Sous la direction de Marlène Coulomb-Gully, professeure
en sciences de l'information et de la communication à
l'université Toulouse II-Le Mirail
Université Toulouse Jean
Jaurès
Faculté des lettres, des sciences humaines et
sociales, des langues et des arts.
&
Art&Com
Département Arts de la scène et
communication UFR de Lettres, Philosophie et Musique
Représentations sociales & artistiques de
genre dans les arts de la scène,
Observation d'Uzeste Musical
les années
2013 & 2014
Mémoire de master 1, parcours
communication Année 2015
Présenté par Anna Legrand
Université Toulouse Jean
Jaurès
Faculté des lettres, des sciences humaines et
sociales, des langues et des arts.
&
Art&Com
Département Arts de la scène et
communication UFR de Lettres, Philosophie et Musique
Représentations sociales & artistiques de
genre dans les arts de la scène,
Observation d'Uzeste Musical
les années
2013 & 2014
Sous la direction de Marlène Coulomb-Gully, professeure
en sciences de l'information et de la communication à
l'université Toulouse II-Le Mirail
Mémoire de master 1, parcours
communication Année 2015
Présenté par Anna Legrand
REMERCIEMENTS
En premier lieu, je remercie profondément
l'équipe d'Uzeste Musical pour laquelle j'ai écrit ce
mémoire. Depuis un peu plus de deux ans que je les côtoie, c'est
un apprentissage quotidien du désir, de la curiosité et du
risque. Trois éléments sans lesquels je n'aurais pas fait ce
travail. Merci à vous qui avez accepté d'accueillir cette
recherche :
Bernard Lubat et ses néologismes, Fabrice Vieira et ses
milles bras, Juliette Kapla et ses drôles de mots, Jaime Chao et son
énergie, Diane Camus et sa curiosité timide pour mon sujet,
Margot Auzier et ses pétards plein de joie. Martine Bois et
Céline Rutali, aussi, pour leur participation à
l'émulation du lieu qu'est Uzeste. Joël et Marie pour leur accueil
à Uzeste.
Merci aussi à Lydie Delmas pour son travail
féministe et syndical, Sylvie Gravagna et Martine Amanieu pour leur mise
en voix d'inconnus textes de femmes.
Merci à Laure Duthilleul, pour son hospitalité
d'Uzeste à Paris, et ses précieux souvenirs. Quelques Gojats
n'ont pas encore été cités, Tanguy, Paolo, Jules,
Thomas et Matis, pourtant sans eux l'aventure uzestoise ne serait pas la
même.
Mes pensées vont aussi au parti Collectif, qui
me permet d'imaginer des projets tant artistiques que politiques. J'aimerais
remercier particulièrement Mona, qui a pu me prêter son regard de
musicienne parmi des musiciens.
Je remercie aussi ;
Ma famille, mon père pour ces coups de pouce à
distance, ma mère pour sa relecture, son enthousiasme et ses
encouragements et ma soeur, déblayeuse de fautes d'orthographe, pour son
sens critique et son soutien si précieux.
Le département Arts&Com de
l'Université du Mirail qui m'apprend à déconstruire et
reconstruire en permanence des schèmes de pensée, et plus
précisément à ma directrice de recherche Marlène
Coulomb, sans qui cette recherche n'aurait pas même été une
idée.
Toutes les féministes qui m'ont accompagnée, des
chercheuses du CNRS aux rédactrices de Causette, sans oublier
les cyber-féministes et leur humour, Madmoizelle,
Diglee, Commando Culotte, etc.
Fanny et Sylvain, adorables colocs' qui ont largement assez
supporté les tables et bureaux envahis de papiers.
Sarah et Nelly, dont je sais le soutien inconditionnel.
Olivia, pour les heures studieuses de bibliothèque, et
les heures moins studieuses de procrastination.
Enfin, je remercie tout particulièrement Louis, qui m'a
laissé entrer dans sa vie, a accepté cette expérience, et
m'a aidée à en faire une aventure humaine.
À François, mes parents, ma soeur, Aux
avant-gardistes champêtres uzestois?es,
À Louis.
3
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS 2
SOMMAIRE 3
GLOSSAIRE 5
INTRODUCTION 8
I. GENRE ET ARTS DE LA SCENE, LA SCENE COMME MEDIA 9
i. Genre et genres 9
ii. La scène comme média 10
II. UZESTE MUSICAL, UN TERRAIN POLITIQUE, RURAL ET ARTISTIQUE
12
i. Héritier es d'un lieu et d'une histoire 13
ii. Le laboratoire et le foyer rural 14
iii. La subjectivité du de la cheurcheur se
15
III. PROBLEMATIQUE ET OUTILS METHODOLOGIQUES 18
1. PLAFONDS ET MURS DE VERRE : MICRO ET MACRO SOCIETES
EN DIALOGUE 21
1.1. SEGREGATION VERTICALE, UN SECTEUR AU MASCULIN 23
1.1.1. Illégitimes à l'ambition 25
1.1.2. L'entrée dans les écoles
supérieures et l'insertion professionnelle 26
1.1.3. Vivre de son art, rester professionnelle 27
1.1.4. Le plafond de verre : le difficile accès aux
postes à responsabilités 28
1.1.5. La visibilité, hiérarchie des
représentations 30
1.2. CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ET MYTHIQUES DU GENRE EN ART
32
1.2.1. L'absence des femmes dans l'histoire de l'art
33
1.2.2. Mythologie contemporaine ; L'Artiste 39
1.3. SEGREGATION HORIZONTALE 43
1.3.1. Technique & organisation 44
1.3.2. Les arts de la scène marqués par le
genre 46
1.4. FOCUS SUR LE JAZZ 54
1.4.1. La Chanteuse, « échelon inférieur
de la valeur musicale » 55
1.4.2. Le « groupe de potes » aux bagarres
permanentes 57
1.4.3. Le couple 59
2. LE GENIE, LA CHANTEUSE ET L'OPTIMISTE : PORTRAITS
62
2.1. BERNARD LUBAT - L'IDENTITE DU LIEU 62
2.1.1. La genèse, le récit épique d'une
histoire vraie 63
2.1.2. Le génie : du prodige au mentor 67
2.1.3. L' « auto-légitimité » de
Bernard Lubat 69
4
2.2. JULIETTE KAPLA - L'ENTRE-DEUX 72
2.2.1. « Dehors/dedans », artiste associée
et indépendante 72
2.2.2. Un vécu de chanteuse 76
2.2.3. Un engagement féministe, se détacher de
« l'artiste féminine » 80
2.3. FABRICE VIEIRA - L'OPTIMISTE 85
2.3.1. Vocation de militant multiforme 85
2.3.2. Conscient et optimiste 88
2.3.3. Vers une politique féministe 90
2.3.4. Faire évoluer le genre en art 95
3. ANTICAPITALISME ET QUEER, CONVERGENCES ENTRE LES
LUTTES FEMINISTES ET UZESTE
MUSICAL 99
3.1. ANTICAPITALISME ET FEMINISME, LIER LES TERRAINS DE LUTTE
99
3.1.1. Un capitalisme au coeur de la domination masculine
100
3.1.2. Art en milieu rural : l'Art-chipellisation
101
3.1.3. Des postes transdisciplinaires 103
3.1.4. Une économie politique et esthétique
104
3.2. ESTHETIQUE SUBVERSIVE, LE POÏELITIQUE 105
3.2.1. Définir le queer 106
3.2.2. La distanciation 107
3.2.3. L'indéfinissable, l'incernable : la permanence
du trouble 109
3.2.4. Permanente révolution 111
CONCLUSION 116
ANNEXES 120
TABLE DES MATIERES DES ANNEXES 120
1. CORPUS 121
1.1. Corpus principal 121
1.2. Corpus secondaire 189
2. DOCUMENTS ANNEXES 217
2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014
217
2.2. Photographies du Théâtre Amusicien
217
BIBLIOGRAPHIES 219
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE 219
BIBLIOGRAPHIE ALPHABETIQUE 225
TABLES DES MATIERES 230
5
GLOSSAIRE
Les termes du glossaire seront suivis d'un astérisque*
lors de leur première occurrence dans le corps du
mémoire.
Cie Lubat C'est le groupe musical qui
s'est formé autour de Bernard Lubat en 1976, installée
au Théâtre Mouffetard, à Paris.
Celle-ci se délocalise progressivement à Uzeste au début
des années 1980. Elle s'installe au Théâtre Amusicien
du village.
Discrimination positive La discrimination
positive, en combinant les idées de Gwénaële
Calvès1 et Jean-Michel Belorgey2, est un
comportement qui prendrait en compte les différences face aux situations
(d'où le terme de « discrimination »), mais pour créer
une égalité dans la situation (« positive »).
Double standard Appréciation
différente d'une conduite selon son auteur?e. Cette expression permet
notamment d'analyser des discriminations de genre ou raciales.
Egalité Fait d'être égaux,
sans différence de valeur3.
Epique (Trésor de la Langue
Française) qui réfère à
l'épopée.
Epopée (Trésor de la Langue
Française) Long poème ou vaste récit en prose au
style soutenu
qui exalte un grand sentiment collectif souvent à
travers les exploits d'un héros historique ou légendaire.
- P. ext. Suite d'événements extraordinaires,
d'actions éclatantes qui s'apparentent au merveilleux et au sublime
de l'épopée.
- Au fig. Aventure fabuleuse.
Equité Démarche pour
l'égalité4.
L'équité est aussi un processus de
développement vers l'égalité, prenant en compte les
situations individuelles.
Essentialisme Idée que les hommes sont
masculins et les femmes sont féminines par essence (il n'y
a pas de distinction sexe/genre). Dans la vision d'un
féminisme essentialiste, les qualités des hommes et des femmes
sont naturellement égales mais différentes.
Estaminet C'est le nom du
café-restaurant-épicerie de Marie et Alban Lubat, parents de
Bernard
Lubat. Il fût transformé est renommé en
Théâtre Amusicien.
Féminin Qualité attribué
aux femmes dans une vision essentialiste des sexes biologiques.
Féminisme Mouvement social et politique
qui a pour but l'égalité des sexes. Il existe
différents
courants : essentialiste, matérialiste,
post-féminisme...
Genre (le) Construction sociale de la
différence hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes)
et les valeurs (féminin/masculin)5.
1 CALVES Gwénaële, « Pour une
analyse (vraiment) critique et la discrimination positive », Le
Débat, 2001, vol. 117, no 5, p. 163.
2 BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination
ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la différence?
», VST - Vie sociale et traitements, 2007, vol. 95, no
3, p. 141.
3 COULOMB Marlène, « Médias et
Genre » (séminaire), Master 1 Arts du spectacle et
communication, Toulouse, Université Toulouse Jean Jaurès,
2014.
4 Ibid.
5 Ibid.
6
Genres (les) Qualités attribués
aux sexes. Ils peuvent être pensé de façon binaire :
masculin/
féminin, ternaire masculin/féminin/neutre, voire en
multitude.
Genré?e L'adjectif « genré?e
» indiquer l'attribution à un genre, il rend donc visible la
construction du genre6.
Hestejada de las arts C'est le festival
d'été organisé par Uzeste Musical. «
Hestejada » signifie « la grande
fête » en gascon. Derrière ce nom de «
grande fête des arts » se cache le besoin de se démarquer des
festivals notamment de musique qui connaissent un grand essor, d'après
Arnaud Brennetot, depuis les années 19507. Les acteurs
d'Uzeste Musical disent défendre un festival différent
des « gros » festivals estivaux de musique car l'Hestejada de las
arts est gérée par des artistes et non pas des
administrateurs et parce que le but n'est pas d'avoir une quantité
croissante de public mais une qualité artistique
croissante8.
Interdisciplinarité : Interaction entre
artistes de différentes disciplines artistiques. Exemple ; Jeu de
question réponse entre un?e musicien?ne et un?e
danseur?se
Los Gojats : Groupe de sept musiciens
d'une vingtaine d'années, ayant été formés à
Uzeste avec
Bernard Lubat. Il se compose de Jaime Chao, Louis Lubat et
Thomas Boudé, enfants du village, et de leurs amis Jules Rousseau, Matis
Polack, Paolo Chatet et Tanguy Bernard.
Nb : Jules Rousseau, Louis Lubat et Thomas Boudé, font
aussi partie de la Cie Lubat.
Masculin Qualité attribué aux
hommes dans une vision essentialiste des sexes biologiques.
Misandre Contre les hommes9.
Misogyne Contre les femmes10.
Parité (Trésor de la Langue
Française) Égalité de la représentation de
deux parties.
(Exemple : une commission avec autant de femmes que d'hommes).
C'est un instrument au service de l'égalité.
Patriarcat : (Du latin patriakhês
: chef de famille) Système social dans lequel l'homme, en tant
que père, est dépositaire de l'autorité
au sein de la famille ou du clan. La perpétuation de cette
autorité est fondée sur la descendance par les mâles, la
transmission du patronyme et la discrimination sexuelle. Les femmes y sont
subordonnées à l'homme qui possède l'autorité : le
père, le mari ou le frère11.
parti Collectif : Collectif de jeunes
artistes bordelais, initié par les Gojats, dans une
continuité
artistique vis-à-vis d'Uzeste Musical.
Performativité : Au sens Butlerien,
« L'idée que le genre est performatif a été
conçue pour montrer
que ce que nous voyons dans le genre comme une essence
intérieure est fabriqué à travers une série
ininterrompue d'actes, que cette essence est posée en tant que telle
dans et par stylisation genrée du corps. De cette façon, il
devient possible de montrer que ce que nous pensons être une
propriété « interne » à nous-même doit
être mis sur
6 FRAISSE Geneviève, Les Excès du
genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, p.9.
7 BRENNETOT Arnaud, « Des festivals pour
animer les territoires », in: Annales de Géographie [en
ligne], n°635, 2004, [
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_2004_num_113_635_21409],
consulté le 17 mai 2015, p. 30-31.
8 Synthèse de propos tenus
régulièrement au long des deux années d'observation par
Louis et Bernard Lubat.
9 COULOMB Marlène, Médias et
Genre, (séminaire) op.cit., 2014.
10 Ibid.
11 Ibid.
7
le compte de ce que nous attendons et produisons à
travers certains actes corporels, qu'elle pourrait même être, en
poussant l'idée à l'extrême, un effet hallucinatoire de
gestes naturalisés12. »
Phallocratie : Système de pourvoir
caractérisé par la domination culturelle sociale et symbolique
des hommes sur les femmes. Elle est originellement
fondée sur la croyance que le seul pouvoir fécondant est celui du
phallus, et que la matrice féminine n'est qu'un réceptacle. Par
extension, la phallocratie désigne une organisation de
société patriarcale, sexiste ou misogyne, ainsi que tout
comportement basé sur l'idée de supériorité des
hommes sur les femmes13.
Plafond de verre Expression pour symboliser la
ségrégation verticale.
Ségrégation horizontale :
|
Phénomène de sexuation des métiers par la
forte représentation d'un sexe, qui rend difficile l'accès
à ces métiers avec un genre différent. « La
majorité des emplois féminins reste concentrée dans
quelques secteurs d'activité et regroupée sur un petit nombre de
professions déjà fortement féminisées. C'est ce que
l'on appelle « ségrégation horizontale ». 14»
|
Ségrégation verticale : « De
la même façon, les possibilités d'accès à des
postes élevés dans la hiérarchie
demeurent fort modestes pour la plupart des femmes. C'est ce
que l'on nomme « ségrégation verticale ». 15»
Sexisme : Discrimination contre un
sexe16.
Sexisme bienveillant : Selon Jacques-Philippe
Leyens, le sexisme bienveillant se base sur des stéréotypes
dits « positifs » des femmes, mais respecte «
un paternalisme condescendant envers une femme, qui complète l'homme en
même temps qu'elle répond à ses besoins
d'affectivité » 17. A l'inverse du sexisme hostile, il
porte un discours valorisant les qualités féminines,
tout en affirmant les ségrégations.
Transdisciplinarité : Mélange
entre les disciplines artistiques jusqu'à en rendre la distinction
difficile.
Exemples : Figure circassienne chorégraphiée par
un danseur, ou les percussions corporelles (mélange entre danse et
musique)
Uzeste Musical : Par simplification,
pour la bonne compréhension de ce mémoire, Uzeste Musical
est
la structure qui gère le Théâtre
Amusicien, les festivals de l'année (Uzestivaux) et les
Hestejadas de las arts. Les personnes qui gèrent cette
structure sont les personnes de la Cie Lubat. D'autres personnes sont
considérées comme actrices d'Uzeste Musical, comme des
artistes associé?es ou les Gojats.
12 BUTLER Judith, Trouble dans le genre =
Gender trouble: le féminisme et la subversion de l'identité,
Paris, La Découverte, 2006, p.36.
13 COULOMB Marlène, Médias et
Genre, (séminaire) op.cit., 2014.
14 MARUANI Margaret, « II. Travail: le
marécage des inégalités stagnantes », Travail et
emploi des femmes, 4. éd., Paris, Découverte, coll. «
Repères Sociologie », n° 287, 2011, p. p.30-52.
15 Ibid.
16 COULOMB Marlène, Médias et
Genre, (séminaire) op.cit., 2014.
17 LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous
racistes?: psychologie des racismes ordinaires, Wavre (Belgique), Mardaga,
coll. « PSY, individus, groupes, cultures », 2012, p.105-127.
8
INTRODUCTION
A Uzeste, dans les landes girondines, existe un petit
théâtre tenu par l'équipe de la Cie Lubat*. Non
sans mal, ils?elles cherchent à faire dialoguer dans leur vie la peur et
le désir. Bernard Lubat, le directeur artistique, dit dans son entretien
: « Le désir c'est quand [...] d'un seul coup c'est toi le
responsable. Et alors à partir de là, tu choisis la peur. T'es
plus dans la peur d'avoir peur, tu choisis, tu fais le pas, tu montes sur
scène18 ». Un mémoire, comme une scène de
papier, donne un océan de mots à chercher, à comprendre,
à formuler. Un voile se lève actuellement sur les
inégalités19 de genre dans le secteur culturel,
réputé féminin*. Cette rupture symbolique et sociale a
suscité en moi le désir de montrer un paysage genré*
beaucoup plus complexe. J'ai donc choisi de monter sur cette scène de
feuilles, j'ai choisi la peur.
Au-delà de la peur de mal faire, il y a la peur de
faire mal. En effet, mon sujet d'étude traite de personnes qui me sont
chères, d'un terrain qui m'anime et m'enseigne. Je crains donc que mes
propos puissent blesser des individus, alors que mon but est tout autre.
Travailler sur le genre et les inégalités entre les sexes est une
critique exigeante car elle nécessite une remise en cause des
identités et des comportements les plus banals. Cette remise en question
du soi peut être violente, mais me semble nécessaire.
Originellement, je voulais analyser les structures du genre dans une compagnie
artistique toulousaine, par commodité. Je n'aurais pas eu de lien
affectif avec ces objets d'étude potentiels, ce qui aurait rendue plus
aisée la critique. Mais voilà, Uzeste (lieu artistique que je
côtoie depuis deux années maintenant) et les questions
féministes* qui peuvent s'en dégager revenaient non seulement
dans mon discours, mais aussi dans celui de ses acteurs?trices. L'envie de
travailler sur ce terrain s'est faite de plus en plus pressante et la
pensée critique, qui est une volonté première du lieu, m'a
convaincue. S'il y a un terrain qui pourrait être à
l'écoute d'une recherche sur son fonctionnement et rebondir dessus,
c'est Uzeste Musical*. C'est cette conviction personnelle qui m'a
encouragée, soutenue par les acteurs?trices du lieu, à vouloir
comprendre la structure des rapports sociaux de sexes à Uzeste
Musical, leurs fondements et leurs évolutions possibles.
Cette introduction définira tout d'abord les
thèmes de recherche, c'est-à-dire le genre* et la scène,
en abordant la scène comme un média. Le terrain, Uzeste
Musical mérite d'être compris dans ses grandes
caractéristiques, en tant que laboratoire d'expérimentations
artistiques et lieu de transmission. Enfin, nous définirons une
problématique et la méthodologie d'analyse propre à cette
recherche.
18 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2.,
p.134.
19 Contraire d' « égalités »
*.
9
I. Genre et arts de la scène, la scène
comme média
Je reprendrais les mots de Marlène Coulomb, ma
directrice de recherche : « Un travail aliénant est un travail dans
lequel on se perd. Un travail de recherche est un travail dans lequel on se
trouve ». Le genre m'interroge, comme le rôle social (s'il en est)
des arts. Aborder la scène comme un média, dont le propos est
dépendant des instances de production, de diffusion et de
réception, présente l'intérêt de pouvoir questionner
le genre d'un point de vue social et artistique.
i. Genre et genres
Les études de genre (ou Gender studies) ont eu
comme base la compréhension que le sexe social, les
caractéristiques dites masculines* ou féminines dans une
société, peut être distingué du sexe biologique.
Dès 1928, Margaret Mead distinguait un rôle sexuel construit par
la société20. Des personnes comme Simone de Beauvoir
(avec le célèbre « On ne naît pas femme, on le
devient21») ont par la suite démocratisé cette
notion. La Domination masculine22 de Bourdieu retrace, dans
la société kabyle, les rôles sociaux attribués aux
femmes et aux hommes par conditionnements. Il en résulte des symboliques
différentes des nôtres associées au féminin et au
masculin. Ceci démontre bien que les genres* masculin et féminin
sont déterminés par la société. Ainsi, les sexes
sociaux se construisent par les représentations sociales,
influencées notamment par la famille, l'école, les
religions23 et les médias24. Ils sont acquis,
à l'inverse les sexes biologiques innés.
Le genre, au singulier, avec ou sans majuscule, a
été défini par des chercheuses comme Isabelle
Clair25, Marlène Coulomb26ou encore des figures
historiques telles que Christine
20 GUIONNET Christine, « sexe et Genre »,
Encyclopædia Universalis [en ligne], [http://www.universalis.fr/
encyclopedie/sexe-et-genre/], consulté le 25 février 2015.
21 BEAUVOIR Simone de, Le deuxième sexe. I,
Les faits et les mythes, Paris, Gallimard, 1986.
22 BOURDIEU Pierre, La domination masculine:
suivi de Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien, Paris, Seuil,
coll. « points », 2002.
23 « Ce qui apparaît dans l'histoire comme
éternel n'est que le fruit d'un travail d'éternisation qui
incombe à des institutions (interconnectées) telles que la
famille, l'Eglise, l'Etat, l'école... » D'après BOURDIEU
Pierre, La domination masculine, op.cit., p.2.
24 «[L]a place et le rôle des
médias dans la société se sont accrus. A l'instar des
tribunaux ou des écoles, les médias relèvent des
"technologies du pouvoir" dont parle Foucault, et participent plus que jamais
au processus de socialisation genrée. » D'après
COULOMB-GULLY Marlène (dir.), Médias: la fabrique du
genre, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012, p.3.
25 BIDET-MORDREL Annie (dir.), Les rapports
sociaux de sexe, Paris, Presses universitaires de France, coll. «
Actuel Marx Confrontation », 2010, p.191.
26 « Genre » clairement défini par
Marlène Coulomb, lors du séminaire « Médias et Genre
» comme « rapports sociaux de sexes », 2012 et 2014.
10
Delphy27 et Ann Oakley28 comme «
rapport de sexes sociaux » ou « système de genre
»29. En parlant de « rapport », de «
système », ces chercheuses abordent le genre comme un
philosophème, c'est-à-dire comme un concept qui permet de penser
à travers lui, en l'occurrence les différences
hiérarchisées entre féminin et masculin, hommes et femmes.
Geneviève Fraisse, philosophe épistémologiste de la
pensée féministe, est certainement la plus précise en
définissant « le genre » comme un concept qui « ramasse
les morceaux d'une question, les fond en un ensemble, et devient ainsi un
problème philosophique30 ». D'après elle, le
singulier possède un but précis :
[L]e genre permet de croiser le neutre et la dualité ;
le un et le deux, l'être sexué en général et les
deux sexes en particulier. [...] On va cesser d'opposer le un et le multiple,
on va réconcilier le un et le deux au profit du multiple, garant d'un
universel concret31.
Elle démontre ainsi l'intérêt d'un
singulier qui rassemble l'apparemment opposé. Par la
réutilisation du pluriel « genres », elle craint de nouvelles
séparations philosophiques.
Néanmoins, le terme « genres » au pluriel
bénéficie des études menées depuis les
années 1970 et peut se comprendre, non plus dans une dualité
masculin/féminin, mais comme une multiplicité de sexes sociaux
bien au-delà du duo/duel32. Dans ce mémoire, singulier
et pluriel du terme se côtoieront : le singulier comme « rapport des
sexes sociaux », et le pluriel pour les « sexes sociaux ».
Judith Butler définit la construction du genre par la
répétition permanente des représentations et des
comportements genré?es. L'art, comme producteur de
représentations, fait donc partie de cette construction du genre. Dans
le cas de cette étude, nous nous intéresserons
particulièrement aux arts de la scène.
ii. LA SCENE COMME MEDIA
La scène est support de discours, il est donc
intéressant de l'analyser d'un point de vue sémio-pragmatique,
c'est-à-dire dont le discours est dépendant des contextes de
production, d'émission et de réception. La création
artistique n'est pas détachée du monde, ni sa diffusion,
27 DELPHY Christine, MOLINIER Pascale, CLAIR
Isabelle et RUI Sandrine, « Genre à la française ? »,
Sociologie [en ligne], N°3, vol. 3, 2012, [
http://sociologie.revues.org/1392],
consulté le 24 février 2015, p.3.
28 Fondatrice du concept en 1972. Ibid.
29 Ibid.
30 FRAISSE Geneviève, Les excès du
genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, p.9.
31 Ibid., p.10.
32 BOURCIER Marie-Hélène,
«Why my body is still a battle ground: et que c'est vrai des
performances féministes des années 1870 au porno activisme du
20ème siècle » (séminaire), Journée
d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris,
Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12
décembre 2014.
11
et sa réception change d'une personne à l'autre,
d'un contexte à un autre. De plus, ces instances sont
interdépendantes. L'identité de la personne qui crée va
influer sur la production, mais aussi sur la diffusion (par exemple lorsqu'un
théâtre programme un grand nom du théâtre sans avoir
vu la pièce). La réception dépend du contexte
d'émission (un spectacle contemplatif parasité par des bruits
extérieurs voit sa réception complètement modifiée
par le contexte de réception). La réception peut aussi être
modulée par des éléments de production (savoir
qu'après avoir écrit 4.48 Psychose, Sarah Kane s'est
suicidée à quatre heures quarante-huit, modifie la lecture de
l'oeuvre). L'art, dans sa dimension publique, est donc bien dépendant
des trois instances de communication, au même titre que les médias
traditionnels. Cette approche pragmatique présente deux
intérêts : celui de désacraliser les oeuvres, rendant la
critique plus aisée, et celui de sortir d'une vision immanentiste, qui
considère le discours comme résultant uniquement de l'oeuvre.
De Lauretis définit « la construction du genre
comme étant à la fois le produit et le processus de la
représentation et de l'autoreprésentation33». La
représentation ayant un rôle dans la fabrique des sexes sociaux,
il est intéressant d'analyser un média sous le prisme du genre.
Pour Judith Butler, théoricienne, le discours de genre possède un
caractère performatif car « il produit ce qu'il dit : des
sujets genrés34 ». En d'autres termes, la mise
en discours des sexes sociaux les a concrétisé symboliquement et
physiquement, en stylisant les corps jusqu'à ce qu'ils deviennent des
sujets genrés35. Cette performativité
nécessite la répétition des discours -verbaux et
corporels- de genre36. Et ainsi, par clichés, se fabriquent
collectivement les rapports sociaux de sexes. C'est cette construction toujours
répétée qui est questionnée dans les études
de genre, remettant en question le lien prétendu naturel entre sexes et
genres37.
Aujourd'hui, Reine Prat considère que l'art participe
au « maintien du système de dénigrement et de
dévalorisation du féminin38 ». L'art, de par
son histoire et des canons qu'il
33 LAURETIS, T. DE, Technologies of Gender.
Essays on Theory, film and Fiction, Indiana university press, Bloomington
& Indianapolis, 1987, chap.1, citée par BOURCIER
Marie-Hélène, « Queer Move/ments »,
Mouvements, s.l., 2002, vol. 20, no 2, p. 37.
34 BUTLER Judith, Trouble dans le genre =
Gender trouble: le féminisme et la subversion de l'identité,
Paris, La Découverte, 2006, pp.248-266. Avec une lecture
complémentaire de DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualités:
introduction à la théorie féministe, Paris, Presses
Univ. de France, coll. « Philosophies », n° 194, 2008,
pp.115-129.
35 DORLIN Elsa, op.cit., p. 117.
36 BUTLER Judith, op.cit.
37 BOURCIER Marie-Hélène, «
Queer Move/ments », art.cit., p.39 : « Les discours sur
les genres les positionnent comme étant causés par le sexe (dit
biologique), comme si sexe et genre entretenaient un rapport expressif ou
descriptif (le genre masculin exprimerait naturellement le sexe biologique
masculin), alors que l'identité de genre est le résultat d'un
effet de répétition régulée des codes de
performance de genre ».
38 PRAT Reine, Mission EgalitéS. Pour
une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de
la population française dans le secteur du spectacle vivant. 1 Pour
l'égal accès des femmes et des hommes aux
12
véhicule, reste un secteur masculin reproduisant des
modèles androcentrés. Comme les autres médias, l'art est
rétroagissant sur la société dont il résulte.
Ainsi, l'art possède un potentiel de subversion des systèmes de
domination établis. Pour pouvoir exploiter ce potentiel, il faut
remettre en question les valeurs artistiques et les mythes associés.
Note sur la langue comme
média
La langue est un média puisqu'elle est un dispositif de
diffusion de discours, contraignant à plier la pensée à
son dispositif. Barthes désigne même la langue comme fasciste car
elle n'interdit pas la réflexion, mais oblige à penser à
travers elle39. La langue française, avec son masculin qui
l'emporte sur le féminin ou son masculin neutre, est
androcentrée. Elle oblige à remarquer le féminin (« e
»), alors que le masculin est la forme courante. Ce n'est pas le cas de
toutes les langues et ce ne fût pas toujours celui de la langue
française. L'Académie française a, en 1634 quand la langue
française est devenue un enjeu politique d'identité,
édité Remarque sur la langue française où
l'auteur Vaugelas énonçait clairement que le masculin
représentait le genre noble. Le masculin dominant remplace alors la
règle de proximité40, qui consiste à accorder
l'adjectif ou le participe passé avec le sujet le plus proche (par
exemple le vers « des jours et des nuits entières » de
Racine). Mais ayant moi-même appris à penser à travers les
lois académiques, ma langue résiste encore à ce
changement. Pour cet écrit, sur les conseils de la doctorante en
linguistique et genre Nicole Pradalier, j'ai fait le choix de doubler le genre,
à l'aide du point médian «?e ». Le tiret, comme les
parenthèses, indiquent un élément annexe,
non-indispensable. Le point médian ne hiérarchise pas les
éléments qu'il sépare.
II. UZESTE MUSICAL, UN TERRAIN POLITIQUE, RURAL
ET ARTISTIQUE
Qu'est-ce qu'Uzeste Musical ? Ici nous ne nous
intéresserons pas à ce qu'est cette structure juridiquement, mais
artistiquement. Pour ce, il nous faut prendre en compte l'ensemble des
activités de la Cie Lubat. « Uzeste Musical
», « la Cie Lubat », « l'Estaminet*
» : pour bien comprendre de quoi nous parlons il faut définir
ces éléments. L'Estaminet, aussi nommé le
Théâtre Amusicien, est le lieu de diffusion d'Uzeste
Musical. Un petit théâtre modulable en salle de bal ou salle
de spectacle en quelques mouvements de chaises.
postes de responsabilité, aux lieux de
décision, à la maîtrise de la représentation,
Mission pour l'égalité h/f dans les arts du spectacle, 2006,
p.15.
39 BARTHES Roland, Leçon: leçon
inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du
Collège de France, prononcée le 7 janvier 1977, Seuil.,
Paris, coll. « essais », 2015, p.14.
40 PRADALIER Nicole, Introduction au sexisme de la
langue française, in Marlène COULOMB-GULLY, « Médias
et genre » (séminaire), op.cit.
13
Ce lieu se situe à Uzeste, petit village de trois cent
habitants, au coeur des Landes girondines. Uzeste Musical est la
structure qui gère ce lieu, y diffuse des spectacles à
l'année, durant les vacances, et tient un festival depuis quarante ans :
L'Hestejada de las arts, manifestivité transartistique d'Occitanie
atlantique*. « Hestejada » signifie « la grande
fête » en gascon. Derrière ce nom de « grande fête
des arts » se cache le besoin de se démarquer des festivals
notamment de musique qui connaissent un grand essor, d'après Arnaud
Brennetot, depuis les années 195041.
Les acteurs d'Uzeste Musical disent défendre
un festival différent des festivals normaux de musique, car
l'Hestejada de las arts est gérée par des artistes et
non pas des administrateurs ; de plus le but n'est pas d'avoir une
quantité croissante de public mais une qualité croissante
artistique42. Parti-pris politique, jeu de mots, arts hybrides et
rattachement à la culture des Landes, nous retrouvons dans ce nom
certaines lignes directrices du travail de la Cie Lubat. Ce n'est pas
un hasard, puisque c'est la même équipe qui dirige les deux
structures, Uzeste Musical possédant plus un rôle de
diffusion et la Cie Lubat un rôle de création
artistique.
j. HERITIER?ES D'UN LIEU ET D'UNE HISTOIRE
Le terme d'« héritage » revient
régulièrement à Uzeste, et pour cause : la transmission se
fait depuis trois générations. La première
génération était composée des parents de Bernard
Lubat : Marie et Alban Lubat. Ce dernier, refusant la vie de métayer,
s'installa dans le bourg d'Uzeste avec sa femme. Ensemble, le couple
ouvrît en 1937 l'Estaminet,
café-restaurant-épicerie-auberge. Plus tard, s'est ajouté
la mention « Dancing » sur la façade du
bâtiment, bousculant, avec succès, les traditions catholiques
locales. Alban Lubat, dans les discours, est toujours présenté
comme un homme d'action, qui s'est révolté contre sa condition :
refus du métayage, musicien et communiste engagé.
Déjà l'Estaminet faisait se rencontrer art et politique.
Si Marie Lubat est plus effacée lorsque l'histoire du lieu est
racontée, il lui ait plus souvent fait référence par des
souvenirs concrets, mêlant les anecdotes du lieu. Ces récits
retracent une situation d'époque, où l'espace public était
occupé par Alban, et l'espace privé par Marie. Lorsque Bernard
Lubat revint à Uzeste après avoir réussi dans le business
musical de la capitale, il investit le café parental et son histoire.
Politique, artistique et ruralité furent dès lors au coeur du
mouvement de ce qui est devenu Uzeste Musical. Si les espaces
privés et
41 BRENNETOT Arnaud, « Des festivals pour
animer les territoires », in: Annales de Géographie [en
ligne], n°635, 2004, [
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_2004_num_113_635_21409],
consulté le 17 mai 2015, p. 30-31.
42 Synthèse de propos tenus
régulièrement par Louis et Bernard Lubat au long des deux
années d'observation.
14
publics étaient très sexués sur la
première génération, cela est beaucoup moins visible sur
la génération de Bernard Lubat. Ainsi, dès 1978, Laure
Duthilleul, Vanina Michel et d'autres femmes interviennent en tant qu'artistes
à Uzeste, entourées cependant d'une majorité d'hommes.
Aujourd'hui, une génération presque paritaire d'une vingtaine
d'années est active sur Uzeste, avec encore une majorité d'hommes
représentés sur scène. Jaime Chao, Margot Auzier, Louis
Lubat, Diane Camus, Thomas Boudé et autres jeunes né?es dans les
années 1990, ont le sentiment d'hériter d'Uzeste
Musical, et en particulier de Bernard Lubat. Il leur a transmis une
philosophie, une façon de voir et de comprendre le monde, mais aussi une
volonté utopique d'existence égalitaire entre les
humains43 ; l'art comme arme d'équité*. Malgré
des inégalités encore présentes, l'activité de ce
lieu est donc déjà un contre-pouvoir qui propose un regard
décalé sur le monde.
ii. LE LABORATOIRE ET LE FOYER RURAL
Dans les mots des artistes du lieu, Uzeste Musical
est avant tout un laboratoire artistique où il est possible de se
tromper44. C'est un lieu où chacun?e est apprenant?e, «
[s]inon on n'y reste pas très longtemps » ajoute Louis, fils unique
de Bernard Lubat et Laure Duthilleul.
C'est aussi une structure éminemment liée
à son territoire. La ruralité est une contrainte permanente en
termes de vivier d'artistes, de renouvellements des publics et du personnel. La
situation rurale pour Fabrice Vieira, administrateur et musicien de la
structure, c'est aussi « une façon de repenser ce que les gens
appelaient la décentralisation culturelle et la politique du territoire.
C'était aussi allier un projet qui met l'artiste au centre de la
Fsociété comme activiste, comme acteur de la
société45 ». En cela, Uzeste Musical est
aussi un laboratoire de réflexions, les débats et les
philosophies qui s'y rencontrent produisent des ouvertures de
pensées46, notamment concernant le féminisme
grâce aux interventions de la CGT Gironde sur des questions
d'inégalités professionnelles autant que privées.
Artistiquement et politiquement, il y a la double envie de
décentralisation -c'est-à-dire de construction de dispositifs
artistiques et réflexifs hors de la capitale et des institutions-, et de
déconcentration -soit, de considération égale des cultures
populaires et élitistes. Bernard Lubat s'en amuse : « nous
cherchons entre le
43 Il est important de rappeler que défendre
l'égalité entre les êtres n'est pas, comme de nombreux
discours tendent à le faire croire, détruire les
différences ou les diversités. C'est remettre en question la
hiérarchisation de ces différences, ou autrement dit, ce demander
pourquoi une différence d'organe génital ou de peau serait plus
à remarquer qu'une différence de cheveux, d'yeux ou de pieds.
(Note ajoutée suite à la soutenance)
44 Entretiens avec Fabrice VIEIRA & Juliette
KAPLA, annexes 1.1.2.4., p.172 et 1.1.2.3., p.158.
45 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4,
p.172.
46 Il est intéressant de noter que la revue
Cassandre/Horschamps, titre son 88ème numéro
« Pour une révolution poïélitique* »,
l'astérisque renvoyant à cette note : « mot forgé par
Bernard Lubat pour évoquer la manifestivité poétique et
politique d'occitanie océanique ». Les pistes de réflexions
ouvertes à Uzeste s'étendent ailleurs...
15
popuplaire et l'élitriste, nous
sommes l'avant-garde-champêtre47 ! ».
Toujours en mouvement, toujours en recherche : c'est dans ce cadre
philosophique qu'une recherche comme celle-ci peut avoir un impact local mais
concret.
L'ancrage fort de la structure dans le village possède
aussi un effet social direct. Les employés à l'année
sont/ont été pour beaucoup du village. Le turn-over est
donc restreint et d'autres particularités apparaissent, notamment les
filiations48. Aujourd'hui, l'investissement des enfants ayant
vécu à Uzeste et nés aux alentours de 1990, donne un
aspect transgénérationnel aux actions, privilégiant une
transmission in situ. Ces enfants d'Uzeste, qui ont maintenant
passé les vingt ans, sont attachés à ce village, non
seulement par l'expérience du laboratoire artistique mais aussi comme
lieu des souvenirs d'enfance partagés. Cependant, sur la portion active
de cette jeune génération quasiment paritaire, si les jeunes
hommes sont visibles sur scène, les jeunes femmes se répartissent
entre la scène, le bureau et les cuisines49. La situation est
nuancée, mais reste sexuée. Cette contradiction entre
schéma inégal répété et engagement dans une
politique égalitaire avait porté cette question de départ
: pourquoi est-ce qu'un lieu comme Uzeste Musical, ayant
intégré un discours égalitariste et féministe,
persiste à reproduire des inégalités de genre ? Lorsque
j'interroge les jeunes d'Uzeste sur la raison de cette inégalité
de représentation, le fait que le fils de Bernard Lubat soit un
garçon qui ait amené ses amis au fur et à mesure est
majoritairement énoncé. C'est lors de l'entretien en groupe que
j'ai entendu pour la première fois des personnes de cette
génération émettre l'hypothèse que le genre entre
en compte, augmentant encore l'intérêt de ce
terrain50.
iii. LA SUBJECTIVITE DU?DE LA
CHEURCHEUR?SE
Les recherches féministes citées au début
de cet écrit remettent en cause tous les savoirs :
biologiques51, sociologiques, historiques, artistiques, etc. A
l'origine de cet engouement pour les recherches féministes dans toutes
les disciplines est une remise en cause épistémologique,
notamment élaborée par Nancy Hartsock. Sa théorie du point
de vue (ou standpoint theory), pourrait se résumer ainsi :
aucun savoir n'est objectif, ni impartial. Aucun savoir n'est partial
47 Discussion avec Bernard Lubat, et extrait de
spectacle.
48 L'annexe 2.1. est un sociogramme
synthétisant les liens de filiation et d'amitié initiale entre
les acteur?trices d'Uzeste Musical, ainsi que leurs tâches.
49 Vivant en partie au village : Jules Rousseau
(artiste), Louis Lubat (artiste), Jaime Chao (artiste), Thomas Boudé
(artiste), Margot Auzier (artiste), Diane Camus (chargée de production),
Sarah Boudé (aide aux cuisines). Ne vivant plus au village :
Raphaëlle Camus (artiste), Juliette Minvielle (artiste).
50 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane
CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p. 202.
51 Notamment grâce à Donna Haraway qui
« envisage la biologie comme une pratique cruciale de la construction de
la culture occidentale moderne et donc aussi comme discours. »
D'après PUIG DE LA BELLACASA María, Les savoirs situés
de Sandra Harding et Donna Haraway: science et épistémologies
féministes, Paris, l'Harmattan, 2014, p.125.
16
politiquement car, selon Elsa Dorlin, « tout
savoir entretient [un rapport] avec une position de pouvoir, qu'il
renforce, renverse ou modifie en retour52». Aucun savoir n'est
objectif car aucune recherche ne se fait hors chercheur?se. C'est ce?tte
dernier?e qui détermine le sujet, la méthodologie et même
le résultat (en hiérarchisant les données par
exemple)53. Les savoirs hérités sont analysés
différemment, les points de vue qui étaient
considérés comme objectifs apparaissent comme
masculins54. Les valeurs hiérarchisées entre les
sujets, les savoirs, les résultats sont remises en question, amenant la
recherche dans des zones inexplorées (notamment du genre).
Sandra Harding pousse plus loin la théorie du point de
vue, en ne renonçant pas à l'objectivité. Sa
théorie, la notion d'objectivité forte (strong
objectivity), repose sur l'idée que la multiplication des points de
vue sur un objet produit de l'objectivité. L'idée, presque
photographique, outre le fait d'être novatrice, incite à la
curiosité pour des visions marginales
(d'outsiders)55. De plus, l'apparence objective des
écrits scientifiques n'étant plus un prérequis, Sandra
Harding et Donna Haraway défendent une nécessité de situer
les savoirs, c'est-à-dire expliciter le regard du?de la chercheur?se
pour permettre au?à la lecteur?trice de contextualiser et être en
position critique face à la transmission qui lui est faite56.
Situer les savoirs, en tant que chercheur?se et lecteur?trices, c'est aussi
être en permanence conscient?e que le document scientifique n'est qu'un
discours, produit depuis un point de vue, une époque, un espace, et dans
un but. C'est un discours, aussi, dans sa forme linéaire, contraignant
en permanence l'énonciateur?trice à choisir ce qui est dit et
comment. Ainsi, le?la producteur?trice des discours n'est pas à effacer
pour créer une objectivité artificielle, mais au contraire,
révéler l'énonciateur?trice permet de prendre la mesure du
propos. Il s'agit en quelque sorte, d'accepter la responsabilité des
personnes réceptrices, dans l'interprétation d'un propos
scientifique et dans la capacité critique de mettre en regard la
production et le produit :
En d'autres termes, l'objectivité et un savoir «
plus fiable » sont associés à l'inclusion responsable des
subjectivités situées et d'une conscience oppositionnelle,
plutôt qu'à leur exclusion au nom de leur inutilité
présumée57.
52 DORLIN Elsa, op.cit., p.7.
53 Ibid. p.24-25.
54 Ibid. p.17-18.
55 Ibid. p.27-30.
56 PUIG DE LA BELLACASA María,
op.cit.
57 BRACKE Sarah, María PUIG DE LA BELLACASA,
et Isabelle CLAIR, « Le féminisme du positionnement.
Héritages et perspectives contemporaines », Cahiers du
Genre, 2013, vol. 54, n° 1, p. 45.
17
Il me faut donc définir mon point de vue. (Le « je
», traditionnellement banni des travaux universitaires, est rendu
judicieux dans le cadre de la théorie du point de vue, puisqu'il rend
visible l'énonciateur?trice.) Je suis une jeune femme blanche
française, issue d'une famille de classe moyenne. Etudiante en Arts du
spectacle et Communication, j'ai une approche bi-disciplinaire des
études, qui se remarque dans mon travail, notamment par l'incorporation
de théories de domaines différents. En tant qu'étudiante,
mes recherches n'ont pas une valeur d'expertise, mais visent à rendre
compte de la rencontre entre un terrain et des savoirs scientifiques. Ayant
grandi dans la campagne périgourdine, la ruralité des landes ne
m'est pas étrangère, ce qui peut rendre invisibles certains
éléments à mon regard. Les éléments moteurs
et à l'initiative de cette recherche sont : la curiosité de mieux
comprendre la construction du genre, et le besoin de savoir analyser les
rapports sociaux de sexes dans le secteur professionnel que j'envisage. Plus
tard, lorsqu'Uzeste Musical s'est dessiné comme terrain
potentiel, d'autres envies motrices sont nées : celle de partager un
développement de pensée avec des compagnon?nes d'aventures, et
celle d'avoir un potentiel de réactions direct des problèmes
observés. Cette dernière a d'ailleurs influencé mon
écriture en m'amenant à chercher des solutions théoriques
mais aussi concrètes.
Ma place à Uzeste, le point depuis lequel j'observe,
est particulière. Ma position est double : celle de la chercheuse qui
analyse son corpus et écrit depuis Toulouse, et celle d'une
personne investie dans une aventure politique et artistique. Depuis octobre
2012, j'aide le groupe de jeunes hommes du village, Los Gojats*, sur
des points de communication et d'administration. Nous avons fondé, avec
d'autres artistes émergents, une association sur Bordeaux. Cette
aventure grandit entre Uzeste et Bordeaux, depuis sa naissance en novembre
2013. Les relations privées se sont enrichies des relations
professionnelles. Durant toute cette année de recherche et encore
aujourd'hui, Los Gojats sont des amis, et l'un d'entre eux, Louis
Lubat, est aussi mon compagnon. J'ai aussi participé en tant que
bénévole technique à l'Hestejada 2013. « Je
» est donc observé et analysé comme les autres
objets. Cette inclusion dans mon terrain fut un réel avantage
pour pouvoir observer, discuter et comprendre. Comprendre un « nous
», mais aussi un « je » et un « eux?elles ». Mais
être à la fois sujet et objet demande un travail permanent de
recul. Il m'a fallu batailler contre les sentiments, la crainte de faire mal.
L'entretien avec Bernard Lubat a été à ce propos
très bénéfique car dans ses mots et ceux d'Aragon qu'il
cite : « Je suis contre ce qui ne bouge pas. [...] Je suis contre ce qui
se suffit, je suis contre ceux qui croient. [...] « On ne pense bien que
contre» 58», j'ai
58 Entretien avec Bernard LUBAT, citant Aragon, annexe
1.1.2.2., p.132.
18
entendu une autorisation à la critique, même
dure, tant qu'elle est juste. Malgré ma subjectivité forte, toute
ma démarche se justifie de manière scientifique, dans un but
réflexif et analytique.
C'est donc à travers les concepts de genre et de
média pragmatique que je vais analyser le terrain qu'est Uzeste
Musical sur les années durant lesquelles j'ai observé et
participé, soit de 2013 à aujourd'hui (ce qui réduit, pour
les Hestejadas, aux étés 2013 et 2014).
III. PROBLEMATIQUE ET OUTILS
METHODOLOGIQUES
En tant qu'observatrice privilégiée d'Uzeste
Musical, j'ai été étonnée d'observer des
inégalités sexuées dans la répartition des
tâches, dans ce lieu visant une politique égalitariste. Pourquoi
et comment les acteur?trices d'un lieu de création artistique, militants
pour les égalités sociales, participent à la reproduction
des inégalités de genre ? Il convient de pointer en quoi la
reproduction d'inégalités sexuées est abordée comme
étant problématique (en effet, toute inégalité
n'est pas nécessairement problématique). Il s'agit ici de se
focaliser sur des inégalités de valeurs attribuées aux
genres et qui servent de fondement à des inégalités
sociales, c'est-à-dire à la hiérarchisation des individus
à travers des catégories, comme par exemple les genres. C'est
donc une inégalité préjugée par le genre, ou ce que
Bourdieu nommait la domination masculine, en art, à notre époque,
en France et particulièrement à Uzeste, qui est remise en
question dans cet écrit.
La critique d'un manque de femmes sur scène est
régulièrement faite à Uzeste, mais n'a jamais
été vérifiée. J'ai donc fait un comptage
sexué sur l'Hestejada de las arts des étés 2013
et 2014 qui a vérifié cette observation59. Mis en
regard avec les chiffres nationaux, ceux d'Uzeste ne sont qu'un
épiphénomène. Le choix de compter les
représentations du festival d'été et pas des
représentations à l'année, est en raison d'un trop
faible turn-over sur l'année, et de sa portée
médiatique plus grande (avec des relais par les médias
traditionnels). De plus, cet événement reste le fruit des
réflexions et de l'énergie des personnes présentes
à l'année. C'est elles qui donnent les lignes directrices,
artistiques, politiques et techniques du festival. Au début de ma
recherche, je pensais compter trois fois deux festivals répartis sur les
trente-huit éditions pour visualiser une évolution. Deux raisons
m'ont amenée à resserrer ce travail sur les deux derniers
programmes. Premièrement, mon analyse est de l'ordre photographique,
elle prend en compte des éléments historiques mais dans leur
implication actuelle, pour historiciser des faits qui paraissent à la
fois normaux et éternels. Chercher à observer une
évolution sur des époques
59 Le tableau de quantification des
représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations
artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et
visibilité, Annexe 1.1.1.1, indiquent 22% de représentations de
femmes sur les deux années.
19
que je n'ai pas pu connaître serait plus de la
spéculation que de l'observation. Autre élément, le but de
ce comptage est de pouvoir analyser les ruptures et continuités entre
les chiffres du terrain et de l'ensemble du territoire. Cependant ces questions
d'égalités dans le domaine culturel sont assez récentes,
le rapport de Reine Prat en 200660 a permis une réelle prise
de conscience des inégalités hommes/femmes, en l'occurrence sur
les directions des établissements culturels. Ainsi, en amont des
années 2000, il n'est pas très intéressant de chercher
à faire des comparaisons puisque les chiffres sont encore à
produire.
C'est entre la dépendance du vivier national et
l'héritage culturel d'une histoire des arts aux tendances
androcentrées que je dessinerai d'abord Uzeste Musical. En
faisant dialoguer deux histoires des arts : celle classique/conservatrice et
celle (re)découverte par les études féministes, et les
chiffres actuels, je chercherai à faire apparaître les
convergences et différences entre deux échelles : micro- (Uzeste)
et macro- (France) sociales.
Pour comprendre plus localement les schèmes de
pensée du genre, j'ai choisi une approche microsociologique, avec des
entretiens et une observation immersive. Selon l'épistémologie
marxiste, l'expérience peut se considérer comme source de savoir
: l'expérience du prolétaire est une source de savoir sur le
capitalisme. Cette théorie fut réemployée par les
recherches féministes, avec l'idée que les femmes pouvaient
être une source de savoir sur la domination masculine61. Elsa
Dorlin va plus loin en disant que transformer de l'expérience en savoir
amène du politique dans le savoir issu de
l'expérience62. Dans le discours des personnes qui
expérimentent le dispositif d'Uzeste Musical, j'ai
cherché des clefs de compréhension des rapports sociaux de sexes
du lieu. Le corpus s'étend sur trois entretiens semi-directifs. Le
premier est avec Bernard Lubat63, le directeur artistique et
fondateur de d'Uzeste Musical, qui énonce à sa
manière sa position d'actant : « Je ne suis pas
représentatif d'un lieu. Je suis représentatif d'un acte ».
Le second s'est déroulé avec Juliette Kapla64, artiste
associée de la Cie Lubat, en dedans du projet, en-dehors du
village. Le dernier entretien individuel s'est fait avec Fabrice
Vieira65, musicien, administrateur, technicien de la Cie
Lubat
60 PRAT Reine, op.cit., 2006.
61 « [U]n savoir fondé sur la vie des personnes
subissant l'exploitation (la classe ouvrière) rend différemment
et mieux compte du monde qu'un savoir fondé sur la vie des dominants (la
bourgeoisie) [...] Une expérience aussi directe de la production fait
défaut à la bourgeoisie.[...]Dans une version remaniée, le
positionnement féministe part de l'idée que la vie des femmes
constitue une position privilégiée, d'un point de vue
épistémologique, pour observer le fonctionnement de la
suprématie masculine et son interaction avec les relations sociales du
capitalisme. » D'après BRACKE Sarah, María PUIG DE LA
BELLACASA, et Isabelle CLAIR, art.cit., p. 45.
62 DORLIN Elsa, op.cit. p.19.
63 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2.,
p.132.
64 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3.
65 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4.
20
et d'Uzeste Musical. Le risque de
surreprésenter une parole masculine en ne prenant qu'une femme sur
trois, s'est résorbé à l'écriture, dans les
proportions données à chacun?e. Le choix de ne questionner que
des artistes a eu pour effet d'évincer des entretiens avec des femmes du
bureau. Mais questionnant Uzeste Musical comme média et non pas
comme terrain sociologique, ce sont les énonciateur?trices que j'ai
ciblé?es. Pour obtenir de la nuance à ces trois entretiens, j'ai
pratiqué un entretien de groupe avec quatre enfants d'Uzeste
nés peu après 1990 : Margot Auzier, artificière,
Jaime Chao, musicien, Diane Camus, chargée de production et Louis Lubat,
musicien66. Ce corpus secondaire m'a permis d'observer des
évolutions en cours ou possibles. Ces entretiens guidés ont
été complétés par une observation immersive du
terrain tant sur le plan social qu'artistique, d'octobre 2012 à avril
2015 lors des Uzestivaux (festivals des vacances de l'année).
Mais aussi d'un vécu des Hestejadas et Uzestivaux 2013
et 2014. L'ensemble du discours produit par Uzeste Musical est
épaissi de documents tels que les programmes-manifestes, le journal
d'expression poïelitique de la Cie Lubat, ainsi que les murs du
théâtre recouverts de photos67 et d'articles de
journaux. Ces discours sont analysés au regard de recherches
scientifiques, dans le but de trouver des portes entrouvertes vers un rapport
d'égalité de genre.
En dernière partie s'est trouvée la
nécessité d'analyser la production du média Uzeste
Musical. La question de la représentation scénique permet de
sortir d'une approche sociologique qui cantonne trop aisément dans de
l'observation d'inégalités hommes/femmes. En questionnant la
relation entre le politique et l'artistique à Uzeste, j'ai pu sortir
d'un regard binaire homme/femme ou féminin/masculin qui tend à
opposer deux catégories, et les homogénéiser en interne,
et ainsi réaffirmer une bicatégorisation68. Il s'agit
de questionner ce qui fait norme et ce qui est subversif pour décaler le
regard : subversion des genres artistiques vers une subversion des genres
sexués. Les discours artistique et politique de la Cie Lubat et
de Juliette Kapla sont interrogés dans leur cohérence avec le
discours privé. La boucle pourrait se boucler avec une étude des
publics qui porterait sur la réception des oeuvres analysées,
mais il cela nécessiterait une autre année de recherche pour
examiner les diversités de discours
66 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane
CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1.
67 Photographies du Théâtre
Amusicien, Annexe 2.2.
68 L'aspect homogène des catégories
produites par les chiffres (donc les chercheur?ses) est un problème
épistémologique récurrent des recherches féministes
: BUTLER Judith, op.cit., p.59-67, DE LAURETIS in DORLIN Elsa,
op.cit., p.113.
21
interprétés par les publics, car, en accord avec
Stiegler, le discours est construit par celui qui le
reçoit69.
1. PLAFONDS ET MURS DE VERRE : MICRO ET MACRO SOCIETES EN
DIALOGUE
Il me paraît important de répondre tout d'abord
au cliché auquel j'ai pu être confrontée, en discutant de
mon sujet de recherche, d'un secteur culturel idéal et
égalitaire, où il n'y aurait pas de discrimination mais
peut-être une méritocratie sans pitié. Je tiens, dans cette
partie, à démontrer que le secteur culturel possède bien
une composition inégale entre les hommes et les femmes avec des
ségrégations horizontales et verticales fortes. Je me baserai sur
les chiffres récents -car c'est une problématique récente-
de Reine Prat (200670 et 200971), de la
Société des auteurs et compositeurs dramatiques
(SACD)72 et de l'Observatoire de l'égalité
hommes-femmes dans la culture et la communication73. D'autres
rapports, comme celui d'Annick Sardeing74, enrichissent encore les
chiffres et les grilles d'analyse, mais dans une vision d'ensemble, ils
corroborent les premiers résultats cités, sans grands
changements. Nous pourrons alors mettre en regard les chiffres nationaux avec
les chiffres sur le terrain d'Uzeste Musical.
En effet, j'ai pu faire un travail de comptage par discipline
des spectacles présentés durant l'Hestejada de las arts
sur les années 2013 et 2014. Si les chiffres présentent
quelques disparités d'une année sur l'autre, ils corroborent dans
l'ensemble les données nationales, saturant de fait le modèle
sociologique. Il y a deux tableaux en annexe : un qui quantifie les
représentations hommes/femmes sur scène par arts et par
importance de visibilité, et un autre qui a pour but
69 Tiré d'une conversation, un midi
d'Hestejada 2013. Cette thèse que le discours se réalise
dans l'interprétation des récepteurs est développée
par Torres Vitolas, notamment avec les notions de faire
interprétatif et de communautés
interprétatives. TORRES VITOLAS Miguel Angel, Approche
sémio-pragmatiue de pratiques nées de la réception
médiatique, Université Toulouse 2 Le Mirail, Toulouse, 2011,
p.18 et pp.22-24.
70 PRAT Reine, op.cit., 2006.
71 PRAT Reine, Arts du spectacle. Pour
l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de
responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production,
aux réseaux de diffusion, à la visibilité
médiatique. 2 De l'interdit à l'empêchement, mission
pour l'égalité h/f dans les arts du spectacle, 2009.
72 SACD, Où sont les femmes ? Saison
2014/2015, s.l., 2014. Avec comme sources l'étude OSLF saison
20142015, le CSA et la SACD.
73 OBSERVATOIRE DE L'EGALITE HOMMES-FEMMES DANS LA
CULTURE ET LA COMMUNICATION, Ressources - Égalité entre
femmes et hommes [en ligne], Ministère de la Culture et de la
Communication, 2013, [
http://www.
culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Egalite-entre-femmes-et-hommes/Ressources],
consulté le 19 novembre 2014.
74 SARDEING Annick, Etude sur la
présence des femmes artistes pour la saison 2012-2013 dans les
structures subventionnées par le ministère de la culture et de la
communication / musique, théâtre, danse, arts du cirque et de la
rue / Premiers éléments pour la saison 2013-2014, Paris,
Ministère de la Culture et de la Communication, 2013.
22
d'observer la répartition des tâches techniques
et organisationnelles entre hommes et femmes, mais aussi le niveau de
reconnaissance professionnelle ou du moins de salarisation. Les tableaux sont
donc tridimensionnels : une dimension temporelle -peu importante mais pratique,
une dimension horizontale qui a pour but d'observer les répartitions par
discipline et une dimension verticale qui a pour but de valoriser certaines
représentations par rapport à d'autres en fonction de leur
visibilité. Quelques précisions sur le comptage : les programmes
d'Uzeste Musical ne précisent pas toujours la discipline
dominante d'une représentation. Ayant été présente
sur ces éditions, et en interrogeant des acteurs de la structure si un
doute persistait, j'ai pu choisir de catégoriser telle ou telle
performance dans telle ou telle discipline voire de diviser le compte dans
plusieurs disciplines. Pour exemple, les solis-solos de Louis Lubat,
Jules Rousseau ou Fabrice Vieira qui ont une théâtralité
combinée avec un jeu musical ont pu être classés dans le
genre théâtral et musical. Ainsi, ces trois artistes se trouvent
comptés en théâtre ou/et en musique selon les propositions
faites. Cela signifie que je ne cherche pas à catégoriser les
artistes mais à faire ressortir les sexes qui interprètent tel ou
tel art. Ensuite, un spectacle joué deux fois est compté deux
fois. Par exemple, Martine Amanieu qui a fait deux fois la lecture de
Rimbaud mon frère en 2014 est comptée deux fois en
théâtre. Le choix de compter par représentation et non par
artiste suit l'idée initiale de quantifier, par sexe, les
représentations et non pas la professionnalisation. De plus, les
chiffres nationaux de Reine Prat et de la SACD sont comptés de cette
manière. Il n'y a donc pas 472 hommes en représentation à
Uzeste en 2013, mais 472 présences d'hommes sur l'ensemble des
représentations de l'été 2013. A l'inverse, pour le
comptage des équipes technique et organisatrice, il s'agit d'un compte
sur l'ensemble de la durée du festival puisqu'il s'agit de comprendre la
répartition des tâches. La hiérarchisation qui peut
être faite entre les visibilités des représentations
(lecture verticale du tableau), s'explique par la présence lors du
festival d'une grande scène, où les spectacles se jouent le soir,
avec donc un public supposé par les programmateurs?trices plus nombreux.
Pour le tableau des équipes internes, cette verticalité est
professionnelle, avec une distinction entre les personnes salariées ou
non.
Un premier temps se dialoguera donc entre les états des
ségrégations verticales de genre dans le secteur culturel
français et à Uzeste. En parallèle du constat quantitatif
des ségrégations, nous chercherons dans l'histoire et les mythes
de l'art, les processus de la construction du genre dans la production
artistique. Je rejoindrais la thèse de Geneviève qui pense qu'il
faut historiciser la pensée, politiser les recherches et les conceptions
de genre. Ceci, pour que les concepts puissent évoluer dans le temps et
sortir d'une intemporalité qui fait vérité,
autorité, essentiel. Déconstruire la valeur des vieux
modèles, permet d'en construire de nouveaux. La
23
ségrégation horizontale sera traitée en
suivant, dans la même logique d'historicisation. Enfin, la programmation
de l'Hestejada étant particulièrement dépendante
du vivier du jazz -en raison de l'affinité particulière de
l'équipe pour cette musique-, je propose aux lecteurs et lectrices
d'observer plus précisément les situations genrés dans cet
art.
1.1. SEGREGATION VERTICALE, UN SECTEUR AU
MASCULIN
En 2012, les chiffres des caisses sociales indiquaient :
Parmi les 215 163 salariés : 52 % ont exercé en
tant qu'artistes interprètes, 39 % ont exercé en tant que
techniciens et personnels administratifs (non cadres), 9 % ont exercé en
tant qu'artistes, techniciens ou personnels administratifs (cadres).
Et surtout : « 62,4 % sont des hommes 75
». Donc, au premier abord, le secteur culturel semble plutôt
paritaire.
Cependant le rapport de Reine Prat de 2006, qui interroge
l'accès des femmes aux postes de responsabilités dans ce secteur,
montre un paysage avec beaucoup plus de relief qui, hélas,
témoigne de profondes inégalités hommes/femmes :
Qui dirige les institutions ? Ce sont des hommes qui dirigent
:
-92% de théâtres consacrés à la
création dramatique.
-89% des institutions musicales.
-86% des établissements d'enseignement.
-78% des établissements à vocation
pluridisciplinaires.
-71% des centres de ressources.
-59% des centres chorégraphiques nationaux.
Qui a la maîtrise de la représentation ?
- 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont
été composées par des hommes.
- 94% des orchestres programmés sont dirigés par
des hommes.
- 85% des textes que nous entendons ont été
écrits par des hommes.
- 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en
scène par des hommes.
- 57% ont été chorégraphiés par un
homme.
Qui dispose des moyens financiers ?
-En 2003, la moyenne des subventions attribuées aux
scènes nationales par l'ensemble de leurs partenaires
était de 2 096 319€.
-Quand elles étaient dirigées par un homme, cette
moyenne s'élevait à 2 347 488€.
75 CPNEFSV (Commission Paritaire Nationale Emploi
Formation Spectacle Vivant), « Chiffres clés » [en ligne],
Données statistiques, [
http://www.cpnefsv.org/donnees-statistiques/chiffres-cles],
consulté le 10/05/2015. La commission se base sur les chiffres du groupe
Audiens et de l'Afdas, caisses sociales qui collectent les cotisations des
employés du spectacle vivant (CDDU, CDD et CDI confondus).
24
-Quand elles étaient dirigées par une femme, la
moyenne des subventions perçues était de 1 764 349€
76.
Plus récemment, la société des auteurs et
compositeurs dramatique (SACD) nous donne, sur la saison 2014/15, quasiment les
mêmes chiffres : 1% de compositrices, 4% de cheffes d'orchestre, 5% de
librettistes, 17% de réalisatrices, 21% de solistes instrumentistes, 24%
d'auteures de théâtre, 28% de metteuses en scène et 35% de
chorégraphes. Augmentation dans certains cas, diminution dans d'autres,
la parité* est loin d'être acquise.
Dans les chiffres précédents nous pouvons
observer la position de force des hommes dans le secteur culturel puisqu'ils
sont surreprésentés dans les directions artistiques et
administratives de tous les arts vivants77. Il faut en effet noter
que ces chiffres ne sont comptés qu'à partir des
théâtres nationaux, centres dramatiques, pôles nationaux en
cirque ou arts de la rue, orchestres et opéras. Contrairement aux
théâtres indépendants, scènes de musiques actuelles
etc., ces organismes publics se doivent de répondre aux enquêtes
de l'Etat78. Uzeste Musical est un organisme privé,
subventionné par l'aide triennale de la Direction des Affaires
Culturelles (DRAC) d'Aquitaine. Cette aide, entre autres, lui permet de ne pas
être dans une réflexion uniquement économique du festival.
Pour accepter que la comparaison soit possible entre les chiffres des
directions artistiques des structures culturelles nationales et les chiffres
d'Uzeste Musical, il faut comprendre que la quasi-totalité des
spectacles de l'Hestejada de las arts sont dirigés par ceux qui
les interprètent, à deux exceptions près : HAGATI YACU
/ Entre Nous, spectacle de théâtre d'Uz &
Coutumes, dirigé par deux femmes, et joué quatre fois en
2013 (pour ce même spectacle, une femme et un homme ont travaillé
l'écriture et sont compté?es en «
littérature/poésie », un musicien est compté en
« musique » et deux danseuses sont comptées en « danse
»). Lorsqu'en 2014, Bernard Lubat a dirigé un gros ensemble de
musiciens invités à improviser durant quelques minutes, ceux-ci
étaient libres de leurs propositions. La direction d'interprètes
étant exceptionnelle, il a semblé plus pertinent de
considérer l'ensemble des artistes du festival comme responsables de
leurs choix artistiques79.
Ainsi, les pourcentages au sein des disciplines sont, dans
l'ensemble, plus paritaires que les résultats nationaux : 91% au lieu de
97% de la création musicale faite par des hommes, 53% au lieu de 85% des
textes écrits par des hommes, 58% au lieu de 78% de mise en scène
par des
76 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.9. Les
chiffres ont changé depuis mais les tendances restent les mêmes et
ce rapport reste le plus précis.
77 D'autres chercheur?ses démontrent le
difficile accès des femmes dans les « musiques populaires »
(Buscatto, Ortiz, Whiteley), dans la musique classique (Ravet, Graber, Goldin
et Rouse), dans les arts plastiques (Lang, Pasquier, Trasforini), dans la danse
(Faure, Sorignet) ou encore dans la littérature (Naudier).
78 L'annexe 1 de l'étude de Sardeing montre
que les scènes de musiques actuelles n'ont pas répondu par
exemple. SARDEING Annick, op.cit, Annexe 1.
79 Quantification des représentations
hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014, Annexe
1.1.1.
25
hommes, 20% au lieu de 57% de chorégraphies faites par
des hommes et 37% au lieu de 17% de femmes réalisatrices. Cependant, sur
l'ensemble des deux festivals, la dominance de la musique sur les autres arts
montent le nombre de représentations masculines à 78% alors que
l'INSEE compte 36% de femmes artistes en 200980, soit 64% d'hommes.
Globalement, le festival d'Uzeste est plus masculin que le secteur artistique
en général, malgré sa répartition plus
égalitaire au sein des disciplines.
Reine Prat reconnaît cinq « seuils
d'élimination » au cours d'un parcours professionnel :
- les enseignements artistiques, les formations aux
métiers de la culture, l'insertion professionnelle,
- les relations de travail au sein des entreprises,
- l'exercice des responsabilités et la prise de
décision,
- l'accès aux moyens de production, aux réseaux de
diffusion, à la visibilité médiatique,
- les représentations artistiques81.
Les activités artistiques sont majoritairement
considérées comme féminines, avec une majorité de
femmes en amateur (34% des femmes et 32% des hommes ont une activité
artistique en amateur82) surtout en écriture,
théâtre, danse, chant et dessin. Il devrait donc logiquement y
avoir 50%, voire plus, de femmes artistes professionnelles et de directrices
artistiques. Pourtant, la gente féminine est écumée au fur
et à mesure des échelons avec seulement 36% de professionnelles,
et 20% de directrices ou co-directrices d'institutions83.
1.1.1. ILLEGITIMES A L'AMBITION
J'ajouterais un échelon précédant
à ceux énoncés par Reine Prat : l'échelon
symbolique de la légitimité. Cette notion
réapparaîtra plusieurs fois dans ce mémoire. Le besoin de
se sentir légitimes pour prétendre à un statut est un vrai
plafond de verre* pour les femmes, auxquelles on a plus inculqué
l'attente de la reconnaissance pour proposer leur candidature. Nous verrons
plus tard comment l'histoire, le mythe de l'artiste et les
représentations de femmes trop peu nombreuses ou
dévalorisées dans les divers arts participent au sentiment de
non-légitimité des femmes à être artistes
professionnelles. Cette illégitimité supposée
élimine certainement déjà
80 Insee, recensements de la population de 1990 et
2009 : GOUYON Marie et Frédérique PATUREAU, Les métiers
artistiques : des conditions d'emploi spécifiques, des disparités
de revenus marquées [en ligne], Insee, 2013 [
http://www.insee.fr/fr/ffc/
docs_ffc/FPORSOC13j_D4_artistiques.pdf], consulté le 10 mai 2015,
p.143-163.
81 PRAT Reine, op.cit., 2009, p.24.
82 DONNAT Olivier, « La féminisation
des pratiques culturelles », Bulletin du département des
études, de la prospective et des statistiques, Ministère
Délégation au développement et aux affaires
internationales Département des études, de la prospective et des
statistiques, juin 2015, n? 147, p. 8.
83 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.38.
26
de manière inégalitaire une proportion plus
importante de femmes que d'hommes. Hyacinthe Ravet, par exemple, observe
comment les mêmes compétences en école de musique classique
n'amènent pas aux mêmes ambitions selon le sexe des
élèves :
Malgré leur précocité plus grande, les
filles voient leurs ambitions freinées, et canalisées vers le
professorat, alors que les garçons veulent réussir comme
instrumentistes, voire comme solistes, ou bien renoncent à tout projet
professionnel. L'école "homogénéise" ainsi sa population
féminine autour d'une ambition moyenne traditionnellement vouée
aux femmes, et elle scinde au contraire en deux groupes très
inégaux les garçons, placés au conservatoire exactement
comme à l'école dans une compétition sévère
pour la réussite scolaire84.
La remarque du modèle traditionnel ancre cette
observation actuelle dans une construction du genre extrêmement
inégale et historique où un domaine du
care85, l'enseignement artistique, est insufflé aux
petites filles, alors que les petits garçons ambitionnent l'excellence
ou se confrontent à l'échec. Les clichés
répétés du care féminin et du
génie masculin font alors modèle, reconstruisant en
permanence un paysage professionnel genré.
1.1.2. L'ENTREE DANS LES ECOLES SUPERIEURES ET
L'INSERTION PROFESSIONNELLE
Alors qu'aucun quotas en programmation n'est appliqué
par crainte de valoriser des incompétentes aux dépends d'hommes
plus qualifiés, d'autres quotas s'appliquent sans résistance...
au bénéfice des garçons. Le Conservatoire national
supérieur d'art dramatique (CNSAD) reçoit exactement le
même nombre de garçons que de filles, alors qu'elles
représentent les 2/3 des candidates86. L'argument
évoqué est le fait que la majorité des rôles de
théâtre sont masculins. Limiter la formation des femmes serait
limiter la saturation du marché, et par là même, le
chômage des comédiennes. Ainsi, le CNSAD préfère
réduire l'accès des femmes à un diplôme
professionnel plutôt que de remettre en question le répertoire
androcentré dramatique français. Les mêmes raisons,
même si elles ne sont pas clairement énoncées, poussent des
écoles de danse à recruter des danseurs sur leur potentiel et des
danseuses sur leur acquis. Nous sommes face à un exemple flagrant de
double standard*, où le niveau d'exigence diverge d'un sexe
à l'autre, éliminant une part du vivier de femmes artistes
potentielles.
84 Cité par RAVET Hyacinthe, «
Féminin et Masculin en musique, dynamiques identitaires et rapports de
pouvoir », GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès
des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création,
interprétation, les musiciennes dans la
sociétéì contemporaine, Paris, Harmattan,
coll. « Univers musical », 2005, p.234.
85 « Care » est un terme qui désigne des
activités nécessaires au bon fonctionnement d'une
société comme le soin, la puériculture, l'enseignement,
etc. Ces tâches étaient traditionnellement
considérées comme relevant de qualités naturelles
féminines. Aujourd'hui, notamment grâce à la notion de
genre comme construit social, ces activités sont de plus en plus
valorisées comme des compétences, pouvant être acquises par
tout individu.
86 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.29.
27
Lors de l'insertion professionnelle, la
prépondérance des rôles masculins par rapport à la
proportion de candidats joue en faveur des comédiens et danseurs.
D'après Aurore Evain, la tendance actuelle du réalisme dans le
jeu théâtral -renforcée par le cinéma-, fait tendre
les masques vers des visages87. Cette mode force l'adéquation
des caractéristiques physiques -dont le sexe- entre comédien?nes
et personnages.
En musique, l'utilisation du paravent pour les auditions de
certaines écoles, facultés et même de certains orchestres
-malgré des « polémiques récurrentes »-,
augmente légèrement la proportion de femmes et
d'étranger?es admis?es dans ces institutions88. Il y a donc,
même en musique, un frein pour les femmes, en dehors de leurs
compétences.
1.1.3. VIVRE DE SON ART, RESTER
PROFESSIONNELLE
Pour celles qui deviennent artistes professionnelles, l'enjeu
est le rester à long terme. Les comédiennes et danseuses, qui,
par les rôles féminins du répertoire, ont une
carrière plus dépendantes de leur beauté physique que
leurs homologues masculins, sont défavorisées avec l'âge :
« 25% des comédiennes ont moins de 30 ans contre 17% des
comédiens seulement89 ». Nous pouvons observer ici
comment le modèle androcentré et
hétérocentré exige une plus forte prise en compte des
critères de beauté pour les femmes.
Dans son article « Tenter, rentrer, rester : les trois
défis des femmes instrumentistes de jazz », Marie Buscatto rend
compte de parcours chaotiques aux débuts des musiciens de jazz, mais qui
tendent à se stabiliser dans le temps. A l'inverse, ceux des femmes se
fragilisent à long terme. Elles ne réussissent que très
peu à vivre du jazz de manière principale. La chercheuse attribue
cette faiblesse professionnelle à la difficulté de rester dans un
réseau de musiciens de jazz qui se font jouer les uns les autres. Entre
« bagarre » et séduction, la relation d'entre « potes
» de ces réseaux complexifie les relations hommes/femmes, et en
l'occurrence « hommes/femme90 ». Si une absence
prolongée peut autant faire disparaître des réseaux les
hommes que les femmes, les facteurs d'absentéisme sont plus important
pour ces dernières, car
87 EVAIN Aurore, citée par DUPUIS Sylviane,
« Ecrire pour le théâtre au féminin:
l'héritage/l'écart » in FIDECARO Agnese et Stéphanie
LACHAT (dir.), Profession: créatrice: la place des femmes dans le
champ artistique: actes du colloque de l'Université de
Genève, 18 et 19 juin 2004, Lausanne, Antipodes, 2007, p.202.
88 HENNION Antoine, Françoise MARTINAT,
Jean-Pierre VIGNOLLE, Enquête sur les élèves et anciens
élèves des écoles de musiques contrôlées par
l'Etat, Paris, ministère de la culture, 1982, p.263, cité?es
par RAVET Hyacinthe, « Féminin et Masculin en musique, dynamiques
identitaires et rapports de pouvoir », art.cit.., p.240.
89 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.17.
90 Plus de précision en 1.4. Focus sur le
jazz.
28
peu sollicitée, en congés maternité,
etc91. Pasquier et Ravet expriment aussi dilemme entre vie familiale
et vie professionnelle qui ne se poserait pas de cette manière si la
répartition des tâches domestiques était
équitable92:
La difficulté de certaines femmes artistes à
envisager ou à vivre l'articulation entre une vie professionnelle
très prenante et une vie personnelle -dont elles gardent la charge
principale- les éloignerait d'une carrière artistique au profit
de l'enseignement 93 .
Et ainsi, nous arrivons au chiffre de seulement 8% de femmes
musiciennes de jazz94, et
plus généralement, de 36% de femmes artistes. Le
plafond de verre se fait sentir dans l'insertion professionnelle, mais
aussi dans la durée. Mais c'est sur les postes à
responsabilité que les écarts
sont les plus spectaculaires.
1.1.4. LE PLAFOND DE VERRE : LE DIFFICILE ACCES AUX
POSTES A RESPONSABILITES
Sur la saison 2014/2015, la SACD observe :
0% des Théâtres Nationaux sont dirigés par
une femme.
14% des Centres Chorégraphiques Nationaux sont
dirigés ou co-dirigés par une femme.
28% des Centres Dramatiques Nationaux et Régionaux sont
dirigés ou co-dirigés par une femme
15% des Maisons d'Opéra sont dirigés par une
femme95.
Pour donner le cadre général du secteur
culturel, nous avons déjà observé les chiffres de 2006 de
la répartition des directions artistiques institutionnelles. Pour tous
les arts, les directions étaient à plus de 70% tenues par des
hommes, et ce constat perdure (les centres chorégraphiques nationaux
faisaient exception en 2006 avec 59% de directeurs, mais ce n'est plus le cas
aujourd'hui). Cette reproduction du modèle patriarcal* se
perpétue par habitude, renforcée par les représentations
symboliques de genres avec un masculin leader et un féminin
illégitime aux positions de pouvoir.
91 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester:
les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », Travail,
genre et sociétés, 2008, n°19, p. 97.
92 « En moyenne, les femmes consacrent quatre heures par
jour aux tâches domestiques, contre un peu plus de deux heures pour les
hommes. » cité depuis l'OBSERVATOIRE des INEGALITES, « La
répartition des tâches domestiques » [en ligne], 5 mars 2012,
[
http://www.inegalites.fr/spip.php?article245],
consulté le 20 mai 2015.
93 PASQUIER Dominique, « Carrière de
femmes : l'art et la manière », Sociologie du travail,
n°25, 1983, pp.418-431, et RAVET Hyacinthe, « Professionnalisation
féminine et féminisation d'une profession : les artistes
interprètes de musique », Travail genre et sociétés,
n°9, 2003, pp.173-195, citées par BUSCATTO Marie, « Tenter,
rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz
», art.cit., p.88.
94 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les
trois défis des femmes instrumentistes de jazz »,
art.cit., p. 88.
95 SACD, Où sont les femmes ? Saison
2014/2015, op.cit., 4ème de couverture.
29
Comme le vivier de l'ensemble des artistes, celui des
candidates aux postes de direction est amputé du nombre important des
femmes qualifiées qui ne se sentent pas
légitimes96.
Si elles se considèrent assez légitimes au poste
pour candidater, faut-il encore qu'elles soient considérées de
même par le jury. Prat, dans son rapport de 2006, cherche à faire
ressortir les différentes réticences qui peuvent parfois
être « difficiles à formuler ». Elle repère ainsi
la recherche presque inconsciente de « candidatures censées
reproduire à l'identique la situation précédente
»97 :
En effet, penser que les directions, a fortiori celles de gros
équipements, puissent être pourvues par des personnes que ne
ressemblent pas à ceux qu'on a l'habitude de voir occuper ces fonctions
demande un véritable effort d'imagination et la mobilisation de nouveaux
systèmes de pensée98.
S'ajoute au reflexe de reproduction du schéma
précédent, l'habitude de « l'entre soi » : « ne
faudra-t-il pas se comporter de manière particulière avec une
interlocutrice alors qu'on a toujours eu un interlocuteur99 ?».
J'ajouterais que supposer qu'il faille un comportement différent selon
le sexe, si l'on n'aborde pas ce sujet avec une envie d'égalité,
produit nécessairement des comportements différenciés
renforçant la construction du genre et bien souvent la domination
masculine par performativité.
Au-delà de la reproduction d'un schéma
professionnel par habitude, se trouvent plus profondément ancrées
les représentations symboliques du féminin et du masculin. Prat
relève des caractéristiques attendues chez un?e dirigeant?e, qui
peuvent être considérées comme positive chez un homme mais
négative chez une femme. Pour exemple, un fort tempérament est
considéré comme une force conjuguée au masculin, mais
plutôt comme un signe avant-coureur de conflits chez une femme. Ou, bien
plus pernicieux, le charisme sera perçu comme tel chez un homme -et donc
source de pouvoir selon Weber100, mais sera facilement
interprété comme du charme chez une femme, avec toutes les
craintes de séduction cachées derrière ce mot. Il y a donc
un phénomène de double-standard, où la même
action ne sera pas jugée de la même manière selon le sexe
de l'actant?e.
