UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2
MESURES DE L'UTILISABILITÉ DU LOGICIEL DE
TRANSCRIPTION AUTOMATIQUE NAT BRAILLE V. 2.0
ENTRE ERGONOMIE LOGICIELLE ET DESIGN D'INTERACTION
HOMME-MACHINE
MÉMOIRE DE MASTER EN HUMANITÉ ET SCIENCES
HUMAINES MENTION SCIENCES COGNITIVES SPÉCIALITÉ
PROFESSIONNELLE SCIENCES COGNITIVES APPLIQUÉES Niveau : M. 2
RESPONSABLE DE FORMATION :
Monsieur J. ÉCALLE
PRÉSENTÉ PAR :
Alexis FRUET
RÉALISÉ SOUS LA DIRECTION DE :
Monsieur Jordan NAVARRO
ENCADRÉ PAR :
Monsieur Bruno MASCRET
au Laboratoire d'Informatique en Image et Systèmes
d'Information (LiRiS) UMR 5205 CNRS / Université Claude Bernard LYON
1
JUIN 2011
- 1 -
RÉSUMÉ
À partir des recommandations issues de la
littérature en ergonomie logicielle, nous avons proposé des
corrections pour améliorer l'utilisabilité du logiciel de
transcription braille NAT v. 2.0. Nous avons contrebalancé l'ordre de
présentation des interfaces originale et corrigée pour deux
groupes de cinq participants travaillant avec des enfants déficients
visuels. Les enregistrements des passations ont permis de dégager
qualitativement des problématiques d'utilisabilité, et
quantitativement des scores de performance. Les résultats ont
montré que les corrections apportées étaient efficaces de
ces deux points de vue (scores et jugements subjectifs). Les tests ont
été complétés par une inspection analytique
d'interface ; les conseils et dessins techniques délivrés ont
entraîné des modifications substantielles dans le design
d'interaction entre l'opérateur et l'outil, ainsi qu'au sein même
du système.
Mots-clés : NaT, braille, ergonomie,
utilisabilité, inspection analytique, interaction homme-machine, design
d'interaction.
- 2 -
SOMMAIRE
Résumé 1
1. Introduction 4
1.1. Handicap, accessibilité, adaptation 4
1.2. Présentation de NaT Braille 7
1.3. Outils de l'ergonomie logicielle : intérêts,
limites et dangers 9
1.4. Objectifs et principes de la présente étude
14
2. Expérience 15
2.1. Méthode 15
2.1.1. Participants 15
2.1.2. Matériel 15
2.1.3. Procédure 16
2.2. Résultats 18
2.2.1. Temps de passation 19
2.2.2. Nombre de clics 20
2.2.3. Nombre d'étapes 21
2.2.4. Nombre de fausses manipulations 22
2.2.5. Nombre d'erreurs 23
2.2.6. Nombre de remarques négatives 24
2.2.7. Nombre de remarques positives 25
2.2.8. Données subjectives et qualitatives 25
3. Discussion 26
3.1. Données 26
3.2. Inspection analytique 28
3.3. Configurations et options 29
3.4. Bilan et perspectives 31
4. Conclusion 32
Références 33
Compléments bibliographiques 35
Annexes 36
Annexe A ( système braille ) 36
Annexe B ( critères ergonomiques ) 37
Annexe C ( interfaces ) 38
Annexe D ( consignes ) 40
Annexe E ( extrait de passation ) 41
Annexe F ( chemins logiques ) 42
Annexe G ( inspection analytique ) 44
Annexe H ( dessins techniques ) 48
- 3 -
- 4 -
1. INTRODUCTION
A l'aide d'observations et de mesures portant sur
l'utilisation, en conditions écologiques, du logiciel de transcription
automatique en braille « Not another Transcriber » (NAT)1,
nous nous proposons de fournir les conseils et recommandations issus de la
littérature en ergonomie des logiciels et « design d'interaction
homme-machine » afin d'améliorer l'utilisabilité
générale de cette application.
