
Mémoire de recherche réalisé à
l'Institut d'études politiques de Toulouse
LA DIMENSION CONTRACYCLIQUE DES POLITIQUES DE
REGULATION FINANCIERE MACROPRUDENTIELLES
1
Etienne Pouysegur
Sous la direction d'Olivier Brossard
Septembre 2017
2
Sommaire
Remerciements Page 3
Liste des acronymes employés Page 4
Introduction Page 5
Objectifs de l'étude Page 12
Hypothèses de recherche Page 10
Chapitre 1 : Marchés financiers et économie
mondiale à l'épreuve de la faiblesse des
systèmes de régulation Page 14
Partie 1 : Facteurs et mécanique financière de
la crise des crédits hypothécaires Page 14
Partie 2 : Interdépendance croissante des
sphères financières et économiques Page 22
Chapitre 2 : Une réponse conjoncturelle aux carences
des systèmes de régulation Page 29
Partie 1 : Les pouvoirs publics face à
la crise de liquidité Page 29
Partie 2 : Les pouvoirs publics face à
la récession économique Page 36
Chapitre 3 : Une réponse structurelle aux
mécanismes de formation des crises Page 44
Partie 1 : Mifid 2 - L'Union Européenne
pionnière de la régulation du marché des instruments
financiers Page 46
Partie 2 : Bâle 3 - Qualité des fonds propres et
niveau élevé de liquidité au coeur de la régulation
Page 53
Conclusion Page 58
Sources & Bibliographie Page 59
Remerciements
3
Je dédie ce mémoire de recherche à mes
parents.
4
Liste des acronymes employés
MiFiD : Markets in Financial Instruments
Directive
MiFiR : Markets in Financial Instruments
Regulation
CSSF : Commission de surveillance du secteur financier
GDP : Gross domestic product
RBC : Real Business Cycle Theory
CDS : Credit default swap
CDO : Collateralized debt obligations
OTC : Over the counter
RMBS : Residential mortgage-backed
security
SVP : Special purpose vehicle
ABS : Asset-backed security
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
AMF : Autorité des marchés financiers
EURIBORD : Euro interbank offered rate
IBORD : Interbank offered rate
EONIA : Euro OverNight Index Average
REFI : Taux de refinancement
QE : Quantitative easing
OCDE : Organisation de coopération et de
développement économiques
5
1. INTRODUCTION
Le 15 septembre 2008, disparaîssait la banque
d'investissement Lehman Brothers Holdings Inc, se déclarant en faillite
suite à l'impossibilité de solder ses positions sur les
crédits hypothécaires américains dits « subprimes
». Nous retiendrons, dix ans plus tard, ce jour, comme le moment et
l'élément déclencheur d'une crise d'abord
financière, portée par une crise de liquidité entre les
acteurs bancaires eux-mêmes, puis une crise économique, par les
difficultés engendrées dans l'octroi de crédit aux
entreprises par les banques de second rang.
Cette crise financière et économique,
remarquable par ses conséquences pour les économies de
marché mondialisées, conséquences qui sont encore
aujourd'hui en 2017 particulièrement prégnantes, ne semble
cependant pas être un événement insolite au regard de
l'histoire des économies de marché. Un bref recul historique sur
l'histoire économique, ainsi que sur l'histoire des théories
économiques, nous permet en effet de mettre en évidence le
caractère cyclique des économies de marché, mais aussi le
caractère instable des marchés financiers.
L'économiste C. Juglar a été un des
premiers théoriciens à mettre en évidence la pertinence de
l'analyse économique au prisme de la notion de cycle1. Il a
ainsi démontré l'existence d'un cycle éponyme, le cycle
Juglar, constitué de trois phases, à savoir une première
phase d'expansion, puis de crise, et enfin de liquidation. La théorie
économique s'est enrichie des analyses fournies par C. Juglar afin
d'identifier de manière plus précise le caractère instable
de la croissance des économies de marché. Ainsi, certains
théoriciens ont mis en exergue l'existence de cycles plus complexes,
à savoir des cycles intégrant de plus nombreuses phases. L'apport
théorique proposé J. Kitchin, N. Kondratiev, et S. Kuznets,
renforce la première analyse formulée par C. Juglar, en ce sens
qu'elle fait apparaître l'existence de variables exogènes et
endogènes susceptibles d'avoir un impact récurrent sur le niveau
d'activité économique et donc sur la stabilité globale des
économies de marché. L'analyse dite des « real business
cycle theory » (RBC) fondée par Finn E. Kydland et Edward C.
Prescott renforce l'idée selon laquelle la survenance de périodes
dites de crises semble intrinsèquement corrélée à
l'impact de ces variables exogènes sur le fonctionnement
économique2.
1 A Spectral Analysis of World GDP Dynamics :
Kondratieff Waves, Kuznets Swings, Juglar and Kitchin Cycles in Global Economic
Development, and the 2008-2009 Economic Crisis, Structure and Dynamics, 4(1),
Korotayev, Andrey V, Tsirel, Sergey V, University Of California.
2 International Real Business Cycles David K.
Backus ; Patrick J. Kehoe ; Finn E. Kydland The Journal of Political Economy,
Vol. 100, No. 4. (Aug., 1992), pp. 745-775.
6
Cette instabilité intrinsèque au fonctionnement
des économies nous amènera dans le cadre de cette étude
à mieux cerner la notion et les implications de la notion de «
crise ». Crise financière d'une part, mais aussi économique
d'autre part, en raison des canaux de transmission importants des vecteurs
d'instabilité de la sphère dite « financière »
vers la sphère économique. En effet, si comme nous venons de
l'évoquer, il existe effectivement des cycles économiques qui
permettent de rendre compte des fluctuations du niveau d'activité
mesurées par l'évolution du Produit Intérieur Brut (PIB)
au sein des économies de marché, il faut également
s'interroger sur l'existence de ces mêmes cycles dans la sphère
financière.
En ce sens, les analyses menées par l'économiste
et historien Charles Kindleberger nous permettent de mieux cerner l'imbrication
des mécanismes de cycle affectant les marchés financiers aux
mécanismes de cycle affectant le niveau général de
l'activité d'une économie. Kindleberger, sur un modèle
relativement similaire aux différentes phases identifiées par C.
Juglar, met en évidence, par une étude historique des crises
financières mondiales, l'existence de quatre phases du cycle dit «
financier ». La première phase identifiée par Kindleberger,
dite de « développement », est caractérisée par
une augmentation du niveau d'activité suscitée par l'apparition
d'un élément exogène (on peut y voir par exemple ici une
analogie négative avec l'analyse proposée par J. Schumpeter
concernant l'apparition d'une innovation). La seconde phase, d'euphorie, est
caractérisée par un optimisme des anticipations des acteurs sur
les marchés, entraînant un certain aveuglement au risque et
à la hausse générale des prix sur le marché. La
troisième phase est une phase de transition et de bouleversement durant
laquelle les anticipations des acteurs sur le marché deviennent
défavorables, suscitant une aversion au risque plus importante et une
baisse du niveau général des prix. C'est cette troisième
phase qui, au sens strictement économique du terme, correspond à
la notion de crise économique. Dans une dernière et
quatrième phrase, les marchés financiers sont victimes d'une
déflation générale du niveau des prix, alimentée
par la volonté de se désengager de la part des acteurs et de
réduire leur niveau d'endettement. Si les analyses formulées par
Kindleberger dans sa théorie de la stabilité
hégémonique suscitent de nombreuses interrogations que nous ne
traiterons pas directement dans cette étude, elles ont cependant retenu
notre intérêt en ce sens qu'elles posent comme
nécessité la question d'une régulation du système
économique à échelle mondiale, en vue d'atteindre un
fonctionnement beaucoup plus stable des économies de marché.
Les travaux menés par C. Minsky proposent une analyse
approfondie des mécanismes inhérents au fonctionnement des cycles
d'investissement. La nature du mode de financement rend selon lui le
7
fonctionnement des économies de marché (à
moyen et long terme) caractérisé par des phases de
développement, puis de contraction économique. Au sens de Minsky,
qui élabore une théorie reprenant en partie les travaux
menés par J.M. Keynes, on peut distinguer trois formes
différentes d'investisseurs dans les économies de marché.
Les premiers, effectuant des « hedge financing », ont
recours à de la dette afin de réaliser leur investissement. Les
revenus de cet investissement permettent le remboursement du principal, d'une
part, mais également des intérêts, d'autre part. Les
seconds, dits de « speculative financing », ont eux pour
objectif de s'endetter afin de réaliser une opération
basée sur le rendement espéré de l'investissement pour
rembourser les intérêts, le principal étant constamment
reconduit par la génération d'une nouvelle dette. Enfin, la
dernière typologie d'investisseurs identifiée par Minsky, les
investisseurs dits de « Ponzi », réalisent leurs
opérations sur le postulat d'une génération toujours plus
importante de dette afin de supporter le projet d'investissement.
Au sens de Minsky, c'est l'alternance entre ces
différentes typologies de comportement d'investissement sur les
marchés financiers qui est à l'origine d'une instabilité
intrinsèque à leur fonctionnement. En effet, en phase de
croissance forte de l'économie, les comportements d'investissement sont
encouragés par le climat des affaires propice à la
réalisation de nouvelles opérations. Les investissements se font
de plus en plus risqués et l'endettement de plus en plus fort,
conduisant les pouvoirs publics à recourir à des politiques de
restriction de la masse monétaire afin de lutter contre l'inflation. Les
schémas de croissance des deux dernières typologies
d'investisseurs, et à plus forte raison, des investisseurs de type
Ponzi, se voient mis à mal par ce resserrement de la masse
monétaire et cette impossibilité de refinancer leur schéma
d'investissement.
La liquidité en provenance des banques centrales se
faisant de plus en plus rare, les acteurs cherchent alors à vendre
à tout prix leurs actifs, ce qui entraîne baisse des prix et
défiance généralisée sur les marchés. Cette
première analyse de la typologie des investisseurs, proposée par
C. Minsky, nous permet ainsi de mettre en évidence les mécanismes
à l'oeuvre dans ce qui est qualifié comme étant le
deuxième théorème de l'instabilité de Minsky. En
effet, pour Dominique Plihon dans Minsky, théoricien de
l'instabilité financière3 : « Une des intuitions
majeures de Minsky, qui s'est encore vérifiée récemment,
est que l'accumulation de la dette joue un rôle central dans le processus
d'instabilité et de crises financières. C'est parce que les
ménages américains ont contracté
3 Les Possibles -- No. 10 été, 2016,
Minsky, théoricien de l'instabilité financière, mardi 28
juin 2016, par Dominique Plihon.
8
une dette excessive et sont devenus insolvables que la crise
financière des subprimes a éclaté en 2007.(É)
L'originalité de cette crise est que ce sont les ménages (et non
les entreprises) qui ont été à l'origine de la crise de la
dette à partir de 2007. Les ménages américains ont
été victimes d'agents Ponzi (les banques et les courtiers) qui
les ont incités à s'endetter au-delà de leurs
capacités. » Poursuivant l'analyse, Minsky démontre ce qu'on
qualifie de second théorème d'instabilité des
marchés financiers, à savoir que plus la phase d'expansion connue
par l'économie de marché retenue à l'étude est
longue, plus la phase de redressement que l'on peut qualifier de «
contrecoup » monétaire est violente.
L'analyse proposée par l'économiste Michel
Aglietta est également riche d'enseignement en ce sens qu'il propose lui
aussi d'éclairer les crises du capitalisme par une perspective
historique des ressorts inhérentes à chacune d'entre elles.
L'analyse proposée par Michel Aglietta sur la récurrence des
crises financières des économies de marché est, comme pour
celle proposée par Minsky, caractérisée par certaines
étapes clés du retournement de la situation
économique4. L'analyse proposée par Aglietta, avant
même d'évoquer la notion de crise en elle-même, et le
système économique dans sa globalité, élabore une
théorie des cycles financiers, qui, par différents canaux de
transmission à l'économie, irradient et perturbent son
fonctionnement. Afin d'élaborer sa théorie reposant sur la notion
de cycles financiers, il reprend la typologie d'évolution classique de
formation d'un cycle financier, à savoir une phase d'inflation
monétaire engendrée par une hausse importante de niveau de la
dette, suivie d'une hausse irrationnelle de la valeur des actifs
engendrée par les comportements erratiques des comportements sur le
marché. Cette phase de surévaluation de la valeur des actifs se
trouve supplantée en raison d'évènements rationnels
(contraction de l'activité de crédit) ou irrationnels (business
climate) sur le marché, entraînant des comportements de vente, et
donc de dépréciation de la valeur des actifs.
Par la reprise de cette typologie et de cette analyse du
caractère profondément instable de l'équilibre sur les
marchés financiers, Aglietta met lui aussi en évidence le
caractère singulier des systèmes d'autorégulation propres
aux marchés financiers. Mettant en évidence une «
instabilité structurelle » des marchés financiers, il
corrobore ainsi les analyses keynésiennes et post-keynésiennes
démontrant le lien de causalité entre la nature même du
fonctionnement des marchés financiers et la façon dont ils se
structurent avec les comportements irrationnels des agents qui le composent. En
ce sens, Michel Aglietta, en analysant le processus de formation des crises
financières et notamment la crise touchant les pays d'Asie en 1997,
ainsi que la crise de 2008, a formulé un certain
4 Michel Aglietta, Macro économie
financière (cinquième édition), La Découverte,
Paris, 2008.
9
nombre de propositions visant à endiguer le processus
d'emballement et de formation de surévaluation des actifs financiers sur
les marchés.
A la suite de la crise économique et financière
de 2008, celui-ci a proposé dans son ouvrage La crise : pourquoi en
est-on arrivé là ? Comment en sortir ? différents
leviers d'action concernant les acteurs opérant sur les marchés
financiers à savoir :
- Levier d'endettement : Une optimisation de la
réglementation relative au potentiel de création de dette par les
organismes bancaires par un contrôle poussé de leur niveau
d'endettement et une augmentation des exigences en fonds propres afin de
générer une nouvelle activité de crédit.
- Uniformité des statuts : Mettre en place une
structure juridique élargie à tous les acteurs financiers
opérant sur les marchés financiers et permettre ainsi de mieux
contrôler l'existence de statuts juridiques exemptoires de reporting
juridique, comptable et financier (par exemple, les fonds de pension- hedge
funds).
- Transparence sur les marchés et les opérations
: l'opacité étant un élément-clé de la
formation des crises, il recommande également la mise en place de
systèmes juridiques garantissant la transparence des montages
financiers.
- Banques extraterritoriales : uniformisation du processus de
normalisation des activités de marchés imposée aux acteurs
(en particulier aux Caraïbes, Malte, Luxembourg, Iles
anglo-Normandes...)
- Evaluation : refondation du processus d'évaluation de
la valeur des actifs financiers afin de limiter les processus de
surévaluation des actifs alimentant les phases d'essor
incontrôlés de la deuxième étape du cycle financier
constatée après l'augmentation du niveau d'activité de
crédit.
L'analyse formulée par Michel Aglietta nous permet
ainsi de mettre d'une part en évidence le caractère
profondément incertain de l'existence de mécanismes
d'autorégulation sur les marchés financiers, et, d'autre part, la
nécessaire imposition d'une réglementation et d'un système
de normes visant à réduire les possibilités de
dérives lors des phases d'expansion d'un cycle financier.
10
1. 1. OBJECTIFS DE L'ETUDE
Lors de cette étude, notre objectif sera
d'évaluer, à la lumière des facteurs d'instabilité
structurels des économies de marché financiarisées, la
capacité des Etats, prêteurs de dernier ressort, à mettre
en place - au delà des solutions conjoncturelles à des situations
de « crise financière », de « crise économique
» - des solutions de long terme visant à encadrer les pratiques des
acteurs sur les marchés afin d'avoir une influence sur les cycles
économiques et financiers ou du moins sur l'ampleur de ces
phénomènes. En ce sens, notre étude s'attachera à
progresser selon trois moments d'analyse biens distincts, à savoir :
Un premier temps consacré à l'étude des
ressorts et mécanismes de formation des crises, avec une attention
particulière à la crise économique et financière
mondiale de 2008. Un second temps dédié à l'analyse de la
réponse formulée par les pouvoirs publics, au sein de l'Union
Européenne, mais aussi aux Etats-Unis, dans une perspective
comparatiste. Ainsi, ce second temps de recherche et d'analyse s'attachera
à évaluer le dimensionnement et la pertinence de la
réponse conjoncturelle apportée par les Etats aux
conséquences de la crise économique et financière. Un
dernier temps, au cours duquel il s'agira, à la lumière des
éléments que nous aurons pu aborder dans ces deux premiers temps
d'analyse, d'évaluer la réponse que nous pourrons qualifier de
structurelle, de long terme, apportée par les pouvoirs publics au sein
de l'Union Européenne et au niveau mondial par le Comité de
Bâle. Ce dernier temps d'analyse sera ainsi consacré à un
dispositif mis en place par la commission européenne par le biais d'une
directive européenne, la directive MiFid 2, ainsi qu'aux recommandations
formulées par le Comité de Bâle III.
1. 2. HYPOTHESES DE RECHERCHE
Il s'agira donc lors de cette étude de questionner, par
nos divers travaux de recherche, puis par l'analyse des différents
éléments relatifs à la nature des crises économique
et financière, la pertinence de l'intervention cojoncturelle et
structurelle des pouvoirs publics consécutive à la crise
économique et financière de 2008. Nous interrogerons et
analyserons la pertinence de ces interventions dans une perspective
exploratoire de réduction de l'ampleur des crises à long terme.
En effet, si nous analyserons la réponse conjoncturelle apportée
par les pouvoirs publics aux conséquences de la crise de 2008, il
s'agira ici de mettre en évidence la réponse de long terme
apportée par le régulateur et d'évaluer son potentiel de
stabilisation des marchés. En définitive, nos travaux de
recherche auront pour enjeu de répondre à la question suivante
:
11
Dans quelle mesure peut-on considérer la
réponse structurelle de réglementation croissante du
marché des capitaux comme vectrice de stabilisation et d'efficience
des marchés financiers ?
1. 3. CONCEPTS ET TYPOLOGIES
Lors de cette étude, nous ferons appel à
plusieurs typologies d'acteurs et de concepts que nous définirons en
amorce de cette étude afin de prévenir toute confusion ou
interprétation pour le lecteur. Nous emploierons, lors de ces travaux de
recherche, la notion de « pouvoirs publics ». Par cette formule, nous
ferons référence à toutes les autorités
détentrices d'un pouvoir de réglementation, d'édiction de
normes, visant à encadrer les actions des acteurs sur un territoire
déterminé. Nous désignerons, lorsque cela l'exige,
l'autorité compétente du domaine concerné. En l'occurrence
nous ferons principalement référence à l'Union
Européenne, à ses institutions et en particulier la Commission,
et les Etats membres de l'U.E. Dans une perspective théorique, nous
aurons couramment référence à cette formule afin
d'épurer le contenu de notre présentation.
Nous ferons également référence à
la notion de régulation, que nous entendrons ici dans une perspective
académique comme tout élément de loi, de règles, de
normes, mais également de discours, visant à influer, à
diriger, à encadrer, les actions des acteurs sur un marché, que
ce soit de manière coercitive, ou de manière incitative. Nous
tenons à insister sur la distinction que nous souhaitons établir
entre la notion de réglementation, faisant référence
à une mesure déterminée, liée à un corpus
juridique, réglementaire ou normatif, et la notion de régulation,
qui recouvre des réalités plus larges de l'éventail
d'actions publiques à la disposition des pouvoirs publics.
Nos travaux de recherche étant articulés autour
d'un des évènements majeurs rencontrés par les
économies de marché, événements qualifiés de
« crises », il nous apparaît indispensable d'en fixer les
contours afin d'aborder ce concept dans son sens le plus strict. En effet, nous
distinguerons d'une part la notion de crise économique, et d'autre part
la notion de crise financière. Si la diversité des crises, de par
leur ampleur, leur nature, et leurs conséquences, est très
importante, nous définirons ici une situation de crise comme un
état de l'économie connaissant une « dégradation sur
une période de temps limitée de plusieurs indicateurs
économiques et financiers »5 (tels que la
5 Charles Poor Kindleberger, Manias, panics and
crashes : A history of financial crises, 1989, p. 6.
12
croissance du produit intérieur brut). Nous remettrons
partiellement en cause cette vision de la notion de crise en ce sens qu'elle
sous-entend une notion de limite dans le temps, correspondant à une
situation conjoncturelle, alors même que les crises et leurs
conséquences peuvent avoir des conséquences structurelles,
structurantes, et de long terme.
Afin de mieux comprendre les contours parfois complexes,
ambigus, de la notion de crise financière, nous choisirons ici
volontairement d'avoir recours à une définition proposée
par Jean-Paul Fitoussi des crises financières qui met
particulièrement en évidence le rôle
prépondérant joué par la psychologie des acteurs sur les
marchés. Il propose en effet d'aborder la notion de crise
financière comme étant « la conséquence d'une rupture
de confiance sur les marchés financiers. Une crise de confiance plus
qu'une crise financière, mais qui a des conséquences
financières réelles. La crise de confiance vient de ce que les
opérateurs sur les marchés financiers achètent des titres
qu'ils pensent non risqués, alors qu'ils le sont
considérablement. » 6
De manière plus générale, il nous faut
mettre en évidence l'existence d'une typologie variée des
différentes crises financières. La crise bancaire (Banking
Crisis), par exemple, correspond à un type de crise bien
spécifique lors de laquelle nous constatons des difficultés
importantes de financement et refinancement rencontrées par une ou
plusieurs institutions financières nécessitant l'intervention des
pouvoirs publics afin de poursuivre son activité. Ces crises bancaires
ont été constatées à plusieurs reprises dans
l'histoire. Parmi les plus célèbres « Bank Runs», on
peut citer, dans l'ordre, la Faillite de Law à Paris en 1720, l'Overend
Gurney en Angleterre en 1866, qui marque la première intervention de la
banque centrale anglaise en tant que prêteur de dernier ressort.
On peut également citer la faillite de la Barings aux
Etats-Unis en 1873 qui entraîne la chute de plusieurs institutions
financières. Enfin, on peut également évoquer, plus
récemment, le « Bank Run » de la banque Northen Rock au
Royaume-Uni en 2008 qui s'est vu nationalisée par l'Etat britannique.
Au-delà des crises bancaires, le système financier a
également connu des crises affectant un élément
particulier du système financier ; on peut citer notamment les crises de
la dette (debt crisis), qui peuvent être souveraines (domestic debt) ou
étrangères (foreign curency). Les crises monétaires sont
également récurrentes dans l'histoire économique,
caractérisées par un affaiblissement brutal des réserves
de change et d'une baisse subséquente de la valeur de la monnaie
nationale.
6 Jean-Paul Fitoussi, pour le Monde
économie, dans « La crise financière ne devrait pas avoir de
conséquences importantes en Europe ».
13
Lors de ce premier chapitre, il s'agira de mettre en
évidence les mécanismes des économies de marché
ayant entraîné, d'une part, l'apparition d'une crise
financière qui s'est progressivement répandue sur tous les
marchés financiers mondiaux, et d'autre part, les conséquences de
cette crise financière sur le fonctionnement de l'économie
à travers les différents mécanismes de transmission
reliant la sphère financière à la sphère
économique.
14
CHAPITRE 1
MARCHES FINANCIERS ET ECONOMIE MONDIALE A L'EPREUVE DE
LA
FAIBLESSE DES SYSTEMES DE REGULATION
Nous étudierons, dans le premier temps de ce chapitre,
le contexte économique et financier (contexte macro-économique,
contexte réglementaire) ayant favorisé l'apparition ainsi que la
dissémination de crédits hypothécaires à haut
niveau de risque, régulièrement qualifiés dans la
littérature économique mais aussi dans la culture populaire de
« crédits subprimes ». Nous nous attacherons
particulièrement à mettre en évidence, lors de ce moment
de notre étude les mécanismes économiques à
l'origine de la formation de cette crise. L'objectif sera ainsi de mieux
comprendre et mieux évaluer la pertinence des modes de régulation
employés par les pouvoirs publics, cela en vue de limiter la
récurrence de ces évènements économiques dont la
financiarisation de l'économie mondiale et l'interconnexion croissante
des économies ont eu pour conséquence d'internationaliser les
logiques financières et leurs conséquences.
2.1 FACTEURS ET MECANIQUE FINANCIERE DE LA CRISE DES
CREDITS HYPOTHECAIRES
Avant même d'aborder les questions relatives au
démarrage du processus de « crise » à proprement
parlé, il convient de positionner notre analyse dans une perspective
historique plus longue, sur les années 2000, afin de comprendre le
contexte économique, réglementaire et politique des années
ayant précédé la survenue de cette crise. En effet, si
cette crise a ses mécanismes propres, le contexte ayant
précédé celle-ci est riche d'enseignement sur la nature
des enchaînements des cycles financiers en périodes
pré-crises. En ce sens, en vue de mieux comprendre le contexte
économique inhérent à cette période, nous attachons
une grande attention à un discours prononcé par Ben S. Bernanke,
au mois de février 2004, intitulé « The Great Moderation
»7. Ben Bernanke, à ce moment encore conseiller
économique auprès de la Maison Blanche (il sera nommé
Président de la Réserve Fédérale Américaine
(FED) un an plus tard) amorce alors sa prise de parole par un constat simple :
« One of the Most striking features of the economic landscape, over
the past twenty years, or so has been a subsantial decline in macroeconomic
volatility » / « L'une des plus frappantes caractéristiques du
paysage économique des 20
7 The Federal Reserve Board, Remarks by Governor
Ben S. Bernanke, At the meetings of the Eastern Economic Association,
Washington, DC, February 20, 2004, The Great Moderation.
15
dernières années a été le
déclin substantiel de la volatilité macroéconomique.
» Ben Bernanke appuie ses dires sur des constatations
effectuées par les économistes Olivier Blanchard et John Simon
dans un célèbre articule intitulé « The Long and
Large Decline in U.S. Output Volatility »8
A l'appui du graphique que nous proposons ci-dessous, les
auteurs mettent ainsi en évidence dans cet article que le niveau de
variation du PIB (à prix constants) est deux fois moins important
à la fin des années 1990 que celui constaté 20 ans plus
tôt, au début des années 1980. Les auteurs mettent
également en exergue dans cet article un deuxième indicateur
économique fondamental qui serait également touché par
cette vague de grande modération, à savoir l'inflation. Ils
démontrent en effet que cette période dite de « grande
modération » est également caractérisée par
une diminution drastique du niveau de volatilité de l'inflation au cours
de cette période. Sans même évoquer de lien de
causalité, ils affirment la relation suivante : « We show that
there is a strong relationship both between output volatility and the level of
inflation, and between output volatility and inflation volatility. Both
volatilities went up in the 1970s and have come down since. Correlation does
not, however, imply causality. »

9
8 Olivier Blanchard (MIT), John Simon (Reserve Bank
of Australia), The long and Large Decline in U.S. Output Volatility.
9 Op. Cit. 8.
16
« On peut démontrer qu'il existe un lien entre
la volatilité de la production et le niveau d'inflation, et entre la
volatilité de la production et la volatilité de l'inflation. Les
deux volatilités ont augmenté dans les années 1970 et ont
diminué depuis. La corrélation n'implique toutefois pas la
causalité. » 10
Cette analyse proposée par Olivier Blanchard et John
Simon, reprise par Ben Bernanke, alors un acteur déjà très
influent, et dont la parole est écoutée sur les marchés,
nous renseigne à plusieurs titres sur le contexte économique et
financier qui régnait alors. Sans apporter d'éléments
visant à remettre en cause la vision portée par ces
économistes sur l'évolution des niveaux de volatilité
constatés, on peut observer que l'analyse faite par Minsky, que nous
évoquions plus tôt, correspond en de nombreux points à ce
qu'il évoquait comme étant son deuxième
théorème d'instabilité.
En effet, nous constatons, comme le prévoit Aglietta,
une phase de surévaluation des actifs, suivie d'une violente, et sur une
période très brève, chute de la valeur de ces actifs
à l'été 2007. Comme le démontrait Minsky, nous
constatons que plus la phase de stabilité a été durable,
plus le contrecoup est violent. En effet, avant cette période, comme le
montrent Jean-Charles Bricongne, Jean-Marc Fournier, Vincent
LapeÌgue et Olivier Monso dans « de la crise
financière à la crise économique : l'impact des
perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance des sept
pays industrialisés », nous constatons à cette
période des comportements d'agents sur le marché qui
sous-évaluent structurellement la nature et l'ampleur des risques
liés à la détention des actifs financiers.
Cette vision tronquée de la nature du risque par les
investisseurs est selon ces auteurs11 directement liée
à cette « apparente stabilité économique » que
nous notons dans le travail des économistes et dans les prises de parole
publiques des acteurs institutionnels de l'époque (Ben Bernanke) avec
des communications axées sur le concept de « grande
modération ». Nous remarquons en effet, comme le montrent ces
auteurs à cette période, une baisse générale de la
perception du risque et donc des primes qui y sont adossées en fonction
de l'évaluation qui en est faite, notamment par les agences de notation
financières qui font alors référence sur les
marchés financiers (Standard & Poors, Moody's, Fitch...). Selon ces
auteurs, cette sous-évaluation massive de la nature et de l'ampleur
des
10 Source : Estimations de Olivier Blanchard et
John Simon basées sur les données du BEA (Bureau of Economic
Analysis).
11 Jean-Charles Bricongne, Jean-Marc fournier,
Vincent LapeÌgue, et Olivier Monso, dans « de la crise
financieÌre aÌ la crise économique :
l'impact des perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance
des sept pays industrialiseìs » économie et
statistique n° 438-440, 2010.
17
risques, corrélée à la faiblesse des taux
d'intérêt, conduit les acteurs sur les marchés à
avoir recours à l'endettement de manière massive et irrationnelle
pour effectuer des achats d'actifs financiers mobiliers mais aussi immobiliers
pour les acteurs privés.
Il nous faut également préciser que la crise
financière qui allait s'amorcer en 2007, contrairement aux
précédentes crises financières, a été
favorisée12 par des techniques d'ingénierie
financière particulièrement élaborées. Ces
techniques, avant le déclenchement de la crise, ont en effet connu un
essor important et peuvent être directement considérées
comme des facteurs ayant favorisé l'apparition d'un risque
systémique13. Parmi ces différentes techniques
d'ingénierie financières utilisées alors, l'une d'entre
elles est considérée comme ayant joué un rôle moteur
dans la crise de 2008, à savoir le procédé de titrisation.
Le principal objectif d'un processus de titrisation est de permettre la
négociation sur des marchés financiers de titres de
créances adossés à des opérations
immobilières (crédits hypothécaires). Ces titres sont
ainsi échangés sur des marchés financiers, hors structure
boursière, sur des marchés dits « Over the Counter »
(OTC) ou de gré à gré, qui présentent l'avantage
d'une réglementation quasi-inexistante de la part des autorités
de contrôle. On a ainsi vu une part des transactions financières
augmenter de façon extrêmement importante sur ces marchés
peu ou pas réglementés14. La négociation de ces
titres sur les marchés financiers (en particulier le marché des
capitaux), nécessite la création d'une structure dont l'unique
rôle est de transformer ces titres de créances en titres
échangeables. Ces structures, dites « Special Purpose Vehicle
» (SPV) permettent la sortie immédiate du risque de la structure du
bilan de l'institution qui cède la créance.
En revanche, si ces titres de créances se voient
transférés vers un autre portefeuille (celui d'un investisseur
financier X), le risque lié à l'opération qui y est
adossée (ici une opération immobilière) y reste
adossé. Afin de mieux gérer la fréquence de survenue des
échecs et de déterminer la valeur de ces actifs, l'ensemble de
ces créances sont regroupées dans des portefeuilles de
créances appelées des pools, pools dont la « valeur »
sur le marché est déterminée par la probabilité
d'un incident de remboursement sur le sous-jacent de l'actif financier,
à savoir le crédit.
12 Brennan et al, 2009.
13 Vinod Kothari, Securitization - The Financial
Instrument of the Future, Wiley Finance, New York, 2006, 992 pp.
14 J. MacKrank, "Dark markets may be more harmful
than high-frequency trading", Reuters, 6 avril 2014.
18
Ainsi, ces actifs financiers (les titres émis par la
banque via son SVP) sont regroupés en trois tranches selon le niveau de
risque des créances contenues dans le pool de créances
achetées aux institutions de crédit :
- Dette « super senior » dont la
probabilité de remboursement est élevée mais la
rentabilité est plus faible étant donné le niveau
limité de risque qui est y adossé.
- Dette « mezzanine » qui présente
un niveau de risque modéré, une probabilité de
remboursement plus faible, dont la rentabilité espérée par
l'investisseur est supérieure à la dette « super senior
».
- Dette « equity », qui est
considérée comme la tranche présentant le niveau de risque
le plus élevé, et donc le niveau de rémunération
espéré par les investisseurs le plus élevé des
trois tranches.
Les titres ainsi créés à l'issue de leur
transit, via le special vehicule purpose mis en place par les banques
d'investissement, sont à l'origine des titres qualifiés de ABS
pour Asset Backed Security et correspondent à des actifs
financiers dont la valeur est assurée par la valeur de l'actif
sous-jacent générateur de revenu (les intérêts du
prêt). Ainsi créé et transféré sur le
marché OTC par la banque d'investissement, l'ABS peut s'échanger
sur ce marché et permettre un transfert du risque de l'opérateur
vendeur vers l'opérateur acheteur du titre, le bilan de l'institution
émettrice se voyant de fait consolidé par l'opération
réalisée. Le principal intérêt
présenté par ce processus de titrisation, constitue
également la raison pour laquelle il est générateur d'un
risque systémique sur l'ensemble des opérateurs du marché.
En effet, s'il permet effectivement de réduire le niveau de risque
à l'échelle d'une institution singulière, telle qu'une
banque commerciale de détail distribuant des crédits immobiliers,
il entraîne également la dispersion de ce risque vers un nombre
très important de portefeuilles sans que les opérateurs n'aient
de moyen d'évaluer le risque réel présenté par les
actifs auxquels sont adossés ces risques.
En effet, la gestion de l'évaluation du risque,
déléguée à des institutions financières
spécialisées, qualifiées d'agence de notation (les plus
importantes, Moody's, Standard & Poors, Fitch) a entraîné une
sous-évaluation aux conséquences dramatiques du risque
sous-jacent sur le marché des titres de créances
hypothécaires. En effet, cette mission d'évaluation du risque,
confiée à ces agences, s'est vue particulièrement
complexifiée par la création de sous-catégories de
produits ABS dont la
19
technicité des montages a été croissante
au cours des années 2000 sur le marché des subprimes
américains. Ainsi, via les SVP, les émetteurs de titres ont fait
preuve d'innovation et ont mis en place des produits issus de la titrisation
dont le niveau de risque qui leur était inhérent était de
plus en plus difficile à saisir pour les opérateurs sur le
marché. Différents produits ABS, tels que les CDO pour
collateralized debt obligation, les CDS Credit Default Swap,
ont été commercialisés par des institutions
financières désirant proposer des solutions d'assurance sur la
valeur des titres achetés par les opérateurs. Comme l'illustre le
graphique ci-dessous, on a ainsi pu observer une augmentation extrêmement
importante de l'émission de ces produits dits « structurés
». L'innovation financière croissante sur ces produits financiers a
même conduit à la création de produits synthétiques
qualifiés de « naked- CDS » qui correspondent donc à
des CDS classiques, mais sans exposition au risque crédit du sous-jacent
et dont l'intérêt de la détention se situe dans la
réalisation d'une opération de spéculation sur la
probabilité d'un événement de crédit de se produire
(pari sur l'échec de remboursement du crédit par l'emprunteur du
crédit hypothécaire sous-jacent).
Graphique : Les eìmissions de
produits structurés. Source : Estimations FMI d'apreÌs
les donneìes de JP Morgan Chase, le Conseil des gouverneurs
de la Fed et Inside Mortgage Finance. »

Or, il s'agit précisément de l'évaluation
du risque adossé à la détention de ces produits
structurés par les porteurs qui a été largement
sous-estimée avant la crise de 2008. L'évaluation de ces risques
est à la fois fastidieuse pour les acteurs sur le marché, voire
impossible lorsque les produits sont
20
trop complexes, et donc très coûteuse. Dans un
souci d'efficacité, les opérateurs sur le marché des
titres adossés à des crédits hypothécaires ont
ainsi très largement eu recours aux services d'agences
spécialisées dans l'évaluation du niveau de risque de
crédit porté par les détenteurs de titres. L'information
sur le niveau et la nature du risque est mise à disposition des
investisseurs de manière lisible, synthétique, souvent par le
biais de notes données par une lettre (A, B, C, ou D) ainsi que d'un
signe (+ ou -) afin d'affiner l'évaluation. Les informations sont mises
à disposition de manière condensée à destination
des investisseurs ayant recours à leurs services. La
réglementation relative au rôle joué par ces agences avant
l'éclatement de la crise des subprimes, alors très accommandante,
leur confère pour la plupart d'entre elles un rôle de structure
externe d'évaluation du risque crédit.
Cependant, comme nous allons le voir, le recul historique nous
permet aujourd'hui d'affirmer qu'une sous-évaluation massive des niveaux
de risques inhérents aux produits financiers (titres), adossés
aux crédits hypothécaires, a été
réalisée par ces agences de notation. Cette
sous-évaluation massive du risque, permise d'une part par une profonde
déréglementation du système de notation, rendue possible
par Bâle II, et d'autre part des marchés de gré à
gré, a été à l'origine du déclenchement
d'une crise majeure de l'économie mondiale. Le fonctionnement de la
mécanique financière que nous avons abordé reposait donc
sur la logique suivante :
- Endettement privé par le biais d'un crédit
subprime adossé sur la valeur du bien immobilier (réglementation
quasi inexistante, absence de vérification des capacités de
remboursement réelles des ménages)
- Remboursement des intérêts
générateurs de flux de revenus futurs pour les investisseurs sur
les marchés financiers
- Mise en vente des créances sous forme de produits
dits « structurés » qui permet de sortir le risque du bilan de
la banque prêteuse et à l'investisseur de choisir son produit
selon son profil (du plus risqué au moins risqué - du plus
rémunérateur au moins rémunérateur)
21
Cette mécanique financière supposait donc, afin de
garantir la pérennité des revenus futurs :
- Le remboursement effectif des échéances de
prêt par les emprunteurs
- Le maintien, voire l'augmentation, de la valeur du produit
sous-jacent (le bien immobilier), en cas de défaillance de
l'emprunteur
Or, comme on peut le voir dans la note n°40 de la D.G.
Trésor du mois de juillet 2008 15 , si on a bien
constaté, entre les années 2000 et 2006, une hausse nominale
d'environ 60% des prix de l'immobilier, c'est bien à l'été
2007 que la mécanique d'augmentation de valeur des biens immobiliers
s'est enrayée. Les estimations de la Direction Générale du
Trésor concernant la surévaluation des biens immobiliers
atteignent au moment de la surévaluation maximale, en 2006, plus de 30%
entre la simulation dynamique d'évaluation du prix d'équilibre
par rapport aux prix réels constatés selon les données
fournies par l'indice OFHEO (Office for Federal Housing Enterprise Oversight)
et les calculs réalisés par la DGTPE. Il nous faut cependant
préciser que les analyses d'écart entre les simulations
dynamiques réalisées par la DGTPE, sur la base des données
de l'OFHEO, sont selon les économistes de la DGTPE eux-mêmes
sous-évalués :
« L'indice de l'OFHEO est essentiellement construit
grâce aux données collectées par Freddie Mac et Fannie Mae,
les deux organismes de prêt hypothécaire bénéficiant
de la garantie implicite de l'État américain et supervisés
par l'OFHEO. Il couvre bien l'ensemble du territoire américain, mais ne
tient pas compte du prix des logements achetés grâce à des
prêts de type jumbo (montant supérieur à 417 000 $ en 2007)
ou subprime, puisque Freddie Mac et Fannie Mae ne sont pas habilités
à proposer ce type de prêts. ».
La pérennité d'un modèle financier de
titrisation, dont la valeur de l'actif sous-jacent était largement
surévaluée, et le niveau de risque inhérent à la
détention de ce titre (probabilité ou non de réalisation
d'un événement de crédit) clairement
sous-évalué, a eu pour conséquence directe,
consécutivement à la chute brutale des prix de l'immobilier, une
dévaluation massive de tous les produits financiers qui y étaient
adossés (CDO, CDO2, MBS, ABS, ABCP).
De manière synthétique, on peut ainsi retenir
que les principaux facteurs ayant conduit à une surévaluation
massive des titres produits par les SVP ont été d'un point de vue
macro-économique :
15 N° 40 - Trésor Eco - Juillet 2008,
Direction Générale du Trésor et de la Politique
Economique, Eclatement de la bulle sur le marché immobilier
américain.
22
- Un allégement des prérequis à la
souscription d'un crédit
- Une politique accomodante de la Banque Centrale
Américaine (FED), particulièrement favorable au levier de
création monétaire
On peut également retenir, d'un point de vue financier
:
- Le processus de titrisation pour un échange sur les
marchés OTC de produits liés à des créances
hypothécaires
- La complexification des méthodes d'ingénierie
financière qui conduisent à une sous-évaluation de la
nature du risque
- L'absence de réglementation sur les méthodes
et les structures habilitées à effectuer une mission
d'évaluation de risque crédit
Nous allons ainsi aborder, dans ce second temps, les ressorts
du déclenchement de ce mécanisme de crise financière et
ses conséquences sur le fonctionnement de la sphère
économique à proprement parlé, via notamment son
nécessaire recours à l'endettement, de manière
intermédiée ou désintermédiée.
2.2 L'INTERDEPENDANCE CROISSANTE DES SPHERES
FINANCIERES ET ECONOMIQUES : MECANIQUE DE TRANSMISSION DES CRISES, DE
L'EMBALLEMENT DE LA CRISE FINANCIERE A LA RUPTURE ECONOMIQUE
SYSTEMIQUE
Comme le montrent Jean-Charles Bricongne, Jean-Marc Fournier,
Vincent Lapègue et Olivier Monso dans « De la crise
financière à la crise économique : L'impact des
perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance des sept
pays industrialisés », on constate que les niveaux de prime
pratiqués pour couvrir le risque ont très sensiblement
augmenté, du fait de la la chute des prix de l'immobilier et la hausse
des incidents de crédit dus à la hausse des mensualités de
crédit (car souscrits selon la règle ARM, adjustable rate
morgage) 16. Très vite, le problème
rencontré par les opérateurs sur le
16 Jean-Charles Bricongne, Jean-Marc fournier,
Vincent Lapègue, et Olivier Monso, dans « de la crise
financieÌre à la crise économique : l'impact
des perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance des sept
pays industrialiseìs » économie et statistique
n° 438-440, 2010.
23
marché est d'évaluer le niveau de risque contenu
dans les portefeuilles remplis de titres dont ils disposent, suite à la
constatation du défaut d'analyse de risque réalisé par les
agences de notation, et prenant conscience de l'euphorie s'étant
emparée du marché. On peut alors parler du déclenchement
d'une crise, qui, d'abord, se veut être une crise de confiance entre les
opérateurs de marché eux-mêmes, ne souhaitant plus se
porter acquéreurs de titres qu'ils considèrent à
présent comme extrêmement risqués.
Ainsi, comme le constate F. Mishkin à la fin de
l'année 2008 17 : « Les SVP et les conduits ont joué un
ro^le crucial. (É) Quand la qualité des actifs offerts en
collatéral des émissions a été
dégradée par les agences de notation, les SVP et les conduits ont
été rapidement incapables de continuer à se financer.
L'impossibilité de se refinancer a tari le paiement des coupons sur les
titres, détériorant ainsi davantage leur valeur dans une spirale
sans fin. (É) La plupart des SIV et des conduits ont alors
été précipitamment fermés. ». La
dynamique de crise financière s'est alors enclenchée, lorsque les
agents sur les marchés, en besoin de financement, ont dû se
tourner vers des produits pour lesquels les actifs adossés
présentaient un niveau de risque adossé beaucoup moins important.
Ainsi, les agents (et notamment les banques) se voient en difficulté
pour trouver des financements liquides dans un contexte très incertain,
la confiance entre les agents étant rompue sur les marchés. Afin
de mieux appréhender la dynamique de développement de la crise
financière, puis du développement d'une crise, nous proposons de
nous appuyer sur le schéma suivant, issu du numéro 438
d'économie et statistique18.
Nous constatons en effet que les défauts de
crédit ont eu trois principales conséquences directes sur les
marchés financiers, à savoir une diminution de la valeur des
actifs financiers ayant eu pour conséquence directe,
corrélée aux défauts de crédits, une
dégradation importante des bilans bancaires et donc une diminution du
degré de solvabilité de ces institutions censées porter le
financement de la sphère économique. Ce schéma nous permet
ainsi de mettre en évidence le degré de dépendance
extrêmement élevé entre les acteurs financiers, mais
également l'imbrication de la sphère financière dans les
schèmes de fonctionnement de la sphère économique et le
niveau d'activité intérieure.
17 F. Mishkin, C. Bordes, P-C. Hautcoeur, D.
Lacoue-Labarthe, X. Ragot 2010 Pearson Education France - Monnaie, banque et
marchés financiers.
18 Op. Cit. 16.

24
A l'automne 2008, la crise financière est
installée et commence à faire ses premières victimes, avec
la chute et la mise sous tutelle gouvernementale le 7 octobre 2008 des
institutions Freddie Mac et Fannie Mae, les deux institutions soutenues par
l'Etat américain pour l'octroi de crédit aux particuliers. Une
semaine plus tard, le 15 octobre 2008, c'est la banque d'investissement Lehman
Brothers qui se déclare en faillite, après avoir en vain
cherché à établir des partenariats stratégiques
avec d'autres acteurs de la place, qui, par défaut de confiance, n'ont
pas souhaité poursuivre leur opération de rachat et de soutien de
la banque d'investissement.
La transmission de la dynamique de crise, déjà
bien installée à l'automne 2008, de la sphère
financière vers la sphère économique, s'amorce, et cela
par différents biais qui relient directement les deux mécanismes
de fonctionnement aux logiques apparemment indépendantes. Un des
premiers éléments catalyseurs du développement de cette
crise a été la crise de liquidité connue par les
institutions financières. En effet, les titres véhiculés,
via les conduits ou SVP, l'ont été au cours des années
2000 de manière très importante en volume, mais aussi, vu
l'interconnexion croissante des places financières, de manière
très étendue « géographiquement ». C'est ainsi
une crise financière, qui loin de se cantonner au marché
américain, touche de nombreuses institutions financières,
notamment en Europe. Pour illustrer la tension qui sévit à la fin
de l'année 2008 sur le marché du financement interbancaire, une
coupure d'un article de presse du Figaro datant du 10 octobre 2008 illustre
parfaitement cette situation :
25
« On ne prête plus aujourd'hui son cash qu'à
échéance du lendemain. Ce qui implique que chaque jour, les
directions financières des banques vont chercher l'argent qui leur
permettra de passer la journée. La Banque centrale européenne a
d'ailleurs mis hier à disposition des banques 50 milliards d'euros
prêtés sur trois jours, de quoi tenir le week-end en fait.
»19 La crise de liquidité n'est qu'un seul des
éléments qui se conjuguent pour effectuer un mécanisme de
transmission vers la sphère économique des problématiques
rencontrées sur le plan financier, puisqu'on constate également,
de la part des agents économiques, des comportements relatifs à
un effet de richesse entraîné par la dévaluation massive de
la valeur des titres des portefeuilles de bourse.
En effet, on peut constater à cette période des
comportements d'épargne beaucoup plus notables. Comme le montre
Valérie Chauvin 20, un comportement relatif à un effet
de richesse a pu avoir lieu consécutivement à la crise de 2008.
Dans la lignée des travaux effectués par la chercheuse sur la
France et l'Italie, elle met en évidence qu'une dévaluation de la
valeur des actifs peut constituer un mécanisme déclencheur de la
chute du niveau de croissance de l'économie. En effet, elle distingue
l'existence de différents mécanismes de transmission, telle que
la hausse du prix d'acquisition du financement pour les entrepreneurs
entretenue par la baisse du prix des actifs. De plus, selon elle, c'est le
mécanisme du crédit qui s'en voit affecté par la
diminution de la valeur des collatéraux pris en garantie des actifs
financés. Enfin, elle met en évidence l'existence de l'effet de
richesse, qui consiste, pour les agents économiques, à
épargner plus, afin de compenser la baisse du rendement des placements
financiers en contexte de crise.
Pour Robert Boyer, dans « Feu le régime
d'accumulation tiré par la finance, la crise des subprimes en
perspective historique », la caractéristique principale de cette
activité de titrisation est que ces « innovations peuvent se
diffuser très rapidement car leur processus de production est
immatériel, donc avoir des conséquences majeures sur la
stabilité macroéconomique du fait des externalités qui les
caractérisent. C'est le processus qui est intervenu pour les produits
dérivés du crédit hypothécaire. »21
Robert Boyer, en s'intéressant aux ressorts de la crise
financière de 2008, tend à
19 La crise de liquidités atteint un seuil
critique et s'étend aux entreprises, Le Figaro économie, Par
Bertille Bayart. Mis à jour le 03/10/2008 à 20 :47 Publié
le 04/10/2008 à 20:46.
20 Chauvin Valérie, Damette Olivier. Effets
de richesse : le cas français. In : Economie et statistique,
n°438-440, 2010. pp. 111-140.
21 Robert Boyer, « Feu le régime
d'accumulation tiré par la finance », Revue de la régulation
[En ligne], 5 | 1er semestre / Spring 2009, mis en ligne le 10 avril 2009,
consulté le 26 juillet 2017. URL :
http://regulation.revues.org/7367.
démontrer que cette crise, comparable à
certaines crises historiques du capitalisme, et notamment celle de 1929, marque
cependant une rupture dans sa nature, en ce sens qu'elle se distingue par ses
conséquences particulièrement délétères sur
le fonctionnement de la sphère économique et par
l'interdépendance croissante des économies entre elles. Elle se
distingue également, selon lui, par la difficulté
intrinsèque d'implantation d'un système de régulation
efficace en raison de la complexité croissante des produits financiers
issus de la titrisation et ayant été à l'origine du
développement d'une sous-évaluation massive de la nature du
risque, le prix n'étant plus la garantie d'une réduction de
l'asymétrie d'information entre les acteurs sur le marché. Cette
sous-évaluation du risque, d'une part, et sa dissémination,
d'autre part, a eu pour conséquence directe de conduire à une
crise de confiance généralisée entre les opérateurs
sur les marchés avec pour effet d'induire un ralentissement
extrêmement important du financement de l'économie et donc de la
croissance de ces économies mesurée par la croissance du Produit
Intérieur Brut (PIB). Comme nous pouvons en effet le constater à
l'aide du graphique produit ci-dessous, nous observons, pour les cinq pays
industrialisés retenus à l'étude, un point de rupture du
niveau de croissance de ces économies qui débute au T2 de
l'année 2008, pour atteindre un plus bas historique du niveau de
récession économique au T1 de l'année 2019.
26
22 Jean-Charles Bricongne, Jean-Marc fournier,
Vincent Lapègue et Olivier Monso, dans « de la crise
financieÌre aÌ la crise économique :
l'impact des perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance
des sept pays industrialiseìs » économie et
statistique n° 438-440, 2010 : « Lecture : au quatrième
trimestre 2008 et au premier trimestre 2009, les principales économies
développées ont enregistré un recul simultané et
notable de leur activité ; cette chute a été
particulièrement marquée au premier trimestre 2009 au Japon (-4,2
%) et en Allemagne (-3,4 %). Champ : Allemagne, États-Unis, France,
Japon et Royaume-Uni ».
27
A l'aide d'un modèle économétrique
d'évaluation des mécanismes de transmission de la crise
financière au niveau de la demande intérieure d'une
économie, les économistes Jean-Charles Bricongne, Jean-Marc
fournier, Vincent Lapègue et Olivier Monso démontrent que la
hausse des primes de risques consécutive à la crise est à
l'origine d'une augmentation du coût du capital, ce qui a eu pour
conséquence une réduction de l'investissement porté par
les entreprises, d'une part, et les ménages, d'autre part. Ils
démontrent également un lien de causalité entre la
variation du prix des actions qui aurait eu pour conséquence une
réduction significative du patrimoine financier des ménages et
donc du niveau de consommation à disposition de l'économie afin
de soutenir la croissance de son activité.
Comme le démontrent Philippe Martin et Thierry Mayer
dans « l'effondrement du commerce dans la crise mondiale de 2008-2009 :
à qui la faute ? » : en plus d'entraîner une spirale
récessive par la contraction du marché interbancaire et le
resserrement des conditions de crédit accordées aux entreprises,
la spécificité de la crise de 2008 tient à ses
conséquences extrêmement importantes sur le volume des
échanges du commerce international entre les pays ayant
été touchés par les conséquences de la crise
financière. Ils mettent en effet en évidence qu'il s'est
opéré une rupture encore plus marquée en terme
d'évolution entre la chute de la croissance des économies
mesurée par le PIB et le volume des échanges du commerce
international à partir de l'année 2009. Dans une perspective
comparatiste avec les précédentes crises financières, ils
mettent en évidence l'impact beaucoup plus important sur le niveau des
échanges généré par la crise financière de
2008, en comparaison avec la période de « grande dépression
» des années 1930.
Pour ces auteurs, ces conséquences très
importantes sur le volume du commerce international, tiennent à ce que
la nature des échanges repose dans une plus grande mesure que le
commerce intérieur sur une intermédiation poussée via la
sphère financière. On constate ainsi, dans le rapport de
l'année 2013 fourni par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les
conséquences sur la chute du commerce mondial de la crise
financière mais aussi le rôle particulièrement important du
financement sur le niveau des échanges internationaux.
L'OMC met ainsi en évidence que : « La crise
financière de 2008-2009 pourrait avoir des effets à long terme si
elle entraîne une contraction durable du secteur financier ou des
fluctuations non temporaires des taux de change. Le financement est ce qui
permet de fluidifier les rouages du
28
commerce. La crise financière a eu une incidence
négative sur l'offre de financement du commerce bien que celui-ci soit
normalement peu risqué. »23
Au total, nous constatons que la crise financière de
2008 présente des caractéristiques différenciantes des
autres crises financières, d'une part par sa nature et les innovations
financières qui la caractérisent, et d'autre part par ses
conséquences sur le fonctionnement de la sphère
économique. Cela par l'interdépendance croissante des
sphères économiques et financières et d'autre part par
l'interconnexion croissante des marchés financiers et des
économies entre elles.
Nous allons maintenant voir dans ce deuxième chapitre
que loin de favoriser l'émergence d'un marché
autorégulateur et particulièrement efficient, la faiblesse des
systèmes de régulation a été à l'origine de
la nécessaire intervention des pouvoirs publics afin, d'une part,
d'éviter une faillite généralisée des institutions
financières et, d'autre part, de permettre à la sphère
économique de résister aux conséquences de la crise
financière. Ce second chapitre sera donc consacré à
l'analyse des réponses conjoncturelles apportées par les pouvoirs
publics. Nous verrons, par l'ampleur de celles-ci, qu'elles nécessitent
la mise en place de solutions structurelles aux dynamiques de formation des
crises financières.
23 Rapport sur le commerce mondial 2013 : Facteurs
déterminants l'avenir du commerce mondial.
29
CHAPITRE 2
UNE REPONSE CONJONCTURELLE A LA CRISE
: LES CARENCES DES SYSTEMES DE REGULATION A
L'ORIGINE DE L'INTERVENTIONNISME
Ce second chapitre de notre étude aura pour objectif de
rendre compte de la nature et de l'ampleur de l'intervention publique
nécessaire à la résolution, ou du moins à la
diminution, des effets directs et indirects générés par
les crises financières. Nous allons pour cela nous intéresser
tout particulièrement à la réponse apportée par les
pouvoirs publics, à échelle mondiale d'une part, mais
également, plus précisément, à échelle
européenne, à la crise financière de 2008 et à ses
« externalités ». Nous étudierons donc les solutions
mises en place par les instances de création monétaire, donc les
banques centrales, mais également par les Etats ainsi que les
entités politiques supranationales telles que l'Union Européenne.
Il s'agira de mettre en évidence que la faiblesse des systèmes de
régulation ayant permis l'émergence de produits financiers
structurés (tels que les CDO et les CDS)
a été à l'origine de la nécessité
d'une intervention encore plus importante des pouvoirs publics à moyen
terme. Dans une perspective d'efficience globale du système
économique, nous nous attacherons donc, à la suite de ce
chapitre, à mettre en évidence et à évaluer des
solutions de long terme proposées par les pouvoirs publics afin de
prévenir l'apparition de ces comportements des acteurs sur le
marché.
Dans un premier temps, nous soulignerons l'importance des
plans de sauvetage du secteur financier ayant été mis en place
par les Etats, afin de palier à la crise de confiance et de
liquidité relative au secteur bancaire. Nous nous attacherons dans un
deuxième temps à présenter les mesures ciblées
ayant eu pour vocation d'atteindre une relance de la croissance
économique.
3.1 LES POUVOIRS PUBLICS FACE A LA CRISE
DE LIQUIDITE
Comme nous l'évoquions lors du premier chapitre de
cette étude, la diffusion de créances titrisées, dont les
niveaux de risques adossés étaient très
élevés et difficilement évaluables par les acteurs, a
été à l'origine d'une crise de confiance entre les acteurs
financiers. A défaut de connaitre le niveau de risque porté par
l'acteur avec lequel on peut effectuer une transaction, une défiance
généralisée s'est installée au point de ne plus
permettre la réalisation des transactions vitales au fonctionnement de
la sphère financière. Les titres de créances sont
présents dans la quasi-totalité des bilans des acteurs financiers
(en particulier les banques), mais aucun acteur n'est en capacité de
savoir dans
30
quelle mesure, et donc quel est le niveau d'exposition au
risque propre à chaque acteur financier. Pour mieux comprendre les
implications d'un déficit de confiance entre les acteurs bancaires, il
nous faut de prime abord préciser quels sont les mécanismes de
fonctionnement du financement (ou refinancement) bancaire dans nos
économies de marché. Afin d'effectuer une opération de
refinancement sur une opération de crédit, une banque de second
rang (par opposition à une banque de premier rang, dite centrale)
dispose de trois principaux canaux de financement.
Le premier canal dont elle dispose est constitué des
revenus issus de l'activité bancaire qu'elle réalise (les
intérêts), ainsi que des dépôts constitués en
produits d'épargne de ses clients. Ce premier canal fait l'objet d'un
contrôle extrêmement rigoureux de la part des autorités de
contrôle prudentiel afin d'assurer un niveau très
élevé de solvabilité et de liquidité aux clients
des organismes bancaires. Le second canal, dont disposent les organismes de
financement (sous licence d'activité bancaire) afin de réaliser
une opération de re-financement, est d'avoir recours aux fonds mis
à disposition par le processus de création monétaire
géré par les banques centrales. Cette opération de
refinancement, dont le prix est déterminé par le taux dit de
refinancement (REFI), est une solution de « dernier ressort » mise en
place par les banques centrales en cas de difficultés sur le
marché interbancaire. En effet, le troisième et dernier canal de
refinancement, dont disposent les acteurs bancaires afin de soutenir leur
activité de crédit, est d'avoir recours aux solutions de
refinancement proposées par un acteur concurrent qui se trouve
être dans une situation excédentaire de liquidité et qui
cherche donc à optimiser le rendement de ces liquidités.
Ainsi, les banques assurent entre elles, en période de
stabilité économique et financière, les opérations
de refinancement dont elles ont besoin pour effectuer leurs activités de
financement de l'économie. Cette mécanique de refinancement est
basée, pour un prêt d'une journée, sur le prix de l'argent
fixé par « l'EONIA » pour Euro Overnight Index Average, ou
pour des solutions de refinancement sur plus long terme, sur « l'EURIBORD
» pour Euro Interbank Offered Rate. Les mécanismes de refinancement
sur le marché interbancaires fonctionnement et permettent de soutenir le
niveau de liquidité nécessaire aux activités bancaires des
acteurs en cas de stabilité économique et financière et de
relative confiance sur les niveaux de solvabilité des acteurs entre eux.
Or c'est précisément cette connaissance du niveau de
solvabilité des acteurs entre eux, et donc les inquiétudes
relatives à la nature du bilan de ces acteurs, qui va être
à l'origine d'une impossibilité des acteurs bancaires à
effectuer ces opérations de refinancement sur le marché
interbancaire durant l'année 2008.
31
Comme le montrent Nicolas Couderc et Olivia
Montel-Dupont24, les banques font alors face à une crise de
liquidité, mais également à une crise de capital. En
effet, la dégradation de la confiance sur la valeur des actifs des
banques les conduisent à avoir recours à la vente d'actifs
considérés comme étant de très bonne qualité
afin d'obtenir malgré tout des possibilités de financement et
ainsi éviter la faillite. Par ce processus de vente massive des actifs
de bonne qualité, les auteurs démontrent que l'ajustement
structurel du marché entre l'offre et la demande conduit à une
baisse conséquente du prix de revente des ces actifs de bonne
qualité qui assurent encore la solidité des organismes bancaires.
Ces actifs de bonne qualité, qui permettent aux banques de garantir un
certain niveau de solvabilité aux acteurs qui assurent encore leur
refinancement, vont voir leur valeur sur le marché se dégrader
progressivement et ainsi ne plus constituer une garantie suffisante à
leur refinancement nécessaire pour éviter la faillite
généralisée des acteurs du système bancaire. Afin
d'éviter le déclenchement d'une faillite
généralisée des acteurs du système bancaire, faute
de possibilité de refinancement, la crise financière entre alors
dans une spirale de dévaluation des actifs qui s'auto-entretient et dont
la seule issue semble alors être l'intervention des institutions et des
pouvoirs publics.
Aux Etats-Unis d'abord, à l'automne 2008, la situation
de blocage sur le marché interbancaire et les menaces
d'insolvabilité des organismes est telle qu'une intervention politique
est devenue indispensable. Elle prend la forme d'un plan, porté par le
secrétaire d'Etat au Trésor des Etats-Unis, Henry Paulson. Ce
plan a plusieurs objectifs, d'abord celui de permettre de réintroduire
un certain niveau de liquidité afin de permettre à nouveau aux
organismes financiers de se refinancer entres eux et, en chaîne,
d'assurer le financement de l'économie qui est au point mort, suite au
gel des échanges sur le marché interbancaire. Le second objectif,
qui découle du premier, est d'éviter les faillites et les
réactions en chaîne (effet domino financier), qui sont d'ores et
déjà à l'oeuvre au moment du vote au Congrès de ce
plan. En effet, au mois de septembre 2008, le géant américain des
produits d'assurance AIG accuse une baisse importante de sa note de
solvabilité émise par les agences de notation, et enregistre sur
l'année courante plus de 100 milliards USD de pertes financières.
Particulièrement implantée dans la vente de produits
titrisés, et notamment dans la vente de CDS, la situation d'AIG atteint
un tel niveau de dégradation que l'entreprise est en situation de
faillite.
24 Couderc N., Montel-Dumont O. (2009), Des
subprimes aÌ la reìcession :
comprendre la crise, Paris, La Documentation francaise/France
info.
32
En ce qui concerne Lehman Brothers, elle aussi très
impliquée dans la vente de produits financiers issus des créances
hypothécaires, après une chute de plus de 78% de sa valeur en
bourse dans l'année 2008, elle fait faillite dans la nuit du 14 au 15
septembre 2008. A la fin du mois de septembre, loin de se stabiliser, la
situation s'empire encore avec la fermeture de la Washington Mutual (WaMu),
plus grosse banque de dépôt en produits d'épargne des
Etats- Unis alors. En effet, la banque, suite à la faillite de la banque
d'investissement Lehman Brothers, a dû faire face à une
ruée de retraits de ses déposants, craignant d'être
victimes d'une lourde perte financière consécutive à une
faillite prochaine de l'organisme financier. La faillite de la WaMu est encore
aujourd'hui considérée comme la plus importante faillite d'un
organisme bancaire aux Etats-Unis. 25
Dans ce contexte particulièrement problématique
pour la sphère financière et les institutions la composant, ainsi
que pour la sphère économique, le Plan Paulson dit TARP («
Treasury Asset Relief Program »), par le biais d'une loi dite EESA («
Emergency Economic Stabilization Act »), a pour principal objet d'assainir
le bilan des organismes financiers largement engagés dans les
crédits subprimes afin de renouer avec un certain niveau de confiance
entre les acteurs du système financiers et ainsi relancer le
marché interbancaire. Afin de mener à bien cette opération
d'assainissement des actifs, la décision est prise de procéder
à une opération de rachats massive de titres issus des
crédits hypothécaires (portant précisément sur le
rachat de Mortgage Backed Securities - MBS) à hauteur de 700 milliards
USD.
Pour certaines institutions, dont ne fait pas partie Lehman
Brothers, déjà en faillite, des opérations de
refinancement par injection de liquidités au capital sont
envisagées dans le Plan TARP. Ce plan massif de sauvetage des organismes
financiers a ainsi permis le sauvetage de plus de 700 organismes
financiers26. De nombreux économistes, dans une lettre
adressée au Congrès27, ont cependant remis en cause la
pertinence de ce plan, au regard de la faible transparence qui entourait la
nature des actifs dont l'Etat, et donc le contribuable américain, se
faisait porteur, et ont également remis en
25 Le
monde.fr avec AFP et Reuters, La banque
Washington Mutual en faillite : La sixième banque des Etats-Unis a
été fermée jeudi soir par les autorités. JPMorgan
Chase a racheté ses activités pour 1,9 milliard de dollars.
26 F. Mishkin, C. Bordes, P-C. Hautcoeur, D.
Lacoue-Labarthe, X. Ragot 2010 Pearson Education France - Monnaie, banque et
marchés financiers.
27 Lettre au congrès signée par 200
économistes universitaires américains envoyée le 24
septembre 2008.
33
question cette vision de l'économie de marché
sous l'expression consacrée de « privatisation des
bénéfices et de nationalisation des pertes ».
Ils reprochent ainsi l'inconséquence des acteurs
financiers dans leur prise de risque :
« Investors who took risks to earn profits must also
bear the losses. Not every business failure carries «systemic
risk. »
Malgré les critiques essuyées par le TARP pour
son imperfection et la validation implicite de certaines pratiques de
marchés qu'il induisait, l'effectivité de ce plan apparaît
rétrospectivement comme une mesure ayant permis de réintroduire
un certain niveau de liquidité des échanges sur le marché
interbancaire aux Etats-Unis. En revanche, comme nous l'avons abordé
plus tôt, une des caractéristiques majeures de la crise
financière de 2008 tient au niveau de dispersion très important
dans la sphère financière mondiale, et en particulier
européenne, de titres financiers adossés à des
créances hypothécaires douteuses. Loin de permettre un retour
à la stabilité financière à échelle
mondiale, ce sont également les marchés européens et les
institutions financières européennes particulièrement
implantées sur le marché des produits issus de créances
titrisées qui sont alors en difficulté.
Si nous ne traiterons pas directement dans cette étude
des conséquences directes et indirectes de la crise des subprimes sur
l'endettement des Etats et la crise de la zone euro survenue à partir de
l'année 2010, nous allons en effet voir que l'instabilité
financière, générée par l'éclatement de la
bulle immobilière aux Etats-Unis, a eu des conséquences lourdes
sur la stabilité des organismes financiers européens. Comme le
montrent Mathieu Plane et Georges Pujals dans « les banques dans la crise
» 28, à l'appui du graphique ci-dessous, les banques de
la zone euro font elles aussi l'objet d'une chute vertigineuse de leurs sources
de revenus mesurées par le résultat net de ces organismes
financiers. On peut ainsi constater sur le graphique ci-dessous que la chute
des résultats nets des organismes financiers s'est propagée des
Etats-Unis vers les pays européens comme une « onde de choc »
entraînée par la dynamique américaine de chute des
résultats bancaires. Nous observons en 2007, que le décrochage
des banques de la zone euro intervient un an plus tard, dans une phase de
décrochage semblable à celle connue aux Etats-Unis, passant de
résultats nets agrégés supérieurs à 100
Milliards USD fin 2007 à un résultat net déficitaire en
début d'année 2008.
28 Mathieu Plane, Georges Pujals, Les Banques dans
la crise, Dossier II, Revue de l'OFCE, Juillet 2009.
34
Graphique issu des données Thomson Financial et
des calculs réalisés par l'OFCE, l'évolution du
résultat net des organismes bancaires entre 2000 et 2008 :

29
Les dispositifs européens mis en place pour faire face
à la propagation de l'onde de choc issue de la crise des subprimes
varient par la nature des dispositions prises par les pouvoirs publics et par
leur ampleur. En ce qui concerne le cas français, deux structures sont
ainsi mises en place afin d'assurer la recapitalisation des organismes
bancaires, la Société de financement de l'économie
française (SFEF), ainsi que la Société des Participations
Publiques de l'Etat (SPPE). Concernant la Société des
Participations Publiques de l'Etat (SPPE), comme le montrent Mathieu Plane et
Georges Pujals, elle a pour objectif d'opérer un plan massif de soutien
par apport de capital aux banques en difficulté, suite à la crise
des subprimes. Si ces aides ont pour vocation d'éviter la faillite du
système bancaire européen, elles sont cependant limitées
dans le temps et dans les montants alloués.
29 Données Thomson Financial, en milliards
USD, sur les calculs réalisés par l'OFCE (observatoire
français des conjonctures économiques).
35
Ainsi, en ce qui concerne la zone euro réduite
(Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas), le plafonnement des aides est
fixé à 1000 Mds€, comprenant des plafonds respectifs de 400
Mds€ pour l'Allemagne, 320 Mds€ pour la France, une absence de
plafonnement pour l'Italie, 100 Mds€ pour l'Espagne, et enfin 200
Mds€ pour les Pays-Bas.30 La zone euro doit en effet faire face
à cette période à une défiance
généralisée des acteurs sur le système
interbancaire, notamment du fait que certains organismes bancaires, et
notamment Dexia, dont le cas est particulièrement
révélateur de l'internationalisation du processus
d'émissions et d'achats de produits titrisés, sont
particulièrement touchés en Europe. En effet, Dexia, mastodonte
bancaire franco-belge, spécialiste historique de la production de
crédits destinés aux collectivités territoriales, a
dû faire l'objet d'une recapitalisation massive de la part des pouvoirs
publics, conduisant malgré tout à sa mise en liquidation, sous la
pression de la crise des dettes souveraines, en dépit de l'action
répétée des pouvoirs publics.
La première opération de sauvetage de la banque
franco-belge est organisée par les pouvoirs publics (l'Etat belge ainsi
que l'Etat français), alors en pleine crise des subprimes. La banque a
en effet été l'un des premiers clients européens de
produits titrisés issus du marché du crédit
hypothécaire américain, se voyant d'emblée mise en
position extrêmement délicate lors de l'éclatement de la
crise financière aux Etats-Unis. L'analogie avec la situation de Lehman
Brothers est claire, au détail près que le géant bancaire
européen représente, par le poids de son bilan, 1,5 fois celui de
la banque d'investissement Lehman. 31
La diffusion de l'onde de choc financière venue des
Etats-Unis fait également craindre des faillites d'autres organismes
financiers, en Belgique avec la situation de BNP Paribas Fortis (ex Fortis),
ainsi que la banque allemande IKB. En effet, la banque Fortis est largement
exposée aux emprunts toxiques : « un paquet de CDO d'un montant de
5,75 Milliards USD, dont 1,254 milliard d'euros est de type Mezzanine CDO, la
tranche la plus vulnérable car la première à pâtir
des non-remboursements ».32 En Allemagne, la banque IKB
Deutsche Industriebank AG a fait l'objet d'un plan massif d'aides publiques,
rachat et d'une recapitalisation par la banque publique KfW
30 Mathieu Plane, Georges Pujals, Les Banques dans
la crise, Dossier II, Revue de l'OFCE, Juillet 2009.
31 Dexia : faillite collective, le groupe
franco-belge est en cours de démantèlement. Toute la
vérité n'a pas encore été livrée sur ce
fiasco, qui promet d'être le plus coûteux de l'histoire des banques
en Europe. Le Monde | 08.05.2012 à 15h29 · Mis à jour le
05.10.2012 à 16h00 | Par Anne Michel.
32 Le soir, « Fortis a caché son
exposition au phénomène des subprimes en 2007 » 29/10/08.
36
(Kreditanstalt für Wiederaufbau). La Commission
européenne a ainsi permis la mise en place d'une aide d'un montant de 7
Mds€. 33
Nous constatons au total qu'au lendemain de la crise provenant
de l'éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis, de
nombreuses institutions européennes sont largement touchées du
fait de leur niveau d'exposition élevé à des produits
risqués, et, par voie de conséquence, que l'ensemble du
système bancaire est menacé par une crise de solvabilité
de ses organismes financiers et d'une paralysie du système
interbancaire, de manière analogue à la situation connue aux
Etats-Unis plusieurs mois auparavant. La logique de la crise s'est
internationalisée, avec de lourdes conséquences sur le
financement de la sphère économique et donc sur le niveau
d'activité économique qui en dépend. L'absence de
processus de contrôles et de normes d'évaluations pertinentes des
actifs financiers a ainsi permis la mise en place de plans d'investissements
massifs dans des opérations dont la rentabilité était
manifestement surévaluée et le niveau de risque mal voire pas
évalué.
3.2 LES POUVOIRS PUBLICS FACE A LA RECESSION
ECONOMIQUE
Les conséquences de la propagation de l'onde de choc
financière venue des Etats-Unis, avec pour principale conséquence
directe d'avoir mis en péril la stabilité du système
bancaire européen, est à l'origine d'une contraction notable de
l'activité de crédit aux Etats-Unis et en Europe.
L'activité de crédit constitue un des rouages fondamentaux du
fonctionnement des entreprises et de leurs opérations d'investissement.
La rupture de confiance opérée sur le marché interbancaire
entraîne un déclin important de l'activité
économique qui va nécessiter, nous allons le voir, une
intervention massive des pouvoirs publics afin de pérenniser
l'activité économique. La sphère économique va en
effet être prise en tenaille sous le double effet d'une part de la
contraction de l'activité de crédit, et d'autre part par la
dépréciation du capital des entreprises qui ne leur permet plus
d'avoir recours à un niveau suffisant de financement sur les
marchés financiers.
Les solutions mises en oeuvre par les pouvoirs publics afin de
parvenir à une stabilisation du système bancaire, si elles ont
permis d'éviter l'effondrement du système bancaire et financier,
ne suffisent cependant pas à enrayer la dynamique de réduction de
l'activité économique amorcée.
33 La Commission européenne a donné
lundi son feu vert à une nouvelle aide publique du gouvernement allemand
à la banque IKB, l'une des premières victimes de la crise des
subprime. Cette aide, d'un montant maximum de 7 milliards d'euros, s'ajoute aux
cinq milliards déjà injectés par Berlin. - Publié
le 17 Août 2009 par EasyBourse.
37
Aux plans de sauvetage des banques vont donc se
succéder des plans de relance de type post-keynésiens.
« Ce jour marque le début de la fin [...], les
premiers pas nécessaires pour replacer notre économie sur
des fondations plus solides et pour ouvrir la voie à la croissance et
à la prospérité à long terme ».
Barack Obama, Président des Etats-Unis, le 27
Février 2009
Le premier plan de relance de l'économie mis en place
par les pouvoirs publics se fait sans surprise aux Etats-Unis, étant
donné la chronologie de développement de la crise
financière. Ce plan, censé « mettre les américains au
travail »34 a pour objectif de mettre en place, par des
dépenses d'Etat, un mécanisme contracyclique de rupture avec la
récession économique à l'oeuvre à l'issue de la
crise financière. Ce plan, d'un montant total de 789 Mds$, repose sur
une répartition intersectorielle de l'effort de relance.
Il prévoit ainsi notamment une baisse de la
fiscalité portant sur les entreprises (environ 70 Md$), la mise en place
de crédits d'impôt, la modernisation et la réalisation de
nouvelles infrastructures d'Etat (écoles, routes, ponts) d'un montant de
150 Mds$, ainsi que la mise en place d'une banque spécialisée
dans le développement des infrastructures publiques, pour environ 10
Mds$ 35, ainsi que l'énergie, la recherche, le système
de santé. Le plan de relance américain décidé par
Barack Obama est un dispositif extrêmement lourd par le montant des
dépenses publiques engagées pour susciter un stimulus
économique de relance de la demande. Il est également
conséquent par la diversité des secteurs visés par ce
dispositif. La méthode employée est ainsi comparable à
celle décidée par le Président Roosevelt en 1933,
politique dite du « New Deal », afin de faire face aux
conséquences de la crise financière et ses conséquences
ayant eu lieu en 1929.
En dépit de sa très faible exposition aux
produits financiers issus des crédits hypothécaires
américains, le Japon a cependant fait l'objet, suite à la crise
financière de 2008, d'une forte récession économique. En
effet, comme nous l'expliquions plus tôt dans cette étude, un des
facteurs de
34 Obama signe un plan de relance de 787 milliards
de dollars : Selon le président américain, ce plan marque le
"début de la fin" de la crise économique et pose les conditions
d'une prospérité durable. Journal Le monde, avec AFP et Reuters,
17.02.2009.
35 Key Provisions : American Recovery and
Reinvestment Act, Pew Center on Global Climate Change, March 2009.
38
transmission globale de la crise économique demeure
celui du commerce international qui est très lourdement affecté
par la chute de la demande de la part des principaux partenaires commerciaux du
Japon, à savoir l'Union Européenne et les Etats-Unis. Comme le
montre Gabriel Grésillon, la très forte exposition et donc
dépendance des pays asiatiques vis-à-vis des exportations de
produits manufacturiers en a fait des économies particulièrement
vulnérables aux chocs exogènes subis par l'économie
mondiale. Les entreprises japonaises sont ainsi victimes d'un taux très
élevé de défaillances d'entreprises qui sont lourdes de
conséquences pour l'emploi et pour la demande intérieure de
l'économie japonaise. Selon un rapport Business France36, en
juin 2009, l'économie japonaise est celle qui connaît le niveau de
récession le plus élevé des économies de l'OCDE
(organisation de coopération et de développement
économiques). On observe en effet sur les données issues des
comptes nationaux des pays de l'OCDE que la récession japonaise atteint
au premier trimestre 2009 un taux de récession économique de -4%,
contre -3,8% en Allemagne, - 1,9% au Royaume-Uni, -1,6% aux Etats-Unis, -1,2%
en France. La seule économie (hors OCDE) plus violemment frappée
par la récession économique est la Corée du Sud, qui
connaît une récession économique à -5,1% de taux
d'évolution du PIB trimestriel au T1 2009.
Les pouvoirs publics japonais, afin d'enrayer la
dégradation de la situation économique, vont décider, au
courant de l'année 2008, d'avoir recours d'une part à des mesures
de relance budgétaires, et d'autre part à des mesures
financières de soutien au financement de l'économie. En ce qui
concerne les mesures budgétaires à proprement parler, le stimulus
économique est organisé selon une aide en quatre tranches. La
première tranche, d'octobre 2008, est de seulement 15 Milliards d'euros.
Les trois suivantes seront d'un montant de 35 Milliards USD, puis 45 Milliards
USD, puis 115 Milliards, pour atteindre à la fin de l'année 2009
plus de 210 Milliards USD. Ces aides des pouvoirs publics vont principalement
être orientées vers l'investissement, les aides aux
ménages, ainsi que la protection sociale. Cependant, l'économie
japonaise, en plus de faire face à des difficultés dues à
une baisse de la demande internationale pour ses produits manufacturiers, fait
également face à une hausse de la valeur de sa monnaie nationale,
le Yen, qui s'apprécie par rapport à l'Euro de plus de 35%, en
moins d'un an, au début de l'année 2009. Ainsi, sur le plan
financier, plusieurs mesures à visées contracycliques sont prises
par les pouvoirs publics Japonais. La BoJ, Banque Centrale Japonaise,
procède à une baisse drastique de ses taux
d'intérêts directeurs, pour atteindre 0,1% sur le principal taux
directeur de la BoJ à la fin de l'année 2008. A ces mesures de
36 Business France, Opportunités de la
relance japonaise, Service économique régional de Tokyo Ambassade
de France LM Morris, chef des services économiques de l'Ambassade de
France au Japon.
39
Quantitative Easing (QE) vont également être
adjointes des mesures ponctuelles d'augmentation de capital sur des organismes
financiers (principalement des banques), ainsi que des prises de participation
actionnariales de l'Etat dans des moyennes et grandes entreprises
japonaises.
En Amérique du Nord, c'est le voisin direct des
Etats-Unis, le Canada, qui voit son activité économique largement
affectée par la récession mondiale qui touche alors
indistinctement tous les pays de l'OCDE, sans aucune exception notable. Les
pouvoirs publics Canadiens vont eux aussi alors avoir recours à des
mesures de relance budgétaire avec pour principal objectif de
préserver l'économie Canadienne d'une augmentation
conséquente du taux de chômage. C'est dans ce contexte qu'est
élaboré le « plan d'action économique du Canada
» 37. Le Canada, lourdement affecté lui aussi, met en
place un plan de relance qui se veut par son ampleur moins ambitieux que celui
décidé par les pouvoirs publics Japonais, mais néanmoins
conséquent. La Banque Centrale du Canada procède, à
l'instar de la BoJ, à une diminution conséquente des taux
directeurs. Cependant les mesures budgétaires de soutien à
l'emploi atteindront des montants relativement moins importants.38
Les mesures de relance budgétaire, principalement affectées aux
infrastructures, atteignent 33 Milliards USD. Elles consistent également
en la mise en place de mesures d'allégement fiscal pour les entreprises
de taille intermédiaire afin de favoriser le maintien du niveau
d'emploi.
Au niveau européen, le dispositif instauré par
les pouvoirs publics est à la mesure de l'ampleur du choc subi par
toutes les économies de l'Union Européenne, à des
degrés divers. C'est ainsi la Commission Européenne, dans un plan
lancé en novembre 2008, qui va prendre la mesure de l'intensité
de la crise et décider de la mise en place d'un plan coordonné et
dont la contribution sera communautaire, pour faire face aux
conséquences de la crise économique et
financière39.
Le plan de relance organisé par la commission
revêt ainsi plusieurs objectifs synthétisés dans ce
document mis à disposition par la Commission :
37 Le rendement du Canada 2008-2009 : La
Contribution du Gouvernement du Canada - Secrétariat du Conseil du
Trésor du Canada / Treasury Board of Canada Secretariat.
38 Les échos, Le Canada annonce un plan de
relance de 40 milliards de dollars canadiens, le 28/01/2009.
39 Eur-Lex, Un plan européen pour la relance
économique, EUR-Lex - ec0004 - EN, Dernière modification le :
13.02.2009.
40
- « Stimuler la demande »
- « Soutien des personnes vulnérables au
ralentissement économique »
- « Préparer l'Europe à être plus
compétitive en vue de la croissance future »
- « Tirer parti de cette période de bouleversements
afin d'accélérer l'instauration d'une
économie plus propre et soucieuse de l'environnement.
»
Le plan de relance proposé par la Commission
Européenne, atteint au total un montant d'environ 200 milliards d'euros
de soutien par les pouvoirs publics 40. Il représente ainsi
une part relative de 1,5% du PIB annuel des états-membres de l'Union
Européenne. Une aide spécifique est de plus adoptée afin
de réduire l'impact de la crise économique sur des secteurs
particulièrement touchés. Le secteur de l'industrie, automobile
notamment, bénéficie ainsi d'un assouplissement des conditions
d'octroi du « fonds d'ajustement à la mondialisation ».
Dans la lignée du plan de relance britannique, ayant
pour l'essentiel consisté en une recapitalisation de son industrie
bancaire, l'Union Européenne se dote elle-aussi d'un levier
budgétaire contra-cyclique. A l'échelle des états-membres,
des plans spécifiques et indépendants de relance vont
également être mis en place.
En France, notamment, selon les données fournies par la
mission « plan de relance de l'économie Française »
41, le plan d'action a, comme au Canada, pour objectif principal de
limiter l'impact en termes de diminution de l'activité et de
réduction du niveau d'emploi. Les exigences imposées par l'Union
Européenne sur les règles imposées par les Traités
constitutifs étant levées temporairement, afin de faire face
à la crise, la France peut ainsi mettre en place un plan de soutien
à l'économie qui engage son niveau d'endettement par rapport au
PIB d'environ 4%, dont environ 1,3% directement alloués à la
relance du niveau d'activité. Ainsi, selon le rapport, l'Etat s'engage
fortement en faveur du soutien aux entreprises avec 11 milliards alloués
à l'allègement des charges qui pèsent sur leur
trésorerie, 10 milliards d'euros consacrés à des
investissements publics, 2 milliards d'euros alloués à des
secteurs mis en difficulté par la crise, et enfin 2 milliards
dédiés aux
40 Le Monde, Un plan de relance européen de
200 milliards d'euros Le plan de relance de la Commission européenne
représentera 1,5 % du produit intérieur brut européen. Les
fonds seront déployés en 2009. Publié le 26.11.2008.
41 Mission plan de relance de l'économie,
Conseil des Ministres - Plan de Relance : Synthèse.
41
contribuables dont les revenus sont dans la tranche la plus
faible d'imposition. Ces projets de relance sont ainsi mis en place par le
biais du vote de la loi de finance rectificative votée en 2008, ainsi
que par la mise en place de décrets spécifiques. On peut ainsi
lire dans la stratégie inhérente au programme de relance mise en
avant par le gouvernement que l'objectif est le suivant : « Face au
ralentissement économique, l'Etat a décidé
d'accélérer en 2009 la réalisation des grands programmes
d'équipement et la rénovation de son patrimoine. Cet effort
exceptionnel d'investissement de près de 4 Md€ permettra
d'augmenter l'effort d'investissement de l'Etat de 16% en 2009. (É) Les
projets retenus l'ont été pour leur impact de court terme sur
l'activité économique et l'emploi et pour leur contribution
à long terme au redressement de notre potentiel de croissance
économique. »
Au total, en 2010, c'est plus de 40 milliards d'euros,
dédiés à la relance de l'économie, qui ont
été mis à la disposition par les pouvoirs publics pour
faire face à la crise42. Cela permet ainsi à la France
d'atteindre un niveau de récession économique comparativement
plus faible que celui connu par ses voisins sur la même période,
notamment en raison de la rapidité de mise en oeuvre et de l'ampleur de
ce plan de relance de l'économie au regard de l'impact sur
l'activité de la crise économique et financière.
En vue d'évaluer la pertinence de ces plans de relance
de l'économie, mis en place consécutivement à la crise de
2008, différentes études d'évaluation de l'impact sur
l'économie et les finances publiques ont été
diligentées par différents organismes, et notamment par la Banque
de France.43 Elles mettent en évidence, pour la plupart, une
nécessité pour les pouvoirs publics d'intervenir en
complément des stabilisateurs automatiques afin d'enrayer la baisse du
niveau d'activité économique, en dépit des
conséquences importantes entraînées par « l'effet de
ciseau » généré d'une part par la contraction de
l'activité économique et d'autre part par l'augmentation des
dépenses de l'Etat et des collectivités. Le rapport de la Banque
de France insiste sur le rôle prépondérant joué par
les stabilisateurs automatiques (niveau relativement plus important de
dépenses publiques entraînant une moindre élasticité
à l'évolution de la conjoncture). Au total, le rapport met en
évidence, à l'appui des données fournies par la Cour des
Comptes44, que l'impact des plans de
42 Net-iris, Le Droit à l'information
juridique, Dossier d'actualité, Le Plan de relance de l'économie
française 2009-2010, le 26/11/2013.
43 Banque de France, les effets conjoncturels de la
crise de 2007-2008 sur l'endettement public, L'effet des politiques de relance
pendant la crise.
44 Rapport sur la situation et les perspectives des
finances publiques françaises (juin 2011).
42
relance de l'économie française sur les finances
publiques aura été respectivement de 1% du PIB pour la
première année (2009) puis de 0,3% et enfin 0,1% du PIB
après deux ans (2011).
Nous constatons au total que les conséquences
financières de la crise endémique survenue sur le marché
des crédits hypothécaires a entraîné une
dégradation généralisée, d'une part de la
sphère financière, et d'autre part, de la sphère
économique, dans une onde de choc caractérisée par une
propagation rapide à tous les acteurs de l'économie. Cette
dégradation notable de la situation économique,
caractérisée par une diminution du niveau d'activité
constatée sur la quasi-totalité des secteurs de
l'économie, a nécessité une intervention publique forte et
extrêmement coûteuse en dépenses publiques.
A la fin de l'année 2008, les pouvoirs publics
semblaient être le seul recours à cette situation de rupture de
confiance, d'insolvabilité, et de crise de liquidité touchant en
cascade les organismes financiers et l'activité économique. Au
total, en dépit des effets ricardiens de thésaurisation des
agents économiques prévoyant une augmentation future des niveaux
de prélèvement obligatoires pour compenser les plans de relance,
ces plans semblent rétrospectivement avoir été le seul
élément susceptible de réduire les impacts de la crise
financière sur l'activité économique.
On peut donc conclure, à l'aune de ces
différentes analyses, que l'absence de régulation globale des
systèmes financiers a été à l'origine de la
nécessité d'implémenter des politiques conjoncturelles de
régulation du système économique par la mise en place de
politiques publiques contracycliques destinées à permettre
l'atteinte d'un nouvel équilibre de l'activité économique.
Paradoxe historiquement constant de l'histoire de la régulation
économique, on constate en effet que le recul des pouvoirs publics dans
la sphère financière a été à l'origine de la
nécessité d'une intervention, a posteriori, d'autant plus forte
que l'absence de réglementation était prononcée. Ces
interventions publiques étant largement coûteuses et
sous-optimales pour le fonctionnement stable des économies, les pouvoirs
publics, au lendemain de la crise financière de 2008, vont amorcer
plusieurs chantiers visant à encadrer de manière plus importante
les pratiques ayant été identifiées comme
particulièrement problématiques et génératrices de
comportements de sous-évaluation de la nature du risque.
Lors de ce troisième et dernier chapitre, il s'agira de
mettre en évidence et d'évaluer la pertinence de la
réponse structurelle apportée par les pouvoirs publics afin de
mettre en place un corpus de régulation efficace dans la lutte contre le
processus de formation des crises. A l'aune de cette
43
analyse, il s'agira donc de distinguer les différents
dispositifs mis en place et leurs implications, ainsi que d'évaluer, au
regard des processus ayant été à l'origine de la formation
de la crise de 2008, le potentiel de stabilisation de la sphère
économique et financière conséquente à la mise en
place de ces différents dispositifs. Nous étudierons ainsi la
réponse formulée de manière globale (édiction de
normes par les pouvoirs publics, mais également accords
spécifiques aux organismes financiers) aux fondements des crises
économiques et de manière plus spécifique, à l'aide
des analyses formulées dans les deux premiers chapitres, à la
crise économique et financière de 2008.
44
CHAPITRE 3
UNE REPONSE STRUCTURELLE AUX MECANISMES INHERENTS A LA
FORMATION DES CRISES : TRANSPARENCE ET SOLVABILITE AU COEUR DES NOUVEAUX
SYSTEMES DE BALE III ET MIFID II
« La crise actuelle valide un certain nombre de points
clés de l'analyse régulationniste. En même temps, elle en
souligne l'inachèvement, et, en particulier, le manque criant d'une
théorie microéconomique hétérodoxe, fondée
sur une approche des déterminants collectifs de la subjectivité
individuelle. Une telle théorie rendrait possible une analyse globale
des institutions et de leurs effets sur l'ensemble du spectre des niveaux
d'observations (du micro au macro en passant par le meso) et sur l'ensemble des
temporalités. »45
Nous faisons le choix d'aborder ce troisième chapitre
par une citation de l'économiste Jacques Sapir, dans un article
intitulé « Une décade prodigieuse. La crise
financière entre temps court et temps long » dans lequel l'auteur
met en évidence le rôle prépondérant joué par
l'absence de système de régulation efficace des comportements sur
le marché, dans l'apparition de comportements ayant favorisé et
incité à la mise en place de schémas financiers complexes,
opaques et instables. L'auteur nuance cependant son propos, dans le même
article, en affirmant qu'aucune régulation efficace du système
financier n'aurait pu être mise en place, ajoutant que la cause de la
crise financière est à chercher dans des déterminants
structurels inhérents au fonctionnement des économies
capitalistes.
Lors de ce chapitre, sans désavouer l'analyse qui peut
être faite par certains économistes percevant la régulation
comme une solution sous-optimale, contre-productive, voire inefficace ou
inapplicable, nous nous attacherons à montrer que les pouvoirs publics
disposent précisément de moyens d'action afin de mettre en place
des politiques de régulation efficientes des systèmes
économiques et financiers. Nous montrerons également les
paradoxes auxquels doivent faire face les politiques de régulation, et
notamment la difficulté de concilier une régulation efficace
d'une part, et la compétitivité d'un système
économique, d'autre part. En ce sens, nous inscrirons l'analyse
45 Jacques Sapir, « Une décade
prodigieuse. La crise financière entre temps court et temps long »,
Revue de la régulation, 2e semestre/Autumn 2008, mis en ligne le 30
septembre 2008, consulté le 01 juillet 2017. URL :
http://regulation.revues.org/4032.
45
de nos résultats au prisme essentiel de la poursuite de
l'intérêt général dans une perspective analytique
inter-temporelle de long terme d'efficacité des politiques publiques.
Afin de mieux appréhender les contours de
l'élaboration d'un corpus de régulation du système
financier, nous nous attacherons à analyser, d'une part, les
démarches entreprises au niveau européen et, d'autre part, les
démarches entreprises au niveau mondial. Il s'agira en effet lors de ce
chapitre de mettre en évidence les tentatives de réglementation
adaptées à l'impératif de stabilité mises en place
par les acteurs du système financier à échelle mondiale,
et notamment par le biais des recommandations formulées :
- Par une organisation ad hoc créée
à la suite de la crise, le Financial Stability Board (FSB),
- Par une institution plus ancienne, la Banque des
Règlements Internationaux (BRI), conglomérat réunissant
l'ensemble des banques centrales du système économique
mondial.
Il s'agira également d'évaluer les tentatives de
régulation du système financier par la voie réglementaire,
implémentées au sein de l'Union Européenne par le biais
d'une directive faisant suite à un premier dispositif de
réglementation, la directive MiFID 1. Ce nouveau dispositif, que nous
analyserons ici, entrera en application en janvier 2018 dans tous les Etats
Membres de l'Union Européenne. Mis en place afin de palier aux carences
inhérentes au premier système de régulation MiFID 1, nous
nous proposerons d'analyser les nouvelles dispositions prévues par le
dispositif réglementaire mis en place par la directive MiFID 2 ainsi que
par le règlement MiFIR.
Ce chapitre tentera également de porter une grande
attention aux liens que peuvent entretenir le niveau d'activité
économique d'une zone déterminée sur laquelle une
réglementation particulière est applicable et la performance
économique et financière de cette même zone. En d'autres
termes, il s'agira de déterminer l'impact potentiel de la mise en place
d'une réglementation plus contraignante sur le niveau d'activité
des marchés financiers, la compétitivité des places
financières, et donc les conséquences sur le niveau
d'activité global. Nous tenterons également de mettre en
évidence les difficultés rencontrées par les pouvoirs
publics en vue d'imposer à des acteurs privés et notamment
à des organismes financiers des réglementations parfois complexes
et opaques. Elles peuvent être, selon certains acteurs, paradaxolament
génératrices de complexification importante et de défiance
des acteurs vis-à-vis de ces règles. En ce sens, le cas des IFRS
(International Financial Reporting Standards), dont l'absence
d'efficacité a été largement soulignée par les
acteurs
46
financiers, constitue un parangon de tentative
régulatrice génératrice de pratiques financières
opaques et inefficientes dans la lutte contre le risque
systémique.46 Des interrogations relatives au coût
d'implantation et de révision des processus productifs des
systèmes financiers sont également au centre des interrogations
des acteurs des marchés financiers. Sur ce point les normes IFRS ont
elles-mêmes été désignées comme
génératrices de surcoûts très importants pour les
entreprises ayant pour obligation d'appliquer un cadre comptable plus
contraignant, tel que celui proposé par ces standards internationaux.
Il s'agit donc, pour les pouvoirs publics, de faire preuve de
justesse dans la mise en place de nouvelles structures de régulation des
marchés financiers, mais également de prendre en compte la
multitude d'exigences relatives aux nombreuses parties prenantes du
système financier. La mise en place d'un système
économique et financier régulé de façon optimale,
suppose pour les pouvoirs publics la prise en compte, d'une part, des enjeux
inhérents à la correction des mécanismes
générateurs de crises, et, d'autre part, la mise en place de
règles qui supposent l'efficience des acteurs sur le marché. A la
lumière de ces deux enjeux majeurs, nous tenterons de mettre en
évidence lors de ce chapitre la pertinence et l'efficience des
systèmes de régulation financière à échelle
européenne en ce qui concerne la directive MiFID 2, et à
échelle mondiale avec les troisièmes accords de Bâle sur la
solvabilité des organismes financiers et la lutte contre le risque
systémique.
4.1. L'UNION EUROPEENNE PIONNIERE DE LA REGULATION DU
MARCHE DES INSTRUMENTS FINANCIERS
Afin de mieux comprendre la mise en place de la nouvelle
directive MIFID 2, consécutive à la crise des subprimes, nous
proposons d'établir un bref rappel historique de la construction de la
réglementation du marché des instruments financiers au sein de
l'Union Européenne. En effet, si la crise a pu constituer un
accélérateur de la réglementation à ce sujet, les
années précédant l'adoption de ce texte n'ont pas
été, au sein de l'UE, des années où les acteurs sur
le marché exerçaient pour autant en l'absence de cadre
réglementaire sur les pratiques de marché. En ce sens, comme nous
allons le voir, la nouvelle directive constitue à la fois un
approfondissement des
46 Lionel Escaffre, Reda Sefsaf. L'impact comptable
de la crise financière sur la volatilité des titres bancaires :
Cas de la France, l'Italie et l'Allemagne. Crises et nouvelles
problématiques de la Valeur, May 2010, Nice, France.
47
mesures déjà prises dans la directive MIFID 1,
mais également un élargissement du périmètre de
cette dernière.
Comme le met en évidence le texte original de la
directive MIFID 2 présenté au Journal Officiel47, le
corpus juridique, antérieur à la situation de crise
financière connue en 2008, était constitué d'un corpus de
deux directives constituant MIFID 1, à savoir la directive 93/22/CEE,
ainsi que la directive 2004/39/CE. Ces deux directives s'inscrivaient ainsi
dans un plan plus large, le plan d'action pour les services financiers (PASF),
destiné à créer un marché unifié, commun
à tous les Etats Membres, sur les marchés des instruments
financiers. L'objectif de ces mesures du PASF est constitué à la
fois d'une volonté de sécurisation des échanges entre les
acteurs de marché présents dans différents Etats membres
pour réaliser une transaction, et d'autre part de fluidifier ces
échanges et de les stimuler. Déjà à
l'époque, on constate que le dilemme était de mettre en place une
réglementation à la fois capable de régulation, de
sécurisation, de stabilisation du système financier, sans pour
autant engendrer de distorsions trop importantes sur les
marchés.48
Le processus d'harmonisation de la régulation du
marché des instruments financiers est donc un chantier amorcé
à la fin des années 1990, et qui n'a eu de cesse d'élargir
les champs auxquels il s'intéresse, avec entre autres, au sein du PASF
à fin 2017, la « directive sur le crédit hypothécaire
», la « directive sur la distribution des produits d'assurance
», et la « directive sur les comptes de paiement »49.
Le processus de transposition des normes s'inscrivant sur le temps long au sein
de l'Union Européenne, la mise en application des principes de MIFID 1
contenus dans la directive 2014/65/UE s'est faite progressivement au sein des
Etats Membres, pour une entrée en application directe au cours de
l'année 2007 par tous les Etats Membres de l'Union Européenne. A
l'application directe des décrets au sein des Etats Membres, elle prend
ainsi effet de plein droit sur les acteurs des marchés financiers et
remplace de plein droit les dispositions prévues par la directive
précédente 93/22/EEC (ISD). Or ce processus,
particulièrement long et fastidieux, s'il avait pour vocation de mettre
en place un cadre de régulation efficace des pratiques de marché,
s'est très vite
47 Directive 2014/65/UE du parlement
européen et du conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés
d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive
2011/61/ UE.
48 Euractiv, Le Plan d'action sur les services
financiers, 5 mai 2007.
49 Commission Européenne - fiche
d'information - plan d'action relatif aux services financiers pour les
consommateurs : de meilleurs produits, un plus grand choix, davantage
d'opportunités Bruxelles, le 23 mars 2017.
48
heurté (comme nous avons pu le voir lors de nos deux
premiers chapitres) à une vitesse relative beaucoup plus marquée
des innovations et de la complexification des mécanismes financiers.
Trois phénomènes de fond ont ainsi lieu au cours des
années 2000 :
- Intensification des pratiques de recours aux services
financiers
- Complexification des schémas de fonctionnement des
produits financiers
- Elargissement du panel des produits financiers
distribués
Ainsi au sujet de la directive historique 93/22/EEC (ISD)
ainsi que de la directive MIFID 1 (2004/ 39/CE), les pouvoirs publics
européens ont dû faire face à une double
problématique, à savoir d'une part, la correction des faiblesses
inhérentes au fonctionnement efficient de la régulation
prévue par ses deux directives, et d'autre part, l'adaptation à
des nouvelles pratiques de marché dont les évolutions sont
extrêmement rapides et dont la complexification s'accélère.
Ainsi, de l'aveu même de la Commission Européenne, dans sa
publication au Journal Officiel, la directive 2004/39/CE a dû faire face
au fait que « La crise financière a révélé des
faiblesses en termes de fonctionnement et de transparence des marchés
financiers. L'évolution des marchés financiers a mis en
lumière la nécessité de renforcer le cadre prévu
pour la réglementation des marchés d'instruments financiers,
notamment lorsque les transactions effectuées sur ces marchés ont
lieu de gré à gré, afin d'accroître la transparence,
de mieux protéger les investisseurs, d'affermir la confiance, de
s'attaquer aux domaines non réglementés et de faire en sorte que
les autorités de surveillance soient dotées de pouvoirs
adéquats pour remplir leur mission. » 50
Les imbrications potentielles entre la crise
financière, comme nous l'avions évoqué plus tôt dans
notre chapitre 1, et la faiblesse des systèmes de régulation sont
clairement affirmées par la Commission Européenne qui statue :
« La crise financière a révélé des faiblesses
en termes de fonctionnement et de transparence des marchés financiers
». De plus, les précédentes directives, et en particulier la
directive MIFID 1 2004/39/CE a fait l'objet de nombreuses critiques, sur le
volet de l'efficience, en ce qui concerne le potentiel important de
fragmentation de la liquidité introduite
50 Directive 2014/65/UE du parlement
européen et du conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés
d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive
2011/61/UE
49
par la plus grande mise en concurrence des acteurs sur les
marchés financiers permise, par cette réglementation.
Pour ces raisons, c'est en décembre 2014 que les
pouvoirs publics européens décident d'une actualisation et d'un
approfondissement de la régulation du marché des instruments
financiers, par la mise en place d'une directive, MIFID 2 (Markets in Financial
Instrument Directive 2), ainsi que d'un règlement, MIFIR (600 - 2014).
Ces deux dispositions, applicables dans tous les états-membres, ont pour
date butoir de mise en application au sein des états-membres le mois de
janvier 2018. 51 Tel que le met en évidence l'Autorité
des marchés Financiers (AMF)52, cette révision du
système réglementaire, portant sur le cadre du marché des
instruments financiers au sein de l'Union Européenne, revêt un
triple objectif opérationnel.
Ce triple objectif s'articule ainsi sur des
éléments de régulation des marchés financiers qui
ont précisément fait défaut dans la première
directive relative aux marchés des instruments financiers et
également pu jouer un rôle (notamment les questions relatives aux
transparences sur les transactions) lors de la crise financière de 2008
:
- Modification de la structuration des marchés
financiers
- Accroissement du niveau de transparence sur les marchés
financiers
- Protection des consommateurs de produits financiers
En ce qui concerne le premier volet, celui de la modification
de la structuration des marchés financiers, il s'attache à
résoudre une problématique inhérente au processus de
formation de la crise de 2008, et cela à plusieurs titres. En effet,
comme nous l'avons vu, le processus de formation de la crise de 2008 a
été rendu possible par la création de produits financiers
de titrisation des crédits hypothécaires dans l'objectif initial
d'accroître le niveau de liquidité de ces produits dans le
bilan
51 Commission de Surveillance du Secteur Financier
(CSSF), Surveillance, MIFID II/ MiFir, le 3 février 2017.
52 Autorité des Marchés Financiers
(AMF) Dossiers thématiques marchés : Marchés d'instruments
financiers (MIF) La nouvelle directive et le règlement Marché
d'instruments financiers (MiFID et MiFIR) ont été publiés.
Publié le 15 septembre 2014.
50
des organismes financiers. Ainsi, ces produits titrisés
avaient pour principal « lieu » d'échange les marchés
dits « OTC », pour Over The Counter, ou de gré à
gré.
Ces marchés financiers ont pour caractéristique
majeure de n'exister que par la simple rencontre entre un opérateur
offreur et un opérateur demandeur et par la réalisation de cette
transaction, en l'absence de structure organisationnelle
déterminée. L'existence de ce marché résulte ainsi
d'un commun accord par l'acte de la transaction entre un acheteur et un vendeur
sur le marché. Ils sont ainsi caractérisés
également par leur faible niveau de réglementation applicable
à leurs échanges, par une relative fluidité des
échanges, mais aussi par leur manque important de transparence. Or il
s'agit précisément d'un des objectifs majeurs formulés
dans la directive MIFID 2 2014/65/UE de mettre en place une régulation
beaucoup plus stricte encadrant ces échanges, afin de permettre un
niveau de structuration plus important du marché des instruments
financiers. La législation européenne impose dès lors aux
acteurs de n'avoir recours à une transaction sur un marché de
gré à gré que dans une typologie de situation
prédéterminée.
Ainsi, comme le met en évidence l'Autorité des
Marchés Financiers : « une transaction sur actions ne pourra
être effectuée de gré à gré seulement si elle
présente un caractère « irrégulier, peu
fréquent et non systématique », ou si elle est
effectuée par des professionnels ou contreparties éligibles et
qu'elle ne participe pas à la formation du prix. »53. En
ce sens, on peut considérer que la prise de position des pouvoirs
publics sur la question du recours aux transactions via un marché OTC,
dont le niveau de contrôle très faible, est
générateur de comportements risqués, constitue un
mécanisme stabilisateur efficace contre la survenue des processus de
formation des crises. Les pouvoirs publics européens, par la mise en
place de cette directive portant sur le marché des instruments
financiers, ne souhaitent pas seulement revoir les principes de structuration
des marchés, à savoir le recul des transactions
réalisées sur les marchés OTC ; ils ont également
pour objectif de réglementer les pratiques de marché. En effet,
MIFID 2 constitue une réelle rupture, plus qu'une évolution par
rapport à MIFID 1, en ce sens qu'elle prévoit un
élargissement considérable des produits soumis à un
régime strict de transparence quant à l'effectivité de
leur négociation sur les plateformes réglementées.
Ainsi, si les actions étaient déjà
concernées par ce régime de transparence pré et post-trade
dans le cadre réglementaire prévu par MIFID 1, ce sont tous les
produits qualifiés de « non equity » tels
53 Autorité des Marchés Financiers
(AMF) Dossiers thématiques marchés : Marchés d'instruments
financiers (MIF) La nouvelle directive et le règlement Marché
d'instruments financiers (MiFID et MiFIR) ont été publiés.
Publié le 15 septembre 2014.
51
que les obligations, les produits dérivés, qui
sont maintenant concernés par cette obligation de transparence. Nous
émettons cependant un certain nombre de réserves quant aux
nombreuses possibilités dérogatoires ouvertes par le cadre
réglementaire MIFID 2, en ce qui concerne des produits qualifiés
de peu liquides, et qui pourraient éventuellement constituer des «
niches » de produits qui passeraient hors du contrôle du
régulateur.
On peut cependant considérer qu'en dépit de ces
possibilités ouvertes par le cadre réglementaire de soustraire
certains produits à l'obligation de transparence pré et
post-trade, ces mesures d'obligation de reporting et de transparence,
introduites par l'Union Européenne constituent une rupture dans les
méthodes employées jusqu'alors sur les marchés des
instruments financiers et constituent un moyen efficace de lutter contre la
formation de cycles spéculatifs hors de contrôle du
régulateur. Les mesures ainsi prises en terme de structuration, par la
mise en place d'obligations de recours à des marchés
contrôlés, corrélées à des obligations de
transparence, constituent des éléments qui,
rétrospectivement, auraient pu jouer un rôle de régulation
efficace dans les mécanismes ayant eu cours lors de la formation de la
crise des subprimes. Un autre élément, particulièrement
vecteur de stabilisation des marchés financiers, porté par la
directive MIFID 2, concerne l'encadrement des pratiques de trading
algorithmique. En effet, les pratiques de marchés ont, depuis les
années 2000, recours de façon exponentielle à des
programmes informatiques qui procèdent, à la place des
historiques opérateurs de marché, aux ordres d'achat et de vente
de produits financiers en fonction d'actions
prédéterminées par des algorithmes qui évaluent les
évolutions de marché. Or ces pratiques peuvent constituer un
vecteur d'instabilité important sur les marchés financiers en ce
sens qu'elles peuvent être les actrices d'une surinterprétation
irrationnelle d'évènements non significatifs qui peuvent
être à l'origine d'un retournement de marché, et cela dans
un laps de temps très court.
Afin de mieux comprendre les difficultés
inhérentes aux pratiques de trading algorithmique non
régulées, on peut par exemple citer la chute vertigineuse
d'environ 10% de la valeur, et cela en quelques secondes, connue à la
bourse de New York en 2010. Elle fut provoquée par un enchaînement
de décisions prises par des algorithmes, sans action humaine de
référence et de contrôle, afin de vérifier la
pertinence ou non des décisions prises en fonction de la situation de
marché. Elles constituent, en ce sens, un puissant vecteur
d'instabilité sur les marchés financiers. Ainsi, de nouvelles
typologies de dépréciation générale du niveau des
prix sur les marchés financiers sont apparues avec ces innovations
technologiques et financières. Les analystes financiers parlent ainsi de
« flash krach », lorsque ceux-ci sont la résultante d'un
fonctionnement « irrationnel » des
52
algorithmes entraînant sur un laps de temps
extrêmement réduit la chute d'une ou plusieurs valeurs sur un
marché financier. La directive européenne de
réglementation du marché des instruments financiers MIFID 2, en
s'attachant à réguler des activités de marché
historiquement vectrices d'instabilité d'une part, ainsi qu'en apportant
un corpus réglementaire à des pratiques innovantes et
récentes, est vectrice d'une profonde rupture de l'environnement de
marché. En ce sens, le 26 avril 2014, l'hebdomadaire The Economist
titrait à propos de MIFID 2 « MiFID 2 : « A bigger bang A bold
new law will reshape Europe's capital markets ». En ce sens, comme le
montrent Guido Ferrarini et Eddy Wymeersch54, cette directive est
porteuse de lourds enjeux, notamment en terme de compétitivité
internationale des places financières européennes, elle constitue
un moyen de palier aux écueils de la précédente directive
qui apparaîssait être génératrice d'un certain niveau
de fragmentation de la liquidité sur les marchés financiers
européens. La création d'un corpus de normes visant à
encadrer les droits et les mesures de protection relatives aux investisseurs
par la réglementation des « inducements »
(rétrocessions, commissions), si elles sont vectrices d'une profonde
mutation des modes de distribution et des business model inhérents aux
acteurs financiers, semblent présenter une substantielle avancée
dans la protection des consommateurs de produits financiers en Europe.
Comme nous l'avons vu lors des deux premiers chapitres de
cette étude, si la régulation du comportement des acteurs sur les
marchés financiers constitue un élément central dans le
processus de lutte contre la formation des crises financières, nous
avons également vu qu'un des mécanismes d'aggravation de
l'intensité de la crise était constitué dans des
problématiques relatives au niveau de solvabilité et de
liquidité des organismes bancaires. En ce sens, nous étudierons
dans la dernière partie de ce chapitre les propositions formulées
par le comité de Bâle à la suite de la crise
financière de 2008.
4.2. QUALITE DES FONDS PROPRES ET NIVEAU ELEVE DE
LIQUIDITE DES ORGANISMES BANCAIRES : PIERRE ANGULAIRE DE L'EQUILIBRE DES
MARCHES FINANCIERS
Mathieu Plane et Georges Pujal, dans la Revue de l'OFCE du
mois de juillet 2010, insistent sur la situation particulièrement
détériorée des organismes bancaires en terme de
solvabilité lors de la
54 Investor Protection in Europe : Corporate Law
Making, The MiFID and Beyond Edited by Guido Ferrarini and Eddy Wymeersch,
Published: 26 October 2006.
53
crise financière et le rôle amplificateur de
cette situation sur le mécanisme de formation de la crise et de sa
transition d'une crise bancaire à une crise financière : «
Les dépréciations d'actifs qui ont entraîné des
pertes colossales ont mis en péril la solvabilité de très
nombreuses banques à travers le monde. Les pertes de capitalisation
boursière et la hausse des taux de défaut n'ont fait qu'amplifier
ce phénomène. Dans un contexte de défiance
généralisée des investisseurs, le monde a assisté
à un retour en force de l'État, l'intervention des pouvoirs
publics devenant indispensable pour éviter une insolvabilité
générale du système financier et un bank
run.»55 La crise de 2008 constitue un paradoxe au regard de
l'analyse de la solidité financière des organismes bancaires dans
la période précédent la crise financière de 2008.
En effet, comme le montrent Mathieu Plane et George Pujal, à l'aide du
graphique que nous vous proposons d'analyser ci-dessous, on peut constater que
la solidité financière des organismes bancaires en terme de
solvabilité analysée au prisme du Ratio Tier 1 était
d'autant plus importante que le pays allait être impacté par la
crise financière :
En % Ratios de Solvabilité Tiers 1 à la fin
2008

56
On peut en effet constater à l'appui de ce graphique
réalisé par l'OFCE, que les niveaux de solvabilité (selon
les indicateurs mis en place par les Accords de Bâle correspondant
à un ratio Tiers 1) entre l'année 2007 et l'année 2008,
s'améliorent sensiblement, notamment pour les banques
55 Plane, Mathieu, et Georges Pujals. « Les
banques dans la crise », Revue de l'OFCE, vol. 110, no. 3, 2009, pp.
179-219.
56 Source : Extrait de la revue de l'OFCE sur la
situation des banques pendant la crise par Plane et Pujals.
54
américaines, qui affichent à la fin de
l'année 2008 les meilleurs ratios de solvabilité Tiers 1 des pays
industrialisés. Le ratio Tiers 1 de solvabilité d'un organisme
bancaire constitue un indicateur fiable et pertinent de l'état de
santé financière d'un organisme bancaire. En ce sens, il
s'attache à calculer le niveau des fonds propres d'une banque, fonds
propres hiérarchisés en deux typologies, les fonds propres dits
de Common Equity Tiers 1, eux-mêmes agrégés à
l'Additional Tier 157.
Le mode de calcul, alors en vigueur en 2007, était
celui correspondant aux décisions prises par les accords de Bâle
II sur la gestion prudentielle du risque bancaire. Le ratio Tiers 1
résultant de l'agrégation de CET1 et de AT1 (ratios McDonough),
qui eux-mêmes succédaient aux Ratios Cooke (Premier accord de
Bâle). Les accords de Bâle II prévoyaient ainsi, dès
2004, des exigences élevées en terme de solvabilité des
organismes bancaires, allant plus loin que les exigences portées par les
Ratio Cooke qui mettaient seulement en évidence la
nécessité de détention d'un montant minimum de fonds
propres pour un niveau de risque déterminé. Ainsi, ces accords
préconisent aux acteurs de marché de recourir à un calcul
de leur niveau de solvabilité selon un Ratio McDonough.
Les fonds propres des banques doivent alors :
- Etre supérieurs à 8 % des risques de
crédits (85 % du ratio)
- Etre supérieurs à 8% des risques de marché
(5 % du ratio)
- Être supérieurs à 8% des risques
opérationnels (10 % du ratio)
Le calcul des fonds propres se fait alors selon la formule
suivante58 :
Total des fonds propres
|
= Ratio de fonds propres (> 8%)
|
Risque de crédit + Risques de
marché + Risque opérationnel
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57 ACPR Banque de France : Secrétariat
Général de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de
Résolution, Direction des Affaires Internationales, Service des Affaires
internationales Banques, « notice » modalités de calcul des
ratios prudentiels dans le cadre de la CRDIV (version du 20/05/2014).
58 Actualité Bancaire, Réforme du
Ratio de Solvabilité, Les grandes lignes du nouveau ratio McDonough,
N°448, 08/02/01.
55
L'approfondissement du contrôle prudentiel des
organismes bancaires, par l'élargissement de l'évaluation des
risques, non seulement inhérents à l'activité de
crédit, mais également aux activités de marchés
ainsi qu'au risque opérationnel, constituait ainsi une avancée
notable permise par les accords de Bâle II. Or, plusieurs
éléments ont été à l'origine d'une
défaillance des systèmes bancaires en dépit de ces
règles de contrôle prudentiel lors de la crise de 2008. Il nous
faut d'abord préciser que la nature institutionnelle du Comité de
Bâle en fait un organe consultatif ad hoc qui ne permet pas
l'imposition des normes établies lors de ses différents
Comités.
Le corpus réglementaire mis en place lors de ces
Comités constitue un référentiel pour les organismes
financiers, mais ne constitue en aucune manière une régulation
des activités financières au sens strict du terme, le
régime juridique des décisions prises lors des comités de
Bâle ne faisant l'objet de la part de ses membres que d'un engagement
moral à respecter les accords. On a ainsi pu constater que les
décisions de contrôle prudentiel, prises à l'issue des
accords de Bâle II ont été très peu suivies d'effet
par les organismes bancaires américains.59 Il nous faut
cependant préciser que si les décisions prises lors des accords
de Bâle, et notamment lors de Bâle II, étaient pavées
de bonne intentions, elles n'ont cependant pas eu l'effet escompté par
les organismes financiers signataires du texte, en ce sens qu'elles ont promu
un mode de fonctionnement et de contrôle de l'économie qui s'est
avéré défaillant.
Nous affirmons en effet qu'une des racines de la
sous-évaluation du risque financier à la genèse de
l'apparition de la crise des subprimes a été l'absence
d'information pertinente et fiable sur le niveau de risque
présenté par les produits, censée être donnée
par les agences de notation. Les accords de Bâle II, par l'extension des
variables prises en compte dans le calcul du niveau de solvabilité des
organismes bancaires et la complexité des mesures mises en place, ont
d'une part complexifié les standards et entraîné une
défiance des acteurs vis-à-vis de cet accord. D'autre part, par
la complexité induite par ces accords, ils ont ouvert la voie à
une évaluation industrialisée du risque par des entreprises aux
potentiels conflits d'intérêt multiples : les agences de notation.
Selon Andrew Cornford (économiste de la régulation, chercheur
associé à l'UNCTAD/CNUCED) dans « Bâle II et le
rôle des agences de notation » 60, nous constatons, non
seulement aux Etats-Unis, mais
59 Le Monde Economie, De Herstatt à Lehman
Brothers : trois accords de Bâle et 35 ans de régulation bancaire.
Pourquoi des banques françaises réputées sont-elles dans
le collimateur des marchés alors que le comité de Bâle
établit des règles destinées à assurer la
solidité du secteur depuis trente-cinq ans ? Le Monde.fr | 03.10.2011
à 19h05 · Mis à jour le 03.10.2011 à 22h07 | Par
Audrey Fournier.
60 Interview de Andrew Cornford, Propos recueillis
par Mohammad Farrokh « Bâle II et le rôle des
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également au sein de l'Union Européenne, un
niveau de défiance élevé vis-à-vis de l'accord
consécutif au Comité Bâle II : « Question à
Andrew Cornford : L'accord de Bâle II n'a-t-il pas permis de clarifier la
position des banques en matière de fonds propres ?
- Au contraire, c'est un accord très compliqué.
Les banques se plaignent moins des règles adoptées que de la
façon dont elles sont appliquées, notamment dans le domaine du
financement du négoce.
- Cela dit, il est difficile d'apprécier les
conséquences de la révision à la baisse de la notation
d'un pays sur les besoins en fonds propres des principales banques
européennes dans la mesure où elles ont tendance à
préférer une approche interne avec leurs propres seuils, à
l'approche dite standardisée de Bâle II. »
Ainsi au lendemain de la crise financière de 2008, se
pose au comité de Bâle la question d'aborder la régulation
des organismes financiers à la fois de manière plus efficiente,
ciblée sur les enjeux inhérents à la formation de la
crise, et d'autre part, que la régulation soit suivie et mise en place
par les différents acteurs afin de prévenir la survenue d'un
risque systémique. Bâle III, dans la droite lignée
formulée par Bâle II, va poursuivre un certain niveau de
focalisation sur la pondération du risque crédit des
portefeuilles des organismes bancaires et du niveau des fonds propres
nécessaire. Cependant, Bâle III introduit une dimension
financière plus contraignante aux organismes financiers en ce sens qu'il
considère le niveau de fonds propres nécessaires pour un niveau
donné de « risk weighted assets » passe de 2% (Bâle II)
à 7% (Bâle III). En ce qui concerne ce point, il est difficile
d'évaluer l'impact d'une telle prise de position du Comité de
Bâle sur la stabilité du système financier en ce sens que
les pratiques bancaires, en ce qui concerne le niveau de fonds propres sur les
risk weighted assets, étaient bien souvent mieux disantes que la
recommandation formulée par Bâle II, et d'autre part que cela
n'apporte pas de réponse à la question de la liquidité. En
effet, c'est précisément la question de la liquidité qui a
constitué un des mécanismes amplificateurs de l'intensité
de la crise de 2008.
En ce sens, la réforme de Bâle III est selon nous
particulièrement ajustée aux nouveaux enjeux posés par la
crise des crédits hypothécaires américains et ses
conséquences. En effet, la réforme
agences de notation », Finance & Bien Commun 2009/2
(No 34-35), p. 78-78. DOI 10.3917/fbc.034.0078.
57
dite de Bâle III, introduit la question de la
liquidité, et non plus seulement de la solvabilité, au coeur de
son corpus de recommandations. Cette réforme des recommandations met
ainsi en évidence la nécessité de mettre en place des
« stress-test » afin d'évaluer la solidité
financière en terme de liquidité des organismes bancaires.
Concrètement, il s'agit de contrôler d'une part le niveau des
dépôts dans une banque, d'autre part le niveau de fuite de
liquidité de l'organisme bancaire, et cela sur une période
donnée (30 jours). Bâle III met ainsi en place deux indicateurs
propres au contrôle du niveau de liquidité (en plus des
indicateurs propres au contrôle du niveau de
solvabilité)61 :
- Liquidity Coverage Ratio (LCR) : il s'agit d'un ratio
d'évaluation « de liquidité à court terme », sur
une période de 30 jours. Il s'agit donc d'un indicateur de flux.
« LCR = actifs liquides / (flux sortants - flux entrants)
à un mois 2 100 % »62
- Net Stable Funding Ratio (NSFR) : il s'agit d'un ratio
d'évaluation « de la liquidité à long terme »,
sur une période d'un an. Il s'agit donc d'un indicateur de stock.
« NSFR = ressources stables à un an / besoins de
financement stables à un an 2 100 % »63
Ces deux ratios font l'objet de nombreuses interrogations de
la part de la profession bancaire au regard de leur aspect
particulièrement contraignant64. Elles constituent cependant
un moyen particulièrement efficace de prévenir une crise de
liquidité semblable à celle survenue en 2009 sur les
marchés interbancaires internationaux.
61 Bank For International Settlement, Basel III:
The Liquidity Coverage Ratio and liquidity risk monitoring tools January
2013.
62 Revue-Banque, De Bâle III à la CRD 4 :
ce qui pose problème dans les ratios de liquidité.
63 Op.Cit. 62.
64 Revue-Banque, Ratio de liquidité du
Comité de Bâle : vers plus de réalisme, Le 29/01/2013.
58
Conclusion
Lors de cette étude, nous avons donc mis en
évidence les ressorts économiques et financiers à l'oeuvre
dans le déclenchement de la crise financière de 2008 ainsi que
ses conséquences économiques. Nous avons ainsi pu identifier un
certain nombre de facteurs de risques systémiques portés par les
comportements des acteurs sur les marchés financiers. A la
lumière des comportements à risques identifiés, nous avons
également pu voir les conséquences in concreto des
défaillances de marché sur le fonctionnement pérenne et
stable des organisations et des institutions financières.
Au prisme de ces comportements de marché marqués
par une rationalité limitée dont ont pu faire preuve les agents
économiques, nous avons ainsi pu identifier le rôle central
joué par les pouvoirs publics dans leur globalité dans les
mécanismes de résolution des crises. Nous avons
démontré le rôle crucial joué par les institutions
d'un point de vue conjoncturel par la mise en place de politiques de relances,
mais aussi de manière structurelle par la réponse apportée
par le régulateur.
Nous avons également démontré le
rôle particulièrement déterminant des structures de
régulation en tant que stabilisateur des cycles financiers et des
conséquences inhérentes à leur formation. Si de nombreuses
interrogations demeurent quant à l'évaluation de la nature et de
l'ampleur du risque financier au sein des marchés, nous affirmons la
nécessité d'une réponse à un niveau
systèmique de la part des régulateurs, à l'image des
initiatives prises par le régulateur européen avec la mise en
place de la directive MIFID2.
59
Sources &
Bibliographie
Ouvrages
· Investor Protection in Europe: Corporate Law Making,
the MiFID and Beyond 1st Edition by Guido Ferrarini (Editor), Eddy Wymeersch
(Editor)
· Stabilizing an Unstable Economy, by Hyman P. Minsky,
Yale University Press, 1986
· La Crise. Comment en est-on arrivé là ?
Comment s'en sortir ? par Michel Aglietta Ed. Michalon, 2008, 126 p.
Principaux articles de recherche
· Bernanke, B., Gertler, M., Gilchrist,
S. (1999), « The Financial Accelerator in a Quantitative Business Cycle
Frame- work », in Taylor, J. B. et Woodford M. (eds), The
Handbook of Macroeconomics
· Pierre Gille, « Hyman P. Minski,
L'hypothèse d'instabilité financière », Lectures [En
ligne], Les comptes rendus, 2013, mis en ligne le 25 juillet 2013,
consulté le 16 mai 2017. URL :
http://lectures.revues.org/11977
· A Spectral Analysis of World GDP
Dynamics : Kondratieff Waves, Kuznets Swings, Juglar and Kitchin
Cycles in Global Economic Development, and the 2008-2009 Economic Crisis,
Structure and Dynamics, 4(1), Korotayev, Andrey V, Tsirel, Sergey V, University
Of California.
Rapports et études :
· MiFID II: Preparation Without Delay By Rob Flatley,
Michael Aldridge, Philippe Morel, Thomas Garside, Radi Khasawneh, William
L'Heveder
·
60
Régulation financière européenne, le bilan
depuis la crise de 2007, résumé du rapport du Groupe des
Verts/ALE au Parlement européen « `Regulatory rollback' in EU
financial services legislation »
· Mathieu Plane, Georges Pujals, Les Banques dans la crise,
Dossier II, Revue de l'OFCE, Juillet 2009
Textes juridiques &
réglementaires :
· Directive 2014/65/UE du Parlement Européen et du
Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d'instruments financiers
et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (refonte)
(Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)
Thèses et mémoires de recherche
:
· L'évolution de la réglementation
financière européenne suite à la crise 2007-2010 -
Mémoire présenté pour l'obtention du Master en
études européennes Par Beata Wachalowicz-Garcia
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