96 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.23. De
plus, le même phénomène est observé dans le rapport
sur l'égalité professionnelle homme/femme dans la fonction
publique de 2011 et se repère aussi dans le monde de l'entreprise.
GUEGOT Françoise, L'Egalité professionnelle hommes/femmes
dans la fonction publique, rapport au président de la République
[en ligne], Assemblée Nationale, janvier 2011, [
http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/egalite_homme_femme_fonction_
publique_guegot.pdf], consulté le 20 mai 2015, p.13.
97 Ibid.
98 Ibid.
99 Ibid. p.11.
100 Weber Max, Économie et société,
tome. I : Les catégories de la sociologie (1921), Plon., Paris,
coll. « Agora », 1971.
30
Enfin, si en 2009 nous pouvions observer une augmentation du
nombre de femmes à la direction des centres dramatiques (les hommes
restent à 84%), leur capacité de leadeuses sont loin d'être
reconnue puisqu'elles sont souvent en co-direction avec un homme, et elles
occupent 50% des postes de second?es 101 . Au sein même de
l'étage des directions d'institutions artistiques, les
inégalités se forment, moins visibles mais bien
réelles.
Uzeste Musical n'échappe pas à la
tendance nationale puisque la structure est dirigée par un directeur.
Cependant, à la différence des institutions sur lesquelles se
portent les recherches citées, Bernard Lubat n'est pas nommé. Il
est fondateur de la structure et s'est construit son poste. Il n'est donc pas
question ici de plafond de verre qui empêche l'ascension de
femmes. Nous pouvons d'ailleurs voir, que lorsque l'on s'éloigne des
institutions pour observer les compagnies, les femmes représentent
« 31% des artistes qui ont créé et dirigent une compagnie
chorégraphique ou dramatique, un ensemble musical et vocal102
», ce qui est très proche du chiffre des 36% d'artistes femmes au
niveau national. Mais là encore, entre les compagnies, «
l'accès aux moyens de production, aux réseaux de diffusion,
à la visibilité médiatique » semble
disparate103.
1.1.5. LA VISIBILITE, HIERARCHIE DES
REPRESENTATIONS
Il y a les scènes nationales et les salles municipales,
le Zénith avec ou sans balcon, le hall d'entrée pour les
apéros-concerts et la salle de spectacle derrière la porte.
Toutes salles de spectacle ne possède pas la même
visibilité ni le même rayonnement, et elles ont souvent des moyens
internes d'adapter l'audience selon le spectacle. Plus une salle est grande,
plus elle représente de frais. Le risque économique renforce la
ségrégation verticale* des représentations puisque, dans
le vivier des artistes potentiel?les des « grosses scènes »,
les programmateurs s'assurent une recette nécessaire en optant pour des
artistes reconnu?es et donc majoritairement masculins104.
Pour l'été, l'organisation du festival d'Uzeste
cherche un lieu qui puisse accueillir plus de monde que le petit
Théâtre Amusicien. En 2013 il y a eu un grand chapiteau, et en
2014 une longue salle des fêtes voisine fût prêtée.
Les représentations dans ces lieux sont les soirs, où l'affluence
est potentiellement plus grande. Ces spectacles avec une visibilité plus
grande que
101 PRAT Reine, op.cit., 2009, p.21.
102 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.38.
103 PRAT Reine, op.cit, 2006.
104 La question de la reconnaissance de l'artiste sera
soulevée au travers de la construction historique du « mythe de
l'artiste » en 1.2.2. Mythologie contemporaine ; l'Artiste.
31
les autres sont différenciés dans le tableau de
quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des
représentations artistiques des Hestejadas de las arts 201314,
par discipline et visibilité105. Le choix d'une petite jauge
peut être artistique : Claude Régy, installé dans le petit
théâtre du TNT pour son spectacle La Barque en novembre
2012, aurait pu avoir un plus grand public, mais le silence nécessaire
à la dimension intemporelle de la représentation en eut
été ruiné. Il ne faut donc pas perdre de vue que certains
spectacles comptés auraient pâti d'une représentation dans
les conditions d'« importante visibilité » de
l'Hestejada. Cependant, pour la survie de la structure, les choix des
heures et lieux de programmation répondent aussi à des
critères économiques. Les spectacles qui ont lieu le soir sur la
grosse scène sont, d'après le directeur, « soit un concept,
soit une tête d'affiche ». Les « concepts » sont des
thèmes qui vont permettre d'inviter plusieurs artistes pouvant s'y
rattacher, par exemple La Nuit du souffle avec un grand nombre de
saxophonistes, trompettistes et autres cuivres, ou encore Sous les mots
dits à l'ouïe qui alterne des fabriquant?es de mots et de
notes. De mon observation, « têtes d'affiches » et «
concepts » sont mêlés. Les premières (r)assurent un
public et les derniers permettent de prendre le risque d'insérer des
inconnu?es sur cette scène. Mais au final, les hommes capitalisent 87%
des représentations à grande visibilité sur Uzeste. Dans
chaque discipline ils dominent la représentation. (La pyrotechnie fait
exception avec une parfaite égalité, car j'ai fait le choix, en
continuant la démarche de travailler sur les représentations, de
ne compter que ceux?celles que l'on voit, c'est-à-dire qui sont
écrit?es dans les programmes. Les autres étant invisibles durant
les feux, tapi?es dans l'obscurité. Margot Auzier, artificière
d'une vingtaine d'années fait exception dans le paysage national
très masculin des artificier?es. Mais à Uzeste elle
représente grandement cet art, le rendant plus paritaire que le
théâtre.) L'ensemble du nombre de femmes
représentées régresse en passant de la «
visibilité moindre » à la « visibilité
importante », de 24% à 13%. Seul le nombre de femmes
conférencières augmente avec la visibilité, de 16%
à 25%106, restant tout de même largement minoritaire.
Il y a donc une élimination des femmes par seuil. L'ampleur de cette
baisse est en partie due à la prédominance de la musique sur ces
soirées, domaine où elles sont très largement
minoritaires. Cependant, au sein des disciplines, le pourcentage de
représentations de femmes réduit alors que la visibilité
augmente. Dans tous ces domaines, au regard des programmes, j'attribue ce seuil
d'élimination à la reconnaissance extérieure des artistes.
Hamid Ben Mahi, Richard Bohringer, Michel Portal, Archie Shepp, Gilles Defacque
ou encore Emile Parisien
105 Annexe 1.1.1.1.
106 Le chiffre conférencières est d'ailleurs
grossi par les conférences/débats proposé?es par Lydie
Delmas qui travaille pour le droit des femmes via la CGT Gironde.
32
sont sur la grosse scène parce que leur valeur est
sûre : la valeur marchande de ramener du public, et la valeur artistique
révélée au fur et à mesure que les échelons
sont gravis.
Aux doubles échelles nationale et uzestoise, la
même ségrégation verticale réduit la
représentation artistique des femmes. Avant même d'être
artiste, l'accès à la profession est complexifié :
auto-élimination, double-standard à leurs dépens
pour entrer dans les écoles et dans les réseaux professionnels.
Puis le défi de devenir artiste se mue en rester artiste. Elles
accumulent les difficultés : celle d'associer vie professionnelle et vie
familiale et celle d'être reconnues comme leadeuses sur
scène et au sein d'une équipe. Ces difficultés ne sont pas
naturelles mais construites socialement.
1.2. CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ET MYTHIQUES DU GENRE EN
ART
Pour Geneviève Fraisse, « l'historicité des
sexes, comme devenir et comme imprévu, prévaudra sur
l'argumentaire d'une évidente atemporalité du rapport entre les
sexes107 ». Tous les rapports de force entre les sexes et les
genres sont issus de l'histoire. Toujours sous des arguments dits «
biologiques », un « oui » devient un « non » au
siècle suivant. Les études féministes en histoire des arts
présentent deux bénéfices : des femmes exclues ou
oubliées de l'histoire sont redécouvertes, ce travail ouvre une
porte vers une représentation historique plus paritaire, l'autre
intérêt est de questionner les canons culturels. Selon Griselda
Pollock, historienne de l'art, le canon est ce qui fait patrimoine,
donc histoire, mais c'est aussi et surtout, ce qui fait valeur108.
Pour elle, le canon de la culture d'élite « joue un rôle
essentiel dans la reproduction de l'oppression des femmes, dans la circulation
des valeurs et des modèles qui façonnent aujourd'hui la
construction idéologique de la masculinité et de la
féminité109. » Elle donne donc une
responsabilité aux arts dans la construction du genre. Pour
défendre cette thèse, elle analyse les canons artistiques comme
fruit d'une production contextualisée, et d'une histoire de l'art
subjective. Elle démontre comment la domination masculine sociale se
reproduit dans les oeuvres, mais aussi dans la manière dont elles sont
produites et de ce qu'on en retient dans l'histoire. Historiciser l'art devient
dès lors une nécessité pour déconstruire les
107 FRAISSE Geneviève, Les excès du genre:
concept, image, nudité, op.cit., p.21.
108 POLLOCK Griselda, « Des canons et des guerres
culturelles », Cahiers du Genre, 2007, vol. 43, no 2,
pp. 45-69.
109 POLLOCK Griselda, Vision and Difference: Femininity,
Feminism and the Histories of Art (1988), London, Routledg, 2003, p. 23,
citée par DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, « Esquisse
d'une épistémologie de la théorisation féministe en
art », Cahiers du Genre, 2007, vol. 43, n° 2, p. 28.
33
clichés qui semblent éternels, et
redéfinir la valeur des productions. C'est un pas vers un canon
égalitaire, ou une multitude de canons.
1.2.1. L'ABSENCE DES FEMMES DANS L'HISTOIRE DE
L'ART
Le problème n'est donc pas tant l'absence réelle
et totale des femmes dans le domaine théâtral que leur
marginalisation, leur effacement progressif des mémoires (y compris si
elles ont connu un certain succès à leur époque) et
l'absence de reconnaissance critique dont elles ont été longtemps
victimes110.
L'absence des femmes dans l'histoire des arts voire dans
l'histoire en général contribue à la
ségrégation verticale. Le fait de nous identifier dans un genre,
peut nous amener à nous identifier dans des personnes du même
genre et surtout, par exemplarité, à ne pas convoiter des postes
où notre genre n'est pas représenté. Equilibrer les genres
des modèles peut permettre, par mimétisme, de
rééquilibrer les légitimités de chacun?e à
être directeur?trice, être danseur?se, être instrumentiste...
Mais l'histoire n'est pas neutre dans ce travail de transmission des
modèles. La plupart des ouvrages d'histoire qui ne sont pas
classés dans les étagères étiquetées «
féminisme » omet d'expliquer pourquoi les femmes étaient
moins présentes dans l'espace public que les hommes. De plus, les
historien?nes ont participé à l'oubli des quelques exceptions.
1.2.1.1. L'exclusion des institutions et
réseaux
Dans la France de l'Ancien Régime, parallèlement
à la présence de plasticiennes à l'Académie royale
de peinture et de sculpture, des chanteuses, des femmes instrumentistes et des
danseuses se produisent à la cour du roi. Des cantatrices et des
danseuses engagées à l'Opéra (l'Académie royale de
musique), créé en 1669, atteignent à une grande
notoriété ; trois compositrices ont accès à cette
scène avant la Révolution. La Comédie Française,
fondée en 1680, comprend dès ses débuts des
comédiennes qui partagent les recettes de manière
égalitaire avec les comédiens et une quinzaine d'auteures y sont
interprétées jusqu'en 1789111.
La Révolution Française, tant
récitée comme un exploit du peuple contre un pouvoir tyrannique
dans nos livres d'histoire, s'est avérée être un des reculs
majeurs pour le droit des femmes. S'il est raconté que les réels
gagnants de la Révolution sont les bourgeois et non pas le
tiers-état, il est moins dit que les réels « gagnants »
sont les hommes de la bourgeoisie. La pensée démocratique
prétend un droit universel de libre-arbitre. Le droit de choisir, la
démocratie donc, passe aussi par le droit de créer. Mais les
femmes font-elles partie de
110 PLANA Muriel, Théâtre et féminin:
identité, sexualité, politique, Dijon, Eìd.
universitaires de Dijon, 2012, note 3, p.16.
111 LAUNAY Florence, « Les musiciennes: de la
pionnière adulée à la concurrente redoutée, Bref
historique d'une longue professionnalisation », Travail, genre et
sociétés, 2008, vol. 19, no 1, p. 41.
34
« l'universel » ? Avec les urnes, se ferment les
portes des institutions d'art. Séverine Sofio écrit à ce
propos :
Après 1789, alors que l'on s'apprête à
réformer en profondeur les institutions du monde de l'art, la
polémique prend une nouvelle dimension : doit-on offrir les mêmes
conditions de formation et de travail à tous les artistes et, par
conséquent, reconnaître aussi aux femmes le statut d'artistes
à part entière ; ou doit-on opter pour un système
concurrentiel, où la liberté seule détermine le droit de
créer -- une liberté dont ne disposent pas les femmes, soumises
à l'appel de la `vocation domestique', antithèse et
complément d'une vocation artistique par essence masculine ? Le
débat se clôt finalement par l'exclusion tacite des femmes des
instances officielles de formation (l'École des beaux-arts) et de
reconnaissance artistiques (l'Institut) selon un processus qui n'est pas sans
rappeler leur exclusion, au même moment, de la
citoyenneté112.
Décrétées illégitimes à la
création, les femmes sont exclues des associations d'artistes qui
mutualisent les commandes ou les ateliers113. Elles sont hors des
réseaux de professionnels, rendant quasiment impossible leur propre
professionnalisation.
Une anecdote démontre bien le paradoxe entre une
légitimité prouvée par des femmes et une
illégitimité imposée par le paradigme, en l'occurrence, du
19ème siècle. Vers la fin de celui-ci, les classes
d'instruments à cordes étaient mixtes et le nombre de
lauréates augmentait régulièrement. En 1904, le
ministère et le Conservatoire limitèrent à quatre le
nombre de femmes dans ces cours. « Il semblait scandaleux que des
étudiantes qui ne pouvaient envisager de carrière à
l'orchestre prennent la place d'étudiants pour lesquels les
études devaient déboucher sur une activité de musicien
d'orchestre » précise Launay114. Cette mesure est
protectionniste, montrant à quel point les femmes peuvent être
considérées comme concurrentes, comme
Autres115.
C'est avec le 20ème siècle que l'on
observe les premiers contre-pouvoirs de femmes artistes. Les recherches sur les
apports du féminisme aux arts sont encore rares. Comme Muriel Plana
l'observe pour le mouvement queer116, la plupart des
écrits scientifiques sur le sujet touchent les arts picturaux, le
cinéma et la littérature, laissant les arts de la scène
dans une étrange obscurité. L'article « Esquisse d'une
épistémologie de la théorisation féministe en art
» permet un retour rapide sur les histoires mêlées du
féminisme et de l'art pictural. En France, pour les arts picturaux
l'Union de femmes peintres et sculpteurs (UFPS) est née tôt, en
1881.
112 SOFIO Séverine, « La vocation comme
subversion: Artistes femmes et anti-académisme dans la France
révolutionnaire », Actes de la recherche en sciences
sociales, 2007, vol. 168, no 3, p. 34.
113 TRASFORINI Maria Antonietta, « Du génie au
talent: quel genre pour l'artiste? », Cahiers du Genre, 2007,
vol. 43, n° 2, p. 121.
114 LAUNAY Florence, art.cit., p. 52-53.
115 L'Autre est le terme utilisé par Simone de
Beauvoir pour exprimer la conception patriarcale de la femme. BEAUVOIR
Simone de, op.cit.
116 PLANA Muriel, « Théâtralités queer
» (séminaire), Master Arts du spectacle et communication,
UT2J, 2015
35
Les féministes qui en faisaient partie étaient
plutôt essentialistes*, défendant un art particulier aux femmes,
qui méritait d'être regardé comme art de femmes et
apprécié avec un autre regard que l'art des hommes. En 1910,
l'Union des femmes artistes musiciennes fût le premier syndicat de femmes
en profession libérale. Un an après, elles étaient 1 200
syndiquées117, preuve d'un réel besoin d'être
représentées dans le débat public. Dans les années
1970, d'autres petits groupes ont émergé avec des positions
féministes diverses, parmi lesquels : La Spirale, Femmes en lutte, avec
aussi la revue Sorcières. La plupart de ces initiatives se sont
s'essoufflées dans les années 1980 mais auront permis des unions
et des réseaux hors des écoles et institutions. Aux Etats-Unis
dans les années 1970, les Women's Artists in Revolution (WAR) se
faisaient remarquer en manifestant devant les musées pour
dénoncer, par exemple, le fait que les femmes constituaient 60 à
75 % des étudiant?es dans les écoles d'art, mais que seuls 3 %
des artistes exposé?es dans les musées étaient des
femmes118. Les Guerilla Girls continuent aujourd'hui ce travail,
masque de gorille sur le visage119. Plus proches d'un
féminisme de la troisième vague, elles dénoncent aussi les
discriminations raciales.
Il n'y a peut-être120 pas eu de manifestation
envers les institutions du spectacle vivant comme dans les arts plastiques avec
les spectaculaires Guerrilla girls, cependant, cependant, des oeuvres
artistiques issues de réflexions féministes sont remarquables
dans les arts de la scène : des pièces d'Hélène
Cixous mises en scène par Ariane Mnouchkine, celles de Annie Ernaux,
le Theater-in-your-face, théâtre trash, avec des
dramaturges et metteuses en scène comme Jelinek, Kane, ou
Angélica Lidell. Mais des pièces comme L'Ecole des femmes
se jouent encore, avec leur pesant de misogynie*. Avec la fin des
années 1960 apparaissent des collectifs d'artistes -notamment contre la
guerre du Vietnam-, mais aussi le mélange de genres élitistes et
populaires, l'hybridation des arts et la revendication que tout est montrable
sur
117 LAUNAY Florence, art.cit., p.48.
118 ROBINSON Hilary (2001), Feminism - Art - Theory: An
Anthology 1968-2000. Oxford, UK & Malden, USA, Blackwell, p. 56-57,
d'après DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p.
24.
119 TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., note
p.125.
120 Le « peut-être » n'est pas faute d'avoir
cherché, mais faute d'avoir trouvé des traces qui peuvent
être perdues, non-étudiées ou difficiles d'accès.
36
scène121 La
performance122, pratique pouvant s'improviser dans tous les
arts, résulte de cette période. Pour Marie-Héléne
Bourcier, ce peut être un outil d'activisme féministe,
réinvestissant le corps et l'espace public.123 Il ne s'agit
plus d'apprécier l'excellence du résultat du travail artistique,
mais d'observer le processus de création, d'observer le mouvement,
d'observer l'histoire en mouvement.
1.2.1.2. Une participation aux arts
mineurs
Au 18ème siècle, si elles pouvaient
exercer leur métier, les femmes étaient contraintes dans des arts
mineurs. Pour exemple, aux Beaux-Arts, elles n'avaient pas accès au
cours de nu124, ce qui les rendaient incompétentes à
l'art pictural majeur, la peinture historique, où il faut savoir peindre
le corps dans son entier, savoir lui donner du mouvement... Le portrait ou la
nature morte leur étaient autorisé?es, mais ces tableaux, s'ils
ne sont pas oubliés, sont considérés comme mineurs.
L'exclusion des institutions, puis le cantonnement dans des
arts mineurs, pour Trasforini, a participé à une dichotomie entre
dilettante et professionnel. Pour elle, dans ce modèle, l'amatrice
légitime la position du professionnel et affirme le bon sens de ce
rapport de sexe inégal125. Autrement dit,
l'inégalité contrainte crée une inégalité
légitimée par la pratique.
1.2.1.3. Réappropriation
masculine
En regardant les biographies de quelques femmes artistes qui
ont résisté à l'écriture androcentrée de
l'histoire, « fille de », « femme de » et plus rarement
« soeur de » semblent être des adjectifs qualificatifs
systématiques. Le témoignage de Juliette Kapla va en ce sens :
121 COTTINGHAM Laura (2000), Combien de `sales'
féministes faut-il pour changer une ampoule ? Antiféminisme et
art contemporain, Lyon, Tahin Party, p. 39. De plus, le regard de Muriel
Plana sur cette évolution est intéressant : « Que n'a-t-on
pas alors montré sur les plateaux? Les limites de la bienséance,
du bon goût, du bon sens, du sens, ont été tranquillement
-car cela, bien que choquant, n'avait plus rien de transgressif-
balayées. [...] Donc, fin de l'obscène (qui supposait qu'il reste
encore de l' « immontrable ») et avènement du trash, qui se
construit sur l'illusion que plus rien n'est interdit au regard tout puissant,
infantile et régressif du spectateur supposé de nos
sociétés de violence, de consommation et de liberté
sexuelle». La révolution artistique semble se buter à la
société marchande, faisant écho au pouvoir capitaliste
conservé par une gente masculine.
122 Toujours en définition, la performance est
héritière des happenings, formes improvisées en
temps réel souvent dans des lieux publics. La performance est
aujourd'hui aussi attachée à une esthétique qui n'a
été possible qu'après 1968 ; post-dramatique, trash,
fragmentée...mais pas toujours. Encore très récente, la
performance se redéfinie en permanence selon les artistes et les
chercheur?ses. Peut-être que ce sera la forme en permanente
révolution, queer par définition.
123 BOURCIER Marie-Hélène, «Why my body is
still a battle ground: et que c'est vrai des performances féministes des
années 1870 au porno activisme du XXème siècle »,
op..cit.
124 TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., p. 121.
125 Ibid., p.125
37
Mais je serais quand même curieuse de savoir... si
vraiment on allait voir à l'intérieur de la tête des gens,
sans qu'ils se... sans qu'ils essayent d'être aimables ou politiquement
corrects, combien de personnes qui gravitent autour de cette compagnie pensent
que je suis là parce que je suis la femme de Fabrice, ou combien pensent
que je suis là, parce que je suis une bonne artiste qui mérite
d'être là et qui apporte quelque chose126.
Zelda et Scott Fitzgerald, Georges Sand et Alfred de Musset,
Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir sont tous des couples
d'écrivain?es dont les vies sont courtement retracées dans
Journal de la Création de Nancy Huston. Celui qui interdisait
d'écrire à sa femme, ceux qui se détruisaient et d'autres
qui s'inspiraient. Mais outre les couples d'artistes, où la concurrence
peut devenir la raison de l'exercice d'un pouvoir, le mariage était
déjà un risque pour la carrière des femmes artistes : du
15ème au 17ème siècles, sur dix
femmes peintres formées par leur père, neuf arrêtaient la
peinture une fois mariées. Les frères Van Eyck, connus dans toute
l'Europe, avaient d'ailleurs une soeur qui peignait avec eux mais aucun des
tableaux ne lui a été attribué127.
Comme leurs frères, les filles d'artistes furent
formées par leurs pères, tels que Tintoretto, Artemisia
Gentileschi ou Lavinia Fontana. Certains de leurs tableaux ont d'ailleurs
été attribués à leurs pères. Elles n'ont que
peu survécu à l'histoire. A Uzeste, la transmission filiale est
revendiquée128. Patrick Auzier a transmis l'amour des
pétards et feux d'artifices à sa fille Margot. Bernard Lubat a
formé Louis à la folie sur batterie et Laure Duthilleul lui a
transmis un regard cinématographique. Jaime Chao et Thomas Boudé,
autres enfants d'Uzeste Musical, n'ont pas forcément eu de
formation directe de leurs parents, mais disent se sentir héritiers de
la philosophie du lieu, qu'ils retranscrivent dans leurs pratiques artistiques.
Diane Camus, n'est pas héritière d'une pratique puisqu'elle ne
fait pas d'art, mais elle se sent aussi héritière d'Uzeste
Musical, de Bernard Lubat (son beau-père), par la philosophie et le
paradigme lié à l'engagement politique, artistique et rural du
lieu. Etre «fils de » ou « fille de » peut être un
vrai facteur d'insertion à Uzeste, notamment du fait que ce soit un
village. Si les filles d'Uzeste sont héritières de la philosophie
du lieu au même titre que les garçons, ce sont surtout eux qui
représentent cette pensée sur scène.
Mais la réappropriation masculine n'est pas qu'une
question de famille, si l'historien n'est pas en mesure d'accepter
l'égalité en compétences des sexes, l'histoire transmise
devient truquée. Pour exemple, Alice Guy était une
cinéaste contemporaine de Méliès. La même
année que le premier film de Méliès, en 1896, elle produit
aussi son premier film La Fée aux choux.
126 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.156.
127 ELHOUTI-CABANNE Stéphanie, «L'art au
féminin : statut et création des femmes peintres de la
Renaissance aux Lumières » (séminaire), Journée
d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris,
Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12
décembre 2014.
128 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS,
Jaime CHAO, annexe 1.2.1.
38
C'est la première production Gaumont, avec
succès auprès du public. Les difficultés techniques sont
identiques à l'Escamotage d'une dame au théâtre
Robert-Houdin de Méliès, et la diffusion plus grande
grâce au réseau Gaumont. Elle fondera sa propre compagnie aux
Etats-Unis qui connaîtra un certain succès. Pourtant, les livres
et cours d'histoire du cinéma ne reconnaissent que Méliès,
comme père du cinéma de fiction. Si elle est citée, son
travail est dénigré (La Fée aux choux ne pouvant
n'être fait que par une femme parce que cela parle de naissance, son
inspiration n'est pas artistique, mais vient de son horloge biologique,
etc...), ou même attribué à ses assistants et un de ses
comédiens129.
Enfin, le neutre étant encore attribué au
masculin, si l'artiste est inconnu?e, la tendance est de penser que c'est un
créateur, et non pas une créatrice.
1.2.1.4. L'oubli
La nouvelle tendance à présenter des produits
d'artisanat d'art ancien dans les musées permet une
représentation des productions des femmes de jadis, mais elle renforce
aussi le clivage symbolique entre artiste et femme, via l'opposition
art/artisanat.
Pour les oeuvres d'art : celles dites « mineures »
s'effacent des souvenirs face aux oeuvres qui correspondent aux canons
culturels. L'histoire de l'art, discipline ayant longtemps été
exercée pour perpétuer la mémoire de ces canons, a
plongé dans l'oubli le reste130. Pour résister
à l'oubli lorsque son nom n'est pas inscrit dans l'histoire de l'art, il
faut « un réseau social susceptible d'en créer le
récit, et donc d'en conserver la mémoire 131 ».
Les historiennes féministes travaillent à la
réhabilitation de noms de femmes dans l'histoire de l'art, mais quelle
légitimité leur est portée ? Ne restent-elles pas
considérées comme mineures, faisant partie d'une histoire des
femmes, loin de la grande Histoire ?
Des féministes comme Griselda Pollock et Moira Roth,
remettent en question l'épistémologie de l'histoire de l'art.
Elles incluent dans cette dernière « le dispositif
historico-esthétique qui marginalise certaines productions et en
privilégie d'autres 132 ». Autrement dit, elles quittent
une vision immanentiste de l'art pour une vision pragmatique qui comprend le
contexte de création et de réception. Cette approche
déconstruit les échelles de valeurs
129 D'après les recherches de Laure Vernet. VERNET
Anne-Laure, «Féminisme et processus de forclusion des femmes de
génie, un combat inégal ; l'exemple de la cinéaste Alice
Guy» (séminaire), Journée d'étude : Femmes,
Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.
130 TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., p.127.
131 Idem, p.129.
132 NOCHLIN Linda, « Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grands
artistes femmes ? » = «Why Have There Been No Great Women
Artists?», Art News, vol.69, n°9, janvier 1971, citée
par DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 27.
39
classiques, mettant à égal niveau les arts
élitistes et populaires133. Cette nouvelle approche de l'art
devrait permettre une meilleure conservation des oeuvres, des siècles
passés et de nos jours.
Ces seuils de professionnalisation se sont
particulièrement fermés pour les femmes après la
Révolution. Celles qui pratiquaient ne pouvaient pas pour autant
prétendre au statut d'artiste, affirmant la dichotomie artiste/amatrice
puis, surtout au 19ème, muse/génie.
1.2.2. MYTHOLOGIE CONTEMPORAINE ;
L'ARTISTE
Comme nous avons pu le voir dans la partie
précédente, l'histoire s'est construite par et pour une absence
des femmes dans celle-ci. L'omission, volontaire ou non, du peu de femmes qui
ont marqué l'histoire et des moyens qui ont pu être
utilisés pour exclure les quelques potentielles candidates à
l'ascension intellectuelle et sociale, possède un autre effet : faire
penser que le génie est hors de portée des femmes. Mais de quoi
parle-t-on lorsque l'on parle de génie ? Le génie romantique,
porté par un don divin incarné par sa muse, s'est
démodé. Mais aujourd'hui que la foi en la muse a disparu, le
mythe du génie persiste.
1.2.2.1. Le Génie et la Muse, le
Créateur et la créature
L'artiste peut être adoré. Ce terme renvoie
à une attitude religieuse. D'autres notions divines sont
accordées à l'artiste comme le génie et le don de
création.
Suite à la révolution, au cours du
19ème siècle, les écarts symboliques entre les
pouvoirs d'hommes et de femmes s'incrustèrent de plus en plus
profondément dans les représentations artistiques. Durant la
période romantique, les artistes cherchèrent à
redéfinir un moi individuel et sentimental, en rupture avec le
classicisme, le rationalisme et le collectif au service du Roi. La
définition du citoyen (les citoyennes n'étant pas reconnues)
s'accompagnait d'une définition de l'individu et en particulier de
l'homme. L'homme social quitta alors les symboles du pouvoir aristocratiques
tels que la perruque ou les talons, et laissa la danse aux femmes. C'est dans
ce cadre que l'artiste reconnu se caractérisait comme un
créateur incréé134, disposant d'un don
original et singulier, et qui répondait à un appel
intérieur : la vocation135. En opposition,
les symboles de la créature, de la muse et la vocation domestique se
précisaient. Paul Bénichou,
133 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit.,
p. 32.
134 BOURDIEU Pierre, « Mais qui a créé les
créateurs ? », Questions de sociologie, Paris, Minuit,
1984, pp. 207221.
135 COQUILLAT Michèle, La poétique du
mâle, Paris, Gallimard, 1982 et BATTERSBY Christine, Gender and
Genius: Towards a Feminist Aesthetics, London, The Women's Press, 1989.
Citées par DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit.,
p. 18.
40
dans son ouvrage Le Sacre de l'écrivain,
démontre la foi en la philosophie qui a émergé avec les
Lumières et s'est incrustée dans la déification de
l'artiste136. L'inégalité entre les sexes était
alors suprême, avec l'archaïque opposition entre don de
création et don de procréation. Pour Fabienne Dumont et
Séverine Sofio137, cette nouvelle image du créateur
associait des qualités traditionnellement viriles (vigueur, courage) et
féminines (sensibilité, lien avec la Nature).
L'inégalité entre les genres, elle, se formait au sein même
du mythe de l'artiste, où les qualités féminines
complétaient un masculin préexistant.
Dans son roman, Nancy Huston écrit : « Toutes les
Muses sont féminines. Qui est-ce qui sert de muses aux femmes ? Qui
guide leur main, leur insufflant confiance et
sérénité138 ? ». Le point de vue de
l'auteure est hétérocentré, mais il est
révélateur d'un système de pensée: à
l'artiste masculin s'offre la jouissance sexuelle et artistique presque sans
distinction. Madame de Staël et Georges Sand, par leurs personnages
féminins Corinne et Consuelo, exprimèrent une
impossibilité de vivre conjointement vie sentimentale et vie artistique.
Geneviève Fraisse ancre ces récits dans la pensée
moderniste : « [l]es sirènes, filles de muses, doivent, dans des
récits du 21ème siècle perdre leur chant pour
trouver l'âme/l'amour139 ».
Si le symbole de la muse s'est estompé, celui du
génie est toujours aussi actuel140. Les conditions
professionnelles du secteur culturel augmentent « l'expression d'une
vocation141 », flirtant avec les idées de destin et de
don.
1.2.2.2. Le Génie détaché de la
muse
Nietzsche, dans Humain, trop humain 142,
expliquait que le génie n'existe pas, qu'il résulte de notre
amour propre. Pour résumer, il reconnaissait dans l'appellation de
« génie », des personnes « dont la pensée est
active dans une direction unique », qui « ne cessent d'observer
», et d'apprendre. Nietzsche s'opposait à l'opinion publique qui
voulait que le talent
136 BENICHOU Paul, Le Sacre de l'écrivain,
1750-1830: essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans
la France moderne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des
idées », 1996.
137 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit.,
p. 18.
138 HUSTON Nancy, Journal de la création, Arles,
Actes sud, 2001, p.35.
139 FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ?
», in GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), op.cit., p.21. Elle fait
ici référence aux textes L'Ondine de La
Motte-Fouqué et La Petite-sirène d'Anderson.
140 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit.
2, p. 18. En soutenant son propos par l'ouvrage : HEINICH Nathalie (2005),
L'élite artiste : excellence et singularité en régime
démocratique, Paris, Gallimard : «Ce paradigme de l'artiste
génial et singulier, qui est au fondement de la modernité,
s'avère plus efficient que jamais et imprègne encore
profondément notre vision de la création».
141 SAPIRO Gisèle, « La vocation artistique entre
don et don de soi », Actes de la recherche en sciences sociales,
2007, vol. 168, no 3, p. 4.
142 NIETZSCHE Friedrich, Humain, trop humain: un livre
pour esprits libres (1878), (trad.) Robert ROVINI, Paris, Gallimard, 1991,
vol.I, § 162, p.142.
41
d'un génie soit un « miracle », un «
hasard » ou « une grâce d'en haut ». Il ne reconnaissait
donc pas la valeur transcendante qui était donnée aux travaux des
génies : « Toute activité de l'homme est compliquée
à miracle, non pas seulement celle du génie : mais aucune n'est
un miracle ». Pour lui, le génie n'est pas un état
de fait, mais une construction par l'opinion publique. Il questionne aussi
l'attribution du génie aux artistes et philosophe, mais pas aux
scientifiques. Il considère que l'on ne voit pas se construire l'oeuvre
artistique, on l'obtient finie et qu'elle paraît, dans cet état,
parfaite. Le déroulé de l'expérimentation -faisant partie
de la démarche scientifique- désacraliserait le résultat.
Pourtant aujourd'hui, Albert Einstein, Isaac Newton, Stephen Hawking sont
considérés comme des génies alors que leurs travaux sont
uniquement scientifiques.
Geneviève Fraisse, par son article « Muse, ou
génie ?143 », fait dialoguer ces deux figures.
Jusqu'à la fin du 19ème siècle, les auteurs
croyaient sincèrement en leur muse. Puis le modèle s'est
effrité : de plus en plus de femmes refusèrent de quitter leur
création pour que seul leur compagnon puisse créer, les auteurs
accumulèrent les muses -ôtant ainsi leur caractère
sacré. Si hier on reconnaissait au génie un état de
grâce dû à une volonté divine, on évoquerait
davantage de nos jours des capacités intellectuelles et créatives
exceptionnelles, dites surdéveloppées. Ainsi, le champ des
disciplines pouvant accueillir des génies au sens nietzschéen
s'est élargi.
Geneviève Fraisse remarque une évolution au
20ème siècle par l'accumulation des rôles :
Cela me paraît indiquer, pour le 20ème
siècle, un schéma neuf : être à la fois le
modèle et le créateur. Voyez Suzanne Valadon, Tina Modotti,
Anaïs Nin; depuis un siècle et demi, un certain nombre de femmes
vont, en acte, jouer de la double possibilité d'être
l'inspiratrice et l'artiste, la muse et le génie, l'objet et le sujet de
la création, le support et l'acteur de la
création144.
Muriel Plana remarque aussi une tendance de femmes qui
écrivent, mettent en scène et interprètent leurs textes,
elles-mêmes s'inspirant de sujets féminins145, mais
elles ne sont pas muses. Des artistes comme Arianne Mnouchkine ou Catherine
Anne sont des artistes reconnues en tant que telles, et si elles peuvent
inspirer, elles ne sont pas muses pour autant. Le double mouvement de
destruction de l'image de la muse et de revendication sociale à
être artiste en tant que femme permet de dépasser le symbole de la
muse. Mais ces créatrices contemporaines
143 FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ?
», art.cit.
144 Idid, p.21
145 PLANA Muriel, op.cit., p.322-338. Elle prend en
exemple Julie Pichavant, Claire Balerdi, Cie Mesdames A et d'autres
encore.
42
pourront-elles être reconnues comme géniales
symboliquement ? Il est encore trop tôt pour le dire.
Des femmes comme Hannah Arendt, Marie Curie, Madame de
Staël prouvent qui n'est pas question de gène du génie
accroché au chromosome Y. Nous avons déjà parlé de
l'exclusion ou discrimination historique des femmes des domaines artistiques,
mais il y a toujours quelques réticentes qui ont voulu suivre leur
génie, soit leur détermination à aller au bout de leurs
réflexions. C'est le discours construit autour des travaux, repris par
un ensemble de réseaux qui érige l'oeuvre au rang de «
géniale ». Le génie n'étant pas issu d'une justice
divine, mais d'une construction sociale, il est réparti de
manière aussi inégale que les autres symboles de pouvoir. Howard
Becker146, sociologue de l'art, exprime la dimension de l'artiste
comme inhérente à l'oeuvre. En prenant l'exemple des
ready-made de Marcel Duchamp, d'objets déjà existants
détournés en oeuvre d'art, Becker montre que la reconnaissance du
produit comme oeuvre d'art dépend de la reconnaissance du producteur
comme artiste et du contexte de réception comme espace de
représentation d'oeuvre. Si, comme nous avons pu l'aborder dans
l'histoire et la période contemporaine, les femmes ont un accès
limité au statut d'artiste, et par là même, aux lieux de
représentation prestigieux, leurs oeuvres ne peuvent être
reconnues comme telles. Le genre de l'artiste est ainsi directement lié
à la réception de son oeuvre. La dure concurrence qui
règne dans le secteur culturel est mise sous couvert d'une « juste
méritocratie » ; mais celle-ci ne juge pas les oeuvres
indépendamment de leurs moyens de production, reproduisant alors les
canons culturels déjà valorisés.
Regardons quelles sont les figures de génies qui
peuvent nous être présentées aujourd'hui.
Généralement, le génie en art de la scène est
surtout attribué par les critiques et salles de spectacle au
metteur?se-en-scène, à le·la chorégraphe ou
metteur?se-en-piste. Dans les séries, notamment américaines, les
exemples foisonnent : Dr. House (2014), Elementary (2012) ou
Scorpion (2014), pour n'en citer que trois. Etonnamment, les
génies de ces séries n'appartiennent pas au domaine de l'art (le
suspens serait certainement moindre). Par contre, on retrouve
l'impossibilité de joindre jouissance amoureuse (voire sociale) et
jouissance intellectuelle. De plus, les génies, respectivement Gregory
House, Sherlock Holmes et Walter O'Brien, sont des hommes. La
crédibilité du génie, ce sur quoi réside en partie
la réussite de la série, semble encore un bastion masculin.
Cependant, il faut reconnaître des progrès. Dr House est soumis
à la hiérarchie d'une directrice de l'hôpital ; même
si ce n'est pas le cas dans les
146 BECKER Howard Saul (1982), Les mondes de l'art,
Flammarion « Champs », Paris, 2006, cité par TRASFORINI
Maria Antonietta, art.cit., pp.117-118.
43
faits, elle a officiellement l'ascendant sur lui. Dans
Elementary, Watson est une femme qui ne peut atteindre le génie de
Sherlock Holmes mais se montre tout à fait brillante. Ce dernier est
amoureux d'une femme autant voire plus géniale que lui... mais c'est un
personnage secondaire. Enfin, l'équipe de génies de Walter
O'Brien possède une génie sur quatre membres. L'économie
du cinéma américain ne permet que peu de représentations
subversives ; si ces représentations ont été permises,
c'est qu'elles sont considérées comme crédibles voire
valorisantes pour la production. Il y a donc de fortes raisons de penser que
les représentations de femmes comme maillon intelligent et pertinent
d'une équipe augmentent. L'égalité n'est pas acquise mais
le processus vers l'équité est en route. Il faut néanmoins
rester vigilant·e à ce que le personnage principal ne reste pas un
rôle uniquement masculin, que le génie féminin ne reste pas
considéré comme inférieur au génie
masculin147, affirmant la supériorité symbolique de
celui-ci. Plus généralement, le fait de nommer un homme par son
nom et une femme par son prénom, se calque sur le modèle de la
muse et du génie. Le prénom qui garde un certain anonymat portera
la dédicace du poème, de la chanson. Le nom signera l'oeuvre et
pourra rester dans l'histoire. Pour cette raison, noms et prénoms sont
donnés dans la bibliographie et je veillerais aux nominations des
personnes du terrain.
Le génie s'est affirmé au
19ème siècle comme étant un attribut masculin.
En opposant création et procréation, l'idéologie de
l'époque à rendu quasiment inconcevable l'idée qu'il est
possible de jouir d'une vie de famille et d'une vie d'artiste. Les femmes,
alors liées à une vocation domestique, sont symboliquement
rejetées du modèle de l'artiste. Nous pouvons encore retrouver
ces dichotomies qui sillonnent la ségrégation verticale, dans la
tendance femmes artistes à se tourner vers l'enseignement ou à
abandonner leur profession pour une vie de famille. Mais les chiffres nationaux
et locaux ne s'expliquent pas seulement en verticalité. Des
disparités de genre existent entre les arts de la scène, entre le
tutu et le tuba.
1.3. SEGREGATION HORIZONTALE
La ségrégation horizontale* donne une autre
dimension à la compréhension de la sexuation des pratiques. Si la
ségrégation verticale rime avec la domination sociale, il est
plus complexe de voir comment les répartitions verticales des
activités contribuent aux stéréotypes de genres, et par
là même, aux rapports sociaux de sexe.
147 Référence à la remarque de
Geneviève Fraisse sur les propos de Cesare Lombroso (1835-1909) qui
reconnaît le génie féminin, mais dans une discipline
mineure. Fraisse observe alors un glissement de l'exclusion à la
discrimination. FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ?
», art.cit., p.21.
44
L'étude du développement culturel d'Olivier
Donnat de 2003 démontre une tendance à la féminisation des
pratiques culturelles dans leur ensemble (lecture, musée, arts du
spectacle...)148. On peut observer, de la part des jeunes, une plus
grande fréquentation des équipements culturels
(théâtre, danse, concert, musée, bibliothèque) mais
aussi une plus grande pratique en amateur. L'auteur explique la diminution des
pratiques culturelles pour les plus de 25 ans par l'entrée en
activité professionnelle et la construction d'une famille. Mais ce sont
surtout les filles qui gonflent les chiffres notamment ceux de
fréquentation des équipements. A l'inverse, ce sont les hommes,
et en particulier les jeunes hommes qui grossissent les rangs des sportifs
comptés dans la même enquête de l'Insee149. Cette
tendance macroscopique reflète les considérations de genre sur
ces pratiques : l'art « féminin » (même s'il est
majoritairement représenté professionnellement par des hommes) et
le sport « masculin » (renforçant l'argument biologique de la
testostérone et donc du « sexe fort »).
1.3.1. TECHNIQUE & ORGANISATION
Les deux secteurs qui, dès le premier abord du milieu
culturel, sont très visiblement genrés sont la technique et
l'organisation (dans laquelle sont inclus : la production, la gestion, la
médiation culturelle, l'administration et la communication). Les femmes
représentent « 70% des gestionnaires qui ont créé et
dirigent un bureau de production indépendant», elles gèrent
« 71% de l'administration des compagnies, 57% de l'administration des
lieux de résidence, 53% de l'administration des festivals150
», mais il n'y a que 12% de techniciennes en son et 16% à la
lumière151. A Uzeste, sur les Hestejadas 2013 et
2014, sans compter les bénévoles, 94% des technicien?nes sont des
techniciens et 60% de l'équipe d'organisation sont des femmes (ce
chiffre peut être augmenté par la participation sur les deux
événements de Diane Camus en production, mais qui ne souhaite pas
être payée).
La technique se fait en extérieur ou sur le terrain,
l'organisation se gère depuis les bureaux. La dichotomie
intérieur/extérieur se dégage, avec comme écho
symbolique les sphères
148 DONNAT Olivier, art.cit., pp.12.
149 MULLER Lara, N°F0501, Participation culturelle et
sportive Tableaux issus de l'enquête PCV de mai 2003, Direction des
Statistiques Démographiques et Sociales, Insee, 2005.
150 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.38 et 47.
151 Ibid. p.39.
45
privée et publique, la première
traditionnellement pensée au féminin et la seconde
traditionnellement réservée aux hommes152.
Contrairement au travail de bureau, les travaux techniques
nécessitent une tenue adéquate : chaussures de
sécurité, vêtements sombres, cheveux courts ou
attachés. L'aspect physique qui s'en dégage reste attribué
au masculin. A l'inverse, les robes et shorts sorti es par les équipes
de l'organisation pour l'été peuvent gêner à la
manutention par exemple. Ce qui renforce, en creux, les compétences des
technicien nes.
Enfin, raison la plus importante sans doute, le travail des
technicien nes du spectacle est réputé pour demander de la force
et une bonne endurance physique. Je reprendrai une citation de Stéphanie
Gallioz qui se base sur le secteur du BTP, mais dont la réflexion est
tout à fait transposable à la technique du spectacle vivant :
Le BTP étant considéré comme demandant
une forte capacité musculaire, les femmes en sont exclues de par notre
considération des corps d'hommes et de femmes. On sait pourtant que
historiquement, les femmes ont toujours participé aux travaux durs
(champs, mines, métallurgie, et travaux dans pays communistes qui
s'entendaient défendre une égalité des sexes). Les
stéréotypes sont cependant coriaces, menant hors-jeu les femmes
dans l'accessibilité au bâtiment (qu'elles ne s'en sentent pas
capables ou qu'on les rejette). Avec l'arrivée de la mécanisation
qui diminue la pénibilité, la "faiblesse naturelle des femmes"
n'aurait plus dû être un problème, mais un autre
stéréotype survient, les considérant incapables de
travailler avec cette technologie153.
De même, la mécanisation et motorisation des
équipements du spectacle permettent un épuisement moindre des
corps. La part de travail électrique/électronique augmente de
plus en plus, mais pas autant que la proportion de techniciennes.
Il faut ajouter que ce métier à tendance
à être sur-genré par les technicien nes. Dans
diverses situations, pas forcément à Uzeste, j'ai pu observer des
sortes de compétitions de force ou de puissance (par exemple, forcer
avec tel outil alors que l'on peut s'en procurer un autre plus adapté,
porter à deux un objet trop lourd au lieu de demander de l'aide, etc.).
Malgré une récente prise de conscience de l'importance de la
sécurité sur le terrain, le spectacle vivant est encore un des
secteurs avec le plus d'accidents du travail, où technicien nes prennent
des risques souvent inutiles. Plus communément, la sur-virilisation
de ce métier provient de l'ambiance de groupe, où les
blagues grivoises et récits d'exploits sont monnaie courante. Pour
152 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, op.cit.,
p.82.
153 GALLIOZ Stéphanie, « La féminisation
des entreprises du bâtiment : jeu paradoxal des stéréotypes
de sexe » in GUILLAUME Cécile, Les femmes changent-elles le
travail?, PUF., Paris, coll. « Sociologies pratiques »,
n°14, 2007.
46
s'intégrer, et/ou par habitude, certaines femmes vont
jouer la carte de la surenchère et s'inscrire dans un tableau
sur-virilisé qui fait norme154.
De l'autre côté, l'organisation prend en charge
les tâches de gestion de la structure jusqu'aux tâches dites «
de production », soit les repas et hébergements des équipes.
Mettant en regard la répartition du travail administratif et du travail
artistique, Bernard est bien conscient des symboliques qui se jouent
derrière ces professions, où l'un joue de la guitare après
avoir joué au cowboy, et l'autre joue à l'ordinateur après
avoir joué à la dinette :
L'organisation. Ouais, beh comme par hasard au bureau, sur
trois y a deux femmes. Et puis... Ça aussi c'est une question de maman
aussi... l'ordre, le désordre, la maman qui met de l'ordre et le gosse
qui fout la merde155.
Le bénévolat dans ce domaine va s'organiser
autour de l'aide à la cuisine, à la billetterie, à
l'accueil des artistes et au transport de ceux-ci. Le bénévolat
est un bon moyen, souvent pour les jeunes, de profiter du festival à
moindre frais, tout en sociabilisant plus facilement. Sur ces deux
éditions, il y a 76% de femmes bénévoles. Cette
facilité à travailler sans revenu est peut-être à
relier avec la répartition très inégale des tâches
ménagères, non-rémunérées. Il faut cependant
noter que la parité semble assez respectée dans les diverses
missions, sauf peut-être au bar avec une majorité de jeunes
hommes.
Ainsi, plus ou moins consciemment, la répartition des
tâches reproduit le schéma traditionnel entre extérieur et
intérieur, force et organisation. A l'intérieur des pratiques
artistiques se répartissent aussi les sexes. Dans les pratiques
amateurs, l'écriture, le théâtre, la danse, le chant sont
majoritairement pratiqué?es par des filles. A l'inverse, les instruments
de musique, la vidéo et la photographie sont majoritairement
pratiqué?es par les garçons. La peinture et le dessin semblent
être pratiqué?es à égalité par les deux
sexes. Les arts qui ont une dimension technique plus développée
attirent plus les hommes - tels que les instruments de musique.
1.3.2. LES ARTS DE LA SCENE MARQUES PAR LE
GENRE
A Uzeste, l'envie de croiser les arts permet de puiser dans
des viviers plus féminins que celui du jazz. Cette ligne artistique est
rarissime dans le milieu des festivals de jazz. D'ailleurs,
154 Lors d'une discussion avec Cinthia Corot,
régisseuse générale à la Grainerie-Fabrique des
arts du cirque de Toulouse, celle-ci m'avait expliqué sa
détermination à ne faire que des équipes paritaires avec
des personnes, autant que possible, non-sexistes. Elle y remarquait des
meilleures conditions et qualités de travail, moins
compétitives.
155 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2., p.145.
47
malgré la dominance du nombre de musicien?nes de jazz,
les étranges productions qui résultent de rencontres
transartistiques démarquent l'Hestejada de las arts d'un
festival de musique conventionnel. Sur l'ensemble des représentations,
les musicien?nes représentent 54% des présences. Il y a donc une
certaine parité entre musique et autres arts. Etant donnée la
sous-représentation des musiciennes à Uzeste, 5%, il est logique
que la dominance de la musique influe sur les chiffres généraux
calculés pour Uzeste.
1.3.2.1. Danse
Les filles représentent en effet, parmi les
élèves des cours de danse dans les établissements publics
d'enseignement spécialisés, 93% (2003-4) et 97% (2002-3) [...]
Les danseuses représentent 68% de la population des intermittents de la
danse, mais seulement 56% des permanents. [...] Les femmes accèdent
aussi largement que les hommes aux positions de conception et d'encadrement
artistique [...] Elles ne représentent plus que 43% des
chorégraphes dont les oeuvres sont programmées dans les
institutions subventionnées de manière structurelle par le
Ministère de la culture156.
Les danses de société en France, des
bourrées moyenâgeuses à la salsa en plein essor
actuellement, ont toujours eu un but social. Elles permettaient et permettent
encore la rencontre entre inconnu?es. La convention des couples
hétérosexués est souvent suivie, pouvant amener une
dimension de séduction dans la rencontre corporelle. Plus nous
avançons dans l'histoire des danses de société, plus elles
sont sexualisées. La séduction est renvoyée de
manière diabolisée au féminin par la religion catholique
et sa genèse, et pourtant, l'hyper sexualisation (du tango par exemple)
s'accompagne de « styles » de plus en plus genrés autant au
masculin qu'au féminin. Les cours de lady styling ou men
styling fleurissent et s'adapte à notre culture actuelle et les
représentations du genre et du couple, développant tout un jeu de
hanches, de mains, d'épaules et de tête, supposés faire
danser de manière féminine ou masculine et simuler le jeu
approfondi et caricaturé de la séduction. Il y a une construction
des genres dans ces danses, basée sur l'imaginaire corporel qui est
donné au masculin et au féminin. Néanmoins, cela reste de
la construction, car si la gestuelle était naturellement féminine
ou masculine, il n'y aurait pas d'apprentissage de ces styles.
La danse de scène, en opposition aux danses de
société, viennent en France du Ballet de Cour né à
la fin du 16ème siècle, notamment avec le connu Le
Ballet comique de la Reine de 1581. Le Ballet de Cour avait pour but de
faire se rencontrer les courtisans et courtisanes entre eux sous les yeux de la
Cour, mais aussi de se distinguer des danses du peuple. Les pas de bases
156 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.40.
48
étaient inspirés des danses de villages, mais le
rythme, les attitudes, les postures différaient. Les talons se
démarquaient des sabots et les pas lents avec un dépliement de la
jambe maitrisé s'opposaient aux sautillements. Nous avons
déjà l'embryon de la danse classique telle que nous la
connaissons, qui cherche l'aérien, la maîtrise et le spectacle.
Décors de jardins et palais, chorégraphies de Beaujoyeux,
quelques éléments de costumes, la danse passa de la pratique de
fête à la représentation. Le roi se devait d'être un
bon danseur, brillant lors de solos au centre de la Cour. La grâce qui
s'en dégageait était revendiquée comme puissante et
masculine. Lorsque Louis XIV arrêta de danser en 1661, il fit ouvrir
l'Académie royale de Danse. C'est dans ces murs, avec les
premières équipes paritaires de danseur?ses professionnel?les que
les maîtres à danser Lully et Beauchamps ont codifié et
posé les bases de la danse classique.
La danse ne fut considérée comme un art
féminin qu'après la Révolution. La représentation
de la danseuse éthérique, montée sur pointes, avec les
voilages et les portés s'est surtout développée au
19ème siècle, avec le ballet romantique puis le ballet
académique. Gisèle, Le Lac des Cygnes ou encore
La Belle au bois dormant, sont caractéristiques de ces ballets
où la danseuse devient le centre de l'attention. Pour Helène
Marquié, ce fut dans les années 1830 que s'est
cristallisée l'image de la danse comme féminine, car la
masculinité n'était plus compatible avec la danse157.
C'est cette image de la danse classique qui persiste encore aujourd'hui, autant
dans l'imaginaire que dans la production, qui attire les petites filles pouvant
y retrouver les modèles de féminités sociales.
Après les Ballets Russes du début du
20ème siècle, la danse a perdu son rayonnement. Il
faut attendre les années 1970, avec des chorégraphes comme Martha
Graham, Maurice Béjart, Merce Cunningham ou Pina Baush, pour que la
danse retrouve ses lettres de noblesse. Dans les années 1980, la
décentralisation de la politique de Jack Lang avec notamment la
construction des Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) et
l'enseignement de la danse contemporaine dans les établissements
scolaires ont permis la recrudescence rapide de l'offre et de la demande des
spectacles de danse. L'apparition de danses perçues comme masculines,
comme le hip-hop, vont faire entrer plus facilement des garçons dans les
écoles. Mais le constat des directeur?trices d'écoles reste le
même : la majorité des élèves sont des filles, qui
vont majoritairement en classique ou en contemporain et le peu de
garçons sont souvent dans les cours de hip-hop.
157 MARQUIE Hélène, «Quelle
visibilité pour les femmes dans la danse et son histoire ? »,
(séminaire), Journée d'étude : Femmes,
Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.
49
Actuellement, la scène nationale subventionnée,
en danse, soutient surtout la danse contemporaine et classique. Le nombre de
filles dans les cours de danse est estimé au-delà des
90%158, et pourtant « le pourcentage de directrices à la
tête des centres CCN aura été de 43% en 2006, 38% en 2007,
32% en 2008159» et 14% à l'heure actuelle. Nous avons
déjà évoqué les raisons de cette
ségrégation verticale qui est particulièrement visible
dans cet art. Si Reine Prat observe une parité dans les compagnies qui
perçoivent les subventions et celles qui sont reçues en
résidence dans les CCN, elle comme d'autres, repère que la
représentation des danseurs se fait de plus en plus forte. Un
journaliste écrit :
Ils s'appellent Boris Charmatz, Olivier Dubois, Christian
Rizzo, Emanuel Gat, Yuval Pick, Akram Khan ou Pierre Rigal160. Ils
sont les nouvelles stars de la danse contemporaine.
Chorégraphes et directeurs de compagnie, ces quadras aux tempes
grisonnantes (ou à la franche calvitie) remplissent les gradins des
festivals et suscitent à chacune de leurs créations l'admiration
des critiques. [...] Et les femmes, alors? Qui donc pour prendre le relais
d'Odile Duboc et de Pina Bausch, disparues il y a peu? Surgies dans les
années 1970, elles révolutionnèrent la scène
européenne et la firent rayonner dans le monde pendant plusieurs
décennies. Qui pour jouer dans la cour des grandes Mathilde Monnier,
Maguy Marin, Karine Saporta ou Régine Chopinot161 ?
Le modèle correspond assez bien à la situation
d'Uzeste, où les représentations de danseuses représentent
85% des représentations de danse à moindre visibilité pour
33% des représentations à visibilité importantes, puisque
sur les trois représentations sur la grosse scène deux sont
interprétées par Hamid Ben Mahi, danseur-chorégraphe au
succès grandissant.
Reine Prat fait la lecture de cette augmentation du nombre
d'hommes dans le milieu de la danse par deux éléments :
l'augmentation de l'intérêt des hommes au métier de danseur
due au fait que ce n'est plus un art mineur, et les effets de plafond de verre
aux différents seuils de professionnalisation et de direction pour les
femmes162. Cette argumentation est cohérente avec le contexte
politique et artistique national ; conservant les futurs Béjart, sans
voir les futures Bausch. Dans cet art, la ségrégation verticale
est d'autant plus visible que l'extrême minorité devient
majorité dominante au fur et à mesure des échelons.
L'égalité doit s'y réfléchir au niveau
professionnel en déconstruisant les processus du plafond de verre, mais
aussi en valorisant cette pratique comme mixte au niveau amateur.
158 Nombre de filles dans les cours de danse: 93% en 2003 et 97%
2004 (chiffres Mcc-Deps).
159 PRAT Reine, op.cit, 2009, p.22.
160 Pierre RIGAL, avec des créations comme
Erection, ou Bataille, choisit la danse comme lieu de
représentation d'une masculinité contemporaine.
161 GRISEL Erick, « Les hommes mènent la danse
», Vanity Fair France, n°18, décembre 2014.
162 PRAT Reine, op.cit, 2009, p.22.
50
1.3.2.2. Théâtre
Sur les deux saisons, 2002-03 et 2003-04, on compte parmi les
metteurEs en scène invitéEs pour des productions ou coproductions
majoritaires : 39 femmes et 178 hommes (82%). [...] 85% des textes que nous
entendons quand nous allons au théâtre ont été
écrits par des hommes. [...] 78% des spectacles que nous voyons quand
nous allons au théâtre ont été mis en scène
par des hommes. La scénographie a été
réalisée par un homme dans 78% des cas également. [...]
Les élèves en art dramatique sont des filles à
66%163
Dès le théâtre antique grec, les
dramaturges inscrivaient cet art dans le politique. Il servait à
rassembler et représenter les tribus d'Athènes, à rendre
hommage aux dieux, mais aussi à critiquer ou valoriser des directions
politiques. Déjà, c'était un art de la convention puisque
seuls les hommes jouaient, mais des rôles de femmes existaient. Masques
et costumes signifiaient les genres des personnages. Il en était de
même dans le théâtre du moyen-âge japonais ou au
16ème siècle dans le théâtre
élisabéthain. Les rôles féminins de Shakespeare,
comme Juliette ou Cléopâtre, furent écrits pour
correspondre aux représentations de la féminité
contemporaines, tout en étant interprétés par des hommes.
Discours public, discours politique, discours qui appartenaient aux hommes. Ce
n'est qu'entre le 16ème et le 17ème
siècle que les premières comédiennes apparurent. Il fallut
attendre Georges Sand, et donc la période romantique, pour avoir en
France la première femme dramaturge... sous un nom
d'homme164. Il y a sûrement eu des femmes dramaturges avant,
demeurées inconnues. Les metteurs-en-scène jouèrent un
rôle dans ce huis-clos masculin puisqu'ils ne se tournaient que peu vers
des inconnus, alors des inconnues...
La plupart des rôles du répertoire classique
français sont des rôles d'hommes, dans la logique de convention
théâtrale, nous pourrions supposer que cela n'entraverait pas la
professionnalisation des comédiennes. Cependant, au fur et à
mesure de l'histoire, la convention a cédé le pas à
l'illusion, à la quête du réalisme (notamment avec la
règle classique des trois unités, le théâtre
réaliste de Diderot, La Formation de l'acteur de Stanislavski,
ou encore les techniques d'actor studio). Aurore Evain, qui analyse le
corps féminin dans les langages théâtral et musical,
remarque que l'apparition des corps de femmes sur scène a amené
une sexualisation non plus figurée mais réelle. Ceci ferait
entrer le doute sur l'illusion du spectacle. Pour que la fiction puisse
fonctionner, il apparaît une tendance à rendre les personnages
plus
163 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.43.
164 DUPUIS Sylviane, « Ecrire pour le
théâtre au féminin: l'héritage/l'écart »
in FIDECARO Agnese et Stéphanie LACHAT (dir.), op.cit.
51
réalistes, à faire tendre les masques vers des
visages. Le travesti devient donc la représentation sur scène
d'un travesti et non plus d'une femme165. Aujourd'hui, nous sommes
encore dans ce paradigme où le rôle d'une jeune femme doit
être interprété par une jeune femme, celui d'un vieil homme
par un vieil homme. Le surplus de rôles masculins est une raison
donnée au plus grand nombre de comédiens que de
comédiennes.
Uzeste n'échappe pas à ce
déséquilibre avec 58% de représentations
théâtrales portées par des hommes, et, comme en danse, une
augmentation de cette proportion sur la grosse scène jusqu'à 72%.
Ce qui est nommé « Littérature, poésie » dans le
comptage des représentations du terrain est surtout composé de
poésies orales présentées par le Groupe Français
d'Education Nouvelle (Gfen). Ces poèmes sont écrits peu de temps
avant ou dans l'instant où ils sont prononcés. Il n'y a pas
d'interprétation de personnages, mais la représentation
mêlant mots et oralité se rapproche du théâtre. Dans
les chiffres, le modèle se répète avec une belle
parité dans l'ensemble et les deux représentations sur la grande
scène faites par un homme.
Le théâtre étant, par excellence, l'art de
la représentation des identités, il permet d'imaginer des
personnages à l'infini, interprétés par n'importe quel?le
comédien?ne. Et pourtant, le choix des rôles féminins dans
le répertoire occidental n'est pas très diversifié :
ingénue, mère, servante ou putain, sont des archétypes
récurrents du théâtre:
[L]e nombre de rôles de femmes reste inférieur, y
compris dans le répertoire contemporain, au nombre de rôles
d'hommes. [...] Quels rôles de femmes sont suffisamment complexes pour
échapper aux stéréotypes : maman ou putain, muse ou
sorcière ? Et surtout... victime. [...] Combien de rôles
féminins sont caractérisés de manière autonome,
autrement que par leur rapport à un rôle masculin (femme, fille,
mère ou maîtresse de...) ? [...] Les personnages « neutres
», qui ont fait leur apparition dans le théâtre du
20ème siècle, sont-ils distribués
équitablement entre comédiennes et comédiens166
?
La deuxième moitié du 20ème
siècle accueille quelques pièces aux personnages féminins
plus complexes, sortis des stéréotypes traditionnels : La
Casa de Bernarda Alba de Lorca, Les Bonnes de Genet, ou encore
Les Larmes amères de Petra von Kant de
Fassbinder167. La vague des femmes dramaturges amorcée par
Hélène Cixous, explose dans les années 1990 avec Sarah
Kane, Jelinek ou encore Dea Loher. Ces dernières se caractérisent
plus par des scènes de violences qu'une douceur maternelle. Elles ont
donné un ton bien loin des stéréotypes de
l'écriture féminine. Les comédiennes d'Uzeste ont tendance
à suivre cette mouvance. Sylvie
165 EVAIN Aurore, « Retour aux origines de l'actrice:
réflexions comparatrices sur les enjeux de la différence des
sexes dans le langage théâtral et le langage musical » in
GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), op.cit..
166 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.17.
167 PLANA Muriel, op.cit., p.17.
52
Gravagna écrit, met en scène et joue sa
pièce Victoire, fille du soldat inconnu, Martine Amanieu prend
le temps d'explorer des textes non-sexistes, de Genet, Duras et d'autres.
Muriel Plana observe une évolution intéressante
du théâtre. Elle observe que les transformations artistiques de la
deuxième moitié du 20ème siècle
féminisent le théâtre, mais plus par une
féminisation des hommes artistes qu'une féminisation de la
profession :
Dès lors [dans les années 1960], corps et
sexualité, le « féminin » selon la doxa masculine, sont
valorisés et désirés. Les hommes goûtent le
féminin et se "féminisent" dans leur approche de l'art. Les
récits intimes, les autobiographies théâtrales se
multiplient (Urlo de Pippo Delbono). [...] [A]u théâtre,
où les hommes relaient le féminin plus qu'ils ne laissent les
femmes véritablement investir les scènes168.
Ainsi, si le féminin est porté sur scène,
le discours public du théâtre reste majoritairement
énoncé par des hommes. Si le genre artistique se trouble, le
genre social reste discriminant.
1.3.2.3. Musique
97% des compositeurs dont on entend la musique sont des
hommes. [...] 86% des directions, sur l'ensemble du secteur musical
subventionné par le ministère de la culture et de la
communication, sont occupées par des hommes. [...] 56% des
élèves de musique sont des filles. [...] 30% des permanents
d'orchestre sont des femmes. Elles représentent 44% des cordes, 25% des
percussions, 16% des bois, 2% des cuivres. Huit solistes sur dix sont des
hommes169.
Un des éléments clés des rapports sociaux
de sexe dans la musique est la distinction qui est faite entre chant et
instrument (à tel point que certain?nes disent « chant et musique
»). Professionnellement, le chant est plutôt
représenté par des femmes (57%), alors que les instruments sont
surtout joués par des hommes (84%).
Les voix de femmes ont, dès l'Antiquité
présenté des particularités intéressantes à
exploiter sur le plan artistique. Sous Lully, dès 1672, les chanteuses
de l'Opéra étaient nécessaires, des divas apparurent et
furent rémunérées autant, voire plus, que leurs homologues
masculins170. Pour la chercheuse Launay, les chanteuses de
l'Opéra travaillaient en dehors du théâtre, elles tenaient
compagnie à de riches hommes et la relation devait peut-être aller
jusqu'à la prostitution171. De telles pratiques ont pu
alimenter l'image peu morale des femmes de scène, qui se retrouve dans
les spectacles de cabaret. Cette image sera effacée dans le chant
lyrique par l'embourgeoisement, au 19ème, des chanteuses
d'Opéra. Comme les présences de femmes
168 PLANA Muriel, op.cit., p.245.
169 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.45.
170 LAUNAY Florence, art.cit., p. 47.
171 CASTIL-BLAZE, L'Académie impériale de
musique, Paris, Castil-Blaze, 1855, cité par LAUNAY Florence,
art.cit., p. 47.
53
sur scène, les voix de femmes ont été
considérées comme immorales, ou du moins
obscènes172 : « L'Église chrétienne met
très tôt l'accent sur l'impureté des femmes et de leur voix
et, en principe, en interdit l'emploi dans les cultes173 ». La
recherche de voix célestes, aux tessitures hautes amènera plus
tard la pratique des castrats. Les chanteuses sont encore porteuses de cette
dichotomie, entre voix « pure », cristalline, et objet de
séduction. Les chanteuses de blues ou de jazz, en travaillant une
gravité et un grain ont su sortir d'une symbolique céleste et
angélique, tout en amenant un autre fantasme sur scène, celui de
la femme forte, un peu fatale.
Au sein même des instrumentistes, une
ségrégation horizontale se forme autour des clichés
d'instruments genrés. Ravet, dans plusieurs de ses
ouvrages174 décrit les phénomènes de sexuation
des instruments. Les femmes ont assez tôt enseigné la musique, par
contre, elle n'avait pas accès aux orchestres (l'instrument
empêchant d'exploiter leurs atouts, d'un point de vue androcentré,
il n'y avait aucun avantage à les laisser se professionnaliser).
Certaines ont fait des orchestres ou plus petites formations uniquement
composées de femmes, mais elles n'en vivaient pas. Il n'y a donc aucun
instrument non-masculin dans la pratique. Par contre, les divers interdits ou
contre-indications ont réputé des instruments « plus
féminins », au sens « plus praticable pour une femme ».
Le piano était l'instrument le plus pratiqué par les jeunes
filles de bonnes familles. Le violon pouvait se jouer sur le genou par les
femmes, laissant la posture debout aux hommes. Les cuivres étaient
contre-indiqués et interdits à l'apprentissage par les filles ;
le souffle qu'il fallait pour faire sonner un cor aurait
désorganisé leurs « vapeurs ». La flûte
traversière, au son doux et aérien, soufflée de
côté put être jouée par des femmes dès le
début du 20ème siècle. Et le premier prix en
classe de clarinette au conservatoire n'a été obtenu par une
femme qu'en 1974175.
Professionnelle ou amatrice, cette pratique de l'instrument
n'est qu'au service de la composition, écrite par des hommes.
Geneviève Fraisse écrit : « la pianiste montre un rapport
des femmes à la création, elle est l'interprète du
créateur176 ». Juliette Kapla, artiste associée
d'Uzeste Musical, s'est longtemps confrontée, et encore
parfois, à cette image qu'elle ne peut pas être
l'écrivaine177. Sortie de spectacle, des spectateur?trices
lui ont plusieurs fois demandé qui écrivait ses textes,
étonné?es d'entendre que c'est elle qui compose. Pourtant, des
lauréates
172 « Obscène » au sens « ob -
skéné », soit qui doit être « hors de
scène ».
173 LAUNAY Florence, art.cit., p. 43.
174 RAVET Hyacinthe, « Professionnalisation
féminine et féminisation d'une profession : les artistes
interprètes de musique », art.cit., pp.173-195.
175 RAVET Hyacinthe, Les musiciennes d'orchestre,
thèse de sociologie, Paris, 2000.
176 FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ?
», art.cit., p.19.
177 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p. 163.
54
du prix d'orgue au Conservatoire sont apparues dès
1827, alors que c'est un instrument d'église qui nécessite des
connaissances théoriques approfondies pour l'improvisation et donc de
composition instantanée178. Les traces de l'histoire sont
pleines de contradictions qui perdurent dans nos dires et nos pratiques.
Prat et Launay témoignent de l'écrasante
majorité de directions d'orchestres aux hommes, toujours en dessus des
90%. (Il faut noter que le?a chef?fe d'orchestre doit maîtriser un
instrument, le vivier féminin est donc de 39% de femmes instrumentistes
en musique savante179.) Launay rapproche cette direction des plus
masculines du secteur culturel à un conservatisme religieux :
Étant donné la ritualisation du concert et les
pouvoirs « mystérieux » conférés à la
musique, nous pensons ici à de fortes résistances symboliques
dans une analogie avec l'androcentrisme des religions dominantes en Occident :
on tolère la vestale (l'interprète), mais pas la grande
prêtresse (la cheffe d'orchestre), ni la déesse (la compositrice).
Direction et création sont encore l'apanage du grand prêtre et du
dieu créateur180.
Comme il est encore quasiment inenvisageable de donner le
droit aux femmes de mener une cérémonie religieuse, il semble
très difficile de confier la direction d'un orchestre à
celles-ci. L'analogie est intéressante, et peut jouer au seuil
d'élimination l'accès au poste de direction en binôme avec
le préjugé que les femmes ne peuvent pas diriger.
Toutes les histoires des femmes de scènes, actrices,
chanteuses, danseuses, leur professionnalisation s'est mêlée de
prostitution et d'embourgeoisement. Historiquement interprètes et non
créatrices, elles vacillent entre le mythe du corps pur, sacré et
du corps de tous les péchés... entre la Sainte Vierge et Eve. Les
instrumentistes de musiques populaires et particulièrement de jazz
forment le vivier principal des artistes d'Uzeste, il est nécessaire
d'en d'observer l'organisation genrée.
1.4. FOCUS SUR LE JAZZ
Le jazz est né du besoin de libertés des
afro-américains dès la fin du 19ème. Il porte
un mythe de la libération des noir?es américain?es. Pourtant
aujourd'hui, si nous allons dans une jam de jazz -observation faite
à Toulouse et à Bordeaux des années 2013 à 2015-,
nous pouvons voir que la grande majorité des personnes qui montent sur
scène se compose de jeunes hommes locaux. Marie Buscatto, en tant
qu'ethnographe pointe les éléments qui rendent difficile un
178 LAUNAY Florence, art.cit., p. 52.
179 Cesta/DEP (ministère de la Culture et de la
Communication), 2001, cité par LAUNAY Florence, art.cit., p.
43.
180 LAUNAY Florence, art..cit., p. 55-56.
55
rapport d'égal à égale, entre hommes et
femmes dans le jazz. Son enquête se fait depuis 1998. C'est une
observation prolongée de 108 musicien?nes professionnel?les de
différents instruments, styles et réseaux. Depuis 2004, elle
augmente ses observations d'une quarantaine d'entretiens d'instrumentistes
(femmes et hommes) et dix entretiens de chanteur?ses. L'Hestejada des las
arts n'est pas un festival de jazz, mais la majorité des
musicien?nes qui y sont invités, soit la majorité des artistes du
lieu, viennent du jazz. Il est donc intéressant de contextualiser ce
réservoir. Bernard Lubat et Fabrice Vieira expliquent le peu de femmes
à Uzeste par une difficulté à trouver des musiciennes. Il
faut reconnaître qu'ils n'apprécient que quelques rares groupes de
jazz, surnommant malicieusement le registre des autres : « jazz de chambre
». Buscatto compte que : « 8% des deux mille musiciens de jazz sont
des femmes. De plus, alors qu'environ 65% des chanteurs sont des chanteuses,
les femmes constituent moins de 4% des instrumentistes181 ».
Lubat possède la même aversion que bon nombre de musicien?nes pour
les chanteur?ses et les ambitions artistiques de la structure réduisent
encore le nombre d'instrumentistes potentielles. A travers les observations de
Buscatto, nous pourrons comprendre des éléments
d'éliminations des musiciennes de jazz, et savoir quels sont ceux qui
peuvent être modulés dans le cadre d'Uzeste Musical.
1.4.1. LA CHANTEUSE, « ECHELON INFERIEUR DE LA
VALEUR MUSICALE »
Bernard aborde un problème, entre genre et artistique :
Puis des artistes féminines y en a toujours eu,
justement. Mais pas facilement parce qu'y avait que des propositions de
chanteuses de variété, quoi. On n'en voulait pas nous.
Après ils m'ont dit... J'ai été beaucoup critiqué
pour ça. Mais moi j'en veux pas de la variété. Voila.
Comment je m'en sors? Je leur dis « y en a assez ailleurs ». Moi j'en
veux pas. J'en veux pas parce que ce système, c'est pas possible, de
chanteuse ou de chanteur avec les larbins derrière qui
accompagnent182.
Outre la critique du vedettariat, le problème du rejet
du jazz vocal n'est pas inhérent à Uzeste. Par ses recherches,
Marie Buscatto montre comment le chant en jazz, majoritairement
interprété par des femmes est déconsidéré,
situé « aux échelons inférieurs de la renommée
et de la valeur musicale183 ».
181 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois
défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p.
88.
182 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.138.
183 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point
métier d'homme, L'accord imparfait entre voix et instrument »,
Revue française de sociologie, 2003, vol. 44, no 1,
p. 35.
56
Les chanteuses sont réputées184 pour
s'arrêter à l'interprétation de standards alors que les
instrumentistes chercheraient la composition. Cette idée enferme encore
les genres dans le dualisme créateur/interprète. Vient ensuite
l'argument de l'incompétence. Le travail de la voix n'est pas toujours
considéré comme celui d'un instrument, « c'est naturel
». Elles sont aussi réputées en manque de connaissances
musicales à tel point que « chanteuse » peut être une
insulte pour dire à un?e instrumentiste qu'il?elle ne tient pas le
rythme.
« Faire la chanteuse » c'est aussi se mettre devant,
avec les musiciens qui accompagnent. Ce genre de représentations (avec
« une chanteuse sexy » comme il a été demandé
à Juliette Kapla) est apparenté à un jazz
commercial. Les musicien?nes comme les chanteur?ses acceptent de faire du
jazz commercial pour l'argent. Cependant, comme ce sont les chanteuses qui sont
leadeuses dans la plupart de ces appels, elles sont associées
à ces soirées (restaurants, hôtel...), les éloignant
symboliquement du vrai jazz185, d'un jazz plus
artistique, de ses publics et de ses programmateur?trices. Pourtant, dans
l'enquête de Buscatto, des chanteuses sont en demande de « jouer
avec » et non pas d'être accompagnées.
D'après Buscatto, le jazz fonctionne par projet
où les musicien?nes sont leaders ou sideman
(appelé?es pour jouer). Pour en vivre, il faut avoir deux, trois groupes
comme leader et le reste en sideman. Dans son enquête,
alors que quasiment tous les hommes sont sidemen d'au moins une
chanteuse, ils ne proposent pas à des chanteuses de participer à
leur projet (une exception dans son enquête : le chanteur qui est aussi
instrumentiste...). Les chanteuses sont tout le temps leadeuses, avec
l'épuisement que cela signifie en recherche d'achat, planification de
répétitions, etc. La réputation qui leur est faite,
d'interprètes, d'incompétentes et de cloisonnées dans un
jazz commercial, rend difficile leur insertion dans un réseau de
musicien?nes. Uzeste comme les autres, semble réfractaire à ces
chanteuses et plus encore à la recherche d'instrumentistes. Pourtant,
comme d'autres critiques et musiciens de jazz, ils espèrent une
parité... Il y a un espoir à Uzeste, où il existe un
respect pour des chanteur?ses très techniques comme les Double-six,
dont Bernard Lubat fit partie en 1965.
184 Pour les trois points à venir : BUSCATTO Marie,
« Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme »,
art.cit. pp. 43-47.
185 BECKER Howard Samuel, Les mondes de l'art (1982),,
Paris, Flammarion, 1988, p. 128, cité par BUSCATTO Marie, «
Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit,
p. 48.
57
1.4.2. LE « GROUPE DE POTES » AUX BAGARRES
PERMANENTES
L'approche de l'apprentissage musical semble lui aussi
genré. Là où les garçons ont tendance à
commencer à jouer en groupe avec leur « potes », les filles
débutent par les cours de technique. Les premiers verront donc les cours
comme un détour nécessaire pour continuer de jouer, alors que les
filles les aborderont comme le chemin de professionnalisation186.
Dans l'enquête de Marie Buscatto, les femmes qui ont réussi
à devenir et rester musiciennes ont, pour la plupart, fait une «
entrée rapide et stable dans le monde du jazz dès les
premières années de professionnalisation » grâce
à un recrutement « inespéré » comme musiciennes
dans une troupe de théâtre, un groupe musical très actif ou
un réseau social très efficace187. Pour les hommes,
elle observe que ce sont les groupes de potes, se transformant en
réseaux qui engendrent une professionnalisation difficile au
début, mais stable sur le long terme.
La première technique d'adaptation des jeunes femmes
à ce milieu très masculin semble être l'adaptation aux
codes « d'entre-mecs », celles qui ont une habitude des contextes
où ils y a beaucoup d'hommes sont plus facilement sociabilisées,
parfois en passant par des attitudes machistes. D'autres, femmes et hommes, se
sentent trop rejeté?es du milieu pour continuer
l'aventure188.
Marie Buscatto écrit : « Les chanteuses ont
souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente et sans cesse
renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux189
». Si elle n'utilise pas les mêmes mots pour parler des
instrumentistes, le constat reste quelque peu le même :
Passée la trentaine, soit elles disent « se battre
», « avoir du répondant », mais elles considèrent
aussi qu'elles en ont « marre » de ce type de relations et
d'être trop souvent perçues comme des « râleuses »
de ce fait. Soit elles développent d'autres relations musicales dans des
contextes plus mixtes, voire féminins, en dehors du jazz. Soit enfin,
elles limitent ces moments vécus comme « agressifs » en
restreignant leurs collaborations musicales aux musiciens connus et
jugés respectueux190.
Juliette Kapla correspond totalement au schéma, elle
décrit sa décision de faire un groupe de femmes comme un moment
de maturation mais aussi un soulagement : « Et je me suis sentie
186 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois
défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit, p.
92.
187 Ibid., p. 93.
188 Ibid., p. 88.
189 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point
métier d'homme », art.cit, p. 52.
190 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois
défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit. p.
102.
58
très bien de travailler avec une femme. Ça m'a
beaucoup reposée en fait. J'ai eu l'impression qu'il y avait un tas de
rapports de force qui n'existaient plus191 ».
Bernard Lubat, lui, voit un but à la confrontation en
improvisation :
Le problème de l'improvisation c'est que c'est pas par
hasard que ça soit une bagarre. Parce qu'improviser ça veut dire
sortir des sentiers battus. Et si tu veux sortir de ce que tu sais faire il
faut se battre avec soi-même. Sans ça, tu restes dans ce que tu
sais faire. [...] C'est pas que violent une confrontation. Mais y a une
dialectique. [...] Donc tout ça, c'est de la culture de l'autre. C'est
la culture de l'échange. Mais un échange qui nous change pas,
c'est pas un échange. [...] C'est aussi la question du déconfort
et du dé-conformisme192.
Il précise sa pensée avec un exemple :
Isabelle Loubère, quand elle vient jouer et chanter
avec nous, elle s'accroche au micro et elle hurle punk/free; "Aarrrk!! vrr"
chante en patois j'sais pas quoi. Au moins elle a un comportement de
révolte, de rébellion à son état d'être, et
d'un seul coup ça produit artistiquement quelque chose de goulu, quoi!