Nous verrons ainsi en quoi NAT s'inscrit dans une
démarche originale de compensation du « handicap »,
après un bref rappel des définitions et des situations nouvelles
se rapportant à cette notion complexe et évolutive. Nous
cernerons ensuite les différentes définitions et méthodes
ainsi que les outils variés proposés par le domaine ergonomique
pour la conception et l'évaluation d'interfaces sous l'angle de leur
utilisabilité ; terme qui recouvre, selon la norme ISO 9241-11,
« le degré selon lequel un produit peut être utilisé,
par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis
avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte
d'utilisation spécifié ».
1.1. Handicap, accessibilité,
adaptation
Les chiffres de l'enquête Handicap, Incapacités
et Dépendances (HID) menée par l'Institut National de la
Statistique et des Études Économiques (INSEE) pour l'année
2002 montrent qu'au total, ce sont 1,7 million de personnes qui souffrent d'une
acuité visuelle (AV) faible en France :
560 000 malvoyants légers (AV comprise entre
3/10e et 1/10e) ; 932 000 malvoyants moyens (AV comprise
entre 1/10e et 1/20e) ;
207 000 malvoyants profonds (AV comprise entre
1/20e et 1/50e), dont environ 61 000 aveugles complets
(AV nulle).
De plus, parmi les déficients visuels :
- 30% souffrent d'un poly-handicap ;
- 60% sont des personnes âgées de plus de 60 ans
;
- moins de 1% (8 000 personnes environ) se servent d'interfaces
d'ordinateurs (reconnaissance vocale, écran tactile, synthèse
vocale).
1
http://natbraille.free.fr
- 5 -
Enfin, 15% des aveugles seulement ont appris le
braille2, 10% l'utilisent pour la lecture et 10% pour
l'écriture.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a en outre
proposé en 1989 les définitions suivantes relatives au domaine du
handicap, qui distinguent :
la déficience : altération d'une structure
ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique ;
l'incapacité : réduction partielle ou totale de la
capacité à accomplir une activité ;
le handicap (ou « désavantage
» selon les termes propres de l'OMS) : désavantage social
résultant, pour l'individu, d'une déficience ou d'une
incapacité, et qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle
« normal ».
L'OMS cite par exemple les désavantages de
mobilité, d'activité occupationnelle, d'orientation... On vient
à considérer qu'en fonction de la tâche à accomplir,
de l'environnement dans lequel il est amené à l'accomplir, et des
connaissances ou capacités dont il dispose relatives à cette
tâche, tout individu peut être confronté, pour des
durées variables, à des situations de handicap, et non plus
seulement les seules personnes comptabilisées par les études
statistiques. Par extension, on estime que s'attacher à la compensation
d'un handicap donné, dans une situation et un environnement
donnés, peut constituer un avantage pour des individus non
concernés de prime abord par cette compensation. Archambault (2010,
chap. 1) fournit l'exemple de plans inclinés bordant certaines portions
d'escaliers : destinés à l'origine aux déficients moteurs,
ils servent aussi à pallier des situations de « handicap »
dans lesquelles se retrouvent d'autres populations (accidentés, parents
avec poussettes, personnes âgées...). On ajoutera sur ce point
précis que ce type d'aménagement peut aussi entraîner une
détection plus difficile à la canne blanche et des
problèmes de stabilité spécifiques pour les aveugles...
Mais, d'une manière générale, s'attacher à
favoriser l'accessibilité de documents, de lieux, ou d'activités,
à des groupes d'individus présentant une déficience, a
aussi des répercussions sur l'accessibilité de ces domaines au
reste de la population. On ne considère donc plus le handicap comme
seulement découlant d'une déficience organique, mais
plus généralement comme une notion « situationnelle »,
rattachée à l'environnement.
Parmi les différents types de déficiences, une
large part de la recherche technologique s'est orientée vers la
compensation des situations de handicap générées par les
déficiences sensorielles ; entre autres, celles
résultant d'une déficience visuelle. Cette population
bénéficie ainsi de la mise à disposition de moyens
techniques nouveaux pour l'accès à l'information écrite
(Thoumie, 2004).
2 Il est réputé difficile d'être performant
en braille si l'apprentissage est trop tardif.
