UNIVERSITE PARIS III - SORBONNE NOUVELLE
UFR LLD - Département de littérature et
linguistique françaises et latines
Le manuel numérique - une nouvelle manière
de
découvrir un texte littéraire ?
Mémoire préparé sous la direction de M.
Michel Bernard
Par
Romain Pinoteau
Année universitaire 2016-2017
Numéro étudiant : 20862750
Jokisuunpolku 2 A 6, 00560, Helsinki, Finlande
romain.pinoteau@laposte.net
2
TABLE DE MATIÈRES
Introduction 4
I. Le manuel numérique littéraire en France 6
A. Définition du manuel scolaire 6
a) Typologies des manuels 8
a) L'évolution historique 10
b) L'ère du numérique 16
B. Le paysage éditorial 17
a) Éditeurs du secteur numérique 18
b) Une offre particulièrement riche 19
c) Un marché en plein essor 20
C. Utilisation et effets des manuels numériques 22
a) Des effets contrastés sur la santé 22
b) Des possibilités d'utilisation multiples 25
c) Le manuel numérique en 2017 : un véritable
succès 27
II. Les manuels numériques du point de vue du lecteur
30
A. Débats sur la lecture numérique 30
a) La lecture numérique, une non-lecture ? 30
b) La lecture dynamique - une vision positive 32
c) Vers une théorie de la lecture numérique 34
B. Nature de la lecture numérique 35
a) L'hypertexte et l'hyperlecture 36
b) L'hyperlien - l'essence du texte numérique 38
c) Interactivité et facteurs matériels 40
C. Différences entre la lecture sur papier et
numérique 42
a) Les réactions du cerveau face à la lecture
classique et numérique 42
b) Différentes stratégies et rythmes de lecture
44
c) Compétences technologiques 46
III. Étude de quelques aspects pratiques du manuel
numérique 48
A. Les textes littéraires et matériels
hyperliés 49
a) Les textes littéraires figurant dans le manuel 49
b) Les liens internes - une autre manière de poursuivre
la découverte 51
3
c) Les liens externes - une ouverture sur le monde 53
B. Présentation de la page-écran 55
a) Mise en page et matérialités 56
b) Fonctionnalités permettant la manipulation 58
c) La possibilité d'une lecture plus immersive 60
C. Rôle du lecteur - lecture guidée ou
découverte ? 62
a) Les attentes du lecteur 62
b) Interactivité - réseaux sociaux et messages
E-mail 64
c) Une certaine manière de guider le lecteur ? 66
Conclusion 69
4
Introduction
« Lire, c'est partir à la découverte
d'un univers, c'est aussi partir à la rencontre de celui qu'on est.
» Cette citation de Claire Genoux illustre parfaitement la rencontre
unique entre le lecteur et le texte lors d'une première lecture, qui
contribue à nous faire ce que nous sommes. Il existe dans le monde de
l'éducation un outil extraordinaire pour la découverte de textes
littéraires destiné à notre jeunesse qui, lorsque nous y
réfléchissons, constitue à bien des égards, la
première étape de la découverte d'une oeuvre ou d'un
auteur. Qui n'a pas feuilleté par simple curiosité un manuel
portant sur la littérature et lu un extrait qu'il ne connaissait pas
lorsque nous étions Collégien ? En effet, le manuel scolaire
n'est pas simplement un ouvrage d'apprentissage, il est aussi, et tout
particulièrement en ce qui concerne le manuel scolaire
littéraire, une ouverture extraordinaire sur le monde de la
littérature mais qu'en est-il actuellement avec l'arrivée du
numérique dans notre société et plus
particulièrement à l'École ? La place des manuels
numériques littéraires n'est pour l'instant pas très
importante par rapport à celle du format papier. Pourtant lorsque nous
regardons dans le détail son expansion au fil des ans, elle prend de
plus en plus d'ampleur bien plus rapidement que la diffusion des premiers
livres imprimés au temps de la Renaissance. Durant des siècles,
l'École s'est appuyée pour diffuser le savoir sur les manuels
scolaires qui sont à l'heure actuelle en plein bouleversement avec le
numérique. En effet, depuis les années 2000, l'État
investit d'une manière massive aussi bien dans le matériel
informatique que dans les ressources pédagogiques numériques et
il est devenu, en 2016, un acteur majeur dans le domaine des manuels
numériques, pour la première fois dans l'histoire de notre pays,
face aux diverses maisons d'édition privées, qui
jusque-là, étaient toutes puissantes dans ce secteur. De
nouvelles questions se posent donc et portent notamment sur l'évolution
de la lecture, qui est un des socles de tout enseignement dans
l'éducation occidentale. Le modèle de lecture appris par les
élèves repose encore sur d'anciennes règles et s'appuie
toujours sur le livre papier.1 D'ailleurs, la lecture sur les
écrans n'est pas encore prise en compte lors de son apprentissage. De
plus, il y a un aspect qui nous semble primordial concernant le manuel
numérique littéraire, qui relève de la découverte
d'un texte littéraire et que nous allons tenter d'analyser : quel est
l'impact du numérique dans la découverte d'un extrait de texte
littéraire et en quoi, si celui-ci existe, fait-il une différence
avec la lecture du même extrait sur un manuel papier ? Nous nous
1 Claire BELISLE, (dir.). Lire dans un monde
numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, pp.
75-76.
5
attarderons donc sur cette question, qui porte aussi sur
l'aspect littéraire des manuels numériques. Nous commencerons par
montrer en quoi le manuel scolaire n'est pas simplement un ouvrage
destiné à l'apprentissage et nous verrons comment celui-ci
s'inscrit dans l'histoire depuis le XVe siècle en montrant
les diverses définitions qui le caractérisent et en nous
attardant sur les événements qui ont jalonné son histoire.
De plus, nous verrons de quelle manière il occupe une place unique dans
le monde de l'édition, de par sa propre définition mais aussi
dans le cadre du paysage éditorial des manuels scolaires. Nous
montrerons aussi que le manuel numérique pose de nouvelles questions en
présentant les termes du débat sur son utilité. Pour
finir, nous analyserons en détail un manuel numérique de
collège mis à disposition en ligne par le
livrescolaire.fr afin de mettre en
évidence, de manière plus précise, comment il permet la
découverte d'un texte littéraire.
6
I. Le manuel numérique littéraire en
France
Les manuels numériques littéraires entrent dans
le champ des manuels scolaires, et par conséquent, nous devons, pour les
définir, nous demander ce qu'est un manuel scolaire et comment il a
évolué au cours de l'histoire. Il reste aussi à savoir
comment le manuel numérique se différencie par rapport au manuel
classique. Nous présenterons donc plusieurs définitions pour
discerner les multiples aspects du manuel numérique. L'entrée du
numérique dans l'Ecole est une véritable révolution car
elle entraîne depuis maintenant une vingtaine d'années de
nouvelles pratiques qu'il convient d'analyser dans toute leur globalité
pour mieux cerner le bouleversement du paysage éditorial et
l'utilisation des livres scolaires en France.
A. Définition du manuel scolaire
En premier lieu, d'un point de vue législatif, le
statut des manuels scolaires actuel dépend de l'Article 1 du
Décret n°2004-922 du 31 août 2004 relatif au prix du livre
scolaire, où le livre scolaire est défini d'une façon
générale. Comme nous pouvons le constater, même si cette
définition n'a pas évolué depuis 1981, elle est aussi
applicable aux manuels numériques :
Sont considérés comme livres scolaires, au sens
de l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi du 10 août 1981
susvisée, les manuels et leur mode d'emploi, ainsi que les cahiers
d'exercices et de travaux pratiques qui les complètent ou les ensembles
de fiches qui s'y substituent, régulièrement utilisés dans
le cadre de l'enseignement primaire, secondaire et préparatoire aux
grandes écoles, ainsi que des formations au brevet de technicien
supérieur, et conçus pour répondre à un programme
préalablement défini ou agréé par les ministres
concernés2.
Un deuxième texte officiel en date du 14 mars 1986,
émanant du Ministère de l'Éducation nationale, de
l'Enseignement supérieur et de la Recherche, montre un aspect
particulièrement important du point de vue de la définition du
livre scolaire et porte sur sa valeur pour le collège : « Le manuel
est aussi un livre, un instrument de référence, un
2 Journal Officiel, 2 septembre 2004
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=898749E2E0E0F5D83626F4CA414294
1F.tpdila08v_1?idArticle=JORFARTI000002058410&cidTexte=JORFTEXT000000445213&dateTexte=
29990101&categorieLien=id
7
moyen d'accès à la culture »3.
Les professeurs et bibliothécaires-documentalistes sont également
encouragés à mettre en valeur le manuel scolaire comme un livre
que l'élève a plaisir à lire et à posséder,
même si ce n'est que provisoirement. Il est notamment
précisé que le livre scolaire doit être utilisé,
comme d'autres ouvrages dans le cadre du développement de la lecture.
Selon Jean-Pierre Villain4, inspecteur général de
l'Éducation nationale, le manuel scolaire est un outil structurant pour
l'élève car il permet de comprendre la nature d'un savoir en
apprenant par exemple à le distinguer d'une opinion. De plus, il sert
à montrer la valeur variable et la multiplicité des sources
d'information.
Quant au manuel numérique, il est notamment
défini dans le cadre d'une expérimentation faite dans 64
collèges et environ 320 classes de 6ème par le
Ministère de l'Éducation nationale en 2009 :
C'est un manuel dématérialisé que l'on
utilise avec un ordinateur. Il est vu sur l'écran ou projeté en
classe avec un vidéoprojecteur. En plus des textes et images que l'on
trouve dans le manuel papier, le manuel numérique peut proposer des
documents sonores, des animations ou des vidéos.5
Nous verrons que cette définition ne recouvre pas
entièrement la réalité d'aujourd'hui, compte tenu de
l'évolution des nouvelles technologies. En effet, un rapport fait en
2010 et adressé au Ministre de l'Éducation nationale
précise que le manuel numérique est lié à une
multiplicité de supports, qu'il est un produit hybride et
essentiellement interactif et n'est pas un objet mais un service dont la valeur
se développe par son usage6.
3 Note de service n° 86-133 du 14 mars 1986
relative aux manuels scolaires de collèges
http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/cadre-reglementaire.
4 Colloque " Ecole, où sont
passés tes livres ? : Enjeux d'apprentissage, enjeux
d'égalité "- 16/05/03,
http://www.savoirlivre.com/manuels-scolaires/tous-gagnants.php?page=1.
5 Site éduscol de l'Éducation
nationale,
http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/notions.
6 Le manuel scolaire à l'heure du
numérique, Une « nouvelle donne » de la politique des
ressources pour l'enseignement, Inspection générale de
l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche, Rapport
n° 2010-087 JUILLET 2010
http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/telechargement/rapport-ig-manuels-scolaires-2010.pdf
8
En comparant ces définitions, nous pouvons voir que la
plus grande différence entre les divers supports est que le contenu
numérique est dématérialisé et que son utilisation
nécessite donc une machine électronique programmable. En effet,
comme le souligne Alain Choppin, le livre scolaire est avant tout un objet
à part entière7. Il est constitué de feuilles
qui forment un ouvrage dévolu à un seul emploi. Il n'en va pas de
même pour le livre scolaire numérique car celui-ci ne se retrouve
pas dans un seul objet. En effet, il peut être consulté par le
biais d'un écran d'ordinateur, de portable, de tablette ou de
téléphone portable mais aussi vu sur l'écran d'un
téléviseur. En fait, le contenu peut toujours être le
même, avec des dispositifs de consultation forts différents. Les
possibilités qu'offre le livre scolaire numérique, de ce fait,
sont donc bien plus diverses que celles d'un livre scolaire papier. Quant aux
objectifs fixés pour les manuels scolaires, ils semblent applicables aux
deux types de manuels, qu'ils soient en version papier ou numérique. De
plus, il est à noter que le manuel numérique entre dans le cadre
de l'apprentissage de nouvelles technologies et des moyens actuels de
communication. Le manuel numérique s'inscrit donc pleinement dans
l'actualité.
a) Typologies des manuels
Afin de mieux comprendre toutes les dimensions du livre
scolaire, il est nécessaire de s'attarder sur certaines typologies qui
ont été proposées sur la question. Ainsi, Pascale Shlegel
Gossin nous en présente quatre exemples dans le tableau 18
:
7 Alain Choppin. L'histoire des manuels
scolaires. Une approche globale. Dans : Histoire de l'éducation, n°
9, 1980, p.1. DOI : 10.3406/hedu.1980.1017
www.persee.fr/doc/hedu
0221-6280 1980 num 9 1 1017
8 Pascale Schlegel Gossin, Du manuel papier au
manuel numérique enjeux et perspectives : Etude des inférences en
recherche d'information, Thèse de doctorat : Sciences de
l'information et de la communication : Mulhouse : 2005, p. 136-137.
9
Tableau 1. Typologies des manuels selon Pascale Shlegel
Gossin 9
Patrice Quéréel
|
Il publie en 1982 Au feu les manuels où il
distingue, jusqu'aux années 80, trois grands types de manuels :
1) le manuel d'auteur, héritier des Aventures de
Télémaque de Fénelon
2) le manuel par extraits de textes
3) les manuels par « documents vrais ». Les extraits
ne sont pas des textes d'auteurs.
|
François Richaudeau
|
Il publie en 1979 Conception et production des manuels
scolaires : Guide pratique. Un ouvrage de référence pour les
concepteurs de manuels. Il explique qu'il y a aussi trois types de manuels mais
lui se réfère au point de vue des auteurs :
1) le point de vue scientifique
2) le point de vue pédagogique
3) le point de vue institutionnel.
|
Alain Choppin
|
Il esquisse en 1999 une typologie qu'il destine aux ouvrages
publiés durant la IIIe République et qui paraît
toujours très actuelle, en distinguant :
1) le modèle catéchétique : structure
qui repose sur le concept de question - réponse et sur une
pédagogie fondée principalement sur la mémorisation.
2) le modèle apologétique : leçons dans
le but d'une édification naguère religieuse puis morale
3) le modèle juridique : des manuels qui s'apparentent
à des codes juridiques par leurs formes comme l'impersonnalité
du ton et/ou la rigueur du classement
4) le modèle encyclopédique
5) le modèle attrayant avec comme outil : le jeu
6) le roman scolaire.
|
Michèle Métoudi et Marie-Françoise
Audouard
|
Elles publient en 1999, De Charybde en manuel ou de manuel
en Scylla ? où elles établissent une typologie critique en
trois points :
1) le manuel bateau-pilote qui entrave toute liberté,
appelé : Charybde
2) le manuel révélateur de difficultés
théoriques, baptisé : Scylla
3) le manuel pirate d'identité professionnelle, un
véritable Maelström.
|
Ce tableau montre que le livre scolaire peut aussi se
définir par rapport à des modèles très divers :
tout dépend des objectifs du concepteur du manuel. En effet, la
réflexion de Quéréel porte sur des types d'écriture
alors que Richaudeau se concentre sur des objectifs
9 Ibid.
10
pédagogiques. Quant à Choppin, il
s'intéresse aux formes d'écriture tandis que Métoudi et
Audouard sont bien plus polémiques. Parmi ces typologies, celles de
Quéréel et de Choppin prennent en compte le manuel
littéraire comme un genre spécifique.
a) L'évolution historique
Une mise en perspective historique est nécessaire afin
de mieux comprendre le manuel numérique d'aujourd'hui, même si des
aspects de certaines typologies présentées dans le tableau 1 ne
correspondent plus à aucun manuel contemporain, comme le manuel fait
selon le modèle apologétique ou le manuel d'auteur. Il nous faut
donc remonter au XVe siècle pour trouver les Lettres de
Gasparin de Pergame. Ce recueil, un modèle de style en latin
destiné à la jeunesse, est imprimé en 1470 dans les
ateliers de la Sorbonne. Il est considéré comme le premier livre
scolaire publié en France 10.
Figure 1. Extrait des Lettres de Gasparin de
Pergame, source :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8602971b/f15.image.
10 Alain Choppin. « L'histoire des
manuels scolaires. Une approche globale ». Histoire de l'éducation,
n° 9, 1980, p. 3. DOI : 10.3406/
hedu.1980.1017.
www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1980_num_9_1_1017
Durant des siècles, jusqu'à la Révolution
de 1789, la notion de livre scolaire n'est pas vraiment
déterminée et demeure complexe. En fait, l'enseignement à
l'époque, est individuel et repose sur une logique de transmission des
savoirs essentiellement assurée par l'Eglise11. Louis XIV,
par son ordonnance du 13 décembre 169812, oblige les parents
à envoyer leurs enfants dans des écoles paroissiales pour
recevoir une instruction de base afin qu'ils sachent lire, écrire et
compter. Pourtant, cette instruction aura des effets très disparates car
les parents doivent payer intégralement l'école de leurs enfants.
Le principe d'égalité n'existe pas encore, c'est pourquoi seule
une petite partie de la population, la plus privilégiée, a
accès à une instruction de qualité. De plus, les ouvrages
qui entrent dans le champ scolaire sont plus ou moins utilisés, au bon
vouloir de ceux qui enseignent. Le livre de Fénelon intitulé
Les Aventures de Télémaque, publié en 1699, en
est le parfait exemple. D'ailleurs ce roman est, par certains aspects, aussi un
livre scolaire car l'auteur associe au récit d'aventure une dimension
didactique portant sur la morale et la politique.13 En effet,
Fénelon écrit son ouvrage pour ses élèves, qui sont
en l'occurrence de sang royal et, plus précisément, pour le duc
de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, dont il est le précepteur.