Et d'un seul coup on joue quoi ! D'un seul coup on est à
égalité! On n'est pas là pour faire gaffe à pas
lui... Non, non elle est là pim-pam-pim-pim. Je lui fous des accords
elle se met à gueuler et, et voilà. C'est cette histoire, et
Uzeste, l'improvisation c'est ça. C'est pas une bagarre pour la bagarre,
c'est... Il faut qu'il y ait une relation... Écoute, tu as vu comment il
tape Louis sur une batterie, quoi. Pourquoi il tape comme ça. Il tape
comme ça parce qu'il se bat avec lui-même, quoi. Et il faut que
les filles elles se battent avec elles-mêmes. Faut se battre avec
soi-même193.
Nous pouvons voir le décalage entre les
réalités de Juliette Kapla qui parle de bagarre pour que le son
de son micro soit monté, pour qu'elle soit reconnue comme
écrivaine et pas interprète parce qu'elle est écrivaine,
et Bernard Lubat qui fait référence à une
réalité artistique. Mais la confrontation artistique dont il
parle nécessite une confiance, un rapport d'égal?e à
égal?e entre les individus. Les confrontations sociales, qui
positionnent les musiciennes en marge des créations auxquelles elles
participent, les empêchent d'accéder à la confrontation
artistique énoncée par Lubat.
A Uzeste, « groupe de potes » n'est pas la formule
adaptée, mais il y a néanmoins un noyau dur d'artistes
récurrents : Michel Portal, André Minvielle, Patrick Auzier,
Bernard Lubat, les « pères manants194 » comme ils
se nomment. Laure Duthilleul, dans l'entretien avec Bernard195, est
citée comme ayant fait partie intégrante de l'aventure en tant
que comédienne. Laure était à l'époque la compagne
de Bernard, ce qui a amené cette parisienne à venir participer
191 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.166.
192 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.139.
193 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.140.
194 Programme de la 24ème Hestejada des las
arts : la soirée du 18 aout 2001 est nommée La Nuit des
Pères Manants
195 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, P.136.
59
au projet d'Uzeste Musical. Mais en dehors des
relations de couple, les musiciennes expriment leur difficulté à
« fermer la séduction ». Se confrontent les besoins
professionnels de séduire les publics et rester amie, sans
ambiguïté, avec les autres musiciens. Ce n'est peut-être pas
anodin si quasiment toutes les instrumentistes citées avec
intérêt par Bernard sont homosexuelles. Elles ont certainement eu
moins d'embarras à jongler entre les stéréotypes de
séduction et l'hyper masculinisation.
1.4.3. LE COUPLE
La majorité des femmes instrumentistes de jazz
étant en couple avec un homme du milieu, et ce, dès le
début de leur professionnalisation196. Elles
bénéficient du réseau de leur conjoint, ce qui leur permet
notamment de pratiquer, sans ambigüité avec les autres membres du
groupe.
Elles bénéficient surtout du réseau
professionnel de leur conjoint. Mais cette situation vécue comme «
naturelle » et « agréable » les installe dans une
dépendance du réseau du compagnon :
La plupart des femmes instrumentistes ont, ou ont eu de
manière durable, un conjoint instrumentiste (ou parfois programmateur,
agent ou producteur) de jazz. Elles participent bien au réseau de leur
conjoint, et non à un réseau partagé. En effet, quand la
relation amoureuse s'arrête, comme nous l'avons constaté à
plusieurs reprises, le réseau « disparaît » pour la
femme instrumentiste et tout est à reconstruire pour elle, sur un plan
personnel et professionnel. En revanche, quand la relation amoureuse s'amorce
et grandit, les collaborations se multiplient à partir du réseau
de l'homme impliqué dans le jazz197.
Les simples aventures qui tournent mal avec un musicien du
groupe peuvent se transformer en « relations professionnelles
difficiles198». Il en serait certainement de même si les
sexes étaient inversés, mais le fait que les hommes soient
extrêmement majoritaires et possèdent les réseaux leur
donne un pouvoir supérieur.
Le spectre historique de n'être perçue que comme
« la femme de » est aussi une crainte199. Même
Juliette Kapla qui n'a pas pris le nom de son mari, Fabrice Vieira, se demande
combien de personnes pensent qu'elle est à Uzeste par le fait de
Fabrice.
Buscatto observe aussi un décalage entre les couples
avec au moins un ou une musicien?ne. Les musiciens ont souvent une
conjointwife, une institutrice, une chargée de production ou de
communication qui les soutient autant dans la vie professionnelle que
privée,
196 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois
défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p.
94.
197 Ibid.
198 Ibid., p. 95.
199 Ibid., p. 100.
60
notamment en acceptant les absences et les faibles revenus. A
l'inverse, elle remarque : « Les femmes instrumentistes
interviewées n'ont pas rencontré d'hommes prêts à
jouer ce rôle dans la durée et ne semblent d'ailleurs pas attendre
une telle disponibilité de leur part200 ». De plus,
celles en couple avec un musicien ont tendance à soutenir
l'administration et autres préparations de concert (le repassage des
chemises par exemple) des deux membres du couple.
Héritières de l'idée que
procréation et création ne sont pas compatibles, une
majorité de musiciennes choisissent de ne pas avoir d'enfant. La
chercheuse affirme pourtant que ça n'influence pas leur
carrière201.
A Uzeste, le couple semble être un moyen efficace
d'intégration, même sur le long terme. La ruralité du lieu
est porteuse des histoires où les amours vont et viennent, mais
où les gens restent. Le couple peut ainsi être
bénéfique dans la professionnalisation Cette ruralité, et
les choix de programmation permettent aussi aux jeunes parents de venir en
famille : les artistes, même s'ils?elles doivent faire garder l'enfant
pendant les spectacles, ne sont pas contraint?es de laisser l'enfant pendant
toute la tournée à la charge du?de la conjoint?e. La charge des
enfants étant encore majoritairement laissée aux mères, le
fonctionnement aux caractéristiques familiales de la structure peut
être un atout d'équité professionnelle. Mais le risque
reste, de n'être que « la femme de », sans
légitimité propre et dépendante du réseau du
conjoint202.
Dans le jazz, la proportion d'hommes est écrasante
(92%). Représentant 4% des instrumentistes et 65% des chanteur?ses, les
jazzwomen sont associées au jazz vocal, au jazz commercial avec
la chanteuse sexy, ne brillant pas pour ses compétences. Ainsi
dévalué, le chant est peu appelé, réduisant les
possibilités des chanteuses de profiter de réseaux de
musicien?nes. Au-delà de la critique du chant, les musiciennes de jazz
se confrontent à un plafond de verre dans l'insertion professionnelle.
Dépendantes du réseau de leur conjoint ou bataillant pour faire
leur place dans un groupe de potes, les musiciennes sont plus
désavantagées dans une lutte sociale qui les empêche
d'accéder à une lutte artistique, nécessaire à la
progression.
Le secteur culturel, politiquement considéré
comme féminin est, en acte, un secteur masculin,
représenté par des hommes et dirigés par des hommes. A
tous les échelons de la
200 Ibid., p. 103.
201 Ibid., p. 104.
202 Nous reviendrons plus précisément sur
insertion par le couple dans le réseau uzestois en 2.2.1.3. «
Sexuellement rattachée à Uzeste ».
61
hiérarchie, de la formation en amateur à la
direction de structure, les proportions de femmes se réduisent pour tous
les arts. Ne se sentant pas légitimes, considérées trop
nombreuses pour le marché du travail, ne réussissant pas à
s'insérer ou rester dans les réseaux professionnels ou
perçues comme incompétentes aux postes de direction, les femmes
ne parviennent pas à détruire le plafond de verre de ce secteur.
Les arts entre eux sont aussi genrés. Mais les arts pratiqués en
majorité par des filles en amateur, comme la danse ou le
théâtre, réclament à un niveau professionnel une
quasi parité aux dépends des filles. A l'inverse, les domaines
plus pratiqués par les garçons tels que la musique ou la
vidéo, ne privilégient pas les candidatures féminines.
Uzeste, éminemment dépendant des viviers nationaux, ne
détonne pas du paysage macrosocial, avec une minorité de
représentations féminines (22%), et une réduction de ces
représentation d'une moindre à une forte visibilité. Ces
chiffres ne démontrent pas une compétence naturelle des hommes
pour la scène, mais une construction sociale qu'il faut historiciser.
Après la Révolution, la misogynie collective a chassé les
femmes des institutions de création mais aussi de l'histoire. A la
même période se construisirent des dichotomies genrées
érigeant les hommes comme seuls potentiels artistes :
création/procréation, génie/muse, dilettante/artiste et
même créateur/créature avec la multitude de tableaux de
femmes si réalistes que les sujets semblaient créés par
les doigts de l'artiste. Le sexisme* n'affecte pas que la profession
artistique, mais aussi ses représentations (femmes victimes, sexy,
« femme de », mère.../hommes actifs, pensants,
indépendants...). En cela, les arts de la scène possèdent
un rôle de média, produisant des représentations
rétro-agissantes sur la société. L'oeuvre est liée
à sa production. La production artistique, comme toute pratique, est
traversée par des valeurs intériorisées et
hiérarchisées comme le genre. Considérer que l'oeuvre
n'est pas immanente, qu'elle dépend de son cadre de production et de
réception, permet de réévaluer les canons artistiques,
encore calqués sur des systèmes de valeurs androphiles.
62
2. LE GENIE, LA CHANTEUSE ET L'OPTIMISTE :
PORTRAITS
Nous avons pu rapidement contextualiser les rapports sociaux
de sexes en France, et les historiciser. Uzeste Musical étant
dépendant du vivier national, il est logique d'avoir observé une
corrélation quantitative entre les deux échelles. Cependant, la
différence significative du nombre de représentation des femmes
sur la scène à visibilité importante comparée aux
scènes à moindre visibilité suppose que le problème
se situe au-delà du réservoir de femmes artistes disponibles.
J'ai donc cherché, au travers des discours d'acteur?trices du terrain,
les continuités et divergences avec les modèles symboliques
créés par l'histoire des arts. Ne pouvant questionner tou?te?s
les membres actifs de la structure, j'ai opté pour trois entretiens
semi-directifs et un entretien en groupe. Ce dernier donne la parole à
quatre enfants d'Uzeste aujourd'hui actifs dans la structure. Les femmes
permanentes à Uzeste travaillent au bureau et je tenais à
questionner des artistes, c'est-à-dire des personnes qui produisent le
discours médiatique/scénique. J'ai donc interrogé Juliette
Kapla, artiste associée de la Cie Lubat, habituée
à la scène uzestoise. L'entretien avec elle a fait
apparaître des moments de constructions de pensée in
situ, comme une sorte de performance intellectuelle. La rencontre, avec
Bernard Lubat, maître des lieux, était une évidence.
Même s'il dit ne pas être représentatif d'un lieu, il en est
l'investigateur et le directeur artistique. Les trois heures d'entretien
étaient rodées par un discours expérimenté sur
scène et dans la vie quotidienne. Son fil de pensée est tant
présent qu'il en est palpable. Je mis plus de temps à choisir
Fabrice Vieira comme troisième voix. Pourtant, c'est aujourd'hui le
maillon indispensable de ces portraits en triptyque. Il est le lien entre les
pratiques genrées, à la fois musicien, chanteur, administrateur
et technicien. Il fait partie du lien entre Lubat et Kapla. Il est aussi entre
la génération de Bernard Lubat et celle de son fils. Etrangement,
ses réflexions semblent aussi entre celles des uns et des autres. Son
portrait croisera donc les discours pour en faire sortir du relief. Tous se
sont mis à parler avant même que les questions ne leur aient
été posées. Une aisance de langage, une utilisation des
mots pour ce qu'ils veulent dire. On sent, dans chaque discussion, un fil de
pensée qui est déjà déroulé et se
déroule encore, parfois sous mes yeux. Une pensée en mouvement,
qui se construit, notamment par des conversations.
2.1. BERNARD LUBAT - L'IDENTITE DU LIEU
Il était déjà à la table de
l'Estaminet quand j'ai ouvert la porte. Le petit théâtre
était vidé de ses chaises, une table massive en son centre. Elle
était recouverte de livres, de notes et de
63
journaux. Elle semblait être une résurrection des
laboratoires/bureaux des savants fous de nos fables ancestrales. Le jeu de
découpage et d'assemblage de fragments de textes que j'observais du coin
de l'oeil en posant mon manteau, me faisais penser à quelques
dramaturges. Pourtant, Bernard Lubat est un musicien, ou un amusicien
comme il se définit. Le projecteur de service éclairait
d'une lumière crue, désacralisant la salle de spectacle. La
scène portait des boites qui auront englouti quelques heures plus tard
les instruments et jouets pour le concert du lendemain. Une table à part
recueillait tous les journaux parus les 8 et 9 janvier 2015 sur l'attentat
à Charlie Hebdo. Uzeste n'est pas une bulle hors du temps et
des maux. La discussion s'est enclenchée avant que l'enregistreur ne
soit allumé. J'appréhendais cet entretien depuis plusieurs
semaines ; prévisible dans son imprévisibilité. Bernard
Lubat est intarissable. Diminuer le nombre de questions ? Contraindre à
des réponses courtes ? J'avais choisi de conserver la grille principale
d'entretien, déjà utilisée avec Juliette Kapla, comme
facteur témoin203. L'entretien fut plus long (trois heures),
plus laborieux. Les chemins empruntés par Lubat furent passionnants mais
nécessitaient d'être redirigés vers le sujet. Je tiens
aussi une responsabilité dans les dérives de notre conversation,
en n'osant rarement porter des questions incisives, peut-être un peu
impressionnée. Lorsque son discours fut couché sur le papier,
trois idées fortes sont apparues comme les couleurs de base de la figure
du génie : la mise en mot de la genèse d'Uzeste Musical
comme un récit épique* dont il est le héros, les
figures emblématiques et géniales auxquelles il peut être
associé, et sa volonté de faire fi de la reconnaissance
extérieure au profit d'une légitimité propre et
autoproclamée.
2.1.1. LA GENESE, LE RECIT EPIQUE D'UNE HISTOIRE
VRAIE
Dans son mémoire d'histoire, Le festival d'Uzeste
et la Compagnie Lubat-1978-1990204, Philippe Ogilvie utilise le
champ sémantique du récit légendaire pour parler du
discours historique qui lui est délivré par Bernard Lubat :
« Mythologie », « récit », il va jusqu'à
nommer son chapitre de contextualisation « Préhistoire et mythes
fondateurs ». Ces termes plus poétiques qu'analytiques laissent
penser que l'histoire d'Uzeste musical se conte. Dans le discours de
Bernard Lubat, nous pouvons observer le schéma narratif traditionnel du
récit. C'est-à-dire, d'abord la mise en place d'une situation
initiale, ensuite un élément déclencheur qui engendre des
péripéties jusqu'à atteindre, enfin, une stabilité
dans l'état final. La genèse
203 Drille initile d'enretien en Annexe 1.1.2.1.
204 OGILVIE Philippe, Le Festival d'Uzeste et la Compagnie
Lubat 1978-1990, Mémoire de maîtrise d'histoire culturelle, (sous
dir.) GOETSCHEL Pascale et Pascal ORw, Université de Paris-I
Panthéon-Sorbonne Centre d'Histoire Sociale (CHS), Paris, vol.1, 2005,
chapitre 1.
64
contée par Bernard Lubat relève aussi de
l'épopée*, au sens où elle se construit autour d'un
personnage principal, lui-même, avec un rythme soutenu par
l'enchaînement de péripéties. Il se comprime en quelques
répliques continues205. La trame du texte est suivie dans
l'analyse.
L'histoire débute dans son enfance, à Uzeste
donc : « quand j'avais 15 ans, j'ai fui le monde rural qui était en
déshérence, et parce que dans le milieu rural on était
dans le servage quoi, on n'était pas libre». Il y a
déjà les indices de la rupture avec le monde rural et la
quête de la liberté. Il enchaîne : « Et puis j'ai fait
comme tant d'autres, je suis allé à la ville, dans une autre
servitude. [...] je suis devenu une espèce d'esclave de luxe quoi, bien
payé. Pour fermer sa gueule. Pour jouer ce qu'il fallait jouer comme
musique». La situation initiale a muté mais le registre de la
soumission, « servage », « esclave », indiquent que nous
restons au stade zéro de la quête.
« Et puis, heureusement, » introduction d'un
élément déclencheur, « parallèlement à
cette vie à Paris, j'avais vingt ans et quelques, vingt-cinq, j'ai
découvert la liberté la nuit.» La liberté, on y
revient.
La nuit dans les caves, dans les caves enfumées, sous
la terre. [...] Les caves à Jazz. Où là justement
s'exprimait une espèce de tonitruante liberté de moeurs, de
prè-68, c'était avant 68, de moeurs, de musiques, dangereuses
pour la santé, truffées de poètes, de littéraires,
de musiciens, d'artistes quoi, voilà, de politiques, de mecs douteux, de
mecs en rupture de ban. Et j'étais, la nuit, là, sous la
terre206.
Ici, Bernard Lubat nous berce par un rythme mêlé
de respirations et de répétitions. L'ancrage en 1968, même
si c'est un élément du réel, connote plus un 68 mythique
que purement historique207. Lorsqu'il conte le rassemblement de ces
« mecs douteux », « poètes », « artistes »
dans les « caves enfumées », à Paris qui plus est, je
comprends mieux la nostalgie éprouvée par les jazzmen de
notre époque. Le rêve de pousser les murs avant qu'ils ne tombent.
Chercher des libertés avant qu'elles ne soient acquises. L'idée
d'art mêlé aux révolutions historiques, rappelle les
Lumières, les Ballets Russes, le butô, le jazz
afro-américain, etc. Ces histoires sont convoquées ici, par le
lien ténu, tendu tout au long de notre histoire entre politique et art.
En tant que récepteur actuel, l'enjeu est de savoir si l'on peut faire
partie de cette histoire. Continuons donc : « Et puis la journée,
à la surface, en plein air, j'étais ... ouvrier
spécialisé du
205 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, pp.131-132.
206 Ibid.
207 Mai 1968 n'est pas sans rappeler la Révolution
française. Dans ces deux mouvements citoyens, les femmes furent
très actives, mais au lendemain de ces révolutions, elles n'ont
pas été reconnues. Ce qui, pour la plus récentes, a
amené (entre autres) le Mouvement de Libération des Femmes
à faire des réunions non-mixtes dès octobre 1968.
65
showbiz », la quête est débutée par
le jazz, mais reste encore embryonnaire. Il faut attendre les retrouvailles
avec Uzeste pour obtenir une gestation.
Le retour au village s'annonce : « Et puis j'ai fait par
hasard en 78 le premier Uzeste Musical, parce que je passais par
là en tournée avec Michel Portal.» L'héroïsme
dépend toujours du hasard, du destin... C'est dans le vide rural qu'il
trouve le début de sa quête artistique :
[C]'est les retrouvailles avec l'état dans lequel
était Uzeste et surtout dans l'état dans lequel Uzeste
était en moi. Le village de mon enfance. J'ai pensé que ma
modernité c'était à partir d'ici quoi. C'était
à partir de ce handicap d'être minoritaire parce que
ruralisé. Tu vois ça valait pas un clou la ruralité.
Ça vaut encore moins maintenant. Mais pour moi c'était... c'est
ma poésie. [...] et donc, je me suis réinstallé dans une
pensée écommuniste. Et je me suis dit : tiens il faut
que je fasse quelque chose d'autre. De ma vie, de ma pensée, de mon
imaginaire. Donc il faut que je me remette à apprendre208.
La prise de conscience provoquée par le retour dans son
village clôt la situation initiale. La situation secondaire se compose
comme un contre-point de l'initiale avec des oppositions symboliques et
matérielles : capitale/rural, « show-biz »/«pensée
écommuniste », « esclave de luxe »/ «
fauché comme les blés ».
Une quête débute par la recherche de
compagnon·es et des artéfacts nécessaires à celle-ci.
Une équipe se forme autour du musicien prodige : « quand je suis
arrivé ici, j'ai cherché qui était ici, quels
étaient les artistes ici. Les musiciens. Je suis allé voir
à Pau, à Bayonne, Bordeaux [...] Et puis c'est là que j'ai
rencontré Auzier, Minvielle, et puis la mère de Louis, Laure avec
qui j'ai vécu.» Les artéfacts, pour une quête vers la
liberté, sont aussi immatériels que celle-ci : apprentissages et
rencontres, un « travail sur soi, de musique, de philosophie, à mon
niveau, mais tu vois, tout le temps, tout le temps ». Ils permettront une
avancée laborieuse sur un chemin à l'horizon infini.
Néanmoins, le projet d'Uzeste Musical semble
trouver une apogée pour Bernard Lubat :
Et, grâce à ce double mouvement ; Uzeste
Musical qui continue et moi qui me travaille, là je suis
arrivé à une autre reconnaissance de mes pairs. De ceux que je
considérais, moi, comme des grands musiciens. Et
là j'ai eu la reconnaissance de ces grands musiciens. Je
suis devenu, a priori, un grand musicien209.
Dans ses propos, nous pouvons comprendre que Lubat parle d'une
reconnaissance pour la qualité d'engagement artistique de son travail,
mais aussi de ce qu'il a pu accomplir à Uzeste. La quête
intellectuelle reste en mouvement, sur une base structurelle plus aboutie.
208 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.132
209 Ibid. p.135.
66
L'épopée, en quelques mots serait : une suite
d'exploits historiques ou mythiques, dans un poème d'une langue
soutenue, pour exalter les sentiments d'un collectif, d'un peuple. Le langage
soutenu n'est pas à chercher ici. Par contre, l'aspect poétique
par les répétitions et la ponctuation serrée est
observable. Le registre légendaire des mots (« esclave »,
« désert », « tonitruante liberté », «
les caves enfumées », etc.) participe à la fictionnalisation
mentale du récit. L'historicité des évènements,
baignée dans le mirage de 1968, rassemble histoire et mythes. Enfin, le
récit de cette genèse, sans exalter les peuples, est
revendiqué avec fierté par les membres d'Uzeste
Musical.
Il n'est pas question ici de remettre en cause la
véracité des faits de la genèse de la structure. Les
photos collées sur les murs de l'Estaminet en attestent pour
beaucoup. De plus, le squelette classique de la narration est construit sur le
déroulement réel d'une aventure : début, aventure avec
péripéties et point final ou point d'orgue. Il est donc logique
de retrouver cette trame dans un discours sur des faits vécus. Il s'agit
ici de prouver que ce récit organisé participe à la
construction d'une légende, d'autant plus qu'il est relayé par
les médias traditionnels :
Il est important de noter dès maintenant que cette
référence à [l'] enfance [de Bernard] est toujours
relayée par la presse d'une part et mise en avant par Bernard Lubat
d'autre part comme étant fondateur de son identité, de son trajet
et de son devenir. Ainsi, dans presque tous les articles traitant de Bernard
Lubat ou du Festival d'Uzeste, est relatée cette enfance rurale
musicienne210.
Uzeste Musical se mythifie ainsi par l'oralité
et la médiatisation d'un récit tinté de valeur
épique. Si ce système de communication permet d'imposer une
intemporalité à Uzeste et donc à ses actions, il rend
aussi le travail de critique plus ardu. Il est complexe de critiquer, de
remettre en question un mythe, car c'est aussi fragiliser ce qu'il
représente. Peut-on critiquer Aphrodite sans critiquer l'amour ? Peut-on
critiquer Uzeste sans critiquer une utopie libertaire ? Il faut donc
réussir à ancrer, au moins sur le plan critique, Uzeste dans une
réalité contemporaine, pour l'analyser en tant que terrain
d'étude. Oser en disséquer la structure. Ce récit
amène d'autres questionnements : le discours légendaire
n'amène-t-il pas avec lui tous les stéréotypes
genrés de nos contes occidentaux ? Est-ce qu'il n'enferme pas dans un
conservatisme du vécu ? Dans une nostalgie du passé ? Ces
questionnements sont sur le discours du lieu et ce qu'il peut connoter. Il est
impossible d'affirmer ou d'infirmer ces hypothèses par cette
étude de neuf mois, mais il faut garder en tête le fait que le
discours est un média. Il diffuse donc des paradigmes qu'ils soient
intelligés ou non. Nous y avons vu les
210 OGILVIE Philippe, op.cit., p.19.
67
différents systèmes d'exclusion des femmes de
l'histoire des arts211. A Uzeste il ne s'agit pas d'exclusion
officielle, ni de réappropriation de travaux de femmes par des hommes,
heureusement. Bernard Lubat affirme qu'il y a toujours eu des femmes à
Uzeste Musical et cite en exemple des attachées de presse ou
administratrices. Ces métiers qui participent au fonctionnement du lieu
ne le révolutionnent pas, et restent peu visibles sur le plan
médiatique, ils ne sont donc pas relayés dans l'histoire -sauf
cas exceptionnel, par exemple de Laure Duthilleul qui était à la
fois comédienne et à l'administration d'Uzeste Musical.
Par la ségrégation horizontale macrosociale, la majorité
des femmes se trouvent dirigées dans des secteurs moins
médiatiques et par conséquent exclues de l'histoire ou du
récit microsocial?e d'Uzeste Musical.
2.1.2. LE GENIE : DU PRODIGE AU MENTOR
Bernard Lubat va bientôt fêter ses soixante-dix
ans, avec soixante ans de musique dans les doigts. Accordéon, piano,
batterie, vibraphone, tout est bon à apprendre. Derrière ses
notes comme dans son discours, se cachent deux figures symboliques : le prodige
et le génie.
Dans les années 1960, il est 1er prix du
conservatoire de Bordeaux puis de celui de Paris. En ces années, seule
la musique classique est enseignée, et il est considéré
comme excellent, dans ce domaine d'excellence. Pourtant, dans son discours,
cette situation de major du conservatoire est toujours utilisée
en opposition à son travail actuel d'improvisation et de musiques
populaires. Les journées au conservatoire s'opposent aux nuits de jazz,
la querelle avec l'école classique s'oppose à la jouissance de la
musique afro-américaine. C'est surtout dans les mots d'autres personnes
: spectateurs, jeunes admiratif?ves, mais aussi les médias, que les
récompenses de l'institution musicale deviennent symboles d'un petit
prodige des Landes, parti briller à la capitale.
Il avait les papiers attestant son excellence aux yeux du
conservatoire et il gagnait beaucoup d'argent en étant musicien de
studio à Paris. Cependant, il a renié tout cela pour venir jouer
dans son village, où il incarne la figure du génie incompris :
« Quand je suis arrivé ici, j'ai eu des gens pour, et rapidement
tout le monde contre ». Cette vision de l'artiste solitaire fonctionne en
tandem avec le mythe de l'artiste romantique, au-delà de la raison :
« Je suis un génie ! Je suis un génie ! Tu sais ce que
ça veut dire ? Ça veut dire que je suis un idiot ! »
s'est
211 1.2.1. L'absence des femmes dans l'histoire de
l'art.
68
écrié Lubat dans un moment de colère
à la suite d'un concert212. Tel Don Quichotte qui se bat
contre des moulins à vent, ou Cyrano de Bergerac contre la
mort213, Bernard Lubat parle de « se battre contre
soi-même, contre le système».
En revenant à Uzeste, il s'est mis à travailler
sans relâche ses zones d'inconfort, correspondant ainsi à la
vision nietzschéenne du génie214. Le symbole de
l'autodidacte joue aussi puisqu'il s'est instruit lui-même à la
philosophie, l'histoire et la sociologie, entre autres. Sans avoir fait
d'études autres que la musique, il s'attaque à Pierre Bourdieu,
Etienne de La Boétie, Edouard Glissant, Edgar Morin avec une envie
d'apprendre impressionnante.
Ces collaborations avec Benedetto en théâtre,
Chopinot en danse ou encore Jérôme Thomas en cirque inscrivent
Lubat avec les noms de l'histoire des arts des années 1970. De plus, si
aujourd'hui l'hybridation des arts est un fait courant, ce n'était
clairement pas le cas à l'époque. Ces artistes sont
apparentés à une avant-garde qui augmente le capital symbolique
de Bernard Lubat comme héros épique, génie ou encore
visionnaire.
Bernard cherche dans ses notes la citation à tirer
comme une carte magique. Ce plaisir de discuter avec de grands penseurs et de
leur emprunter des mots est palpable :
Je veux devenir quelqu'un, mais pas quelqu'un pour briller,
non, quelqu'un pour me confronter à l'histoire de l'art. Tu vois, moi je
voulais arriver à être capable de faire de la musique avec tous
les mecs assis à côté de moi, Mozart, Bach, Beethov', tous
les cadors, les morts, les vivants, et ils m'écoutent
jouer215.
Cette envie ne peut se réaliser qu'en se sentant
légitime à jouer dans la cour des Grands : « La
reconnaissance, la considération psychologique elle vient de soi. Je
suis une pointure, je veux devenir une pointure. J'ai de
l'ambition216 ».
Si Lubat rassemble un certain nombre d'images propices
à l'instaurer comme génie, l'improvisation est un processus de
création qui, d'après la vision nietzschéenne du
génie, empêcherait de porter l'improvisateur en génie :
Or personne ne peut voir dans l'oeuvre de l'artiste comment
elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister
à la formation, on est un peu refroidi. L'art achevé de
l'expression écarte toute idée de devenir ; il s'impose
tyranniquement comme une perfection actuelle. Voilà pourquoi ce sont
surtout les artistes de l'expression qui passent pour géniaux, et non
les hommes de science217.
212 DUTHILLEUL Laure, Rushes du tournage Lubat
père et fils, Paris, 2015.
213 « Que dites-vous ? C'est inutile ? Je le sais. /Mais
on ne se bat pas dans l'espoir du succès !/ Non ! Non ! C'est bien plus
beau lorsque c'est inutile ! » ROSTAND Edmond et Claude AZIZA, Cyrano
de Bergerac, Paris, Presses pocket, 1989, ACTE V, SCENE 5.
214 1.2.2.2. Le Génie détaché de la
Muse, basé sur NIETZSCHE Friedrich, op.cit., §
162.
215 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, pp.135-136.
216 Ibid., p.135.
217 NIETZSCHE Friedrich, op.cit., § 162, p.142.
69
Le principe même de l'improvisation est de
représenter un art en mouvement, imparfait.
L'histoire d'Uzeste Musical est
intrinsèquement liée à la vie personnelle de Bernard
Lubat. Formulée sous forme de récit épique, cette
dernière érige le musicien en prodige, artiste incompris,
autodidacte effréné et visionnaire. Ces représentations
valorisantes se basent sur des mythes déjà ancrés et
genrés, notamment celui du génie masculin.
2.1.3. L' « AUTO-LEGITIMITE » DE BERNARD
LUBAT
Je distinguerais deux légitimités : la
légitimité afférente et la
légitimité efférente. La légitimité
afférente est celle qui est portée par des membres environnant le
sujet pour celui-ci. La légitimité efférente est la
légitimité que se reconnaît un sujet pour lui-même,
il se sent légitime. Ces termes, généralement
médicaux, signifient respectivement « qui porte ou qui s'exerce de
la périphérie vers un point central » et « qui va du
centre à la périphérie218 » (par exemple
du système nerveux à un ou plusieurs muscles). Les signaux des
parties périphériques au sujet, pour lui indiquer qu'il est
considéré comme légitime ou non, vont être
absorbés hiérarchiquement par le sujet. Si celui-ci est sensible
aux remarques et peut donc percevoir les marques de légitimation
afférente, il hiérarchise les signaux selon le signal en
lui-même (pertinence, éloquence...) et sa représentation de
l'émetteur (s'entendre dire que vous chantez bien par Assurancetourix
n'a pas la même valeur qu'un compliment de votre chanteur favori). La
réception modulée des facteurs de légitimation externes
ressemblent plus à une absorption organique qu'à un mouvement
mécanique, d'extérieur en intérieur. Pour le terme
d' « efférence » : lorsque l'on se sent
légitime, on ne produit pas de légitimité vers
l'extérieur. Par contre, dans ce terme il y a la racine d'« effet
», et il est certain que le fait de se considérer personnellement
comme légitime va produire un effet, va permettre d'effectuer ce pour
quoi on se sent légitime. « Effet » peut aussi s'apparenter
aux effets Pygmalion (traduction de préjugés d'un potentiel fort
par une autorité -parent, professeur, ... - en une performance et des
objectifs augmenté?es,) et Golem (même effet, en
négatif)219.
Les représentations sociales sont ainsi des
éléments de légitimation ou non, qui, de manière
afférente, incluent ou excluent le sujet dans le modèle
représenté. Par exemple, le fait que le stéréotype
répété de la danseuse classique soit celui d'une femme
fine, grande et blanche,
218 D'après de Trésor de la Langue
Française.
219 MA-D, Exposé : l'effet Pygmalion et l'effet
Golem [en ligne], Cercle Constellation, Groupe d'étude de
systémique familiale, [
http://cercleconstellation.over-blog.com/2014/06/expose-l-effet-pygmalion-et-l-effet-golem.html],
consulté le 10 juin 2015.
70
ne crée pas de sentiment de légitimité,
voire peut créer celui inverse chez une enfant en surpoids. Fabrice
Vieira, Juliette Kapla et Bernard Lubat disent tous s'être senti?es
illégitimes au départ. Pour Juliette Kapla, ce sentiment reste
présent. Pour ses homologues masculins, cela semble être une
victoire maintenant acquise. Sans être dit clairement, Vieira
paraît avoir gagné son sentiment de légitimité
notamment grâce à ses expériences avec la Cie Lubat
étant jeune.
Le discours de Bernard Lubat sur sa légitimité
est intéressant car il ne reconnaît qu'une
légitimité efférente :
Alors, j'ai commencé à me sentir pas
légitime du tout. Quand je suis parti à Paris, je me sentais
légitimement inculte. [...] Et puis, j'ai construit ma
légitimité par Uzeste Musical. D'abord la
légitimité de moi, dans mon miroir. Par Uzeste
Musical j'ai retrouvé ma dignité220.
De lui, pour lui, il est dans un circuit interne de
reconnaissance, un sentiment d'autolégitimation : « il a
fallu que je la réfléchisse cette auto-légitimité.
J'ai insisté, et petit à petit, Uzeste Musical a
été reconnu, par ses pairs, par des critiques, par certains
publics221 ». L'idée de « réfléchir
sa légitimité » me paraît être un
élément clef. Lorsque tou?te?s témoignent
d'illégitimité à une période de leur vie, ils?elles
parlent de « sentiment d'illégitimité », comme d'un
ressenti irrationnel. Paradoxalement, la raison pourrait alors être un
moyen de construire un sentiment de légitimité. Néanmoins,
dans les propos de Lubat, il est possible de voir que le chemin fut rude :
« Moi je pense que la reconnaissance ça passe par soi. D'abord.
Parce que, ou t'es prétentieux, ou t'es un malade mental, ou t'es
mégalo etc., mais tu te reconnais toi-même ». Sa
décision de faire, de se sentir légitime sans
légitimité afférente première s'est
accompagnée de critique de mégalomanie. Peu importe de savoir
s'il était ou non mégalomane, cette propension à
revendiquer une place qu'on ne lui a pas décernée -notamment
comme avant-gardiste-, lui a certainement permis d'obtenir la reconnaissance
qu'il possède aujourd'hui. Dans ses mots, ce traitement de la
légitimité, ne lui est pas spécifique. Il en est de
même pour des artistes du projet d'Uzeste Musical : Michel
Portal, Laure Duthilleul, André Minvielle, entre autres :
C'est pour ça que la reconnaissance par
l'extérieur ou la gloire c'est un épiphénomène pour
eux. Ils s'en foutent. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent eux, sur eux. Ce
qui compte c'est ce qu'ils savent de ce qu'ils jouent222.
220 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.135.
221 Ibid.
222 Ibid, p.136.
71
Ce qui compte c'est ce qui existe, ce qui est critiquable, ce
qui peut être raisonnablement évalué. Il y a un
dépassement de l'affect, une libération des indicateurs de
légitimité afférente. Il serait intéressant de
mener une étude psychologique sur les processus de légitimation
des artistes. Est-ce qu'il est possible de se sentir légitime sans
aucune légitimité afférente ?
Pour Juliette, la rationalisation ne suffit pas, le sentiment
l'emporte sur le savoir :
Et je suis toujours ultra-complexée, je n'oserais, je
pense, jamais de ma vie, chanter, improviser sur une grille de jazz devant
Bernard Lubat. Alors que je sais le faire. Alors que j'ai appris à le
faire223.
Je suppose que dans cette configuration, la reconnaissance
d'autrui peut aider à se bâtir une légitimité
efférente, particulièrement si la personne ose. Il peut y avoir
dans cet interstice, une politique de discrimination positive*.
C'est-à-dire de prendre en compte les différences de
difficultés sociales dans l'évaluation d'une situation, notamment
dans l'appréciation des risques pris. Si un homme d'Uzeste Musical
ose prendre la parole sur scène à propos de sexisme par
exemple, le risque pris peut être reconnu et félicité. Ce
qui aiderait à faire se sentir les hommes légitimes de prendre
part à ce débat.
A Uzeste, les trois garçons du village ont très
tôt demandé à pouvoir monter sur scène. A l'inverse,
les filles qui ont aussi appris à jouer n'y ont pas pris goût et
ne se sont pas imaginées sur scène. Qui imiter, qui prendre en
modèle ? La légitimité par rapport au modèle
à favorisé les garçons. « Alors pourquoi on n'a pas
posé les filles sur scène puisque pendant les vacances elles
étaient là les filles aussi...224 » . La question
posée par Jaime Chao reste en suspens, comme une leçon à
tirer du passé pour les générations à venir.
Il y a un certain nombre d'hommes qui, à Uzeste,
possèdent à leur manière l'étiquette de
génie : Bernard Lubat donc, mais aussi Georges Didi-Huberman, Bernard
Stiegler, Marc Perrone, Ernest Pignon-Ernest, Archie Shepp, ou en remontant
dans le temps Edouard Glissant et Pierre Bourdieu. A Uzeste il n'y a pas de
mise en scène de la star (la scène surélevée a
surtout pour but d'être visible par tous, la Cie Lubat
préfère d'ailleurs la disposition en
amphithéâtre, où l'artiste est au centre, mais sous le
niveau du public). Il n'y a pas d'espace V.I.P., de photographes aux aguets, ou
de barrière séparant la scène du public. Boire un
café, ou manger avec les équipes artistiques ou techniques se
fait très facilement, désacralisant les individus cités
plus haut. La survalorisation de ces personnes ne vient pas directement
d'elles, mais du
223 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3., p.153.
224 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS,
Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p.202.
72
discours autour de ces faits : « tu as conduit untel ?
», « tu as débattu avec untel ? Mais tu es folle?fou !»,
etc. Les femmes, comme Marie José Mondzain, présentes dans les
mêmes dispositifs que les hommes cités plus hauts ne sont pas pour
autant considérées comme géniales. Tout en étant
appréciées comme aussi brillantes, elles ne correspondent pas
à l'image du génie, les excluant automatiquement de ce statut.
Pour Bernard Lubat, la valeur qui lui est aujourd'hui accordée fût
possible grâce à une légitimité
auto-proclamée. Libéré d'un besoin de
légitimité afférente, il a pu faire, et être reconnu
pour ses actions.
2.2. JULIETTE KAPLA - L'ENTRE-DEUX
Le 3 janvier, nous nous sommes retrouvées chez elle et
Fabrice, dans une rue adjacente à la collégiale d'Uzeste. Le feu
brûlait dans l'âtre. Je ne sais pas si c'était un hasard,
mais Juliette Kapla fut la seule dont l'entretien ne se fit pas à
l'Estaminet. C'était durant le festival d'hiver, il aurait
été difficile de se rencontrer calmement au théâtre
dans ce contexte. Bernard Lubat et Fabrice Vieira ont
préféré le cadre du travail. Après deux heures
d'entretien, une fois la tension retombée, j'ai réalisé
qu'il faisait bon de se retrouver autour d'un thé chaud, de discuter.
Cette entrevue s'est située entre l'entretien, la discussion et le
débat. C'était agréable de se donner le temps de parler de
ce que l'on ne prend pas le temps de mettre en mots. Dès la
première question, « est-ce que, en général, dans la
vie, tu te considères comme être militante ? », elle
avait déjà abordé quasiment tous les thèmes de la
grille d'entretien (féminisme, réseaux de diffusion, engagement,
art féminin ou féministe, état des lieux de notre
société...). Ce chemin partagé dans nos réflexions
signifie des questionnements qui nous sont communs, des problématiques
communes liées au secteur culturel. Nous verrons d'abord sa position
à Uzeste, entre un travail d'artiste associée avec la compagnie
de son mari, et un besoin d'indépendance. Puis, nous relierons son
vécu à la réputation de la chanteuse analysée par
Marie Buscatto. Enfin, nous tenterons de comprendre pourquoi Juliette Kapla ne
peut se dire artiste féministe.
2.2.1. « DEHORS/DEDANS », ARTISTE ASSOCIEE
ET
INDEPENDANTE
2.2.1.1. Une place particulière à
Uzeste
Quand j'ai commencé à questionner mon terrain
à propos de ses femmes artistes, il y a maintenant un an, Juliette Kapla
m'a souvent été donnée en exemple, comme une femme ayant
su s'inscrire à Uzeste par son talent. Entre improvisation
théâtrale et musicale, entre poésie d'improvisation orale
et textes écrits, il y a en effet des liens entre ce que produit
Juliette Kapla
73
et la Cie Lubat. Des artistes comme Michel Portal ou
Louis Sclavis sont récurrents à l'Hestejada, ils
participent à l'identité du festival d'été.
Cependant, ils ne s'inscrivent pas dans le travail artistique à
l'année, qui s'engage dans la transdisciplinarité* comme
Juliette.
Juliette Kapla n'est pas d'Uzeste, au sens où elle n'y
est pas née et qu'elle n'y vit pas à l'année. Elle vient
surtout pendant les festivals -soit à chaque vacance scolaire. Elle vit
à Lille. Dans les deux villes, elle partage sa vie et son foyer avec
Fabrice Vieira. Ainsi, elle n'est pas vraiment en dedans, du village, de la vie
quotidienne de la structure. Mais elle n'est pas non plus totalement en dehors
comme une invitée appelée de temps à autre. Comme
d'autres, elle peut être force de proposition d'une création,
d'une idée :
Comment je m'y rêve en fait, j'aimerais qu'on me
qualifie d'artiste associée. [...1 Ça serait quelqu'un, qui a un
pied dedans, un pied dehors. [...1 Ce qui est pour moi une position absolument
idéale, parce que j'ai ma vie ailleurs, une vie ailleurs, enfin une
activité professionnelle, et que j'apporte de l'extérieur, ce
que... la légitimité que je vais chercher ailleurs, le travail
que je fournis ailleurs, les choses que j'invente ailleurs225.
La jeune femme affirme son désir de cette situation qui
lui permet de rester active dans ses réseaux personnels, tout en
bénéficiant de ce que peut être Uzeste pour elle : un lieu
« de nourriture », de prise de risque sans danger, « un labo
». Il est intéressant de voir comment elle raccroche
l'intérêt qu'elle peut être pour Uzeste par la
légitimité qu'elle va « chercher ailleurs ». Pourtant,
le travail qu'elle fait à Uzeste, les découvertes, lui permettent
d'être plus légitime à proposer des formes
improvisées, aux yeux des programmateurs de l'extérieur. Elle en
est bien consciente, puisque son site met en valeur son travail avec la Cie
Lubat. En adoptant ce système intermédiaire, cette position
dehors/dedans, Juliette Kapla se laisse la possibilité de venir et de
repartir. C'est-à-dire qu'elle reste indépendante du
réseau d'Uzeste Musical.
2.2.1.2. Rester indépendante, une question
de survie
Lorsque je lui demande si elle a déjà craint de
dépendre du réseau d'un compagnon, la réponse est
immédiate : « Oui. Totalement226 ». Cette crainte
n'est pas due à une paranoïa non-avenue. La chercheuse Marie
Buscatto, explique les enjeux pour une musicienne de jazz d'être en
couple avec un homme du métier. Etre en couple avec un homme ayant une
influence dans le secteur culturel (musicien, programmateur, directeur,
agent...) peut avoir un effet de mise en dépendance vis-à-vis de
celui-ci. Le réseau lui appartient souvent, par affinité,
ancienneté ou autre. Si cette inclusion de la musicienne dans le
réseau du conjoint permet une évolution plus
225 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.158.
226 Ibid., p.155.
74
rapide, il n'en reste plus grand-chose lorsque le couple se
brise227. Ce sentiment entre la chance de pratiquer et la peur de
l'échéance est connu de l'artiste, plus dans le domaine musical
que théâtral : « Je l'ai vécu, il y a longtemps. Au
tout début de ma vie de chanteuse ». Elle continue : « Et...
et j'ai travaillé pourtant à prendre les réseaux
moi-même. C'est à dire à prendre la tête des choses.
J'ai un fort besoin d'indépendance, ça c'est dans mon
tempérament ». Cette indépendance est pour elle « une
question de survie », et particulièrement l'indépendance
vis-à-vis du conjoint228. Dans son cas, il y a une crainte
d'autant plus forte qu'une mauvaise expérience du couple professionnel a
déjà été vécue. L'histoire à laquelle
elle fait référence renvoie au travail qu'elle a mené au
début de sa professionnalisation avec son ex-compagnon. Elle
écrivait ses textes et les chantait, lui l'accompagnait à la
guitare, et plusieurs fois des spectacteurs?trices lui ont demandé si
c'était lui l'auteur229. Si le paradigme de base fait que le
texte, le mot d'esprit se place du côté de l'homme, alors
l'écrivaine-musicienne qu'est Juliette Kapla est
dépossédée symboliquement de son travail. Un·e
programmateur·trice peut demander la carte de visite du musicien pensant
avoir affaire à la plume du duo, et Juliette passerait à
côté d'opportunités. Ceci est spéculatif. Il serait
difficile de le démontrer de manière chiffrée, mais la
théorie reste néanmoins réaliste. Il faut pouvoir se
protéger de cette incompétence supposée en étant
directement au contact des réseaux. Cette méthode n'est pas
scientifiquement démontrée plus productive, par contre, elle
assure une indépendance indéniable à l'artiste.
2.2.1.3. « Sexuellement rattachée
à Uzeste »
Lorsque j'aborde le sujet du couple vis-à-vis de
Fabrice Vieira, je comprends que ce leadership, qu'elle possède
sur sa production depuis son début de carrière, n'est pas mis en
péril par cette relation amoureuse avec un musicien : « L'amour est
très important mais le boulot est très important aussi. Et je ne
mets jam... Je ne fais jamais de choix anti-professionnel pour le servir lui,
ou pour servir le couple, une idée du couple ». Cette règle
est partagée, preuve d'une conscience du danger professionnel : «
D'ailleurs il me l'a interdit formellement, plusieurs fois. Et ... je pense lui
avoir interdit aussi plusieurs fois230 ». Quand elle reprend
ses mots «le couple », pour les transformer en « une idée
du couple », on comprend bien qu'il est question de déconstruire le
modèle traditionnel du couple, déconstruire le traditionnel beau
geste du sacrifice personnel du happy ending. L'éloignement de
ce couple paraît alors plus
227 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois
défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p.
99.
228 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.155.
229 Ibid., p.163. 230Ibid.,
p.160.
75
compréhensible. Ils préservent tous deux les
milieux professionnels qu'ils se sont construits en introduisant par touche, la
couleur de l'autre : « Mais bien sûr je dois reconnaître que,
la chance que j'ai de participer aux choses qui se passent à Uzeste
Musical, c'est parce que j'ai rencontré Fabrice Vieira, que je fais
ça. ». Elle reconnaît aussi plus tard que, si ça se
finissait vraiment mal en supposant que son conjoint voudrait l'évincer,
sa position à Uzeste Musical le lui permettrait. Mais c'est
aussi le cas, à l'inverse, des contrats trouvés à Lilles
par Juliette pour une création en duo231. Le
développement de réseaux personnels des deux
individualités de ce couple, leur permet de ne pas être
dépendants du réseau de l'autre, tout en faisant fonctionner
leurs réseaux respectifs pour l'autre.
Ce lien de couple entre un homme fondamentalement
rattaché à Uzeste et une femme qui en est plus extérieure
nous concerne toutes les deux. Nous avons cherché en vain un
contre-exemple, celui d'un homme amené conjugalement par un homme ou une
femme originaire d'Uzeste. Juliette Kapla pousse plus loin : « Oui,
puisqu'on n'a pas, en fait, de femme qui gravite autour de la Compagnie
Lubat qui ne soit pas associée... sexuellement, à quelqu'un
qui est déjà associé à la Compagnie
Lubat232 ». Elle associe justement à cette
observation, un sentiment d'illégitimité : « C'est une des
raisons pour lesquelles on ne s'estime pas légitime. Par ce qu'on arrive
toujours grâce à quelqu'un, par l'entremise de quelqu'un et en
seconde de quelqu'un». Lorsque j'ai questionné Bernard Lubat
à propos de la première affirmation, il lui est évident
que non, les femmes venant à Uzeste ne sont pas toutes «
liées à une personne de l'équipe ». Mais il prend
pour exemple « des gens du bureau, des attachées de
presse...233 » qui appartiennent à une époque
d'Uzeste Musical que je n'ai pas pu connaître, hors de la
photographie actuelle faite ici. Cependant, le propos de Juliette Kapla est
néanmoins à nuancer au sens où des jeunes femmes fortement
impliquées dans la structure ont bien un lien avec un homme fondateur,
mais un lien filial : Margot Auzier avec Patrick Auzier ou Diane et
Raphaëlle Camus avec Bernard Lubat, et que leurs mères, Myriam
Roubinet et Martine Bois sont aussi impliqués à
Uzeste234. Leur affiliation à la structure est la même
que celle de Louis Lubat ou Jules Rousseau qui sont à la fois
apparentés à un membre de la structure et salariés.
Pourquoi Juliette Kapla a eu ce ressenti, qui m'a paru logique sur le moment ?
Surement parce que le sujet du débat était les réseaux
professionnels partagés en tant que couple, ce qui occulte les
précédemment citées. Nous parlions d'Uzeste Musical
à l'année ce qui élimine les artistes
231 Ibid., p.155 et 157.
232 Ibid., p.156.
233Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2,
p.138.
234 Pour mieux comprendre les liens de parentés à
Uzeste Musical : Annexe 2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical
76
présentes uniquement aux festivals. Les femmes qui
gravitent autour d'Uzeste seraient donc Martine Amanieu, Martine Bois, Sylvie
Gravagna, Laure Duthilleul et Juliette Kapla, qui sont ou ont été
sentimentalement liées à un acteur d'Uzeste Musical,
même si elles ne sont pas forcément moins impliquées
que le (ex-)conjoint. Il se trouve que lors du festival d'hiver, durant lequel
a eu lieu l'entretien, Juliette Kapla, Camille Georges et moi-même avions
chacune une tâche artistique et sommes toutes les trois en couple avec un
membre de la Cie Lubat. La mémoire immédiate a pu
augmenter l'impression d'absence de femmes personnellement et intimement
reliées à Uzeste. Par contre, il est difficile de trouver des
hommes avec cette problématique d'un intermédiaire sentimental ;
et peu d'hommes sont moins impliqués dans le projet que leur compagne.
De plus, les Gojats* rassemble sept jeunes hommes d'une vingtaine
d'années souvent sur scène, ce qui augmente cette sensation de
déséquilibre.
A Uzeste, l'observation est donc biaisée par
l'omniprésence des liens de parenté et sentimentaux. Mais dans
les propos de la chanteuse lilloise, il y a un épuisement de cette
situation : « on arrive toujours grâce à quelqu'un ».
L'adverbe indique que cette configuration n'est pas exceptionnelle aux yeux de
la musicienne venant du jazz, et donc habituée aux groupes de potes,
où les filles sont généralement amenées par le
conjoint. Et ceci renforce un sentiment d'illégitimité
déjà prégnant.
2.2.2. UN VECU DE CHANTEUSE
Puisque longtemps je n'ai travaillé qu'avec des hommes.
Et j'étais donc la chanteuse, l'écrivain, ou la fille qui
trouvait des plans ou tout ça en même temps. D'ailleurs souvent
tout ça en même temps235.
Ce témoignage ancre Juliette Kapla dans le vécu
classique d'une chanteuse de jazz décrit en première partie.
Dès son apprentissage artistique, elle a cumulé les pratiques de
théâtre et de chant. Même si les cours ne croisaient ces
disciplines, elle a su rapidement mêler les deux. Déjà
avant de découvrir Uzeste, elle écrivait des textes avec des jeux
de langage qu'elle chantait et mettait en scène de manière
théâtralisée.
Ce que j'ai trouvé c'est un, une niche où il n'y
avait pas trop, où j'étais à la croisée des chemins
et où ça n'était pas spécifiquement féminin
ou masculin. C'est à dire que, par exemple j'ai monté un solo,
dans ce solo, j'ai écrit le texte, j'ai fait la mise en scène.
[...] Je touche aux domaines masculins et féminins236.
235 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.165.
236Ibid., p.163.
77
Son regard est aiguisé aux questions de genre. Elle
reconnaît, à Uzeste comme ailleurs, le jugement qui peut
être fait d'elle comme chanteuse.
2.2.2.1. L'incompétence
préjugée
Il est intéressant de l'entendre témoigner du
fait que, spontanément, les publics ne la pensent pas auteure :
Je suis à la fois la chanteuse, et puis l'auteure. Mais
on m'a demandé souvent qui avait écrit mon texte. [...] Parce
qu'en fait quand j'ai commencé à chanter, j'écrivais mes
textes. Et, les gens, croyaient, ah «les gens» tu sais! Les gens
croyaient très souvent que c'était le guitariste avec lequel je
travaillais qui avait écrit les textes. Et ça c'est !
Voilà, la virilité, c'est l'intellect. Du côté de
l'homme est l'intellect. La puissance c'est le texte. [...] Moi, je, j'avais ma
p'tite voix, j'savais pas super bien chanter à mon avis. J'avais ma
personnalité, ma gestuelle, mon truc. Mais on me disait : « Dis
donc, ils sont vraiment bien tes textes. C'est lui qui les écrit hein,
c'est ça ? » ou « Qui est-ce qui les écrit ? ».
Et, à la fois je jouissais de dire: « Mais c'est moi.» Et
à la fois, j'étais, je pleurais de devoir dire que c'était
moi237.
Dans le souvenir de Juliette Kapla, ses textes étaient
attribués au guitariste qui ne les interprètait pourtant pas. Que
des personnes lui demandent en sortant de scène de qui sont ses textes,
en pensant reconnaître un·e auteur·e déjà lu?e,
est une chose, lui demander si c'est le guitariste qui écrit ses textes,
c'est le supposer lui auteur. Sachant que c'est elle qui les
interprétait, n'était-elle pas censé être la
première auteure logique ? Il est impossible ici de quantifier le ratio
de personnes présumant le guitariste ou un·e auteur·e externe,
mais la spontanéité de cette remarque montre qu'en tant que
chanteuse, elle peut être présumée incapable. Elle analyse
cet état de fait très justement en faisant appel aux symboliques
historiques qui met l'auteur et particulièrement le bon auteur au
masculin238.
Lorsqu'elle chante dans un groupe de Bebop, c'est sa
capacité à improviser qui est remise en question :
Et moi je me suis entendue dire... Euh, très
exactement; «Tu ne peux pas improviser, car tu ne sais pas improviser. Tu
improviseras quand tu sauras improviser»... Donc j'ai cessé
d'essayer d'improviser puisque je n'étais pas légitime. Et
là, je pense que bien sûr, j'avais pas d'instruments
j'étais chanteuse, donc les chanteurs, ils ne savent pas improviser, les
chanteurs, ils ont pas de culture musicale, les chanteurs-ci, les
chanteurs-là... Et résultat, j'ai été
coincée, mais à mort! Et je suis toujours
ultra-complexée239.
237 Ibid.
238 1.2. Constructions historiques et mythiques de genre en
art.
239 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.152.
78
Ici elle fait directement le lien avec la réputation de
la chanteuse qui se distingue par ses incompétences musicales
240 . Cette mauvaise considération entraine forcément
des comportements particuliers à l'égard des chanteur·ses.
Même s'il s'agit d'un groupe en particulier, d'un fait particulier, il
est possible de réfléchir cette réaction comme un
phénomène macrosocial de mise en marge des chanteur·ses des
codes, des jeux des instrumentistes. Cette remarque, aussi parce qu'elle se
situe au début de sa carrière, affecte assez Juliette pour
qu'elle se sente illégitime d'exercer une activité pour laquelle
elle ne s'était pas posé la question en essayant.
Ce vécu de l'incompétence supposée n'est
pas spécifique à la représentation artistique. Kapla
témoigne d'une anecdote répétée du responsable du
théâtre qui supposait que la personne en charge de
l'administration, des chiffres était Claire Bellamy. Claire Bellamy est
une contrebassiste qui joue en duo avec Juliette Kapla. La contrebasse est un
instrument très connoté pour le genre puisque, par sa forme, il
suppose un corps de femme, qui, par hétérocentrisme, laisse
croire qu'il se joue par des hommes. De plus, la contrebasse produit un son
grave, demande une certaine force et ne brille pas par sa douceur ou sa
légèreté ; en somme dans les conceptions classiques du
genre, c'est un instrument joué au masculin. De plus, Juliette la
décrit plus masculine physiquement : « elle est plus brune que moi,
elle a plus de sourcils que moi, elle a un visage plus découpé
que le mien. » et moralement : « elle a l'air plus rentre-dedans,
plus, donc plus masculine ». Mais rien ne suppose, a priori, que
Claire Bellamy s'occupe de l'administration ou du financier pour le duo, d'une
part parce que c'est Juliette Kapla qui s'en charge, et d'autre part, parce que
c'est aussi cette dernière qui était en contact avec les salles.
Qu'est-ce qui peut laisser penser aux responsables en question, que Juliette
n'est pas leur interlocutrice pour les questions de contrats, si ce n'est le
fait qu'une chanteuse est présupposée incapable et que l'autre
personne, plus masculine, correspond mieux à la représentation de
la business-woman.
Il se trouve que Juliette Kapla, aujourd'hui, analyse la
situation et peut la comprendre au prisme du genre. Il est pourtant lisible
dans ses mots, que le gestus social, le comportement
général du milieu, l'a atteinte et a remis sa
légitimité en doute. Mais une chanteuse prise dans ces
mêmes situations, supposée artistiquement et administrativement
incapable, peut l'interpréter comme une incompétence à
chanter ou travailler avec les chiffres. Le danger ici est de remettre en
question les compétences de la personne au lieu de remettre en question
les compétences préjugées à son métier.
240 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point
métier d'homme », art.cit.
79
2.2.2.2. La bagarre et le groupe de
potes
Lorsque je questionne Juliette Kapla sur son vécu en
parallèle d'un constat de Marie Buscatto que je formule ainsi : «
les chanteuses de jazz, justement, ont souvent le sentiment de devoir mener une
lutte permanente, sans cesse renouvelée avec les musiciens pour
s'imposer à eux241 », voici le souvenir qui vient aux
lèvres de Juliette :
J'ai le souvenir avec les mêmes gens, qui étaient
plutôt mes potes hein, pourtant, `fin même carrément, de
m'être bagarrée en disant: «-Là, je ne m'entends pas,
on ne m'entend pas. On va monter le son de la voix. -T'as qu'à chanter
plus fort ! » Et là, pour moi c'est complètement absurde !
C'est à dire y a une guitare qui est amplifiée, y a une batterie
qui joue fort et une basse qui est amplifiée. Moi j'ai un petit micro et
on me dit : « T'as qu'à chanter plus fort». Pour moi, le sous
discours, si j'interprète un tout petit peu, c'est : «T'as
qu'à avoir une plus grosse bite, connasse.» Tu vois. C'est limite
ça. Bon ça t'es pas obligé de le reproduire dans
l'entretien si jamais ça se produisait mais, tu vois, c'est limite
« T'as qu'à avoir plus de gros muscles. Moi j'ai des gros muscles.
j'te bats au bras de fer. Tant pis pour ta gueule.» Je l'ai perçu
directement comme ça à l'époque242.
La situation est simple : la chanteuse n'est pas audible, la
solution est tout aussi simple : augmenter le son de son micro. Pourtant, il
lui est renvoyé, non pas une solution artistique ou technique, mais une
accusation de son instrument, la voix, comme insuffisant, moindre.
Au-delà du manque d'attention pour un instrument de l'ensemble, c'est le
manque de solidarité qui est frappant : « t'as qu'à »,
comme un « tu n'avais qu'à naître riche », « tu
n'avais pas qu'à pas être malade », « tu n'as
qu'à » est un « c'est ton problème » qui tend
à être perçu comme un « c'est de ta faute ».
S'ajoute à la violence de ne pas être soutenue par l'équipe
dont Juliette Kapla faisait partie, l'aspect sentimental du groupe de
potes. Comment un sujet qui est mis en difficulté par une
équipe d'amis peut se révolter, construire une critique sans
risquer sa place ? Une place qui est, de plus, difficile à
acquérir en tant que marginale, en tant que chanteuse entre des
instrumentistes. Il faut ajouter que le fait qu'un instrumentiste impose ce
jugement comme une réponse spontanée, montre qu'il se sent
légitime à décider pour la chanteuse. Il y a donc un
rapport de domination du groupe, mais aussi des instrumentistes
individuellement vis-à-vis de la chanteuse supposée
secondaire.
La faible considération pour les chanteuses de jazz a
aidé Kapla à devenir une chanteuse « d'autre chose que de
jazz ». Mélangeant théâtre et chant, cette artiste a
travaillé des formes loin de la « chanteuse sexy ». Pourtant,
encore aujourd'hui elle reçoit beaucoup de retours la décrivant
comme « artiste féminine ».
241 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point
métier d'homme », art..cit., p. 52.
242 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.154.
80
2.2.3. UN ENGAGEMENT FEMINISTE, SE DETACHER DE «
L'ARTISTE FEMININE »
2.2.3.1. Un militantisme de la sphère
privée
L'engagement personnel de Juliette Kapla sur le plan
féministe est clair : « Le féminisme pour moi c'est une
nécessité, euh, sociale », elle l'argumente comme « une
action qu'il faut mener afin de s'approcher de cet idéal qui pour moi,
est impossible à contester, qui est l'égalité entre les
Hommes, en général, entre les humains en
général243. ». Pourtant, la question de savoir si
elle se conçoit comme une artiste féministe est plus ardue :
« C'est pas un sujet. C'est pas dans mon contenu artistique. Ça
peut être un sujet parmi d'autres dans mon contenu artistique, mais je ne
revendique pas de faire un art féministe par contre. » Elle
renchérit : « Et même je revendique le contraire. Je refuse
que l'on me dise que je fais un art féminin ou
féministe244. ». Lorsque je lui demande pourquoi, elle
répond : « j'ai besoin comme féministe de me positionner
comme artiste, avant de me positionner comme femme. Après, [...] Je sais
que j'ai, malgré moi presque, des propos féministes, des choix
féministes dans mes contenus245. ». Au début de
l'entretien, elle tient fermement cette position. Elle affirme un militantisme
sur le plan féministe, pas d'actions avec un groupe féministe
mais « [elle] parle beaucoup de ça et aux hommes et aux femmes. Et
ça [lui] semble déjà être du
militantisme246. ». Le discours privé est donc une arme
de son militantisme féminisme. Elle met ceci en opposition à un
militantisme artistique, donc public, qui passe par des formes de spectacles
non normées, et une attention aux réseaux de diffusion avec
lesquels elle travaille. On retrouve ici la dichotomie bourdieusienne entre la
sphère privée et la sphère publique247. Ce qui
concerne les femmes reste dans le champ privé, le politique intervient
sur scène, dans l'espace public. Pourtant, en creusant un peu,
l'engagement féministe de Juliette Kapla n'est pas si réduit :
« j'estime qu'il est de mon devoir de pratiquer, par exemple mon action
pédagogique comme je la pratique c'est à dire dans un grand
sérieux subversif et [...] de mettre souvent sur le tapis la question du
féminisme248 » et plus tard : « Je pense qu'en
effet, je produis un art féministe en partie. Contrairement à ce
que j'ai dit au début de cet entretien. De fait, mon art est
forcément, comme je te disais, à la fois
243 Ibid., p.160.
244 Ibid., p.148.
245 Ibid.
246 Ibid. p.146.
247 BOURDIEU Pierre, La domination masculine,
op.cit., p.82 : « Les « attentes collectives » [...] sont
inscrites dans la physionomie de l'environnement familier, sous la forme de
l'opposition entre l'univers public, masculin, et les mondes privés,
féminins, entre la place publique (ou la rue, lieu de tous les dangers)
et la maison [...] »
248 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.147.
81
gauchiste et à la fois féministe249
». La prise de parole sur des questions féministes dans ses cours
indique que le discours féministe de Kapla ne s'arrête pas
à la sphère privée. Il est intéressant de
comprendre cette évolution au cours de l'entretien du « Je refuse
que l'on me dise que je fais un art féminin ou féministe »
au «je produis un art féministe en partie ».
2.2.3.2. « Je ne suis pas une artiste
féminine ou féministe »
La première réaction est une réaction de
défense : « [J]e ne revendique pas », « je revendique le
contraire », « je refuse que l'on me dise ». Par cette
gradation, elle s'oppose à une étiquette qui peut lui être
donnée : « Je refuse que l'on me dise que je fais un art
féminin ou féministe.» C'est « féminin »
qui vient en premier alors que cette notion n'était pas dans la
question. Il y a donc un glissement qui est fait automatiquement, d'un
mouvement politique à une identification arbitraire esthétique.
Ce glissement ne semble pas logique, pourtant il l'est dans l'esprit de
Juliette lorsqu'elle prononce ces mots. Au cours de l'entretien, l'artiste
énonce plusieurs anecdotes où elle est renvoyée à
un art féminin :
«Mais c'était très féminin ce que
vous avez fait». Bon là j'ai sorti les griffes, les dents, tout
ça, les lasers dans les yeux. Elle m'a dit: «Mais non,
c'était très féminin parce que vous vous écoutiez
beaucoup. [...] Mais encore une fois, voilà, on était des femmes,
on était, on avait des énergies féminines, euh, des
beautés féminines. On nous a parlé de notre aspect, de
notre beauté, d'à quel point c'était chouette de voir
trois belles femmes qui jouaient250.
Trois autres anecdotes du même ton reviennent dans
l'entretien. La production qu'elle fait (en l'occurrence qu'elles font) est
genrée dans des discours de certains publics. Et ce regard de la
production artistique via le genre se fait d'autant plus douloureux qu'il
semble affirmer le masculin comme neutre :
Il y a un défaut primaire. C'est exactement pour
ça en fait que je... ça me met un peu en porte-à-faux,
hein, je me sens un peu con parce que en effet, je devrais pouvoir revendiquer
d'être une artiste féministe. Mais en fait voilà, je suis
très gênée par le fait que dans les milieux où
j'évolue en général hein, mais à Uzeste aussi, on
me renvoie très souvent, quand je fais un spectacle, le fait que je suis
une femme. C'est quelque chose qui revient très souvent sur le tapis.
Alors que, pour en avoir discuté avec d'autres, évidemment je
parle en leur nom, c'est pas très honnête, mais pour en avoir
discuté, notamment avec Fabrice, euh, on ne lui renvoie jamais qu'il est
un artiste-homme. On lui renvoie qu'il est un artiste251.
Lorsque l'on voit le statut des femmes-artistes dans
l'histoire, être projeté?e dans cette catégorie semble plus
être une malédiction à se battre contre une condition,
qu'un compliment. « [U]ne
249 Ibid., p.160.
250 Ibid., p.162.
251 Ibid., p.149.
82
artiste féminine, n'est pas neutre, elle se distingue.
Et donc on va souligner le fait qu'elle est une femme. [...] Quelque chose
me... quelque chose me tient prisonnière là-dedans
!252 ».C'est là que le glissement s'opère.
L'étiquette qui lui est imposée de « femme-artiste » au
lieu d' « artiste » l'oblige à être méfiante des
processus qui peuvent augmenter cette désignation, et notamment le fait
de se revendiquer féministe:
Je ne veux pas poser comme préalable, d'être une
artiste féministe parce que j'ai peur, euh, parce que j'ai besoin, en
fait, d'une part j'ai peur que ce soit, que ça me condamne à
n'être pas entendue. Et d'autre part, j'ai besoin de, d'afficher mon
identité d'abord comme artiste de scène, puisque c'est
essentiellement ça que je fais, avant que, avant qu'on me dise «Ah,
mais tu es une femme qui fait quelque chose»253.
Peut-être aussi que les « attentes
collectives254 » ne s'attendent pas à la présence
d'un propos de femme sur scène, dans la sphère publique. Son
propos ne peut alors pas être qu' « un propos », il se
définit aussi par la locutrice « une femme », qui se remarque
par son atypie rendant le propos transgressif malgré lui. Le même
système est observable dans les médias : les propos des
extrémistes de tous bords sont retransmis avec l'étiquette du
locuteur, ce qui ne va pas nécessairement être le cas d'un
locuteur considéré comme neutre ou objectif, même s'il est
prouvable aujourd'hui qu'aucun point de vue n'est neutre255. Kapla
insiste maintes fois sur cette stigmatisation en tant que femmes-artistes :
« Donc on est vraiment suspecte, quand je dis «suspecte» c'est
«suspect d'agression»...euh... suspecte d'agression ou de... ou de
revendications, ou de méchanceté etc., etc.256 ».
Sa citation fait parfaitement écho avec celle de l'artiste peintre
Annette Messager, pour qui la « femme artiste est d'emblée suspecte
[...] Quand la femme est artiste, une suspicion naît, soit de ce
«sale féminisme» qui serait contre les hommes 257
». Hyacinthe Ravet, en tant que scientifique, relève aussi ce
rapport de concurrence258. Juliette pousse ses déductions
jusqu'aux liens entre place de l'Artiste et place de La femme
:
Donc on est perçue, parce qu'on fait une musique et
qu'on a une attitude scénique assez virile, finalement, assez rentre
dedans, même si on est très féminine. On est autonome, on
est indépendante, on fait pas les...
252 Ibid., p.149.
253 Ibid., p.148.
254 BOURDIEU Pierre, La domination masculine,
op.cit., p.82. En disant cela, Pierre Bourdieu fait
référence à deux penseurs : «Les « attentes
collectives » comme aurait dit Marcel Mauss, ou, dans le langage de Max
Weber, les « potentialités objectives », que les agents
découvrent à chaque instant n'ont rien d'abstrait, ni de
théorique, même si la science, pour les saisir, doit recourir
à la statistique. »
255 Théorie du point de vue dans PUIG DE LA BELLACASA
María, op.cit., pp.24-37.
256 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.150.
257 MESSAGER Annette, présentation d'une exposition
consacrée à vingt-cinq ans de travaux de la « reine de la
nuit de l'art français », Le Monde, 3 avril 1995, p.18, in
PISTONE Danièle, « L'art et les femmes dans l'imaginaire social
français. L'exemple des compositrices », in GREEN Anne-Marie et
Hyacinthe RAVET (dir.), op.cit., p.149.
258 LAUNAY Florence, art.cit., p. 41-63.
83
on fait pas les... Je ne sais pas, je pense pas qu'on rentre
dans les clichés, en tous cas de la «douce femme qui reste à
sa place». On ne reste pas à notre place, on prend la place de
l'artiste sur une scène. Et donc il nous est renvoyé, la plupart
du temps, je dirai 98% du temps par des hommes, que, nous sommes donc en
revendication féministe. Ou en revendication anti-hommes, ce qui, pour
beaucoup, est la même chose. Et ça, ça m'embête
vraiment beaucoup259.
Les travaux de Colette Pipon montrent comment l'amalgame s'est
fait, dans les années 1970 entre « féminisme » et
« misandrie* »260. A la difficulté d'assumer une
pensée féministe, s'ajoute celle de devoir se justifier de ne pas
être dans un rapport de confrontation des sexes, mais d'application d'un
droit de représentation en tant qu'individu, homme ou femme, sur
scène comme à l'hémicycle.
Fabienne Dumont et Séverine Sofio remarquent une
tendance nationale des artistes à refuser d'être dites
féministes, vivant cette appellation comme « un stigmate » 261
. Elles reconnaissent la complexité du double discours à mener
entre la reconnaissance des compétences des femmes, la valorisation de
leur représentation mais sans tomber dans un essentialisme du
féminin ; et la nécessité de reconnaître les effets
de la domination masculine dans le secteur culturel, comme facteur
d'infériorisation des productions de femmes sur l'échelle des
valeurs artistiques262 :
Le paradoxe auquel sont confrontées les
théoriciennes féministes de l'art est, en fait, une manifestation
du dilemme ordinaire du féminisme, puisqu'il leur faut
simultanément, d'une part, revaloriser `le féminin'
(c'est-à-dire l'identité d'artiste femme rendue singulière
par le fait que l'appartenance au sexe féminin demeure un stigmate dans
le monde de la pratique artistique) tout en luttant contre les
préjugés misogynes qui sous-tendent encore le sens commun [...]
et, d'autre part, mettre en avant le genre comme variable identitaire
`construite' [...] donc évolutive et sur laquelle nous avons
possibilité d'agir263.
Il s'agit de reconnaître une égalité des
potentiels, tout en reconnaissant une inégalité des productions,
dans le but de favoriser des politiques antidiscriminatoires et obtenir une
égalité sur tous les plans.
Bernard Lubat s'insurge de ce conditionnement qui fait que
là où c'est attendu, les femmes sur scène ne choquent pas
: « C'était pas bien de voir une femme démonter le piano.
[...] Qui chante une belle connerie, ou qui danse à la
télé avec les trucs (geste pour indiquer les
259 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.150
260 PIPON Colette, Et on tuera tous les affreux le
féminisme au risque de la misandrie, 1970-1980, Mémoire
d'histoire, (sous.dir.) VIGNA Xavier et Philippe POIRRIER, Presses
universitaires de Rennes, Rennes, coll. « Mnémosyne », 2013,
p.14.
261 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit.
p. 24.
262 POLLOCK Griselda, art.cit., pp. 45-69.
263 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit.,
p. 36.
84
plumes de cabaret), ça une femme... ça
c'est accepté, hein264. ». Il s'agit d'espaces
scéniques dans les deux cas, mais le premier est politique, le
deuxième est incrusté dans du désir érotique,
intime, le premier est considéré comme un art, l'autre fait
débat avec le divertissement. Le défaut se trouve donc sur la
scène politique. Et lorsque la scène est politique, comme
à Uzeste, elle peut être réduite à la dimension
érotique :
[Le copain d'une amie] lui a répondu : « -Ah mais
tu sais comment j'suis moi, si y a trois belles gonzesses qui jouent,
j'préfère aller à ça plutôt qu'aller voir
sept barbus. » Et moi je l'ai mal pris. Ça me fait chier.
J'croyais, peut-être avec raison d'ailleurs, il a, c'était
surement une vanne, mais j'croyais que c'était vraiment par
curiosité qu'il était venu nous voir. Voilà. Je crois
ça. Toujours265.
On sent que cette remarque a mis en doute
l'intérêt musical de sa création. Par le second
degré potentiel, elle peut se persuader qu'il s'agit bien de
curiosité et pas d'une envie érotico-lubrique. Néanmoins,
l'assurance est fragilisée, à répétition, par ce
genre de blague. Plus tôt, Juliette Kapla
dépréciait son parcours : « ... j'peux pas dire « de ma
carrière », de mon activité artistique266 ».
La « carrière » suppose une volonté d'ascension
professionnelle, ambition à laquelle elle n'est surement pas
entraînée.
Lorsque Juliette Kapla fait entrer le genre comme facteur d'un
sentiment ou non de légitimité, elle craint de «faire la
victimisée, la gonzesse, tu vois, à tous les coins de
phrases267 ». Les rôles de victimes féminines
représentent une grande partie du répertoire
théâtral268. Ils sont généralement
associés aux femmes, aux « gonzesse[s] ». Et pourtant, il est
dangereux de dire que le fait d'être une femme comprend le risque
d'être victime d'un système de construction sociale qui produit un
sentiment d'infériorité et par là, une
infériorisation réelle. C'est dangereux car c'est risquer de
s'enfermer dans l'image de la victime, sans forcément poser la question
de l'oppression. Il n'y a pas de coupable précis, mais un ensemble
d'éléments performatifs* produit par l'ensemble de la
population.
Pour juger si une situation est équitable, il est
intéressant d'inverser les rôles et observer si les effets sont
les mêmes. Plusieurs fois, Kapla éprouve ce besoin de palper
l'injustice :
[J]'ai beaucoup entendu parler par la suite de «comme
c'était bien votre trio de filles». Je m'y attendais, je le savais.
Moi-même je le dis des fois, je dis «notre trio de filles». Or,
si Fabrice avait fait un trio avec deux mecs, [...], personne n'aurait dit:
«Votre trio de garçons il était bien.»
Voilà269.
264 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.137.
265 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.162.
266 Ibid. p.147.
267 Ibid. p.153.
268 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.17.
269 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.150.
85
Il faut réussir à dépasser l'instruction
de l'identité de sexe, particulièrement lorsqu'un sexe est rendu
visible par marginalité ou rareté alors que l'autre est
perçu comme neutre. Discrimination positive ou négative, cette
différence présupposée nous enclave dans des
rôles.
La réputation négative qui accompagne son
travail de chanteuse l'a amenée à être
déconsidérée. Comme les musiciennes de l'enquête de
Marie Buscatto, elle a pu se sentir dans une lutte permanente pour s'affirmer
dans des groupes de musiciens, qu'aujourd'hui elle ne fréquente plus.
Juliette Kapla, comme les artistes de la Cie Lubat, a très
tôt croisé les arts et les pratiques, qu'elles soient
considérées masculines ou féminines. Néanmoins,
elle est régulièrement distinguée de ses collègues
comme étant une artiste féminine. Bien visible dans sa robe
rouge, elle est perçue comme l'Autre, en opposition au neutre.
Avec cette particularité, elle craint d'être suspectée de
misandrie si elle affirme un discours féministe sur scène, ou du
moins d'être encore plus enfermée dans la catégorie
femmes-artistes, et non pas artistes. Ainsi, Juliette Kapla
revendique de ne pas faire faire du féminin ou du
féminisme sur scène, même si elle cherche à
proposer des formes qui vont à l'encontre des schémas
traditionnels de la domination masculine.
2.3. FABRICE VIEIRA - L'OPTIMISTE
Nous avons dû plusieurs fois reporter notre rendez-vous.
Fabrice Vieira est très occupé mais sait se rendre disponible. Le
téléphone resta à côté de nous, au cas
où... Il faut dire que c'est un homme trois-en-un : technique,
administration et scène, il cumule les responsabilités. Fabrice
Vieira est au point de jonction entre Juliette Kapla et Bernard Lubat, entre la
scène et les coulisses, entre l'engagement féministe de Juliette
et la position de décideur de Bernard. Il est aussi, entre les
générations de Bernard Lubat et des enfants d'Uzeste. Symbolique
carrefour, son portrait est à la croisée des discours de chacun.
Il exprime une vocation à la fois militante et artistique. Il connait
les reliefs très inégaux du paysage culturel mais reste optimiste
quant à l'avenir. Croiser les discours à travers son portrait
nous amènera à réfléchir aux politiques
féministes envisageables à Uzeste.
2.3.1. VOCATION DE MILITANT MULTIFORME 2.3.1.1.
L'expression de la vocation
Entre investissement total et appel professionnel, Fabrice
Vieira répond au modèle de la vocation, selon
Séverine Sofio. Elle détermine la vocation artistique comme un
appel vers la
86
pratique de l'art, qui réclame un investissement total
de l'individu270. Fabrice exprime cet appel, sa «
volonté d'être artiste » comme étant lié
à Uzeste. A 13 ans, il a rencontré la Cie Lubat
en étant choriste à Paris : « Et là je suis
tombé amoureux, en tout cas cette musique-là m'a secoué,
et elle a changé absolument tout271 ». Un amour qui l'a
amené à travailler comme bénévole les
étés, et la compagnie le faisait jouer dans les bals en
région parisienne.
Son récit de vocation est plus ancré dans des
réalités professionnelles que celui de Bernard Lubat qui semble
poussé par le destin : « Même si j'avais pas encore
décidé d'être artiste à ce moment-là,
ça a toujours guidé mon parcours comme un exemple que, de toutes
façons, je voudrais suivre, dans cette capacité à
créer un lien social, un environnement, un labo, et en plus essayer de
peser sur la société, sur ces choix militants de la
société272. » Son choix fut politique avant
d'être artistique. Dans ses mots, l'artistique semble ici un moyen, une
profession comme une autre, au profit de ses désirs socio-politiques.
Les ethnologues Stéphanie Mirouse et Nadine
Haschar-Noé273 décryptent, dans leur article sur la
vocation artistique et la rationalisation du travail, l'importance plus ou
moins forte du lien entre vie privée et vie sociale dans une compagnie
de danse. Elles remarquent que les personnes ayant leur vie privée
mêlée à leur vie professionnelle s'investissent plus dans
leur vie professionnelle. Le cas extrême serait les familles de cirque
où il n'y a pas de distance entre les deux. De mon observation, pour
Bernard Lubat et Fabrice Vieira, qui sont les seuls artistes vivant à
l'année à Uzeste, le Théâtre Amusicien
semble être une résidence secondaire. Le travail
s'insère dans l'espace domestique, et inversement. Toujours disponible,
ne comptant pas ses heures et répondant à une envie profonde
d'être artiste « dans la société », Fabrice
Vieira recoupe l'éthos professionnel défini par Nathalie
Lapeyre et Magali Robelet comme « les manières de faire et de
penser propres à un groupe professionnel donné274
».
2.3.1.2. Militant du travail
multiforme
Fabrice Vieira se définit comme « militant du
travail »..275 Il conçoit le travail comme multiforme,
pluriel. Néanmoins, comme pour les autres Uzestois interrogés,
l'artistique reste au centre, il demeure l'essence et l'essentiel. Cette
conception de l'art comme coeur de la
270 SOFIO Séverine, art.cit., p. 35.
271 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4,
p.171.
272 Idid.
273 MIROUSE Stéphanie & Nadine HASCHAR-NOE, «
Vocation artistique et rationalisation du travail : ethnographie d'une
compagnie de Danse contemporaine », in Revue sciences sociales et
sport, n°3, juin 2010, pp 77-106.
274 LAPEYRE Nathalie & ROBELET Magali, « Les mutation
des modes d'organisation du travail au regard de la féminisation.
L'expérience des jeunes médecins généralistes
», in GUILLAUME Cécile, op.cit., pp.20-21.
275 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.170.
