre est composé de 41 chapitres :

Tableau 2. Table des matières du manuel « Une semaine avec... »

01 - Mythologie grecque : Le Minotaure

02 - Homère : L'Odyssée

03 - Théâtre du Moyen-Âge : Farce de maître Pathelin

04 - Poète épique du Moyen Age : Jean de Paris

05 - Fabliau du Moyen-Âge : Le Roman de Renard

06 - François Rabelais : Gargantua et Pantagruel

07 - Miguel de Cervantès : Don Quichotte

08 - Molière : L'Avare

09 - Charles Perrault : Peau d'Âne

10 - Jean Racine : Les Plaideurs

11 - Lesage : Gil Blas de Santillane

12 - Voltaire : Candide

13 - Stendhal : La Chartreuse de Parme

14 - Les frères Grimm : Le petit Tailleur

15 - Eugène Scribe : L'Ours et le Pacha

16 - Alfred de Vigny : Cinq-Mars

17 - Victor Hugo : Les Misérables

18 - Alexandre Dumas : La Bouillie de la Comtesse Berthe

19 - George Sand : Le Péché de Monsieur Antoine

20 - Hans Andersen : Les deux Claus

21 - Prosper Mérimée : La Chronique du règne de Charles IX

22 - Alfred de Musset : Pierre et Camille

23 - Théophile Gautier : Le Capitaine Fracasse

24 - Eugène Labiche : Le Voyage de Monsieur Perrichon

25 - Gustave Flaubert : Le Perroquet

26 - Erckmann-Chatrian : Histoire d'un conscrit de 1813

27 - Edmond About : Le Roi des Montagnes

28 - Jules Verne : Voyage au centre de la Terre

29 - Hector Malot : Romain Kalbris

30 - André Theuriet : La Princesse verte

31 - Alphonse Daudet : Tartarin sur les Alpes

32 - Paul Arène : Les Haricots de Pitalugue

33 - Anatole France : La Vie en fleur

34 - Jean Aicard : Maurin des Maures

35 - Guy de Maupassant : Le Parapluie

36 - Pierre Loti : Pêcheur d'Islande

37 - Jules Renard : OEuvres de Jules Renard

38 - Rudyard Kipling : Le Livre de la Jungle

39 - Jean et Jérôme Tharaud : La Randonnée de Samba Diouf

40 - Pierre Benoit : L'Atlantide

41 - Poètes de langue française

16

Figure 4. Aperçu de la présentation des Misérables de Victor Hugo dans le livre scolaire « Une semaine avec... », source : https://manuelsanciens.blogspot.fi/2012/04/les-miserables-victor-hugo-marcel-berry.html

b) L'ère du numérique

L'année 1986 marque les prémices d'un bouleversement dans le monde scolaire. En effet, l'entreprise Apple propose au Ministère de la Recherche un projet afin de tester un « cartable électronique » qui est défini comme un espace numérique destiné à l'enseignant et à l'élève, mais malgré un intérêt réel, le projet n'aura pas de suite. En fait, l'entrée du numérique à l'École date de 1991, avec une première expérience dans deux lycées, l'un à Haguenau, l'autre à Marseille et d'un collège à Montmorillon, où des élèves utilisent durant quatre ans des contenus dématérialisés ainsi que de nombreux logiciels à l'aide d'ordinateurs portables. En 1994, l'expérience va plus loin encore, car certains ordinateurs portables sont connectés en réseau. Il faut attendre septembre 2001 pour voir apparaître le tout premier manuel numérique nommé « i-m@nuel » développé par Editronics Education. Il s'agit d'un manuel scolaire papier ainsi que d'un site internet reprenant les mêmes textes que celui-ci, enrichi d'un ensemble de ressources

17

pédagogiques. Il est testé dans 48 établissements répartis dans 17 académies différentes20. L'année 2016 marque un véritable tournant dans l'histoire, du livre scolaire avec la volonté de l'État d'investir massivement dans le numérique, en prenant pour la première fois le contrôle de l'offre privée, ce qui provoque un profond changement dans le paysage des manuels scolaires.21

Figure 5. Présentation de l'i-m@nuel, source : http://edition.fr/e-education/imanuel/.

B. Le paysage éditorial

À l'heure actuelle, le manuel numérique est dans une dynamique de fort développement. D'ailleurs, le nombre des maisons d'édition spécialisées dans le secteur scolaire en est la parfaite illustration, comme nous allons le voir. En effet, elles proposent une large gamme de manuels qui se diversifie d'année en année, par exemple en mettant sur le marché un choix de plus en plus vaste pour les enseignants. De plus, ce marché qui occupe une toute petite place dans le monde de l'édition, avec une part de 3 % en 201522, connaît un soutien de l'Etat qui ne cesse de croître et qui influe donc d'une manière prépondérante l'avenir du manuel numérique, comme nous allons le voir.

20 Les Cartables électroniques, Les Cahiers de l'Internet numéro deux, FING, Paris, 2002 http://documentum.free.fr/cdi/projets%202008-2009/cartable.pdf

21 François Jarraud, Plan numérique : Quelle offre pédagogique à la rentrée ?, Le Café Pédagogique, publié le 11.03.2016,

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/03/11032016Article635932782702440222.aspx

22 Mathilde Rimaud, Le livre scolaire numérique : un marché qui attire les convoitises, Institut National de l'audiovisuel, publié le 05.09.2016, http://www.inaglobal.fr/edition/article/le-livre-scolaire-numerique-un-marche-qui-attire-les-convoitises-9228

18

a) Éditeurs du secteur numérique

Les maisons d'édition du secteur scolaire évoluent dans un cadre tout à fait particulier car, du point de vue juridique, les manuels scolaires sont les seuls livres à bénéficier d'un statut précis, défini par le législateur en 2004, comme nous l'avons vu précédemment. De plus, le processus de création et de commercialisation et l'influence des décisions politiques sur les programmes montrent clairement le caractère unique de l'édition scolaire. Le marché est réparti entre environ une trentaine de maisons d'édition dont les deux tiers ne publient que sur des segments spécifiques comme le primaire ou les langues vivantes alors que le dernier tiers couvre la quasi-totalité des disciplines, de la maternelle au Baccalauréat.23 Quant au manuel numérique, l'offre des livres scolaires est regroupée notamment sur le Kiosque numérique de l'éducation, un portail de ressources numériques payant disponible en ligne. Il a été créé en 2004 et rassemble les offres de neuf maisons d'édition, en l'occurrence Istra (créée en 1676), Hachette éducation (1826), Delagrave (1865), Hatier (1880), Didier (1898), Magnard (1933), Foucher (1937), Belin (1977) et Sedrap (1985). Les éditeurs restent sur le modèle des manuels classiques. Le manuel numérique est un manuel papier porté à l'écran, parfois enrichi d'animations, de vidéos ou de quiz.24 Ces maisons d'édition sont toutes des entreprises privées qui ont un but lucratif dans la diffusion des manuels numériques. Le groupe Editis, qui regroupe les maisons d'édition Nathan, Bordas et Retz, a lancé une autre plate-forme, toujours payante, en 2016, avec un nouveau concept. En effet, Via Scola n'est pas un manuel classique mais un outil de gestion de classe avec lequel l'enseignant peut adapter le matériel proposé à l'élève en fonction de son niveau.25 Par contre, depuis 2009, un collectif particulièrement innovant, qui crée des manuels papier et numériques pour le collège, se distingue de ses concurrents. En effet, lelivrescolaire.fr est en accès libre et gratuit sur Internet et sa conception repose sur des enseignants bénévoles qui développent le contenu des manuels scolaires de façon collaborative avec des professionnels de

23 Ibid.

24 François Jarraud, Plan numérique : Quelle offre pédagogique à la rentrée ?, Le Café Pédagogique, publié le 11.03.2016,

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/03/11032016Article635932782702440222.aspx

25 Ibid.

19

l'édition et des ingénieurs. Cette communauté est progressivement passée de 100 à 1 500 professeurs de toutes les disciplines.26

b) Une offre particulièrement riche

L'offre principale de manuels numérique se compose donc de la plate-forme KNE (Kiosque numérique de l'éducation), de la plate-forme Edulib, de la plate-forme Educadhoc, du CNS (Canal Numérique des Savoirs) et du site lelivreScolaire.fr.27 Notre analyse de ces quatre plates-formes montre que l'offre actuelle représente des centaines de manuels de français sur l'ensemble des niveaux, du primaire jusqu'au lycée. Tous les éditeurs de livres scolaires proposent des versions en ligne que l'on peut utiliser avec ordinateurs, ordinateurs portables mais aussi avec les tablettes, qu'elles soient sous système Android, Windows ou iPad. Les nouveaux manuels sont en version enrichie, ce qui signifie qu'ils sont interactifs et contiennent des images, des vidéos et des sons.

Le Kiosque numérique de l'éducation diffuse notamment les manuels numériques des maisons d'édition Hachette, Hatier, Didier, Belin et Magnard. Il propose 201 manuels numériques et cahiers d'activités où l'on trouve des textes littéraires numériques qui concernent l'ensemble des niveaux de l'enseignement jusqu'au Baccalauréat, à savoir l'école primaire, le collège, le lycée, le lycée professionnel ainsi que quelques manuels numériques pour les révisions post-bac. Les manuels sont à l'heure actuelle conçus au format e-pub.

Edulib est une plate-forme qui diffuse aussi l'ensemble des manuels numériques des maisons d'éditions Magnard et Belin. Elle propose le choix entre 57 manuels numériques en français du primaire jusqu'au lycée.

26 Site Internet : lelivrescolaire.fr, http://www.lelivrescolaire.fr/#!qui-sommes-nous

27 Mathilde Rimaud, Le livre scolaire numérique : un marché qui attire les convoitises, Institut National de l'audiovisuel, publié le 05.09.2016, http://www.inaglobal.fr/edition/article/le-livre-scolaire-numerique-un-marche-qui-attire-les-convoitises-9228 et site Internet de la Délégation Académique au Numérique Éducatif, Académie de Nice, Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, http://ac-nice.fr/dane/index.php?view=item&cid=270&id=639&pop=1&tmpl=component&print=1&Itemid=1001 30&option=com flexicontent#tour horizon

20

Le Canal Numérique des Savoirs, qui date de 2003, est né de l'Espace Numérique des Savoirs et était la première expérimentation de ressources en ligne du Ministère de l'Éducation nationale. Il rassemble 1 600 ressources numériques réalisées par 20 éditeurs de référence comme Bordas, Nathan, Le Robert, Retz, CLE International, les Éditions Delagrave et Maxicours. Le site propose 49 manuels numériques différents de français, du primaire jusqu'au lycée.

Lelivrescolaire.fr se consacre exclusivement au manuel numérique du collège. De plus, son choix de manuels de français est assez restreint et ne comprend que neuf manuels : un pour les classes de 5ème (2010) et de 4ème (2011) et deux manuels publiés en 2012 pour les classes de 6ème et 3ème. La collection de 2016 est composée de cinq manuels numériques.

Figure 6. Des manuels proposés par Lelivrescolaire.fr.

c) Un marché en plein essor

Le livre scolaire numérique est en pleine progression, selon l'association Les Éditeurs d'Éducation28, avec une offre en 2016 estimée à 3 000 titres disponibles alors qu'en 2011, il n'y en avait que 950. Pourtant, le marché en 2015 n'est encore qu'une niche, avec seulement 3 % du marché global de l'édition scolaire avec à peu près 5 millions d'euros, dont la moitié relevait du secteur parascolaire. Par ailleurs, le secteur de l'édition scolaire

28 Mathilde Rimaud, Le livre scolaire numérique : un marché qui attire les convoitises, Institut National de l'audiovisuel, publié le 05.09.2016, http://www.inaglobal.fr/edition/article/le-livre-scolaire-numerique-un-marche-qui-attire-les-convoitises-9228

21

papier représente 11,5 % du chiffre d'affaires de l'édition pour 52,675 millions d'exemplaires vendus.

Selon l'association Savoirlivre, cette progression va de pair avec le déploiement des outils informatiques et numériques dans les établissements scolaires sur l'ensemble du territoire national, qui a débuté en 1985 avec le plan « informatique pour tous ». À titre d'exemple, le volume des ressources pédagogiques numériques et des équipements a doublé dans les collèges publics entre 2005 et 2014.29 D'ailleurs, ce processus s'est considérablement accéléré depuis les années 90 grâce au soutien des collectivités locales, fortement appuyé par le Ministère de l'Éducation nationale. Il s'agit de fournir aux élèves et enseignants des contenus pédagogiques « numériques » qui répondent à leurs attentes. D'un point de vue économique, ces investissements servent à promouvoir l'industrie française de l'édition numérique scolaire et universitaire afin que la France occupe une place centrale en Europe et dans le monde dans les industries de la connaissance.30

Tableau 3. Quelques chiffres montrant le niveau d'équipement informatique au collège en 2014, Source Ministère de l'Éducation nationale. http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/62/1/DEPP_NI_2015_01_equipement_in formatique double en dix ans colleges publics 380621.pdf

Nombre

Vidéoprojecteurs/

Postes

Tableaux

Accès à Internet

d'ordinateur et de

1 000 élèves

mobiles

intéractifs/

dans les

tablettes à usage pédagogique/ 100 élèves

 

dans le parc
informatique

1 000 élèves

établissements

 
 
 
 

92 % disposent

22*

31

17 %

11

d'un accès à

 
 
 
 

Internet dans plus
de la moitié des
salles de classe

* dont 58 % en service depuis moins de 5 ans

29 Ghislaine Cormier et Marguerite Rudolf, DIRECTION DE L'ÉVALUATION, DE LA PROSPECTIVE ET DE LA PERFORMANCE, Note d'information numéro 01 - janvier 2015. http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/62/1/DEPP_NI_2015_01_equipement_informatique_doubl e en dix ans colleges publics 380621.pdf

30 Bilan 2004, Perspectives 2005, EducNet.

http://cache.media.eduscol.education.fr/file/education_prioritaire_et_accompagnement/15/8/EO_bilan_20 04 132158.pdf

22

C. Utilisation et effets des manuels numériques

Actuellement, il est assez difficile d'avoir une vue d'ensemble sur les usages et les effets des manuels numériques à cause de la rapide évolution du secteur. Pourtant, des recherches sur les utilisateurs, nous montrent que les effets des manuels numériques sont importants sur la santé et suscitent encore bien des questions. Nous savons également que l'utilisation des manuels numériques progresse fortement à tous les niveaux et dans l'ensemble des matières de l'enseignement scolaire.

a) Des effets contrastés sur la santé

Le manuel numérique, du fait de sa dématérialisation, présente un atout considérable par rapport au manuel papier. En effet, le poids des cartables en France est un sujet de préoccupation majeure depuis de très nombreuses années. Ainsi, la circulaire numéro 2008-002 du Ministère de l'Éducation nationale du 11 janvier 2008 prévoit la réduction du poids des manuels papiers et privilégie l'emploi des manuels numérique dans les établissements scolaires depuis 2009 pour des raisons de santé publique. L'État a pris cette décision suite à un rapport de 1997 intitulé Cartables et manuels scolaires de Jean-Yves Haby, député des Hauts-de-Seine, qui établit le constat suivant :

Le poids des cartables et l'obligation pour les écoliers français de transporter chaque jour des manuels et des matériels scolaires relativement lourds, constituent un sujet de critiques et d'interrogations depuis bon nombre d'années31.