11
11 Ibid.
12 Déclaration du roi en date du 16 octobre
1700 faite à Fontainebleau qui confirme l'article X de la
déclaration royale du 13 décembre 1698.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86225273/f3.image
13 Christian Biet, « LES AVENTURES DE
TÉLÉMAQUE, livre de F. de Fénelon ». In Universalis
éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le
12 juin 2017. Disponible sur
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/les-aventures-de-telemaque/
12
Figure 2. Extraits de « Les Aventures de
Télémaque » de Fénelon, source :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10401634/f9.image
et
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10401634/f13.item.zoom.
Le XVIIIe siècle voit apparaître de
nouvelles idées pédagogiques avec les Lumières.
C'est à partir de ce moment que certains livres commencent à
prendre de l'importance dans l'acte éducatif. D'ailleurs, Rousseau est
très critique envers cet enseignement dans l'Émile
(publié en 1762), son traité de l'éducation,
où il livre sa pensée sur le sujet en la résumant d'une
phrase : « Je hais les livres. Ils n'apprennent rien qu'à parler de
ce qu'on ne sait pas »14.
14 Jean-Jacques Rousseau, Émile,
volume II, manuscrit, date d'édition : 1701-1800.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8447157g/f80.item
13
En fait, il faut attendre jusqu'en 1791, durant la
Révolution, avec une intervention de Talleyrand devant
l'Assemblée constituante, pour que le livre scolaire soit défini
pour la première fois :
« Il faut, en un mot, que des livres
élémentaires, clairs, précis, méthodiques,
répandus avec profusion, rendent universellement familières
toutes les vérités, et épargnent d'inutiles efforts pour
les apprendre. De tels livres sont de grands bienfaits : la Nation ne peut ni
trop les encourager, ni trop les récompenser. » 15.
Les articles Ier et IIe du décret
« Bouquier » daté du 19 décembre 1793 officialisent la
volonté de la Convention nationale qu'il lui soit présenté
des livres pour former les citoyens ainsi que l'obligation pour les enseignants
de les utiliser exclusivement. Durant la même année, sept ouvrages
sont adoptés comme livres officiels de la République, ce qui est
une exception dans l'histoire de France. En effet, selon Alain Choppin, «
pour des raisons diverses, ils eurent peu de succès et malgré
quelques tentatives ultérieures, le principe de la composition de livres
officiels ne connut plus jamais d'application en France : l'élaboration
des livres scolaires resta donc du ressort de l'initiative privée
»16. Ledit décret est d'ailleurs annulé en 1796.
Dès 1799, avec le Consulat, l'État exerce un contrôle sur
les livres scolaires par le biais de commissions dont l'autorisation est rendue
nécessaire par le pouvoir en place. Depuis la Révolution, le
nombre des titres nouveaux ou des éditions nouvelles d'ouvrages
scolaires est de l'ordre d'une centaine de milliers, concernant toutes les
disciplines et tous les niveaux à l'exception de l'enseignement
supérieur17. De fait, cela montre, que depuis des
siècles, le manuel scolaire se révèle être un outil
irremplaçable pour la découverte de textes littéraires
grâce aux très grand nombre de livres divers qui ont
été publiés et ils constituent donc un éventail
impressionnant d'un point de vue culturel.
La IIIe République, qui s'étend de
1870 à 1940, est une période particulièrement riche pour
l'édition de manuels de lecture mais aussi portant sur la
littérature. D'ailleurs,
15 Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.
Rapport sur l'instruction publique fait au nom du Comité de
Constitution, les 10, 11 et 19 septembre 1791. Paris, 1791, p. 115.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49002n/f119.image.r=Maurice+de+Talleyrand-P%C3%A9rigord+Rapport+sur+l'Instruction+Publique.langFR
16 Alain Choppin. L'histoire des manuels
scolaires. Une approche globale. Dans : Histoire de l'éducation, n°
9, 1980, p. 6. DOI : 10.3406/hedu.1980.1017
17 Ibid. p. 9.
14
apparaît à cette époque, le roman scolaire
qui se situe entre pédagogie et littérature. Ces ouvrages sont
constitués d'un récit avec des personnages récurrents qui
évoluent au fil de l'histoire ainsi qu'accompagné de
matériel pédagogique. En effet, sous l'impulsion de Jules Ferry,
auteur des principales lois sur l'enseignement de cette République,
l'État rétablit en 1881 l'instruction obligatoire et gratuite qui
avait été instaurée en 1793 par la Ière
République. D'ailleurs, c'est à partir de 1880 que l'État
renonce à exercer un contrôle sur le livre scolaire, avec une
réelle liberté de choix pour les enseignants. Il faut donc une
production massive de livres scolaires pour répondre à la
nouvelle politique éducative du pays. De ce fait, le paysage
éditorial des manuels scolaires est en plein effervescence, avec
l'arrivée de plusieurs éditeurs dans ce secteur. La maison
d'édition Belin développe son offre de manuel scolaire à
partir de 1850 et 1865 pour Charles Delagrave. Quant à Alexandre Hatier,
il se spécialise dans l'enseignement de la lecture et de
l'écriture à partir de 1880. Fernand Nathan assure le
développement et la rénovation de l'enseignement primaire en 1881
en publiant ses manuels scolaires, et la maison d'édition Didier est
créée en 189818. Un de ces manuels de lecture est
particulièrement intéressant car il réunit les trois
conceptions de l'époque, à savoir : 1) un modèle
encyclopédique constitué de lectures instructives, 2) un
modèle éducatif avec des récits moralisants et 3) un
modèle culturel fait de textes littéraires. Il s'agit du Tour
de la France par deux enfants, publié en 1877 par les
éditions Belin, qui connaît un grand succès grâce
à la conciliation de ces trois modèles.19
18 Site Savoir livre
http://www.savoirlivre.com/manuels-scolaires/tradition-republicaine.php?page=1.
19 Pascale Schlegel Gossin, Du manuel papier au
manuel numérique enjeux et perspectives : Etude des inférences en
recherche d'information, Thèse de doctorat : Sciences de
l'information et de la communication : Mulhouse : 2005, p. 163.
15
Figure 3. Extrait du Tour de la France par deux
enfants de G. Bruno, source : Gallica, Bibliothèque Nationale
de France
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102640z/f6.image.
On peut se rendre compte de l'évolution du livre
scolaire littéraire à la fin de la IIIe
République en consultant par exemple un ouvrage intitulé Une
semaine avec... de Marcel Berry, publié en 1938, qui
présente une structure différente des précédents
exemples. Il s'apparente aux manuels actuels avec un extrait d'un texte
littéraire toujours suivi d'une compréhension de texte qui
relève de l'extrait et finit par divers exercices. Le livre est
composé de 41 chapitres :
Tableau 2. Table des matières du manuel « Une
semaine avec... »
01 - Mythologie grecque : Le Minotaure
02 - Homère : L'Odyssée
03 - Théâtre du Moyen-Âge : Farce de
maître Pathelin
04 - Poète épique du Moyen Age : Jean de
Paris
05 - Fabliau du Moyen-Âge : Le Roman de Renard
06 - François Rabelais : Gargantua et
Pantagruel
07 - Miguel de Cervantès : Don Quichotte
08 - Molière : L'Avare
09 - Charles Perrault : Peau d'Âne
10 - Jean Racine : Les Plaideurs
11 - Lesage : Gil Blas de Santillane
12 - Voltaire : Candide
13 - Stendhal : La Chartreuse de Parme
14 - Les frères Grimm : Le petit Tailleur
15 - Eugène Scribe : L'Ours et le Pacha
16 - Alfred de Vigny : Cinq-Mars
17 - Victor Hugo : Les Misérables
18 - Alexandre Dumas : La Bouillie de la Comtesse
Berthe
19 - George Sand : Le Péché de Monsieur
Antoine
20 - Hans Andersen : Les deux Claus
21 - Prosper Mérimée : La Chronique du
règne de Charles IX
|
22 - Alfred de Musset : Pierre et Camille
23 - Théophile Gautier : Le Capitaine Fracasse
24 - Eugène Labiche : Le Voyage de Monsieur
Perrichon
25 - Gustave Flaubert : Le Perroquet
26 - Erckmann-Chatrian : Histoire d'un conscrit de
1813
27 - Edmond About : Le Roi des Montagnes
28 - Jules Verne : Voyage au centre de la Terre
29 - Hector Malot : Romain Kalbris
30 - André Theuriet : La Princesse verte
31 - Alphonse Daudet : Tartarin sur les Alpes
32 - Paul Arène : Les Haricots de Pitalugue
33 - Anatole France : La Vie en fleur
34 - Jean Aicard : Maurin des Maures
35 - Guy de Maupassant : Le Parapluie
36 - Pierre Loti : Pêcheur d'Islande
37 - Jules Renard : OEuvres de Jules Renard
38 - Rudyard Kipling : Le Livre de la Jungle
39 - Jean et Jérôme Tharaud : La
Randonnée de Samba Diouf
40 - Pierre Benoit : L'Atlantide
41 - Poètes de langue française
|
16
Figure 4. Aperçu de la présentation des
Misérables de Victor Hugo dans le livre scolaire « Une semaine
avec... », source :
https://manuelsanciens.blogspot.fi/2012/04/les-miserables-victor-hugo-marcel-berry.html
b) L'ère du numérique
L'année 1986 marque les prémices d'un
bouleversement dans le monde scolaire. En effet, l'entreprise Apple
propose au Ministère de la Recherche un projet afin de tester un «
cartable électronique » qui est défini comme un espace
numérique destiné à l'enseignant et à
l'élève, mais malgré un intérêt réel,
le projet n'aura pas de suite. En fait, l'entrée du numérique
à l'École date de 1991, avec une première
expérience dans deux lycées, l'un à Haguenau, l'autre
à Marseille et d'un collège à Montmorillon, où des
élèves utilisent durant quatre ans des contenus
dématérialisés ainsi que de nombreux logiciels à
l'aide d'ordinateurs portables. En 1994, l'expérience va plus loin
encore, car certains ordinateurs portables sont connectés en
réseau. Il faut attendre septembre 2001 pour voir apparaître le
tout premier manuel numérique nommé « i-m@nuel »
développé par Editronics Education. Il s'agit d'un manuel
scolaire papier ainsi que d'un site internet reprenant les mêmes textes
que celui-ci, enrichi d'un ensemble de ressources
17
pédagogiques. Il est testé dans 48
établissements répartis dans 17 académies
différentes20. L'année 2016 marque un véritable
tournant dans l'histoire, du livre scolaire avec la volonté de
l'État d'investir massivement dans le numérique, en prenant pour
la première fois le contrôle de l'offre privée, ce qui
provoque un profond changement dans le paysage des manuels
scolaires.21
Figure 5. Présentation de l'i-m@nuel,
source :
http://edition.fr/e-education/imanuel/.
B. Le paysage éditorial
À l'heure actuelle, le manuel numérique est dans
une dynamique de fort développement. D'ailleurs, le nombre des maisons
d'édition spécialisées dans le secteur scolaire en est la
parfaite illustration, comme nous allons le voir. En effet, elles proposent une
large gamme de manuels qui se diversifie d'année en année, par
exemple en mettant sur le marché un choix de plus en plus vaste pour les
enseignants. De plus, ce marché qui occupe une toute petite place dans
le monde de l'édition, avec une part de 3 % en 201522,
connaît un soutien de l'Etat qui ne cesse de croître et qui influe
donc d'une manière prépondérante l'avenir du manuel
numérique, comme nous allons le voir.
20 Les Cartables électroniques, Les Cahiers de
l'Internet numéro deux, FING, Paris, 2002
http://documentum.free.fr/cdi/projets%202008-2009/cartable.pdf
21 François Jarraud, Plan numérique :
Quelle offre pédagogique à la rentrée ?, Le Café
Pédagogique, publié le 11.03.2016,
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/03/11032016Article635932782702440222.aspx
22 Mathilde Rimaud, Le livre scolaire numérique
: un marché qui attire les convoitises, Institut National de
l'audiovisuel, publié le 05.09.2016,
http://www.inaglobal.fr/edition/article/le-livre-scolaire-numerique-un-marche-qui-attire-les-convoitises-9228
18
a) Éditeurs du secteur numérique
Les maisons d'édition du secteur scolaire
évoluent dans un cadre tout à fait particulier car, du point de
vue juridique, les manuels scolaires sont les seuls livres à
bénéficier d'un statut précis, défini par le
législateur en 2004, comme nous l'avons vu précédemment.
De plus, le processus de création et de commercialisation et l'influence
des décisions politiques sur les programmes montrent clairement le
caractère unique de l'édition scolaire. Le marché est
réparti entre environ une trentaine de maisons d'édition dont les
deux tiers ne publient que sur des segments spécifiques comme le
primaire ou les langues vivantes alors que le dernier tiers couvre la
quasi-totalité des disciplines, de la maternelle au
Baccalauréat.23 Quant au manuel numérique, l'offre des
livres scolaires est regroupée notamment sur le Kiosque numérique
de l'éducation, un portail de ressources numériques payant
disponible en ligne. Il a été créé en 2004 et
rassemble les offres de neuf maisons d'édition, en l'occurrence Istra
(créée en 1676), Hachette éducation (1826), Delagrave
(1865), Hatier (1880), Didier (1898), Magnard (1933), Foucher (1937), Belin
(1977) et Sedrap (1985). Les éditeurs restent sur le modèle des
manuels classiques. Le manuel numérique est un manuel papier
porté à l'écran, parfois enrichi d'animations, de
vidéos ou de quiz.24 Ces maisons d'édition sont toutes
des entreprises privées qui ont un but lucratif dans la diffusion des
manuels numériques. Le groupe Editis, qui regroupe les maisons
d'édition Nathan, Bordas et Retz, a lancé une autre plate-forme,
toujours payante, en 2016, avec un nouveau concept. En effet, Via Scola
n'est pas un manuel classique mais un outil de gestion de classe avec
lequel l'enseignant peut adapter le matériel proposé à
l'élève en fonction de son niveau.25 Par contre,
depuis 2009, un collectif particulièrement innovant, qui crée des
manuels papier et numériques pour le collège, se distingue de ses
concurrents. En effet,
lelivrescolaire.fr est en
accès libre et gratuit sur Internet et sa conception repose sur des
enseignants bénévoles qui développent le contenu des
manuels scolaires de façon collaborative avec des professionnels de
23 Ibid.
24 François Jarraud, Plan
numérique : Quelle offre pédagogique à la rentrée
?, Le Café Pédagogique, publié le 11.03.2016,
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/03/11032016Article635932782702440222.aspx
25 Ibid.
19
l'édition et des ingénieurs. Cette
communauté est progressivement passée de 100 à 1 500
professeurs de toutes les disciplines.26
b) Une offre particulièrement riche
L'offre principale de manuels numérique se compose donc
de la plate-forme KNE (Kiosque numérique de l'éducation), de la
plate-forme Edulib, de la plate-forme Educadhoc, du CNS (Canal Numérique
des Savoirs) et du site
lelivreScolaire.fr.27
Notre analyse de ces quatre plates-formes montre que l'offre actuelle
représente des centaines de manuels de français sur l'ensemble
des niveaux, du primaire jusqu'au lycée. Tous les éditeurs de
livres scolaires proposent des versions en ligne que l'on peut utiliser avec
ordinateurs, ordinateurs portables mais aussi avec les tablettes, qu'elles
soient sous système Android, Windows ou iPad. Les nouveaux manuels sont
en version enrichie, ce qui signifie qu'ils sont interactifs et contiennent des
images, des vidéos et des sons.
Le Kiosque numérique de l'éducation diffuse
notamment les manuels numériques des maisons d'édition Hachette,
Hatier, Didier, Belin et Magnard. Il propose 201 manuels numériques et
cahiers d'activités où l'on trouve des textes littéraires
numériques qui concernent l'ensemble des niveaux de l'enseignement
jusqu'au Baccalauréat, à savoir l'école primaire, le
collège, le lycée, le lycée professionnel ainsi que
quelques manuels numériques pour les révisions post-bac. Les
manuels sont à l'heure actuelle conçus au format e-pub.
Edulib est une plate-forme qui diffuse aussi l'ensemble des
manuels numériques des maisons d'éditions Magnard et Belin. Elle
propose le choix entre 57 manuels numériques en français du
primaire jusqu'au lycée.
26 Site Internet :
lelivrescolaire.fr,
http://www.lelivrescolaire.fr/#!qui-sommes-nous
27 Mathilde Rimaud, Le livre scolaire numérique
: un marché qui attire les convoitises, Institut National de
l'audiovisuel, publié le 05.09.2016,
http://www.inaglobal.fr/edition/article/le-livre-scolaire-numerique-un-marche-qui-attire-les-convoitises-9228
et site Internet de la Délégation Académique au
Numérique Éducatif, Académie de Nice, Région
Provence-Alpes-Côte d'Azur,
http://ac-nice.fr/dane/index.php?view=item&cid=270&id=639&pop=1&tmpl=component&print=1&Itemid=1001
30&option=com flexicontent#tour horizon
20
Le Canal Numérique des Savoirs, qui date de 2003, est
né de l'Espace Numérique des Savoirs et était la
première expérimentation de ressources en ligne du
Ministère de l'Éducation nationale. Il rassemble 1 600 ressources
numériques réalisées par 20 éditeurs de
référence comme Bordas, Nathan, Le Robert, Retz, CLE
International, les Éditions Delagrave et Maxicours. Le site propose 49
manuels numériques différents de français, du primaire
jusqu'au lycée.