87
structure pose, symboliquement, les tâches artistiques
plus hautes sur une échelle de valeurs que des tâches
administratives ou techniques. Ce qui est intéressant avec Vieira, c'est
qu'il cumule des tâches différemment valorisées :
J'ai un peu, en 20 ans, balayé un nombre incalculable
de places. Du strapontin à la technique, à tout un tas de choses.
Mais par choix! [...] Donc ma place de maintenant elle est un peu faite de
toutes ces places-là. C'est à dire comme j'ai balayé un
peu, un... beaucoup nombre de places, je me retrouve un peu, dans un endroit
que j'avais pas prévu, de responsabilités autant administratives,
que techniques.276.
Ainsi, il rend son poste hors hiérarchie de valeurs,
mais aussi hors de la binarité primaire des genres masculin et
féminin.
Ce travail multiple produit aussi de la richesse : « Mais
c'est un peu toutes ces contradictions et en même temps, toutes ces
diversités qui s'affrontent... dans ma place ». Des «
diversités » et « contradictions » peuvent se
créer une dynamique d'apprentissages et d'initiatives plus importante
que dans un travail monotone. L'aspect multiple du travail à Uzeste
revient régulièrement dans les propos de Louis Lubat et Jaime
Chao, expliquant la richesse de pouvoir passer de la console lumière
à l'instrument. Bernard Lubat aussi, plus poétiquement : «
Ma place à Uzeste c'est des places, déplacées. Ma
place ». S'il est vrai que les artistes d'Uzeste s'emparent d'une
diversité de postes, c'est moins le cas de Martine Bois, chargée
de communication. Selon les techniciens qui investissent le lieu, ils proposent
des créations lumières ou non. Les personnes qui ne sont pas
artistes à Uzeste n'ont pas, actuellement, des postes aussi multiformes
que ceux des artistes. Mais elles peuvent être force de proposition comme
Diane Camus, trois ans chargée de production, qui a
présenté en 2015 une conférence sur l'architecture en
milieu rural. Pour Vieira, il s'agit de « trouver sa place sociale »,
en pouvant toujours la faire muer.
Geneviève Fraisse, lors d'une
conférence277, présentait une thèse
intéressante : c'est le système éducatif qui fait que, de
ceux qui sont considéré?es comme ne pouvant pas suivre le
lycée général, les garçons vont en mécanique
et les filles en secrétariat. Les stéréotypes sont un
facteur de sexuation des parcours, mais c'est le système de
spécialisation qui oblige à entrer dans ces parcours. Dans la
même idée, les comportements de pinkification (jouets
roses et d'activités domestiques pour les filles, jouets d'autres
couleurs et d'aventure pour les garçons) sont produits par le
marché, pas par les stéréotypes. Je fais donc une
analogie, en pensant que
276 Ibid.
277 FRAISSE Geneviève & Marlène COULOMB,
Rencontre autour de l'ouvrage de FRAISSE Geneviève, Les excès
du genre: concept, image, nudité, op.cit, Librairie Ombres
Blanches, 10 avril 2015.
88
ce ne sont pas les stéréotypes de genre qui nous
maintiennent dans des ségrégations verticales et horizontales,
mais les systèmes d'horizontalités et de verticalités
professionnelles. Si la spécialisation des tâches est remise en
question, alors la répartition inégale des tâches n'aura
plus lieu d'être. Ceci suppose une envie profonde des répartitions
des pouvoirs, et l'abolition des privilèges. C'est aussi se permettre
d'imaginer une éducation à la collectivité, où, si
les tâches doivent être réparties, un roulement permet un
équilibre entre les individus et la valeur des tâches qu'ils
accomplissent.
2.3.2. CONSCIENT ET OPTIMISTE
Fabrice Vieira a conscience des inégalités
existantes. Comme Lubat et Kapla, il connaît les paysages inégaux
des directions d'institutions, des cours de danse et des groupes de musique. Il
observe aussi le phénomène de double standard :
J'ai l'impression que la femme des fois est plus attendue au
tournant que les hommes. Les hommes peuvent se permettre plus de
libertés artistiques. Alors que, même, on est au coeur d'un projet
qui revendique l'improvisation et une forme de liberté. Quand je disais
que le public est bienveillant, c'est vrai, le public est bienveillant, mais
quand même, je pense qu'il est, si y a un degré à trouver,
plus bienveillant avec les garçons en général qu'avec les
femmes278.
En opposant « la femme » au pluriel «
des hommes », Fabrice dit involontairement que la
représentation d'une femme est perçue d'un point de vue
essentialiste (attente d'une féminité, préjugé
d'incompétence...) alors que celles des hommes sont abordées
comme neutres, personnalisées par des individus-producteurs.
Cette neutralité du masculin, qui relève plus de la
normalité, affirme le canon culturel androcentré279,
perçu par les publics, comme neutre et légitime. Mais en tant que
programmateur, la question est de savoir si les publics ont raison ou si l'on
veut leur faire goûter autre chose, et par là même,
étendre le canon occidental280. « Il faut avoir le
courage et l'opiniâtreté de présenter au spectateur ce
qu'il ne sait pas qu'il désire » disait Jean Vilar...
Sur le fonctionnement interne de la structure, il
reconnaît l'héritage d'un modèle sexué traditionnel
:
Alors là je pense qu'on est toujours lié
à l'histoire aussi d'un lieu et on hérite toujours d'une histoire
et d'un lieu. Je pense que ce lieu... C'est deux personnes qui l'inventent au
départ; Alban et Bernard, euh... "Alban et Bernard". Justement ! Alban
et Marie [parents de Bernard Lubat et fondateur?trice de l'Estaminet]. Et que,
comme dans toute histoire y a des choses qui s'installent. Eux, ce qu'ils
avaient installé était peut-être
278 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.
184.
279 POLLOCK Griselda, art.cit.
280 Projet proposé par POLLOCK Griselda,
art.cit.
89
un schéma qui existait, voilà où Marie
s'est consacrée à la cuisine, à l'accueil des lieux,
à l'épicerie, à beaucoup de choses, Alban il s'est... Il a
donné une autre dimension, celle de la politique, de... Ils ont
hérité aussi d'un fonctionnement, homme/femme qui existe assez
classiquement, qu'ils ont essayé de bousculer à mon avis, mais
qui... des fois t'as des choses qui sont plus fortes que toi. Et on est un peu
héritiers de cette histoire-là 281.
Il voit le schéma traditionnel, il reconnaît sa
reproduction dans le couple de Marie et Alban Lubat, et remarque son
héritage aujourd'hui : « Et je trouve qu'à l'heure actuelle
on retrouve un peu ce schéma, qu'on essaie d'interroger tout le temps
». Nous pouvons voir qu'il a conscience qu'il ne s'agit pas d'un rapport
dominant/dominée, mais d'un modèle patriarcal
intégré dans les mentalités de chacun?e : « y a quand
même ce schéma aussi, qui est autant des hommes et des femmes, des
fois la femme va directement aux choses telles qu'on pense qu'elle doit le
faire etc. ». Face à ce constat, l'engagement militant est
là, dans la volonté de s'émanciper d'une prison
intégrée : « C'est là qu'il y a un combat qui est
à mener [...] Il faut être vigilant pour qu'on réinterroge
les vieux, les vieilles formes pour, pour, pour les interroger, pour voir si
c'est vraiment un choix ou si on est en train de reproduire un modèle
»282. Sa lucidité sur le sexisme intégré
m'a interpellée : « je me sens troublé parce que... parce
que c'est une situation qui me va aussi. », il explicite : « Si tu
veux en tant que... je sais pas, quel enfant ou je sais pas quoi, mais, cette
situation que je laisse des fois s'installer, aussi, personnellement, et que je
ne le remets pas en branle. C'est là où je parle de vigilance
». 283
Féministe convaincu, l'espoir de Fabrice Vieira, pour
le secteur musical, réside dans la formation :
Et dans la musique qu'on pratique nous, la formation s'est
drôlement développée depuis une dizaine ou une quinzaine
d'années, y a un équilibre qui est en train de s'opérer,
avec de nombreuses femmes qui, qui, qui trouvent leur place dans l'histoire de
cette musique... jazz, improvisée, jazz et musiques improvisées
quoi284.
Mais comme nous l'avons vu, l'équilibre dans les
formations n'est pas l'unique problème. Les seuils d'élimination
sont encore nombreux à parcourir après l'obtention d'un
diplôme. De plus, les filles d'Uzeste (Lucie, Diane, Margot) ont
pratiqué la musique étant enfant. Pourtant contrairement aux
garçons elles n'ont pas continué, elles n'ont pas
participé aux bals. Le groupe de potes est cité comme
premier responsable par cette génération, les garçons
ayant rapidement et spontanément joué entre eux.285
Mais il y a aussi le fait que les garçons aient
«réclamé d'y
281 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4,
p.183.
282 Ibid., 184.
283 Ibid.
284 Ibid., p.173.
285 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS,
Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p.202.
90
aller286». Plus habitués au goût
de l'aventure, ils ont désiré et demandé celle de la
scène, se sentant suffisamment légitimes pour cette
épreuve. Fabrice Vieira pose la légitimité au coeur du
problème, avec l'envie de lutter contre les inégalités
issues de ce phénomène: « Et pour moi le sujet central c'est
la légitimité des êtres. Y a des moments où c'est la
grande inégalité qu'il faut combattre, mais on peut combattre que
par, justement, impulser de l'égalité 287 ».
Enfin, l'improvisation est pour Vieira un modèle
beaucoup plus adapté à une évolution vers la parité
que le jazz. Pour lui le jazz est enclavé dans un système de
domination ou celui?celle qui dirige est à la fois la star, et
celui?celle qui travaille le plus288. A l'inverse, il imagine, la
possibilité d'inviter quatre hommes et quatre femmes à improviser
musicalement sur le plateau. En tant que programmateur, l'improvisation peut
permettre la rencontre d'artistes qui ne se connaissent pas. De telles
rencontres pourraient être des opportunités, notamment pour les
musiciennes, d'insérer des réseaux d'artistes. Mais ceux qui
dirigent et animent Uzeste Musical, ayant peu de femmes artistes dans
leur réseau, peuvent difficilement proposer ce genre d'action
paritaire289.
Tou?te?s sont conscient?es des discriminations qui traversent
le secteur culturel. Fabrice Vieira observe un sexisme intégré
dans les pratiques uzestoises, de la production comme des publics.
Néanmoins, tou?te?s produisent des discours valorisant
l'égalité et la parité.
2.3.3. VERS UNE POLITIQUE FEMINISTE
Dans les exemples de femmes que Fabrice Vieira, Bernard Lubat
et Juliette Kapla choisissent, dans leurs façons d'en parler, il y a
l'assurance que les femmes peuvent autant que les hommes. Et donc la
compréhension que la situation actuelle est phénomène
construit, et non naturel. Tous se disent féministes. Sans
hésiter. Juliette Kapla : « La question du féminisme. Je
pense que c'est une question qui est hyper importante! ». Fabrice Vieira :
« Moi je me sens autant féministe qu'une femme. Et je pense que je
suis féminisme. Je suis pour l'égalité homme/femme [...]
». Bernard Lubat aussi : « Oui parce que je vois pas pourquoi y
aurait, dans l'absolu y aurait le pouvoir de l'un sur l'autre quoi ».
Fabrice Vieira, en accord avec Juliette Kapla, fait même preuve d'un
état de révolte par rapport aux discriminations de genre :
286Louis LUBAT in, Ibid, p.207.
287 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.175.
288 Ibid. p.175.
289 Ibid., pp.178-179.
91
C'est pas une question d'être féministe, c'est
qu'à un moment donné tu traites un être humain comme
ça ! C'est à dire, t'es dans un traitement de choses qui est
complètement illégitime quoi290 .
Bernard Lubat reconnaît une responsabilité en
tant qu'organisateur : « je fais ce que je peux par rapport à la
société telle qu'elle se trouve. Je fais ce que je peux pour
essayer de critiquer cette situation de disparités ». Dans ses
actions, il a, par exemple, essayé de faire une place aux femmes
artistes, en leur faisant une journée réservée. Il fut
beaucoup critiqué par des féministes qui ont vu dans ce
volontarisme, une stigmatisation. Il a cependant tenté de faire avancer
la lutte à son échelle. Dans leur compréhension des
rapports sociaux de sexes, le militant, le génie et la chanteuse
semblent prêt?es pour la mise en place d'une réelle
révolution des rapports sociaux de sexes. Jaime Chao voit aussi dans la
nouvelle génération une envie de parité : « cette
nouvelle génération, tu vois, elle a que le désir,
à mon avis, que ça se passe ensemble291 ».
2.3.3.1. Discrimination et discrimination
positive
Les réflexions sur les discriminations positives, ou
affirmative actions, anime le débat du féminisme actuel.
Reprenons le problème à la source, et différencions «
discrimination » et « discrimination positive ». Jean-Michel
Belorgey 292 résume très clairement la notion de
discrimination, qui « peut résulter tout aussi bien du traitement
différent de situations identiques que du traitement identique de
situations incomparables293 ». Il y ajoute l'idée
qu'elle s'opère à l'encontre de « celui qui est perçu
comme différent ». Il ne précise pas envers quel
modèle est pensée la différence. Pour moi il s'agit d'une
différence par rapport au modèle intégré, qui peut
donc valoriser ou discriminer la même personne selon la place
convoitée. (Un grand costaud sera valorisé sur un poste de
vigile, mais ce même physique peut le mettre en situation de handicap
pour postuler pour une garde d'enfants en bas âge. La situation s'inverse
avec une jeune femme, même ayant pratiqué un art martial.) Pour
l'auteur, cette inégalité de correspondance aux canons installe
les personnes dans des « situations incomparables ». Par
conséquent, traiter ces situations de manière identique est de la
discrimination -au sens négatif. La discrimination positive, en
combinant les idées de Gwénaële Calvès294
et Jean-Michel
290 Ibid, p.182
291 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS,
Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p.198.
292 BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination
ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la différence?
», VST - Vie sociale et traitements, 2007, vol. 95, no
3, p. 141.
293 Ibid., p.143.
294 CALVES Gwénaële, « Pour une analyse
(vraiment) critique et la discrimination positive », Le
Débat, 2001, vol. 117, no 5, p. 163.
92
Belorgey295, serait alors un comportement qui
prendrait en compte les différences face au canon (d'où le terme
de « discrimination »), mais pour créer une
égalité dans la situation (« positive ») :
De là le caractère fréquemment
anachronique, voire surréaliste, du débat sur la discrimination
positive, ou ceux qui se déclarent hostiles à la démarche
méconnaissent souvent, du même coup, qu'il ne s'agit pas de savoir
si on peut traiter différemment des personnes présentant des
caractéristiques différentes, puisque la question est
tranchée ; un traitement identique constitue une violation du principe
d'égalité, un traitement inégal296.
Le principe est séduisant, il n'est plus question
d'assurer l'égalité des chances au départ, mais à
l'arrivée. La discrimination positive peut se pratiquer de
manières diverses. Gwénaële Calvès insiste
particulièrement sur la recherche d'outreach,
c'est-à-dire de personnes qui ne se portent pas candidates, qui sortent
du modèle attendu, pour détruire l'image du?de la candidat?e
idéal?e. Mais ces politiques d'affirmative action doivent
s'inscrire dans une volonté d'égalité et pas dans une
démarche issue d'un sexisme bienveillant*.
2.3.3.1.1. Sexisme bienveillant
« Sexisme bienveillant » est un étrange
oxymore qui permet de nuancer les formes de sexismes. Le sexisme hostile
est aisément représentable, il est associé à
des comportements de reproches et dévalorisation des femmes,
particulièrement envers les féministes, précise
Jacques-Philippe Leyens297. Pour lui, le sexisme bienveillant se
base sur des stéréotypes dits « positifs » des femmes,
mais respecte « un paternalisme condescendant envers une femme, qui
complète l'homme en même temps qu'elle répond à ses
besoins d'affectivité298 ». En d'autres termes, le
sexisme bienveillant va tenir un double discours, à la fois de
valorisation, et de ségrégation. Par exemple, insister sur la
beauté d'une candidate à un entretien d'embauche la valorise sur
une qualité considérée féminine, toute en la
réduisant à ce stéréotype. Plus
généralement, la galanterie est un exemple de sexisme
bienveillant qui s'appuie sur l'idée de
complémentarité entre le masculin et le féminin, entre la
force et la faiblesse. En se basant sur
295 BELORGEY Jean-Michel, op.cit., p. 141.
296 Ibid., p. 143.
297 LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes ?:
psychologie des racismes ordinaires, Wavre (Belgique), Mardaga, coll.
« PSY, individus, groupes, cultures », 2012, p.105-127.
298 Ibid., p.105-127.
93
les travaux de Glick et Fiske299, Leyens rapproche
les deux formes de sexismes par leurs racines patriarcales.
A Uzeste, je n'ai jamais été témoin de
sexisme hostile, ou du moins, pas depuis ma prise de position en tant
qu'observatrice. Par contre, lors d'une résidence du parti
Collectif300* au Théâtre
Amusicien, je me suis personnellement sentie dans une situation
de sexisme bienveillant. Pour l'exposition de la situation je est un
objet. Il est aussi à préciser que cette expérience et son
écriture ont été discutées en commun. Lors de cette
résidence, donc, il s'est proposé un jeu improviser pour amener
les musiciens à se confronter à d'autres arts : « solos avec
comme consigne de ne pas savoir jouer de son instrument ». Dans le silence
qui accompagne l'attente d'un?e volontaire sur scène, Jaime Chao me
proposa de faire un duo. L'exercice pouvant être intéressant,
j'accepta. Durant l'improvisation plus détaillée dans le
carnet de bord301, Jaime installa un rapport de domination en ne se
laissant pas être poreux face à mes propositions. A la
fin, ayant eu l'impression d'avoir vécu un accompagnement et pas un duo,
je lui fais part de cette remarque, qu'il affirme après un temps de
réflexion. Il argumenta l'envie de m'aider en tant que «
débutante en improvisation ». Jusqu'alors, cette expérience
était vraiment vécue comme un sexisme bienveillant, puisque
je n'étais pas plus débutante que d'autres -surtout sans
instrument de musique-, par contre, j'étais la seule femme, non
musicienne et non-bordelaise. Le deuxième argument fût plus
éclairant, puisque c'était Louis Lubat, mon conjoint,
qui avait sollicité Jaime pour faire un duo avec moi, craignant
que je n'ose pas monter sur scène.
Cette situation n'était pas totalement du sexisme, au
sens où elle n'était pas directement liée à mon
genre. Mais indirectement, le genre était en question, laissant cette
anecdote pertinente. Le genre entre ici en ligne de compte car : le fait
d'être en couple avec un membre du collectif (comme la majorité
des musiciennes de jazz avec un homme du milieu) a modifié une rencontre
de travail, et parce que la musique (majoritairement jouée par des
hommes) n'a pas installé un rapport d'égale à égale
avec la danse (minoritairement représentée à Uzeste).
De cette observation immersive ressort la conscience des
inégalités face à la situation : je suis en
position de minorité, seule femme, seule non-musicienne, seule
non-bordelaise. Le fait que Louis Lubat ait l'envie de pallier cette
inégalité l'amène à une démarche de
discrimination
299 Ces deux chercheurs ont créé le test
Ambivalent Sexism Inventory (ASI), qui met en lumière ces
différents sexismes, et leur importance dans différents pays. Ils
remarquent d'ailleurs que les pays où le sexisme hostile est fort
possèdent aussi un indice de sexisme bienveillant fort. D'après
Leyens Jacques-Philippe, op.cit., p.105-127.
300 Le parti Collectif est une association
créée par de jeunes artistes bordelais, à l'initiative de
Los Gojats, groupe de sept jeunes hommes d'Uzeste.
301 Carnet de bord, Annexe 1.1.3, p.188-190.
94
positive. Le problème est que cette envie
d'égalité sociale s'est traduite en un assistanat artistique
(accompagnement et pas duo), qui a dévalué l'échelle de
valeur sur laquelle nous apprécions les propositions des un?es et des
autres. Cet assistanat artistique était lisible par la relation de
domination installé par Jaime. Il n'a pas cherché la
confrontation artistique -dont parle Bernard Lubat comme une
nécessité pour se découvrir de nouvelles limites en
improvisation- car pour qu'il y ait cette confrontation, il aurait fallu une
relation d'égal à égale. Si je défends l'argument
de la discrimination positive, cette expérience m'a fait prendre
conscience qu'une telle politique doit se faire avec l'ensemble des individus,
et notamment avec les personnes traditionnellement discriminées.
L'intérêt est qu'elles soient à l'initiative et actrices et
non pas exclues de leur libération -en l'occurrence, libération
du patriarcat. Considérer les femmes comme « à assister
», sans mettre en place un contexte de discrimination positive comme
chantier commun, les redessine comme faibles, incompétentes, et hors du
politique. Sachant que le but est opposé, il est nécessaire
d'inclure l'ensemble des individus dans ce débat pour une politique
collective.
2.3.3.1.2. La question des quotas
Vient très rapidement, lorsque l'on parle de
discrimination positive, l'idée des quotas. Dans le cas des
inégalités de sexe, ce serait imposer 50% d'hommes et de femmes
dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Mais plusieurs
problèmes se posent. Si ce système se trouve
particulièrement efficace pour faire évoluer les chiffres, les
mentalités ne se légifèrent pas. Les femmes
embauchées seraient d'autant plus considérées comme
illégitimes, non-méritantes, ce qui renforceraient le canon du
pouvoir masculin. Même Fabrice Vieira, qui approuve cette méthode
sur des terrains politiques, ne peut pas s'empêcher d'avoir le discours
commun en tête : « Le problème c'est que quand on parle de
quotas j'ai l'impression qu'on parle de prendre la place ». Il
met en lien cette opinion avec le fonctionnement très concurrentiel du
secteur culturel :
Donc se pose très tôt, après la question
de la compétitivité des uns et des autres, de la concurrence des
uns et des autres par rapport à ça. Donc dès qu'on touche
à cette histoire d'inégalité homme/femme qui a une
influence directe sur la concurrence, t'actives tous les vieux démons
puissance dix302.
Les secteurs, comme le bâtiment ou la médecine,
qui observent une féminisation des professions sont dans une
période où l'offre d'emploi est supérieure à la
demande303. A
302 Entretien avec Fabrice VIEIRA, Annexe 1.1.2.4, p.185.
303 GALLIOZ Stéphanie, art.cit., pp.31-32.
95
l'inverse, le secteur culturel est saturé d'offres,
imposant de fait, une rude concurrence entre les candidat?es -tous
échelons confondus. Les chiffres ne sont qu'un symptôme, il faut
traiter la maladie et non pas la cacher.
'art304.
Louis, Fabrice et Bernard défendent une programmation
basée sur un « vrai choix artistique », hors des
considérations de sexes, genre, race... Par l'idée de « vrai
» s'insère l'idée d'objectivité, mais
l'échelle de valeur qui leur sert de grille d'appréciation est
subjective, construite en continuité ou rupture avec des modèles
historiques. Cette subjectivité peut être déplacée,
changée. Le canon d'Uzeste Musical a déjà
mué avec le temps, par exemple avec le désir de, non plus
seulement croiser les arts, mais les fusionner. La remise en question des
catégories artistiques a modifié les échelles de valeurs
dans les années 1970. Il est donc possible d'envisager une avant-garde
artistique qui irait au-delà des canons androcentrés construits
par notre histoire de l
Les acteur?trices d'Uzeste Musical se disent
féministes, et certaines actions démontrent que ce terrain est
favorable à une politique féministe. L'échelle
réduite de la structure peut permettre un débat collectif pour un
travail d'équité. La répartition des tâches de la
structure peuvent se réfléchir ensemble, dans le but
d'équilibrer la valeur symbolique du travail fourni par chacun. Le
débat collectif peut aussi permettre des temps de réflexion
réguliers analysant des points problématiques et posant des
objectifs. Un tel dispositif suppose une égalité dans la
décision, incluant tout individu dans le mouvement de sa situation
sociale et conférant à chacun une même
légitimité à l'expression et à l'action.
2.3.4. FAIRE EVOLUER LE GENRE EN ART
Les représentations de masculinité et de
féminité ont évolué à travers les
siècles. Pour exemple, la danse sous l'Ancien Régime était
un art masculin, sous Louis XIII, seuls les hommes peuvent interpréter
les rôles, les femmes peuvent faire le corps de ballet. Alors
qu'après les années 1830, avec le ballet romantique, la danse fut
considérée comme féminine, alors que les hommes
n'étaient plus que des faire-valoir, car la représentation de la
danse était incompatible avec la représentation de la
masculinité de cette époque. Masculinité et
féminité ne sont donc pas immuables, mais fluctuent selon les
paradigmes. Le genre attribué aux oeuvres est donc dépendant du
paradigme à travers lequel elle a été produite, mais aussi
et très
304 Définition et remise en question des canons culturels
occidentaux : POLLOCK Griselda, art.cit.
96
largement, du schème de réception.
L'interprétation genrée des oeuvres peut évoluer avec la
compréhension des genres des publics.
Dans ma grille d'entretien se trouve la question, «
est-ce qu'il existe un art masculin ou féminin ? ». Les
réponses divergent entre les uns et les autres. Bernard Lubat est le
plus catégorique : « Oh ! Ça c'est du pipeau », mais
d'autres répondent « non » : Margot Auzier, Jaime Chao, Diane
Camus et Fabrice Vieira. Juliette Kapla et Louis Lubat par contre, furent un
peu plus perplexes face à la question. Il?elle comprennent le sens mis
dans les mots « masculin » et « féminin », mais les
entendent comme des qualités assignées arbitrairement. Tous sont
donc loin d'une vision essentialiste où les femmes produiraient du
féminin et les hommes feraient du masculin. Muriel Plana définit
comme théâtres féminins, les « créations de
femmes ou d'hommes en quête, consciente ou inconsciente, dans une optique
traditionaliste ou féministe essentialiste, d'une esthétique
spécifiquement féminine305 ». En recherche de
déconstruction des modèles, les artistes d'Uzeste Musical
vont plus avoir tendance à chercher à s'éloigner des
rôles traditionnels sur scène et donc à s'éloigner
d'une production féminine ou masculine selon Plana.
La thèse de Brigitte Grésy306 peut
pousser plus loin cette question d'art genré. Elle défend qu'il
faut enlever toutes les étiquettes de genre et ne garder que ce qui
tourne autour du corps. Pour elle, la reconnaissance de
l'altérité sexuelle est importante dès la naissance, elle
permet de reconnaître les différences liées à la
reproduction. Mais au-delà de l'enjeu biologique, elle ne voit que les
jeux des corps et des beautés. En ce sens, « tout ce qui est
aptitudes, qualités, talents, doit cesser d'être genré?es
». Le caractère impératif de ses propos s'explicite par le
désir d'égalité de l'auteure qui conçoit,
derrière le fait de genrer, une mise en hiérarchie des genres et
des personnes. Dans cet objectif d'égalité, elle définit
deux moyens : valoriser ce qui a été genré féminin,
tout en arrêtant de genrer le social. Il y a donc un intérêt
féministe à ne pas genrer l'art307.
En poussant la question d'un art féministe, Juliette
Kapla a cherché à séparer « femme » et «
féminisme » : « Euh, je ne souhaite pas regarder l'art des
femmes comme un art... forcément fait par des femmes ou forcément
à revendication féministe ». Dans son argumentation, on
retrouve la crainte de l'essentialisme contre lequel elle se bat dans son
portrait : « Je ne souhaite pas ça parce que je trouve que c'est
nous cantonner à une fonction, à un état, et quiconque est
cantonné est inférieur». Mais une fois la garde
baissée, comme Bernard Lubat et Fabrice Vieira,
305 PLANA Muriel, op.cit., p.295.
306 GRESY Brigitte, La vie en rose pour en découdre
avec les stéréotypes, Paris, Albin Michel, 2014.
307 A propos de son livre La Vie en rose,
op.cit., Grésy résume ses résultats : LES
EDITIONS ALBIN MICHEL, La Vie en rose-Brigitte Grésy [en
ligne], youtube, [https://www.youtube.com/ watch?v=NEZ5dWWJhh8],
consulté le 10 juin 2015.
97
elle voit dans le féminisme, un discours politique
moteur possible. Sur la question d'art féministe, Muriel Plana
définit le théâtre féministe :
Ce qu'on pourrait définir comme des «
théâtres féministes », féminins ou non,
produits par des femmes ou des hommes, [sont des théâtres] qui
travaillent, consciemment ou non, à critiquer la domination masculine,
les hiérarchies entre les genres, les inégalités entre les
sexes et à défendre l'émancipation de la catégorie
sexuelle des femmes308.
Dans leur propos sur scène, de manière
explicite, les acteur?trices d'Uzeste Musical peuvent critiquer les
rapports de domination, des comportements sexistes ou racistes. Avec humour
même, les Gojats tentent de tourner en ridicule le fait qu'ils
ne soient que des hommes sur scène. En ce sens, ils?elles sont
amené?es à faire des propositions féministes.
Fabrice Vieira, en accumulant les postes, propose une forme
modulable d'emploi. Il croise des fonctions différemment chargées
de valeurs symboliques, comme la représentation artistique et les
tâches administratives. Cette accumulation trouble la valeur globale,
hiérarchique et genrée, de sa fonction. Comme les autres
acteur?trices d'Uzeste Musical, Fabrice Vieira est informé des
inégalités de genre dans le secteur culturel. L'engagement
féministe de la structure s'observe dans certaines actions comme
l'accueil des conférences du bureau pour l'égalité
hommes/femmes de la CGT Gironde, ou des tentatives de discriminations positives
(en réservant une journée du festival ou une page du programme
pour des femmes artistes). La forme malléable du travail et l'engagement
contre les inégalités sont des bases solides et pérennes
pour un travail collectif d'évolution vers l'égalité. Dans
ce même but égalitariste, garder des adjectifs politiques pour
définir l'art comme « féministe » est
intéressant en terme de revendications sociales, mais l'écueil de
décrire un art comme « féminin » continue de genrer et
donc de hiérarchiser le social.
Dans les discours des acteur?trices d'Uzeste Musical,
se formulent les images historiques, presque mythiques, du génie et de
la chanteuse. Bernard Lubat, est érigé en personnage d'une
histoire maintes fois racontée par l'équipe d'Uzeste, et
rediffusée par les publics et les médias. Du fils prodige parti
réussir à la capitale, au fils prodigue revenant au village,
Bernard Lubat possède un parcours propice au développement d'un
discours qui pourrait être qualifié de génialisant,
tant il est vrai qu'il correspond à la vision nietzschéenne
du génie, travaillant sans relâche à apprendre. Grâce
à une rationalisation du sentiment de légitimité, il n'a
pas attendu
308 Ibid., p.295.
98
ou recherché de reconnaissance, de
légitimité afférente pour produire. Il s'est
emparé d'une légitimité efférente, lui
permettant de créer ce pour quoi il est reconnu aujourd'hui. Mais
pourrait-il être énoncé comme génie s'il ne
correspondait pas au canon masculin du génie ? Juliette Kapla apporte un
vécu plus externe de chanteuse, avec les stéréotypes
négatifs que cela implique. Les luttes sociales qui peuvent se produire
dans son travail, l'empêchent d'accéder à une confrontation
artistique, nécessaire à la progression de l'improvisateur?trice.
Les chanteur?ses sont aussi peu appréciées à Uzeste, mais
c'est le rapport entre star chantante et musicien?nes accompagnant qui y est
critiqué, pas l'instrument vocal. Fabrice Vieira trouble ces personnages
symboliques en les superposant. Chanteur, guitariste, administrateur et
technicien, il cumule les tâches attribuées au masculin et au
féminin. En troublant les limites verticales et horizontales des postes,
il trouble le genre et la valeur symbolique de son travail. Ainsi, ce terrain
est visiblement héritier d'un contexte national, avec son histoire et
ses modèles traditionnels. Cependant, il est aussi propice au
développement de politiques internes et de discours externes
égalitaristes.
99
3. ANTICAPITALISME ET QUEER,
CONVERGENCES ENTRE LES LUTTES FEMINISTES ET UZESTE
MUSICAL
Tout ce qui est politique n'est pas nécessairement
militant, mais ce qui est militant se veut politique. Lors des entretiens avec
Bernard Lubat, Fabrice Vieira et Juliette Kapla ou des discussions avec
d'autres membres de la Uzeste Musical, tou?tes se considèrent
comme militant?es : « militant de l'art » pour Bernard Lubat et
Juliette Kapla, du social et du travail pour Fabrice Vieira. Ces lignes se
retrouvent dans la politique économique et artistique de leurs travaux.
Comme partout, la politique -notamment économique- mise en place dans
les bureaux, influence la production scénique. Ainsi, porter un regard
sur le fonctionnement d'une structure peut informer sur une production,
particulièrement à Uzeste où des personnes associent la
politique menée sur scène et celle menée dans les bureaux.
Ces artistes cherchent à remettre en questions les formes de dominations
sociales, ce qui les a conduits à une remise en cause du capitalisme et
des inégalités sociales qu'il induit. Plus spécifiquement,
la Cie Lubat cherche à subvertir le star-system de
l'industrie musicale. Certains courants féministes analysent un lien
entre la domination masculine et le capitalisme en occident. Dans un premier
temps nous chercherons à comprendre la thèse des
féministes anticapitalistes. Puis, nous porterons un regard sur l'aspect
politique des choix de production d'Uzeste Musical, avec un
questionnement sur la ruralité, la répartition du travail dans
une compagnie artistique et l'économie financière et politique de
la structure. Ce qui permettra de penser l'économie esthétique de
la production. Dans un second temps, les formes artistiques des productions de
la Cie Lubat de Juliette Kapla, nous servirons de base pour analyser
les procédés mis en place, qu'ils soient politiques, comme la
distanciation, ou subversifs comme un travail sur l'indéfinissable et le
trouble permanent.
3.1. ANTICAPITALISME ET FEMINISME, LIER LES TERRAINS DE
LUTTE
« Uzeste Musical n'est pas une marchandise
» vous hurle le dessin d'un personnage tenant un mégaphone depuis
la porte des toilettes du petit théâtre l'Estaminet. Les
artistes de la compagnie se révoltent contre l'économie musicale
mondiale actuelle qui, pour eux, relègue la musique au rang de produit
du marché et non plus d'art. Ils?elles critiquent la musique dans le
métro, dans les magasins, dans la rue, la répétition
à outrance sur les ondes des groupes financés par les producteurs
les plus argentés. La valorisation des festivals aux nombres de
spectateurs
100
et non à la qualité artistique les
révolte. Dans leurs mots, ici ceux de Bernard Lubat, la diversité
musicale est écrasée par l'abondance d'une minorité
dominante économiquement :
C'est pour ça je pense que l'artistique c'est l'inverse
de ce que c'est devenu dans la liturgie libérale. C'est devenu une
espèce de... plus c'est unique, moins les gens
sont...débarrassés de leur capacité d'expression, de leur
liberté d'expression, plus ils achètent celui qui est
représentant de la liberté d'expression. Voila. Il faut une star
pour deux millions de mutiques309.
Dans cette démarche, la réflexion politique de
notre économie amène des artistes comme ceux de la Cie Lubat
ou Kapla à questionner les moyens de productions et les formes
qu'elle?ils produisent. Uzeste Musical tendant vers des politiques
anticapitaliste et féministe, il est intéressant de liée
ces deux mouvements.
3.1.1. UN CAPITALISME AU COEUR DE LA DOMINATION
MASCULINE
Selon Silvia Federici310, le capitalisme a
introduit « des profondes transformations dans la reproduction de la force
de travail et la position sociale de la femme311 ». Dans son
livre Caliban et la sorcière, Federici
s'intéresse au développement du capitalisme, en
particulier en Europe, d'un point de vue féministe.
Elle présente l'accumulation primitive du capital312 comme
une nécessité permanente pour maintenir le capitalisme :
Le capitalisme a généré des formes
d'asservissement plus brutales et plus insidieuses, en insérant dans le
corps du prolétariat des divisions qui ont servi à intensifier et
à dissimuler l'exploitation. C'est en grande partie du fait de ces
divisions imposées, en particulier celles entre femmes et hommes, que
l'accumulation capitaliste continue à dévaster la vie dans chaque
recoin de la planète313.
Cette nécessité du capitalisme de maintenir les
individus du « corps du prolétariat » divisés, pousse
la chercheuse à la critique du capitalisme. L'idée que la
soumission des femmes à un système patriarcal se
concrétise avec le capitalisme, se retrouve dans le Que sais-je
sur le
309 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.130.
310 Universitaire américaine, enseignante et militante
féministe radicale.
311 FEDERICI Silvia, Caliban et la sorcière,
Femmes, corps et accumulation primitive, = Caliban and the Witch. Women, the
body and primitive accumulation, Genève-Paris/ Marseille,
Entremonde/ Senonevero, 2014, p. 117.
312 Accumulation primitive : une révolution
industrielle nécessite, selon l'économiste américain John
Rostow, un investissement qui représente au moins 10% de la production
nationale. Or pour pouvoir investir, il faut une abondance du capital, le
résultat d'une accumulation primitive. Federici note dans son livre
(ibid, p. 116), que Marx a étudié l'accumulation
primitive, mais dans le titre de la dernière partie du premier livre
Capital, il a précédé l'expression du mot «
prétendue » pour marquer son désaccord avec l'utilisation
anhistorique qu'en faisait l'économiste britannique Adam Smith. Marx,
dans son livre, développe le processus de l' « accumulation
primitive » pour expliquer la révolution industrielle du
XIXe siècle. D'après WIKIPEDIA, [
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accumulation_primitive_du_capital],
consulté le 23 décembre 2014.
313Ibid., p. 118.
101
féminisme314. Andrée Michel y
décrit une Europe néolithique, où un dieu masculin aurait
remplacé une déesse créatrice. A la même
période serait le début de la sédentarisation, des
propriétés terriennes et aussi la prise de pouvoir familiale sur
la fécondité des femmes (elles auraient été
considérées comme précieuses car raréfiées
par les morts en couche).
Cette mainmise sur la sexualité s'est prolongée
jusqu'à notre époque, en Europe notamment par
légiférassion de l'Église. On peut remonter dans
l'histoire au temps où l'Église tentait de réguler les
comportements sexuels, en considérant la sexualité comme un objet
de honte et en excluant les femmes de la liturgie et du sacrifice sacré,
puis en imposant un « véritable catéchisme sexuel,
prescrivant minutieusement les positions autorisées pendant le rapport
(en fait, une seule était permise), les jours où l'on pouvait
pratiquer le sexe, avec qui il était autorisé et avec qui il
était défendu315 ». Ces législations ont
évolué avec le temps bien que l'Église essaie toujours de
garder un contrôle sur les comportements sexuels. Federici fait aussi la
liaison entre la chasse aux sorcières et la transformation de
l'activité sexuelle des femmes « en un travail, un service pour les
hommes, et en procréation. L'interdiction de toutes activités
sexuelles non-procréatrices, potentiellement démoniaques et
antisociales, fut centrale dans ce processus316 ».
L'Église puis la concurrence marchande, comme dogmes normatifs, ne sont
plus uniquement une emprise sur les corps de femmes mais sur les relations
entre les corps, le regard sur les corps et leur image. On peut comprendre
alors les slogans du Mouvement de libération des femmes (MLF) comme
« mon corps m'appartient ». Et si aujourd'hui cette idée est
-plus ou moins- gagnée en France, nous continuons d'observer les corps
à travers notre paradigme capitaliste, sachant qu'un corps fortement
sexualisé est vendeur.
Ainsi, défendre un anticapitalisme contre des
inégalités financières, mais aussi de genre, n'est pas
illogique. Critiquer la nécessité de l'accumulation primitive et
de la concurrence peut permettre de remettre en question les systèmes de
divisions entre individus.
3.1.2. ART EN MILIEU RURAL :
L'ART-CHIPELLISATION
Uzeste Musical se nomme ainsi car la Cie Lubat
tient à inscrire la structure sur un territoire. Depuis 2002,
l'association se nomme Uzeste Musical, visages villages des arts
à
314 MICHEL, Andrée, Le féminisme, «
Que sais-je?», PUF, Paris, 2007. 315FEDERICI Silvia,
op.cit., p. 77.
316Ibid., p. 350.
102
l'oeuvre317. Le pluriel de « villages
» s'explique par l'envie de penser les villages voisins d'Uzeste en
archipel, comme des îlots à relier par une activité
commune, une festivité commune. L'Hestejada de las arts n'est
une dispersion de plusieurs festivals parallèles, mais une programmation
itinérante. L'inscription dans le territoire occitan n'est pas que
physique, elle est aussi artistique avec un goût pour la langue occitane
et des musiques traditionnelles. Pour autant, il n'y a pas de folklorisme ou
conservatisme de ce patrimoine occitan. Il s'agit plus d'un héritage qui
s'est transmis de manière désacralisée.
Particulièrement de la Cie Lubat aux Gojats, une
mélodie traditionnelle occitane côtoie un standard de jazz ou un
thème balkanique. Les mélodies se transmettent durant les
fêtes, les bals, ce qui les détache de la sacralité d'un
répertoire sensé rester inchangé à travers les
siècles. Pas très loin, il y a l'envie artistique de faire vivre
la culture d'un pays qui, depuis la fin du gemmage des pins landais, a subi un
fort exode rural et donc un oubli de ses richesses culturelles, sa langue, ses
musiques.
En travaillant en milieu rural, Bernard Lubat cherche à
semer le trouble dans des oppositions telles qu'innovation/conservation et
nature/culture : « C'est que quelque part pour des raisons historiques,
être capable de créativité contemporaine en milieu rural,
dans l'état dans lequel il est, c'est un paradoxe. Le milieu rural
étant plutôt symbolique de la conservation, [... p]arce que c'est
ça le rural pour moi, c'est la confrontation entre nature et
culture318. » L'idée d'éducation populaire n'est
pas loin et revient régulièrement dans les propos et actions des
acteurs de la compagnie. Pour exemple, dans le cadre d'Uzeste Musical
s'est tenue pendant plusieurs années une
bibliothèque/librairie dans le village, surplombée du calembour
« lire délivre ». Malgré sa faillite financière,
cette bibliothèque prouve la volonté d'augmenter un accès
à la culture pour les villageois?es voisin?es. Les enfants peuvent
prendre des cours de piano ou de batterie avec Bernard Lubat319 qui
les sensibilise à des formes contemporaines et innovantes. Juliette
Kapla, à Lille, défend une pédagogie politisée,
amenant des personnes n'ayant pas forcément un grand accès aux
oeuvres artistiques à travailler des compositions complexes. Toutes ces
démarches seraient, dans la théorie bourdieusienne 320
, un moyen d'augmenter le capital culturel et donc de permettre à des
personnes ayant un capital financier
317 UZESTE MUSICAL, Mine d'art à ciel ouvert : une
association transartistique et culturelle [en ligne], [
http://www.uzeste.org/lassociation/mine-dart-a-ciel-ouvert-une-association-transartistique-et-culturelle/#more-29],
consulté le 24/01/2015.
318 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2. p.133.
319 Bernard Lubat, ayant joué ou jouant avec Claude
Nougaro, Michel Portal, Archie Shepp, Eddy Louis et d'autres reste encore
aujourd'hui une figure du jazz français.
320 BOURDIEU Pierre, « Le capital social », in
Actes de la recherche en sciences sociales [en ligne], Vol. 31,
janvier
1980, [
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1980_num_31_1_2069], consulté
le 25 avril 2015, p.2-3.
103
faible de développer un capital culturel fort pour
semer le trouble dans les considérations d'élite, le trouble dans
les identités socio-culturelles.
Cependant, la population rurale environnante semble
réfractaire à ces apports -une hostilité s'est clairement
perçue dans les débats publics, à la veille des
élections municipales-et les publics semblent surtout venir des villes
alentours (Bordeaux, Langon, Toulouse, etc.). Néanmoins, que les
arguments soient pour ou contre les actions d'Uzeste Musical, les
débats en amont des municipales ont prouvé que cette structure
crée du questionnement et de la réflexion. Les quatre listes pour
trois cent votants démontrent un engagement citoyen, en partie dû
aux activités de la structure culturelle.
Uzeste Musical cherche à réduire les
ségrégations verticales en réduisant les
différences de capitaux culturels, notamment des personnes ayant un
accès réduit à la culture parce qu'elles vivent en milieu
rural. Cependant, les habitants locaux ne se ressentent pas
nécessairement comme des potentiels bénéficiaires de ces
initiatives, les mettant en échec. Ainsi, le débat public qui a
agité la scène uzestoise lors des dernières
élections municipales tend à démontrer que cette structure
possède un rôle politique puisqu'elle est portée dans le
débat par l'ensemble des parties.
3.1.3. DES POSTES TRANSDISCIPLINAIRES
La particularité la plus troublante de la Cie Lubat
est la transdisciplinarité* dont savent faire preuve les artistes.
Fabrice Vieira est à la fois artiste, administrateur et parfois
technicien son de la compagnie. Bernard Lubat est artiste, un peu chargé
de communication puisqu'il écrit les programmes, et programmateur du
festival. Thomas Boudé, Jules Rousseau et Louis Lubat sont plus jeunes
(entre 22 et 25 ans), ils sont donc moins insérés dans
l'administration de la compagnie, mais ils participent à l'organisation
des festivals. De plus, ils se confrontent concrètement aux
réalités de la production, diffusion et technique dans
l'association qu'ils ont créée sur Bordeaux, le parti
Collectif. Tous réfléchissent ensemble à la
programmation des festivals avec le regard de la comptable et les notes de la
chargée de communication. Ce qui aboutit à une
étrangeté : un festival et un lieu à l'année tenus
par des artistes et pas par une équipe de production ou des
gestionnaires. Pourtant, la Cie Lubat est une structure
subventionnée par la convention triennale de la DRAC, ce qui lui permet
d'embaucher pour des postes où les artistes n'ont pas les
compétences requises (comme en comptabilité) ; pour le reste,
c'est un choix. Cette organisation sans frontières horizontales entre
les postes, subvertit complètement le modèle, aujourd'hui
difficilement tenable, d'une compagnie avec des artistes
104
qui seraient obnubilés par l'art, unSe
administrateurStrice par les finances et des chargéSes de production ou
de communication par la production et la communication.
Uzeste Musical propose donc un trouble dans la
réparation des tâches. La spécialisation des emplois, ce
que Frederick Winslow Taylor appelait le séquençage des
tâches, se base sur des objectifs de rentabilités. L'Organisation
scientifique du travail (OST) du taylorisme est basée sur un classement
et une répartition méthodiques des tâches par
hiérarchie et par pôles. Aller à l'encontre des
spécialisations professionnelles peut déconstruire la
verticalité et l'horizontalité de la répartition du
travail. Le travailler-ensemble à égalité peut alors
prévaloir sur un objectif de rentabilité du capital.
3.1.4. UNE ECONOMIE POLITIQUE ET
ESTHETIQUE
En sortant d'un spectacle d'Aurélien Bory, Louis Lubat
critiquait fortement les productions du metteur en piste de la Cie 111
qui présente régulièrement de grandes, voire
gigantesques structures (Azimut, Plexus, Géométrie de
caoutchouc...). Au coeur de son argumentaire primaient deux
éléments politiques qui peuvent être résumés
ainsi : « Ça ne m'a rien produit, je n'ai rien vu de nouveau,
ça ne m'a pas fait changer, à quoi ça sert ? » et
« Pourquoi produire des spectacles aussi onéreux qui ne peuvent
tourner que dans de grandes salles ? ». Le premier argument est
révélateur d'une vision de l'art comme avant-gardiste et
générateur de mouvements émotionnels et réflexifs.
Derrière le second argument se cache la question de la
répartition des subventions (si d'importantes sommes vont à tel
artiste, il y en a moins pour les autres) mais aussi celle de
l'accessibilité de l'art en milieu rural, et pour les
non-habituéSes des salles de spectacles. Si ce questionnement est
familier à Louis, c'est parce qu'il travaille aussi à
l'organisation des festivals d'Uzeste et aide à la diffusion du
parti Collectif. Par conséquent, il est plus touché par
les questions de diffusion qu'un artiste abordant peu l'administration.
La question économique, qui peut paraître un gros
mot en art, est essentielle. Elle ne doit pas être centrale mais elle
reste contraignante. Durant mes deux années d'observation, j'ai pu voir
des créations de la Cie Lubat et de Juliette Kapla sous de
très diverses formes : avec ou sans invitéSes, avec ou sans
pyrotechnie, avec ou sans piano à queue, avec ou sans danse, etc.
L'économie du spectacle s'adapte à l'économie du lieu
d'accueil. Au village, c'est aussi un facteur de motivation à la
création in situ, à l'improvisation avec des
invitéSes puisqu'Uzeste Musical n'a pas les moyens de financer
des répétitions. A l'extérieur, lorsqu'ilsSelle sont
programméSes il arrive que les prix soient adaptés au lieu, aussi
par solidarité. IlsSelle s'efforcent de ne pas formater leur production
aux attentes des tutelles ou des
105
programmateurs tout en sachant qu'ils?elle restent
dépendants de ces éléments. Juliette Kapla le formule
ainsi :
Ne pas chercher absolument à vendre ce
travail-là dans des réseaux qui viennent soutenir une
société que je ne cautionne pas, un système de
marché musical, artistique que je ne cautionne pas, que je ne souhaite
pas cautionner. Avec cette précision bien sûr, que de toute
façon je n'ai pas les moyens de le cautionner ou pas puisque je ne suis
pas en position d'être emmenée dans cette
machine-là321.
Ainsi, entre contraintes économiques et pensée
politique dite « écommuniste » (entre anticapitalisme et
écologie, au sens « lié au contexte local »), ils?elle
vont tendre vers une esthétique modifiable à souhait. Cette
adaptabilité nécessite des compétences en improvisation et
une diversité de moyen d'expression. Entre les arts, entre les formes,
elle?ils cherchent à déconstruire les modèles en semant le
trouble.
3.2. ESTHETIQUE SUBVERSIVE, LE
POÏELITIQUE
Bernard Lubat joue des mots comme il joue du piano. Il en
résulte des assemblages étonnant comme «
poïélitique ». Ce terme est une contraction de «
poétique », « politique » et aussi «
poïétique ». Pour Louis Lubat, c'est remettre du politique
dans la poésie, l'art et vice versa. Son père acquiesce mais y
ajoute les idées d'éthique, d'esthétique et de ludique. Il
y conçoit une esthétique ludique car paradoxale. Elle rassemble
l'antinomique (le poétique et le politique étant sur des plans
symboliques différents) pour en faire ressortir de la dialectique. Le
nécessaire rassemblement entre esthétique et politique est aussi
abordé par le philosophe Bernard Stiegler, qui d'ailleurs parle de
« poélitique » :
Je veux dire que le travail [des artistes] est originairement
engagé dans la question de la sensibilité de l'autre. Or la
question politique est essentiellement la question de la relation à
l'autre dans un sentir ensemble, une sympathie en ce sens. Le problème
du politique, c'est de savoir comment être ensemble, vivre ensemble, se
supporter comme ensemble à travers et depuis nos singularités
(bien plus profondément encore que nos « différences »)
et par-delà nos conflits d'intérêts. (...)
L'être-ensemble est celui d'un ensemble sensible322.
La question de ce qui est perçu par le sensible,
l'esthétique, est, selon la théorie de Stiegler,
nécessairement politique. Enzo Corman insiste sur la valeur politique
des arts de la scène, augmentée par le rassemblement
cérémoniel du spectacle. Il définit l'esthétique
comme espace d'exploration du sensible d'autrui, qui permettrait de mieux se
comprendre, de mieux cohabiter
321 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.147.
322 Bernard Stiegler, cité par CORMAN Enzo,
Considérations poélitiques, (Conférence), Polemos
Unisersité d'été Prima del teatro, 2 juillet 2005, San
Miniato (Italie), p.5.
106
entre individus. Bérénice Hamidi-Kim voit en le
théâtre poélitique une recherche de légitimation des
artistes et une ambition révolutionnaire mais réduite sur la
matière esthétique323. Mais le fond du discours de la
Cie Lubat se veut tout aussi politique que la forme. Pour lier art et
politique, la Cie Lubat, tout comme Juliette Kapla, usent de divers
procédés comme la distanciation, l'hybridation jusqu'à
l'inidentifiable et un regard critique pour une révolution permanente.
Ce tissage de procédés tend à questionner les canons,
voire à les subvertir. Le queer, qui est un mouvement de
pensée actuel issu des études de genre, questionne les troubles
et les subversions de modèles. Il me semble alors
particulièrement adapté pour analyser les productions
d'Uzeste Musical dans son aspect politique dans un premier temps, puis
esthétique. Mais avant cela, il est important de préciser le
terme la signification du queer.
3.2.1. DEFINIR LE QUEER
Le queer est une notion récente, encore
inconnue de nombreux secteurs. Il convient donc de s'interroger ensemble sur
une vision queer pour pouvoir aborder le travail de la Cie Lubat
sous ce prisme. Lisons une définition de la théorie
queer par une de ses théoriciennes françaises phare,
Marie-Hélène Bourcier :
[C]'est cela le coeur de la
théorie-politique-mouvement queer : un rapport hypercritique
à l'identité et aux politiques de l'identité, qu'elles
soient homo/hétérosexuelles, nationales, de genre, de classe, de
race, intersection des traits identitaires comprise. Avec une conscience
aiguë de la ressource identitaire (du fait qu'elle est quotidiennement
exploitée dans les entreprises, dans l'armée, dans le
showbiz, à la télévision [...] et dans la chambre
à coucher...), qui débouche sur une manière de faire de la
théorie et de la politique qui ne s'inscrit pas dans un scénario
d'inspiration marxiste révolutionnaire (avec la séquence
oppression/révolution/abolition/ éradication) mais, plus
modestement et de manière moins totalisante, dans une logique de
résistance micropolitique qui emprunte à des stratégies de
resignification, de dés-identification, de prolifération, de
réappropriation (des genres par exemple mais pas seulement), comme
autant de manières d'exploiter des ressources identitaires de
manière post-identitaire324.
De cette citation ressortent plusieurs éléments
qui pourront nous servir de base de réflexion : l'association
ontologique entre théorie queer et mouvement politique. Le
queer est fondamentalement politique. Il s'agit d'une critique des «
politiques de l'identité », et d'un mouvement qui, pour être
mené à bien utilise diverses stratégies comme : la
resignification, c'est-à-dire de modification du signifiant pour un
signifié (par exemple faire signifier des
323 HAMIDI-KIM Bérénice, Les cités du
« théâtre politique » en France, 1989 - 2007
Archéologie et avatars d'une notion idéologique,
esthétique et institutionnelle plurielle, Thèse de doctorat
de Lettres et Arts, (sous dir.) HAMON-SIREJOLS Christine, Université
Lumière Lyon 2, 2007, p.53.
324 BOURCIER Marie-Hélène, « Queer Move/ments
», art.cit., p. 37.
107
éléments traditionnellement masculins comme
féminins), la dés-identification, soit rendre inidentifiable un
élément dans un paradigme normé, enfin, la
réappropriation et la prolifération ou la multiplication
d'identités (genrées entre autres). La notion de micro-politique
questionne le sens d'actions microsociales comme celles d'Uzeste
Musical. Le queer peut se réfléchir comme un
mouvement politique reposant sur le principe du mouvement permanent, de la
subversion permanente des modèles installés ou qui tendent
à s'installer.
L'art a toujours pris une place dans les mouvements
politiques, en relayant des évènements, en les symbolisant, en
proposant de nouveaux paradigmes. Dans ce mouvement queer qui tend
à flouter les normes, à subvertir les identités,
l'hybridation des arts a sa place. Il est donc intéressant de proposer
une réflexion sur les arts dans le flot des queer-studies.
3.2.2. LA DISTANCIATION
Bernard Lubat cherche une relation critique entre les publics et
les artistes :
Il y a une question dans la relation entre artistes et publics
qui est très compliquée parce que.... nous ne sommes pas des
curés quoi. Nous ne sommes pas là pour professer de la
vérité. On est là pour proposer une relation. Mais une
relation critique. Et non pas de domination. Ni dominant, ni dominé.
Donc pour avoir cette relation ni dominant/ni dominé, il faut proposer
un médium. Et le médium, c'est le jeu. Le jeu musical, le jeu
gestuel, le jeu théâtral, le jeu... c'est à dire le
symbolique325.
La distanciation au théâtre, notamment dans la
théorie brechtienne, sert à donner du recul au spectateur pour
lui permettre une activité réflexive. Le fait de laisser voir les
artifices du spectacle, par exemple les coulisses, les techniciens, le texte,
permet de mettre la fiction à distance. Le jeu/non-jeu326,
l'adresse au public (en tant que public, pas en tant que complice comme dans
les apartés de Molière) sont d'autres techniques qui explicitent
le subterfuge d'une fiction.
Tou?tes usent beaucoup du non-jeu puisque les musicien?nes se
présentent régulièrement en tant
qu'eux-mêmes, en s'adressant simplement aux publics, avec les
mots qui leur viennent, et s'ils empruntent les mots d'un?e poète,
philosophe ou autre, c'est signifié par la prise en main d'une note ou
par la citation de l'auteur?e. Le fait que les acteurs soient en non-jeu rend
l'identification difficile puisqu'il n'y a pas de personnage à habiter
mentalement. Dans leurs solos respectifs, il arrive qu'ils interprètent
des personnages d'eux-mêmes. Le solo de Louis
325 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p .129.
326 C'est-à-dire le fait de jongler entre le jeu,
l'interprétation d'un personnage et le non-jeu d'être
présent sur scène en tant que comédien?ne.
108
Lubat, par exemple, repose sur une déclinaison de
lui : un Louis ayant peur de la scène, un autre oisif, un autre
qui veut être une star, etc. Fabrice Vieira dans son solo Qui vivra,
Vieira, se présente en tant que Fabrice Vieira, musicien, en
alternant des scènes jouées -où il interprète un
lui un peu fou par exemple- et des scènes non-jouées
-où il nous parle simplement avec ce qui lui vient. Juliette Kapla quant
à elle, est toujours dans un elle un peu exagéré,
plus espiègle, plus drôle ou grinçant. Il y a donc de la
fiction dans leurs solos par l'intrusion de pseudo-personnages et
celle-ci pourrait alors être renforcée par la sensation de
réel des scènes non-jouées. La distanciation vient alors
du fait qu'il est quasiment impossible de s'identifier ou de se projeter en
permanence dans le personnage puisque le non-jeu transforme la relation entre
acteur?trice et publics. Pour Muriel Plana327 selon la
théorie brechtienne, la distanciation n'est pas une distance totale,
c'est un aller-retour entre indentification et distance. Ainsi, les mises
à distances du public face à la représentation permettent
une réflexion sur les fictions proposées.
Bernard Lubat ouvre une autre piste de réflexion :
« C'est pas le médium que t'achètes, c'est la personne.
C'est la représentation de la personne. Tu t'identifies dans la
personne. Par contre si tu écoutes Mozart, tu peux pas t'identifier
à Mozart. T'es obligé?e de te poser la question de
toi-même328.» L'utilisation du personnage de Mozart nous
ramène à la question du génie. Selon la conception
nietzschéenne, le génie est construit par les discours de nos
amours-propres qui préfèrent voir dans la virtuosité d'un
pair une exception, un miracle que de la détermination et du travail
acharné329. Cette conception du génie nous permettrait
de se déresponsabiliser de nos capacités en s'éloignant
d'une identification possible aux compétences d'un pair. Si cette
théorie appuie l'idée de Lubat que le génie empêche
l'identification, elle va donc à l'encontre du but premier de la
distanciation : un recul réflexif. En effet, dans le cas du
génie, il n'y a pas identification mais idolâtrie, empêchant
tout recul réflexif. Si, comme supposé par les analyses de
discours330, Bernard Lubat tend à être
inséré dans une histoire mythique du jazz, l'impossibilité
de s'identifier n'amènerait pas à une réflexion sur soi,
mais à un désengagement de nos potentiels personnels.
Ensuite, vient l'argument de la vedette. En effet, si l'on ne
s'identifie pas à un personnage, il peut être tentant de se
projeter dans l'image que la vedette incarne (s'il n'y avait pas ce glissement
de personnalité, personne ne chercherait à ressembler à
telle ou telle star). Mais les musiciens de la compagnie ne donnent pas envie
de se projeter en eux. Ils sont toujours
327 PLANA Muriel, « Théâtralités queer
» (séminaire), op.cit.
328 Entretien avec Bernard LUBAT, Annexe 1.1.2.2.,
p.128.
329 NIETZSCHE Friedrich, op.cit.
330 2. Le génie, la chanteuse et l'optimiste
109
en situation de malaise, prêts à
péricliter. De plus, même dans des dispositifs vedettisants comme
de grosses scènes, des festivals prestigieux ou les
Victoires du Jazz pour la Cie Lubat, leurs prestations
détonnent souvent assez pour que les débats
d'après-spectacle avec des arguments autant positifs que négatifs
obligent les publics à se poser des questions, remettre en question leur
réception. Lorsque nous critiquons un artiste, nous sortons de
l'adoration dont se nourrit le star-system, et par la même
occasion, nous déconstruisons le génie.
Si les procédés de distanciation ne sont pas
clairement énoncés dans le discours de la compagnie, l'intention
l'est : « Je pense qu'ils, 99% de ceux qui m'écoutent ne
s'identifient pas du tout à moi. Et je m'en occupe. Tu vois, je ne
voudrais pas leur faire croire qu'ils sont moi. Mais je voudrais plutôt
qu'ils découvrent qui ils sont eux. [...] Parce que je suis pas
un curé. Je suis pas... un prophète. J'ai rien à... j'ai
rien à remplacer à personne331.» Par
l'utilisation de symboles comme le curé et le prophète, Bernard
Lubat inscrit sa démarche à l'encontre de la sacralisation de
l'artiste mais aussi contre une pensée dogmatique, dans le courant d'une
pensée libre. Mais cette liberté, qui discute
nécessairement avec des contraintes, est-elle forcément
transgressive ou subversive ?
3.2.3. L'INDEFINISSABLE, L'INCERNABLE : LA PERMANENCE DU
TROUBLE
« Indéfinissable », « incernable »,
ces qualificatifs sont des objectifs pour les artistes de la Cie Lubat.
Louis Lubat exprime le souhait « que les gens sortent de la salle en
se demandant ce qu'ils ont vu » et son père cherche aussi le
trouble : « «Artiste» ça pourrait être d'être
identifié comme inidentifiable. Tu vois il faudrait pouvoir identifier
l'incernable332. » Troubler les catégories est un sport
local au point de susciter une autre pratique, celle des jeux de mots et mots
valises. Ces créations linguistiques servent à définir par
un langage non normé, voire sans sens, les actions de la Cie Lubat
: «écommuniste », « poïelitique », «
l'amusique », etc. Bernard Lubat et ses compagnons sont des usines
à mots indéfinis. Le plus intéressant ici, est celui qui
les définit : « amusiciens ». Historiquement, Bernard Lubat a
fait partie de la vague d'hybridation des arts des années 1970,
notamment en jouant avec des artistes comme Régine Chopinot -danseuse-
ou Jérôme Thomas -circassien. Lorsqu'il raconte ses
premières expériences avec ces artistes, son enthousiasme
reflète le sentiment de liberté que lui ont procuré ces
échanges.
331 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2,
p.129.
332 Ibid.
110
[O]n a été les premiers à mettre des mots
en concert de jazz, on s'est fait sortir. Le premier, en 78, qui a parlé
au milieu de la musique, c'est André Benedetto. Les gens gueulaient
comme des veaux : « C'est pas du jazz! ». On n'a pas
arrêté de mélanger.333
Bernard Lubat raconte ce souvenir avec fronde. Aujourd'hui,
au-delà de l'échange avec des artistes non musiciens, les
artistes de la Cie Lubat cherchent à être eux-mêmes
indéfinissables. Techniquement, cela s'exprime par une hybridation de
leurs pratiques. De même, Juliette Kapla affirme son émancipation,
sa fuite notamment du « modèle » de la chanteuse de jazz :
« Sauf que je me suis échappée du système puisque je
suis devenue une chanteuse d'autre chose que de jazz ». Originellement
musicien?nes, tou?tes prennent la parole sur scène, parfois des
mouvements de danse se glissent dans les corps et d'autres arts encore
apparaissent. Ils?elle travaillent en majorité en improvisation, quoi
que l'écrit soit aussi présent sur scène. Partitions et
textes de papier se mêlent aux notes et mots imaginés en
instantané. Pour la compagnie, en général, l'apport verbal
est plus de l'ordre de l'interaction avec les publics que de la fiction
dramatique, mais certains plans334 fonctionnent sur des
ressorts dramatiques. Les solos qu'ils écrivent ou improvisent peuvent
être totalement musicaux un jour, poétiques le lendemain et
complètement narratifs un autre jour. Dans le solo de Bernard Lubat qui
est en partie écrit, L'Amusicien d'Uz, l'artiste joue au
magicien manipulant divers jouets. Chaque peluche ou automate représente
un personnage politique. « François Aux-lendemains-qui-chantent
» (Hollande-mains-qui-chantent) représenté par une peluche
de Winnie l'ourson suit une fée volante : « Angela Merkel, la
marquise des anges qui vole au-dessus d'un nid de cocus ». Nous pourrions
croire pour cette scène à une interprétation
théâtrale d'un personnage, mais Bernard Lubat ne se
présente en nulle autre personne que lui. Il est en non-jeu permanent,
lisant ses notes si besoin, s'adressant directement aux publics.
Néanmoins, à travers ses jeux de mots et mouvements de jouets,
une histoire se raconte au hasard des imprévus. Un soir par exemple,
j'ai vu « la main du masseur Magic'automatic market »,
symbolique de la main invisible du marché, tomber sous la chute de la
fée Angela Merkel. L'imprévisible amène alors du drame,
à partir duquel Lubat saura improviser, musicalement ou verbalement...
souvent avec humour. Le rire n'est pas anodin, il est considéré
par ces artistes comme permettant de mettre du recul, de distancier les
évènements dont on rit -souvent de l'actualité- pour mieux
pouvoir les analyser.
333 Ibid. p.138
334 Les artistes de la Cie Lubat parlent de «
plans » pour définir les scènes plus ou moins écrites
qu'ils ont en ressource. « Scène » ne serait pas
forcément un terme plus juste au sens où il peut s'agir de
tableaux vivants, de courts canevas dramatiques, d'un morceau de musique, de la
mise en scène d'un morceau de musique, etc.
111
D'après mes observations, la construction des
spectacles de la compagnie semble fonctionner entre le canevas335 et
le collage. Parfois l'enchaînement de plans est prévus
(exemple : un ordre de passage défini des solos). D'autres fois,
à l'inverse, le premier pas sur scène est comme un saut dans le
vide : nul ne sait ce qui va se passer. Dans les deux cas, le spectacle
s'articule comme un puzzle, dont les artistes connaissent certaines
pièces, d'autres s'inventent sur le moment pour composer un croquis plus
ou moins défini en amont. Ils travaillent suffisamment ensemble pour
identifier et amplifier les initiatives de chacun, ce qui permet un
enchaînement des plans sans interruption, sans rupture entre
divers genres musicaux et divers arts.
3.2.4. PERMANENTE REVOLUTION
En observant des documents papiers ou des vidéos de
spectacles j'ai pu remarquer que les noms, les procédés et
même les plans des spectacles se retrouvent sur plusieurs
années. Cette linéarité dans l'utilisation des
procédés remet en question l'idée que la Cie Lubat
soit en révolution permanente, indéfinissable. Mais est-ce
qu'un?e metteur?se en scène qui produit plusieurs spectacles par an en
utilisant systématiquement les mêmes procédés serait
plus innovant?e qu'une oeuvre qui est construire pour ne jamais être
identique, s'adapter aux lieux, aux publics ? Interroger la production
automatique de spectacles, c'est interroger les fonctionnements des productions
et diffusions de spectacle, voire questionner l'ensemble du fonctionnement du
spectacle vivant. Observons donc cet autre modèle qui peut être vu
en la Cie Lubat.
Dans le rapport historique de Philippe Ogilvie, plusieurs
moments historiques démontrent que la Cie Lubat est
allée à l'encontre d'une création attendue et
institutionnalisable. Le plus notable serait sûrement le concert qui a
fait naître la compagnie. Bernard Lubat écrit :
En octobre 1976, à l'occasion d'un concert (produit par
André Francis du B. du Jazz) à la maison de l'O.R.T.F. naquit
dans la joie, la douleur et l'humour la Cie Lubat...
L'événement fut salué dans Le Monde par le
critique L. Malson comme un « Micro-drame à la Brecht ».
J'étais attendu, j'étais invité à ce
concert/émission en direct, en qualité de musicien
français sachant bien, très bien même jouer le jazz, admis
comme celui de meilleure qualité, cachet de la poste faisant foi (de
New-York !). (...) Et ce fut le scandale : la moitié de la salle
houspillant l'autre avant de quitter les lieux, une déception officielle
d'un espoir réel
335 C'est-à-dire en ayant le squelette du spectacle
mais pas les muscles, en ayant fixé quelques étapes mais pas le
chemin de l'écriture. (Exemple : première et dernière
scènes définies mais pas le milieu, ou/et des signaux indiquant
le début ou la fin d'une scène)
112
du jazz français qui dilapide son talent avec des
sauvages. Pourtant sur le papier la première Cie Lubat avait
fière allure336.
S'en suit un récit abracadabrantesque d'un
saxophoniste, Di Donato, découpant la moquette du studio, d'un
saxophoniste, Chautemps, restant muet fumant un cigare, de Lubat laissant seuls
le vibraphone et le marimba loués pour lui (deux instruments fort
coûteux) pour jouer avec des poêles à frire, des mots, etc.
Il faut noter que les musiciens rassemblés ce jour-là, cinq si le
récit est juste, étaient tous reconnus dans le milieu du jazz ;
médaillé du conservatoire, soliste de l'orchestre national,
musicien de bebop respecté... La structure de l'émission
était faite pour mettre en valeur une avant-garde d'un jazz
français complètement institutionnalisée, tant par la
formation que la diffusion... sauf que la production n'a pas du tout
correspondu aux attentes.
Pour Frédérique Villemur, d'après sa
lecture des écrits de Judith Butler, le queer réside
dans l'engagement politique et non dans l'esthétique337.
L'engagement de la Cie Lubat pour questionner les catégories,
les identités, les identifiables, est clair. Pour aller plus loin, cette
position d'être en permanente remise en question de ce qu'ils produisent
et de ce qui est produit en général dans notre
société est affirmée au détour d'une phrase par
Bernard Lubat : « Je suis contre. Je suis comme... Je suis contre ce qui
ne bouge pas. Je suis contre. Je suis contre ce qui se suffit, je suis contre
ceux qui croient. Euh... Voilà. On écrit bien que contre. «
On ne pense bien que contre. » C'est Aragon qui dit
ça338. » Cependant, en art l'esthétique fait sens
: elle appartient au discours et ne peut donc pas être
éliminée si facilement. Bernard Lubat réaffirme sa
pensée critique au long du débat : « Il faut trouver un jeu,
c'est ce qu'on essaie de faire avec la compagnie, d'être critique en
situation critique339. » Et là, nous pouvons comprendre
qu'il s'agit d'une position politique, mais aussi artistique, donc
esthétique. Les membres de la compagnie étant des gens qui lisent
beaucoup et réfléchissent à leur production et son sens
politique, il convient de réfléchir leurs formes comme telles.
Les puzzles et canevas de la compagnie sont amovibles, souvent discutés
la veille ou le jour-même. Ils se réfléchissent sur le
terrain, dans l'instant et s'adapteront à la configuration des lieux et
publics d'accueil. Lorsque c'est possible, un?e ami?e improvisateur?trice est
invité?e à jouer ou danser avec eux, ce qui modifie
considérablement les rapports d'écoute, de pouvoir et de
collaboration. Les
336 OGILVIE Philippe, op.cit. p.27-28, d'après
« Archives de la Cie Lubat 91, 92, 93... »
337 VILLEMUR Frédérique, « Pensée
queer et mélancolie du genre », Cahiers du Genre, 2007,
vol. 43, no 2, p. 163. A propos de Butler : « elle fait de
l'engagement politique et non de l'acte esthétique la seule valeur de
toute poïétique.»
338 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.
132.
339 Ibid., p.129.
113
propositions sur scène sont éminemment
liées à l'actualité. En plus des jouets
représentants des personnages politiques vont s'ajouter des
éléments de l'actualité, habilement intercalés
entre les textes écrits. Lors d'un concert il n'est pas rare que les
artistes prennent position sur un fait récent, que ce soient les
élections ou plus récemment, les attentats de Charlie
Hebdo. Il ne s'agit pas de créer, comme un?e chroniqueur?se,
spécialement pour couvrir une actualité, mais plutôt pour
se laisser des espaces d'improvisation où les artistes peuvent critiquer
une politique économique ou sociale, une loi en cours, etc. Grâce
à leur fonctionnement en puzzle, ils peuvent insérer des
éléments qui raccrochent à la réalité
contemporaine. Nous pouvons faire le parallèle avec des auteurs grecs
comme Eschyle ou Euripide qui se servaient de la scène
théâtrale comme d'un journal satirique pour critiquer
l'incompétence, la paresse ou encore la luxure de certains politiques.
Nous retrouvons ici l'idée énoncée en introduction que la
scène peut être utilisée comme média. Ainsi, la
structure des spectacles de la Cie Lubat peut alterner plans
écrits et plans plus ou moins improvisés. Si
certains éléments scéniques sont récurrents, ils
restent toujours modifiables et inattendus -au sens où le spectacle peut
n'être aussi que de l'improvisation totale. La démarche de
recherche des artistes de la Cie Lubat, me semble plus proche de
travaux de chercheurs que de certains artistes, par leurs lectures
scientifiques et aléatoires, le travail de notes
régulières, leur corpus pourrait inclure les
instruments, textes et jouets.
Après 1968, la transgression des règles s'est
transformée en caution commerciale et, devenant une esthétique
post-moderne admise, a alors perdu tout sens transgressif340. Le
queer est subversif, toujours en mouvement, in-institutionnalisable. Plus
les formes de la Cie Lubat sont hybrides, et politiques, moins elles
se vendent, particulièrement dans le secteur musical. Cependant, le nom
de « Lubat » reste un gage de qualité dû à la
reconnaissance d'Uzeste Musical, de collaborations prestigieuses avec
Eddy Louis, Claude Nougaro, etc. Cette reconnaissance permet à la
compagnie d'être programmée et par conséquent de prendre
des risques (presque) sans craindre de disparaître.
Frédérique Villemur note que le queer augmente les
marges par l'exploitation de terrains hors frontières, mais sans
forcément repousser les limites des genres artistiques ou sociaux, des
catégories341. Je pense que c'est ici que se trouve
340 PLANA Muriel, op.cit., p.245 : « Que
n'a-t-on pas alors montré sur les plateaux? Les limites de la
bienséance, du bon goût, du bon sens, du sens, ont
été tranquillement -car cela, bien que choquant, n'avait plus
rien de transgressif- balayées. »
341 VILLEMUR Frédérique, art.cit., p.
153.
114
la notion de subversion, du queer mais aussi de la
Cie Lubat. Ils travaillent dans une zone indéfinie car hors
catégorie, et explorent cette zone au fur et à mesure de leurs
représentations.
L'engagement militant, social et artistique de la Cie
Lubat et de Juliette Kapla les ont amené?es à remettre en
question le modèle capitaliste. La lutte anticapitaliste étant
mêlée au féminisme, il est logique d'y trouver des bases
potentielles de politiques féminismes. A Uzeste, il persiste le
rêve de faire disparaître les ségrégations verticales
et horizontales. Le but n'a pas encore été atteint, mais la
politique de polyvalence des employés tend à désacraliser
certains postes, à donner une vision d'ensemble à chacun et
à responsabiliser les acteurs de la structure. Sur le territoire
landais, Uzeste Musical mène depuis bientôt quarante ans
un travail d'éducation populaire qui se heurte aux réticences
d'une majorité de locaux, mais certains y découvrent une richesse
qui les nourrit. L'économie restreinte du lieu et ses ambitions
politiques amènent une pratique artistique particulière
mêlant hybridation, improvisation et réflexion critique. La
relation critique avec les publics est notamment installée par des
procédés de distanciation comme le jeu/non-jeu, la
présentation de l'artifice de la représentation et le rire. En
cherchant à pratiquer diverses techniques sans les dissocier, ces
artistes tendent à créer un trouble dans l'identification de ce
qu'ils?elle font, entre écrit et improvisation, musique,
théâtre, danse, poésies orales et écrites, mais
aussi entre drame et post-dramatique. Ce travail pourrait laisser penser
à un éparpillement, à une incapacité à
exceller dans un domaine, ou toute autre pensée issue du paradigme de la
spécialisation. Pourtant, il en éclot des formes nouvelles,
difformes, informes qui sont si spécifiques qu'elles peuvent être
qualifiées par ce qu'elles font exister : un genre « lubatien
», une verve à la « kapla ». Ce sont des termes que j'ai
pu entendre et qui prouvent que l'indéfinissable cherché par ces
artistes semble trouvable. Si le terme « lubatien » se met à
exister, n'est-ce pas une forme de nouvelle définition,
d'institutionnalisation ? Cette personnalisation de l'oeuvre correspond, pour
Plana342, à une esthétique post-moderne « hyper
individualisée » avec des auteurs comme Duras ou Beckett. Les
genres littéraires sont éclipsés par une stylistique
durassienne ou beckettienne. Ce sont les individus qui s'expriment sur la
scène publique et non plus un genre commun. C'est dans ce dialogue entre
individus et collectif que se déterminent les identités, ces
identités que le queer cherche à troubler. Si ce «
lubatien » peut définir un style récurent dans les
spectacles de la compagnie, ceux-ci sont étudiés dans leur
structure pour être sans-cesse mouvants. L'invitation
d'improvisateur?trices, les références à
l'actualité renforcent les transformations esthétiques d'une
représentation à l'autre. Ainsi,
342 PLANA Muriel, « Théâtralités queer
» (séminaire), op.cit.
dans son caractère politique et son travail
d'exploitation d'espaces au-delà des catégories, les artistes
uzestois sont engagé?es, pour reprendre les mots de Bourcier, dans un
travail de « résistance micropolitique qui emprunte à des
stratégies [...] de dés-identification, [...] de
réappropriation [...] comme autant de manières d'exploiter des
ressources identitaires de manière post-identitaire », donc dans
une politique et esthétique queer. Néanmoins, pour
Muriel Plana, les théâtres queer interrogent « d'un
point de vue politique, les sexes, les genres, les sexualités et
l'érotisme »343. Les propositions de Juliette Kapla et
de la Cie Lubat peuvent questionner ces éléments, mais
ce n'est pas leur esthétique première. Même si elles ont
des caractéristiques queer comme la subversion politique et la
volonté d'être indéfinissables, elles ne répondent
pas à une esthétique dite queer. Peut-être
sont-elles d'autant plus subversives qu'elles ne peuvent pas non plus
intégrer cette catégorie ?
115
343 PLANA Muriel, op.cit., p.295.
116
CONCLUSION
Du fin fond des Landes girondines, l'équipe
d'Uzeste Musical tient un petit théâtre dans un village
de trois cents âmes... le village des « irréductibles
gueulard?es ». Contre les normes, les catégories, l'économie
urbaine, et les inégalités qui en résultent, ils?elles
cherchent à inventer leurs propres économies du travail et de
l'esthétique. Cependant, le discours qui est diffusé par
Uzeste Musical, comme tout média, est dépendant des
contextes de production, de diffusion et de réception. Ces trois
instances demandant un travail colossal d'analyse, la présente
étude s'est resserrée sur les instances les plus favorables
à une évolution féministe dans le cas de ce terrain,
c'est-à-dire la production et la diffusion.
Le contexte de production d'Uzeste Musical est
lié aux viviers artistiques nationaux. Avec 36% de femmes artistes, 70%
d'administratrices de compagnies, 8% de musiciennes, 24% d'auteures de
théâtre, 68% de danseuses, etc., le secteur culturel est
marqué par le genre. La moyenne générale des
représentations de femmes est diminuée à Uzeste par la
dominance de la musique, mais les proportions internes aux disciplines
reflètent, dans l'ensemble, une situation nationale.
Imposer des quotas n'est certainement pas bonne solution. Cela
traiterait les chiffres, mais pas le problème profond de discrimination.
Celles qui seraient mises en difficulté sur scène ne
bénéficieraient pas d'un discours bienveillant (« il y a du
travail à faire, mais l'idée est bonne », « on peut se
tromper, ça sera mieux la prochaine fois »), mais d'un discours
discriminant « elle a été imposée par le quota »
et ne valorisant plus les compétences réelles.
Par contre, l'improvisation peut-être un moyen d'inviter
plus régulièrement des femmes artistes, et ainsi multiplier leur
représentation. La mise en place de rencontres improvisées que
permet l'Hestejada de las arts peu aussi permettre aux
improvisateur?trices d'investir de nouveaux réseaux. Le nombre de
musiciennes étant particulièrement faible, augmenter la
proportion de représentations d'autres arts aurait pour effet
d'augmenter le poids de vivier plus féminin. L'intérêt
grandissant pour la transdisciplinarité, notamment avec le cirque de
Louis Lubat va en ce sens.
Le parti Collectif, collectif de jeunes artistes
bordelais affilié à Uzeste Musical, pourrait être
un groupe de potes privilégié pour l'insertion de jeunes
femmes à Uzeste. Cette association propose divers projets où les
compétences demandées ne sont pas arrêtées. De plus,
la problématique de la féminisation de la profession musicale est
déjà (d)énoncée dans les discussions officieuses.
Chercher à atteindre le ratio de 33% proposé par Reine Prat
pourrait
117
être un objectif commun et assumé qui aurait le
double avantage d'aider des musiciennes à la professionnalisation et de
féminiser les représentations à Uzeste Musical.
Le ratio proposé présente l'avantage d'être le « seuil
à partir duquel le groupe minoritaire n'est plus perçu comme
tel344 » et d'être inférieur (donc plus facile
à atteindre) à la proportion de musiciennes en écoles,
vivier déjà exploité par l'association. Il faudrait alors
sortir des discussions informelles pour assumer une politique féministe
(même si elle n'est pas énoncée ainsi).