Ce rapport s'est appuyé sur un certain nombre d'études sur le sujet qui ont été recoupées par des enquêtes de la revue Que Choisir en 1995 et présentées sous forme de tableau par la revue de l'Union des Associations Autonomes de Parents d'Élèves en Octobre 1996 :

31 Jean-Yves Haby, Cartables et manuels scolaires : rapport à monsieur le Premier ministre, la documentation française, 1997

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/974071732.pdf

23

Tableau 4. Enquêtes de la revue Que Choisir n° 329 de septembre 1995, présentés sous forme de graphique par la revue de l'Union des Associations Autonomes de Parents d'Elèves en octobre 1996

Classe

CP

CE1

CE2

CM1

CM2

6e

5e

4e

3e

Poids moyen de
l'enfant

25 kg

28 kg

30 kg

35 kg

37 kg

38 kg

44 kg

48 kg

50 kg

Poids moyen du
cartable

2 kg

4 kg

5 kg

6 kg

6 kg

10 kg

10 kg

10 kg

10 kg

%

8%

13%

17%

17%

15%

26%

23%

22%

21%

Conclusion

Correct

Une fois et demie le poids
conseillé

Plus du double du poids conseillé

Nous pouvons constater qu'un élève de CP porte en moyenne un cartable de 2 kg. Il se situe donc dans une fourchette encore acceptable. En fait, c'est à partir du CE1 et jusqu'au CM2 que le cartable est en surpoids par rapport au poids moyen de l'enfant, dépassant d'une fois et demie le poids conseillé. Le tableau indique également que les élèves de 6ème jusqu'en 3ème portent chaque jour plus du double du poids conseillé.32 Le tableau révèle donc que c'est au collège que le poids des cartables est le plus problématique.

Les avis médicaux établissent que le mal de dos est une réalité chez les écoliers. Une enquête réalisée par une équipe médicale du CHU de Grenoble en 1994 pratiquée sur 1 178 élèves scolarisés de 5 à 20 ans montre la prévalence des douleurs liées à la colonne vertébrale, qui est de 43,2% pour les garçons et de 58,1% pour les filles et croît fortement à partir de l'âge de 12 ans. Cette étude a aussi relevé statistiquement une corrélation significative entre la présence du mal de dos et le port du cartable.33

Tableau 5. Détail des cas de douleurs ressenties.

Port du cartable

 

Sur le dos

Sur l'épaule

À la main

Cas de douleurs

Nombre

363

43

188

ressenties

%

45

53,7

68,6

32 Ibid. p. 8.

33 Ibid. p. 12.

24

Suite à ces études, l'État a demandé lors de l'appel à projet du mois de mars 2015 concernant le plan numérique que les départements ou établissements demandeurs fournissent aux élèves un équipement mobile adapté « en termes d'usages, de poids, et de dimensions --- »34. En effet, il était notamment stipulé que le poids maximal ne devait pas excéder 1,2 kg avec les accessoires et un écran tactile d'une taille supérieure à 9 pouces.

Par contre, un autre aspect sur la santé des utilisateurs des manuels numériques n'a pas encore été pris en compte par l'État, sans doute parce qu'il n'existe pas encore d'étude spécifique sur les effets de la lumière bleue émise par les écrans, les ordinateurs, tablettes ou smartphones, comme il est souligné dans un article de 2016 intitulé La lumière bleue : retour sur un débat35 publié en ligne par l'observatoire du Groupe Optic 2000. En fait, les effets de la lumière bleue sur la vision suscitent de nombreuses interrogations, comme le montre une étude menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale sur des rats qui ont été soumis à des expériences avec des ampoules LED. Il en ressort que chez le rat certaines longueurs d'onde s'avèrent dommageables pour la rétine.36 La question se pose donc aussi chez l'homme, puisque nous retrouvons cette même lumière bleue dans nos écrans numériques. De plus, une étude de l'Académie américaine de pédiatrie réalisée en 2016 alerte sur le fait que les enfants sont de plus en plus dépendants des écrans, ce qui a des conséquences sur leur développement, telles que les troubles du sommeil. En effet, selon l'Académie « l'exposition à la lumière (en particulier la lumière bleue) et l'activité sur écrans avant de dormir affectent les niveaux de mélatonine et peut retarder ou perturber le sommeil »37.

34 Xavier Bertrand, Hollande détaille son plan pour le numérique à l'école, un milliard d'euros sur la table, NEXT INPACT, 11 mai 2015. https://www.nextinpact.com/news/94042-hollande-detaille-son-plan-pour-numerique-a-l-ecole-milliard-d-euros-sur-table.htm

35 La lumière bleue : retour sur un débat, Dans : l'Observatoire du Groupe Optic 2000, publié le 22.11.2016. http://www.observatoire-groupeoptic2000.fr/qui-sommes-nous/lobservatoire-sante-visuelle-auditive-groupeoptic2000/

36 A Krigel et coll. Light-Induced Retinal Damage Using Different Light Sources, Protocols and Rat Strains Reveals LED Phototoxicity. Neuroscience (2016). http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0306452216305243?via%3Dihub

37 Boris Manenti, L'étude qui va vous dissuader d'exposer vos enfants aux écrans, L'OBS, 2016 http://tempsreel.nouvelobs.com/sante/20161025.OBS0300/l-etude-qui-va-vous-dissuader-d-exposer-vos-enfants-aux-ecrans.html

b) Des possibilités d'utilisation multiples

Les lecteurs des manuels numériques ont, à la différence du manuel papier, la possibilité de les utiliser par le biais de diverses machines électroniques comme l'ordinateur, l'ordinateur portable, la tablette, la machine électronique mi-tablette/mi-portable dotée d'un clavier ainsi que des téléphones portables appelés « smartphones ». Pour avoir des informations sur l'utilisation réelle de ces outils, une étude de 2014 conduite par la TNS-Sofres, un institut de sondage, associé à Savoir Livre, une association animée par six maisons d'édition scolaire, est particulièrement intéressante. En effet, l'enquête, intitulée « Les usages des manuels numériques en 2014 », examine les principales évolutions de l'utilisation des manuels numériques depuis 2011 sur un panel total de 6 183 professeurs pour 2011 et de 15 283 pour 2014. Tout d'abord, l'usage a doublé en 3 ans, passant de 8 % à 20 % en primaire, de 21 % à 36 % au collège, de 19 % à 36 % au lycée et, globalement, de 20 % à 35 % en secondaire. La progression des usages est très significative lorsque l'on observe par exemple le français dans le secondaire, qui est passé de 12 % à 24 %. Il y a eu donc une augmentation de 100 % sur cette période, ce qui illustre une très forte dynamique de l'emploi du manuel numérique38.

De plus, nous pouvons constater que les équipements en 2014 se sont généralisés alors que dans le même temps, le décalage qui existait en 2011 entre le primaire et les autres niveaux subsiste toujours. Il est à noter que le primaire est dans la plupart des cas le moins bien doté en équipement, comme le montre la figure 7 :

25

38 Enquêtes TNS Sofres / Savoir Livre, Les usages des manuels numériques en 2014, Principales évolutions depuis 2011

http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2014.10.03-manuels-numeriques.pdf

26

Figure 7. Des usages qui doublent en 3 ans, source : http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2014.10.03-manuels-numeriques.pdf.

L'enquête relève aussi que 7 % des élèves sont équipés individuellement en manuel numérique. 25 % d'entre eux y accèdent sur des postes informatiques de l'établissement, 31 % à leur domicile et 45 % par le biais de l'environnement numérique de travail (ENT). Nous pouvons en conclure qu'en 2014, les usages collectifs étaient encore la norme tandis que les usages individuels étaient plutôt une exception. De plus, un point particulièrement négatif ressort de cette étude : seulement 29 % des personnes interrogées ne rencontrent aucun problème lors de l'utilisation du manuel numérique. Les manuels numériques étaient essentiellement utilisés en « off-line » et les utilisateurs étaient confrontés à des problèmes liés à l'hétérogénéité du matériel.

27

Figure 8. => Les infrastructures, source : http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2014.10.03-manuels-numeriques.pdf

c) Le manuel numérique en 2017 : un véritable succès

L'année 2017 marque un tournant, avec le plan numérique et un véritable plébiscite des manuels scolaires. En effet, environ 8 800 classes de primaire, correspondant à 200 000 élèves, et 133 000 classes de collèges utilisent un manuel numérique. 1 500 000 manuels numériques ont été fournis aux collégiens avec un accès personnel. Un constat particulièrement édifiant s'impose : 100 % des collèges utilisent des manuels numériques. De plus, 15 % des collégiens travaillent individuellement à l'aide de ce matériel et près d'une classe sur dix dispose d'un manuel numérique de français39.

39 Les Éditeurs d'Éducation, Plan numérique : Plébiscite des manuels numériques, Communiqué de presse du 8 mars 2017

https://www.sne.fr/wp-content/uploads/2017/03/CP-Editeurs-education EDUSPOT 8-03-2017.pdf

28

Une carte interactive issue du Ministère de l'Éducation nationale illustre ce succès40. On peut voir les différentes vagues de mise en place du programme numérique dans un grand nombre d'établissements français :

Figure 9. Carte des collèges numériques, site :

http://ecolenumerique.education.gouv.fr/carte-des-colleges-numeriques/

Un agrandissement de cette carte, par exemple sur le bout de la pointe bretonne, donne un aperçu du déploiement du plan numérique sur tout le territoire.

Figure 10. Carte des collèges numériques, site :

http://ecolenumerique.education.gouv.fr/carte-des-colleges-numeriques/.

40 Carte des collèges numériques

http://ecolenumerique.education.gouv.fr/carte-des-colleges-numeriques/

29

Quelques chiffres du Ministère de l'Éducation sont particulièrement éloquents. À titre d'exemple, 107 collectivités territoriales participent au plan numérique. Actuellement, 6 départements équipent 100 % de leurs collèges. De plus, l'État a retenu 34 projets particulièrement innovants concernant le numérique.41 La volonté forte de l'État de faire entrer le numérique dans le monde scolaire et par conséquent de promouvoir les manuels numériques comme un usage de référence pour l'élève peut se résumer en un chiffre : 1 milliard d'euros investis durant trois ans, de mai 2015 jusqu'en 201842.

41 Article du Ministère de l'Éducation, 2nde phase de l'appel à projets « Collèges numériques » : 1 152 collèges et 1 479 écoles sélectionnés, 16 mai 2017.

http://ecolenumerique.education.gouv.fr/2017/05/16/2079/

42 Article L'École numérique, Ministère de l'Éducation, 15 mai 2017. http://www.gouvernement.fr/action/l-ecole-numerique

30

II. Les manuels numériques du point de vue du lecteur

L'apparition du livre numérique a ouvert de nouvelles perspectives de recherche sur son impact par rapport à la lecture. En effet, le numérique a entraîné un débat particulièrement intense sur tous les changements, en bien ou en mal, que cela implique par rapport au comportement du lecteur. Il a donc permis de s'interroger sur la nature même de la lecture afin de mieux comprendre tous ces tenants et aboutissants. Cela a permis de constituer de véritables théories sur les caractéristiques propres du texte numérique et leurs répercussions sur les pratiques de la lecture.

A. Débats sur la lecture numérique

Un nouveau champ de réflexion est apparu, avec des spécialistes qui pensent que cette évolution est particulièrement négative alors que d'autres adoptent des conceptions bien plus positives, comme nous allons le voir. Pourtant un point essentiel se dégage de ce constat. Le développement des théories sur la lecture concernant les livres numériques prouve que la lecture numérique est considérée comme différente de la lecture papier. Certains chercheurs43 affirment même que la lecture numérique est en train de changer notre manière de lire en général.

a) La lecture numérique, une non-lecture ?