Lelivrescolaire.fr se consacre
exclusivement au manuel numérique du collège. De plus, son choix
de manuels de français est assez restreint et ne comprend que neuf
manuels : un pour les classes de 5ème (2010) et de
4ème (2011) et deux manuels publiés en 2012 pour les classes de
6ème et 3ème. La collection de 2016 est
composée de cinq manuels numériques.
Figure 6. Des manuels proposés par
Lelivrescolaire.fr.
c) Un marché en plein essor
Le livre scolaire numérique est en pleine progression,
selon l'association Les Éditeurs d'Éducation28, avec
une offre en 2016 estimée à 3 000 titres disponibles alors qu'en
2011, il n'y en avait que 950. Pourtant, le marché en 2015 n'est encore
qu'une niche, avec seulement 3 % du marché global de l'édition
scolaire avec à peu près 5 millions d'euros, dont la
moitié relevait du secteur parascolaire. Par ailleurs, le secteur de
l'édition scolaire
28 Mathilde Rimaud, Le livre scolaire numérique
: un marché qui attire les convoitises, Institut National de
l'audiovisuel, publié le 05.09.2016,
http://www.inaglobal.fr/edition/article/le-livre-scolaire-numerique-un-marche-qui-attire-les-convoitises-9228
21
papier représente 11,5 % du chiffre d'affaires de
l'édition pour 52,675 millions d'exemplaires vendus.
Selon l'association Savoirlivre, cette progression va
de pair avec le déploiement des outils informatiques et
numériques dans les établissements scolaires sur l'ensemble du
territoire national, qui a débuté en 1985 avec le plan «
informatique pour tous ». À titre d'exemple, le volume des
ressources pédagogiques numériques et des équipements a
doublé dans les collèges publics entre 2005 et 2014.29
D'ailleurs, ce processus s'est considérablement
accéléré depuis les années 90 grâce au
soutien des collectivités locales, fortement appuyé par le
Ministère de l'Éducation nationale. Il s'agit de fournir aux
élèves et enseignants des contenus pédagogiques «
numériques » qui répondent à leurs attentes. D'un
point de vue économique, ces investissements servent à promouvoir
l'industrie française de l'édition numérique scolaire et
universitaire afin que la France occupe une place centrale en Europe et dans le
monde dans les industries de la connaissance.30
Tableau 3. Quelques chiffres montrant le niveau
d'équipement informatique au collège en 2014, Source
Ministère de l'Éducation nationale.
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/62/1/DEPP_NI_2015_01_equipement_in
formatique double en dix ans colleges publics 380621.pdf
Nombre
|
Vidéoprojecteurs/
|
Postes
|
Tableaux
|
Accès à Internet
|
d'ordinateur et de
|
1 000 élèves
|
mobiles
|
intéractifs/
|
dans les
|
tablettes à usage pédagogique/ 100
élèves
|
|
dans le parc informatique
|
1 000 élèves
|
établissements
|
|
|
|
|
92 % disposent
|
22*
|
31
|
17 %
|
11
|
d'un accès à
|
|
|
|
|
Internet dans plus de la moitié des salles de
classe
|
* dont 58 % en service depuis moins de 5 ans
29 Ghislaine Cormier et Marguerite Rudolf, DIRECTION
DE L'ÉVALUATION, DE LA PROSPECTIVE ET DE LA PERFORMANCE, Note
d'information numéro 01 - janvier 2015.
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/62/1/DEPP_NI_2015_01_equipement_informatique_doubl
e en dix ans colleges publics 380621.pdf
30 Bilan 2004, Perspectives 2005, EducNet.
http://cache.media.eduscol.education.fr/file/education_prioritaire_et_accompagnement/15/8/EO_bilan_20
04 132158.pdf
22
C. Utilisation et effets des manuels
numériques
Actuellement, il est assez difficile d'avoir une vue
d'ensemble sur les usages et les effets des manuels numériques à
cause de la rapide évolution du secteur. Pourtant, des recherches sur
les utilisateurs, nous montrent que les effets des manuels numériques
sont importants sur la santé et suscitent encore bien des questions.
Nous savons également que l'utilisation des manuels numériques
progresse fortement à tous les niveaux et dans l'ensemble des
matières de l'enseignement scolaire.
a) Des effets contrastés sur la santé
Le manuel numérique, du fait de sa
dématérialisation, présente un atout considérable
par rapport au manuel papier. En effet, le poids des cartables en France est un
sujet de préoccupation majeure depuis de très nombreuses
années. Ainsi, la circulaire numéro 2008-002 du Ministère
de l'Éducation nationale du 11 janvier 2008 prévoit la
réduction du poids des manuels papiers et privilégie l'emploi des
manuels numérique dans les établissements scolaires depuis 2009
pour des raisons de santé publique. L'État a pris cette
décision suite à un rapport de 1997 intitulé Cartables
et manuels scolaires de Jean-Yves Haby, député des
Hauts-de-Seine, qui établit le constat suivant :
Le poids des cartables et l'obligation pour les
écoliers français de transporter chaque jour des manuels et des
matériels scolaires relativement lourds, constituent un sujet de
critiques et d'interrogations depuis bon nombre
d'années31.
Ce rapport s'est appuyé sur un certain nombre
d'études sur le sujet qui ont été recoupées par des
enquêtes de la revue Que Choisir en 1995 et
présentées sous forme de tableau par la revue de l'Union des
Associations Autonomes de Parents d'Élèves en Octobre 1996 :
31 Jean-Yves Haby, Cartables et manuels scolaires
: rapport à monsieur le Premier ministre, la documentation
française, 1997
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/974071732.pdf
23
Tableau 4. Enquêtes de la revue Que Choisir
n° 329 de septembre 1995, présentés sous forme de
graphique par la revue de l'Union des Associations Autonomes de Parents
d'Elèves en octobre 1996
Classe
|
CP
|
CE1
|
CE2
|
CM1
|
CM2
|
6e
|
5e
|
4e
|
3e
|
Poids moyen de l'enfant
|
25 kg
|
28 kg
|
30 kg
|
35 kg
|
37 kg
|
38 kg
|
44 kg
|
48 kg
|
50 kg
|
Poids moyen du cartable
|
2 kg
|
4 kg
|
5 kg
|
6 kg
|
6 kg
|
10 kg
|
10 kg
|
10 kg
|
10 kg
|
%
|
8%
|
13%
|
17%
|
17%
|
15%
|
26%
|
23%
|
22%
|
21%
|
Conclusion
|
Correct
|
Une fois et demie le poids conseillé
|
Plus du double du poids conseillé
|
Nous pouvons constater qu'un élève de CP porte
en moyenne un cartable de 2 kg. Il se situe donc dans une fourchette encore
acceptable. En fait, c'est à partir du CE1 et jusqu'au CM2 que le
cartable est en surpoids par rapport au poids moyen de l'enfant,
dépassant d'une fois et demie le poids conseillé. Le tableau
indique également que les élèves de 6ème jusqu'en
3ème portent chaque jour plus du double du poids
conseillé.32 Le tableau révèle donc que c'est
au collège que le poids des cartables est le plus
problématique.
Les avis médicaux établissent que le mal de dos
est une réalité chez les écoliers. Une enquête
réalisée par une équipe médicale du CHU de Grenoble
en 1994 pratiquée sur 1 178 élèves scolarisés de 5
à 20 ans montre la prévalence des douleurs liées à
la colonne vertébrale, qui est de 43,2% pour les garçons et de
58,1% pour les filles et croît fortement à partir de l'âge
de 12 ans. Cette étude a aussi relevé statistiquement une
corrélation significative entre la présence du mal de dos et le
port du cartable.33
Tableau 5. Détail des cas de douleurs
ressenties.
Port du cartable
|
|
Sur le dos
|
Sur l'épaule
|
À la main
|
Cas de douleurs
|
Nombre
|
363
|
43
|
188
|
ressenties
|
%
|
45
|
53,7
|
68,6
|
32 Ibid. p. 8.
33 Ibid. p. 12.
24
Suite à ces études, l'État a
demandé lors de l'appel à projet du mois de mars 2015 concernant
le plan numérique que les départements ou établissements
demandeurs fournissent aux élèves un équipement mobile
adapté « en termes d'usages, de poids, et de dimensions ---
»34. En effet, il était notamment stipulé que le
poids maximal ne devait pas excéder 1,2 kg avec les accessoires et un
écran tactile d'une taille supérieure à 9 pouces.
Par contre, un autre aspect sur la santé des
utilisateurs des manuels numériques n'a pas encore été
pris en compte par l'État, sans doute parce qu'il n'existe pas encore
d'étude spécifique sur les effets de la lumière bleue
émise par les écrans, les ordinateurs, tablettes ou smartphones,
comme il est souligné dans un article de 2016 intitulé La
lumière bleue : retour sur un débat35
publié en ligne par l'observatoire du Groupe Optic 2000. En fait, les
effets de la lumière bleue sur la vision suscitent de nombreuses
interrogations, comme le montre une étude menée par l'Institut
national de la santé et de la recherche médicale sur des rats qui
ont été soumis à des expériences avec des ampoules
LED. Il en ressort que chez le rat certaines longueurs d'onde s'avèrent
dommageables pour la rétine.36 La question se pose donc aussi
chez l'homme, puisque nous retrouvons cette même lumière bleue
dans nos écrans numériques. De plus, une étude de
l'Académie américaine de pédiatrie réalisée
en 2016 alerte sur le fait que les enfants sont de plus en plus
dépendants des écrans, ce qui a des conséquences sur leur
développement, telles que les troubles du sommeil. En effet, selon
l'Académie « l'exposition à la lumière (en
particulier la lumière bleue) et l'activité sur écrans
avant de dormir affectent les niveaux de mélatonine et peut retarder ou
perturber le sommeil »37.
34 Xavier Bertrand, Hollande détaille son plan
pour le numérique à l'école, un milliard d'euros sur la
table, NEXT INPACT, 11 mai 2015.
https://www.nextinpact.com/news/94042-hollande-detaille-son-plan-pour-numerique-a-l-ecole-milliard-d-euros-sur-table.htm
35 La lumière bleue : retour sur un
débat, Dans : l'Observatoire du Groupe Optic 2000, publié le
22.11.2016.
http://www.observatoire-groupeoptic2000.fr/qui-sommes-nous/lobservatoire-sante-visuelle-auditive-groupeoptic2000/
36 A Krigel et coll. Light-Induced Retinal
Damage Using Different Light Sources, Protocols and Rat
Strains Reveals LED Phototoxicity. Neuroscience (2016).
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0306452216305243?via%3Dihub
37 Boris Manenti, L'étude qui va vous dissuader
d'exposer vos enfants aux écrans, L'OBS, 2016
http://tempsreel.nouvelobs.com/sante/20161025.OBS0300/l-etude-qui-va-vous-dissuader-d-exposer-vos-enfants-aux-ecrans.html
b) Des possibilités d'utilisation multiples
Les lecteurs des manuels numériques ont, à la
différence du manuel papier, la possibilité de les utiliser par
le biais de diverses machines électroniques comme l'ordinateur,
l'ordinateur portable, la tablette, la machine électronique
mi-tablette/mi-portable dotée d'un clavier ainsi que des
téléphones portables appelés « smartphones ».
Pour avoir des informations sur l'utilisation réelle de ces outils, une
étude de 2014 conduite par la TNS-Sofres, un institut de sondage,
associé à Savoir Livre, une association animée par six
maisons d'édition scolaire, est particulièrement
intéressante. En effet, l'enquête, intitulée « Les
usages des manuels numériques en 2014 », examine les
principales évolutions de l'utilisation des manuels numériques
depuis 2011 sur un panel total de 6 183 professeurs pour 2011 et de 15 283 pour
2014. Tout d'abord, l'usage a doublé en 3 ans, passant de 8 % à
20 % en primaire, de 21 % à 36 % au collège, de 19 % à 36
% au lycée et, globalement, de 20 % à 35 % en secondaire. La
progression des usages est très significative lorsque l'on observe par
exemple le français dans le secondaire, qui est passé de 12 %
à 24 %. Il y a eu donc une augmentation de 100 % sur cette
période, ce qui illustre une très forte dynamique de l'emploi du
manuel numérique38.
De plus, nous pouvons constater que les équipements en
2014 se sont généralisés alors que dans le même
temps, le décalage qui existait en 2011 entre le primaire et les autres
niveaux subsiste toujours. Il est à noter que le primaire est dans la
plupart des cas le moins bien doté en équipement, comme le montre
la figure 7 :
25
38 Enquêtes TNS Sofres / Savoir Livre, Les
usages des manuels numériques en 2014, Principales évolutions
depuis 2011
http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2014.10.03-manuels-numeriques.pdf
26
Figure 7. Des usages qui doublent en 3 ans,
source :
http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2014.10.03-manuels-numeriques.pdf.
L'enquête relève aussi que 7 % des
élèves sont équipés individuellement en manuel
numérique. 25 % d'entre eux y accèdent sur des postes
informatiques de l'établissement, 31 % à leur domicile et 45 %
par le biais de l'environnement numérique de travail (ENT). Nous pouvons
en conclure qu'en 2014, les usages collectifs étaient encore la norme
tandis que les usages individuels étaient plutôt une exception. De
plus, un point particulièrement négatif ressort de cette
étude : seulement 29 % des personnes interrogées ne rencontrent
aucun problème lors de l'utilisation du manuel numérique. Les
manuels numériques étaient essentiellement utilisés en
« off-line » et les utilisateurs étaient confrontés
à des problèmes liés à
l'hétérogénéité du matériel.
27
Figure 8. => Les infrastructures, source :
http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2014.10.03-manuels-numeriques.pdf
c) Le manuel numérique en 2017 : un véritable
succès
L'année 2017 marque un tournant, avec le plan
numérique et un véritable plébiscite des manuels
scolaires. En effet, environ 8 800 classes de primaire, correspondant à
200 000 élèves, et 133 000 classes de collèges utilisent
un manuel numérique. 1 500 000 manuels numériques ont
été fournis aux collégiens avec un accès personnel.
Un constat particulièrement édifiant s'impose : 100 % des
collèges utilisent des manuels numériques. De plus, 15 % des
collégiens travaillent individuellement à l'aide de ce
matériel et près d'une classe sur dix dispose d'un manuel
numérique de français39.
39 Les Éditeurs d'Éducation, Plan
numérique : Plébiscite des manuels numériques,
Communiqué de presse du 8 mars 2017
https://www.sne.fr/wp-content/uploads/2017/03/CP-Editeurs-education
EDUSPOT 8-03-2017.pdf
28
Une carte interactive issue du Ministère de
l'Éducation nationale illustre ce succès40. On peut
voir les différentes vagues de mise en place du programme
numérique dans un grand nombre d'établissements français
:
Figure 9. Carte des collèges
numériques, site :
http://ecolenumerique.education.gouv.fr/carte-des-colleges-numeriques/
Un agrandissement de cette carte, par exemple sur le bout de la
pointe bretonne, donne un aperçu du déploiement du plan
numérique sur tout le territoire.
Figure 10. Carte des collèges
numériques, site :
http://ecolenumerique.education.gouv.fr/carte-des-colleges-numeriques/.
40 Carte des collèges numériques
http://ecolenumerique.education.gouv.fr/carte-des-colleges-numeriques/
29
Quelques chiffres du Ministère de l'Éducation
sont particulièrement éloquents. À titre d'exemple, 107
collectivités territoriales participent au plan numérique.
Actuellement, 6 départements équipent 100 % de leurs
collèges. De plus, l'État a retenu 34 projets
particulièrement innovants concernant le numérique.41
La volonté forte de l'État de faire entrer le numérique
dans le monde scolaire et par conséquent de promouvoir les manuels
numériques comme un usage de référence pour
l'élève peut se résumer en un chiffre : 1 milliard d'euros
investis durant trois ans, de mai 2015 jusqu'en 201842.
41 Article du Ministère de l'Éducation,
2nde phase de l'appel à projets « Collèges numériques
» : 1 152 collèges et 1 479 écoles
sélectionnés, 16 mai 2017.
http://ecolenumerique.education.gouv.fr/2017/05/16/2079/
42 Article L'École numérique,
Ministère de l'Éducation, 15 mai 2017.
http://www.gouvernement.fr/action/l-ecole-numerique
30
II. Les manuels numériques du point de vue du
lecteur
L'apparition du livre numérique a ouvert de nouvelles
perspectives de recherche sur son impact par rapport à la lecture. En
effet, le numérique a entraîné un débat
particulièrement intense sur tous les changements, en bien ou en mal,
que cela implique par rapport au comportement du lecteur. Il a donc permis de
s'interroger sur la nature même de la lecture afin de mieux comprendre
tous ces tenants et aboutissants. Cela a permis de constituer de
véritables théories sur les caractéristiques propres du
texte numérique et leurs répercussions sur les pratiques de la
lecture.
A. Débats sur la lecture numérique
Un nouveau champ de réflexion est apparu, avec des
spécialistes qui pensent que cette évolution est
particulièrement négative alors que d'autres adoptent des
conceptions bien plus positives, comme nous allons le voir. Pourtant un point
essentiel se dégage de ce constat. Le développement des
théories sur la lecture concernant les livres numériques prouve
que la lecture numérique est considérée comme
différente de la lecture papier. Certains chercheurs43
affirment même que la lecture numérique est en train de changer
notre manière de lire en général.
a) La lecture numérique, une non-lecture ?