Une politique professionnelle féministe, au-delà
d'objectifs chiffrés, peut aussi se réfléchir en termes de
sécurité d'emploi. Le fait que les femmes instrumentistes soient
majoritairement en couple avec des hommes du métier doit aussi
être pris en compte. La situation conjugale des individus ne doit pas
être une condition sine qua non de perspectives
professionnelles. « Le privé est public » pour reprendre un
vieux slogan toujours d'actualité. La précarité des femmes
artistes peut aussi être réduite par une réflexion autour
de la parentalité, et le rôle l'aide que les structures
professionnelles peuvent apporter (à la Grainerie de Toulouse, par
exemple, se réfléchit actuellement une crèche collective
pour les employé?es et les artistes). La haute fonctionnaire d'Etat
Brigitte Grésy propose de réfléchir la gestion du temps
professionnel dans l'articulation « bonne performance d'une entreprise
», et « bien être des salariés », avec notamment
les questions d'égalité et de
parentalité345.
Il est donc évident que les ségrégations
par discipline s'observent dans les chiffres d'Uzeste, via les viviers
nationaux. Cependant, Uzeste témoigne aussi d'une
ségrégation verticale, avec une réduction du nombre de
représentation de femmes avec l'augmentation de la visibilité :
elles produisent 24% des représentations à moindre
visibilité, mais seulement 13% des représentations les
soirs, sur la grosse scène. Cette réduction est en partie due
à la prédominance de la musique sur la scène à plus
grande visibilité ; mais pas uniquement, puisque toutes les disciplines
rendent compte de cette ségrégation en interne. Uzeste
Musical privilégiant des têtes d'affiche pour cette
scène, le plafond de verre national se retrouve sur le local. Le
plafond de verre rassemble en une notion les éléments
qui mettent les femmes en situation de handicap pour accéder à
des fonctions valorisées, que ces éléments soient externes
ou internes à la personne (comme le sentiment
d'illégitimité).
344 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.47.
345 AN Performance, Entretien avec Brigitte Grésy :
Sexisme ordinaire et diversité [en ligne], youtube, [
https://www.youtube.com/watch?v=FvKqSM9f1e4],
consulté le 10 juin 2015, 5 :20.
118
Les acteur?trices d'Uzeste Musical invitent
néanmoins des artistes inconnu?es sur la grosse scène, en
défendant des concepts de soirée. Il est donc totalement
envisageable de représenter les femmes sur cette scène, à
proportions égales des scènes moindres.
La question des ségrégations verticales et
horizontales mériterait des objectifs quantifiés, définis
par Uzeste Musical. Reste, après avoir fixé les
objectifs, la difficulté de suivre ces comptes. Il peut être
envisagé d'adapter les fonctions d'un logiciel comme celui des fiches de
paie, pour pouvoir produire ces chiffres au fur et à mesure des
années.
Si le phénomène des ségrégations
verticales et horizontales est visible par les chiffres, il faut creuser le
passé, la construction de l'histoire de l'art et les mythes qui nous en
restent. La période après la Révolution française a
largement réduit l'accès des femmes à la création
artistique. Le 19ème siècle a ainsi
développé des dichotomies de genre comme le créateur et la
créature, le génie et la muse, l'artiste et la dilettante. Ces
structures binaires ont affirmé un modèle d'artiste masculin. La
construction de l'histoire des arts, elle-même produite dans des
contextes peu enclins à donner de la valeur à des productions de
femmes, les a effacées ou dévalorisées. Les productions
qui font aujourd'hui histoire, patrimoine, et références
esthétiques, c'est-à-dire les canons artistiques, favorisent la
reproduction d'oeuvres androcentrées.
Pour Pollock, historiciser les canons permet de remettre en
question les valeurs esthétiques et tendre à vers une
multiplication des canons, voire, à la subversion des échelles de
valeur. La multiplication des représentations qui subvertissent la
binarité du genre pourrait donc permettre de transformer le canon, mais
aussi de rompre la construction -la performativité*- binaire des
genres.
Nous pouvons retrouver certains mythes historiques à
Uzeste, notamment celui du génie par Bernard Lubat. Celui-ci est
décrit dans les discours internes et externes à la structure
comme prodige instrumentiste, génie incompris et autodidacte. En effet,
l'autolégitimation dont il a fait preuve lui a permis d'accomplir des
choses pour lesquelles il n'était pas reconnu. Néanmoins, son
genre lui a permis de s'insérer sur des parcours, comme les boîtes
de jazz, où il aurait été moins admis en tant que femme.
Juliette Kapla, en tant que chanteuse, a surtout souffert de la
réputation des chanteuses, comme relevant d'un jazz plus commercial. Le
stéréotype des chanteuses incompétentes produit un
préjugé négatif envers Juliette Kapla. Ce qui peut, par
passage à l'acte, créer des attitudes comportementales
discriminantes. Lutter contre les discriminations est un enjeu personnel pour
cette musicienne. Les retours qui lui sont fait l'enferment
régulièrement sous l'étiquette d'art
féminin, qui se distingue, non pas d'un art
119
masculin, mais de l'art, en général.
L'enjeu de ne pas être identifié?e dans la binarité des
genres n'est pas anodin, puisqu'il s'agit de sortir d'une hiérarchie
genrée des pratiques sociales, et par la même de la
hiérarchisation des individus346.
Fabrice Viera propose quant à lui un autre
modèle, à l'encontre de la spécialisation du travail
tayloriste. A Uzeste, l'art est au coeur du mouvement, il est le mouvement. Les
tâches artistiques sont donc en haut de l'échelle symbolique des
valeurs de travail, au-dessus de la technique et de l'administration.
Cependant, Fabrice Vieira superpose les tâches, créant une image
trouble, sans valeur homogène. Cette multiplication des identités
de travail subvertie un modèle, défendu par le capitalisme, de
repartions de tâches spécifiques à chaque employé?e.
Dans une structure à l'échelle d'Uzeste, avec moins d'un dizaine
de permanents, une amplification de ce modèle de polyvalence est
possible. Il s'agit donc, plus techniquement, de prendre en compte toutes les
tâches (du haut en bas de l'échelle de valeurs symboliques, de la
scène au ménage), et de les répartir, en ayant pour but
une égalité des valeurs symboliques entre les emplois de
chacun?e.
Ces diverses propositions -objectifs quantitatifs,
discrimination positive envers des potentielles membres du parti Collectif,
répartition équitable des valeurs symboliques de travail, et
remise en question des valeurs canoniques-, nécessitent un débat
collectif pour être mise en place sans reproduire des discriminations. Le
but étant que tous les individus soient acteur?trices de ses
changements.
Enfin, le discours médiatique d'Uzeste
Musical, celui produit sur scène, cherche à rassembler
politique et artistique. Pour ce, la parole est employée à la
critique des situations d'inégalités actuelles. Mais la
subversion artistique de ces artistes réside surtout dans la forme, dans
la subversion esthétique. La capacité réflexive du?de la
spectateur?trice est accrue par distanciation, en faisant se contraster des
moments dramatiques -de fiction- et des temps où le public ne peut se
projeter dans l'espace scénique. La fusion de plus en plus accrue dans
leur pratique tend à les rendre indescriptibles, sauf peut-être en
rendant leur singularité adjective : « à la kapla » ou
« lubatienne ». En cela ces artistes s'approprient des pratiques pour
en faire autre chose, au-delà des catégories. Ils?elle exploitent
les marges, sans se soucier des limites, ce qui, pour Fédéric
Villemur, revient à être queer347.
Par la multiplication de ces formes hors définitions, ces artistes
participent à la subversion des canons, projet de Griselda Pollock pour
déconstruire les valeurs en art.
346 GRESY Brigitte, op.cit.
347 VILLEMUR Frédérique, art.cit., p.
153.
120
ANNEXES
TABLE DES ANNEXES
1. CORPUS 121
1.1. Corpus principal 121 1.1.1. Quantification des
représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 .
121 1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des
équipes technique et
organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14
121 1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur
l'ensemble des représentations
artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par
discipline et visibilité 122
1.1.2. Entretiens semi-directifs 123
1.1.2.1. Grille initiale des entretiens 124
1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat 125
1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla 143
1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira 167
1.1.3. Carnet de bord 183
1.2. Corpus secondaire 189
1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane
Camus, Jaime Chao 189
2. DOCUMENTS ANNEXES 219
2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014
217
2.2. Photographies du Théâtre Amusicien
217
1. CORPUS
1.1. CORPUS PRINCIPAL
1.1.1. Quantification des représentations
hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014
Il y a deux buts à quantifier les
représentations hommes/femmes des équipes organisationnelle et
technique, puis dans les représentations artistiques des Hestejadas
de las arts 2013 et 2014 :
- Le premier objectif est d'observer, de manière
chiffrée, s'il y a bien une inégalité hommes/femmes du
nombre de représentations.
- Le deuxième but est de comparer les chiffres locaux
aux chiffres nationaux, pour pouvoir affirmer ou infirmer un lien entre le
contexte national et le terrain.
Le comptage est réduit aux années 2013 et 2014,
car le but n'est pas d'observer une évolution mais une situation
actuelle. Aussi, parce que je n'ai connu que ces deux éditions, ce qui
me permet d'avoir une observation qualitative complémentaire.
Ces chiffres sont produits uniquement sur les Hestejadas
et pas sur l'ensemble des représentations des années 2013 et
2014, car les représentations de l'année présentent peu
de turn-over, en raison de la ruralité du lieu. La
surreprésentation des artistes de la Cie Lubat sur la saison
artistique fausserait l'observation d'un lien potentiel entre local et
national.
1.1.1.1. Quantification des représentations
hommes/femmes des équipes technique et organisationnelle des Hestejadas
de las arts 2013-14
|
|
|
|
|
Pour les équipes technique et organisationnelle, le compte
est fait sur l'ensemble du festival (David Brunet, directeur technique des deux
éditions est compté une seule fois chaque année).
Ces équipes changent peu d'une année sur
l'autre.
|
Equipe
|
Equipe
|
|
TOTAUX
|
|
Statut
|
technique
|
|
organisation
|
|
H
|
F
|
|
H F
|
|
H F
|
|
Salarié es
|
17
|
1
|
1
|
3
|
18
82%
|
4
18%
|
77%
|
5%
|
5%
|
14%
|
2013
|
Bénévoles
|
1
2
2%
4%
18 3
|
13
25%
14
|
36
69%
39
|
14
32
|
38
|
27%
|
73%
|
|
Total par
discipline
|
|
|
|
43%
|
42
57%
|
86% 14%
|
26%
|
74%
|
|
Salarié es
|
16 1
|
1
2
|
17
85%
|
3
15%
|
80% 5%
|
5%
10%
|
2014
|
Bénévoles
|
1 -
3% -
17 1
|
6 25
19% 78%
7 27
|
7
24
|
25
|
22%
|
78%
|
|
Total par
|
|
|
28
|
|
discipline
|
94% 6%
|
21% 79%
|
46%
54%
|
Salarié úes
|
94% 6%
|
40% 60%
|
83% 17%
|
Bénévoles
|
50% 50%
|
24% 76%
|
24% 76%
17% 52%
121
Pour pouvoir comparer les chiffres nationaux et locaux, j'ai
employé la méthode de comptage de Reine Prat1. Elle
compte les représentations et non pas les artistes. Donc un?e artiste
qui joue trois fois est compté?e trois fois.
Le festival d'Uzeste étant transdisciplinaire*, il
n'est pas toujours aisé de classer une représentation dans une
discipline. Ainsi, une même représentation peut être
divisée dans plusieurs colonnes. Par exemple, un spectacle musical et
théâtral de Juliette Kapla est compté 0,5 en musique et 0,5
en théâtre (c'est la raison de chiffres avec décimale).
122
1.1.1.2. Quantification des représentations
hommes/femmes sur l'ensemble des représentations artistiques des
Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et
visibilité
123
1.1.2. Entretiens semi-directifs
Les entretiens semi-directifs faits avec Bernard Lubat, Juliette
Kapla et Fabrice Vieira
ont pour but de faire ressortir les conceptions du genre de ces
trois personnes clefs, et
d'entrevoir les points forts d'Uzeste Musical pour
tendre vers un politique égalitaire.
Bernard Lubat est le directeur artistique du lieu, et fondateur
d'Uzeste Musical. Fabrice Vieira est le guitariste, administrateur et
technicien de la Cie Lubat.
Tous deux vivent à Uzeste.
Juliette Kapla est artiste associée de la Cie
Lubat. Même si elle vit à Lille et non pas à Uzeste,
elle est très présente dans les projets du lieu.
Fabrice Vieira et Juliette Kapla sont en couple. Tous trois sont
amusicien?nes : viennent de la musique et mêlent les arts
jusqu'à les confondre.
|
124
1.1.2.1. Grille initiale des
entretiens
Cette grille a permis d'avoir un cadre commun aux entretiens,
mais les situations et réponses de chacun?e en ont modifié
l'ordre voire amené d'autres questions.
Es-tu militant?e ?
|
- sur scène, en dehors ? -sur quels terrains ?
|
Qu'est-ce qu'Uzeste pour toi ?
|
Quelle est ta place à Uzeste, comment t'y
définirais-tu ?
|
De ton observation, quelle est la répartition
homme/femme dans le secteur culturel ?
|
En musique, jazz particulièrement,
|
Marie Buscatto écrit : « Les chanteuses ont
souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente et
sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à
eux»348.
Est-ce que tu t'es déjà senti témoin de
cette bagarre ?
|
|
Marie Buscatto décrit, en parlant des musiciennes
majoritairement en couple avec un homme du métier, un
phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau
de son conjoint. Situation bénéfice, car elle permet d'avoir un
réseau, mais avec les inconvenants qu'elles restent dans l'ombre du
conjoint et qu'il y a un vide si le couple rompt.
C'est un phénomène que tu as observé ?
Est-ce que ça t'es déjà arrivé ?
|
Elle décrit aussi le besoin, en tant
qu'artiste, d'être soutenu?e (moralement et dans la vie de
famille s'il y a). Les femmes se retrouvent à porter ce rôle pour
elle et leur conjoint, aux dépends de leur pratique personnelle.
Est-ce que tu es en accord/désaccord avec cette
chercheuse ? Est-ce que c'est un constat que tu as aussi fait ?
|
Te sens-tu légitime à monter sur
scène ? Depuis quand, comment ?
|
Pour toi, que signifie « féminisme »
?
|
|
Te considères-tu comme féministe
?
|
As-tu des influences artistiques féministes
?
|
D'après toi, est-ce qu'il existe un art
féministe ?
|
Pour toi, qu'est-ce que le féminin et le masculin
?
|
|
Existe-t-il un art féminin ou masculin
?
|
Dans le travail, est-il plus intéressant de travailler
dans des groupes mixtes ou non-mixtes ?
|
A Uzeste,
|
Où sont le masculin et le féminin ?
|
|
Où sont les femmes et les hommes ?
|
Comment te sens-tu vis-à-vis de cette situation ?
|
(Vieira et Lubat) Quelles responsabilités et
possibilités en tant qu'organisateurs ?
|
348 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point
métier d'homme », art.cit, p. 52.
125
En gras sont les citations utilisées dans le
mémoire.
Les notes sont des ajouts des personnes
interrogées après relecture.
1.1.2.2. Entretien avec Bernard
Lubat
Le 10 février 2015, de 16h à 19h, 3h
d'enregistrement
A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste
Musical, salle de spectacle.
Bernard Lubat: Dans la représentation du show-business,
c'est-à-dire la plus importante quantitativement, c'est le besoin de
s'identifier pas au médium artistique, mais à la personne.
C'est-à-dire, si j'anticipe, c'est de s'identifier au chanteur, c'est
pas du tout .... C'est-à-dire que quand tu t'identifies, tu te nies
quoi. Donc, tu achètes. Tu vois le chanteur, tu t'identifies,
donc tu achètes. Tu te rassures. Mais c'est pas l'oeuvre d'art, c'est
pas l'art que t'achètes. C'est pas le médium que
t'achètes, c'est la personne. C'est la représentation de la
personne. Tu t'identifies dans la personne. Par contre si tu écoutes
Mozart, tu peux pas t'identifier à Mozart. T'es obligé de te
poser la question de toi même.
Anna Legrand: Et est-ce que pour le coup, en tant que, mettons
femmes noires, je pense aux deux jeunes filles qui étaient venues de
Soweto, est-ce que je suis en mesure de m'identifier à ces jeunes
hommes, riches blancs qui sont sur ces scènes en majorité.
BL : Oui, oui... Tu peux, tu peux t'identifier... Non. Par
contre. Tu peux réfléchir ta condition à travers celle que
tu découvres qui est montrée par ces jeunes femmes noires. Euh...
Après... C'est-à-dire que ces deux femmes noires, que tu vas
voir, ne te remplacent pas. Elles t'interpellent.
AL: Mmm. Mais je pensais plutôt si.... par exemple j'ai
une amie qui est lesbienne noire, qui peuvent être perçus comme
handicaps sociaux. Et j'ai été très étonnée
dans une discussion de comprendre à quel point elle n'avait jamais
réussi à s'identifier à tous les personnages de contes, de
fictions, dans les films etc. jusqu'à finalement assez tard,
aujourd'hui, où il y a quelques séries américaines qui
montrent...
BL: Ah oui, ah oui...
AL: des femmes noires et très très rarement
lesbiennes. Et, et...
BL: Oui, c'est ça oui. C'est-à-dire que... c'est
l'effet inverse de ce dont je te parlais. C'est bien foutu les séries
américaines, parce que ça te permet de t'identifier dans une
société qui t'apparait respectable. Donc tout à coup le
racisme passe à l'as, la problématique des genres revient au
galop. Une lesbienne qui est filmée en tant que lesbienne, ça
permet de s'identifier là-dedans donc de s'inscrire dans une
société que l'on ne critique plus. C'est ça le paradoxe,
si tu veux, d'être "intégré". On est intégré,
mais dans quoi? En tout cas, pas dans la raison critique. On est
intégré plutôt dans le troupeau. Attend bouge pas, je
prends mes notes. L'identification c'est un drôle de truc. C'est un
drôle de truc. Moi je sais que... les gens qui viennent
m'écouter quand je joue, je pense qu'ils, 99% de ceux qui
m'écoutent ne
126
s'identifient pas du tout à moi. Et je m'en
occupe. Tu vois, je ne voudrais pas leur faire croire qu'ils sont moi. Mais je
voudrais plutôt qu'ils découvrent qui ils sont
eux.
AL: Et pourquoi?
BL: Parce que je suis pas un curé. Je suis
pas... un prophète. J'ai rien à... j'ai rien à remplacer
à personne.
AL: Après c'est vrai que toi sur scène, tu te
présentes en tant que toi même.
BL: Oui
AL: En tant que Bernard Lubat, je suis là et...
BL: Oui, mais en tant que médium, en tant que ma
personne. Ma personne elle est pas que là. Il y a ce que je joue avec ma
personne qui est là. Et normalement ce que je joue doit mettre ma
personne... (Siffle), en coulisses. (Silence)
AL: Et en même temps, moi j'ai cette impression, il y a
des moments quand tu prends la parole sur du texte interprété,
là tu n'es plus que toi parce que tu interprètes une
autre voix, et en même temps, quand tu parles d'Uzeste, de
problématiques qui te sont chères, etc. J'ai l'impression que
c'est la même personne que je peux après voir dans les
coulisses.
BL: Oui, c'est vrai. Mais...
AL: Est-ce que ça ne permet pas d'empêcher
l'identification?
BL: Tout le problème est là. C'est que...
"Artiste" ça pourrait être d'être identifié
comme inidentifiable. Tu vois il faudrait pouvoir identifier l'incernable.
C'est-à-dire quelque chose qui regarde tout le monde. Personne ne sait
qui il est. Il n'y a que ceux qui croient. Tu vois je lisais
toute à l'heure: (prend une feuille) "De plus en plus de gens replacent
le "je pense" par le "je crois"." (Silence) Alors... On a perdu la
pensée, enfin la liberté critique parce que croire c'est
adhérer. Je crois à l'artiste, j'adhère.
Je perds mon sens critique. Ma capacité critique. Ça ne veut pas
dire que j'aime ou que j'aime pas. C'est-à-dire que... Il y a
une question dans la relation entre artistes et publics qui est très
compliquée parce que.... nous ne sommes pas des curés quoi. Nous
ne sommes pas là pour professer de la vérité. On est
là pour proposer une relation.
AL: Quelle est...
BL: Mais une relation critique. Et non pas de
domination. Ni dominant, ni dominé. Donc pour avoir cette relation ni
dominant/ni dominé, il faut proposer un médium. Et le
médium, c'est le jeu. Le jeu musical, le jeu gestuel, le jeu
théâtral, le jeu... c'est-à-dire le symbolique.
AL: Et en quoi le fait de jouer, c'est peut-être idiot
comme question mais c'est pour reprendre les mots, en quoi le jeu effacerait la
domination? Parce que justement il y a toujours des meneurs de jeu, etc.
BL: Oui je sais bien, bin c'est là qu'il faut
être créatif quoi. Parce que celui qui joue à être
adoré, celui-là il joue au dominant.
AL: Exactement, c'est à ça que je pensais.
BL: Voilà, donc il faut trouver un jeu... c'est pour
ça qu'il y a de la créativité. Il faut trouver un
jeu, c'est ce qu'on essaie de faire avec la compagnie, d'être critique en
situation
127
critique. C'est-à-dire que...
critiquer la musique. "On a un devoir envers la musique, celui de l'inventer."
C'est Stravinski qui dit ça. (Silence)
AL: Et...
BL: Par exemple, pour un artiste, je veux pas lui dire
"D'où tu viens, quelle est ta culture?" Je vais lui dire "Qu'est-ce que
tu fais de ta raison et de ta liberté?". [Paraphrase] C'est ça
qui m'intéresse, "Qu'est-ce que tu nous proposes?"
AL: Est-ce que dans cette vision-là, le fait
d'être une minorité, au sens social, peut être un atout?
BL: Bin oui, c'est dire aux autres; je suis différent
de toi, je suis différent de tout, donc... C'est la minorité. Et
Deleuze disait; "C'est quoi être de gauche? C'est savoir que la
minorité c'est tout le monde." Et je dis ça des fois sur
scène, alors les gens se marrent. Et puis j'ai trouvé une
réponse; après je dis: "C'est quoi être de droite?" Je
demande ça au public alors il répond pas, il se méfie, tu
vois... Parce que personne n'est de droite. Alors je dis: "C'est quoi
être de droite? C'est croire que la majorité, c'est moi."
Je dis "c'est croire" tu vois, alors que l'autre y dit "c'est
savoir", "la minorité c'est savoir". Donc la relation
de l'artistique à la société et aux publics elle n'est
possible que contradictoire. (Silence) Sans ça c'est plus une relation.
C'est du commerce. Du commerce d'argent, du commerce de bons sentiments, du
commerce de goûts et de couleurs. Mais c'est du commerce.
AL: Et en même temps, tout artiste, même les plus
engagés qui soient, sont confrontés au fait de devoir se vendre
et de...
BL: Absolument. Léo Ferré il disait, il a dit un
jour "j'arrête parce que j'ai l'impression de faire des messes." Il avait
2-3 milles adorateurs qui buvaient ces paroles. Il a dit j'arrête c'est
pas possible.
[Digression à propos de La Télévison
cérémonielle de Daniel Dayan et Elihu Katz] C'est
pour ça je pense que l'artistique c'est l'inverse de ce que c'est devenu
dans la liturgie libérale. C'est devenu une espèce de... plus
c'est unique, moins les gens sont...débarrassés de leur
capacité d'expression, de leur liberté d'expression, plus ils
achètent celui qui est représentant de la liberté
d'expression. Voila. Il faut une star pour deux millions de mutiques.
[...] Ce qui explique aussi, qu'on aura beau faire des pieds et des
mains, il n'y aura toujours que huit personnes, maintenant, qui viendront nous
écouter. (Silence)
AL: Quand je t'entends sur scène, je t'entends comme un
militant, en tous cas comme te décrivant comme un militant...
BL: Ouais
AL: Et je me suis posée cette question: "Sur quel
terrain?"
BL: Militant de l'art. Militant de la liberté
d'expression, militant de la liberté de la pensée. Militant de
l'erreur, de... de l'expérimentation, de l'exploration, de... de la
confrontation entre individuel et collectif. Militant de la poésie.
Militant de l'art... Cette espèce de.... Je suis militant de ça
parce que je pense que... on est tous né pour être capable de le
penser, quoi, de l'exprimer qu'on est né, qu'on est vivant, que
ça a un sens. Mais malheureusement, ça se
128
passe pas comme ça quoi. Il y a des milliards de gens
qui existent et qui survivent à condition qu'ils la ferment, et qu'ils
obéissent. (Silence)
AL: Et est-ce que pour toi ce militantisme de l'art et aussi
social ou il se réduit à la sphère artistique, si je peux
dire ainsi?
BL: Il est social, pour moi c'est la guerre de l'art.
J'ai renversé; de l'"art de la guerre", je passe à la "guerre de
l'art". (Cherche citation dans les papiers)
AL: Pour moi le militantisme est lié à Uzeste,
peut-être que je me trompe
BL: Ouais, tu sais quand je suis parti d'ici, Uzeste il y a...
quand j'avais 15ans j'ai fui le monde rural qui était en
déshérence, et parce que dans le milieu rural on était
dans le servage quoi, on n'était pas libre. Et puis j'ai fait comme tant
d'autres, je suis allé à la ville, dans une autre servitude. Pour
certains c'était La Poste, chez Renault, moi
c'était la musique. C'était la ville. Et puis là je suis
tombé dans, dans une autre servitude : l'argent, le métier de
musicien, de "musicos" comme disent les couillons de musiciens. Ils se traitent
eux-mêmes de "musicos", "matos". Ça rime avec
"matos"349. Et donc je suis devenu une
espèce d'esclave de luxe quoi, bien payé. Pour fermer sa gueule.
Pour jouer ce qu'il fallait jouer comme musique. Et donc [trouve une
note dans ses papiers] Voilà; "C'est pas le pouvoir qui crée
l'obéissance, c'est l'obéissance qui crée le pouvoir"
Ça c'est la Boétie. Donc j'ai obéie. Ce qui fait
qu'à force de tous obéir on fait la fortune des fabricants de
tubes et d'idoles. Et puis, heureusement, parallèlement à cette
vie à Paris, j'avais vingt ans et quelques, vingt-cinq, j'ai
découvert la liberté la nuit. La nuit dans les caves, dans les
caves enfumées, sous la terre. [...] Les caves à
Jazz. Où là justement s'exprimait une espèce de
tonitruante liberté de moeurs, de prè-68, c'était avant
68, de moeurs, de musiques, dangereuses pour la santé, truffées
de poètes, de littéraires, de musiciens, d'artistes quoi,
voilà, de politiques, de mecs douteux, de mecs en rupture de ban. Et
j'étais, la nuit, là, sous la terre. Et puis la journée,
à la surface, en plein air, j'étais avec... ouvrier
spécialisé du showbiz, qui était en plein expansion.
C'était l'apparition du microsillon, des chaînes
stéréo, et tout ça, tu vois [...] c'est devenu
une industrie mondiale. Et donc ça, ça a explosé à
un moment donné. Et puis j'ai fait par hasard en 78 le premier
Uzeste Musical, parce que je passais par là en tournée
avec Michel Portal. Et puis à partir de ce premier truc en 78
d'Uzeste Musical, avec un village qui était désertique,
plus de paysans, plus de cultivateurs, plus d'artisans, tout le monde
était parti à la ville, plus ou moins au chômage, et donc,
je me suis réinstallé dans une pensée
écommuniste. Et je me suis dit; tiens il faut que je fasse
quelque chose d'autre. De ma vie, de ma pensée, de mon imaginaire. Donc
il faut que je me remette à apprendre. Et là je suis devenu
fauché comme les blés. [...] Je me suis demandé quoi faire
ici, et après, quoi faire à partir d'ici? [...]
AL: Et tu étais accompagné dans tout ça
ou pas du tout?
349 "Matos" signifie "matériel" dans le jargon du secteur
culturel.
129
BL: Oui. C'était la compagnie.
C'est-à-dire que quand je suis arrivé ici, j'ai
cherché qui était ici, quels étaient les artistes ici. Les
musiciens. Je suis allé voir à Pau, à Bayonne, Bordeaux
[...] Et puis c'est là que j'ai rencontré Auzier,
Minvielle, et puis la mère de Louis, Laure avec qui j'ai vécu. Et
puis petit à petit, c'est-à-dire c'est compliqué tout
ça. Tout d'abord la compagnie elle est né à Paris, avec
des musiciens de Paris, des comédiens... On était au
Théâtre Mouffetard à Paris pendant un ou deux ans,
ça c'était en 76. Et là c'était une compagnie punk,
de déconstruction avant la lettre. Je faisais de la
déconstruction sans le savoir. On démolissait tout, on
démolissait la musique.
AL: Une question peut-être idiote mais c'est des
mouvements musicaux qui sont liés quand même à la
libération de 68, non?
BL: Oui, mais... Oui, oui, oui. Mais moi 68, tu vois... Oui
ça vient de 68. 68 c'est énorme. C'est une explosion formidable.
Moi 68 je jouais dans les boites de jazz. Par contre là, après 68
ils se sont tous précipités dans leur amour des Beatles, et des
Rolling Stones, moi j'en ai rien à secouer. Moi ce qui
m'intéressais c'était Jean-Paul Sartre, c'était Thelonious
Monc, c'était John Coltrane, Mike Devis, enfin tu vois. C'était
pas du tout l'anglo-klaxon, comme j'appelle maintenant. [...] Donc on
a écumé les boites de jazz, avec la compagnie Lubat, oui, dans un
esprit 68, punk quoi. Et puis j'en ai eu un peu assez. Et puis entre temps
c'est les retrouvailles avec l'état dans lequel était Uzeste et
surtout dans l'état dans lequel Uzeste était en moi. Le village
de mon enfance. J'ai pensé que ma modernité c'était
à partir d'ici quoi. C'était à partir de ce handicap
d'être minoritaire parce que ruralisé. Tu vois ça
valait pas un clou la ruralité. Ça vaut encore moins maintenant.
Mais pour moi c'était... c'est ma poésie. (Silence)
AL: La question va peut-être paraitre bête mais
elle me parait essentielle; quelle est ta place à Uzeste, comment est-ce
que tu t'y définirais?
BL: Ma place à Uzeste c'est....euh.... (Tapote sur la
table)... Ma place à Uzeste c'est des places,
déplacées. Ma place. Uzeste. Je ne suis pas représentatif
d'un lieu. Je suis représentatif d'un acte. Tu vois. Ce à quoi je
participe ici est symbolique d'un acte, pas d'un lieu. Le lieu, n'est pas
accessoire, mais il n'est pas premier. L'acte premier c'est la création
artistique contemporaine. (Silence) C'est que quelque part pour des
raisons historiques, être capable de créativité
contemporaine en milieu rural, dans l'état dans lequel il est, c'est un
paradoxe. Le milieu rural étant plutôt symbolique de la
conservation. [...]
AL: C'est marrant, parce que quand je t'ai demandé ta
place à Uzeste, comment tu t'y définirais, tu...
BL: Contre
AL: Contre Uzeste? D'Uzeste Musical, je parle
BL: Oui, oui, oui. Je suis contre. Je suis comme... Je
suis contre ce qui ne bouge pas. Je suis contre. Je suis contre ce qui se
suffit, je suis contre ceux qui croient. Euh... Voila. On écrit bien que
contre. "On ne pense bien que contre" C'est Aragon qui dit ça.
Voila. Donc ici, être contre, la raison critique, on n'a pas
été éduqué à ça quoi. Alors il faut
faire de la philo, il faut... Justement aller dans des grandes
universités, alors, en général ceux qui accèdent
à la raison critique, à la pensée critique deviennent
profs de philos. Ils ne retournent
130
pas dans leur... dans leur campagne ou leur village ou de
l'endroit d'où ils viennent pour ouvrir des ateliers de philo quoi. Ils
vont gagner leur vie où ils peuvent. Mais y en a qui le font. Bernard
Stiegler par exemple, il le fait. Et c'est ce que j'essaie de faire, moi, avec
l'art contemporain quoi. Et d'un point de vue écommuniste, je
ne peux plus vivre en ville, parce que pour moi la ville, telle que c'est
devenue, ces mégalopoles, c'est des pléonasmes. Ce sont des gros
tas où il se passe rien, je sais pas pourquoi [...] il s'y passe rien,
rien de grave! Que des drames. Y a plus de beauté, y a plus d'odeurs, de
pensée, y a ... Ça me fait penser à des huitres moi, tu
vois. [...] Pour moi les villes se sont devenues des troupeaux. [...]
Parce que c'est ça le rural pour moi, c'est la confrontation
entre nature et culture. Donc ici c'est nécessairement penser
par soi-même, et par tous les bouquins qui m'aident. [...] Mais je trouve
que la question de créer, de vivre, à partir du monde rural
contemporain, c'est vraiment un challenge, heu, Beckettien.
AL: Et alors qu'est-ce qu'Uzeste pour toi?
BL: Qu'est-ce qu'Uzeste Musical ou Uzeste municipal?
[...]
AL: Qu'est-ce qu'Uzeste Musical?
BL: C'est un point de friction. Qui s'est
élaboré par lui-même. Par une conjonction de
désirances, dont je ne suis qu'une étincelle. Un foyer quoi. Le
feu a pris et c'est de la flamme. Ça brûle. Alors il faut mettre
du bois tout le temps. Mais c'est ça. Donc tant que ça flambe...
et bin ça existe. Je suis toujours étonné tous les ans que
ça existe encore parce que je sais jamais si le feu va pas...
s'éteindre. Et puis maintenant je suis un peu plus, comment dire,
rassuré et joyeux parce qu'il y a Louis, parce qu'il y a tous les
jeunes, tu vois, qui, qui vont peut-être savoir servir et se servir de
cette flamme. Pour la trimballer ailleurs. Pour l'amener... [...] Si tu veux,
à Uzeste je suis dans le troupeau, je fais partie du troupeau et je
gueule contre le troupeau. Et je gueule contre nous en disant: "Ça
suffit, on n'est pas un troupeau, nous sommes des individus qui devons
apprendre à devenir chacun et à vivre ensemble. [...]
AL: Quelque chose qui m'a vraiment fait échos pendant
les stages, en écoutant, en trainant mon oreille ici, c'est cette
perpétuelle dichotomie entre peur et désir. Et, évidemment
je me demande, quelque chose où j'ai des réponses
différentes c'est ; où est la peur et où est le
désir?
BL: Mmm. Bon d'abord, la peur, c'est la peur d'avoir peur.
Premier étage. Une fois que t'as passé la peur d'avoir peur, il
reste la vraie peur, la Peur. Et c'est là que ça se passe. Il
faut franchir... D'abord t'as la peur de monter sur scène. Voilà.
La scène mythique, la scène de la représentation de soi,
de ses rêves, de ses espérances, de son imaginaire. Le public,
c'est pour ça qu'il est assis dans sa chaise. Il est là, il
regarde la scène comme un brasier, comme un bûcher: "j'ai la
trouille d'y aller parce que si j'y vais je vais brûler!" Mais
intérieurement, il sait pourquoi il y va pas, même si c'est pas
conscient. [...] Et ensuite, alors, le désir. Alors le désir
c'est quand, tu vois, je me souviens, ici. Voilà, l'exemple du
désir. Ici, avant, y avait ma mère qui habitait derrière
là (montre le fond de scène et les loges), tu vois, et il y avait
une porte qui donnait sur scène. Et la première fois que Louis,
il a joué sur scène, ici. Je sais
131
pas quel âge il avait, onze, douze ans. Il y avait du
monde, enfin il y avait quand même une certaine ambiance tu vois. Et
j'étais derrière lui, dans les coulisses et j'allais,
j'étais prêt à le pousser pour qu'il y aille. La porte
s'ouvre et, juste je fais ça (geste comme s'il allait pousser doucement
quelqu'un dans le dos) il avance tout seul.
AL: Il m'avait raconté oui.
BL: Il t'a raconté ça ? Ça, c'est
ça le désir. Le désir c'est quand tu le payes à
toi. Quand d'un seul coup c'est toi le responsable. Et alors à partir de
là, tu choisis la peur. T'es plus dans la peur d'avoir peur, tu choisis,
tu fais le pas, tu montes sur scène.
AL: C'est marrant de mettre en lien le désir et la
responsabilité. Je ne sais pas si tu as fait exprès? BL: Mmmm.
Oui parce que je pense que le désir d'être, c'est une
responsabilité sociale...collective. Ça fait chier les
nihilistes.
AL: Je vais plus rentrer sur la partie genrée. Toi tu
as quand même connu pas mal d'époques musicales, je pense,
notamment entre Paris/ici, ça a quand même dû être des
milieux différents. Et quel serait ton constat sur la répartition
hommes/femmes et même noirs/blancs/arabes sur le secteur culturel,
musical puisque c'est plus celui que tu connais mais pourquoi pas autres.
BL: C'est social. Le rebeu peut pas faire de classique. S'il
vit dans son HLM, il peut pas faire de musique, il a pas un piano.
Déjà, les grands frères des années 60, rebeus,
martiniquais ou magrébins, ils jouaient de la guitare basse. De la
guitare, de la guitare à des toumbas [genre musical et sortes de bal]
ils faisaient pas du rap. Ils jouaient encore des instruments. Maintenant ils
jouent plus des instruments les mecs. [...] Donc tout ça c'est social.
L'histoire des femmes aussi. Dans le jazz il commence à y avoir des
femmes qui jouent. Mais pendant longtemps les femmes, qu'est-ce qu'elles
faisaient dans la musique? Chanteuse, danseuse. Chanteuse classique, y en a
beaucoup. Comme par hasard, mais bourgeoises. Après chanteuse de
variété, parce que l'image de la femme, évidemment tout
ça... Mais par contre, il a fallu longtemps pour voir une femme jouer du
saxophone, ou de la batterie, ou de la contrebasse. Ça commence, et y en
a des très très bonnes. Donc c'est social. Y a pas de limite
là-dedans. [...] Et puis l'éducation. A quoi on joue avec
l'éducation. On joue toujours avec nos croyances. Je suis pas assez
intelligent, enfin pas assez cultivé pour analyser tout ça, pour
bien cerner tout ça. J'affronte tout ça, mais empiriquement.
[...] Et Boulez il dit: "La nécessité conjointe des règles
et de leur transgression." C'est-à-dire le Diable et le Bon-Dieu, le
vrai/le faux.... Et je pense que là, c'est l'art qui ait la
capacité de tout ça, parce que l'art c'est un intervalle, c'est
un intervalle à ouvrir entre le vrai/le faux, le bien/le mal, le
sûr/le pas sûr. L'art c'est la subjectivité. A mon avis il
en faudrait beaucoup plus. Ça permettrait aux gens de comprendre qu'ils
trouvent, qu'ils ouvrent par eux-mêmes ces intervalles. [...]
AL: Tu as parlé de reconnaissance et
d'éducation, à des moments différents, et je sais que
c'est des paramètres qui rentrent en compte pour parler de
légitimité. J'en parlais notamment avec Juliette Kapla, et puis
c'est aussi quelque chose qui revient beaucoup dans les recherches
féministes, sur la nécessité d'être reconnue
légitime et de se sentir légitime pour faire. Et est-ce que toi
tu te sens légitime? Et comment, si oui, t'en es venu à te sentir
légitime?
132
BL: Alors, j'ai commencé à me sentir pas
légitime du tout. Quand je suis parti à Paris, je me sentais
légitimement inculte. Voilà, j'étais
légitimement inculte. A Paris je m'en suis rendu compte que
j'étais inculte. Et en même temps je me suis rendu compte qu'on
pouvait gagner beaucoup d'argent en étant inculte. C'est-à-dire
en restant où on allait, en étant cynique, commerçant.
Justement c'est une condition sine qua none d'être inculte et de
faire une brillante carrière. Et donc, à cette période
où j'étais ouvrier spécialisé dans les studios de
variétés à Paris, j'avais 25ans, j'ai pensé que
j'étais perdu pour la musique. Après tout, bon, je me suis dit:
"je serais jamais un grand musicien, je suis un petit musicien, je gagne bien
ma vie, et puis voilà". J'ai failli l'accepté, pendant quelque
temps. Et puis, euh, la liberté, par le jazz, l'art de l'improvisation,
ça continuait à brûler quoi, au fond. Et puis, j'ai
construit ma légitimité par Uzeste Musical.
D'abord la légitimité de moi, dans mon miroir.
Par Uzeste Musical j'ai retrouvé ma dignité.
Là je me suis: tiens, je suis capable de quelque chose, je suis
coupable de quelque chose. Parce que j'ai vu en effet, que je ne faisais pas
l'unanimité. [...] Quand je suis arrivé ici, j'ai eu des
gens pour, et rapidement tout le monde contre. Donc il a fallu que je la
réfléchisse cette auto-légitimité. J'ai
insisté, et petit à petit, Uzeste Musical a
été reconnu, par ses pairs, par des critiques, par certains
publics. Donc ça m'a requinqué. Et à partir de là,
je me suis remis au boulot, de travail sur soi, de musique, de philosophie,
à mon niveau, mais tu vois, tout le temps, tout le temps. Et
j'ai changé de vie, et je me suis travaillé. Et,
grâce à ce double mouvement; Uzeste Musical qui continue
et moi qui me travaille, là je suis arrivé à une autre
reconnaissance de mes pairs. De ceux que je considérais, moi, comme des
grands musiciens. Et là j'ai eu la reconnaissance de ces grands
musiciens. Je suis devenu, a priori, un grand musicien.
AL: Donc des personnes comme, alors je vais dire ceux que je
connais d'ici parce que justement j'avoue que je suis une inculte de musique,
des personnes comme Portal, Shepp ou Di Donato etc. sont des personnes qui
t'ont connu d'Uzeste ou de Paris?
BL: Les deux. Parce que j'ai fait Uzeste avec eux. Uzeste
ça s'est fait avec ces types-là. Qui étaient des
alternatifs. Mais on s'est connu à Paris. Ce sont tous des
immigrés qui sont allés à Paris, au théâtre
de Bayonne tout ça. Et à Paris, on a fait le métier, on a
fait du jazz, on a fait de la musique contemporaine, on s'est connu là.
Et au fur et à mesure, je te dis le premier concert, qu'on a fait
spontanément à Uzeste, c'était avec Portal. Portal est
depuis 38ans ici, tous les ans. Et à travers tous ces
évènements d'Uzeste Musical qui commençaient
à être reconnus, moi je me suis reconnu moi-même. Comme un
musicien qui pouvait devenir conséquent. Voila. Moi je pense que
la reconnaissance ça passe par soi. D'abord. Parce que, ou t'es
prétentieux, ou t'es un malade mental, ou t'es mégalo etc., mais
tu te reconnais toi-même. Parce que si tu crois ce qu'ils te
disent: non. Tu passes pas un tremplin là. Ça c'est le
libéralisme qui te fait passer un concours. Tout ça c'est du
pipeau. La reconnaissance, la considération psychologique elle vient de
soi. Je suis une pointure, je veux devenir une pointure. J'ai de l'ambition.
Je veux devenir quelqu'un, mais pas quelqu'un pour briller, non,
quelqu'un pour me confronter à l'histoire de l'art. Tu vois, moi je
voulais arriver à être capable de faire de la musique avec tous
les mecs assis à côté de
133
moi, Mozart, Bach, Beethov', tous les cadors, les
morts, les vivants, et ils m'écoutent jouer.
AL: Et tous ces "mecs", tous ces copains, est-ce qu'ils
étaient...
BL: Ils sont comme moi.
AL:... est-ce qu'il était pensable qu'il y ait une
femme qui s'immisce dans tout ce groupe-là?
BL: Et beh, à l'époque non. Si y en a eu. Y a eu
Laure. Y a Laure, qui s'est pas immiscée, qui était
partie prenante de l'organisation qui a fait partie de la
société. Mais qui n'était pas musicienne, mais par la
comédie, par son intelligence, par... elle a fait de la scène, et
puis. Moi je l'ai connu dans un film tu vois. Je l'ai connu, je
faisais comédien dans un film, et elle était le rôle
principal, et je faisais la musique du film. C'est comme ça que je l'ai
connue. Y a eu elle. Et après y en a eu une ou deux autres mais pas du
tout du même, avec la même... D'ailleurs ce qu'elle fait Laure,
ça vient de-ci de-là, pas que de ça, mais... Le film
qu'elle a fait, tu l'as vu?
AL: Non, pas encore.
BL: Tu verras, c'est du boulot sér..., c'est du boulot
artistique quoi c'est... Et puis c'est pas fini. Maintenant il faut qu'elle
réalise pleins de trucs, elle a l'âge, et le métier et la
poésie. Elle a tout ce qu'il faut pour devenir une grande
réalisatrice, elle l'est déjà. Donc on s'est fait les uns
les autres comme ça. C'est pour ça que je j'aime bien ces
artistes, parce qu'ils sont humbles mais fiers. Ils sont... C'est pour
ça que la reconnaissance par l'extérieur ou la gloire c'est un
épiphénomène pour eux. Ils s'en foutent. Ce qui compte
c'est ce qu'ils savent eux, sur eux. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent de ce
qu'ils jouent. Comment je joue, à quoi je joue.
AL: Je vais recreuser sur Laure; tu as dit "Les autres
n'avaient pas la même..." et c'est quoi ce "..."? [...]
BL: Oui, oui. Bin avec qui j'ai vécu. Y a eu Vanina
Michel qui a fait de la scène avec nous, qui a participé, qui
d'ailleurs est restée une artiste euh... Tu l'as entendu chanter
déjà?
AL: Non ça me dit rien du tout.
BL: Vanina Michel, j'ai vécu plusieurs années
avec elle, c'est une pianiste chanteuse et comédienne, qui était
la vedette de HAIR (comédie musicale). A Paris, scandale, tu vois
c'était après 68, ils étaient tous nus sur scène,
ils chantaient la libération sexuelle, la libération
féminine, machin, les mecs, les homos, enfin... Ils se faisaient
canarder devant la porte du théâtre. Y avait des manifestations de
chrétiens et tout. Monstrueux. Elle a joué partout. Mais à
l'époque, y avait pas encore de musicienne, heu, y avait pas.
Improvisatrice, y en a une à Toulouse, Vaudraska, elle a un peu
joué avec nous, elle joue du piano free formidable. Mais c'est
récent quoi. Elle a mon âge. Mais à l'époque
ça existait pas.
AL: Et pourquoi?
BL: Parce que la société. Parce que les
femmes jouaient pas free.
AL: Et pourquoi?
BL: Raaaah. Parce que c'était pas beau.
C'était pas bien de voir une femme démonter le piano. Tu vois,
jouer dans tous les coins. Qui chante une belle connerie, ou qui danse
à
134
la télé avec les trucs(geste pour
indiquer les plumes de cabaret), ça une femme... ça c'est
accepté, hein. Mais une femme... Alors qu'est-ce qu'il restait
comme femmes acceptées; Edith Piaf, bon d'accord, tu vois c'est
déjà une personnalité de la chanson. Le média
compte, le médium compte. Eumm... Barbara. Mais, c'est tout euh... T'en
avais pas mal, alors dans les orchestres classiques, symphoniques. Elles ont
passées le concours. Pourquoi y en a? Parce que bourgeoisie, parce que
tu fais pas de la musique classique si t'as pas des parents qui te paient un
piano, un violon et que tu peux faire 5 ou 6 heures par jours pendant vingt
ans
AL: Oui mais comme les hommes
BL: Oui mais, oui mais tu me parles de la place des femmes.
AL: Oui mais...
BL: Voilà. Donc c'est une façon de jouer de la
musique qui correspondait à un état des femmes dans cette
époque. Tu vois. Une femme qui chante comme Billie Holiday, une
chanteuse de jazz hyper droguée et tout le merdier, déjà,
black, c'est un autre monde quoi. Mais t'en as pas en France de Billie Holiday.
T'as pas... T'as des chanteuses de variété, qui font les
càcous. Alors petit à petit ça change. Mais j'attends de
voir la grande chanteuse. Y a pas une nouvelle Barbara en ce moment, par
exemple. C'est énorme sur scène! C'est whouaaa, de l'art quoi.
AL: Par contre j'ai vu Juliette sur scène.
BL: Je l'aime bien, mais j'aime pas trop la musique qu'elle
fait tac-tic-tac-ti, mais elle a une gueule, c'est extraordinaire. Je l'ai
connu toute petite, j'ai fait des milliards de studios avec son père. Et
il me parlait d'la petite; "Tu sais elle chante la petite". Et elle est venue
à Uzeste. Y a 25 ans. Mais je la veux pas avec son orchestre. [...] Moi
je la veux, mais toute seule avec son piano. Et puis surtout, moi ce que
j'adore c'est ce qu'elle dit entre les chansons. Entre les chansons, elle est
géniale, elle envoie la purée, moi je l'adore. Mais les chansons
des fois ça me gonflent un peu, tu vois ce côté vieilles
chanson française. [...] Mais si je pouvais la faire revenir, mais
ça a été difficile de la faire venir ici. Parce qu'elle
aussi elle est rentrée dans le bidule. Parce que quand tu fais une
tournée avec 20 musiciens, il faut qu'elle soit préparée
deux ans à l'avance, alors il faut trouver les trucs, des producteurs,
tu comprends, c'est ça (Trois coups sur la table). C'est ça le
merdier. Alors l'histoire des femmes là-dedans... Alors par contre y en
a une qui joue terrible du saxo, qui est lesbienne, qui est grosse, qui est mal
dans sa peau, qui joue terrible mais qui va finir par se suicider quoi, je sais
plus son nom, elle joue terrible, elle joue terrible. Y en a pas
beaucoup qui jouent terrible. Y en a qui jouent, pas mal. Parce qu'aujourd'hui
le jazz se classifie là. C'est la mode du jazz de chambre. Moi j'ai
connu le jazz de chanvre, c'est pas la même. Tu vois, c'est pour
ça que j'aime comment joue Louis, parce que je crois que je lui ai
retransmis dans ma façon de jouer, comment il m'a vu jouer, il a quelque
chose qu'il a reçu, un souffle qu'il n'y a plus beaucoup en ce moment.
Tous les batteurs ils jouent plus du tout comme ça. Y en a très
peu qui ont ce souffle-là, et des nanas qui ont ce souffle, ça y
en a très peu. J'en connais en France peut-être 5 ou 6. Mais c'est
tout. Alors pourquoi elles ont pas ce souffle-là, alors là je
sais pas. Alors après dans la variété, dans la chanson, y
a la fille d'Higelin, il parait que sur scène
135
c'est une furie. J'ai écouté un disque mais...
pas très... [...] Pour moi l'art c'est des minorités [...]
[Pause pour un café/thé]
AL: En relisant mes notes, je ne demandais, toutes les
femmes qui sont venues à Uzeste sont liées à une des
personnes de l'équipe?
BL: Ah non. Non, non. Là j'ai parlé de
mes relations à moi, mais...
AL: Oui, mais je pensais aussi à Juliette,
Martine....
BL: Ah Juliette, je sais pas comment ça s'est
fait. Eh. Martine elle était instit' à Uzeste. Euh.
AL: Donc sinon y en a eu d'autres qui n'ont rien
à voir avec...
BL: Non, non, et puis qui sont venues jouer ici quoi.
Si oui. Puis y a eu des gens du bureau, des attachées de
presse...
AL: D'accord oui.
BL: Au début, Mimi Sporni elle était
attachée de presse. Puis des artistes féminines y en a
toujours eues, justement. Mais pas facilement parce que y avait que des
propositions de chanteuses de variété quoi. On en voulait pas
nous. Après ils m'ont dit... J'ai été beaucoup
critiqué pour ça. Mais moi j'en veux pas de la
variété. Voila. Comment je m'en sors? Je leur dis "y en a assez
ailleurs." Moi j'en veux pas. J'en veux pas parce que ce système c'est
pas possible; de chanteuse ou de chanteur avec les larbins derrière qui
accompagnent. C'est un vieux modèle, je trouve qu'il faut
dégager ça. Et puis comme en plus les chanteurs ça baisse
d'intérêt, plus les années passent. C'est plus Nougaro,
c'est plus Bodi Lapointe, ça baisse quoi, c'est machin quoi. Ça
baisse à tous les niveaux, on n'en veut pas à Uzeste. On en veut
pas parce qu'on a des chantiers d'explorations et d'expérimentations, on
peut pas faire de la programmation ici quoi. Comme partout quoi. Non, on se
cherche des soirées pour la prochaine Hestejada, des
soirées-concept, qu'est-ce qu'on va entreprendre là, les voix?
Comment? A quoi on joue? C'est ça qui nous intéresse.
AL: Et est-ce que vous vous sentez quand même, ou pas du
tout, responsable ou concerné par une forme de représentation de
personnes qu'on a tendance à ne pas voir sur scène? [...]
BL: Si oui. Par exemple, on a été les premiers
à mettre des mots en concert de jazz, on s'est fait sortir. Le premier,
en 78, qui a parlé au milieu de la musique, c'est André
Benedetto. Les gens gueulaient comme des veaux: "C'est pas du jazz!". On n'a
pas arrêté de mélanger. Et du coup depuis les mots sont
là tout le temps. Les comédiens, les comédiennes, on a
mélangé ça. La danse ça s'est fait aussi, beaucoup,
mais à la condition qu'ils acceptent d'improviser! Ça aussi c'est
un os. Parce qu'on n'a pas les moyens de répéter, on n'a pas les
moyens de recevoir des choses construites, on ne peut faire que de l'empirisme.
[...]
AL: En même temps, en tant que jeune femme, je vois bien
que j'ai beau mettre bataillée petite, parce que justement je me suis
mise dans des groupes d'hommes, très rapidement. Donc j'ai
été entrainée à la bagarre qui peut y avoir. Il y a
aussi de la bagarre dans les groupes de femmes, mais c'est très
différent, enfin en tous cas quand on reste dans des groupes sociaux
larges comme le lycée ou le collège, après quand on rentre
dans le milieu culturel ou certains
136
secteurs professionnels c'est un peu différent. Mais,
j'en parlais avec des improvisateurs qui parlent, qui sans s'en rendre compte,
dans leur discours, systématiquement lorsqu'ils parlent d'improvisation
ils parlent de bagarre.
BL: Mmm
AL: Ou de confrontations, et en permanence cette espèce
de position de forces de plusieurs acteurs de l'improvisation. Et est-ce que
cette permanente bagarre n'est pas un frein, ou du moins le fait de ne pas
être éduquée en tant que jeune femme à la bagarre,
n'est pas un frein à être improvisatrice?
BL: Ouais. Le problème de l'improvisation c'est
que c'est pas par hasard que ça soit une bagarre. Parce qu'improviser
ça veut dire sortir des sentiers battus. Et si tu veux sortir de ce que
tu sais faire il faut se battre avec soi-même. Sans ça tu restes
dans ce que tu sais faire.
AL: Alors est-ce qu'il ne faut pas apprendre aux femmes
à se bagarrer?
BL: Bin si! Si! Il faut qu'elles apprennent à sortir de
ce qu'elles savent faire. Tu vois, improviser c'est sortir de ses
connaissances. C'est aller faire un tour dans son ignorance. Et improviser
ça s'apprend, c'est pas inné. [...] Parce qu'au début t'es
pas cultivé-e à être toi-même. Parce qu'au
début t'es plutôt cultivé comme il faut que tu
sois cultivé-e. Donc tu sais jamais qui tu es. Si qui tu es, tu vois
"qui tuer", il faut tuer quelqu'un symboliquement. C'est ça l'histoire.
Alors on peut faire une confrontation en douceur. C'est pas que violent
une confrontation. Mais y a une dialectique. [...] Donc tout ça c'est de
la culture de l'autre. C'est la culture de l'échange. Mais un
échange qui nous change pas, c'est pas un échange. [...] C'est
aussi la question du déconfort et du dé-conformisme.
AL: Oui mais il y a déconfort et mise à mal
aussi. [...] ça ressort dans pas mal d'études que les musiciennes
de jazz sont souvent des chanteuses, et rien que le chant est mal
considéré dans le milieu jazz, donc déjà ça
aide pas.
BL: Mmm
AL: Et ensuite, même celles qui sont uniquement
musiciennes, sont, se trouvent tellement confrontées à des
petites remarques, des tics permanents, qu'au bout d'un moment le fait de
pouvoir sortir des sentiers battus, le fait de se bagarrer avec le
fait, avec la musique n'est plus possible parce qu'elles sont
obligées de se bagarrer avec l'autre.
BL: Oui mais qu'est-ce que tu veux. Il faut aussi qu'elles
apprennent à se bagarrer avec la condition sociale, la condition humaine
qui est faite à la femme dans ce siècle quoi. Parce que c'est
elles, se sont les femmes qui vont se libérer. C'est pas les mecs qui
vont libérer les femmes. [Paraphrase] Et par là peut-être
elles libèreront les mecs. [Paraphrase] C'est pour ça que dans
les ateliers je propose aux femmes de gueuler! De se révolter. De dire:
"Merde t'as fini toi!" d'avoir ce genre de relations, de vraies relations et
non plus, arrêter avec la soumission. (Silence) Mais c'est pas facile,
mais bien sûr je sais bien. Mais tu sais le, la soumission, la
difficulté des femmes elle existe, mais la difficulté des hommes
je te dis pas quoi. La difficulté des hommes c'est gratiné parce
que tu vois ils ne s'en rendent même pas compte. [...] Mais c'est
difficile pour une femme aujourd'hui, pour des raisons de...de... c'est
137
difficile pour une femme aujourd'hui de chanter n'importe
comment, de chanter n'importe quoi, de faire des grimaces, de s'enlaidir, de
foutre la merde. C'est difficile! C'est parce que soi-disant l'image de la
femme ne supporterait pas... C'est pour ça que j'aime bien faire, quand
il vient une Isabelle Loubère, quand elle vient jouer et chanter
avec nous, elle s'accroche au micro et elle hurle punk/free; "Aarrrk!! vrr"
chante en patois j'sais pas quoi. Au moins elle a un comportement de
révolte. De rébellion à son état d'être. Et
d'un seul coup ça produit artistiquement quelque chose de goulu, quoi!
Et d'un seul coup on joue quoi ! D'un seul coup on est à
égalité! On n'est pas là pour faire gaffe à pas
lui... Non, non elle est là pim-pam-pim-pim. Je lui fous des accords
elle se met à gueuler et, et voilà. C'est cette histoire, et
Uzeste, l'improvisation c'est ça. C'est pas une bagarre pour la bagarre,
c'est... Il faut qu'il y ait une relation... Écoutes, tu as vu comment
il tape Louis sur une batterie, quoi. Pourquoi il tape comme ça. Il tape
comme ça parce qu'il se bat avec lui-même, quoi. Et il faut que
les filles elles se battent avec elles-mêmes. Faut se battre avec
soi-même. Surtout.
AL: Le problème c'est que dans ce cas on en vient au
solo quoi.
BL: Ah beh oui, pourquoi pas.
AL: Enfin le solo c'est bien mais que des solos...
BL: Qui interdit trois, quatre femmes ensemble en train de
se... de s'inventer un truc inouï? Et mais y a pas que le solo. [...]
Multiplier, si tu veux, les potentialités que procure
l'expérimentation. [...]
AL: En fait là, depuis toute à l'heure je suis
en train de me dire que je tique sur une phrase que tu viens de dire avec
laquelle je crois que je ne suis vraiment pas d'accord. C'est "Les femmes
doivent se battre pour avoir une égalité/liberté, les
hommes ne vont pas la donner". Ça c'est vrai vu le système dans
lequel on est. Mais si en veut pouvoir prétendre à des
systèmes plus solidaires ou plus, justement, qui cherchent à
travailler vers l'égalité etc. C'est complètement aberrant
de penser qu'on peut pas... Enfin moi je peux pas attendre des Gojats, par
exemple, qu'ils me donnent un peu de place?
BL: Oui mais moi je serais pour, que les hommes te laissent de
la place. Mais ils t'en laisseront pas. Tant que tu ne leur casseras pas la
gueule ils te laisseront pas la place.
AL: Je sais.
BL: Tu trouveras pas toujours un mec comme moi qui te dis:
"Tiens viens là, viens jouer là". Parce que j'ai l'habitude de
ça ici. Parce que le lieu le permet. N'importe quel
théâtre, le mec aurait pas pu, même pas moi à ce
moment-là, te dire: "viens là". Il a fallu que ce soit un long
combat tu vois. Une architecture mentale, qui permette que tout ça soit
possible. [...] Mais j'ai souvent fait, comme je t'ai fait une fois-là,
monter sur scène, mais la fille est pas montée.
AL: Mais c'est aussi arrivé à d'autres personnes
ou...?
BL: A d'autres filles, à d'autres mecs aussi. Y a des
mecs y peuvent pas. Alors ceux-là, soit ils viennent en atelier, soit on
en discute, qu'ils se préparent. Ça a était long hein!
[...]
AL: Marie Buscatto, qui est celle dont j'ai fait
référence, qui a beaucoup travaillé sur les musicienne de
jazz, et elle a travaillé sur les réseaux de musiciens, comment
les réseaux
138
fonctionnent en musique et comment est-ce que souvent, le fait
d'être en couple avec un musicien c'est un tremplin pour des musiciennes,
qui la plupart du temps sont en couple avec quelqu'un du métier (agent,
producteur, programmateur, musicien...),
BL: Un peu la maman quoi
AL: ...et comment elles, ça leur permet de s'introduire
dans le réseau de leur compagnon, en même temps avec deux effets
néfastes c'est qu'elles restent nécessairement dans l'ombre...
BL: Ou alors elles quittent le mec et elles montent leur agence.
AL: Et elles n'ont plus rien.
BL: Ouh!! Si y en a une ou deux que je connais qui ont
monté leur agence et qui font du placement de musiciens.
AL: Ah mais là je parlais de musiciennes.
BL: Ah oui! Elles, sont pas musiciennes.
AL: [...]
BL: Oui puis en étant avec un musicien elles ont pu
pratiquer. Ce qui aurait pu être plus difficile si elles avaient
été toute seule. [...]
AL: Mais toi tu t'es déjà senti, en étant
en couple avec quelqu'un, d'une dépendance professionnelle de l'autre
par rapport à toi. Ou l'inverse?
BL: Non. Non, je me suis... C'est-à-dire, par rapport
aux couples, les femmes, les deux expériences que j'ai pu avoir, j'ai
agi pour qu'elles jouent quoi. Pour qu'elles participent, à ce qu'il se
jouait à l'époque. En tant que chanteuse, percussionniste, ou
instrumentiste. Comme avec un mec hein. Parce que si elles avaient pas
été capables, j'aurais pas fait avec tu vois. Parce que moi j'ai
toujours fait des choses, monté des groupes pas qu'avec des
professionnels. C'était moitié... J'ai toujours trouvé
ça intéressant qu'il y ait plusieurs niveaux de débutant,
le ruiné, le vieux... Parce que quand je suis arrivé dans les
boîtes de jazz à Paris, c'était l'archi-mélange
quoi. [...] Ca se mélangeait beaucoup. Je parle pas des femmes hein. Je
parle des mecs, des générations. Les femmes, y en avaient dans
les boîtes de jazz, mais elles chantaient le blues. [...]
AL: Quand j'ai parlé de ces musiciennes en couple avec
des personnes du métier, tu as dit: "c'est la maman".
BL: Ouais
AL: C'est pourquoi? Dans ton vécu c'est des personnes qui
ont...
BL: Bin souvent c'est elles qui s'occupent des affaires, des
galas, des ... Non c'est... Ce que je dis c'est...
AL: C'est que, pareil Marie Buscatto fait le constat que les
femmes musiciennes se retrouvent souvent à... que en tant qu'artiste on
a besoin de soutien et reconnu, aussi par sa famille, et que souvent, autant
les musiciens sont soutenus, autant les musiciennes soutiennent leur compagnon
et se soutiennent elles-mêmes en fait.
BL: Inh-ouais
AL: Et pour le coup se retrouvent en... A moins être
poussée, quoi.
139
BL: Mais les musiciens soutiennent pas grand-chose. Et
même pas eux-mêmes souvent. Tu vois, les musiciens masculins,
ça a changé un peu, mais enfin, ne serait-ce qu'au niveau du
parti Collectif là, à Bordeaux, il suffit de voir, dans
quel état y en a. Tu vois, ils sont... pfff, encore à trois ans
et demi. Alors donc, c'est une histoire de mecs aussi.
AL: Et là c'est une question d'éducation
aussi.
BL: Ouais, bin ouais. C'est une question d'éducation,
parce que tu vois dans la musique classique, y a beaucoup de violoniste, de
violoncelliste, maintenant y a des hautboïstes, il commence à y
avoir des cornistes... Et en même temps, quand on fait de la musique
contemporaine avec ces filles-là, ces femmes-là, qui ont une
technique terrible, qui savent lire la musique, bon bin on a des rapports... y
a pas de rapport homme/femme quoi. C'est t'assures ou t'assures pas quoi.
Voila. Alors pour ce qui est du jazz c'est différent parce que c'est de
l'impro, et ça a un rapport à l'inconscient, alors l'inconscient
de la domination masculine c'est peut-être pas le même pour
l'instant que celui de l'état dans lequel est la femme aujourd'hui, ou
de sa culture, d'où elle vient. Un peu comme, bon, y a la femme
voilée, et y a le truc quoi. La femme elle subit ça aussi. Elle
est pas voilée mais elle est voilée quelque part quoi. Donc il
faut qu'elle se libère. Alors les mecs, alors y a des mecs qui ont
solidaires, parce qu'ils sont lucides. Mais y en a d'autres, pas du tout, parce
qu'ils ne sont pas lucides. Et nous ici, à Uzeste on a fait des
débats là-dessus, on a parlé là-dessus.
AL: Oui parce qu'il y a la...
BL: Que ce soit par la CGT ou que ce soit par le jazz ou que
ce soit par la politique ou la philosophie, on a traité de tout
ça, tu vois. Mais je te dis, la difficulté... tu demandes
à Fabrice, on a du mal à trouver des filles qui jouent, qui ont
capables de... de venir dans notre situation délicate. Dans notre
situation de pauvre. La fille qui vient jouer ici je peux lui dire: "on peut te
payer un voyage, un cachet correct, et chambre d'hôtel. Donc on peut pas
répéter. Donc, il faut que tu improvises." Et là,
ça pose question.
AL: Et de celles qui a, de celles que tu m'as nommée,
[...] pourquoi est-ce qu'il n'y en a pas sur la grande scène?
BL: Parce que tu, la grande scène c'est souvent des
concepts, des concepts dangereux, des concepts de confrontation et puis parce
que y en avaient qui n'étaient pas libres aussi. Par exemple, y en a une
qui est capable de jouer avec n'importe qui et mieux que n'importe qui, elle
s'appelle Laurent...
AL: Joëlle Léandre?
BL: Joëlle Léandre, s'en est une! Mais Laurent,
pour moi c'est la pointure au-dessus. Géraldine Laurent, elle est
très bonne. On va la faire venir cet été. Elle est
lesbienne, mal dans sa peau, et en situation critique et elle joue terrible.
Alors l'autre dont tu parlais, elle est problème, parce qu'elle peut pas
tout jouer, elle a une grande gueule, elle est free mais elle a
été très très méprisante avec le petit
personnel. C'est-à-dire elle a une double facette. Tu demanderas
à Martine comment elle l'a traitée. Pas terrible. Ce
côté révolutionnaire féministe devant et
derrière le petit personnel, il faut lui cirer les pompes. [...] Par
contre tu remarqueras que des femmes comme Juliette, elle sont vachement
importantes dans le festival parce que plutôt
140
que de faire des après-midis où c'est pas
terribles, elles font de la grande qualité. Voila. Et que c'est
très important pour elles et pour ces copines, et pour Fabrice, et pour
la tenue, d'Uzeste, du festival. Ce qui n'empêche pas que
Juliette on l'a mise sur la grande scène, elle a fait un tabac. Mais
toutes ne sont pas capables de faire ce tabac-là sur la grande
scène. Mais un tabac pas pour un tabac, un tabac avec une
particularité, une singularité artistique. C'est ça que
j'attends, moi. Tu vois, si c'est faire un tabac pour me faire un truc jazz
classique, je m'en fous de ce tabac. [...] Le principe actif, c'est
celui-là d'abord. Il faut que les femmes et les mecs ils assurent
ça d'abord. Si ils peuvent pas assurer ça... Je te signale que
Régine Chopinot, attention! Moi j'ai fait des duos avec elle, je te dis
pas. C'est quelqu'un. Elle finissait le truc elle me sautait dessus, il fallait
que je la trimballe comme ça. Elle poussait des gueulantes. Après
je la poursuivais avec le piano à queue en le poussant avec le ventre.
Enfin des trucs! De la liberté, de la responsabilité, donc
là, d'un coup, le féminisme il est artistique quoi! Il est pas
que théorique ou idéologique. Il se retraduit sur le plan
artistique. [...] (En parlant d'une chanteuse) elle propose pas de
m'accompagner. Non, non. Elle propose, elle ne voit qu'une chose, c'est comme
tous ces chanteurs, qu'on leur serve la soupe. Ils ont tous besoin
d'infirmiers. [...] C'est pour ça que le concert qu'on a fait à
Paris le centre est vide. [...]
AL: En parlant de Régine Chopinot, tu as dit: "c'est du
féminisme artiste". Pour toi y a de l'art féministe?
BL: Elle, elle demandait l'autorisation à personne.
[...] Une vraie teigne quoi. La vraie mauvaise foi artistique, ça elle
l'a.
AL: Et en parlant d'artistes féministes, toi tu lis
beaucoup, est-ce que t'as déjà eu des influences artistiques de,
je pense notamment aux écrivaines féministes comme Nancy Huston,
ou Judith Butler
BL: Non. Des chanteuses. Billie Holliday, et surtout l'autre,
sud-africaine... elle m'a terrassé. Pour moi c'est la plus grande
chanteuse artiste femme du monde. (Ne se souviens pas du nom)
AL: Comment ça se fait qu'à Uzeste la CGT
organise des discours féministes?
BL: Parce que quand j'étais musicien à Paris
j'étais au syndicat des musiciens, j'y suis toujours. Et le syndicat des
musiciens c'est le syndicat CGT, et quand j'étais à Paris
j'allais souvent dans les manifs. Et je défendais notre beurre quoi.
Alors au début je ramenais des copains percussionnistes, je me faisais
jeter par les militants: "Ah! Lubat tu fais chier! C'est pas un concert c'est
une manif!" Puis maintenant ils défilent tous avec des... j'ai pas
inventé ça mais avec le temps qui passe, ils défilent tous
avec des cartons, des tambours, ils ont compris l'idée. Ça c'est
le premier point. Après, je me suis trouvé à Bordeaux
où je jouais dans une autre manif et puis j'ai rencontré Alain
Delmas, qui était responsable syndical et puis je sais pas, on a fait un
projet ensemble, comme ça, sur la route. "Tu viendrais pas jouer
là -Si beh si". Et puis on est devenu très amis. Et puis à
un certain moment, par rapport à Uzeste et au temps qui passé,
j'ai eu quelques trucs douteux de confrontations avec les renseignements
généraux, les flics. Y a eu des choses bizarres. Parce qu'Uzeste
s'est né avant 81, avant
141
Mitterrand, en 78. Et là, 79-80 y a eu des trucs
bizarres. Il a fallu que je m'en mêle. Et donc j'ai pensé que si y
avait des camarades syndiqués de la CGT qui venaient nous donner un coup
de main pour l'accueil, la sécurité, l'aménagement dans le
village et tout ça... C'est ce qui s'est passé, et ça fait
20ans que ça dure.
AL: Mais Lydie Delmas elle fait partie de la CGT non?
BL: Ouais, et du coup, la CGT fait pas que ça. En
étant là pour ces raisons au début, je leur ai
demandé de proposer des débats, des choses qu'ils avaient envie
de faire avec la pensée, avec la pensée syndicale, etc. Le combat
des femmes à l'hôpital et plein de trucs comme ça. Ils sont
très précieux parce qu'ils sont nos représentations de la
société, je trouve, vachement importantes. Et puis certains sont
devenus des amis quoi. Et puis c'est faire passer vis à vis de la classe
ouvrière, par l'art, autre chose que Jean Ferrat. Ils reconnaissent tous
que, au début, quand ils sont arrivés ici, ils se bouchaient les
oreilles. (Rigole) Et puis petit à petit ils ont appris à se les
déboucher, puis maintenant ils apprécient, c'est vachement
intéressant. C'est ce qu'ils disent. D'ailleurs à travers plein
de films qu'ils ont fait, qui ont été fait par des gens de la
CGT, qui ont fait des enquêtes sur le festival. [...]
AL: On a parlé plusieurs fois du féminisme, mais
est-ce que toi tu te sens concerné par ça? BL: Ouais. Ouais. Oui
parce que je vois pas pourquoi y aurait, dans l'absolu y aurait le pouvoir de
l'un sur l'autre quoi.
AL: D'accord. Et en tant qu'organisateur?
BL: Beh je fais ce que je peux par rapport à la
société telle qu'elle se trouve. Je fais ce que je peux pour
essayer de critiquer cette situation de disparités.
AL: Mmm. Et c'est quelque chose qui m'a frappé dans les
représentations que j'ai pu voir ou faire, c'est la facilité de
pas mal de gens pour dire: "Ah ça c'est vraiment féminin - Ca
c'est vraiment masculin".
BL: Oh ça c'est du pipeau.
AL: Est-ce que tu penses qu'il y a... que l'art est
genré?
BL: Non, je pense pas, je pense pas du tout qu'il y ait...
Pffff... Olalalaa. Non mais même je regarde le slalome des filles et le
slalome des mecs qui skient. Est-ce qu'ils skient différemment? Euh, oui
et j'en sais pas...Et quand je regarde le rugby féminin qui se passe en
ce moment, est-ce que ça joue différemment des mecs? Je trouve
qu'elles jouent moins bêtement que les mecs. Et qu'elles jouent des trucs
vachement bien, c'est pas tout à fait pareil, mais en même temps
c'est le même jeu. En football c'est pareil. Alors, y a des
différences mais c'est pas des différences, comment dire... c'est
plutôt des différences intéressantes je trouve. C'est pas
additions ou soustractions quoi. Tu vois? Et puis je ne sais pas si y a une
spécificité féminine et spécificité
masculine. Alors sans doute culturellement, avec ce que c'est devenu. Mais je
ne sais pas si, au départ, ou à l'arrivée, euh.. c'est
fatal. Non. (Inaudible) déconstruction culturelle, intellectuelle. C'est
comme, tu lis un bouquin, je sais pas si c'est un homme ou si c'est une femme
qui l'a écrit... si on te fait passer l'examen pour savoir qui c'est qui
quoi, je sais pas. Peut-être y a des différences, mais moi c'est
pas ça qui m'intéresse.
142
AL: Et à Uzeste, sur les répartitions
genrées et hommes/femmes, est-ce que... quel serait le constat que tu
pourrais faire et comment est-ce que tu te sens vis à vis de
ça?
BL: Bin on n'a jamais joué aux quotas. On a
plutôt joué à... à l'artistique.
AL: Je prends aussi en compte l'orga, la structure en
générale.
BL: L'organisation ouais. Beh comme par hasard au
bureau, sur trois y a deux femmes. Et puis... Ça aussi c'est une
question de maman aussi... l'ordre, le désordre, maman qui met de
l'ordre et le gosse qui fout la merde. Le garçon, parce qu'on
lui a acheté un, une voiture et un fusil et puis à la fille on
l'habille en rose et on lui file une poupée. Bon tout ça. Mais...
les rencontres, tout ce qui existe ici se fait par l'engagement individuel de
ceux qui participent. Moi j'ai jamais obligé personne, j'ai jamais
obligé Fabrice à s'engager ici, tu vois. Fille, garçon,
pareil. Je n'ai aucun présupposé-la-dessus. La seule chose que je
peux voir c'est à quoi ça joue. Mais tu vois, c'est pas un hasard
que dans le pC, y a pas une fille. A part toi. Enfin vous êtes deux,
mais... tu vois y a bien... C'est comme dans la société quoi.
AL: Je sais bien. C'est bien pour ça d'ailleurs que moi
ça me met en colère, primo.
BL: Je comprends.
AL: Et que... En fait, ce par quoi je voulais commencer mais
on est tout de suite rentré dans débat, moi si j'ai fait cette
recherche c'est parce que j'étais toujours prise de colère sur
ces questions-là. Et euh... Je sais que j'ai besoin de m'armer de choses
intelligentes, de réflexivité en tout cas.
BL: Moi, tu vois, la chose que je t'ai vue faire ici toute
seule. Avec ton corps et ton verbe, les deux. Je trouve que ça vraiment
c'est recta [droit/solide], ça. Je veux dire, parler de
féminisme, de rapport entre hommes et femmes, tu fais ça, les
mecs (geste signifiant "Ils se tirent" en sifflant) et les femmes aussi
(re-siffle) à dégager quoi? Les femmes qui te regardent. Ah
là les mecs ils en prennent plein la gueule. L'art c'est ça. Il
faut qu'il y ait des femmes comme toi, qui soient capables de faire ça.
A ce point, là comme ça. Avec tes gestes, ton truc, et puis paf
la tchatche, l'intelligence et tout. Et alors là mon pote,
démerdez vous! Retournez à l'école, tous. Moi
j'étais là, je prenais des notes, tu comprends? Je te demande pas
si t'es une nana ou un mec! J'en prends plein la gueule. J'en profite,
ça m'interpelle, ça travaille mon cerveau, j'oublie de savoir de
quel sexe tu es là. C'est plus fort que ça là. Y a quelque
chose qui sort, de capacités d'expression, tu vois, de liberté
d'expression, de singularité d'expression... On demande que ça
à voir vite quoi.
143
1.1.2.3. Entretien avec Juliette
Kapla
Le 3 janvier 2015, de 19h à 21h, 2h d'enregistrement
Chez Juliette Kapla & Fabrice Vieira à Uzeste, salon.
Anna Legrand: Je t'avais présenté mon sujet je
crois; sur le genre en représentations sociales et
artistiques aussi, à Uzeste.
Juliette Kapla : Ah! En représentations sociales et
artistiques? Qu'est-ce que tu appelles
représentations sociales?
AL: C'est notamment les représentations hommes/femmes. Que
ce soit, les représentations que
l'on a des hommes et des femmes et en termes sociologiques,
combien de femmes? Où? A
quel endroit?
JK: Mais on parle de l'artistique, du champ artistique?
AL: Aussi, on parle d'Uzeste musical en global.
JK: Public? Euh...
AL: Bin ça après si...
JK: Cuisine, bénévoles et compagnie ?
AL: Exactement
JK: Et on parle du festival, ou de tout le projet Uzeste
Musical à l'année?
AL: Tout le projet. Et en fait moi, plus particulièrement
... Enfin... Là, je t'interroge toi, je ne
peux pas interroger Uzeste Musical...
JK: Oui bien sûr. Je ne représente que moi de toute
façon.
AL : Tu ne représentes que toi, et si ça interpelle
du vécu à Lille, dans tes «vies
précédentes»,
ça n'est pas exclus parce que ça ne s'est pas
passé à Uzeste.
JK: D'accord, ça risque de se produire en effet.
AL: Parce que ça va forcément... Notre vécu
impacte sur ce que l'on est sur scène, donc je ne
peux pas exclure le reste, de ce que tu produis à
Uzeste.
[Demande d'accord pour retranscription, anonymat...]
(JK nous sert du thé.)
Entretien
AL: Alors, est-ce que en général dans la vie
tu te considères comme être militante?
JK: (temps de réflexion) Oui. Sur le plan... Sur tous
les ... Sur les plans généraux ou sur le féminisme?
AL : Comme tu le sens.
JK: En fait oui, un peu, pas beaucoup. Mais je me sens
militante sur deux plans. Sur le plan féministe, parce que je
parle beaucoup de ça autour de moi. Non pas que je participe à
des actions particulièrement euh... Ni montrer mes seins ni... j'sais
pas quoi. Mais par contre je parle beaucoup de ça et aux hommes et aux
femmes. Et ça me semble déjà être du militantisme.
Et puis sur le plan politique, artistique... légèrement.
Parce que j'estime que certains choix esthétiques ne sont pas
très loin d'un militantisme politique.
144
Notamment ceux que je fais, et notamment ceux que je
fais dans le cadre d'Uzeste Musical, ou avec l'appui d'Uzeste
Musical.
AL: D'accord, donc pour toi ce militantisme, entre guillemets,
artistique, politique, se traduirait comment par exemple?
JK: Par du discours, par du contenu, par la forme que
je choisis de faire. Par exemple choisir de faire une musique, ou un texte, ou
une forme de spectacle qui ne soit pas normée. Ne pas chercher
absolument à vendre ce travail-là dans des réseaux qui
viennent soutenir une société que je ne cautionne pas, un
système de marché musical, artistique que je ne cautionne pas,
que je ne souhaite pas cautionner. Avec cette précision bien sûr,
que de toute façon je n'ai pas les moyens de le cautionner ou pas
puisque je ne suis pas en position d'être emmenée dans cette
machine-là. Mais ce qui était au début de
ma... j'peux pas dire « de ma carrière », de mon
activité artistique, ce qui était subie, c'est à
dire une forme de solitude, est maintenant choisie, c'est à dire que je
ne souhaite pas produire un art qui soit, qui soit un art de marché. Et
aussi, par mon activité pédagogique, parce que j'ai une assez
importante activité pédagogique, et là j'ai la
conscience... Je me pose très très souvent la question donc je
suis tout à fait sérieuse quand je dis ça, j'ai
conscience, du moins je crois, être subversive dans cette action
pédagogique. C'est à dire que j'ai conscience que quand je fais
des ateliers d'écriture à destination d'ados, ou d'enfants, ou
d'adultes, ou des ateliers de mise en voix, la forme que je leur fais faire, et
la liberté que j'essaie de leur donner, de les aider à trouver,
est subversive par rapport à une société, notre
société telle que je la comprends. Donc j'ai l'impression de
m'inscrire contre ça. Et c'est ça que je pourrais appeler du
militantisme avec un petit «m». Bon. Sinon bien sûr, je vais
dans des manifs et tout ça, assez souvent, plusieurs fois par an.
Peut-être dix fois par an. Mais je ne suis pas une grande militante sur
le plan syndical par exemple.
AL : ... Ok.
JK: Moi c'est plus de l'action, dans, par mon métier,
oui. Sauf sur le plan du féminisme, ou là, effectivement je me
suis rendue compte ces dernières années que je suis devenue
active... dans mes discours.
AL: Et pour toi c'est un... un besoin? C'est un besoin ou
c'est par obligation, je dirai ?
JK: ...
AL : C'est pas très clair... Qu'est-ce qui... Qu'est-ce
qui te motive à ça?