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On peut citer par exemple :
- les synthèses vocales logicielles couplées
à des lecteurs d'écrans, pour un retour auditif du texte
présenté ;
- les systèmes de reconnaissance de parole,
utilisés pour la production écrite sur ordinateur personnel ;
- les plages braille
éphémères3, utilisées par les
non-voyants pour la lecture tactile des informations codées en braille
;
- mais aussi l'application de techniques laser à la
canne blanche traditionnellement associée aux non-voyants, pour une
meilleure perception de l'environnement.
D'un autre côté, cet accès à
l'information reste difficile et incomplet, en particulier lorsque le contenu
devient complexe. La lecture ou la production d'un texte long, trop (ou trop
peu) hiérarchisé, présentant des écritures
non-linéaires (par exemple, mathématiques), ou encore
intégrant des tableaux ou des illustrations, fournit autant d'exemples
d'un accès à l'information typiquement séquentiel,
partiel, et gourmand en ressources cognitives pour les déficients
visuels. Surtout, Uzan (2005) rappelle que l'accès à
l'information reste encore caractérisé par sa lenteur
(handicap temporel ou time disability).
Dans le domaine de la prise en charge scolaire de jeunes
déficients visuels4, l'adaptation de contenus complexes
(figures et équations en mathématiques, formules et
schémas en physique et chimie, cartes en histoire et géographie,
tableaux en sciences économiques) peut être
réalisée, en application de normes précises,
sophistiquées, et en constante évolution, par des
transcripteurs-adaptateurs professionnels. Cependant, faire appel aux centres
de transcription reste une démarche coûteuse en temps, comprenant
le délai d'envoi du document, de réalisation de l'adaptation, et
de retour du document adapté. Ce temps s'ajoute à celui qui
pénalise déjà les aveugles dans leurs tâches pour
l'accès à ces documents. Par ailleurs, tous les déficients
visuels ne peuvent avoir accès à ce type de service : comme
Archambault (2010, chap. 4) le souligne, la France a du retard à combler
dans le domaine de « l'éducation pour l'inclusion ». C'est
donc dans l'optique de fournir une solution automatisée « simple
d'utilisation pour les non-professionnels, accessible pour les non-voyants, et
suffisamment paramétrable pour intéresser les transcripteurs
professionnels » (Mascret, Mille & Ollier, 2008) que NAT a
été conçu.
3 La plage braille, ou plage tactile (refreshable Braille
display en anglais) est un dispositif électro-mécanique
servant à afficher les caractères braille envoyés par un
ordinateur.
4 En France, la loi de 2005 pour l'«
égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées » permet la
scolarisation en « milieu ordinaire » de ces personnes.
- 7 -
1.2. Présentation de NAT Braille
Mascret et al. (2008) décrivent rapidement le
système braille et la chaîne de transcription
élémentaire, puis les principes généraux d'un
transcripteur braille idéal : « une solution
intégrée, d'utilisation polymorphe, accessible à tous et
indépendante de configurations particulières ». Des
précisions concernant les normes de transcription et le système
braille sont reportées en annexe A.
Développé à partir de 2006 pour faciliter
la diffusion mais aussi l'apprentissage du braille, NAT permet de
réaliser la conversion automatique de textes littéraires ou
scientifiques en format de fichier directement interprétable par les
plages tactiles ou les embosseuses5 utilisées par les
lecteurs de braille. Une large diffusion de NAT permettrait ainsi de dispenser
les professeurs, accueillant des enfants handicapés en
intégration scolaire, de la mise en place de procédures lourdes
et chronophages pour la transcription de documents simples. Il permettrait
aussi l'interaction, en classe, de l'élève non-voyant avec son
enseignant, grâce à une fonction de dé-transcription du
braille ; enfin, il pourrait par la suite être utilisé par les
professionnels des centres de transcription (notamment pour sa puissance de
traitement dans le domaine de la transcription scientifique).