Un écrivain américain, Nicholas Carr, a analysé la lecture numérique et fait partie de ceux qui pensent qu'elle est plus fragmentaire et superficielle que la lecture traditionnelle sur support en papier. Dans son article intitulé « Is Google Making Us Stupid ? », Carr affirme que la lecture numérique affecte aussi notre manière de lire et de penser en général. Selon lui, la facilité d'accès aux contenus et leur multiplicité engendrent une fragmentation de l'attention et une incapacité à suivre des argumentations complexes. Carr admet que nous lisons probablement plus de textes que jamais mais la nature des textes que nous lisons est différente. 44

43 Voir p.ex. Nicholas Carr (2008), Thierry Baccino (2011) et Yves Desrichard (2011)

44 Nicholas Carr (2008) « Is Google Making Us Stupid? », The Atlantic, 2008. https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/306868/

31

Une étude portant sur les habitudes de la lecture numérique45, conduite par les chercheurs de l'Université College London, prouve que les lecteurs ne lisent pas de la même manière en ligne que sur papier. Dans cette étude, on a observé le comportement des visiteurs de deux sites de recherche qui donnent accès à des articles, livres numériques et autres sources d'information écrite. Les chercheurs en ont conclu qu'une toute nouvelle manière de lire a vu le jour avec les textes numériques. En fait, le format numérique incite le lecteur à lire en diagonale, en parcourant horizontalement les titres et le contenu des pages. De plus, les utilisateurs passaient rapidement d'une source à l'autre et revenaient rarement en arrière, vers celles qu'ils avaient déjà vues. Généralement, ils ne lisaient qu'une ou deux pages d'un article ou d'un livre avant de changer de site. Il leur arrivait parfois de sauvegarder de longs articles mais il n'est pas sûr qu'ils les relisaient.

Nicholas Carr fait référence à Maryanne Wolf, directrice du Centre de recherche sur la lecture et le langage de l'université Tufts, pour démontrer que nous ne lisons plus comme avant. En effet, celle-ci affirme que nous ne sommes plus ce que nous lisons mais comment nous lisons. Wolf rappelle que la lecture n'est pas innée mais que nous devons l'apprendre pour pouvoir nous en servir. Elle ajoute aussi que notre capacité d'interpréter un texte ainsi que de faire d'intenses connexions mentales se développe quand nous lisons d'une façon profonde et sans distraction. Selon elle, la lecture numérique, par sa nature, fait de nous des décodeurs de l'information. D'autre part, les médias et les technologies que nous utilisons en lisant façonnent les circuits neuronaux de notre cerveau, qui sont connectés à d'autres fonctions cognitives telles que la mémoire ou la capacité d'interpréter des stimulus visuels et auditifs. Elle s'inquiète de ce que la manière de lire favorisée par Internet accentue trop la simplicité du style des textes ainsi que l'instantanéité et par conséquent affaiblit notre capacité à une réelle lecture approfondie.46

45 University College London (UCL) CIBER group. (2008) Information behaviour of the researcher of the future. London: University College London. CIBER Briefing paper; 9. http://www.jisc.ac.uk/media/documents/programmes/reppres/gg final keynote 11012008.pdf

46 Nicholas Carr (2008) « Is Google Making Us Stupid? », The Atlantic, 2008. https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/306868/

32

Un autre point de vue critique est présenté par Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive des technologies numériques à l'université de Paris 8, qui livre sa théorie sur l'acte de lecture sur support numérique dans un article de 201147. Il considère la lecture sur Internet comme une « pseudo-lecture » car elle ne permet pas d'avoir une lecture attentive et profonde comme avec un livre imprimé. Pour le démontrer, il se base sur la trop grande quantité d'information à laquelle nous sommes confrontés simultanément sur Internet. Il donne comme exemple le fait de surfer sur les pages web mêlant des articles courts, des vidéos, de l'audio mais aussi des animations de toutes sortes, qui ne permettent pas au lecteur de pouvoir réellement se concentrer sur un sujet bien déterminé. En définitive, selon lui, le lecteur est constamment soumis à toujours plus d'informations qui apparaissent en même temps, entraînant chez lui une lecture rapide qu'il définit comme une lecture de surface. D'autres auteurs déclarent en 2011 dans le même numéro du Bulletin des bibliothèques de France que la lecture numérique est impossible. Parmi ceux-ci, Yves Desrichard défend l'idée selon laquelle, le livre papier, du fait de sa matérialité, ne peut être modifié ou effacé aussi simplement qu'un texte numérique, qui a un caractère plus transitoire et incertain48.

b) La lecture dynamique - une vision positive

Une autre approche de la lecture numérique apparaît avec la publication de la théorie de Christian Vandendorpe, qui reprend le travail de Thierry Baccino mais en tire une conclusion radicalement différente. En effet, selon lui, la lecture sur écran demande un surcroît de travail pour le cerveau et même un fonctionnement différent. Les zones de l'encéphale qui contrôlent les prises de décision et les raisonnements complexes sont plus sollicitées que pour une lecture sur papier49. En fait, la rapidité avec laquelle le lecteur parcourt les textes numériques pour extraire des informations n'est pas un signe

47 Thierry Baccino, Lire sur internet, est-ce toujours lire ?, Métamorphoses de la lecture, Bulletin des Bibliothèques de France, t. 56, no 5, 2011, pp.63-66.

http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/49580-lire-sur-internet-est-ce-toujours-lire.pdf

48 Yves Desrichard, « Accélération du livre ». Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2011, n° 5, p. 58-62. Disponible en ligne : < http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0058-010>. ISSN 1292-8399.

49 Christian Vandendorpe (2011). « Quelques questions clés que pose la lecture sur écran ». In : BÉLISLE, Claire (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre V, p. 53.

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d'abrutissement mais la preuve d'une concentration accrue, car le lecteur prélève les informations les plus appropriées, ne se contentant plus de lire d'une manière linéaire. Il est donc particulièrement en éveil pour pouvoir sélectionner des informations qui n'apparaissent pas nécessairement dans un ordre bien établi. En fait, des chercheurs comme, par exemple, Claire Bélisle et Christian Vandendorpe dans Lire dans un monde numérique, publié en 2011, ont fait une avancée essentielle dans l'étude de la lecture numérique en portant toute leur attention sur l'intention du lecteur car, selon eux, celui-ci ne lit pas de la même manière lorsqu'il cherche une information précise ou lorsqu'il survole un article « people » pour se détendre sur le Web.

En fait, Christian Vandendorpe introduit le terme « lecture ergative » pour désigner la lecture sur écran. Il explique que ce néologisme a comme base le mot grec ergon, qui signifie travail. Le concept ergodic a été introduit par Espen Aarseth pour décrire le caractère de la littérature hypertexte qui « incite l'usager à se livrer sur le texte littéraire à un travail de construction physique ». 50 Même si la lecture ergative n'est pas une création nouvelle, certains outils du Web, tels que Google, ont fait de la lecture ergative le mode de lecture par défaut. Cela signifie qu'un lecteur qui lit sur un écran fait un travail de construction physique en choisissant les extraits et les liens qu'il parcourt. Vandendorpe fait remarquer que cette lecture ergative n'est pas intellectuellement inférieure à la lecture immersive sur papier mais, au contraire, génère une plus forte stimulation générale.51 En somme, il conclut que cette lecture très ciblée devrait bénéficier au sens critique et à la curiosité intellectuelle.52

D'ailleurs, Jean-Yves Mollier va dans le même sens dans Lire, une pratique constamment remise en cause, qui date de 2012, en portant sa vision de la lecture dans le champ de l'histoire du livre. En effet, son raisonnement repose sur la grande facilité d'accès à la culture grâce au numérique et à ses nombreux supports, entre autres : la tablette, l'ordinateur et les téléphones portables. En fait, il parle d'une « lecture extensive » qui est favorisée par le numérique et permet un développement culturel et l'essor de la pensée

50 Ibid. p. 55.

51 Ibid. p. 56-57.

52 Ibid.

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libre. C'est une différence fondamentale par rapport au statut de la lecture d'il y a quelques siècles, qui consistait à ressasser perpétuellement les mêmes textes.53

c) Vers une théorie de la lecture numérique

Alexandra Saemmer a eu comme projet de concevoir une théorie pratique applicable à l'analyse de tout texte numérique. Cette conception, qu'elle nomme la « rhétorique de la réception », repose sur l'idée de créer une rhétorique du texte qui soit à la fois du côté du texte et du côté de ses lectures. En effet, elle tente de comprendre comment le texte numérique préfigure certaines pratiques ou figures de lecture. Elle s'appuie dans son travail sur de nombreuses références théoriques auxquelles elle adjoint une synthèse d'études de corpus et d'enquêtes portant sur la question.54

Elle conteste l'existence d'une seule lecture, papier ou numérique. Selon elle, l'idée d'une lecture papier qui serait toujours concentrée et réflexive est un mythe, de la même manière que celle d'une lecture numérique rapide et superficielle. Saemmer rappelle que « le texte lui-même entre de diverses manières en résonance avec les attentes individuelles et socialement partagées du lecteur »55. En pratique, cela signifie que différents textes, malgré leurs supports, mobilisent des contenus, stratégies et procédés rhétoriques multiples et ne se lisent pas de la même manière. À titre d'exemple, elle fait remarquer qu'un texte numérisé de Hegel et un fragment autobiographique sur Facebook ne sollicitent pas la même attention du lecteur. D'ailleurs, il est possible qu'un lecteur feuillette superficiellement un livre papier et se penche bien plus attentivement sur un texte édité sur support numérique.

La théorie de lecture numérique d'Alexandra Saemmer s'inscrit dans la filiation de la rhétorique nouvelle et des théories de la réception portées par Hans Robert Jauss avec Pour une esthétique de la réception (2010) et Wolfgang Iser avec L'acte de lecture.

53 Jean-Yves Mollier, Lire, une pratique constamment remise en cause. In Claire Divaz et al. (dir.), Lire demain : des manuscrits antiques à l'ère digitale. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, p.81-94.

54 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015.

55 Ibid. p. 8.

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Théorie de l'effet esthétique (1995). Au coeur de la théorie de Saemmer sont les pratiques de lecture « modélisées par le texte numérique, à travers ses procédés rhétoriques et ses formes graphiques sur la page-écran ».56 Bien qu'il n'existe pas une seule lecture, elle part du principe que les textes ont des caractéristiques typiques qui préfigurent le lecteur et ses pratiques. L'objet de la rhétorique de la réception est donc d'identifier et d'analyser ces préfigurations qu'elle appelle « figures de lecture ». Tout en plaçant le texte au coeur de sa rhétorique, elle montre qu'il ne suffit pas d'examiner seulement les possibles actions que le lecteur peut entreprendre par rapport aux hyperliens ou autres fonctionnalités. En effet, il faut aussi analyser, par exemple, les attentes du lecteur par rapport à un hyperlien avant qu'il l'active. Alexandra Saemmer souligne par ailleurs que « l'analyse du texte numérique ne peut se faire sans prise en compte de l' interprétant »57, c'est-à-dire tout ce qui ressortit à l'imaginaire, aussi bien par rapport à ses attentes qu'à l'idée qu'il se fait du monde et de lui-même, de l'Internet et du texte numérique. Ces diverses dimensions influencent le processus de conception du texte mais aussi la lecture. L'objectif de Saemmer est donc aussi d'étudier les figures de lecture, qu'elle divise en quatre catégories, appelées informationnelle, dialogique, déviative et immersive. En somme, l'approche proposée par Saemmer s'intéresse à la fois au texte, car elle le voit comme un objet qui peut constituer une signification, et à l'acte de lecture, car elle y distingue des usages à la fois individuels mais aussi qui s'inscrivent dans une dimension sociétale. De plus, la rhétorique du texte numérique propose des outils d'analyse et des typologies. Le dispositif de lecture occupe aussi une place importante car il conditionne l'apparition du texte à l'écran puis sa disparition. En effet, le texte numérique n'est pas solidaire de son dispositif d'origine car il peut migrer de l'ordinateur fixe vers le téléphone mobile et s'actualise dans différents systèmes d'exploitation d'une manière variée.

B. Nature de la lecture numérique

Alexandra Saemmer distingue deux caractéristiques fondamentales qui rendent la lecture d'un texte numérique différente. En effet, selon elle, l'hyperlien et l'animation sont des spécificités fondamentales du texte numérique et nécessitent une analyse approfondie de

56 Ibid. p. 8.

57 Ibid. p. 10.

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leurs multiples possibilités d'usage. En outre, les facteurs textuels et extratextuels faisant partie de l'hypertexte contribuent à former la spécificité de la lecture numérique.

a) L'hypertexte et l'hyperlecture

Le terme d'hypertexte, tout comme celui d'hyperlien, a été inventé par Theodor Nelson en 1965. Il faut attendre 1968, avec Douglas Engelbart, chercheur à l'Institut de recherche de Stanford, pour voir apparaître le « oN Line System » (NLS), le tout premier système informatique fonctionnant sous mode d'hypertexte58. L'hypertexte, comme Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib le soulignent dans La lecture numérique, publié en 2011, est défini soit du point de vue philosophique de la lecture non-linéaire ou bien par rapport au procédé technique. En fait, ils proposent une définition minimale de l'hypertexte, comme un procédé qui permet de lier entre eux un ensemble d'éléments figuratifs (image, vidéo) sous forme de réseau plutôt que d'une suite ordonnée de pages. Ils soulignent que, techniquement, un hypertexte est constitué en trois parties : 1) un ensemble de documents stockés sur une base de données informatique, 2) un réseau de liens reliant les différents documents et 3) une interface qui permet à l'utilisateur de les lire, de les visionner ou de les manipuler. De plus, ils font remarquer qu'il est question d'hypermédia ou de multimédia lorsque les hypertextes sont constitués d'images, de diagrammes ou de vidéos.

Figure 11. Exemples d'architecture textuelle linéaire (livre) et non-linéaire (hypertexte), source : Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib (2011).