JK: Effectivement c'est un besoin. Donc ça peut
être ramené à mon désir personnel, à mon
intérêt personnel. Mais c'est plus qu' » obligation »,
moi je dirai « devoir » à ce moment-là. C'est à
dire, si je me place du côté éthique de mon existence, de
ma conscience, j'estime qu'il est de mon devoir de pratiquer, par
exemple mon action pédagogique comme je la pratique c'est à dire
dans un grand sérieux subversif et respectueux des individus, des
personnes, et d'être... de mettre souvent sur le tapis la question du
féminisme. Je pense que c'est une question qui est hyper
importante! Pour différentes raisons que je peux, si tu veux je peux en
parler maintenant. J'ai pas l'impression que notre société
française aille très fort du côté de
l'avancée, en termes d'égalité hommes/femmes. J'ai
plutôt l'impression
145
qu'on régresse un peu. Et j'ai plutôt
l'impression que c'est pas à cause des islamistes dont on parle beaucoup
mais que c'est à cause d'une bonne régression
pépère, d'une vieille France de droite qui .... ne trouve pas
utile... `fin je sais pas pourquoi d'ailleurs. Enfin, moi j'ai l'impression
qu'on régresse sur ce plan là, voilà. Par rapport au
moment où moi j'avais vingt ans j'ai l'impression... Moi je me suis
émancipée. J'ai pris du... j'ai pris du... je me suis
enracinée, j'ai évolué. J'ai pris de l'ancrage. Mais par
contre, euh, je trouve que la société n'est pas moins machiste en
tout cas, que quand j'avais vingt ans ou que quand j'avais cinq ans.
AL: Donc pour toi le féminisme est ton terrain de
combat
JK: Un terrain, oui. Mais c'est pas un terrain dans
l'artistique. C'est pour ça que je distingue les deux. C'est pas
un sujet. C'est pas dans mon contenu artistique. Ça peut être un
sujet parmi d'autres dans mon contenu artistique, mais je ne revendique pas de
faire un art féministe par contre. Et même je revendique le
contraire. Je refuse que l'on me dise que je fais un art féminin ou
féministe.
AL: Pourquoi?
JK: Parce que, euh, j'ai besoin comme féministe
de me positionner comme artiste, avant de me positionner comme femme.
Après, si on me pose la question à l'intérieur... Je sais
que j'ai, malgré moi presque, des propos féministes, des choix
féministes dans mes contenus. De même que j'ai des choix
altruistes, empathiques, gauchistes, etc., etc. Bien sûr mon
contenu est gauchiste aussi par exemple. Y a un ancien consul en Irak, avec qui
je suis assez copine, qui me dit ça tout le temps: «Ah vous
êtes gauchiste! Et c'est bien.» Et je lui dis: «Comment faire
autrement?» et il me dit «Ah, c'est bien. Non, non, mais vous avez
raison.» Et voilà pour moi c'est un contenu parmi d'autres
mais je ne veux pas poser comme préalable, d'être une artiste
féministe parce que j'ai peur, euh, parce que j'ai besoin, en fait,
d'une part j'ai peur que ce soit, que ça me condamne à
n'être pas entendue. Et d'autre part, j'ai besoin de, d'afficher mon
identité d'abord comme artiste de scène, puisque c'est
essentiellement ça que je fais, avant que, avant qu'on me dise «Ah,
mais tu es une femme qui fait quelque chose».
AL: C'est marrant parce que ça avance à la fin
de mon entretien. Mais c'est très bien.
JK: Ah, pardon.
AL: Mais non, c'est très bien, ça veut dire que
c'était...
JK: Mais on peut y revenir autant que tu veux... Ça
c'est... un gros sujet.
AL: Ouais. Mais c'est très bien. Je suis ton, ta
pensée. Donc je vais y aller là, avec toi. Et justement, moi je
m'étais dit que, à Uzeste, il y avait des femmes qui, pour moi se
présentaient sur scène... Euh...justement comme femme-artiste...
euh... en pensant à toi et Sylvie par exemple. Sylvie qui est beaucoup
plus marquée sur le discours féministe, je pense à
Victoire, la fille du soldat inconnu. Et... Martine, en termes de
réception me paraissait beaucoup plus neutre avec ça, alors
peut-être aussi parce qu'elle interprète souvent des textes
d'hommes. Finalement. Je me suis dit ça quand elle a fait son
intervention disant qu'elle n'avait jamais interprété sa voix, sa
propre voix... qui est une voix de femme. Euh... et après
146
je me suis demandée est-ce que ça ne parait pas,
est-ce que Juliette et Sylvie ne me paraissent pas être des
femmes-artistes parce qu'elles sont à Uzeste, et que c'est une question
qui est posée à Uzeste.
JK: Mm-m
AL: Euh, je ne sais pas si c'est vague, trop vague comme
réflexion. Mais, tu vois, là le fait que tu parles de
«gauchiste», euh, je ne me suis, j'avoue, jamais posée la
question en voyant Bernard, qui l'est clairement par exemple, monter sur
scène en me disant: «C'est un gauchiste-artiste», enfin «
un artiste de gauche». Et .... Eum.... Est-ce qu'il n'y a pas une vraie,
un ... -Mince. J'ai pas préparé cette question... une vraie
stigmatisation, une vraie... un vrai manque dans le regard qui est porté
sur une artiste, femme.
JK: Oui. Il y a un défaut primaire. C'est
exactement pour ça en fait que je... ça me met un peu en
porte-à-faux, hein, je me sens un peu con parce que en effet, je devrais
pouvoir revendiquer d'être une artiste féministe. Mais en fait
voilà, je suis très gênée par le fait que dans les
milieux où j'évolue en général hein, mais à
Uzeste aussi, on me renvoie très souvent, quand je fais un spectacle, le
fait que je suis une femme. C'est quelque chose qui revient très souvent
sur le tapis. Alors que, pour en avoir discuté avec d'autres,
évidemment je parle en leur nom, c'est pas très honnête,
mais pour en avoir discuté, notamment avec Fabrice, euh, lui on ne lui
renvoie jamais qu'il est un artiste-homme. On lui renvoie qu'il est un artiste.
Et, je sais pas si tu as lu Masculin/Féminin de
Françoise Héritier, je crois que c'est au début, dans la
première moitié du premier volume, parce qu'elle pose les bases
des différenciations masculin/féminin et elle dit, euh,
très simplement, cette chose que je crois vraie, qui est que le masculin
c'est le 1 et que le féminin c'est le 2. Et tout est, moi ce que je vis,
en ce moment et comment je le formule actuellement, c'est que le 1, c'est la
norme. L'homme, enfin «l'homme»... L'homme c'est le 1, c'est la
norme, c'est la neutralité. La neutralité est masculine. Donc un
artiste masculin est neutre, on n'a pas besoin de préciser qu'il est
masculin. Par contre, un artiste féminin est... euh, une artiste
féminine, n'est pas neutre, elle se distingue. Et donc on va
souligner le fait qu'elle est une femme. Et ça, ça me...fait
chier. Voila. Ça ne me convient pas. Quelque chose me, quelque chose me
tient prisonnière là-dedans!
AL: C'est vraiment, Simone de Beauvoir qui explique que tout
est construit autour de ce masculin neutre et que la femme est
reléguée à «l'Autre».
JK: Mm. Mm-m
AL: Et que l'Autre se voit. On a peur de l'autre. Et...
JK: Et je dirais sur scène, si je peux me permettre
AL: Bien sûr, tu peux tout te permettre.
JK: Je dirais que l'Autre, «l'Autre» selon Simone de
Beauvoir, donc la femme, est suspect. Je vais te donner un exemple, j'ai, j'ai
créé ici, pratiquement, un duo, avec une contrebassiste, Claire
Bellamy, qui s'appelait le duo Free-songs, Des Free Songs
partout, dans lequel [...] on est deux femmes. Euh, il y a plein de choses
intéressantes dans l'expérience que j'ai avec elle. C'est ici que
ça s'est produit, donc ça tombe bien, un artiste à
l'époque de la compagnie
147
qui n'est plus là depuis, qui est quelqu'un de
très gentil que j'aime beaucoup, me dit... Alors voilà, dans ce
spectacle, y a un texte qui s'appelle Mirabeau, je suis partie d'une
phrase de Mirabeau qui dit: «Les hommes sont comme les pommes, quand on
les entassent ils pourrissent». Et je dis: «Les hommes sont comme les
pommes, quand on les regarde ils rosissent, quand on les soupèse ils
rougissent, quand on est patiente, ils mûrissent.» Ça c'est
peut-être la seule vacherie du texte. «Les hommes sont comme les
pommes, quand on les croque ils rapetissent, quand on les oublie ils
s'aigrissent, quand on les laisse ils se flétrissent. Mais là
où les roule ils s'immiscent, quand on les suce leur jus glisse, la
pulpe fermentée vous grise. Vue de près la chair n'est pas
triste, ni celle des pommes, ni celle des hommes» etc., etc. C'est un
texte hyper tendre. A part, «quand on est patiente ils
mûrissent», qui est une petite vulgarité. Mais sinon, tout le
reste est hyper tendre. Et ce gars vient me voir à la fin et dit: «
Superbe duo. Mais qu'est-ce qu'on en prend plein la gueule nous, les
mecs!». Je dis: « Ah bon? Où ça? Quand? Comment?
«. Il me dit : « Ah mais... ton texte sur les pommes là».
J'fais: «Pardon, je vais te le faire relire parce que là y a un
malentendu.» Voila. Et ça c'est... Je me souviens de cette
personne-là ce jour-là. Je ne dirai pas qui c'est, c'est pas
intéressant. De toute façon il est même pas fautif. Si tu
veux. Parce que ça s'est reproduit plus ou moins de la même
manière, à d'autres endroits, par la suite. Donc on est
perçue, parce qu'on fait une musique et qu'on a une attitude
scénique assez virile, finalement, assez rentre dedans, même si on
est très féminine. On est autonome, on est indépendante,
on fait pas les... on fait pas les... Je ne sais pas, je pense pas qu'on rentre
dans les clichés, en tous cas de la «douce femme qui reste à
sa place». On ne reste pas à notre place, on prend la place de
l'artiste sur une scène. Et donc il nous est renvoyé, la plupart
du temps, je dirai 98% du temps par des hommes, que, nous sommes donc en
revendication féministe. Ou en revendication anti-hommes, ce qui, pour
beaucoup, est la même chose. Et ça, ça m'embête
vraiment beaucoup. L'autre truc, c'est que, dans ce trio que tu as vu
cet été350 euh... j'ai beaucoup entendu parler
par la suite de «comme c'était bien votre trio de filles». Je
m'y attendais, je le savais. Moi-même je le dis des fois, je dis
«notre trio de filles». Or, si Fabrice avait fait un trio avec deux
mecs, un à la harpe et un à la batterie, euh... peut-être
qu'on aurait dit: «Oui, la harpe c'est quand même pas un instrument
de mec» et encore... Mais par contre, personne n'aurait dit: «Votre
trio de garçons il était bien.» Voilà. Il y
a vraiment la norme, le neutre et y a le reste. Donc on est vraiment
suspecte, quand je dis «suspecte» c'est «suspecte
d'agression»...euh... suspecte d'agression ou de... ou de revendications,
ou de méchanceté etc., etc.
AL: Après, en côtoyant les Gojats là,
euh... Alors peut-être un peu moins maintenant, mais il y a une
période où ils s'entendaient beaucoup, et
régulièrement, reprocher le fait d'être que des hommes, que
jeunes garçons en plus. Et ... Et finalement... Bon déjà
s'en est toujours au
350 Comprendre un trio avec une batteuse, une harpiste et
Juliette Kapla en comédienne-chanteuse.
148
même point, c'est autre chose, mais... Est-ce que l'on
ne tend pas, quand même, à une critique inversée
là-dessus aussi?
JK: Le jour où l'on aura, au sortir des conservatoires,
des jeunes nanas, qui font des groupes, sans qu'on leur renvoie que ce sont des
nanas et sans qu'elles doutent de leurs capacités à faire
ça. Avec des potes. Des potesses. Euh, je pense que l'on pourra vraiment
arrêter de critiquer les groupes d'hommes. Je comprends en plus. Je crois
comprendre pourquoi y a que des hommes, des jeunes gens, enfin des
garçons dans ces groupes-là. C'est aussi que les choses se font
par affinités. Et que à certains... Et à tous les
âges, on est en affinité, pour certaines activités, avec
les gens du même sexe que soi. Bien souvent. Enfin, dans les
conservatoires... Enfin c'est pas vraiment vrai ce que je dis parce que moi
j'ai eu beaucoup de potes, justement. Je suis très attachée
à l'amitié virile. Mais...Mais même dans ce cadre-là
c'est pas évident pour une nana d'avoir exactement la même place
que les garçons. Voila. La même place n'est pas évidente
à trouver. Et dans les conservatoires de jazz, y a des nanas mais y en a
pas beaucoup. Et dans les directions des ONJ351, par exemple, y a
pas une seule nana pour l'instant. Et dans les conservatoires classiques y a
plein de filles, mais aux directions d'orchestre y en a pratiquement aucune. Et
ainsi de suite, enfin, tu connais tout ça mieux que moi... Mais... Y a
quelque chose-là qui est quand même de l'ordre de la
légitimité.
AL: Ah!
JK: (Rires) Question n°6!
AL: (Rires) Oui c'est un peu ça. Je
reviendrai.... ouais, je reviendrai là-dessus mais, tout est lié
et je pense que tu m'as beaucoup...influencée dans mes questionnements,
puisque tu vas sur les questions que j'ai prévues. Notamment celle de la
légitimité, qui était une question que tu avais
soulevée quand on était en train d'écouter la table
ovale...
JK: Ah oui!
AL: Voilà. Et... Où voilà, il faut le
dire tu avais la rage parce qu'il n'y avait que des gars qui étaient
là. Dont certains on pouvait se demander, justement, s'ils
étaient plus légitimes ou non que toi à être
à cette place. Enfin, en tout cas, moi c'est la question que je me suis
posée. Parce que dans la légitimité, y a les notions aussi
de... Il y a la notion de la compétence, fortement, mais aussi les
notions d'âge, d'expérience, il me semble. Et... Donc
voilà, ça me la posait sérieusement. Et justement... pour
toi qu'est-ce que c'est qu'être légitime? Comment est-on
légitime? Te sens-tu légitime? Comment?
JK: Il y a être légitime et se sentir
légitime. Et je pense que c'est des choses différentes.
Évidemment, je ne peux pas dire si je suis légitime,
mais je ne me sens toujours pas légitime, par exemple sur le
plan musical. Ça c'est assez intime, mais j'en subi des
conséquences ici, à Uzeste.... Des conséquences que je
m'inflige moi-même. Là, aucun des acteurs d'Uzeste Musical
n'est responsable de ça, je crois. Par contre, si tu veux, je viens
d'une famille de cinq enfants, on est trois garçons et deux filles,
et... mes frères ont tous fait de la musique, un petit peu ou beaucoup.
Ils étaient inégalement doués. Moi je crois que j'ai fait
un mois de piano à
351 Orchestre Natiinal de Jazz
149
cinq ans. J'étais beaucoup trop petite, et
c'était beaucoup trop chiant. Et je n'ai plus jamais fait de musique,
alors que j'en émettais le désir. Je suis une pure autodidacte.
C'est à dire que j'ai appris un instrument qui est la flûte
à bec, parce que j'avais une flûte à bec, et qu'à la
fin du collège il n'y avait plus de cours de musique, et donc ma prof de
musique m'a permis d'acheter une méthode, dans laquelle j'ai appris
à lire au-delà des quatre notes qu'on nous avait apprises en
quatre ans, pour travailler cet instrument. Et pour moi, la musique, même
au sein de ma famille, alors que je suis la seule musicienne professionnelle de
ma famille, euh... je ne me sens pas légitime, par exemple à
parler de musique avec mon petit frère qui lui, a fait des études
de batterie...très sérieuses, poussées....
professionnalisantes, certes, mais il n'est pas professionnel. Il n'a pas une
pratique de scène. Je me sens toujours moins légitime à
parler de ça. Par exemple. Et j'ai toujours l'impression, autre chose
dans mon histoire, j'ai commencé à chanter avec des boppers,
à Lille, qui... Moi je voulais chanter des chansons, que
j'écrivais et puis le jazz m'intéressait aussi donc je chantais
avec eux les deux. Des mecs à fond bebop, qui ne juraient que par
Charlie Parker. Ce qu'il y avait avant les intéressait, ce qu'il y avait
après...un peu moins. Tout ce qui était free-jazz... Bebop,
hardbop; ok. Le reste les intéressait très peu. Ils
étaient assez élitistes dans leurs façons de travailler,
avec tout le monde. Et moi je me suis entendue dire... Euh, très
exactement; «Tu ne peux pas improviser, car tu ne sais pas improviser. Tu
improviseras quand tu sauras improviser.»... Donc j'ai cessé
d'essayer d'improviser puisque je n'étais pas légitime. Et
là, je pense que bien sûr, j'avais pas d'instruments
j'étais chanteuse, donc les chanteurs, ils ne savent pas improviser, les
chanteurs, ils ont pas de culture musicale, les chanteurs-ci, les
chanteurs-là... Et résultat, j'ai été
coincée, mais à mort! Et je suis toujours ultra-complexée,
je n'oserai, je pense jamais de ma vie, chanter, improviser sur une grille de
jazz devant Bernard Lubat. Alors que je sais le faire. Alors que j'ai appris
à le faire. J'ai appris, grâce à Fabrice, qui m'a dit:
«Vas-y, tu sais faire. On s'entraine.» Voila. Donc la
légitimité elle vient de l'apprentissage aussi. Tout simplement.
Pour dire tout ça.
AL: C'est intéressant ça. Je trouve ça
intéressant, parce que quand je vois... Eum... Thomas, Louis, Jules, qui
sont des «purs produits», on va dire, du
conversatoire352, même si maintenant Thomas est au
conservatoire, eum... Louis se sent totalement légitime à parler
de musique alors qu'il est conscient et il sait qu'il n'a pas de technique
musicale. Ou qu'elle est vraiment... enfin, il est incapable de
déchiffrer une rythmicité à la voix et les notes il les
connait à peine. Et pourtant, il se sent même plus légitime
que beaucoup de musiciens, à parler de musique, alors pas
forcément, techniquement, même pas du tout techniquement, mais
justement sur une sorte de philosophie de la musique. Parce que, il se
revendique comme amusicien. Toi qui est amusicienne, du moins
c'est ce que je pense, est-ce que tu.... là tu m'as parlé
finalement d'un discours d'être légitime à offrir un
discours technique sur la
352 Jeu de mot entre le conservatoire, institution de formation
académique en ville et le conversatoire, création de Beranrd
Lubat pour expliquer son travail de transmission à Uzeste
Musical.
150
musique et à monter sur scène pour la chanson,
mais avoir un discours sur ce que peut être l'art de la musique...
JK: Non. Je ne me sens pas vraiment légitime à
ça, non plus. D'ailleurs, je suis à mon avis, beaucoup trop peu
cultivée pour faire ça. Alors ça c'est pas
forcément très passionnant. Que je sois, ou que je ne me
considère pas assez cultivée pour avoir un avis. Mais ce qui est
intéressant peut-être c'est de savoir d'où vient cette
légitimité. Bon, tu parles de Louis, la légitimité,
à mon avis, elle vient quand même souvent de la famille. C'est
vrai que moi je ne suis pas d'une famille de musiciens. Donc n'étant pas
d'une famille de musiciens je n'ai pas déjà cette
légitimité-là. Ensuite, y a l'apprentissage sur papier, la
connaissance technique, que je ne possède pas non plus, ou très
peu. Même si je me suis formée après parce que
c'était important. Je me débrouille. Mais j'ai une technique,
quand même, qui est très sommaire. Et, après y a la
légitimité sexuelle. Et je pense... «Je pense», mais
alors là! Je prends des pincettes parce que je ne voudrais pas faire la
victimisée, la «gonzesse», tu vois, à tous les coins de
phrases. Mais je me dis que peut-être, aurais-je été un
garçon... Enfin, je postule que si j'avais été un
garçon les....mon apprentissage de la musique d'abord, aurait
été facilité, je l'aurais sûrement
réclamé. Beaucoup plus clairement que je ne l'ai fait. Et puis je
me serais beaucoup plus euh, et je m'exprimerai beaucoup plus, sur la valeur de
ce que j'entends. Bon, dans mon cas en plus, je suis comédienne et
chanteuse. Et ce que je crains ici, par exemple en ce moment, c'est qu'on me,
et parce que j'ai joué à ça, qu'on me glisse du
côté de la comédienne est qu'on oublie le coté
chanteuse, donc musicienne. Une chanteuse, un chanteur, c'est un musicien. Tu
vois, il y a plusieurs couches. Y a la couche
tu-fais-pas-que-ça-donc-on-sait-pas-ce-que-tu-fais, donc qu'est-ce que
tu es exactement? Est-ce que tu ne serais pas plus auteure ou comédienne
finalement? Alors que je suis vraiment chanteuse (coups sur la table qui
appuient le propos), ça maintenant c'est admis pour moi et clair.
Et je revendique en étant chanteuse d'être musicienne. Ce qui
n'est pas gagné pour tout le monde. J'ai eu souvent cette discussion
aussi avec de gens. Y compris des gens très féministes
d'ailleurs, (sourire espiègle) donc ça n'a rien à voir,
qui disaient: «Oui mais y a les chanteurs et les musiciens, c'est quand
même pas pareil.».
AL: Y a Marie Buscatto qui a beaucoup travaillé dessus,
sur les chanteuses de jazz. Qui elle-même est chanteuse de jazz et en
fait, qui a travaillé sur les musiciennes de jazz et les chanteurs de
jazz, où elle met chanteurs et chanteuses dedans. Et, ce que tu dis,
revient dans ces textes, sur la mise à l'écart de ceux qui ne
savent que chanter, et souvent les chanteurs maitrisent aussi un instrument, ce
qui les met moins à l'écart. Elle fait des analyses, comme
ça, qui peut-être t'intéresseront.
JK: Ouais, ça m'intéresserait beaucoup, oui.
AL: Et justement, sur, pour le coup, quand il y a des femmes,
comment sont-elles considérées dans le jazz? Ça pose aussi
cette question-là. Et ici, on est quand même dans des... avec des
musiciens qui viennent pour certains du jazz, ou du moins qui y sont
très attachés. Est-ce que ça pourrait jouer, penses-tu?
JK: Cette hiérarchisation?
151
AL: Sur la considération de la chanteuse...
JK: Oui je pense, oui, oui. Oui, moi je parle aussi, plus ou
moins, du milieu du jazz, hein. Parce que de toute façon dans la
chanson, c'est encore plus pervers. C'est à dire que le chanteur c'est
à la fois le patron, la star et le rien du tout. Voilà, j'en ai
entendu beaucoup, y compris les musiciens avec qui je travaillais qui parlaient
d'autres chanteurs en disant, ou chanteuses, en disant: « Elle est pas
intéressante, elle sait rien faire, mais voilà, elle trouve des
plans». Mais voilà, y a quelque chose, y a une hiérarchie
qui est très... [Téléphone sonne, vérification que
l'enregistrement a fonctionné] Oui donc dans le jazz, la
légitimité, et des chanteurs et des bonnes femmes... quand t'es
les deux tu cumules les handicaps.
AL & JK : (Rires)
AL : Eum.. Toujours sur Marie Buscatto, celle dont je te
parlais, elle dit que les chanteuses de jazz, justement, ont souvent le
sentiment de devoir mener une lutte permanente, sans cesse renouvelée
avec les musiciens pour s'imposer à eux. Toi, là, c'est ce que
tu...
JK: C'est ce que j'ai vécu un peu. Sauf que je me suis
échappé du système puisque je suis devenue une chanteuse
d'autre chose que de jazz. Mais oui. Mais oui. Y compris dans le son tu sais.
J'ai souvenir de... ouais, même dans les chansons. J'ai le
souvenir avec les mêmes gens, qui étaient plutôt mes potes
hein, pourtant, fin même carrément, de m'être
bagarrée en disant: «-Là, je ne m'entends pas, on ne
m'entend pas. On va monter le son de la voix. -T'as qu'à chanter plus
fort! « Et là, pour moi c'est complètement absurde! C'est
à dire y a une guitare qui est amplifiée, y a une batterie qui
joue fort et une basse qui est amplifiée. Moi j'ai un petit micro et on
me dit : «T'as qu'à chanter plus fort». Pour moi, le sous
discours, si j'interprète un tout petit peu, c'est : «T'as
qu'à avoir une plus grosse bite, connasse.» Tu vois. C'est limite
ça. Bon ça t'es pas obligé de le reproduire dans
l'entretien si jamais ça se produisait mais, tu vois, c'est limite
« T'as qu'à avoir plus de gros muscle. Moi j'ai des gros muscles.
j'te bats au bras de fer. Tant pis pour ta gueule.» Je l'ai perçu
directement comme ça à l'époque.
AL: Oui, je peux comprendre.
JK: Et oui oui, y a une bagarre. Et puis donc y a une bagarre
sur la technicité, oui sur la place. Mais je pense que c'est une bagarre
qui se mène aussi avec toute la société. Là aussi
je vais te donner un exemple, quand j'ai fait un truc dont je ne suis pas
fière sur le plan éthique. (Rires gloussés) J'ai
joué quelques dates avec le casino de Lille. Un casino Barrière a
ouvert à Lille, y a des années de ça. Et, ils ont
appelé un mec, je sais pas ils ont dû le trouver dans l'annuaire
parce qu'en plus c'est un mec qui fait un free, un free jazz très free
quand même... il truc [marmonnements] quand même, et il joue pas du
tout les standards, ou très peu. Mais c'est un prof de musique en
collège et ils ont appelé ce mec en lui disant : «Est-ce que
vous pouvez nous proposer trois soirées, ou plus éventuellement,
avec des chanteu... il nous faudrait un trio de jazz, vous faites des standards
de jazz et il faut une chanteuse sexy.» C'était ça la
demande : «une chanteuse sexy». C'est à dire, «un
trio», pour que ça coûte que tant, et que ça fasse pas
trop de bruit. Parce que pour avoir fait ces dates, effectivement fallait pas
faire de bruit. «De jazz» parce que le jazz c'est, c'est devenu, et
ça c'est un autre sujet
152
mais ça me révolte, une musique d'ascenseur et
de chicours, et de bourges. Alors que c'est quand même une musique de
rébellion absolue et de revendications politiques et raciales hyper
importantes. Et, «une chanteuse sexy»! On s'en fout qu'elle chante
bien ou mal. Ce qu'on demande à une chanteuse, d'abord on n'a pas
demandé un chanteur, ce qu'on demande à une chanteuse c'est
d'être sexy. (Silence) Alors bien sûr c'est le casino.
Mais ... y a ce truc là aussi. Le public ne va pas forcément
considérer la chanteuse ou le chanteur comme... en tous cas a fortiori
la chanteuse comme une égale des musiciens.
AL: Mmm... Et... Bin je m'inspire de cette femme-là
parce qu'elle travaille sur les chanteuses et que c'est ta situation. Tu vois,
je te considère comme chanteuse (Rires). Et elle travaille sur
les réseaux de musiciens aussi. Elle a constaté un
phénomène que je trouve assez inquiétant pour les
générations à venir. Et elle parle des musiciennes qui
sont, de jazz, qui sont, pour la plupart avec un conjoint du métier. Que
ce soit agent, musicien, programmateur. Pas nécessairement sur
scène quoi. Et elle décrit un phénomène
d'introduction de la musicienne dans le réseau de son conjoint. Euh...
Qui est bénéfique sur le, sur le court terme, puisque ça
permet d'avoir des dates, d'être incluse dans un groupe sans
forcément ... avoir les problèmes de séductions et...et
ses problèmes qui peuvent être dans un groupe où l'on est
la seule femme. Mais ça... Elle analyse un
phénomène négatif, où elles restent dans l'ombre de
leur homme. Que, qu'elles sont dépendantes de lui sur ce réseau.
Et que s'il y a rupture, elles perdent ce réseau. Est-ce que toi c'est
une crainte que t'as pu déjà avoir? Dans ta vie
d'artiste?
JK: (du tac au tac) Oui. Totalement.
(Silence) Euh... totalement. Et pourtant j'ai
travaillé, enfin j'ai commencé à travailler avec quelqu'un
qui était mon compagnon. Bon, dès qu'on a travaillé
ensemble, on s'est séparé, c'était mieux. (En allant
remuer le feu et remettre une bûche) Mais on travaillait quand
même ensemble. Et c'est vrai que ça a été une
crainte immédiate de ...
AL: Attends, pars pas.
JK; 'scuse moi. Ah oui, c'est vrai y a le... Ça
enregistre.
Oui donc euh... Je l'ai vécu, il y a longtemps.
Au tout début de ma vie de chanteuse. Et... et j'ai travaillé
pourtant à prendre les réseaux moi-même. C'est à
dire à prendre la tête des choses. J'ai un fort besoin
d'indépendance, ça c'est dans mon tempérament. Je pense
que c'est une question de survie aussi. Et j'ai absolument besoin de ne pas
dépendre des autres et particulièrement pas de mon
conjoint. Mais bien sûr je dois reconnaître que la
chance que j'ai de participer aux choses qui se passent à Uzeste
Musical, c'est parce que j'ai rencontré Fabrice Vieira, que je fais
ça. Bien évidemment. C'est à dire que je ne me
serais pas pointée (claque la table), au culot, voir Bernard Lubat et
lui dire : «Ecoute, j'ai vraiment trop envie de faire des choses chez
toi... Laisse-moi essayer s'il te plait. « Peut-être qu'il aurait
dit oui. Mais j'aurais pas fait ça.
AL: Pourquoi?
JK: Parce que.. je pense une part de personnalité.
Parce que je suis trouillarde, orgueilleuse. Que j'me, mais mais que j'me
sentais pas du tout capable de faire un truc pareil. Fin, c'était
153
pas ma place. Je ne me supposais pas une seconde que je
trouverai ma place ici. Par contre, quand j'ai rencontré Fabrice, j'ai
mis du temps à travailler ici. Pour des tas de raisons qui ne
méritent pas d'être explicitées ici. Mais, parce qu'il y a
aussi des raisons personnelles d'interventions d'autres personnes qui
étaient malveillantes donc c'était... compliqué. J'ai
regardé ce qu'il se passé ici. Je connaissais déjà
la compagnie Lubat, je les avais vu sur scène,
j'écoutais leurs disques. Mais d'un seul coup je me suis dit,
peut-être qu'en effet je pourrais proposer quelque chose. Et donc
à ce moment ça je l'ai fait. Mais je serais quand
même curieuse de savoir... si vraiment on allait voir à
l'intérieur de la tête des gens, sans qu'ils se, sans qu'ils
essayent d'être aimables ou politiquement correctes, combien de personnes
qui gravitent autour de cette compagnie pensent que je suis là parce que
je suis la femme de Fabrice. Ou combien pensent que je suis là parce que
je suis une bonne artiste qui mérite d'être là et qui
apporte quelque chose. Et si l'inverse s'était produit, si
j'étais déjà dans la compagnie et que Fabrice m'avait
connue et pris cette place là ici, cette demi-place que j'ai en fait.
Euh... Je n'ai pas la réponse à la question suivante : est-ce
qu'on se poserait autant la question? Est-ce qu'on se dirait : «Il est
là parce que c'est le mec de Juliette.»?
AL: C'est une très bonne question... Parce que
finalement là on ne le voit pas, donc je ne pourrai même pas le
traiter dans mon sujet... J'y ai pensé. Mais je... Même Martine,
son conjoint est écrivain, il est pas sur scène, c'est une
situation un peu particulière encore. Et... je n'ai pas d'exemple
à travailler qui pourrait.... éclairer un peu cette question.
JK: Oui, puisqu'on n'a pas en fait de femme qui
gravite autour de la compagnie Lubat qui ne soit pas
associée... sexuellement, à quelqu'un qui est déjà
associé à la compagnie Lubat. Puisque Alain, le
mari de Martine est président de l'association si je ne m'abuse.
AL: Ah! Je savais pas.
JK: Il est au bureau en tout cas.
AL: Ah.. ok.
JK: Je crois que c'est le président. (Silence)
Alors je ne pense pas qu'il... que... je postulerais que les choses ce
sont faites dans l'autre sens. Mais j'en suis pas sûre.
AL: Bin ce sera une question à poser.
JK: En tout cas, la plupart des nanas qui se sont
trouvées ici... Un peu durablement, sont entrées ici par heu....
par le couple.
AL : Et finalement, est ce que ça ne pose pas la
question de notre légitimité...
JK: Bien sûr! ... Ca la pose. C'est une des
raisons pour lesquelles on ne s'estime pas légitime. Par ce qu'on arrive
toujours grâce à quelqu'un, par l'entremise de quelqu'un et en
seconde de quelqu'un.
AL: Et en même temps, toutes ces femmes qui gravitent
autour d'Uzeste Musical, fin, y en a beaucoup qui ne font pas pa, pas
plus, qui ne font ... plus que graviter autour d'Uzeste. Elles sont
carrément dedans. (Silence)
JK: Oui. Oui là je parlais artistiquement en fait.
C'est vrai que j'ai tendance à...dissocier l'artistique et les cuisines
par exemple. Et je devrais pas.
154
AL: Parce que tu vois si... si on prend ... bah ce qu'à
pu être Joël & Marie... Martine. Même on peut aller
à Martine et Diane finalement...
JK: Bien sûr.
AL: ... sur Uzeste. Et puis en effet, artistiquement, toi
aussi. 'fin... Je crois, si j'en regarde les programmations, tu fais partie
maintenant des artistes d'Uzeste. Des récurrentes.
JK: Oui, des récurrentes. Mais je me demande,
si je me fâchais très fort avec Fabrice et qu'il ne soit pas
élégant, je pense qu'il aurait les moyens de m'évacuer.
Des programmes. Et que moi je n'aurais pas de moyens de l'évacuer des
programmes, si tu veux. Voilà. On est pas du tout égaux. Fabrice
c'est particulier, évidemment. Puisqu'il se trouve que, mon compagnon,
est une personne qui est influente à Uzeste Musical en plus
d'être acteur. Donc c'est un peu délicat. Mais clairement le
numé... Et pour moi aussi, le numéro 1, c'est lui. C'est son
projet. Moi j'ai d'autres projets.
AL: Et est-ce que, à Lille, la situation est
inversée?
JK: Non, parce que je ne le fais pas vraiment
travailler en fait. J'ai pas tellement l'occasion de lui donner du travail.
Mais c'est vrai, qu'il y a un contexte dans lequel je l'embauche, heu, pour un
spectacle qui m'a été demandé par la CCAS-EDF-GDF, qu'on a
joué pas mal de fois. Et là c'est moi qui ai les contacts et
effectivement il dépend de moi dans ce cadre-là. Si je suis
vraiment honnête oui. Il dépend de moi
AL: D'accord, donc là finalement, euh, la question du
réseau est en ta faveur.
JK: Oui.
AL: D'accord. Donc là finalement, l'intégration
dans le projet l'emporte sur le genre.
JK: Exact.
AL: On est d'accord
JK: Et une petite chose là-dessus quand même. Une
petite précision. Je ne sais pas comment font les autres femmes
musiciennes mais, il est clair que pour moi, ça fait quinze ans que
j'exerce, que j'ai cette pratique artistique. J'ai travaillé activement,
et je continue à travailler à, d'une part être
indépendante et d'autre part, à avoir le leader-chip. C'est
à dire que, c'est presque maladif, chez moi, d'avoir mes
réseaux. Et d'avoir la relation directe [Téléphone
sonne] Allô? Oui, Clément353, je te la passe.
(chuchote) Je voudrais pas que tu rates le spec...
AL: Oui Allô? -Tu en es où? -Euh, bin j'ai pas
fini du tout. Donc c'est pas grave, je serai spectatrice ce soir. - D'accord-
Allé, bisous. [...] Non, non, y a pas de...
JK: Alors on parle de la thèse des femmes dans le
spectacle et parler de ça, fait que tu vas devoir passer à
côté d'une représentation où tu serais actrice.
AL: Et oui...
JK: Trop les boules!
AL: Orf! Déjà je commence à y aller,
c'est pas mal.
JK: Oui. Oui, c'est bien... Mais voilà je travaille
aussi à ça parce que j'ai une trouille bleue de me retrouver
dépendante, euh, d'autres et notamment de, d'un compagnon... et des
hommes.
353 Clément, membre du parti Collectif qui joue
le soir même.
155
C'est à dire je garde, j'ai mes réseaux et je
les soigne. (Silence) Je les partage mais je les soigne.
AL: Alors pour le coup là j'avais une question, euh,
si! Qu'est-ce que, qu'est-ce qu'est Uzeste pour toi?
JK: Mmmh! (Silence) Bon plusieurs choses bien
sûr. Là tout de suite parce qu'on est en hiver, un grand
labo. Pour moi c'est un endroit où l'on peut essayer des
choses. Où l'on peut apprendre en faisant. Et c'est hyper-important! En
fait je pourrais dire après, c'est un endroit de réalisation
artistique, de, d'innovation artistique. Je pourrais parler des autres. Mais si
je parle de moi, moi, c'est l'endroit où j'ai trouvé des choses
parce qu'on m'a laissé essayer des choses.
AL: Mmh! (Silence) Ok.
JK: Et c'est aussi un endroit de nourriture. Ça
c'est important aussi en fait. De ressourcement et de nourriture. Je viens me
réchauffer ici quand j'ai trop mal à ma politique,
aussi.
AL: «A ta politique»...
JK: A... à mon muscle politique.
AL: Ah oui?
JK: Quand je trouve que le monde est trop moche et trop dur,
ça me fait du bien de me replonger un coup dans Uzeste. Pendant des
années ça a bien marché, quoi.
AL: Pourtant en termes de mise en face des réalités
c'est pas mal.
JK: Oui, mais c'est sain.
AL: Mmh
JK: Tu sais, c'est comme d'avoir mal quelque part et d'aller
voir son kiné quoi. Avoir un geste sain par rapport à la
réalité.
AL: Et...Alors ça tu en as parlé, tu l'as
évoqué mais peut-être pourras-tu être plus incisive,
quelle est ta place à Uzeste, comment tu t'y définirais?
JK: Je pense que... Je ne suis pas qualifiée comme
ça sur le site mais je crois qu'il n'est pas à jour. Moi ce que
j'ai... Ce que je...Comment je m'y rêve en fait, j'aimerais qu'on
me qualifie d'artiste associée. Quelque chose comme ça. Qu'est-ce
que ça serait un artiste associé? Ça serait quelqu'un, qui
a un pied dedans, un pied dehors. Et qu'on invite à faire des choses.
Ensemble. Et qu'on invite à faire des choses tout seul.
(Silence) Ce qui est pour moi une position absolument
idéale, parce que j'ai ma vie ailleurs, une vie ailleurs, enfin une
activité professionnelle, et que j'apporte de l'extérieur, ce
que.. la légitimité que je vais chercher ailleurs, le travail que
je fournie ailleurs, les choses que j'invente ailleurs. Mais ici, je
peux être avec les autres, et toute seule. (Silence)
Peut-être que j'apporte une couleur. (Silence)
AL: Le rouge?354
AL & JK: (rires)
354 Référence à sa robe rouge de
scène.
156
AL: (Silence) Eum, et justement tu parlais de...
euh... (Silence) A Uzeste on parle souvent de peur et de désir,
enfin je trouve... Déjà est ce que c'est un constat que tu
partages.
JK: Mmm-m (approbateur)
AL: Et pour toi, où est la peur? ... Tu l'as même
évoquée plusieurs fois là et, et justement je me demande
en tant que, que dedans/dehors, où peut-être la peur?
JK: (Silence) Elle est partout en fait. Elle est
dans... Sans hiérarchie hein, sans ordre de préférence,
elle est dans le déplaire au milieu, ici, c'est à dire au
maître des lieux, c'est à dire à Bernard. Malgré
tout, elle existe cette peur. Elle n'est pas la chose la plus importante mais
elle existe. Je me rends compte qu'elle est devenue insidieuse. Au début
elle était réelle et consciente, maintenant elle est insidieuse.
déplaire au milieu, ici, c'est à dire au maître des lieux,
c'est à dire à Bernard. Malgré tout, elle existe cette
peur. Ça c'est dans les, p't-être c'est pas dans la peur, 'fin si
c'est la peur empêchante. Euh. Y a la peur de...Boh, la peur normale de
planter. C'est à dire d'être dans une merde telle que je doive
abandonner le plateau en disant : «désolée, j'y arrive
pas». Évidemment ça arrive pas souvent ça. Mais c'est
quand même une peur. Tu sais c'est comme la peur, j'espère que
j'aurai jamais d'accident de bagnole, mais quand je prends ma bagnole j'ai peur
d'un accident. Voilà, bin c'est pareil. C'est la peur d'avoir un
accident de représentation. Et puis, là ce qui est assez nouveau
parce qu'Uzeste m'a quand même fait goûter une drogue très
dure qui est le...le repoussage des limites. La jouissance du repoussage des
limites. «repoussage» faudrait trouver un autre mot mais... de
l'extension des limites disons. Ou de l'exploration simplement, parce qu'elles
sont pas forcément plus loin mais en tout cas j'y touche. Et ça
c'est une jouissance qui est ultra-forte. Et je suis devenue dépendant
de cette chose, cet état. Un état de liberté tel que j'ai
l'impression d'être au milieu d'un brasier ardant! Un truc, c'est
vraiment de la drogue. C'est à dire c'est d'une puissance! Enfin je dis
«c'est vraiment de la drogue», je prends pas vraiment de drogue donc
je sais pas vraiment ce que c'est. Mais c'est addictif d'une part et, je vais
justement y revenir, et c'est d'une puissance énorme quoi. C'est
vraiment très puissant cette chose-là. Quand je touche ça
du doigt, je suis hyper-heureuse pour des semaines. Ma peur, en ce moment,
c'est de ne pas retrouver ça.
AL: Pourquoi?
JK: Parce qu'on trouve pas à tous les coups. C'est la
peur d'être sèche. C'est la peur de monter sur scène de
faire un p'tit truc où j'aurais capitalisé ce que je sais faire
et... ça peut être très agréable hein de
capitaliser, mais pas ici. Ici ça ne m'intéresse pas de
capitaliser. Ici ça m'intéresse de jouer avec la plaie et de voir
où ça en est de la cicatrisation, de la... je sais pas quoi. Y a
quelque chose qui est de l'ordre du, qui est un peu... C'est pas du masochisme.
Je pense vraiment pas que ce soit du masochisme, même si je parle de
blessure et tout ça, mais c'est de l'ordre de la jouissance un peu
limite. Peut-être.
AL: (rires) (Silence) Et euh... Je suis
désolée pour le coup je vais revenir sur quelque chose dont on a
parlait parce que ça a tellement sauté que j'ai pas pu suivre
mes...mes feuilles. Mais c'est très bien. Et, toujours Marie Buscatto,
elle décrit quelque chose que je trouve intéressant; le besoin en
tant qu'artiste d'être supporté-e d'être soutenu-e, euh,
notamment par
157
le conjoint. Tu parlais de la famille pour la
légitimité. Et... Donc, et puis, donc voilà. Moralement,
mais aussi sur la vie de famille si y a bin des enfants ou des parents à
s'occuper, enfin ces choses-là. Et elle remarque que les femmes se
retrouvent souvent à porter ce rôle pour leur conjoint et pour
elle, ces femmes musiciennes puisqu'elles sont en général
mélangées (sous-entendu «avec des musiciens», voir
antérieurement dans l'entretien). Et au fur et à mesure des
années, le conjoint se retrouve à progresser plus qu'elle qui se
trouve dans ce double rôle de... de femme d'un musicien et de musicienne.
Dilemme qui, apparemment, pour elle, n'est pas chez les hommes. Est-ce que toi
tu peux avoir ce sentiment-là? Puisque vous êtes tous les deux
musiciens, ça me questionne.
JK: Je l'ai pas du tout. D'abord j'ai pas d'enfant. Donc la
question ne se pose pas. Ensuite on a chacun, même si on est ici chez
nous deux, et qu'à Lille on est chez nous deux aussi, on a chacun un
espace de prédilection. Et y a une égalité, euh, une
égalité maximale entre mon compagnon et moi. Enfin moi j'en suis
très satisfaite. Je ne mets jamais mon... Le boulot pour moi est
très important. L'amour est très important mais le boulot
est très important aussi. Et je ne mets jam... Je ne fais jamais de
choix anti-professionnel pour le servir lui, ou pour servir le couple, une
idée du couple. D'ailleurs il me l'a interdit formellement, plusieurs
fois. Et ... je pense lui avoir interdit aussi plusieurs fois mais... C'est
à dire on a mutuellement, je crois, un respect de l'autre et de la
progression de l'autre qui est, qui est aiguë. Par contre la
question se pose tout le temps, je pense dans tout couple. On serait un couple
homosexuel, ce serait la même chose. Je pense que là y a un, y a
toujours la question de la progression, et pour le boulot, et pour le couple,
il est pas inutile de progresser, pas en même temps parce que c'est
impossible, mais d'être attentif, euh, pas laisser l'autre sur le
côté, surtout pas se laisser soi sur le côté. Mais
vraiment la question domestique, pour moi c'est une question dont je suis
absolument indemne. Je suis vraiment pas une femme d'intérieur en plus.
(rires)
AL: Ok. Euh... ok. Et... Pour toi, qu'est-ce que signifie le
féminisme? Là je vais rentrer sur des globalités.
JK: Mmm. J'ai peur de dire des conneries. Le
féminisme pour moi c'est une nécessité, euh, sociale.
C'est à dire c'est une action qu'il faut mener afin de s'approcher de
cet idéal qui pour moi est impossible à contester, qui est
l'égalité entre les Hommes, en général, entre les
humains en général. Et que le féminisme, c'est un des
points ultra-chauds de cette avancée-là. C'est à dire que
le machisme, ou la misogynie, ou le patriarcat, sont des freins à
l'égalité entre humains. (Silence)
AL: Et pour le coup, est-ce que pour toi il existerait un art
féministe?
JK: Peut-être qu'il en existe. Je.. Je ne le connais
pas. (Silence) Il y a la réalité telle que je la
perçois, et il y a ce dont je rêve. Alors bien sûr j'ai
tendance à parler de ce dont je rêve. Je pense qu'en
effet, je produis un art féministe en partie. Contrairement à ce
que j'ai dit au début de cet entretien. De fait, mon art est
forcément, comme je te disais, à la fois gauchiste et à la
fois féministe par exemple. Parce que ce sont pour moi des choix,
éthiques et politiques incontournables. Ce sont mes choix.
J'espère que si j'étais un
158
homme je ferais aussi le choix du féminisme.
Vraiment! Sincèrement je l'espère parce que je pense que c'est
très important. Pour le respect de tous. Et... Je pense, du coup oui, y
a du féminisme dans mes, dans ma pratique, dans mon discours, dans mon
art. Est-ce qu'il y a un art féministe? Je pense qu'il y en a
plein. En fait y a plein d'arts faits par des femmes. Mais encore une fois, par
contre, parler de ce que je souhaite et de comment j'ai envie de lire le monde
pour pas péter un plomb. Euh, je ne souhaite pas regarder l'art des
femmes comme un art... forcément fait par des femmes ou forcément
à revendication féministe. Je ne souhaite pas ça parce que
je trouve que c'est nous cantonner à une fonction, à un
état, et quiconque est cantonné est inférieur.
AL: Donc si je comprends bien, si... on ne cantonne pas les
femmes, euh, à un art féministe, on peut supposer que toutes les
femmes ne produisent pas un art féministe et que donc des hommes peuvent
produire un, un art féministe?
JK: Je pense que oui.
AL: Est-ce que tu en aurais un exemple ici par exemple?
JK: Alors, des hommes qui produisent un art
féministe...
AL: Ici ou ailleurs, d'ailleurs.
JK: Ici euh... J'allais dire Bernard Lubat pour rigoler mais
bien sûr je rigole... totalement (rires). Euh... Un Art
féministe! Quelle bonne question. Il faudrait que je
réfléchisse à ta question. Que je me cultive un peu. Je
suis sûr que ça existe. Mais c'est vrai que quand tu poses cette
question j'ai tendance à chercher du côté des hommes qui
ont soutenu leur femme artiste. Tu vois. C'est à dire, à repasser
quand même par le couple et le domestique.
AL: Mmm-mh
JK: Bon j'ai rencontré y a quelques années, dans
un concert à Paris, un chanteur québécois, qui fait des
chansons pas mal du tout. Et qui lui se revendique comme féministe. Mais
il n'est pas, euh, ses chansons ne sont pas spécialement
féministes. (Silence) Mais dans la mesure où il est
féministe, j'aimerai bien, j'aimerai me dire que quiconque, alors
à ce moment-là ok, quiconque est féministe produit un art
féministe? (Silence) J'ai pas de réponse à
ça.
AL: Eum... Et, dans l'entretien tout à l'heure tu as
parlé d'art féminin, que l'on te décrivait comme un art
féminin, enfin comme une artiste féminine. Euh, tu l'as
évoqué à un autre moment... Sur de la création mais
pas la tienne. Et donc, pour toi est-ce qu'il y a une définition d'un
art féminin, d'un art masculin?
JK: Vraiment non. Et je, je, en tout cas je travaille à
ne pas faire, à ne pas cautionner ça. Là je, quand je dis
ça vraiment je parle des autres. C'est à dire, on m'a souvent
renvoyé, on me renvoie souvent que ce que je fais est féminin.
Par exemple, quelqu'un - qui est une femme d'ailleurs hein, de très
aimable, de très fin aussi euh, m'a dit cet été
après le trio avec les... la batteuse et la harpiste, maintenant
j'évite de dire les filles, je l'ai dit au début, maintenant j'ai
arrêté (rires). Enfin «au début», y a
six mois. Eumh - m'a dit : «Mais c'était très
féminin ce que vous avez fait». Bon là j'ai sorti les
griffes, les dents, tout ça, les lasers dans les yeux. Elle m'a dit:
«Mais non, c'était très féminin parce que vous vous
écoutiez beaucoup. Et que dans les groupes de musique improvisée
-parce que c'était de la musique
159
improvisée qui est quand même un domaine
un peu réservé aux hommes. Encore. Donc - que dans les groupes de
musique improvisée y a souvent, pas cette écoute-là».
Je sais pas si elle a raison. J'espère qu'elle a tort. Mais encore une
fois, voilà, on était des femmes, on était, on avait des
énergies féminines, euh, des beautés féminines. On
nous a parlé de notre aspect, de notre beauté, d'à quel
point c'était chouette de voir trois belles femmes qui jouaient.
Je sais qu'un ami d'une amie qui est venu a dit, bien sûr c'est
des blagues, hein Anna, c'est pas... Mais j'entends, euh, une copine de
Lille qui connait un musicien qui était là cet été
qui m'dit: «Ah bin oui, machin m'a dit», «J'ai dit à
machin que t'étais contente qu'il soit venu te voir toi plutôt que
le groupe qui joue en face qui étaient ses potes.»
J'préfère pas nommer en l'occurrence. Et... Et il lui a
répondu: «Ah mais tu sais comment j'suis moi, si y a trois belles
gonzesses qui jouent, j'préfère aller à ça
plutôt qu'aller voir sept barbus». Et moi je l'ai mal pris.
Ça me fait chier. J'croyais, peut-être avec raison d'ailleurs, il
a, c'était surement une vanne, mais j'croyais que c'était
vraiment par curiosité qu'il était venu nous voir. Voilà.
Je crois ça. Toujours. En plus j'ai.. Je me suis beaucoup
éloignée de ta question...
AL: Euh, non je demandais sur, euh...
JK: Ah oui! L'art féminin.
AL: Ou l'art masculin.
JK: Ou l'art masculin. En fait, quand je dis que je
m'empêche, que je refuse de fonctionner comme ça, ça me
demande un effort aussi. C'est à dire, je ne peux pas moi-même
m'empêcher. Et je me bats contre ça! De, d'ouvrir un bouquin, et
si c'est écrit par une femme, d'en attendre un peu moins, ou d'en
attendre des préoccupations un peu plus gnangnan, bidule, je sais pas.
Tout un tas de schémas de merde comme ça. Je suis sujette
à des schémas débiles dans ce genre-là. Et je les
combats. Je vois pas d'autres solutions. Ils sont là. Ils m'ont
été inculqués, et j'essaie de m'en sortir. De la
même façon, quand une femme joue de musique. De la même
façon quand une femme, sans doute réalise un film, mais je ne
suis pas très, euh, cinéphile. Voilà. Il y a toujours une
suspicion. Une suspicion. je reprends ce mot parce qu'il me semble important.
Quand la femme est artiste, une suspicion née, soit de ce «sale
féminisme» qui serait contre les hommes. Alors que non,
«féminisme», comme beaucoup de gens, n'est pas du tout contre
les hommes, il est pour tout le monde, je le souligne. Heu. Soit de, bin de
faible qualité artistique. Parce que je suis quand même le produit
de ce monde d'hommes. Je suis quand même le produit, par exemple j'ai lu
énormément de littérature. Je suis d'abord une
littéraire avant d'être une musicienne, chronologiquement. Et je
n'ai lu presque que des bouquins d'hommes! Parce que dans l'histoire, et pour
la musique classique c'est la même chose, des compositions masculines! Et
pour la peinture, je me suis dévorée de la peinture aussi quand
j'étais ado et jeune fille, eh, tous les musées où je suis
allée y avait toujours plus d'hommes. Et je me voyais, à dix-huit
ans ou à vingt ans, quand je suis arrivée à Lille, face
à des oeuvres de Sonia Delaunay, qui est une femme de, du, plus qui je
crois était originaire du nord, au LaM, Musée d'art moderne de
Lille. Qui est un beau musée. Et je me voyais face à Sonia
Delaunay, en train de
160
me dire, où à Marie Laurencin, qui était
la chérie d'Apollinaire, si je ne me trompe pas. Enfin qui a
était, qui était une copine en tout cas de, c'est, elle
était dans le coup. De me dire «Oh quand même, c'est un peu
nunuche ces pastels et ces machins»! Alors peut-être de c'est un peu
nunuche Marie Laurencin, j'trouve ça un peu nunuche. Mais, Sonia
Delaunay, non! (Silence)
AL: Oui, puis est-ce que tu t'es posé la question sur,
euh, les, les nénuphars de Monet...
JK: Absolument pas! Tu as raison. Absolument pas. Enfin si
peut-être mais... Non, non mais bien sûr. C'était la
suspicion d'abord. Après, ce que l'oeuvre donne à voir ou pas,
c'est presque pas important en l'occurrence.
AL: Et est-ce que, par conséquent, eum.. Enfin
là tu dis qu'on en attend moins, c'est ce que tu as dit si je ne me
trompe pas, donc ces femmes...
JK: Mmm-mh, on attend que ce soit moins bien
AL:On attend que ce soit moins bien et pour le coup, est-ce
qu'il faut pas qu'elles fassent mieux qu'un mec? Pour que ce soit
apprécié?
JK: Mmh. On dit beaucoup ça. On dit beaucoup ça
par exemple. Ou dans l'entreprise. On dit : «Pour qu'une femme
accède à un poste égal à celui d'un homme elle a
besoin d'en faire, d'être deux ou dix fois meilleure. Pour l'art, euh,
ouais j'pense aussi. J'pense que pour la musique de jazz par exemple, j'pense
que les filles qui se débrouillent là-dedans...
peut-être... doivent être un peu meilleures sur le plan technique
peut-être. Mais je suis pas si sûre, je suis pas si sûre.
AL: Et toi en tout cas est-ce que tu t'es autorisée
à...
JK: Est-ce qu'il a fallu que je sois meilleure, non. J'ai...
Ce que j'ai trouvé c'est un, une niche où il n'y avait
pas trop, où j'étais à la croisée des chemins et
où ça n'était pas spécifiquement féminin ou
masculin. C'est à dire que, par exemple j'ai monté un solo, dans
ce solo, j'ai écrit le texte, j'ai fait la mise en scène.
Voilà. Dans la mesure où j'ai tout fait toute seule, on
ne me dit pas, alors peut-être qu'on me dit: «C'est
féminin», on me le dit. On me le dit. C'est quelqu'un qui me semble
un peu fou qui m'a dit ça donc j'ai pas accordé beaucoup
d'importance. Mais, mais voilà. Je touche aux domaines masculins
et féminins. Je suis à la fois la chanteuse, et puis l'auteure.
Mais on m'a demandé souvent qui avait écrit mon texte. Je ne sais
si on m'avait demandé ça si j'étais un homme. Comme je
suis parano, j'ai tendance à le penser. Parce qu'en fait quand j'ai
commencé à chanter, j'écrivais mes textes. Et, les gens,
croyaient, ah «les gens» tu sais! Les gens croyaient très
souvent que c'était le guitariste avec lequel je travaillais qui avait
écrit les textes. Et ça c'est! Voilà, la virilité,
c'est l'intellect. Du côté de l'homme est l'intellect. La
puissance c'est le texte. Moi, je, j'avais ma p'tite voix, j'savais pas super
bien chanter à mon avis. J'avais ma personnalité, ma gestuelle,
mon truc. Mais on me disait: «Dis donc, ils sont vraiment bien tes textes.
C'est lui qui les écrit hein, c'est ça?» ou «Qui est-ce
qui les écrit?». Et, à la fois je jouissais de dire:
«Mais c'est moi. » Et à la fois, j'étais, je pleurais
de devoir dire que c'était moi. Euh, je voulais dire un autre
truc à ce propos. Ça ça a était, en fait, ça
était une de mes premières prises de conscience du
problème féminin
161
dans l'art. Cette question du texte. Parce qu'en effet, du
côté de l'intellect, du sérieux est l'homme.
Peut-être que je m'éloigne mais je vais aussi te raconter cette
anecdote. Donc je joue avec Claire Bellamy qui est contrebassiste. La
contrebasse c'est un instrument, assez viril. Y a pas mal de femme
contrebassiste au fond, enfin moi j'en connais pas mal. Mais c'est quand
même un instrument qui est connoté virilement. Il a une forme de
corps féminin si l'on veut. Il demande de la force, de la taille, euh,
de l'attaque. Et Claire a une énergie à part. Dans son apparence,
elle est plus brune que moi, elle a plus de sourcils que moi, elle a un visage
plus découpé que le mien. Elle est moins féminine. Elle
dégage une énergie moins féminine. Je ne dis pas qu'elle
est moins féminine que moi, c'est faux. Mais elle, elle, elle a l'air
plus rentre-dedans, plus, donc plus masculine. Et il s'est produit aussi
plusieurs fois, que quand on faisait un gig355 toutes les deux, les
responsables disent: «Donc pour la facture je m'adresse à Claire,
hein, c'est elle qui s'occupe de l'administration.» Or c'est moi qui m'en
occupe. Mais elle avait la gueule de l'emploi, du côté de la plus
virile. C'est elle qui a l'air la plus cash, la plus sérieuse, la plus
virile, la plus. Je sais pas. Je m'exprime pas très bien, c'est pas
très net pour moi ça. Mais j'ai ressenti très fort
à ce moment-là aussi que du côté, tout ce qui
était sérieux, donc les chiffres, tout ce qui était
finalement puissant aussi, et pas délirant et pas
poum-poum-poum-vous-avez-fait-le-spectacle-vous-êtes-sympas,
c'était du côté de celle qui avait, qui possédait le
plus de caractéristiques masculines.
AL: Et pourtant si on regarde dans le domaine du spectacle en
général, l'aspect administratif est souvent relégué
aux femmes.
JK: Absolument. C'est pour les femmes. Mais, en l'occurrence,
c'est pour ça que je dis, bon moi c'était vraiment un ressenti
hein, parce que c'était le moment où on allait parler de fric,
donc parler de choses sérieuses. Voilà c'est juste pour
ça. J'ai eu la sensation... En fait parce que je me suis demandé:
«Pourquoi est-ce qu'ils pensent que c'est Claire qui s'occupent de
ça?» Peut-être parce que c'est le vrai boulot aussi.
je sais pas. Enfin moi je l'ai pris de manière, euh, je l'ai pris un peu
mal.
AL: Mmh. Parce qu'en plus c'était toi qui était
en contact avec eux directement?
JK: Oui!
AL: Ah oui, donc ça n'avait aucun sens.
JK: En plus c'est arrivé de nombreuses fois. Tout
venait de moi, le, le contact était des mien. Ouais... Bizarre.
AL: Et, tu as cité, euh, Françoise
Héritier, est ce que tu as lu d'autres livres qui ont pu t'inspirer sur
le féminisme? Ou, et notamment, je pense à Judith Butler qui a
pas mal parlé et qui a inspiré pas mal d'artistes. Et je me
demandais si ça avait pu, toi te questionner.
JK: Et non, j'ai pas du tout lu ça. En fait j'ai
très peu lu sur le féminisme.
AL: D'accord.
JK: J'ai lu deux bouquins de Françoise Héritier
parce qu'elle posait tellement bien la question de dire: «Maintenant on va
chercher, en deux volumes, à savoir pourquoi la domination
355 Note de JK : « (Argot) Spécialement en jazz,
terme de l'argot des musiciens qui désigne un engagement occasionnel
généralement sans enjeu artistique. Source wikipedia ! »
162
masculine, pourquoi? Pourquoi rationnellement? Pourquoi?
Sociologiquement, ethnologiquement... Et, qu'est-ce que. Les seuls trucs que
j'ai lu qui pouvaient se rapprocher de ça c'est Journal de la
création de Nancy Huston. Qui parle de cette question de la
création et de la procréation. Elle postule que la
procréation, si j'me souviens bien, est censée être
réservée aux, comme elle est réservée aux femmes,
la création doit être réservée aux hommes. Et qu'on
ne peut pas faire les deux. Et en fait elle écrit cet essai alors
qu'elle est enceinte. Y a pas mal de chose. Elle parle beaucoup d'une chambre
à soi dans ce bouquin là aussi, si je ne confonds pas avec un
autre. Euh... Mais non en fait, j'ai pas beaucoup lu. Je serai curieuse de...
Donc si tu pouvais me donner des références je serai curieuse de
les lire.
AL: Avec plaisir. Ok. Du coup, tchouc tchouc. Eum... C'est
génial en fait parce que, il y a plein de choses sur lesquelles je peux
passer parce qu'elles sont déjà dites. Dans, dans tes projets,
enfin moi je t'ai toujours vue quasiment en solo ou invitée, ce qui
donne quand même une place particulière, et entre mixité et
non-mixité, pour toi, quels sont les projets, les productions en tout
cas, les, qui te paraissent nécessaires, ou du moins les plus
intéressantes?
JK: Je ne comprends pas la question.
AL: Eum. En fait, je me suis posé pas mal la question
sur ces ateliers non-mixtes des, des, de groupes féministes, qui ont
permis à des femmes de prendre une parole qu'elles n'avaient, qu'elle
n'arrivait pas à prendre quand un homme, euh, monopolisait la parole.
Et, même s'ils étaient de bonne volonté de venir dans ces
groupes de paroles féministes, mais de, force est de constater que s'il
y en avait un, il parlait une demi-heure sur une heure. Et, euh, d'ailleurs
c'est comme ça que les groupes non-mixtes se sont faits, au MLF par
exemple. Et au fur et à mesure, ça a été un constat
qui a été conservé et donc une solution qui a
été gardée.
JK: Mmmh-m
AL: Et finalement, quand on voit les productions artistiques,
il y a des non-mixités qui ne sont pas forcément
intelligées de cette manière. Mais, euh, néanmoins, il y a
des fois on est amené-e à jouer que entre femmes, que entre
hommes ou mélangés. Qu'est-ce qui est intéressant? Est-ce
que ça présente des avantages, des inconvénients? Est-ce
que, justement, ça pose la question d'un langage qui serait plus
féminin, un langage qui serait plus masculin? Tu parlais
d'écoute, de concours à la technique, euh, tu vois, de
bataille... Est-ce qu'il y a, est-ce que ça peut-être enrichissant
ou au contraire handicapant, les deux?
JK: Euh...(Silence) Euuuuuh! (rires) Je ne.
Actuellement je ne fais pas toujours la différence, entre les groupes
mixtes ou non-mixtes. Si on ne me la fait pas noter en fait. Si on ne me la met
pas sous le nez. Eum. Par contre, quand même, pour moi c'est une
maturité, en fait ça a été avec une, un gain de
maturité, ça a accompagné un grain de maturité pour
moi de commencer à travailler avec des femmes. Puisque longtemps
je n'ai travaillé qu'avec des hommes. Et j'étais donc la
chanteuse, l'écrivain, ou la fille qui trouvait des plans ou tout
ça en même temps. D'ailleurs souvent tout ça en même
temps. Ou alors je jouais dans des pièces de
théâtre, donc on était... pas toujours en mixité
d'ailleurs. Mais la distribution était, dans un cas par exemple, on
était deux femmes sur scène et un musicien mais qui avait un
rôle second, secondaire. C'était l'homme qui écrivait et
une femme qui
163
mettait en scène. Dans un autre cas, extrême
où on était dix comédiens sur scène
également en nombre hommes et femmes. Le scénographe était
masculin et le metteur en scène était masculin. Euh. Mais j'me
suis pas trop posé la question. Ça s'est produit comme ça.
Après, y a eu un moment où j'ai choisi, sciemment de jouer avec
des femmes. Quand j'ai rencontré Claire, je me suis, j'ai, je me suis
consciemment poussée à lui poser la question, en disant:
«Est-ce que tu veux bien intégrer mon groupe?» On était
déjà quatre, elle a fait la cinquième. Et très
rapidement: «Est-ce que tu es d'accord pour qu'on fasse un duo?»
Et je me suis sentie très bien de travailler avec une femme.
Ça m'a beaucoup reposée en fait. J'ai eu l'impression qu'il y
avait un tas de rapports de force qui n'existait plus. Euh... Et puis
qu'il y avait un sérieux aussi, qui était, ça,
ça m'embête toujours un peu de parler comme ça mais
tant pis je vais le dire. Je trouve que, les femmes que je fréquente
dans le domaine musical me semble, heu, un peu plus que les hommes,
sérieuses et aimer le risque. Je trouve qu'elles vont loin. Les
deux personnes avec qui j'ai fait ce spectacle qui s'est joué cet
été, c'est des, c'est des filles qui prennent des risques. Elles
n'ont... Elles y vont quoi. Et j'ai l'impression que... Et c'est
peut-être ça! C'est peut-être la réponse à ta
question de toute à l'heure. Est-ce qu'il faut être meilleure pour
y arriver. Peut-être que c'est ça. Peut-être que les femmes
qui font ça prennent un peu plus de risque que les hommes et qu'elles
bossent un peu plus sérieusement. En tout cas moi ça m'a
reposée et puis maintenant je m'en fous. J'ai un duo là avec un
pianiste qui m'a, que, c'est Minvielle qui m'a recommandée à ce
gars-là qui est un type très intéressant. Euh. Je. C'est
un bonhomme plus âgé que moi certes. Mais je ne sais pas si
ça le désexualise pour autant. Je n'ai pas du tout conscience de
jouer avec un homme ou avec une femme. Je m'en fous, je joue avec quelqu'un. Et
j'aspire à ça maintenant. J'aimerai bien y arriver.
(Silence)
AL: Eum. Alors, j'aurais ma dernière question à
la fin. Mais je voudrais juste voir si je n'ai pas oublié des choses
parce qu'on, c'était très riche. Et je sais qu'il y a des choses
qui sont passées un peu à la trappe. [Pause thé] Oui, par
exemple je te demandais où était la peur. Et.. Tu m'as
répondu de manière très intéressante d'ailleurs. Et
je ne t'ai pas demandé où se trouvait le désir, chez
toi.
JK: Mmm!!
AL: Quand même.
JK: Oui! Le désir! Aie, aie, aie. C'est super, c'est
devenu, en fait ça a toujours était très important. Bon
alors, pareil. Pas d'ordre croissant ou décroissant. Y a le désir
d'être aimée, c'est sûr. Mais c'est un «désir
de», pas un désir pur. Y a le désir de me rencontrer. Ce qui
va avec cette jouissance et la peur de ne pas la trouver. Hein, le désir
de trouver, d'aller en face de quelque chose, qui est au-delà du bien et
du mal.
AL:Mmmh.
JK: Pour ne citer personne et sans rapport avec Nietzsche
vraiment mais. Oui ça en fait. C'est au-delà du bon et du
mauvais, y a un truc qui brûle est qui réchauffe. Et ça je
désir ardemment me rapprocher de cette chose-là. Et
peut-être le désir d'avoir peur aussi. Mais le plus important je
crois que c'est le deuxième que j't'ai dit. C'est vraiment le
désir d'aller chercher!
164
Le désir d'être dans cet état de
concentration flottante aussi. Le dés... En fait, cette chose
brûlante et chaude dont je te parle c'est à la fois, euh, un
état et quelque chose. A la fois un état et un... et un objet.
Mais c'est aussi un état. Un état à la fois de flottement
et d'extrême concentration. Qui est... Je sais pas je pense que les, je
pense qu'on peut devenir fou avec ça. Je pense pas que ça me
guette. Je pense que les grands mystiques doivent avoir ce genre de plans.
'fin, tu vois, j'ai, j'mets ça très loin quoi. Pour moi ça
se passe très loin.
AL: Ça a été très
théorisé en danse ça. L' «awarness», ils
appellent ça. Où, très rapidement en fait en danse ils se
sont mis à fermer les yeux. Et donc il fallait avoir une conscience de
l'autre et donc une concentration extrême pour, en fermant les yeux,
savoir où est l'autre. En fait, être en mouvement, réussir
à ne plus, à être tellement conscient de l'extérieur
et de soi, que le mouvement n'est plus empêché. C'est à
dire que si je ferme les yeux et que je suis pas attentive, je suis
obligée d'aller doucement sinon je me cogne à la table. Alors que
je si je suis dans un tel état de concentration etc. je sais où
elle est et je l'évite. Et donc je ne suis pas obligée
d'être lente.
JK: Mmmh.
AL: C'est comme si j'avais des yeux. Et ça a
été pas mal théorisé et c'est très
intéressant.
JK: Et donc ça ouvre les limites. C'est bien. C'est
super ce que tu dis. D'une part ça m'intéresse aussi beaucoup, de
lire si t'as des choses là-dessus.
AL: Faut que je retrouve. Oui, mais j'ai ça.
JK: Mais en plus, y a l'idée encore une fois des
limites. De la liberté. Parce que la liberté c'est ça
aussi. La liberté c'est cette chose qui est si
désirable. C'est d'un seul coup de se dire: «Tiens bin
ça j'en ai plus rien à foutre!». Et t'as l'impression de te
débarrasser de sales peaux quoi. Et en plus parfois c'est
définitif. Je ne pense pas que l'on monte sur scène pour se
soigner; Je pense que c'est un peu risque de penser ça. Mais on nettoie
quand même des choses. (Silence) Mais pour moi, le désir
va avec le courage dont Bernard parlait hier soir aussi, tu vois, mais j'suis
assez d'accord sur les [mot parasité par le tintement de
l'église], et l'importance du courage. C'est un mouvement. Pour moi le
désir c'est un mouvement. C'est actif. C'est une motion quoi.
AL: Ils appellent ça en danse aussi, la
«motion». Ok, je vérifie juste encore au cas ou. Ok, c'est
super. Et puis peut-être qu'en réécoutant après, y
aura des choses sur lesquelles je voudrais revenir plus tard.
JK: Oui, oui. T'hésites pas hein, même par mail
si tu veux. Je peux te répondre par écrit aussi, ou par Skype, ou
par téléphone.
AL: Et pour le coup, juste ma dernière question;
à Uzeste, pour toi, alors... Tu m'avais dit qu'il n'y avait pas d'art
masculin/féminin, mais, euh, est-ce que tu penses qu'il existe quand
même du féminin et du masculin?
JK: En général?
AL: Oui
JK: Oui.
AL: Alors pour le coup, pour toi à Uzeste, où
serait le féminin et le masculin?
165
JK: (Silence) Je pense que le féminin et le
masculin sont, inégalement répartis chez les personnes, chez les
individus. Partout. Et je pense que c'est la même chose à Uzeste
qu'ailleurs. C'est à dire qu'y a, si on parle des individus, y a du
féminin chez, à peu près, j'pense tous les musiciens que
je connais à Uzeste ont une part féminine importante. Ouais je
dirai même «importante». Et je pense que les... Pour les autres
femmes qui interviennent à Uzeste, je dirais presque «à part
toi» mais je peux pas te compter dans le truc puisque tu es
l'intervieweuse.
AL: Si, si, parce que...
JK: En tout cas moi, j'me définis, et j'pense que toi
aussi, comme quelqu'un qui a une part masculine importante aussi. Moi, en tout
cas, je me perçois comme quelqu'un qui a une part masculine importante
dans l'action, dans les choix, dans le positionnement. Donc, pour moi c'est des
choses, c'est des natures. C'est comme si on disait: «Bon alors le blanc
est féminin et puis le noir est masculin. Les yeux bleus sont
féminins, les yeux noirs sont masculins. Les cheveux blonds sont
féminins, les cheveux noirs sont masculins... A ce moment-là on
dirait: «Fabrice Vieira, qui a les cheveux foncés, les yeux
foncés, la peau foncée, est masculin ». Et moi qui ai les
cheveux clairs, la peau claire, les yeux clairs, suis féminine. Sauf que
ça n'a aucun sens. (Silence) Et puis qu'ils y a des hommes qui
ont les cheveux clairs, et ainsi de suite. Enfin mon exemple est pourri. Mais
tu vois ce que je veux dire.
AL: (rires)
JK: Pour moi c'est juste des couleurs qu'il y a chez les gens
quoi. Y a des... Et ça peut changer hein, ça peut bouger, mais.
Mais en fait si je regarde bien, les personnes qui sont permanentes à
Uzeste, des permanents à Uzeste: Bernard; il a une part féminine
importante pour moi. Pas dominante mais importante. Louis; je le connais
très peu, mais il me semble que oui. Jules j'en suis sûre. Thomas;
je pense que c'est assez équilibré. Enfin quand je dis que c'est
«équilibré» c'est pas mieux que ce soit
équilibré. Fabrice; je sais qu'il a une part féminine
importante. J'oublie personne... Et après si je vois, Paolo, Matis, tous
les autres...(Silence)
AL: Et, pour toi où sont les hommes et où sont
les femmes à Uzeste Musical?
JK: Pfff... J'vais dire un truc horrible mais je dois le faire
quand même; les hommes sont sur scène et les femmes sont à
la cuisine. Et à l'organisation. Pas mal. C'est pas suffisant de dire
ça, bien sûr. Mais ça reste un peu ça. Quand je dis
«ça reste» c'est que bien sûr je souhaiterais que ce
soit un peu moins, eum, un peu moins distribué comme ça, un peu
moins tranché. Euh... Voilà. Les hommes sont aux
décisions. Et les femmes sont aux participations. Ce qui est pas si mal,
hein. (Silence) J'ai envie de dire, les hommes sont chez eux et les
femmes sont invitées, mais ça ne concerne que moi ça. Je
pense. Parce que c'est pas forcément vrai de Martine, ni de Laure
d'ailleurs, tu vois.
AL: Oui c'est vrai qu'il y a eu Laure qui a été
des fondatrices et qu'on ne voit plus. Alors que, finalement elle est plein de
fois sur les photos, c'est une des rares femmes d'ailleurs qui est sur le mur
de l'Estaminet, artiste, je compte pas Marie Lubat.
JK: Mais tu as l'intention de l'interviewer Laure?
AL: Oui, mais pas en...
JK: Ce serait intéressant j'pense.
AL: ...pas en discours analysé. Mais oui, oui. Mais
après je l'ai déjà fait. Enfin, j'avoue que je me suis
basée aussi sur elle, sur des questions où, elle m'a
apporté dans mes réflexions.
Post Entretien
[Discussion sur la place d'AL à Uzeste]
JK: Je pense que, souvent, les femmes sont dehors, les hommes
sont dedans, quoi!
AL: C'est marrant parce que domestiquement c'est plutôt
l'inverse.
JK: Oui, à l'intérieur ouais. Mais dans le coup,
dans le truc social, dans le coup quoi! Moi quand je vois un groupe de mecs
comme j'ai vu hier sur scène356, moi j'me disais, putain,
j'irai bien. Mais y avait quand même chez moi, encore chez moi à
mon âge Anna! Un truc qui disait: «J'suis pas dedans, c'est pas ma
classe». Bon c'est pas mes potes. C'est vrai. C'est pas mes potes. Des
potes j'en ai d'autres. Mais quand même! D'ailleurs, ton positionnement
physique sur scène était très flagrant à cet
égard. C'était la file qui regarde les garçons jouer. Avec
tout ce que ça véhicule aussi, de clichés et de
réalités de, 'fin moi je voyais ça.
AL: Qui jouaient, mais qui jouaient les enfants.
JK: Oui, ils faisait les cons. Enfin ils étaient...
C'est ça qui était beau d'ailleurs, c'est que tu les regardais
avec la maturité d'une adolescente qui regarde des adolescents. Je sais
que tu n'es pas une adolescente, ce ne sont plus des adolescents. Mais y avait
ce, pour moi cet éclairage-là de «sont vraiment trop
cons», «C'est pas possible d'être aussi cons»,
«Qu'est ce qu'ils font? je comprends pas.»
AL: Ah c'est marrant, c'est pas du tout ce que je voulais
mettre au point.
JK: (Incompréhensible)
166
356 parti Collectif, collectif de jeunes artiste
bordelais, très majoritairement hommes.
167
1.1.2.4. Entretien avec Fabrice
Vieira
Le 17 mars 2015, de 15h à 17h, 1h40
d'enregistrement
A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste
Musical, salle de réunion.
AL: Est-ce que en général, dans la vie ou sur
scène, tu te considères comme militant?
FV: Euh, ça oscille. Parce que dans "militant" moi
j'entends une forme de combat. Et que y a des fois j'suis militant et y a des
fois, je cherche; Je ne suis pas tout le temps militant, je pense pas. Mais
ça dépend effectivement des actions qu'on mène. Mais
j'essaie. J'essaie d'être militant au maximum des actions que je peux
faire.
AL: Et ce serait sur quel(s) terrain(s) dans ce cas des
combats?
FV: Euh... Après il faudrait s'entendre sur ce terme
"militant"? Toi, t'entends quoi par "militant"? Moi, j'entends quelque chose
d'engagée. Donc quelque chose qui lutte contre autre chose que l'on
dénoncerait. Et je ne suis pas tout le temps dans cet état que
l'on pourrait dire révolté ou assez insurrectionnel... Je... je
... y a un moment ou... peut-être pas comme tout un chacun, mais y a des
moments ou moi je, je, je faiblis aussi sur certaines choses et j'ai
l'impression de chercher le militant à certains moments. Donc ça
serait plutôt ça ma définition du militant. Donc dans
ça quand est-ce que je milite? L'endroit, l'endroit le plus
militant pour moi c'est effectivement l'endroit social du travail, en
général, que je suis le plus militant. Et est-ce que ça me
prend le plus large de mon temps... Et c'est ce qui me passionne.
C'est, c'est... de cet état social du travail, multiforme, de trouver
les moyens de changer, ou de militer, donc de changer et de me changer aussi en
même temps quoi. [...]Mon militant il n'est pas axé que
sur une seule chose. Il est presque multiface, pour tenter d'améliorer
la compréhension et une certaine... liberté,
égalité... Voilà. [...] Militant ça va être
par exemple euh, d'un point de vue organisationnel d'un
évènement, c'est comment chacun peut trouver sa place... sociale,
comment il peut gagner sa vie et le mieux possible dans des conditions de
travail meilleures. Après, d'un point de vue artistique, c'est trouver,
il faut que chaque personne puisse développer et s'émanciper
à l'endroit même, au maximum de ce qu'il veut et ce qu'il peut
quoi. [...] Si je voulais rapprocher un terme vague et en même temps qui
préciserait c'est plutôt de lier le militantisme avec l'humanisme
au maximum. [...]
AL: Là, tu viens de parler de trouver sa place, pour
toi quelle est ta place à Uzeste, comment est-ce que tu t'y
définirais?
FV: Euh, je ne sais pas comment je pourrais la définir
sur Uzeste. Ca fait plus de 20 ans que je travaille à Uzeste.
J'ai un peu, en 20ans, balayé un nombre incalculable de places.
Du strapontin à la technique, à tout un tas de choses. Mais par
choix! C'est pas du tout subi. Par choix et puis par volonté,
justement, de trouver, de trouver ma place tout en aidant d'autres à
trouver la leur. Et en servant un processus au maximum de ce qui pouvait servir
le processus. Donc ma place de maintenant elle est un peu faite de
toutes ces places-là. C'est à dire comme j'ai balayé un
peu, un... beaucoup nombre de places, je me retrouve un peu, dans un endroit
que j'avais pas prévu, de responsabilités autant administratives,
que techniques, que artistiques. Qui bougent entre elles. A certains
moments ce doit être plus certaines positions qui doivent être
mises en valeur etc. Mais c'est
168
un peu toutes ces contradictions et en même temps toutes
ces diversités qui s'affrontent... dans ma place. Donc je me suis
laissé découvrir des places... depuis tout le temps. J'ai pas une
place calculée que j'avais en arrivant ici, à part la
volonté d'être artiste. Ça c'est la place que je veux, mais
en général dans la société quelque part. Que
j'apprends ici d'ailleurs. Cette place là c'est une place de ....
Après la place ici elle découle de l'ensemble des
problématiques que j'ai découvert... Mais, moi au centre, c'est
l'artistique. A partir de là, prendre le relai pour que l'artistique
soit toujours le sens de l'activité ici. [...] Donc ça se traduit
par des choses concrètes comme, effectivement, quand les administrateurs
ont tous fuis, se retrouver à faire l'administrateur, chose que je
n'avais pas prévu de faire, du tout. Ou directeur technique, quand je
suis arrivé, les premiers mois, le directeur technique est parti et
tu te retrouves à faire directeur technique alors que t'y
connais rien en fiche technique et en... et en technique.
AL: T'étais pas technicien avant?
FV: Non. J'avais fait beaucoup de scène, donc j'avais
un rapport avec la scène, donc je connaissais les termes etc. mais
comment marchait une fiche technique en relation avec un théâtre
professionnel, des équipes professionnelles etc. Donc j'ai repris des
documents qu'avait laissé le... et puis j'ai appris. Mais il fallait le
faire parce qu'il y avait, de toutes façons, un vide, et ce vide il, il,
y avait personne d'autre qui était là pour le faire. Donc il a
fallu quelqu'un pour le faire. [...]
