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La dimension contracyclique des politiques de régulation financière macroprudentielles

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par Pouysegur Etienne
SciencesPo Toulouse -  2017
  

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CHAPITRE 3

UNE REPONSE STRUCTURELLE AUX MECANISMES INHERENTS A LA FORMATION DES CRISES : TRANSPARENCE ET SOLVABILITE AU COEUR DES NOUVEAUX SYSTEMES DE BALE III ET MIFID II

« La crise actuelle valide un certain nombre de points clés de l'analyse régulationniste. En même temps, elle en souligne l'inachèvement, et, en particulier, le manque criant d'une théorie microéconomique hétérodoxe, fondée sur une approche des déterminants collectifs de la subjectivité individuelle. Une telle théorie rendrait possible une analyse globale des institutions et de leurs effets sur l'ensemble du spectre des niveaux d'observations (du micro au macro en passant par le meso) et sur l'ensemble des temporalités. »45

Nous faisons le choix d'aborder ce troisième chapitre par une citation de l'économiste Jacques Sapir, dans un article intitulé « Une décade prodigieuse. La crise financière entre temps court et temps long » dans lequel l'auteur met en évidence le rôle prépondérant joué par l'absence de système de régulation efficace des comportements sur le marché, dans l'apparition de comportements ayant favorisé et incité à la mise en place de schémas financiers complexes, opaques et instables. L'auteur nuance cependant son propos, dans le même article, en affirmant qu'aucune régulation efficace du système financier n'aurait pu être mise en place, ajoutant que la cause de la crise financière est à chercher dans des déterminants structurels inhérents au fonctionnement des économies capitalistes.

Lors de ce chapitre, sans désavouer l'analyse qui peut être faite par certains économistes percevant la régulation comme une solution sous-optimale, contre-productive, voire inefficace ou inapplicable, nous nous attacherons à montrer que les pouvoirs publics disposent précisément de moyens d'action afin de mettre en place des politiques de régulation efficientes des systèmes économiques et financiers. Nous montrerons également les paradoxes auxquels doivent faire face les politiques de régulation, et notamment la difficulté de concilier une régulation efficace d'une part, et la compétitivité d'un système économique, d'autre part. En ce sens, nous inscrirons l'analyse

45 Jacques Sapir, « Une décade prodigieuse. La crise financière entre temps court et temps long », Revue de la régulation, 2e semestre/Autumn 2008, mis en ligne le 30 septembre 2008, consulté le 01 juillet 2017. URL : http://regulation.revues.org/4032.

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de nos résultats au prisme essentiel de la poursuite de l'intérêt général dans une perspective analytique inter-temporelle de long terme d'efficacité des politiques publiques.

Afin de mieux appréhender les contours de l'élaboration d'un corpus de régulation du système financier, nous nous attacherons à analyser, d'une part, les démarches entreprises au niveau européen et, d'autre part, les démarches entreprises au niveau mondial. Il s'agira en effet lors de ce chapitre de mettre en évidence les tentatives de réglementation adaptées à l'impératif de stabilité mises en place par les acteurs du système financier à échelle mondiale, et notamment par le biais des recommandations formulées :

- Par une organisation ad hoc créée à la suite de la crise, le Financial Stability Board (FSB),

- Par une institution plus ancienne, la Banque des Règlements Internationaux (BRI), conglomérat réunissant l'ensemble des banques centrales du système économique mondial.

Il s'agira également d'évaluer les tentatives de régulation du système financier par la voie réglementaire, implémentées au sein de l'Union Européenne par le biais d'une directive faisant suite à un premier dispositif de réglementation, la directive MiFID 1. Ce nouveau dispositif, que nous analyserons ici, entrera en application en janvier 2018 dans tous les Etats Membres de l'Union Européenne. Mis en place afin de palier aux carences inhérentes au premier système de régulation MiFID 1, nous nous proposerons d'analyser les nouvelles dispositions prévues par le dispositif réglementaire mis en place par la directive MiFID 2 ainsi que par le règlement MiFIR.

Ce chapitre tentera également de porter une grande attention aux liens que peuvent entretenir le niveau d'activité économique d'une zone déterminée sur laquelle une réglementation particulière est applicable et la performance économique et financière de cette même zone. En d'autres termes, il s'agira de déterminer l'impact potentiel de la mise en place d'une réglementation plus contraignante sur le niveau d'activité des marchés financiers, la compétitivité des places financières, et donc les conséquences sur le niveau d'activité global. Nous tenterons également de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics en vue d'imposer à des acteurs privés et notamment à des organismes financiers des réglementations parfois complexes et opaques. Elles peuvent être, selon certains acteurs, paradaxolament génératrices de complexification importante et de défiance des acteurs vis-à-vis de ces règles. En ce sens, le cas des IFRS (International Financial Reporting Standards), dont l'absence d'efficacité a été largement soulignée par les acteurs

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financiers, constitue un parangon de tentative régulatrice génératrice de pratiques financières opaques et inefficientes dans la lutte contre le risque systémique.46 Des interrogations relatives au coût d'implantation et de révision des processus productifs des systèmes financiers sont également au centre des interrogations des acteurs des marchés financiers. Sur ce point les normes IFRS ont elles-mêmes été désignées comme génératrices de surcoûts très importants pour les entreprises ayant pour obligation d'appliquer un cadre comptable plus contraignant, tel que celui proposé par ces standards internationaux.

Il s'agit donc, pour les pouvoirs publics, de faire preuve de justesse dans la mise en place de nouvelles structures de régulation des marchés financiers, mais également de prendre en compte la multitude d'exigences relatives aux nombreuses parties prenantes du système financier. La mise en place d'un système économique et financier régulé de façon optimale, suppose pour les pouvoirs publics la prise en compte, d'une part, des enjeux inhérents à la correction des mécanismes générateurs de crises, et, d'autre part, la mise en place de règles qui supposent l'efficience des acteurs sur le marché. A la lumière de ces deux enjeux majeurs, nous tenterons de mettre en évidence lors de ce chapitre la pertinence et l'efficience des systèmes de régulation financière à échelle européenne en ce qui concerne la directive MiFID 2, et à échelle mondiale avec les troisièmes accords de Bâle sur la solvabilité des organismes financiers et la lutte contre le risque systémique.

4.1. L'UNION EUROPEENNE PIONNIERE DE LA REGULATION DU MARCHE DES INSTRUMENTS FINANCIERS

Afin de mieux comprendre la mise en place de la nouvelle directive MIFID 2, consécutive à la crise des subprimes, nous proposons d'établir un bref rappel historique de la construction de la réglementation du marché des instruments financiers au sein de l'Union Européenne. En effet, si la crise a pu constituer un accélérateur de la réglementation à ce sujet, les années précédent l'adoption de ce texte n'ont pas été, au sein de l'UE, des années où les acteurs sur le marché exerçaient pour autant en l'absence de cadre réglementaire sur les pratiques de marché. En ce sens, comme nous allons le voir, la nouvelle directive constitue à la fois un approfondissement des

46 Lionel Escaffre, Reda Sefsaf. L'impact comptable de la crise financière sur la volatilité des titres bancaires : Cas de la France, l'Italie et l'Allemagne. Crises et nouvelles problématiques de la Valeur, May 2010, Nice, France.

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mesures déjà prises dans la directive MIFID 1, mais également un élargissement du périmètre de cette dernière.

Comme le met en évidence le texte original de la directive MIFID 2 présenté au Journal Officiel47, le corpus juridique, antérieur à la situation de crise financière connue en 2008, était constitué d'un corpus de deux directives constituant MIFID 1, à savoir la directive 93/22/CEE, ainsi que la directive 2004/39/CE. Ces deux directives s'inscrivaient ainsi dans un plan plus large, le plan d'action pour les services financiers (PASF), destiné à créer un marché unifié, commun à tous les Etats Membres, sur les marchés des instruments financiers. L'objectif de ces mesures du PASF est constitué à la fois d'une volonté de sécurisation des échanges entre les acteurs de marché présents dans différents Etats membres pour réaliser une transaction, et d'autre part de fluidifier ces échanges et de les stimuler. Déjà à l'époque, on constate que le dilemme était de mettre en place une réglementation à la fois capable de régulation, de sécurisation, de stabilisation du système financier, sans pour autant engendrer de distorsions trop importantes sur les marchés.48

Le processus d'harmonisation de la régulation du marché des instruments financiers est donc un chantier amorcé à la fin des années 1990, et qui n'a eu de cesse d'élargir les champs auxquels il s'intéresse, avec entre autres, au sein du PASF à fin 2017, la « directive sur le crédit hypothécaire », la « directive sur la distribution des produits d'assurance », et la « directive sur les comptes de paiement »49. Le processus de transposition des normes s'inscrivant sur le temps long au sein de l'Union Européenne, la mise en application des principes de MIFID 1 contenus dans la directive 2014/65/UE s'est faite progressivement au sein des Etats Membres, pour une entrée en application directe au cours de l'année 2007 par tous les Etats Membres de l'Union Européenne. A l'application directe des décrets au sein des Etats Membres, elle prend ainsi effet de plein droit sur les acteurs des marchés financiers et remplace de plein droit les dispositions prévues par la directive précédente 93/22/EEC (ISD). Or ce processus, particulièrement long et fastidieux, s'il avait pour vocation de mettre en place un cadre de régulation efficace des pratiques de marché, s'est très vite

47 Directive 2014/65/UE du parlement européen et du conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/ UE.

48 Euractiv, Le Plan d'action sur les services financiers, 5 mai 2007.

49 Commission Européenne - fiche d'information - plan d'action relatif aux services financiers pour les consommateurs : de meilleurs produits, un plus grand choix, davantage d'opportunités Bruxelles, le 23 mars 2017.

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heurté (comme nous avons pu le voir lors de nos deux premiers chapitres) à une vitesse relative beaucoup plus marquée des innovations et de la complexification des mécanismes financiers. Trois phénomènes de fond ont ainsi lieu au cours des années 2000 :

- Intensification des pratiques de recours aux services financiers

- Complexification des schémas de fonctionnement des produits financiers

- Elargissement du panel des produits financiers distribués

Ainsi au sujet de la directive historique 93/22/EEC (ISD) ainsi que de la directive MIFID 1 (2004/ 39/CE), les pouvoirs publics européens ont dû faire face à une double problématique, à savoir d'une part, la correction des faiblesses inhérentes au fonctionnement efficient de la régulation prévue par ses deux directives, et d'autre part, l'adaptation à des nouvelles pratiques de marché dont les évolutions sont extrêmement rapides et dont la complexification s'accélère. Ainsi, de l'aveu même de la Commission Européenne, dans sa publication au Journal Officiel, la directive 2004/39/CE a dû faire face au fait que « La crise financière a révélé des faiblesses en termes de fonctionnement et de transparence des marchés financiers. L'évolution des marchés financiers a mis en lumière la nécessité de renforcer le cadre prévu pour la réglementation des marchés d'instruments financiers, notamment lorsque les transactions effectuées sur ces marchés ont lieu de gré à gré, afin d'accroître la transparence, de mieux protéger les investisseurs, d'affermir la confiance, de s'attaquer aux domaines non réglementés et de faire en sorte que les autorités de surveillance soient dotées de pouvoirs adéquats pour remplir leur mission. » 50

Les imbrications potentielles entre la crise financière, comme nous l'avions évoqué plus tôt dans notre chapitre 1, et la faiblesse des systèmes de régulation sont clairement affirmées par la Commission Européenne qui statue : « La crise financière a révélé des faiblesses en termes de fonctionnement et de transparence des marchés financiers ». De plus, les précédentes directives, et en particulier la directive MIFID 1 2004/39/CE a fait l'objet de nombreuses critiques, sur le volet de l'efficience, en ce qui concerne le potentiel important de fragmentation de la liquidité introduite

50 Directive 2014/65/UE du parlement européen et du conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE

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par la plus grande mise en concurrence des acteurs sur les marchés financiers permise, par cette réglementation.

Pour ces raisons, c'est en décembre 2014 que les pouvoirs publics européens décident d'une actualisation et d'un approfondissement de la régulation du marché des instruments financiers, par la mise en place d'une directive, MIFID 2 (Markets in Financial Instrument Directive 2), ainsi que d'un règlement, MIFIR (600 - 2014). Ces deux dispositions, applicables dans tous les états-membres, ont pour date butoir de mise en application au sein des états-membres le mois de janvier 2018. 51 Tel que le met en évidence l'Autorité des marchés Financiers (AMF)52, cette révision du système réglementaire, portant sur le cadre du marché des instruments financiers au sein de l'Union Européenne, revêt un triple objectif opérationnel.

Ce triple objectif s'articule ainsi sur des éléments de régulation des marchés financiers qui ont précisément fait défaut dans la première directive relative aux marchés des instruments financiers et également pu jouer un rôle (notamment les questions relatives aux transparences sur les transactions) lors de la crise financière de 2008 :

- Modification de la structuration des marchés financiers

- Accroissement du niveau de transparence sur les marchés financiers

- Protection des consommateurs de produits financiers

En ce qui concerne le premier volet, celui de la modification de la structuration des marchés financiers, il s'attache à résoudre une problématique inhérente au processus de formation de la crise de 2008, et cela à plusieurs titres. En effet, comme nous l'avons vu, le processus de formation de la crise de 2008 a été rendu possible par la création de produits financiers de titrisation des crédits hypothécaires dans l'objectif initial d'accroître le niveau de liquidité de ces produits dans le bilan

51 Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF), Surveillance, MIFID II/ MiFir, le 3 février 2017.

52 Autorité des Marchés Financiers (AMF) Dossiers thématiques marchés : Marchés d'instruments financiers (MIF) La nouvelle directive et le règlement Marché d'instruments financiers (MiFID et MiFIR) ont été publiés. Publié le 15 septembre 2014.

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des organismes financiers. Ainsi, ces produits titrisés avaient pour principal « lieu » d'échange les marchés dits « OTC », pour Over The Counter, ou de gré à gré.

Ces marchés financiers ont pour caractéristique majeure de n'exister que par la simple rencontre entre un opérateur offreur et un opérateur demandeur et par la réalisation de cette transaction, en l'absence de structure organisationnelle déterminée. L'existence de ce marché résulte ainsi d'un commun accord par l'acte de la transaction entre un acheteur et un vendeur sur le marché. Ils sont ainsi caractérisés également par leur faible niveau de réglementation applicable à leurs échanges, par une relative fluidité des échanges, mais aussi par leur manque important de transparence. Or il s'agit précisément d'un des objectifs majeurs formulés dans la directive MIFID 2 2014/65/UE de mettre en place une régulation beaucoup plus stricte encadrant ces échanges, afin de permettre un niveau de structuration plus important du marché des instruments financiers. La législation européenne impose dès lors aux acteurs de n'avoir recours à une transaction sur un marché de gré à gré que dans une typologie de situation prédéterminée.

Ainsi, comme le met en évidence l'Autorité des Marchés Financiers : « une transaction sur actions ne pourra être effectuée de gré à gré seulement si elle présente un caractère « irrégulier, peu fréquent et non systématique », ou si elle est effectuée par des professionnels ou contreparties éligibles et qu'elle ne participe pas à la formation du prix. »53. En ce sens, on peut considérer que la prise de position des pouvoirs publics sur la question du recours aux transactions via un marché OTC, dont le niveau de contrôle très faible, est générateur de comportements risqués, constitue un mécanisme stabilisateur efficace contre la survenue des processus de formation des crises. Les pouvoirs publics européens, par la mise en place de cette directive portant sur le marché des instruments financiers, ne souhaitent pas seulement revoir les principes de structuration des marchés, à savoir le recul des transactions réalisées sur les marchés OTC ; ils ont également pour objectif de réglementer les pratiques de marché. En effet, MIFID 2 constitue une réelle rupture, plus qu'une évolution par rapport à MIFID 1, en ce sens qu'elle prévoit un élargissement considérable des produits soumis à un régime strict de transparence quant à l'effectivité de leur négociation sur les plateformes réglementées.

Ainsi, si les actions étaient déjà concernées par ce régime de transparence pré et post-trade dans le cadre réglementaire prévu par MIFID 1, ce sont tous les produits qualifiés de « non equity » tels

53 Autorité des Marchés Financiers (AMF) Dossiers thématiques marchés : Marchés d'instruments financiers (MIF) La nouvelle directive et le règlement Marché d'instruments financiers (MiFID et MiFIR) ont été publiés. Publié le 15 septembre 2014.

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que les obligations, les produits dérivés, qui sont maintenant concernés par cette obligation de transparence. Nous émettons cependant un certain nombre de réserves quant aux nombreuses possibilités dérogatoires ouvertes par le cadre réglementaire MIFID 2, en ce qui concerne des produits qualifiés de peu liquides, et qui pourraient éventuellement constituer des « niches » de produits qui passeraient hors du contrôle du régulateur.

On peut cependant considérer qu'en dépit de ces possibilités ouvertes par le cadre réglementaire de soustraire certains produits à l'obligation de transparence pré et post-trade, ces mesures d'obligation de reporting et de transparence, introduites par l'Union Européenne constituent une rupture dans les méthodes employées jusqu'alors sur les marchés des instruments financiers et constituent un moyen efficace de lutter contre la formation de cycles spéculatifs hors de contrôle du régulateur. Les mesures ainsi prises en terme de structuration, par la mise en place d'obligations de recours à des marchés contrôlés, corrélées à des obligations de transparence, constituent des éléments qui, rétrospectivement, auraient pu jouer un rôle de régulation efficace dans les mécanismes ayant eu cours lors de la formation de la crise des subprimes. Un autre élément, particulièrement vecteur de stabilisation des marchés financiers, porté par la directive MIFID 2, concerne l'encadrement des pratiques de trading algorithmique. En effet, les pratiques de marchés ont, depuis les années 2000, recours de façon exponentielle à des programmes informatiques qui procèdent, à la place des historiques opérateurs de marché, aux ordres d'achat et de vente de produits financiers en fonction d'actions prédéterminées par des algorithmes qui évaluent les évolutions de marché. Or ces pratiques peuvent constituer un vecteur d'instabilité important sur les marchés financiers en ce sens qu'elles peuvent être les actrices d'une surinterprétation irrationnelle d'évènements non significatifs qui peuvent être à l'origine d'un retournement de marché, et cela dans un laps de temps très court.

Afin de mieux comprendre les difficultés inhérentes aux pratiques de trading algorithmique non régulées, on peut par exemple citer la chute vertigineuse d'environ 10% de la valeur, et cela en quelques secondes, connue à la bourse de New York en 2010. Elle fut provoquée par un enchaînement de décisions prises par des algorithmes, sans action humaine de référence et de contrôle, afin de vérifier la pertinence ou non des décisions prises en fonction de la situation de marché. Elles constituent, en ce sens, un puissant vecteur d'instabilité sur les marchés financiers. Ainsi, de nouvelles typologies de dépréciation générale du niveau des prix sur les marchés financiers sont apparues avec ces innovations technologiques et financières. Les analystes financiers parlent ainsi de « flash krach », lorsque ceux-ci sont la résultante d'un fonctionnement « irrationnel » des

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algorithmes entraînant sur un laps de temps extrêmement réduit la chute d'une ou plusieurs valeurs sur un marché financier. La directive européenne de réglementation du marché des instruments financiers MIFID 2, en s'attachant à réguler des activités de marché historiquement vectrices d'instabilité d'une part, ainsi qu'en apportant un corpus réglementaire à des pratiques innovantes et récentes, est vectrice d'une profonde rupture de l'environnement de marché. En ce sens, le 26 avril 2014, l'hebdomadaire The Economist titrait à propos de MIFID 2 « MiFID 2 : « A bigger bang A bold new law will reshape Europe's capital markets ». En ce sens, comme le montrent Guido Ferrarini et Eddy Wymeersch54, cette directive est porteuse de lourds enjeux, notamment en terme de compétitivité internationale des places financières européennes, elle constitue un moyen de palier aux écueils de la précédente directive qui apparaîssait être génératrice d'un certain niveau de fragmentation de la liquidité sur les marchés financiers européens. La création d'un corpus de normes visant à encadrer les droits et les mesures de protection relatives aux investisseurs par la réglementation des « inducements » (rétrocessions, commissions), si elles sont vectrices d'une profonde mutation des modes de distribution et des business model inhérents aux acteurs financiers, semblent présenter une substantielle avancée dans la protection des consommateurs de produits financiers en Europe.

Comme nous l'avons vu lors des deux premiers chapitres de cette étude, si la régulation du comportement des acteurs sur les marchés financiers constitue un élément central dans le processus de lutte contre la formation des crises financières, nous avons également vu qu'un des mécanismes d'aggravation de l'intensité de la crise était constitué dans des problématiques relatives au niveau de solvabilité et de liquidité des organismes bancaires. En ce sens, nous étudierons dans la dernière partie de ce chapitre les propositions formulées par le comité de Bâle à la suite de la crise financière de 2008.

4.2. QUALITE DES FONDS PROPRES ET NIVEAU ELEVE DE LIQUIDITE DES ORGANISMES BANCAIRES : PIERRE ANGULAIRE DE L'EQUILIBRE DES MARCHES FINANCIERS

Mathieu Plane et Georges Pujal, dans la Revue de l'OFCE du mois de juillet 2010, insistent sur la situation particulièrement détériorée des organismes bancaires en terme de solvabilité lors de la

54 Investor Protection in Europe : Corporate Law Making, The MiFID and Beyond Edited by Guido Ferrarini and Eddy Wymeersch, Published: 26 October 2006.

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crise financière et le rôle amplificateur de cette situation sur le mécanisme de formation de la crise et de sa transition d'une crise bancaire à une crise financière : « Les dépréciations d'actifs qui ont entraîné des pertes colossales ont mis en péril la solvabilité de très nombreuses banques à travers le monde. Les pertes de capitalisation boursière et la hausse des taux de défaut n'ont fait qu'amplifier ce phénomène. Dans un contexte de défiance généralisée des investisseurs, le monde a assisté à un retour en force de l'État, l'intervention des pouvoirs publics devenant indispensable pour éviter une insolvabilité générale du système financier et un bank run.»55 La crise de 2008 constitue un paradoxe au regard de l'analyse de la solidité financière des organismes bancaires dans la période précédent la crise financière de 2008. En effet, comme le montrent Mathieu Plane et George Pujal, à l'aide du graphique que nous vous proposons d'analyser ci-dessous, on peut constater que la solidité financière des organismes bancaires en terme de solvabilité analysée au prisme du Ratio Tier 1 était d'autant plus importante que le pays allait être impacté par la crise financière :

En % Ratios de Solvabilité Tiers 1 à la fin 2008

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On peut en effet constater à l'appui de ce graphique réalisé par l'OFCE, que les niveaux de solvabilité (selon les indicateurs mis en place par les Accords de Bâle correspondant à un ratio Tiers 1) entre l'année 2007 et l'année 2008, s'améliorent sensiblement, notamment pour les banques

55 Plane, Mathieu, et Georges Pujals. « Les banques dans la crise », Revue de l'OFCE, vol. 110, no. 3, 2009, pp. 179-219.

56 Source : Extrait de la revue de l'OFCE sur la situation des banques pendant la crise par Plane et Pujals.

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américaines, qui affichent à la fin de l'année 2008 les meilleurs ratios de solvabilité Tiers 1 des pays industrialisés. Le ratio Tiers 1 de solvabilité d'un organisme bancaire constitue un indicateur fiable et pertinent de l'état de santé financière d'un organisme bancaire. En ce sens, il s'attache à calculer le niveau des fonds propres d'une banque, fonds propres hiérarchisés en deux typologies, les fonds propres dits de Common Equity Tiers 1, eux-mêmes agrégés à l'Additional Tier 157.

Le mode de calcul, alors en vigueur en 2007, était celui correspondant aux décisions prises par les accords de Bâle II sur la gestion prudentielle du risque bancaire. Le ratio Tiers 1 résultant de l'agrégation de CET1 et de AT1 (ratios McDonough), qui eux-mêmes succédaient aux Ratios Cooke (Premier accord de Bâle). Les accords de Bâle II prévoyaient ainsi, dès 2004, des exigences élevées en terme de solvabilité des organismes bancaires, allant plus loin que les exigences portées par les Ratio Cooke qui mettaient seulement en évidence la nécessité de détention d'un montant minimum de fonds propres pour un niveau de risque déterminé. Ainsi, ces accords préconisent aux acteurs de marché de recourir à un calcul de leur niveau de solvabilité selon un Ratio McDonough.

Les fonds propres des banques doivent alors :

- Etre supérieurs à 8 % des risques de crédits (85 % du ratio)

- Etre supérieurs à 8% des risques de marché (5 % du ratio)

- Être supérieurs à 8% des risques opérationnels (10 % du ratio)

Le calcul des fonds propres se fait alors selon la formule suivante58 :

Total des fonds propres

= Ratio de fonds propres (> 8%)

Risque de crédit + Risques de marché + Risque opérationnel

57 ACPR Banque de France : Secrétariat Général de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, Direction des Affaires Internationales, Service des Affaires internationales Banques, « notice » modalités de calcul des ratios prudentiels dans le cadre de la CRDIV (version du 20/05/2014).

58 Actualité Bancaire, Réforme du Ratio de Solvabilité, Les grandes lignes du nouveau ratio McDonough, N°448, 08/02/01.

55

L'approfondissement du contrôle prudentiel des organismes bancaires, par l'élargissement de l'évaluation des risques, non seulement inhérents à l'activité de crédit, mais également aux activités de marchés ainsi qu'au risque opérationnel, constituait ainsi une avancée notable permise par les accords de Bâle II. Or, plusieurs éléments ont été à l'origine d'une défaillance des systèmes bancaires en dépit de ces règles de contrôle prudentiel lors de la crise de 2008. Il nous faut d'abord préciser que la nature institutionnelle du Comité de Bâle en fait un organe consultatif ad hoc qui ne permet pas l'imposition des normes établies lors de ses différents Comités.

Le corpus réglementaire mis en place lors de ces Comités constitue un référentiel pour les organismes financiers, mais ne constitue en aucune manière une régulation des activités financières au sens strict du terme, le régime juridique des décisions prises lors des comités de Bâle ne faisant l'objet de la part de ses membres que d'un engagement moral à respecter les accords. On a ainsi pu constater que les décisions de contrôle prudentiel, prises à l'issue des accords de Bâle II ont été très peu suivies d'effet par les organismes bancaires américains.59 Il nous faut cependant préciser que si les décisions prises lors des accords de Bâle, et notamment lors de Bâle II, étaient pavées de bonne intentions, elles n'ont cependant pas eu l'effet escompté par les organismes financiers signataires du texte, en ce sens qu'elles ont promu un mode de fonctionnement et de contrôle de l'économie qui s'est avéré défaillant.

Nous affirmons en effet qu'une des racines de la sous-évaluation du risque financier à la genèse de l'apparition de la crise des subprimes a été l'absence d'information pertinente et fiable sur le niveau de risque présenté par les produits, censée être donnée par les agences de notation. Les accords de Bâle II, par l'extension des variables prises en compte dans le calcul du niveau de solvabilité des organismes bancaires et la complexité des mesures mises en place, ont d'une part complexifié les standards et entraîné une défiance des acteurs vis-à-vis de cet accord. D'autre part, par la complexité induite par ces accords, ils ont ouvert la voie à une évaluation industrialisée du risque par des entreprises aux potentiels conflits d'intérêt multiples : les agences de notation. Selon Andrew Cornford (économiste de la régulation, chercheur associé à l'UNCTAD/CNUCED) dans « Bâle II et le rôle des agences de notation » 60, nous constatons, non seulement aux Etats-Unis, mais

59 Le Monde Economie, De Herstatt à Lehman Brothers : trois accords de Bâle et 35 ans de régulation bancaire. Pourquoi des banques françaises réputées sont-elles dans le collimateur des marchés alors que le comité de Bâle établit des règles destinées à assurer la solidité du secteur depuis trente-cinq ans ? Le Monde.fr | 03.10.2011 à 19h05
· Mis à jour le 03.10.2011 à 22h07 | Par Audrey Fournier.

60 Interview de Andrew Cornford, Propos recueillis par Mohammad Farrokh « Bâle II et le rôle des

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également au sein de l'Union Européenne, un niveau de défiance élevé vis-à-vis de l'accord consécutif au Comité Bâle II : « Question à Andrew Cornford : L'accord de Bâle II n'a-t-il pas permis de clarifier la position des banques en matière de fonds propres ?

- Au contraire, c'est un accord très compliqué. Les banques se plaignent moins des règles adoptées que de la façon dont elles sont appliquées, notamment dans le domaine du financement du négoce.

- Cela dit, il est difficile d'apprécier les conséquences de la révision à la baisse de la notation d'un pays sur les besoins en fonds propres des principales banques européennes dans la mesure où elles ont tendance à préférer une approche interne avec leurs propres seuils, à l'approche dite standardisée de Bâle II. »

Ainsi au lendemain de la crise financière de 2008, se pose au comité de Bâle la question d'aborder la régulation des organismes financiers à la fois de manière plus efficiente, ciblée sur les enjeux inhérents à la formation de la crise, et d'autre part, que la régulation soit suivie et mise en place par les différents acteurs afin de prévenir la survenue d'un risque systémique. Bâle III, dans la droite lignée formulée par Bâle II, va poursuivre un certain niveau de focalisation sur la pondération du risque crédit des portefeuilles des organismes bancaires et du niveau des fonds propres nécessaire. Cependant, Bâle III introduit une dimension financière plus contraignante aux organismes financiers en ce sens qu'il considère le niveau de fonds propres nécessaires pour un niveau donné de « risk weighted assets » passe de 2% (Bâle II) à 7% (Bâle III). En ce qui concerne ce point, il est difficile d'évaluer l'impact d'une telle prise de position du Comité de Bâle sur la stabilité du système financier en ce sens que les pratiques bancaires, en ce qui concerne le niveau de fonds propres sur les risk weighted assets, étaient bien souvent mieux disantes que la recommandation formulée par Bâle II, et d'autre part que cela n'apporte pas de réponse à la question de la liquidité. En effet, c'est précisément la question de la liquidité qui a constitué un des mécanismes amplificateurs de l'intensité de la crise de 2008.

En ce sens, la réforme de Bâle III est selon nous particulièrement ajustée aux nouveaux enjeux posés par la crise des crédits hypothécaires américains et ses conséquences. En effet, la réforme

agences de notation », Finance & Bien Commun 2009/2 (No 34-35), p. 78-78. DOI 10.3917/fbc.034.0078.

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dite de Bâle III, introduit la question de la liquidité, et non plus seulement de la solvabilité, au coeur de son corpus de recommandations. Cette réforme des recommandations met ainsi en évidence la nécessité de mettre en place des « stress-test » afin d'évaluer la solidité financière en terme de liquidité des organismes bancaires. Concrètement, il s'agit de contrôler d'une part le niveau des dépôts dans une banque, d'autre part le niveau de fuite de liquidité de l'organisme bancaire, et cela sur une période donnée (30 jours). Bâle III met ainsi en place deux indicateurs propres au contrôle du niveau de liquidité (en plus des indicateurs propres au contrôle du niveau de solvabilité)61 :

- Liquidity Coverage Ratio (LCR) : il s'agit d'un ratio d'évaluation « de liquidité à court terme », sur une période de 30 jours. Il s'agit donc d'un indicateur de flux.

« LCR = actifs liquides / (flux sortants - flux entrants) à un mois 2 100 % »62

- Net Stable Funding Ratio (NSFR) : il s'agit d'un ratio d'évaluation « de la liquidité à long terme », sur une période d'un an. Il s'agit donc d'un indicateur de stock.

« NSFR = ressources stables à un an / besoins de financement stables à un an 2 100 % »63

Ces deux ratios font l'objet de nombreuses interrogations de la part de la profession bancaire au regard de leur aspect particulièrement contraignant64. Elles constituent cependant un moyen particulièrement efficace de prévenir une crise de liquidité semblable à celle survenue en 2009 sur les marchés interbancaires internationaux.

61 Bank For International Settlement, Basel III: The Liquidity Coverage Ratio and liquidity risk monitoring tools January 2013.

62 Revue-Banque, De Bâle III à la CRD 4 : ce qui pose problème dans les ratios de liquidité.

63 Op.Cit. 62.

64 Revue-Banque, Ratio de liquidité du Comité de Bâle : vers plus de réalisme, Le 29/01/2013.

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