C'est un logiciel que l'on peut donc ranger dans la
catégorie des aides techniques, ou systèmes d'assistance, tels
que Spérandio (2007) les différencie d'autres produits techniques
(« produits généraux » et « aménagements
particuliers »). Parmi ses particularités, on note qu'il s'agit
d'un logiciel libre et multiplateforme, conçu de manière
modulaire afin de permettre son intégration dans d'autres logiciels ou
librairies et de garantir la réutilisation de ses composants en leur
permettant de fonctionner de manière indépendante les uns des
autres. NAT se compose de trois modules spécialisés qui
réalisent :
- la conversion du fichier d'entrée au format interne
à l'application ;
- la transcription proprement dite ;
- un post-traitement pour la mise en forme, l'exportation ou
l'impression du fichier obtenu.
Il utilise des règles, implémentées par
des feuilles de style en langage XSL (eXtensible Stylesheet Language),
pour la reconnaissance d'éléments de texte (syllabes, mots,
phrases, paragraphes) et d'écritures spécifiques (par exemple,
les écritures scientifiques, les abréviations, etc.). De
même, la transcription des textes en braille abrégé se fait
à l'aide de règles implémentées, là
où les autres solutions de transcription existantes utilisent des
dictionnaires. Ce sont ces règles (ou filtres) qui serviront
à la transcription automatique du texte.
5 L'embossage est une technique permettant de créer des
formes en relief dans du papier ou un autre matériau déformable.
L'embossage braille est réalisé à l'aide d'imprimantes
dédiées, appelées embosseuses.
- 8 -
Outre son caractère compatible (avec plusieurs
systèmes), interopérable (avec d'autres logiciels) et gratuit,
c'est le développement de ces filtres qui confère aussi à
NAT son originalité : ils s'approchent d'une modélisation de
fonctionnement intelligent et concourent à l'idée,
défendue par Abhishek et Basu (2006), de créer les conditions
d'une vraie communication assistée, par le développement d'une
étape d'interprétation automatique du texte. Ces filtres
peuvent par ailleurs se combiner entre eux, fournissant des possibilités
étendues de personnalisation de la transcription.
L'enregistrement de ces combinaisons peut fournir les configurations
utilisables par le public non-expert de NAT. Par exemple, les deux
configurations présentées dans le tableau 1 peuvent constituer le
paramétrage par défaut, en fonction de leurs besoins, soit d'un
professeur d'intégration en Mathématiques, niveau
6ème (son élève ne connaît pas le braille
abrégé, et dispose d'une plage tactile : configuration 1), soit
d'un professeur de Français en établissement
spécialisé, niveau 2nde (il dispose d'une embosseuse
sur son lieu de travail, et son élève connaît bien le
braille abrégé : configuration 2).
Tableau 1. Deux types de configurations d'utilisation de NAT en
fonction de la combinaison de filtres retenue.
Nom du filtre
|
Configuration 1
|
Configuration 2
|
Type de braille
|
intégral
|
abrégé
|
Traiter les Mathématiques
|
oui
|
non
|
Traiter les tableaux
|
oui
|
non
|
Couper les mots en fin de ligne
|
non
|
oui
|
Type de sortie
|
format électronique
|
embosser (embosseuse spécifiée)
|
Enfin, l'un des atouts prépondérants de NAT
reste sa capacité à faire dialoguer voyant et non-voyant par
l'intermédiaire d'une interface dédiée. Archambault (2010,
chap. 2) souligne qu'il est « essentiel de développer de nouveaux
outils de travail collaboratif entre voyants et aveugles ou malvoyants, [...]
à la fois pour servir ces élèves ou leurs enseignants,
mais aussi pour concourir à propager cette idée de
l'intégration scolaire ». Sur deux aperçus placés en
côte-à-côte, l'un affichant le texte braille, l'autre le
même texte « en noir »6, élève aveugle
et professeur peuvent mettre à jour en temps réel les
modifications qu'ils apportent au contenu, chacun de leur côté. Ce
système de dialogue écrit permet par exemple la
supervision directe du travail effectué en classe, mais aussi la
modification immédiate du texte présenté (par exemple,
pour la correction d'une erreur en cours).
6 Formule communément utilisée pour désigner
le texte lu par le voyant. La norme braille recommande le terme « texte
imprimé ».
- 9 -
Par ailleurs, NAT fournit en tant que fonctionnalité
spécifique, disposant de sa propre interface, la dé-transcription
d'un texte en braille intégral ou mathématique vers le noir.