AL: Et pour toi qu'est-ce que c'est Uzeste
Musical?
FV: Euh.... grande question! Déjà c'est une
sacrée aventure, qui dure donc depuis plus de 38ans. Moi ça fait
pas 38ans que j'y suis, 20ans à peu près. Pour moi ça a
été un choix... Euh faudrait remonter à mon cas personnel,
je ne sais pas si c'est trop le sujet du mémoire. (Signe d'y aller
de ma part) Moi je suis en région parisienne, je suis né en
région parisienne. Je fais de la musique. Je fais partie d'une chorale
qui est à l'époque qui est euh... un peu reconnue à Paris.
On fait des tournées d'été. On fait du jazz en
chorale. Et un moment on doit faire un concert avec la Cie Lubat, donc
j'ai 13ans. Et, et à l'occasion de ce concert-là, donc on fait
une rencontre la veille du concert avec la Cie, un atelier pour faire
le final. [...] Et là je suis tombé amoureux, en tout cas cette
musique-là m'a secoué, et elle a changé absolument tout,
les choses. Et à partir de là je suis resté en contact,
surtout avec André Minvielle. Et on s'est vu souvent, j'ai essayé
de venir ici, j'ai travaillé ici comme bénévole comme
ça, un été, après je suis reparti parce que
c'était compliqué... à cet âge-là. Et de fil
en aiguille, Uzeste Musical ça a été un peu une
façon de voir le développement personnel artistique, très
tôt pour moi. Même si j'étais pas de cette
région et quelque part avec aucun lien qui ferait que je pourrais
m'investir là quoi. Donc je suis venu pour les premiers
Uzestivals, je faisais l'aller-retour à Paris les week-ends, je
venais jouer. J'avais plutôt 17ans.
AL: Tu venais jouer sur la scène de...
FV: Je venais faire les bals ici. Et je venais écouter
les concerts tous les week-ends. C'est les premiers Uzestivals, ça doit
dater vers 90, 91. Pas les premiers, y en a eu en 85, mais pour
169
ma part c'était plutôt 90. Et la Cie,
dès qu'elle pouvait me faire jouer, dans les bals, en région
parisienne etc., etc., donc il s'est tissé comme ça, sur le
long-court une, une sorte d'amitié, en tout cas d'échange.
Même si j'avais pas encore décidé d'être artiste
à ce moment-là, ça a toujours guidé mon parcours
comme un exemple que, de toutes façons, je voudrais suivre, dans cette
capacité à créer un lien social, un environnement, un
labo, et en plus essayer de peser sur la société, sur ces choix
militants de la société. On rejoint le militant. C'était
une façon de découvrir ce militant, de découvrir la
politique, de découvrir... euh, c'est quoi de se mêler de la
cité. [...] Après, Uzeste Musical, tel qu'il se
transforme, je pense que c'est un labo. Un labo émancipation pour
tout... Les artistes ici peuvent créer, ils peuvent se tromper, comme il
existe, à mon avis, très peu maintenant en France. Je
dis pas qu'il en existe pas ailleurs [...]. Mais ici, effectivement on peut
créer des spectacles, on peut prendre le temps de se tromper. On peut
prendre le temps de créer des spectacles, de proposer des choses qui
font que l'artiste change... littéralement. Donc c'est un vrai labo, un
vrai lieu d'expérimentations, voilà. Pour moi c'est ça
Uzeste Musical. Du point de vue de l'artiste. C'est à dire,
c'est l'artiste et l'artistique au centre [...]. C'est pas le cas de beaucoup
d'endroit où l'on te demande de tout de suite être performant, de
calibrer un projet, ou de rentrer, de tout de suite demander des coproductions
avant de créer [...] Après Uzeste Musical pour moi c'est
aussi une euh, comme je venais de région parisienne, plutôt milieu
rural, c'était une façon de, face à ce que je voyais se
développer un peu partout en France, aussi une façon de repenser
ce que les gens appelaient la décentralisation culturelle et la
politique du territoire. C'était aussi allier un projet qui met
l'artiste au centre de la société comme activiste, comme acteur
de la société, et en même temps pouvoir être force de
proposition d'un point de vue écologique, au sens large de "vie" dans la
cité, et après d'un point de vue social et politique de vie
aussi, pouvoir peser etc. Bon ça j'ai un peu, pas
déchanté mais, je me rends compte que c'est très
très difficile. Mais pour moi ça reste ça Uzeste
Musical. Même si ça parait comme un échec cette
histoire-là, politique, sociale et écologique, je pense que c'est
pas Uzeste qui est l'échec, c'est plus tout ce qui est autour qui a
rendu ça échec. Mais les plans, les potentialités de
changements, de réinventer une ruralité moderne, de
réinventer une décentralisation culturelle, de réinventer
une politique, réinventer le mot politique etc., y a eu plein de pistes
qui ont été envoyée par Uzeste Musical. Et pour
moi ça c'est central aussi dans ce qu'est Uzeste Musical.
[...]
AL: A Uzeste, j'entends souvent parler de désir et de
peur, comme une espèce de dichotomie, ou de duo/duel. Et je me
demandais, pour toi, où est la peur et où est le désir.
FV: ... La peur, la seule peur que je connaisse ici c'est le
moment de monter sur scène. Et d'ailleurs, si ça devait
disparaitre, ça peut sembler un peu con parce que tout le monde dit
ça, mais, mais des fois ici on ressent vraiment, on le ressent vraiment
quand... parce que quand y a pas grand monde des fois en face, mais même
quand y a du monde... La peur c'est ça quoi. Le désir c'est, je
pense que c'est... Le désir personnel c'est de se voir avancer, de se
voir toujours apprendre des choses nouvelles quand même, même si
des fois il faut se remuer, des fois c'est long...héhé. C'est pas
très gratifiant, d'apprendre comme ça. Après le
désir ça
170
pourrait être quand je vois que d'autres y arrivent, et
que d'autres s'emparent de tout ça, voilà. Surtout le
désir je trouve qu'il est bien quand il est partagé. Quand c'est
juste, si ça devait être juste mon désir, je... Quand le
village vit, que tu as pu participer à lancer des idées ou
à proposer des choses qui fait qu'à un moment donné, y a
un lieu de vie qui s'anime, y a des gens, y de la joie, y a du commerce, y a
tout un tas de choses. Tu vois, quand tu réactives, ça c'est du
désir de réactiver un peu, euh, la vie. L'été,
ça fonctionne, y a quelque chose que t'aurais du mal, d'un point de vue
désir, que ça s'arrête. [...]
AL: [...] En revenant sur des choses plus
générales, pas forcément à Uzeste, là
j'interroge plutôt une culture de la Culture, finalement, pour toi quelle
serait la répartition hommes/femmes dans le domaine culturel.
FV: Un état des lieux?
AL: Ouais.
FV: Alors euh... D'un point de vue musicien, je vois que
c'est.. c'est.. c'est un milieu très masculin. Je connais pas le milieu
classique, mais je vois que dans le milieu classique ça a l'air
d'être pas du tout pareil. En lien à la formation je pense. En
lien à la formation des conservatoires avec une, un travail d'excellence
qui est fait qui est plus ouvert. Le milieu administratif et très
féminin, pour le coup, en culturel. Pas beaucoup dans les directions,
les directions des grandes maisons sont rarement des femmes. C'est surtout des
directions, c'est des hommes. Souvent t'as beaucoup de secrétaires de
direction femmes. T'as un peu un reflet de la société, en tout
cas dans l'administration, t'as un peu des fois un reflet de ce qu'est la
hiérarchie, de ce qu'on pense être une hiérarchie
d'entrepreneuriat, ou je sais pas, hein, c'est ce que je pense. Euh, dans le
milieu de la danse, je pense qu'effectivement y a une représentation
aussi équitable ou équilibrée si on peut appeler ça
comme ça. Mais qui est encore due à la formation. Et dans
la musique qu'on pratique nous, la formation s'est drôlement
développée depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, y
a un équilibre qui est en train de s'opérer, avec de nombreuses
femmes qui, qui, qui trouvent leur place dans l'histoire de cette
musique...jazz, improvisée, jazz et musiques improvisées
quoi.
AL: Là tu me parle d'une avancée vers un
équilibre, tu penses que ça s'opère par quels moyens?
FV: Par la formation je crois. Surtout. Par les écoles
qui ont donné... et en plus, comme souvent c'est des jeunes filles qui
ont fait des écoles depuis très tôt, depuis très
tôt elles ont trouvé leur façon d'évoluer à
côté de leur génération de garçons. Et
souvent elles sont, de toutes façons elles sont aussi capables et elles
sont, après, aussi fortes à la sortie de ces écoles que
beaucoup de garçons. Après, en ce moment elles
bénéficient d'une no-men's, d'une phase un peu de... de
grâce; comme elles sont pratiquement les premières, ou elles sont
une nouvelle génération de premières... Euh... C'est
drôle parce que des fois on en fait...les programmations, les
théâtres, en font beaucoup sur elles, elles en font des fois
beaucoup moins sur des garçons autant capables. Y a un espèce de
renversement dialectique un peu volontariste aussi qui s'éprouve. Pour
moi c'est la formation qui a changé beaucoup de choses. La formation et
les écoles, mais c'est aussi la démocratisation des
écoutes. On accède
171
de plus en plus facilement à de l'écoute de
musique, donc à pouvoir se... à pouvoir complètement
être immergé dans... On peut découvrir des choses de plus
en plus rapidement, et ça amène aussi un équilibre de
formation, pas que par les canons de l'école, par le biais de
l'école mais vraiment par cette écoute, par cette euh...[...]
AL: J'ai fait le choix de prendre des citations de Marie
Buscatto qui a beaucoup travailler sur les musiciennes, les chanteuses aussi
mais surtout les musiciennes, de jazz. Et je trouvais ça
intéressant puisque, ici vu qu'il y a un choix qui est fait un peu
à l'encontre des chanteurs/chanteuses...
FV: Ouais.
AL: ... avec une envie pour la musique, que ce soit
incarné par des musiciens ou musiciennes. Je me suis
intéressée à son travail sur les musiciennes de jazz.
FV: Oui.
AL: Donc par exemple je cite: "Les musiciennes de jazz ont
souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente sans cesse
renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux". Est-ce que
toi tu ressens cette bagarre dans d'improvisation, en général,
même en tant qu'homme? Et est-ce que tu t'es senti témoin, euh...
d'une particularité envers ou pour les femmes dans cette
bagarre-là?
FV: Alors moi je me sens me sens pas du tout dans
cette bagarre-là. Par contre elle a existé effectivement. C'est
plus une ancienne génération de jazz qui, euh, et peut-être
aussi une ancienne génération de chanteuses, qui étaient
dans un modèle qui se reproduisait. Et la chanteuse c'est quand
même souvent elle qui avait l'affaire, elle qui avait trouvé
l'affaire. Et les jazzmen ils étaient... ça c'est vraiment pas le
jazz du début, c'est vraiment le jazz des années, je dirais 90
etc, ce que j'ai connu, voilà, et les jazzmen étaient un peu dans
une nostalgie d'une époque qu'ils ont pas connu dans les années
60, de... d'un laissé aller et d'un... Et en même temps, comme
c'était une femme qui avait l'affaire, qui est la chanteuse, c'est elle
qui trouve l'affaire, c'est elle qui va devant, c'est elle qui parle, qui...
Ils étaient un peu dans une défiance de... je dirais un peu
sociale quand même, avec la femme qui, quand même, prend tous les
risques et à un moment. Eux n'acceptent pas cette domination, pour
certains, mais pour beaucoup, de mémoire. Avec des noms. Mais on va pas
le faire... Mais en même temps, ces même mecs-là, face, des
fois, à un autre directeur, pas forcément chanteur mais
trompettiste ou saxophoniste, ils étaient pas dans les mêmes
dispositions. Et à chaque fois l'argument c'est: "T'y connais rien
à la musique.", "Toi t'es une chanteuse, tu n'y connais rien à la
musique". Donc évidemment y a des anecdotes ou le mec change la
tonalité, elle comprend pas la tonalité ou des choses comme
ça, certaines chanteuses. Bien sûr y a tout un tas de choses. Mais
je pense que c'est un rapport, quand même, de domination, où le,
souvent la chanteuse dans ces orchestres c'est elle qui menait l'orchestre, et
y avait un peu une défiance à la meneuse. Maintenant je pense,
que euh, il reste encore des reliquats peut-être de ces
histoires-là, mais c'est vraiment, ça existe plus.
172
AL Mais la critique de, si on reprend l'archétype de La
chanteuse, c'est quelque chose qui est encore très courant.
FV: Oui, qui est très courant, mais en même temps
c'est plus que dans le jazz, ça peut être aussi dans la
variété, ça peut être dans le classique. On retrouve
le... Mais là, spécifiquement dans le jazz, y avait des
chanteuses qui, d'ailleurs des chanteuses qui faisaient l'affaire (qui
trouvaient les dates de représentations, géraient les contrats,
s'occuper de faire jouer le groupe), mais qui se retrouvaient à
gérer un peu des... des gens qui prenaient pas d'initiatives pour faire
avancer. Voilà ils étaient là au service minimal
derrière la chanteuse. Je pense que c'était une défiance
de celle qui avait l'affaire. Alors qu'avec un saxophoniste, dans le milieu
spécifique du jazz, c'était pas du tout le même, le
même rapport quoi. [...] Mais je pense que ça ça disparait
de plus en plus. Parce que y en a qui... parce que y a des chanteuses qui ont
beaucoup évolué aussi. Qu'ont développé, d'un point
de vue esthétique autre que le jazz, d'autres propositions qui sont dans
un rapport avec... l'improvisation en fait, a fait complètement exploser
le cadre de ça,[...] L'improvisatrice remet, du fait de cette histoire
de l'improvisation, une forme d'égalité.
AL: [Parle des improvisatrices souvent dans des spectacles
de non-musique (danse, théâtre, cirque..)]
FV: Et puis je pense que c'est pas que les femmes, je pense
que les garçons de cette générations sont aussi dans ce
rapport-là. Je pense que le jazz n'a pas su faire
évoluer, en général, même si y a des cas
particuliers différents, on a pas su faire évoluer son
modèle de domination et son modèle de fonctionnement. C'est
à dire y a toujours la recherche d'un leader, qui fait quand même
le double du boulot des autres, c'est à dire qui écrit, qui
trouve les plans et les autres derrière ils servent de sidemen,
ou les suiveurs. Y a cette mythologie-là aussi de l'histoire du jazz
aussi et des affaires du jazz. Et ces affaires n'existent quasiment plus, il
existe des reliquats de tout ça mais ça ne marche plus comme
ça. Et y a beaucoup de musiciens qui, ne trouvant pas de
désir justement, dans ce modèle-là, ils inventent
complètement un autre modèle. Et à partir de là,
s'ouvre à eux, pas qu'une esthétique ou pas qu'un milieu, s'ouvre
à eux un champ entier de l'artistique. [...]
AL: Avec Juliette j'avais discuté, une fois, à
la table ovale notamment, elle était à côté de moi
et je lui ai demandé: "Si tu y étais, tu aurais parlé de
quoi?" Et elle m'avait parlé de la légitimité. Et en
faisant des lectures, la légitimité est un sujet qui revient
régulièrement, sur le...
FV: Tu tombes très bien! Parce que c'est mon sujet
favori. Parce que je pense que c'est pas qu'un sujet féminin, c'est un
sujet central de la vie. Je pense, encore une fois en étant né en
banlieue parisienne même si un peu rurale, j'étais en lycée
dit à haut potentiel de garnements (Rires). Et pour moi
le sujet central c'est la légitimité des êtres. Y a des
moments où c'est la grande inégalité qu'il faut combattre,
mais on peut combattre que par, justement, impulser de
l'égalité. Y a des gens, pur des raisons X-Y, et c'est
comme ça, y a des gens qui naissent avec de la légitimité
et y en a d'autres, ils ne peuvent que le découvrir qu'ils ont de la
légitimité. Et c'est un combat. Moi pour ma part, ça a
été un combat aussi, de me sentir
173
légitime à dire à un moment donné:
"Je veux faire de l'artistique", ou "Je veux...", voilà, c'est un combat
à mener. C'est un combat qui n'est jamais gagné d'avance, il faut
toujours repousser les limites de ça. Dès que ça n'existe
plus c'est qu'on se trompe, c'est qu'en fait-on... Voilà, pour moi,
c'est une façon d'être militant aussi. [...] Y a aucune loi qui
peut donner ça. Y a aucun quota qui peut donner ça. C'est comment
faire comprendre à tout le monde qu'il est légitime.
Justement, du moment qu'il a le désir d'apprendre et de franchir
des étapes, tout le monde peut arriver à quelque chose. Mais pour
ça il faut l'impulsion nécessaire minimale, et cette impulsion
nécessaire minimale j'ai l'impression qu'elle s'appelle
"Légitimité". Voilà, c'est le cadre
général. Pour plein de jeunes gens en ce moment, je pense qu'on
leur dit pas assez qu'ils sont légitimes, de faire, de penser et donc on
se réfugie dans plein de choses. [...] A un moment donnée, tu
nés, tu es légitime. Le vivant est légitime. A partir de
là, on peut tout se permettre. C'est à dire y a un espèce
de socle d'existence, où t'existes quoi.
AL: Après quand tu dis "Aucun quota ne peut "...
FV: C'est exagéré, effectivement.
AL: Nan mais sur le moment je peux comprendre que la personne
qui est choisie pour remplir le quota ne se sente pas légitime-à,
parce qu'elle peut considérer que c'est pour remplir le quota. Mais
est-ce que, en tant qu'enfant, si mettons moi y a 10 ans, je vois que sur les
listes électorales y a une grande diversité de sexe, mais aussi
d'âges, de races, est-ce que si moi je suis... une jeune femme noire,
ça ne eut pas me... me permettre de me penser si ce n'est
légitime, mais au moins potentiellement légitime à ...
FV: Oh c'est sûr.
AL:...accéder à ces postes-là?
FV: Si, si. C'est sûr. C'est sûr. Et d'ailleurs je
sais que pour les dernières nominations dans les théâtres
nationaux y a eu une volonté légitimiste, je sais pas si on peut
appeler ça comme ça, en tout cas y a eu un vrai volontarisme
d'inscrire des femmes en tant que directrices. C'est comme ça
qu'à Bordeaux y a Marnas au TNBA, et que là y a eu un grand
combat par rapport à des hommes qui, toujours pareil, qui disent: "Mais
pourquoi on va changer de député alors que ceux qui sont
là, y sont déjà, font bien leur boulot. " Donc pourquoi
est-ce qu'on changerait ce truc conservateur et qu'on ferait entrer les femmes
par la loi obligatoire alors que les autres font bien leur boulot. Mais le
sujet n'est pas là, effectivement. Le sujet il est dans une, dans donner
du symbole, je te rejoins effectivement, de donner du sens au mot
légitimité, ou égalité pour le coup.
AL: [...]
FV: Mais là-dessus je suis toujours en bisbille parce
que je... je sais pas si le quota est bon, si, enfin tu vois, je m'interroge
toujours là-dessus quoi. Je vois tout de suite le côté
positif, politique, c'est à dire pour accélérer les
choses, et je sais très bien qu'à chaque fois dans ça, y a
quand même un revers de la médaille. [Digression sur les
quotas des universités brésiliennes] En ça je trouve
que les élections qui se profilent maintenant [départementales],
je trouve que l'idée d'imposer un binôme est quelque chose
d'intéressant. Parce que ça prend
174
la place de personne. C'est pas l'élu qui, qui, j'ai
réfléchi ça y a pas longtemps, c'est pas l'élu qui
représente le canton, en gros c'est un binôme. Et c'est un
binôme homme/femme. C'est à dire que la femme n'a pris la place de
personne, par contre elle est l'égale de l'homme à cet
endroit-là. Là je trouve que c'est intéressant comme
proposition électorale.
AL: Oui et puis ça va permettre à beaucoup de
femme de se former à ces jeux politiques, certaines qui n'y verront
aucun intérêt et d'autres qui y prendront goût comme leurs
homologues.
FV: Et je me disais dans la représentativité
politique, ce serait pas mal d'avoir, à plein d'endroits, un
binôme. Plutôt que de nommer un homme ou une femme. Après
faut voir les endroits où y a une responsabilité... mais y a des
endroits comme les départements, les député-es, ça
pourrait être, hein, peut-être moins de député-es,
mais un vrai binôme sur le territoire plutôt que... Enfin sur le
territoire on a UN député, c'est homme, UN député
c'est une femme. Avec tout ce que ça trimballe comme, comme
conservatisme et comme, de toutes façons comme reliquats de la
domination de l'homme depuis longtemps sur ces sujets. Voilà, je trouve
que pour sortir de ça c'est presque l'égalité,
l'égalité de traitement, l'égalité des chances et
puis l'égalité peut-être symbolique du pouvoir. Pourquoi le
pouvoir serait détenu par, soit un homme, soit une femme? [...]
AL: Après, faut espérer que le
département ce ne soit pas, les hommes qui vont aux réunions
régaliennes, économiques, agricoles
etc. et les femmes qui aillent à la
santé...
FV: ...culture et la famille.
AL: Ouais voilà.
FV: Mais pour l'instant c'est comme ça. Et
évidemment ça sera encore comme ça partout. Tout ce qui
est finance, y a aucune femme qui tient les finances. De mémoire, je ne
vois pas de ministre des finances en France femme.
AL: Dans le genre, y a la garde des sceaux. [...]
FV: L'histoire des quotas, c'est troublant pour moi parce que
c'est toujours euh... Le problème c'est que quand on parle de quottas
j'ai l'impression qu'on parle de "prendre la place", si tu veux. Et donc on
déstabilise quelque chose quoi. Y a pas une transition qui se fait. Mais
en même temps, comme arme politique d'accélération du
temps, y a pas mieux, ça c'est clair.
AL: Et après, à Uzeste, si on
réfléchit en terme de quotas, en plus y a la "chance " d'avoir
différentes scènes. C'est pas parce que sur la quantité on
met autant d'hommes que de femmes, ou de black que de blancs, qu'ils sont
forcément aux mêmes endroits. On peut garder des "têtes
d'affiche" qui vont bien, qui font ramener du monde, sur les grosses
scènes, parce qu'il y a aussi l'enjeu économique. Faut que vous
surviviez. Mais... Tu parles de faire des quotas sans que personnes ne soit
évincé, de toutes façons dans les programmes y a toujours
des personnes qui sont évincées...
FV: Oh bin oui.
AL: Ne serait-ce que par les calendriers des uns et des
autres. Euh... Est-ce que c'est déjà un débat que vous
avez pu avoir ici?
175
FV: Non. Par rapport à Uzeste c'est souvent la critique
justifiée et/ou injustifiée, je sais pas, ça dépend
d'où elle vient aussi cette critique, de qui, qu'il n'y a pas assez de
femmes. Voilà. Euh... Quand on fait les programmes, ou même la
plupart des gens quand ils font leur programme, ils ne
réfléchissent pas en tant que sexe. Tu vois dans la
programmation, ça revient à ça, je pense que ça
deviendrait une erreur si on réfléchissait par quota pour le
coup. Parce qu'on passerait à côté du vrai choix et du vrai
échange artistique.
AL: Nan mais je me dis, pas que là-dedans...
FV: Peut-être que c'était pas la question.
AL: Si, si, c'est ça. Mais, j'essaie de te pousser.
FV: (Rigole)
AL: C'est à dire que je prends là le
modèle que tu viens de me décrire en politique, où tu dis
que justement, ça permet à des femmes notamment d'acquérir
des compétences parce qu'elles sont mises devant le fait de faire. Et
que, notamment la prochaine génération, pour le coup, elle se
retrouvera à devoir se battre autant que leurs congénères,
sans forcément discrimination positive...pour accéder à
des postes qui auront été acquis par quota. Est-ce que le fait
de... Si là demain, pour l'Hestejada, y a autant d'hommes que
de femmes, même si les femmes sont moins compétentes à
l'heure actuelle, mettons, supposons, sur la musique, est-ce que le fait de
pratiquer et de se retrouver confronter dans ces scènes-là avec
les personnes-là, parce que c'est aussi ça qui fait progresser
les uns les autres, ça ne leur permettrait pas d'aller vers les termes
que tu me disais; égalité, équité,
liberté.
FV: Ouais, ouais, ouais... Nan mais t'as raison. (Silence)
Si, mais je ne vois pas comment on pourrait le... C'est là
qu'intervient la notion qu'on essaie de faire, effectivement il faudrait
inviter des artistes... Il faudrait changer la méthode de
représentation des choses aussi. Je pense qu'il faudrait inventer des
choses. Pour avoir une égalité parfaite, presque avec un quota,
c'est par exemple, il faudrait dire: "Bin on fait un spectacle là, le
but du spectacle, le principe actif c'est l'improvisation, ce qui fait que tu
peux prendre 4femmes, 4hommes". Là tu peux le faire. Tu peux faire un
spectacle comme ça, tu choisis 4 improvisatrices que tu trouves
compétentes, 4 improvisateurs que tu trouves compétents ou plus.
Et puis tu fais comme ça et tu leur dis: "Voilà. Maintenant c'est
"égalité" vous le faites". Ça c'est possible. Mais c'est
la mode de... c'est le mode de jeu des uns et des autres qui doit
évoluer aussi pour que on puisse rendre actif cette histoire-là.
Je sais pas si je suis clair. Ça pose un problème de
représentation et d'un spectacle euh.... de quel spectacle on
écrit quelque part. Et nous comme on écrit pas de spectacles, on
est plus dans des jeux, d'inventer des gens qui sont dans l'art d'improviser,
donc qui sont capables de fournir eux-mêmes quelque chose très
rapidement pour échanger avec l'autre ou pour jouer quelque chose.
Je dis pas que les femmes sont pas capables de ça. Mais c'est
qu'il y en a encore, à mon avis, y en a mais y en pas tant que
ça. C'est en train de changer, ce rapport à l'artistique, y a des
femmes formées sur des métiers artistiques, de l'excellence,
très bien. Mais sont-elles toutes capables de jouer à ce
jeu-là, y en a-t-il beaucoup qui jouent à ce jeu-là? Je
sais pas.
176
Voilà. Et on les connait pas encore. Il faudrait
les connaitre pour pouvoir jouer à ce
truc, qu'on a découvert avec certains qu'on
pouvait jouer sous multiples-formes à ça. AL: Parce que
j'ai l'impression qu'ici ça apprend à jouer en jouant aussi, avec
les autres. FV: Ouais, ouais.
AL: Et je suppose qu'il y a déjà dû avoir
des challenges où l'on dit: " tel danseur et tel musicien, vous
ça peut être intéressant, donc faites quelque chose,
là, à la grange Chao"...
FV: Ouais, bien sûr.
AL: Et sur ce genre de challenge qui font progresser...
FV: Oui mais, pardon je t'ai coupé.
AL: Non, vas-y.
FV: Pour ça il faudrait qu'il y ait plus de jeunes
filles. Voilà. Et ça... Quelque part ça va se passer avec
une nouvelle génération ce truc-là. Ça se passe
avec l'ancienne génération y en a qui ont pris, y compris sur
Uzeste, y en a les gens avec qui ont a des parcours depuis longtemps, qui sont
des comédienne par exemple, qui ne sont pas... qui n'ont pas
plongé dans l'art d'improviser. Ca ne veut pas dire qu'elle n'excelle
pas dans leur domaine, mais elle n'ont pas choisi ce truc-là. Surtout
les comédiennes pour le coup. Juliette par rapport à ça,
Juliette elle a senti le truc en disant: "Maintenant, je pars sur l'idée
découverte avec Ducom [poète d'improvisation qui propose des
stages à Uzeste] de poésie improvisée, de poésie
orale improvisée. Ce qui fait qu'à partir de là,
évidemment, ce genre de pratiques tu peux la confronter avec d'autres
gens instantanément. A partir de ce moment-là tu es une artiste
qui peut jouer sur l'instant. Mais parce qu'on parle d'ici. Ici c'est un cas
particulier parce que l'improvisation est au coeur du projet artistique, pour
revitaliser l'art de la création. C'est pas vrai partout ça.
AL: Mais je vois par exemple cette expérience assez
douloureuse pour certains du... de quand on était 5 du parti
Collectif, avec Bernard, toi et les autres de la compagnie.
FV: "Douloureuse" je sais pas, mais peut-être que tu l'as
vécue douloureusement. (Rigole)
AL: Ah non, moi ça allé. Mais je pense qu'il y
en a certains qui se sont trouvés à rien savoir faire en
fait...
FV: Ouais, et là on été à
égalité, c'était un garçon ou une fille. Enfin
là c'était surtout des garçons parce que du parti
Collectif y avait que toi comme fille.
AL: En termes de quantité oui. Ouais. Mais tu vois cet
évènement-là qui a été douloureux pour
certains, leur a permis de se... de se dire, j'ai encore du chemin à
faire, il faut que je travaille l'improvisation aussi dans ce cas
scénique-là.
FV: Ouais.
AL: Et là c'est une chance qui leur est donnée,
et en effet, ce sont des jeunes hommes qui ont cette chance-là.
FV: Voilà.
AL: Et pourtant c'est pas par leur compétences qu'ils
arrivent là, c'est par... Là, ce qu'ils ont produit
c'était pas une demande de compétences particulières,
c'était une mise en situation, en fait.
177
FV: En imagination, oui.
AL: Oui, "mise en imagination". Qui aurait pu être
demandé même à une comédienne non-habituée
à l'improvisation, ...
FV: oui, bien sûr.
AL: ... et qui aurait pu justement être un
déclencheur à cette production. Est-ce que ça ça ne
pourrait pas être une aide...
FV: Si, si...
AL: ... vers l'égalité?
FV: Si, pour moi c'est... D'ailleurs on le voit dans la
musique parce que l'idée d'improvisation dans la musique, pas
forcément dans tous les conservatoires, mais de plus en plus, on apprend
de plus en plus la musique avec une approche de l'improvisation. C'est
rentré. C'est à dire que ces jeunes filles qui arrive à un
niveau professionnel ou reconnu d'artistique dans ce milieu de musique jazz
contemporaine etc... Elles ont été confrontées à
l'improvisation, elles ont un langage, que le classique n'a pas, d'autonomie
sur la rencontre, sur l'égalité. Donc ces filles-là elles
sont... Voilà, des femmes comme Joëlle Léandre,
c'était une des premières à se charger de ce genre de
trucs, et y en a d'autres en Europe parmi elles, mais elle elle était
une des premières à le faire. Elle joue avec plein de gens, dans
plein de projets différents. Voilà, mais y a des
générations maintenant qui arrivent qui savent très
très bien faire ça. Et ça a été parce que
c'est à l'endroit de la formation qu'il faut agir. Après il faut
des scènes comme ici qui soient capables de faire transpirer cette
formation. C'est pour ça que ça interroge les quotas, parce
qu'au-delà des quotas y aurait... pas un quota mais presque une
obligation, et c'est ce qui se passe ici, par l'impulsion volontariste de
Bernard, mais parce qu'il sait pour quoi, de forcer les gens à y aller.
Il faudrait que des endroits comme ici soient multipliés par beaucoup et
qu'à un moment, comme dans ces écoles ou dans ces conservatoires,
y a souvent autant de femmes que d'hommes , qu'il y est une espèce de
mise en situation immédiate pour rendre la légitimité
à tout le monde de pouvoir agir, même si t'es pas la
première ou premier de la classe. [...]
AL: Je retourne sur le sujet. Toujours Marie Buscatto, elle
travaille sur les réseaux de musiciens, et elle s'est rendu compte que
beaucoup de musiciennes sortent des formations en couple, ou lorsqu'elles se
professionnalisent se retrouvent en couple avec quelqu'un du métier, un
homme du métier en général, programmateur, musicien,
agent... et elle décrit un phénomène d'introduction de la
musicienne dans le réseau du compagnon qui peut être très
bénéfique sur le moment, puisque ça lui permet de jouer,
de ne pas être dans des rapports de séduction par rapport aux
autres de musiciens, ou quoi...
FV: Ouais
AL: ... mais par contre qu'elles restent toujours un peu
à la remorque du compagnon, suivre les projets, sauf s'ils les
mènent vraiment ensemble. Et que si y a rupture, c'est elles qui se
retrouvent exclues du... du réseau.
FV: Oui je connais très bien le truc. Oui parce que le
milieu, le milieu de la musique en général et tenu par les
hommes. Et je ne connais pas de directeurs de festivals qui soient une
femme,
178
il doit y en avoir, mais je connais pas. Euh... elles sont
toujours, encore une fois, en deuxième rideau ou elles sont... elles
existent mais elles sont... Euh, des directrices d'orchestres femmes, y en a
pas beaucoup. Donc le milieu est tenu par les hommes. Ça veut
pas dire que les hommes sont mauvais... C'est des hommes qui héritent
aussi d'un héritage social. Et donc après, le mélange
entre cet héritage social et les histoires amoureuses, c'est
détonant! Évidemment. Et donc la femme, comme c'est l'homme qui
détient le milieu, et que tout ou tard ça passe par... des
circuits que l'homme fréquente aussi, c'est très difficile pour
la femme. Et y a autre chose qui est très difficile pour la
femme musicienne, c'est le fait de décider d'avoir un enfant pas
exemple. Tu vois. Au-delà du statut et tous ces régimes
intermittents qui posent problème, y a aussi, moi j'me rappelle d'une
copine contrebassiste qui explique ce que c'est que d'avoir un enfant et que
quand tu es contrebassiste et que tu travailles dans plusieurs orchestres.
C'est à dire que, à un moment t'as toute la période avant
d'avoir l'enfant, ou c'est très dur physiquement, t'as une
période où tu as l'enfant, tu te fais remplacer, et souvent si
ça se passe bien avec un garçon, y a au moins six mois où
t'es pas accessible pour le métier. Si ces six mois-là t'avais
des grosses dates ou des grosses tournées, tu trouves un
remplaçant qui prends ta place et qui pour la suite du projet garde la
place. Et après y a toute cette période de reprise où tu
allaites l'enfant, où elle dit à un moment donnée: "T'es
en train de jouer, t'as des montées de lait, t'as ton costume qui est un
peu... (Geste autour du sein) tu vois". Et ça c'est une
réalité de faits. Voilà qui rend, là pour le coup,
une femme qui décide d'avoir un enfant dans ce milieu c'est très
difficile parce que physiquement, ce milieu est très exigeant
quand-même. Et c'est excluant aussi. Ça explique pour y a autant
de femmes qui décident de ne pas avoir d'enfants dans ce
milieu-là. Parce que c'est un arrêt, un arrêt qui peut
être fatal dans le développement. [...]
AL: Elle analyse aussi le fait qu'en tant qu'artiste on a
besoin d'être soutenu-e, moralement, psychologiquement, sur les
compétences, la légitimité d'être sur scène
etc., et aussi dans la vie de famille [...] et que beaucoup de femmes se
trouvent à jouer les mamans, à soutenir leur homme aussi bien
logistiquement que moralement et elles se soutiennent elles-mêmes quoi.
Et que pour le coup ça privilégie aussi une ambition plus forte
pour le conjoint que pour la conjointe. Toi t'analyses ça aussi?
FV: Alors, ouais, mais j'avais une autre copine qui avait fait
une étude. Elle, elle... c'était la soeur de Thierry Madiot qui
est un musicien. Elle avait fait une étude sur la vie du musicien en
banlieue parisienne, et qu'il y avait 80% des musiciens de jazz qui
étaient mariés avec une institutrice [...] [A propos des
difficultés d'emplois du temps, de vie]. L'homme on lui accorde
peut-être (claque des doigts) la légitimité de sa
liberté d'office, dans la vie. Mais une femme est-ce, dans la
société pour qu'elle se retrouve à être aussi,
à avoir un emploi du temps aussi intensif alors qu'elle n'est pas
une executive-women de l'industrie ou de la banque etc., je sais pas
si c'est bien accepté dans la société. [...]
AL: Pour toi qu'est-ce que ça signifie
"féminisme"? Et est-ce que tu te sens concerné?
FV: Bin pour moi le féminisme c'est le combat de
l'égalité femme/homme, donc sans toutes les ramifications qu'il
peut avoir. Moi je me sens autant féministe qu'une femme. Et je pense
179
que je suis féminisme. Je suis pour
l'égalité homme/femme dans les responsabilités, dans
l'égalité salariale, dans l'égalité d'inventer les
lois qui iront avec, les lois qui tiennent comptent de la différence.
"Féminisme" égale pas "l'homme égale de la femme", euh...
pas dans l'égalité mais dans la conformité quoi. On n'est
pas conforme. [...] Les lois servent à... abolir l'indifférence
de la différence. Pour moi c'est ça. Être féministe
c'est ça. Effectivement, on est différent. Tenons compte de cette
différence pour... dans les lois qu'on construit. Mais avec le principe
de dire: "Faut qu'on aille vers une égalité" [...]
AL: Et est-ce que tu as eu les influences artistiques
féministes... dans tes recherches?
FV: Non. J'ai vu des spectacles, j'ai vu des... ma compagne
qui m'a montré des choses, j'ai entendu des émissions de radio
qui m'ont ramené sur des combats comme ça. Par exemple sur la
compositrice Nadia Boulanger, sur tout ce qu'elle a du faire pour qu'elle
mérite de gagner le concours d'Europe. C'était une
émission comme ça... [...] Au cinéma, des choses comme
Camille Claudel, qui te marquent quand même dans cette
histoire-là. Ça tombe bien puisqu'il y a un film de Tim Burton
qui est sur cette histoire-là. Un homme qui récupère la
peinture de sa femme et signe tous les tableaux après quoi. Des femmes
qui n'ont pas été publiées, ça c'est Juliette qui
me l'avait donné, et qui ont pris un pseudo-homme et qui ont
été publié tout de suite et qui ont été
complètement anoblies par la critique357. Voilà, des
exemples comme ça, y en a dans l'histoire, ça te révolte.
[...] C'est pas une question d'être féministe, c'est
qu'à un moment donné tu traites un être humain comme
ça! C'est à dire, t'es dans un traitement de choses qui est
complètement illégitime quoi.
AL: Et des débats de la CGT, je ne sais pas si t'y est
allé..
FV: Pas tous.
AL: Et ça t'apporte quelque chose là-dessus?
Ça te nourrit?
FV: Euh... Si, si j'suis honnête j'aurais l'intention de
dire non. Mais je ne les ai pas, à mon avis, assez bien suivis pour dire
oui ou non.
AL: Et pour toi est-ce qu'il peut exister un art
féministe?
FV: (Silence) Je pense qu'il y a des femmes qui sont
tellement confrontées à l'opposition, qu'elles ont dû
inventer forcément une révolte qui parle de leur condition de
femmes. Donc ça doit exister. Et je pense que ça existe. Mais
intégralement féministe, non. Peut-être qu'il y aurait
quelque chose de l'ordre de la révolte qui serait féministe,
où le moteur. En ça je pense à l'exposition de Niki de
Saint Phalle à Paris, pour le moment elle a une performance qu'elle
fait, où elle a des tableaux, avec des... de la peinture
emprisonnée dedans, des fois c'est des corps de femmes, des morceaux...
[...] C'est pas un art féministe, mais un art qui revendique un combat
là-dessus, sur ça. Je pense que les femmes en parlent
différemment que les hommes. En ce sens on peut-être parler d'art
féministe. Mais pas d'un point de vue militant politique mais symbolique
de révolte et d'interrogation.
AL: Et dans le même sens, que signifierait pour toi
"masculin" et "féminin"?
FV: En art?
357 Note : Je pense que c'est une référence au
livre Le Journal de la création, de Nancy Huston où
l'écrivaine retrace l'histoire de plusieurs femmes écrivaines.
Juliette Kapla y fait aussi référence dans son entretien.
180
AL: En général...
FV: Je sais pas parce que, moi qui suis, ai une
éducation un peu, comment dire...catholique, j'ai toujours
été un peu outré de cette histoire de la naissance de la
femme, si tu veux, dans la cuisse de l'homme. C'est de... c'est absolument
terrifiant ces histoires-là. Dès le départ t'as un
espèce de truc qui s'installe. Qu'est-ce qu'un homme, une femme, euh...
J'en sais rien en fait. Je découvre à chaque instant, vraiment
j'avance avec les yeux bandés là par rapport à ça,
j'en sais rien. En fait, plus j'avance, plus j'abandonne des vieux
modèles par contre ou des pseudos certitudes sur le sujet, que l'homme
serait plus entreprenant et tout un je-sais-pas-quoi de, tout un tas de choses
que je gomme qui sont quand même soit donné par ta famille, ton
environnement, soit pas tout ce qu'on injecte de... Je ne sais plus ce que
c'est. Plus ça va, plus je ne vois dans les relations, que de
l'égalité en fait. [...]
AL: Est-ce que sur des travaux professionnels mixtes ou
non-mixtes, qu'est-ce qui a été pour toi le plus difficile ou le
plus intéressant, le plus facile. Quelles sont les... Est-ce que le fait
de travailler avec des personnes du sexe opposé change la donne, apporte
autre chose?
FV: Ça dépend dans quel contexte on travaille
aussi je crois. C'est pour ça que les contextes les plus ouverts
possibles et les plus... les moins sûrs d'eux possibles, amènent
des relations différentes. Hélas, après dans mon
expérience c'est quand même... Quand tu travailles, par exemple,
dans un orchestre où tout est écrit, tu tombes souvent, bon
même si y a une femme dedans, t'es dans une espèce de
hiérarchie où tu... tu joues la musique d'un mec et y a
pratiquement aucun rapport avec les gens parce que t'es dans un rapport de
boulot, et y a qu'un rapport de compétition sur les moments de solo
où chacun serait en train de se jauger par rapport à d'où
il vient, quelles opportunités il a, donc là y a pas vraiment
d'échanges. Mais les mêmes mecs... ou.... les mêmes mecs ou
les mêmes femmes, mis dans un vrai processus créatif, je pense que
c'est riche indifféremment. Je ne sais pas si c'est si c'est plus riche
de travailler avec une femme qu'avec un homme, je pense que ça
dépend du contexte dans lequel on travaille et avec qui on travaille. Et
j'ai trop peu d'expérience dans des milieux différents pour
vraiment pouvoir tirer des conclusions sur ça. Mais j'ai l'impression de
ça en tout cas.
[...]
AL: Sur Uzeste particulièrement, pour toi où
seraient les hommes et les femmes?
FV: Mmmh ouais. Alors là je pense qu'on est
toujours lié à l'histoire aussi d'un lieu et on hérite
toujours d'une histoire et d'un lieu. Je pense que ce lieu... C'est deux
personnes qui l'inventent au départ; Alban et Bernard, euh, "Alban et
Bernard" justement, Alban et Marie. Et que, comme dans toute histoire y a des
choses qui s'installent. Eux, ce qu'ils avaient installé était
peut-être un schéma qui existait, voilà où Marie
s'est consacrée à la cuisine, à l'accueil des lieux,
à l'épicerie, à beaucoup de choses, Alban il s'est... Il a
donné une autre dimension, celle de la politique, de... Ils ont
hérité aussi d'un fonctionnement, homme/femme qui existe assez
classiquement, qu'ils ont essayé de bousculer à mon avis, mais
qui... des fois t'as des choses qui sont plus fortes que toi. Et on est un peu
héritier de cette histoire-là. Et je trouve qu'à
l'heure actuelle on retrouve un
181
peu ce schéma, qu'on essaie d'interroger tout le temps.
Mais y a quand même ce schéma aussi qui est autant des hommes et
des femmes, des fois la femme va directement aux choses telles qu'on pense
qu'elle doit le faire etc. C'est là qu'il y a un combat qui est à
mener, c'est pour ça qu'il est à mener autant par les hommes que
par les femmes, et qu'il y a des choses à interroger. Même si, le
fait qu'on... Notre sujet est l'artistique, elle remet en cause et en
crise toutes ces situations. Mais dès qu'on fait plus attention on
retourne sur des situations de l'historicité, de, d'où ça
vient. Parce qu'en même temps c'est l'historicité du rapport
homme/femme, à mon avis. Donc c'est un combat, enfin une vigilance. Il
faut être vigilant pour qu'on réinterroge les vieux, les vieilles
formes pour, pour, pour les interroger, pour voir si c'est vraiment un choix ou
si on est en train de reproduire un modèle.
AL: Et toi tu te sens comment, presque affectivement, par
rapport à ça?
FV: Ah bin je me sens troublé parce que...
parce que c'est une situation qui me va aussi. Si tu veux en tant que... je
sais pas, quel enfant ou je sais pas quoi, mais, cette situation que je laisse
des fois s'installer, aussi, personnellement, et que je ne le remets pas en
branle. C'est là où je parle de vigilance.
[...]
AL: [...] Sauf si tu as d'autres solutions, propositions en
tête mais on a déjà évoqué les histoires de
quotas, de formation...
FV: Non, non... Après je ne sais pas si on a fait le
tour des questions. Après, des fois quand les gens disent
qu'artistiquement y a pas assez de femmes, c'est le problème aussi du
public, qui... le public en général j'ai l'impression qu'il est
attiré vers les artistes hommes beaucoup aussi. Et que.. Ou alors des
femmes qui... Y a aussi le public qui doit évoluer, dans ces
milieux-là je pense. Dans sa façon de reconnaitre la femme, dans
ses prises de risques et pas dans ce qu'il attend de la femme. J'ai
l'impression que la femme des fois est plus attendue au tournant que les
hommes. Les hommes peuvent se permettre plus de libertés artistiques.
Alors que, même, on est au coeur d'un projet qui revendique
l'improvisation et une forme de liberté. Quand je disais que le public
est bienveillant, c'est vrai, le public est bienveillant, mais quand
même, je pense qu'il est, si y a un degré à trouver, plus
bienveillant avec les garçons en général qu'avec les
femmes.
AL: Mmm... Tu penses qu'il y a ce...
FV: Et qu'une femme a un moment donné...a plus de
défi pour convaincre qu'un homme des fois.
AL: On serait presque dans la formule d'entreprise: "Une femme
doit faire mieux qu'un homme pour pouvoir faire les mêmes choses"?
FV: J'ai l'impression, j'ai l'impression. Et que quand elle
fait, tout simplement, des fois on voit pas, aussi.
[...]
FV: A l'inverse des fois je connais des jeunes filles
musiciennes qui sont gênées de leur succès... parce que des
programmateurs mecs vont absolument vouloir programmer une femme. Et il
182
programme la seule femme et ils vont en faire des tonnes et
euh.. tu vois, ça c'est le revers de la médaille. Je sais pas si
c'est bien ou pas bien en fait. En plus, quand je dis ça, je juge que
c'est pas bien, mais je trouve que quand on fait ça on remet la femme
face à s'interroger sur sa légitimité. "Est-ce que je suis
vraiment légitime d'être programmée en tête d'affiche
alors que mon copain de formation, qui est aussi bon que moi il ne sera jamais
programmé en tête d'affiche.
[...]
FV : Donc se pose très tôt, après
la question de la compétitivité des uns et des autres, de la
concurrence des uns et des autres par rapport à ça. Donc
dès qu'on touche à cette histoire d'inégalité
homme/femme qui a une influence directe sur la concurrence, t'actives tous les
vieux démons puissance dix. J'ai l'impression. Plutôt que
de vouloir les régler, tu les réactives. C'est... c'est
peut-être faux ce que je dis mais j'ai l'impression de ça.
AL: Ouais... En même temps je pense qu'on poserait
exactement les mêmes questions, qui sont en train de se poser d'ailleurs,
sur l'égalité des chances sociales financières, ça
choque pas pareil.
FV: Ouais...
AL: Tout ce qui est bourses au mérite, tout ce qui
est...
FV: Ça pose pas pareil, effectivement. Alors qu'il y a une
inégalité qui sera là évidement. AL: [...]
FV: Et puis je pense qu'il faut faire évoluer
ce système de concurrence effrénée à quelque chose
où on se pose la question de donner du travail à tout le monde
à un moment.
183
1.1.3. Carnet de bord
Observation immersive
Pourquoi est-ce que la ségrégation horizontale
persévère à Uzeste Musical ?
Est-ce que le discours féministe continuerait au sein
d'Uzeste si cette égalité était obtenue ?
Quels moyens, modes de pensées sont mis?es en place
pour ouvrir des places aux femmes ? (Porte fermée ? Porte
déloquée ? Invitation/incitation à leur égard/
discrimination positive ?)
Uzestival automnal
Objectif : m'assurer du soutien des acteur?trices
d'Uzeste Musical.
J'ai demandé l'accord de chaque personne liée
à ma problématique, pour mener cette recherche. Il y a eu, en
globalité trois types de réponses positives :
Toute recherche sur les activités d'Uzeste Musical
intéresse. (Fabrice, Louis, Bernard, Laure)
La question du genre m'intéresse/ me trouble.
(Juliette, Jaime, Martine, et d'une certaine manière Diane avec qui les
discussions se sont accentué sur le genre et non pas sur le terrain.)
« Bien sûr que je te soutien » (Jules, Mona...)
La problématique du genre, ne serait-ce
qu'énoncée, enclenche des débats avec les personnes ayant
répondu des deux premières manières. (Laure qui remarque
que les femmes artistes qu'elle connait travaillent souvent seules -
écrivaine, peintre, scénariste. Louis questionne sur la perte des
repères de genre, est-ce que c'est sain ? Martine raconte des souvenirs
d'enseignante ; des différences de comportements des parents envers
leurs enfants selon leur sexe. Jaime aussi ouvre un débat.) Le terrain
est propice à la germination des questions de genre.
Résidence du parti Collectif à Uzeste
Musical, automne 2014
Observation immersive du 29 octobre au 2 novembre
Les lieux :
- L'Estaminet = Théâtre Amusicien dans le bourg
d'Uzeste
- Le Moulin = Chez Louis Lubat et sa mère, à Uzeste
mais hors du bourg. La plupart des artistes du parti Collectif y
dorment durant les résidences uzestoises.
29 octobre 2014
Tanguy, Paolo, Louis, Simon et moi sommes déjà
à Uzeste (chez Louis « au moulin »,
plus exactement). Les trois premiers vont à la
pêche. Simon et moi restons au Moulin. Louis a impulsé
l'envie de soigner l'accueille des «copains », autres artistes du
collectif. Il est donc prévu que nous fassions le ménage
ensemble, rendez-vous 17h à l'Estaminet. Simon et moi
184
faisons le ménage. Nous attendons les autres pour
déplacer les instruments et autre matériel de spectacle.
En attendant, nous en venons à discuter de mon sujet de
mémoire. Simon pointe qu' « on [leur] dit souvent qu'il n'y a pas
de filles dans le pC. Au CAPC par exemple. [Il a] répondu qu'il y en
avait derrière, en pensant à [moi]. Et puis y a Mona pas loin.
Mais c'est bizarre». Il ressort de cette discussion un
intérêt pour le sujet de cette recherche, et pour des
solutions.
Paolo et Simon se lance dans l'installation du nouvel
écran de fond de scène. J'aide à ouvrir l'échelle
et explique la contrainte des perches de ce théâtre. Mon
expérience en tant que bénévole technique dans ce lieu me
permet d'être entendu sur un point technique (masculin).
Jules, Paul, Clément, Jaime, Fabrice et Thomas nous
retrouvent en fin de journée à l'Estaminet.
Le soir, plus ou moins tout le monde participe aux tâches
ménagères.
30 octobre 2014
Premier jour de résidence.
Matin
Rendez-vous à 10h... qui sont devenues 11h.
Le travail s'est tourné vers la technique de deux
morceaux, mené par Thomas. Louis et Jaime, absents ce matin, ont l'envie
de questionner d'autres arts que la musique et l'influence pour mettre le
laboratoire en exécution. Clément et moi tendons vers cette envie
là, mais avec moi de suivi, ou du moins nous supposons sans suivi.
Faut-il que la compétence musicale soit prouvée pour être
influent?e/leadeur?se ?
Le midi, Amaro fait rapidement des pâtes pendant que
deux vont chercher des chanterelles. Pour les autres, c'est un temps de
pause.
Après-midi
Travail des morceaux de bal.
Nous sommes deux filles sur 15 présent?es. Deux
non-musiciennes.
La réunion de fin de journée pour définir
le programme du lendemain se transforme en débat sur le chemin
artistique à prendre pour l'association. Pour le lendemain, la question
est de savoir si c'est la technique du bigband qui doit être
travaillé ou s'il est plus intéressant d'expérimenter.
Pro-technique : Il y a besoin d'une base sur laquelle se
greffer, une base à travailler. Pour pouvoir sortir de ce cadre, il faut
être à l'aise dedans.
Pro-expérimentation : La « base » n'est pas
la même pour tout le monde. La base doit être transartistiques et
donc se travailler ensemble.
Le débat se clôt dans un compromis : le bigband
répétera le matin, et on expérimentera
l'après-midi.
185
31 octobre 2014 Matin
Répétition du Bigband. Mona n'est pas là :
que des hommes.
Après-midi
Exercice d'improvisation : solos autour de la consigne «
Je ne sais pas jouer de mon instrument »
Sur 14 personnes, une femme (moi), aussi seule
non-musicienne.
Tout le monde a fait un solo, sauf Jaime et moi ensemble.
Après deux solos, j'ai pris la parole sur la
nécessité d'entrer dans la lumière. Proposition
d'un exercice de théâtre pour sentir la lumière
les yeux fermés. Les deux solos qui suivent prêtent plus attention
à la lumière : mon propos est entendu => terrain favorable
à des échanges de compétences.
A la suite de mon intervention, Jaime m'a proposé de
monter sur scène (personne n'y allait). Se levant en même temps,
il propose gentiment de m'accompagner. J'y vois la proposition d'un duo,
exercice intéressant, j'accepte.
Déroulé du duo improvisé Jaime &
moi:
Jaime improvisa des textes proches de l'écriture de
Falk Richter, dans leur découpage, et à Rodrigo Garcia, sur les
sujets empruntés type TV réalité, etc.
Lui très directif : « Reste au centre, dans la
lumière. Cherche la lumière ». Malgré la
référence à un propos de ma part, la relation était
de domination. Boris en tant que spectateur atteste : « très
rapidement un rapport homme/femme s'est créé, avec une domination
de type marionnette de son côté ». Ce fut mon ressenti aussi,
exacerbé par les recherches du mémoire.
J'ai tenté de sortir de son discours, aller à
l'inverse, sortir de son rythme frénétique. Je suis montée
sur la chaise devant laquelle il statuait. J'ai essayé de le mouvoir,
résistance de sa part. Jeu de lolita sur la chaise358. Encore
des indications type TV-réalité, mais il s'adressait au public,
et par continuité à moi. Je le pousse en dansant. Volonté
: inverser les instruments. N'a pas pris le mouvement, j'étais trop
petite pour le micro, et puis j'y suis incompétente. J'en suis sortie,
il a repris le micro, le schéma s'est reproduit. 359
Donc je fus bien « accompagnée » et
non pas « en duo » puisqu'il n'était pas au coeur du
problème avec moi. 1) Il n'a pas joué la consigne de ne pas user
de son instrument puisqu'il est manieur de mots, et s'est mis au micro. 2) Il
s'est positionné en fond de scène, observateur du centre. 3) Il
ne se positionnait jamais en fonction de mes propositions (continuité ou
rupture), mais imposait le chemin qu'il avait choisi.
Ce n'était pas un duo, donc il n'était pas dans
l'envie de se confronter à mes propositions. C'était un
accompagnement, donc une assistance, un contre-point pour donner de la valeur
à ce
358 Entrée dans le piège, installer un
schéma en voulant le dénoncer.
359 Note au 16 novembre : Je regrette encore de ne pas avoir
réagi sur le moment, sur scène. Arrêter cette situation que
je vivais comme spect-actrice d'une domination que je cherche à
dénoncer. J'aurais dû m'arrêter au moment même
où j'ai réalisé que nous n'étions pas dans une
rencontre saine, à égalité.
186
qui était accompagné. Pourquoi ? Pourquoi avec
moi mais pas avec un nouveau du collectif ? Pourquoi l'accompagnement et pas le
duo ?
Hypothèses :
- Considération de la danse comme non-autonome, à
l'inverse de la musique. Et particulièrement dépendante de la
musique (donc des musicien?nes). 360
- Jaime avait vu la prestation moyenne, voire mauvaise aux
vues de l'échelle de valeurs d'Uzeste Musical, faite par Sarah
Meunier et moi il y a deux ans. Il a pu vouloir proposer un soutien, une mise
en valeur pour aider une défaillance.
- Une envie de tester une autre relation dans le duo que la
rencontre d'égal à égal?e.
Nb : N'étant pas bordelaise, ni musicienne,
c'était la première opportunité pour moi de sortir du
rôle d'administratrice aux yeux des autres membres du collectif, pour
enfiler la casquette d'artiste. Il y avait donc un double-enjeux pour moi :
m'affirmer comme multifonction dans l'association et proposer une approche de
la scène sans musique. C'est-à-dire, affirmer la
transdisciplinarité de la structure en questionnant la dominance de la
musique.
Indice de réponse(s) :
Au repas je questionne Jaime sur son intention de départ :
« M'as-tu accompagnée ou on
a fait un duo ? ». Le choix des pronoms n'est pas anodin :
« tu » ou « on » était acteur ? Il y avait bien
« la proposition d'accompagner au début.
Pourquoi pas les autres ?
Les autres, ils ne débutent pas en impro361.
(Regard autour de la table) Ah si certains. »
Je crois qu'il s'est rendu compte à ce moment-là
de son traitement de faveur. L'idée venait de Louis, il
reconnait à la fin de la conversation qu'il aurait dû l'envoyer
paitre.
L'idée venant de Louis Lubat, je le questionne sur le
pourquoi de cette initiative : « J'avais peur que t'y aille pas
toute seule. C'est dur devant les copains... qui sont pas habitués
à voir des choses comme ça, ce travail du corps. »
En résulte : une reconnaissance positive de
l'intérêt du travail corporel sur scène, et me
considère362 comme capable de représenter ce travail.
Mais aussi une mise à l'écart des bénéficiaires du
volontarisme de discriminations positives.363
Ceci pose une autre question, au-delà du sexisme
bienveillant, comment partage-t-on une expérience artistique avec
quelqu'un?e considéré?e moins compétent?e. Dans le cas
présenté
360 La danse attribuée au féminin
considérée comme dépendante de la musique. La musique
classique, considérée plus féminine que les plupart des
autres danses, est dépendante de la partition... écrite par des
hommes. (Cf. Rapport 2006 de Reine PRAT)
361 Ayant pratiqué 3 ans d'improvisation en danse
contemporaine, 8 ans de théâtre avec exercices réguliers
d'improvisation, plusieurs expériences de spectacles en cirque, danse et
théâtre improvisés au dernier moment pour raisons diverses
en solo ou duo, l'idée de « débutant?e » semble plus
être un préjugé qu'un constat.
362 « Considère » et pas «
préjuge » puisque Louis Lubat est le seul du collectif à
m'avoir vue sur scène peu de temps avant. Jaime m'avait vu 3ans avant,
en difficulté technique (rééducation d'une
déchirure musculaire) et artistique (je n'étais pas prête,
psychologiquement, à remonter sur scène à cette
période).
363 Cette mise à l'écart, encore aujourd'hui en
mai, est douloureuse car elle fût vécue comme du sexisme
bienveillant.
187
précédemment, la réponse fut directive,
autoritaire et non poreuse. C'est-à-dire que le dominant s'est
affirmé dans cette position en donnant des directives, les imposant si
elles n'étaient pas suivies, et n'a pas absorbé de propositions
de la part de la dominée. Exemple : Lorsque celle-ci est venue
envahir l'espace du dominant, il n'a pas modifié son comportement (ses
mots, mais pas son action), lorsqu'elle l'a mobilisé corporellement, il
n'a pas absorbé/répondu au mouvement. Lorsqu'elle l'a
forcé à sortir de sa place au micro, il n'a pas cherché
à construire avec la nouvelle situation => a
récupéré sa place. Chacun de ces choix sont des
partis-pris qui peuvent très bien se justifier dans une relation en duo.
Mais cette relation est uniforme sur toute la durée de la performance,
produisant une relation de domination.
Lorsque l'on accueille quelqu'un e de moins
expérimenté e, il y a aussi la possibilité de
considérer l'autre comme son égal e, moins
expérimenté e. Le jeu va alors être de faire ressortir la
potentialité des propositions -souvent timides chez un e débutant
e. Il s'agit donc de se monter hyper poreux se, et d'enrichir les
esquisses proposées. Cette pratique est particulièrement
exploité dans les cours de danse contemporaine contact, dont le principe
actif est la porosité. Ce procédé met le la novice en
situation de réussite, propice au sentiment de
légitimité.
Samedi 1 novembre 2014
Préparation d'une sortie de résidence le
soir-même.
Matin
Nous allons tous au marché. Après un détour
au café, la place est investie d'instruments
et de nos tracts artisanaux. Les musiciens courent partout.
C'est drôle, c'est frais. Mona n'ose pas y aller.
Après-midi
Répétition du Bigband. Les non-musicien nes de la
formation se trouvent un rôle : Jaime
au mapping vidéo, Clément à la régie
son, et moi à la lumière.
Sortie d'Uzine
Le spectacle est passé vite. Au menu : Sortie de
trompettes du bar, Bigband classique puis
dissonant, mutinerie contre le chef-d'orchestre,
problème post-révolution et coup de théâtre. Les
musicien nes ont proposé autre chose que de la musique, mais être
musicien ne était une condition sine qua non à la
montée sur scène.
Dimanche 2 novembre 2014
Présent es : Martine, Bernard, Fabrice, Louis, Jaime,
Paolo, Simon, Mona, Matis,
Clément, moi, Martine Amanieu, Sylvie Gravagna
Débriefing de Sortie d'Uzine
Bernard Lubat a pris le temps de poser les mots sur
l'évènement de la veille : « Ce que
j'ai vu hier, c'est l'extension du noyau dur de la Cie Lubat
». Il ne marche pas ses mots : « [la musique était
catastrophique, mais il y avait de belles choses]», « ça s'est
planté, mais ça s'est
188
planté bien ». Puis en parlant de l'Estaminet, il
nous ouvre à tous la porte de son lieu et son expérience. Il
parle d'un « lieu éduquant collectivement », et nous propose
de nous faire jouer si nous venons à Uzeste. Par l'investissement dans
le collectif, nous ouvrons des possibilités de réseaux. (Cf.
Groupe de pote comme réseau)
Réunion pour l'Uzestival du nouvel
an
Bernard Lubat propose diverses choses, plutôt mixte avec
les deux comédiennes
présentes.
Un tour de table des propositions du parti Collectif
se fait : solos et duos se dessinent. Louis invite Mona en classique, elle
accepte. Je me propose aussi, encouragée par Bernard. Discrimination
positive/coup de pouce.
Uzestival du nouvel an / 28 décembre
2014
Cabaret philos'autres Poésie : 2
hommes
Théâtre : 4 femmes et 1 homme
Musique : 7 hommes et 1 femme
Danse : 2 femmes
Vidéo : 2 hommes
Les tendances semblent bien similaires entre les chiffres
nationaux et le terrain. A
approfondir avec les chiffres des Hestejadas.
189
1.2. CORPUS SECONDAIRE
1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat,
Diane Camus, Jaime Chao
Le 16 mars 2015, de 19h à 22h, 2h40
d'enregistrement
A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste
Musical, salle de spectacle.
Anna Legrand:[...] D'abord, est-ce que un par un vous pourriez
me dire quelle place vous pensez avoir à Uzeste et comment vous vous y
définiriez ? (Silence)
Louis Lubat : Vas-y Jaime, on fait le tour de la table.
Jaime Chao: D'accord, «quelle est ma place à
Uzeste?». Déjà ma place elle est dans la maison, que
j'habite, j'habite sur place, maintenant je vote sur place aussi. Et rue Faza,
en descendant ma rue, j'ai la chance d'avoir l'Estaminet, où j'ai appris
beaucoup et j'ai un rôle d'apprenant. Que ce soit artistiquement, sur
scène, au niveau de la voix et des instruments ou que ce soit technique
avec tous les chantiers lumières et de sonorisation que je mets en
place. C'est une espèce de lieu centre pour moi. Ça me
définit, et je m'y définis, en fait, par Uzeste quoi, par ce qui
se passe pour moi, ici.
AL: Diane?
Diane Camus: Moi j'ai grandi à Uzeste, donc c'est mon
foyer, c'est mon chez moi, c'est ma famille. Mais quelle est ma place dans
Uzeste Musical, euh, elle est en évolution permanente. Je suis
passée par plein de stades. Enfants on était dans le
théâtre donc un peu les artistes, petits artistes, voilà,
du festival. Tous les adultes étaient autour de nous et voilà, on
était dans une émulation, oui, artistique. Après j'ai
été bénévole pendant des années. J'ai
été pendant trois ans en cuisine. J'ai aidé Marie Brunet
[à faire la cuisine] pendant je sais pas combien d'année pour les
stages. Après là je viens de faire trois ans d'administratif,
enfin d'organisation du festival, la régie un peu générale
de tout le festival. Et là je suis un peu dans une phase
d'évolution parce que ce qui m'intéresse c'est, c'est lier mon
activité à Uzeste avec ma formation, ma formation d'architecte.
Et donc pourquoi pas travailler plus sur la question de la scénographie.
C'est là-dessus que j'ai envie de travailler. Puis même sur les
problématiques qui m'intéresse qui sont la ruralité et la
place d'un équipement comme Uzeste et d'une activité comme Uzeste
comme dynamique territoriale. [...] Ma place elle est dans l'évolution,
j'apprends à Uzeste, je suis passé par tous les stades. Et y en
aura d'autres.
JC: A toi Loulou.
LL: Donc, euh, moi aussi j'apprends à Uzeste...
JC, LL: (Pouffent de rire)
JC: Entre parenthèses: «Rires».
Tous: (Rires)
LL: Donc moi aussi j'apprends à Uzeste. Donc je suis
dans la Cie Lubat. Ma place à Uzeste c'est d'être
musicien dans la Cie. Moi je pense que j'ai une place spéciale aussi,
enfin «spéciale»... euh, si particulière quand
même, parce que je suis le fils de Bernard. Mais je
190
pense que je suis dans le même cas que Jaime et Diane
c'est à dire que j'apprends à Uzeste et j'apprends à
monter sur scène, on apprend aussi à organiser même si
c'est pas formuler. J'ai pas un titre de directeur de quoi que ce soit. Mais
ça fait longtemps que je programme dans l'Hestejada, qu'on programme
tous ensemble. Donc je suis dans une place intermédiaire. Enfin
bon...pff je sais pas comment définir. Je suis d'accord avec la
définition de Jaime d'apprenant, mais ça je pense que c'est le
cas de tout le monde à Uzeste. Sinon on y reste pas très
longtemps. Voilà, et d'apprenant faiseur quoi. Le truc c'est on apprend
et on fait en même temps. Voilà.
Margot Auzier: Moi ma place, pareil, y a une histoire de...
d'enfance. Moi j'ai grandi ici, c'est ma base. J'ai appris à marcher par
ici, comme beaucoup de gens ici. Et ma place elle est... C'est très
fusionnelle, c'est dans les entrailles quoi. Mais ma place, mon existence
à Uzeste elle est absolument pas acquise, même si ce terme ne me
plait pas du tout... Je pense que mon existence c'est à moi de grandir
encore à Uzeste et, parce que j'en ai envie, et besoin. Et j'apprends,
pareil. Mais je pense que parler d'existence c'est pas défini quoi.
Sinon je vais vous parler mon complexe de tripes, quoi.
AL: «de tripes»? C'est quoi ça?
MA: Pas d'«OEdipe» mais «des tripes».
Ouais, c'est très fusionnelle cette aventure pour moi. Ça vient
de loin, c'est très profond. Mais je pense que mon existence elle est,
qu'il y a rien qui est écrit, et que je grandi, et on va voir comment
j'existe au milieu de tout ça quoi.
AL: Et pour le coup c'est quoi ton «trip de
tripes»?
MA: Je transforme le complexe d'OEdipe en complexe de tripes,
des entrailles. Voila, parce que je parle des entrailles en parlant d'ici parce
que c'est vraiment très, y a beaucoup de fusion et c'est très
fort. Donc mon existence pour l'instant, je grandi. Voila.
AL: Et vous deux (Louis, Margot), quand je parle de vous comme
«héritiers» ça vous parle ou pas du tout.
LL: «Héritiers» je trouve ça bizarre
comme mot.
MA: Moi, je ... si je comprends et je suis d'accord.
Totalement.
LL: Mais ça à un sens royal que j'aime pas.
MA: Oui, voilà.
AL: Oui, mais y'a des phrase sur le mur de l'Estam, ou
même là, tu vois : « On a que ce qu'on hérite »,
ce genre de phrase. La notion d'héritage elle est, je pense que je l'ai
rarement entendu autant qu'ici.
LL: Bin, parce qu'en plus ça vient pas que de
là, c'était même avant. Enfin, tu vois je sais que mon
père, avec sa mère et son père c'était
déjà très important pour lui avant même qu'il y ait
des enfants.
DC: Mais, moi je sais pas si... Je me permets juste. Est-ce
que l'héritage, ce que défend Bernard, l'héritage il est
pas juste de sang, l'héritage il est culturel... à ce
sens-là, on est autant, Jaime et moi qui ne sommes pas à
proprement dit des fils-de, mais on est aussi dans l'héritage. Parce
qu'on apprend. Parce que ça fait plus de 15 ans qu'on est ici aussi.
J'ai l'impression que
191
l'héritage il est beaucoup plus large, il n'est pas que
filial. Moi je le ressens aussi comme un
héritage.
MA: Ouais, je suis d'accord totalement, mais je pense que
cette notion que tu as Anna, elle est
vraie. Je pense que c'est pas évident de s'appeler
Auzier tous les jours à Uzeste, ou Lubat.
Bon je dis ça au premier degrés, absolument mais
artistiquement, intellectuellement,
psychologiquement je pense que c'est pas rien quoi. Et que,
à ce moment-là on peut parler
d'héritage ouais. Mais je suis totalement d'accord avec
Diane.
LL: L'héritage euh.... sanguin, c'est pas tellement
entre nous, c'est plutôt par rapport aux gens
de l'extérieur que ça....
MA: Oui c'est ça que je dis.
LL: Après, tu vois avec mon père on a
décidé de le jouer à fond, qu'on joue tous les deux.
[Référence à Complexe d'oedipe, spectacle
en duo.]
MA: Mais moi je me rends compte que j'ai pas le choix, que
c'est comme ça.
DC, LL: Point barre/ Oui oui bien sûr.
LL, DC, MA:[...]
LL: Non mais y a un truc particulier si tu veux. Si tu veux
à Uzeste dans le jus, effectivement
ça se voit et ça se voit pas... ça
dépend sur quoi. Mais après Diane aussi, je sais pas si il
faut
le dire, mais Bernard c'est aussi un beau-père pour
toi.
DC: Ah bin oui.
JC: Pour moi y a relation filiale aussi.
LL: Puis y a aussi une relation euh...
JC: Et puis l'éducation parce que «relation»
c'est «transmission» en fait. «Héritage» c'est
transmission en fait.
MA: Mais autant tous les deux (Jaime et Diane). Enfin j'ai
envie de dire...
DC: Oui mis par exemple, dans l'enfance, quand on avait
10ans...moi je, face à Margot et
Juliette (Minvielle, fille d'André Minvielle),
j'étais pas, je me sentais pas légitime. Parce que
oui. Et face à Sarah aussi. J'étais là
parce que j'étais pièce rapportée. Parce que ma
mère était
avec Bernard, mais j'étais pas, j'étais pas
légitime.
MA: Tu veux dire que ça a duré beaucoup
d'année cette...
DC: Ah oui: Oui oui .
JC: (Voix entre réel intérêt et mime de
psychothérapeute) Et c'est encore le cas maintenant?
DC: Bin non.
LL: Oh le relou!
LL, JC, (DC), MA: (Rires)
AL: Mais c'est intéressant ce qu'elle dit parce que la
question de la légitimité elle est
extrêmement présente, dans tous les travaux
d'accès à des métiers clefs : comment est-ce que
tu te sens légitime? A monter sur scène,
à diriger... [...]
MA: En même temps si tu arrives et que tu te penses
légitime parce que tu t'appelles Auzier,
t'as absolument pas compris ce qui ce passe.
192
DC: Non mais c'est des ressentis qui sont, enfin, à
aucun moment dans mon enfance on m'a dit:
« T'es pas légitime ».
MA: Oui, oui, nan mais je comprends bien hein.
DC: C'est juste du ressenti personnel. Même Margot et
Juliette, à aucun moment de notre
enfance elles... la question s'est posée . Donc
c'était vraiment mon propre regard de personne
extérieure puisque j'étais pas
complètement dedans. Enfin j'étais pas née, comme vous,
dedans et, où la question se pose pas. Vous êtes
là, vos parents sont là, font ça. Moi j'étais,
mine de rien, une pièce rapportée.
AL: (à Jaime) Et toi pareil t'as aucun rapport euh...
et tu te sens légitime?
MA: Enfin Jaime t'es là quand même... on a
des...Il a appris à marcher...
DC: Son père était déjà
présent avant sa naissance.
JC: Ah non, non. Enfin je pense pas. Moi les premières
années j'avais quoi, 5-6ans.
MA: Oh si. Attends, dans le 7ème swing, (à
Louis) c'était en quelle année le 7ème swing?
LL: Je sais pas, enfin ça fait très
longtemps.
JC: Ouais, ça fait très longtemps; On peut dire
oui, c'est comme si j'y étais né.
AL: (à Diane) Toi t'es arrivée...?
DC: Moi j'suis arrivée, euh... Bernard et ma
mère se sont mis en... quelle année? J'avais 5 ans,
5 ou 6 ans. [...]
JC: Ouais on avait le même âge, à peu
près.
LL; Oui mais Jaime il habitait pas ici.
DC: Jaime il habitait pas ici.
JC: Je venais que les étés, ou les
Uzestivaux.
AL: Bin oui, alors justement, comment est-ce que toi tu te
sens plus légitime, enfin peut-être,
je sais pas c'est là la question, à y aller?
Comment est-ce que tu en es venu à te sentir légitime,
si tu te le sens, sur scène?
JC: Alors avant d'aborder cette question, y avait deux trucs
que je voulais aborder. Diane, par
rapport à ce que tu sentais, moi c'est une question que
je me pose souvent hein, parce que je
fais confiance à mes sensations aussi. Surtout à
mes sensations d'enfants, parce que t'as
beaucoup d'empathie, tu sens les choses. Peut-être que
même si consciemment, tu vois, vous
vous disiez pas ça, y avait pas des rapports de forces
ou de hiérarchie des fils-de ou des
pièces rapportées? Est-ce que inconsciemment y
avait pas aussi ces relations forces? [...]
DC: Moi je pense que c'était que du ressenti.
JC: Ouais mais un ressenti...
DC: Mais profond.
JC: Ouais d'accord, mais il tire ces racines quelque part. Il
rebondit sur du réel, même s'il est
non-dit, s'il est intériorisé... je sais pas.
DC: Oui sans doute.
JC: Oui et je voulais aussi nuancer un peu la notion
d'héritage, parce que même si...en fait
qu'est-ce que c'est l'héritage ici, en fait pour moi
c'est l'aventure uzestoise tu vois. Cette
aventure autour de l'Hestejada, de la Cie Lubat. Et
tu peux en hériter très facilement au désir.
193
Et j'en vois plein qui viennent, qui partent, etc, depuis
40ans. La Cie Lubat a toujours été, enfin avec Bernard,
quelque chose de très généreux, et très
transmissif, transmissive-expérience. C'est pas pour rien qu'il parle de
ça tu vois. Mais nous on a eu un coup de plus, et ce coup de plus il est
important, tu vois parce que Bernard Lubat il a eu un fils, comme lui il a
été fils de Alban, quoi tu vois, un fils unique, et on a eu, moi
je pense, la chance de faire partie de cette aventure artistique plus
facilement et plus simplement parce qu'on était dans les âges, tu
vois, assez près de celui de Louis. Donc moi je sais que ce
tremplin-là c'est parce que j'ai une amitié avec Louis, qu'on
était assez proche d'âge. Et c'est ce qui fait que, alors qu'il y
a eu des générations de musiciens hein, d'artistes avant, tu peux
voir Corneloup, tu peux voir les Lassus's, tu peux voir, tu vois, même
Fabrice qui est resté mais il s'est accroché, bin nous ça
a été plus simple d'avoir le pied à l'étrier. On
nous a vraiment poussés. Et moi je pense que ce truc-là de... y a
pas eu de régénération spontanée, mais la naissance
de Louis a aidé à ce qu'il y est toute une cohue-bohu autour de
cet âge-là.
LL: C'est à dire qu'il...
DC: Et puis aussi une phase dans la vie Bernard qui est... .
Il a fait des choses, voilà, et il arrive un moment où il veut
transmettre. Et par le biais de son fils, c'est aussi..
JC: Moi je pense qu'il a toujours transmis. C'est pour
ça que je nuance mais ça mets un petit plus.
DC: Oui, oui, il a toujours transmis mais souvent de
manière aussi inconsciente. Sa volonté, son travail vraiment sur
la transmission ça a quoi, 8 ans?
LL: Non mais c'est à dire qu'il a commencé
à le dire avec nous.
DC: Voilà, c'est ça. A le formuler, à en
faire une ligne directrice, ça fait 8 ans.
LL: Oui, une dizaine d'années.
JC: Voilà, j'ai fait les 2 points que je voulais faire,
je reviens à ta question. [...]
AL: Pour le coup je te la reposerai plus tard. Tant qu'on
reste sur la transmission, (à Margot) pour le coup, Auzier comment il
t'a transmis, toi? Enfin, Patrick (son père).
MA: Bin moi j'ai vraiment grandi en partant faire les
chantiers l'été comme si je partais vacances quoi.
Autres: (Petits rires)
MA: Donc j'ai commencé toute petite à faire
ça. Et je comprenais pas. Enfin si je comprenais très bien, mais
j'ai commencé vraiment toute petite à mon échelle. On me
faisait faire du travail très minutieux, 'fin... Mais à 6ans je
commençais avec un cutter à découper du scotch. Donc
ça été vraiment, au départ, je partais en vacances,
on faisait la route la nuit, il y avait beaucoup de feux d'artifices,
c'était vraiment... J'adorais ça. Le travail, y avait une
équipe, c'était super. Et puis en grandissant j'ai vraiment
aimé ça quoi. Donc au fur et à mesure tout le monde
m'apprenait. Et puis avec Patrick [son père] on a toujours
été très... très proche dans le bricolage et tout
ça, donc du coup plus je grandissais plus il m'apprenait, et plus
j'aimais ça. J'avais ça dans la poche, pour moi c'était
normal, et puis, et puis en grandissant un peu plus je me suis faite rattraper
par le reste et j'ai compris que j'avais envie de faire ça
194
en vrai, dans la vie, d'essayer de, de raconter des choses
avec des pétards, aussi. Mais c'était pas du tout prévu.
Pas...
DC: ...prémédité.
MA: Ça m'est un peu tombé dessus...
LL: Mais ça moi c'est pareil.
MA: Ouais.
LL: Enfin je pense que mon père il voulait que je sois
musicien mais c'était pas... moi j'avais pas prévu non plus.
[...]
MA: Moi c'était vraiment quand j'étais ado
j'amenais mes copines sur les chantiers à chaque fois. Diane est
venue.
DC: (Rires)
MA: On avait une chambre d'hôtel, c'était la
teuf. Pour moi c'était....
AL: Mais ta soeur aussi, pour le coup ou pas?
MA: Et ma petite soeur pareil ouais.
AL: D'accord, qui elle, par contre, a tergiversé sur
autre chose.
MA: Bin, qui est en train de grandir je pense. Mais qui vient
avec nous dès qu'elle peut, qu'adore ça. Ouais.
JC: C'est important je pense, parce que tu vois, dans les deux
cas, tu vois le terme que tu employais toute à l'heure... les
«héritiers»...
MA: Et c'est pour ça j'envie de dire, pardon je te
coupe, cet héritage qu'est-ce qu'on en fait quoi? C'est pour ça
que j'ai du mal à parler d'existence, de mon existence à Uzeste,
parce que mon existence, de par l'héritage, si c'est un peu ça la
question, j'ai juste à dire qu'est-ce que j'en fais et qu'est-ce que je
suis en train d'en faire. C'est pour ça que je parles, que c'est pas
défini quoi.
JC: Mmm. C'était pas un héritage obligé
quoi. Tu vois, même de la part des héritiers, c'était pas
comme le fils et le père de notaire, il reprend l'étude, il a pas
le choix quoi tu vois. Y a pas d'autres strates à accéder dans la
société. Non, là je pense que ça a
été un bain-marie, avec Alban et Marie, un bain-marie, on l'a
connu. Donc on a grandi là-dedans, on avait le choix, tu vois, libre
à nous de nous inventer comme on peut. Mais je crois que, comme on s'est
construit par rapport à ici, on a senti le souffle, je sais pas,
philosophique, d'une espèce d'ambition de vie qui peut se construire
à partir d'ici quoi. Donc le lieu il est vraiment important, et petit
à petit on s'est dit: «Putain, mais c'est là quoi, c'est
là que je me construis, c'est là que je me définis»
pour revenir à ta première question. De plus en plus, moi je sens
l'importance de ce lieu Uzeste.
MA: Ouais.
[Pause pour se servir café/thé]
Tous: [...]
DC: Pour moi j'hérite complètement de, d'Uzeste,
aussi de Bernard de... Pour moi c'est pas un héritage de nom, ni de...
ni de lieux ou quoi c'est un héritage d'esprit, une prise de position
dans la société, une manière de voir le monde, et pour
moi, c'est mon héritage. Ca suffit pas
195
juste d'hériter de la chose c'est... et c'est là
où on peut parler de l'évolution . Qu'est-ce qu'on en fait, c'est
quoi la suite? Parce que c'est pas reproduire ce qu'on a appris, c'est se
nourrir de ce qu'on a eu, de ce qu'on a hérité pour proposer
d'évoluer et de faire autre chose. [...] Certes, Bernard il est
arrivé en 76 ou 78, mais la révolution, la prise de position dans
la société elle a commencé en 37, avec Alban qui a
décidé de dire: «Bin je ne suis plus métayer, et je
deviens propriétaire d'un lieu, et j'ai toujours voulu être
musicien et je vais faire de la musique, ma femme me suit. Donc
déjà la réflexion sur les conditions sociales et comment
proposer une nouvelle manière de vivre elle a commencé bien avant
Bernard, elle a commencé avec la formation de ce lieu, et c'était
en 37. Donc voilà, l'héritage il est long et l'histoire elle est
dans le temps.