58 Georges Vignaux. L'hypertexte. Qu'est-ce que l'hypertexte ? Origines et histoire. http://www.msh-paris.fr, 2001. <edutice-00000004>

https://halshs.archives-ouvertes.fr/edutice-00000004/document

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Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib mettent en évidence plusieurs difficultés de lecture dues à l'hypertexte. Tout d'abord, une plus grande « liberté » de choix donnée au lecteur peut être une source de problème, si celui-ci n'a pas une idée claire de ce qu'il recherche et dans quelle structure il évolue. De plus, on a constaté une certaine désorientation cognitive chez les lecteurs, qui souvent se retrouvent dans un sentiment d'anxiété leur faisant perdre 30 % de leur capacité de travail, comme l'a estimé Logan en 1994 aux États-Unis. Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib s'attardent aussi sur l'aspect mnésique, en affirmant que la lecture d'un hypertexte, qui implique une exploration successive d'informations, surcharge les capacités de mémorisation, car le lecteur est contraint de retenir en mémoire une très grande quantité d'informations.59 Comme nous l'avons vu auparavant, Raja Fenniche60, quant à elle, met l'accent sur la nature créative et associative de l'hyperlecture.

Le texte animé est un des composants distinctifs de l'hypertexte. Il peut prendre des formes qui sont multiples, par exemple le clignotement d'un mot de façon plus ou moins rapide ou bien le gonflement ou rétrécissement d'un mot au même rythme mais aussi un mot ou une partie du texte qui change de couleur. Alexandra Saemmer fait remarquer que le point commun entre tous ces textes animés est leur rythme rapide et leur réitération61. De plus, elle fait un rapprochement entre le texte animé et le son, car selon elle, tous deux sont composés de mouvements ou d'enchaînements de mouvement tout à fait comparables, comme le rythme, l'intensité, la régularité, l'accroissement mais aussi la diminution. Elle s'appuie sur des recherches sur les unités sémiotiques temporelles du MIM, un laboratoire de musicologie de Marseille, pour concevoir sa propre analyse du texte animé, qu'elle nomme « unités sémiotiques de l'animation ». Elle en conclut que le lecteur est en capacité de comprendre le sens donné à ces animations lorsque celui-ci a acquis assez d'expérience en lecture numérique pour pouvoir en déchiffrer toutes les facettes lors de la lecture sur l'écran.

59 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib, La lecture numérique, PUG, 2011, p. 198-202.

60 Raja Fenniche (2011). « Hyperlecture et culture de lien ». Dans : BÉLISLE, Claire (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre IV p. 165.

61 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 47.

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b) L'hyperlien - l'essence du texte numérique

Selon Alexandra Saemmer, l'hyperlien forme l'élément central du Web et il est aussi omniprésent dans le numérique62. Elle définit l'hyperlien, dans un sens élargi, comme toute entité manipulable, sans tenir compte de sa réalisation technique. Le geste de manipulation requis peut être un clic mais aussi un simple effleurement d'un écran tactile ou un geste de grattage. Ce qui est essentiel, c'est que le « texte relié » nécessite l'intervention physique du lecteur pour apparaître sur l'écran. Du point de vue pratique, la fonction de l'hyperlien est de relier des contenus qui peuvent prendre diverses formes, comme du texte, des images ou du son. Selon Saemmer, l'hyperlien constitue en soi « un puissant générateur d'imaginaire »63. En effet, l'hyperlien est un outil qui génère chez le lecteur, avant mais aussi après son utilisation, une intense activité de la pensée en mettant en jeu ses attentes. Elle rappelle que l'hyperlien a suscité de nombreux espoirs dans les années 90, dont certains n'étaient pas très réalistes. George Landow l'a comparé à un vaste rhizome ne cessant de croître64 et Alessandro Zinno l'a défini comme une sorte de réseau neurologique65 qui serait en fait la solution pour se passer définitivement du livre papier. L'hyperlien a aussi été comparé à la figure rhétorique de la métonymie classique, par exemple par Lev Manovich, mais Saemmer souligne qu'il faut se montrer particulièrement prudent avec cette référence, qui relève du livre papier, car l'hyperlien est de nature beaucoup plus informative tandis qu'une métonymie laisse souvent plus la place à l'imaginaire.66

Bertrand Gervais apporte une définition radicale de l'hyperlien en le plaçant dans une fonction particulière, une sorte de simulacre de signe à la frontière de la sémiotique et de l'informatique ou du médiatique. Un signe classique ne renvoie jamais seul à son objet,

62 Ibid. p. 17.

63 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 18.

64 Georges Landow, Hypertext 2.0. The Convergence of Contemporary Critical Theory and Technology, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1997.

65 Alessandro Zinna, L'invention de l'hypertexte, Documents de travail, Urbino, Università di urbino, 2002 (coll. Documents de travail ; numéro 318), p. 3.

66 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 20.

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car c'est l'interprète qui établit le lien en identifiant l'objet tandis que, selon Gervais, l'hyperlien renverrait à quelque chose pour quelqu'un en le faisant toujours de la même manière une fois programmé.67 De plus, il développe l'idée que l'hyperlien place le lecteur dans une logique où celui-ci est conduit de révélation en révélation et où l'attente, en définitive, crée le lien. Saemmer nuance cela en rappelant qu'un mot ou une image hyperliés ne sont pas toujours synonymes d'explication. En fait, l'hyperlien offre une multitude de possibilités et ne correspond pas automatiquement à un commencement de réponse ou une réponse précise.68 La catégorisation la plus simple des hyperliens les divise en liens organisationnels et liens sémantiques. Ces derniers sont liés au contenu et peuvent par exemple indiquer au lecteur deux pages qui traitent d'un thème similaire tandis que les liens organisationnels appartiennent à la structure d'une page et sont souvent répétés sur plusieurs pages d'un site. Une autre approche distingue un hyperlien purement informationnel d'un hyperlien dialogique qui est un médiateur entre des idées divergentes. Saemmer propose aussi une typologie plus complexe de la fonction informationnelle de l'hyperlien en précisant qu'il peut expliciter, enrichir, éclaircir, approfondir, définir, illustrer ou décrire les informations contenues dans un texte. 69

En fin de compte, Raja Fenniche70 juge le rôle des hyperliens si important du point de vue du texte numérique qu'elle parle de « la culture du lien ». Selon elle, cette notion souligne l'importance de la reliance car ce sont les réseaux de liens internes ou externes qui relient les fragments textuels. Il est à noter que le concept de reliance a été développée au sein de la pensée systémique, où l'action de joindre est le fondement même de l'organisation, qui transposée à l'être humain, est génératrice d'intelligence. Cette culture de lien peut être déclinée en rapport avec l'hyperlecture en trois niveaux. Au niveau cognitif, car elle stimule la pensée associative et la créativité. Aux niveaux social et culturel, elle permet de transcender les frontières sociales et culturelles.

67 Bertrand Gervais, « Richard Powers et les technologies de la représentation. Des vices littéraires et de quelques frontières », Alliage. Culture, science, technique, 2006, vol. 57-58, p. 226-227. http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3571

68 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 21.

69 Ibid, p. 82-87.

70 Raja Fenniche (2011). Hyperlecture et culture de lien. Dans : BÉLISLE, Claire (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre IV p. 165.

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c) Interactivité et facteurs matériels

Alexandra Saemmer71 rappelle que les textes manipulables et animés ne sont pas simplement des textes à lire mais qu'ils invitent aussi le lecteur à les regarder et à les manipuler. En fait, cette interactivité, à laquelle les hyperliens et les animations contribuent, est une des caractéristiques fondamentales de la lecture numérique. Ils font aussi partie des matérialités de la communication qui, selon Hans Gumbrecht72, servent à la production d'une signification sans constituer elles-mêmes cette signification. Par ailleurs, les récentes théories de la réception auxquelles Saemmer se réfère soulignent que la relation avec le lecteur est essentielle dans l'interaction entre le texte et ses matérialités. Parmi celles-ci, Jeanneret (2008) analyse le texte comme une « matière » à part entière qui s'actualise continuellement grâce à la pratique de la lecture. Il faut donc prendre en compte la « représentation et l'anticipation des pratiques » figurant dans l'objet même qui « définit les possibles d'une approbation ».73

L'interactivité peut se manifester sur deux niveaux distincts : elle peut être liée au support technique ou être inhérente au texte même.74 À titre d'exemple, le support technique de la télévision est en partie interactif, car il peut être manipulé par l'intermédiaire d'une télécommande. De ce point de vue, l'Internet en soi est un média interactif, même si les documents disponibles peuvent être des textes linéaires « ordinaires ». Selon Marie-Laure Ryan75, le type d'interactivité peut aussi être jugé par rapport à la liberté donnée à l'utilisateur et au degré de l'intentionnalité de ses actions. Une interaction de l'utilisateur peut être purement technique ou plus sélective, par exemple dans le cas où le lecteur peut choisir entre plusieurs hyperliens. Dans l'interactivité la plus complète, l'utilisateur participe activement et laisse une marque durable dans le monde textuel, soit en ajoutant

71 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 38.

72 Hans Ulrich, Eloge de la présence. Ce qui échappe à la signification, Stanford, Stanford University Press, 2004 [pour le titre original] ; Paris, Libella Maren Sell, 2010 [pour la traduction française], p.26.

73 Yves Jeanneret, Penser la trivialité, La vie triviale des êtres culturels, vol.1, Paris, Hermès-Lavoisier, 2008, p. 66.

74 Marie-Laure Ryan, Narrative As Virtual Reality: Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 2001. p. 205.

75 Ibid.

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des objets ou en y écrivant. De plus, Saemmer développe l'idée selon laquelle le lecteur, qui décide d'activer un hyperlien, entraîne par son geste une « irradiation iconique » sur le texte. Cela signifie que certains effets allant de la confirmation des attentes du lecteur jusqu'à son étonnement marquent la dynamique du texte numérique. Elle ajoute que le repérage d'un hyperlien par le lecteur relève ainsi d'un processus d'intégration et de connaissances antérieur à ces pratiques. Le fondement de cette référence iconique qu'elle réactualise dans le cadre du texte numérique provient des conceptions de Charles Sanders Peirce, qui désigne un icone comme :

Un Icone est un signe qui fait référence à l'Objet qu'il dénote simplement en vertu de ses caractères propres, lesquels il possède, qu'un tel Objet existe réellement ou non. [...] N'importe quoi, que ce soit une qualité, un existant individuel, ou une loi, est un

icone de n'importe quoi, dans la mesure où il ressemble à cette chose et en est utilisé comme le signe.76

De plus, diverses formes-modèles qui ne relèvent pas directement des matérialités du texte, mais le cadrent sur la page-écran, donnent des anticipations sur les pratiques de réception. 77 Certains de ces éléments sont familiers aux lecteurs grâce aux publications imprimées telles que les couvertures d'un livre fermé que le lecteur peut ensuite manipuler en activant des mots-clés comme « rotate » ou « next », etc. Quant à d'autres éléments extratextuels, la résolution de l'écran, la luminosité et l'affichage des couleurs affectent aussi la lecture. À titre d'exemple, dans une étude78 portant sur 600 étudiants de l'université Lyon 2, il a été constaté que l'un des obstacles majeurs à la lecture numérique mentionnés par les sujets était la fatigue oculaire causée par l'écran. Les systèmes de gestion de contenu proposent des modèles de pages qui transmettent une certaine idée de la lecture numérique, en offrant par exemple la possibilité d'insérer un menu qui permet de donner une vue d'ensemble du contenu. De la même manière, le cadre étroit de la

76 Charles Sanders Peirce, Elements of Logic, (1903), in Collected Papers, Harvard University Press, 1960

https://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/logphil/textes/textesm/peirce1m.htm

77 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib, La lecture numérique, PUG, 2011, p. 54.

78 Alexandra Saemmer, Le texte résiste-t-il à l'hypermédia ?, Dans : Communication et langages, 2008, Vol. 155, Numéro 1, pp. 63-79.

http://www.persee.fr/doc/colan 0336-1500 2008 num 155 1 5375#

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fenêtre de contenu incite à écrire des textes courts. En fait, la soi-disant superficialité de la lecture à l'écran n'est en définitive qu'un a priori et elle est bien plus profonde et dense qu'il n'y paraît. En somme, tous ces facteurs qui rendent la lecture numérique différente doivent être prise en compte dans la conception du manuel numérique. Cela signifie, que dans l'idéal, la mise du texte sur la page-écran et sa structure même doivent être adaptées à ce mode de lecture. Dans la troisième partie de ce travail, nous allons donc analyser comment cela a été mis en pratique dans notre manuel.

C. Différences entre la lecture sur papier et numérique

Comme nous avons déjà pu le constater, la lecture numérique diffère de la lecture sur papier, qui est souvent présentée comme la norme et la « vraie » lecture. En fait, les débats se concentrent souvent sur les aspects négatifs de la lecture numérique, même si celle-ci présente aussi des avantages. Claire Bélisle fait remarquer à juste titre que la lecture sur écran est rarement prise en compte dans l'apprentissage de la lecture, ce qui signifie qu'il n'y a pas de traditions reconnue : ses repères sont donc encore largement à inventer.79

a) Les réactions du cerveau face à la lecture classique et numérique

De nombreuses études, depuis maintenant une décennie, montrent que les réactions du cerveau sont différentes entre la lecture classique et la lecture numérique. Il y a plus de zones du cortex qui sont sollicitées lors d'une lecture numérique, selon Gary Small du Semel Institute for Neuroscience and Human Behavior de l'Université de Californie. En effet, ce psychiatre a étudié en 2009 les activités cérébrales d'un groupe de personnes constitué de 24 adultes âgés de 55 à 78 ans à l'aide d'une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Tout d'abord, les sujets de cette étude ont dû lire un livre pour ensuite lire un article sur Internet. Lors de la lecture sur livre papier, les zones du cerveau qui sont apparues sur l'IRMf étaient celles du langage, de la lecture, de la mémoire ainsi que de la vision. Ensuite, les personnes ont été divisées en deux groupes en fonction de leur expérience d'Internet : les novices Internet et les experts Internet. Lors

79 Claire Bélisle, (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre III, p. 125.

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de la lecture numérique, chez les novices Internet les mêmes régions du cerveau ont été activées que lors de la lecture du texte sur format papier. En outre, des zones impliquées dans la mémorisation ont aussi été activés. Par contre, la différence essentielle s'est produite lors de la lecture numérique du groupe des experts Internet. En effet, chez eux, deux zones supplémentaires ont été activées : celle de la prise de décision et celle des raisonnement complexes. De plus, Gary Small a constaté que l'activation cérébrale globale était deux fois plus importante lors de la recherche sur le Net pour le groupe expert. Il en conclut que la lecture numérique nécessite et mobilise beaucoup plus d'attention de la part du lecteur.80 Selon Thierry Baccino, « il paraît logique que la recherche sur Internet implique, en plus des processus de lecture, des processus de raisonnement logique de prise de décision »81. En fait, il s'appuie sur l'étude de Gary Small pour démontrer que la lecture sur le Web nécessite une certaine pratique qui, avec le temps, active un nombre bien plus important de régions de notre cerveau que lors d'une simple lecture papier.