Pourtant, malgré ses nombreuses qualités et
fonctionnalités, il semble que NAT ne bénéficie pas
entièrement du succès escompté. Lors d'un test de ce
logiciel en 2009 au service de transcription du Centre Technique
Régional pour la Déficience Visuelle (CTRDV) de Villeurbanne, les
transcripteurs-adaptateurs de documents n'ont pas réussi à
comprendre son mode de fonctionnement. D'abord parce que NAT ne dispose pas
encore d'un véritable éditeur de type « WYSIWYG7
», qui permettrait de modifier la mise en page et d'apporter des
corrections éventuelles au texte braille (il est nécessaire
actuellement de manipuler les balises d'un langage XML, puis de demander la
mise à jour du résultat obtenu) : cet aspect limite très
fortement son utilisation en conditions pratiques de travail. Ensuite parce, si
NAT a pu faire l'objet de quelques recommandations en termes d'ergonomie,
celles-ci ont uniquement porté sur les critères
d'accessibilité, et non d'utilisabilité, d'une interface
qui a par ailleurs beaucoup évolué au cours des
développements successifs. Je me suis donc proposé pour appliquer
au logiciel NAT Braille les recommandations issues des guides
d'utilisabilité (usability guidelines) construits par la
communauté des chercheurs en ergonomie logicielle.
1.3. Outils de l'ergonomie logicielle :
intérêts, limites et dangers
Bobillier-Chaumon, Carvallo, Tarpin-Bernard &
Vacherand-Revel (2005) expliquent comment est apparue la rationalisation
à la fois de la conception - par balisage et création
d'éléments réutilisables - mais aussi de l'utilisation -
par l'uniformisation des interfaces et la création des premiers modes
« expert » et « débutant » - des outils
informatiques. Les modèles d'interaction engendrés par le
paradigme cognitiviste du Système de Traitement de l'Information (STI)
semblent mener à l'« évacuation des aspects sociaux et
expérientiels de la cognition » dans la réalisation de la
tâche, par absence de prise en compte du corps, de la situation, des
intentions et des besoins, mais aussi de l'environnement (social,
organisationnel...) de l'interaction homme-machine (IHM)8. Ainsi,
« les propriétés physiques de l'objet technique ne sont pas
pensées en tant que telles ; seules leurs dimensions informationnelles
sont considérées et non leur dimension manipulable ».
L'approche centrée
7 « What You See Is What You Get » :
interface utilisateur intuitive, présente dans quasiment tous les
éditeurs actuels (texte ou image), et qui permet de présenter
directement à l'écran le résultat final des
manipulations.
8 Tandis qu'Archambault (2010) préfère la
dénomination, un peu plus précise, d'« interaction
humain-machine », et que Bach et Scapin (2005) utilisent le terme d'«
interaction homme-environnement virtuel (IHEV) », nous conserverons
l'expression traditionnelle pour faciliter la lecture.
- 10 -
utilisateur marque en ergonomie une première distanciation
avec ce paradigme, et l'interaction de-
vient un processus dynamique à sept phases (Norman, 1986,
cité in Bobillier-Chaumon et al.,
2005) :
- établissement d'un but ;
- formation d'une intention ;
- spécification d'une séquence d'action ;
- exécution d'une action ;
- perception de l'état du système ;
- interprétation de l'état ;
- évaluation du point de vue des buts et des
intentions.
« L'action ne se réduit pas à une logique
instrumentale et gagne une valeur intentionnelle ; l'humain devient sujet
intentionnel d'une action située et contextualisée ». Il
faut alors lier le comportement intelligent « non pas au
logico-symbolique, au calcul, mais à son caractère situé
et incarné ». De là découle la
nécessité de prendre en compte l'expérience de
l'utilisateur, à travers la flexibilité des
systèmes, qui ne doivent pas être trop dirigistes. Selon que les
étapes d'initiation, de proposition, puis de sélection et
d'exécution de l'adaptation sont effectuées, en tout ou partie,
par l'utilisateur ou par le système, on obtient des configurations
mixtes entre adaptabilité totale et adaptativité
totale9. Cette rupture passe finalement par la prise en compte de
données qualitatives et non plus seulement quantitatives de
l'interaction, ainsi que des structures externes (« contraintes
écologiques ») et de l'affordance.
NAT, entre autres, semble ainsi souffrir d'un défaut de
visibilité de ses fonctionnalités, ou présente des
fonctionnalités qui ne sont pas réellement
implémentées : on peut dire qu'il présente, aux sens
proposés par Gaver en 1991 (cité in Christou, 2006), des
affordances fausses (des indices mènent à une fonction
qui n'existe pas, par exemple dans le cas de son « éditeur »),
ou des affordances cachées (une fonction existante n'est pas
indicée : c'est le cas de son système de « dialogue
voyant/non-voyant »). Or Norman, en 1988 (cité in Christou, 2006)
rappelle qu'un objet bien conçu intègre des affordances
perceptibles qui fournissent des informations pertinentes pour
l'utilisation des fonctionnalités de l'objet. Au-delà de la
question d'une définition précise et unifiée de ce terme,
en constante évolution, on retiendra que c'est à travers la
présentation des indices
9 Adaptabilité ou « customisation », qui vient
de l'utilisateur : on parle aussi d'adaptation statique. Adaptativité ou
« personnalisation », mise en oeuvre par le système : on parle
aussi d'adaptation dynamique.
- 11 -
menant à la fonctionnalité proposée
(la création d'une affordance en tant que telle) que le design
d'interface conduit à l'utilisation correcte de l'objet technique.
Ces indices, dans le cas d'une application logicielle, sont
présentés à l'utilisateur par le biais
d'éléments d'interfaces constituant les menus, dont les avantages
sont connus : faible charge mémorielle, facilité d'apprentissage
et d'utilisation, faible taux d'erreurs, ou encore familiarité. Tandis
que le menu dit « traditionnel », occupant tout l'écran (et
rencontré par exemple aux distributeurs automatiques bancaires) est
censé être plus intuitif et destiné aux utilisateurs
novices, le menu « déroulant », commun sous WindowsTM,
MacintoshTM ou LinuxTM, permet en particulier de rester sur le même
espace de travail. Les études, assez rares, sont recencées par
Henley et Noyes (2006) et montrent que si les temps de recherche sont plus
courts pour les menus déroulants, en revanche les menus traditionnels
occasionnent moins d'erreurs, sont préférés des novices et
des participants âgés, et nécessitent moins
d'opérations que les menus déroulants (qui ont plus de
succès auprès des jeunes utilisateurs, et des experts). Il faudra
donc tenir compte de ces résultats pour organiser les items d'interface
sur la fenêtre d'application, et les distribuer dans les
différents types de menus disponibles en fonction du niveau d'expertise
auquel ils feront appel.
Une procédure pour l'évaluation de l'agencement
des indices répartis dans les menus d'application logicielle a
été proposée par Bastien et Scapin (1993a). Ils
constituent un ensemble de Critères Ergonomiques (CE) répartis en
huit notions primaires et treize secondaires et destinés à
orienter des choix de conception en minimisant les effets des
subjectivités personnelles (un récapitulatif succinct des CE est
présenté en annexe B). Ces critères ont été
soumis à leur propre évaluation (en dimensions ergonomiques :
efficacité, efficience, satisfaction...) et ainsi modifiés et
corrigés une première, puis une seconde fois (Bach & Scapin,
2005 ; Bastien et Scapin, 1996). Leur organisation permet alors une
évaluation heuristique de l'interface observée, réalisable
par des non-experts du domaine ergonomique et qu'ils nomment Inspection
Analytique (IA). À l'occasion de ces travaux, et même s'ils
soulignent que l'ergonomie « se doit de proposer et d'appliquer des
méthodes génériques et non pas se contenter de jugements
individuels », les auteurs rappellent que leur analyse, de type
heuristique, doit venir en complément des méthodes
empiriques existantes (par exemple, des tests d'utilisabilité).
Karoulis, Demetriadis et Pombortsis (2006) montrent par exemple que les
évaluations expertes sont souvent plus précises sur le guidage et
l'utilisabilité générale de l'interface que sur les autres
critères étudiés ; ils proposent en particulier que ces
experts soient formés tant aux notions cognitives qu'aux critères
d'interaction homme-machine. Bach et Scapin (2005) vont plus loin en
présentant l'IA comme « une analyse de surface permettant de
repérer des
- 12 -
problèmes pouvant perturber l'efficacité d'un
test utilisateur ». Woolrych & Hindmarch (2006) estiment par ailleurs
que très peu d'évaluations de ces méthodes, d'un point de
vue ergonomique, ont été entreprises : on connaît mal le
type de problème qu'elles prédisent bien, et surtout le type de
problème qu'elles ne révèlent pas. Cinq types de
données émanent selon eux des analyses ergonomiques (par
comparaison entre les résultats de l'inspection analytique et ceux des
tests utilisateurs) :
- vrai positif : un problème prédit par l'IA et
relevé par l'utilisateur ;
- faux positif : un problème prédit, mais non
confirmé en pratique ;
- vrai négatif : un problème trouvé et
éliminé, ce que confirme la pratique ;
- faux négatif : un problème trouvé par l'IA
puis éliminé, alors que réel ;
- véritable raté : un problème non
trouvé, alors que réel.
Danielson (2006) recense de son côté les concepts
liés à l'utilisabilité et les pièges à
éviter dans le recueil des données, leur analyse et la
réponse à leur apporter. Ce sont l'efficacité,
l'efficience, la satisfaction subjective d'un utilisateur effectuant une
tâche donnée, avec un système donné, dans un
contexte donné qui constituent donc les dimensions de
l'utilisabilité, telles que définies par la norme ISO 9241-11
(fréquemment, on inclut aussi l'étude de la mémorisation
et de l'apprentissage du système). Cette évaluation peut
être analytique, ou empirique, et plus ou moins précoce ou tardive
dans le développement du système, la contrainte la plus commune
restant le « timing » du recueil de données : plus la
collecte d'informations se fait tardivement dans le développement, moins
elle a de chance d'entraîner des changements de design. La méthode
de collecte de données la plus employée reste celle des tests
d'utilisabilité, mais celle-ci suppose une verbalisation de l'usager qui
peut perturber les processus cognitifs engagés dans la tâche.
Ainsi (et même lorsque les systèmes disposent de moyens
intégrés de rapport d'erreur), c'est le jugement personnel de
l'usager sur la gravité de l'erreur qui permet ou non le «
feedback » : un usager novice spéculera que son
problème n'en serait pas un s'il était expert, tandis qu'un
expert spéculera que des fonctions risquent de poser problème
à un novice, sans se pencher sur ses difficultés propres. Pour ce
qui est de la méthode, recueil direct (en face-à-face) et recueil
indirect (par le réseau) des données d'utilisabilité
possèdent leurs avantages et inconvénients : en termes de
précision des mesures effectuées et des avis subjectifs
rapportés, mais aussi en termes de coûts (temporels et financiers)
engagés. Les auteurs recensés par Danielson (2006) s'accordent
à reconnaître que les données optimales sont obtenues en
coordonnant les différentes méthodes : inspection analytique
(pour laquelle on recommande des évaluateurs multiples), tests
d'utilisabilité en conditions
- 13 -
écologiques, recueil de données indirect par le
réseau. Concernant le matériel, on rappelle que la
fidélité du prototype testé par rapport à la
version finale ne doit pas être trop grande, ou l'on s'attache à
juger un logo et des couleurs ; en outre, le logiciel ne doit être ni
trop « vertical » (fonctionnalité élevée,
variété faible des tâches et des options), ni trop «
horizontal » (tâches et options nombreuses pour une
fonctionnalité faible). Enfin, Nielsen (2000) nous apprend, par
l'analyse statistique d'un grand nombre de tests utilisateurs, que plus nous
observons de participants, moins nous découvrons de problèmes
différents : un seul test utilisateur dévoile en moyenne
30% des problèmes totaux, cinq tests environ 80%, et quinze tests 100%.
Nielsen propose donc de tester trois versions successives de la même
interface avec cinq participants, plutôt qu'une seule version avec quinze
sujets. C'est que « les problèmes sont dûs à
l'interface, non aux utilisateurs ».
En 2002, une étude de Schach (cité in Singh
& Dix, 2006) résume les problèmes récurrents auxquels
sont confrontés les développeurs logiciels : prise en compte des
erreurs ou des crashs systèmes - moins poussée que dans
l'ingénierie traditionnelle -, développement
différencié du hardware et du software,
évolution constante des buts finaux et des impératifs
utilisateurs. Sur la base d'exemples tirés d'expériences
utilisateurs sur le Web, Singh et Dix (2006) montrent que l'intégration
des définitions et des techniques d'IHM, à travers des
méthodes et des modèles de développement modifiant les
« cycles de vie » du logiciel, permet de prendre en compte
l'expérience utilisateur plus tôt dans les processus de conception
et de générer moins de modifications dans les étapes
tardives d'implémentation, et finalement moins de code informatique. Si
développeurs et « designers d'interaction » ont donc une
approche différente de la conception (les premiers cherchant une
solution qui fonctionne, les seconds une solution
utilisable), leurs domaines partagent trop de points communs pour
pouvoir s'exclure mutuellement. En effet, le sentiment de la communauté
des développeurs serait celui d'une application des techniques
liées à l'utilisabilité sur le développement de la
partie visible de l'interface, une fois que le système logiciel
(SE pour Software Engineering) a été
implémenté. La convergence actuelle de ces deux disciplines
montre que l'intégration précoce de leurs techniques respectives
devient incontournable pour la conception de systèmes hautement
utilisables. Ferre, Juristo et Moreno (2006) relèvent que la conception
strictement séparée des éléments d'interface et du
système interne conduit à des contradictions d'usage et de
perception du fonctionnement ; il serait alors utile d'introduire des termes
nouveaux, tels que « design d'interaction » - en tant que
coordination des échanges entre usager et système - pour
faciliter la communication entre les deux communautés. Par ailleurs, le
développement itératif est encore peu prisé dans le monde
du SE : ce serait là un apport conséquent des techniques
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d'interaction homme-machine pour la conception de
systèmes moyennement à très complexes, le modèle
itératif étant reconnu pour son efficacité par rapport au
développement dit « en cascade » (waterfall :
analyse, implémentation, installation) et permettant d'assurer que
l'utilisateur reste au centre du processus de conception.
Enfin, accessibilité et utilisabilité ne
devraient plus être les seuls critères évalués lors
de la conception d'un produit d'interaction : Knight (2006) rappelle que, de
plus en plus, les utilisateurs attendent des produits fonctionnels et
supra-fonctionnels (qui font mais aussi expriment), et
considèrent comme valorisantes surtout leurs expériences
volontaires. Le critère « d'engagement » devrait
pouvoir rendre compte des expériences virtuelles, complexes et souvent
« sociales » des utilisateurs d'aujourd'hui. Les études
réalisées suggèrent que de plus en plus de systèmes
d'interaction feront appel aux processus émotionnels et superposeront
des qualités hédonistes ou éthiques à leurs
fonctionnalités de base, à travers une approche à la fois
éthique et esthétique de la conception des produits.
1.4. Objectifs et principes de la présente
étude
Nous nous proposons de fournir à l'équipe de
développement du logiciel NAT les recommandations issues des guides
d'utilisabilité, en particulier celui construit puis corrigé par
Bastien et Scapin (1996). Une première inspection analytique sera
complétée par le recueil direct, en conditions
écologiques, de données d'utilisabilité auprès de
populations potentiellement intéressées par cet outil. Ces tests
seront réalisés en deux temps, selon le principe itératif
de développement recommandé : une première série de
passations permettra de dégager les problèmes majeurs en termes
d'interface et de fonctionnalités et de fournir les conseils
ergonomiques et le dessin technique pour une interface que l'on dira «
interface corrigée ». Une seconde série de tests portant sur
cette interface modifiée pourra permettre de mesurer, de façon
qualitative (par comparaison des verbalisations) et quantitative (par
comparaison du nombre d'opérations effectuées), si
l'utilisabilité de l'application a été
améliorée. Nous nous attacherons, pour ce faire, à
contrebalancer l'effet de l'apprentissage d'une interface à
l'autre, en présentant aux participants les deux versions de
l'application dans deux ordres différents.
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