Un écrivain américain, Nicholas Carr, a
analysé la lecture numérique et fait partie de ceux qui pensent
qu'elle est plus fragmentaire et superficielle que la lecture traditionnelle
sur support en papier. Dans son article intitulé « Is Google
Making Us Stupid ? », Carr affirme que la lecture numérique
affecte aussi notre manière de lire et de penser en
général. Selon lui, la facilité d'accès aux
contenus et leur multiplicité engendrent une fragmentation de
l'attention et une incapacité à suivre des argumentations
complexes. Carr admet que nous lisons probablement plus de textes que jamais
mais la nature des textes que nous lisons est différente. 44
43 Voir p.ex. Nicholas Carr (2008), Thierry Baccino
(2011) et Yves Desrichard (2011)
44 Nicholas Carr (2008) « Is Google Making Us
Stupid? », The Atlantic, 2008.
https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/306868/
31
Une étude portant sur les habitudes de la lecture
numérique45, conduite par les chercheurs de
l'Université College London, prouve que les lecteurs ne lisent pas de la
même manière en ligne que sur papier. Dans cette étude, on
a observé le comportement des visiteurs de deux sites de recherche qui
donnent accès à des articles, livres numériques et autres
sources d'information écrite. Les chercheurs en ont conclu qu'une toute
nouvelle manière de lire a vu le jour avec les textes numériques.
En fait, le format numérique incite le lecteur à lire en
diagonale, en parcourant horizontalement les titres et le contenu des pages. De
plus, les utilisateurs passaient rapidement d'une source à l'autre et
revenaient rarement en arrière, vers celles qu'ils avaient
déjà vues. Généralement, ils ne lisaient qu'une ou
deux pages d'un article ou d'un livre avant de changer de site. Il leur
arrivait parfois de sauvegarder de longs articles mais il n'est pas sûr
qu'ils les relisaient.
Nicholas Carr fait référence à Maryanne
Wolf, directrice du Centre de recherche sur la lecture et le langage de
l'université Tufts, pour démontrer que nous ne lisons plus comme
avant. En effet, celle-ci affirme que nous ne sommes plus ce que nous lisons
mais comment nous lisons. Wolf rappelle que la lecture n'est pas innée
mais que nous devons l'apprendre pour pouvoir nous en servir. Elle ajoute aussi
que notre capacité d'interpréter un texte ainsi que de faire
d'intenses connexions mentales se développe quand nous lisons d'une
façon profonde et sans distraction. Selon elle, la lecture
numérique, par sa nature, fait de nous des décodeurs de
l'information. D'autre part, les médias et les technologies que nous
utilisons en lisant façonnent les circuits neuronaux de notre cerveau,
qui sont connectés à d'autres fonctions cognitives telles que la
mémoire ou la capacité d'interpréter des stimulus visuels
et auditifs. Elle s'inquiète de ce que la manière de lire
favorisée par Internet accentue trop la simplicité du style des
textes ainsi que l'instantanéité et par conséquent
affaiblit notre capacité à une réelle lecture
approfondie.46
45 University College London (UCL) CIBER group. (2008)
Information behaviour of the researcher of the future. London: University
College London. CIBER Briefing paper; 9.
http://www.jisc.ac.uk/media/documents/programmes/reppres/gg
final keynote 11012008.pdf
46 Nicholas Carr (2008) « Is Google Making Us
Stupid? », The Atlantic, 2008.
https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/306868/
32
Un autre point de vue critique est présenté par
Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive des technologies
numériques à l'université de Paris 8, qui livre sa
théorie sur l'acte de lecture sur support numérique dans un
article de 201147. Il considère la lecture sur Internet comme
une « pseudo-lecture » car elle ne permet pas d'avoir une lecture
attentive et profonde comme avec un livre imprimé. Pour le
démontrer, il se base sur la trop grande quantité d'information
à laquelle nous sommes confrontés simultanément sur
Internet. Il donne comme exemple le fait de surfer sur les pages web
mêlant des articles courts, des vidéos, de l'audio mais aussi des
animations de toutes sortes, qui ne permettent pas au lecteur de pouvoir
réellement se concentrer sur un sujet bien déterminé. En
définitive, selon lui, le lecteur est constamment soumis à
toujours plus d'informations qui apparaissent en même temps,
entraînant chez lui une lecture rapide qu'il définit comme une
lecture de surface. D'autres auteurs déclarent en 2011 dans le
même numéro du Bulletin des bibliothèques de France
que la lecture numérique est impossible. Parmi ceux-ci, Yves
Desrichard défend l'idée selon laquelle, le livre papier, du fait
de sa matérialité, ne peut être modifié ou
effacé aussi simplement qu'un texte numérique, qui a un
caractère plus transitoire et incertain48.
b) La lecture dynamique - une vision positive
Une autre approche de la lecture numérique
apparaît avec la publication de la théorie de Christian
Vandendorpe, qui reprend le travail de Thierry Baccino mais en tire une
conclusion radicalement différente. En effet, selon lui, la lecture sur
écran demande un surcroît de travail pour le cerveau et même
un fonctionnement différent. Les zones de l'encéphale qui
contrôlent les prises de décision et les raisonnements complexes
sont plus sollicitées que pour une lecture sur papier49. En
fait, la rapidité avec laquelle le lecteur parcourt les textes
numériques pour extraire des informations n'est pas un signe
47 Thierry Baccino, Lire sur internet, est-ce toujours
lire ?, Métamorphoses de la lecture, Bulletin des Bibliothèques
de France, t. 56, no 5, 2011, pp.63-66.
http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/49580-lire-sur-internet-est-ce-toujours-lire.pdf
48 Yves Desrichard, «
Accélération du livre ». Bulletin des bibliothèques
de France (BBF), 2011, n° 5, p. 58-62. Disponible en ligne : <
http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0058-010>.
ISSN 1292-8399.
49 Christian Vandendorpe (2011). « Quelques
questions clés que pose la lecture sur écran ». In :
BÉLISLE, Claire (dir.). Lire dans un monde numérique.
Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011, Chapitre V, p. 53.
33
d'abrutissement mais la preuve d'une concentration accrue, car
le lecteur prélève les informations les plus appropriées,
ne se contentant plus de lire d'une manière linéaire. Il est donc
particulièrement en éveil pour pouvoir sélectionner des
informations qui n'apparaissent pas nécessairement dans un ordre bien
établi. En fait, des chercheurs comme, par exemple, Claire
Bélisle et Christian Vandendorpe dans Lire dans un monde
numérique, publié en 2011, ont fait une avancée
essentielle dans l'étude de la lecture numérique en portant toute
leur attention sur l'intention du lecteur car, selon eux, celui-ci ne lit pas
de la même manière lorsqu'il cherche une information
précise ou lorsqu'il survole un article « people » pour se
détendre sur le Web.
En fait, Christian Vandendorpe introduit le terme «
lecture ergative » pour désigner la lecture sur écran. Il
explique que ce néologisme a comme base le mot grec ergon, qui
signifie travail. Le concept ergodic a été introduit par
Espen Aarseth pour décrire le caractère de la littérature
hypertexte qui « incite l'usager à se livrer sur le texte
littéraire à un travail de construction physique ».
50 Même si la lecture ergative n'est pas une création
nouvelle, certains outils du Web, tels que Google, ont fait de la lecture
ergative le mode de lecture par défaut. Cela signifie qu'un lecteur qui
lit sur un écran fait un travail de construction physique en choisissant
les extraits et les liens qu'il parcourt. Vandendorpe fait remarquer que cette
lecture ergative n'est pas intellectuellement inférieure à la
lecture immersive sur papier mais, au contraire, génère une plus
forte stimulation générale.51 En somme, il conclut que
cette lecture très ciblée devrait bénéficier au
sens critique et à la curiosité intellectuelle.52
D'ailleurs, Jean-Yves Mollier va dans le même sens dans
Lire, une pratique constamment remise en cause, qui date de 2012, en
portant sa vision de la lecture dans le champ de l'histoire du livre. En effet,
son raisonnement repose sur la grande facilité d'accès à
la culture grâce au numérique et à ses nombreux supports,
entre autres : la tablette, l'ordinateur et les téléphones
portables. En fait, il parle d'une « lecture extensive » qui est
favorisée par le numérique et permet un développement
culturel et l'essor de la pensée
50 Ibid. p. 55.
51 Ibid. p. 56-57.
52 Ibid.
34
libre. C'est une différence fondamentale par rapport au
statut de la lecture d'il y a quelques siècles, qui consistait à
ressasser perpétuellement les mêmes textes.53
c) Vers une théorie de la lecture numérique
Alexandra Saemmer a eu comme projet de concevoir une
théorie pratique applicable à l'analyse de tout texte
numérique. Cette conception, qu'elle nomme la « rhétorique
de la réception », repose sur l'idée de créer une
rhétorique du texte qui soit à la fois du côté du
texte et du côté de ses lectures. En effet, elle tente de
comprendre comment le texte numérique préfigure certaines
pratiques ou figures de lecture. Elle s'appuie dans son travail sur de
nombreuses références théoriques auxquelles elle adjoint
une synthèse d'études de corpus et d'enquêtes portant sur
la question.54
Elle conteste l'existence d'une seule lecture, papier ou
numérique. Selon elle, l'idée d'une lecture papier qui serait
toujours concentrée et réflexive est un mythe, de la même
manière que celle d'une lecture numérique rapide et
superficielle. Saemmer rappelle que « le texte lui-même entre de
diverses manières en résonance avec les attentes individuelles et
socialement partagées du lecteur »55. En pratique, cela
signifie que différents textes, malgré leurs supports, mobilisent
des contenus, stratégies et procédés rhétoriques
multiples et ne se lisent pas de la même manière. À titre
d'exemple, elle fait remarquer qu'un texte numérisé de Hegel et
un fragment autobiographique sur Facebook ne sollicitent pas la même
attention du lecteur. D'ailleurs, il est possible qu'un lecteur feuillette
superficiellement un livre papier et se penche bien plus attentivement sur un
texte édité sur support numérique.
La théorie de lecture numérique d'Alexandra
Saemmer s'inscrit dans la filiation de la rhétorique nouvelle et des
théories de la réception portées par Hans Robert Jauss
avec Pour une esthétique de la réception (2010) et
Wolfgang Iser avec L'acte de lecture.
53 Jean-Yves Mollier, Lire, une pratique constamment
remise en cause. In Claire Divaz et al. (dir.), Lire demain : des
manuscrits antiques à l'ère digitale. Lausanne : Presses
polytechniques et universitaires romandes, p.81-94.
54 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015.
55 Ibid. p. 8.
35
Théorie de l'effet esthétique (1995).
Au coeur de la théorie de Saemmer sont les pratiques de lecture «
modélisées par le texte numérique, à travers ses
procédés rhétoriques et ses formes graphiques sur la
page-écran ».56 Bien qu'il n'existe pas une seule
lecture, elle part du principe que les textes ont des caractéristiques
typiques qui préfigurent le lecteur et ses pratiques. L'objet de la
rhétorique de la réception est donc d'identifier et d'analyser
ces préfigurations qu'elle appelle « figures de lecture
». Tout en plaçant le texte au coeur de sa rhétorique,
elle montre qu'il ne suffit pas d'examiner seulement les possibles actions que
le lecteur peut entreprendre par rapport aux hyperliens ou autres
fonctionnalités. En effet, il faut aussi analyser, par exemple, les
attentes du lecteur par rapport à un hyperlien avant qu'il l'active.
Alexandra Saemmer souligne par ailleurs que « l'analyse du texte
numérique ne peut se faire sans prise en compte de l'
interprétant »57, c'est-à-dire tout ce qui
ressortit à l'imaginaire, aussi bien par rapport à ses attentes
qu'à l'idée qu'il se fait du monde et de lui-même, de
l'Internet et du texte numérique. Ces diverses dimensions influencent le
processus de conception du texte mais aussi la lecture. L'objectif de Saemmer
est donc aussi d'étudier les figures de lecture, qu'elle divise en
quatre catégories, appelées informationnelle, dialogique,
déviative et immersive. En somme, l'approche proposée par Saemmer
s'intéresse à la fois au texte, car elle le voit comme un objet
qui peut constituer une signification, et à l'acte de lecture, car elle
y distingue des usages à la fois individuels mais aussi qui s'inscrivent
dans une dimension sociétale. De plus, la rhétorique du texte
numérique propose des outils d'analyse et des typologies. Le dispositif
de lecture occupe aussi une place importante car il conditionne l'apparition du
texte à l'écran puis sa disparition. En effet, le texte
numérique n'est pas solidaire de son dispositif d'origine car il peut
migrer de l'ordinateur fixe vers le téléphone mobile et
s'actualise dans différents systèmes d'exploitation d'une
manière variée.
B. Nature de la lecture numérique
Alexandra Saemmer distingue deux caractéristiques
fondamentales qui rendent la lecture d'un texte numérique
différente. En effet, selon elle, l'hyperlien et l'animation sont des
spécificités fondamentales du texte numérique et
nécessitent une analyse approfondie de
56 Ibid. p. 8.
57 Ibid. p. 10.
36
leurs multiples possibilités d'usage. En outre, les
facteurs textuels et extratextuels faisant partie de l'hypertexte contribuent
à former la spécificité de la lecture numérique.
a) L'hypertexte et l'hyperlecture
Le terme d'hypertexte, tout comme celui d'hyperlien, a
été inventé par Theodor Nelson en 1965. Il faut attendre
1968, avec Douglas Engelbart, chercheur à l'Institut de recherche de
Stanford, pour voir apparaître le « oN Line System » (NLS), le
tout premier système informatique fonctionnant sous mode
d'hypertexte58. L'hypertexte, comme Thierry Baccino et
Véronique Drai-Zerbib le soulignent dans La lecture
numérique, publié en 2011, est défini soit du point
de vue philosophique de la lecture non-linéaire ou bien par rapport au
procédé technique. En fait, ils proposent une définition
minimale de l'hypertexte, comme un procédé qui permet de lier
entre eux un ensemble d'éléments figuratifs (image, vidéo)
sous forme de réseau plutôt que d'une suite ordonnée de
pages. Ils soulignent que, techniquement, un hypertexte est constitué en
trois parties : 1) un ensemble de documents stockés sur une base de
données informatique, 2) un réseau de liens reliant les
différents documents et 3) une interface qui permet à
l'utilisateur de les lire, de les visionner ou de les manipuler. De plus, ils
font remarquer qu'il est question d'hypermédia ou de multimédia
lorsque les hypertextes sont constitués d'images, de diagrammes ou de
vidéos.
Figure 11. Exemples d'architecture textuelle
linéaire (livre) et non-linéaire (hypertexte), source :
Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib (2011).
58 Georges Vignaux. L'hypertexte. Qu'est-ce que
l'hypertexte ? Origines et histoire.
http://www.msh-paris.fr, 2001.
<edutice-00000004>
https://halshs.archives-ouvertes.fr/edutice-00000004/document
37
Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib mettent en
évidence plusieurs difficultés de lecture dues à
l'hypertexte. Tout d'abord, une plus grande « liberté » de
choix donnée au lecteur peut être une source de problème,
si celui-ci n'a pas une idée claire de ce qu'il recherche et dans quelle
structure il évolue. De plus, on a constaté une certaine
désorientation cognitive chez les lecteurs, qui souvent se retrouvent
dans un sentiment d'anxiété leur faisant perdre 30 % de leur
capacité de travail, comme l'a estimé Logan en 1994 aux
États-Unis. Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib s'attardent
aussi sur l'aspect mnésique, en affirmant que la lecture d'un
hypertexte, qui implique une exploration successive d'informations, surcharge
les capacités de mémorisation, car le lecteur est contraint de
retenir en mémoire une très grande quantité
d'informations.59 Comme nous l'avons vu auparavant, Raja
Fenniche60, quant à elle, met l'accent sur la nature
créative et associative de l'hyperlecture.
Le texte animé est un des composants distinctifs de
l'hypertexte. Il peut prendre des formes qui sont multiples, par exemple le
clignotement d'un mot de façon plus ou moins rapide ou bien le
gonflement ou rétrécissement d'un mot au même rythme mais
aussi un mot ou une partie du texte qui change de couleur. Alexandra Saemmer
fait remarquer que le point commun entre tous ces textes animés est leur
rythme rapide et leur réitération61. De plus, elle
fait un rapprochement entre le texte animé et le son, car selon elle,
tous deux sont composés de mouvements ou d'enchaînements de
mouvement tout à fait comparables, comme le rythme, l'intensité,
la régularité, l'accroissement mais aussi la diminution. Elle
s'appuie sur des recherches sur les unités sémiotiques
temporelles du MIM, un laboratoire de musicologie de Marseille, pour concevoir
sa propre analyse du texte animé, qu'elle nomme « unités
sémiotiques de l'animation ». Elle en conclut que le lecteur est en
capacité de comprendre le sens donné à ces animations
lorsque celui-ci a acquis assez d'expérience en lecture numérique
pour pouvoir en déchiffrer toutes les facettes lors de la lecture sur
l'écran.
59 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib,
La lecture numérique, PUG, 2011, p. 198-202.
60 Raja Fenniche (2011). « Hyperlecture et
culture de lien ». Dans : BÉLISLE, Claire (dir.). Lire dans un
monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011,
Chapitre IV p. 165.
61 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p.
47.