Figure 12. Comparaison des activations cérébrales entre novices et experts en navigation Internet dans les tâches de lecture et recherche d'information, source : Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib (2011).

80 Philippe Testard-Vaillant et Kheira Bettayeb, La lecture change nos cerveaux aussi, Science et Vie, n°1104, septembre 2009, p. 42-57.

http://pvevent1.immanens.com/fr/pvPage2.asp?puc=2232&pa=1&nu=1

81 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib, La lecture numérique, PUG, 2011, p. 34.

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Une autre étude, qui portait sur un panel de 300 personnes, menée aux États-Unis en 2016, apporte une nouvelle vision de la différence entre la lecture sur papier et la lecture sur écran. En effet, au lieu de s'opposer, elles semblent être complémentaires au niveau des processus d'apprentissage, comme le suggèrent les recherches de Geoff Kauffman, de la Carneggie Mellon University et Mary Flanagan, du Darmouth College. En effet, selon eux, les processus de mémorisation sont distincts selon les supports. En fait, la lecture numérique semble contribuer à consolider des détails sur un sujet alors que la lecture papier rendrait la compréhension de concepts abstraits plus facile. Pour illustrer leur propos, les deux chercheurs donnent comme exemple que l'écran d'ordinateur serait plus efficace pour se rappeler certaines dates alors que pour retenir les raisons d'un évènement, il faudrait plus faire appel au papier.82

b) Différentes stratégies et rythmes de lecture

La lecture numérique se différencie aussi par rapport à la lecture classique du point de vue des éléments d'organisation du texte. En effet, comme l'indique Claire Bélisle, le lecteur ne lit plus d'une manière linéaire lorsqu'il est devant un écran mais adopte un autre mode de lecture, qu'elle qualifie de « sélective ». Selon elle, « lire, ce n'est plus aller du début à la fin, ce n'est plus lire l'intégralité du texte ».83 Ces affirmations montrent donc un changement fondamental dans l'approche de la lecture. De plus, elle rappelle aussi que la lecture linéaire ou immersive était, jusqu'à l'apparition de la lecture numérique, le mode de lecture le plus populaire et qu'il reste actuellement largement valorisé. D'ailleurs, la lecture savante s'est adaptée au mode linéaire, ce qui illustre parfaitement la prédominance de ce mode de lecture durant des siècles.84 Il semble donc que la lecture numérique marque de profonds changements dans la manière d'appréhender un texte, ce qui peut poser de nombreux problèmes pour le lecteur et, in-fine, pour la compréhension globale du texte. En effet, Christian Vandendorpe pense que

82 Nicolas Gary, Lecture sur écran et papier : des processus d'apprentissage complémentaires, AL ActuaLitté, 2016 https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/lecture-sur-ecran-et-papier-des-processus-d-apprentissage-complementaires/65448

83 Claire Bélisle, (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre I, p. 53 et Chapitre III, p. 124.

84 Ibid. p. 51.

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la lecture numérique peut causer une détérioration de la mémoire spatiale par rapport au texte du fait de la perte de la structure feuilletée pour un lecteur qui a été formé par le codex. Il ajoute qu'avec un texte papier, il est possible de se souvenir où se trouve une information85. Il suggère donc qu'avec le texte numérique, l'information est plus difficile à retrouver du fait de la nature même de sa structure textuelle. Cela constitue d'ailleurs pour lui : « --- le défi le plus important à relever pour des lecteurs formés par deux millénaires de domination du codex »86

Ce changement de support de lecture oblige à adopter une nouvelle manière de lire et des stratégies différentes pour se repérer dans le texte. En fait, le type de support à partir duquel se fait la lecture influence fortement les choix du lecteur. Il y a divers facteurs tels que la disposition, la mise en page, la répartition des textes et des blancs, la justification, la densité des signes, ainsi que l'éclairage, le contraste, la taille des caractères, l'espacement, la longueur des lignes qui jouent un rôle essentiel. Pour faciliter la lecture numérique, le lecteur peut retourner en arrière dans le texte, jeter un coup d'oeil sur le titre ou le numéro de la page et parcourir le texte en diagonale ou encore faire la différence entre les casses de caractères.87

Bélisle signale aussi que la compréhension et la mémorisation sont proportionnelles à la vitesse de lecture. En effet, un nouveau support qui diminue l'automatisation des processus crée une perte de résultat.88 Par contre, elle fait remarquer que l'accélération du rythme de lecture est une constante dans l'histoire et que, de ce point de vue, la lecture numérique non-linéaire a des effets positifs car elle rend possible une meilleure gestion des informations maintenant accessibles. En fait, le but de la lecture diagonale est d'accéder le plus vite possible aux éléments indispensables du texte.89

85 Ibid. p. 53.

86 Ibid. p. 12.

87 Ibid. p. 39.

88 Ibid. p. 39.

89 Ibid. p. 121-122.

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Les discussions sur les différences entre la lecture sur papier et à l'écran portent souvent sur les côtés négatifs du numérique mais Gugliemo Cavallo et Roger Chartier90 rappellent que la lecture numérique a levé quelques contraintes importantes liées au texte imprimé. Selon eux, les textes numériques rendent possible d'associer l'écriture à la lecture car les nouveaux supports permettent très souvent de faire des annotations, du copier-coller, de transformer un texte et d'en communiquer la version modifiée. Il y a donc une plus grande interaction entre le texte et le lecteur par rapport au codex.

c) Compétences technologiques

L'instrumentation de la lecture est sans doute une des différences importantes entre la lecture papier et numérique. Claire Bélisle91 rappelle que le lecteur doit à la fois maîtriser des logiciels et des outils techniques et savoir se repérer dans un univers culturel dont les valeurs sont différentes de celles du monde imprimé. Il doit connaître et savoir utiliser des outils de navigation mais aussi toute une gamme d'outils que l'on peut trouver sur le Web. Il est à noter que le lecteur doit être familier avec l'ensemble des machines électroniques susceptibles de pouvoir héberger un texte, c'est-à-dire ordinateur, tablette, ordinateur portable et smartphone pour qu'il puisse évoluer facilement dans cet espace. Cet aspect requiert que le lecteur soit plus actif et interagisse avec l'information et les connaissances. De la même manière, la lecture en ligne ne consiste pas simplement à lire mais aussi à savoir interpréter les images, les dessins, les vidéos et les représentations graphiques. Bien que l'apprentissage de la lecture soit toujours basé sur la connaissance des phonèmes et graphèmes, cela ne suffit plus. D'ailleurs, selon Claire Bélisle, cet « élargissement » des modes de lecture multiplie les compétences à acquérir afin de savoir véritablement bien lire avec le numérique.92 En effet, dans le cadre de la lecture numérique, les compétences technologiques sont indissociables de la lecture même.

90 Gugliemo Cavallo et Roger Chartier (dir.) Histoire de la lecture dans le monde occidental. Paris, Editions du Seuil, 2e édition, 2001.

91 Claire Bélisle (dir.). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre III, p. 143.

92 Ibid. p. 145.

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Claire Bélisle fait remarquer que les compétences technologiques mettent les « natifs du numérique » et les nouveaux arrivants dans le monde numérique sur un plan différent en favorisant les jeunes.93 Pourtant, une enquête de 201094 montre que la présence des outils numériques dans l'environnement des jeunes ne signifie pas qu'ils développent automatiquement des compétences qui leur permettent, par exemple, de réussir à l'école. En effet, le taux de réussite du certificat Informatique et Internet (i) en 2010 était, malgré son amélioration, inférieur à 36 %. En fait, seules des activités comme rechercher des informations et communiquer à distance, qui ne nécessitent pas vraiment un processus d'appropriation, sont maîtrisées par plus des trois quarts des élèves de 15 ans. Par contre, plus d'un sur deux serait incompétent dans les activités qui nécessitent un savoir-faire spécifique, comme la réalisation d'une présentation ou des documents pouvant être imprimés. En fait, les compétences liées à l'utilisation régulière de certains logiciels et jeux vidéo ne couvrent pas l'ensemble des connaissances numériques nécessaires qu'il faut acquérir pour pouvoir évoluer dans l'univers numérique de manière autonome et raisonnée. Bien que ces informations ne concernent pas les élèves du collège car certificat Informatique et Internet (i) est destiné aux étudiants faisant des études supérieures, elles donnent une indication sur le niveau général des compétences technologiques. Il n'y a donc pas de raison de supposer que les plus jeunes auraient des compétences plus élevées.

93 Ibid.

94 Jocelyne Trémenbert, Mesure des compétences numériques, une évaluation à partir des domaines du I, Observatoire OPSIS, 2010. https://www.marsouin.org/IMG/pdf/article_competences.pdf

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III. Étude de quelques aspects pratiques du manuel numérique

Le livre scolaire numérique que nous allons analyser, afin de montrer de quelle manière celui-ci permet la découverte d'un texte littéraire, est le manuel de français édition 201695 destiné à des élèves de 3ème année du collège donc des enfants de 14 à 15 ans. Il est accessible gratuitement en ligne sur le site lelivrescolaire.fr. Nous l'avons examiné avec un ordinateur portable Lenovo ThinkPad X1 Carbon sous environnement Windows 7 et navigateur Google Chrome, version 59.0.3071.104. En plus de la version numérique, il est aussi proposé au format pdf accessible en cliquant sur l'hyperlien « feuilleter la version papier » alors que le manuel imprimé est payant. Quant aux définitions du manuel présentées dans la première partie de ce travail, aussi bien le manuel numérique que la version pdf correspondent à ses critères. En effet, ils répondent au programme d'enseignement du Ministère de l'Éducation, s'inscrivent dans le développement de la lecture et favorisent l'accès à la culture. Les deux versions remplissent également le critère de dématérialisation. Si la définition du Ministère de l'Éducation nationale de 2009 ne parle que de l'utilisation avec un ordinateur ou un vidéoprojecteur en classe96, elle est dans ce sens datée, car il est évident que les manuels en question peuvent aussi être lus avec d'autres supports. En fait, la version numérique pdf correspond à un « manuel numérique simple » où l'on ne peut rien ajouter et la version numérique à ce qui est appelé « manuel numérique enrichi ». Cela signifie qu'en plus des textes et images, celui-ci propose d'autres matériaux et liens ainsi que la possibilité pour l'enseignant d'en ajouter. Le manuel numérique de 3ème est principalement axé sur la littérature ; d'ailleurs, les huit premiers chapitres sont construits autour d'extraits de textes littéraires suivis de chapitres portant sur le lexique, la grammaire, l'orthographe et la conjugaison. Si nous nous référons à la typologie des manuels scolaires présentée dans la première partie, notre manuel fait partie de ceux qui sont classés comme manuels par extraits de textes et représente le point de vue pédagogique.

95 http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016.

96 Site éduscol de l'Éducation nationale,

http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/notions.

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A. Les textes littéraires et matériels hyperliés

Le manuel est divisé en quatre grandes thématiques : 1) Se chercher, se construire, 2) Vivre en société, participer à la société, 3) Regarder le monde, inventer des mondes et 4) Agir sur le monde. Il y a aussi un thème complémentaire qui figure dans le dernier chapitre. L'ouvrage comporte huit chapitres avec des textes de différentes époques où diverses thématiques littéraires sont abordées telles que la tragédie, l'autobiographie ou la poésie, ce qui correspond au programme de la classe de 3ème.

a) Les textes littéraires figurant dans le manuel

Tout d'abord, nous trouvons dans ce livre scolaire numérique 77 extraits différents d'oeuvres littéraires. En effet, il débute à l'Antiquité avec six extraits et passe directement au XVIe siècle sans discontinuer jusqu'à nos jours. Nous pouvons aussi constater qu'environ 67 % des extraits se concentrent sur les XXe et XXIe siècles.

Tableau 6. Les extraits littéraires du manuel classés par période, source : livrescolaire.fr.