JC: Voilà peut-être, alors je vais faire un zoom
sur un moment qu'elle a dit, voilà peut-être que comme ça
tu auras un axe où trancher c'est; Alban qui a décidé de
sortir de la métairie, tu vois, l'homme d'action, tu vois, et
après, sa femme qui le suit. T'as vu, Marie, elle est, même si tu
veux pas le faire hein, parce qu'on sait qu'elle a une importance capitale,
mais voilà, c'est la femme qui suit. Mais c'était encore d'autres
raisons sociales. Tu vois c'était la France moitié du
XXème... première moitié c'était quand
même... Mais c'est un héritage, y a cet héritage là
aussi. Et je pense que après on peut le retrouver en
décortiquant. Je pense que tu vas nous amener vers ces
questions-là aussi mais tu vois, je pense que c'est pas rien.
«C'est la femme qui suis».
AL: Et là tu en vois aujourd'hui des...
JC: Nous fais pas un, comme ça, saut temporel dans le
mémoire.
AL: Mais si, c'est pas l'ordre du mémoire,
peut-importe, tu amènes sur cette discussion, donc c'est bien que
là ça te trotte. Et tu aurais une analogie actuelle à
faire avec ça?
JC: Non. Je pense pas. Pas ce rôle-là, tu vois.
Ils sont bien plus centraux maintenant, ils sont partagés, et
surtout cette nouvelle génération, tu vois, elle a que le
désir à mon avis que ça se passe ensemble.
AL: Tu parles de désir, toute à l'heure tu as
parlé de désir de transmission, etc. Moi souvent ici quand je
viens j'entends parlais de désirs et de peur, un peu comme une
espèce de grande dichotomie permanente. Pour vous, où serait la
peur, et où le désir?
LL: C'est pas opposé. Bernard quand il parle de la
peur, il parle de la peur de la peur. En fait la peur c'est sain. Enfin moi
pour parler de scène, c'est ce qu'il nous dit tout le temps, enfin ce
qu'il nous dit c'est qu'il faut avoir peur de monter sur scène, mais il
faut pas avoir peur d'avoir peur de monter sur scène. Donc la peur et le
désir pour moi c'est très lié, parce que quand tu as envie
de de faire quelque chose d'un peu ambitieux, ça c'est pas que sur
scène, t'as un peu peur.
DC: Moi je commence à apprendre, et dans mes
expériences ces dernières années j'ai appris que toutes
les meilleures expériences que j'ai pu vivre, à chaque fois
ça commencé par de la peur. Pour moi tout commence par de la
peur. Si y a de la peur c'est qu'il faut y aller, c'est bon signe c'est que
ça va aller, ça va être une expérience qui va
m'apprendre à me surpasser, à aller toujours plus loin et
à apprendre.
196
MA: Moi la peur et le désir, je peux en parler
artistiquement, mais je peux en parler aussi humainement, personnellement. Je
sais pas... le duo peur/désir... Je pense que c'est là (monte son
ventre).
AL: Et toi comment est-ce que tu t'es sentie légitime
à faire péter les feux? [...]Et dans les Gojats vous
avez senti des trucs comme ça, où ils y en avaient qui pouvaient
ne pas se sentir légitimes à venir avec vous ou...
DC: Ça c'est chacun qui peut dire. Regarde Margot elle,
je lui avais jamais dit.
AL: Oui, mais là ils sont, ils vivent encore beaucoup
ensemble.
JC: C'est une aventure de groupe aussi. [...]
LL: Après tu sais la légitimité dans
los Gojats c'est la même chose dans los Gojats par
exemple que dans Uzeste. Parce que ceux qui se sentent le plus légitimes
dans los Gojats c'est ceux qui se sentent le plus légitimes
à Uzeste. C'est pas un hasard si tu veux, c'est pas qu'à Uzeste
qu'il y a ça, c'est qu'à un moment ceux qui se sentent
légitimes c'est ceux qui réfléchissent à la
question et qui ont envie de s'y investir. Donc dans les Gojats y en a
certains qui, même dans les discussions entre Gojats, prennent
pas beaucoup la parole. Pour diverses raisons, y en a par exemple qui, comme
ils ne réfléchissent pas à la question, quand la
discussion arrive, c'est eux-mêmes qui se mutent. Des fois ils ont tort
d'ailleurs.
JC: Mm-Mh
LL: Tu vois c'est pas qu'une légitimité qu'on
leur donne, c'est une légitimité qui se donne à
eux-mêmes. Tu vois, même par l'implication, si tu veux. Par exemple
Jaime, qui maintenant est régisseur de la Cie Lubat (petits
rires), ingénieur lumière (rires)
JC: Oh, j'y crois pas trop encore. [...]
LL:[...] et Jaime il vient avec nous. Pour ses
capacités de mots, de parole et de scène aussi. Moi ça
fait longtemps que je voulais qu'il vienne, je l'ai dit à Fabrice, je
l'ai dit à Bernard. Mais c'est pas ça qui les a convaincu. C'est
de le voir ici tout le temps, travailler. Donc la légitimité elle
est aussi dans l'implication et le désir que t'y mets. Donc si tu veux
dans les Gojats les problèmes de légitimité face
à Uzeste c'est les mêmes problèmes de
légitimité face à eux même, si tu veux, pour moi.
[...]
AL: Là ce que je trouve intéressant c'est qu'il
y a deux légitimités qui se confrontent. Moi je parle de la
légitimité que tu ressens, qui fait que oui ou non tu peux agir,
monter sur scène, monter un festival etc. Ou celle qui t'est reconnue
par d'autres. Mais je sais pas, dans les Gojats, certains...
LL: Moi je que je remarque ici c'est que c'est souvent la
même. C'est que souvent y a une ambiance si tu veux, si tu sens que t'es
pas légitime: tu la fermes. Enfin j'ai l'impression quoi. Ce que je veux
dire qu'en général les gens légitimes sur scène qui
se sentent légitimes sont légitimes. Tu vois y a souvent une
espèce de truc comme ça où y a pas... C'est pas que y a
une objectivité de la légitimité mais si tu veux y a...
Enfin, normalement ici si t'es intelligent et sensible, tu sens le truc, par
exemple Paolo qui parle pas beaucoup, en réunion parfois il vient, il
parle jamais. Quand y a mon père et tout ça. Parce qu'il est pas
bête. Qu'il sent que si il parle d'un coup beaucoup, ça va
être bizarre quoi parce qu'il est pas souvent ici, il est
197
pas très impliqué encore dans tout ce qui se
passe, un peu mais pas complètement. Et tu vois, personne a besoin de
lui dire: «Écoutes, t'es pas légitime, t'as pas droit
à la parole.» C'est lui qui se l'impose à lui-même.
DC: Mais moi je trouve que cette question de
légitimité, moi, elle était, c'était du ressenti
d'enfant. Mais à la fois je la trouve débile. Je m'en veux de
m'être pas sentie légitime parce que ça veut dire quoi?
Légitime vis à vis de qui? Légitime vis à vis de
quoi? Enfin je veux dire... C'est pour ça que c'est intéressant
ce que tu dis sur le fait que si tu t'impliques, quoi que tu fasses, si tu dis
réellement ce que je fais, forcément tu seras légitime. Et
la place à Uzeste, on nous donne pas notre place, la place on la prend.
On la prend et on travaille et on agit, et c'est à partir de là.
On se dit pas: «Bon bin moi maintenant j'ai envie d'être à
Uzeste » donc voilà c'est dit, c'est fait. Bin non, c'est juste
pendant les premiers temps tu vas passer le balai, tu vas aider à droite
à gauche et puis petit à petit les gens ils vont voir que t'es
toujours là et que tu proposes ton aide et bien ils vont te demander de
faire ça, ça, ça et tu fais de plus en plus et à la
fin tu deviens un... un rouage indispensable au fonctionnement de voilà.
C'est le fait qui est important. C'est pas le dire ou le vouloir. Si, y a
ça aussi. [...]
AL: Là, ce qui est intéressant c'est que tu
définies toute une hiérarchie de tâches jusqu'à un
sommet, et pourtant, enfin, moi j'ai l'impression de voir beaucoup des
«copains» qui sont amenés sur le plateau sans justement passer
par tout ce processus.
LL: Ils ont aucun pouvoir de décision sur rien. Ils sont
sur le plateau.
AL: Enfin le plateau c'est quand même une
responsabilité.
LL: Bin ici c'est une responsabilité différente
d'ailleurs. Parce qu'on n'est pas dans un truc de programmation. [...] [En
parlant d'une artiste invitée à l'Hestejada mais pas
impliquée dans le fonctionnement] Demain on aura une discussion sur
l'Hestejada avec Fabrice et Bernard; elle vient elle dit un truc personne ne
l'écoute quoi. Comme les copains du parti Collectif
JC: En même temps ça c'est du protectionnisme un
peu bête. Je sais qu'il nous sert, mais si y a des gens à une
table, autant que, si ils ont des idées, qu'ils les exposent et que
ça puissent être pris.
DC: Oui! Oui mais bien sûr!
LL: Oui nan mais ça je suis d'accord. Nan mais tu
l'écoutes, mais ce que je veux dire c'est que si t'as pas, moi si j'ai
rien d'intelligent à dire, ou d'extraordinaire à dire, je peux
donner mon opinion sur, tu vois. Après si y a quelqu'un qui a une
très bonne idée, qui la donne, on l'écoute. [...]
DC: On demande pas à tout le monde, que l'on fait jouer,
d'être impliqué. [...]
MA: Moi je le suis pas du tout par exemple. Dans tous les
quatre là. Absolument pas. J'suis là à côté.
Je fais péter les pétards etc. Mais...
LL: Oui mais si tu veux t'as un rôle... un rôle...
DC: Bin un rôle de partenaire.
LL: Un peu plus si tu veux, parce que...
MA: Mmm... Non je ne me sens pas partenaire. Absolument pas.
Sans être impliquée dans le coeur de la logistique et tout
ça, je me sens ...
198
DC: Oui mais par exemple tu sais très bien que...
LL: Mais regarde, y a un truc d'identité avec toi
aussi. Y a un vrai rôle d'identité artificière,
parce que, tu vois, on va pas faire un feu avec d'autres
artificiers
DC: avec d'autres artificiers
MA: Oui nan mais moi je me sens impliquée totalement,
mais pas par la logistique, organisation
interne etc. [...]
AL: Oui je pensais à des personnes du parti
Collectif qu'on a amené sur scène directement, sans
qu'ils aient été spectateurs ou quoi. Ça
les positionnements en tant que artistes directement.
Ils ne sont pas passés par tout le processus des
Gojats ou...
DC: Oui mais on peut pas tous passer par là.
LL: Nan mais y a deux choses, tout le monde à pas
conscience de ça parce que les copains qu'on
amène, moi je serais pareil si on m'amenais j'aurais
pas conscience de tout ça. Et ensuite ils
ont la place d'artistes mais après ils se prennent une
bonne pétée et ça les calme. [...]
AL: J'ai vraiment l'impression qu'il y a deux
générations, entre guillemets, des filles, vous, qui
avaient été au théâtre...
JC: J'y été aussi moi.
MA: 'fin, moi avant ça, avant cette
génération, y a la génération Juliette (Minvielle),
Louis et
moi, tous petits.
JC: Même Lucie (Minvielle)
MA: [...] Je parle de 1ans, 2ans , 3 ans. Moi je me rappelle,
j'ai beaucoup de mémoire par rapport
à ça. [...]
[Jaime, Margot et Diane se remémorent comment le
théâtre est venu à Uzeste par leur création
spontanée, en jeu d'enfants, d'une pièce de
théâtre inspirée de la découverte d'une souris
morte. S'en suivront 3 pièces autodidactes de ces
enfants]
AL: En fait je me demande comme cette séparation entre
les filles et les garçons s'est faite, sur
scène notamment. Comment est-ce qu'on se retrouve avec
un groupe de sept garçons et les
filles. Souvent j'ai eu cette histoire qui m'est venue, cette
histoire de théâtre. Les filles
faisaient du théâtre, elles ont
arrêté au lycée.
DC: Moi je suis d'accord sur cette question des
générations.
LL: Y avait des garçons au théâtre.
DC: Oui, mais ils étaient minoritaires. On était
une sacrée troupe de filles. Y avait les Daudet,
y avait Sarah, y avait toi [MA], y avait les Deletrez, y avait
Lison Lavaud ...
JC: On était trois garçons.
MA: Antonin, Yassine et Jaime quoi.
DC: Y avait donc une bonne génération de filles.
On était pas forcément du même age, mais on
était dans cette génération. Et Nathalie
nous a pris sous son aile, et c'est avec elle qu'on a fait
du théâtre.
JC: Donc tu vois, Nathilie Boiteau, maintenant Dalila, tu vois
un peu comédienne et liseuse de
texte dans la Cie Lubat. Et qui en parallèle,
tu vois faisais un chantier éducatif.
DC et MA: Non!
199
MA: Elle faisait ses études d'infirmière avec ma
mère, avec Myriam. Elle a fait du théâtre avant
de lire des textes pour la Cie.
JC: Elle a fait du théâtre avec nous, avant de
...
MA: Parce qu'en fait c'était notre nounou à
Juliette et moi et quand elle nous a vu faire tout ça
elle a dit: «Bin moi je vais m'occuper de vous les
enfants».
DC: Elle s'est occupé de nous et après...
MA: C'est comme ça qu'elle s'est mise à faire du
théâtre Dalila. Elle a fait du théâtre quelques
années avec nous et après on a monté Uz
& Coutumes, et Dalila est entrée dans la Cie
quelques années après quoi. [...]
LL: Ce qu'il faudrait demander à Diane et Margot c'est
pourquoi vous avez pas continué à faire
du théâtre par exemple.
MA: Bin on a arrêté de faire du
théâtre parce qu'on était plusieurs
générations dans cette troupe
et que les plus grands sont partis dans les lycées
à la ville, parce que y a cette ruralité qui est
importante. Et c'est vrai, tout le monde est parti, justement,
faire des études à la ville, lycées
option théâtre...
AL: Mais les Gojats aussi avec les lycées et
conservatoires.
JC: Y a un truc spécial avec les Gojats, c'est
qu'au début c'était trois personnes à qui on a
transmis la musique. Enfin c'est même pas qu'on leur a
transmis la musique, c'est qu'on les
a posé sur scène, et après fallait qu'ils
se débrouillent. Alors pourquoi on n'a pas posé
les
filles sur scène puisque pendant les vacances
elles étaient là les filles aussi...
DC: Mais...
JC: Donc ces trois personnes, c'était Thomas
Boudé, dont on n'a pas parlé encore mas qui
est très important parce que lui il est
né à Uzeste. Y a Louis Lubat et y a moi. Au
départ
on avait un trio qui s'appelait BLC,
LL et JC: Boudé, Lubat, Chao
JC: Donc tu vois, c'est le trinôme de base qui a
après formé les Gojats par agrégats.
DC: Par la suite. [...]
DC: Et après y a quelque chose d'essentiel
à dire, c'est Bernard. C'est que, Bernard, c'est
à ce moment-là qu'il a mis tout en
place, sa volonté et sa ligne directrice de la
transmission. Y en a toujours eu, mais là il en
a pris conscience et qu'il en a fait un
travail primordial.
AL: Et vous vous aviez déjà arrêté
le théâtre à ce moment-là?
DC: Nous euh... on avait déjà
arrêté le théâtre. Et que lui est pas...
voilà...
MA: Nous on avait déjà arrêté le
théâtre depuis quelques années.
DC: Il est musicien
LL: Y avait deux choses, y avait le médium.
DC: Mmm. C'est le médium.
LL: Et puis y avait aussi moi quoi.
DC: Oh bin beaucoup.
200
MA: Ouais parce que y avait cette histoire de, que
t'étais tout petit et qu'il te faisait faire de la
batterie, on s'en rappelle.
LL: Mais ça, ça peut être aussi avec
Thomas par exemple.
MA: Ouais. [...]
AL: Mais y avait déjà la notion de
transdisciplinarité, notamment par Laure ou d'autres...
LL: Mmm, oui.
DC: Un peu moins.
LL et DC: Très différemment.
LL: Le terme d'amusicien par exemple, était pas encore
arrivé. Mon père avait jamais fait un
solo. Donc c'était moins...
DC: C'était aussi un tournant dans la Cie
Lubat.
LL: [...] C'est pour ça que mon père a fait un
solo à un moment parce que y avait presque plus
de gens dans la Cie.
MA: J'allais parler de ça aussi.
LL: Donc il a fait un solo. Et après si tu veux, en
nous il a aussi vu l'occasion, après Jules qui
est arrivé quand on était au collège ici,
il a aussi vu une occasion de, au lieu de recruter des
gens, beh de les former directement. De faire un centre de
formation de...
JC: Ce qu'il appelle le Conversatoire.
AL: Et pour le coup, hypothétiquement, si à ce
moment-là, à cette époque-là, la
transdisciplinarité, le croisement, notamment avec du
théâtre était déjà présent, vous
pensez
que...
LL: Le croisement il est... C'est à dire que pour
bosser bien avec mon père, faut faire de la
musique.
DC et MA: Ouais. Dalila elle est pas restée
longtemps.
DC: Et nous on faisait de la musique. Mais Bernard s'est
jamais occupé de nous.
MA: C'est vrai.
DC: [...] et après y a eu Emeline et Raphaëlle,
elles, elles ont fait du piano. Elles en n'ont jamais
fait avec Bernard, elles ont fait avec Cadillac.
MA: [...]
AL: Donc même avec cet apprentissage musical, vous
n'avez pas été à Uzeste.
MA: Nan, parce que c'est vrai que Bernard a commencé
tout ça quand Louis a commencé à
grandir. Et moi, c'est vrai qu'il y a cette époque
où la Cie s'est... y a eu un gros clash, y a
beaucoup de gens qui ont partis. [...] Et on a
arrêté le théâtre pas longtemps après.
[...]
JC: Cette aventure de laquelle t'as été
retirée. Alors que t'habitais à même pas... 9 km. [...]
AL: Ça vous a pas donné envie, plus tard de,
d'intégrer le groupe Gojats qui était en train de se
former?
LL: Ouais, j'pense que c'est une question d'âge
aussi.
MA: Ouais, j'pense que y a cette histoire de
génération et puis aussi...
DC: Bin non je pense pas parce qu'on a le même
âge.
JC: Jules il est plus âgé.
201
LL: Nan nan mais d'âge que quand t'as 13ans, tu joues
pas avec des filles, enfin...
MA: Ouais, j'pense qu'on est toutes parties en ville faire nos
études et qu'on s'est, qu'on a un peu décroché.
DC: Moi j'ai rien à faire, enfin pour moi j'ai rien
à faire sur scène. Et je n'ai toujours rien à faire sur
scène.
LL: Si quand tu fais les présentations [de son travail
en architecture].
DC: Ouais, mais...non. [...]
AL: Mais l'autre jour tu m'avais proposé...
[Proposition de création avec jeu de rétroprojecteur et danse en
duo AL et DC]
DC: Oui, mais maintenant, aujourd'hui avec... pourquoi pas
essayer. Mais c'était pas une fin en soi. Moi j'ai fait de la musique
parce que j'étais obligée. Bernard il me faisait chier,
j'étais obligée de faire des rythmes sur la table. [...]
AL: Et vous les gars? Je sais que la question des filles elle
s'est posée plus tard pour vous mais... LL: [...] Paolo c'était
un camarade de Thomas. Et quand t'es en 5ème, t'invites pas une fille,
toute seule, chez toi, dans ta chambre...
DC: Oui c'est vrai.
MA: Et ouais. C'est vrai y a ça.
LL: ... pour jouer avec tes copains! Alors que t'invite ton
copain Paolo. Tu vois, là y a pas de problème. Moi je pense que
c'est important ça, c'est pas une connerie.
MA: Ouais, moi j'suis d'accord.
LL: C'est à dire que la formation, le moment où
ça s'est agrégé ensemble, [...] à un âge
où tu pars pas même jouer, tu vas pas dormir dans une même
chambre qu'une fille. Enfin, tu vois, pour moi c'est des trucs qui... qui sont
aussi important de cet âge-là quoi.
MA: Et nous, toutes les filles on était parties
quoi.
LL: Voilà. Et après on en a rencontré
d'autres, au lycée ou à Bordeaux, plus tard.
AL: Et ça, ça vous a pas donné envie
de...
LL: Et après y a aussi un problème de... de
filles musiciennes. [...] Nous, on été en classe musique à
Camille Julian, avec Thomas et Paolo. Et si tu veux, dans la classe
c'était classique, et y a des filles qui jouaient classique mais ceux
qui voulait jouer jazz, par exemple Matis, y avait que des mecs quoi. Donc
après on avait pas encore l'instinct de faire l'effort aussi. Tu vois,
là avec Mona maintenant, bin j'ai envie de faire l'effort. Pas que parce
que c'est une fille, mais parce qu'elle est là, parce qu'elle donne
quoi. Et si tu veux je sens que, comme c'est une fille, elle est un peu en
retrait, donc j'essaie de faire le petit effort que j'aurais pas fait y a 5
ans. Parce que j'avais pas ces questions-là en tête et parce que
même, ça me faisait chier à 17ans de partir en voiture avec
des meufs quoi. Nan mais c'est vrai. C'est le truc de l'âge, de...
JC: C'est l'adolescence quoi. Tu vois, où ça te
titille encore et donc c'était moins possible.
MA: Bin ouais, ouais.
LL: Tu fais pas un groupe avec des filles. Et puis même,
les exemples que t'as si tu veux, c'est un truc à la con, mais nous tous
les exemples qu'on avait, y avait pas de filles dans les groupes
202
quoi. Moi je sais qu'on y pensait pas du tout. Enfin moi j'y
pensais pas du tout. Jusqu'à mes
18ans je me posais pas la question: pourquoi y a pas de
filles?
DC: Après y a un truc auquel je pense et qui est assez
important c'est que c'est avant tout une
aventure de... de bande de potes quoi.
LL: Bin oui.
DC: C'est ça aussi. Donc avec leur âge, t'es
entre mecs...
MA: Ouais c'est ça
AL: Oui enfin toi (Diane), t'as connu le fait d'être une
nana dans une bande de potes, moi aussi.
On sait que c'est possible.
DC: Ouais, enfin tu vois, même nous le
théâtre... Le théâtre c'était une
sacrée bande de potes et
on faisait n'importe quoi.
MA: Oh, si tu regardes la génération... Ouais,
je sais pas.
DC: Et on était quand même... y avait trois mecs
quoi, c'était pas non plus énorme.
MA: Mais parce que y en avait pas à Uzeste quoi. C'est
vrai.
LL: Et après y avait juste Thomas, moi et Jaime.
DC: Et ils venaient, et ils se faisaient bizuter parce que
c'était les petits.
MA: Pas moi.
[Souvenirs d'enfants]
LL: [Retour sur l'exemple de Thomas qui invitait Paolo
à dormir chez lui] T'invites pas une fille
comme ça toute seule. Tu fais jamais ça de ta
vie à 13 ans quoi.
MA: A 13 ans, t'invites pas une copine à dormir.
AL: Finalement il est là le problème, dans cette
éducation...?
DC et MA: Bin oui.
LL: Ouais après, bon, ça on peut discuter, mais
moi à 13 ans je..j... Je sais pas si c'est malsain
que ça.
AL: Pourquoi? Sain ou malsain mais quel est le
problème?
LL: Moi je pense qu'il y a un problème à ce
moment-là de l'adolescence si tu veux où...
MA: Non moi je pense qu'il y a pas de problème mais
c'est un moment où t'es en train de grandir,
t'es en pleine ébullition, tu comprends des trucs sur
ton corps, ce que tu provoquer, procurer
etc. Et je pense que de part tout ça et tout ce qui
peut se dégager dans les hormones etc., ils
passent un truc entre les garçons et les filles
où: les filles et les filles, les garçons et les
garçons, tu vois y a un truc qui se passe. C'est
là est c'est hyper normal quoi. [...]
JC: Mais on revient à l'héritage. Et qu'est-ce
que nous on a vu comme artistes sur scène, on a
surtout vu des artistes masculins...
DC et MA: Ouais.
JC: ... prendre le lead, tu vois, prendre le micro, même
être sur scène. Moi j'ai rarement vu de
filles, j'ai rarement vu de filles dans les Hestejadas...
LL: Oh si...
JC:... envoyer un gros chorus de saxophone ou être
batteuse quoi. Tu vois.
LL: Ah oui en musicienne.
203
JC: Après, on va dire que les femmes, les femmes qui
ont été admises sur scène ici, ont toutes
été des compagnes, des compagnes d'artistes. Donc, moi je vais
prendre l'exemple de Vanina Michel, première compagne de Bernard Lubat,
(Rires de Louis) tu vois, qui lui a donné l'idée de créer
le festival d'Uzeste. (Rires de Louis) Il a eu de la chance Louis, parce qu'il
est le fils de Laure Duthilleul qui a été aussi sur scène,
qui a fait partie de cette aventure-là. Des femmes, j'en vois peu
d'autres.
MA: Dalila, qui a été à la Cie.
DC: Mais c'était la compagne de Fabrice
JC: Et même dans l'aventure de la Cie Lubat,
même avant Uzeste, Mouffetard, ils étaient pas... c'était
pas des adolescents. Ils avaient 25-30ans, Bernard c'était un musicien
accompli. C'était peut-être encore moitié du
20ème siècle, donc des choses ont changé
déjà depuis, mais y avait pas de filles dans l'aventure. Et
ça on l'hérite aussi, même si on part de l'adolescence.
C'est des pourcentages d'explications, et les uns cumulés aux autres, y
a des faits.
LL: C'est aussi un fait que quand ils parlent des boites de
jazz, par exemple, y a jamais de meufs qui jouent.
JC: Même qui rentraient dans ces cafés à
l'époque.
LL: Tu vois il parle jamais de musicienne avec qui il a
joué...
JC: Non.
LL: ... parce qu'il y en avait pas.
DC: Mais des maitresses, ça oui!
LL: Oui d'ailleurs, faudrait qu'il arrête de m'en
parler. Tu vois il parle de chanteuses dans les Double six, si dans les Double
Six y avait des musiciennes, c'était des chanteuses mais, c'était
pas des chanteuses, euh... c'était pas la blague quoi. Les mecs aussi,
les chanteurs, y avait un truc. Mais c'est le seul groupe dont il me parle,
où il joue avec des filles. Après, ça empêche pas
les maitresses.
DC: Dalida aussi.
JC: Non mais un groupe où il joue avec des filles quoi,
où il met un intérêt, où il nous en parle avec
intérêt.
AL: Ca, dans les pourcentages, les études ça
ressort vraiment. Mais je me dis, un lieu comme ici où, où
justement y a les enfants-de, garçons ou filles, est-ce que t'as pas
envie que ton gamin il y aille, même si c'est une gamine...
LL: Oui sauf que son gamin il est arrivé après
les filles. [...] Et puis quand je suis arrivé, que je suis venu
m'installer ici, il a arrêté de fumer... du shit. Donc je pense
que ça aide aussi à la lucidité, d'une certaine
manière, et à éduquer des gens. Pour moi ça
participe à tout ça. [...]
LL: Après y a peut-être un truc plus
profond, c'est vrai que de voir que moi et Thomas, et toi (Jaime), j'ai revu
les images dans le film de ma mère, on a huit ans on est sur la grosse
scène de l'Hestejada à jouer de la caisse claire. Trois
garçons. Non mais, tu vois.
DC et JC: Ouais, ouais.
JC: Moi c'est là que je vois un [inaudible]
LL: Je sais pas si c'est parce que c'est mes
copains,
204
JC: Moi je pense que c'est dans le choix aussi de ceux
qui nous ont donné cette chance-là, vient un choix même
s'il est inconscient qu'on va prendre les garçons, parce que les petites
elles jouaient du saxophone, certaines...
LL: Jaime, moi je pense que c'est un
mélange.
JC: C'est un mélange, bien
sûr.
LL: Moi et Thomas on réclamait d'y aller. Elles
c'est pas ça.
JC: Ouais mais parce qu'elles ont pas cet
apprentissage de réclamer, tu vois de...
DC: Mais ça aurait été intéressant
aussi d'avoir Raphaëlle. Parce que Raphaëlle il l'a beaucoup
poussée. C'est une fille et il l'a énormément
poussée, énormément. [...]
MA: Ouais, mais par exemple Lucie qui est la fille de
Minvielle, qui est la plus vieille, elle a été forcée
toute son enfance à faire de l'accordéon et elle aimait pas
ça et elle est pas musicienne aujourd'hui quoi. Tu vois.
AL: Alors que Juliette (cadette de Lucie Minvielle), si.
MA: Alors que Juliette, si.
LL: Mais pas vraiment par ici. [...]
JC: Comme y a eu schisme avec Minvielle, on peut pas vraiment
avoir l'exemple de Juliette qui aurait incorporé les Gojats.
Parce que ça aurait pu être une éventualité.[...] Et
en même temps, les seules fois où on a fait des trucs ensemble,
j'ai senti que c'était pas évident pour elle. Pas pour elle, j'ai
senti qu'elle était pas à l'aise, dans ce truc-là. Et en
même temps c'est compliqué d'arriver dans ce truc-là,
surtout on était adolescent encore, un peu plus jeune. [...] On n'arrive
pas à faire du long terme, mais on arrive pas à se souder.
DC: Mais, Margot tu la connais plus que moi, mais tu penses
que c'est parce que c'est vous ou que c'est que Juliette a mis aussi du temps
à assumer et à vouloir être sûre que c'est ça
[devenir musicienne]. Je l'ai juste vue avant qu'elle parte, et voilà,
elle part au brésil parce qu'elle a dit: «J'assume, je veux faire
ça». Je pense que ça a été aussi un peu long
pour elle, de dire je fais/je fais pas, j'y vais/j'y vais pas. [...]
DC: Après t'as dit un truc toute à l'heure,
ça change de sujet mais ça m'intéresse; t'as dit, sur la
question qu'il y a peu de femmes et effectivement sur la scène
française ou dans la musique y a peu de femmes. Et tu disais: «Oui
mais justement dans un lieu comme Uzeste, pourquoi y a pas?». Et... moi
c'est un argument qui m'énerve un peu. Je rencontre beaucoup de gens qui
critiquent, qui aiment bien Uzeste et qui attaquent souvent sur la question de
la femme. J'en ai beaucoup parlé avec Juliette (Kapla), à plein
de reprises parce que elle elle est vachement là-dedans. Moi je t'avais
dit que j'étais pas trop dedans mais en fait je me suis un peu
posé la question de «pourquoi on voudrait absolument que Uzeste,
certes c'est militant, certes y a Bernard qui a un engagement politique
très fort, mais euh... on lui demande. .. on lui demande depuis des
années d'intégrer les femmes, de tout ça. Et il essaie de
trouver, maladroitement il te fait une journée de la femme (Rires de
Louis), il te fait un concert... et tout le monde lui casse du sucre sur le
dos. Quand il avait fait sa soirée de la femme, toutes les femmes
l'avaient incendié. Après il fait un autre truc, on lui
reproche...'Fin, je pense qu'on demande à Uzeste que y ait des femmes,
que tout ça mais euh... Bernard, c'est pas son combat
205
. Et on peut pas lui reprocher, c'est pas une femme. Et, et il
est très féministe à sa manière. Voilà, il a
rien contre les femmes et tout ça, mais il est maladroit dans tout ce
qu'il fait quand on lui demande d'intégrer plus les femmes, tout
ça. Et je pense que ce combat, c'est à d'autres de le mener.
C'est aux femmes de le mener , et lui... Si les femmes étaient force de
proposition et qu'elles arrivaient et qu'elles proposaient un truc et tout
ça. Je pense que Bernard il serait pas contre. C'est, c'est...
LL: Même pour.
DC: ...c'est pas son combat. Il aimerait, mais il peut pas le
mener.
AL: Moi je suis à la fois d'accord et pas d'accord
là-dessus. C'est à dire que, d'ailleurs le fait que ce soit
maladroit ou non, euh, déjà le fait qu'il y ait une
démarche, moi je trouve ça très intéressant. C'est
comme le fait de critiquer le fait qu'il y ait la journée de la femme
nationalement, ça sous-entend, c'est vrai, que toutes les autres
journées sont des journées de l'homme. Mais mine de rien,
ça fait une journée où tous les bilans sur le plan de
l'évolution des égalités hommes/femmes sont mis en avant
sur les médias, ce qui ne serait pas fait. Donc tu vois, c'est ce genre
de choses qui en effet sont critiquables et sont critiquées d'un point
de vue symbolique, mais qui peuvent avoir des effets aussi réellement
concrets. Donc ça après, moi, j'ai bien envie de mesurer
ça.
LL: Ça c'est possible, mais tu vois, on l'avait fait
une fois une journée de la femme à Sort. Et c'était bien,
à part [Nom] y avait que de la qualité quoi.
DC: Mais Bernard il c'était fait mais...
LL: Il s'est fait défoncé!
[voix mêlées]
LL: Pour te montrer combien il est maladroit aussi, une fois
dans le programme de l'Hestejada, il voulait mettre tous les noms des femmes
d'abord. Non mais pour lui c'était, 'fin c'était sincère
quoi. C'était pas, pas...
JC: Pas de la com, quoi.
LL: C'était pas de la com. C'était pas pour dire on
a des femmes.
AL: C'était pour les mettre en avant.
LL: Voila! Tu vois. Et Martine lui a dit: «Attends Bernard,
c'est pas possible.» [...]
MA: En même temps, j'ai juste un truc à dire
c'est qu'il y a beaucoup de mecs sur la scène mais ayant grandi ici, y a
eu beaucoup de femmes dans les bureaux aussi quoi. Uzeste c'est pas que...
AL: Voilà, mais justement. C'est aussi ce qu'on appelle
la ségrégation horizontale, c'est à dire le fait que, par
éducation, c'est toujours ça le problème, on se
réparti, on se prédispose, on ambitionne, des métiers, des
fonctions qui semblent disposées à notre âge, notre sexe,
notre «race», etc. Et...
LL: Y en a beaucoup des artificières?
MA: Non.
AL: Justement. Justement, c'est hyper intéressant,
c'est que tu vas, [...], c'est que symboliquement, tu vas, tu es
professionnellement contre-genre.
206
MA: Mais totalement.
AL: Professionnellement un technicien euh, un artificier,
c'est masculin. Et tu viens mettre un sexe féminin là-dedans. Je
dis pas forcément de la féminité, parce que je sais pas si
tu es féminine, masculine ou quoi, et puis qu'est-ce que ça veut
dire être féminin, masculin et tout. Mais, en tout cas,
physiquement parlant, biologiquement parlant, t'amènes ça.
LL : Mais même artistiquement. 'Fin moi j'ai vu la
différence entre plusieurs feux que j'ai fait avec Patrick et le feu de
l'an dernier qui était écrit, pas que par toi mais par toi et par
Guillaume, et c'était, je ne sais pas si je vais être maladroit
comme mon père, mais c'était plus féminin, plus sensible
en tout cas, je sais pas si le féminin c'est le sensible, mais en tout
cas c'était assez différent que quand c'était que ton
père qui faisait les plans de tirs. J'ai l'impression.
MA: Ah ça a rien à voir. On écrit pas du
tout pareil.
LL: Voilà, donc pour moi y avait une vraie
différence aussi sur le rendu artistique, c'était pas que
symbolique si tu veux.
AL: Et justement, est-ce que ça amène pas
à l'envie de... de, professionnellement, artistiquement, mêler
avec des visions de femmes, vos travaux?
LL: Tu prends l'exemple du parti Collectif, tu vois
à Bordeaux, nous on fonctionne, tu le sais très bien, sans
audition. Moi je propose à tout le monde. Et il se trouve qu'il y a des
femmes dans, dans... tu vois quand je vais au conservatoire, dès que je
vois un musicien je lui dis: «Viens». J'dis «musiciens»,
alors qu'il y a des musiciennes aussi. Après y a un vrai défi
dans le jeu, tu vois de... par exemple la seule fille qui est pour l'instant
vraiment sur scène avec nous, qui est Mona-trompette, à la faire
jouer quoi. Tu vois y a une vraie difficulté à la faire jouer
quoi. Alors qui est pas liée qu'à son sexe à mon avis, qui
est liée à beaucoup de... à son origine, au fait qu'elle
fasse du classique, elle cumule une certaine euh... Tu vois, j'ai
regardé une fois Jaime il l'a forcée à jouer devant tout
le monde. Il l'a chopée, elle était-là, en
scène...
JC: Vraiment hein.
LL: ... il lui a donné la trompette, il a dit:
«Allé, c'est à toi ». Tu vois, elle était super
mal. Et elle a fini par le faire
JC: Avec humour hein, j'avais un rôle à jouer
aussi. Je suis pas aussi... J'aimerai que voilà, les gens qui vont
écouter ça après, professeurs de Anna, sachent que je ne
prends pas des décisions comme ça, voilà. J'suis pas
autoritaire.
LL: Nan, mais tu l'aurais peut-être pas fait si
c'était un mec.
DC : Ooh!
LL: Nan, mais je sais qu'on a cette discussion entre nous,
avec Jaime aussi sur elle, tu vois, où elle est là et on a
envie...
JC: Nan , ça a été son... pas « rite
de passage », j'aime pas parce que y a pas... Mais il fallait qu'elle le
fasse quoi. Il fallait crever l'abcès. [...] Il fallait crever
l'abcès de cette jeune fille là, tu vois, marocaine, classique,
seule fille du parti Collectif, et qui à un moment, devant
quatre personnes dans la boîte de nuit à Lormon, y avait pas un
vrai danger à se mettre en scène, et beh c'était le
moment. Et moi j'avais un rôle à jouer de faux organisateur de
soirée
207
danseur, tu vois, un peu chiant avec son micro à
côté de la bouche, je sautais partout etc. dans un désert
en fait. Et voilà, elle était là, elle faisait partie du
seul public quoi, et à un moment, voilà, je l'ai forcée
à improviser avec la trompette, et personne savait qu'elle jouait de la
trompette. [...] Et ça a été le premier moment où
elle est montée sur scène.
DC: Mais après elle est seule, c'est dur hein.
LL: Ouais, mais bien sûr que c'est dur. Mais, c'est pour
ça...
DC: Mais c'est là où j'en viens, c'est
peut-être méchant, je sais pas, mais c'est...il faut que...on
soit, en tant que femme, source de proposition aussi.
AL: Oui, mais après... Je vais revenir sur ce que tu
disais avant; «Bernard c'est pas son combat» etc., euh... en fait je
suis à la fois d'accord et pas d'accord. En l'occurrence, j'suis
d'accord parce que lui il a fait un choix de se battre artistiquement etc.,
mais à partir du moment où tu es dans un discours pour combattre
des inégalités, notamment sociales, en passant par de
l'éducation populaire, forcément tu te retrouves confronté
au fait que dans certaines zones géographiques, tu es moins
cultivé que, par exemple, dans le 7ème à Paris. Et que
comme ça t'as des populations qui sont ségréguées
culturellement. Et que, à l'intérieur de ces populations
là, y a la moitié de la population qui est aussi
confrontée, enfin tous, on est tou tes confronté-es à de
la ségrégation professionnelle, que ce soit d'une manière
positive ou négative. Et ça, si tu te mets dans un combat contre
les inégalités, forcément, que tu dois quelque part te
confronter à l'idée que...
JC: Mmh. J'suis d'accord ouais.
AL: ... y a la moitié de la population qui a
peut-être même pas conscience du fait qu'elle est mise en retrait,
et que ça passe par... par du discours quand t'étais petit, et de
te dire: «Mais non, mais t'en as pas la force ma chérie.»
DC: Nan mais, je suis... Je suis entièrement d'accord
avec toi mais en ayant beaucoup parlé avec Bernard, il arrive pas
à se mettre à la place des femmes. Et je le comprends tout
à fait. Il a conscience de cette inégalité-là. Pour
lui c'est injuste tout ça, et, et quand il dit: «Il faut se
mobiliser», il essaie. Il fait une journée de la femme. Et
ça tombe à l'eau parce que c'est un combat parmi 1000 que lui il
mène, et que c'est sa ligne de... de front, c'est ailleurs. Il essaie,
il essaie. Mais pour moi Uzeste c'est des pluralités, on est nombreux,
chacun apporte, chacun mène son combat aussi et je pense que ce combat
du féminisme, à Uzeste, je pense que ça peut être
mené par quelqu'un d'autre que par Bernard.
LL: C'est ça. Mais parce que je pense que le combat du
féminisme à Uzeste il est mené en fait. Tu vois Lydie
Delmas,
DC et LL: Sylvie, Juliette.
LL: Martine, voilà. Après y a deux choses
différentes [...] Effectivement y a une différence entre le
fonctionnement du lieu et aussi des combats qu'on mène. C'est ça
aussi, y a une dichotomie aussi. Entre comment on fonctionne, et la
réalité. Et c'est quoi qu'on met en avant parce que si tu
regardes le programme de la dernière Hestejada, le féminisme il
est mis en avant. Alors c'est pas des gens qui travaillent au jour le jour
à Uzeste, mais c'est des gens qui travaillent depuis très
longtemps. Lydie Delmas par exemple, je veux dire ça fait 20ans
208
qu'elle vient à Uzeste cette femme. Et ça fait
20ans qu'elle porte ce rôle. Toutes les femmes qu'on invite, les
philosophes, en fait, on invite des femmes. On invite les femmes qui existent
aussi.
MA: Y en a des femmes qui sont passées : des danseuses,
des...
DC: Ah mais sur les 180, ça serait intéressant de
faire le compte des 180 derni...
AL: Je fais que 4 programmes.
DC: Ah bin voila
MA: Y a quand même, y a quand même pas mal de
femmes.
LL: Mais y a aucune musicienne presque.
JC: Joëlle Léandre, Joëlle Léandre c'est
la seule que j'ai vu.
DC: Oui mais c'est la seule qui est, qui est venue, mais c'est
vrai aussi, ce que tu dis, on fait venir les femmes qui existent, qui...
voilà. Y aurait des...
LL: Par exemple en philosophe y a plein de femmes qui
viennent. C'est là que je pense qu'il y a une volonté de faire
ça, mais y a aussi une... une incapacité quoi. Bon
Géraldine Laurent ça fait deux ans que ça chie pour des
histoires de calendrier, de dates, mais en jazz c'est la seule fille que je
voudrais inviter quoi. Y en a quelques-unes, mais moi c'est la seule qui
m'intéresse, que je connais. Y en a sans doute que je connais pas, 'fin
ça c'est un autre débat, j'ai pas...
JC: Ça c'est les invité-es extérieur-es
de l'Hestejada, et après on parle de nous sur scène? Parce que
nous on joue pas qu'au jazz, on joue un truc impur, qui demande aussi de faire
des grimaces sur scène, et ça, ça commence à
être le cas, mais c'était pas...enfin la fille elle a pas
été construite comme ça par l'homme, pendant des
millénaires. Comme espèce de femme objet, et beh elle
était belle, elle était pomponnée depuis le début
de sa naissance, on l'a formatée dans ce rôle-là, et
ça ça fait très peu de temps en France, moi à mon
avis ça fait moins de 50 ans, mais ça tu peux mieux en parler que
moi, et le déclic il a eu lieu juste dans la génération de
Bernard. Donc même si c'est pas un mec misogyne, et très au
courant de tout ça, il est ancré dans l'actualité, lui il
l'a hérité ce poids-là, sociétal. Et même
s'il le remet en question, notre génération, c'est notre front
à nous à tous. Donc ça ne sera pas qu'une histoire de
filles. Mais nous on est pleinement conscient de ça...
LL: Ah oui
JC: ... et on a envie que ça change. On se rend
compte...
LL: Oui, nan mais c'est pour ça qu'on en parle sur
scène et qu'on se fout de notre gueule aussi souvent. On dit par exemple
sur scène, quand y a Rita par exemple, et qu'on dit: «Y a Rita et
15 mecs autour quoi.»
AL: Mais là c'est elle qui est mise en avant.
LL: ... Oui.
AL: En termes de hiérarchie c'est elle qui est devant.
LL: Oui, oui c'est vrai.
AL: Et quand tu parlais de la CGT pour vous ça a eu un
impact moralement, mentalement, intellectuellement de réflexion sur
euh...
209
DC: Ah complet.
MA: Bin ouais.
DC: Ça fait partie d'Uzeste. Uzeste ça fait
25ans qu'ils sont là.
AL: Je parlais des débats féministes, Lydie.
DC: Oui mais ça fait 27 ans que... qu'ils sont
là.
MA: Mais moi je l'ai pas ce... Enfin bien sûr qu'il y a
cette question que les Gojats c'est que des
mecs, le parti Collectif, la Cie etc. Mais moi je
fais des feux d'artifices et je... je travaille
dans un milieu où y a que des mecs et que des gros
bourinasses. J'exagère mais... Et j'ai
absolument pas ce problème ou ce questionnement. Je
l'ai eu, mais je pense que ...
LL: Mais c'est là que je pense que l'héritage
rentre en jeu aussi quand même. Enfin t'as pas
l'impression de ça, du rapport des autres qu'ont
à toi? Que si, enfin je sais pas c'est peut-être
un peu cru, mais que si t'étais pas la fille de Auzier
ils seraient aussi accueillants ou aussi
pas accueillants?
MA: Bin ça je le vis, tu sais, parce que je travaille
pas qu'avec Auzier justement et... y a plein
de gens qui m'attendent au tournant. Mais...
LL: Mais je pense que du fait qu'ils t'attendent au tournant,
ils t'attendent. Alors que si t'étais
une fille et...
MA: Ah mais totalement!
LL:... et pas Auzier. Ils te verraient pas. Je pense qu'il y a
aussi ça qui joue.
MA: Ah mais c'est sûr. C'est pour ça que je
disais toute à l'heure que c'était pas rien.
JC: Si il te voit dans ta manière d'être. Et
ça peut-être que tu as le nom, ça s'appelle
«existe-
corporel» ou un nom comme ça quoi, c'est ce que tu
dégages. De comment tu te comportes
à l'endroit où tu es. Et toi quand t'es sur un
champ de feu,t'es à ta place. Et le mec vite fait,
qu'il soit misogyne ou pas, il sait que toi t'es à ta
place.
MA: Voilà, c'est que que j'allais dire.
JC: Quand Louis monte sur scène et se met à la
batterie, on sait qu'il est à sa place.
DC: C'est là qu'elle est la légitimité.
[...]
LL: Mais moi je pense que si j'étais une fille,
m'appeler Lubat ça me servirait. Plus que... que
je suis un garçon.
JC: Mouais c'est possible.
LL: Ce serait dur mais en même tant je serais
repérée tout de suite.
DC: Nan, moi j'pense que ce serait moins dur.
LL: Oui c'est ce que je dis. Je pense que ce serait moins
dur.
MA: J'suis pas sûre hein. Je suis pas sûre et je
pense que de toutes façons c'est très con de...
Mais je suis pas sûre hein.
LL: Nan mais j'essaie de voir...
JC: C'est le truc de la discrimination positive de la fille
qui reprend à la batterie le truc.
MA: Ouais je comprends pas là. Regarde moi j'ai bien
pris une tenaille quoi.
DC: Une fille batteuse qui s'appelle Lubat.
MA: Ah!
210
LL: Mais même pas que dans le comparatif du fait que je
sois un mec. Juste de dire une fille qui arrive comme ça dans le jazz,
c'est très dur, c'est très dur!
JC, MA et AL: Mm, c'est sûr.
DC: Mais si elle a un nom...
LL: Et je pense que si elle a un nom, là se serait
plus... Si tu veux, moi des fois dans ma vie personnelle, je
préfère m'appeler Lubat. Enfin je suis très content de
m'appeler Lubat quoi. Et dans le milieu du jazz, ça me dessert plus que
ça me sert. Parce qu'ils me connaissent, mais ils me connaissent du...
tout de suite je vois dans leurs yeux l'apriori. Alors qu'une fille qui arrive
dans le jazz, c'est très très dur, c'est beaucoup plus dur que
pour un mec, je pense qu'encore aujourd'hui c'est comme ça, et que si
elle a un nom, même pas Lubat, c'est plus facile pour elle parce qu'elle
est repérée plus vite. Y a un truc comme ça que je veux
dire. Et je pense qu'il y a plus d'indulgence qu'avec moi.
JC: Ouais, je sais pas...
LL: Nan mais je l'ai vu avec Raph, Raphaël Quenehen, il
était au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique et de
danse de Paris) avec une batteuse qui s'appelle Anne Paceo, moi j'aime pas du
tout. On en parle une fois, y avait Paseo qui passait à la TV la veille
et j'dis: «C'est quand même de la merde» et dit «Ah ouais
mais en même temps, elle a passé 5 ans, tout le monde se foutait
de sa gueule au CNSM.
JC: Putain...
LL: Nan mais c'est horrible. Mais y a le truc, c'est pas
méchant, mais il fait de la, je sais pas comment dire, de la
discrimination. Il m'explique qu'il aime pas ce qu'elle fait, mais...
MA: Et que comme c'est...
DC: ...mais qu'elle mérite parce que...
LL: Voilà. Moi je ne suis pas d'accord avec ça.
Mais c'est juste pour donner un exemple aussi de... de comment on
représente le truc quoi. [...] Nous on se sert du réservoir des
gens qu'on voit et qu'on regarde. Et quand je regarde le réservoir
philosophique des philosophes, quand je regarde des réservoirs comme
ça, tu te rends compte qu'il y a pas mal de femmes qui viennent. Mais le
problème c'est que quand tu regardes le réservoir des musiciens,
bin c'est un réservoir de musicien, c'est pas un réservoir de
musiciennes. [...] Et je mon père, il peut être autant
féministe qu'il veut, l'exigence artistique il transige pas avec
ça. Et il fera jamais du volontariat si sur scène ça passe
pas.
AL: Et dans votre travail de construction des réseaux
professionnels, vous vous êtes déjà senties
valorisé-es ou dévalorisé-es par des
éléments symboliques comme l'âge, le sexe, le nom, en
dehors de ce que l'on peut connaitre de votre travail concret? [...]
MA: Bin totalement. Quand je suis cheffe de chantier et que
c'est moi qui écris le feu d'artifices
etc. et que j'arrive dans une ville
où je dois tout à coup rencontrer le service technique de la
ville...
LL: De Mézin (ville où une date devait
être partagée entre Pyr'Ozier, les artificiers et los
Gojats) JC: Ouais c'est clair.
MA: ...pour voir les lieux et tout ça.
211
LL: Mézin c'était la folie.
MA: Et bin les mecs du service technique, là, quand il
voit une petite nana de 23 balais arriver
en face d'eux avec une tenaille à la main, ils rigolent
quoi, tu vois. Ils te regardent pas tous
dans les yeux. Ils ont pas tous compris que c'était toi
qu'allais leur expliquer quelques trucs...
C'est vraiment...
LL: Là tu sors la bombe à
kérosène.
MA: Et le pire c'est que ça m'arrive très
souvent que... que c'est après le feu d'artifice, au
démontage que les mecs ils viennent comme des fous me
voir quoi. Tout à coup... Parce
qu'ils ont vu que j'étais pas en train de leur raconter
des conneries, que je...
JC: Ça c'est de l'éducation populaire!
MA: Très souvent quoi!
DC: Moi ça me l'a fait la première année
que j'ai fait Uzeste. C'était hyper dur avec euh... les
techniciens. Parce que euh, c'est pas une gamine de 22ans qui
va leur apprendre le métier.
Et c'était pas évident. Et là par contre,
euh, j'aurais pas étais la belle-fille de Bernard Lubat...
j'aurais pu aller me brosser.
JC: Mm.
LL: Mais là je pense que c'est plus le fait de
l'âge que du sexe.
DC: Oui.
LL: Parce qu'en prod y a beaucoup de femmes.
DC: Là c'était la question de l'âge.
AL: Oui mais la prod et souvent considéré comme
le travail de la maman.
LL: Oui nan mais je suis d'accord avec toi. Mais ils...
DC: Ils voulaient me marcher dessus parce qu'avant y avait
Marie, Flora...
LL: C'est une femme, mais les techniciens ils ont l'habitude
d'avoir un interlocuteur féminin.
[...]
MA: Ouais, mais moi en m'y confrontant
énormément, je trouve ça chiant parce que je trouve
ça inadmissible, mais je trouve ça plus chiant
parce que pour le coup j'ai envie de lui, de lui
dire: «Allé, viens avec moi quoi. Prend ta
visseuse et viens mécher, viens et on va voir
comment ça se passe. «. Et du coup ça me
fait plus chier parce que je trouve ça tellement
aberrant et tellement présent partout que... que j'ai
pas envie que ce soit tabou comme,
comme, comme, j'sais pas, comme les mecs qui supportent pas
les homosexuels. Parce que
c'est super réel quoi. Donc on est là, tout
ça ça se passe, très bien bin on y va quoi.
JC: Généralement c'est qui les agresseurs? C'est
des gens de plus de 30ans? 40ans? Non? Qui
se permettent?
MA et DC: Ouais, totalement.
JC: Et maintenant, la génération de maintenant
c'est beaucoup plus rare quoi.
AL: Je sais pas. C'est plus pernicieux.
JC: A Mézin moi j'ai trouvé ça affreux.
La manière dont ils t'ont reçu là. j'étais avec
Tanguy, je
trouvais ça mais super violent. J'étais furax.
Et en même temps si tu veux que ça se passe, tu
peux pas leur rentrer dedans.
212
MA: T'étais avec moi quand on a fait le
repérage, non?
JC: Non.
MA: C'était pire.
LL: Tanguy ils nous a raconté.
JC: Ah c'était pire? Parce que là, rien
qu'autour de la table, comme ça, avec les mecs qui te reçoivent
avec les petits mots d'enculés là. Putain, ça...
MA: Ah non mais c'était rien ça pour moi.
JC: Ah ouais? J'ai horreur de ça moi
déjà.
[...]
MA: Mais tu sais, moi la première année à
Roquetaillade, où j'ai pris le relai de l'Opéra Liberté
là, en 2013, j'avais les talkies. C'est moi qui avait le talky,
j'étais cheffe de tir, j'avais le talky relié à toute
l'équipe des techniciens et toute l'équipe de la
sécurité (service d'ordre assuré par la CGT). Et bin
après le feu d'artifice, Delmas, le grand Delmas de la CGT, il est venu
taper dans l'époque de Patrick Auzier (son père), comme un
taré en lui disant: «Putain ta fille, elle avait le talky! Elle a
géré!!» Et en fait parce qu'ils étaient super
flippés quoi. Ils ont halluciné, ils sont venus me voir à
la fin: «C'était super!», me parler de la
sécurité, tout ça.
LL: Mais ça pour moi c'est l'âge aussi.
MA: Et voilà je pense que ça, mais totalement.
[...]
LL: Je pense qu'à Uzeste, je me trompe peut-être,
je pense que c'est plus l'âge. A Mézin, par exemple, je pense que
t'aurais été un mec du même âge, ça aurait
été complètement différent. MA: Non mais
Mézin, le repérage a été immonde quoi. [...]
JC: Moi, au terme de «ségrégation
horizontale», je vais opposer le terme de «ségrégation
verticale». [...] En tout cas, ici dans ce lieu et en résonance
avec toutes les activités qu'on mène, dans l'association
parti Collectif ou d'autres trucs, y a l'importance du musicien,
l'importance de l'artiste. Je dirais pas qu'il y a un ascendant sur le reste,
mais qu'il y a un rôle capital. [...]
AL: Dans les recherches que j'ai pu faire, y a un constat qui
m'a touché et que je trouvais intéressant, c'est :
déjà la plupart des femmes artistes ou du métier culturel
sont en couple avec une autre personne du secteur culturel. Surtout l'exemple
qui... (MA désigne LL et AL) Oui je sais, nous sommes un excellent
exemple. Euh, à la base c'est surtout sur les musiciennes de jazz, qui
sont pour quasiment la totalité en couple avec un musicien, un agent, un
chargé de com, technicien etc. Et ça crée deux
problèmes : la dépendance au réseau du conjoint et le
problème du soutien. Puisque c'est quand même des vies qui ont
besoin d'un soutien physique, mental, etc. Et souvent, ils se rendent compte au
fur et à mesure que la conjointe soutient le musicien au
détriment de elle, sa carrière. Et souvent quand un enfant
arrive, la carrière s'arrête, au bénéfice de celle
du musicien. [...] Je me demande si vous, vous avez pas cette crainte de
dépendance aux réseaux d'ici, du lieu et aussi du conjoint,
conjointe.
LL: Euh, je pense que la dépendance aux réseaux
des parents on peut l'évacuer tout de suite parce que, si tu veux, moi
j'ai pas peur qu'elle s'envole, parce que je pense pas que je vais couper tous
les ponts avec mon père...
213
JC: Tu vois, contrairement à ce qui pourrait t'arriver
à toi (AL), par exemple.
LL: (Petits rires) T'es vraiment un **** toi [...]
MA: Mais moi par exemple...
DC: Après dans le milieu archi (de l'architecture)
c'est pareil hein. C'est que les couples, ils se
forment et t'as le mec qui devient une grande star et la femme
qui a fait ses études d'archi. ...
MA: Elle s'occupe de la baraque!
DC: Non, c'est encore pire que ça. Elle devient
secrétaire. Et après elle est cocue avec une
collègue, évidemment [...] et du coup elle
s'occupe de l'agence avec les cocus et voilà.
JC: Tu rigoles!?
DC: Nan, nan, c'est énorme. La plupart des
secrétaires des grands archi. c'est des femmes
d'archi.
MA: Moi par exemple je suis en couple avec un artificier
JC, DC et LL: (Rires)
MA: On est tombé amoureux en se soutenant, en plus,
énormément dans notre métier. Et euh,
on a un réseau qui est très lié mais on a
aussi un réseau qui est très différent, dans notre
relationnel du milieu. Donc ça se rejoint beaucoup mais
on a aussi chacun nos, nos axes. Et
on se soutient énormément mais on a chacun notre
écriture. [...]
AL: Donc si dans un an c'est fini, tu ne te retrouves pas sans
réseau en fait.
LL: Oui mais parce que tu en avais déjà un
avant. Tu t'es pas construite que par lui.
MA: Nan. On s'est rencontré dans ce milieu-là en
ayant chacun nos réseaux et en ayant aussi
du réseau commun quoi, forcément. Et non j'ai
pas peur d'arrêter ma carrière en ayant des
enfants. [...] Toute en étant consciente de la
dangerosité de la fusion et en faisant attention
quoi.
DC: Moi j'espère ne pas être
secrétaire.
Tous: (Rires)
JC: Mais t'as pas eu beaucoup d'amoureux archi. ?
DC: Nan. Nan mais justement c'était une règle,
pour moi.
MA: Ouais mais tu sais la règle...
DC/ Oh, pour l'instant je la respecte bien.
LL: Toi (MA) t'avais une règle comme ça? Tu
voulais pas...?
MA: Nan, mais c'était pas une règle, mais je
pense que ça te tombe dessus. [...]
LL: Mais attends, y a des règles hein, toi [A]) tu
voulais pas être avec un mec des Gojats au
départ.
AL: Mmmh.
JC: Tu rigoles?
LL: C'est un échec. [...]
[Retour sur la CGT et les débats féministes]
DC: Mais on en a déjà parlé Anna. Pareil,
moi cette préoccupation du combat féministe, je l'ai
eu très tard. Je l'ai depuis six mois. Que avant, j'ai
jamais été confrontée à.... Peut-être
inconsciemment, mais jamais consciemment. J'ai toujours
été, beaucoup travaillé avec des
214
hommes, en permanence, même à l'école. Et
j'ai toujours eu, pas porté la culotte, mais j'ai
toujours eu ma place et jamais faite écrasée.
AL: Et qu'est-ce qui c'est passé y a six mois?
DC: Y a eu ces entretiens à St Medard en Jalles
(entretiens sociologique sur les habitants des
HLM) où j'ai vu que...
JC: Ouais que c'était un problème.
DC: Beh que c'était réel. [...]
DC : Mais voilà, y a une réalité aussi
sociale. On avait rigolé de Marie Lubat. Marie Lubat qui
euh, on est trois soeurs : Ariane, Raphaëlle et moi. Et
Marie adorait Ariane parce que c'est
celle qui faisait des études. Donc elle était
à Bordeaux pour faire des études, c'était important.
Raphaëlle c'était l'artiste, la danseuse. Et bin
moi j'étais faite pour faire à manger, repasser
le linge, et surtout, éduquer Louis. Donc je me faisais
engueuler quand Louis ne disait pas
bonjour à Jeannette, que il faisait du boudin etc.
C'était: «Non mais Diane, ça va pas du tout,
qu'est-ce que vous faite...». Après je me faisait
engueuler parce que je faisais pas la sauce
salade comme il fallait, que je savais pas plier le linge
comme il fallait... Y a aussi un....
LL: Oui, un truc horrible qui se transmet.
MA: Ah oui, oui, oui...
DC: Voilà. Qui est inconscient. Mais voilà. Moi
je l'analysais pas comme ça à l'époque. Mais
voilà, ça me fait rire.
AL: Mais ça reste quand même ancré.
DC: Ça reste ancré. [...]
AL: Quel constat vous feriez à Uzeste, non pas
seulement sur la répartition hommes/femmes
mais aussi masculin/féminin?
LL: Ouais mais ça faudrait que tu définisses un
peu parce que là....
DC: Ouais
JC: Pour que cette rencontre nous serve aussi j'aimerai bien
que tu définisses «genre» et «sexe»,
la différence est pas... [...]
AL: Mais en fait j'avais plutôt envie de vous demander
à vous, de définir le masculin et le
féminin.
LL: Ah, bin quelqu'un a une définition? Jaime?
JC: Bin pour moi le masculin c'est la force... l'esprit
aventurier...
Tous: (Rires)
JC: C'est la puissance de décision et d'action. C'est
le leader-chip. Et puis, (rires) le féminin se
serait plus, tu vois, la douceur, la gentillesse, le
côté familial.
Tous: (Rires)
JC: Euh (se rapprochant de l'enregistreur), je m'appelle Louis
Lubat.
Tous: (Rires)
AL: Finalement t'as pas si tort que ça. Le
féminin et le masculin c'est ce qui va être construit
culturellement comme étant attribué à
l'homme ou à la femme. [Présentation du schéma des
opposition de Pierre Bourdieu]
215
DC: Du coup on les présente comme des oppositions?
AL: Alors, c'est là le problème. Notre
génération... Enfin. Moi j'étais plus dans l'idée
que c'était
plutôt, par exemple la force qui correspondrait aussi
bien au féminin qu'au masculin c'est
juste c'était pas les mêmes forces, «force
féminine», «force masculine».
JC, DC: Mmh. Ouais.
AL: A l'heure d'aujourd'hui, moi je me dis qu'il n'y a pas de
féminin ni de masculin.
JC: Moi j'suis d'accord plutôt.
DC: Moi c'était plutôt là-dessus.
JC et MA: Ouais, moi aussi.
DC: Je me disais: «C'est peut-être ma vision
architecte de mes deux, sans poésie, sans rien»,
mais pour moi c'est... C'est des mots vides de sens.
LL: Moi j'suis d'accord avec toi mais en même temps
c'est des mots, par exemple au feu de l'an
dernier [fait pas MA], que je me suis dit. Tu vois. En
facilité de langage bête...
MA: C'est ce que tout le monde a dit d'ailleurs. Moi j'ai
beaucoup entendu ça.
LL: Tu vois. Le feu de l'an dernier où c'était
plus féminin.
DC: Mais ça veut dire quoi?
MA: J'suis pas d'accord hein. Mais je comprends.
LL: Non, non mais je sais. Mais tu vois sur le cliché
de ce que t'as dit quoi, de la douceur. Tu
vois, où Patrick ça envoie du pâté
beaucoup, c'est un peu l'image du mec aussi. Peut-être pas
dans la vie de tous les jours...
MA: Mais de par les moeurs, je comprends très bien ce
que ça veut dire quoi. Mais après, de par
mon être et ce que je veux...
JC: C'est bizarre quand même, même ces mots qu'on
emploie, même si on est pas d'accord on
les emploie, quand même quoi. Moi des fois quand je les
dis, je m'analyse en train de les
dire quoi. C'est pour ça que j'ai rigolé un peu
là-dessus, mais Louis il a ces mots-là,
«féminin», ...
LL: Nan mais que je sens qui est pas juste hein.
JC:...parce qu'on a pas les mots pour aller plus loin. Parce
qu'on est dans une période charnière
où on est en train de se dire qu'il n'y a plus de
masculin, plus de féminin alors qu'est-ce qu'il
y a quoi? Y a des mots, mais faut pas qu'ils soient vides de
sens, il faut les remplir.
DC: Pour moi ça s'arrête à la
grammaire.
MA: Moi je pense que pour moi c'est devenu une histoire de
sexe. Et je pense que je me sers de
mon métier et de mon milieu pour dire ça. Mais
je comprends, par exemple à la fin du feu
cette année, que tout le monde me dise que c'est
beaucoup plus féminin et tout ça. Sauf que,
je comprends, mais ça me parle pas.
LL: Toi tu le conçois pas comme ça, quand tu
l'écris...
MA: Pas du tout! Et en plus, cet espèce de milieu
où je suis là, où c'est très bourinasse mais en
même temps il peut y avoir énormément de
douceur, euh, et qui est un milieu très masculin,
et bin pour moi ça veut plus rien dire. Enfin c'est pas
vrai parce que toute l'histoire fait que
ça veut dire beaucoup de choses, mais que je, pour moi
je suis, en faisant tout ça, en train de
216
le démonter et... et je trouve pas ça... et je
trouve ça plus.... j'y trouve plus de sens en tout
cas.
AL: Alors j'ai pas compris pourquoi tu dis que c'est plus une
histoire de sexe?
MA: Parce que tu nous disais: «Pour vous, suite à
ce débat c'est quoi le féminin, c'est quoi le
masculin?» Et bin moi je dirais que c'est une histoire de
sexe quoi. Après je pense pas que...
AL: Je comprends pas ce que tu veux dire.
MA: Et beh que le masculin c'est le sexe masculin et le
féminin pareil quoi.
AL: Donc y a pas de qualités...
JC: Y a pas de genre pour toi?
MA: Si y a un genre, mais que tu te définis, mais
que...
LL: Oui pas intrinsèque au sexe que t'as quoi.
MA: Voilà C'est pas [...] Mais si là tu me
demandes «féminin/masculin» je te dis: «un homme
et une femme» quoi.
LL: Mais ça veut dire qu'un homme et une femme, ils ont
des qualités et des défauts différents?
MA: Bin ça veut dire qu'une femme peut être
très très forte et très brute et un homme très
doux,
très sensible.
LL: Donc y a du genre.
MA: Ah mais y a du genre! Mais cest à dire que moi j'ai
pris la question au premier... Pour moi
la question c'est pas: «qu'est-ce que c'est le genre
masculin et le genre féminin», c'est:
«qu'est-ce que c'est le masculin et qu'est-ce que c'est
le féminin». Comme ça là, brute de
pomme, et bin c'est l'homme et la femme quoi.
LL: Donc accepter sa part de féminité. Mais
c'est un demi-cliché ça. Enfin moi j'pense. Parce
qu'en même temps, tu vois ton feux l'an dernier, dans
les clichés, il a les attributs du féminin.
Dans les clichés, on est même pas obligé
d'utiliser le mot.
MA: Mais peut-être que tu dis ça que par exemple
y avait du rose. Tu vois, c'est hyper con ce
que je suis en train de dire, mais c'est vrai quoi.
LL: Ah non, mais peut-être.
DC: Mais pourquoi on doit utiliser ses termes là? De
féminin et masculin? Pourquoi on peut
pas dire que le feu de Margot, et moi c'est ça que j'ai
pensé, c'est que je l'ai trouvé sensible.
JC: Ouais c'est ça.
LL: Ouais, mais dans le cliché, sensible c'est
féminin.
DC: Peut-être, et bin luttons contre les clichés
et nommons les sentiments qu'on a eu. [...]
2. DOCUMENTS ANNEXES
3. Sociogramme d'Uzeste Musical - années
2013-2014
autres
Musiciens
Myriam
Roubinet
Théâtre Feux d'artifice Musique
Cinéma A-musique Communication
Feux d'artifice Musique Production Danse
Margaux
Auzier
Auzier
Juliette
Minvielle
Andrè
Minvielle
Laure
Duthilleul
Bernard
Lubat
Diane Camus
Martine
Camus
Raphaëlle
Camus
Louis Lubat
Chatet
A-musique
Rousseau
217
A-musique A-musique
Anna
Legrand
|
|
Mona
Chavanne
|
|
|
|
Michel Portal, Sclavis et
Cirque/ recherche A-musique
Légende
Lien familial (couple, parenté)
Patrick
Ancien lien de couple
Lien d'amitié
|
Fondateurs d'Uzeste Musical
Actuels acteurs de la Cie Lubat
Acteurs occasinels de la Cie Lubat
|
Jules
Paolo
3.1. PHOTOGRAPHIES DU THEATRE
AMUSICIEN
Vue extérieure du Théâtre Amusicien durant la
Marche pour la culture. L'enseigne
« Estaminet » disparaît au fil des
ans.
Juliette
Kapla
Fabrice
Vieira
Joël Boudé
Marie
Boudé
Sylvie
Gravagna
|
Antoine
Chao
|
Matine
Amanieu
|
Alain
Amanieu
|
A-Musique A-musique Régie
Administration
Cuisine Théâtre Radio Uz
Théâtre Ecriture
membre du bureau
d'Uzeste Musical
Polack
A-musique
A-musique A-musique
Los Gojats
Membres du parti
Collectif (Bordeaux)
Bernard
A-musique
218
Camille
Georges
Photographie
+ vingtaine de jeunes artistes bordelais? es
Mathis
Tanguy
Vue intérieure du Théâtre
Amusicien, depuis le balcon. Les chaises ont été
poussées sur les côtés pour laisser place au bal. Sur
scène, Los Gojats et la Cie Lubat. Hestejada 2013
219
BIBLIOGRAPHIES
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE
LA RECHERCHE FEMINISTE
Epistémologie
féministe
Ouvrages
DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualités: introduction
à la théorie féministe, Paris, Presses Univ. de
France, coll. « Philosophies », n° 194, 2008.
PUIG DE LA BELLACASA María, Les savoirs
situés de Sandra Harding et Donna Haraway: science et
épistémologies féministes, Paris, l'Harmattan,
2014.
S.a., « Lectures critiques », Revue
française de science politique, vol. 60, no 3, 2010.
Articles
BRACKE Sarah, María PUIG DE LA BELLACASA, et Isabelle
CLAIR, « Le féminisme du positionnement.
Héritages et perspectives contemporaines »,
Cahiers du Genre, vol. 54, no 1, 2013.
DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, « Esquisse
d'une épistémologie de la théorisation féministe en
art », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.
Genre & genres
Ouvrages
BAUDRILLARD Jean, De la séduction, Paris,
Gallimard, coll. « folio essais », 1988.
BOURDIEU Pierre, La domination masculine: suivi de Quelques
questions sur le mouvement gay et
lesbien, Paris, Seuil, coll. « points »,
2002.
FRAISSE Geneviève, Les Excès du genre: concept,
image, nudité, Paris, Lignes, 2014.
GRESY Brigitte, La vie en rose pour en découdre avec
les stéréotypes, Paris, Albin Michel, 2014.
Séminaire et
conférence
COULOMB-GULLY Marlène, « Médias et Genre
», Licence 2 et Master 1 Arts du spectacle et communication,
Toulouse, Université Toulouse Jean Jaurès, 2012 et 2014.
FRAISSE Geneviève & Marlène COULOMB,
Rencontre autour de l'ouvrage de FRAISSE Geneviève, Les excès
du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, Librairie
Ombres Blanches, 10 avril 2015.
LES EDITIONS ALBIN MICHEL, La Vie en rose - Brigitte
Grésy [en ligne], youtube, [https://www.youtube.com/ watch?v
=NEZ5dWWJhh8], consulté le 10 juin 2015.
Féminisme
Ouvrages
BEAUVOIR Simone de, Le Deuxième sexe. I, Les faits et
les mythes (1949), Paris, Gallimard, 1986.
BECQUER Annie, Bernard Cerquiglini, Nicole Cholewka, Martine
Coutier, Josette Frécher, et Marie-Josèphe Mathieu, Femme,
j'écris ton nom...: guide d'aide à la féminisation des
noms de métiers, titres, grades et fonctions, Paris, la
Documentation française, 1999.
FEDERICI Silvia, Caliban et la sorcière, Femmes,
corps et accumulation primitive, = Caliban and the Witch. Women, the body and
primitive accumulation, Genève-Paris/ Marseille, Entremonde/
Senonevero, 2014.
220
MICHEL Andrée., Le Féminisme, Paris,
PUF, coll. « Que sais-je », 2007.
PIPON Colette, Et on tuera tous les affreux le
féminisme au risque de la misandrie, 1970-1980, Mémoire
d'histoire, (sous.dir.) VIGNA Xavier et Philippe POIRRIER, Presses
universitaires de Rennes, Rennes, coll. « Mnémosyne »,
2013.
Article
LAMOUREUX Diane, « Y a-t-il une troisième vague
féministe? », Cahiers du Genre, HS 1, no 3,
2006.
Séminaire
BOURCIER Marie-Hélène, «Why my body is
still a battle ground: et que c'est vrai des performances
féministes des années 1870 au porno activisme du
XXème siècle » (séminaire), Journée
d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris,
Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12
décembre 2014.
Ouvrage littéraire
HUSTON Nancy, Journal de la création, Arles,
Actes sud, 2001.
Discrimination positive
Ouvrage
LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes?:
psychologie des racismes ordinaires, Wavre
(Belgique), Mardaga, coll. « PSY, individus, groupes,
cultures », 2012.
Articles
BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination
ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la
différence? », VST - Vie sociale et
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Femmes & travail
Ouvrages
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Ouvrage
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Séminaire
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Université
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GENRE & ART
Histoire des femmes artistes
Ouvrage
BARD Christine, Frédérique EL AMRANI, et Bibia
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Séminaires
ELHOUTI-CABANNE Stéphanie, «L'art au féminin :
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Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts,
Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.
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d'étude : Femmes, Féminisme et arts,
Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.
Muse & Génie
Ouvrages
BOURDIEU Pierre, « Mais qui a créé les
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esprits libres, (trad.) Robert Rovini, Paris, Gallimard, vol.1, 1991.
Articles
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SAPIRO Gisèle, « La Vocation artistique entre don
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SOFIO Séverine, « La Vocation comme subversion:
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», Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 168,
no 3, 2007.
TRASFORINI Maria Antonietta, « Du génie au talent:
quel genre pour l'artiste? », Cahiers du Genre, vol. 43,
no 2, 2007.
Valeur et genre de l'art
Ouvrage
PLANA Muriel, Théâtre et féminin:
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2012.
Articles
POLLOCK Griselda, « Des canons et des guerres culturelles
», Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.
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du Genre, vol. 43, no 2, 2007.
Professionnalisation
Ouvrage
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Musique
Ouvrages
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Articles
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défis des femmes instrumentistes de jazz », Travail, genre et
sociétés, n°19, 2008.
BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point
métier d'homme, L'accord imparfait entre voix et instrument »,
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LAUNAY Florence, « Les musiciennes: de la
pionnière adulée à la concurrente redoutée, Bref
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Enquête sur les femmes et la musique. Éditions autrement, Paris,
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RAVET Hyacinthe, « Féminin et Masculin en musique,
dynamiques identitaires et rapports de pouvoir », GREEN Anne-Marie et
Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression
musicale: Apprentissage, création, interprétation, les
musiciennes dans la sociétéì
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MEDIA
Médias & genre
Ouvrage
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fabrique du genre, Toulouse, Presses universitaires du
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Sémiopragmatique
Ouvrage et thèse
BARTHES Roland, Leçon: leçon inaugurale de la
chaire de sémiologie littéraire du College de France,
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Séminaires
MOLINIER Pierre, « Sémiopragmatique »,
Master 1 Arts du spectacle et communication, Toulouse,
Université Toulouse Jean Jaurès, 2015.
Média artistique
Ouvrage
BENJAMIN Walter, L'oeuvre d'art à l'époque de
sa reproductibilité technique, 4ème version
(1939), (trad.)
DUVOY Lionel, Paris, Allia, 2012.
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OGILVIE Philippe, Le Festival d'Uzeste et la Compagnie
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(sous dir.) GOETSCHEL Pascale et Pascal ORY, Université de Paris-I
Panthéon-Sorbonne Centre d'Histoire Sociale (CHS), Paris, vol.1,
2005.
Articles
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l'écologie sonore », Tracés, vol. 18,
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Conférence retranscrite
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230
TABLES DES MATIERES
REMERCIEMENTS 2
SOMMAIRE 3
GLOSSAIRE 5
INTRODUCTION 8
I. Genre et arts de la scène, la scène comme
média 9
i. Genre et genres 9
ii. La scène comme média 10
Note sur la langue comme média 12
II. UZESTE MUSICAL, UN TERRAIN POLITIQUE, RURAL ET
ARTISTIQUE 12
i. Héritier es d'un lieu et d'une histoire 13
ii. Le laboratoire et le foyer rural 14
iii. La subjectivité du de la cheurcheur se
15
III. PROBLEMATIQUE ET OUTILS METHODOLOGIQUES 18
1. PLAFONDS ET MURS DE VERRE : MICRO ET MACRO SOCIETES EN
DIALOGUE 21
1.1. SEGREGATION VERTICALE, UN SECTEUR AU MASCULIN 23
1.1.1. Illégitimes à l'ambition 25
1.1.2. L'entrée dans les écoles
supérieures et l'insertion professionnelle 26
1.1.3. Vivre de son art, rester professionnelle 27
1.1.4. Le plafond de verre : le difficile accès aux
postes à responsabilités 28
1.1.5. La visibilité, hiérarchie des
représentations 30
1.2. CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ET MYTHIQUES DU GENRE EN ART 32
1.2.1. L'absence des femmes dans l'histoire de l'art
33
1.2.1.1. L'exclusion des institutions et réseaux 33
1.2.1.2. Une participation aux arts mineurs 36
1.2.1.3. Réappropriation masculine 36
1.2.1.4. L'oubli 38
1.2.2. Mythologie contemporaine ; L'Artiste 39
1.2.2.1. Le Génie et la Muse, le Créateur et la
créature 39
1.2.2.2. Le Génie détaché de la muse 40
1.3. SEGREGATION HORIZONTALE 43
1.3.1. Technique & organisation 44
1.3.2. Les arts de la scène marqués par le
genre 46
1.3.2.1. Danse 47
1.3.2.2. Théâtre 50
1.3.2.3. Musique 52
231
1.4. FOCUS SUR LE JAZZ 54
1.4.1. La Chanteuse, « échelon
inférieur de la valeur musicale » 55
1.4.2. Le « groupe de potes » aux bagarres
permanentes 57
1.4.3. Le couple 59
2. LE GENIE, LA CHANTEUSE ET L'OPTIMISTE : PORTRAITS
62
2.1. BERNARD LUBAT - L'IDENTITE DU LIEU 62
2.1.1. La genèse, le récit épique
d'une histoire vraie 63
2.1.2. Le génie : du prodige au mentor 67
2.1.3. L' « auto-légitimité » de
Bernard Lubat 69
2.2. JULIETTE KAPLA - L'ENTRE-DEUX 72
2.2.1. « Dehors/dedans », artiste associée
et indépendante 72
2.2.1.1. Une place particulière à Uzeste 72
2.2.1.2. Rester indépendante, une question de survie
73
2.2.1.3. « Sexuellement rattachée à Uzeste
» 74
2.2.2. Un vécu de chanteuse 76
2.2.2.1. L'incompétence préjugée 77
2.2.2.2. La bagarre et le groupe de potes 79
2.2.3. Un engagement féministe, se détacher
de « l'artiste féminine » 80
2.2.3.1. Un militantisme de la sphère privée 80
2.2.3.2. « Je ne suis pas une artiste féminine ou
féministe » 81
2.3. FABRICE VIEIRA - L'OPTIMISTE 85
2.3.1. Vocation de militant multiforme 85
2.3.1.1. L'expression de la vocation 85
2.3.1.2. Militant du travail multiforme 86
2.3.2. Conscient et optimiste 88
2.3.3. Vers une politique féministe 90
2.3.3.1. Discrimination et discrimination positive 91
2.3.3.1.1. Sexisme bienveillant 92
2.3.3.1.2. La question des quotas 94
2.3.4. Faire évoluer le genre en art 95
3. ANTICAPITALISME ET QUEER, CONVERGENCES ENTRE
LES LUTTES FEMINISTES ET UZESTE
MUSICAL 99
3.1. ANTICAPITALISME ET FEMINISME, LIER LES TERRAINS DE LUTTE
99
3.1.1. Un capitalisme au coeur de la domination masculine
100
3.1.2. Art en milieu rural : l'Art-chipellisation
101
3.1.3. Des postes transdisciplinaires 103
3.1.4. Une économie politique et esthétique
104
3.2. ESTHETIQUE SUBVERSIVE, LE POÏELITIQUE
105
232
3.2.1. Définir le queer 106
3.2.2. La distanciation 107
3.2.3. L'indéfinissable, l'incernable : la
permanence du trouble 109
3.2.4. Permanente révolution 111
CONCLUSION 116
ANNEXES 120
TABLE DES MATIERES DES ANNEXES 120
1. CORPUS 121
1.1. Corpus principal 121 1.1.1. Quantification des
représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 .
121
1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes
des équipes technique et
organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14
121 1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur
l'ensemble des représentations
artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par
discipline et visibilité 122
1.1.2. Entretiens semi-directifs 123
1.1.2.1. Grille initiale des entretiens 124
1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat 125
1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla 143
1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira 167
1.1.3. Carnet de bord 183
1.2. Corpus secondaire 189
1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane
Camus, Jaime Chao 189
2. DOCUMENTS ANNEXES 217
2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014
217
2.2. Photographies du Théâtre Amusicien
217
BIBLIOGRAPHIES 219
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE 219
La recherche féministe 219
Genre & Art 221
Média 223
Uzeste Musical & le poïélitique
224
BIBLIOGRAPHIE ALPHABETIQUE 225
TABLES DES MATIERES 230
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