38
b) L'hyperlien - l'essence du texte numérique
Selon Alexandra Saemmer, l'hyperlien forme
l'élément central du Web et il est aussi omniprésent dans
le numérique62. Elle définit l'hyperlien, dans un sens
élargi, comme toute entité manipulable, sans tenir compte de sa
réalisation technique. Le geste de manipulation requis peut être
un clic mais aussi un simple effleurement d'un écran tactile ou un geste
de grattage. Ce qui est essentiel, c'est que le « texte relié
» nécessite l'intervention physique du lecteur pour
apparaître sur l'écran. Du point de vue pratique, la fonction de
l'hyperlien est de relier des contenus qui peuvent prendre diverses formes,
comme du texte, des images ou du son. Selon Saemmer, l'hyperlien constitue en
soi « un puissant générateur d'imaginaire
»63. En effet, l'hyperlien est un outil qui
génère chez le lecteur, avant mais aussi après son
utilisation, une intense activité de la pensée en mettant en jeu
ses attentes. Elle rappelle que l'hyperlien a suscité de nombreux
espoirs dans les années 90, dont certains n'étaient pas
très réalistes. George Landow l'a comparé à un
vaste rhizome ne cessant de croître64 et Alessandro Zinno l'a
défini comme une sorte de réseau neurologique65 qui
serait en fait la solution pour se passer définitivement du livre
papier. L'hyperlien a aussi été comparé à la figure
rhétorique de la métonymie classique, par exemple par Lev
Manovich, mais Saemmer souligne qu'il faut se montrer particulièrement
prudent avec cette référence, qui relève du livre papier,
car l'hyperlien est de nature beaucoup plus informative tandis qu'une
métonymie laisse souvent plus la place à
l'imaginaire.66
Bertrand Gervais apporte une définition radicale de
l'hyperlien en le plaçant dans une fonction particulière, une
sorte de simulacre de signe à la frontière de la
sémiotique et de l'informatique ou du médiatique. Un signe
classique ne renvoie jamais seul à son objet,
62 Ibid. p. 17.
63 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 18.
64 Georges Landow, Hypertext 2.0. The Convergence
of Contemporary Critical Theory and Technology, Baltimore, The Johns
Hopkins University Press, 1997.
65 Alessandro Zinna, L'invention de
l'hypertexte, Documents de travail, Urbino, Università di urbino,
2002 (coll. Documents de travail ; numéro 318), p. 3.
66 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 20.
39
car c'est l'interprète qui établit le lien en
identifiant l'objet tandis que, selon Gervais, l'hyperlien renverrait à
quelque chose pour quelqu'un en le faisant toujours de la même
manière une fois programmé.67 De plus, il
développe l'idée que l'hyperlien place le lecteur dans une
logique où celui-ci est conduit de révélation en
révélation et où l'attente, en définitive,
crée le lien. Saemmer nuance cela en rappelant qu'un mot ou une image
hyperliés ne sont pas toujours synonymes d'explication. En fait,
l'hyperlien offre une multitude de possibilités et ne correspond pas
automatiquement à un commencement de réponse ou une
réponse précise.68 La catégorisation la plus
simple des hyperliens les divise en liens organisationnels et liens
sémantiques. Ces derniers sont liés au contenu et
peuvent par exemple indiquer au lecteur deux pages qui traitent d'un
thème similaire tandis que les liens organisationnels appartiennent
à la structure d'une page et sont souvent répétés
sur plusieurs pages d'un site. Une autre approche distingue un hyperlien
purement informationnel d'un hyperlien dialogique qui est un médiateur
entre des idées divergentes. Saemmer propose aussi une typologie plus
complexe de la fonction informationnelle de l'hyperlien en précisant
qu'il peut expliciter, enrichir, éclaircir, approfondir, définir,
illustrer ou décrire les informations contenues dans un texte. 69
En fin de compte, Raja Fenniche70 juge le
rôle des hyperliens si important du point de vue du texte
numérique qu'elle parle de « la culture du lien ». Selon elle,
cette notion souligne l'importance de la reliance car ce sont les
réseaux de liens internes ou externes qui relient les fragments
textuels. Il est à noter que le concept de reliance a été
développée au sein de la pensée systémique,
où l'action de joindre est le fondement même de l'organisation,
qui transposée à l'être humain, est
génératrice d'intelligence. Cette culture de lien peut être
déclinée en rapport avec l'hyperlecture en trois niveaux. Au
niveau cognitif, car elle stimule la pensée associative et la
créativité. Aux niveaux social et culturel, elle permet de
transcender les frontières sociales et culturelles.
67 Bertrand Gervais, « Richard Powers et les
technologies de la représentation. Des vices littéraires et de
quelques frontières », Alliage. Culture, science, technique,
2006, vol. 57-58, p. 226-227.
http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3571
68 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 21.
69 Ibid, p. 82-87.
70 Raja Fenniche (2011). Hyperlecture et culture de
lien. Dans : BÉLISLE, Claire (dir.). Lire dans un monde
numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011,
Chapitre IV p. 165.
40
c) Interactivité et facteurs matériels
Alexandra Saemmer71 rappelle que les textes
manipulables et animés ne sont pas simplement des textes à lire
mais qu'ils invitent aussi le lecteur à les regarder et à les
manipuler. En fait, cette interactivité, à laquelle les
hyperliens et les animations contribuent, est une des caractéristiques
fondamentales de la lecture numérique. Ils font aussi partie des
matérialités de la communication qui, selon Hans
Gumbrecht72, servent à la production d'une signification sans
constituer elles-mêmes cette signification. Par ailleurs, les
récentes théories de la réception auxquelles Saemmer se
réfère soulignent que la relation avec le lecteur est essentielle
dans l'interaction entre le texte et ses matérialités. Parmi
celles-ci, Jeanneret (2008) analyse le texte comme une « matière
» à part entière qui s'actualise continuellement grâce
à la pratique de la lecture. Il faut donc prendre en compte la «
représentation et l'anticipation des pratiques » figurant dans
l'objet même qui « définit les possibles d'une approbation
».73
L'interactivité peut se manifester sur deux niveaux
distincts : elle peut être liée au support technique ou être
inhérente au texte même.74 À titre d'exemple, le
support technique de la télévision est en partie interactif, car
il peut être manipulé par l'intermédiaire d'une
télécommande. De ce point de vue, l'Internet en soi est un
média interactif, même si les documents disponibles peuvent
être des textes linéaires « ordinaires ». Selon
Marie-Laure Ryan75, le type d'interactivité peut aussi
être jugé par rapport à la liberté donnée
à l'utilisateur et au degré de l'intentionnalité de ses
actions. Une interaction de l'utilisateur peut être purement technique ou
plus sélective, par exemple dans le cas où le lecteur peut
choisir entre plusieurs hyperliens. Dans l'interactivité la plus
complète, l'utilisateur participe activement et laisse une marque
durable dans le monde textuel, soit en ajoutant
71 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p. 38.
72 Hans Ulrich, Eloge de la présence. Ce
qui échappe à la signification, Stanford, Stanford
University Press, 2004 [pour le titre original] ; Paris, Libella Maren Sell,
2010 [pour la traduction française], p.26.
73 Yves Jeanneret, Penser la trivialité,
La vie triviale des êtres culturels, vol.1, Paris,
Hermès-Lavoisier, 2008, p. 66.
74 Marie-Laure Ryan, Narrative As Virtual Reality:
Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media. Baltimore:
Johns Hopkins University Press, 2001. p. 205.
75 Ibid.
41
des objets ou en y écrivant. De plus, Saemmer
développe l'idée selon laquelle le lecteur, qui décide
d'activer un hyperlien, entraîne par son geste une « irradiation
iconique » sur le texte. Cela signifie que certains effets allant de la
confirmation des attentes du lecteur jusqu'à son étonnement
marquent la dynamique du texte numérique. Elle ajoute que le
repérage d'un hyperlien par le lecteur relève ainsi d'un
processus d'intégration et de connaissances antérieur à
ces pratiques. Le fondement de cette référence iconique qu'elle
réactualise dans le cadre du texte numérique provient des
conceptions de Charles Sanders Peirce, qui désigne un icone comme :
Un Icone est un signe qui fait référence
à l'Objet qu'il dénote simplement en vertu de ses
caractères propres, lesquels il possède, qu'un tel Objet existe
réellement ou non. [...] N'importe quoi, que ce soit une qualité,
un existant individuel, ou une loi, est un
icone de n'importe quoi, dans la mesure où il ressemble
à cette chose et en est utilisé comme le signe.76
De plus, diverses formes-modèles qui ne relèvent
pas directement des matérialités du texte, mais le cadrent sur la
page-écran, donnent des anticipations sur les pratiques de
réception. 77 Certains de ces éléments sont
familiers aux lecteurs grâce aux publications imprimées telles que
les couvertures d'un livre fermé que le lecteur peut ensuite manipuler
en activant des mots-clés comme « rotate » ou « next
», etc. Quant à d'autres éléments extratextuels, la
résolution de l'écran, la luminosité et l'affichage des
couleurs affectent aussi la lecture. À titre d'exemple, dans une
étude78 portant sur 600 étudiants de
l'université Lyon 2, il a été constaté que l'un des
obstacles majeurs à la lecture numérique mentionnés par
les sujets était la fatigue oculaire causée par l'écran.
Les systèmes de gestion de contenu proposent des modèles de pages
qui transmettent une certaine idée de la lecture numérique, en
offrant par exemple la possibilité d'insérer un menu qui permet
de donner une vue d'ensemble du contenu. De la même manière, le
cadre étroit de la
76 Charles Sanders Peirce, Elements of Logic, (1903),
in Collected Papers, Harvard University Press, 1960
https://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/logphil/textes/textesm/peirce1m.htm
77 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib,
La lecture numérique, PUG, 2011, p. 54.
78 Alexandra Saemmer, Le texte résiste-t-il
à l'hypermédia ?, Dans : Communication et langages, 2008,
Vol. 155, Numéro 1, pp. 63-79.
http://www.persee.fr/doc/colan
0336-1500 2008 num 155 1 5375#
42
fenêtre de contenu incite à écrire des
textes courts. En fait, la soi-disant superficialité de la lecture
à l'écran n'est en définitive qu'un a priori et elle est
bien plus profonde et dense qu'il n'y paraît. En somme, tous ces facteurs
qui rendent la lecture numérique différente doivent être
prise en compte dans la conception du manuel numérique. Cela signifie,
que dans l'idéal, la mise du texte sur la page-écran et sa
structure même doivent être adaptées à ce mode de
lecture. Dans la troisième partie de ce travail, nous allons donc
analyser comment cela a été mis en pratique dans notre manuel.
C. Différences entre la lecture sur papier et
numérique
Comme nous avons déjà pu le constater, la
lecture numérique diffère de la lecture sur papier, qui est
souvent présentée comme la norme et la « vraie »
lecture. En fait, les débats se concentrent souvent sur les aspects
négatifs de la lecture numérique, même si celle-ci
présente aussi des avantages. Claire Bélisle fait remarquer
à juste titre que la lecture sur écran est rarement prise en
compte dans l'apprentissage de la lecture, ce qui signifie qu'il n'y a pas de
traditions reconnue : ses repères sont donc encore largement à
inventer.79
a) Les réactions du cerveau face à la lecture
classique et numérique
De nombreuses études, depuis maintenant une
décennie, montrent que les réactions du cerveau sont
différentes entre la lecture classique et la lecture numérique.
Il y a plus de zones du cortex qui sont sollicitées lors d'une lecture
numérique, selon Gary Small du Semel Institute for Neuroscience and
Human Behavior de l'Université de Californie. En effet, ce psychiatre a
étudié en 2009 les activités cérébrales d'un
groupe de personnes constitué de 24 adultes âgés de 55
à 78 ans à l'aide d'une imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf). Tout d'abord, les sujets de cette
étude ont dû lire un livre pour ensuite lire un article sur
Internet. Lors de la lecture sur livre papier, les zones du cerveau qui sont
apparues sur l'IRMf étaient celles du langage, de la lecture, de la
mémoire ainsi que de la vision. Ensuite, les personnes ont
été divisées en deux groupes en fonction de leur
expérience d'Internet : les novices Internet et les experts Internet.
Lors
79 Claire Bélisle, (dir.). Lire dans un
monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011,
Chapitre III, p. 125.
43
de la lecture numérique, chez les novices Internet les
mêmes régions du cerveau ont été activées que
lors de la lecture du texte sur format papier. En outre, des zones
impliquées dans la mémorisation ont aussi été
activés. Par contre, la différence essentielle s'est produite
lors de la lecture numérique du groupe des experts Internet. En effet,
chez eux, deux zones supplémentaires ont été
activées : celle de la prise de décision et celle des
raisonnement complexes. De plus, Gary Small a constaté que l'activation
cérébrale globale était deux fois plus importante lors de
la recherche sur le Net pour le groupe expert. Il en conclut que la lecture
numérique nécessite et mobilise beaucoup plus d'attention de la
part du lecteur.80 Selon Thierry Baccino, « il paraît
logique que la recherche sur Internet implique, en plus des processus de
lecture, des processus de raisonnement logique de prise de décision
»81. En fait, il s'appuie sur l'étude de Gary Small pour
démontrer que la lecture sur le Web nécessite une certaine
pratique qui, avec le temps, active un nombre bien plus important de
régions de notre cerveau que lors d'une simple lecture papier.
Figure 12. Comparaison des activations
cérébrales entre novices et experts en navigation Internet dans
les tâches de lecture et recherche d'information, source :
Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib (2011).
80 Philippe Testard-Vaillant et Kheira Bettayeb, La
lecture change nos cerveaux aussi, Science et Vie, n°1104, septembre 2009,
p. 42-57.
http://pvevent1.immanens.com/fr/pvPage2.asp?puc=2232&pa=1&nu=1
81 Thierry Baccino et Véronique Drai-Zerbib,
La lecture numérique, PUG, 2011, p. 34.
44
Une autre étude, qui portait sur un panel de 300
personnes, menée aux États-Unis en 2016, apporte une nouvelle
vision de la différence entre la lecture sur papier et la lecture sur
écran. En effet, au lieu de s'opposer, elles semblent être
complémentaires au niveau des processus d'apprentissage, comme le
suggèrent les recherches de Geoff Kauffman, de la Carneggie Mellon
University et Mary Flanagan, du Darmouth College. En effet, selon eux, les
processus de mémorisation sont distincts selon les supports. En fait, la
lecture numérique semble contribuer à consolider des
détails sur un sujet alors que la lecture papier rendrait la
compréhension de concepts abstraits plus facile. Pour illustrer leur
propos, les deux chercheurs donnent comme exemple que l'écran
d'ordinateur serait plus efficace pour se rappeler certaines dates alors que
pour retenir les raisons d'un évènement, il faudrait plus faire
appel au papier.82
b) Différentes stratégies et rythmes de lecture
La lecture numérique se différencie aussi par
rapport à la lecture classique du point de vue des
éléments d'organisation du texte. En effet, comme l'indique
Claire Bélisle, le lecteur ne lit plus d'une manière
linéaire lorsqu'il est devant un écran mais adopte un autre mode
de lecture, qu'elle qualifie de « sélective ». Selon elle,
« lire, ce n'est plus aller du début à la fin, ce n'est plus
lire l'intégralité du texte ».83 Ces affirmations
montrent donc un changement fondamental dans l'approche de la lecture. De plus,
elle rappelle aussi que la lecture linéaire ou immersive était,
jusqu'à l'apparition de la lecture numérique, le mode de lecture
le plus populaire et qu'il reste actuellement largement valorisé.
D'ailleurs, la lecture savante s'est adaptée au mode linéaire, ce
qui illustre parfaitement la prédominance de ce mode de lecture durant
des siècles.84 Il semble donc que la lecture numérique
marque de profonds changements dans la manière d'appréhender un
texte, ce qui peut poser de nombreux problèmes pour le lecteur et,
in-fine, pour la compréhension globale du texte. En effet, Christian
Vandendorpe pense que
82 Nicolas Gary, Lecture sur écran et papier :
des processus d'apprentissage complémentaires, AL ActuaLitté,
2016
https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/lecture-sur-ecran-et-papier-des-processus-d-apprentissage-complementaires/65448
83 Claire Bélisle, (dir.). Lire dans un
monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011,
Chapitre I, p. 53 et Chapitre III, p. 124.