Antiquité

XVIe siècle

XVIIe siècle

XVIIIe siècle

XIXe siècle

XXe siècle

XXIe siècle

6

2

4

4

9

37

15

Les genres littéraires y apparaissent divers et variés. Il y a, en premier lieu, le genre autobiographique, qui est particulièrement bien représenté, avec 14 extraits. Le deuxième extrait du chapitre I est tiré du tome I des Confessions (1782) de Jean-Jacques Rousseau, c'est une anecdote qui comporte a priori un message plus philosophique que véridique sur sa vie, suivie d'un extrait d'Histoire de ma vie (1855) de George Sand qui critique la conception de l'autobiographie de Rousseau en disant que la sienne est plus authentique car elle laisse place à la spontanéité et à l'abandon. Le thème de l'enfance est abordé avec La Promesse de l'aube (1960) de Romain Gary où l'auteur raconte le lien entre une mère et son fils mais aussi sous forme poétique avec « Mon enfance » de Jacques Brel dans Jacques Brel 67 (1967). L'autobiographie historique est présente avec le témoignage d'Alexandre Dumas dans Mes Mémoires (1852-1856), tome II, chapitre 9 où il croise l'empereur Napoléon Ier juste après la défaite de Waterloo. De plus, la période de la Seconde Guerre mondiale est introduite par un extrait du Journal (1947) d'Anne Frank,

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qui se révèle être un message d'espoir, et un passage du tome 2 de Mémoires de guerre (1956) de Charles de Gaulle, où il descend les Champs-Elysées à la libération de Paris. En fait, les textes autobiographiques du manuel rassemblent de nombreux auteurs et thèmes et sont présentés dans un certain ordre de lecture. À titre d'exemple, l'extrait de Rousseau précède celui de Sand ce qui semble logique. Cette structure est plus appropriée au manuel papier ou pdf tandis que la version numérique s'adapte moins bien à la lecture linéaire.

La poésie occupe une place très importante avec environ 20 poèmes, passant des Epigrammes de Martial et de Fables d'Esope datant de l'Antiquité aux Fables (1678) de Jean de la Fontaine et à un poème (1664) de François de la Rochefoucauld qui montrent l'évolution de ce genre littéraire durant des siècles. L'expression des sentiments personnels transparaît avec les poèmes Soleils couchants (1831) de Victor Hugo et Le Lac (1820) de Alphonse de Lamartine mais aussi Crépuscule du soir (1857) et La cloche fêlée (1861) de Charles Baudelaire. L'amour figure dans l'extrait de Pablo Neruda mais aussi dans deux extraits de Calligrammes (1918) d'Apollinaire qui montrent que la poésie peut prendre la forme d'un véritable dessin. S'y ajoutent des textes de Louis Aragon, Léopold Sédar Senghor, Grand Corps Malade, Jean Amrouche et Emile Verhaeren. En fait, cet ensemble de textes poétiques donne une vision très étendue du potentiel de ce genre. De plus, il est à noter que nous trouvons un extrait des Epigrammes de Martial associé à divers « punchlines » de rappeurs, il y a donc un rapprochement qui s'opère entre un texte de l'Antiquité et le rap, un style bien actuel. La tragédie est représentée avec des extraits de l'Antigone de Sophocle (Ier siècle av. J-C.) de Jean Anouilh (1946), Jean Cocteau (1922) et Bertolt Brecht (1962) mais aussi avec des parties des Essais (1580) de Montaigne. Nous trouvons encore un passage des Caractères (1688) de La Bruyère, Zadig ou la destinée (1747) de Voltaire et les Lettres persanes (1721) de Montesquieu. Nous constatons donc que le manuel aborde aussi des pièces de théâtre et des oeuvres du siècle des Lumières. Il y a deux extraits de roman du XXIe siècle avec No et Moi (2007) de Delphine de Vigan, l'histoire de deux amies adolescentes et Les Années (2008) de Annie Ernaux, un nouveau genre d'autobiographie. De plus, nous trouvons la thématique scientifique, comme avec un texte d'Ambroise Paré provenant de OEuvres (1575), deux autres articles et une interview publiés en 2014 et 2015 qui portent sur l'oeil artificiel. La science-fiction est le dernier genre littéraire que nous trouvons dans ce manuel numérique avec « la classe de Maître Moda », L'Atalante (2004) de Pierre

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Bordage. En fait, l'ensemble de ces extraits montre que ce livre scolaire numérique brosse une multitude de thèmes qui peuvent projeter le lecteur dans le monde de la littérature. Il y a tant d'opportunités pour découvrir des histoires, des cultures, du réel, de l'irréel mais aussi éprouver toutes sortes de sentiments devant ces fragments d'oeuvres qui sont autant d'univers uniques à explorer. Il est évident que les manuels numériques et imprimés contiennent exactement les mêmes extraits littéraires : de ce point de vue, notre manuel numérique de français édition 2016 accessible en ligne sur le site lelivrescolaire.fr n'apporte aucune différence par rapport à sa version papier.

b) Les liens internes - une autre manière de poursuivre la découverte

Les liens qui accompagnent les extraits de textes littéraires et qui font partie intégrante du livre scolaire numérique sont de natures différentes. En effet, nous avons constaté qu'il y en a trois sortes distinctes : les extraits de textes littéraires, les images et un lien qui permet d'accéder à une fiche lexicale. Nous avons déjà répertorié la plupart des extraits, c'est pourquoi nous allons nous concentrer sur les images car elles occupent aussi une place importante dans le manuel avec pas moins de 83 images en rapport avec un texte littéraire.

Tableau 6. Les images en lien avec les extraits de textes littéraires faisant partie intégrante du manuel, source : livrescolaire.fr.

30 tableaux

30 clichés photographiques

23 images diverses

Nous trouvons dans les images de tableaux de nombreux courants artistiques comme le Réalisme, l'Impressionnisme, le Néo-classicisme mais aussi des courants plus contemporains, avec le Street Art. En fait, les images sont toujours liées aux textes proposés et ouvrent de nouveaux champs de découverte pour le lecteur. Nous avons retenu trois exemples qui l'illustrent parfaitement. En effet, en reprenant l'extrait des Mémoires (1852-1856) d'Alexandre Dumas du chapitre I du manuel où, l'auteur rencontre Napoléon Ier, avec en toile de fond, la défaite de Waterloo, nous voyons que l'image qui est en lien avec ce texte est le tableau de David (1800) où Bonaparte franchit le pont d'Arcole, symbolisant la victoire. Cette image propose donc une vision radicalement différente de ce personnage historique par rapport au texte. Le deuxième exemple, qui est de portée poétique, montre un certain rapprochement fait autour de la

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lumière entre le poème Soleils couchants (1831) de Victor Hugo et le tableau Impression, soleil levant (1872) de l'impressionniste Monet. Bien que ces deux exemples combinent des textes et des images du même siècle, dans ce manuel figurent aussi des textes et des images dont l'association est plus inattendue. En effet, La Voix, un poème de Robert Desnos datant de la Seconde Guerre mondiale, est associé avec le graffiti de Bansky intitulé Colombe de la paix avec gilet pare-balle et fait à Bethléem en Palestine datant du XXIe siècle. Nous pouvons voir que les conflits ne sont pas les mêmes, ni les styles, pourtant, les deux oeuvres dégagent la même thématique de la liberté.

Les clichés photographiques sont en nombre égal par rapport aux images de tableaux. D'ailleurs, pour la plupart, ce sont des photographies qui datent du XXe siècle. Nous pouvons distinguer deux thèmes qui regroupent une partie importante de ces images. En premier lieu, il y a 11 clichés qui portent sur la Première Guerre mondiale, associés à l'oeuvre de Pierre Chaine, Mémoire d'un rat (1916). En fait, ceux-ci témoignent de ce qui s'est réellement passé et permettent au lecteur, suite à la lecture de ce texte, de se rendre mieux compte de la réalité de ce conflit. Ils ajoutent au manuel une dimension historique incontestable mais aussi un message contre toutes les guerres. Le deuxième thème qui ressort de ces images est celui du théâtre, avec Antigone illustré par huit clichés. Les extraits de textes de Sophocle datant de l'Antiquité et de Jean Anouilh du XXe, avec ces photos en couleur, donnent une véritable impression de continuité mais aussi de modernité. En fait, ces images donnent la possibilité d'explorer de nouveaux univers liés aux textes littéraires. Il faut pourtant faire remarquer que, dans la version numérique, le rôle de images est moins central que dans le livre imprimé ou pdf, car ils occupent une toute petite place sur la page-écran. Pour les visionner en détail, le lecteur doit donc faire le geste de les cliquer.

1

2

53

Figure 13. Comparaison de l'agencement de la même image dans la version numérique (1) et dans le livre imprimé (2), source : lelivrescolaire.fr.

c) Les liens externes - une ouverture sur le monde

En fait, ce livre scolaire numérique, avec ses 51 liens externes, se distingue de ses versions papier et pdf par rapport aux multiples possibilités qui sont offertes au lecteur de découvrir de nouveaux types de ressources liées aux extraits des textes littéraires.

Tableau 6. Les liens externes en rapport avec les extraits de textes littéraires faisant partie du manuel, source : lelivrescolaire.fr.

Liens
vidéos

Liens audio

Liens vers
des sites
Internet

Liens vers
d'autres
oeuvres

Liens vers d'autres
manuels du livrescolaire

31

3

7

7

3

Il est à noter que plus de la moitié des liens externes dirigent le lecteur vers des vidéos qui se trouvent en ligne, dont 20 hébergées sur le site YouTube et le reste partagées, entre autres, sur les sites de Ina.fr, TV5MONDE et Francetv Education. Ces documents vidéos sont notamment constitués de chansons comme Victime de la mode de MC Solaar, Foule sentimentale d'Alain Souchon, Les Choses de Goldman, Pretty Hurts de Beyoncé, deux

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chansons de rap, mais aussi des extraits de musique classique. De plus, il est aussi possible d'écouter d'autres extraits de textes, par exemple les Confessions de Rousseau ou Invictus en version originale. De plus, il y a un documentaire retraçant la vie d'Anne Frank et des vidéos sur la Première Guerre mondiale. Quelques extraits de texte du manuel sont associés à des interviews de Romain Gary, Chalandon, Blaise Cendrars, Léopold Sedar Senghor mais aussi un documentaire sur l'impressionnisme. Nous retrouvons également trois liens audio avec Toute la vie de Romain Gary à écouter sur France Inter et deux liens sur D'autres contes philosophiques à écouter de Voltaire.

Il est très intéressant de voir que les liens renvoient rarement vers d'autres extraits de textes ou des oeuvres complètes sur le Web. En effet, il y en a que sept, dont quatre se trouvent sur Wikisource.org et www.pierdelne.com, mais aussi sur www.penseesdepascal.fr. Ces oeuvres sont 12 poèmes de Néruda, Le crépuscule du soir de Baudelaire (1861), Le Bateau Ivre (1871) de Rimbaud mais aussi Le Blanc et le Noir (1764) de Voltaire en version intégrale. De plus, il y a un extrait des Pensées (1670) de Pascal intitulé Disproportion de l'homme. À titre d'exemple, une fois qu'il a lu le poème de Neruda, le lecteur a donc l'opportunité d'en découvrir 12 autres en cliquant sur le lien adéquat. De plus, il est possible, grâce au lien du manuel, que le lecteur se retrouve au beau milieu de la bibliothèque de Montaigne, car elle a été reconstituée en 3D sur le site de l'Université de Tours. Le lecteur peut donc voir cet endroit où a passé des heures et des heures. Le site de la maison d'Anne Frank est consultable, avec un accès à de nombreux documents sur sa vie. On peut aussi voir des dessins de la Grande Guerre. Nous avons aussi constaté que deux liens conduisent vers un autre manuel du site lelivrescolaire.fr. En effet, les manuels numériques de français et d'histoire-géographie sont de cette manière connectés. Le premier lien est sur la thématique de la guerre 14-18 entre des extraits de Mémoire de rat de Pierre Chaine et un tableau d'Otto Dix sur la violence de la guerre. Le second lien associe encore l'oeuvre de Chaine, mais cette fois-ci avec le chapitre d'histoire sur la Première Guerre mondiale. En définitive, les liens qui renvoient à du matériel externe au manuel numérique permettent d'avoir un accès bien plus large dans le domaine de la littérature, et plus généralement de la culture. En fait, ce manuel numérique ne reste pas dans un cadre prédéfini comme avec sa version pdf, mais constitue tout un réseau de nouvelles informations qui ne cesse de grandir.

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B. Présentation de la page-écran

L'agencement de la page-écran où apparaît le texte mais aussi tous les outils qui s'offrent au lecteur est particulièrement important entre car il joue le rôle d'interface avec le texte même et affecte donc la lecture. Le manuel est structuré en différents chapitres, toujours accompagnés d'un titre qui guide le lecteur, comme avec le chapitre 5, Antigone : Une voix face au pouvoir. En fait, cette structure s'apparente tout à fait à celle d'un livre-codex, sauf qu'une différence fondamentale s'impose : lorsque le lecteur accède à la page d'accueil du manuel, il ne peut pas se rendre compte à première vue de son volume de la même manière qu'avec le manuel imprimé qui contient 400 pages. En fait, en ouvrant le chapitre 1, il voit qu'il y a 17 sous-parties.

Figure 14. Capture d'écran montrant comment figurent les 15 chapitres sur la page d'accueil du manuel numérique, source : lelivrescolaire.fr.

La conception des pages n'est pas la même dans les deux versions et fait donc appel à des pratiques de lecture différentes. Nous prendrons donc comme exemple la page-écran de l'extrait de texte des Pensées de Montaigne comportant 541 mots et verrons de quelle manière elle est construite. Ensuite, nous montrerons les outils dont dispose le lecteur grâce au numérique en analysant leurs différences par rapport à la lecture sur format papier.

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a) Mise en page et matérialités

Tout d'abord, l'extrait des Pensées occupe horizontalement à peu près les trois quarts de la page-écran et le quart restant est dédié à une colonne verticale placée à droite qui contient des informations supplémentaires. Nous dénombrons une dizaine d'hyperliens sur la page-écran, dont quatre sont en rapport avec la découverte de nouvelles informations. De plus, nous trouvons juste au-dessus du texte cinq outils qui permettent au lecteur de visualiser le texte selon ses préférences. Ils servent entre autres à ajuster la taille de la police et l'espacement interlinéaire. Les textes littéraires sont présentés à gauche sur la page-écran alors qu'à droite s'alignent des encadrés proposant des informations supplémentaires. Ce modèle de la page-écran où la colonne de droite est dédiée à des information complémentaires est familières aux lecteurs, comme sur de nombreux sites de journaux.

Figure 15. Mise en page de l'extrait du texte littéraire sur le site du livrescolaire.fr, source : http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon.

À titre d'exemple, dans le texte qui traite de Montaigne du chapitre 2, le premier lien de la colonne de droite ouvre dans une fenêtre indépendante des exercices qui sont liés au contenu du texte. Deux autres hyperliens orientent l'utilisateur sur des pages externes au manuel numérique. Le premier donne accès à une vidéo sur la vie de Michel de Montaigne

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sur YouTube et le deuxième le dirige sur le site de la bibliothèque de Michel de Montaigne pour visionner sa reconstitution en 3D. De plus, la colonne de droite contient des fenêtres qui présentent des définitions et des informations succinctes. En bas de page, il y a trois hyperliens qui proposent des contenus sur des thèmes similaires et dirigent l'utilisateur vers d'autres textes du manuel. Il n'y a aucun hyperlien ou fonctionnalité que le lecteur peut activer dans le texte même. En fait, nous remarquons que l'apparence est très dépouillée et ressemble quasiment à une page d'un livre imprimé. D'ailleurs, le fond de page est d'un gris très clair, les lettres sont de couleur noire avec une lettrine, comme la plupart des textes à l'époque de Montaigne. Plusieurs éléments formels du texte imitent donc la page papier. Il est également intéressant de voir que les numéros de page du manuel imprimé sont indiqués en haut de page à côté du fil d'Ariane.

Figure 16. Lettrine de l'extrait de texte des Essais de Montaigne, source : lelivrescolaire.fr. http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon

Figure 17. Lettrine de l'extrait de texte des Essais de Montaigne, Cinquiesme edition, augmentée d'un troisiesme livre et de six cens additions aux deux premiers publié 1588 source : Gallica.fr. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11718168/f9.image

La police de caractère employée est Helvetica, qui fait partie des polices sans-serif qui sont considérées appropriées pour la lecture numérique.97 En effet, « les études de lisibilité à l'écran montrent que le texte sans-serif est là plus rapide à lire », comme

97 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 113.

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l'affirment Jakob Nielsen et Hoa Loranger.98 De plus, la lecture se fait naturellement de façon linéaire, avec le déplacement des yeux horizontalement de gauche à droite et de haut en bas lors du passage à la ligne suivante. Les références de l'extrait, c'est-à-dire le nom de l'auteur, la place que l'extrait occupe dans l'oeuvre intégrale ainsi que l'année d'édition, figurent sur la dernière ligne de l'extrait numérique. En fait, l'ensemble du texte respecte l'intégralité des codes qui résultent de la lecture papier, à la différence du choix de sa police de caractère, comme nous l'avons déjà souligné. De plus, la page est conçue d'une telle façon que le lecteur n'est pas distrait par des images dynamiques, comme celles qui clignotent ou bougent : l'ensemble de la page reste en définitive statique.

b) Fonctionnalités permettant la manipulation

La page-écran offre de multiples fonctionnalités dans les deux modes d'affichage du texte. Ils permettent à l'utilisateur de faire des choix qui conviennent à leur lecture mais nécessitent, d'autre part, des compétences techniques. En effet, le lecteur doit être familiarisé avec l'environnement numérique pour pouvoir les utiliser d'une façon appropriée à ses besoins.

Figure 18. Capture d'écran de certaines fonctionnalités associées au texte, source : lelivrescolaire.fr.

Figure 19. Capture d'écran de certaines fonctionnalités associées au texte en mode plein écran, source : lelivrescolaire.fr.

98 Jakob Nielsen et Hoa Loranger (2007). « Site Web ». Dans : Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 113.

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Comme nous l'avons déjà constaté dans la deuxième partie, la fatigue oculaire est un des plus grands inconvénients associés à la lecture numérique. Elle peut être diminuée à l'aide de certains choix liés à la matérialité, comme les couleurs ou police de caractère mais aussi grâce à certaines fonctionnalités : lorsque nous déplaçons le curseur de la souris, une barre permettant de rétrécir ou d'agrandir le texte s'affiche en bas de l'écran. Ces fonctionnalités permettent donc au lecteur d'avoir un plus grand confort visuel lorsqu'il lit mais aussi de s'arrêter sur certains mots qui peuvent l'interpeller.

Dans le mode plein écran, nous retrouvons aussi un outil qui renvoie à deux liens audio en rapport avec le texte, l'un est lu par un homme l'autre par une femme. De plus, l'utilisateur peut choisir entre trois vitesses de débit lors de l'écoute : lente, normale ou rapide. Il peut aussi régler le son, arrêter l'enregistrement ainsi que le reprendre où il veut grâce à la barre de durée. En fait, ces fonctionnalités permettent au lecteur d'avoir recours à plusieurs moyens qui peuvent l'aider lors de la découverte du texte, car ces enregistrements audio peuvent être écoutés alors que le lecteur a toujours accès au texte.

La fonctionnalité DYS illustre parfaitement comment le livre scolaire numérique est tout à fait capable de s'adapter au lecteur, à la différence d'un manuel papier classique. Il suffit que le lecteur active cet outil pour que la police du texte, la longueur des lignes et l'espacement des mots changent et s'adaptent mieux aux besoins du lecteur atteint de dyslexie. En fait, le but de cette fonctionnalité est de faciliter le déchiffrage et la compréhension du texte par une concentration visuelle renforcée.

Figure 20. Ligne 35 du texte littéraire en caractère Helvetica sur le site du livrescolaire.fr, source : http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon/document/1171768

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Figure 21. Même extrait de texte que celui de la figure 15, cette fois-ci avec une police de caractère adaptée pour un lecteur dyslexique sur le site du livrescolaire.fr, source : http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon/document/1171768

La fonctionnalité pour imprimer le texte sur papier figure dans les deux modes de lecture, ce qui est important car il y a toujours des utilisateurs qui préfèrent la lecture papier. En effet, il y a un lien entre le numérique et la matière, le contenu dématérialisé engendre aussi un contenu qui a comme support une page papier. La coupure entre le numérique et le codex n'est donc pas définitivement franchie.

c) La possibilité d'une lecture plus immersive

Comme nous l'avons vu dans la deuxième partie de ce travail, la lecture numérique est souvent caractérisée comme superficielle et fondamentalement non immersive à cause des hyperliens qui peuvent interrompre le flux de la lecture. En fait, Alexandra Saemmer99 distingue trois formes-modèles des page-écran qui permettent d'anticiper sur des pratiques de lecture. Les formes modèles pro-intensives qui sont des pratiques de lecture plutôt lentes et concentrées tandis que les formes-modèles pro-interventives confondent des activités de lecture et d'écriture. De plus, les formes-modèles pro-extensives favorisent la lecture rapide et incitent à la navigation. Notre manuel numérique contient beaucoup d'éléments qui sont propres au modèle pro-intensif. Le fait que les extraits ne contiennent pas d'hyperliens est typique de ce modèle, de même que l'imitation de certaines caractéristiques héritées du manuel papier comme celle de la page et l'emploi d'une lettrine. D'autre part, l'emploi d'une police sans empattements et la numération des lignes favorisent une lecture rapide. Finalement, les fonctionnalités interactives offertes au lecteur font partie des formes-modèles pro-interventives mais nécessitent l'implication

99 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 121-122.

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corporelle de l'utilisateur. Dans ce sens, leur manipulation peut être aussi considérée comme une activité de nature immersive.

Du point de vue de la lecture immersive, l'outil « plein écran » a retenu particulièrement notre attention. Il se situe sur la barre du menu juste au-dessus du texte. En effet, il permet d'avoir le texte que nous avons déjà décrit au centre de l'écran, avec à ses contours, un bandeau très sombre. Nous y trouvons aussi six fonctionnalités, toutes de couleur blanche.

Figure 22. L'extrait du texte littéraire en mode plein écran sur le site du livrescolaire.fr, source : http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon/document/1171768

En fait, l'affichage en mode plein écran permet d'avoir simplement l'extrait littéraire sur une seule page présentant exactement la même structure qu'une page d'un codex. Les éléments externes au texte même, susceptibles de parasiter la lecture, sont très limités et d'une couleur neutre. Il n'y a donc plus d'images avec des couleurs plus ou moins vives, ni de menu externe, comme nous pouvons encore voir sur la figure 15. Cet agencement du texte par rapport à la page-écran produit, donc chez l'utilisateur, une lecture beaucoup plus immersive, qui s'apparente fortement à la lecture papier. En effet, le lecteur lit d'une manière linéaire. D'ailleurs, les numéros de ligne sont affichés à gauche, ce qui peut aider le lecteur à être plus concentré en ayant une vue rapide sur la longueur approximative du texte. Par contre, le lecteur ne peut pas être passif s'il veut lire l'ensemble de l'extrait, car

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celui-ci n'apparaît pas entièrement sur l'écran. En fait, le lecteur doit s'aider de la souris pour faire défiler la suite. Cela induit donc qu'il est actif lors de la lecture.

C. Rôle du lecteur - lecture guidée ou découverte ?

La lecture avec un manuel numérique ainsi que la place du lecteur dans ce contexte suscitent de nombreuses questions. En effet, avec l'apparition du numérique, le débat qui existe dans l'histoire de la littérature sur le rôle du lecteur a pris un nouveau tournant. Auparavant, les polémiques et les conceptions autour de ce sujet se construisaient toujours par rapport au livre papier, c'est-à-dire le codex. Les points de vue pouvaient être très tranchés comme au XXe siècle avec Paul Valéry et Roland Barthes. En effet, le premier avait une conception radicalement différente de la place du lecteur, par rapport à l'idée que s'en faisait le second. Valéry se représentait le lecteur comme un simple usufruitier de l'oeuvre alors que pour Barthes, il était responsable de son interprétation.100 Il y a donc deux visions qui s'affrontent, un rôle passif pour l'un et pour l'autre un rôle actif. En fait, notre analyse s'appuiera sur une conception bien plus actuelle, celle d'Alexandra Saemmer, qui porte sur les attentes du lecteur mais aussi sur le statut même du lecteur numérique et sur la manière dont l'évolution du manuel scolaire littéraire, dans le cadre du numérique pose de nouvelles questions sur la lecture.

a) Les attentes du lecteur

Comme nous l'avons vu précédemment, selon Alexandra Saemmer, tous les textes contiennent des annonces qui suscitent des attentes chez le lecteur. C'est donc le texte, avec ses caractéristiques, qui oriente celui-ci vers un certain point de vue. Quand il s'agit de la littérature didactique, le lecteur attend un contenu informationnel. Et lorsque l'on pense à un texte littéraire du manuel scolaire numérique, on imagine retrouver la même structure qu'un texte littéraire sur papier. Nous sommes naturellement conditionnés par ce que nous avons appris et avec quel matériel nous avons appris.

100 Thomas Vercruysse, Barthes et Valéry dans Revue Roland Barthes, Jeunes chercheurs, N?1, Juin 2014, http://www.roland-barthes.org/article_vercruysse.html.

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L'hyperlien est une des caractéristiques du texte numérique qui suscite chez le lecteur des attentes, même avant d'être activé. Celles-ci sont conditionnées par la façon dont ce lien est présenté sur la page-écran : par exemple le mot qui introduit le lien ainsi que le texte qui l'entoure ou qui explique son contenu. Dans notre manuel, les liens internes et externes sont présentés séparément, ce qui permet au lecteur de les distinguer facilement. Pour les liens externes, il est indiqué de quelle sorte de matériel il s'agit. Il est naturel que le contexte influence aussi les attentes. À titre d'exemple, dans un manuel scolaire ou un magazine scientifique, le lecteur attend de trouver des liens qui orientent vers des informations vérifiées.

Nous avons répertorié dans ce livre scolaire numérique 164 liens internes et 49 liens externes ainsi que deux liens externes qui ne fonctionnaient pas. Il est intéressant de voir que la majeure partie des liens sont internes et servent souvent à indiquer au lecteur d'autres extraits sur des thèmes similaires. Si nous analysons les liens internes en ayant recours à la typologie d'Alexandra Saemmer présentée dans la deuxième partie de ce travail, nous dénombrons 51 liens dialogiques et 113 informationnels. Dans le chapitre 3, nous trouvons par exemple, en connexion avec un texte de Martial du Ier siècle ap. J.-C, des hyperliens qui renvoient à des « punchlines », c'est-à-dire des phrases choc que l'on retrouve dans le milieu du rap. Nous avons classé ces liens dans la catégorie « dialogique » car ces phrases choc donnent une dimension tout à fait nouvelle au texte de Martial. De la même manière, la reproduction d'un tableau de Magritte intitulé Les amants hyperliée à l'extrait de Zadig ou la Destinée, peut être considérée comme dialogique parce qu'elle permet d'observer le sujet traité sous l'angle du surréalisme. En ce qui concerne les liens informationnels, les photographies associées aux extraits de Mémoire d'un rat de Pierre Chaine dans le chapitre 4 sont particulièrement intéressantes parce qu'elles apportent visuellement, des informations complémentaires sur la Grande guerre. Il y a aussi dans le chapitre 5, les photographies d'une représentation d'Antigone, la pièce de Jean Anouilh associées à la fois à ses extraits de texte mais aussi à ceux de l'Antigone de Sophocle.