84 Ibid. p. 51.
45
la lecture numérique peut causer une
détérioration de la mémoire spatiale par rapport au texte
du fait de la perte de la structure feuilletée pour un lecteur qui a
été formé par le codex. Il ajoute qu'avec un texte papier,
il est possible de se souvenir où se trouve une
information85. Il suggère donc qu'avec le texte
numérique, l'information est plus difficile à retrouver du fait
de la nature même de sa structure textuelle. Cela constitue d'ailleurs
pour lui : « --- le défi le plus important à relever pour
des lecteurs formés par deux millénaires de domination du codex
»86
Ce changement de support de lecture oblige à adopter
une nouvelle manière de lire et des stratégies différentes
pour se repérer dans le texte. En fait, le type de support à
partir duquel se fait la lecture influence fortement les choix du lecteur. Il y
a divers facteurs tels que la disposition, la mise en page, la
répartition des textes et des blancs, la justification, la
densité des signes, ainsi que l'éclairage, le contraste, la
taille des caractères, l'espacement, la longueur des lignes qui jouent
un rôle essentiel. Pour faciliter la lecture numérique, le lecteur
peut retourner en arrière dans le texte, jeter un coup d'oeil sur le
titre ou le numéro de la page et parcourir le texte en diagonale ou
encore faire la différence entre les casses de
caractères.87
Bélisle signale aussi que la compréhension et la
mémorisation sont proportionnelles à la vitesse de lecture. En
effet, un nouveau support qui diminue l'automatisation des processus
crée une perte de résultat.88 Par contre, elle fait
remarquer que l'accélération du rythme de lecture est une
constante dans l'histoire et que, de ce point de vue, la lecture
numérique non-linéaire a des effets positifs car elle rend
possible une meilleure gestion des informations maintenant accessibles. En
fait, le but de la lecture diagonale est d'accéder le plus vite possible
aux éléments indispensables du texte.89
85 Ibid. p. 53.
86 Ibid. p. 12.
87 Ibid. p. 39.
88 Ibid. p. 39.
89 Ibid. p. 121-122.
46
Les discussions sur les différences entre la lecture
sur papier et à l'écran portent souvent sur les
côtés négatifs du numérique mais Gugliemo Cavallo et
Roger Chartier90 rappellent que la lecture numérique a
levé quelques contraintes importantes liées au texte
imprimé. Selon eux, les textes numériques rendent possible
d'associer l'écriture à la lecture car les nouveaux supports
permettent très souvent de faire des annotations, du copier-coller, de
transformer un texte et d'en communiquer la version modifiée. Il y a
donc une plus grande interaction entre le texte et le lecteur par rapport au
codex.
c) Compétences technologiques
L'instrumentation de la lecture est sans doute une des
différences importantes entre la lecture papier et numérique.
Claire Bélisle91 rappelle que le lecteur doit à la
fois maîtriser des logiciels et des outils techniques et savoir se
repérer dans un univers culturel dont les valeurs sont
différentes de celles du monde imprimé. Il doit connaître
et savoir utiliser des outils de navigation mais aussi toute une gamme d'outils
que l'on peut trouver sur le Web. Il est à noter que le lecteur doit
être familier avec l'ensemble des machines électroniques
susceptibles de pouvoir héberger un texte, c'est-à-dire
ordinateur, tablette, ordinateur portable et smartphone pour qu'il puisse
évoluer facilement dans cet espace. Cet aspect requiert que le lecteur
soit plus actif et interagisse avec l'information et les connaissances. De la
même manière, la lecture en ligne ne consiste pas simplement
à lire mais aussi à savoir interpréter les images, les
dessins, les vidéos et les représentations graphiques. Bien que
l'apprentissage de la lecture soit toujours basé sur la connaissance des
phonèmes et graphèmes, cela ne suffit plus. D'ailleurs, selon
Claire Bélisle, cet « élargissement » des modes de
lecture multiplie les compétences à acquérir afin de
savoir véritablement bien lire avec le numérique.92 En
effet, dans le cadre de la lecture numérique, les compétences
technologiques sont indissociables de la lecture même.
90 Gugliemo Cavallo et Roger Chartier (dir.)
Histoire de la lecture dans le monde occidental. Paris, Editions du
Seuil, 2e édition, 2001.
91 Claire Bélisle (dir.). Lire dans un
monde numérique. Villeurbanne : Presses de l'Enssib. Papiers, 2011,
Chapitre III, p. 143.
92 Ibid. p. 145.
47
Claire Bélisle fait remarquer que les
compétences technologiques mettent les « natifs du numérique
» et les nouveaux arrivants dans le monde numérique sur un plan
différent en favorisant les jeunes.93 Pourtant, une
enquête de 201094 montre que la présence des outils
numériques dans l'environnement des jeunes ne signifie pas qu'ils
développent automatiquement des compétences qui leur permettent,
par exemple, de réussir à l'école. En effet, le taux de
réussite du certificat Informatique et Internet (i) en 2010
était, malgré son amélioration, inférieur à
36 %. En fait, seules des activités comme rechercher des informations et
communiquer à distance, qui ne nécessitent pas vraiment un
processus d'appropriation, sont maîtrisées par plus des trois
quarts des élèves de 15 ans. Par contre, plus d'un sur deux
serait incompétent dans les activités qui nécessitent un
savoir-faire spécifique, comme la réalisation d'une
présentation ou des documents pouvant être imprimés. En
fait, les compétences liées à l'utilisation
régulière de certains logiciels et jeux vidéo ne couvrent
pas l'ensemble des connaissances numériques nécessaires qu'il
faut acquérir pour pouvoir évoluer dans l'univers
numérique de manière autonome et raisonnée. Bien que ces
informations ne concernent pas les élèves du collège car
certificat Informatique et Internet (i) est destiné aux étudiants
faisant des études supérieures, elles donnent une indication sur
le niveau général des compétences technologiques. Il n'y a
donc pas de raison de supposer que les plus jeunes auraient des
compétences plus élevées.
93 Ibid.
94 Jocelyne Trémenbert, Mesure des
compétences numériques, une évaluation à partir des
domaines du I, Observatoire OPSIS, 2010.
https://www.marsouin.org/IMG/pdf/article_competences.pdf
48
III. Étude de quelques aspects pratiques du
manuel numérique
Le livre scolaire numérique que nous allons analyser,
afin de montrer de quelle manière celui-ci permet la découverte
d'un texte littéraire, est le manuel de français édition
201695 destiné à des élèves de
3ème année du collège donc des enfants de 14
à 15 ans. Il est accessible gratuitement en ligne sur le site
lelivrescolaire.fr. Nous l'avons
examiné avec un ordinateur portable Lenovo ThinkPad X1 Carbon sous
environnement Windows 7 et navigateur Google Chrome, version 59.0.3071.104. En
plus de la version numérique, il est aussi proposé au format pdf
accessible en cliquant sur l'hyperlien « feuilleter la version papier
» alors que le manuel imprimé est payant. Quant aux
définitions du manuel présentées dans la première
partie de ce travail, aussi bien le manuel numérique que la version pdf
correspondent à ses critères. En effet, ils répondent au
programme d'enseignement du Ministère de l'Éducation,
s'inscrivent dans le développement de la lecture et favorisent
l'accès à la culture. Les deux versions remplissent
également le critère de dématérialisation. Si la
définition du Ministère de l'Éducation nationale de 2009
ne parle que de l'utilisation avec un ordinateur ou un vidéoprojecteur
en classe96, elle est dans ce sens datée, car il est
évident que les manuels en question peuvent aussi être lus avec
d'autres supports. En fait, la version numérique pdf correspond à
un « manuel numérique simple » où l'on ne peut rien
ajouter et la version numérique à ce qui est appelé «
manuel numérique enrichi ». Cela signifie qu'en plus des textes et
images, celui-ci propose d'autres matériaux et liens ainsi que la
possibilité pour l'enseignant d'en ajouter. Le manuel numérique
de 3ème est principalement axé sur la
littérature ; d'ailleurs, les huit premiers chapitres sont construits
autour d'extraits de textes littéraires suivis de chapitres portant sur
le lexique, la grammaire, l'orthographe et la conjugaison. Si nous nous
référons à la typologie des manuels scolaires
présentée dans la première partie, notre manuel fait
partie de ceux qui sont classés comme manuels par extraits de textes et
représente le point de vue pédagogique.
95
http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016.
96 Site éduscol de l'Éducation
nationale,
http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/notions.
49
A. Les textes littéraires et matériels
hyperliés
Le manuel est divisé en quatre grandes
thématiques : 1) Se chercher, se construire, 2) Vivre en
société, participer à la société, 3)
Regarder le monde, inventer des mondes et 4) Agir sur le
monde. Il y a aussi un thème complémentaire qui figure dans
le dernier chapitre. L'ouvrage comporte huit chapitres avec des textes de
différentes époques où diverses thématiques
littéraires sont abordées telles que la tragédie,
l'autobiographie ou la poésie, ce qui correspond au programme de la
classe de 3ème.
a) Les textes littéraires figurant dans le manuel
Tout d'abord, nous trouvons dans ce livre scolaire
numérique 77 extraits différents d'oeuvres littéraires. En
effet, il débute à l'Antiquité avec six extraits et passe
directement au XVIe siècle sans discontinuer jusqu'à
nos jours. Nous pouvons aussi constater qu'environ 67 % des extraits se
concentrent sur les XXe et XXIe siècles.
Tableau 6. Les extraits littéraires du manuel
classés par période, source :
livrescolaire.fr.
Antiquité
|
XVIe siècle
|
XVIIe siècle
|
XVIIIe siècle
|
XIXe siècle
|
XXe siècle
|
XXIe siècle
|
6
|
2
|
4
|
4
|
9
|
37
|
15
|
Les genres littéraires y apparaissent divers et
variés. Il y a, en premier lieu, le genre autobiographique, qui est
particulièrement bien représenté, avec 14 extraits. Le
deuxième extrait du chapitre I est tiré du tome I des
Confessions (1782) de Jean-Jacques Rousseau, c'est une anecdote qui
comporte a priori un message plus philosophique que véridique sur sa
vie, suivie d'un extrait d'Histoire de ma vie (1855) de George Sand
qui critique la conception de l'autobiographie de Rousseau en disant que la
sienne est plus authentique car elle laisse place à la
spontanéité et à l'abandon. Le thème de l'enfance
est abordé avec La Promesse de l'aube (1960) de Romain Gary
où l'auteur raconte le lien entre une mère et son fils mais aussi
sous forme poétique avec « Mon enfance » de Jacques
Brel dans Jacques Brel 67 (1967). L'autobiographie historique est
présente avec le témoignage d'Alexandre Dumas dans Mes
Mémoires (1852-1856), tome II, chapitre 9 où il croise
l'empereur Napoléon Ier juste après la défaite
de Waterloo. De plus, la période de la Seconde Guerre mondiale est
introduite par un extrait du Journal (1947) d'Anne Frank,
50
qui se révèle être un message d'espoir, et
un passage du tome 2 de Mémoires de guerre (1956) de Charles de
Gaulle, où il descend les Champs-Elysées à la
libération de Paris. En fait, les textes autobiographiques du manuel
rassemblent de nombreux auteurs et thèmes et sont
présentés dans un certain ordre de lecture. À titre
d'exemple, l'extrait de Rousseau précède celui de Sand ce qui
semble logique. Cette structure est plus appropriée au manuel papier ou
pdf tandis que la version numérique s'adapte moins bien à la
lecture linéaire.
La poésie occupe une place très importante avec
environ 20 poèmes, passant des Epigrammes de Martial et de
Fables d'Esope datant de l'Antiquité aux Fables (1678)
de Jean de la Fontaine et à un poème (1664) de François de
la Rochefoucauld qui montrent l'évolution de ce genre littéraire
durant des siècles. L'expression des sentiments personnels
transparaît avec les poèmes Soleils couchants (1831) de
Victor Hugo et Le Lac (1820) de Alphonse de Lamartine mais aussi
Crépuscule du soir (1857) et La cloche fêlée
(1861) de Charles Baudelaire. L'amour figure dans l'extrait de Pablo
Neruda mais aussi dans deux extraits de Calligrammes (1918)
d'Apollinaire qui montrent que la poésie peut prendre la forme d'un
véritable dessin. S'y ajoutent des textes de Louis Aragon,
Léopold Sédar Senghor, Grand Corps Malade, Jean Amrouche et Emile
Verhaeren. En fait, cet ensemble de textes poétiques donne une vision
très étendue du potentiel de ce genre. De plus, il est à
noter que nous trouvons un extrait des Epigrammes de Martial
associé à divers « punchlines » de rappeurs, il y a
donc un rapprochement qui s'opère entre un texte de l'Antiquité
et le rap, un style bien actuel. La tragédie est
représentée avec des extraits de l'Antigone de Sophocle
(Ier siècle av. J-C.) de Jean Anouilh (1946), Jean Cocteau
(1922) et Bertolt Brecht (1962) mais aussi avec des parties des Essais
(1580) de Montaigne. Nous trouvons encore un passage des
Caractères (1688) de La Bruyère, Zadig ou la
destinée (1747) de Voltaire et les Lettres persanes (1721)
de Montesquieu. Nous constatons donc que le manuel aborde aussi des
pièces de théâtre et des oeuvres du siècle des
Lumières. Il y a deux extraits de roman du XXIe
siècle avec No et Moi (2007) de Delphine de Vigan, l'histoire
de deux amies adolescentes et Les Années (2008) de Annie
Ernaux, un nouveau genre d'autobiographie. De plus, nous trouvons la
thématique scientifique, comme avec un texte d'Ambroise Paré
provenant de OEuvres (1575), deux autres articles et une interview
publiés en 2014 et 2015 qui portent sur l'oeil artificiel. La
science-fiction est le dernier genre littéraire que nous trouvons dans
ce manuel numérique avec « la classe de Maître Moda
», L'Atalante (2004) de Pierre
51
Bordage. En fait, l'ensemble de ces extraits montre que ce
livre scolaire numérique brosse une multitude de thèmes qui
peuvent projeter le lecteur dans le monde de la littérature. Il y a tant
d'opportunités pour découvrir des histoires, des cultures, du
réel, de l'irréel mais aussi éprouver toutes sortes de
sentiments devant ces fragments d'oeuvres qui sont autant d'univers uniques
à explorer. Il est évident que les manuels numériques et
imprimés contiennent exactement les mêmes extraits
littéraires : de ce point de vue, notre manuel numérique de
français édition 2016 accessible en ligne sur le site
lelivrescolaire.fr n'apporte
aucune différence par rapport à sa version papier.
b) Les liens internes - une autre manière de poursuivre la
découverte
Les liens qui accompagnent les extraits de textes
littéraires et qui font partie intégrante du livre scolaire
numérique sont de natures différentes. En effet, nous avons
constaté qu'il y en a trois sortes distinctes : les extraits de textes
littéraires, les images et un lien qui permet d'accéder à
une fiche lexicale. Nous avons déjà répertorié la
plupart des extraits, c'est pourquoi nous allons nous concentrer sur les images
car elles occupent aussi une place importante dans le manuel avec pas moins de
83 images en rapport avec un texte littéraire.
Tableau 6. Les images en lien avec les extraits de
textes littéraires faisant partie intégrante du manuel,
source :
livrescolaire.fr.
30 tableaux
|
30 clichés photographiques
|
23 images diverses
|
Nous trouvons dans les images de tableaux de nombreux courants
artistiques comme le Réalisme, l'Impressionnisme, le
Néo-classicisme mais aussi des courants plus contemporains, avec le
Street Art. En fait, les images sont toujours liées aux textes
proposés et ouvrent de nouveaux champs de découverte pour le
lecteur. Nous avons retenu trois exemples qui l'illustrent parfaitement. En
effet, en reprenant l'extrait des Mémoires (1852-1856)
d'Alexandre Dumas du chapitre I du manuel où, l'auteur rencontre
Napoléon Ier, avec en toile de fond, la défaite de
Waterloo, nous voyons que l'image qui est en lien avec ce texte est le tableau
de David (1800) où Bonaparte franchit le pont d'Arcole, symbolisant la
victoire. Cette image propose donc une vision radicalement différente de
ce personnage historique par rapport au texte. Le deuxième exemple, qui
est de portée poétique, montre un certain rapprochement fait
autour de la
52
lumière entre le poème Soleils couchants
(1831) de Victor Hugo et le tableau Impression, soleil levant
(1872) de l'impressionniste Monet. Bien que ces deux exemples combinent
des textes et des images du même siècle, dans ce manuel figurent
aussi des textes et des images dont l'association est plus inattendue. En
effet, La Voix, un poème de Robert Desnos datant de la Seconde
Guerre mondiale, est associé avec le graffiti de Bansky intitulé
Colombe de la paix avec gilet pare-balle et fait à
Bethléem en Palestine datant du XXIe siècle. Nous
pouvons voir que les conflits ne sont pas les mêmes, ni les styles,
pourtant, les deux oeuvres dégagent la même thématique de
la liberté.
Les clichés photographiques sont en nombre égal
par rapport aux images de tableaux. D'ailleurs, pour la plupart, ce sont des
photographies qui datent du XXe siècle. Nous pouvons
distinguer deux thèmes qui regroupent une partie importante de ces
images. En premier lieu, il y a 11 clichés qui portent sur la
Première Guerre mondiale, associés à l'oeuvre de Pierre
Chaine, Mémoire d'un rat (1916). En fait, ceux-ci
témoignent de ce qui s'est réellement passé et permettent
au lecteur, suite à la lecture de ce texte, de se rendre mieux compte de
la réalité de ce conflit. Ils ajoutent au manuel une dimension
historique incontestable mais aussi un message contre toutes les guerres. Le
deuxième thème qui ressort de ces images est celui du
théâtre, avec Antigone illustré par huit
clichés. Les extraits de textes de Sophocle datant de l'Antiquité
et de Jean Anouilh du XXe, avec ces photos en couleur, donnent une
véritable impression de continuité mais aussi de
modernité. En fait, ces images donnent la possibilité d'explorer
de nouveaux univers liés aux textes littéraires. Il faut pourtant
faire remarquer que, dans la version numérique, le rôle de images
est moins central que dans le livre imprimé ou pdf, car ils occupent une
toute petite place sur la page-écran. Pour les visionner en
détail, le lecteur doit donc faire le geste de les cliquer.
1
2
53
Figure 13. Comparaison de l'agencement de la même
image dans la version numérique (1) et dans le livre imprimé (2),
source :
lelivrescolaire.fr.
c) Les liens externes - une ouverture sur le monde
En fait, ce livre scolaire numérique, avec ses 51 liens
externes, se distingue de ses versions papier et pdf par rapport aux multiples
possibilités qui sont offertes au lecteur de découvrir de
nouveaux types de ressources liées aux extraits des textes
littéraires.
Tableau 6. Les liens externes en rapport avec les
extraits de textes littéraires faisant partie du manuel, source
:
lelivrescolaire.fr.
Liens vidéos
|
Liens audio
|
Liens vers des sites Internet
|
Liens vers d'autres oeuvres
|
Liens vers d'autres manuels du livrescolaire
|
31
|
3
|
7
|
7
|
3
|
Il est à noter que plus de la moitié des liens
externes dirigent le lecteur vers des vidéos qui se trouvent en ligne,
dont 20 hébergées sur le site YouTube et le reste
partagées, entre autres, sur les sites de Ina.fr, TV5MONDE
et Francetv Education. Ces documents vidéos sont notamment
constitués de chansons comme Victime de la mode de MC Solaar,
Foule sentimentale d'Alain Souchon, Les Choses de Goldman,
Pretty Hurts de Beyoncé, deux
54
chansons de rap, mais aussi des extraits de musique classique.
De plus, il est aussi possible d'écouter d'autres extraits de textes,
par exemple les Confessions de Rousseau ou Invictus en
version originale. De plus, il y a un documentaire retraçant la vie
d'Anne Frank et des vidéos sur la Première Guerre mondiale.
Quelques extraits de texte du manuel sont associés à des
interviews de Romain Gary, Chalandon, Blaise Cendrars, Léopold Sedar
Senghor mais aussi un documentaire sur l'impressionnisme. Nous retrouvons
également trois liens audio avec Toute la vie de Romain Gary
à écouter sur France Inter et deux liens sur D'autres
contes philosophiques à écouter de Voltaire.
Il est très intéressant de voir que les liens
renvoient rarement vers d'autres extraits de textes ou des oeuvres
complètes sur le Web. En effet, il y en a que sept, dont quatre se
trouvent sur
Wikisource.org et
www.pierdelne.com, mais
aussi sur
www.penseesdepascal.fr.
Ces oeuvres sont 12 poèmes de Néruda, Le crépuscule du
soir de Baudelaire (1861), Le Bateau Ivre (1871) de Rimbaud mais
aussi Le Blanc et le Noir (1764) de Voltaire en version
intégrale. De plus, il y a un extrait des Pensées (1670)
de Pascal intitulé Disproportion de l'homme. À titre
d'exemple, une fois qu'il a lu le poème de Neruda, le lecteur a donc
l'opportunité d'en découvrir 12 autres en cliquant sur le lien
adéquat. De plus, il est possible, grâce au lien du manuel, que le
lecteur se retrouve au beau milieu de la bibliothèque de Montaigne, car
elle a été reconstituée en 3D sur le site de
l'Université de Tours. Le lecteur peut donc voir cet endroit où a
passé des heures et des heures. Le site de la maison d'Anne Frank est
consultable, avec un accès à de nombreux documents sur sa vie. On
peut aussi voir des dessins de la Grande Guerre. Nous avons aussi
constaté que deux liens conduisent vers un autre manuel du site
lelivrescolaire.fr. En effet,
les manuels numériques de français et
d'histoire-géographie sont de cette manière connectés. Le
premier lien est sur la thématique de la guerre 14-18 entre des extraits
de Mémoire de rat de Pierre Chaine et un tableau d'Otto Dix sur
la violence de la guerre. Le second lien associe encore l'oeuvre de Chaine,
mais cette fois-ci avec le chapitre d'histoire sur la Première Guerre
mondiale. En définitive, les liens qui renvoient à du
matériel externe au manuel numérique permettent d'avoir un
accès bien plus large dans le domaine de la littérature, et plus
généralement de la culture. En fait, ce manuel numérique
ne reste pas dans un cadre prédéfini comme avec sa version pdf,
mais constitue tout un réseau de nouvelles informations qui ne cesse de
grandir.
55
B. Présentation de la page-écran
L'agencement de la page-écran où apparaît
le texte mais aussi tous les outils qui s'offrent au lecteur est
particulièrement important entre car il joue le rôle d'interface
avec le texte même et affecte donc la lecture. Le manuel est
structuré en différents chapitres, toujours accompagnés
d'un titre qui guide le lecteur, comme avec le chapitre 5, Antigone : Une
voix face au pouvoir. En fait, cette structure s'apparente tout à
fait à celle d'un livre-codex, sauf qu'une différence
fondamentale s'impose : lorsque le lecteur accède à la page
d'accueil du manuel, il ne peut pas se rendre compte à première
vue de son volume de la même manière qu'avec le manuel
imprimé qui contient 400 pages. En fait, en ouvrant le chapitre 1, il
voit qu'il y a 17 sous-parties.
Figure 14. Capture d'écran montrant comment
figurent les 15 chapitres sur la page d'accueil du manuel numérique,
source :
lelivrescolaire.fr.
La conception des pages n'est pas la même dans les deux
versions et fait donc appel à des pratiques de lecture
différentes. Nous prendrons donc comme exemple la page-écran de
l'extrait de texte des Pensées de Montaigne comportant 541 mots
et verrons de quelle manière elle est construite. Ensuite, nous
montrerons les outils dont dispose le lecteur grâce au numérique
en analysant leurs différences par rapport à la lecture sur
format papier.
56
a) Mise en page et matérialités
Tout d'abord, l'extrait des Pensées occupe
horizontalement à peu près les trois quarts de la
page-écran et le quart restant est dédié à une
colonne verticale placée à droite qui contient des informations
supplémentaires. Nous dénombrons une dizaine d'hyperliens sur la
page-écran, dont quatre sont en rapport avec la découverte de
nouvelles informations. De plus, nous trouvons juste au-dessus du texte cinq
outils qui permettent au lecteur de visualiser le texte selon ses
préférences. Ils servent entre autres à ajuster la taille
de la police et l'espacement interlinéaire. Les textes
littéraires sont présentés à gauche sur la
page-écran alors qu'à droite s'alignent des encadrés
proposant des informations supplémentaires. Ce modèle de la
page-écran où la colonne de droite est dédiée
à des information complémentaires est familières aux
lecteurs, comme sur de nombreux sites de journaux.
Figure 15. Mise en page de l'extrait du texte
littéraire sur le site du
livrescolaire.fr,
source :
http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon.
À titre d'exemple, dans le texte qui traite de
Montaigne du chapitre 2, le premier lien de la colonne de droite ouvre dans une
fenêtre indépendante des exercices qui sont liés au contenu
du texte. Deux autres hyperliens orientent l'utilisateur sur des pages externes
au manuel numérique. Le premier donne accès à une
vidéo sur la vie de Michel de Montaigne
57
sur YouTube et le deuxième le dirige sur le site de la
bibliothèque de Michel de Montaigne pour visionner sa reconstitution en
3D. De plus, la colonne de droite contient des fenêtres qui
présentent des définitions et des informations succinctes. En bas
de page, il y a trois hyperliens qui proposent des contenus sur des
thèmes similaires et dirigent l'utilisateur vers d'autres textes du
manuel. Il n'y a aucun hyperlien ou fonctionnalité que le lecteur peut
activer dans le texte même. En fait, nous remarquons que l'apparence est
très dépouillée et ressemble quasiment à une page
d'un livre imprimé. D'ailleurs, le fond de page est d'un gris
très clair, les lettres sont de couleur noire avec une lettrine, comme
la plupart des textes à l'époque de Montaigne. Plusieurs
éléments formels du texte imitent donc la page papier. Il est
également intéressant de voir que les numéros de page du
manuel imprimé sont indiqués en haut de page à
côté du fil d'Ariane.
Figure 16. Lettrine de l'extrait de texte des Essais de
Montaigne, source :
lelivrescolaire.fr.
http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon
Figure 17. Lettrine de l'extrait de texte des Essais de
Montaigne, Cinquiesme edition, augmentée d'un troisiesme livre
et de six cens additions aux deux premiers publié 1588 source :
Gallica.fr.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11718168/f9.image
La police de caractère employée est Helvetica,
qui fait partie des polices sans-serif qui sont considérées
appropriées pour la lecture numérique.97 En effet,
« les études de lisibilité à l'écran montrent
que le texte sans-serif est là plus rapide à lire »,
comme
97 Alexandra Saemmer, Rhétorique du
texte numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p.
113.
58
l'affirment Jakob Nielsen et Hoa Loranger.98 De
plus, la lecture se fait naturellement de façon linéaire, avec le
déplacement des yeux horizontalement de gauche à droite et de
haut en bas lors du passage à la ligne suivante. Les
références de l'extrait, c'est-à-dire le nom de l'auteur,
la place que l'extrait occupe dans l'oeuvre intégrale ainsi que
l'année d'édition, figurent sur la dernière ligne de
l'extrait numérique. En fait, l'ensemble du texte respecte
l'intégralité des codes qui résultent de la lecture
papier, à la différence du choix de sa police de
caractère, comme nous l'avons déjà souligné. De
plus, la page est conçue d'une telle façon que le lecteur n'est
pas distrait par des images dynamiques, comme celles qui clignotent ou bougent
: l'ensemble de la page reste en définitive statique.
b) Fonctionnalités permettant la manipulation
La page-écran offre de multiples fonctionnalités
dans les deux modes d'affichage du texte. Ils permettent à l'utilisateur
de faire des choix qui conviennent à leur lecture mais
nécessitent, d'autre part, des compétences techniques. En effet,
le lecteur doit être familiarisé avec l'environnement
numérique pour pouvoir les utiliser d'une façon appropriée
à ses besoins.
Figure 18. Capture d'écran de certaines
fonctionnalités associées au texte, source :
lelivrescolaire.fr.
Figure 19. Capture d'écran de certaines
fonctionnalités associées au texte en mode plein
écran, source :
lelivrescolaire.fr.
98 Jakob Nielsen et Hoa Loranger (2007). « Site
Web ». Dans : Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte
numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p.
113.
59
Comme nous l'avons déjà constaté dans la
deuxième partie, la fatigue oculaire est un des plus grands
inconvénients associés à la lecture numérique. Elle
peut être diminuée à l'aide de certains choix liés
à la matérialité, comme les couleurs ou police de
caractère mais aussi grâce à certaines
fonctionnalités : lorsque nous déplaçons le curseur de la
souris, une barre permettant de rétrécir ou d'agrandir le texte
s'affiche en bas de l'écran. Ces fonctionnalités permettent donc
au lecteur d'avoir un plus grand confort visuel lorsqu'il lit mais aussi de
s'arrêter sur certains mots qui peuvent l'interpeller.
Dans le mode plein écran, nous retrouvons aussi un
outil qui renvoie à deux liens audio en rapport avec le texte, l'un est
lu par un homme l'autre par une femme. De plus, l'utilisateur peut choisir
entre trois vitesses de débit lors de l'écoute : lente, normale
ou rapide. Il peut aussi régler le son, arrêter l'enregistrement
ainsi que le reprendre où il veut grâce à la barre de
durée. En fait, ces fonctionnalités permettent au lecteur d'avoir
recours à plusieurs moyens qui peuvent l'aider lors de la
découverte du texte, car ces enregistrements audio peuvent être
écoutés alors que le lecteur a toujours accès au texte.
La fonctionnalité DYS illustre parfaitement comment le
livre scolaire numérique est tout à fait capable de s'adapter au
lecteur, à la différence d'un manuel papier classique. Il suffit
que le lecteur active cet outil pour que la police du texte, la longueur des
lignes et l'espacement des mots changent et s'adaptent mieux aux besoins du
lecteur atteint de dyslexie. En fait, le but de cette fonctionnalité est
de faciliter le déchiffrage et la compréhension du texte par une
concentration visuelle renforcée.
Figure 20. Ligne 35 du texte littéraire en
caractère Helvetica sur le site du
livrescolaire.fr,
source :
http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon/document/1171768
60
Figure 21. Même extrait de texte que celui de la
figure 15, cette fois-ci avec une police de caractère adaptée
pour un lecteur dyslexique sur le site du
livrescolaire.fr,
source :
http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon/document/1171768
La fonctionnalité pour imprimer le texte sur papier
figure dans les deux modes de lecture, ce qui est important car il y a toujours
des utilisateurs qui préfèrent la lecture papier. En effet, il y
a un lien entre le numérique et la matière, le contenu
dématérialisé engendre aussi un contenu qui a comme
support une page papier. La coupure entre le numérique et le codex n'est
donc pas définitivement franchie.
c) La possibilité d'une lecture plus immersive
Comme nous l'avons vu dans la deuxième partie de ce
travail, la lecture numérique est souvent caractérisée
comme superficielle et fondamentalement non immersive à cause des
hyperliens qui peuvent interrompre le flux de la lecture. En fait, Alexandra
Saemmer99 distingue trois formes-modèles des
page-écran qui permettent d'anticiper sur des pratiques de lecture. Les
formes modèles pro-intensives qui sont des pratiques de lecture
plutôt lentes et concentrées tandis que les formes-modèles
pro-interventives confondent des activités de lecture et
d'écriture. De plus, les formes-modèles pro-extensives favorisent
la lecture rapide et incitent à la navigation. Notre manuel
numérique contient beaucoup d'éléments qui sont propres au
modèle pro-intensif. Le fait que les extraits ne contiennent pas
d'hyperliens est typique de ce modèle, de même que l'imitation de
certaines caractéristiques héritées du manuel papier comme
celle de la page et l'emploi d'une lettrine. D'autre part, l'emploi d'une
police sans empattements et la numération des lignes favorisent une
lecture rapide. Finalement, les fonctionnalités interactives offertes au
lecteur font partie des formes-modèles pro-interventives mais
nécessitent l'implication
99 Alexandra Saemmer, Rhétorique du texte
numérique. Figures de la lecture, anticipations de pratiques,
Villeurbanne, Presses de l'Enssib, coll. « Papiers », 2015. p.
121-122.
61
corporelle de l'utilisateur. Dans ce sens, leur manipulation
peut être aussi considérée comme une activité de
nature immersive.
Du point de vue de la lecture immersive, l'outil « plein
écran » a retenu particulièrement notre attention. Il se
situe sur la barre du menu juste au-dessus du texte. En effet, il permet
d'avoir le texte que nous avons déjà décrit au centre de
l'écran, avec à ses contours, un bandeau très sombre. Nous
y trouvons aussi six fonctionnalités, toutes de couleur blanche.
Figure 22. L'extrait du texte littéraire en mode
plein écran sur le site du
livrescolaire.fr,
source :
http://www.lelivrescolaire.fr/#!manuel/1171759/francais-3e-2016/chapitre/1171763/se-raconter-se-representer/page/1171766/chercher-a-se-connaitre/lecon/document/1171768
En fait, l'affichage en mode plein écran permet d'avoir
simplement l'extrait littéraire sur une seule page présentant
exactement la même structure qu'une page d'un codex. Les
éléments externes au texte même, susceptibles de parasiter
la lecture, sont très limités et d'une couleur neutre. Il n'y a
donc plus d'images avec des couleurs plus ou moins vives, ni de menu externe,
comme nous pouvons encore voir sur la figure 15. Cet agencement du texte par
rapport à la page-écran produit, donc chez l'utilisateur, une
lecture beaucoup plus immersive, qui s'apparente fortement à la lecture
papier. En effet, le lecteur lit d'une manière linéaire.
D'ailleurs, les numéros de ligne sont affichés à gauche,
ce qui peut aider le lecteur à être plus concentré en ayant
une vue rapide sur la longueur approximative du texte. Par contre, le lecteur
ne peut pas être passif s'il veut lire l'ensemble de l'extrait, car
62
celui-ci n'apparaît pas entièrement sur
l'écran. En fait, le lecteur doit s'aider de la souris pour faire
défiler la suite. Cela induit donc qu'il est actif lors de la
lecture.
C. Rôle du lecteur - lecture guidée ou
découverte ?
La lecture avec un manuel numérique ainsi que la place
du lecteur dans ce contexte suscitent de nombreuses questions. En effet, avec
l'apparition du numérique, le débat qui existe dans l'histoire de
la littérature sur le rôle du lecteur a pris un nouveau tournant.
Auparavant, les polémiques et les conceptions autour de ce sujet se
construisaient toujours par rapport au livre papier, c'est-à-dire le
codex. Les points de vue pouvaient être très tranchés comme
au XXe siècle avec Paul Valéry et Roland Barthes. En
effet, le premier avait une conception radicalement différente de la
place du lecteur, par rapport à l'idée que s'en faisait le
second. Valéry se représentait le lecteur comme un simple
usufruitier de l'oeuvre alors que pour Barthes, il était responsable de
son interprétation.100 Il y a donc deux visions qui
s'affrontent, un rôle passif pour l'un et pour l'autre un rôle
actif. En fait, notre analyse s'appuiera sur une conception bien plus actuelle,
celle d'Alexandra Saemmer, qui porte sur les attentes du lecteur mais aussi sur
le statut même du lecteur numérique et sur la manière dont
l'évolution du manuel scolaire littéraire, dans le cadre du
numérique pose de nouvelles questions sur la lecture.
a) Les attentes du lecteur
Comme nous l'avons vu précédemment, selon
Alexandra Saemmer, tous les textes contiennent des annonces qui suscitent des
attentes chez le lecteur. C'est donc le texte, avec ses
caractéristiques, qui oriente celui-ci vers un certain point de vue.
Quand il s'agit de la littérature didactique, le lecteur attend un
contenu informationnel. Et lorsque l'on pense à un texte
littéraire du manuel scolaire numérique, on imagine retrouver la
même structure qu'un texte littéraire sur papier. Nous sommes
naturellement conditionnés par ce que nous avons appris et avec quel
matériel nous avons appris.
100 Thomas Vercruysse, Barthes et Valéry dans Revue Roland
Barthes, Jeunes chercheurs, N?1, Juin 2014,
http://www.roland-barthes.org/article_vercruysse.html.
63
L'hyperlien est une des caractéristiques du texte
numérique qui suscite chez le lecteur des attentes, même avant
d'être activé. Celles-ci sont conditionnées par la
façon dont ce lien est présenté sur la page-écran :
par exemple le mot qui introduit le lien ainsi que le texte qui l'entoure ou
qui explique son contenu. Dans notre manuel, les liens internes et externes
sont présentés séparément, ce qui permet au lecteur
de les distinguer facilement. Pour les liens externes, il est indiqué de
quelle sorte de matériel il s'agit. Il est naturel que le contexte
influence aussi les attentes. À titre d'exemple, dans un manuel scolaire
ou un magazine scientifique, le lecteur attend de trouver des liens qui
orientent vers des informations vérifiées.
Nous avons répertorié dans ce livre scolaire
numérique 164 liens internes et 49 liens externes ainsi que deux liens
externes qui ne fonctionnaient pas. Il est intéressant de voir que la
majeure partie des liens sont internes et servent souvent à indiquer au
lecteur d'autres extraits sur des thèmes similaires. Si nous analysons
les liens internes en ayant recours à la typologie d'Alexandra Saemmer
présentée dans la deuxième partie de ce travail, nous
dénombrons 51 liens dialogiques et 113 informationnels. Dans le chapitre
3, nous trouvons par exemple, en connexion avec un texte de Martial du
Ier siècle ap. J.-C, des hyperliens qui renvoient à
des « punchlines », c'est-à-dire des phrases choc que l'on
retrouve dans le milieu du rap. Nous avons classé ces liens dans la
catégorie « dialogique » car ces phrases choc donnent une
dimension tout à fait nouvelle au texte de Martial. De la même
manière, la reproduction d'un tableau de Magritte intitulé
Les amants hyperliée à l'extrait de Zadig ou la
Destinée, peut être considérée comme dialogique
parce qu'elle permet d'observer le sujet traité sous l'angle du
surréalisme. En ce qui concerne les liens informationnels, les
photographies associées aux extraits de Mémoire d'un rat
de Pierre Chaine dans le chapitre 4 sont particulièrement
intéressantes parce qu'elles apportent visuellement, des informations
complémentaires sur la Grande guerre. Il y a aussi dans le chapitre 5,
les photographies d'une représentation d'Antigone, la
pièce de Jean Anouilh associées à la fois à ses
extraits de texte mais aussi à ceux de l'Antigone de
Sophocle.
Lorsque nous nous attardons sur les liens externes du manuel,
nous constatons qu'il y a aussi des liens informationnels, au nombre de 33,
comme dans le chapitre I avec l'extrait
64
de texte intitulé Une houle vivante de Charles
de Gaulle et une affiche de l'appel du 18 juin qui se trouve dans le manuel
d'histoire géographie de troisième. En effet, il
révèle au lecteur le contenu exact de cet appel historique. Nous
retrouvons aussi un lien qui associe un extrait de Mémoire d'un rat
de Pierre Chaine, cette fois-ci, à une vidéo qui explique ce
qu'est un Poilu. De plus, le site Internet de la maison d'Anne Franck apporte
une documentation complète associée à l'extrait de la
jeune écrivaine. Il y a aussi des liens dialogiques, comme dans le
chapitre 2, où un extrait de La Promesse de l'aube de Romain
Gary est lié avec une vidéo de Evgeny Kissin jouant un passage du
concerto La Campanella de Paganini mais aussi avec un autre texte de
Romain Gary, qui est associé à un documentaire vidéo sur
l'opération Walkyrie. En somme, une grande partie des liens sont
informationnels, ce qui est tout à fait attendu dans un manuel
scolaire.
b) Interactivité - réseaux sociaux et messages
E-mail
Le site «
lelivrescolaire.fr » permet
au lecteur d'utiliser des fonctionnalités typiques du monde
numérique. Dès la page d'accueil, il est proposé de
s'inscrire gratuitement en fournissant une adresse E-mail et en créant
un mot de passe. Cela permet de pouvoir paramétrer son propre compte,
d'avoir de l'aide en ligne et d'avoir accès durant un temps
limité au manuel en mode hors connexion. De plus, lorsque nous activons
le mode plein écran d'un extrait de texte, nous voyons apparaître
des boutons, dont l'un d'eux renvoie vers deux liens qui incitent au partage et
à la lecture sociale. En effet, il est possible d'accéder de
cette manière à Facebook et de laisser un commentaire sur sa
propre page, et ainsi de pouvoir partager ces impressions mais aussi le texte
avec ses amis. L'autre option oriente vers Twitter. La fonctionnalité
est similaire, à la différence que la taille du message que le
lecteur peut envoyer est au maximum de 140 caractères. En fait, le
lecteur, avec ces deux réseaux sociaux, peut recommander un extrait de
texte littéraire, comme par exemple le poème Soleils
couchants de Victor Hugo.
65
Figure 23. Capture d'écran d'une question
posée à des amis sur le poème « Soleils couchants
» de Victor Hugo sur ma page Facebook.
Une autre option est disponible pour le lecteur à
partir du moment où il est inscrit sur «
lelivrescolaire.fr ».
Presque sur toutes les pages du site, il y a un lien Une question ?
qui s'affiche en bas à droite de l'écran de couleur orange.
Cette fonctionnalité offre l'opportunité de pouvoir poser
n'importe quelle question en ligne concernant un texte littéraire
à une personne travaillant pour lelivrescolaire. Ainsi, nous avons
envoyé un message à 12h35 demandant où nous pourrions lire
en ligne gratuitement des oeuvres d'Alexandre Dumas et nous avons reçu
une réponse par E-mail à 17h58 de Pénélope nous
informant que « Les oeuvres complètes d'Alexandre Dumas sont
disponibles à l'achat en librairie ou sur Internet. Vous pouvez
cependant les consulter et les emprunter gratuitement dans les
bibliothèques. ».
66
Figure 24. Deux captures d'écrans : à
gauche question posée en ligne sur
lelivrescolaire.fr
et à droite réponse envoyée par
Pénélope.
En fait, ce panel d'outils internes au site du manuel mais
aussi externes dirigeant donc vers certains réseaux sociaux, donne
l'opportunité au lecteur, d'être particulièrement actif. Il
ne semble pas que ces possibilités distraient le lecteur lorsqu'il lit
l'extrait d'un texte littéraire, car ces liens ne figurent pas dans le
texte même et sont toujours soit en haut soit en bas de page. Plus
particulièrement, les liens qui mènent à Facebook et
Twitter ne dérangent pas la lecture grâce leur emplacement et
leurs aspects visuels. D'ailleurs, il faut avoir une certaine pratique pour les
trouver. Une personne habituée à fréquenter ce site
endosse de cette manière un rôle à la fois de lecteur mais
aussi d'utilisateur et contribue de cette manière à faire
découvrir des oeuvres littéraires. Il devient donc une sorte de
relayeur de la connaissance par le biais de ces réseaux sociaux.
c) Une certaine manière de guider le lecteur ?
Le lecteur de ce livre scolaire numérique a un choix
très vaste d'extraits d'oeuvres littéraires, comme nous l'avons
montré plus haut. Pourtant pour donner un exemple, il n'y a aucun texte
du Moyen-Age et la Renaissance est très peu présente. En fait, il
n'y a aucun texte du IIe siècle jusqu'au XVe
après J.-C., le manuel se concentre essentiellement sur des
périodes beaucoup plus récentes allant du XIXe
siècle jusqu'à nos jours. En effet, ce manuel numérique
doit respecter le programme scolaire pour les élèves de
3ème. Il inclut aussi certaines thématiques comme le
lyrisme, l'autobiographie ou encore la tragédie. Un certain nombre de
mouvements littéraires n'y figurent pas, comme la
67
comédie, le réalisme ou l'existentialisme. En ce
sens, le livre scolaire numérique que nous avons étudié ne
se distingue pas des manuels scolaires imprimés. Nous avons aussi
constaté, compte tenu de l'apparence de la page-écran, que la
priorité a été mise sur la place qu'occupe le texte
littéraire par rapport aux images, à la différence du
manuel papier. Ainsi, sur la double page 26-27 du manuel imprimé, nous
pouvons distinguer l'image mais aussi d'autres zones qui ne font pas partie du
texte alors que dans la version numérique le texte occupe presque la
totalité de la page écran, l'image est minuscule et les liens
sont en tout petits. Cela est particulièrement intéressant car
cet exemple contredit l'idée reçu que le multimédia
privilégierait l'image par rapport au texte.
Figure 25. Deux captures d'écrans : à
gauche double page du manuel imprimé, source :
lelivrescolaire.fr et
à droite la page écran qui est l'équivalent de la double
page précitée, source :
lelivrescolaire.fr.
En fait, le lecteur est guidé, car la plupart des liens
qui lui sont proposés sont internes au manuel. Pour ceux qui renvoient
à des sites extérieurs, comme YouTube,
wikisource.org ou bien encore
Ina.fr, ils orientent le lecteur sur des pages gratuites en ligne. Il n'y a
aucun site de référence en lien dans le manuel qui soit payant,
comme l'Encyclopedia universalis ou les Classiques Garnier numérique. De
plus, les liens externes ont la particularité de ne pas toujours
être stables : il faut donc les contrôler
régulièrement. D'ailleurs, nous avons trouvé deux liens
qui posent problème. En effet, dans le chapitre 5 consacré
à Antigone, un extrait de la version de Brecht est
proposé mais lorsque l'on clique sur le lien, il ne fonctionne pas. Il y
a aussi dans le même chapitre un lien vers une vidéo, toujours sur
le thème d'Antigone, qui dirige le lecteur vers TV5MONDE mais la
séquence n'apparaît pas à l'écran. Les liens
dirigeant vers des réseaux sociaux prouvent que les concepteurs du
manuel numérique se sont concentrés sur Facebook et Twitter. Ils
n'ont pas mis en lien des sites français tels que
Skyrock.com, qui permettent aussi
d'échanger en créant
68
des blogs gratuitement. L'image de la chaîne de radio
n'est sans doute pas idéale dans l'optique d'un site de manuel scolaire
en ligne. Le fait de pouvoir aussi poser des questions dans le site du manuel
montre que l'utilisateur se trouve dans une position d'attente par rapport
à une forme de tutorat. De plus la réponse apportée par
cette personne influence naturellement le lecteur. Il est à noter, que
ce manuel numérique littéraire tire sa légitimé du
fait que sa conception a été faite autour d'une grande
collaboration de professeurs comme le souligne Marie-Astrid Deweerdt. Ainsi,
chaque chapitre est créé par un groupe d'auteur dont leur travail
est revu par une communauté de professeur dans toute la France et
coordonné par les directeurs d'ouvrages. Cette manière de faire
permet de prendre en compte les idées mais aussi les besoins des
professeurs101. D'ailleurs, les auteurs de notre manuel
numérique figurent sur une double page au début du livre
scolaire. Il y a notamment 19 auteurs de littérature ainsi que 77
co-auteur disciplinaires et la liste de tous les professeurs qui ont
participé à la création de ce manuel réparti dans
leurs 28 académies respectives. Les contenus et les liens qui sont dans
notre manuel guident le lecteur dans le sens pédagogique que veulent les
auteurs mais ils ne ferment pas pour autant la possibilité de pouvoir
découvrir des textes, des vidéos ainsi que des images qui ne sont
pas dans le programme de 3ème, ce manuel numérique est
donc un « accès » aussi à la culture qui dépasse
le cadre purement scolaire. En effet, lorsque l'utilisateur se retrouve sur des
sites externes où il y a entre autre des vidéos, images, de la
musique audio ou des textes littéraires, rien ne l'empêche de
pouvoir cliquer sur des liens de ces sites pour prolonger la découverte
d'une oeuvre comme avec le Crépuscule du soir de Baudelaire En
effet, sur la page Wikisource, il est aussi possible d'aller vers d'autres
oeuvres du même auteur par le biais des liens suivants : La Solitude
ainsi que Les Tentations, ou Eros, Plutus ou la Gloire. En fait,
le lecteur est dans un schéma de lecture et de découverte
encadré jusqu'à un certain point. C'est ce qui distingue aussi le
manuel numérique du manuel papier car il est tout de même possible
de découvrir d'autres oeuvres en ligne alors qu'avec un manuel papier
cela est impossible. En effet, il faut se déplacer dans une
bibliothèque ou bien l'acheter en librairie, mais dans ce cas, la part
de surprise qui est inhérente au mot « découverte » a
disparu alors qu'avec le Web elle est toujours bel et bien présente.
101 Emilie Blanchard, Des manuels scolaires collaboratifs
coécrits par 400 professeurs, Association EPI, Juin 2016.
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1606d.htm
69
Conclusion
Le concept du manuel numérique englobe des
réalisations très différentes, partant de simples pdf
à des manuels plus innovants, comme le manuel que nous avons
étudié en détail. Pourtant, ce manuel numérique
littéraire semble être resté très ancré
à son modèle papier. À titre d'exemple, les versions
papier et numérique de notre manuel contiennent exactement les
mêmes extraits de textes, même si rien n'empêcherait
d'inclure des matériaux supplémentaires dans la version
numérique. De plus, le modèle papier semble celui auquel on se
réfère, même dans la version numérique, en indiquant
par exemple les numéros de pages du manuel imprimé. Pourtant, si
les contenus des versions imprimée et numérique sont exactement
les mêmes, il y a d'autres différences qui influencent la
lecture.
Les théories de lecture que nous avons
étudiées montrent que la lecture numérique est
différente de la lecture traditionnelle papier. L'étude de notre
manuel numérique révèle aussi que ses auteurs ont bien
pris soin d'assurer pour le lecteur, qui s'avère avoir aussi un
rôle d'utilisateur, une expérience de lecture la plus
agréable et « profonde » possible. Les textes sont
présentés de telle manière sur la page-écran qu'il
est facile de se concentrer sur le contenu, car il y a très peu de
facteurs dérangeants comme par exemple des liens qui pourraient
parasiter la lecture. La présentation du texte s'apparente tout à
fait à la page à celle d'un livre imprimé. La version
numérique permet aussi de prendre en compte certains besoins individuels
du lecteur, comme les problèmes de lecture ou de vue. Si un des buts du
manuel scolaire littéraire est de donner envie de lire et de
découvrir la littérature, il est évident que le manuel
numérique est de loin supérieur au manuel papier, car il donne un
accès très facile à d'autres textes, oeuvres et
informations disponibles sur Internet. Grâce à des réseaux
sociaux, la lecture devient également une activité sociale, donc
de partage. Le lecteur a l'opportunité avec tous ces outils à sa
disposition, d'être actif, à la différence d'un lecteur qui
lit à l'aide d'un manuel papier, et qui peut plus facilement s'enfermer
dans une certaine passivité.
Un autre aspect est particulièrement important. En
effet, le manuel numérique se base, comme le livre papier sur une
lecture guidée, car l'auteur ou les auteurs essayent d'emmener le
lecteur dans une certaine direction. Par contre, les liens et hyperliens
donnent l'occasion au lecteur de pouvoir découvrir beaucoup plus
d'informations, grâce
70
à Internet, qu'avec un manuel papier. En effet, il
suffit de cliquer sur le lien qui renvoie sur une vidéo résumant
la vie d'Anne Frank pour accéder au site entier du Grenier de Sarah,
où il est possible de visionner dix autres vidéos. Les
possibilités sont donc plus nombreuses et immédiates, car si un
lecteur veut avoir plus d'informations après avoir lu un texte dans un
manuel papier, il doit obligatoirement recourir à d'autres moyens, comme
se déplacer dans une bibliothèque, faire des recherches sur
Internet ou bien encore poser des questions à son professeur.
En définitive, le manuel scolaire numérique
marque une forte évolution par rapport à son modèle
papier, même si, du point de vue de son contenu, il est une simple
reproduction dématérialisée du modèle papier. En
effet, il se base sur le modèle du livre papier, qui a
déjà une histoire depuis maintenant des siècles. C'est
pour cela qu'il est plus juste, pour parler des manuels numériques
littéraires, de les envisager non pas comme une révolution par
rapport au manuel papier en général mais plutôt comme une
évolution des pratiques de découverte des extraits d'oeuvres
où le lecteur n'utilise plus simplement sa vue et le simple geste de
tourner des pages comme dans une lecture linéaire, mais bel et bien
comme une activité qui nécessite une plus grande contribution du
corps mais aussi une certaine concentration pour savoir où trouver
l'information que l'on recherche. Le lecteur n'est donc plus bercé par
le texte, il doit être actif pour pouvoir appréhender le texte
qu'il lit avec toutes les nouvelles possibilités qui lui sont offertes
grâce à la lecture numérique. Le manuel numérique
littéraire se révèle, en tant que tel, être un outil
mais aussi un livre formidable pour découvrir des textes qui
transportent le lecteur vers un imaginaire qui remonte à la nuit des
temps.
71
BIBLIOGRAPHIE
Articles de revues
· BACCINO Thierry, Lire sur internet, est-ce toujours lire
? Métamorphoses de la lecture, [En ligne] Bulletin des
Bibliothèques de France (BBF), t. 56, no 5, 2011, pp. 63-66,
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http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/49580-lire-sur-internet-est-ce-toujours-lire.pdf
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TÉLÉMAQUE, livre de F. de Fénelon ». In Universalis
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