Lorsque nous nous attardons sur les liens externes du manuel, nous constatons qu'il y a aussi des liens informationnels, au nombre de 33, comme dans le chapitre I avec l'extrait

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de texte intitulé Une houle vivante de Charles de Gaulle et une affiche de l'appel du 18 juin qui se trouve dans le manuel d'histoire géographie de troisième. En effet, il révèle au lecteur le contenu exact de cet appel historique. Nous retrouvons aussi un lien qui associe un extrait de Mémoire d'un rat de Pierre Chaine, cette fois-ci, à une vidéo qui explique ce qu'est un Poilu. De plus, le site Internet de la maison d'Anne Franck apporte une documentation complète associée à l'extrait de la jeune écrivaine. Il y a aussi des liens dialogiques, comme dans le chapitre 2, où un extrait de La Promesse de l'aube de Romain Gary est lié avec une vidéo de Evgeny Kissin jouant un passage du concerto La Campanella de Paganini mais aussi avec un autre texte de Romain Gary, qui est associé à un documentaire vidéo sur l'opération Walkyrie. En somme, une grande partie des liens sont informationnels, ce qui est tout à fait attendu dans un manuel scolaire.

b) Interactivité - réseaux sociaux et messages E-mail

Le site « lelivrescolaire.fr » permet au lecteur d'utiliser des fonctionnalités typiques du monde numérique. Dès la page d'accueil, il est proposé de s'inscrire gratuitement en fournissant une adresse E-mail et en créant un mot de passe. Cela permet de pouvoir paramétrer son propre compte, d'avoir de l'aide en ligne et d'avoir accès durant un temps limité au manuel en mode hors connexion. De plus, lorsque nous activons le mode plein écran d'un extrait de texte, nous voyons apparaître des boutons, dont l'un d'eux renvoie vers deux liens qui incitent au partage et à la lecture sociale. En effet, il est possible d'accéder de cette manière à Facebook et de laisser un commentaire sur sa propre page, et ainsi de pouvoir partager ces impressions mais aussi le texte avec ses amis. L'autre option oriente vers Twitter. La fonctionnalité est similaire, à la différence que la taille du message que le lecteur peut envoyer est au maximum de 140 caractères. En fait, le lecteur, avec ces deux réseaux sociaux, peut recommander un extrait de texte littéraire, comme par exemple le poème Soleils couchants de Victor Hugo.

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Figure 23. Capture d'écran d'une question posée à des amis sur le poème « Soleils couchants » de Victor Hugo sur ma page Facebook.

Une autre option est disponible pour le lecteur à partir du moment où il est inscrit sur « lelivrescolaire.fr ». Presque sur toutes les pages du site, il y a un lien Une question ? qui s'affiche en bas à droite de l'écran de couleur orange. Cette fonctionnalité offre l'opportunité de pouvoir poser n'importe quelle question en ligne concernant un texte littéraire à une personne travaillant pour lelivrescolaire. Ainsi, nous avons envoyé un message à 12h35 demandant où nous pourrions lire en ligne gratuitement des oeuvres d'Alexandre Dumas et nous avons reçu une réponse par E-mail à 17h58 de Pénélope nous informant que « Les oeuvres complètes d'Alexandre Dumas sont disponibles à l'achat en librairie ou sur Internet. Vous pouvez cependant les consulter et les emprunter gratuitement dans les bibliothèques. ».

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Figure 24. Deux captures d'écrans : à gauche question posée en ligne sur lelivrescolaire.fr et à droite réponse envoyée par Pénélope.

En fait, ce panel d'outils internes au site du manuel mais aussi externes dirigeant donc vers certains réseaux sociaux, donne l'opportunité au lecteur, d'être particulièrement actif. Il ne semble pas que ces possibilités distraient le lecteur lorsqu'il lit l'extrait d'un texte littéraire, car ces liens ne figurent pas dans le texte même et sont toujours soit en haut soit en bas de page. Plus particulièrement, les liens qui mènent à Facebook et Twitter ne dérangent pas la lecture grâce leur emplacement et leurs aspects visuels. D'ailleurs, il faut avoir une certaine pratique pour les trouver. Une personne habituée à fréquenter ce site endosse de cette manière un rôle à la fois de lecteur mais aussi d'utilisateur et contribue de cette manière à faire découvrir des oeuvres littéraires. Il devient donc une sorte de relayeur de la connaissance par le biais de ces réseaux sociaux.

c) Une certaine manière de guider le lecteur ?

Le lecteur de ce livre scolaire numérique a un choix très vaste d'extraits d'oeuvres littéraires, comme nous l'avons montré plus haut. Pourtant pour donner un exemple, il n'y a aucun texte du Moyen-Age et la Renaissance est très peu présente. En fait, il n'y a aucun texte du IIe siècle jusqu'au XVe après J.-C., le manuel se concentre essentiellement sur des périodes beaucoup plus récentes allant du XIXe siècle jusqu'à nos jours. En effet, ce manuel numérique doit respecter le programme scolaire pour les élèves de 3ème. Il inclut aussi certaines thématiques comme le lyrisme, l'autobiographie ou encore la tragédie. Un certain nombre de mouvements littéraires n'y figurent pas, comme la

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comédie, le réalisme ou l'existentialisme. En ce sens, le livre scolaire numérique que nous avons étudié ne se distingue pas des manuels scolaires imprimés. Nous avons aussi constaté, compte tenu de l'apparence de la page-écran, que la priorité a été mise sur la place qu'occupe le texte littéraire par rapport aux images, à la différence du manuel papier. Ainsi, sur la double page 26-27 du manuel imprimé, nous pouvons distinguer l'image mais aussi d'autres zones qui ne font pas partie du texte alors que dans la version numérique le texte occupe presque la totalité de la page écran, l'image est minuscule et les liens sont en tout petits. Cela est particulièrement intéressant car cet exemple contredit l'idée reçu que le multimédia privilégierait l'image par rapport au texte.

Figure 25. Deux captures d'écrans : à gauche double page du manuel imprimé, source : lelivrescolaire.fr et à droite la page écran qui est l'équivalent de la double page précitée, source : lelivrescolaire.fr.

En fait, le lecteur est guidé, car la plupart des liens qui lui sont proposés sont internes au manuel. Pour ceux qui renvoient à des sites extérieurs, comme YouTube, wikisource.org ou bien encore Ina.fr, ils orientent le lecteur sur des pages gratuites en ligne. Il n'y a aucun site de référence en lien dans le manuel qui soit payant, comme l'Encyclopedia universalis ou les Classiques Garnier numérique. De plus, les liens externes ont la particularité de ne pas toujours être stables : il faut donc les contrôler régulièrement. D'ailleurs, nous avons trouvé deux liens qui posent problème. En effet, dans le chapitre 5 consacré à Antigone, un extrait de la version de Brecht est proposé mais lorsque l'on clique sur le lien, il ne fonctionne pas. Il y a aussi dans le même chapitre un lien vers une vidéo, toujours sur le thème d'Antigone, qui dirige le lecteur vers TV5MONDE mais la séquence n'apparaît pas à l'écran. Les liens dirigeant vers des réseaux sociaux prouvent que les concepteurs du manuel numérique se sont concentrés sur Facebook et Twitter. Ils n'ont pas mis en lien des sites français tels que Skyrock.com, qui permettent aussi d'échanger en créant

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des blogs gratuitement. L'image de la chaîne de radio n'est sans doute pas idéale dans l'optique d'un site de manuel scolaire en ligne. Le fait de pouvoir aussi poser des questions dans le site du manuel montre que l'utilisateur se trouve dans une position d'attente par rapport à une forme de tutorat. De plus la réponse apportée par cette personne influence naturellement le lecteur. Il est à noter, que ce manuel numérique littéraire tire sa légitimé du fait que sa conception a été faite autour d'une grande collaboration de professeurs comme le souligne Marie-Astrid Deweerdt. Ainsi, chaque chapitre est créé par un groupe d'auteur dont leur travail est revu par une communauté de professeur dans toute la France et coordonné par les directeurs d'ouvrages. Cette manière de faire permet de prendre en compte les idées mais aussi les besoins des professeurs101. D'ailleurs, les auteurs de notre manuel numérique figurent sur une double page au début du livre scolaire. Il y a notamment 19 auteurs de littérature ainsi que 77 co-auteur disciplinaires et la liste de tous les professeurs qui ont participé à la création de ce manuel réparti dans leurs 28 académies respectives. Les contenus et les liens qui sont dans notre manuel guident le lecteur dans le sens pédagogique que veulent les auteurs mais ils ne ferment pas pour autant la possibilité de pouvoir découvrir des textes, des vidéos ainsi que des images qui ne sont pas dans le programme de 3ème, ce manuel numérique est donc un « accès » aussi à la culture qui dépasse le cadre purement scolaire. En effet, lorsque l'utilisateur se retrouve sur des sites externes où il y a entre autre des vidéos, images, de la musique audio ou des textes littéraires, rien ne l'empêche de pouvoir cliquer sur des liens de ces sites pour prolonger la découverte d'une oeuvre comme avec le Crépuscule du soir de Baudelaire En effet, sur la page Wikisource, il est aussi possible d'aller vers d'autres oeuvres du même auteur par le biais des liens suivants : La Solitude ainsi que Les Tentations, ou Eros, Plutus ou la Gloire. En fait, le lecteur est dans un schéma de lecture et de découverte encadré jusqu'à un certain point. C'est ce qui distingue aussi le manuel numérique du manuel papier car il est tout de même possible de découvrir d'autres oeuvres en ligne alors qu'avec un manuel papier cela est impossible. En effet, il faut se déplacer dans une bibliothèque ou bien l'acheter en librairie, mais dans ce cas, la part de surprise qui est inhérente au mot « découverte » a disparu alors qu'avec le Web elle est toujours bel et bien présente.

101 Emilie Blanchard, Des manuels scolaires collaboratifs coécrits par 400 professeurs, Association EPI, Juin 2016.

https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1606d.htm

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Conclusion

Le concept du manuel numérique englobe des réalisations très différentes, partant de simples pdf à des manuels plus innovants, comme le manuel que nous avons étudié en détail. Pourtant, ce manuel numérique littéraire semble être resté très ancré à son modèle papier. À titre d'exemple, les versions papier et numérique de notre manuel contiennent exactement les mêmes extraits de textes, même si rien n'empêcherait d'inclure des matériaux supplémentaires dans la version numérique. De plus, le modèle papier semble celui auquel on se réfère, même dans la version numérique, en indiquant par exemple les numéros de pages du manuel imprimé. Pourtant, si les contenus des versions imprimée et numérique sont exactement les mêmes, il y a d'autres différences qui influencent la lecture.

Les théories de lecture que nous avons étudiées montrent que la lecture numérique est différente de la lecture traditionnelle papier. L'étude de notre manuel numérique révèle aussi que ses auteurs ont bien pris soin d'assurer pour le lecteur, qui s'avère avoir aussi un rôle d'utilisateur, une expérience de lecture la plus agréable et « profonde » possible. Les textes sont présentés de telle manière sur la page-écran qu'il est facile de se concentrer sur le contenu, car il y a très peu de facteurs dérangeants comme par exemple des liens qui pourraient parasiter la lecture. La présentation du texte s'apparente tout à fait à la page à celle d'un livre imprimé. La version numérique permet aussi de prendre en compte certains besoins individuels du lecteur, comme les problèmes de lecture ou de vue. Si un des buts du manuel scolaire littéraire est de donner envie de lire et de découvrir la littérature, il est évident que le manuel numérique est de loin supérieur au manuel papier, car il donne un accès très facile à d'autres textes, oeuvres et informations disponibles sur Internet. Grâce à des réseaux sociaux, la lecture devient également une activité sociale, donc de partage. Le lecteur a l'opportunité avec tous ces outils à sa disposition, d'être actif, à la différence d'un lecteur qui lit à l'aide d'un manuel papier, et qui peut plus facilement s'enfermer dans une certaine passivité.

Un autre aspect est particulièrement important. En effet, le manuel numérique se base, comme le livre papier sur une lecture guidée, car l'auteur ou les auteurs essayent d'emmener le lecteur dans une certaine direction. Par contre, les liens et hyperliens donnent l'occasion au lecteur de pouvoir découvrir beaucoup plus d'informations, grâce

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à Internet, qu'avec un manuel papier. En effet, il suffit de cliquer sur le lien qui renvoie sur une vidéo résumant la vie d'Anne Frank pour accéder au site entier du Grenier de Sarah, où il est possible de visionner dix autres vidéos. Les possibilités sont donc plus nombreuses et immédiates, car si un lecteur veut avoir plus d'informations après avoir lu un texte dans un manuel papier, il doit obligatoirement recourir à d'autres moyens, comme se déplacer dans une bibliothèque, faire des recherches sur Internet ou bien encore poser des questions à son professeur.

En définitive, le manuel scolaire numérique marque une forte évolution par rapport à son modèle papier, même si, du point de vue de son contenu, il est une simple reproduction dématérialisée du modèle papier. En effet, il se base sur le modèle du livre papier, qui a déjà une histoire depuis maintenant des siècles. C'est pour cela qu'il est plus juste, pour parler des manuels numériques littéraires, de les envisager non pas comme une révolution par rapport au manuel papier en général mais plutôt comme une évolution des pratiques de découverte des extraits d'oeuvres où le lecteur n'utilise plus simplement sa vue et le simple geste de tourner des pages comme dans une lecture linéaire, mais bel et bien comme une activité qui nécessite une plus grande contribution du corps mais aussi une certaine concentration pour savoir où trouver l'information que l'on recherche. Le lecteur n'est donc plus bercé par le texte, il doit être actif pour pouvoir appréhender le texte qu'il lit avec toutes les nouvelles possibilités qui lui sont offertes grâce à la lecture numérique. Le manuel numérique littéraire se révèle, en tant que tel, être un outil mais aussi un livre formidable pour découvrir des textes qui transportent le lecteur vers un imaginaire qui remonte à la nuit des temps.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire