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Représentations sociales & artistiques de genre dans les arts de la scène, Observation d'Uzeste Musical les années 2013 & 2014

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par Anna Legrand
Université de Bordeaux Montaigne - Master 1 parcours communication 2017
  

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Sous la direction de Marlène Coulomb-Gully, professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Toulouse II-Le Mirail

Université Toulouse Jean Jaurès

Faculté des lettres, des sciences humaines et sociales, des langues et des arts.

&

Art&Com

Département Arts de la scène et communication
UFR de Lettres, Philosophie et Musique

Représentations sociales & artistiques de

genre dans les arts de la scène,

Observation d'Uzeste Musical les années

2013 & 2014

Mémoire de master 1, parcours communication
Année 2015

Présenté par Anna Legrand

Université Toulouse Jean Jaurès

Faculté des lettres, des sciences humaines et sociales, des langues et des arts.

&

Art&Com

Département Arts de la scène et communication
UFR de Lettres, Philosophie et Musique

Représentations sociales & artistiques de

genre dans les arts de la scène,

Observation d'Uzeste Musical les années

2013 & 2014

Sous la direction de Marlène Coulomb-Gully, professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Toulouse II-Le Mirail

Mémoire de master 1, parcours communication
Année 2015

Présenté par Anna Legrand

REMERCIEMENTS

En premier lieu, je remercie profondément l'équipe d'Uzeste Musical pour laquelle j'ai écrit ce mémoire. Depuis un peu plus de deux ans que je les côtoie, c'est un apprentissage quotidien du désir, de la curiosité et du risque. Trois éléments sans lesquels je n'aurais pas fait ce travail. Merci à vous qui avez accepté d'accueillir cette recherche :

Bernard Lubat et ses néologismes, Fabrice Vieira et ses milles bras, Juliette Kapla et ses drôles de mots, Jaime Chao et son énergie, Diane Camus et sa curiosité timide pour mon sujet, Margot Auzier et ses pétards plein de joie. Martine Bois et Céline Rutali, aussi, pour leur participation à l'émulation du lieu qu'est Uzeste. Joël et Marie pour leur accueil à Uzeste.

Merci aussi à Lydie Delmas pour son travail féministe et syndical, Sylvie Gravagna et Martine Amanieu pour leur mise en voix d'inconnus textes de femmes.

Merci à Laure Duthilleul, pour son hospitalité d'Uzeste à Paris, et ses précieux souvenirs. Quelques Gojats n'ont pas encore été cités, Tanguy, Paolo, Jules, Thomas et Matis, pourtant sans eux l'aventure uzestoise ne serait pas la même.

Mes pensées vont aussi au parti Collectif, qui me permet d'imaginer des projets tant artistiques que politiques. J'aimerais remercier particulièrement Mona, qui a pu me prêter son regard de musicienne parmi des musiciens.

Je remercie aussi ;

Ma famille, mon père pour ces coups de pouce à distance, ma mère pour sa relecture, son enthousiasme et ses encouragements et ma soeur, déblayeuse de fautes d'orthographe, pour son sens critique et son soutien si précieux.

Le département Arts&Com de l'Université du Mirail qui m'apprend à déconstruire et reconstruire en permanence des schèmes de pensée, et plus précisément à ma directrice de recherche Marlène Coulomb, sans qui cette recherche n'aurait pas même été une idée.

Toutes les féministes qui m'ont accompagnée, des chercheuses du CNRS aux rédactrices de Causette, sans oublier les cyber-féministes et leur humour, Madmoizelle, Diglee, Commando Culotte, etc.

Fanny et Sylvain, adorables colocs' qui ont largement assez supporté les tables et bureaux envahis de papiers.

Sarah et Nelly, dont je sais le soutien inconditionnel.

Olivia, pour les heures studieuses de bibliothèque, et les heures moins studieuses de procrastination.

Enfin, je remercie tout particulièrement Louis, qui m'a laissé entrer dans sa vie, a accepté cette expérience, et m'a aidée à en faire une aventure humaine.

À François, mes parents, ma soeur, Aux avant-gardistes champêtres uzestois?es,

À Louis.

3

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS 2

SOMMAIRE 3

GLOSSAIRE 5

INTRODUCTION 8

I. GENRE ET ARTS DE LA SCENE, LA SCENE COMME MEDIA 9

i. Genre et genres 9

ii. La scène comme média 10

II. UZESTE MUSICAL, UN TERRAIN POLITIQUE, RURAL ET ARTISTIQUE 12

i. Héritier es d'un lieu et d'une histoire 13

ii. Le laboratoire et le foyer rural 14

iii. La subjectivité du de la cheurcheur se 15

III. PROBLEMATIQUE ET OUTILS METHODOLOGIQUES 18

1. PLAFONDS ET MURS DE VERRE : MICRO ET MACRO SOCIETES EN DIALOGUE 21

1.1. SEGREGATION VERTICALE, UN SECTEUR AU MASCULIN 23

1.1.1. Illégitimes à l'ambition 25

1.1.2. L'entrée dans les écoles supérieures et l'insertion professionnelle 26

1.1.3. Vivre de son art, rester professionnelle 27

1.1.4. Le plafond de verre : le difficile accès aux postes à responsabilités 28

1.1.5. La visibilité, hiérarchie des représentations 30

1.2. CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ET MYTHIQUES DU GENRE EN ART 32

1.2.1. L'absence des femmes dans l'histoire de l'art 33

1.2.2. Mythologie contemporaine ; L'Artiste 39

1.3. SEGREGATION HORIZONTALE 43

1.3.1. Technique & organisation 44

1.3.2. Les arts de la scène marqués par le genre 46

1.4. FOCUS SUR LE JAZZ 54

1.4.1. La Chanteuse, « échelon inférieur de la valeur musicale » 55

1.4.2. Le « groupe de potes » aux bagarres permanentes 57

1.4.3. Le couple 59

2. LE GENIE, LA CHANTEUSE ET L'OPTIMISTE : PORTRAITS 62

2.1. BERNARD LUBAT - L'IDENTITE DU LIEU 62

2.1.1. La genèse, le récit épique d'une histoire vraie 63

2.1.2. Le génie : du prodige au mentor 67

2.1.3. L' « auto-légitimité » de Bernard Lubat 69

4

2.2. JULIETTE KAPLA - L'ENTRE-DEUX 72

2.2.1. « Dehors/dedans », artiste associée et indépendante 72

2.2.2. Un vécu de chanteuse 76

2.2.3. Un engagement féministe, se détacher de « l'artiste féminine » 80

2.3. FABRICE VIEIRA - L'OPTIMISTE 85

2.3.1. Vocation de militant multiforme 85

2.3.2. Conscient et optimiste 88

2.3.3. Vers une politique féministe 90

2.3.4. Faire évoluer le genre en art 95

3. ANTICAPITALISME ET QUEER, CONVERGENCES ENTRE LES LUTTES FEMINISTES ET UZESTE

MUSICAL 99

3.1. ANTICAPITALISME ET FEMINISME, LIER LES TERRAINS DE LUTTE 99

3.1.1. Un capitalisme au coeur de la domination masculine 100

3.1.2. Art en milieu rural : l'Art-chipellisation 101

3.1.3. Des postes transdisciplinaires 103

3.1.4. Une économie politique et esthétique 104

3.2. ESTHETIQUE SUBVERSIVE, LE POÏELITIQUE 105

3.2.1. Définir le queer 106

3.2.2. La distanciation 107

3.2.3. L'indéfinissable, l'incernable : la permanence du trouble 109

3.2.4. Permanente révolution 111

CONCLUSION 116

ANNEXES 120

TABLE DES MATIERES DES ANNEXES 120

1. CORPUS 121

1.1. Corpus principal 121

1.2. Corpus secondaire 189

2. DOCUMENTS ANNEXES 217

2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014 217

2.2. Photographies du Théâtre Amusicien 217

BIBLIOGRAPHIES 219

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE 219

BIBLIOGRAPHIE ALPHABETIQUE 225

TABLES DES MATIERES 230

5

GLOSSAIRE

Les termes du glossaire seront suivis d'un astérisque* lors de leur première occurrence dans le corps du mémoire.

Cie Lubat C'est le groupe musical qui s'est formé autour de Bernard Lubat en 1976, installée

au Théâtre Mouffetard, à Paris. Celle-ci se délocalise progressivement à Uzeste au début des années 1980. Elle s'installe au Théâtre Amusicien du village.

Discrimination positive La discrimination positive, en combinant les idées de Gwénaële Calvès1 et Jean-Michel Belorgey2, est un comportement qui prendrait en compte les différences face aux situations (d'où le terme de « discrimination »), mais pour créer une égalité dans la situation (« positive »).

Double standard Appréciation différente d'une conduite selon son auteur?e. Cette expression permet

notamment d'analyser des discriminations de genre ou raciales.

Egalité Fait d'être égaux, sans différence de valeur3.

Epique (Trésor de la Langue Française) qui réfère à l'épopée.

Epopée (Trésor de la Langue Française) Long poème ou vaste récit en prose au style soutenu

qui exalte un grand sentiment collectif souvent à travers les exploits d'un héros historique ou légendaire.

- P. ext. Suite d'événements extraordinaires, d'actions éclatantes qui
s'apparentent au merveilleux et au sublime de l'épopée.

- Au fig. Aventure fabuleuse.

Equité Démarche pour l'égalité4.

L'équité est aussi un processus de développement vers l'égalité, prenant en compte les situations individuelles.

Essentialisme Idée que les hommes sont masculins et les femmes sont féminines par essence (il n'y

a pas de distinction sexe/genre). Dans la vision d'un féminisme essentialiste, les qualités des hommes et des femmes sont naturellement égales mais différentes.

Estaminet C'est le nom du café-restaurant-épicerie de Marie et Alban Lubat, parents de Bernard

Lubat. Il fût transformé est renommé en Théâtre Amusicien.

Féminin Qualité attribué aux femmes dans une vision essentialiste des sexes biologiques.

Féminisme Mouvement social et politique qui a pour but l'égalité des sexes. Il existe différents

courants : essentialiste, matérialiste, post-féminisme...

Genre (le) Construction sociale de la différence hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes)

et les valeurs (féminin/masculin)5.

1 CALVES Gwénaële, « Pour une analyse (vraiment) critique et la discrimination positive », Le Débat, 2001, vol. 117, no 5, p. 163.

2 BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la différence? », VST - Vie sociale et traitements, 2007, vol. 95, no 3, p. 141.

3 COULOMB Marlène, « Médias et Genre » (séminaire), Master 1 Arts du spectacle et communication, Toulouse, Université Toulouse Jean Jaurès, 2014.

4 Ibid.

5 Ibid.

6

Genres (les) Qualités attribués aux sexes. Ils peuvent être pensé de façon binaire : masculin/

féminin, ternaire masculin/féminin/neutre, voire en multitude.

Genré?e L'adjectif « genré?e » indiquer l'attribution à un genre, il rend donc visible la

construction du genre6.

Hestejada de las arts C'est le festival d'été organisé par Uzeste Musical. « Hestejada » signifie « la grande

fête » en gascon. Derrière ce nom de « grande fête des arts » se cache le besoin de se démarquer des festivals notamment de musique qui connaissent un grand essor, d'après Arnaud Brennetot, depuis les années 19507. Les acteurs d'Uzeste Musical disent défendre un festival différent des « gros » festivals estivaux de musique car l'Hestejada de las arts est gérée par des artistes et non pas des administrateurs et parce que le but n'est pas d'avoir une quantité croissante de public mais une qualité artistique croissante8.

Interdisciplinarité : Interaction entre artistes de différentes disciplines artistiques. Exemple ; Jeu de

question réponse entre un?e musicien?ne et un?e danseur?se

Los Gojats : Groupe de sept musiciens d'une vingtaine d'années, ayant été formés à Uzeste avec

Bernard Lubat. Il se compose de Jaime Chao, Louis Lubat et Thomas Boudé, enfants du village, et de leurs amis Jules Rousseau, Matis Polack, Paolo Chatet et Tanguy Bernard.

Nb : Jules Rousseau, Louis Lubat et Thomas Boudé, font aussi partie de la Cie Lubat.

Masculin Qualité attribué aux hommes dans une vision essentialiste des sexes biologiques.

Misandre Contre les hommes9.

Misogyne Contre les femmes10.

Parité (Trésor de la Langue Française) Égalité de la représentation de deux parties.

(Exemple : une commission avec autant de femmes que d'hommes). C'est un instrument au service de l'égalité.

Patriarcat : (Du latin patriakhês : chef de famille) Système social dans lequel l'homme, en tant

que père, est dépositaire de l'autorité au sein de la famille ou du clan. La perpétuation de cette autorité est fondée sur la descendance par les mâles, la transmission du patronyme et la discrimination sexuelle. Les femmes y sont subordonnées à l'homme qui possède l'autorité : le père, le mari ou le frère11.

parti Collectif : Collectif de jeunes artistes bordelais, initié par les Gojats, dans une continuité

artistique vis-à-vis d'Uzeste Musical.

Performativité : Au sens Butlerien, « L'idée que le genre est performatif a été conçue pour montrer

que ce que nous voyons dans le genre comme une essence intérieure est fabriqué à travers une série ininterrompue d'actes, que cette essence est posée en tant que telle dans et par stylisation genrée du corps. De cette façon, il devient possible de montrer que ce que nous pensons être une propriété « interne » à nous-même doit être mis sur

6 FRAISSE Geneviève, Les Excès du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, p.9.

7 BRENNETOT Arnaud, « Des festivals pour animer les territoires », in: Annales de Géographie [en ligne], n°635, 2004, [ http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_2004_num_113_635_21409], consulté le 17 mai 2015, p. 30-31.

8 Synthèse de propos tenus régulièrement au long des deux années d'observation par Louis et Bernard Lubat.

9 COULOMB Marlène, Médias et Genre, (séminaire) op.cit., 2014.

10 Ibid.

11 Ibid.

7

le compte de ce que nous attendons et produisons à travers certains actes corporels, qu'elle pourrait même être, en poussant l'idée à l'extrême, un effet hallucinatoire de gestes naturalisés12. »

Phallocratie : Système de pourvoir caractérisé par la domination culturelle sociale et symbolique

des hommes sur les femmes. Elle est originellement fondée sur la croyance que le seul pouvoir fécondant est celui du phallus, et que la matrice féminine n'est qu'un réceptacle. Par extension, la phallocratie désigne une organisation de société patriarcale, sexiste ou misogyne, ainsi que tout comportement basé sur l'idée de supériorité des hommes sur les femmes13.

Plafond de verre Expression pour symboliser la ségrégation verticale.

Ségrégation horizontale :

Phénomène de sexuation des métiers par la forte représentation d'un sexe, qui rend difficile l'accès à ces métiers avec un genre différent. « La majorité des emplois féminins reste concentrée dans quelques secteurs d'activité et regroupée sur un petit nombre de professions déjà fortement féminisées. C'est ce que l'on appelle « ségrégation horizontale ». 14»

Ségrégation verticale : « De la même façon, les possibilités d'accès à des postes élevés dans la hiérarchie

demeurent fort modestes pour la plupart des femmes. C'est ce que l'on nomme « ségrégation verticale ». 15»

Sexisme : Discrimination contre un sexe16.

Sexisme bienveillant : Selon Jacques-Philippe Leyens, le sexisme bienveillant se base sur des stéréotypes

dits « positifs » des femmes, mais respecte « un paternalisme condescendant envers une femme, qui complète l'homme en même temps qu'elle répond à ses besoins d'affectivité » 17. A l'inverse du sexisme hostile, il porte un discours valorisant les qualités féminines, tout en affirmant les ségrégations.

Transdisciplinarité : Mélange entre les disciplines artistiques jusqu'à en rendre la distinction difficile.

Exemples : Figure circassienne chorégraphiée par un danseur, ou les percussions corporelles (mélange entre danse et musique)

Uzeste Musical : Par simplification, pour la bonne compréhension de ce mémoire, Uzeste Musical est

la structure qui gère le Théâtre Amusicien, les festivals de l'année (Uzestivaux) et les Hestejadas de las arts. Les personnes qui gèrent cette structure sont les personnes de la Cie Lubat. D'autres personnes sont considérées comme actrices d'Uzeste Musical, comme des artistes associé?es ou les Gojats.

12 BUTLER Judith, Trouble dans le genre = Gender trouble: le féminisme et la subversion de l'identité, Paris, La Découverte, 2006, p.36.

13 COULOMB Marlène, Médias et Genre, (séminaire) op.cit., 2014.

14 MARUANI Margaret, « II. Travail: le marécage des inégalités stagnantes », Travail et emploi des femmes, 4. éd., Paris, Découverte, coll. « Repères Sociologie », n° 287, 2011, p. p.30-52.

15 Ibid.

16 COULOMB Marlène, Médias et Genre, (séminaire) op.cit., 2014.

17 LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes?: psychologie des racismes ordinaires, Wavre (Belgique), Mardaga, coll. « PSY, individus, groupes, cultures », 2012, p.105-127.

8

INTRODUCTION

A Uzeste, dans les landes girondines, existe un petit théâtre tenu par l'équipe de la Cie Lubat*. Non sans mal, ils?elles cherchent à faire dialoguer dans leur vie la peur et le désir. Bernard Lubat, le directeur artistique, dit dans son entretien : « Le désir c'est quand [...] d'un seul coup c'est toi le responsable. Et alors à partir de là, tu choisis la peur. T'es plus dans la peur d'avoir peur, tu choisis, tu fais le pas, tu montes sur scène18 ». Un mémoire, comme une scène de papier, donne un océan de mots à chercher, à comprendre, à formuler. Un voile se lève actuellement sur les inégalités19 de genre dans le secteur culturel, réputé féminin*. Cette rupture symbolique et sociale a suscité en moi le désir de montrer un paysage genré* beaucoup plus complexe. J'ai donc choisi de monter sur cette scène de feuilles, j'ai choisi la peur.

Au-delà de la peur de mal faire, il y a la peur de faire mal. En effet, mon sujet d'étude traite de personnes qui me sont chères, d'un terrain qui m'anime et m'enseigne. Je crains donc que mes propos puissent blesser des individus, alors que mon but est tout autre. Travailler sur le genre et les inégalités entre les sexes est une critique exigeante car elle nécessite une remise en cause des identités et des comportements les plus banals. Cette remise en question du soi peut être violente, mais me semble nécessaire. Originellement, je voulais analyser les structures du genre dans une compagnie artistique toulousaine, par commodité. Je n'aurais pas eu de lien affectif avec ces objets d'étude potentiels, ce qui aurait rendue plus aisée la critique. Mais voilà, Uzeste (lieu artistique que je côtoie depuis deux années maintenant) et les questions féministes* qui peuvent s'en dégager revenaient non seulement dans mon discours, mais aussi dans celui de ses acteurs?trices. L'envie de travailler sur ce terrain s'est faite de plus en plus pressante et la pensée critique, qui est une volonté première du lieu, m'a convaincue. S'il y a un terrain qui pourrait être à l'écoute d'une recherche sur son fonctionnement et rebondir dessus, c'est Uzeste Musical*. C'est cette conviction personnelle qui m'a encouragée, soutenue par les acteurs?trices du lieu, à vouloir comprendre la structure des rapports sociaux de sexes à Uzeste Musical, leurs fondements et leurs évolutions possibles.

Cette introduction définira tout d'abord les thèmes de recherche, c'est-à-dire le genre* et la scène, en abordant la scène comme un média. Le terrain, Uzeste Musical mérite d'être compris dans ses grandes caractéristiques, en tant que laboratoire d'expérimentations artistiques et lieu de transmission. Enfin, nous définirons une problématique et la méthodologie d'analyse propre à cette recherche.

18 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2., p.134.

19 Contraire d' « égalités » *.

9

I. Genre et arts de la scène, la scène comme média

Je reprendrais les mots de Marlène Coulomb, ma directrice de recherche : « Un travail aliénant est un travail dans lequel on se perd. Un travail de recherche est un travail dans lequel on se trouve ». Le genre m'interroge, comme le rôle social (s'il en est) des arts. Aborder la scène comme un média, dont le propos est dépendant des instances de production, de diffusion et de réception, présente l'intérêt de pouvoir questionner le genre d'un point de vue social et artistique.

i. Genre et genres

Les études de genre (ou Gender studies) ont eu comme base la compréhension que le sexe social, les caractéristiques dites masculines* ou féminines dans une société, peut être distingué du sexe biologique. Dès 1928, Margaret Mead distinguait un rôle sexuel construit par la société20. Des personnes comme Simone de Beauvoir (avec le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient21») ont par la suite démocratisé cette notion. La Domination masculine22 de Bourdieu retrace, dans la société kabyle, les rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes par conditionnements. Il en résulte des symboliques différentes des nôtres associées au féminin et au masculin. Ceci démontre bien que les genres* masculin et féminin sont déterminés par la société. Ainsi, les sexes sociaux se construisent par les représentations sociales, influencées notamment par la famille, l'école, les religions23 et les médias24. Ils sont acquis, à l'inverse les sexes biologiques innés.

Le genre, au singulier, avec ou sans majuscule, a été défini par des chercheuses comme Isabelle Clair25, Marlène Coulomb26ou encore des figures historiques telles que Christine

20 GUIONNET Christine, « sexe et Genre », Encyclopædia Universalis [en ligne], [http://www.universalis.fr/ encyclopedie/sexe-et-genre/], consulté le 25 février 2015.

21 BEAUVOIR Simone de, Le deuxième sexe. I, Les faits et les mythes, Paris, Gallimard, 1986.

22 BOURDIEU Pierre, La domination masculine: suivi de Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien, Paris, Seuil, coll. « points », 2002.

23 « Ce qui apparaît dans l'histoire comme éternel n'est que le fruit d'un travail d'éternisation qui incombe à des institutions (interconnectées) telles que la famille, l'Eglise, l'Etat, l'école... » D'après BOURDIEU Pierre, La domination masculine, op.cit., p.2.

24 «[L]a place et le rôle des médias dans la société se sont accrus. A l'instar des tribunaux ou des écoles, les médias relèvent des "technologies du pouvoir" dont parle Foucault, et participent plus que jamais au processus de socialisation genrée. » D'après COULOMB-GULLY Marlène (dir.), Médias: la fabrique du genre, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012, p.3.

25 BIDET-MORDREL Annie (dir.), Les rapports sociaux de sexe, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Actuel Marx Confrontation », 2010, p.191.

26 « Genre » clairement défini par Marlène Coulomb, lors du séminaire « Médias et Genre » comme « rapports sociaux de sexes », 2012 et 2014.

10

Delphy27 et Ann Oakley28 comme « rapport de sexes sociaux » ou « système de genre »29. En parlant de « rapport », de « système », ces chercheuses abordent le genre comme un philosophème, c'est-à-dire comme un concept qui permet de penser à travers lui, en l'occurrence les différences hiérarchisées entre féminin et masculin, hommes et femmes. Geneviève Fraisse, philosophe épistémologiste de la pensée féministe, est certainement la plus précise en définissant « le genre » comme un concept qui « ramasse les morceaux d'une question, les fond en un ensemble, et devient ainsi un problème philosophique30 ». D'après elle, le singulier possède un but précis :

[L]e genre permet de croiser le neutre et la dualité ; le un et le deux, l'être sexué en général et les deux sexes en particulier. [...] On va cesser d'opposer le un et le multiple, on va réconcilier le un et le deux au profit du multiple, garant d'un universel concret31.

Elle démontre ainsi l'intérêt d'un singulier qui rassemble l'apparemment opposé. Par la réutilisation du pluriel « genres », elle craint de nouvelles séparations philosophiques.

Néanmoins, le terme « genres » au pluriel bénéficie des études menées depuis les années 1970 et peut se comprendre, non plus dans une dualité masculin/féminin, mais comme une multiplicité de sexes sociaux bien au-delà du duo/duel32. Dans ce mémoire, singulier et pluriel du terme se côtoieront : le singulier comme « rapport des sexes sociaux », et le pluriel pour les « sexes sociaux ».

Judith Butler définit la construction du genre par la répétition permanente des représentations et des comportements genré?es. L'art, comme producteur de représentations, fait donc partie de cette construction du genre. Dans le cas de cette étude, nous nous intéresserons particulièrement aux arts de la scène.

ii. LA SCENE COMME MEDIA

La scène est support de discours, il est donc intéressant de l'analyser d'un point de vue sémio-pragmatique, c'est-à-dire dont le discours est dépendant des contextes de production, d'émission et de réception. La création artistique n'est pas détachée du monde, ni sa diffusion,

27 DELPHY Christine, MOLINIER Pascale, CLAIR Isabelle et RUI Sandrine, « Genre à la française ? », Sociologie [en ligne], N°3, vol. 3, 2012, [ http://sociologie.revues.org/1392], consulté le 24 février 2015, p.3.

28 Fondatrice du concept en 1972. Ibid.

29 Ibid.

30 FRAISSE Geneviève, Les excès du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, p.9.

31 Ibid., p.10.

32 BOURCIER Marie-Hélène, «Why my body is still a battle ground: et que c'est vrai des performances féministes des années 1870 au porno activisme du 20ème siècle » (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

11

et sa réception change d'une personne à l'autre, d'un contexte à un autre. De plus, ces instances sont interdépendantes. L'identité de la personne qui crée va influer sur la production, mais aussi sur la diffusion (par exemple lorsqu'un théâtre programme un grand nom du théâtre sans avoir vu la pièce). La réception dépend du contexte d'émission (un spectacle contemplatif parasité par des bruits extérieurs voit sa réception complètement modifiée par le contexte de réception). La réception peut aussi être modulée par des éléments de production (savoir qu'après avoir écrit 4.48 Psychose, Sarah Kane s'est suicidée à quatre heures quarante-huit, modifie la lecture de l'oeuvre). L'art, dans sa dimension publique, est donc bien dépendant des trois instances de communication, au même titre que les médias traditionnels. Cette approche pragmatique présente deux intérêts : celui de désacraliser les oeuvres, rendant la critique plus aisée, et celui de sortir d'une vision immanentiste, qui considère le discours comme résultant uniquement de l'oeuvre.

De Lauretis définit « la construction du genre comme étant à la fois le produit et le processus de la représentation et de l'autoreprésentation33». La représentation ayant un rôle dans la fabrique des sexes sociaux, il est intéressant d'analyser un média sous le prisme du genre. Pour Judith Butler, théoricienne, le discours de genre possède un caractère performatif car « il produit ce qu'il dit : des sujets genrés34 ». En d'autres termes, la mise en discours des sexes sociaux les a concrétisé symboliquement et physiquement, en stylisant les corps jusqu'à ce qu'ils deviennent des sujets genrés35. Cette performativité nécessite la répétition des discours -verbaux et corporels- de genre36. Et ainsi, par clichés, se fabriquent collectivement les rapports sociaux de sexes. C'est cette construction toujours répétée qui est questionnée dans les études de genre, remettant en question le lien prétendu naturel entre sexes et genres37.

Aujourd'hui, Reine Prat considère que l'art participe au « maintien du système de dénigrement et de dévalorisation du féminin38 ». L'art, de par son histoire et des canons qu'il

33 LAURETIS, T. DE, Technologies of Gender. Essays on Theory, film and Fiction, Indiana university press, Bloomington & Indianapolis, 1987, chap.1, citée par BOURCIER Marie-Hélène, « Queer Move/ments », Mouvements, s.l., 2002, vol. 20, no 2, p. 37.

34 BUTLER Judith, Trouble dans le genre = Gender trouble: le féminisme et la subversion de l'identité, Paris, La Découverte, 2006, pp.248-266. Avec une lecture complémentaire de DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualités: introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Univ. de France, coll. « Philosophies », n° 194, 2008, pp.115-129.

35 DORLIN Elsa, op.cit., p. 117.

36 BUTLER Judith, op.cit.

37 BOURCIER Marie-Hélène, « Queer Move/ments », art.cit., p.39 : « Les discours sur les genres les positionnent comme étant causés par le sexe (dit biologique), comme si sexe et genre entretenaient un rapport expressif ou descriptif (le genre masculin exprimerait naturellement le sexe biologique masculin), alors que l'identité de genre est le résultat d'un effet de répétition régulée des codes de performance de genre ».

38 PRAT Reine, Mission EgalitéS. Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant. 1 Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux

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véhicule, reste un secteur masculin reproduisant des modèles androcentrés. Comme les autres médias, l'art est rétroagissant sur la société dont il résulte. Ainsi, l'art possède un potentiel de subversion des systèmes de domination établis. Pour pouvoir exploiter ce potentiel, il faut remettre en question les valeurs artistiques et les mythes associés.

Note sur la langue comme média

La langue est un média puisqu'elle est un dispositif de diffusion de discours, contraignant à plier la pensée à son dispositif. Barthes désigne même la langue comme fasciste car elle n'interdit pas la réflexion, mais oblige à penser à travers elle39. La langue française, avec son masculin qui l'emporte sur le féminin ou son masculin neutre, est androcentrée. Elle oblige à remarquer le féminin (« e »), alors que le masculin est la forme courante. Ce n'est pas le cas de toutes les langues et ce ne fût pas toujours celui de la langue française. L'Académie française a, en 1634 quand la langue française est devenue un enjeu politique d'identité, édité Remarque sur la langue française où l'auteur Vaugelas énonçait clairement que le masculin représentait le genre noble. Le masculin dominant remplace alors la règle de proximité40, qui consiste à accorder l'adjectif ou le participe passé avec le sujet le plus proche (par exemple le vers « des jours et des nuits entières » de Racine). Mais ayant moi-même appris à penser à travers les lois académiques, ma langue résiste encore à ce changement. Pour cet écrit, sur les conseils de la doctorante en linguistique et genre Nicole Pradalier, j'ai fait le choix de doubler le genre, à l'aide du point médian «?e ». Le tiret, comme les parenthèses, indiquent un élément annexe, non-indispensable. Le point médian ne hiérarchise pas les éléments qu'il sépare.

II. UZESTE MUSICAL, UN TERRAIN POLITIQUE, RURAL ET ARTISTIQUE

Qu'est-ce qu'Uzeste Musical ? Ici nous ne nous intéresserons pas à ce qu'est cette structure juridiquement, mais artistiquement. Pour ce, il nous faut prendre en compte l'ensemble des activités de la Cie Lubat. « Uzeste Musical », « la Cie Lubat », « l'Estaminet* » : pour bien comprendre de quoi nous parlons il faut définir ces éléments. L'Estaminet, aussi nommé le Théâtre Amusicien, est le lieu de diffusion d'Uzeste Musical. Un petit théâtre modulable en salle de bal ou salle de spectacle en quelques mouvements de chaises.

postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation, Mission pour l'égalité h/f dans les arts du spectacle, 2006, p.15.

39 BARTHES Roland, Leçon: leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, prononcée le 7 janvier 1977, Seuil., Paris, coll. « essais », 2015, p.14.

40 PRADALIER Nicole, Introduction au sexisme de la langue française, in Marlène COULOMB-GULLY, « Médias et genre » (séminaire), op.cit.

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Ce lieu se situe à Uzeste, petit village de trois cent habitants, au coeur des Landes girondines. Uzeste Musical est la structure qui gère ce lieu, y diffuse des spectacles à l'année, durant les vacances, et tient un festival depuis quarante ans : L'Hestejada de las arts, manifestivité transartistique d'Occitanie atlantique*. « Hestejada » signifie « la grande fête » en gascon. Derrière ce nom de « grande fête des arts » se cache le besoin de se démarquer des festivals notamment de musique qui connaissent un grand essor, d'après Arnaud Brennetot, depuis les années 195041.

Les acteurs d'Uzeste Musical disent défendre un festival différent des festivals normaux de musique, car l'Hestejada de las arts est gérée par des artistes et non pas des administrateurs ; de plus le but n'est pas d'avoir une quantité croissante de public mais une qualité croissante artistique42. Parti-pris politique, jeu de mots, arts hybrides et rattachement à la culture des Landes, nous retrouvons dans ce nom certaines lignes directrices du travail de la Cie Lubat. Ce n'est pas un hasard, puisque c'est la même équipe qui dirige les deux structures, Uzeste Musical possédant plus un rôle de diffusion et la Cie Lubat un rôle de création artistique.

j. HERITIER?ES D'UN LIEU ET D'UNE HISTOIRE

Le terme d'« héritage » revient régulièrement à Uzeste, et pour cause : la transmission se fait depuis trois générations. La première génération était composée des parents de Bernard Lubat : Marie et Alban Lubat. Ce dernier, refusant la vie de métayer, s'installa dans le bourg d'Uzeste avec sa femme. Ensemble, le couple ouvrît en 1937 l'Estaminet, café-restaurant-épicerie-auberge. Plus tard, s'est ajouté la mention « Dancing » sur la façade du bâtiment, bousculant, avec succès, les traditions catholiques locales. Alban Lubat, dans les discours, est toujours présenté comme un homme d'action, qui s'est révolté contre sa condition : refus du métayage, musicien et communiste engagé. Déjà l'Estaminet faisait se rencontrer art et politique. Si Marie Lubat est plus effacée lorsque l'histoire du lieu est racontée, il lui ait plus souvent fait référence par des souvenirs concrets, mêlant les anecdotes du lieu. Ces récits retracent une situation d'époque, où l'espace public était occupé par Alban, et l'espace privé par Marie. Lorsque Bernard Lubat revint à Uzeste après avoir réussi dans le business musical de la capitale, il investit le café parental et son histoire. Politique, artistique et ruralité furent dès lors au coeur du mouvement de ce qui est devenu Uzeste Musical. Si les espaces privés et

41 BRENNETOT Arnaud, « Des festivals pour animer les territoires », in: Annales de Géographie [en ligne], n°635, 2004, [ http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_2004_num_113_635_21409], consulté le 17 mai 2015, p. 30-31.

42 Synthèse de propos tenus régulièrement par Louis et Bernard Lubat au long des deux années d'observation.

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publics étaient très sexués sur la première génération, cela est beaucoup moins visible sur la génération de Bernard Lubat. Ainsi, dès 1978, Laure Duthilleul, Vanina Michel et d'autres femmes interviennent en tant qu'artistes à Uzeste, entourées cependant d'une majorité d'hommes. Aujourd'hui, une génération presque paritaire d'une vingtaine d'années est active sur Uzeste, avec encore une majorité d'hommes représentés sur scène. Jaime Chao, Margot Auzier, Louis Lubat, Diane Camus, Thomas Boudé et autres jeunes né?es dans les années 1990, ont le sentiment d'hériter d'Uzeste Musical, et en particulier de Bernard Lubat. Il leur a transmis une philosophie, une façon de voir et de comprendre le monde, mais aussi une volonté utopique d'existence égalitaire entre les humains43 ; l'art comme arme d'équité*. Malgré des inégalités encore présentes, l'activité de ce lieu est donc déjà un contre-pouvoir qui propose un regard décalé sur le monde.

ii. LE LABORATOIRE ET LE FOYER RURAL

Dans les mots des artistes du lieu, Uzeste Musical est avant tout un laboratoire artistique où il est possible de se tromper44. C'est un lieu où chacun?e est apprenant?e, « [s]inon on n'y reste pas très longtemps » ajoute Louis, fils unique de Bernard Lubat et Laure Duthilleul.

C'est aussi une structure éminemment liée à son territoire. La ruralité est une contrainte permanente en termes de vivier d'artistes, de renouvellements des publics et du personnel. La situation rurale pour Fabrice Vieira, administrateur et musicien de la structure, c'est aussi « une façon de repenser ce que les gens appelaient la décentralisation culturelle et la politique du territoire. C'était aussi allier un projet qui met l'artiste au centre de la Fsociété comme activiste, comme acteur de la société45 ». En cela, Uzeste Musical est aussi un laboratoire de réflexions, les débats et les philosophies qui s'y rencontrent produisent des ouvertures de pensées46, notamment concernant le féminisme grâce aux interventions de la CGT Gironde sur des questions d'inégalités professionnelles autant que privées. Artistiquement et politiquement, il y a la double envie de décentralisation -c'est-à-dire de construction de dispositifs artistiques et réflexifs hors de la capitale et des institutions-, et de déconcentration -soit, de considération égale des cultures populaires et élitistes. Bernard Lubat s'en amuse : « nous cherchons entre le

43 Il est important de rappeler que défendre l'égalité entre les êtres n'est pas, comme de nombreux discours tendent à le faire croire, détruire les différences ou les diversités. C'est remettre en question la hiérarchisation de ces différences, ou autrement dit, ce demander pourquoi une différence d'organe génital ou de peau serait plus à remarquer qu'une différence de cheveux, d'yeux ou de pieds. (Note ajoutée suite à la soutenance)

44 Entretiens avec Fabrice VIEIRA & Juliette KAPLA, annexes 1.1.2.4., p.172 et 1.1.2.3., p.158.

45 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.172.

46 Il est intéressant de noter que la revue Cassandre/Horschamps, titre son 88ème numéro « Pour une révolution poïélitique* », l'astérisque renvoyant à cette note : « mot forgé par Bernard Lubat pour évoquer la manifestivité poétique et politique d'occitanie océanique ». Les pistes de réflexions ouvertes à Uzeste s'étendent ailleurs...

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popuplaire et l'élitriste, nous sommes l'avant-garde-champêtre47 ! ». Toujours en mouvement, toujours en recherche : c'est dans ce cadre philosophique qu'une recherche comme celle-ci peut avoir un impact local mais concret.

L'ancrage fort de la structure dans le village possède aussi un effet social direct. Les employés à l'année sont/ont été pour beaucoup du village. Le turn-over est donc restreint et d'autres particularités apparaissent, notamment les filiations48. Aujourd'hui, l'investissement des enfants ayant vécu à Uzeste et nés aux alentours de 1990, donne un aspect transgénérationnel aux actions, privilégiant une transmission in situ. Ces enfants d'Uzeste, qui ont maintenant passé les vingt ans, sont attachés à ce village, non seulement par l'expérience du laboratoire artistique mais aussi comme lieu des souvenirs d'enfance partagés. Cependant, sur la portion active de cette jeune génération quasiment paritaire, si les jeunes hommes sont visibles sur scène, les jeunes femmes se répartissent entre la scène, le bureau et les cuisines49. La situation est nuancée, mais reste sexuée. Cette contradiction entre schéma inégal répété et engagement dans une politique égalitaire avait porté cette question de départ : pourquoi est-ce qu'un lieu comme Uzeste Musical, ayant intégré un discours égalitariste et féministe, persiste à reproduire des inégalités de genre ? Lorsque j'interroge les jeunes d'Uzeste sur la raison de cette inégalité de représentation, le fait que le fils de Bernard Lubat soit un garçon qui ait amené ses amis au fur et à mesure est majoritairement énoncé. C'est lors de l'entretien en groupe que j'ai entendu pour la première fois des personnes de cette génération émettre l'hypothèse que le genre entre en compte, augmentant encore l'intérêt de ce terrain50.

iii. LA SUBJECTIVITE DU?DE LA CHEURCHEUR?SE

Les recherches féministes citées au début de cet écrit remettent en cause tous les savoirs : biologiques51, sociologiques, historiques, artistiques, etc. A l'origine de cet engouement pour les recherches féministes dans toutes les disciplines est une remise en cause épistémologique, notamment élaborée par Nancy Hartsock. Sa théorie du point de vue (ou standpoint theory), pourrait se résumer ainsi : aucun savoir n'est objectif, ni impartial. Aucun savoir n'est partial

47 Discussion avec Bernard Lubat, et extrait de spectacle.

48 L'annexe 2.1. est un sociogramme synthétisant les liens de filiation et d'amitié initiale entre les acteur?trices d'Uzeste Musical, ainsi que leurs tâches.

49 Vivant en partie au village : Jules Rousseau (artiste), Louis Lubat (artiste), Jaime Chao (artiste), Thomas Boudé (artiste), Margot Auzier (artiste), Diane Camus (chargée de production), Sarah Boudé (aide aux cuisines). Ne vivant plus au village : Raphaëlle Camus (artiste), Juliette Minvielle (artiste).

50 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p. 202.

51 Notamment grâce à Donna Haraway qui « envisage la biologie comme une pratique cruciale de la construction de la culture occidentale moderne et donc aussi comme discours. » D'après PUIG DE LA BELLACASA María, Les savoirs situés de Sandra Harding et Donna Haraway: science et épistémologies féministes, Paris, l'Harmattan, 2014, p.125.

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politiquement car, selon Elsa Dorlin, « tout savoir entretient [un rapport] avec une position de pouvoir, qu'il renforce, renverse ou modifie en retour52». Aucun savoir n'est objectif car aucune recherche ne se fait hors chercheur?se. C'est ce?tte dernier?e qui détermine le sujet, la méthodologie et même le résultat (en hiérarchisant les données par exemple)53. Les savoirs hérités sont analysés différemment, les points de vue qui étaient considérés comme objectifs apparaissent comme masculins54. Les valeurs hiérarchisées entre les sujets, les savoirs, les résultats sont remises en question, amenant la recherche dans des zones inexplorées (notamment du genre).

Sandra Harding pousse plus loin la théorie du point de vue, en ne renonçant pas à l'objectivité. Sa théorie, la notion d'objectivité forte (strong objectivity), repose sur l'idée que la multiplication des points de vue sur un objet produit de l'objectivité. L'idée, presque photographique, outre le fait d'être novatrice, incite à la curiosité pour des visions marginales (d'outsiders)55. De plus, l'apparence objective des écrits scientifiques n'étant plus un prérequis, Sandra Harding et Donna Haraway défendent une nécessité de situer les savoirs, c'est-à-dire expliciter le regard du?de la chercheur?se pour permettre au?à la lecteur?trice de contextualiser et être en position critique face à la transmission qui lui est faite56. Situer les savoirs, en tant que chercheur?se et lecteur?trices, c'est aussi être en permanence conscient?e que le document scientifique n'est qu'un discours, produit depuis un point de vue, une époque, un espace, et dans un but. C'est un discours, aussi, dans sa forme linéaire, contraignant en permanence l'énonciateur?trice à choisir ce qui est dit et comment. Ainsi, le?la producteur?trice des discours n'est pas à effacer pour créer une objectivité artificielle, mais au contraire, révéler l'énonciateur?trice permet de prendre la mesure du propos. Il s'agit en quelque sorte, d'accepter la responsabilité des personnes réceptrices, dans l'interprétation d'un propos scientifique et dans la capacité critique de mettre en regard la production et le produit :

En d'autres termes, l'objectivité et un savoir « plus fiable » sont associés à l'inclusion responsable des subjectivités situées et d'une conscience oppositionnelle, plutôt qu'à leur exclusion au nom de leur inutilité présumée57.

52 DORLIN Elsa, op.cit., p.7.

53 Ibid. p.24-25.

54 Ibid. p.17-18.

55 Ibid. p.27-30.

56 PUIG DE LA BELLACASA María, op.cit.

57 BRACKE Sarah, María PUIG DE LA BELLACASA, et Isabelle CLAIR, « Le féminisme du positionnement. Héritages et perspectives contemporaines », Cahiers du Genre, 2013, vol. 54, n° 1, p. 45.

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Il me faut donc définir mon point de vue. (Le « je », traditionnellement banni des travaux universitaires, est rendu judicieux dans le cadre de la théorie du point de vue, puisqu'il rend visible l'énonciateur?trice.) Je suis une jeune femme blanche française, issue d'une famille de classe moyenne. Etudiante en Arts du spectacle et Communication, j'ai une approche bi-disciplinaire des études, qui se remarque dans mon travail, notamment par l'incorporation de théories de domaines différents. En tant qu'étudiante, mes recherches n'ont pas une valeur d'expertise, mais visent à rendre compte de la rencontre entre un terrain et des savoirs scientifiques. Ayant grandi dans la campagne périgourdine, la ruralité des landes ne m'est pas étrangère, ce qui peut rendre invisibles certains éléments à mon regard. Les éléments moteurs et à l'initiative de cette recherche sont : la curiosité de mieux comprendre la construction du genre, et le besoin de savoir analyser les rapports sociaux de sexes dans le secteur professionnel que j'envisage. Plus tard, lorsqu'Uzeste Musical s'est dessiné comme terrain potentiel, d'autres envies motrices sont nées : celle de partager un développement de pensée avec des compagnon?nes d'aventures, et celle d'avoir un potentiel de réactions direct des problèmes observés. Cette dernière a d'ailleurs influencé mon écriture en m'amenant à chercher des solutions théoriques mais aussi concrètes.

Ma place à Uzeste, le point depuis lequel j'observe, est particulière. Ma position est double : celle de la chercheuse qui analyse son corpus et écrit depuis Toulouse, et celle d'une personne investie dans une aventure politique et artistique. Depuis octobre 2012, j'aide le groupe de jeunes hommes du village, Los Gojats*, sur des points de communication et d'administration. Nous avons fondé, avec d'autres artistes émergents, une association sur Bordeaux. Cette aventure grandit entre Uzeste et Bordeaux, depuis sa naissance en novembre 2013. Les relations privées se sont enrichies des relations professionnelles. Durant toute cette année de recherche et encore aujourd'hui, Los Gojats sont des amis, et l'un d'entre eux, Louis Lubat, est aussi mon compagnon. J'ai aussi participé en tant que bénévole technique à l'Hestejada 2013. « Je » est donc observé et analysé comme les autres objets. Cette inclusion dans mon terrain fut un réel avantage pour pouvoir observer, discuter et comprendre. Comprendre un « nous », mais aussi un « je » et un « eux?elles ». Mais être à la fois sujet et objet demande un travail permanent de recul. Il m'a fallu batailler contre les sentiments, la crainte de faire mal. L'entretien avec Bernard Lubat a été à ce propos très bénéfique car dans ses mots et ceux d'Aragon qu'il cite : « Je suis contre ce qui ne bouge pas. [...] Je suis contre ce qui se suffit, je suis contre ceux qui croient. [...] « On ne pense bien que contre» 58», j'ai

58 Entretien avec Bernard LUBAT, citant Aragon, annexe 1.1.2.2., p.132.

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entendu une autorisation à la critique, même dure, tant qu'elle est juste. Malgré ma subjectivité forte, toute ma démarche se justifie de manière scientifique, dans un but réflexif et analytique.

C'est donc à travers les concepts de genre et de média pragmatique que je vais analyser le terrain qu'est Uzeste Musical sur les années durant lesquelles j'ai observé et participé, soit de 2013 à aujourd'hui (ce qui réduit, pour les Hestejadas, aux étés 2013 et 2014).

III. PROBLEMATIQUE ET OUTILS METHODOLOGIQUES

En tant qu'observatrice privilégiée d'Uzeste Musical, j'ai été étonnée d'observer des inégalités sexuées dans la répartition des tâches, dans ce lieu visant une politique égalitariste. Pourquoi et comment les acteur?trices d'un lieu de création artistique, militants pour les égalités sociales, participent à la reproduction des inégalités de genre ? Il convient de pointer en quoi la reproduction d'inégalités sexuées est abordée comme étant problématique (en effet, toute inégalité n'est pas nécessairement problématique). Il s'agit ici de se focaliser sur des inégalités de valeurs attribuées aux genres et qui servent de fondement à des inégalités sociales, c'est-à-dire à la hiérarchisation des individus à travers des catégories, comme par exemple les genres. C'est donc une inégalité préjugée par le genre, ou ce que Bourdieu nommait la domination masculine, en art, à notre époque, en France et particulièrement à Uzeste, qui est remise en question dans cet écrit.

La critique d'un manque de femmes sur scène est régulièrement faite à Uzeste, mais n'a jamais été vérifiée. J'ai donc fait un comptage sexué sur l'Hestejada de las arts des étés 2013 et 2014 qui a vérifié cette observation59. Mis en regard avec les chiffres nationaux, ceux d'Uzeste ne sont qu'un épiphénomène. Le choix de compter les représentations du festival d'été et pas des représentations à l'année, est en raison d'un trop faible turn-over sur l'année, et de sa portée médiatique plus grande (avec des relais par les médias traditionnels). De plus, cet événement reste le fruit des réflexions et de l'énergie des personnes présentes à l'année. C'est elles qui donnent les lignes directrices, artistiques, politiques et techniques du festival. Au début de ma recherche, je pensais compter trois fois deux festivals répartis sur les trente-huit éditions pour visualiser une évolution. Deux raisons m'ont amenée à resserrer ce travail sur les deux derniers programmes. Premièrement, mon analyse est de l'ordre photographique, elle prend en compte des éléments historiques mais dans leur implication actuelle, pour historiciser des faits qui paraissent à la fois normaux et éternels. Chercher à observer une évolution sur des époques

59 Le tableau de quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et visibilité, Annexe 1.1.1.1, indiquent 22% de représentations de femmes sur les deux années.

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que je n'ai pas pu connaître serait plus de la spéculation que de l'observation. Autre élément, le but de ce comptage est de pouvoir analyser les ruptures et continuités entre les chiffres du terrain et de l'ensemble du territoire. Cependant ces questions d'égalités dans le domaine culturel sont assez récentes, le rapport de Reine Prat en 200660 a permis une réelle prise de conscience des inégalités hommes/femmes, en l'occurrence sur les directions des établissements culturels. Ainsi, en amont des années 2000, il n'est pas très intéressant de chercher à faire des comparaisons puisque les chiffres sont encore à produire.

C'est entre la dépendance du vivier national et l'héritage culturel d'une histoire des arts aux tendances androcentrées que je dessinerai d'abord Uzeste Musical. En faisant dialoguer deux histoires des arts : celle classique/conservatrice et celle (re)découverte par les études féministes, et les chiffres actuels, je chercherai à faire apparaître les convergences et différences entre deux échelles : micro- (Uzeste) et macro- (France) sociales.

Pour comprendre plus localement les schèmes de pensée du genre, j'ai choisi une approche microsociologique, avec des entretiens et une observation immersive. Selon l'épistémologie marxiste, l'expérience peut se considérer comme source de savoir : l'expérience du prolétaire est une source de savoir sur le capitalisme. Cette théorie fut réemployée par les recherches féministes, avec l'idée que les femmes pouvaient être une source de savoir sur la domination masculine61. Elsa Dorlin va plus loin en disant que transformer de l'expérience en savoir amène du politique dans le savoir issu de l'expérience62. Dans le discours des personnes qui expérimentent le dispositif d'Uzeste Musical, j'ai cherché des clefs de compréhension des rapports sociaux de sexes du lieu. Le corpus s'étend sur trois entretiens semi-directifs. Le premier est avec Bernard Lubat63, le directeur artistique et fondateur de d'Uzeste Musical, qui énonce à sa manière sa position d'actant : « Je ne suis pas représentatif d'un lieu. Je suis représentatif d'un acte ». Le second s'est déroulé avec Juliette Kapla64, artiste associée de la Cie Lubat, en dedans du projet, en-dehors du village. Le dernier entretien individuel s'est fait avec Fabrice Vieira65, musicien, administrateur, technicien de la Cie Lubat

60 PRAT Reine, op.cit., 2006.

61 « [U]n savoir fondé sur la vie des personnes subissant l'exploitation (la classe ouvrière) rend différemment et mieux compte du monde qu'un savoir fondé sur la vie des dominants (la bourgeoisie) [...] Une expérience aussi directe de la production fait défaut à la bourgeoisie.[...]Dans une version remaniée, le positionnement féministe part de l'idée que la vie des femmes constitue une position privilégiée, d'un point de vue épistémologique, pour observer le fonctionnement de la suprématie masculine et son interaction avec les relations sociales du capitalisme. » D'après BRACKE Sarah, María PUIG DE LA BELLACASA, et Isabelle CLAIR, art.cit., p. 45.

62 DORLIN Elsa, op.cit. p.19.

63 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2., p.132.

64 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3.

65 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4.

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et d'Uzeste Musical. Le risque de surreprésenter une parole masculine en ne prenant qu'une femme sur trois, s'est résorbé à l'écriture, dans les proportions données à chacun?e. Le choix de ne questionner que des artistes a eu pour effet d'évincer des entretiens avec des femmes du bureau. Mais questionnant Uzeste Musical comme média et non pas comme terrain sociologique, ce sont les énonciateur?trices que j'ai ciblé?es. Pour obtenir de la nuance à ces trois entretiens, j'ai pratiqué un entretien de groupe avec quatre enfants d'Uzeste nés peu après 1990 : Margot Auzier, artificière, Jaime Chao, musicien, Diane Camus, chargée de production et Louis Lubat, musicien66. Ce corpus secondaire m'a permis d'observer des évolutions en cours ou possibles. Ces entretiens guidés ont été complétés par une observation immersive du terrain tant sur le plan social qu'artistique, d'octobre 2012 à avril 2015 lors des Uzestivaux (festivals des vacances de l'année). Mais aussi d'un vécu des Hestejadas et Uzestivaux 2013 et 2014. L'ensemble du discours produit par Uzeste Musical est épaissi de documents tels que les programmes-manifestes, le journal d'expression poïelitique de la Cie Lubat, ainsi que les murs du théâtre recouverts de photos67 et d'articles de journaux. Ces discours sont analysés au regard de recherches scientifiques, dans le but de trouver des portes entrouvertes vers un rapport d'égalité de genre.

En dernière partie s'est trouvée la nécessité d'analyser la production du média Uzeste Musical. La question de la représentation scénique permet de sortir d'une approche sociologique qui cantonne trop aisément dans de l'observation d'inégalités hommes/femmes. En questionnant la relation entre le politique et l'artistique à Uzeste, j'ai pu sortir d'un regard binaire homme/femme ou féminin/masculin qui tend à opposer deux catégories, et les homogénéiser en interne, et ainsi réaffirmer une bicatégorisation68. Il s'agit de questionner ce qui fait norme et ce qui est subversif pour décaler le regard : subversion des genres artistiques vers une subversion des genres sexués. Les discours artistique et politique de la Cie Lubat et de Juliette Kapla sont interrogés dans leur cohérence avec le discours privé. La boucle pourrait se boucler avec une étude des publics qui porterait sur la réception des oeuvres analysées, mais il cela nécessiterait une autre année de recherche pour examiner les diversités de discours

66 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1.

67 Photographies du Théâtre Amusicien, Annexe 2.2.

68 L'aspect homogène des catégories produites par les chiffres (donc les chercheur?ses) est un problème épistémologique récurrent des recherches féministes : BUTLER Judith, op.cit., p.59-67, DE LAURETIS in DORLIN Elsa, op.cit., p.113.

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interprétés par les publics, car, en accord avec Stiegler, le discours est construit par celui qui le reçoit69.

1. PLAFONDS ET MURS DE VERRE : MICRO ET MACRO SOCIETES EN DIALOGUE

Il me paraît important de répondre tout d'abord au cliché auquel j'ai pu être confrontée, en discutant de mon sujet de recherche, d'un secteur culturel idéal et égalitaire, où il n'y aurait pas de discrimination mais peut-être une méritocratie sans pitié. Je tiens, dans cette partie, à démontrer que le secteur culturel possède bien une composition inégale entre les hommes et les femmes avec des ségrégations horizontales et verticales fortes. Je me baserai sur les chiffres récents -car c'est une problématique récente- de Reine Prat (200670 et 200971), de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)72 et de l'Observatoire de l'égalité hommes-femmes dans la culture et la communication73. D'autres rapports, comme celui d'Annick Sardeing74, enrichissent encore les chiffres et les grilles d'analyse, mais dans une vision d'ensemble, ils corroborent les premiers résultats cités, sans grands changements. Nous pourrons alors mettre en regard les chiffres nationaux avec les chiffres sur le terrain d'Uzeste Musical.

En effet, j'ai pu faire un travail de comptage par discipline des spectacles présentés durant l'Hestejada de las arts sur les années 2013 et 2014. Si les chiffres présentent quelques disparités d'une année sur l'autre, ils corroborent dans l'ensemble les données nationales, saturant de fait le modèle sociologique. Il y a deux tableaux en annexe : un qui quantifie les représentations hommes/femmes sur scène par arts et par importance de visibilité, et un autre qui a pour but

69 Tiré d'une conversation, un midi d'Hestejada 2013. Cette thèse que le discours se réalise dans l'interprétation des récepteurs est développée par Torres Vitolas, notamment avec les notions de faire interprétatif et de communautés interprétatives. TORRES VITOLAS Miguel Angel, Approche sémio-pragmatiue de pratiques nées de la réception médiatique, Université Toulouse 2 Le Mirail, Toulouse, 2011, p.18 et pp.22-24.

70 PRAT Reine, op.cit., 2006.

71 PRAT Reine, Arts du spectacle. Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique. 2 De l'interdit à l'empêchement, mission pour l'égalité h/f dans les arts du spectacle, 2009.

72 SACD, Où sont les femmes ? Saison 2014/2015, s.l., 2014. Avec comme sources l'étude OSLF saison 20142015, le CSA et la SACD.

73 OBSERVATOIRE DE L'EGALITE HOMMES-FEMMES DANS LA CULTURE ET LA COMMUNICATION, Ressources - Égalité entre femmes et hommes [en ligne], Ministère de la Culture et de la Communication, 2013, [ http://www. culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Egalite-entre-femmes-et-hommes/Ressources], consulté le 19 novembre 2014.

74 SARDEING Annick, Etude sur la présence des femmes artistes pour la saison 2012-2013 dans les structures subventionnées par le ministère de la culture et de la communication / musique, théâtre, danse, arts du cirque et de la rue / Premiers éléments pour la saison 2013-2014, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013.

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d'observer la répartition des tâches techniques et organisationnelles entre hommes et femmes, mais aussi le niveau de reconnaissance professionnelle ou du moins de salarisation. Les tableaux sont donc tridimensionnels : une dimension temporelle -peu importante mais pratique, une dimension horizontale qui a pour but d'observer les répartitions par discipline et une dimension verticale qui a pour but de valoriser certaines représentations par rapport à d'autres en fonction de leur visibilité. Quelques précisions sur le comptage : les programmes d'Uzeste Musical ne précisent pas toujours la discipline dominante d'une représentation. Ayant été présente sur ces éditions, et en interrogeant des acteurs de la structure si un doute persistait, j'ai pu choisir de catégoriser telle ou telle performance dans telle ou telle discipline voire de diviser le compte dans plusieurs disciplines. Pour exemple, les solis-solos de Louis Lubat, Jules Rousseau ou Fabrice Vieira qui ont une théâtralité combinée avec un jeu musical ont pu être classés dans le genre théâtral et musical. Ainsi, ces trois artistes se trouvent comptés en théâtre ou/et en musique selon les propositions faites. Cela signifie que je ne cherche pas à catégoriser les artistes mais à faire ressortir les sexes qui interprètent tel ou tel art. Ensuite, un spectacle joué deux fois est compté deux fois. Par exemple, Martine Amanieu qui a fait deux fois la lecture de Rimbaud mon frère en 2014 est comptée deux fois en théâtre. Le choix de compter par représentation et non par artiste suit l'idée initiale de quantifier, par sexe, les représentations et non pas la professionnalisation. De plus, les chiffres nationaux de Reine Prat et de la SACD sont comptés de cette manière. Il n'y a donc pas 472 hommes en représentation à Uzeste en 2013, mais 472 présences d'hommes sur l'ensemble des représentations de l'été 2013. A l'inverse, pour le comptage des équipes technique et organisatrice, il s'agit d'un compte sur l'ensemble de la durée du festival puisqu'il s'agit de comprendre la répartition des tâches. La hiérarchisation qui peut être faite entre les visibilités des représentations (lecture verticale du tableau), s'explique par la présence lors du festival d'une grande scène, où les spectacles se jouent le soir, avec donc un public supposé par les programmateurs?trices plus nombreux. Pour le tableau des équipes internes, cette verticalité est professionnelle, avec une distinction entre les personnes salariées ou non.

Un premier temps se dialoguera donc entre les états des ségrégations verticales de genre dans le secteur culturel français et à Uzeste. En parallèle du constat quantitatif des ségrégations, nous chercherons dans l'histoire et les mythes de l'art, les processus de la construction du genre dans la production artistique. Je rejoindrais la thèse de Geneviève qui pense qu'il faut historiciser la pensée, politiser les recherches et les conceptions de genre. Ceci, pour que les concepts puissent évoluer dans le temps et sortir d'une intemporalité qui fait vérité, autorité, essentiel. Déconstruire la valeur des vieux modèles, permet d'en construire de nouveaux. La

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ségrégation horizontale sera traitée en suivant, dans la même logique d'historicisation. Enfin, la programmation de l'Hestejada étant particulièrement dépendante du vivier du jazz -en raison de l'affinité particulière de l'équipe pour cette musique-, je propose aux lecteurs et lectrices d'observer plus précisément les situations genrés dans cet art.

1.1. SEGREGATION VERTICALE, UN SECTEUR AU MASCULIN

En 2012, les chiffres des caisses sociales indiquaient :

Parmi les 215 163 salariés : 52 % ont exercé en tant qu'artistes interprètes, 39 % ont exercé en tant que techniciens et personnels administratifs (non cadres), 9 % ont exercé en tant qu'artistes, techniciens ou personnels administratifs (cadres).

Et surtout : « 62,4 % sont des hommes 75 ». Donc, au premier abord, le secteur culturel semble plutôt paritaire.

Cependant le rapport de Reine Prat de 2006, qui interroge l'accès des femmes aux postes de responsabilités dans ce secteur, montre un paysage avec beaucoup plus de relief qui, hélas, témoigne de profondes inégalités hommes/femmes :

Qui dirige les institutions ? Ce sont des hommes qui dirigent :

-92% de théâtres consacrés à la création dramatique.

-89% des institutions musicales.

-86% des établissements d'enseignement.

-78% des établissements à vocation pluridisciplinaires.

-71% des centres de ressources.

-59% des centres chorégraphiques nationaux.

Qui a la maîtrise de la représentation ?

- 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes.

- 94% des orchestres programmés sont dirigés par des hommes.

- 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes.

- 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes.

- 57% ont été chorégraphiés par un homme.

Qui dispose des moyens financiers ?

-En 2003, la moyenne des subventions attribuées aux scènes nationales par l'ensemble de leurs partenaires

était de 2 096 319€.

-Quand elles étaient dirigées par un homme, cette moyenne s'élevait à 2 347 488€.

75 CPNEFSV (Commission Paritaire Nationale Emploi Formation Spectacle Vivant), « Chiffres clés » [en ligne], Données statistiques, [ http://www.cpnefsv.org/donnees-statistiques/chiffres-cles], consulté le 10/05/2015. La commission se base sur les chiffres du groupe Audiens et de l'Afdas, caisses sociales qui collectent les cotisations des employés du spectacle vivant (CDDU, CDD et CDI confondus).

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-Quand elles étaient dirigées par une femme, la moyenne des subventions perçues était de 1 764 349€ 76.

Plus récemment, la société des auteurs et compositeurs dramatique (SACD) nous donne, sur la saison 2014/15, quasiment les mêmes chiffres : 1% de compositrices, 4% de cheffes d'orchestre, 5% de librettistes, 17% de réalisatrices, 21% de solistes instrumentistes, 24% d'auteures de théâtre, 28% de metteuses en scène et 35% de chorégraphes. Augmentation dans certains cas, diminution dans d'autres, la parité* est loin d'être acquise.

Dans les chiffres précédents nous pouvons observer la position de force des hommes dans le secteur culturel puisqu'ils sont surreprésentés dans les directions artistiques et administratives de tous les arts vivants77. Il faut en effet noter que ces chiffres ne sont comptés qu'à partir des théâtres nationaux, centres dramatiques, pôles nationaux en cirque ou arts de la rue, orchestres et opéras. Contrairement aux théâtres indépendants, scènes de musiques actuelles etc., ces organismes publics se doivent de répondre aux enquêtes de l'Etat78. Uzeste Musical est un organisme privé, subventionné par l'aide triennale de la Direction des Affaires Culturelles (DRAC) d'Aquitaine. Cette aide, entre autres, lui permet de ne pas être dans une réflexion uniquement économique du festival. Pour accepter que la comparaison soit possible entre les chiffres des directions artistiques des structures culturelles nationales et les chiffres d'Uzeste Musical, il faut comprendre que la quasi-totalité des spectacles de l'Hestejada de las arts sont dirigés par ceux qui les interprètent, à deux exceptions près : HAGATI YACU / Entre Nous, spectacle de théâtre d'Uz & Coutumes, dirigé par deux femmes, et joué quatre fois en 2013 (pour ce même spectacle, une femme et un homme ont travaillé l'écriture et sont compté?es en « littérature/poésie », un musicien est compté en « musique » et deux danseuses sont comptées en « danse »). Lorsqu'en 2014, Bernard Lubat a dirigé un gros ensemble de musiciens invités à improviser durant quelques minutes, ceux-ci étaient libres de leurs propositions. La direction d'interprètes étant exceptionnelle, il a semblé plus pertinent de considérer l'ensemble des artistes du festival comme responsables de leurs choix artistiques79.

Ainsi, les pourcentages au sein des disciplines sont, dans l'ensemble, plus paritaires que les résultats nationaux : 91% au lieu de 97% de la création musicale faite par des hommes, 53% au lieu de 85% des textes écrits par des hommes, 58% au lieu de 78% de mise en scène par des

76 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.9. Les chiffres ont changé depuis mais les tendances restent les mêmes et ce rapport reste le plus précis.

77 D'autres chercheur?ses démontrent le difficile accès des femmes dans les « musiques populaires » (Buscatto, Ortiz, Whiteley), dans la musique classique (Ravet, Graber, Goldin et Rouse), dans les arts plastiques (Lang, Pasquier, Trasforini), dans la danse (Faure, Sorignet) ou encore dans la littérature (Naudier).

78 L'annexe 1 de l'étude de Sardeing montre que les scènes de musiques actuelles n'ont pas répondu par exemple. SARDEING Annick, op.cit, Annexe 1.

79 Quantification des représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014, Annexe 1.1.1.

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hommes, 20% au lieu de 57% de chorégraphies faites par des hommes et 37% au lieu de 17% de femmes réalisatrices. Cependant, sur l'ensemble des deux festivals, la dominance de la musique sur les autres arts montent le nombre de représentations masculines à 78% alors que l'INSEE compte 36% de femmes artistes en 200980, soit 64% d'hommes. Globalement, le festival d'Uzeste est plus masculin que le secteur artistique en général, malgré sa répartition plus égalitaire au sein des disciplines.

Reine Prat reconnaît cinq « seuils d'élimination » au cours d'un parcours professionnel :

- les enseignements artistiques, les formations aux métiers de la culture, l'insertion professionnelle,

- les relations de travail au sein des entreprises,

- l'exercice des responsabilités et la prise de décision,

- l'accès aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique,

- les représentations artistiques81.

Les activités artistiques sont majoritairement considérées comme féminines, avec une majorité de femmes en amateur (34% des femmes et 32% des hommes ont une activité artistique en amateur82) surtout en écriture, théâtre, danse, chant et dessin. Il devrait donc logiquement y avoir 50%, voire plus, de femmes artistes professionnelles et de directrices artistiques. Pourtant, la gente féminine est écumée au fur et à mesure des échelons avec seulement 36% de professionnelles, et 20% de directrices ou co-directrices d'institutions83.

1.1.1. ILLEGITIMES A L'AMBITION

J'ajouterais un échelon précédant à ceux énoncés par Reine Prat : l'échelon symbolique de la légitimité. Cette notion réapparaîtra plusieurs fois dans ce mémoire. Le besoin de se sentir légitimes pour prétendre à un statut est un vrai plafond de verre* pour les femmes, auxquelles on a plus inculqué l'attente de la reconnaissance pour proposer leur candidature. Nous verrons plus tard comment l'histoire, le mythe de l'artiste et les représentations de femmes trop peu nombreuses ou dévalorisées dans les divers arts participent au sentiment de non-légitimité des femmes à être artistes professionnelles. Cette illégitimité supposée élimine certainement déjà

80 Insee, recensements de la population de 1990 et 2009 : GOUYON Marie et Frédérique PATUREAU, Les métiers artistiques : des conditions d'emploi spécifiques, des disparités de revenus marquées [en ligne], Insee, 2013 [ http://www.insee.fr/fr/ffc/ docs_ffc/FPORSOC13j_D4_artistiques.pdf], consulté le 10 mai 2015, p.143-163.

81 PRAT Reine, op.cit., 2009, p.24.

82 DONNAT Olivier, « La féminisation des pratiques culturelles », Bulletin du département des études, de la prospective et des statistiques, Ministère Délégation au développement et aux affaires internationales Département des études, de la prospective et des statistiques, juin 2015, n? 147, p. 8.

83 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.38.

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de manière inégalitaire une proportion plus importante de femmes que d'hommes. Hyacinthe Ravet, par exemple, observe comment les mêmes compétences en école de musique classique n'amènent pas aux mêmes ambitions selon le sexe des élèves :

Malgré leur précocité plus grande, les filles voient leurs ambitions freinées, et canalisées vers le professorat, alors que les garçons veulent réussir comme instrumentistes, voire comme solistes, ou bien renoncent à tout projet professionnel. L'école "homogénéise" ainsi sa population féminine autour d'une ambition moyenne traditionnellement vouée aux femmes, et elle scinde au contraire en deux groupes très inégaux les garçons, placés au conservatoire exactement comme à l'école dans une compétition sévère pour la réussite scolaire84.

La remarque du modèle traditionnel ancre cette observation actuelle dans une construction du genre extrêmement inégale et historique où un domaine du care85, l'enseignement artistique, est insufflé aux petites filles, alors que les petits garçons ambitionnent l'excellence ou se confrontent à l'échec. Les clichés répétés du care féminin et du génie masculin font alors modèle, reconstruisant en permanence un paysage professionnel genré.

1.1.2. L'ENTREE DANS LES ECOLES SUPERIEURES ET L'INSERTION PROFESSIONNELLE

Alors qu'aucun quotas en programmation n'est appliqué par crainte de valoriser des incompétentes aux dépends d'hommes plus qualifiés, d'autres quotas s'appliquent sans résistance... au bénéfice des garçons. Le Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) reçoit exactement le même nombre de garçons que de filles, alors qu'elles représentent les 2/3 des candidates86. L'argument évoqué est le fait que la majorité des rôles de théâtre sont masculins. Limiter la formation des femmes serait limiter la saturation du marché, et par là même, le chômage des comédiennes. Ainsi, le CNSAD préfère réduire l'accès des femmes à un diplôme professionnel plutôt que de remettre en question le répertoire androcentré dramatique français. Les mêmes raisons, même si elles ne sont pas clairement énoncées, poussent des écoles de danse à recruter des danseurs sur leur potentiel et des danseuses sur leur acquis. Nous sommes face à un exemple flagrant de double standard*, où le niveau d'exigence diverge d'un sexe à l'autre, éliminant une part du vivier de femmes artistes potentielles.

84 Cité par RAVET Hyacinthe, « Féminin et Masculin en musique, dynamiques identitaires et rapports de pouvoir », GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création, interprétation, les musiciennes dans la sociétéì contemporaine, Paris, Harmattan, coll. « Univers musical », 2005, p.234.

85 « Care » est un terme qui désigne des activités nécessaires au bon fonctionnement d'une société comme le soin, la puériculture, l'enseignement, etc. Ces tâches étaient traditionnellement considérées comme relevant de qualités naturelles féminines. Aujourd'hui, notamment grâce à la notion de genre comme construit social, ces activités sont de plus en plus valorisées comme des compétences, pouvant être acquises par tout individu.

86 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.29.

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Lors de l'insertion professionnelle, la prépondérance des rôles masculins par rapport à la proportion de candidats joue en faveur des comédiens et danseurs. D'après Aurore Evain, la tendance actuelle du réalisme dans le jeu théâtral -renforcée par le cinéma-, fait tendre les masques vers des visages87. Cette mode force l'adéquation des caractéristiques physiques -dont le sexe- entre comédien?nes et personnages.

En musique, l'utilisation du paravent pour les auditions de certaines écoles, facultés et même de certains orchestres -malgré des « polémiques récurrentes »-, augmente légèrement la proportion de femmes et d'étranger?es admis?es dans ces institutions88. Il y a donc, même en musique, un frein pour les femmes, en dehors de leurs compétences.

1.1.3. VIVRE DE SON ART, RESTER PROFESSIONNELLE

Pour celles qui deviennent artistes professionnelles, l'enjeu est le rester à long terme. Les comédiennes et danseuses, qui, par les rôles féminins du répertoire, ont une carrière plus dépendantes de leur beauté physique que leurs homologues masculins, sont défavorisées avec l'âge : « 25% des comédiennes ont moins de 30 ans contre 17% des comédiens seulement89 ». Nous pouvons observer ici comment le modèle androcentré et hétérocentré exige une plus forte prise en compte des critères de beauté pour les femmes.

Dans son article « Tenter, rentrer, rester : les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », Marie Buscatto rend compte de parcours chaotiques aux débuts des musiciens de jazz, mais qui tendent à se stabiliser dans le temps. A l'inverse, ceux des femmes se fragilisent à long terme. Elles ne réussissent que très peu à vivre du jazz de manière principale. La chercheuse attribue cette faiblesse professionnelle à la difficulté de rester dans un réseau de musiciens de jazz qui se font jouer les uns les autres. Entre « bagarre » et séduction, la relation d'entre « potes » de ces réseaux complexifie les relations hommes/femmes, et en l'occurrence « hommes/femme90 ». Si une absence prolongée peut autant faire disparaître des réseaux les hommes que les femmes, les facteurs d'absentéisme sont plus important pour ces dernières, car

87 EVAIN Aurore, citée par DUPUIS Sylviane, « Ecrire pour le théâtre au féminin: l'héritage/l'écart » in FIDECARO Agnese et Stéphanie LACHAT (dir.), Profession: créatrice: la place des femmes dans le champ artistique: actes du colloque de l'Université de Genève, 18 et 19 juin 2004, Lausanne, Antipodes, 2007, p.202.

88 HENNION Antoine, Françoise MARTINAT, Jean-Pierre VIGNOLLE, Enquête sur les élèves et anciens élèves des écoles de musiques contrôlées par l'Etat, Paris, ministère de la culture, 1982, p.263, cité?es par RAVET Hyacinthe, « Féminin et Masculin en musique, dynamiques identitaires et rapports de pouvoir », art.cit.., p.240.

89 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.17.

90 Plus de précision en 1.4. Focus sur le jazz.

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peu sollicitée, en congés maternité, etc91. Pasquier et Ravet expriment aussi dilemme entre vie familiale et vie professionnelle qui ne se poserait pas de cette manière si la répartition des tâches domestiques était équitable92:

La difficulté de certaines femmes artistes à envisager ou à vivre l'articulation entre une vie professionnelle très prenante et une vie personnelle -dont elles gardent la charge principale- les éloignerait d'une carrière artistique au profit de l'enseignement 93 .

Et ainsi, nous arrivons au chiffre de seulement 8% de femmes musiciennes de jazz94, et

plus généralement, de 36% de femmes artistes. Le plafond de verre se fait sentir dans l'insertion professionnelle, mais aussi dans la durée. Mais c'est sur les postes à responsabilité que les écarts

sont les plus spectaculaires.

1.1.4. LE PLAFOND DE VERRE : LE DIFFICILE ACCES AUX POSTES A RESPONSABILITES

Sur la saison 2014/2015, la SACD observe :

0% des Théâtres Nationaux sont dirigés par une femme.

14% des Centres Chorégraphiques Nationaux sont dirigés ou co-dirigés par une femme.

28% des Centres Dramatiques Nationaux et Régionaux sont dirigés ou co-dirigés par une femme

15% des Maisons d'Opéra sont dirigés par une femme95.

Pour donner le cadre général du secteur culturel, nous avons déjà observé les chiffres de 2006 de la répartition des directions artistiques institutionnelles. Pour tous les arts, les directions étaient à plus de 70% tenues par des hommes, et ce constat perdure (les centres chorégraphiques nationaux faisaient exception en 2006 avec 59% de directeurs, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui). Cette reproduction du modèle patriarcal* se perpétue par habitude, renforcée par les représentations symboliques de genres avec un masculin leader et un féminin illégitime aux positions de pouvoir.

91 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », Travail, genre et sociétés, 2008, n°19, p. 97.

92 « En moyenne, les femmes consacrent quatre heures par jour aux tâches domestiques, contre un peu plus de deux heures pour les hommes. » cité depuis l'OBSERVATOIRE des INEGALITES, « La répartition des tâches domestiques » [en ligne], 5 mars 2012, [ http://www.inegalites.fr/spip.php?article245], consulté le 20 mai 2015.

93 PASQUIER Dominique, « Carrière de femmes : l'art et la manière », Sociologie du travail, n°25, 1983, pp.418-431, et RAVET Hyacinthe, « Professionnalisation féminine et féminisation d'une profession : les artistes interprètes de musique », Travail genre et sociétés, n°9, 2003, pp.173-195, citées par BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p.88.

94 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p. 88.

95 SACD, Où sont les femmes ? Saison 2014/2015, op.cit., 4ème de couverture.

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Comme le vivier de l'ensemble des artistes, celui des candidates aux postes de direction est amputé du nombre important des femmes qualifiées qui ne se sentent pas légitimes96.

Si elles se considèrent assez légitimes au poste pour candidater, faut-il encore qu'elles soient considérées de même par le jury. Prat, dans son rapport de 2006, cherche à faire ressortir les différentes réticences qui peuvent parfois être « difficiles à formuler ». Elle repère ainsi la recherche presque inconsciente de « candidatures censées reproduire à l'identique la situation précédente »97 :

En effet, penser que les directions, a fortiori celles de gros équipements, puissent être pourvues par des personnes que ne ressemblent pas à ceux qu'on a l'habitude de voir occuper ces fonctions demande un véritable effort d'imagination et la mobilisation de nouveaux systèmes de pensée98.

S'ajoute au reflexe de reproduction du schéma précédent, l'habitude de « l'entre soi » : « ne faudra-t-il pas se comporter de manière particulière avec une interlocutrice alors qu'on a toujours eu un interlocuteur99 ?». J'ajouterais que supposer qu'il faille un comportement différent selon le sexe, si l'on n'aborde pas ce sujet avec une envie d'égalité, produit nécessairement des comportements différenciés renforçant la construction du genre et bien souvent la domination masculine par performativité.

Au-delà de la reproduction d'un schéma professionnel par habitude, se trouvent plus profondément ancrées les représentations symboliques du féminin et du masculin. Prat relève des caractéristiques attendues chez un?e dirigeant?e, qui peuvent être considérées comme positive chez un homme mais négative chez une femme. Pour exemple, un fort tempérament est considéré comme une force conjuguée au masculin, mais plutôt comme un signe avant-coureur de conflits chez une femme. Ou, bien plus pernicieux, le charisme sera perçu comme tel chez un homme -et donc source de pouvoir selon Weber100, mais sera facilement interprété comme du charme chez une femme, avec toutes les craintes de séduction cachées derrière ce mot. Il y a donc un phénomène de double-standard, où la même action ne sera pas jugée de la même manière selon le sexe de l'actant?e.

96 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.23. De plus, le même phénomène est observé dans le rapport sur l'égalité professionnelle homme/femme dans la fonction publique de 2011 et se repère aussi dans le monde de l'entreprise. GUEGOT Françoise, L'Egalité professionnelle hommes/femmes dans la fonction publique, rapport au président de la République [en ligne], Assemblée Nationale, janvier 2011, [ http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/egalite_homme_femme_fonction_ publique_guegot.pdf], consulté le 20 mai 2015, p.13.

97 Ibid.

98 Ibid.

99 Ibid. p.11.

100 Weber Max, Économie et société, tome. I : Les catégories de la sociologie (1921), Plon., Paris, coll. « Agora », 1971.

30

Enfin, si en 2009 nous pouvions observer une augmentation du nombre de femmes à la direction des centres dramatiques (les hommes restent à 84%), leur capacité de leadeuses sont loin d'être reconnue puisqu'elles sont souvent en co-direction avec un homme, et elles occupent 50% des postes de second?es 101 . Au sein même de l'étage des directions d'institutions artistiques, les inégalités se forment, moins visibles mais bien réelles.

Uzeste Musical n'échappe pas à la tendance nationale puisque la structure est dirigée par un directeur. Cependant, à la différence des institutions sur lesquelles se portent les recherches citées, Bernard Lubat n'est pas nommé. Il est fondateur de la structure et s'est construit son poste. Il n'est donc pas question ici de plafond de verre qui empêche l'ascension de femmes. Nous pouvons d'ailleurs voir, que lorsque l'on s'éloigne des institutions pour observer les compagnies, les femmes représentent « 31% des artistes qui ont créé et dirigent une compagnie chorégraphique ou dramatique, un ensemble musical et vocal102 », ce qui est très proche du chiffre des 36% d'artistes femmes au niveau national. Mais là encore, entre les compagnies, « l'accès aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique » semble disparate103.

1.1.5. LA VISIBILITE, HIERARCHIE DES REPRESENTATIONS

Il y a les scènes nationales et les salles municipales, le Zénith avec ou sans balcon, le hall d'entrée pour les apéros-concerts et la salle de spectacle derrière la porte. Toutes salles de spectacle ne possède pas la même visibilité ni le même rayonnement, et elles ont souvent des moyens internes d'adapter l'audience selon le spectacle. Plus une salle est grande, plus elle représente de frais. Le risque économique renforce la ségrégation verticale* des représentations puisque, dans le vivier des artistes potentiel?les des « grosses scènes », les programmateurs s'assurent une recette nécessaire en optant pour des artistes reconnu?es et donc majoritairement masculins104.

Pour l'été, l'organisation du festival d'Uzeste cherche un lieu qui puisse accueillir plus de monde que le petit Théâtre Amusicien. En 2013 il y a eu un grand chapiteau, et en 2014 une longue salle des fêtes voisine fût prêtée. Les représentations dans ces lieux sont les soirs, où l'affluence est potentiellement plus grande. Ces spectacles avec une visibilité plus grande que

101 PRAT Reine, op.cit., 2009, p.21.

102 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.38.

103 PRAT Reine, op.cit, 2006.

104 La question de la reconnaissance de l'artiste sera soulevée au travers de la construction historique du « mythe de l'artiste » en 1.2.2. Mythologie contemporaine ; l'Artiste.

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les autres sont différenciés dans le tableau de quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations artistiques des Hestejadas de las arts 201314, par discipline et visibilité105. Le choix d'une petite jauge peut être artistique : Claude Régy, installé dans le petit théâtre du TNT pour son spectacle La Barque en novembre 2012, aurait pu avoir un plus grand public, mais le silence nécessaire à la dimension intemporelle de la représentation en eut été ruiné. Il ne faut donc pas perdre de vue que certains spectacles comptés auraient pâti d'une représentation dans les conditions d'« importante visibilité » de l'Hestejada. Cependant, pour la survie de la structure, les choix des heures et lieux de programmation répondent aussi à des critères économiques. Les spectacles qui ont lieu le soir sur la grosse scène sont, d'après le directeur, « soit un concept, soit une tête d'affiche ». Les « concepts » sont des thèmes qui vont permettre d'inviter plusieurs artistes pouvant s'y rattacher, par exemple La Nuit du souffle avec un grand nombre de saxophonistes, trompettistes et autres cuivres, ou encore Sous les mots dits à l'ouïe qui alterne des fabriquant?es de mots et de notes. De mon observation, « têtes d'affiches » et « concepts » sont mêlés. Les premières (r)assurent un public et les derniers permettent de prendre le risque d'insérer des inconnu?es sur cette scène. Mais au final, les hommes capitalisent 87% des représentations à grande visibilité sur Uzeste. Dans chaque discipline ils dominent la représentation. (La pyrotechnie fait exception avec une parfaite égalité, car j'ai fait le choix, en continuant la démarche de travailler sur les représentations, de ne compter que ceux?celles que l'on voit, c'est-à-dire qui sont écrit?es dans les programmes. Les autres étant invisibles durant les feux, tapi?es dans l'obscurité. Margot Auzier, artificière d'une vingtaine d'années fait exception dans le paysage national très masculin des artificier?es. Mais à Uzeste elle représente grandement cet art, le rendant plus paritaire que le théâtre.) L'ensemble du nombre de femmes représentées régresse en passant de la « visibilité moindre » à la « visibilité importante », de 24% à 13%. Seul le nombre de femmes conférencières augmente avec la visibilité, de 16% à 25%106, restant tout de même largement minoritaire. Il y a donc une élimination des femmes par seuil. L'ampleur de cette baisse est en partie due à la prédominance de la musique sur ces soirées, domaine où elles sont très largement minoritaires. Cependant, au sein des disciplines, le pourcentage de représentations de femmes réduit alors que la visibilité augmente. Dans tous ces domaines, au regard des programmes, j'attribue ce seuil d'élimination à la reconnaissance extérieure des artistes. Hamid Ben Mahi, Richard Bohringer, Michel Portal, Archie Shepp, Gilles Defacque ou encore Emile Parisien

105 Annexe 1.1.1.1.

106 Le chiffre conférencières est d'ailleurs grossi par les conférences/débats proposé?es par Lydie Delmas qui travaille pour le droit des femmes via la CGT Gironde.

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sont sur la grosse scène parce que leur valeur est sûre : la valeur marchande de ramener du public, et la valeur artistique révélée au fur et à mesure que les échelons sont gravis.

Aux doubles échelles nationale et uzestoise, la même ségrégation verticale réduit la représentation artistique des femmes. Avant même d'être artiste, l'accès à la profession est complexifié : auto-élimination, double-standard à leurs dépens pour entrer dans les écoles et dans les réseaux professionnels. Puis le défi de devenir artiste se mue en rester artiste. Elles accumulent les difficultés : celle d'associer vie professionnelle et vie familiale et celle d'être reconnues comme leadeuses sur scène et au sein d'une équipe. Ces difficultés ne sont pas naturelles mais construites socialement.

1.2. CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ET MYTHIQUES DU GENRE EN ART

Pour Geneviève Fraisse, « l'historicité des sexes, comme devenir et comme imprévu, prévaudra sur l'argumentaire d'une évidente atemporalité du rapport entre les sexes107 ». Tous les rapports de force entre les sexes et les genres sont issus de l'histoire. Toujours sous des arguments dits « biologiques », un « oui » devient un « non » au siècle suivant. Les études féministes en histoire des arts présentent deux bénéfices : des femmes exclues ou oubliées de l'histoire sont redécouvertes, ce travail ouvre une porte vers une représentation historique plus paritaire, l'autre intérêt est de questionner les canons culturels. Selon Griselda Pollock, historienne de l'art, le canon est ce qui fait patrimoine, donc histoire, mais c'est aussi et surtout, ce qui fait valeur108. Pour elle, le canon de la culture d'élite « joue un rôle essentiel dans la reproduction de l'oppression des femmes, dans la circulation des valeurs et des modèles qui façonnent aujourd'hui la construction idéologique de la masculinité et de la féminité109. » Elle donne donc une responsabilité aux arts dans la construction du genre. Pour défendre cette thèse, elle analyse les canons artistiques comme fruit d'une production contextualisée, et d'une histoire de l'art subjective. Elle démontre comment la domination masculine sociale se reproduit dans les oeuvres, mais aussi dans la manière dont elles sont produites et de ce qu'on en retient dans l'histoire. Historiciser l'art devient dès lors une nécessité pour déconstruire les

107 FRAISSE Geneviève, Les excès du genre: concept, image, nudité, op.cit., p.21.

108 POLLOCK Griselda, « Des canons et des guerres culturelles », Cahiers du Genre, 2007, vol. 43, no 2, pp. 45-69.

109 POLLOCK Griselda, Vision and Difference: Femininity, Feminism and the Histories of Art (1988), London, Routledg, 2003, p. 23, citée par DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, « Esquisse d'une épistémologie de la théorisation féministe en art », Cahiers du Genre, 2007, vol. 43, n° 2, p. 28.

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clichés qui semblent éternels, et redéfinir la valeur des productions. C'est un pas vers un canon égalitaire, ou une multitude de canons.

1.2.1. L'ABSENCE DES FEMMES DANS L'HISTOIRE DE L'ART

Le problème n'est donc pas tant l'absence réelle et totale des femmes dans le domaine théâtral que leur marginalisation, leur effacement progressif des mémoires (y compris si elles ont connu un certain succès à leur époque) et l'absence de reconnaissance critique dont elles ont été longtemps victimes110.

L'absence des femmes dans l'histoire des arts voire dans l'histoire en général contribue à la ségrégation verticale. Le fait de nous identifier dans un genre, peut nous amener à nous identifier dans des personnes du même genre et surtout, par exemplarité, à ne pas convoiter des postes où notre genre n'est pas représenté. Equilibrer les genres des modèles peut permettre, par mimétisme, de rééquilibrer les légitimités de chacun?e à être directeur?trice, être danseur?se, être instrumentiste... Mais l'histoire n'est pas neutre dans ce travail de transmission des modèles. La plupart des ouvrages d'histoire qui ne sont pas classés dans les étagères étiquetées « féminisme » omet d'expliquer pourquoi les femmes étaient moins présentes dans l'espace public que les hommes. De plus, les historien?nes ont participé à l'oubli des quelques exceptions.

1.2.1.1. L'exclusion des institutions et réseaux

Dans la France de l'Ancien Régime, parallèlement à la présence de plasticiennes à l'Académie royale de peinture et de sculpture, des chanteuses, des femmes instrumentistes et des danseuses se produisent à la cour du roi. Des cantatrices et des danseuses engagées à l'Opéra (l'Académie royale de musique), créé en 1669, atteignent à une grande notoriété ; trois compositrices ont accès à cette scène avant la Révolution. La Comédie Française, fondée en 1680, comprend dès ses débuts des comédiennes qui partagent les recettes de manière égalitaire avec les comédiens et une quinzaine d'auteures y sont interprétées jusqu'en 1789111.

La Révolution Française, tant récitée comme un exploit du peuple contre un pouvoir tyrannique dans nos livres d'histoire, s'est avérée être un des reculs majeurs pour le droit des femmes. S'il est raconté que les réels gagnants de la Révolution sont les bourgeois et non pas le tiers-état, il est moins dit que les réels « gagnants » sont les hommes de la bourgeoisie. La pensée démocratique prétend un droit universel de libre-arbitre. Le droit de choisir, la démocratie donc, passe aussi par le droit de créer. Mais les femmes font-elles partie de

110 PLANA Muriel, Théâtre et féminin: identité, sexualité, politique, Dijon, Eìd. universitaires de Dijon, 2012, note 3, p.16.

111 LAUNAY Florence, « Les musiciennes: de la pionnière adulée à la concurrente redoutée, Bref historique d'une longue professionnalisation », Travail, genre et sociétés, 2008, vol. 19, no 1, p. 41.

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« l'universel » ? Avec les urnes, se ferment les portes des institutions d'art. Séverine Sofio écrit à ce propos :

Après 1789, alors que l'on s'apprête à réformer en profondeur les institutions du monde de l'art, la polémique prend une nouvelle dimension : doit-on offrir les mêmes conditions de formation et de travail à tous les artistes et, par conséquent, reconnaître aussi aux femmes le statut d'artistes à part entière ; ou doit-on opter pour un système concurrentiel, où la liberté seule détermine le droit de créer -- une liberté dont ne disposent pas les femmes, soumises à l'appel de la `vocation domestique', antithèse et complément d'une vocation artistique par essence masculine ? Le débat se clôt finalement par l'exclusion tacite des femmes des instances officielles de formation (l'École des beaux-arts) et de reconnaissance artistiques (l'Institut) selon un processus qui n'est pas sans rappeler leur exclusion, au même moment, de la citoyenneté112.

Décrétées illégitimes à la création, les femmes sont exclues des associations d'artistes qui mutualisent les commandes ou les ateliers113. Elles sont hors des réseaux de professionnels, rendant quasiment impossible leur propre professionnalisation.

Une anecdote démontre bien le paradoxe entre une légitimité prouvée par des femmes et une illégitimité imposée par le paradigme, en l'occurrence, du 19ème siècle. Vers la fin de celui-ci, les classes d'instruments à cordes étaient mixtes et le nombre de lauréates augmentait régulièrement. En 1904, le ministère et le Conservatoire limitèrent à quatre le nombre de femmes dans ces cours. « Il semblait scandaleux que des étudiantes qui ne pouvaient envisager de carrière à l'orchestre prennent la place d'étudiants pour lesquels les études devaient déboucher sur une activité de musicien d'orchestre » précise Launay114. Cette mesure est protectionniste, montrant à quel point les femmes peuvent être considérées comme concurrentes, comme Autres115.

C'est avec le 20ème siècle que l'on observe les premiers contre-pouvoirs de femmes artistes. Les recherches sur les apports du féminisme aux arts sont encore rares. Comme Muriel Plana l'observe pour le mouvement queer116, la plupart des écrits scientifiques sur le sujet touchent les arts picturaux, le cinéma et la littérature, laissant les arts de la scène dans une étrange obscurité. L'article « Esquisse d'une épistémologie de la théorisation féministe en art » permet un retour rapide sur les histoires mêlées du féminisme et de l'art pictural. En France, pour les arts picturaux l'Union de femmes peintres et sculpteurs (UFPS) est née tôt, en 1881.

112 SOFIO Séverine, « La vocation comme subversion: Artistes femmes et anti-académisme dans la France révolutionnaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 2007, vol. 168, no 3, p. 34.

113 TRASFORINI Maria Antonietta, « Du génie au talent: quel genre pour l'artiste? », Cahiers du Genre, 2007, vol. 43, n° 2, p. 121.

114 LAUNAY Florence, art.cit., p. 52-53.

115 L'Autre est le terme utilisé par Simone de Beauvoir pour exprimer la conception patriarcale de la femme. BEAUVOIR Simone de, op.cit.

116 PLANA Muriel, « Théâtralités queer » (séminaire), Master Arts du spectacle et communication, UT2J, 2015

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Les féministes qui en faisaient partie étaient plutôt essentialistes*, défendant un art particulier aux femmes, qui méritait d'être regardé comme art de femmes et apprécié avec un autre regard que l'art des hommes. En 1910, l'Union des femmes artistes musiciennes fût le premier syndicat de femmes en profession libérale. Un an après, elles étaient 1 200 syndiquées117, preuve d'un réel besoin d'être représentées dans le débat public. Dans les années 1970, d'autres petits groupes ont émergé avec des positions féministes diverses, parmi lesquels : La Spirale, Femmes en lutte, avec aussi la revue Sorcières. La plupart de ces initiatives se sont s'essoufflées dans les années 1980 mais auront permis des unions et des réseaux hors des écoles et institutions. Aux Etats-Unis dans les années 1970, les Women's Artists in Revolution (WAR) se faisaient remarquer en manifestant devant les musées pour dénoncer, par exemple, le fait que les femmes constituaient 60 à 75 % des étudiant?es dans les écoles d'art, mais que seuls 3 % des artistes exposé?es dans les musées étaient des femmes118. Les Guerilla Girls continuent aujourd'hui ce travail, masque de gorille sur le visage119. Plus proches d'un féminisme de la troisième vague, elles dénoncent aussi les discriminations raciales.

Il n'y a peut-être120 pas eu de manifestation envers les institutions du spectacle vivant comme dans les arts plastiques avec les spectaculaires Guerrilla girls, cependant, cependant, des oeuvres artistiques issues de réflexions féministes sont remarquables dans les arts de la scène : des pièces d'Hélène Cixous mises en scène par Ariane Mnouchkine, celles de Annie Ernaux, le Theater-in-your-face, théâtre trash, avec des dramaturges et metteuses en scène comme Jelinek, Kane, ou Angélica Lidell. Mais des pièces comme L'Ecole des femmes se jouent encore, avec leur pesant de misogynie*. Avec la fin des années 1960 apparaissent des collectifs d'artistes -notamment contre la guerre du Vietnam-, mais aussi le mélange de genres élitistes et populaires, l'hybridation des arts et la revendication que tout est montrable sur

117 LAUNAY Florence, art.cit., p.48.

118 ROBINSON Hilary (2001), Feminism - Art - Theory: An Anthology 1968-2000. Oxford, UK & Malden, USA, Blackwell, p. 56-57, d'après DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 24.

119 TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., note p.125.

120 Le « peut-être » n'est pas faute d'avoir cherché, mais faute d'avoir trouvé des traces qui peuvent être perdues, non-étudiées ou difficiles d'accès.

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scène121 La performance122, pratique pouvant s'improviser dans tous les arts, résulte de cette période. Pour Marie-Héléne Bourcier, ce peut être un outil d'activisme féministe, réinvestissant le corps et l'espace public.123 Il ne s'agit plus d'apprécier l'excellence du résultat du travail artistique, mais d'observer le processus de création, d'observer le mouvement, d'observer l'histoire en mouvement.

1.2.1.2. Une participation aux arts mineurs

Au 18ème siècle, si elles pouvaient exercer leur métier, les femmes étaient contraintes dans des arts mineurs. Pour exemple, aux Beaux-Arts, elles n'avaient pas accès au cours de nu124, ce qui les rendaient incompétentes à l'art pictural majeur, la peinture historique, où il faut savoir peindre le corps dans son entier, savoir lui donner du mouvement... Le portrait ou la nature morte leur étaient autorisé?es, mais ces tableaux, s'ils ne sont pas oubliés, sont considérés comme mineurs.

L'exclusion des institutions, puis le cantonnement dans des arts mineurs, pour Trasforini, a participé à une dichotomie entre dilettante et professionnel. Pour elle, dans ce modèle, l'amatrice légitime la position du professionnel et affirme le bon sens de ce rapport de sexe inégal125. Autrement dit, l'inégalité contrainte crée une inégalité légitimée par la pratique.

1.2.1.3. Réappropriation masculine

En regardant les biographies de quelques femmes artistes qui ont résisté à l'écriture androcentrée de l'histoire, « fille de », « femme de » et plus rarement « soeur de » semblent être des adjectifs qualificatifs systématiques. Le témoignage de Juliette Kapla va en ce sens :

121 COTTINGHAM Laura (2000), Combien de `sales' féministes faut-il pour changer une ampoule ? Antiféminisme et art contemporain, Lyon, Tahin Party, p. 39. De plus, le regard de Muriel Plana sur cette évolution est intéressant : « Que n'a-t-on pas alors montré sur les plateaux? Les limites de la bienséance, du bon goût, du bon sens, du sens, ont été tranquillement -car cela, bien que choquant, n'avait plus rien de transgressif- balayées. [...] Donc, fin de l'obscène (qui supposait qu'il reste encore de l' « immontrable ») et avènement du trash, qui se construit sur l'illusion que plus rien n'est interdit au regard tout puissant, infantile et régressif du spectateur supposé de nos sociétés de violence, de consommation et de liberté sexuelle». La révolution artistique semble se buter à la société marchande, faisant écho au pouvoir capitaliste conservé par une gente masculine.

122 Toujours en définition, la performance est héritière des happenings, formes improvisées en temps réel souvent dans des lieux publics. La performance est aujourd'hui aussi attachée à une esthétique qui n'a été possible qu'après 1968 ; post-dramatique, trash, fragmentée...mais pas toujours. Encore très récente, la performance se redéfinie en permanence selon les artistes et les chercheur?ses. Peut-être que ce sera la forme en permanente révolution, queer par définition.

123 BOURCIER Marie-Hélène, «Why my body is still a battle ground: et que c'est vrai des performances féministes des années 1870 au porno activisme du XXème siècle », op..cit.

124 TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., p. 121.

125 Ibid., p.125

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Mais je serais quand même curieuse de savoir... si vraiment on allait voir à l'intérieur de la tête des gens, sans qu'ils se... sans qu'ils essayent d'être aimables ou politiquement corrects, combien de personnes qui gravitent autour de cette compagnie pensent que je suis là parce que je suis la femme de Fabrice, ou combien pensent que je suis là, parce que je suis une bonne artiste qui mérite d'être là et qui apporte quelque chose126.

Zelda et Scott Fitzgerald, Georges Sand et Alfred de Musset, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir sont tous des couples d'écrivain?es dont les vies sont courtement retracées dans Journal de la Création de Nancy Huston. Celui qui interdisait d'écrire à sa femme, ceux qui se détruisaient et d'autres qui s'inspiraient. Mais outre les couples d'artistes, où la concurrence peut devenir la raison de l'exercice d'un pouvoir, le mariage était déjà un risque pour la carrière des femmes artistes : du 15ème au 17ème siècles, sur dix femmes peintres formées par leur père, neuf arrêtaient la peinture une fois mariées. Les frères Van Eyck, connus dans toute l'Europe, avaient d'ailleurs une soeur qui peignait avec eux mais aucun des tableaux ne lui a été attribué127.

Comme leurs frères, les filles d'artistes furent formées par leurs pères, tels que Tintoretto, Artemisia Gentileschi ou Lavinia Fontana. Certains de leurs tableaux ont d'ailleurs été attribués à leurs pères. Elles n'ont que peu survécu à l'histoire. A Uzeste, la transmission filiale est revendiquée128. Patrick Auzier a transmis l'amour des pétards et feux d'artifices à sa fille Margot. Bernard Lubat a formé Louis à la folie sur batterie et Laure Duthilleul lui a transmis un regard cinématographique. Jaime Chao et Thomas Boudé, autres enfants d'Uzeste Musical, n'ont pas forcément eu de formation directe de leurs parents, mais disent se sentir héritiers de la philosophie du lieu, qu'ils retranscrivent dans leurs pratiques artistiques. Diane Camus, n'est pas héritière d'une pratique puisqu'elle ne fait pas d'art, mais elle se sent aussi héritière d'Uzeste Musical, de Bernard Lubat (son beau-père), par la philosophie et le paradigme lié à l'engagement politique, artistique et rural du lieu. Etre «fils de » ou « fille de » peut être un vrai facteur d'insertion à Uzeste, notamment du fait que ce soit un village. Si les filles d'Uzeste sont héritières de la philosophie du lieu au même titre que les garçons, ce sont surtout eux qui représentent cette pensée sur scène.

Mais la réappropriation masculine n'est pas qu'une question de famille, si l'historien n'est pas en mesure d'accepter l'égalité en compétences des sexes, l'histoire transmise devient truquée. Pour exemple, Alice Guy était une cinéaste contemporaine de Méliès. La même année que le premier film de Méliès, en 1896, elle produit aussi son premier film La Fée aux choux.

126 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.156.

127 ELHOUTI-CABANNE Stéphanie, «L'art au féminin : statut et création des femmes peintres de la Renaissance aux Lumières » (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

128 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1.

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C'est la première production Gaumont, avec succès auprès du public. Les difficultés techniques sont identiques à l'Escamotage d'une dame au théâtre Robert-Houdin de Méliès, et la diffusion plus grande grâce au réseau Gaumont. Elle fondera sa propre compagnie aux Etats-Unis qui connaîtra un certain succès. Pourtant, les livres et cours d'histoire du cinéma ne reconnaissent que Méliès, comme père du cinéma de fiction. Si elle est citée, son travail est dénigré (La Fée aux choux ne pouvant n'être fait que par une femme parce que cela parle de naissance, son inspiration n'est pas artistique, mais vient de son horloge biologique, etc...), ou même attribué à ses assistants et un de ses comédiens129.

Enfin, le neutre étant encore attribué au masculin, si l'artiste est inconnu?e, la tendance est de penser que c'est un créateur, et non pas une créatrice.

1.2.1.4. L'oubli

La nouvelle tendance à présenter des produits d'artisanat d'art ancien dans les musées permet une représentation des productions des femmes de jadis, mais elle renforce aussi le clivage symbolique entre artiste et femme, via l'opposition art/artisanat.

Pour les oeuvres d'art : celles dites « mineures » s'effacent des souvenirs face aux oeuvres qui correspondent aux canons culturels. L'histoire de l'art, discipline ayant longtemps été exercée pour perpétuer la mémoire de ces canons, a plongé dans l'oubli le reste130. Pour résister à l'oubli lorsque son nom n'est pas inscrit dans l'histoire de l'art, il faut « un réseau social susceptible d'en créer le récit, et donc d'en conserver la mémoire 131 ». Les historiennes féministes travaillent à la réhabilitation de noms de femmes dans l'histoire de l'art, mais quelle légitimité leur est portée ? Ne restent-elles pas considérées comme mineures, faisant partie d'une histoire des femmes, loin de la grande Histoire ?

Des féministes comme Griselda Pollock et Moira Roth, remettent en question l'épistémologie de l'histoire de l'art. Elles incluent dans cette dernière « le dispositif historico-esthétique qui marginalise certaines productions et en privilégie d'autres 132 ». Autrement dit, elles quittent une vision immanentiste de l'art pour une vision pragmatique qui comprend le contexte de création et de réception. Cette approche déconstruit les échelles de valeurs

129 D'après les recherches de Laure Vernet. VERNET Anne-Laure, «Féminisme et processus de forclusion des femmes de génie, un combat inégal ; l'exemple de la cinéaste Alice Guy» (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

130 TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., p.127.

131 Idem, p.129.

132 NOCHLIN Linda, « Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? » = «Why Have There Been No Great Women Artists?», Art News, vol.69, n°9, janvier 1971, citée par DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 27.

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classiques, mettant à égal niveau les arts élitistes et populaires133. Cette nouvelle approche de l'art devrait permettre une meilleure conservation des oeuvres, des siècles passés et de nos jours.

Ces seuils de professionnalisation se sont particulièrement fermés pour les femmes après la Révolution. Celles qui pratiquaient ne pouvaient pas pour autant prétendre au statut d'artiste, affirmant la dichotomie artiste/amatrice puis, surtout au 19ème, muse/génie.

1.2.2. MYTHOLOGIE CONTEMPORAINE ; L'ARTISTE

Comme nous avons pu le voir dans la partie précédente, l'histoire s'est construite par et pour une absence des femmes dans celle-ci. L'omission, volontaire ou non, du peu de femmes qui ont marqué l'histoire et des moyens qui ont pu être utilisés pour exclure les quelques potentielles candidates à l'ascension intellectuelle et sociale, possède un autre effet : faire penser que le génie est hors de portée des femmes. Mais de quoi parle-t-on lorsque l'on parle de génie ? Le génie romantique, porté par un don divin incarné par sa muse, s'est démodé. Mais aujourd'hui que la foi en la muse a disparu, le mythe du génie persiste.

1.2.2.1. Le Génie et la Muse, le Créateur et la créature

L'artiste peut être adoré. Ce terme renvoie à une attitude religieuse. D'autres notions divines sont accordées à l'artiste comme le génie et le don de création.

Suite à la révolution, au cours du 19ème siècle, les écarts symboliques entre les pouvoirs d'hommes et de femmes s'incrustèrent de plus en plus profondément dans les représentations artistiques. Durant la période romantique, les artistes cherchèrent à redéfinir un moi individuel et sentimental, en rupture avec le classicisme, le rationalisme et le collectif au service du Roi. La définition du citoyen (les citoyennes n'étant pas reconnues) s'accompagnait d'une définition de l'individu et en particulier de l'homme. L'homme social quitta alors les symboles du pouvoir aristocratiques tels que la perruque ou les talons, et laissa la danse aux femmes. C'est dans ce cadre que l'artiste reconnu se caractérisait comme un créateur incréé134, disposant d'un don original et singulier, et qui répondait à un appel intérieur : la vocation135. En opposition, les symboles de la créature, de la muse et la vocation domestique se précisaient. Paul Bénichou,

133 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 32.

134 BOURDIEU Pierre, « Mais qui a créé les créateurs ? », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, pp. 207221.

135 COQUILLAT Michèle, La poétique du mâle, Paris, Gallimard, 1982 et BATTERSBY Christine, Gender and Genius: Towards a Feminist Aesthetics, London, The Women's Press, 1989. Citées par DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 18.

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dans son ouvrage Le Sacre de l'écrivain, démontre la foi en la philosophie qui a émergé avec les Lumières et s'est incrustée dans la déification de l'artiste136. L'inégalité entre les sexes était alors suprême, avec l'archaïque opposition entre don de création et don de procréation. Pour Fabienne Dumont et Séverine Sofio137, cette nouvelle image du créateur associait des qualités traditionnellement viriles (vigueur, courage) et féminines (sensibilité, lien avec la Nature). L'inégalité entre les genres, elle, se formait au sein même du mythe de l'artiste, où les qualités féminines complétaient un masculin préexistant.

Dans son roman, Nancy Huston écrit : « Toutes les Muses sont féminines. Qui est-ce qui sert de muses aux femmes ? Qui guide leur main, leur insufflant confiance et sérénité138 ? ». Le point de vue de l'auteure est hétérocentré, mais il est révélateur d'un système de pensée: à l'artiste masculin s'offre la jouissance sexuelle et artistique presque sans distinction. Madame de Staël et Georges Sand, par leurs personnages féminins Corinne et Consuelo, exprimèrent une impossibilité de vivre conjointement vie sentimentale et vie artistique. Geneviève Fraisse ancre ces récits dans la pensée moderniste : « [l]es sirènes, filles de muses, doivent, dans des récits du 21ème siècle perdre leur chant pour trouver l'âme/l'amour139 ».

Si le symbole de la muse s'est estompé, celui du génie est toujours aussi actuel140. Les conditions professionnelles du secteur culturel augmentent « l'expression d'une vocation141 », flirtant avec les idées de destin et de don.

1.2.2.2. Le Génie détaché de la muse

Nietzsche, dans Humain, trop humain 142, expliquait que le génie n'existe pas, qu'il résulte de notre amour propre. Pour résumer, il reconnaissait dans l'appellation de « génie », des personnes « dont la pensée est active dans une direction unique », qui « ne cessent d'observer », et d'apprendre. Nietzsche s'opposait à l'opinion publique qui voulait que le talent

136 BENICHOU Paul, Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830: essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1996.

137 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 18.

138 HUSTON Nancy, Journal de la création, Arles, Actes sud, 2001, p.35.

139 FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ? », in GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), op.cit., p.21. Elle fait ici référence aux textes L'Ondine de La Motte-Fouqué et La Petite-sirène d'Anderson.

140 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit. 2, p. 18. En soutenant son propos par l'ouvrage : HEINICH Nathalie (2005), L'élite artiste : excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard : «Ce paradigme de l'artiste génial et singulier, qui est au fondement de la modernité, s'avère plus efficient que jamais et imprègne encore profondément notre vision de la création».

141 SAPIRO Gisèle, « La vocation artistique entre don et don de soi », Actes de la recherche en sciences sociales, 2007, vol. 168, no 3, p. 4.

142 NIETZSCHE Friedrich, Humain, trop humain: un livre pour esprits libres (1878), (trad.) Robert ROVINI, Paris, Gallimard, 1991, vol.I, § 162, p.142.

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d'un génie soit un « miracle », un « hasard » ou « une grâce d'en haut ». Il ne reconnaissait donc pas la valeur transcendante qui était donnée aux travaux des génies : « Toute activité de l'homme est compliquée à miracle, non pas seulement celle du génie : mais aucune n'est un miracle ». Pour lui, le génie n'est pas un état de fait, mais une construction par l'opinion publique. Il questionne aussi l'attribution du génie aux artistes et philosophe, mais pas aux scientifiques. Il considère que l'on ne voit pas se construire l'oeuvre artistique, on l'obtient finie et qu'elle paraît, dans cet état, parfaite. Le déroulé de l'expérimentation -faisant partie de la démarche scientifique- désacraliserait le résultat. Pourtant aujourd'hui, Albert Einstein, Isaac Newton, Stephen Hawking sont considérés comme des génies alors que leurs travaux sont uniquement scientifiques.

Geneviève Fraisse, par son article « Muse, ou génie ?143 », fait dialoguer ces deux figures. Jusqu'à la fin du 19ème siècle, les auteurs croyaient sincèrement en leur muse. Puis le modèle s'est effrité : de plus en plus de femmes refusèrent de quitter leur création pour que seul leur compagnon puisse créer, les auteurs accumulèrent les muses -ôtant ainsi leur caractère sacré. Si hier on reconnaissait au génie un état de grâce dû à une volonté divine, on évoquerait davantage de nos jours des capacités intellectuelles et créatives exceptionnelles, dites surdéveloppées. Ainsi, le champ des disciplines pouvant accueillir des génies au sens nietzschéen s'est élargi.

Geneviève Fraisse remarque une évolution au 20ème siècle par l'accumulation des rôles :

Cela me paraît indiquer, pour le 20ème siècle, un schéma neuf : être à la fois le modèle et le créateur. Voyez Suzanne Valadon, Tina Modotti, Anaïs Nin; depuis un siècle et demi, un certain nombre de femmes vont, en acte, jouer de la double possibilité d'être l'inspiratrice et l'artiste, la muse et le génie, l'objet et le sujet de la création, le support et l'acteur de la création144.

Muriel Plana remarque aussi une tendance de femmes qui écrivent, mettent en scène et interprètent leurs textes, elles-mêmes s'inspirant de sujets féminins145, mais elles ne sont pas muses. Des artistes comme Arianne Mnouchkine ou Catherine Anne sont des artistes reconnues en tant que telles, et si elles peuvent inspirer, elles ne sont pas muses pour autant. Le double mouvement de destruction de l'image de la muse et de revendication sociale à être artiste en tant que femme permet de dépasser le symbole de la muse. Mais ces créatrices contemporaines

143 FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ? », art.cit.

144 Idid, p.21

145 PLANA Muriel, op.cit., p.322-338. Elle prend en exemple Julie Pichavant, Claire Balerdi, Cie Mesdames A et d'autres encore.

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pourront-elles être reconnues comme géniales symboliquement ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Des femmes comme Hannah Arendt, Marie Curie, Madame de Staël prouvent qui n'est pas question de gène du génie accroché au chromosome Y. Nous avons déjà parlé de l'exclusion ou discrimination historique des femmes des domaines artistiques, mais il y a toujours quelques réticentes qui ont voulu suivre leur génie, soit leur détermination à aller au bout de leurs réflexions. C'est le discours construit autour des travaux, repris par un ensemble de réseaux qui érige l'oeuvre au rang de « géniale ». Le génie n'étant pas issu d'une justice divine, mais d'une construction sociale, il est réparti de manière aussi inégale que les autres symboles de pouvoir. Howard Becker146, sociologue de l'art, exprime la dimension de l'artiste comme inhérente à l'oeuvre. En prenant l'exemple des ready-made de Marcel Duchamp, d'objets déjà existants détournés en oeuvre d'art, Becker montre que la reconnaissance du produit comme oeuvre d'art dépend de la reconnaissance du producteur comme artiste et du contexte de réception comme espace de représentation d'oeuvre. Si, comme nous avons pu l'aborder dans l'histoire et la période contemporaine, les femmes ont un accès limité au statut d'artiste, et par là même, aux lieux de représentation prestigieux, leurs oeuvres ne peuvent être reconnues comme telles. Le genre de l'artiste est ainsi directement lié à la réception de son oeuvre. La dure concurrence qui règne dans le secteur culturel est mise sous couvert d'une « juste méritocratie » ; mais celle-ci ne juge pas les oeuvres indépendamment de leurs moyens de production, reproduisant alors les canons culturels déjà valorisés.

Regardons quelles sont les figures de génies qui peuvent nous être présentées aujourd'hui. Généralement, le génie en art de la scène est surtout attribué par les critiques et salles de spectacle au metteur?se-en-scène, à le·la chorégraphe ou metteur?se-en-piste. Dans les séries, notamment américaines, les exemples foisonnent : Dr. House (2014), Elementary (2012) ou Scorpion (2014), pour n'en citer que trois. Etonnamment, les génies de ces séries n'appartiennent pas au domaine de l'art (le suspens serait certainement moindre). Par contre, on retrouve l'impossibilité de joindre jouissance amoureuse (voire sociale) et jouissance intellectuelle. De plus, les génies, respectivement Gregory House, Sherlock Holmes et Walter O'Brien, sont des hommes. La crédibilité du génie, ce sur quoi réside en partie la réussite de la série, semble encore un bastion masculin. Cependant, il faut reconnaître des progrès. Dr House est soumis à la hiérarchie d'une directrice de l'hôpital ; même si ce n'est pas le cas dans les

146 BECKER Howard Saul (1982), Les mondes de l'art, Flammarion « Champs », Paris, 2006, cité par TRASFORINI Maria Antonietta, art.cit., pp.117-118.

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faits, elle a officiellement l'ascendant sur lui. Dans Elementary, Watson est une femme qui ne peut atteindre le génie de Sherlock Holmes mais se montre tout à fait brillante. Ce dernier est amoureux d'une femme autant voire plus géniale que lui... mais c'est un personnage secondaire. Enfin, l'équipe de génies de Walter O'Brien possède une génie sur quatre membres. L'économie du cinéma américain ne permet que peu de représentations subversives ; si ces représentations ont été permises, c'est qu'elles sont considérées comme crédibles voire valorisantes pour la production. Il y a donc de fortes raisons de penser que les représentations de femmes comme maillon intelligent et pertinent d'une équipe augmentent. L'égalité n'est pas acquise mais le processus vers l'équité est en route. Il faut néanmoins rester vigilant·e à ce que le personnage principal ne reste pas un rôle uniquement masculin, que le génie féminin ne reste pas considéré comme inférieur au génie masculin147, affirmant la supériorité symbolique de celui-ci. Plus généralement, le fait de nommer un homme par son nom et une femme par son prénom, se calque sur le modèle de la muse et du génie. Le prénom qui garde un certain anonymat portera la dédicace du poème, de la chanson. Le nom signera l'oeuvre et pourra rester dans l'histoire. Pour cette raison, noms et prénoms sont donnés dans la bibliographie et je veillerais aux nominations des personnes du terrain.

Le génie s'est affirmé au 19ème siècle comme étant un attribut masculin. En opposant création et procréation, l'idéologie de l'époque à rendu quasiment inconcevable l'idée qu'il est possible de jouir d'une vie de famille et d'une vie d'artiste. Les femmes, alors liées à une vocation domestique, sont symboliquement rejetées du modèle de l'artiste. Nous pouvons encore retrouver ces dichotomies qui sillonnent la ségrégation verticale, dans la tendance femmes artistes à se tourner vers l'enseignement ou à abandonner leur profession pour une vie de famille. Mais les chiffres nationaux et locaux ne s'expliquent pas seulement en verticalité. Des disparités de genre existent entre les arts de la scène, entre le tutu et le tuba.

1.3. SEGREGATION HORIZONTALE

La ségrégation horizontale* donne une autre dimension à la compréhension de la sexuation des pratiques. Si la ségrégation verticale rime avec la domination sociale, il est plus complexe de voir comment les répartitions verticales des activités contribuent aux stéréotypes de genres, et par là même, aux rapports sociaux de sexe.

147 Référence à la remarque de Geneviève Fraisse sur les propos de Cesare Lombroso (1835-1909) qui reconnaît le génie féminin, mais dans une discipline mineure. Fraisse observe alors un glissement de l'exclusion à la discrimination. FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ? », art.cit., p.21.

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L'étude du développement culturel d'Olivier Donnat de 2003 démontre une tendance à la féminisation des pratiques culturelles dans leur ensemble (lecture, musée, arts du spectacle...)148. On peut observer, de la part des jeunes, une plus grande fréquentation des équipements culturels (théâtre, danse, concert, musée, bibliothèque) mais aussi une plus grande pratique en amateur. L'auteur explique la diminution des pratiques culturelles pour les plus de 25 ans par l'entrée en activité professionnelle et la construction d'une famille. Mais ce sont surtout les filles qui gonflent les chiffres notamment ceux de fréquentation des équipements. A l'inverse, ce sont les hommes, et en particulier les jeunes hommes qui grossissent les rangs des sportifs comptés dans la même enquête de l'Insee149. Cette tendance macroscopique reflète les considérations de genre sur ces pratiques : l'art « féminin » (même s'il est majoritairement représenté professionnellement par des hommes) et le sport « masculin » (renforçant l'argument biologique de la testostérone et donc du « sexe fort »).

1.3.1. TECHNIQUE & ORGANISATION

Les deux secteurs qui, dès le premier abord du milieu culturel, sont très visiblement genrés sont la technique et l'organisation (dans laquelle sont inclus : la production, la gestion, la médiation culturelle, l'administration et la communication). Les femmes représentent « 70% des gestionnaires qui ont créé et dirigent un bureau de production indépendant», elles gèrent « 71% de l'administration des compagnies, 57% de l'administration des lieux de résidence, 53% de l'administration des festivals150 », mais il n'y a que 12% de techniciennes en son et 16% à la lumière151. A Uzeste, sur les Hestejadas 2013 et 2014, sans compter les bénévoles, 94% des technicien?nes sont des techniciens et 60% de l'équipe d'organisation sont des femmes (ce chiffre peut être augmenté par la participation sur les deux événements de Diane Camus en production, mais qui ne souhaite pas être payée).

La technique se fait en extérieur ou sur le terrain, l'organisation se gère depuis les bureaux. La dichotomie intérieur/extérieur se dégage, avec comme écho symbolique les sphères

148 DONNAT Olivier, art.cit., pp.12.

149 MULLER Lara, N°F0501, Participation culturelle et sportive Tableaux issus de l'enquête PCV de mai 2003, Direction des Statistiques Démographiques et Sociales, Insee, 2005.

150 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.38 et 47.

151 Ibid. p.39.

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privée et publique, la première traditionnellement pensée au féminin et la seconde traditionnellement réservée aux hommes152.

Contrairement au travail de bureau, les travaux techniques nécessitent une tenue adéquate : chaussures de sécurité, vêtements sombres, cheveux courts ou attachés. L'aspect physique qui s'en dégage reste attribué au masculin. A l'inverse, les robes et shorts sorti es par les équipes de l'organisation pour l'été peuvent gêner à la manutention par exemple. Ce qui renforce, en creux, les compétences des technicien nes.

Enfin, raison la plus importante sans doute, le travail des technicien nes du spectacle est réputé pour demander de la force et une bonne endurance physique. Je reprendrai une citation de Stéphanie Gallioz qui se base sur le secteur du BTP, mais dont la réflexion est tout à fait transposable à la technique du spectacle vivant :

Le BTP étant considéré comme demandant une forte capacité musculaire, les femmes en sont exclues de par notre considération des corps d'hommes et de femmes. On sait pourtant que historiquement, les femmes ont toujours participé aux travaux durs (champs, mines, métallurgie, et travaux dans pays communistes qui s'entendaient défendre une égalité des sexes). Les stéréotypes sont cependant coriaces, menant hors-jeu les femmes dans l'accessibilité au bâtiment (qu'elles ne s'en sentent pas capables ou qu'on les rejette). Avec l'arrivée de la mécanisation qui diminue la pénibilité, la "faiblesse naturelle des femmes" n'aurait plus dû être un problème, mais un autre stéréotype survient, les considérant incapables de travailler avec cette technologie153.

De même, la mécanisation et motorisation des équipements du spectacle permettent un épuisement moindre des corps. La part de travail électrique/électronique augmente de plus en plus, mais pas autant que la proportion de techniciennes.

Il faut ajouter que ce métier à tendance à être sur-genré par les technicien nes. Dans diverses situations, pas forcément à Uzeste, j'ai pu observer des sortes de compétitions de force ou de puissance (par exemple, forcer avec tel outil alors que l'on peut s'en procurer un autre plus adapté, porter à deux un objet trop lourd au lieu de demander de l'aide, etc.). Malgré une récente prise de conscience de l'importance de la sécurité sur le terrain, le spectacle vivant est encore un des secteurs avec le plus d'accidents du travail, où technicien nes prennent des risques souvent inutiles. Plus communément, la sur-virilisation de ce métier provient de l'ambiance de groupe, où les blagues grivoises et récits d'exploits sont monnaie courante. Pour

152 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, op.cit., p.82.

153 GALLIOZ Stéphanie, « La féminisation des entreprises du bâtiment : jeu paradoxal des stéréotypes de sexe » in GUILLAUME Cécile, Les femmes changent-elles le travail?, PUF., Paris, coll. « Sociologies pratiques », n°14, 2007.

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s'intégrer, et/ou par habitude, certaines femmes vont jouer la carte de la surenchère et s'inscrire dans un tableau sur-virilisé qui fait norme154.

De l'autre côté, l'organisation prend en charge les tâches de gestion de la structure jusqu'aux tâches dites « de production », soit les repas et hébergements des équipes. Mettant en regard la répartition du travail administratif et du travail artistique, Bernard est bien conscient des symboliques qui se jouent derrière ces professions, où l'un joue de la guitare après avoir joué au cowboy, et l'autre joue à l'ordinateur après avoir joué à la dinette :

L'organisation. Ouais, beh comme par hasard au bureau, sur trois y a deux femmes. Et puis... Ça aussi c'est une question de maman aussi... l'ordre, le désordre, la maman qui met de l'ordre et le gosse qui fout la merde155.

Le bénévolat dans ce domaine va s'organiser autour de l'aide à la cuisine, à la billetterie, à l'accueil des artistes et au transport de ceux-ci. Le bénévolat est un bon moyen, souvent pour les jeunes, de profiter du festival à moindre frais, tout en sociabilisant plus facilement. Sur ces deux éditions, il y a 76% de femmes bénévoles. Cette facilité à travailler sans revenu est peut-être à relier avec la répartition très inégale des tâches ménagères, non-rémunérées. Il faut cependant noter que la parité semble assez respectée dans les diverses missions, sauf peut-être au bar avec une majorité de jeunes hommes.

Ainsi, plus ou moins consciemment, la répartition des tâches reproduit le schéma traditionnel entre extérieur et intérieur, force et organisation. A l'intérieur des pratiques artistiques se répartissent aussi les sexes. Dans les pratiques amateurs, l'écriture, le théâtre, la danse, le chant sont majoritairement pratiqué?es par des filles. A l'inverse, les instruments de musique, la vidéo et la photographie sont majoritairement pratiqué?es par les garçons. La peinture et le dessin semblent être pratiqué?es à égalité par les deux sexes. Les arts qui ont une dimension technique plus développée attirent plus les hommes - tels que les instruments de musique.

1.3.2. LES ARTS DE LA SCENE MARQUES PAR LE GENRE

A Uzeste, l'envie de croiser les arts permet de puiser dans des viviers plus féminins que celui du jazz. Cette ligne artistique est rarissime dans le milieu des festivals de jazz. D'ailleurs,

154 Lors d'une discussion avec Cinthia Corot, régisseuse générale à la Grainerie-Fabrique des arts du cirque de Toulouse, celle-ci m'avait expliqué sa détermination à ne faire que des équipes paritaires avec des personnes, autant que possible, non-sexistes. Elle y remarquait des meilleures conditions et qualités de travail, moins compétitives.

155 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2., p.145.

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malgré la dominance du nombre de musicien?nes de jazz, les étranges productions qui résultent de rencontres transartistiques démarquent l'Hestejada de las arts d'un festival de musique conventionnel. Sur l'ensemble des représentations, les musicien?nes représentent 54% des présences. Il y a donc une certaine parité entre musique et autres arts. Etant donnée la sous-représentation des musiciennes à Uzeste, 5%, il est logique que la dominance de la musique influe sur les chiffres généraux calculés pour Uzeste.

1.3.2.1. Danse

Les filles représentent en effet, parmi les élèves des cours de danse dans les établissements publics d'enseignement spécialisés, 93% (2003-4) et 97% (2002-3) [...] Les danseuses représentent 68% de la population des intermittents de la danse, mais seulement 56% des permanents. [...] Les femmes accèdent aussi largement que les hommes aux positions de conception et d'encadrement artistique [...] Elles ne représentent plus que 43% des chorégraphes dont les oeuvres sont programmées dans les institutions subventionnées de manière structurelle par le Ministère de la culture156.

Les danses de société en France, des bourrées moyenâgeuses à la salsa en plein essor actuellement, ont toujours eu un but social. Elles permettaient et permettent encore la rencontre entre inconnu?es. La convention des couples hétérosexués est souvent suivie, pouvant amener une dimension de séduction dans la rencontre corporelle. Plus nous avançons dans l'histoire des danses de société, plus elles sont sexualisées. La séduction est renvoyée de manière diabolisée au féminin par la religion catholique et sa genèse, et pourtant, l'hyper sexualisation (du tango par exemple) s'accompagne de « styles » de plus en plus genrés autant au masculin qu'au féminin. Les cours de lady styling ou men styling fleurissent et s'adapte à notre culture actuelle et les représentations du genre et du couple, développant tout un jeu de hanches, de mains, d'épaules et de tête, supposés faire danser de manière féminine ou masculine et simuler le jeu approfondi et caricaturé de la séduction. Il y a une construction des genres dans ces danses, basée sur l'imaginaire corporel qui est donné au masculin et au féminin. Néanmoins, cela reste de la construction, car si la gestuelle était naturellement féminine ou masculine, il n'y aurait pas d'apprentissage de ces styles.

La danse de scène, en opposition aux danses de société, viennent en France du Ballet de Cour né à la fin du 16ème siècle, notamment avec le connu Le Ballet comique de la Reine de 1581. Le Ballet de Cour avait pour but de faire se rencontrer les courtisans et courtisanes entre eux sous les yeux de la Cour, mais aussi de se distinguer des danses du peuple. Les pas de bases

156 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.40.

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étaient inspirés des danses de villages, mais le rythme, les attitudes, les postures différaient. Les talons se démarquaient des sabots et les pas lents avec un dépliement de la jambe maitrisé s'opposaient aux sautillements. Nous avons déjà l'embryon de la danse classique telle que nous la connaissons, qui cherche l'aérien, la maîtrise et le spectacle. Décors de jardins et palais, chorégraphies de Beaujoyeux, quelques éléments de costumes, la danse passa de la pratique de fête à la représentation. Le roi se devait d'être un bon danseur, brillant lors de solos au centre de la Cour. La grâce qui s'en dégageait était revendiquée comme puissante et masculine. Lorsque Louis XIV arrêta de danser en 1661, il fit ouvrir l'Académie royale de Danse. C'est dans ces murs, avec les premières équipes paritaires de danseur?ses professionnel?les que les maîtres à danser Lully et Beauchamps ont codifié et posé les bases de la danse classique.

La danse ne fut considérée comme un art féminin qu'après la Révolution. La représentation de la danseuse éthérique, montée sur pointes, avec les voilages et les portés s'est surtout développée au 19ème siècle, avec le ballet romantique puis le ballet académique. Gisèle, Le Lac des Cygnes ou encore La Belle au bois dormant, sont caractéristiques de ces ballets où la danseuse devient le centre de l'attention. Pour Helène Marquié, ce fut dans les années 1830 que s'est cristallisée l'image de la danse comme féminine, car la masculinité n'était plus compatible avec la danse157. C'est cette image de la danse classique qui persiste encore aujourd'hui, autant dans l'imaginaire que dans la production, qui attire les petites filles pouvant y retrouver les modèles de féminités sociales.

Après les Ballets Russes du début du 20ème siècle, la danse a perdu son rayonnement. Il faut attendre les années 1970, avec des chorégraphes comme Martha Graham, Maurice Béjart, Merce Cunningham ou Pina Baush, pour que la danse retrouve ses lettres de noblesse. Dans les années 1980, la décentralisation de la politique de Jack Lang avec notamment la construction des Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) et l'enseignement de la danse contemporaine dans les établissements scolaires ont permis la recrudescence rapide de l'offre et de la demande des spectacles de danse. L'apparition de danses perçues comme masculines, comme le hip-hop, vont faire entrer plus facilement des garçons dans les écoles. Mais le constat des directeur?trices d'écoles reste le même : la majorité des élèves sont des filles, qui vont majoritairement en classique ou en contemporain et le peu de garçons sont souvent dans les cours de hip-hop.

157 MARQUIE Hélène, «Quelle visibilité pour les femmes dans la danse et son histoire ? », (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

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Actuellement, la scène nationale subventionnée, en danse, soutient surtout la danse contemporaine et classique. Le nombre de filles dans les cours de danse est estimé au-delà des 90%158, et pourtant « le pourcentage de directrices à la tête des centres CCN aura été de 43% en 2006, 38% en 2007, 32% en 2008159» et 14% à l'heure actuelle. Nous avons déjà évoqué les raisons de cette ségrégation verticale qui est particulièrement visible dans cet art. Si Reine Prat observe une parité dans les compagnies qui perçoivent les subventions et celles qui sont reçues en résidence dans les CCN, elle comme d'autres, repère que la représentation des danseurs se fait de plus en plus forte. Un journaliste écrit :

Ils s'appellent Boris Charmatz, Olivier Dubois, Christian Rizzo, Emanuel Gat, Yuval Pick, Akram Khan ou Pierre Rigal160. Ils sont les nouvelles stars de la danse contemporaine. Chorégraphes et directeurs de compagnie, ces quadras aux tempes grisonnantes (ou à la franche calvitie) remplissent les gradins des festivals et suscitent à chacune de leurs créations l'admiration des critiques. [...] Et les femmes, alors? Qui donc pour prendre le relais d'Odile Duboc et de Pina Bausch, disparues il y a peu? Surgies dans les années 1970, elles révolutionnèrent la scène européenne et la firent rayonner dans le monde pendant plusieurs décennies. Qui pour jouer dans la cour des grandes Mathilde Monnier, Maguy Marin, Karine Saporta ou Régine Chopinot161 ?

Le modèle correspond assez bien à la situation d'Uzeste, où les représentations de danseuses représentent 85% des représentations de danse à moindre visibilité pour 33% des représentations à visibilité importantes, puisque sur les trois représentations sur la grosse scène deux sont interprétées par Hamid Ben Mahi, danseur-chorégraphe au succès grandissant.

Reine Prat fait la lecture de cette augmentation du nombre d'hommes dans le milieu de la danse par deux éléments : l'augmentation de l'intérêt des hommes au métier de danseur due au fait que ce n'est plus un art mineur, et les effets de plafond de verre aux différents seuils de professionnalisation et de direction pour les femmes162. Cette argumentation est cohérente avec le contexte politique et artistique national ; conservant les futurs Béjart, sans voir les futures Bausch. Dans cet art, la ségrégation verticale est d'autant plus visible que l'extrême minorité devient majorité dominante au fur et à mesure des échelons. L'égalité doit s'y réfléchir au niveau professionnel en déconstruisant les processus du plafond de verre, mais aussi en valorisant cette pratique comme mixte au niveau amateur.

158 Nombre de filles dans les cours de danse: 93% en 2003 et 97% 2004 (chiffres Mcc-Deps).

159 PRAT Reine, op.cit, 2009, p.22.

160 Pierre RIGAL, avec des créations comme Erection, ou Bataille, choisit la danse comme lieu de représentation d'une masculinité contemporaine.

161 GRISEL Erick, « Les hommes mènent la danse », Vanity Fair France, n°18, décembre 2014.

162 PRAT Reine, op.cit, 2009, p.22.

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1.3.2.2. Théâtre

Sur les deux saisons, 2002-03 et 2003-04, on compte parmi les metteurEs en scène invitéEs pour des productions ou coproductions majoritaires : 39 femmes et 178 hommes (82%). [...] 85% des textes que nous entendons quand nous allons au théâtre ont été écrits par des hommes. [...] 78% des spectacles que nous voyons quand nous allons au théâtre ont été mis en scène par des hommes. La scénographie a été réalisée par un homme dans 78% des cas également. [...] Les élèves en art dramatique sont des filles à 66%163

Dès le théâtre antique grec, les dramaturges inscrivaient cet art dans le politique. Il servait à rassembler et représenter les tribus d'Athènes, à rendre hommage aux dieux, mais aussi à critiquer ou valoriser des directions politiques. Déjà, c'était un art de la convention puisque seuls les hommes jouaient, mais des rôles de femmes existaient. Masques et costumes signifiaient les genres des personnages. Il en était de même dans le théâtre du moyen-âge japonais ou au 16ème siècle dans le théâtre élisabéthain. Les rôles féminins de Shakespeare, comme Juliette ou Cléopâtre, furent écrits pour correspondre aux représentations de la féminité contemporaines, tout en étant interprétés par des hommes. Discours public, discours politique, discours qui appartenaient aux hommes. Ce n'est qu'entre le 16ème et le 17ème siècle que les premières comédiennes apparurent. Il fallut attendre Georges Sand, et donc la période romantique, pour avoir en France la première femme dramaturge... sous un nom d'homme164. Il y a sûrement eu des femmes dramaturges avant, demeurées inconnues. Les metteurs-en-scène jouèrent un rôle dans ce huis-clos masculin puisqu'ils ne se tournaient que peu vers des inconnus, alors des inconnues...

La plupart des rôles du répertoire classique français sont des rôles d'hommes, dans la logique de convention théâtrale, nous pourrions supposer que cela n'entraverait pas la professionnalisation des comédiennes. Cependant, au fur et à mesure de l'histoire, la convention a cédé le pas à l'illusion, à la quête du réalisme (notamment avec la règle classique des trois unités, le théâtre réaliste de Diderot, La Formation de l'acteur de Stanislavski, ou encore les techniques d'actor studio). Aurore Evain, qui analyse le corps féminin dans les langages théâtral et musical, remarque que l'apparition des corps de femmes sur scène a amené une sexualisation non plus figurée mais réelle. Ceci ferait entrer le doute sur l'illusion du spectacle. Pour que la fiction puisse fonctionner, il apparaît une tendance à rendre les personnages plus

163 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.43.

164 DUPUIS Sylviane, « Ecrire pour le théâtre au féminin: l'héritage/l'écart » in FIDECARO Agnese et Stéphanie LACHAT (dir.), op.cit.

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réalistes, à faire tendre les masques vers des visages. Le travesti devient donc la représentation sur scène d'un travesti et non plus d'une femme165. Aujourd'hui, nous sommes encore dans ce paradigme où le rôle d'une jeune femme doit être interprété par une jeune femme, celui d'un vieil homme par un vieil homme. Le surplus de rôles masculins est une raison donnée au plus grand nombre de comédiens que de comédiennes.

Uzeste n'échappe pas à ce déséquilibre avec 58% de représentations théâtrales portées par des hommes, et, comme en danse, une augmentation de cette proportion sur la grosse scène jusqu'à 72%. Ce qui est nommé « Littérature, poésie » dans le comptage des représentations du terrain est surtout composé de poésies orales présentées par le Groupe Français d'Education Nouvelle (Gfen). Ces poèmes sont écrits peu de temps avant ou dans l'instant où ils sont prononcés. Il n'y a pas d'interprétation de personnages, mais la représentation mêlant mots et oralité se rapproche du théâtre. Dans les chiffres, le modèle se répète avec une belle parité dans l'ensemble et les deux représentations sur la grande scène faites par un homme.

Le théâtre étant, par excellence, l'art de la représentation des identités, il permet d'imaginer des personnages à l'infini, interprétés par n'importe quel?le comédien?ne. Et pourtant, le choix des rôles féminins dans le répertoire occidental n'est pas très diversifié : ingénue, mère, servante ou putain, sont des archétypes récurrents du théâtre:

[L]e nombre de rôles de femmes reste inférieur, y compris dans le répertoire contemporain, au nombre de rôles d'hommes. [...] Quels rôles de femmes sont suffisamment complexes pour échapper aux stéréotypes : maman ou putain, muse ou sorcière ? Et surtout... victime. [...] Combien de rôles féminins sont caractérisés de manière autonome, autrement que par leur rapport à un rôle masculin (femme, fille, mère ou maîtresse de...) ? [...] Les personnages « neutres », qui ont fait leur apparition dans le théâtre du 20ème siècle, sont-ils distribués équitablement entre comédiennes et comédiens166 ?

La deuxième moitié du 20ème siècle accueille quelques pièces aux personnages féminins plus complexes, sortis des stéréotypes traditionnels : La Casa de Bernarda Alba de Lorca, Les Bonnes de Genet, ou encore Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder167. La vague des femmes dramaturges amorcée par Hélène Cixous, explose dans les années 1990 avec Sarah Kane, Jelinek ou encore Dea Loher. Ces dernières se caractérisent plus par des scènes de violences qu'une douceur maternelle. Elles ont donné un ton bien loin des stéréotypes de l'écriture féminine. Les comédiennes d'Uzeste ont tendance à suivre cette mouvance. Sylvie

165 EVAIN Aurore, « Retour aux origines de l'actrice: réflexions comparatrices sur les enjeux de la différence des sexes dans le langage théâtral et le langage musical » in GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), op.cit..

166 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.17.

167 PLANA Muriel, op.cit., p.17.

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Gravagna écrit, met en scène et joue sa pièce Victoire, fille du soldat inconnu, Martine Amanieu prend le temps d'explorer des textes non-sexistes, de Genet, Duras et d'autres.

Muriel Plana observe une évolution intéressante du théâtre. Elle observe que les transformations artistiques de la deuxième moitié du 20ème siècle féminisent le théâtre, mais plus par une féminisation des hommes artistes qu'une féminisation de la profession :

Dès lors [dans les années 1960], corps et sexualité, le « féminin » selon la doxa masculine, sont valorisés et désirés. Les hommes goûtent le féminin et se "féminisent" dans leur approche de l'art. Les récits intimes, les autobiographies théâtrales se multiplient (Urlo de Pippo Delbono). [...] [A]u théâtre, où les hommes relaient le féminin plus qu'ils ne laissent les femmes véritablement investir les scènes168.

Ainsi, si le féminin est porté sur scène, le discours public du théâtre reste majoritairement énoncé par des hommes. Si le genre artistique se trouble, le genre social reste discriminant.

1.3.2.3. Musique

97% des compositeurs dont on entend la musique sont des hommes. [...] 86% des directions, sur l'ensemble du secteur musical subventionné par le ministère de la culture et de la communication, sont occupées par des hommes. [...] 56% des élèves de musique sont des filles. [...] 30% des permanents d'orchestre sont des femmes. Elles représentent 44% des cordes, 25% des percussions, 16% des bois, 2% des cuivres. Huit solistes sur dix sont des hommes169.

Un des éléments clés des rapports sociaux de sexe dans la musique est la distinction qui est faite entre chant et instrument (à tel point que certain?nes disent « chant et musique »). Professionnellement, le chant est plutôt représenté par des femmes (57%), alors que les instruments sont surtout joués par des hommes (84%).

Les voix de femmes ont, dès l'Antiquité présenté des particularités intéressantes à exploiter sur le plan artistique. Sous Lully, dès 1672, les chanteuses de l'Opéra étaient nécessaires, des divas apparurent et furent rémunérées autant, voire plus, que leurs homologues masculins170. Pour la chercheuse Launay, les chanteuses de l'Opéra travaillaient en dehors du théâtre, elles tenaient compagnie à de riches hommes et la relation devait peut-être aller jusqu'à la prostitution171. De telles pratiques ont pu alimenter l'image peu morale des femmes de scène, qui se retrouve dans les spectacles de cabaret. Cette image sera effacée dans le chant lyrique par l'embourgeoisement, au 19ème, des chanteuses d'Opéra. Comme les présences de femmes

168 PLANA Muriel, op.cit., p.245.

169 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.45.

170 LAUNAY Florence, art.cit., p. 47.

171 CASTIL-BLAZE, L'Académie impériale de musique, Paris, Castil-Blaze, 1855, cité par LAUNAY Florence, art.cit., p. 47.

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sur scène, les voix de femmes ont été considérées comme immorales, ou du moins obscènes172 : « L'Église chrétienne met très tôt l'accent sur l'impureté des femmes et de leur voix et, en principe, en interdit l'emploi dans les cultes173 ». La recherche de voix célestes, aux tessitures hautes amènera plus tard la pratique des castrats. Les chanteuses sont encore porteuses de cette dichotomie, entre voix « pure », cristalline, et objet de séduction. Les chanteuses de blues ou de jazz, en travaillant une gravité et un grain ont su sortir d'une symbolique céleste et angélique, tout en amenant un autre fantasme sur scène, celui de la femme forte, un peu fatale.

Au sein même des instrumentistes, une ségrégation horizontale se forme autour des clichés d'instruments genrés. Ravet, dans plusieurs de ses ouvrages174 décrit les phénomènes de sexuation des instruments. Les femmes ont assez tôt enseigné la musique, par contre, elle n'avait pas accès aux orchestres (l'instrument empêchant d'exploiter leurs atouts, d'un point de vue androcentré, il n'y avait aucun avantage à les laisser se professionnaliser). Certaines ont fait des orchestres ou plus petites formations uniquement composées de femmes, mais elles n'en vivaient pas. Il n'y a donc aucun instrument non-masculin dans la pratique. Par contre, les divers interdits ou contre-indications ont réputé des instruments « plus féminins », au sens « plus praticable pour une femme ». Le piano était l'instrument le plus pratiqué par les jeunes filles de bonnes familles. Le violon pouvait se jouer sur le genou par les femmes, laissant la posture debout aux hommes. Les cuivres étaient contre-indiqués et interdits à l'apprentissage par les filles ; le souffle qu'il fallait pour faire sonner un cor aurait désorganisé leurs « vapeurs ». La flûte traversière, au son doux et aérien, soufflée de côté put être jouée par des femmes dès le début du 20ème siècle. Et le premier prix en classe de clarinette au conservatoire n'a été obtenu par une femme qu'en 1974175.

Professionnelle ou amatrice, cette pratique de l'instrument n'est qu'au service de la composition, écrite par des hommes. Geneviève Fraisse écrit : « la pianiste montre un rapport des femmes à la création, elle est l'interprète du créateur176 ». Juliette Kapla, artiste associée d'Uzeste Musical, s'est longtemps confrontée, et encore parfois, à cette image qu'elle ne peut pas être l'écrivaine177. Sortie de spectacle, des spectateur?trices lui ont plusieurs fois demandé qui écrivait ses textes, étonné?es d'entendre que c'est elle qui compose. Pourtant, des lauréates

172 « Obscène » au sens « ob - skéné », soit qui doit être « hors de scène ».

173 LAUNAY Florence, art.cit., p. 43.

174 RAVET Hyacinthe, « Professionnalisation féminine et féminisation d'une profession : les artistes interprètes de musique », art.cit., pp.173-195.

175 RAVET Hyacinthe, Les musiciennes d'orchestre, thèse de sociologie, Paris, 2000.

176 FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ? », art.cit., p.19.

177 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p. 163.

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du prix d'orgue au Conservatoire sont apparues dès 1827, alors que c'est un instrument d'église qui nécessite des connaissances théoriques approfondies pour l'improvisation et donc de composition instantanée178. Les traces de l'histoire sont pleines de contradictions qui perdurent dans nos dires et nos pratiques.

Prat et Launay témoignent de l'écrasante majorité de directions d'orchestres aux hommes, toujours en dessus des 90%. (Il faut noter que le?a chef?fe d'orchestre doit maîtriser un instrument, le vivier féminin est donc de 39% de femmes instrumentistes en musique savante179.) Launay rapproche cette direction des plus masculines du secteur culturel à un conservatisme religieux :

Étant donné la ritualisation du concert et les pouvoirs « mystérieux » conférés à la musique, nous pensons ici à de fortes résistances symboliques dans une analogie avec l'androcentrisme des religions dominantes en Occident : on tolère la vestale (l'interprète), mais pas la grande prêtresse (la cheffe d'orchestre), ni la déesse (la compositrice). Direction et création sont encore l'apanage du grand prêtre et du dieu créateur180.

Comme il est encore quasiment inenvisageable de donner le droit aux femmes de mener une cérémonie religieuse, il semble très difficile de confier la direction d'un orchestre à celles-ci. L'analogie est intéressante, et peut jouer au seuil d'élimination l'accès au poste de direction en binôme avec le préjugé que les femmes ne peuvent pas diriger.

Toutes les histoires des femmes de scènes, actrices, chanteuses, danseuses, leur professionnalisation s'est mêlée de prostitution et d'embourgeoisement. Historiquement interprètes et non créatrices, elles vacillent entre le mythe du corps pur, sacré et du corps de tous les péchés... entre la Sainte Vierge et Eve. Les instrumentistes de musiques populaires et particulièrement de jazz forment le vivier principal des artistes d'Uzeste, il est nécessaire d'en d'observer l'organisation genrée.

1.4. FOCUS SUR LE JAZZ

Le jazz est né du besoin de libertés des afro-américains dès la fin du 19ème. Il porte un mythe de la libération des noir?es américain?es. Pourtant aujourd'hui, si nous allons dans une jam de jazz -observation faite à Toulouse et à Bordeaux des années 2013 à 2015-, nous pouvons voir que la grande majorité des personnes qui montent sur scène se compose de jeunes hommes locaux. Marie Buscatto, en tant qu'ethnographe pointe les éléments qui rendent difficile un

178 LAUNAY Florence, art.cit., p. 52.

179 Cesta/DEP (ministère de la Culture et de la Communication), 2001, cité par LAUNAY Florence, art.cit., p. 43.

180 LAUNAY Florence, art..cit., p. 55-56.

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rapport d'égal à égale, entre hommes et femmes dans le jazz. Son enquête se fait depuis 1998. C'est une observation prolongée de 108 musicien?nes professionnel?les de différents instruments, styles et réseaux. Depuis 2004, elle augmente ses observations d'une quarantaine d'entretiens d'instrumentistes (femmes et hommes) et dix entretiens de chanteur?ses. L'Hestejada des las arts n'est pas un festival de jazz, mais la majorité des musicien?nes qui y sont invités, soit la majorité des artistes du lieu, viennent du jazz. Il est donc intéressant de contextualiser ce réservoir. Bernard Lubat et Fabrice Vieira expliquent le peu de femmes à Uzeste par une difficulté à trouver des musiciennes. Il faut reconnaître qu'ils n'apprécient que quelques rares groupes de jazz, surnommant malicieusement le registre des autres : « jazz de chambre ». Buscatto compte que : « 8% des deux mille musiciens de jazz sont des femmes. De plus, alors qu'environ 65% des chanteurs sont des chanteuses, les femmes constituent moins de 4% des instrumentistes181 ». Lubat possède la même aversion que bon nombre de musicien?nes pour les chanteur?ses et les ambitions artistiques de la structure réduisent encore le nombre d'instrumentistes potentielles. A travers les observations de Buscatto, nous pourrons comprendre des éléments d'éliminations des musiciennes de jazz, et savoir quels sont ceux qui peuvent être modulés dans le cadre d'Uzeste Musical.

1.4.1. LA CHANTEUSE, « ECHELON INFERIEUR DE LA VALEUR MUSICALE »

Bernard aborde un problème, entre genre et artistique :

Puis des artistes féminines y en a toujours eu, justement. Mais pas facilement parce qu'y avait que des propositions de chanteuses de variété, quoi. On n'en voulait pas nous. Après ils m'ont dit... J'ai été beaucoup critiqué pour ça. Mais moi j'en veux pas de la variété. Voila. Comment je m'en sors? Je leur dis « y en a assez ailleurs ». Moi j'en veux pas. J'en veux pas parce que ce système, c'est pas possible, de chanteuse ou de chanteur avec les larbins derrière qui accompagnent182.

Outre la critique du vedettariat, le problème du rejet du jazz vocal n'est pas inhérent à Uzeste. Par ses recherches, Marie Buscatto montre comment le chant en jazz, majoritairement interprété par des femmes est déconsidéré, situé « aux échelons inférieurs de la renommée et de la valeur musicale183 ».

181 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p. 88.

182 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.138.

183 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme, L'accord imparfait entre voix et instrument », Revue française de sociologie, 2003, vol. 44, no 1, p. 35.

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Les chanteuses sont réputées184 pour s'arrêter à l'interprétation de standards alors que les instrumentistes chercheraient la composition. Cette idée enferme encore les genres dans le dualisme créateur/interprète. Vient ensuite l'argument de l'incompétence. Le travail de la voix n'est pas toujours considéré comme celui d'un instrument, « c'est naturel ». Elles sont aussi réputées en manque de connaissances musicales à tel point que « chanteuse » peut être une insulte pour dire à un?e instrumentiste qu'il?elle ne tient pas le rythme.

« Faire la chanteuse » c'est aussi se mettre devant, avec les musiciens qui accompagnent. Ce genre de représentations (avec « une chanteuse sexy » comme il a été demandé à Juliette Kapla) est apparenté à un jazz commercial. Les musicien?nes comme les chanteur?ses acceptent de faire du jazz commercial pour l'argent. Cependant, comme ce sont les chanteuses qui sont leadeuses dans la plupart de ces appels, elles sont associées à ces soirées (restaurants, hôtel...), les éloignant symboliquement du vrai jazz185, d'un jazz plus artistique, de ses publics et de ses programmateur?trices. Pourtant, dans l'enquête de Buscatto, des chanteuses sont en demande de « jouer avec » et non pas d'être accompagnées.

D'après Buscatto, le jazz fonctionne par projet où les musicien?nes sont leaders ou sideman (appelé?es pour jouer). Pour en vivre, il faut avoir deux, trois groupes comme leader et le reste en sideman. Dans son enquête, alors que quasiment tous les hommes sont sidemen d'au moins une chanteuse, ils ne proposent pas à des chanteuses de participer à leur projet (une exception dans son enquête : le chanteur qui est aussi instrumentiste...). Les chanteuses sont tout le temps leadeuses, avec l'épuisement que cela signifie en recherche d'achat, planification de répétitions, etc. La réputation qui leur est faite, d'interprètes, d'incompétentes et de cloisonnées dans un jazz commercial, rend difficile leur insertion dans un réseau de musicien?nes. Uzeste comme les autres, semble réfractaire à ces chanteuses et plus encore à la recherche d'instrumentistes. Pourtant, comme d'autres critiques et musiciens de jazz, ils espèrent une parité... Il y a un espoir à Uzeste, où il existe un respect pour des chanteur?ses très techniques comme les Double-six, dont Bernard Lubat fit partie en 1965.

184 Pour les trois points à venir : BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit. pp. 43-47.

185 BECKER Howard Samuel, Les mondes de l'art (1982),, Paris, Flammarion, 1988, p. 128, cité par BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit, p. 48.

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1.4.2. LE « GROUPE DE POTES » AUX BAGARRES PERMANENTES

L'approche de l'apprentissage musical semble lui aussi genré. Là où les garçons ont tendance à commencer à jouer en groupe avec leur « potes », les filles débutent par les cours de technique. Les premiers verront donc les cours comme un détour nécessaire pour continuer de jouer, alors que les filles les aborderont comme le chemin de professionnalisation186. Dans l'enquête de Marie Buscatto, les femmes qui ont réussi à devenir et rester musiciennes ont, pour la plupart, fait une « entrée rapide et stable dans le monde du jazz dès les premières années de professionnalisation » grâce à un recrutement « inespéré » comme musiciennes dans une troupe de théâtre, un groupe musical très actif ou un réseau social très efficace187. Pour les hommes, elle observe que ce sont les groupes de potes, se transformant en réseaux qui engendrent une professionnalisation difficile au début, mais stable sur le long terme.

La première technique d'adaptation des jeunes femmes à ce milieu très masculin semble être l'adaptation aux codes « d'entre-mecs », celles qui ont une habitude des contextes où ils y a beaucoup d'hommes sont plus facilement sociabilisées, parfois en passant par des attitudes machistes. D'autres, femmes et hommes, se sentent trop rejeté?es du milieu pour continuer l'aventure188.

Marie Buscatto écrit : « Les chanteuses ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente et sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux189 ». Si elle n'utilise pas les mêmes mots pour parler des instrumentistes, le constat reste quelque peu le même :

Passée la trentaine, soit elles disent « se battre », « avoir du répondant », mais elles considèrent aussi qu'elles en ont « marre » de ce type de relations et d'être trop souvent perçues comme des « râleuses » de ce fait. Soit elles développent d'autres relations musicales dans des contextes plus mixtes, voire féminins, en dehors du jazz. Soit enfin, elles limitent ces moments vécus comme « agressifs » en restreignant leurs collaborations musicales aux musiciens connus et jugés respectueux190.

Juliette Kapla correspond totalement au schéma, elle décrit sa décision de faire un groupe de femmes comme un moment de maturation mais aussi un soulagement : « Et je me suis sentie

186 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit, p. 92.

187 Ibid., p. 93.

188 Ibid., p. 88.

189 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit, p. 52.

190 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit. p. 102.

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très bien de travailler avec une femme. Ça m'a beaucoup reposée en fait. J'ai eu l'impression qu'il y avait un tas de rapports de force qui n'existaient plus191 ».

Bernard Lubat, lui, voit un but à la confrontation en improvisation :

Le problème de l'improvisation c'est que c'est pas par hasard que ça soit une bagarre. Parce qu'improviser ça veut dire sortir des sentiers battus. Et si tu veux sortir de ce que tu sais faire il faut se battre avec soi-même. Sans ça, tu restes dans ce que tu sais faire. [...] C'est pas que violent une confrontation. Mais y a une dialectique. [...] Donc tout ça, c'est de la culture de l'autre. C'est la culture de l'échange. Mais un échange qui nous change pas, c'est pas un échange. [...] C'est aussi la question du déconfort et du dé-conformisme192.

Il précise sa pensée avec un exemple :

Isabelle Loubère, quand elle vient jouer et chanter avec nous, elle s'accroche au micro et elle hurle punk/free; "Aarrrk!! vrr" chante en patois j'sais pas quoi. Au moins elle a un comportement de révolte, de rébellion à son état d'être, et d'un seul coup ça produit artistiquement quelque chose de goulu, quoi! Et d'un seul coup on joue quoi ! D'un seul coup on est à égalité! On n'est pas là pour faire gaffe à pas lui... Non, non elle est là pim-pam-pim-pim. Je lui fous des accords elle se met à gueuler et, et voilà. C'est cette histoire, et Uzeste, l'improvisation c'est ça. C'est pas une bagarre pour la bagarre, c'est... Il faut qu'il y ait une relation... Écoute, tu as vu comment il tape Louis sur une batterie, quoi. Pourquoi il tape comme ça. Il tape comme ça parce qu'il se bat avec lui-même, quoi. Et il faut que les filles elles se battent avec elles-mêmes. Faut se battre avec soi-même193.

Nous pouvons voir le décalage entre les réalités de Juliette Kapla qui parle de bagarre pour que le son de son micro soit monté, pour qu'elle soit reconnue comme écrivaine et pas interprète parce qu'elle est écrivaine, et Bernard Lubat qui fait référence à une réalité artistique. Mais la confrontation artistique dont il parle nécessite une confiance, un rapport d'égal?e à égal?e entre les individus. Les confrontations sociales, qui positionnent les musiciennes en marge des créations auxquelles elles participent, les empêchent d'accéder à la confrontation artistique énoncée par Lubat.

A Uzeste, « groupe de potes » n'est pas la formule adaptée, mais il y a néanmoins un noyau dur d'artistes récurrents : Michel Portal, André Minvielle, Patrick Auzier, Bernard Lubat, les « pères manants194 » comme ils se nomment. Laure Duthilleul, dans l'entretien avec Bernard195, est citée comme ayant fait partie intégrante de l'aventure en tant que comédienne. Laure était à l'époque la compagne de Bernard, ce qui a amené cette parisienne à venir participer

191 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.166.

192 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.139.

193 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.140.

194 Programme de la 24ème Hestejada des las arts : la soirée du 18 aout 2001 est nommée La Nuit des Pères Manants

195 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, P.136.

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au projet d'Uzeste Musical. Mais en dehors des relations de couple, les musiciennes expriment leur difficulté à « fermer la séduction ». Se confrontent les besoins professionnels de séduire les publics et rester amie, sans ambiguïté, avec les autres musiciens. Ce n'est peut-être pas anodin si quasiment toutes les instrumentistes citées avec intérêt par Bernard sont homosexuelles. Elles ont certainement eu moins d'embarras à jongler entre les stéréotypes de séduction et l'hyper masculinisation.

1.4.3. LE COUPLE

La majorité des femmes instrumentistes de jazz étant en couple avec un homme du milieu, et ce, dès le début de leur professionnalisation196. Elles bénéficient du réseau de leur conjoint, ce qui leur permet notamment de pratiquer, sans ambigüité avec les autres membres du groupe.

Elles bénéficient surtout du réseau professionnel de leur conjoint. Mais cette situation vécue comme « naturelle » et « agréable » les installe dans une dépendance du réseau du compagnon :

La plupart des femmes instrumentistes ont, ou ont eu de manière durable, un conjoint instrumentiste (ou parfois programmateur, agent ou producteur) de jazz. Elles participent bien au réseau de leur conjoint, et non à un réseau partagé. En effet, quand la relation amoureuse s'arrête, comme nous l'avons constaté à plusieurs reprises, le réseau « disparaît » pour la femme instrumentiste et tout est à reconstruire pour elle, sur un plan personnel et professionnel. En revanche, quand la relation amoureuse s'amorce et grandit, les collaborations se multiplient à partir du réseau de l'homme impliqué dans le jazz197.

Les simples aventures qui tournent mal avec un musicien du groupe peuvent se transformer en « relations professionnelles difficiles198». Il en serait certainement de même si les sexes étaient inversés, mais le fait que les hommes soient extrêmement majoritaires et possèdent les réseaux leur donne un pouvoir supérieur.

Le spectre historique de n'être perçue que comme « la femme de » est aussi une crainte199. Même Juliette Kapla qui n'a pas pris le nom de son mari, Fabrice Vieira, se demande combien de personnes pensent qu'elle est à Uzeste par le fait de Fabrice.

Buscatto observe aussi un décalage entre les couples avec au moins un ou une musicien?ne. Les musiciens ont souvent une conjointwife, une institutrice, une chargée de production ou de communication qui les soutient autant dans la vie professionnelle que privée,

196 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p. 94.

197 Ibid.

198 Ibid., p. 95.

199 Ibid., p. 100.

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notamment en acceptant les absences et les faibles revenus. A l'inverse, elle remarque : « Les femmes instrumentistes interviewées n'ont pas rencontré d'hommes prêts à jouer ce rôle dans la durée et ne semblent d'ailleurs pas attendre une telle disponibilité de leur part200 ». De plus, celles en couple avec un musicien ont tendance à soutenir l'administration et autres préparations de concert (le repassage des chemises par exemple) des deux membres du couple.

Héritières de l'idée que procréation et création ne sont pas compatibles, une majorité de musiciennes choisissent de ne pas avoir d'enfant. La chercheuse affirme pourtant que ça n'influence pas leur carrière201.

A Uzeste, le couple semble être un moyen efficace d'intégration, même sur le long terme. La ruralité du lieu est porteuse des histoires où les amours vont et viennent, mais où les gens restent. Le couple peut ainsi être bénéfique dans la professionnalisation Cette ruralité, et les choix de programmation permettent aussi aux jeunes parents de venir en famille : les artistes, même s'ils?elles doivent faire garder l'enfant pendant les spectacles, ne sont pas contraint?es de laisser l'enfant pendant toute la tournée à la charge du?de la conjoint?e. La charge des enfants étant encore majoritairement laissée aux mères, le fonctionnement aux caractéristiques familiales de la structure peut être un atout d'équité professionnelle. Mais le risque reste, de n'être que « la femme de », sans légitimité propre et dépendante du réseau du conjoint202.

Dans le jazz, la proportion d'hommes est écrasante (92%). Représentant 4% des instrumentistes et 65% des chanteur?ses, les jazzwomen sont associées au jazz vocal, au jazz commercial avec la chanteuse sexy, ne brillant pas pour ses compétences. Ainsi dévalué, le chant est peu appelé, réduisant les possibilités des chanteuses de profiter de réseaux de musicien?nes. Au-delà de la critique du chant, les musiciennes de jazz se confrontent à un plafond de verre dans l'insertion professionnelle. Dépendantes du réseau de leur conjoint ou bataillant pour faire leur place dans un groupe de potes, les musiciennes sont plus désavantagées dans une lutte sociale qui les empêche d'accéder à une lutte artistique, nécessaire à la progression.

Le secteur culturel, politiquement considéré comme féminin est, en acte, un secteur masculin, représenté par des hommes et dirigés par des hommes. A tous les échelons de la

200 Ibid., p. 103.

201 Ibid., p. 104.

202 Nous reviendrons plus précisément sur insertion par le couple dans le réseau uzestois en 2.2.1.3. « Sexuellement rattachée à Uzeste ».

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hiérarchie, de la formation en amateur à la direction de structure, les proportions de femmes se réduisent pour tous les arts. Ne se sentant pas légitimes, considérées trop nombreuses pour le marché du travail, ne réussissant pas à s'insérer ou rester dans les réseaux professionnels ou perçues comme incompétentes aux postes de direction, les femmes ne parviennent pas à détruire le plafond de verre de ce secteur. Les arts entre eux sont aussi genrés. Mais les arts pratiqués en majorité par des filles en amateur, comme la danse ou le théâtre, réclament à un niveau professionnel une quasi parité aux dépends des filles. A l'inverse, les domaines plus pratiqués par les garçons tels que la musique ou la vidéo, ne privilégient pas les candidatures féminines. Uzeste, éminemment dépendant des viviers nationaux, ne détonne pas du paysage macrosocial, avec une minorité de représentations féminines (22%), et une réduction de ces représentation d'une moindre à une forte visibilité. Ces chiffres ne démontrent pas une compétence naturelle des hommes pour la scène, mais une construction sociale qu'il faut historiciser. Après la Révolution, la misogynie collective a chassé les femmes des institutions de création mais aussi de l'histoire. A la même période se construisirent des dichotomies genrées érigeant les hommes comme seuls potentiels artistes : création/procréation, génie/muse, dilettante/artiste et même créateur/créature avec la multitude de tableaux de femmes si réalistes que les sujets semblaient créés par les doigts de l'artiste. Le sexisme* n'affecte pas que la profession artistique, mais aussi ses représentations (femmes victimes, sexy, « femme de », mère.../hommes actifs, pensants, indépendants...). En cela, les arts de la scène possèdent un rôle de média, produisant des représentations rétro-agissantes sur la société. L'oeuvre est liée à sa production. La production artistique, comme toute pratique, est traversée par des valeurs intériorisées et hiérarchisées comme le genre. Considérer que l'oeuvre n'est pas immanente, qu'elle dépend de son cadre de production et de réception, permet de réévaluer les canons artistiques, encore calqués sur des systèmes de valeurs androphiles.

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2. LE GENIE, LA CHANTEUSE ET L'OPTIMISTE : PORTRAITS

Nous avons pu rapidement contextualiser les rapports sociaux de sexes en France, et les historiciser. Uzeste Musical étant dépendant du vivier national, il est logique d'avoir observé une corrélation quantitative entre les deux échelles. Cependant, la différence significative du nombre de représentation des femmes sur la scène à visibilité importante comparée aux scènes à moindre visibilité suppose que le problème se situe au-delà du réservoir de femmes artistes disponibles. J'ai donc cherché, au travers des discours d'acteur?trices du terrain, les continuités et divergences avec les modèles symboliques créés par l'histoire des arts. Ne pouvant questionner tou?te?s les membres actifs de la structure, j'ai opté pour trois entretiens semi-directifs et un entretien en groupe. Ce dernier donne la parole à quatre enfants d'Uzeste aujourd'hui actifs dans la structure. Les femmes permanentes à Uzeste travaillent au bureau et je tenais à questionner des artistes, c'est-à-dire des personnes qui produisent le discours médiatique/scénique. J'ai donc interrogé Juliette Kapla, artiste associée de la Cie Lubat, habituée à la scène uzestoise. L'entretien avec elle a fait apparaître des moments de constructions de pensée in situ, comme une sorte de performance intellectuelle. La rencontre, avec Bernard Lubat, maître des lieux, était une évidence. Même s'il dit ne pas être représentatif d'un lieu, il en est l'investigateur et le directeur artistique. Les trois heures d'entretien étaient rodées par un discours expérimenté sur scène et dans la vie quotidienne. Son fil de pensée est tant présent qu'il en est palpable. Je mis plus de temps à choisir Fabrice Vieira comme troisième voix. Pourtant, c'est aujourd'hui le maillon indispensable de ces portraits en triptyque. Il est le lien entre les pratiques genrées, à la fois musicien, chanteur, administrateur et technicien. Il fait partie du lien entre Lubat et Kapla. Il est aussi entre la génération de Bernard Lubat et celle de son fils. Etrangement, ses réflexions semblent aussi entre celles des uns et des autres. Son portrait croisera donc les discours pour en faire sortir du relief. Tous se sont mis à parler avant même que les questions ne leur aient été posées. Une aisance de langage, une utilisation des mots pour ce qu'ils veulent dire. On sent, dans chaque discussion, un fil de pensée qui est déjà déroulé et se déroule encore, parfois sous mes yeux. Une pensée en mouvement, qui se construit, notamment par des conversations.

2.1. BERNARD LUBAT - L'IDENTITE DU LIEU

Il était déjà à la table de l'Estaminet quand j'ai ouvert la porte. Le petit théâtre était vidé de ses chaises, une table massive en son centre. Elle était recouverte de livres, de notes et de

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journaux. Elle semblait être une résurrection des laboratoires/bureaux des savants fous de nos fables ancestrales. Le jeu de découpage et d'assemblage de fragments de textes que j'observais du coin de l'oeil en posant mon manteau, me faisais penser à quelques dramaturges. Pourtant, Bernard Lubat est un musicien, ou un amusicien comme il se définit. Le projecteur de service éclairait d'une lumière crue, désacralisant la salle de spectacle. La scène portait des boites qui auront englouti quelques heures plus tard les instruments et jouets pour le concert du lendemain. Une table à part recueillait tous les journaux parus les 8 et 9 janvier 2015 sur l'attentat à Charlie Hebdo. Uzeste n'est pas une bulle hors du temps et des maux. La discussion s'est enclenchée avant que l'enregistreur ne soit allumé. J'appréhendais cet entretien depuis plusieurs semaines ; prévisible dans son imprévisibilité. Bernard Lubat est intarissable. Diminuer le nombre de questions ? Contraindre à des réponses courtes ? J'avais choisi de conserver la grille principale d'entretien, déjà utilisée avec Juliette Kapla, comme facteur témoin203. L'entretien fut plus long (trois heures), plus laborieux. Les chemins empruntés par Lubat furent passionnants mais nécessitaient d'être redirigés vers le sujet. Je tiens aussi une responsabilité dans les dérives de notre conversation, en n'osant rarement porter des questions incisives, peut-être un peu impressionnée. Lorsque son discours fut couché sur le papier, trois idées fortes sont apparues comme les couleurs de base de la figure du génie : la mise en mot de la genèse d'Uzeste Musical comme un récit épique* dont il est le héros, les figures emblématiques et géniales auxquelles il peut être associé, et sa volonté de faire fi de la reconnaissance extérieure au profit d'une légitimité propre et autoproclamée.

2.1.1. LA GENESE, LE RECIT EPIQUE D'UNE HISTOIRE VRAIE

Dans son mémoire d'histoire, Le festival d'Uzeste et la Compagnie Lubat-1978-1990204, Philippe Ogilvie utilise le champ sémantique du récit légendaire pour parler du discours historique qui lui est délivré par Bernard Lubat : « Mythologie », « récit », il va jusqu'à nommer son chapitre de contextualisation « Préhistoire et mythes fondateurs ». Ces termes plus poétiques qu'analytiques laissent penser que l'histoire d'Uzeste musical se conte. Dans le discours de Bernard Lubat, nous pouvons observer le schéma narratif traditionnel du récit. C'est-à-dire, d'abord la mise en place d'une situation initiale, ensuite un élément déclencheur qui engendre des péripéties jusqu'à atteindre, enfin, une stabilité dans l'état final. La genèse

203 Drille initile d'enretien en Annexe 1.1.2.1.

204 OGILVIE Philippe, Le Festival d'Uzeste et la Compagnie Lubat 1978-1990, Mémoire de maîtrise d'histoire culturelle, (sous dir.) GOETSCHEL Pascale et Pascal ORw, Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne Centre d'Histoire Sociale (CHS), Paris, vol.1, 2005, chapitre 1.

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contée par Bernard Lubat relève aussi de l'épopée*, au sens où elle se construit autour d'un personnage principal, lui-même, avec un rythme soutenu par l'enchaînement de péripéties. Il se comprime en quelques répliques continues205. La trame du texte est suivie dans l'analyse.

L'histoire débute dans son enfance, à Uzeste donc : « quand j'avais 15 ans, j'ai fui le monde rural qui était en déshérence, et parce que dans le milieu rural on était dans le servage quoi, on n'était pas libre». Il y a déjà les indices de la rupture avec le monde rural et la quête de la liberté. Il enchaîne : « Et puis j'ai fait comme tant d'autres, je suis allé à la ville, dans une autre servitude. [...] je suis devenu une espèce d'esclave de luxe quoi, bien payé. Pour fermer sa gueule. Pour jouer ce qu'il fallait jouer comme musique». La situation initiale a muté mais le registre de la soumission, « servage », « esclave », indiquent que nous restons au stade zéro de la quête.

« Et puis, heureusement, » introduction d'un élément déclencheur, « parallèlement à cette vie à Paris, j'avais vingt ans et quelques, vingt-cinq, j'ai découvert la liberté la nuit.» La liberté, on y revient.

La nuit dans les caves, dans les caves enfumées, sous la terre. [...] Les caves à Jazz. Où là justement s'exprimait une espèce de tonitruante liberté de moeurs, de prè-68, c'était avant 68, de moeurs, de musiques, dangereuses pour la santé, truffées de poètes, de littéraires, de musiciens, d'artistes quoi, voilà, de politiques, de mecs douteux, de mecs en rupture de ban. Et j'étais, la nuit, là, sous la terre206.

Ici, Bernard Lubat nous berce par un rythme mêlé de respirations et de répétitions. L'ancrage en 1968, même si c'est un élément du réel, connote plus un 68 mythique que purement historique207. Lorsqu'il conte le rassemblement de ces « mecs douteux », « poètes », « artistes » dans les « caves enfumées », à Paris qui plus est, je comprends mieux la nostalgie éprouvée par les jazzmen de notre époque. Le rêve de pousser les murs avant qu'ils ne tombent. Chercher des libertés avant qu'elles ne soient acquises. L'idée d'art mêlé aux révolutions historiques, rappelle les Lumières, les Ballets Russes, le butô, le jazz afro-américain, etc. Ces histoires sont convoquées ici, par le lien ténu, tendu tout au long de notre histoire entre politique et art. En tant que récepteur actuel, l'enjeu est de savoir si l'on peut faire partie de cette histoire. Continuons donc : « Et puis la journée, à la surface, en plein air, j'étais ... ouvrier spécialisé du

205 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, pp.131-132.

206 Ibid.

207 Mai 1968 n'est pas sans rappeler la Révolution française. Dans ces deux mouvements citoyens, les femmes furent très actives, mais au lendemain de ces révolutions, elles n'ont pas été reconnues. Ce qui, pour la plus récentes, a amené (entre autres) le Mouvement de Libération des Femmes à faire des réunions non-mixtes dès octobre 1968.

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showbiz », la quête est débutée par le jazz, mais reste encore embryonnaire. Il faut attendre les retrouvailles avec Uzeste pour obtenir une gestation.

Le retour au village s'annonce : « Et puis j'ai fait par hasard en 78 le premier Uzeste Musical, parce que je passais par là en tournée avec Michel Portal.» L'héroïsme dépend toujours du hasard, du destin... C'est dans le vide rural qu'il trouve le début de sa quête artistique :

[C]'est les retrouvailles avec l'état dans lequel était Uzeste et surtout dans l'état dans lequel Uzeste était en moi. Le village de mon enfance. J'ai pensé que ma modernité c'était à partir d'ici quoi. C'était à partir de ce handicap d'être minoritaire parce que ruralisé. Tu vois ça valait pas un clou la ruralité. Ça vaut encore moins maintenant. Mais pour moi c'était... c'est ma poésie. [...] et donc, je me suis réinstallé dans une pensée écommuniste. Et je me suis dit : tiens il faut que je fasse quelque chose d'autre. De ma vie, de ma pensée, de mon imaginaire. Donc il faut que je me remette à apprendre208.

La prise de conscience provoquée par le retour dans son village clôt la situation initiale. La situation secondaire se compose comme un contre-point de l'initiale avec des oppositions symboliques et matérielles : capitale/rural, « show-biz »/«pensée écommuniste », « esclave de luxe »/ « fauché comme les blés ».

Une quête débute par la recherche de compagnon·es et des artéfacts nécessaires à celle-ci. Une équipe se forme autour du musicien prodige : « quand je suis arrivé ici, j'ai cherché qui était ici, quels étaient les artistes ici. Les musiciens. Je suis allé voir à Pau, à Bayonne, Bordeaux [...] Et puis c'est là que j'ai rencontré Auzier, Minvielle, et puis la mère de Louis, Laure avec qui j'ai vécu.» Les artéfacts, pour une quête vers la liberté, sont aussi immatériels que celle-ci : apprentissages et rencontres, un « travail sur soi, de musique, de philosophie, à mon niveau, mais tu vois, tout le temps, tout le temps ». Ils permettront une avancée laborieuse sur un chemin à l'horizon infini.

Néanmoins, le projet d'Uzeste Musical semble trouver une apogée pour Bernard Lubat :

Et, grâce à ce double mouvement ; Uzeste Musical qui continue et moi qui me travaille, là je suis arrivé à une autre reconnaissance de mes pairs. De ceux que je considérais, moi, comme des grands musiciens. Et

là j'ai eu la reconnaissance de ces grands musiciens. Je suis devenu, a priori, un grand musicien209.

Dans ses propos, nous pouvons comprendre que Lubat parle d'une reconnaissance pour la qualité d'engagement artistique de son travail, mais aussi de ce qu'il a pu accomplir à Uzeste. La quête intellectuelle reste en mouvement, sur une base structurelle plus aboutie.

208 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.132

209 Ibid. p.135.

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L'épopée, en quelques mots serait : une suite d'exploits historiques ou mythiques, dans un poème d'une langue soutenue, pour exalter les sentiments d'un collectif, d'un peuple. Le langage soutenu n'est pas à chercher ici. Par contre, l'aspect poétique par les répétitions et la ponctuation serrée est observable. Le registre légendaire des mots (« esclave », « désert », « tonitruante liberté », « les caves enfumées », etc.) participe à la fictionnalisation mentale du récit. L'historicité des évènements, baignée dans le mirage de 1968, rassemble histoire et mythes. Enfin, le récit de cette genèse, sans exalter les peuples, est revendiqué avec fierté par les membres d'Uzeste Musical.

Il n'est pas question ici de remettre en cause la véracité des faits de la genèse de la structure. Les photos collées sur les murs de l'Estaminet en attestent pour beaucoup. De plus, le squelette classique de la narration est construit sur le déroulement réel d'une aventure : début, aventure avec péripéties et point final ou point d'orgue. Il est donc logique de retrouver cette trame dans un discours sur des faits vécus. Il s'agit ici de prouver que ce récit organisé participe à la construction d'une légende, d'autant plus qu'il est relayé par les médias traditionnels :

Il est important de noter dès maintenant que cette référence à [l'] enfance [de Bernard] est toujours relayée par la presse d'une part et mise en avant par Bernard Lubat d'autre part comme étant fondateur de son identité, de son trajet et de son devenir. Ainsi, dans presque tous les articles traitant de Bernard Lubat ou du Festival d'Uzeste, est relatée cette enfance rurale musicienne210.

Uzeste Musical se mythifie ainsi par l'oralité et la médiatisation d'un récit tinté de valeur épique. Si ce système de communication permet d'imposer une intemporalité à Uzeste et donc à ses actions, il rend aussi le travail de critique plus ardu. Il est complexe de critiquer, de remettre en question un mythe, car c'est aussi fragiliser ce qu'il représente. Peut-on critiquer Aphrodite sans critiquer l'amour ? Peut-on critiquer Uzeste sans critiquer une utopie libertaire ? Il faut donc réussir à ancrer, au moins sur le plan critique, Uzeste dans une réalité contemporaine, pour l'analyser en tant que terrain d'étude. Oser en disséquer la structure. Ce récit amène d'autres questionnements : le discours légendaire n'amène-t-il pas avec lui tous les stéréotypes genrés de nos contes occidentaux ? Est-ce qu'il n'enferme pas dans un conservatisme du vécu ? Dans une nostalgie du passé ? Ces questionnements sont sur le discours du lieu et ce qu'il peut connoter. Il est impossible d'affirmer ou d'infirmer ces hypothèses par cette étude de neuf mois, mais il faut garder en tête le fait que le discours est un média. Il diffuse donc des paradigmes qu'ils soient intelligés ou non. Nous y avons vu les

210 OGILVIE Philippe, op.cit., p.19.

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différents systèmes d'exclusion des femmes de l'histoire des arts211. A Uzeste il ne s'agit pas d'exclusion officielle, ni de réappropriation de travaux de femmes par des hommes, heureusement. Bernard Lubat affirme qu'il y a toujours eu des femmes à Uzeste Musical et cite en exemple des attachées de presse ou administratrices. Ces métiers qui participent au fonctionnement du lieu ne le révolutionnent pas, et restent peu visibles sur le plan médiatique, ils ne sont donc pas relayés dans l'histoire -sauf cas exceptionnel, par exemple de Laure Duthilleul qui était à la fois comédienne et à l'administration d'Uzeste Musical. Par la ségrégation horizontale macrosociale, la majorité des femmes se trouvent dirigées dans des secteurs moins médiatiques et par conséquent exclues de l'histoire ou du récit microsocial?e d'Uzeste Musical.

2.1.2. LE GENIE : DU PRODIGE AU MENTOR

Bernard Lubat va bientôt fêter ses soixante-dix ans, avec soixante ans de musique dans les doigts. Accordéon, piano, batterie, vibraphone, tout est bon à apprendre. Derrière ses notes comme dans son discours, se cachent deux figures symboliques : le prodige et le génie.

Dans les années 1960, il est 1er prix du conservatoire de Bordeaux puis de celui de Paris. En ces années, seule la musique classique est enseignée, et il est considéré comme excellent, dans ce domaine d'excellence. Pourtant, dans son discours, cette situation de major du conservatoire est toujours utilisée en opposition à son travail actuel d'improvisation et de musiques populaires. Les journées au conservatoire s'opposent aux nuits de jazz, la querelle avec l'école classique s'oppose à la jouissance de la musique afro-américaine. C'est surtout dans les mots d'autres personnes : spectateurs, jeunes admiratif?ves, mais aussi les médias, que les récompenses de l'institution musicale deviennent symboles d'un petit prodige des Landes, parti briller à la capitale.

Il avait les papiers attestant son excellence aux yeux du conservatoire et il gagnait beaucoup d'argent en étant musicien de studio à Paris. Cependant, il a renié tout cela pour venir jouer dans son village, où il incarne la figure du génie incompris : « Quand je suis arrivé ici, j'ai eu des gens pour, et rapidement tout le monde contre ». Cette vision de l'artiste solitaire fonctionne en tandem avec le mythe de l'artiste romantique, au-delà de la raison : « Je suis un génie ! Je suis un génie ! Tu sais ce que ça veut dire ? Ça veut dire que je suis un idiot ! » s'est

211 1.2.1. L'absence des femmes dans l'histoire de l'art.

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écrié Lubat dans un moment de colère à la suite d'un concert212. Tel Don Quichotte qui se bat contre des moulins à vent, ou Cyrano de Bergerac contre la mort213, Bernard Lubat parle de « se battre contre soi-même, contre le système».

En revenant à Uzeste, il s'est mis à travailler sans relâche ses zones d'inconfort, correspondant ainsi à la vision nietzschéenne du génie214. Le symbole de l'autodidacte joue aussi puisqu'il s'est instruit lui-même à la philosophie, l'histoire et la sociologie, entre autres. Sans avoir fait d'études autres que la musique, il s'attaque à Pierre Bourdieu, Etienne de La Boétie, Edouard Glissant, Edgar Morin avec une envie d'apprendre impressionnante.

Ces collaborations avec Benedetto en théâtre, Chopinot en danse ou encore Jérôme Thomas en cirque inscrivent Lubat avec les noms de l'histoire des arts des années 1970. De plus, si aujourd'hui l'hybridation des arts est un fait courant, ce n'était clairement pas le cas à l'époque. Ces artistes sont apparentés à une avant-garde qui augmente le capital symbolique de Bernard Lubat comme héros épique, génie ou encore visionnaire.

Bernard cherche dans ses notes la citation à tirer comme une carte magique. Ce plaisir de discuter avec de grands penseurs et de leur emprunter des mots est palpable :

Je veux devenir quelqu'un, mais pas quelqu'un pour briller, non, quelqu'un pour me confronter à l'histoire de l'art. Tu vois, moi je voulais arriver à être capable de faire de la musique avec tous les mecs assis à côté de moi, Mozart, Bach, Beethov', tous les cadors, les morts, les vivants, et ils m'écoutent jouer215.

Cette envie ne peut se réaliser qu'en se sentant légitime à jouer dans la cour des Grands : « La reconnaissance, la considération psychologique elle vient de soi. Je suis une pointure, je veux devenir une pointure. J'ai de l'ambition216 ».

Si Lubat rassemble un certain nombre d'images propices à l'instaurer comme génie, l'improvisation est un processus de création qui, d'après la vision nietzschéenne du génie, empêcherait de porter l'improvisateur en génie :

Or personne ne peut voir dans l'oeuvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi. L'art achevé de l'expression écarte toute idée de devenir ; il s'impose tyranniquement comme une perfection actuelle. Voilà pourquoi ce sont surtout les artistes de l'expression qui passent pour géniaux, et non les hommes de science217.

212 DUTHILLEUL Laure, Rushes du tournage Lubat père et fils, Paris, 2015.

213 « Que dites-vous ? C'est inutile ? Je le sais. /Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !/ Non ! Non ! C'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! » ROSTAND Edmond et Claude AZIZA, Cyrano de Bergerac, Paris, Presses pocket, 1989, ACTE V, SCENE 5.

214 1.2.2.2. Le Génie détaché de la Muse, basé sur NIETZSCHE Friedrich, op.cit., § 162.

215 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, pp.135-136.

216 Ibid., p.135.

217 NIETZSCHE Friedrich, op.cit., § 162, p.142.

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Le principe même de l'improvisation est de représenter un art en mouvement, imparfait.

L'histoire d'Uzeste Musical est intrinsèquement liée à la vie personnelle de Bernard Lubat. Formulée sous forme de récit épique, cette dernière érige le musicien en prodige, artiste incompris, autodidacte effréné et visionnaire. Ces représentations valorisantes se basent sur des mythes déjà ancrés et genrés, notamment celui du génie masculin.

2.1.3. L' « AUTO-LEGITIMITE » DE BERNARD LUBAT

Je distinguerais deux légitimités : la légitimité afférente et la légitimité efférente. La légitimité afférente est celle qui est portée par des membres environnant le sujet pour celui-ci. La légitimité efférente est la légitimité que se reconnaît un sujet pour lui-même, il se sent légitime. Ces termes, généralement médicaux, signifient respectivement « qui porte ou qui s'exerce de la périphérie vers un point central » et « qui va du centre à la périphérie218 » (par exemple du système nerveux à un ou plusieurs muscles). Les signaux des parties périphériques au sujet, pour lui indiquer qu'il est considéré comme légitime ou non, vont être absorbés hiérarchiquement par le sujet. Si celui-ci est sensible aux remarques et peut donc percevoir les marques de légitimation afférente, il hiérarchise les signaux selon le signal en lui-même (pertinence, éloquence...) et sa représentation de l'émetteur (s'entendre dire que vous chantez bien par Assurancetourix n'a pas la même valeur qu'un compliment de votre chanteur favori). La réception modulée des facteurs de légitimation externes ressemblent plus à une absorption organique qu'à un mouvement mécanique, d'extérieur en intérieur. Pour le terme

d' « efférence » : lorsque l'on se sent légitime, on ne produit pas de légitimité vers l'extérieur. Par contre, dans ce terme il y a la racine d'« effet », et il est certain que le fait de se considérer personnellement comme légitime va produire un effet, va permettre d'effectuer ce pour quoi on se sent légitime. « Effet » peut aussi s'apparenter aux effets Pygmalion (traduction de préjugés d'un potentiel fort par une autorité -parent, professeur, ... - en une performance et des objectifs augmenté?es,) et Golem (même effet, en négatif)219.

Les représentations sociales sont ainsi des éléments de légitimation ou non, qui, de manière afférente, incluent ou excluent le sujet dans le modèle représenté. Par exemple, le fait que le stéréotype répété de la danseuse classique soit celui d'une femme fine, grande et blanche,

218 D'après de Trésor de la Langue Française.

219 MA-D, Exposé : l'effet Pygmalion et l'effet Golem [en ligne], Cercle Constellation, Groupe d'étude de systémique familiale, [ http://cercleconstellation.over-blog.com/2014/06/expose-l-effet-pygmalion-et-l-effet-golem.html], consulté le 10 juin 2015.

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ne crée pas de sentiment de légitimité, voire peut créer celui inverse chez une enfant en surpoids. Fabrice Vieira, Juliette Kapla et Bernard Lubat disent tous s'être senti?es illégitimes au départ. Pour Juliette Kapla, ce sentiment reste présent. Pour ses homologues masculins, cela semble être une victoire maintenant acquise. Sans être dit clairement, Vieira paraît avoir gagné son sentiment de légitimité notamment grâce à ses expériences avec la Cie Lubat étant jeune.

Le discours de Bernard Lubat sur sa légitimité est intéressant car il ne reconnaît qu'une légitimité efférente :

Alors, j'ai commencé à me sentir pas légitime du tout. Quand je suis parti à Paris, je me sentais légitimement inculte. [...] Et puis, j'ai construit ma légitimité par Uzeste Musical. D'abord la légitimité de moi, dans mon miroir. Par Uzeste Musical j'ai retrouvé ma dignité220.

De lui, pour lui, il est dans un circuit interne de reconnaissance, un sentiment d'autolégitimation : « il a fallu que je la réfléchisse cette auto-légitimité. J'ai insisté, et petit à petit, Uzeste Musical a été reconnu, par ses pairs, par des critiques, par certains publics221 ». L'idée de « réfléchir sa légitimité » me paraît être un élément clef. Lorsque tou?te?s témoignent d'illégitimité à une période de leur vie, ils?elles parlent de « sentiment d'illégitimité », comme d'un ressenti irrationnel. Paradoxalement, la raison pourrait alors être un moyen de construire un sentiment de légitimité. Néanmoins, dans les propos de Lubat, il est possible de voir que le chemin fut rude : « Moi je pense que la reconnaissance ça passe par soi. D'abord. Parce que, ou t'es prétentieux, ou t'es un malade mental, ou t'es mégalo etc., mais tu te reconnais toi-même ». Sa décision de faire, de se sentir légitime sans légitimité afférente première s'est accompagnée de critique de mégalomanie. Peu importe de savoir s'il était ou non mégalomane, cette propension à revendiquer une place qu'on ne lui a pas décernée -notamment comme avant-gardiste-, lui a certainement permis d'obtenir la reconnaissance qu'il possède aujourd'hui. Dans ses mots, ce traitement de la légitimité, ne lui est pas spécifique. Il en est de même pour des artistes du projet d'Uzeste Musical : Michel Portal, Laure Duthilleul, André Minvielle, entre autres :

C'est pour ça que la reconnaissance par l'extérieur ou la gloire c'est un épiphénomène pour eux. Ils s'en foutent. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent eux, sur eux. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent de ce qu'ils jouent222.

220 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.135.

221 Ibid.

222 Ibid, p.136.

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Ce qui compte c'est ce qui existe, ce qui est critiquable, ce qui peut être raisonnablement évalué. Il y a un dépassement de l'affect, une libération des indicateurs de légitimité afférente. Il serait intéressant de mener une étude psychologique sur les processus de légitimation des artistes. Est-ce qu'il est possible de se sentir légitime sans aucune légitimité afférente ?

Pour Juliette, la rationalisation ne suffit pas, le sentiment l'emporte sur le savoir :

Et je suis toujours ultra-complexée, je n'oserais, je pense, jamais de ma vie, chanter, improviser sur une grille de jazz devant Bernard Lubat. Alors que je sais le faire. Alors que j'ai appris à le faire223.

Je suppose que dans cette configuration, la reconnaissance d'autrui peut aider à se bâtir une légitimité efférente, particulièrement si la personne ose. Il peut y avoir dans cet interstice, une politique de discrimination positive*. C'est-à-dire de prendre en compte les différences de difficultés sociales dans l'évaluation d'une situation, notamment dans l'appréciation des risques pris. Si un homme d'Uzeste Musical ose prendre la parole sur scène à propos de sexisme par exemple, le risque pris peut être reconnu et félicité. Ce qui aiderait à faire se sentir les hommes légitimes de prendre part à ce débat.

A Uzeste, les trois garçons du village ont très tôt demandé à pouvoir monter sur scène. A l'inverse, les filles qui ont aussi appris à jouer n'y ont pas pris goût et ne se sont pas imaginées sur scène. Qui imiter, qui prendre en modèle ? La légitimité par rapport au modèle à favorisé les garçons. « Alors pourquoi on n'a pas posé les filles sur scène puisque pendant les vacances elles étaient là les filles aussi...224 » . La question posée par Jaime Chao reste en suspens, comme une leçon à tirer du passé pour les générations à venir.

Il y a un certain nombre d'hommes qui, à Uzeste, possèdent à leur manière l'étiquette de génie : Bernard Lubat donc, mais aussi Georges Didi-Huberman, Bernard Stiegler, Marc Perrone, Ernest Pignon-Ernest, Archie Shepp, ou en remontant dans le temps Edouard Glissant et Pierre Bourdieu. A Uzeste il n'y a pas de mise en scène de la star (la scène surélevée a surtout pour but d'être visible par tous, la Cie Lubat préfère d'ailleurs la disposition en amphithéâtre, où l'artiste est au centre, mais sous le niveau du public). Il n'y a pas d'espace V.I.P., de photographes aux aguets, ou de barrière séparant la scène du public. Boire un café, ou manger avec les équipes artistiques ou techniques se fait très facilement, désacralisant les individus cités plus haut. La survalorisation de ces personnes ne vient pas directement d'elles, mais du

223 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3., p.153.

224 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p.202.

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discours autour de ces faits : « tu as conduit untel ? », « tu as débattu avec untel ? Mais tu es folle?fou !», etc. Les femmes, comme Marie José Mondzain, présentes dans les mêmes dispositifs que les hommes cités plus hauts ne sont pas pour autant considérées comme géniales. Tout en étant appréciées comme aussi brillantes, elles ne correspondent pas à l'image du génie, les excluant automatiquement de ce statut. Pour Bernard Lubat, la valeur qui lui est aujourd'hui accordée fût possible grâce à une légitimité auto-proclamée. Libéré d'un besoin de légitimité afférente, il a pu faire, et être reconnu pour ses actions.

2.2. JULIETTE KAPLA - L'ENTRE-DEUX

Le 3 janvier, nous nous sommes retrouvées chez elle et Fabrice, dans une rue adjacente à la collégiale d'Uzeste. Le feu brûlait dans l'âtre. Je ne sais pas si c'était un hasard, mais Juliette Kapla fut la seule dont l'entretien ne se fit pas à l'Estaminet. C'était durant le festival d'hiver, il aurait été difficile de se rencontrer calmement au théâtre dans ce contexte. Bernard Lubat et Fabrice Vieira ont préféré le cadre du travail. Après deux heures d'entretien, une fois la tension retombée, j'ai réalisé qu'il faisait bon de se retrouver autour d'un thé chaud, de discuter. Cette entrevue s'est située entre l'entretien, la discussion et le débat. C'était agréable de se donner le temps de parler de ce que l'on ne prend pas le temps de mettre en mots. Dès la première question, « est-ce que, en général, dans la vie, tu te considères comme être militante ? », elle avait déjà abordé quasiment tous les thèmes de la grille d'entretien (féminisme, réseaux de diffusion, engagement, art féminin ou féministe, état des lieux de notre société...). Ce chemin partagé dans nos réflexions signifie des questionnements qui nous sont communs, des problématiques communes liées au secteur culturel. Nous verrons d'abord sa position à Uzeste, entre un travail d'artiste associée avec la compagnie de son mari, et un besoin d'indépendance. Puis, nous relierons son vécu à la réputation de la chanteuse analysée par Marie Buscatto. Enfin, nous tenterons de comprendre pourquoi Juliette Kapla ne peut se dire artiste féministe.

2.2.1. « DEHORS/DEDANS », ARTISTE ASSOCIEE ET

INDEPENDANTE

2.2.1.1. Une place particulière à Uzeste

Quand j'ai commencé à questionner mon terrain à propos de ses femmes artistes, il y a maintenant un an, Juliette Kapla m'a souvent été donnée en exemple, comme une femme ayant su s'inscrire à Uzeste par son talent. Entre improvisation théâtrale et musicale, entre poésie d'improvisation orale et textes écrits, il y a en effet des liens entre ce que produit Juliette Kapla

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et la Cie Lubat. Des artistes comme Michel Portal ou Louis Sclavis sont récurrents à l'Hestejada, ils participent à l'identité du festival d'été. Cependant, ils ne s'inscrivent pas dans le travail artistique à l'année, qui s'engage dans la transdisciplinarité* comme Juliette.

Juliette Kapla n'est pas d'Uzeste, au sens où elle n'y est pas née et qu'elle n'y vit pas à l'année. Elle vient surtout pendant les festivals -soit à chaque vacance scolaire. Elle vit à Lille. Dans les deux villes, elle partage sa vie et son foyer avec Fabrice Vieira. Ainsi, elle n'est pas vraiment en dedans, du village, de la vie quotidienne de la structure. Mais elle n'est pas non plus totalement en dehors comme une invitée appelée de temps à autre. Comme d'autres, elle peut être force de proposition d'une création, d'une idée :

Comment je m'y rêve en fait, j'aimerais qu'on me qualifie d'artiste associée. [...1 Ça serait quelqu'un, qui a un pied dedans, un pied dehors. [...1 Ce qui est pour moi une position absolument idéale, parce que j'ai ma vie ailleurs, une vie ailleurs, enfin une activité professionnelle, et que j'apporte de l'extérieur, ce que... la légitimité que je vais chercher ailleurs, le travail que je fournis ailleurs, les choses que j'invente ailleurs225.

La jeune femme affirme son désir de cette situation qui lui permet de rester active dans ses réseaux personnels, tout en bénéficiant de ce que peut être Uzeste pour elle : un lieu « de nourriture », de prise de risque sans danger, « un labo ». Il est intéressant de voir comment elle raccroche l'intérêt qu'elle peut être pour Uzeste par la légitimité qu'elle va « chercher ailleurs ». Pourtant, le travail qu'elle fait à Uzeste, les découvertes, lui permettent d'être plus légitime à proposer des formes improvisées, aux yeux des programmateurs de l'extérieur. Elle en est bien consciente, puisque son site met en valeur son travail avec la Cie Lubat. En adoptant ce système intermédiaire, cette position dehors/dedans, Juliette Kapla se laisse la possibilité de venir et de repartir. C'est-à-dire qu'elle reste indépendante du réseau d'Uzeste Musical.

2.2.1.2. Rester indépendante, une question de survie

Lorsque je lui demande si elle a déjà craint de dépendre du réseau d'un compagnon, la réponse est immédiate : « Oui. Totalement226 ». Cette crainte n'est pas due à une paranoïa non-avenue. La chercheuse Marie Buscatto, explique les enjeux pour une musicienne de jazz d'être en couple avec un homme du métier. Etre en couple avec un homme ayant une influence dans le secteur culturel (musicien, programmateur, directeur, agent...) peut avoir un effet de mise en dépendance vis-à-vis de celui-ci. Le réseau lui appartient souvent, par affinité, ancienneté ou autre. Si cette inclusion de la musicienne dans le réseau du conjoint permet une évolution plus

225 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.158.

226 Ibid., p.155.

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rapide, il n'en reste plus grand-chose lorsque le couple se brise227. Ce sentiment entre la chance de pratiquer et la peur de l'échéance est connu de l'artiste, plus dans le domaine musical que théâtral : « Je l'ai vécu, il y a longtemps. Au tout début de ma vie de chanteuse ». Elle continue : « Et... et j'ai travaillé pourtant à prendre les réseaux moi-même. C'est à dire à prendre la tête des choses. J'ai un fort besoin d'indépendance, ça c'est dans mon tempérament ». Cette indépendance est pour elle « une question de survie », et particulièrement l'indépendance vis-à-vis du conjoint228. Dans son cas, il y a une crainte d'autant plus forte qu'une mauvaise expérience du couple professionnel a déjà été vécue. L'histoire à laquelle elle fait référence renvoie au travail qu'elle a mené au début de sa professionnalisation avec son ex-compagnon. Elle écrivait ses textes et les chantait, lui l'accompagnait à la guitare, et plusieurs fois des spectacteurs?trices lui ont demandé si c'était lui l'auteur229. Si le paradigme de base fait que le texte, le mot d'esprit se place du côté de l'homme, alors l'écrivaine-musicienne qu'est Juliette Kapla est dépossédée symboliquement de son travail. Un·e programmateur·trice peut demander la carte de visite du musicien pensant avoir affaire à la plume du duo, et Juliette passerait à côté d'opportunités. Ceci est spéculatif. Il serait difficile de le démontrer de manière chiffrée, mais la théorie reste néanmoins réaliste. Il faut pouvoir se protéger de cette incompétence supposée en étant directement au contact des réseaux. Cette méthode n'est pas scientifiquement démontrée plus productive, par contre, elle assure une indépendance indéniable à l'artiste.

2.2.1.3. « Sexuellement rattachée à Uzeste »

Lorsque j'aborde le sujet du couple vis-à-vis de Fabrice Vieira, je comprends que ce leadership, qu'elle possède sur sa production depuis son début de carrière, n'est pas mis en péril par cette relation amoureuse avec un musicien : « L'amour est très important mais le boulot est très important aussi. Et je ne mets jam... Je ne fais jamais de choix anti-professionnel pour le servir lui, ou pour servir le couple, une idée du couple ». Cette règle est partagée, preuve d'une conscience du danger professionnel : « D'ailleurs il me l'a interdit formellement, plusieurs fois. Et ... je pense lui avoir interdit aussi plusieurs fois230 ». Quand elle reprend ses mots «le couple », pour les transformer en « une idée du couple », on comprend bien qu'il est question de déconstruire le modèle traditionnel du couple, déconstruire le traditionnel beau geste du sacrifice personnel du happy ending. L'éloignement de ce couple paraît alors plus

227 BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », art.cit., p. 99.

228 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.155.

229 Ibid., p.163. 230Ibid., p.160.

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compréhensible. Ils préservent tous deux les milieux professionnels qu'ils se sont construits en introduisant par touche, la couleur de l'autre : « Mais bien sûr je dois reconnaître que, la chance que j'ai de participer aux choses qui se passent à Uzeste Musical, c'est parce que j'ai rencontré Fabrice Vieira, que je fais ça. ». Elle reconnaît aussi plus tard que, si ça se finissait vraiment mal en supposant que son conjoint voudrait l'évincer, sa position à Uzeste Musical le lui permettrait. Mais c'est aussi le cas, à l'inverse, des contrats trouvés à Lilles par Juliette pour une création en duo231. Le développement de réseaux personnels des deux individualités de ce couple, leur permet de ne pas être dépendants du réseau de l'autre, tout en faisant fonctionner leurs réseaux respectifs pour l'autre.

Ce lien de couple entre un homme fondamentalement rattaché à Uzeste et une femme qui en est plus extérieure nous concerne toutes les deux. Nous avons cherché en vain un contre-exemple, celui d'un homme amené conjugalement par un homme ou une femme originaire d'Uzeste. Juliette Kapla pousse plus loin : « Oui, puisqu'on n'a pas, en fait, de femme qui gravite autour de la Compagnie Lubat qui ne soit pas associée... sexuellement, à quelqu'un qui est déjà associé à la Compagnie Lubat232 ». Elle associe justement à cette observation, un sentiment d'illégitimité : « C'est une des raisons pour lesquelles on ne s'estime pas légitime. Par ce qu'on arrive toujours grâce à quelqu'un, par l'entremise de quelqu'un et en seconde de quelqu'un». Lorsque j'ai questionné Bernard Lubat à propos de la première affirmation, il lui est évident que non, les femmes venant à Uzeste ne sont pas toutes « liées à une personne de l'équipe ». Mais il prend pour exemple « des gens du bureau, des attachées de presse...233 » qui appartiennent à une époque d'Uzeste Musical que je n'ai pas pu connaître, hors de la photographie actuelle faite ici. Cependant, le propos de Juliette Kapla est néanmoins à nuancer au sens où des jeunes femmes fortement impliquées dans la structure ont bien un lien avec un homme fondateur, mais un lien filial : Margot Auzier avec Patrick Auzier ou Diane et Raphaëlle Camus avec Bernard Lubat, et que leurs mères, Myriam Roubinet et Martine Bois sont aussi impliqués à Uzeste234. Leur affiliation à la structure est la même que celle de Louis Lubat ou Jules Rousseau qui sont à la fois apparentés à un membre de la structure et salariés. Pourquoi Juliette Kapla a eu ce ressenti, qui m'a paru logique sur le moment ? Surement parce que le sujet du débat était les réseaux professionnels partagés en tant que couple, ce qui occulte les précédemment citées. Nous parlions d'Uzeste Musical à l'année ce qui élimine les artistes

231 Ibid., p.155 et 157.

232 Ibid., p.156.

233Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.138.

234 Pour mieux comprendre les liens de parentés à Uzeste Musical : Annexe 2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical

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présentes uniquement aux festivals. Les femmes qui gravitent autour d'Uzeste seraient donc Martine Amanieu, Martine Bois, Sylvie Gravagna, Laure Duthilleul et Juliette Kapla, qui sont ou ont été sentimentalement liées à un acteur d'Uzeste Musical, même si elles ne sont pas forcément moins impliquées que le (ex-)conjoint. Il se trouve que lors du festival d'hiver, durant lequel a eu lieu l'entretien, Juliette Kapla, Camille Georges et moi-même avions chacune une tâche artistique et sommes toutes les trois en couple avec un membre de la Cie Lubat. La mémoire immédiate a pu augmenter l'impression d'absence de femmes personnellement et intimement reliées à Uzeste. Par contre, il est difficile de trouver des hommes avec cette problématique d'un intermédiaire sentimental ; et peu d'hommes sont moins impliqués dans le projet que leur compagne. De plus, les Gojats* rassemble sept jeunes hommes d'une vingtaine d'années souvent sur scène, ce qui augmente cette sensation de déséquilibre.

A Uzeste, l'observation est donc biaisée par l'omniprésence des liens de parenté et sentimentaux. Mais dans les propos de la chanteuse lilloise, il y a un épuisement de cette situation : « on arrive toujours grâce à quelqu'un ». L'adverbe indique que cette configuration n'est pas exceptionnelle aux yeux de la musicienne venant du jazz, et donc habituée aux groupes de potes, où les filles sont généralement amenées par le conjoint. Et ceci renforce un sentiment d'illégitimité déjà prégnant.

2.2.2. UN VECU DE CHANTEUSE

Puisque longtemps je n'ai travaillé qu'avec des hommes. Et j'étais donc la chanteuse, l'écrivain, ou la fille qui trouvait des plans ou tout ça en même temps. D'ailleurs souvent tout ça en même temps235.

Ce témoignage ancre Juliette Kapla dans le vécu classique d'une chanteuse de jazz décrit en première partie. Dès son apprentissage artistique, elle a cumulé les pratiques de théâtre et de chant. Même si les cours ne croisaient ces disciplines, elle a su rapidement mêler les deux. Déjà avant de découvrir Uzeste, elle écrivait des textes avec des jeux de langage qu'elle chantait et mettait en scène de manière théâtralisée.

Ce que j'ai trouvé c'est un, une niche où il n'y avait pas trop, où j'étais à la croisée des chemins et où ça n'était pas spécifiquement féminin ou masculin. C'est à dire que, par exemple j'ai monté un solo, dans ce solo, j'ai écrit le texte, j'ai fait la mise en scène. [...] Je touche aux domaines masculins et féminins236.

235 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.165. 236Ibid., p.163.

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Son regard est aiguisé aux questions de genre. Elle reconnaît, à Uzeste comme ailleurs, le jugement qui peut être fait d'elle comme chanteuse.

2.2.2.1. L'incompétence préjugée

Il est intéressant de l'entendre témoigner du fait que, spontanément, les publics ne la pensent pas auteure :

Je suis à la fois la chanteuse, et puis l'auteure. Mais on m'a demandé souvent qui avait écrit mon texte. [...] Parce qu'en fait quand j'ai commencé à chanter, j'écrivais mes textes. Et, les gens, croyaient, ah «les gens» tu sais! Les gens croyaient très souvent que c'était le guitariste avec lequel je travaillais qui avait écrit les textes. Et ça c'est ! Voilà, la virilité, c'est l'intellect. Du côté de l'homme est l'intellect. La puissance c'est le texte. [...] Moi, je, j'avais ma p'tite voix, j'savais pas super bien chanter à mon avis. J'avais ma personnalité, ma gestuelle, mon truc. Mais on me disait : « Dis donc, ils sont vraiment bien tes textes. C'est lui qui les écrit hein, c'est ça ? » ou « Qui est-ce qui les écrit ? ». Et, à la fois je jouissais de dire: « Mais c'est moi.» Et à la fois, j'étais, je pleurais de devoir dire que c'était moi237.

Dans le souvenir de Juliette Kapla, ses textes étaient attribués au guitariste qui ne les interprètait pourtant pas. Que des personnes lui demandent en sortant de scène de qui sont ses textes, en pensant reconnaître un·e auteur·e déjà lu?e, est une chose, lui demander si c'est le guitariste qui écrit ses textes, c'est le supposer lui auteur. Sachant que c'est elle qui les interprétait, n'était-elle pas censé être la première auteure logique ? Il est impossible ici de quantifier le ratio de personnes présumant le guitariste ou un·e auteur·e externe, mais la spontanéité de cette remarque montre qu'en tant que chanteuse, elle peut être présumée incapable. Elle analyse cet état de fait très justement en faisant appel aux symboliques historiques qui met l'auteur et particulièrement le bon auteur au masculin238.

Lorsqu'elle chante dans un groupe de Bebop, c'est sa capacité à improviser qui est remise en question :

Et moi je me suis entendue dire... Euh, très exactement; «Tu ne peux pas improviser, car tu ne sais pas improviser. Tu improviseras quand tu sauras improviser»... Donc j'ai cessé d'essayer d'improviser puisque je n'étais pas légitime. Et là, je pense que bien sûr, j'avais pas d'instruments j'étais chanteuse, donc les chanteurs, ils ne savent pas improviser, les chanteurs, ils ont pas de culture musicale, les chanteurs-ci, les chanteurs-là... Et résultat, j'ai été coincée, mais à mort! Et je suis toujours ultra-complexée239.

237 Ibid.

238 1.2. Constructions historiques et mythiques de genre en art.

239 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.152.

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Ici elle fait directement le lien avec la réputation de la chanteuse qui se distingue par ses incompétences musicales 240 . Cette mauvaise considération entraine forcément des comportements particuliers à l'égard des chanteur·ses. Même s'il s'agit d'un groupe en particulier, d'un fait particulier, il est possible de réfléchir cette réaction comme un phénomène macrosocial de mise en marge des chanteur·ses des codes, des jeux des instrumentistes. Cette remarque, aussi parce qu'elle se situe au début de sa carrière, affecte assez Juliette pour qu'elle se sente illégitime d'exercer une activité pour laquelle elle ne s'était pas posé la question en essayant.

Ce vécu de l'incompétence supposée n'est pas spécifique à la représentation artistique. Kapla témoigne d'une anecdote répétée du responsable du théâtre qui supposait que la personne en charge de l'administration, des chiffres était Claire Bellamy. Claire Bellamy est une contrebassiste qui joue en duo avec Juliette Kapla. La contrebasse est un instrument très connoté pour le genre puisque, par sa forme, il suppose un corps de femme, qui, par hétérocentrisme, laisse croire qu'il se joue par des hommes. De plus, la contrebasse produit un son grave, demande une certaine force et ne brille pas par sa douceur ou sa légèreté ; en somme dans les conceptions classiques du genre, c'est un instrument joué au masculin. De plus, Juliette la décrit plus masculine physiquement : « elle est plus brune que moi, elle a plus de sourcils que moi, elle a un visage plus découpé que le mien. » et moralement : « elle a l'air plus rentre-dedans, plus, donc plus masculine ». Mais rien ne suppose, a priori, que Claire Bellamy s'occupe de l'administration ou du financier pour le duo, d'une part parce que c'est Juliette Kapla qui s'en charge, et d'autre part, parce que c'est aussi cette dernière qui était en contact avec les salles. Qu'est-ce qui peut laisser penser aux responsables en question, que Juliette n'est pas leur interlocutrice pour les questions de contrats, si ce n'est le fait qu'une chanteuse est présupposée incapable et que l'autre personne, plus masculine, correspond mieux à la représentation de la business-woman.

Il se trouve que Juliette Kapla, aujourd'hui, analyse la situation et peut la comprendre au prisme du genre. Il est pourtant lisible dans ses mots, que le gestus social, le comportement général du milieu, l'a atteinte et a remis sa légitimité en doute. Mais une chanteuse prise dans ces mêmes situations, supposée artistiquement et administrativement incapable, peut l'interpréter comme une incompétence à chanter ou travailler avec les chiffres. Le danger ici est de remettre en question les compétences de la personne au lieu de remettre en question les compétences préjugées à son métier.

240 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit.

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2.2.2.2. La bagarre et le groupe de potes

Lorsque je questionne Juliette Kapla sur son vécu en parallèle d'un constat de Marie Buscatto que je formule ainsi : « les chanteuses de jazz, justement, ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente, sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux241 », voici le souvenir qui vient aux lèvres de Juliette :

J'ai le souvenir avec les mêmes gens, qui étaient plutôt mes potes hein, pourtant, `fin même carrément, de m'être bagarrée en disant: «-Là, je ne m'entends pas, on ne m'entend pas. On va monter le son de la voix. -T'as qu'à chanter plus fort ! » Et là, pour moi c'est complètement absurde ! C'est à dire y a une guitare qui est amplifiée, y a une batterie qui joue fort et une basse qui est amplifiée. Moi j'ai un petit micro et on me dit : « T'as qu'à chanter plus fort». Pour moi, le sous discours, si j'interprète un tout petit peu, c'est : «T'as qu'à avoir une plus grosse bite, connasse.» Tu vois. C'est limite ça. Bon ça t'es pas obligé de le reproduire dans l'entretien si jamais ça se produisait mais, tu vois, c'est limite « T'as qu'à avoir plus de gros muscles. Moi j'ai des gros muscles. j'te bats au bras de fer. Tant pis pour ta gueule.» Je l'ai perçu directement comme ça à l'époque242.

La situation est simple : la chanteuse n'est pas audible, la solution est tout aussi simple : augmenter le son de son micro. Pourtant, il lui est renvoyé, non pas une solution artistique ou technique, mais une accusation de son instrument, la voix, comme insuffisant, moindre. Au-delà du manque d'attention pour un instrument de l'ensemble, c'est le manque de solidarité qui est frappant : « t'as qu'à », comme un « tu n'avais qu'à naître riche », « tu n'avais pas qu'à pas être malade », « tu n'as qu'à » est un « c'est ton problème » qui tend à être perçu comme un « c'est de ta faute ». S'ajoute à la violence de ne pas être soutenue par l'équipe dont Juliette Kapla faisait partie, l'aspect sentimental du groupe de potes. Comment un sujet qui est mis en difficulté par une équipe d'amis peut se révolter, construire une critique sans risquer sa place ? Une place qui est, de plus, difficile à acquérir en tant que marginale, en tant que chanteuse entre des instrumentistes. Il faut ajouter que le fait qu'un instrumentiste impose ce jugement comme une réponse spontanée, montre qu'il se sent légitime à décider pour la chanteuse. Il y a donc un rapport de domination du groupe, mais aussi des instrumentistes individuellement vis-à-vis de la chanteuse supposée secondaire.

La faible considération pour les chanteuses de jazz a aidé Kapla à devenir une chanteuse « d'autre chose que de jazz ». Mélangeant théâtre et chant, cette artiste a travaillé des formes loin de la « chanteuse sexy ». Pourtant, encore aujourd'hui elle reçoit beaucoup de retours la décrivant comme « artiste féminine ».

241 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art..cit., p. 52.

242 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.154.

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2.2.3. UN ENGAGEMENT FEMINISTE, SE DETACHER DE « L'ARTISTE FEMININE »

2.2.3.1. Un militantisme de la sphère privée

L'engagement personnel de Juliette Kapla sur le plan féministe est clair : « Le féminisme pour moi c'est une nécessité, euh, sociale », elle l'argumente comme « une action qu'il faut mener afin de s'approcher de cet idéal qui pour moi, est impossible à contester, qui est l'égalité entre les Hommes, en général, entre les humains en général243. ». Pourtant, la question de savoir si elle se conçoit comme une artiste féministe est plus ardue : « C'est pas un sujet. C'est pas dans mon contenu artistique. Ça peut être un sujet parmi d'autres dans mon contenu artistique, mais je ne revendique pas de faire un art féministe par contre. » Elle renchérit : « Et même je revendique le contraire. Je refuse que l'on me dise que je fais un art féminin ou féministe244. ». Lorsque je lui demande pourquoi, elle répond : « j'ai besoin comme féministe de me positionner comme artiste, avant de me positionner comme femme. Après, [...] Je sais que j'ai, malgré moi presque, des propos féministes, des choix féministes dans mes contenus245. ». Au début de l'entretien, elle tient fermement cette position. Elle affirme un militantisme sur le plan féministe, pas d'actions avec un groupe féministe mais « [elle] parle beaucoup de ça et aux hommes et aux femmes. Et ça [lui] semble déjà être du militantisme246. ». Le discours privé est donc une arme de son militantisme féminisme. Elle met ceci en opposition à un militantisme artistique, donc public, qui passe par des formes de spectacles non normées, et une attention aux réseaux de diffusion avec lesquels elle travaille. On retrouve ici la dichotomie bourdieusienne entre la sphère privée et la sphère publique247. Ce qui concerne les femmes reste dans le champ privé, le politique intervient sur scène, dans l'espace public. Pourtant, en creusant un peu, l'engagement féministe de Juliette Kapla n'est pas si réduit : « j'estime qu'il est de mon devoir de pratiquer, par exemple mon action pédagogique comme je la pratique c'est à dire dans un grand sérieux subversif et [...] de mettre souvent sur le tapis la question du féminisme248 » et plus tard : « Je pense qu'en effet, je produis un art féministe en partie. Contrairement à ce que j'ai dit au début de cet entretien. De fait, mon art est forcément, comme je te disais, à la fois

243 Ibid., p.160.

244 Ibid., p.148.

245 Ibid.

246 Ibid. p.146.

247 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, op.cit., p.82 : « Les « attentes collectives » [...] sont inscrites dans la physionomie de l'environnement familier, sous la forme de l'opposition entre l'univers public, masculin, et les mondes privés, féminins, entre la place publique (ou la rue, lieu de tous les dangers) et la maison [...] »

248 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.147.

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gauchiste et à la fois féministe249 ». La prise de parole sur des questions féministes dans ses cours indique que le discours féministe de Kapla ne s'arrête pas à la sphère privée. Il est intéressant de comprendre cette évolution au cours de l'entretien du « Je refuse que l'on me dise que je fais un art féminin ou féministe » au «je produis un art féministe en partie ».

2.2.3.2. « Je ne suis pas une artiste féminine ou féministe »

La première réaction est une réaction de défense : « [J]e ne revendique pas », « je revendique le contraire », « je refuse que l'on me dise ». Par cette gradation, elle s'oppose à une étiquette qui peut lui être donnée : « Je refuse que l'on me dise que je fais un art féminin ou féministe.» C'est « féminin » qui vient en premier alors que cette notion n'était pas dans la question. Il y a donc un glissement qui est fait automatiquement, d'un mouvement politique à une identification arbitraire esthétique. Ce glissement ne semble pas logique, pourtant il l'est dans l'esprit de Juliette lorsqu'elle prononce ces mots. Au cours de l'entretien, l'artiste énonce plusieurs anecdotes où elle est renvoyée à un art féminin :

«Mais c'était très féminin ce que vous avez fait». Bon là j'ai sorti les griffes, les dents, tout ça, les lasers dans les yeux. Elle m'a dit: «Mais non, c'était très féminin parce que vous vous écoutiez beaucoup. [...] Mais encore une fois, voilà, on était des femmes, on était, on avait des énergies féminines, euh, des beautés féminines. On nous a parlé de notre aspect, de notre beauté, d'à quel point c'était chouette de voir trois belles femmes qui jouaient250.

Trois autres anecdotes du même ton reviennent dans l'entretien. La production qu'elle fait (en l'occurrence qu'elles font) est genrée dans des discours de certains publics. Et ce regard de la production artistique via le genre se fait d'autant plus douloureux qu'il semble affirmer le masculin comme neutre :

Il y a un défaut primaire. C'est exactement pour ça en fait que je... ça me met un peu en porte-à-faux, hein, je me sens un peu con parce que en effet, je devrais pouvoir revendiquer d'être une artiste féministe. Mais en fait voilà, je suis très gênée par le fait que dans les milieux où j'évolue en général hein, mais à Uzeste aussi, on me renvoie très souvent, quand je fais un spectacle, le fait que je suis une femme. C'est quelque chose qui revient très souvent sur le tapis. Alors que, pour en avoir discuté avec d'autres, évidemment je parle en leur nom, c'est pas très honnête, mais pour en avoir discuté, notamment avec Fabrice, euh, on ne lui renvoie jamais qu'il est un artiste-homme. On lui renvoie qu'il est un artiste251.

Lorsque l'on voit le statut des femmes-artistes dans l'histoire, être projeté?e dans cette catégorie semble plus être une malédiction à se battre contre une condition, qu'un compliment. « [U]ne

249 Ibid., p.160.

250 Ibid., p.162.

251 Ibid., p.149.

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artiste féminine, n'est pas neutre, elle se distingue. Et donc on va souligner le fait qu'elle est une femme. [...] Quelque chose me... quelque chose me tient prisonnière là-dedans !252 ».C'est là que le glissement s'opère. L'étiquette qui lui est imposée de « femme-artiste » au lieu d' « artiste » l'oblige à être méfiante des processus qui peuvent augmenter cette désignation, et notamment le fait de se revendiquer féministe:

Je ne veux pas poser comme préalable, d'être une artiste féministe parce que j'ai peur, euh, parce que j'ai besoin, en fait, d'une part j'ai peur que ce soit, que ça me condamne à n'être pas entendue. Et d'autre part, j'ai besoin de, d'afficher mon identité d'abord comme artiste de scène, puisque c'est essentiellement ça que je fais, avant que, avant qu'on me dise «Ah, mais tu es une femme qui fait quelque chose»253.

Peut-être aussi que les « attentes collectives254 » ne s'attendent pas à la présence d'un propos de femme sur scène, dans la sphère publique. Son propos ne peut alors pas être qu' « un propos », il se définit aussi par la locutrice « une femme », qui se remarque par son atypie rendant le propos transgressif malgré lui. Le même système est observable dans les médias : les propos des extrémistes de tous bords sont retransmis avec l'étiquette du locuteur, ce qui ne va pas nécessairement être le cas d'un locuteur considéré comme neutre ou objectif, même s'il est prouvable aujourd'hui qu'aucun point de vue n'est neutre255. Kapla insiste maintes fois sur cette stigmatisation en tant que femmes-artistes : « Donc on est vraiment suspecte, quand je dis «suspecte» c'est «suspect d'agression»...euh... suspecte d'agression ou de... ou de revendications, ou de méchanceté etc., etc.256 ». Sa citation fait parfaitement écho avec celle de l'artiste peintre Annette Messager, pour qui la « femme artiste est d'emblée suspecte [...] Quand la femme est artiste, une suspicion naît, soit de ce «sale féminisme» qui serait contre les hommes 257 ». Hyacinthe Ravet, en tant que scientifique, relève aussi ce rapport de concurrence258. Juliette pousse ses déductions jusqu'aux liens entre place de l'Artiste et place de La femme :

Donc on est perçue, parce qu'on fait une musique et qu'on a une attitude scénique assez virile, finalement, assez rentre dedans, même si on est très féminine. On est autonome, on est indépendante, on fait pas les...

252 Ibid., p.149.

253 Ibid., p.148.

254 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, op.cit., p.82. En disant cela, Pierre Bourdieu fait référence à deux penseurs : «Les « attentes collectives » comme aurait dit Marcel Mauss, ou, dans le langage de Max Weber, les « potentialités objectives », que les agents découvrent à chaque instant n'ont rien d'abstrait, ni de théorique, même si la science, pour les saisir, doit recourir à la statistique. »

255 Théorie du point de vue dans PUIG DE LA BELLACASA María, op.cit., pp.24-37.

256 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.150.

257 MESSAGER Annette, présentation d'une exposition consacrée à vingt-cinq ans de travaux de la « reine de la nuit de l'art français », Le Monde, 3 avril 1995, p.18, in PISTONE Danièle, « L'art et les femmes dans l'imaginaire social français. L'exemple des compositrices », in GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), op.cit., p.149.

258 LAUNAY Florence, art.cit., p. 41-63.

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on fait pas les... Je ne sais pas, je pense pas qu'on rentre dans les clichés, en tous cas de la «douce femme qui reste à sa place». On ne reste pas à notre place, on prend la place de l'artiste sur une scène. Et donc il nous est renvoyé, la plupart du temps, je dirai 98% du temps par des hommes, que, nous sommes donc en revendication féministe. Ou en revendication anti-hommes, ce qui, pour beaucoup, est la même chose. Et ça, ça m'embête vraiment beaucoup259.

Les travaux de Colette Pipon montrent comment l'amalgame s'est fait, dans les années 1970 entre « féminisme » et « misandrie* »260. A la difficulté d'assumer une pensée féministe, s'ajoute celle de devoir se justifier de ne pas être dans un rapport de confrontation des sexes, mais d'application d'un droit de représentation en tant qu'individu, homme ou femme, sur scène comme à l'hémicycle.

Fabienne Dumont et Séverine Sofio remarquent une tendance nationale des artistes à refuser d'être dites féministes, vivant cette appellation comme « un stigmate » 261 . Elles reconnaissent la complexité du double discours à mener entre la reconnaissance des compétences des femmes, la valorisation de leur représentation mais sans tomber dans un essentialisme du féminin ; et la nécessité de reconnaître les effets de la domination masculine dans le secteur culturel, comme facteur d'infériorisation des productions de femmes sur l'échelle des valeurs artistiques262 :

Le paradoxe auquel sont confrontées les théoriciennes féministes de l'art est, en fait, une manifestation du dilemme ordinaire du féminisme, puisqu'il leur faut simultanément, d'une part, revaloriser `le féminin' (c'est-à-dire l'identité d'artiste femme rendue singulière par le fait que l'appartenance au sexe féminin demeure un stigmate dans le monde de la pratique artistique) tout en luttant contre les préjugés misogynes qui sous-tendent encore le sens commun [...] et, d'autre part, mettre en avant le genre comme variable identitaire `construite' [...] donc évolutive et sur laquelle nous avons possibilité d'agir263.

Il s'agit de reconnaître une égalité des potentiels, tout en reconnaissant une inégalité des productions, dans le but de favoriser des politiques antidiscriminatoires et obtenir une égalité sur tous les plans.

Bernard Lubat s'insurge de ce conditionnement qui fait que là où c'est attendu, les femmes sur scène ne choquent pas : « C'était pas bien de voir une femme démonter le piano. [...] Qui chante une belle connerie, ou qui danse à la télé avec les trucs (geste pour indiquer les

259 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.150

260 PIPON Colette, Et on tuera tous les affreux le féminisme au risque de la misandrie, 1970-1980, Mémoire d'histoire, (sous.dir.) VIGNA Xavier et Philippe POIRRIER, Presses universitaires de Rennes, Rennes, coll. « Mnémosyne », 2013, p.14.

261 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit. p. 24.

262 POLLOCK Griselda, art.cit., pp. 45-69.

263 DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, art.cit., p. 36.

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plumes de cabaret), ça une femme... ça c'est accepté, hein264. ». Il s'agit d'espaces scéniques dans les deux cas, mais le premier est politique, le deuxième est incrusté dans du désir érotique, intime, le premier est considéré comme un art, l'autre fait débat avec le divertissement. Le défaut se trouve donc sur la scène politique. Et lorsque la scène est politique, comme à Uzeste, elle peut être réduite à la dimension érotique :

[Le copain d'une amie] lui a répondu : « -Ah mais tu sais comment j'suis moi, si y a trois belles gonzesses qui jouent, j'préfère aller à ça plutôt qu'aller voir sept barbus. » Et moi je l'ai mal pris. Ça me fait chier. J'croyais, peut-être avec raison d'ailleurs, il a, c'était surement une vanne, mais j'croyais que c'était vraiment par curiosité qu'il était venu nous voir. Voilà. Je crois ça. Toujours265.

On sent que cette remarque a mis en doute l'intérêt musical de sa création. Par le second degré potentiel, elle peut se persuader qu'il s'agit bien de curiosité et pas d'une envie érotico-lubrique. Néanmoins, l'assurance est fragilisée, à répétition, par ce genre de blague. Plus tôt, Juliette Kapla dépréciait son parcours : « ... j'peux pas dire « de ma carrière », de mon activité artistique266 ». La « carrière » suppose une volonté d'ascension professionnelle, ambition à laquelle elle n'est surement pas entraînée.

Lorsque Juliette Kapla fait entrer le genre comme facteur d'un sentiment ou non de légitimité, elle craint de «faire la victimisée, la gonzesse, tu vois, à tous les coins de phrases267 ». Les rôles de victimes féminines représentent une grande partie du répertoire théâtral268. Ils sont généralement associés aux femmes, aux « gonzesse[s] ». Et pourtant, il est dangereux de dire que le fait d'être une femme comprend le risque d'être victime d'un système de construction sociale qui produit un sentiment d'infériorité et par là, une infériorisation réelle. C'est dangereux car c'est risquer de s'enfermer dans l'image de la victime, sans forcément poser la question de l'oppression. Il n'y a pas de coupable précis, mais un ensemble d'éléments performatifs* produit par l'ensemble de la population.

Pour juger si une situation est équitable, il est intéressant d'inverser les rôles et observer si les effets sont les mêmes. Plusieurs fois, Kapla éprouve ce besoin de palper l'injustice :

[J]'ai beaucoup entendu parler par la suite de «comme c'était bien votre trio de filles». Je m'y attendais, je le savais. Moi-même je le dis des fois, je dis «notre trio de filles». Or, si Fabrice avait fait un trio avec deux mecs, [...], personne n'aurait dit: «Votre trio de garçons il était bien.» Voilà269.

264 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.137.

265 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.162.

266 Ibid. p.147.

267 Ibid. p.153.

268 PRAT Reine, op.cit., 2006, p.17.

269 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.150.

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Il faut réussir à dépasser l'instruction de l'identité de sexe, particulièrement lorsqu'un sexe est rendu visible par marginalité ou rareté alors que l'autre est perçu comme neutre. Discrimination positive ou négative, cette différence présupposée nous enclave dans des rôles.

La réputation négative qui accompagne son travail de chanteuse l'a amenée à être déconsidérée. Comme les musiciennes de l'enquête de Marie Buscatto, elle a pu se sentir dans une lutte permanente pour s'affirmer dans des groupes de musiciens, qu'aujourd'hui elle ne fréquente plus. Juliette Kapla, comme les artistes de la Cie Lubat, a très tôt croisé les arts et les pratiques, qu'elles soient considérées masculines ou féminines. Néanmoins, elle est régulièrement distinguée de ses collègues comme étant une artiste féminine. Bien visible dans sa robe rouge, elle est perçue comme l'Autre, en opposition au neutre. Avec cette particularité, elle craint d'être suspectée de misandrie si elle affirme un discours féministe sur scène, ou du moins d'être encore plus enfermée dans la catégorie femmes-artistes, et non pas artistes. Ainsi, Juliette Kapla revendique de ne pas faire faire du féminin ou du féminisme sur scène, même si elle cherche à proposer des formes qui vont à l'encontre des schémas traditionnels de la domination masculine.

2.3. FABRICE VIEIRA - L'OPTIMISTE

Nous avons dû plusieurs fois reporter notre rendez-vous. Fabrice Vieira est très occupé mais sait se rendre disponible. Le téléphone resta à côté de nous, au cas où... Il faut dire que c'est un homme trois-en-un : technique, administration et scène, il cumule les responsabilités. Fabrice Vieira est au point de jonction entre Juliette Kapla et Bernard Lubat, entre la scène et les coulisses, entre l'engagement féministe de Juliette et la position de décideur de Bernard. Il est aussi, entre les générations de Bernard Lubat et des enfants d'Uzeste. Symbolique carrefour, son portrait est à la croisée des discours de chacun. Il exprime une vocation à la fois militante et artistique. Il connait les reliefs très inégaux du paysage culturel mais reste optimiste quant à l'avenir. Croiser les discours à travers son portrait nous amènera à réfléchir aux politiques féministes envisageables à Uzeste.

2.3.1. VOCATION DE MILITANT MULTIFORME 2.3.1.1. L'expression de la vocation

Entre investissement total et appel professionnel, Fabrice Vieira répond au modèle de la vocation, selon Séverine Sofio. Elle détermine la vocation artistique comme un appel vers la

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pratique de l'art, qui réclame un investissement total de l'individu270. Fabrice exprime cet appel, sa « volonté d'être artiste » comme étant lié à Uzeste. A 13 ans, il a rencontré la Cie Lubat en étant choriste à Paris : « Et là je suis tombé amoureux, en tout cas cette musique-là m'a secoué, et elle a changé absolument tout271 ». Un amour qui l'a amené à travailler comme bénévole les étés, et la compagnie le faisait jouer dans les bals en région parisienne.

Son récit de vocation est plus ancré dans des réalités professionnelles que celui de Bernard Lubat qui semble poussé par le destin : « Même si j'avais pas encore décidé d'être artiste à ce moment-là, ça a toujours guidé mon parcours comme un exemple que, de toutes façons, je voudrais suivre, dans cette capacité à créer un lien social, un environnement, un labo, et en plus essayer de peser sur la société, sur ces choix militants de la société272. » Son choix fut politique avant d'être artistique. Dans ses mots, l'artistique semble ici un moyen, une profession comme une autre, au profit de ses désirs socio-politiques.

Les ethnologues Stéphanie Mirouse et Nadine Haschar-Noé273 décryptent, dans leur article sur la vocation artistique et la rationalisation du travail, l'importance plus ou moins forte du lien entre vie privée et vie sociale dans une compagnie de danse. Elles remarquent que les personnes ayant leur vie privée mêlée à leur vie professionnelle s'investissent plus dans leur vie professionnelle. Le cas extrême serait les familles de cirque où il n'y a pas de distance entre les deux. De mon observation, pour Bernard Lubat et Fabrice Vieira, qui sont les seuls artistes vivant à l'année à Uzeste, le Théâtre Amusicien semble être une résidence secondaire. Le travail s'insère dans l'espace domestique, et inversement. Toujours disponible, ne comptant pas ses heures et répondant à une envie profonde d'être artiste « dans la société », Fabrice Vieira recoupe l'éthos professionnel défini par Nathalie Lapeyre et Magali Robelet comme « les manières de faire et de penser propres à un groupe professionnel donné274 ».

2.3.1.2. Militant du travail multiforme

Fabrice Vieira se définit comme « militant du travail »..275 Il conçoit le travail comme multiforme, pluriel. Néanmoins, comme pour les autres Uzestois interrogés, l'artistique reste au centre, il demeure l'essence et l'essentiel. Cette conception de l'art comme coeur de la

270 SOFIO Séverine, art.cit., p. 35.

271 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.171.

272 Idid.

273 MIROUSE Stéphanie & Nadine HASCHAR-NOE, « Vocation artistique et rationalisation du travail : ethnographie d'une compagnie de Danse contemporaine », in Revue sciences sociales et sport, n°3, juin 2010, pp 77-106.

274 LAPEYRE Nathalie & ROBELET Magali, « Les mutation des modes d'organisation du travail au regard de la féminisation. L'expérience des jeunes médecins généralistes », in GUILLAUME Cécile, op.cit., pp.20-21.

275 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.170.

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structure pose, symboliquement, les tâches artistiques plus hautes sur une échelle de valeurs que des tâches administratives ou techniques. Ce qui est intéressant avec Vieira, c'est qu'il cumule des tâches différemment valorisées :

J'ai un peu, en 20 ans, balayé un nombre incalculable de places. Du strapontin à la technique, à tout un tas de choses. Mais par choix! [...] Donc ma place de maintenant elle est un peu faite de toutes ces places-là. C'est à dire comme j'ai balayé un peu, un... beaucoup nombre de places, je me retrouve un peu, dans un endroit que j'avais pas prévu, de responsabilités autant administratives, que techniques.276.

Ainsi, il rend son poste hors hiérarchie de valeurs, mais aussi hors de la binarité primaire des genres masculin et féminin.

Ce travail multiple produit aussi de la richesse : « Mais c'est un peu toutes ces contradictions et en même temps, toutes ces diversités qui s'affrontent... dans ma place ». Des « diversités » et « contradictions » peuvent se créer une dynamique d'apprentissages et d'initiatives plus importante que dans un travail monotone. L'aspect multiple du travail à Uzeste revient régulièrement dans les propos de Louis Lubat et Jaime Chao, expliquant la richesse de pouvoir passer de la console lumière à l'instrument. Bernard Lubat aussi, plus poétiquement : « Ma place à Uzeste c'est des places, déplacées. Ma place ». S'il est vrai que les artistes d'Uzeste s'emparent d'une diversité de postes, c'est moins le cas de Martine Bois, chargée de communication. Selon les techniciens qui investissent le lieu, ils proposent des créations lumières ou non. Les personnes qui ne sont pas artistes à Uzeste n'ont pas, actuellement, des postes aussi multiformes que ceux des artistes. Mais elles peuvent être force de proposition comme Diane Camus, trois ans chargée de production, qui a présenté en 2015 une conférence sur l'architecture en milieu rural. Pour Vieira, il s'agit de « trouver sa place sociale », en pouvant toujours la faire muer.

Geneviève Fraisse, lors d'une conférence277, présentait une thèse intéressante : c'est le système éducatif qui fait que, de ceux qui sont considéré?es comme ne pouvant pas suivre le lycée général, les garçons vont en mécanique et les filles en secrétariat. Les stéréotypes sont un facteur de sexuation des parcours, mais c'est le système de spécialisation qui oblige à entrer dans ces parcours. Dans la même idée, les comportements de pinkification (jouets roses et d'activités domestiques pour les filles, jouets d'autres couleurs et d'aventure pour les garçons) sont produits par le marché, pas par les stéréotypes. Je fais donc une analogie, en pensant que

276 Ibid.

277 FRAISSE Geneviève & Marlène COULOMB, Rencontre autour de l'ouvrage de FRAISSE Geneviève, Les excès du genre: concept, image, nudité, op.cit, Librairie Ombres Blanches, 10 avril 2015.

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ce ne sont pas les stéréotypes de genre qui nous maintiennent dans des ségrégations verticales et horizontales, mais les systèmes d'horizontalités et de verticalités professionnelles. Si la spécialisation des tâches est remise en question, alors la répartition inégale des tâches n'aura plus lieu d'être. Ceci suppose une envie profonde des répartitions des pouvoirs, et l'abolition des privilèges. C'est aussi se permettre d'imaginer une éducation à la collectivité, où, si les tâches doivent être réparties, un roulement permet un équilibre entre les individus et la valeur des tâches qu'ils accomplissent.

2.3.2. CONSCIENT ET OPTIMISTE

Fabrice Vieira a conscience des inégalités existantes. Comme Lubat et Kapla, il connaît les paysages inégaux des directions d'institutions, des cours de danse et des groupes de musique. Il observe aussi le phénomène de double standard :

J'ai l'impression que la femme des fois est plus attendue au tournant que les hommes. Les hommes peuvent se permettre plus de libertés artistiques. Alors que, même, on est au coeur d'un projet qui revendique l'improvisation et une forme de liberté. Quand je disais que le public est bienveillant, c'est vrai, le public est bienveillant, mais quand même, je pense qu'il est, si y a un degré à trouver, plus bienveillant avec les garçons en général qu'avec les femmes278.

En opposant « la femme » au pluriel « des hommes », Fabrice dit involontairement que la représentation d'une femme est perçue d'un point de vue essentialiste (attente d'une féminité, préjugé d'incompétence...) alors que celles des hommes sont abordées comme neutres, personnalisées par des individus-producteurs. Cette neutralité du masculin, qui relève plus de la normalité, affirme le canon culturel androcentré279, perçu par les publics, comme neutre et légitime. Mais en tant que programmateur, la question est de savoir si les publics ont raison ou si l'on veut leur faire goûter autre chose, et par là même, étendre le canon occidental280. « Il faut avoir le courage et l'opiniâtreté de présenter au spectateur ce qu'il ne sait pas qu'il désire » disait Jean Vilar...

Sur le fonctionnement interne de la structure, il reconnaît l'héritage d'un modèle sexué traditionnel :

Alors là je pense qu'on est toujours lié à l'histoire aussi d'un lieu et on hérite toujours d'une histoire et d'un lieu. Je pense que ce lieu... C'est deux personnes qui l'inventent au départ; Alban et Bernard, euh... "Alban et Bernard". Justement ! Alban et Marie [parents de Bernard Lubat et fondateur?trice de l'Estaminet]. Et que, comme dans toute histoire y a des choses qui s'installent. Eux, ce qu'ils avaient installé était peut-être

278 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p. 184.

279 POLLOCK Griselda, art.cit.

280 Projet proposé par POLLOCK Griselda, art.cit.

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un schéma qui existait, voilà où Marie s'est consacrée à la cuisine, à l'accueil des lieux, à l'épicerie, à beaucoup de choses, Alban il s'est... Il a donné une autre dimension, celle de la politique, de... Ils ont hérité aussi d'un fonctionnement, homme/femme qui existe assez classiquement, qu'ils ont essayé de bousculer à mon avis, mais qui... des fois t'as des choses qui sont plus fortes que toi. Et on est un peu héritiers de cette histoire-là 281.

Il voit le schéma traditionnel, il reconnaît sa reproduction dans le couple de Marie et Alban Lubat, et remarque son héritage aujourd'hui : « Et je trouve qu'à l'heure actuelle on retrouve un peu ce schéma, qu'on essaie d'interroger tout le temps ». Nous pouvons voir qu'il a conscience qu'il ne s'agit pas d'un rapport dominant/dominée, mais d'un modèle patriarcal intégré dans les mentalités de chacun?e : « y a quand même ce schéma aussi, qui est autant des hommes et des femmes, des fois la femme va directement aux choses telles qu'on pense qu'elle doit le faire etc. ». Face à ce constat, l'engagement militant est là, dans la volonté de s'émanciper d'une prison intégrée : « C'est là qu'il y a un combat qui est à mener [...] Il faut être vigilant pour qu'on réinterroge les vieux, les vieilles formes pour, pour, pour les interroger, pour voir si c'est vraiment un choix ou si on est en train de reproduire un modèle »282. Sa lucidité sur le sexisme intégré m'a interpellée : « je me sens troublé parce que... parce que c'est une situation qui me va aussi. », il explicite : « Si tu veux en tant que... je sais pas, quel enfant ou je sais pas quoi, mais, cette situation que je laisse des fois s'installer, aussi, personnellement, et que je ne le remets pas en branle. C'est là où je parle de vigilance ». 283

Féministe convaincu, l'espoir de Fabrice Vieira, pour le secteur musical, réside dans la formation :

Et dans la musique qu'on pratique nous, la formation s'est drôlement développée depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, y a un équilibre qui est en train de s'opérer, avec de nombreuses femmes qui, qui, qui trouvent leur place dans l'histoire de cette musique... jazz, improvisée, jazz et musiques improvisées quoi284.

Mais comme nous l'avons vu, l'équilibre dans les formations n'est pas l'unique problème. Les seuils d'élimination sont encore nombreux à parcourir après l'obtention d'un diplôme. De plus, les filles d'Uzeste (Lucie, Diane, Margot) ont pratiqué la musique étant enfant. Pourtant contrairement aux garçons elles n'ont pas continué, elles n'ont pas participé aux bals. Le groupe de potes est cité comme premier responsable par cette génération, les garçons ayant rapidement et spontanément joué entre eux.285 Mais il y a aussi le fait que les garçons aient «réclamé d'y

281 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.183.

282 Ibid., 184.

283 Ibid.

284 Ibid., p.173.

285 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p.202.

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aller286». Plus habitués au goût de l'aventure, ils ont désiré et demandé celle de la scène, se sentant suffisamment légitimes pour cette épreuve. Fabrice Vieira pose la légitimité au coeur du problème, avec l'envie de lutter contre les inégalités issues de ce phénomène: « Et pour moi le sujet central c'est la légitimité des êtres. Y a des moments où c'est la grande inégalité qu'il faut combattre, mais on peut combattre que par, justement, impulser de l'égalité 287 ».

Enfin, l'improvisation est pour Vieira un modèle beaucoup plus adapté à une évolution vers la parité que le jazz. Pour lui le jazz est enclavé dans un système de domination ou celui?celle qui dirige est à la fois la star, et celui?celle qui travaille le plus288. A l'inverse, il imagine, la possibilité d'inviter quatre hommes et quatre femmes à improviser musicalement sur le plateau. En tant que programmateur, l'improvisation peut permettre la rencontre d'artistes qui ne se connaissent pas. De telles rencontres pourraient être des opportunités, notamment pour les musiciennes, d'insérer des réseaux d'artistes. Mais ceux qui dirigent et animent Uzeste Musical, ayant peu de femmes artistes dans leur réseau, peuvent difficilement proposer ce genre d'action paritaire289.

Tou?te?s sont conscient?es des discriminations qui traversent le secteur culturel. Fabrice Vieira observe un sexisme intégré dans les pratiques uzestoises, de la production comme des publics. Néanmoins, tou?te?s produisent des discours valorisant l'égalité et la parité.

2.3.3. VERS UNE POLITIQUE FEMINISTE

Dans les exemples de femmes que Fabrice Vieira, Bernard Lubat et Juliette Kapla choisissent, dans leurs façons d'en parler, il y a l'assurance que les femmes peuvent autant que les hommes. Et donc la compréhension que la situation actuelle est phénomène construit, et non naturel. Tous se disent féministes. Sans hésiter. Juliette Kapla : « La question du féminisme. Je pense que c'est une question qui est hyper importante! ». Fabrice Vieira : « Moi je me sens autant féministe qu'une femme. Et je pense que je suis féminisme. Je suis pour l'égalité homme/femme [...] ». Bernard Lubat aussi : « Oui parce que je vois pas pourquoi y aurait, dans l'absolu y aurait le pouvoir de l'un sur l'autre quoi ». Fabrice Vieira, en accord avec Juliette Kapla, fait même preuve d'un état de révolte par rapport aux discriminations de genre :

286Louis LUBAT in, Ibid, p.207.

287 Entretien avec Fabrice VIEIRA, annexe 1.1.2.4, p.175.

288 Ibid. p.175.

289 Ibid., pp.178-179.

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C'est pas une question d'être féministe, c'est qu'à un moment donné tu traites un être humain comme ça ! C'est à dire, t'es dans un traitement de choses qui est complètement illégitime quoi290 .

Bernard Lubat reconnaît une responsabilité en tant qu'organisateur : « je fais ce que je peux par rapport à la société telle qu'elle se trouve. Je fais ce que je peux pour essayer de critiquer cette situation de disparités ». Dans ses actions, il a, par exemple, essayé de faire une place aux femmes artistes, en leur faisant une journée réservée. Il fut beaucoup critiqué par des féministes qui ont vu dans ce volontarisme, une stigmatisation. Il a cependant tenté de faire avancer la lutte à son échelle. Dans leur compréhension des rapports sociaux de sexes, le militant, le génie et la chanteuse semblent prêt?es pour la mise en place d'une réelle révolution des rapports sociaux de sexes. Jaime Chao voit aussi dans la nouvelle génération une envie de parité : « cette nouvelle génération, tu vois, elle a que le désir, à mon avis, que ça se passe ensemble291 ».

2.3.3.1. Discrimination et discrimination positive

Les réflexions sur les discriminations positives, ou affirmative actions, anime le débat du féminisme actuel. Reprenons le problème à la source, et différencions « discrimination » et « discrimination positive ». Jean-Michel Belorgey 292 résume très clairement la notion de discrimination, qui « peut résulter tout aussi bien du traitement différent de situations identiques que du traitement identique de situations incomparables293 ». Il y ajoute l'idée qu'elle s'opère à l'encontre de « celui qui est perçu comme différent ». Il ne précise pas envers quel modèle est pensée la différence. Pour moi il s'agit d'une différence par rapport au modèle intégré, qui peut donc valoriser ou discriminer la même personne selon la place convoitée. (Un grand costaud sera valorisé sur un poste de vigile, mais ce même physique peut le mettre en situation de handicap pour postuler pour une garde d'enfants en bas âge. La situation s'inverse avec une jeune femme, même ayant pratiqué un art martial.) Pour l'auteur, cette inégalité de correspondance aux canons installe les personnes dans des « situations incomparables ». Par conséquent, traiter ces situations de manière identique est de la discrimination -au sens négatif. La discrimination positive, en combinant les idées de Gwénaële Calvès294 et Jean-Michel

290 Ibid, p.182

291 Focus groupe avec Margot AUZIER, Louis LUBAT, Diane CAMUS, Jaime CHAO, annexe 1.2.1., p.198.

292 BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la différence? », VST - Vie sociale et traitements, 2007, vol. 95, no 3, p. 141.

293 Ibid., p.143.

294 CALVES Gwénaële, « Pour une analyse (vraiment) critique et la discrimination positive », Le Débat, 2001, vol. 117, no 5, p. 163.

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Belorgey295, serait alors un comportement qui prendrait en compte les différences face au canon (d'où le terme de « discrimination »), mais pour créer une égalité dans la situation (« positive ») :

De là le caractère fréquemment anachronique, voire surréaliste, du débat sur la discrimination positive, ou ceux qui se déclarent hostiles à la démarche méconnaissent souvent, du même coup, qu'il ne s'agit pas de savoir si on peut traiter différemment des personnes présentant des caractéristiques différentes, puisque la question est tranchée ; un traitement identique constitue une violation du principe d'égalité, un traitement inégal296.

Le principe est séduisant, il n'est plus question d'assurer l'égalité des chances au départ, mais à l'arrivée. La discrimination positive peut se pratiquer de manières diverses. Gwénaële Calvès insiste particulièrement sur la recherche d'outreach, c'est-à-dire de personnes qui ne se portent pas candidates, qui sortent du modèle attendu, pour détruire l'image du?de la candidat?e idéal?e. Mais ces politiques d'affirmative action doivent s'inscrire dans une volonté d'égalité et pas dans une démarche issue d'un sexisme bienveillant*.

2.3.3.1.1. Sexisme bienveillant

« Sexisme bienveillant » est un étrange oxymore qui permet de nuancer les formes de sexismes. Le sexisme hostile est aisément représentable, il est associé à des comportements de reproches et dévalorisation des femmes, particulièrement envers les féministes, précise Jacques-Philippe Leyens297. Pour lui, le sexisme bienveillant se base sur des stéréotypes dits « positifs » des femmes, mais respecte « un paternalisme condescendant envers une femme, qui complète l'homme en même temps qu'elle répond à ses besoins d'affectivité298 ». En d'autres termes, le sexisme bienveillant va tenir un double discours, à la fois de valorisation, et de ségrégation. Par exemple, insister sur la beauté d'une candidate à un entretien d'embauche la valorise sur une qualité considérée féminine, toute en la réduisant à ce stéréotype. Plus généralement, la galanterie est un exemple de sexisme bienveillant qui s'appuie sur l'idée de complémentarité entre le masculin et le féminin, entre la force et la faiblesse. En se basant sur

295 BELORGEY Jean-Michel, op.cit., p. 141.

296 Ibid., p. 143.

297 LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes ?: psychologie des racismes ordinaires, Wavre (Belgique), Mardaga, coll. « PSY, individus, groupes, cultures », 2012, p.105-127.

298 Ibid., p.105-127.

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les travaux de Glick et Fiske299, Leyens rapproche les deux formes de sexismes par leurs racines patriarcales.

A Uzeste, je n'ai jamais été témoin de sexisme hostile, ou du moins, pas depuis ma prise de position en tant qu'observatrice. Par contre, lors d'une résidence du parti Collectif300* au Théâtre Amusicien, je me suis personnellement sentie dans une situation de sexisme bienveillant. Pour l'exposition de la situation je est un objet. Il est aussi à préciser que cette expérience et son écriture ont été discutées en commun. Lors de cette résidence, donc, il s'est proposé un jeu improviser pour amener les musiciens à se confronter à d'autres arts : « solos avec comme consigne de ne pas savoir jouer de son instrument ». Dans le silence qui accompagne l'attente d'un?e volontaire sur scène, Jaime Chao me proposa de faire un duo. L'exercice pouvant être intéressant, j'accepta. Durant l'improvisation plus détaillée dans le carnet de bord301, Jaime installa un rapport de domination en ne se laissant pas être poreux face à mes propositions. A la fin, ayant eu l'impression d'avoir vécu un accompagnement et pas un duo, je lui fais part de cette remarque, qu'il affirme après un temps de réflexion. Il argumenta l'envie de m'aider en tant que « débutante en improvisation ». Jusqu'alors, cette expérience était vraiment vécue comme un sexisme bienveillant, puisque je n'étais pas plus débutante que d'autres -surtout sans instrument de musique-, par contre, j'étais la seule femme, non musicienne et non-bordelaise. Le deuxième argument fût plus éclairant, puisque c'était Louis Lubat, mon conjoint, qui avait sollicité Jaime pour faire un duo avec moi, craignant que je n'ose pas monter sur scène.

Cette situation n'était pas totalement du sexisme, au sens où elle n'était pas directement liée à mon genre. Mais indirectement, le genre était en question, laissant cette anecdote pertinente. Le genre entre ici en ligne de compte car : le fait d'être en couple avec un membre du collectif (comme la majorité des musiciennes de jazz avec un homme du milieu) a modifié une rencontre de travail, et parce que la musique (majoritairement jouée par des hommes) n'a pas installé un rapport d'égale à égale avec la danse (minoritairement représentée à Uzeste).

De cette observation immersive ressort la conscience des inégalités face à la situation : je suis en position de minorité, seule femme, seule non-musicienne, seule non-bordelaise. Le fait que Louis Lubat ait l'envie de pallier cette inégalité l'amène à une démarche de discrimination

299 Ces deux chercheurs ont créé le test Ambivalent Sexism Inventory (ASI), qui met en lumière ces différents sexismes, et leur importance dans différents pays. Ils remarquent d'ailleurs que les pays où le sexisme hostile est fort possèdent aussi un indice de sexisme bienveillant fort. D'après Leyens Jacques-Philippe, op.cit., p.105-127.

300 Le parti Collectif est une association créée par de jeunes artistes bordelais, à l'initiative de Los Gojats, groupe de sept jeunes hommes d'Uzeste.

301 Carnet de bord, Annexe 1.1.3, p.188-190.

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positive. Le problème est que cette envie d'égalité sociale s'est traduite en un assistanat artistique (accompagnement et pas duo), qui a dévalué l'échelle de valeur sur laquelle nous apprécions les propositions des un?es et des autres. Cet assistanat artistique était lisible par la relation de domination installé par Jaime. Il n'a pas cherché la confrontation artistique -dont parle Bernard Lubat comme une nécessité pour se découvrir de nouvelles limites en improvisation- car pour qu'il y ait cette confrontation, il aurait fallu une relation d'égal à égale. Si je défends l'argument de la discrimination positive, cette expérience m'a fait prendre conscience qu'une telle politique doit se faire avec l'ensemble des individus, et notamment avec les personnes traditionnellement discriminées. L'intérêt est qu'elles soient à l'initiative et actrices et non pas exclues de leur libération -en l'occurrence, libération du patriarcat. Considérer les femmes comme « à assister », sans mettre en place un contexte de discrimination positive comme chantier commun, les redessine comme faibles, incompétentes, et hors du politique. Sachant que le but est opposé, il est nécessaire d'inclure l'ensemble des individus dans ce débat pour une politique collective.

2.3.3.1.2. La question des quotas

Vient très rapidement, lorsque l'on parle de discrimination positive, l'idée des quotas. Dans le cas des inégalités de sexe, ce serait imposer 50% d'hommes et de femmes dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Mais plusieurs problèmes se posent. Si ce système se trouve particulièrement efficace pour faire évoluer les chiffres, les mentalités ne se légifèrent pas. Les femmes embauchées seraient d'autant plus considérées comme illégitimes, non-méritantes, ce qui renforceraient le canon du pouvoir masculin. Même Fabrice Vieira, qui approuve cette méthode sur des terrains politiques, ne peut pas s'empêcher d'avoir le discours commun en tête : « Le problème c'est que quand on parle de quotas j'ai l'impression qu'on parle de prendre la place ». Il met en lien cette opinion avec le fonctionnement très concurrentiel du secteur culturel :

Donc se pose très tôt, après la question de la compétitivité des uns et des autres, de la concurrence des uns et des autres par rapport à ça. Donc dès qu'on touche à cette histoire d'inégalité homme/femme qui a une influence directe sur la concurrence, t'actives tous les vieux démons puissance dix302.

Les secteurs, comme le bâtiment ou la médecine, qui observent une féminisation des professions sont dans une période où l'offre d'emploi est supérieure à la demande303. A

302 Entretien avec Fabrice VIEIRA, Annexe 1.1.2.4, p.185.

303 GALLIOZ Stéphanie, art.cit., pp.31-32.

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l'inverse, le secteur culturel est saturé d'offres, imposant de fait, une rude concurrence entre les candidat?es -tous échelons confondus. Les chiffres ne sont qu'un symptôme, il faut traiter la maladie et non pas la cacher.

'art304.

Louis, Fabrice et Bernard défendent une programmation basée sur un « vrai choix artistique », hors des considérations de sexes, genre, race... Par l'idée de « vrai » s'insère l'idée d'objectivité, mais l'échelle de valeur qui leur sert de grille d'appréciation est subjective, construite en continuité ou rupture avec des modèles historiques. Cette subjectivité peut être déplacée, changée. Le canon d'Uzeste Musical a déjà mué avec le temps, par exemple avec le désir de, non plus seulement croiser les arts, mais les fusionner. La remise en question des catégories artistiques a modifié les échelles de valeurs dans les années 1970. Il est donc possible d'envisager une avant-garde artistique qui irait au-delà des canons androcentrés construits par notre histoire de l

Les acteur?trices d'Uzeste Musical se disent féministes, et certaines actions démontrent que ce terrain est favorable à une politique féministe. L'échelle réduite de la structure peut permettre un débat collectif pour un travail d'équité. La répartition des tâches de la structure peuvent se réfléchir ensemble, dans le but d'équilibrer la valeur symbolique du travail fourni par chacun. Le débat collectif peut aussi permettre des temps de réflexion réguliers analysant des points problématiques et posant des objectifs. Un tel dispositif suppose une égalité dans la décision, incluant tout individu dans le mouvement de sa situation sociale et conférant à chacun une même légitimité à l'expression et à l'action.

2.3.4. FAIRE EVOLUER LE GENRE EN ART

Les représentations de masculinité et de féminité ont évolué à travers les siècles. Pour exemple, la danse sous l'Ancien Régime était un art masculin, sous Louis XIII, seuls les hommes peuvent interpréter les rôles, les femmes peuvent faire le corps de ballet. Alors qu'après les années 1830, avec le ballet romantique, la danse fut considérée comme féminine, alors que les hommes n'étaient plus que des faire-valoir, car la représentation de la danse était incompatible avec la représentation de la masculinité de cette époque. Masculinité et féminité ne sont donc pas immuables, mais fluctuent selon les paradigmes. Le genre attribué aux oeuvres est donc dépendant du paradigme à travers lequel elle a été produite, mais aussi et très

304 Définition et remise en question des canons culturels occidentaux : POLLOCK Griselda, art.cit.

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largement, du schème de réception. L'interprétation genrée des oeuvres peut évoluer avec la compréhension des genres des publics.

Dans ma grille d'entretien se trouve la question, « est-ce qu'il existe un art masculin ou féminin ? ». Les réponses divergent entre les uns et les autres. Bernard Lubat est le plus catégorique : « Oh ! Ça c'est du pipeau », mais d'autres répondent « non » : Margot Auzier, Jaime Chao, Diane Camus et Fabrice Vieira. Juliette Kapla et Louis Lubat par contre, furent un peu plus perplexes face à la question. Il?elle comprennent le sens mis dans les mots « masculin » et « féminin », mais les entendent comme des qualités assignées arbitrairement. Tous sont donc loin d'une vision essentialiste où les femmes produiraient du féminin et les hommes feraient du masculin. Muriel Plana définit comme théâtres féminins, les « créations de femmes ou d'hommes en quête, consciente ou inconsciente, dans une optique traditionaliste ou féministe essentialiste, d'une esthétique spécifiquement féminine305 ». En recherche de déconstruction des modèles, les artistes d'Uzeste Musical vont plus avoir tendance à chercher à s'éloigner des rôles traditionnels sur scène et donc à s'éloigner d'une production féminine ou masculine selon Plana.

La thèse de Brigitte Grésy306 peut pousser plus loin cette question d'art genré. Elle défend qu'il faut enlever toutes les étiquettes de genre et ne garder que ce qui tourne autour du corps. Pour elle, la reconnaissance de l'altérité sexuelle est importante dès la naissance, elle permet de reconnaître les différences liées à la reproduction. Mais au-delà de l'enjeu biologique, elle ne voit que les jeux des corps et des beautés. En ce sens, « tout ce qui est aptitudes, qualités, talents, doit cesser d'être genré?es ». Le caractère impératif de ses propos s'explicite par le désir d'égalité de l'auteure qui conçoit, derrière le fait de genrer, une mise en hiérarchie des genres et des personnes. Dans cet objectif d'égalité, elle définit deux moyens : valoriser ce qui a été genré féminin, tout en arrêtant de genrer le social. Il y a donc un intérêt féministe à ne pas genrer l'art307.

En poussant la question d'un art féministe, Juliette Kapla a cherché à séparer « femme » et « féminisme » : « Euh, je ne souhaite pas regarder l'art des femmes comme un art... forcément fait par des femmes ou forcément à revendication féministe ». Dans son argumentation, on retrouve la crainte de l'essentialisme contre lequel elle se bat dans son portrait : « Je ne souhaite pas ça parce que je trouve que c'est nous cantonner à une fonction, à un état, et quiconque est cantonné est inférieur». Mais une fois la garde baissée, comme Bernard Lubat et Fabrice Vieira,

305 PLANA Muriel, op.cit., p.295.

306 GRESY Brigitte, La vie en rose pour en découdre avec les stéréotypes, Paris, Albin Michel, 2014.

307 A propos de son livre La Vie en rose, op.cit., Grésy résume ses résultats : LES EDITIONS ALBIN MICHEL, La Vie en rose-Brigitte Grésy [en ligne], youtube, [https://www.youtube.com/ watch?v=NEZ5dWWJhh8], consulté le 10 juin 2015.

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elle voit dans le féminisme, un discours politique moteur possible. Sur la question d'art féministe, Muriel Plana définit le théâtre féministe :

Ce qu'on pourrait définir comme des « théâtres féministes », féminins ou non, produits par des femmes ou des hommes, [sont des théâtres] qui travaillent, consciemment ou non, à critiquer la domination masculine, les hiérarchies entre les genres, les inégalités entre les sexes et à défendre l'émancipation de la catégorie sexuelle des femmes308.

Dans leur propos sur scène, de manière explicite, les acteur?trices d'Uzeste Musical peuvent critiquer les rapports de domination, des comportements sexistes ou racistes. Avec humour même, les Gojats tentent de tourner en ridicule le fait qu'ils ne soient que des hommes sur scène. En ce sens, ils?elles sont amené?es à faire des propositions féministes.

Fabrice Vieira, en accumulant les postes, propose une forme modulable d'emploi. Il croise des fonctions différemment chargées de valeurs symboliques, comme la représentation artistique et les tâches administratives. Cette accumulation trouble la valeur globale, hiérarchique et genrée, de sa fonction. Comme les autres acteur?trices d'Uzeste Musical, Fabrice Vieira est informé des inégalités de genre dans le secteur culturel. L'engagement féministe de la structure s'observe dans certaines actions comme l'accueil des conférences du bureau pour l'égalité hommes/femmes de la CGT Gironde, ou des tentatives de discriminations positives (en réservant une journée du festival ou une page du programme pour des femmes artistes). La forme malléable du travail et l'engagement contre les inégalités sont des bases solides et pérennes pour un travail collectif d'évolution vers l'égalité. Dans ce même but égalitariste, garder des adjectifs politiques pour définir l'art comme « féministe » est intéressant en terme de revendications sociales, mais l'écueil de décrire un art comme « féminin » continue de genrer et donc de hiérarchiser le social.

Dans les discours des acteur?trices d'Uzeste Musical, se formulent les images historiques, presque mythiques, du génie et de la chanteuse. Bernard Lubat, est érigé en personnage d'une histoire maintes fois racontée par l'équipe d'Uzeste, et rediffusée par les publics et les médias. Du fils prodige parti réussir à la capitale, au fils prodigue revenant au village, Bernard Lubat possède un parcours propice au développement d'un discours qui pourrait être qualifié de génialisant, tant il est vrai qu'il correspond à la vision nietzschéenne du génie, travaillant sans relâche à apprendre. Grâce à une rationalisation du sentiment de légitimité, il n'a pas attendu

308 Ibid., p.295.

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ou recherché de reconnaissance, de légitimité afférente pour produire. Il s'est emparé d'une légitimité efférente, lui permettant de créer ce pour quoi il est reconnu aujourd'hui. Mais pourrait-il être énoncé comme génie s'il ne correspondait pas au canon masculin du génie ? Juliette Kapla apporte un vécu plus externe de chanteuse, avec les stéréotypes négatifs que cela implique. Les luttes sociales qui peuvent se produire dans son travail, l'empêchent d'accéder à une confrontation artistique, nécessaire à la progression de l'improvisateur?trice. Les chanteur?ses sont aussi peu appréciées à Uzeste, mais c'est le rapport entre star chantante et musicien?nes accompagnant qui y est critiqué, pas l'instrument vocal. Fabrice Vieira trouble ces personnages symboliques en les superposant. Chanteur, guitariste, administrateur et technicien, il cumule les tâches attribuées au masculin et au féminin. En troublant les limites verticales et horizontales des postes, il trouble le genre et la valeur symbolique de son travail. Ainsi, ce terrain est visiblement héritier d'un contexte national, avec son histoire et ses modèles traditionnels. Cependant, il est aussi propice au développement de politiques internes et de discours externes égalitaristes.

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3. ANTICAPITALISME ET QUEER, CONVERGENCES ENTRE LES LUTTES FEMINISTES ET UZESTE

MUSICAL

Tout ce qui est politique n'est pas nécessairement militant, mais ce qui est militant se veut politique. Lors des entretiens avec Bernard Lubat, Fabrice Vieira et Juliette Kapla ou des discussions avec d'autres membres de la Uzeste Musical, tou?tes se considèrent comme militant?es : « militant de l'art » pour Bernard Lubat et Juliette Kapla, du social et du travail pour Fabrice Vieira. Ces lignes se retrouvent dans la politique économique et artistique de leurs travaux. Comme partout, la politique -notamment économique- mise en place dans les bureaux, influence la production scénique. Ainsi, porter un regard sur le fonctionnement d'une structure peut informer sur une production, particulièrement à Uzeste où des personnes associent la politique menée sur scène et celle menée dans les bureaux. Ces artistes cherchent à remettre en questions les formes de dominations sociales, ce qui les a conduits à une remise en cause du capitalisme et des inégalités sociales qu'il induit. Plus spécifiquement, la Cie Lubat cherche à subvertir le star-system de l'industrie musicale. Certains courants féministes analysent un lien entre la domination masculine et le capitalisme en occident. Dans un premier temps nous chercherons à comprendre la thèse des féministes anticapitalistes. Puis, nous porterons un regard sur l'aspect politique des choix de production d'Uzeste Musical, avec un questionnement sur la ruralité, la répartition du travail dans une compagnie artistique et l'économie financière et politique de la structure. Ce qui permettra de penser l'économie esthétique de la production. Dans un second temps, les formes artistiques des productions de la Cie Lubat de Juliette Kapla, nous servirons de base pour analyser les procédés mis en place, qu'ils soient politiques, comme la distanciation, ou subversifs comme un travail sur l'indéfinissable et le trouble permanent.

3.1. ANTICAPITALISME ET FEMINISME, LIER LES TERRAINS DE LUTTE

« Uzeste Musical n'est pas une marchandise » vous hurle le dessin d'un personnage tenant un mégaphone depuis la porte des toilettes du petit théâtre l'Estaminet. Les artistes de la compagnie se révoltent contre l'économie musicale mondiale actuelle qui, pour eux, relègue la musique au rang de produit du marché et non plus d'art. Ils?elles critiquent la musique dans le métro, dans les magasins, dans la rue, la répétition à outrance sur les ondes des groupes financés par les producteurs les plus argentés. La valorisation des festivals aux nombres de spectateurs

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et non à la qualité artistique les révolte. Dans leurs mots, ici ceux de Bernard Lubat, la diversité musicale est écrasée par l'abondance d'une minorité dominante économiquement :

C'est pour ça je pense que l'artistique c'est l'inverse de ce que c'est devenu dans la liturgie libérale. C'est devenu une espèce de... plus c'est unique, moins les gens sont...débarrassés de leur capacité d'expression, de leur liberté d'expression, plus ils achètent celui qui est représentant de la liberté d'expression. Voila. Il faut une star pour deux millions de mutiques309.

Dans cette démarche, la réflexion politique de notre économie amène des artistes comme ceux de la Cie Lubat ou Kapla à questionner les moyens de productions et les formes qu'elle?ils produisent. Uzeste Musical tendant vers des politiques anticapitaliste et féministe, il est intéressant de liée ces deux mouvements.

3.1.1. UN CAPITALISME AU COEUR DE LA DOMINATION MASCULINE

Selon Silvia Federici310, le capitalisme a introduit « des profondes transformations dans la reproduction de la force de travail et la position sociale de la femme311 ». Dans son

livre Caliban et la sorcière, Federici s'intéresse au développement du capitalisme, en

particulier en Europe, d'un point de vue féministe. Elle présente l'accumulation primitive du capital312 comme une nécessité permanente pour maintenir le capitalisme :

Le capitalisme a généré des formes d'asservissement plus brutales et plus insidieuses, en insérant dans le corps du prolétariat des divisions qui ont servi à intensifier et à dissimuler l'exploitation. C'est en grande partie du fait de ces divisions imposées, en particulier celles entre femmes et hommes, que l'accumulation capitaliste continue à dévaster la vie dans chaque recoin de la planète313.

Cette nécessité du capitalisme de maintenir les individus du « corps du prolétariat » divisés, pousse la chercheuse à la critique du capitalisme. L'idée que la soumission des femmes à un système patriarcal se concrétise avec le capitalisme, se retrouve dans le Que sais-je sur le

309 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.130.

310 Universitaire américaine, enseignante et militante féministe radicale.

311 FEDERICI Silvia, Caliban et la sorcière, Femmes, corps et accumulation primitive, = Caliban and the Witch. Women, the body and primitive accumulation, Genève-Paris/ Marseille, Entremonde/ Senonevero, 2014, p. 117.

312 Accumulation primitive : une révolution industrielle nécessite, selon l'économiste américain John Rostow, un investissement qui représente au moins 10% de la production nationale. Or pour pouvoir investir, il faut une abondance du capital, le résultat d'une accumulation primitive. Federici note dans son livre (ibid, p. 116), que Marx a étudié l'accumulation primitive, mais dans le titre de la dernière partie du premier livre Capital, il a précédé l'expression du mot « prétendue » pour marquer son désaccord avec l'utilisation anhistorique qu'en faisait l'économiste britannique Adam Smith. Marx, dans son livre, développe le processus de l' « accumulation primitive » pour expliquer la révolution industrielle du XIXe siècle. D'après WIKIPEDIA, [ http://fr.wikipedia.org/wiki/Accumulation_primitive_du_capital], consulté le 23 décembre 2014.

313Ibid., p. 118.

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féminisme314. Andrée Michel y décrit une Europe néolithique, où un dieu masculin aurait remplacé une déesse créatrice. A la même période serait le début de la sédentarisation, des propriétés terriennes et aussi la prise de pouvoir familiale sur la fécondité des femmes (elles auraient été considérées comme précieuses car raréfiées par les morts en couche).

Cette mainmise sur la sexualité s'est prolongée jusqu'à notre époque, en Europe notamment par légiférassion de l'Église. On peut remonter dans l'histoire au temps où l'Église tentait de réguler les comportements sexuels, en considérant la sexualité comme un objet de honte et en excluant les femmes de la liturgie et du sacrifice sacré, puis en imposant un « véritable catéchisme sexuel, prescrivant minutieusement les positions autorisées pendant le rapport (en fait, une seule était permise), les jours où l'on pouvait pratiquer le sexe, avec qui il était autorisé et avec qui il était défendu315 ». Ces législations ont évolué avec le temps bien que l'Église essaie toujours de garder un contrôle sur les comportements sexuels. Federici fait aussi la liaison entre la chasse aux sorcières et la transformation de l'activité sexuelle des femmes « en un travail, un service pour les hommes, et en procréation. L'interdiction de toutes activités sexuelles non-procréatrices, potentiellement démoniaques et antisociales, fut centrale dans ce processus316 ». L'Église puis la concurrence marchande, comme dogmes normatifs, ne sont plus uniquement une emprise sur les corps de femmes mais sur les relations entre les corps, le regard sur les corps et leur image. On peut comprendre alors les slogans du Mouvement de libération des femmes (MLF) comme « mon corps m'appartient ». Et si aujourd'hui cette idée est -plus ou moins- gagnée en France, nous continuons d'observer les corps à travers notre paradigme capitaliste, sachant qu'un corps fortement sexualisé est vendeur.

Ainsi, défendre un anticapitalisme contre des inégalités financières, mais aussi de genre, n'est pas illogique. Critiquer la nécessité de l'accumulation primitive et de la concurrence peut permettre de remettre en question les systèmes de divisions entre individus.

3.1.2. ART EN MILIEU RURAL : L'ART-CHIPELLISATION

Uzeste Musical se nomme ainsi car la Cie Lubat tient à inscrire la structure sur un territoire. Depuis 2002, l'association se nomme Uzeste Musical, visages villages des arts à

314 MICHEL, Andrée, Le féminisme, « Que sais-je?», PUF, Paris, 2007. 315FEDERICI Silvia, op.cit., p. 77.

316Ibid., p. 350.

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l'oeuvre317. Le pluriel de « villages » s'explique par l'envie de penser les villages voisins d'Uzeste en archipel, comme des îlots à relier par une activité commune, une festivité commune. L'Hestejada de las arts n'est une dispersion de plusieurs festivals parallèles, mais une programmation itinérante. L'inscription dans le territoire occitan n'est pas que physique, elle est aussi artistique avec un goût pour la langue occitane et des musiques traditionnelles. Pour autant, il n'y a pas de folklorisme ou conservatisme de ce patrimoine occitan. Il s'agit plus d'un héritage qui s'est transmis de manière désacralisée. Particulièrement de la Cie Lubat aux Gojats, une mélodie traditionnelle occitane côtoie un standard de jazz ou un thème balkanique. Les mélodies se transmettent durant les fêtes, les bals, ce qui les détache de la sacralité d'un répertoire sensé rester inchangé à travers les siècles. Pas très loin, il y a l'envie artistique de faire vivre la culture d'un pays qui, depuis la fin du gemmage des pins landais, a subi un fort exode rural et donc un oubli de ses richesses culturelles, sa langue, ses musiques.

En travaillant en milieu rural, Bernard Lubat cherche à semer le trouble dans des oppositions telles qu'innovation/conservation et nature/culture : « C'est que quelque part pour des raisons historiques, être capable de créativité contemporaine en milieu rural, dans l'état dans lequel il est, c'est un paradoxe. Le milieu rural étant plutôt symbolique de la conservation, [... p]arce que c'est ça le rural pour moi, c'est la confrontation entre nature et culture318. » L'idée d'éducation populaire n'est pas loin et revient régulièrement dans les propos et actions des acteurs de la compagnie. Pour exemple, dans le cadre d'Uzeste Musical s'est tenue pendant plusieurs années une bibliothèque/librairie dans le village, surplombée du calembour « lire délivre ». Malgré sa faillite financière, cette bibliothèque prouve la volonté d'augmenter un accès à la culture pour les villageois?es voisin?es. Les enfants peuvent prendre des cours de piano ou de batterie avec Bernard Lubat319 qui les sensibilise à des formes contemporaines et innovantes. Juliette Kapla, à Lille, défend une pédagogie politisée, amenant des personnes n'ayant pas forcément un grand accès aux oeuvres artistiques à travailler des compositions complexes. Toutes ces démarches seraient, dans la théorie bourdieusienne 320 , un moyen d'augmenter le capital culturel et donc de permettre à des personnes ayant un capital financier

317 UZESTE MUSICAL, Mine d'art à ciel ouvert : une association transartistique et culturelle [en ligne], [ http://www.uzeste.org/lassociation/mine-dart-a-ciel-ouvert-une-association-transartistique-et-culturelle/#more-29], consulté le 24/01/2015.

318 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2. p.133.

319 Bernard Lubat, ayant joué ou jouant avec Claude Nougaro, Michel Portal, Archie Shepp, Eddy Louis et d'autres reste encore aujourd'hui une figure du jazz français.

320 BOURDIEU Pierre, « Le capital social », in Actes de la recherche en sciences sociales [en ligne], Vol. 31, janvier

1980, [ http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1980_num_31_1_2069],
consulté le 25 avril 2015, p.2-3.

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faible de développer un capital culturel fort pour semer le trouble dans les considérations d'élite, le trouble dans les identités socio-culturelles.

Cependant, la population rurale environnante semble réfractaire à ces apports -une hostilité s'est clairement perçue dans les débats publics, à la veille des élections municipales-et les publics semblent surtout venir des villes alentours (Bordeaux, Langon, Toulouse, etc.). Néanmoins, que les arguments soient pour ou contre les actions d'Uzeste Musical, les débats en amont des municipales ont prouvé que cette structure crée du questionnement et de la réflexion. Les quatre listes pour trois cent votants démontrent un engagement citoyen, en partie dû aux activités de la structure culturelle.

Uzeste Musical cherche à réduire les ségrégations verticales en réduisant les différences de capitaux culturels, notamment des personnes ayant un accès réduit à la culture parce qu'elles vivent en milieu rural. Cependant, les habitants locaux ne se ressentent pas nécessairement comme des potentiels bénéficiaires de ces initiatives, les mettant en échec. Ainsi, le débat public qui a agité la scène uzestoise lors des dernières élections municipales tend à démontrer que cette structure possède un rôle politique puisqu'elle est portée dans le débat par l'ensemble des parties.

3.1.3. DES POSTES TRANSDISCIPLINAIRES

La particularité la plus troublante de la Cie Lubat est la transdisciplinarité* dont savent faire preuve les artistes. Fabrice Vieira est à la fois artiste, administrateur et parfois technicien son de la compagnie. Bernard Lubat est artiste, un peu chargé de communication puisqu'il écrit les programmes, et programmateur du festival. Thomas Boudé, Jules Rousseau et Louis Lubat sont plus jeunes (entre 22 et 25 ans), ils sont donc moins insérés dans l'administration de la compagnie, mais ils participent à l'organisation des festivals. De plus, ils se confrontent concrètement aux réalités de la production, diffusion et technique dans l'association qu'ils ont créée sur Bordeaux, le parti Collectif. Tous réfléchissent ensemble à la programmation des festivals avec le regard de la comptable et les notes de la chargée de communication. Ce qui aboutit à une étrangeté : un festival et un lieu à l'année tenus par des artistes et pas par une équipe de production ou des gestionnaires. Pourtant, la Cie Lubat est une structure subventionnée par la convention triennale de la DRAC, ce qui lui permet d'embaucher pour des postes où les artistes n'ont pas les compétences requises (comme en comptabilité) ; pour le reste, c'est un choix. Cette organisation sans frontières horizontales entre les postes, subvertit complètement le modèle, aujourd'hui difficilement tenable, d'une compagnie avec des artistes

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qui seraient obnubilés par l'art, unSe administrateurStrice par les finances et des chargéSes de production ou de communication par la production et la communication.

Uzeste Musical propose donc un trouble dans la réparation des tâches. La spécialisation des emplois, ce que Frederick Winslow Taylor appelait le séquençage des tâches, se base sur des objectifs de rentabilités. L'Organisation scientifique du travail (OST) du taylorisme est basée sur un classement et une répartition méthodiques des tâches par hiérarchie et par pôles. Aller à l'encontre des spécialisations professionnelles peut déconstruire la verticalité et l'horizontalité de la répartition du travail. Le travailler-ensemble à égalité peut alors prévaloir sur un objectif de rentabilité du capital.

3.1.4. UNE ECONOMIE POLITIQUE ET ESTHETIQUE

En sortant d'un spectacle d'Aurélien Bory, Louis Lubat critiquait fortement les productions du metteur en piste de la Cie 111 qui présente régulièrement de grandes, voire gigantesques structures (Azimut, Plexus, Géométrie de caoutchouc...). Au coeur de son argumentaire primaient deux éléments politiques qui peuvent être résumés ainsi : « Ça ne m'a rien produit, je n'ai rien vu de nouveau, ça ne m'a pas fait changer, à quoi ça sert ? » et « Pourquoi produire des spectacles aussi onéreux qui ne peuvent tourner que dans de grandes salles ? ». Le premier argument est révélateur d'une vision de l'art comme avant-gardiste et générateur de mouvements émotionnels et réflexifs. Derrière le second argument se cache la question de la répartition des subventions (si d'importantes sommes vont à tel artiste, il y en a moins pour les autres) mais aussi celle de l'accessibilité de l'art en milieu rural, et pour les non-habituéSes des salles de spectacles. Si ce questionnement est familier à Louis, c'est parce qu'il travaille aussi à l'organisation des festivals d'Uzeste et aide à la diffusion du parti Collectif. Par conséquent, il est plus touché par les questions de diffusion qu'un artiste abordant peu l'administration.

La question économique, qui peut paraître un gros mot en art, est essentielle. Elle ne doit pas être centrale mais elle reste contraignante. Durant mes deux années d'observation, j'ai pu voir des créations de la Cie Lubat et de Juliette Kapla sous de très diverses formes : avec ou sans invitéSes, avec ou sans pyrotechnie, avec ou sans piano à queue, avec ou sans danse, etc. L'économie du spectacle s'adapte à l'économie du lieu d'accueil. Au village, c'est aussi un facteur de motivation à la création in situ, à l'improvisation avec des invitéSes puisqu'Uzeste Musical n'a pas les moyens de financer des répétitions. A l'extérieur, lorsqu'ilsSelle sont programméSes il arrive que les prix soient adaptés au lieu, aussi par solidarité. IlsSelle s'efforcent de ne pas formater leur production aux attentes des tutelles ou des

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programmateurs tout en sachant qu'ils?elle restent dépendants de ces éléments. Juliette Kapla le formule ainsi :

Ne pas chercher absolument à vendre ce travail-là dans des réseaux qui viennent soutenir une société que je ne cautionne pas, un système de marché musical, artistique que je ne cautionne pas, que je ne souhaite pas cautionner. Avec cette précision bien sûr, que de toute façon je n'ai pas les moyens de le cautionner ou pas puisque je ne suis pas en position d'être emmenée dans cette machine-là321.

Ainsi, entre contraintes économiques et pensée politique dite « écommuniste » (entre anticapitalisme et écologie, au sens « lié au contexte local »), ils?elle vont tendre vers une esthétique modifiable à souhait. Cette adaptabilité nécessite des compétences en improvisation et une diversité de moyen d'expression. Entre les arts, entre les formes, elle?ils cherchent à déconstruire les modèles en semant le trouble.

3.2. ESTHETIQUE SUBVERSIVE, LE POÏELITIQUE

Bernard Lubat joue des mots comme il joue du piano. Il en résulte des assemblages étonnant comme « poïélitique ». Ce terme est une contraction de « poétique », « politique » et aussi « poïétique ». Pour Louis Lubat, c'est remettre du politique dans la poésie, l'art et vice versa. Son père acquiesce mais y ajoute les idées d'éthique, d'esthétique et de ludique. Il y conçoit une esthétique ludique car paradoxale. Elle rassemble l'antinomique (le poétique et le politique étant sur des plans symboliques différents) pour en faire ressortir de la dialectique. Le nécessaire rassemblement entre esthétique et politique est aussi abordé par le philosophe Bernard Stiegler, qui d'ailleurs parle de « poélitique » :

Je veux dire que le travail [des artistes] est originairement engagé dans la question de la sensibilité de l'autre. Or la question politique est essentiellement la question de la relation à l'autre dans un sentir ensemble, une sympathie en ce sens. Le problème du politique, c'est de savoir comment être ensemble, vivre ensemble, se supporter comme ensemble à travers et depuis nos singularités (bien plus profondément encore que nos « différences ») et par-delà nos conflits d'intérêts. (...) L'être-ensemble est celui d'un ensemble sensible322.

La question de ce qui est perçu par le sensible, l'esthétique, est, selon la théorie de Stiegler, nécessairement politique. Enzo Corman insiste sur la valeur politique des arts de la scène, augmentée par le rassemblement cérémoniel du spectacle. Il définit l'esthétique comme espace d'exploration du sensible d'autrui, qui permettrait de mieux se comprendre, de mieux cohabiter

321 Entretien avec Juliette KAPLA, annexe 1.1.2.3, p.147.

322 Bernard Stiegler, cité par CORMAN Enzo, Considérations poélitiques, (Conférence), Polemos Unisersité d'été Prima del teatro, 2 juillet 2005, San Miniato (Italie), p.5.

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entre individus. Bérénice Hamidi-Kim voit en le théâtre poélitique une recherche de légitimation des artistes et une ambition révolutionnaire mais réduite sur la matière esthétique323. Mais le fond du discours de la Cie Lubat se veut tout aussi politique que la forme. Pour lier art et politique, la Cie Lubat, tout comme Juliette Kapla, usent de divers procédés comme la distanciation, l'hybridation jusqu'à l'inidentifiable et un regard critique pour une révolution permanente. Ce tissage de procédés tend à questionner les canons, voire à les subvertir. Le queer, qui est un mouvement de pensée actuel issu des études de genre, questionne les troubles et les subversions de modèles. Il me semble alors particulièrement adapté pour analyser les productions d'Uzeste Musical dans son aspect politique dans un premier temps, puis esthétique. Mais avant cela, il est important de préciser le terme la signification du queer.

3.2.1. DEFINIR LE QUEER

Le queer est une notion récente, encore inconnue de nombreux secteurs. Il convient donc de s'interroger ensemble sur une vision queer pour pouvoir aborder le travail de la Cie Lubat sous ce prisme. Lisons une définition de la théorie queer par une de ses théoriciennes françaises phare, Marie-Hélène Bourcier :

[C]'est cela le coeur de la théorie-politique-mouvement queer : un rapport hypercritique à l'identité et aux politiques de l'identité, qu'elles soient homo/hétérosexuelles, nationales, de genre, de classe, de race, intersection des traits identitaires comprise. Avec une conscience aiguë de la ressource identitaire (du fait qu'elle est quotidiennement exploitée dans les entreprises, dans l'armée, dans le showbiz, à la télévision [...] et dans la chambre à coucher...), qui débouche sur une manière de faire de la théorie et de la politique qui ne s'inscrit pas dans un scénario d'inspiration marxiste révolutionnaire (avec la séquence oppression/révolution/abolition/ éradication) mais, plus modestement et de manière moins totalisante, dans une logique de résistance micropolitique qui emprunte à des stratégies de resignification, de dés-identification, de prolifération, de réappropriation (des genres par exemple mais pas seulement), comme autant de manières d'exploiter des ressources identitaires de manière post-identitaire324.

De cette citation ressortent plusieurs éléments qui pourront nous servir de base de réflexion : l'association ontologique entre théorie queer et mouvement politique. Le queer est fondamentalement politique. Il s'agit d'une critique des « politiques de l'identité », et d'un mouvement qui, pour être mené à bien utilise diverses stratégies comme : la resignification, c'est-à-dire de modification du signifiant pour un signifié (par exemple faire signifier des

323 HAMIDI-KIM Bérénice, Les cités du « théâtre politique » en France, 1989 - 2007 Archéologie et avatars d'une notion idéologique, esthétique et institutionnelle plurielle, Thèse de doctorat de Lettres et Arts, (sous dir.) HAMON-SIREJOLS Christine, Université Lumière Lyon 2, 2007, p.53.

324 BOURCIER Marie-Hélène, « Queer Move/ments », art.cit., p. 37.

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éléments traditionnellement masculins comme féminins), la dés-identification, soit rendre inidentifiable un élément dans un paradigme normé, enfin, la réappropriation et la prolifération ou la multiplication d'identités (genrées entre autres). La notion de micro-politique questionne le sens d'actions microsociales comme celles d'Uzeste Musical. Le queer peut se réfléchir comme un mouvement politique reposant sur le principe du mouvement permanent, de la subversion permanente des modèles installés ou qui tendent à s'installer.

L'art a toujours pris une place dans les mouvements politiques, en relayant des évènements, en les symbolisant, en proposant de nouveaux paradigmes. Dans ce mouvement queer qui tend à flouter les normes, à subvertir les identités, l'hybridation des arts a sa place. Il est donc intéressant de proposer une réflexion sur les arts dans le flot des queer-studies.

3.2.2. LA DISTANCIATION

Bernard Lubat cherche une relation critique entre les publics et les artistes :

Il y a une question dans la relation entre artistes et publics qui est très compliquée parce que.... nous ne sommes pas des curés quoi. Nous ne sommes pas là pour professer de la vérité. On est là pour proposer une relation. Mais une relation critique. Et non pas de domination. Ni dominant, ni dominé. Donc pour avoir cette relation ni dominant/ni dominé, il faut proposer un médium. Et le médium, c'est le jeu. Le jeu musical, le jeu gestuel, le jeu théâtral, le jeu... c'est à dire le symbolique325.

La distanciation au théâtre, notamment dans la théorie brechtienne, sert à donner du recul au spectateur pour lui permettre une activité réflexive. Le fait de laisser voir les artifices du spectacle, par exemple les coulisses, les techniciens, le texte, permet de mettre la fiction à distance. Le jeu/non-jeu326, l'adresse au public (en tant que public, pas en tant que complice comme dans les apartés de Molière) sont d'autres techniques qui explicitent le subterfuge d'une fiction.

Tou?tes usent beaucoup du non-jeu puisque les musicien?nes se présentent régulièrement en tant qu'eux-mêmes, en s'adressant simplement aux publics, avec les mots qui leur viennent, et s'ils empruntent les mots d'un?e poète, philosophe ou autre, c'est signifié par la prise en main d'une note ou par la citation de l'auteur?e. Le fait que les acteurs soient en non-jeu rend l'identification difficile puisqu'il n'y a pas de personnage à habiter mentalement. Dans leurs solos respectifs, il arrive qu'ils interprètent des personnages d'eux-mêmes. Le solo de Louis

325 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p .129.

326 C'est-à-dire le fait de jongler entre le jeu, l'interprétation d'un personnage et le non-jeu d'être présent sur scène en tant que comédien?ne.

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Lubat, par exemple, repose sur une déclinaison de lui : un Louis ayant peur de la scène, un autre oisif, un autre qui veut être une star, etc. Fabrice Vieira dans son solo Qui vivra, Vieira, se présente en tant que Fabrice Vieira, musicien, en alternant des scènes jouées -où il interprète un lui un peu fou par exemple- et des scènes non-jouées -où il nous parle simplement avec ce qui lui vient. Juliette Kapla quant à elle, est toujours dans un elle un peu exagéré, plus espiègle, plus drôle ou grinçant. Il y a donc de la fiction dans leurs solos par l'intrusion de pseudo-personnages et celle-ci pourrait alors être renforcée par la sensation de réel des scènes non-jouées. La distanciation vient alors du fait qu'il est quasiment impossible de s'identifier ou de se projeter en permanence dans le personnage puisque le non-jeu transforme la relation entre acteur?trice et publics. Pour Muriel Plana327 selon la théorie brechtienne, la distanciation n'est pas une distance totale, c'est un aller-retour entre indentification et distance. Ainsi, les mises à distances du public face à la représentation permettent une réflexion sur les fictions proposées.

Bernard Lubat ouvre une autre piste de réflexion : « C'est pas le médium que t'achètes, c'est la personne. C'est la représentation de la personne. Tu t'identifies dans la personne. Par contre si tu écoutes Mozart, tu peux pas t'identifier à Mozart. T'es obligé?e de te poser la question de toi-même328.» L'utilisation du personnage de Mozart nous ramène à la question du génie. Selon la conception nietzschéenne, le génie est construit par les discours de nos amours-propres qui préfèrent voir dans la virtuosité d'un pair une exception, un miracle que de la détermination et du travail acharné329. Cette conception du génie nous permettrait de se déresponsabiliser de nos capacités en s'éloignant d'une identification possible aux compétences d'un pair. Si cette théorie appuie l'idée de Lubat que le génie empêche l'identification, elle va donc à l'encontre du but premier de la distanciation : un recul réflexif. En effet, dans le cas du génie, il n'y a pas identification mais idolâtrie, empêchant tout recul réflexif. Si, comme supposé par les analyses de discours330, Bernard Lubat tend à être inséré dans une histoire mythique du jazz, l'impossibilité de s'identifier n'amènerait pas à une réflexion sur soi, mais à un désengagement de nos potentiels personnels.

Ensuite, vient l'argument de la vedette. En effet, si l'on ne s'identifie pas à un personnage, il peut être tentant de se projeter dans l'image que la vedette incarne (s'il n'y avait pas ce glissement de personnalité, personne ne chercherait à ressembler à telle ou telle star). Mais les musiciens de la compagnie ne donnent pas envie de se projeter en eux. Ils sont toujours

327 PLANA Muriel, « Théâtralités queer » (séminaire), op.cit.

328 Entretien avec Bernard LUBAT, Annexe 1.1.2.2., p.128.

329 NIETZSCHE Friedrich, op.cit.

330 2. Le génie, la chanteuse et l'optimiste

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en situation de malaise, prêts à péricliter. De plus, même dans des dispositifs vedettisants comme de grosses scènes, des festivals prestigieux ou les Victoires du Jazz pour la Cie Lubat, leurs prestations détonnent souvent assez pour que les débats d'après-spectacle avec des arguments autant positifs que négatifs obligent les publics à se poser des questions, remettre en question leur réception. Lorsque nous critiquons un artiste, nous sortons de l'adoration dont se nourrit le star-system, et par la même occasion, nous déconstruisons le génie.

Si les procédés de distanciation ne sont pas clairement énoncés dans le discours de la compagnie, l'intention l'est : « Je pense qu'ils, 99% de ceux qui m'écoutent ne s'identifient pas du tout à moi. Et je m'en occupe. Tu vois, je ne voudrais pas leur faire croire qu'ils sont moi. Mais je voudrais plutôt qu'ils découvrent qui ils sont eux. [...] Parce que je suis pas un curé. Je suis pas... un prophète. J'ai rien à... j'ai rien à remplacer à personne331.» Par l'utilisation de symboles comme le curé et le prophète, Bernard Lubat inscrit sa démarche à l'encontre de la sacralisation de l'artiste mais aussi contre une pensée dogmatique, dans le courant d'une pensée libre. Mais cette liberté, qui discute nécessairement avec des contraintes, est-elle forcément transgressive ou subversive ?

3.2.3. L'INDEFINISSABLE, L'INCERNABLE : LA PERMANENCE DU TROUBLE

« Indéfinissable », « incernable », ces qualificatifs sont des objectifs pour les artistes de la Cie Lubat. Louis Lubat exprime le souhait « que les gens sortent de la salle en se demandant ce qu'ils ont vu » et son père cherche aussi le trouble : « «Artiste» ça pourrait être d'être identifié comme inidentifiable. Tu vois il faudrait pouvoir identifier l'incernable332. » Troubler les catégories est un sport local au point de susciter une autre pratique, celle des jeux de mots et mots valises. Ces créations linguistiques servent à définir par un langage non normé, voire sans sens, les actions de la Cie Lubat : «écommuniste », « poïelitique », « l'amusique », etc. Bernard Lubat et ses compagnons sont des usines à mots indéfinis. Le plus intéressant ici, est celui qui les définit : « amusiciens ». Historiquement, Bernard Lubat a fait partie de la vague d'hybridation des arts des années 1970, notamment en jouant avec des artistes comme Régine Chopinot -danseuse- ou Jérôme Thomas -circassien. Lorsqu'il raconte ses premières expériences avec ces artistes, son enthousiasme reflète le sentiment de liberté que lui ont procuré ces échanges.

331 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p.129.

332 Ibid.

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[O]n a été les premiers à mettre des mots en concert de jazz, on s'est fait sortir. Le premier, en 78, qui a parlé au milieu de la musique, c'est André Benedetto. Les gens gueulaient comme des veaux : « C'est pas du jazz! ». On n'a pas arrêté de mélanger.333

Bernard Lubat raconte ce souvenir avec fronde. Aujourd'hui, au-delà de l'échange avec des artistes non musiciens, les artistes de la Cie Lubat cherchent à être eux-mêmes indéfinissables. Techniquement, cela s'exprime par une hybridation de leurs pratiques. De même, Juliette Kapla affirme son émancipation, sa fuite notamment du « modèle » de la chanteuse de jazz : « Sauf que je me suis échappée du système puisque je suis devenue une chanteuse d'autre chose que de jazz ». Originellement musicien?nes, tou?tes prennent la parole sur scène, parfois des mouvements de danse se glissent dans les corps et d'autres arts encore apparaissent. Ils?elle travaillent en majorité en improvisation, quoi que l'écrit soit aussi présent sur scène. Partitions et textes de papier se mêlent aux notes et mots imaginés en instantané. Pour la compagnie, en général, l'apport verbal est plus de l'ordre de l'interaction avec les publics que de la fiction dramatique, mais certains plans334 fonctionnent sur des ressorts dramatiques. Les solos qu'ils écrivent ou improvisent peuvent être totalement musicaux un jour, poétiques le lendemain et complètement narratifs un autre jour. Dans le solo de Bernard Lubat qui est en partie écrit, L'Amusicien d'Uz, l'artiste joue au magicien manipulant divers jouets. Chaque peluche ou automate représente un personnage politique. « François Aux-lendemains-qui-chantent » (Hollande-mains-qui-chantent) représenté par une peluche de Winnie l'ourson suit une fée volante : « Angela Merkel, la marquise des anges qui vole au-dessus d'un nid de cocus ». Nous pourrions croire pour cette scène à une interprétation théâtrale d'un personnage, mais Bernard Lubat ne se présente en nulle autre personne que lui. Il est en non-jeu permanent, lisant ses notes si besoin, s'adressant directement aux publics. Néanmoins, à travers ses jeux de mots et mouvements de jouets, une histoire se raconte au hasard des imprévus. Un soir par exemple, j'ai vu « la main du masseur Magic'automatic market », symbolique de la main invisible du marché, tomber sous la chute de la fée Angela Merkel. L'imprévisible amène alors du drame, à partir duquel Lubat saura improviser, musicalement ou verbalement... souvent avec humour. Le rire n'est pas anodin, il est considéré par ces artistes comme permettant de mettre du recul, de distancier les évènements dont on rit -souvent de l'actualité- pour mieux pouvoir les analyser.

333 Ibid. p.138

334 Les artistes de la Cie Lubat parlent de « plans » pour définir les scènes plus ou moins écrites qu'ils ont en ressource. « Scène » ne serait pas forcément un terme plus juste au sens où il peut s'agir de tableaux vivants, de courts canevas dramatiques, d'un morceau de musique, de la mise en scène d'un morceau de musique, etc.

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D'après mes observations, la construction des spectacles de la compagnie semble fonctionner entre le canevas335 et le collage. Parfois l'enchaînement de plans est prévus (exemple : un ordre de passage défini des solos). D'autres fois, à l'inverse, le premier pas sur scène est comme un saut dans le vide : nul ne sait ce qui va se passer. Dans les deux cas, le spectacle s'articule comme un puzzle, dont les artistes connaissent certaines pièces, d'autres s'inventent sur le moment pour composer un croquis plus ou moins défini en amont. Ils travaillent suffisamment ensemble pour identifier et amplifier les initiatives de chacun, ce qui permet un enchaînement des plans sans interruption, sans rupture entre divers genres musicaux et divers arts.

3.2.4. PERMANENTE REVOLUTION

En observant des documents papiers ou des vidéos de spectacles j'ai pu remarquer que les noms, les procédés et même les plans des spectacles se retrouvent sur plusieurs années. Cette linéarité dans l'utilisation des procédés remet en question l'idée que la Cie Lubat soit en révolution permanente, indéfinissable. Mais est-ce qu'un?e metteur?se en scène qui produit plusieurs spectacles par an en utilisant systématiquement les mêmes procédés serait plus innovant?e qu'une oeuvre qui est construire pour ne jamais être identique, s'adapter aux lieux, aux publics ? Interroger la production automatique de spectacles, c'est interroger les fonctionnements des productions et diffusions de spectacle, voire questionner l'ensemble du fonctionnement du spectacle vivant. Observons donc cet autre modèle qui peut être vu en la Cie Lubat.

Dans le rapport historique de Philippe Ogilvie, plusieurs moments historiques démontrent que la Cie Lubat est allée à l'encontre d'une création attendue et institutionnalisable. Le plus notable serait sûrement le concert qui a fait naître la compagnie. Bernard Lubat écrit :

En octobre 1976, à l'occasion d'un concert (produit par André Francis du B. du Jazz) à la maison de l'O.R.T.F. naquit dans la joie, la douleur et l'humour la Cie Lubat... L'événement fut salué dans Le Monde par le critique L. Malson comme un « Micro-drame à la Brecht ». J'étais attendu, j'étais invité à ce concert/émission en direct, en qualité de musicien français sachant bien, très bien même jouer le jazz, admis comme celui de meilleure qualité, cachet de la poste faisant foi (de New-York !). (...) Et ce fut le scandale : la moitié de la salle houspillant l'autre avant de quitter les lieux, une déception officielle d'un espoir réel

335 C'est-à-dire en ayant le squelette du spectacle mais pas les muscles, en ayant fixé quelques étapes mais pas le chemin de l'écriture. (Exemple : première et dernière scènes définies mais pas le milieu, ou/et des signaux indiquant le début ou la fin d'une scène)

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du jazz français qui dilapide son talent avec des sauvages. Pourtant sur le papier la première Cie Lubat avait fière allure336.

S'en suit un récit abracadabrantesque d'un saxophoniste, Di Donato, découpant la moquette du studio, d'un saxophoniste, Chautemps, restant muet fumant un cigare, de Lubat laissant seuls le vibraphone et le marimba loués pour lui (deux instruments fort coûteux) pour jouer avec des poêles à frire, des mots, etc. Il faut noter que les musiciens rassemblés ce jour-là, cinq si le récit est juste, étaient tous reconnus dans le milieu du jazz ; médaillé du conservatoire, soliste de l'orchestre national, musicien de bebop respecté... La structure de l'émission était faite pour mettre en valeur une avant-garde d'un jazz français complètement institutionnalisée, tant par la formation que la diffusion... sauf que la production n'a pas du tout correspondu aux attentes.

Pour Frédérique Villemur, d'après sa lecture des écrits de Judith Butler, le queer réside dans l'engagement politique et non dans l'esthétique337. L'engagement de la Cie Lubat pour questionner les catégories, les identités, les identifiables, est clair. Pour aller plus loin, cette position d'être en permanente remise en question de ce qu'ils produisent et de ce qui est produit en général dans notre société est affirmée au détour d'une phrase par Bernard Lubat : « Je suis contre. Je suis comme... Je suis contre ce qui ne bouge pas. Je suis contre. Je suis contre ce qui se suffit, je suis contre ceux qui croient. Euh... Voilà. On écrit bien que contre. « On ne pense bien que contre. » C'est Aragon qui dit ça338. » Cependant, en art l'esthétique fait sens : elle appartient au discours et ne peut donc pas être éliminée si facilement. Bernard Lubat réaffirme sa pensée critique au long du débat : « Il faut trouver un jeu, c'est ce qu'on essaie de faire avec la compagnie, d'être critique en situation critique339. » Et là, nous pouvons comprendre qu'il s'agit d'une position politique, mais aussi artistique, donc esthétique. Les membres de la compagnie étant des gens qui lisent beaucoup et réfléchissent à leur production et son sens politique, il convient de réfléchir leurs formes comme telles. Les puzzles et canevas de la compagnie sont amovibles, souvent discutés la veille ou le jour-même. Ils se réfléchissent sur le terrain, dans l'instant et s'adapteront à la configuration des lieux et publics d'accueil. Lorsque c'est possible, un?e ami?e improvisateur?trice est invité?e à jouer ou danser avec eux, ce qui modifie considérablement les rapports d'écoute, de pouvoir et de collaboration. Les

336 OGILVIE Philippe, op.cit. p.27-28, d'après « Archives de la Cie Lubat 91, 92, 93... »

337 VILLEMUR Frédérique, « Pensée queer et mélancolie du genre », Cahiers du Genre, 2007, vol. 43, no 2, p. 163. A propos de Butler : « elle fait de l'engagement politique et non de l'acte esthétique la seule valeur de toute poïétique.»

338 Entretien avec Bernard LUBAT, annexe 1.1.2.2, p. 132.

339 Ibid., p.129.

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propositions sur scène sont éminemment liées à l'actualité. En plus des jouets représentants des personnages politiques vont s'ajouter des éléments de l'actualité, habilement intercalés entre les textes écrits. Lors d'un concert il n'est pas rare que les artistes prennent position sur un fait récent, que ce soient les élections ou plus récemment, les attentats de Charlie Hebdo. Il ne s'agit pas de créer, comme un?e chroniqueur?se, spécialement pour couvrir une actualité, mais plutôt pour se laisser des espaces d'improvisation où les artistes peuvent critiquer une politique économique ou sociale, une loi en cours, etc. Grâce à leur fonctionnement en puzzle, ils peuvent insérer des éléments qui raccrochent à la réalité contemporaine. Nous pouvons faire le parallèle avec des auteurs grecs comme Eschyle ou Euripide qui se servaient de la scène théâtrale comme d'un journal satirique pour critiquer l'incompétence, la paresse ou encore la luxure de certains politiques. Nous retrouvons ici l'idée énoncée en introduction que la scène peut être utilisée comme média. Ainsi, la structure des spectacles de la Cie Lubat peut alterner plans écrits et plans plus ou moins improvisés. Si certains éléments scéniques sont récurrents, ils restent toujours modifiables et inattendus -au sens où le spectacle peut n'être aussi que de l'improvisation totale. La démarche de recherche des artistes de la Cie Lubat, me semble plus proche de travaux de chercheurs que de certains artistes, par leurs lectures scientifiques et aléatoires, le travail de notes régulières, leur corpus pourrait inclure les instruments, textes et jouets.

Après 1968, la transgression des règles s'est transformée en caution commerciale et, devenant une esthétique post-moderne admise, a alors perdu tout sens transgressif340. Le queer est subversif, toujours en mouvement, in-institutionnalisable. Plus les formes de la Cie Lubat sont hybrides, et politiques, moins elles se vendent, particulièrement dans le secteur musical. Cependant, le nom de « Lubat » reste un gage de qualité dû à la reconnaissance d'Uzeste Musical, de collaborations prestigieuses avec Eddy Louis, Claude Nougaro, etc. Cette reconnaissance permet à la compagnie d'être programmée et par conséquent de prendre des risques (presque) sans craindre de disparaître. Frédérique Villemur note que le queer augmente les marges par l'exploitation de terrains hors frontières, mais sans forcément repousser les limites des genres artistiques ou sociaux, des catégories341. Je pense que c'est ici que se trouve

340 PLANA Muriel, op.cit., p.245 : « Que n'a-t-on pas alors montré sur les plateaux? Les limites de la bienséance, du bon goût, du bon sens, du sens, ont été tranquillement -car cela, bien que choquant, n'avait plus rien de transgressif- balayées. »

341 VILLEMUR Frédérique, art.cit., p. 153.

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la notion de subversion, du queer mais aussi de la Cie Lubat. Ils travaillent dans une zone indéfinie car hors catégorie, et explorent cette zone au fur et à mesure de leurs représentations.

L'engagement militant, social et artistique de la Cie Lubat et de Juliette Kapla les ont amené?es à remettre en question le modèle capitaliste. La lutte anticapitaliste étant mêlée au féminisme, il est logique d'y trouver des bases potentielles de politiques féminismes. A Uzeste, il persiste le rêve de faire disparaître les ségrégations verticales et horizontales. Le but n'a pas encore été atteint, mais la politique de polyvalence des employés tend à désacraliser certains postes, à donner une vision d'ensemble à chacun et à responsabiliser les acteurs de la structure. Sur le territoire landais, Uzeste Musical mène depuis bientôt quarante ans un travail d'éducation populaire qui se heurte aux réticences d'une majorité de locaux, mais certains y découvrent une richesse qui les nourrit. L'économie restreinte du lieu et ses ambitions politiques amènent une pratique artistique particulière mêlant hybridation, improvisation et réflexion critique. La relation critique avec les publics est notamment installée par des procédés de distanciation comme le jeu/non-jeu, la présentation de l'artifice de la représentation et le rire. En cherchant à pratiquer diverses techniques sans les dissocier, ces artistes tendent à créer un trouble dans l'identification de ce qu'ils?elle font, entre écrit et improvisation, musique, théâtre, danse, poésies orales et écrites, mais aussi entre drame et post-dramatique. Ce travail pourrait laisser penser à un éparpillement, à une incapacité à exceller dans un domaine, ou toute autre pensée issue du paradigme de la spécialisation. Pourtant, il en éclot des formes nouvelles, difformes, informes qui sont si spécifiques qu'elles peuvent être qualifiées par ce qu'elles font exister : un genre « lubatien », une verve à la « kapla ». Ce sont des termes que j'ai pu entendre et qui prouvent que l'indéfinissable cherché par ces artistes semble trouvable. Si le terme « lubatien » se met à exister, n'est-ce pas une forme de nouvelle définition, d'institutionnalisation ? Cette personnalisation de l'oeuvre correspond, pour Plana342, à une esthétique post-moderne « hyper individualisée » avec des auteurs comme Duras ou Beckett. Les genres littéraires sont éclipsés par une stylistique durassienne ou beckettienne. Ce sont les individus qui s'expriment sur la scène publique et non plus un genre commun. C'est dans ce dialogue entre individus et collectif que se déterminent les identités, ces identités que le queer cherche à troubler. Si ce « lubatien » peut définir un style récurent dans les spectacles de la compagnie, ceux-ci sont étudiés dans leur structure pour être sans-cesse mouvants. L'invitation d'improvisateur?trices, les références à l'actualité renforcent les transformations esthétiques d'une représentation à l'autre. Ainsi,

342 PLANA Muriel, « Théâtralités queer » (séminaire), op.cit.

dans son caractère politique et son travail d'exploitation d'espaces au-delà des catégories, les artistes uzestois sont engagé?es, pour reprendre les mots de Bourcier, dans un travail de « résistance micropolitique qui emprunte à des stratégies [...] de dés-identification, [...] de réappropriation [...] comme autant de manières d'exploiter des ressources identitaires de manière post-identitaire », donc dans une politique et esthétique queer. Néanmoins, pour Muriel Plana, les théâtres queer interrogent « d'un point de vue politique, les sexes, les genres, les sexualités et l'érotisme »343. Les propositions de Juliette Kapla et de la Cie Lubat peuvent questionner ces éléments, mais ce n'est pas leur esthétique première. Même si elles ont des caractéristiques queer comme la subversion politique et la volonté d'être indéfinissables, elles ne répondent pas à une esthétique dite queer. Peut-être sont-elles d'autant plus subversives qu'elles ne peuvent pas non plus intégrer cette catégorie ?

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343 PLANA Muriel, op.cit., p.295.

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CONCLUSION

Du fin fond des Landes girondines, l'équipe d'Uzeste Musical tient un petit théâtre dans un village de trois cents âmes... le village des « irréductibles gueulard?es ». Contre les normes, les catégories, l'économie urbaine, et les inégalités qui en résultent, ils?elles cherchent à inventer leurs propres économies du travail et de l'esthétique. Cependant, le discours qui est diffusé par Uzeste Musical, comme tout média, est dépendant des contextes de production, de diffusion et de réception. Ces trois instances demandant un travail colossal d'analyse, la présente étude s'est resserrée sur les instances les plus favorables à une évolution féministe dans le cas de ce terrain, c'est-à-dire la production et la diffusion.

Le contexte de production d'Uzeste Musical est lié aux viviers artistiques nationaux. Avec 36% de femmes artistes, 70% d'administratrices de compagnies, 8% de musiciennes, 24% d'auteures de théâtre, 68% de danseuses, etc., le secteur culturel est marqué par le genre. La moyenne générale des représentations de femmes est diminuée à Uzeste par la dominance de la musique, mais les proportions internes aux disciplines reflètent, dans l'ensemble, une situation nationale.

Imposer des quotas n'est certainement pas bonne solution. Cela traiterait les chiffres, mais pas le problème profond de discrimination. Celles qui seraient mises en difficulté sur scène ne bénéficieraient pas d'un discours bienveillant (« il y a du travail à faire, mais l'idée est bonne », « on peut se tromper, ça sera mieux la prochaine fois »), mais d'un discours discriminant « elle a été imposée par le quota » et ne valorisant plus les compétences réelles.

Par contre, l'improvisation peut-être un moyen d'inviter plus régulièrement des femmes artistes, et ainsi multiplier leur représentation. La mise en place de rencontres improvisées que permet l'Hestejada de las arts peu aussi permettre aux improvisateur?trices d'investir de nouveaux réseaux. Le nombre de musiciennes étant particulièrement faible, augmenter la proportion de représentations d'autres arts aurait pour effet d'augmenter le poids de vivier plus féminin. L'intérêt grandissant pour la transdisciplinarité, notamment avec le cirque de Louis Lubat va en ce sens.

Le parti Collectif, collectif de jeunes artistes bordelais affilié à Uzeste Musical, pourrait être un groupe de potes privilégié pour l'insertion de jeunes femmes à Uzeste. Cette association propose divers projets où les compétences demandées ne sont pas arrêtées. De plus, la problématique de la féminisation de la profession musicale est déjà (d)énoncée dans les discussions officieuses. Chercher à atteindre le ratio de 33% proposé par Reine Prat pourrait

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être un objectif commun et assumé qui aurait le double avantage d'aider des musiciennes à la professionnalisation et de féminiser les représentations à Uzeste Musical. Le ratio proposé présente l'avantage d'être le « seuil à partir duquel le groupe minoritaire n'est plus perçu comme tel344 » et d'être inférieur (donc plus facile à atteindre) à la proportion de musiciennes en écoles, vivier déjà exploité par l'association. Il faudrait alors sortir des discussions informelles pour assumer une politique féministe (même si elle n'est pas énoncée ainsi).

Une politique professionnelle féministe, au-delà d'objectifs chiffrés, peut aussi se réfléchir en termes de sécurité d'emploi. Le fait que les femmes instrumentistes soient majoritairement en couple avec des hommes du métier doit aussi être pris en compte. La situation conjugale des individus ne doit pas être une condition sine qua non de perspectives professionnelles. « Le privé est public » pour reprendre un vieux slogan toujours d'actualité. La précarité des femmes artistes peut aussi être réduite par une réflexion autour de la parentalité, et le rôle l'aide que les structures professionnelles peuvent apporter (à la Grainerie de Toulouse, par exemple, se réfléchit actuellement une crèche collective pour les employé?es et les artistes). La haute fonctionnaire d'Etat Brigitte Grésy propose de réfléchir la gestion du temps professionnel dans l'articulation « bonne performance d'une entreprise », et « bien être des salariés », avec notamment les questions d'égalité et de parentalité345.

Il est donc évident que les ségrégations par discipline s'observent dans les chiffres d'Uzeste, via les viviers nationaux. Cependant, Uzeste témoigne aussi d'une ségrégation verticale, avec une réduction du nombre de représentation de femmes avec l'augmentation de la visibilité : elles produisent 24% des représentations à moindre visibilité, mais seulement 13% des représentations les soirs, sur la grosse scène. Cette réduction est en partie due à la prédominance de la musique sur la scène à plus grande visibilité ; mais pas uniquement, puisque toutes les disciplines rendent compte de cette ségrégation en interne. Uzeste Musical privilégiant des têtes d'affiche pour cette scène, le plafond de verre national se retrouve sur le local. Le plafond de verre rassemble en une notion les éléments qui mettent les femmes en situation de handicap pour accéder à des fonctions valorisées, que ces éléments soient externes ou internes à la personne (comme le sentiment d'illégitimité).

344 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.47.

345 AN Performance, Entretien avec Brigitte Grésy : Sexisme ordinaire et diversité [en ligne], youtube, [ https://www.youtube.com/watch?v=FvKqSM9f1e4], consulté le 10 juin 2015, 5 :20.

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Les acteur?trices d'Uzeste Musical invitent néanmoins des artistes inconnu?es sur la grosse scène, en défendant des concepts de soirée. Il est donc totalement envisageable de représenter les femmes sur cette scène, à proportions égales des scènes moindres.

La question des ségrégations verticales et horizontales mériterait des objectifs quantifiés, définis par Uzeste Musical. Reste, après avoir fixé les objectifs, la difficulté de suivre ces comptes. Il peut être envisagé d'adapter les fonctions d'un logiciel comme celui des fiches de paie, pour pouvoir produire ces chiffres au fur et à mesure des années.

Si le phénomène des ségrégations verticales et horizontales est visible par les chiffres, il faut creuser le passé, la construction de l'histoire de l'art et les mythes qui nous en restent. La période après la Révolution française a largement réduit l'accès des femmes à la création artistique. Le 19ème siècle a ainsi développé des dichotomies de genre comme le créateur et la créature, le génie et la muse, l'artiste et la dilettante. Ces structures binaires ont affirmé un modèle d'artiste masculin. La construction de l'histoire des arts, elle-même produite dans des contextes peu enclins à donner de la valeur à des productions de femmes, les a effacées ou dévalorisées. Les productions qui font aujourd'hui histoire, patrimoine, et références esthétiques, c'est-à-dire les canons artistiques, favorisent la reproduction d'oeuvres androcentrées.

Pour Pollock, historiciser les canons permet de remettre en question les valeurs esthétiques et tendre à vers une multiplication des canons, voire, à la subversion des échelles de valeur. La multiplication des représentations qui subvertissent la binarité du genre pourrait donc permettre de transformer le canon, mais aussi de rompre la construction -la performativité*- binaire des genres.

Nous pouvons retrouver certains mythes historiques à Uzeste, notamment celui du génie par Bernard Lubat. Celui-ci est décrit dans les discours internes et externes à la structure comme prodige instrumentiste, génie incompris et autodidacte. En effet, l'autolégitimation dont il a fait preuve lui a permis d'accomplir des choses pour lesquelles il n'était pas reconnu. Néanmoins, son genre lui a permis de s'insérer sur des parcours, comme les boîtes de jazz, où il aurait été moins admis en tant que femme. Juliette Kapla, en tant que chanteuse, a surtout souffert de la réputation des chanteuses, comme relevant d'un jazz plus commercial. Le stéréotype des chanteuses incompétentes produit un préjugé négatif envers Juliette Kapla. Ce qui peut, par passage à l'acte, créer des attitudes comportementales discriminantes. Lutter contre les discriminations est un enjeu personnel pour cette musicienne. Les retours qui lui sont fait l'enferment régulièrement sous l'étiquette d'art féminin, qui se distingue, non pas d'un art

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masculin, mais de l'art, en général. L'enjeu de ne pas être identifié?e dans la binarité des genres n'est pas anodin, puisqu'il s'agit de sortir d'une hiérarchie genrée des pratiques sociales, et par la même de la hiérarchisation des individus346.

Fabrice Viera propose quant à lui un autre modèle, à l'encontre de la spécialisation du travail tayloriste. A Uzeste, l'art est au coeur du mouvement, il est le mouvement. Les tâches artistiques sont donc en haut de l'échelle symbolique des valeurs de travail, au-dessus de la technique et de l'administration. Cependant, Fabrice Vieira superpose les tâches, créant une image trouble, sans valeur homogène. Cette multiplication des identités de travail subvertie un modèle, défendu par le capitalisme, de repartions de tâches spécifiques à chaque employé?e. Dans une structure à l'échelle d'Uzeste, avec moins d'un dizaine de permanents, une amplification de ce modèle de polyvalence est possible. Il s'agit donc, plus techniquement, de prendre en compte toutes les tâches (du haut en bas de l'échelle de valeurs symboliques, de la scène au ménage), et de les répartir, en ayant pour but une égalité des valeurs symboliques entre les emplois de chacun?e.

Ces diverses propositions -objectifs quantitatifs, discrimination positive envers des potentielles membres du parti Collectif, répartition équitable des valeurs symboliques de travail, et remise en question des valeurs canoniques-, nécessitent un débat collectif pour être mise en place sans reproduire des discriminations. Le but étant que tous les individus soient acteur?trices de ses changements.

Enfin, le discours médiatique d'Uzeste Musical, celui produit sur scène, cherche à rassembler politique et artistique. Pour ce, la parole est employée à la critique des situations d'inégalités actuelles. Mais la subversion artistique de ces artistes réside surtout dans la forme, dans la subversion esthétique. La capacité réflexive du?de la spectateur?trice est accrue par distanciation, en faisant se contraster des moments dramatiques -de fiction- et des temps où le public ne peut se projeter dans l'espace scénique. La fusion de plus en plus accrue dans leur pratique tend à les rendre indescriptibles, sauf peut-être en rendant leur singularité adjective : « à la kapla » ou « lubatienne ». En cela ces artistes s'approprient des pratiques pour en faire autre chose, au-delà des catégories. Ils?elle exploitent les marges, sans se soucier des limites, ce qui, pour Fédéric Villemur, revient à être queer347. Par la multiplication de ces formes hors définitions, ces artistes participent à la subversion des canons, projet de Griselda Pollock pour déconstruire les valeurs en art.

346 GRESY Brigitte, op.cit.

347 VILLEMUR Frédérique, art.cit., p. 153.

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ANNEXES

TABLE DES ANNEXES

1. CORPUS 121

1.1. Corpus principal 121
1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 . 121 1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des équipes technique et

organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14 121
1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations

artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et visibilité 122

1.1.2. Entretiens semi-directifs 123

1.1.2.1. Grille initiale des entretiens 124

1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat 125

1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla 143

1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira 167

1.1.3. Carnet de bord 183

1.2. Corpus secondaire 189

1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane Camus, Jaime Chao 189

2. DOCUMENTS ANNEXES 219

2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014 217

2.2. Photographies du Théâtre Amusicien 217

1. CORPUS

1.1. CORPUS PRINCIPAL

1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014

Il y a deux buts à quantifier les représentations hommes/femmes des équipes organisationnelle et technique, puis dans les représentations artistiques des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 :

- Le premier objectif est d'observer, de manière chiffrée, s'il y a bien une inégalité hommes/femmes du nombre de représentations.

- Le deuxième but est de comparer les chiffres locaux aux chiffres nationaux, pour pouvoir affirmer ou infirmer un lien entre le contexte national et le terrain.

Le comptage est réduit aux années 2013 et 2014, car le but n'est pas d'observer une évolution mais une situation actuelle. Aussi, parce que je n'ai connu que ces deux éditions, ce qui me permet d'avoir une observation qualitative complémentaire.

Ces chiffres sont produits uniquement sur les Hestejadas et pas sur l'ensemble des représentations des années 2013 et 2014, car les représentations de l'année présentent peu de turn-over, en raison de la ruralité du lieu. La surreprésentation des artistes de la Cie Lubat sur la saison artistique fausserait l'observation d'un lien potentiel entre local et national.

1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des équipes technique et organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14

 
 
 
 
 

Pour les équipes technique et organisationnelle, le compte est fait sur l'ensemble du festival (David Brunet, directeur technique des deux éditions est compté une seule fois chaque année).

Ces équipes changent peu d'une année sur l'autre.

Equipe

Equipe

 

TOTAUX

 

Statut

technique

 

organisation

 

H

F

 

H F

 

H F

 

Salarié es

17

1

1

3

18

82%

4

18%

77%

5%

5%

14%

2013

Bénévoles

1

2

2%

4%

18 3

13

25%

14

36

69%

39

14

32

38

27%

73%

 

Total par

discipline

 
 
 

43%

42

57%

86% 14%

26%

74%

 

Salarié es

16 1

1

2

17

85%

3

15%

80% 5%

5%

10%

2014

Bénévoles

1 -

3% -

17 1

6 25

19% 78%

7 27

7

24

25

22%

78%

 

Total par

 
 

28

 

discipline

94% 6%

21% 79%

46%

54%

Salarié úes

94% 6%

40% 60%

83% 17%

Bénévoles

50% 50%

24% 76%

24% 76%

17% 52%

121

Pour pouvoir comparer les chiffres nationaux et locaux, j'ai employé la méthode de comptage de Reine Prat1. Elle compte les représentations et non pas les artistes. Donc un?e artiste qui joue trois fois est compté?e trois fois.

Le festival d'Uzeste étant transdisciplinaire*, il n'est pas toujours aisé de classer une représentation dans une discipline. Ainsi, une même représentation peut être divisée dans plusieurs colonnes. Par exemple, un spectacle musical et théâtral de Juliette Kapla est compté 0,5 en musique et 0,5 en théâtre (c'est la raison de chiffres avec décimale).

122

1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et visibilité

123

1.1.2. Entretiens semi-directifs

Les entretiens semi-directifs faits avec Bernard Lubat, Juliette Kapla et Fabrice Vieira

ont pour but de faire ressortir les conceptions du genre de ces trois personnes clefs, et

d'entrevoir les points forts d'Uzeste Musical pour tendre vers un politique égalitaire.

Bernard Lubat est le directeur artistique du lieu, et fondateur d'Uzeste Musical. Fabrice Vieira est le guitariste, administrateur et technicien de la Cie Lubat.

Tous deux vivent à Uzeste.

Juliette Kapla est artiste associée de la Cie Lubat. Même si elle vit à Lille et non pas à Uzeste, elle est très présente dans les projets du lieu.

Fabrice Vieira et Juliette Kapla sont en couple. Tous trois sont amusicien?nes : viennent de la musique et mêlent les arts jusqu'à les confondre.

124

1.1.2.1. Grille initiale des entretiens

Cette grille a permis d'avoir un cadre commun aux entretiens, mais les situations et réponses de chacun?e en ont modifié l'ordre voire amené d'autres questions.

Es-tu militant?e ?

- sur scène, en dehors ? -sur quels terrains ?

Qu'est-ce qu'Uzeste pour toi ?

Quelle est ta place à Uzeste, comment t'y définirais-tu ?

De ton observation, quelle est la répartition homme/femme dans le secteur culturel ?

En musique, jazz particulièrement,

Marie Buscatto écrit : « Les chanteuses ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente et sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux»348.

Est-ce que tu t'es déjà senti témoin de cette bagarre ?

 

Marie Buscatto décrit, en parlant des musiciennes majoritairement en couple avec un homme du métier, un phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau de son conjoint. Situation bénéfice, car elle permet d'avoir un réseau, mais avec les inconvenants qu'elles restent dans l'ombre du conjoint et qu'il y a un vide si le couple rompt.

C'est un phénomène que tu as observé ? Est-ce que ça t'es déjà arrivé ?

Elle décrit aussi le besoin, en tant qu'artiste, d'être soutenu?e (moralement et dans la vie de famille s'il y a). Les femmes se retrouvent à porter ce rôle pour elle et leur conjoint, aux dépends de leur pratique personnelle.

Est-ce que tu es en accord/désaccord avec cette chercheuse ? Est-ce que c'est un constat que tu as aussi fait ?

Te sens-tu légitime à monter sur scène ? Depuis quand, comment ?

Pour toi, que signifie « féminisme » ?

 

Te considères-tu comme féministe ?

As-tu des influences artistiques féministes ?

D'après toi, est-ce qu'il existe un art féministe ?

Pour toi, qu'est-ce que le féminin et le masculin ?

 

Existe-t-il un art féminin ou masculin ?

Dans le travail, est-il plus intéressant de travailler dans des groupes mixtes ou non-mixtes ?

A Uzeste,

Où sont le masculin et le féminin ?

 

Où sont les femmes et les hommes ?

Comment te sens-tu vis-à-vis de cette situation ?

(Vieira et Lubat) Quelles responsabilités et possibilités en tant qu'organisateurs ?

348 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit, p. 52.

125

En gras sont les citations utilisées dans le mémoire.

Les notes sont des ajouts des personnes interrogées après relecture.

1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat

Le 10 février 2015, de 16h à 19h, 3h d'enregistrement

A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste Musical, salle de spectacle.

Bernard Lubat: Dans la représentation du show-business, c'est-à-dire la plus importante quantitativement, c'est le besoin de s'identifier pas au médium artistique, mais à la personne. C'est-à-dire, si j'anticipe, c'est de s'identifier au chanteur, c'est pas du tout .... C'est-à-dire que quand tu t'identifies, tu te nies quoi. Donc, tu achètes. Tu vois le chanteur, tu t'identifies, donc tu achètes. Tu te rassures. Mais c'est pas l'oeuvre d'art, c'est pas l'art que t'achètes. C'est pas le médium que t'achètes, c'est la personne. C'est la représentation de la personne. Tu t'identifies dans la personne. Par contre si tu écoutes Mozart, tu peux pas t'identifier à Mozart. T'es obligé de te poser la question de toi même.

Anna Legrand: Et est-ce que pour le coup, en tant que, mettons femmes noires, je pense aux deux jeunes filles qui étaient venues de Soweto, est-ce que je suis en mesure de m'identifier à ces jeunes hommes, riches blancs qui sont sur ces scènes en majorité.

BL : Oui, oui... Tu peux, tu peux t'identifier... Non. Par contre. Tu peux réfléchir ta condition à travers celle que tu découvres qui est montrée par ces jeunes femmes noires. Euh... Après... C'est-à-dire que ces deux femmes noires, que tu vas voir, ne te remplacent pas. Elles t'interpellent.

AL: Mmm. Mais je pensais plutôt si.... par exemple j'ai une amie qui est lesbienne noire, qui peuvent être perçus comme handicaps sociaux. Et j'ai été très étonnée dans une discussion de comprendre à quel point elle n'avait jamais réussi à s'identifier à tous les personnages de contes, de fictions, dans les films etc. jusqu'à finalement assez tard, aujourd'hui, où il y a quelques séries américaines qui montrent...

BL: Ah oui, ah oui...

AL: des femmes noires et très très rarement lesbiennes. Et, et...

BL: Oui, c'est ça oui. C'est-à-dire que... c'est l'effet inverse de ce dont je te parlais. C'est bien foutu les séries américaines, parce que ça te permet de t'identifier dans une société qui t'apparait respectable. Donc tout à coup le racisme passe à l'as, la problématique des genres revient au galop. Une lesbienne qui est filmée en tant que lesbienne, ça permet de s'identifier là-dedans donc de s'inscrire dans une société que l'on ne critique plus. C'est ça le paradoxe, si tu veux, d'être "intégré". On est intégré, mais dans quoi? En tout cas, pas dans la raison critique. On est intégré plutôt dans le troupeau. Attend bouge pas, je prends mes notes. L'identification c'est un drôle de truc. C'est un drôle de truc. Moi je sais que... les gens qui viennent m'écouter quand je joue, je pense qu'ils, 99% de ceux qui m'écoutent ne

126

s'identifient pas du tout à moi. Et je m'en occupe. Tu vois, je ne voudrais pas leur faire croire qu'ils sont moi. Mais je voudrais plutôt qu'ils découvrent qui ils sont eux.

AL: Et pourquoi?

BL: Parce que je suis pas un curé. Je suis pas... un prophète. J'ai rien à... j'ai rien à remplacer à personne.

AL: Après c'est vrai que toi sur scène, tu te présentes en tant que toi même.

BL: Oui

AL: En tant que Bernard Lubat, je suis là et...

BL: Oui, mais en tant que médium, en tant que ma personne. Ma personne elle est pas que là. Il y a ce que je joue avec ma personne qui est là. Et normalement ce que je joue doit mettre ma personne... (Siffle), en coulisses. (Silence)

AL: Et en même temps, moi j'ai cette impression, il y a des moments quand tu prends la parole sur du texte interprété, là tu n'es plus que toi parce que tu interprètes une autre voix, et en même temps, quand tu parles d'Uzeste, de problématiques qui te sont chères, etc. J'ai l'impression que c'est la même personne que je peux après voir dans les coulisses.

BL: Oui, c'est vrai. Mais...

AL: Est-ce que ça ne permet pas d'empêcher l'identification?

BL: Tout le problème est là. C'est que... "Artiste" ça pourrait être d'être identifié comme inidentifiable. Tu vois il faudrait pouvoir identifier l'incernable. C'est-à-dire quelque chose qui regarde tout le monde. Personne ne sait qui il est. Il n'y a que ceux qui croient. Tu vois je lisais toute à l'heure: (prend une feuille) "De plus en plus de gens replacent le "je pense" par le "je crois"." (Silence) Alors... On a perdu la pensée, enfin la liberté critique parce que croire c'est adhérer. Je crois à l'artiste, j'adhère. Je perds mon sens critique. Ma capacité critique. Ça ne veut pas dire que j'aime ou que j'aime pas. C'est-à-dire que... Il y a une question dans la relation entre artistes et publics qui est très compliquée parce que.... nous ne sommes pas des curés quoi. Nous ne sommes pas là pour professer de la vérité. On est là pour proposer une relation.

AL: Quelle est...

BL: Mais une relation critique. Et non pas de domination. Ni dominant, ni dominé. Donc pour avoir cette relation ni dominant/ni dominé, il faut proposer un médium. Et le médium, c'est le jeu. Le jeu musical, le jeu gestuel, le jeu théâtral, le jeu... c'est-à-dire le symbolique.

AL: Et en quoi le fait de jouer, c'est peut-être idiot comme question mais c'est pour reprendre les mots, en quoi le jeu effacerait la domination? Parce que justement il y a toujours des meneurs de jeu, etc.

BL: Oui je sais bien, bin c'est là qu'il faut être créatif quoi. Parce que celui qui joue à être adoré, celui-là il joue au dominant.

AL: Exactement, c'est à ça que je pensais.

BL: Voilà, donc il faut trouver un jeu... c'est pour ça qu'il y a de la créativité. Il faut trouver un jeu, c'est ce qu'on essaie de faire avec la compagnie, d'être critique en situation

127

critique. C'est-à-dire que... critiquer la musique. "On a un devoir envers la musique, celui de l'inventer." C'est Stravinski qui dit ça. (Silence)

AL: Et...

BL: Par exemple, pour un artiste, je veux pas lui dire "D'où tu viens, quelle est ta culture?" Je vais lui dire "Qu'est-ce que tu fais de ta raison et de ta liberté?". [Paraphrase] C'est ça qui m'intéresse, "Qu'est-ce que tu nous proposes?"

AL: Est-ce que dans cette vision-là, le fait d'être une minorité, au sens social, peut être un atout?

BL: Bin oui, c'est dire aux autres; je suis différent de toi, je suis différent de tout, donc... C'est la minorité. Et Deleuze disait; "C'est quoi être de gauche? C'est savoir que la minorité c'est tout le monde." Et je dis ça des fois sur scène, alors les gens se marrent. Et puis j'ai trouvé une réponse; après je dis: "C'est quoi être de droite?" Je demande ça au public alors il répond pas, il se méfie, tu vois... Parce que personne n'est de droite. Alors je dis: "C'est quoi être de droite? C'est croire que la majorité, c'est moi." Je dis "c'est croire" tu vois, alors que l'autre y dit "c'est savoir", "la minorité c'est savoir". Donc la relation de l'artistique à la société et aux publics elle n'est possible que contradictoire. (Silence) Sans ça c'est plus une relation. C'est du commerce. Du commerce d'argent, du commerce de bons sentiments, du commerce de goûts et de couleurs. Mais c'est du commerce.

AL: Et en même temps, tout artiste, même les plus engagés qui soient, sont confrontés au fait de devoir se vendre et de...

BL: Absolument. Léo Ferré il disait, il a dit un jour "j'arrête parce que j'ai l'impression de faire des messes." Il avait 2-3 milles adorateurs qui buvaient ces paroles. Il a dit j'arrête c'est pas possible.

[Digression à propos de La Télévison cérémonielle de Daniel Dayan et Elihu Katz] C'est pour ça je pense que l'artistique c'est l'inverse de ce que c'est devenu dans la liturgie libérale. C'est devenu une espèce de... plus c'est unique, moins les gens sont...débarrassés de leur capacité d'expression, de leur liberté d'expression, plus ils achètent celui qui est représentant de la liberté d'expression. Voila. Il faut une star pour deux millions de mutiques. [...] Ce qui explique aussi, qu'on aura beau faire des pieds et des mains, il n'y aura toujours que huit personnes, maintenant, qui viendront nous écouter. (Silence)

AL: Quand je t'entends sur scène, je t'entends comme un militant, en tous cas comme te décrivant comme un militant...

BL: Ouais

AL: Et je me suis posée cette question: "Sur quel terrain?"

BL: Militant de l'art. Militant de la liberté d'expression, militant de la liberté de la pensée. Militant de l'erreur, de... de l'expérimentation, de l'exploration, de... de la confrontation entre individuel et collectif. Militant de la poésie. Militant de l'art... Cette espèce de.... Je suis militant de ça parce que je pense que... on est tous né pour être capable de le penser, quoi, de l'exprimer qu'on est né, qu'on est vivant, que ça a un sens. Mais malheureusement, ça se

128

passe pas comme ça quoi. Il y a des milliards de gens qui existent et qui survivent à condition qu'ils la ferment, et qu'ils obéissent. (Silence)

AL: Et est-ce que pour toi ce militantisme de l'art et aussi social ou il se réduit à la sphère artistique, si je peux dire ainsi?

BL: Il est social, pour moi c'est la guerre de l'art. J'ai renversé; de l'"art de la guerre", je passe à la "guerre de l'art". (Cherche citation dans les papiers)

AL: Pour moi le militantisme est lié à Uzeste, peut-être que je me trompe

BL: Ouais, tu sais quand je suis parti d'ici, Uzeste il y a... quand j'avais 15ans j'ai fui le monde rural qui était en déshérence, et parce que dans le milieu rural on était dans le servage quoi, on n'était pas libre. Et puis j'ai fait comme tant d'autres, je suis allé à la ville, dans une autre servitude. Pour certains c'était La Poste, chez Renault, moi c'était la musique. C'était la ville. Et puis là je suis tombé dans, dans une autre servitude : l'argent, le métier de musicien, de "musicos" comme disent les couillons de musiciens. Ils se traitent eux-mêmes de "musicos", "matos". Ça rime avec "matos"349. Et donc je suis devenu une espèce d'esclave de luxe quoi, bien payé. Pour fermer sa gueule. Pour jouer ce qu'il fallait jouer comme musique. Et donc [trouve une note dans ses papiers] Voilà; "C'est pas le pouvoir qui crée l'obéissance, c'est l'obéissance qui crée le pouvoir" Ça c'est la Boétie. Donc j'ai obéie. Ce qui fait qu'à force de tous obéir on fait la fortune des fabricants de tubes et d'idoles. Et puis, heureusement, parallèlement à cette vie à Paris, j'avais vingt ans et quelques, vingt-cinq, j'ai découvert la liberté la nuit. La nuit dans les caves, dans les caves enfumées, sous la terre. [...] Les caves à Jazz. Où là justement s'exprimait une espèce de tonitruante liberté de moeurs, de prè-68, c'était avant 68, de moeurs, de musiques, dangereuses pour la santé, truffées de poètes, de littéraires, de musiciens, d'artistes quoi, voilà, de politiques, de mecs douteux, de mecs en rupture de ban. Et j'étais, la nuit, là, sous la terre. Et puis la journée, à la surface, en plein air, j'étais avec... ouvrier spécialisé du showbiz, qui était en plein expansion. C'était l'apparition du microsillon, des chaînes stéréo, et tout ça, tu vois [...] c'est devenu une industrie mondiale. Et donc ça, ça a explosé à un moment donné. Et puis j'ai fait par hasard en 78 le premier Uzeste Musical, parce que je passais par là en tournée avec Michel Portal. Et puis à partir de ce premier truc en 78 d'Uzeste Musical, avec un village qui était désertique, plus de paysans, plus de cultivateurs, plus d'artisans, tout le monde était parti à la ville, plus ou moins au chômage, et donc, je me suis réinstallé dans une pensée écommuniste. Et je me suis dit; tiens il faut que je fasse quelque chose d'autre. De ma vie, de ma pensée, de mon imaginaire. Donc il faut que je me remette à apprendre. Et là je suis devenu fauché comme les blés. [...] Je me suis demandé quoi faire ici, et après, quoi faire à partir d'ici? [...]

AL: Et tu étais accompagné dans tout ça ou pas du tout?

349 "Matos" signifie "matériel" dans le jargon du secteur culturel.

129

BL: Oui. C'était la compagnie. C'est-à-dire que quand je suis arrivé ici, j'ai cherché qui était ici, quels étaient les artistes ici. Les musiciens. Je suis allé voir à Pau, à Bayonne, Bordeaux [...] Et puis c'est là que j'ai rencontré Auzier, Minvielle, et puis la mère de Louis, Laure avec qui j'ai vécu. Et puis petit à petit, c'est-à-dire c'est compliqué tout ça. Tout d'abord la compagnie elle est né à Paris, avec des musiciens de Paris, des comédiens... On était au Théâtre Mouffetard à Paris pendant un ou deux ans, ça c'était en 76. Et là c'était une compagnie punk, de déconstruction avant la lettre. Je faisais de la déconstruction sans le savoir. On démolissait tout, on démolissait la musique.

AL: Une question peut-être idiote mais c'est des mouvements musicaux qui sont liés quand même à la libération de 68, non?

BL: Oui, mais... Oui, oui, oui. Mais moi 68, tu vois... Oui ça vient de 68. 68 c'est énorme. C'est une explosion formidable. Moi 68 je jouais dans les boites de jazz. Par contre là, après 68 ils se sont tous précipités dans leur amour des Beatles, et des Rolling Stones, moi j'en ai rien à secouer. Moi ce qui m'intéressais c'était Jean-Paul Sartre, c'était Thelonious Monc, c'était John Coltrane, Mike Devis, enfin tu vois. C'était pas du tout l'anglo-klaxon, comme j'appelle maintenant. [...] Donc on a écumé les boites de jazz, avec la compagnie Lubat, oui, dans un esprit 68, punk quoi. Et puis j'en ai eu un peu assez. Et puis entre temps c'est les retrouvailles avec l'état dans lequel était Uzeste et surtout dans l'état dans lequel Uzeste était en moi. Le village de mon enfance. J'ai pensé que ma modernité c'était à partir d'ici quoi. C'était à partir de ce handicap d'être minoritaire parce que ruralisé. Tu vois ça valait pas un clou la ruralité. Ça vaut encore moins maintenant. Mais pour moi c'était... c'est ma poésie. (Silence)

AL: La question va peut-être paraitre bête mais elle me parait essentielle; quelle est ta place à Uzeste, comment est-ce que tu t'y définirais?

BL: Ma place à Uzeste c'est....euh.... (Tapote sur la table)... Ma place à Uzeste c'est des places, déplacées. Ma place. Uzeste. Je ne suis pas représentatif d'un lieu. Je suis représentatif d'un acte. Tu vois. Ce à quoi je participe ici est symbolique d'un acte, pas d'un lieu. Le lieu, n'est pas accessoire, mais il n'est pas premier. L'acte premier c'est la création artistique contemporaine. (Silence) C'est que quelque part pour des raisons historiques, être capable de créativité contemporaine en milieu rural, dans l'état dans lequel il est, c'est un paradoxe. Le milieu rural étant plutôt symbolique de la conservation. [...]

AL: C'est marrant, parce que quand je t'ai demandé ta place à Uzeste, comment tu t'y définirais, tu...

BL: Contre

AL: Contre Uzeste? D'Uzeste Musical, je parle

BL: Oui, oui, oui. Je suis contre. Je suis comme... Je suis contre ce qui ne bouge pas. Je suis contre. Je suis contre ce qui se suffit, je suis contre ceux qui croient. Euh... Voila. On écrit bien que contre. "On ne pense bien que contre" C'est Aragon qui dit ça. Voila. Donc ici, être contre, la raison critique, on n'a pas été éduqué à ça quoi. Alors il faut faire de la philo, il faut... Justement aller dans des grandes universités, alors, en général ceux qui accèdent à la raison critique, à la pensée critique deviennent profs de philos. Ils ne retournent

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pas dans leur... dans leur campagne ou leur village ou de l'endroit d'où ils viennent pour ouvrir des ateliers de philo quoi. Ils vont gagner leur vie où ils peuvent. Mais y en a qui le font. Bernard Stiegler par exemple, il le fait. Et c'est ce que j'essaie de faire, moi, avec l'art contemporain quoi. Et d'un point de vue écommuniste, je ne peux plus vivre en ville, parce que pour moi la ville, telle que c'est devenue, ces mégalopoles, c'est des pléonasmes. Ce sont des gros tas où il se passe rien, je sais pas pourquoi [...] il s'y passe rien, rien de grave! Que des drames. Y a plus de beauté, y a plus d'odeurs, de pensée, y a ... Ça me fait penser à des huitres moi, tu vois. [...] Pour moi les villes se sont devenues des troupeaux. [...] Parce que c'est ça le rural pour moi, c'est la confrontation entre nature et culture. Donc ici c'est nécessairement penser par soi-même, et par tous les bouquins qui m'aident. [...] Mais je trouve que la question de créer, de vivre, à partir du monde rural contemporain, c'est vraiment un challenge, heu, Beckettien.

AL: Et alors qu'est-ce qu'Uzeste pour toi?

BL: Qu'est-ce qu'Uzeste Musical ou Uzeste municipal? [...]

AL: Qu'est-ce qu'Uzeste Musical?

BL: C'est un point de friction. Qui s'est élaboré par lui-même. Par une conjonction de désirances, dont je ne suis qu'une étincelle. Un foyer quoi. Le feu a pris et c'est de la flamme. Ça brûle. Alors il faut mettre du bois tout le temps. Mais c'est ça. Donc tant que ça flambe... et bin ça existe. Je suis toujours étonné tous les ans que ça existe encore parce que je sais jamais si le feu va pas... s'éteindre. Et puis maintenant je suis un peu plus, comment dire, rassuré et joyeux parce qu'il y a Louis, parce qu'il y a tous les jeunes, tu vois, qui, qui vont peut-être savoir servir et se servir de cette flamme. Pour la trimballer ailleurs. Pour l'amener... [...] Si tu veux, à Uzeste je suis dans le troupeau, je fais partie du troupeau et je gueule contre le troupeau. Et je gueule contre nous en disant: "Ça suffit, on n'est pas un troupeau, nous sommes des individus qui devons apprendre à devenir chacun et à vivre ensemble. [...]

AL: Quelque chose qui m'a vraiment fait échos pendant les stages, en écoutant, en trainant mon oreille ici, c'est cette perpétuelle dichotomie entre peur et désir. Et, évidemment je me demande, quelque chose où j'ai des réponses différentes c'est ; où est la peur et où est le désir?

BL: Mmm. Bon d'abord, la peur, c'est la peur d'avoir peur. Premier étage. Une fois que t'as passé la peur d'avoir peur, il reste la vraie peur, la Peur. Et c'est là que ça se passe. Il faut franchir... D'abord t'as la peur de monter sur scène. Voilà. La scène mythique, la scène de la représentation de soi, de ses rêves, de ses espérances, de son imaginaire. Le public, c'est pour ça qu'il est assis dans sa chaise. Il est là, il regarde la scène comme un brasier, comme un bûcher: "j'ai la trouille d'y aller parce que si j'y vais je vais brûler!" Mais intérieurement, il sait pourquoi il y va pas, même si c'est pas conscient. [...] Et ensuite, alors, le désir. Alors le désir c'est quand, tu vois, je me souviens, ici. Voilà, l'exemple du désir. Ici, avant, y avait ma mère qui habitait derrière là (montre le fond de scène et les loges), tu vois, et il y avait une porte qui donnait sur scène. Et la première fois que Louis, il a joué sur scène, ici. Je sais

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pas quel âge il avait, onze, douze ans. Il y avait du monde, enfin il y avait quand même une certaine ambiance tu vois. Et j'étais derrière lui, dans les coulisses et j'allais, j'étais prêt à le pousser pour qu'il y aille. La porte s'ouvre et, juste je fais ça (geste comme s'il allait pousser doucement quelqu'un dans le dos) il avance tout seul.

AL: Il m'avait raconté oui.

BL: Il t'a raconté ça ? Ça, c'est ça le désir. Le désir c'est quand tu le payes à toi. Quand d'un seul coup c'est toi le responsable. Et alors à partir de là, tu choisis la peur. T'es plus dans la peur d'avoir peur, tu choisis, tu fais le pas, tu montes sur scène.

AL: C'est marrant de mettre en lien le désir et la responsabilité. Je ne sais pas si tu as fait exprès? BL: Mmmm. Oui parce que je pense que le désir d'être, c'est une responsabilité sociale...collective. Ça fait chier les nihilistes.

AL: Je vais plus rentrer sur la partie genrée. Toi tu as quand même connu pas mal d'époques musicales, je pense, notamment entre Paris/ici, ça a quand même dû être des milieux différents. Et quel serait ton constat sur la répartition hommes/femmes et même noirs/blancs/arabes sur le secteur culturel, musical puisque c'est plus celui que tu connais mais pourquoi pas autres.

BL: C'est social. Le rebeu peut pas faire de classique. S'il vit dans son HLM, il peut pas faire de musique, il a pas un piano. Déjà, les grands frères des années 60, rebeus, martiniquais ou magrébins, ils jouaient de la guitare basse. De la guitare, de la guitare à des toumbas [genre musical et sortes de bal] ils faisaient pas du rap. Ils jouaient encore des instruments. Maintenant ils jouent plus des instruments les mecs. [...] Donc tout ça c'est social. L'histoire des femmes aussi. Dans le jazz il commence à y avoir des femmes qui jouent. Mais pendant longtemps les femmes, qu'est-ce qu'elles faisaient dans la musique? Chanteuse, danseuse. Chanteuse classique, y en a beaucoup. Comme par hasard, mais bourgeoises. Après chanteuse de variété, parce que l'image de la femme, évidemment tout ça... Mais par contre, il a fallu longtemps pour voir une femme jouer du saxophone, ou de la batterie, ou de la contrebasse. Ça commence, et y en a des très très bonnes. Donc c'est social. Y a pas de limite là-dedans. [...] Et puis l'éducation. A quoi on joue avec l'éducation. On joue toujours avec nos croyances. Je suis pas assez intelligent, enfin pas assez cultivé pour analyser tout ça, pour bien cerner tout ça. J'affronte tout ça, mais empiriquement. [...] Et Boulez il dit: "La nécessité conjointe des règles et de leur transgression." C'est-à-dire le Diable et le Bon-Dieu, le vrai/le faux.... Et je pense que là, c'est l'art qui ait la capacité de tout ça, parce que l'art c'est un intervalle, c'est un intervalle à ouvrir entre le vrai/le faux, le bien/le mal, le sûr/le pas sûr. L'art c'est la subjectivité. A mon avis il en faudrait beaucoup plus. Ça permettrait aux gens de comprendre qu'ils trouvent, qu'ils ouvrent par eux-mêmes ces intervalles. [...]

AL: Tu as parlé de reconnaissance et d'éducation, à des moments différents, et je sais que c'est des paramètres qui rentrent en compte pour parler de légitimité. J'en parlais notamment avec Juliette Kapla, et puis c'est aussi quelque chose qui revient beaucoup dans les recherches féministes, sur la nécessité d'être reconnue légitime et de se sentir légitime pour faire. Et est-ce que toi tu te sens légitime? Et comment, si oui, t'en es venu à te sentir légitime?

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BL: Alors, j'ai commencé à me sentir pas légitime du tout. Quand je suis parti à Paris, je me sentais légitimement inculte. Voilà, j'étais légitimement inculte. A Paris je m'en suis rendu compte que j'étais inculte. Et en même temps je me suis rendu compte qu'on pouvait gagner beaucoup d'argent en étant inculte. C'est-à-dire en restant où on allait, en étant cynique, commerçant. Justement c'est une condition sine qua none d'être inculte et de faire une brillante carrière. Et donc, à cette période où j'étais ouvrier spécialisé dans les studios de variétés à Paris, j'avais 25ans, j'ai pensé que j'étais perdu pour la musique. Après tout, bon, je me suis dit: "je serais jamais un grand musicien, je suis un petit musicien, je gagne bien ma vie, et puis voilà". J'ai failli l'accepté, pendant quelque temps. Et puis, euh, la liberté, par le jazz, l'art de l'improvisation, ça continuait à brûler quoi, au fond. Et puis, j'ai construit ma légitimité par Uzeste Musical. D'abord la légitimité de moi, dans mon miroir. Par Uzeste Musical j'ai retrouvé ma dignité. Là je me suis: tiens, je suis capable de quelque chose, je suis coupable de quelque chose. Parce que j'ai vu en effet, que je ne faisais pas l'unanimité. [...] Quand je suis arrivé ici, j'ai eu des gens pour, et rapidement tout le monde contre. Donc il a fallu que je la réfléchisse cette auto-légitimité. J'ai insisté, et petit à petit, Uzeste Musical a été reconnu, par ses pairs, par des critiques, par certains publics. Donc ça m'a requinqué. Et à partir de là, je me suis remis au boulot, de travail sur soi, de musique, de philosophie, à mon niveau, mais tu vois, tout le temps, tout le temps. Et j'ai changé de vie, et je me suis travaillé. Et, grâce à ce double mouvement; Uzeste Musical qui continue et moi qui me travaille, là je suis arrivé à une autre reconnaissance de mes pairs. De ceux que je considérais, moi, comme des grands musiciens. Et là j'ai eu la reconnaissance de ces grands musiciens. Je suis devenu, a priori, un grand musicien.

AL: Donc des personnes comme, alors je vais dire ceux que je connais d'ici parce que justement j'avoue que je suis une inculte de musique, des personnes comme Portal, Shepp ou Di Donato etc. sont des personnes qui t'ont connu d'Uzeste ou de Paris?

BL: Les deux. Parce que j'ai fait Uzeste avec eux. Uzeste ça s'est fait avec ces types-là. Qui étaient des alternatifs. Mais on s'est connu à Paris. Ce sont tous des immigrés qui sont allés à Paris, au théâtre de Bayonne tout ça. Et à Paris, on a fait le métier, on a fait du jazz, on a fait de la musique contemporaine, on s'est connu là. Et au fur et à mesure, je te dis le premier concert, qu'on a fait spontanément à Uzeste, c'était avec Portal. Portal est depuis 38ans ici, tous les ans. Et à travers tous ces évènements d'Uzeste Musical qui commençaient à être reconnus, moi je me suis reconnu moi-même. Comme un musicien qui pouvait devenir conséquent. Voila. Moi je pense que la reconnaissance ça passe par soi. D'abord. Parce que, ou t'es prétentieux, ou t'es un malade mental, ou t'es mégalo etc., mais tu te reconnais toi-même. Parce que si tu crois ce qu'ils te disent: non. Tu passes pas un tremplin là. Ça c'est le libéralisme qui te fait passer un concours. Tout ça c'est du pipeau. La reconnaissance, la considération psychologique elle vient de soi. Je suis une pointure, je veux devenir une pointure. J'ai de l'ambition. Je veux devenir quelqu'un, mais pas quelqu'un pour briller, non, quelqu'un pour me confronter à l'histoire de l'art. Tu vois, moi je voulais arriver à être capable de faire de la musique avec tous les mecs assis à côté de

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moi, Mozart, Bach, Beethov', tous les cadors, les morts, les vivants, et ils m'écoutent jouer.

AL: Et tous ces "mecs", tous ces copains, est-ce qu'ils étaient...

BL: Ils sont comme moi.

AL:... est-ce qu'il était pensable qu'il y ait une femme qui s'immisce dans tout ce groupe-là?

BL: Et beh, à l'époque non. Si y en a eu. Y a eu Laure. Y a Laure, qui s'est pas immiscée, qui était partie prenante de l'organisation qui a fait partie de la société. Mais qui n'était pas musicienne, mais par la comédie, par son intelligence, par... elle a fait de la scène, et puis. Moi je l'ai connu dans un film tu vois. Je l'ai connu, je faisais comédien dans un film, et elle était le rôle principal, et je faisais la musique du film. C'est comme ça que je l'ai connue. Y a eu elle. Et après y en a eu une ou deux autres mais pas du tout du même, avec la même... D'ailleurs ce qu'elle fait Laure, ça vient de-ci de-là, pas que de ça, mais... Le film qu'elle a fait, tu l'as vu?

AL: Non, pas encore.

BL: Tu verras, c'est du boulot sér..., c'est du boulot artistique quoi c'est... Et puis c'est pas fini. Maintenant il faut qu'elle réalise pleins de trucs, elle a l'âge, et le métier et la poésie. Elle a tout ce qu'il faut pour devenir une grande réalisatrice, elle l'est déjà. Donc on s'est fait les uns les autres comme ça. C'est pour ça que je j'aime bien ces artistes, parce qu'ils sont humbles mais fiers. Ils sont... C'est pour ça que la reconnaissance par l'extérieur ou la gloire c'est un épiphénomène pour eux. Ils s'en foutent. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent eux, sur eux. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent de ce qu'ils jouent. Comment je joue, à quoi je joue.

AL: Je vais recreuser sur Laure; tu as dit "Les autres n'avaient pas la même..." et c'est quoi ce "..."? [...]

BL: Oui, oui. Bin avec qui j'ai vécu. Y a eu Vanina Michel qui a fait de la scène avec nous, qui a participé, qui d'ailleurs est restée une artiste euh... Tu l'as entendu chanter déjà?

AL: Non ça me dit rien du tout.

BL: Vanina Michel, j'ai vécu plusieurs années avec elle, c'est une pianiste chanteuse et comédienne, qui était la vedette de HAIR (comédie musicale). A Paris, scandale, tu vois c'était après 68, ils étaient tous nus sur scène, ils chantaient la libération sexuelle, la libération féminine, machin, les mecs, les homos, enfin... Ils se faisaient canarder devant la porte du théâtre. Y avait des manifestations de chrétiens et tout. Monstrueux. Elle a joué partout. Mais à l'époque, y avait pas encore de musicienne, heu, y avait pas. Improvisatrice, y en a une à Toulouse, Vaudraska, elle a un peu joué avec nous, elle joue du piano free formidable. Mais c'est récent quoi. Elle a mon âge. Mais à l'époque ça existait pas.

AL: Et pourquoi?

BL: Parce que la société. Parce que les femmes jouaient pas free.

AL: Et pourquoi?

BL: Raaaah. Parce que c'était pas beau. C'était pas bien de voir une femme démonter le piano. Tu vois, jouer dans tous les coins. Qui chante une belle connerie, ou qui danse à

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la télé avec les trucs(geste pour indiquer les plumes de cabaret), ça une femme... ça c'est accepté, hein. Mais une femme... Alors qu'est-ce qu'il restait comme femmes acceptées; Edith Piaf, bon d'accord, tu vois c'est déjà une personnalité de la chanson. Le média compte, le médium compte. Eumm... Barbara. Mais, c'est tout euh... T'en avais pas mal, alors dans les orchestres classiques, symphoniques. Elles ont passées le concours. Pourquoi y en a? Parce que bourgeoisie, parce que tu fais pas de la musique classique si t'as pas des parents qui te paient un piano, un violon et que tu peux faire 5 ou 6 heures par jours pendant vingt ans

AL: Oui mais comme les hommes

BL: Oui mais, oui mais tu me parles de la place des femmes.

AL: Oui mais...

BL: Voilà. Donc c'est une façon de jouer de la musique qui correspondait à un état des femmes dans cette époque. Tu vois. Une femme qui chante comme Billie Holiday, une chanteuse de jazz hyper droguée et tout le merdier, déjà, black, c'est un autre monde quoi. Mais t'en as pas en France de Billie Holiday. T'as pas... T'as des chanteuses de variété, qui font les càcous. Alors petit à petit ça change. Mais j'attends de voir la grande chanteuse. Y a pas une nouvelle Barbara en ce moment, par exemple. C'est énorme sur scène! C'est whouaaa, de l'art quoi.

AL: Par contre j'ai vu Juliette sur scène.

BL: Je l'aime bien, mais j'aime pas trop la musique qu'elle fait tac-tic-tac-ti, mais elle a une gueule, c'est extraordinaire. Je l'ai connu toute petite, j'ai fait des milliards de studios avec son père. Et il me parlait d'la petite; "Tu sais elle chante la petite". Et elle est venue à Uzeste. Y a 25 ans. Mais je la veux pas avec son orchestre. [...] Moi je la veux, mais toute seule avec son piano. Et puis surtout, moi ce que j'adore c'est ce qu'elle dit entre les chansons. Entre les chansons, elle est géniale, elle envoie la purée, moi je l'adore. Mais les chansons des fois ça me gonflent un peu, tu vois ce côté vieilles chanson française. [...] Mais si je pouvais la faire revenir, mais ça a été difficile de la faire venir ici. Parce qu'elle aussi elle est rentrée dans le bidule. Parce que quand tu fais une tournée avec 20 musiciens, il faut qu'elle soit préparée deux ans à l'avance, alors il faut trouver les trucs, des producteurs, tu comprends, c'est ça (Trois coups sur la table). C'est ça le merdier. Alors l'histoire des femmes là-dedans... Alors par contre y en a une qui joue terrible du saxo, qui est lesbienne, qui est grosse, qui est mal dans sa peau, qui joue terrible mais qui va finir par se suicider quoi, je sais plus son nom, elle joue terrible, elle joue terrible. Y en a pas beaucoup qui jouent terrible. Y en a qui jouent, pas mal. Parce qu'aujourd'hui le jazz se classifie là. C'est la mode du jazz de chambre. Moi j'ai connu le jazz de chanvre, c'est pas la même. Tu vois, c'est pour ça que j'aime comment joue Louis, parce que je crois que je lui ai retransmis dans ma façon de jouer, comment il m'a vu jouer, il a quelque chose qu'il a reçu, un souffle qu'il n'y a plus beaucoup en ce moment. Tous les batteurs ils jouent plus du tout comme ça. Y en a très peu qui ont ce souffle-là, et des nanas qui ont ce souffle, ça y en a très peu. J'en connais en France peut-être 5 ou 6. Mais c'est tout. Alors pourquoi elles ont pas ce souffle-là, alors là je sais pas. Alors après dans la variété, dans la chanson, y a la fille d'Higelin, il parait que sur scène

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c'est une furie. J'ai écouté un disque mais... pas très... [...] Pour moi l'art c'est des minorités [...]

[Pause pour un café/thé]

AL: En relisant mes notes, je ne demandais, toutes les femmes qui sont venues à Uzeste sont liées à une des personnes de l'équipe?

BL: Ah non. Non, non. Là j'ai parlé de mes relations à moi, mais...

AL: Oui, mais je pensais aussi à Juliette, Martine....

BL: Ah Juliette, je sais pas comment ça s'est fait. Eh. Martine elle était instit' à Uzeste. Euh.

AL: Donc sinon y en a eu d'autres qui n'ont rien à voir avec...

BL: Non, non, et puis qui sont venues jouer ici quoi. Si oui. Puis y a eu des gens du bureau, des attachées de presse...

AL: D'accord oui.

BL: Au début, Mimi Sporni elle était attachée de presse. Puis des artistes féminines y en a toujours eues, justement. Mais pas facilement parce que y avait que des propositions de chanteuses de variété quoi. On en voulait pas nous. Après ils m'ont dit... J'ai été beaucoup critiqué pour ça. Mais moi j'en veux pas de la variété. Voila. Comment je m'en sors? Je leur dis "y en a assez ailleurs." Moi j'en veux pas. J'en veux pas parce que ce système c'est pas possible; de chanteuse ou de chanteur avec les larbins derrière qui accompagnent. C'est un vieux modèle, je trouve qu'il faut dégager ça. Et puis comme en plus les chanteurs ça baisse d'intérêt, plus les années passent. C'est plus Nougaro, c'est plus Bodi Lapointe, ça baisse quoi, c'est machin quoi. Ça baisse à tous les niveaux, on n'en veut pas à Uzeste. On en veut pas parce qu'on a des chantiers d'explorations et d'expérimentations, on peut pas faire de la programmation ici quoi. Comme partout quoi. Non, on se cherche des soirées pour la prochaine Hestejada, des soirées-concept, qu'est-ce qu'on va entreprendre là, les voix? Comment? A quoi on joue? C'est ça qui nous intéresse.

AL: Et est-ce que vous vous sentez quand même, ou pas du tout, responsable ou concerné par une forme de représentation de personnes qu'on a tendance à ne pas voir sur scène? [...]

BL: Si oui. Par exemple, on a été les premiers à mettre des mots en concert de jazz, on s'est fait sortir. Le premier, en 78, qui a parlé au milieu de la musique, c'est André Benedetto. Les gens gueulaient comme des veaux: "C'est pas du jazz!". On n'a pas arrêté de mélanger. Et du coup depuis les mots sont là tout le temps. Les comédiens, les comédiennes, on a mélangé ça. La danse ça s'est fait aussi, beaucoup, mais à la condition qu'ils acceptent d'improviser! Ça aussi c'est un os. Parce qu'on n'a pas les moyens de répéter, on n'a pas les moyens de recevoir des choses construites, on ne peut faire que de l'empirisme. [...]

AL: En même temps, en tant que jeune femme, je vois bien que j'ai beau mettre bataillée petite, parce que justement je me suis mise dans des groupes d'hommes, très rapidement. Donc j'ai été entrainée à la bagarre qui peut y avoir. Il y a aussi de la bagarre dans les groupes de femmes, mais c'est très différent, enfin en tous cas quand on reste dans des groupes sociaux larges comme le lycée ou le collège, après quand on rentre dans le milieu culturel ou certains

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secteurs professionnels c'est un peu différent. Mais, j'en parlais avec des improvisateurs qui parlent, qui sans s'en rendre compte, dans leur discours, systématiquement lorsqu'ils parlent d'improvisation ils parlent de bagarre.

BL: Mmm

AL: Ou de confrontations, et en permanence cette espèce de position de forces de plusieurs acteurs de l'improvisation. Et est-ce que cette permanente bagarre n'est pas un frein, ou du moins le fait de ne pas être éduquée en tant que jeune femme à la bagarre, n'est pas un frein à être improvisatrice?

BL: Ouais. Le problème de l'improvisation c'est que c'est pas par hasard que ça soit une bagarre. Parce qu'improviser ça veut dire sortir des sentiers battus. Et si tu veux sortir de ce que tu sais faire il faut se battre avec soi-même. Sans ça tu restes dans ce que tu sais faire.

AL: Alors est-ce qu'il ne faut pas apprendre aux femmes à se bagarrer?

BL: Bin si! Si! Il faut qu'elles apprennent à sortir de ce qu'elles savent faire. Tu vois, improviser c'est sortir de ses connaissances. C'est aller faire un tour dans son ignorance. Et improviser ça s'apprend, c'est pas inné. [...] Parce qu'au début t'es pas cultivé-e à être toi-même. Parce qu'au début t'es plutôt cultivé comme il faut que tu sois cultivé-e. Donc tu sais jamais qui tu es. Si qui tu es, tu vois "qui tuer", il faut tuer quelqu'un symboliquement. C'est ça l'histoire. Alors on peut faire une confrontation en douceur. C'est pas que violent une confrontation. Mais y a une dialectique. [...] Donc tout ça c'est de la culture de l'autre. C'est la culture de l'échange. Mais un échange qui nous change pas, c'est pas un échange. [...] C'est aussi la question du déconfort et du dé-conformisme.

AL: Oui mais il y a déconfort et mise à mal aussi. [...] ça ressort dans pas mal d'études que les musiciennes de jazz sont souvent des chanteuses, et rien que le chant est mal considéré dans le milieu jazz, donc déjà ça aide pas.

BL: Mmm

AL: Et ensuite, même celles qui sont uniquement musiciennes, sont, se trouvent tellement confrontées à des petites remarques, des tics permanents, qu'au bout d'un moment le fait de pouvoir sortir des sentiers battus, le fait de se bagarrer avec le fait, avec la musique n'est plus possible parce qu'elles sont obligées de se bagarrer avec l'autre.

BL: Oui mais qu'est-ce que tu veux. Il faut aussi qu'elles apprennent à se bagarrer avec la condition sociale, la condition humaine qui est faite à la femme dans ce siècle quoi. Parce que c'est elles, se sont les femmes qui vont se libérer. C'est pas les mecs qui vont libérer les femmes. [Paraphrase] Et par là peut-être elles libèreront les mecs. [Paraphrase] C'est pour ça que dans les ateliers je propose aux femmes de gueuler! De se révolter. De dire: "Merde t'as fini toi!" d'avoir ce genre de relations, de vraies relations et non plus, arrêter avec la soumission. (Silence) Mais c'est pas facile, mais bien sûr je sais bien. Mais tu sais le, la soumission, la difficulté des femmes elle existe, mais la difficulté des hommes je te dis pas quoi. La difficulté des hommes c'est gratiné parce que tu vois ils ne s'en rendent même pas compte. [...] Mais c'est difficile pour une femme aujourd'hui, pour des raisons de...de... c'est

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difficile pour une femme aujourd'hui de chanter n'importe comment, de chanter n'importe quoi, de faire des grimaces, de s'enlaidir, de foutre la merde. C'est difficile! C'est parce que soi-disant l'image de la femme ne supporterait pas... C'est pour ça que j'aime bien faire, quand il vient une Isabelle Loubère, quand elle vient jouer et chanter avec nous, elle s'accroche au micro et elle hurle punk/free; "Aarrrk!! vrr" chante en patois j'sais pas quoi. Au moins elle a un comportement de révolte. De rébellion à son état d'être. Et d'un seul coup ça produit artistiquement quelque chose de goulu, quoi! Et d'un seul coup on joue quoi ! D'un seul coup on est à égalité! On n'est pas là pour faire gaffe à pas lui... Non, non elle est là pim-pam-pim-pim. Je lui fous des accords elle se met à gueuler et, et voilà. C'est cette histoire, et Uzeste, l'improvisation c'est ça. C'est pas une bagarre pour la bagarre, c'est... Il faut qu'il y ait une relation... Écoutes, tu as vu comment il tape Louis sur une batterie, quoi. Pourquoi il tape comme ça. Il tape comme ça parce qu'il se bat avec lui-même, quoi. Et il faut que les filles elles se battent avec elles-mêmes. Faut se battre avec soi-même. Surtout.

AL: Le problème c'est que dans ce cas on en vient au solo quoi.

BL: Ah beh oui, pourquoi pas.

AL: Enfin le solo c'est bien mais que des solos...

BL: Qui interdit trois, quatre femmes ensemble en train de se... de s'inventer un truc inouï? Et mais y a pas que le solo. [...] Multiplier, si tu veux, les potentialités que procure l'expérimentation. [...]

AL: En fait là, depuis toute à l'heure je suis en train de me dire que je tique sur une phrase que tu viens de dire avec laquelle je crois que je ne suis vraiment pas d'accord. C'est "Les femmes doivent se battre pour avoir une égalité/liberté, les hommes ne vont pas la donner". Ça c'est vrai vu le système dans lequel on est. Mais si en veut pouvoir prétendre à des systèmes plus solidaires ou plus, justement, qui cherchent à travailler vers l'égalité etc. C'est complètement aberrant de penser qu'on peut pas... Enfin moi je peux pas attendre des Gojats, par exemple, qu'ils me donnent un peu de place?

BL: Oui mais moi je serais pour, que les hommes te laissent de la place. Mais ils t'en laisseront pas. Tant que tu ne leur casseras pas la gueule ils te laisseront pas la place.

AL: Je sais.

BL: Tu trouveras pas toujours un mec comme moi qui te dis: "Tiens viens là, viens jouer là". Parce que j'ai l'habitude de ça ici. Parce que le lieu le permet. N'importe quel théâtre, le mec aurait pas pu, même pas moi à ce moment-là, te dire: "viens là". Il a fallu que ce soit un long combat tu vois. Une architecture mentale, qui permette que tout ça soit possible. [...] Mais j'ai souvent fait, comme je t'ai fait une fois-là, monter sur scène, mais la fille est pas montée.

AL: Mais c'est aussi arrivé à d'autres personnes ou...?

BL: A d'autres filles, à d'autres mecs aussi. Y a des mecs y peuvent pas. Alors ceux-là, soit ils viennent en atelier, soit on en discute, qu'ils se préparent. Ça a était long hein! [...]

AL: Marie Buscatto, qui est celle dont j'ai fait référence, qui a beaucoup travaillé sur les musicienne de jazz, et elle a travaillé sur les réseaux de musiciens, comment les réseaux

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fonctionnent en musique et comment est-ce que souvent, le fait d'être en couple avec un musicien c'est un tremplin pour des musiciennes, qui la plupart du temps sont en couple avec quelqu'un du métier (agent, producteur, programmateur, musicien...),

BL: Un peu la maman quoi

AL: ...et comment elles, ça leur permet de s'introduire dans le réseau de leur compagnon, en même temps avec deux effets néfastes c'est qu'elles restent nécessairement dans l'ombre... BL: Ou alors elles quittent le mec et elles montent leur agence.

AL: Et elles n'ont plus rien.

BL: Ouh!! Si y en a une ou deux que je connais qui ont monté leur agence et qui font du placement de musiciens.

AL: Ah mais là je parlais de musiciennes.

BL: Ah oui! Elles, sont pas musiciennes.

AL: [...]

BL: Oui puis en étant avec un musicien elles ont pu pratiquer. Ce qui aurait pu être plus difficile si elles avaient été toute seule. [...]

AL: Mais toi tu t'es déjà senti, en étant en couple avec quelqu'un, d'une dépendance professionnelle de l'autre par rapport à toi. Ou l'inverse?

BL: Non. Non, je me suis... C'est-à-dire, par rapport aux couples, les femmes, les deux expériences que j'ai pu avoir, j'ai agi pour qu'elles jouent quoi. Pour qu'elles participent, à ce qu'il se jouait à l'époque. En tant que chanteuse, percussionniste, ou instrumentiste. Comme avec un mec hein. Parce que si elles avaient pas été capables, j'aurais pas fait avec tu vois. Parce que moi j'ai toujours fait des choses, monté des groupes pas qu'avec des professionnels. C'était moitié... J'ai toujours trouvé ça intéressant qu'il y ait plusieurs niveaux de débutant, le ruiné, le vieux... Parce que quand je suis arrivé dans les boîtes de jazz à Paris, c'était l'archi-mélange quoi. [...] Ca se mélangeait beaucoup. Je parle pas des femmes hein. Je parle des mecs, des générations. Les femmes, y en avaient dans les boîtes de jazz, mais elles chantaient le blues. [...]

AL: Quand j'ai parlé de ces musiciennes en couple avec des personnes du métier, tu as dit: "c'est la maman".

BL: Ouais

AL: C'est pourquoi? Dans ton vécu c'est des personnes qui ont...

BL: Bin souvent c'est elles qui s'occupent des affaires, des galas, des ... Non c'est... Ce que je dis c'est...

AL: C'est que, pareil Marie Buscatto fait le constat que les femmes musiciennes se retrouvent souvent à... que en tant qu'artiste on a besoin de soutien et reconnu, aussi par sa famille, et que souvent, autant les musiciens sont soutenus, autant les musiciennes soutiennent leur compagnon et se soutiennent elles-mêmes en fait.

BL: Inh-ouais

AL: Et pour le coup se retrouvent en... A moins être poussée, quoi.

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BL: Mais les musiciens soutiennent pas grand-chose. Et même pas eux-mêmes souvent. Tu vois, les musiciens masculins, ça a changé un peu, mais enfin, ne serait-ce qu'au niveau du parti Collectif là, à Bordeaux, il suffit de voir, dans quel état y en a. Tu vois, ils sont... pfff, encore à trois ans et demi. Alors donc, c'est une histoire de mecs aussi.

AL: Et là c'est une question d'éducation aussi.

BL: Ouais, bin ouais. C'est une question d'éducation, parce que tu vois dans la musique classique, y a beaucoup de violoniste, de violoncelliste, maintenant y a des hautboïstes, il commence à y avoir des cornistes... Et en même temps, quand on fait de la musique contemporaine avec ces filles-là, ces femmes-là, qui ont une technique terrible, qui savent lire la musique, bon bin on a des rapports... y a pas de rapport homme/femme quoi. C'est t'assures ou t'assures pas quoi. Voila. Alors pour ce qui est du jazz c'est différent parce que c'est de l'impro, et ça a un rapport à l'inconscient, alors l'inconscient de la domination masculine c'est peut-être pas le même pour l'instant que celui de l'état dans lequel est la femme aujourd'hui, ou de sa culture, d'où elle vient. Un peu comme, bon, y a la femme voilée, et y a le truc quoi. La femme elle subit ça aussi. Elle est pas voilée mais elle est voilée quelque part quoi. Donc il faut qu'elle se libère. Alors les mecs, alors y a des mecs qui ont solidaires, parce qu'ils sont lucides. Mais y en a d'autres, pas du tout, parce qu'ils ne sont pas lucides. Et nous ici, à Uzeste on a fait des débats là-dessus, on a parlé là-dessus.

AL: Oui parce qu'il y a la...

BL: Que ce soit par la CGT ou que ce soit par le jazz ou que ce soit par la politique ou la philosophie, on a traité de tout ça, tu vois. Mais je te dis, la difficulté... tu demandes à Fabrice, on a du mal à trouver des filles qui jouent, qui ont capables de... de venir dans notre situation délicate. Dans notre situation de pauvre. La fille qui vient jouer ici je peux lui dire: "on peut te payer un voyage, un cachet correct, et chambre d'hôtel. Donc on peut pas répéter. Donc, il faut que tu improvises." Et là, ça pose question.

AL: Et de celles qui a, de celles que tu m'as nommée, [...] pourquoi est-ce qu'il n'y en a pas sur la grande scène?

BL: Parce que tu, la grande scène c'est souvent des concepts, des concepts dangereux, des concepts de confrontation et puis parce que y en avaient qui n'étaient pas libres aussi. Par exemple, y en a une qui est capable de jouer avec n'importe qui et mieux que n'importe qui, elle s'appelle Laurent...

AL: Joëlle Léandre?

BL: Joëlle Léandre, s'en est une! Mais Laurent, pour moi c'est la pointure au-dessus. Géraldine Laurent, elle est très bonne. On va la faire venir cet été. Elle est lesbienne, mal dans sa peau, et en situation critique et elle joue terrible. Alors l'autre dont tu parlais, elle est problème, parce qu'elle peut pas tout jouer, elle a une grande gueule, elle est free mais elle a été très très méprisante avec le petit personnel. C'est-à-dire elle a une double facette. Tu demanderas à Martine comment elle l'a traitée. Pas terrible. Ce côté révolutionnaire féministe devant et derrière le petit personnel, il faut lui cirer les pompes. [...] Par contre tu remarqueras que des femmes comme Juliette, elle sont vachement importantes dans le festival parce que plutôt

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que de faire des après-midis où c'est pas terribles, elles font de la grande qualité. Voila. Et que c'est très important pour elles et pour ces copines, et pour Fabrice, et pour la tenue, d'Uzeste, du festival. Ce qui n'empêche pas que Juliette on l'a mise sur la grande scène, elle a fait un tabac. Mais toutes ne sont pas capables de faire ce tabac-là sur la grande scène. Mais un tabac pas pour un tabac, un tabac avec une particularité, une singularité artistique. C'est ça que j'attends, moi. Tu vois, si c'est faire un tabac pour me faire un truc jazz classique, je m'en fous de ce tabac. [...] Le principe actif, c'est celui-là d'abord. Il faut que les femmes et les mecs ils assurent ça d'abord. Si ils peuvent pas assurer ça... Je te signale que Régine Chopinot, attention! Moi j'ai fait des duos avec elle, je te dis pas. C'est quelqu'un. Elle finissait le truc elle me sautait dessus, il fallait que je la trimballe comme ça. Elle poussait des gueulantes. Après je la poursuivais avec le piano à queue en le poussant avec le ventre. Enfin des trucs! De la liberté, de la responsabilité, donc là, d'un coup, le féminisme il est artistique quoi! Il est pas que théorique ou idéologique. Il se retraduit sur le plan artistique. [...] (En parlant d'une chanteuse) elle propose pas de m'accompagner. Non, non. Elle propose, elle ne voit qu'une chose, c'est comme tous ces chanteurs, qu'on leur serve la soupe. Ils ont tous besoin d'infirmiers. [...] C'est pour ça que le concert qu'on a fait à Paris le centre est vide. [...]

AL: En parlant de Régine Chopinot, tu as dit: "c'est du féminisme artiste". Pour toi y a de l'art féministe?

BL: Elle, elle demandait l'autorisation à personne. [...] Une vraie teigne quoi. La vraie mauvaise foi artistique, ça elle l'a.

AL: Et en parlant d'artistes féministes, toi tu lis beaucoup, est-ce que t'as déjà eu des influences artistiques de, je pense notamment aux écrivaines féministes comme Nancy Huston, ou Judith Butler

BL: Non. Des chanteuses. Billie Holliday, et surtout l'autre, sud-africaine... elle m'a terrassé. Pour moi c'est la plus grande chanteuse artiste femme du monde. (Ne se souviens pas du nom)

AL: Comment ça se fait qu'à Uzeste la CGT organise des discours féministes?

BL: Parce que quand j'étais musicien à Paris j'étais au syndicat des musiciens, j'y suis toujours. Et le syndicat des musiciens c'est le syndicat CGT, et quand j'étais à Paris j'allais souvent dans les manifs. Et je défendais notre beurre quoi. Alors au début je ramenais des copains percussionnistes, je me faisais jeter par les militants: "Ah! Lubat tu fais chier! C'est pas un concert c'est une manif!" Puis maintenant ils défilent tous avec des... j'ai pas inventé ça mais avec le temps qui passe, ils défilent tous avec des cartons, des tambours, ils ont compris l'idée. Ça c'est le premier point. Après, je me suis trouvé à Bordeaux où je jouais dans une autre manif et puis j'ai rencontré Alain Delmas, qui était responsable syndical et puis je sais pas, on a fait un projet ensemble, comme ça, sur la route. "Tu viendrais pas jouer là -Si beh si". Et puis on est devenu très amis. Et puis à un certain moment, par rapport à Uzeste et au temps qui passé, j'ai eu quelques trucs douteux de confrontations avec les renseignements généraux, les flics. Y a eu des choses bizarres. Parce qu'Uzeste s'est né avant 81, avant

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Mitterrand, en 78. Et là, 79-80 y a eu des trucs bizarres. Il a fallu que je m'en mêle. Et donc j'ai pensé que si y avait des camarades syndiqués de la CGT qui venaient nous donner un coup de main pour l'accueil, la sécurité, l'aménagement dans le village et tout ça... C'est ce qui s'est passé, et ça fait 20ans que ça dure.

AL: Mais Lydie Delmas elle fait partie de la CGT non?

BL: Ouais, et du coup, la CGT fait pas que ça. En étant là pour ces raisons au début, je leur ai demandé de proposer des débats, des choses qu'ils avaient envie de faire avec la pensée, avec la pensée syndicale, etc. Le combat des femmes à l'hôpital et plein de trucs comme ça. Ils sont très précieux parce qu'ils sont nos représentations de la société, je trouve, vachement importantes. Et puis certains sont devenus des amis quoi. Et puis c'est faire passer vis à vis de la classe ouvrière, par l'art, autre chose que Jean Ferrat. Ils reconnaissent tous que, au début, quand ils sont arrivés ici, ils se bouchaient les oreilles. (Rigole) Et puis petit à petit ils ont appris à se les déboucher, puis maintenant ils apprécient, c'est vachement intéressant. C'est ce qu'ils disent. D'ailleurs à travers plein de films qu'ils ont fait, qui ont été fait par des gens de la CGT, qui ont fait des enquêtes sur le festival. [...]

AL: On a parlé plusieurs fois du féminisme, mais est-ce que toi tu te sens concerné par ça? BL: Ouais. Ouais. Oui parce que je vois pas pourquoi y aurait, dans l'absolu y aurait le pouvoir de l'un sur l'autre quoi.

AL: D'accord. Et en tant qu'organisateur?

BL: Beh je fais ce que je peux par rapport à la société telle qu'elle se trouve. Je fais ce que je peux pour essayer de critiquer cette situation de disparités.

AL: Mmm. Et c'est quelque chose qui m'a frappé dans les représentations que j'ai pu voir ou faire, c'est la facilité de pas mal de gens pour dire: "Ah ça c'est vraiment féminin - Ca c'est vraiment masculin".

BL: Oh ça c'est du pipeau.

AL: Est-ce que tu penses qu'il y a... que l'art est genré?

BL: Non, je pense pas, je pense pas du tout qu'il y ait... Pffff... Olalalaa. Non mais même je regarde le slalome des filles et le slalome des mecs qui skient. Est-ce qu'ils skient différemment? Euh, oui et j'en sais pas...Et quand je regarde le rugby féminin qui se passe en ce moment, est-ce que ça joue différemment des mecs? Je trouve qu'elles jouent moins bêtement que les mecs. Et qu'elles jouent des trucs vachement bien, c'est pas tout à fait pareil, mais en même temps c'est le même jeu. En football c'est pareil. Alors, y a des différences mais c'est pas des différences, comment dire... c'est plutôt des différences intéressantes je trouve. C'est pas additions ou soustractions quoi. Tu vois? Et puis je ne sais pas si y a une spécificité féminine et spécificité masculine. Alors sans doute culturellement, avec ce que c'est devenu. Mais je ne sais pas si, au départ, ou à l'arrivée, euh.. c'est fatal. Non. (Inaudible) déconstruction culturelle, intellectuelle. C'est comme, tu lis un bouquin, je sais pas si c'est un homme ou si c'est une femme qui l'a écrit... si on te fait passer l'examen pour savoir qui c'est qui quoi, je sais pas. Peut-être y a des différences, mais moi c'est pas ça qui m'intéresse.

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AL: Et à Uzeste, sur les répartitions genrées et hommes/femmes, est-ce que... quel serait le constat que tu pourrais faire et comment est-ce que tu te sens vis à vis de ça?

BL: Bin on n'a jamais joué aux quotas. On a plutôt joué à... à l'artistique.

AL: Je prends aussi en compte l'orga, la structure en générale.

BL: L'organisation ouais. Beh comme par hasard au bureau, sur trois y a deux femmes. Et puis... Ça aussi c'est une question de maman aussi... l'ordre, le désordre, maman qui met de l'ordre et le gosse qui fout la merde. Le garçon, parce qu'on lui a acheté un, une voiture et un fusil et puis à la fille on l'habille en rose et on lui file une poupée. Bon tout ça. Mais... les rencontres, tout ce qui existe ici se fait par l'engagement individuel de ceux qui participent. Moi j'ai jamais obligé personne, j'ai jamais obligé Fabrice à s'engager ici, tu vois. Fille, garçon, pareil. Je n'ai aucun présupposé-la-dessus. La seule chose que je peux voir c'est à quoi ça joue. Mais tu vois, c'est pas un hasard que dans le pC, y a pas une fille. A part toi. Enfin vous êtes deux, mais... tu vois y a bien... C'est comme dans la société quoi.

AL: Je sais bien. C'est bien pour ça d'ailleurs que moi ça me met en colère, primo.

BL: Je comprends.

AL: Et que... En fait, ce par quoi je voulais commencer mais on est tout de suite rentré dans débat, moi si j'ai fait cette recherche c'est parce que j'étais toujours prise de colère sur ces questions-là. Et euh... Je sais que j'ai besoin de m'armer de choses intelligentes, de réflexivité en tout cas.

BL: Moi, tu vois, la chose que je t'ai vue faire ici toute seule. Avec ton corps et ton verbe, les deux. Je trouve que ça vraiment c'est recta [droit/solide], ça. Je veux dire, parler de féminisme, de rapport entre hommes et femmes, tu fais ça, les mecs (geste signifiant "Ils se tirent" en sifflant) et les femmes aussi (re-siffle) à dégager quoi? Les femmes qui te regardent. Ah là les mecs ils en prennent plein la gueule. L'art c'est ça. Il faut qu'il y ait des femmes comme toi, qui soient capables de faire ça. A ce point, là comme ça. Avec tes gestes, ton truc, et puis paf la tchatche, l'intelligence et tout. Et alors là mon pote, démerdez vous! Retournez à l'école, tous. Moi j'étais là, je prenais des notes, tu comprends? Je te demande pas si t'es une nana ou un mec! J'en prends plein la gueule. J'en profite, ça m'interpelle, ça travaille mon cerveau, j'oublie de savoir de quel sexe tu es là. C'est plus fort que ça là. Y a quelque chose qui sort, de capacités d'expression, tu vois, de liberté d'expression, de singularité d'expression... On demande que ça à voir vite quoi.

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1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla

Le 3 janvier 2015, de 19h à 21h, 2h d'enregistrement Chez Juliette Kapla & Fabrice Vieira à Uzeste, salon.

Anna Legrand: Je t'avais présenté mon sujet je crois; sur le genre en représentations sociales et

artistiques aussi, à Uzeste.

Juliette Kapla : Ah! En représentations sociales et artistiques? Qu'est-ce que tu appelles

représentations sociales?

AL: C'est notamment les représentations hommes/femmes. Que ce soit, les représentations que

l'on a des hommes et des femmes et en termes sociologiques, combien de femmes? Où? A

quel endroit?

JK: Mais on parle de l'artistique, du champ artistique?

AL: Aussi, on parle d'Uzeste musical en global.

JK: Public? Euh...

AL: Bin ça après si...

JK: Cuisine, bénévoles et compagnie ?

AL: Exactement

JK: Et on parle du festival, ou de tout le projet Uzeste Musical à l'année?

AL: Tout le projet. Et en fait moi, plus particulièrement ... Enfin... Là, je t'interroge toi, je ne

peux pas interroger Uzeste Musical...

JK: Oui bien sûr. Je ne représente que moi de toute façon.

AL : Tu ne représentes que toi, et si ça interpelle du vécu à Lille, dans tes «vies précédentes»,

ça n'est pas exclus parce que ça ne s'est pas passé à Uzeste.

JK: D'accord, ça risque de se produire en effet.

AL: Parce que ça va forcément... Notre vécu impacte sur ce que l'on est sur scène, donc je ne

peux pas exclure le reste, de ce que tu produis à Uzeste.

[Demande d'accord pour retranscription, anonymat...]

(JK nous sert du thé.)

Entretien

AL: Alors, est-ce que en général dans la vie tu te considères comme être militante?

JK: (temps de réflexion) Oui. Sur le plan... Sur tous les ... Sur les plans généraux ou sur le féminisme?

AL : Comme tu le sens.

JK: En fait oui, un peu, pas beaucoup. Mais je me sens militante sur deux plans. Sur le plan féministe, parce que je parle beaucoup de ça autour de moi. Non pas que je participe à des actions particulièrement euh... Ni montrer mes seins ni... j'sais pas quoi. Mais par contre je parle beaucoup de ça et aux hommes et aux femmes. Et ça me semble déjà être du militantisme. Et puis sur le plan politique, artistique... légèrement. Parce que j'estime que certains choix esthétiques ne sont pas très loin d'un militantisme politique.

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Notamment ceux que je fais, et notamment ceux que je fais dans le cadre d'Uzeste Musical, ou avec l'appui d'Uzeste Musical.

AL: D'accord, donc pour toi ce militantisme, entre guillemets, artistique, politique, se traduirait comment par exemple?

JK: Par du discours, par du contenu, par la forme que je choisis de faire. Par exemple choisir de faire une musique, ou un texte, ou une forme de spectacle qui ne soit pas normée. Ne pas chercher absolument à vendre ce travail-là dans des réseaux qui viennent soutenir une société que je ne cautionne pas, un système de marché musical, artistique que je ne cautionne pas, que je ne souhaite pas cautionner. Avec cette précision bien sûr, que de toute façon je n'ai pas les moyens de le cautionner ou pas puisque je ne suis pas en position d'être emmenée dans cette machine-là. Mais ce qui était au début de ma... j'peux pas dire « de ma carrière », de mon activité artistique, ce qui était subie, c'est à dire une forme de solitude, est maintenant choisie, c'est à dire que je ne souhaite pas produire un art qui soit, qui soit un art de marché. Et aussi, par mon activité pédagogique, parce que j'ai une assez importante activité pédagogique, et là j'ai la conscience... Je me pose très très souvent la question donc je suis tout à fait sérieuse quand je dis ça, j'ai conscience, du moins je crois, être subversive dans cette action pédagogique. C'est à dire que j'ai conscience que quand je fais des ateliers d'écriture à destination d'ados, ou d'enfants, ou d'adultes, ou des ateliers de mise en voix, la forme que je leur fais faire, et la liberté que j'essaie de leur donner, de les aider à trouver, est subversive par rapport à une société, notre société telle que je la comprends. Donc j'ai l'impression de m'inscrire contre ça. Et c'est ça que je pourrais appeler du militantisme avec un petit «m». Bon. Sinon bien sûr, je vais dans des manifs et tout ça, assez souvent, plusieurs fois par an. Peut-être dix fois par an. Mais je ne suis pas une grande militante sur le plan syndical par exemple.

AL : ... Ok.

JK: Moi c'est plus de l'action, dans, par mon métier, oui. Sauf sur le plan du féminisme, ou là, effectivement je me suis rendue compte ces dernières années que je suis devenue active... dans mes discours.

AL: Et pour toi c'est un... un besoin? C'est un besoin ou c'est par obligation, je dirai ?

JK: ...

AL : C'est pas très clair... Qu'est-ce qui... Qu'est-ce qui te motive à ça?

JK: Effectivement c'est un besoin. Donc ça peut être ramené à mon désir personnel, à mon intérêt personnel. Mais c'est plus qu' » obligation », moi je dirai « devoir » à ce moment-là. C'est à dire, si je me place du côté éthique de mon existence, de ma conscience, j'estime qu'il est de mon devoir de pratiquer, par exemple mon action pédagogique comme je la pratique c'est à dire dans un grand sérieux subversif et respectueux des individus, des personnes, et d'être... de mettre souvent sur le tapis la question du féminisme. Je pense que c'est une question qui est hyper importante! Pour différentes raisons que je peux, si tu veux je peux en parler maintenant. J'ai pas l'impression que notre société française aille très fort du côté de l'avancée, en termes d'égalité hommes/femmes. J'ai plutôt l'impression

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qu'on régresse un peu. Et j'ai plutôt l'impression que c'est pas à cause des islamistes dont on parle beaucoup mais que c'est à cause d'une bonne régression pépère, d'une vieille France de droite qui .... ne trouve pas utile... `fin je sais pas pourquoi d'ailleurs. Enfin, moi j'ai l'impression qu'on régresse sur ce plan là, voilà. Par rapport au moment où moi j'avais vingt ans j'ai l'impression... Moi je me suis émancipée. J'ai pris du... j'ai pris du... je me suis enracinée, j'ai évolué. J'ai pris de l'ancrage. Mais par contre, euh, je trouve que la société n'est pas moins machiste en tout cas, que quand j'avais vingt ans ou que quand j'avais cinq ans.

AL: Donc pour toi le féminisme est ton terrain de combat

JK: Un terrain, oui. Mais c'est pas un terrain dans l'artistique. C'est pour ça que je distingue les deux. C'est pas un sujet. C'est pas dans mon contenu artistique. Ça peut être un sujet parmi d'autres dans mon contenu artistique, mais je ne revendique pas de faire un art féministe par contre. Et même je revendique le contraire. Je refuse que l'on me dise que je fais un art féminin ou féministe.

AL: Pourquoi?

JK: Parce que, euh, j'ai besoin comme féministe de me positionner comme artiste, avant de me positionner comme femme. Après, si on me pose la question à l'intérieur... Je sais que j'ai, malgré moi presque, des propos féministes, des choix féministes dans mes contenus. De même que j'ai des choix altruistes, empathiques, gauchistes, etc., etc. Bien sûr mon contenu est gauchiste aussi par exemple. Y a un ancien consul en Irak, avec qui je suis assez copine, qui me dit ça tout le temps: «Ah vous êtes gauchiste! Et c'est bien.» Et je lui dis: «Comment faire autrement?» et il me dit «Ah, c'est bien. Non, non, mais vous avez raison.» Et voilà pour moi c'est un contenu parmi d'autres mais je ne veux pas poser comme préalable, d'être une artiste féministe parce que j'ai peur, euh, parce que j'ai besoin, en fait, d'une part j'ai peur que ce soit, que ça me condamne à n'être pas entendue. Et d'autre part, j'ai besoin de, d'afficher mon identité d'abord comme artiste de scène, puisque c'est essentiellement ça que je fais, avant que, avant qu'on me dise «Ah, mais tu es une femme qui fait quelque chose».

AL: C'est marrant parce que ça avance à la fin de mon entretien. Mais c'est très bien.

JK: Ah, pardon.

AL: Mais non, c'est très bien, ça veut dire que c'était...

JK: Mais on peut y revenir autant que tu veux... Ça c'est... un gros sujet.

AL: Ouais. Mais c'est très bien. Je suis ton, ta pensée. Donc je vais y aller là, avec toi. Et justement, moi je m'étais dit que, à Uzeste, il y avait des femmes qui, pour moi se présentaient sur scène... Euh...justement comme femme-artiste... euh... en pensant à toi et Sylvie par exemple. Sylvie qui est beaucoup plus marquée sur le discours féministe, je pense à Victoire, la fille du soldat inconnu. Et... Martine, en termes de réception me paraissait beaucoup plus neutre avec ça, alors peut-être aussi parce qu'elle interprète souvent des textes d'hommes. Finalement. Je me suis dit ça quand elle a fait son intervention disant qu'elle n'avait jamais interprété sa voix, sa propre voix... qui est une voix de femme. Euh... et après

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je me suis demandée est-ce que ça ne parait pas, est-ce que Juliette et Sylvie ne me paraissent pas être des femmes-artistes parce qu'elles sont à Uzeste, et que c'est une question qui est posée à Uzeste.

JK: Mm-m

AL: Euh, je ne sais pas si c'est vague, trop vague comme réflexion. Mais, tu vois, là le fait que tu parles de «gauchiste», euh, je ne me suis, j'avoue, jamais posée la question en voyant Bernard, qui l'est clairement par exemple, monter sur scène en me disant: «C'est un gauchiste-artiste», enfin « un artiste de gauche». Et .... Eum.... Est-ce qu'il n'y a pas une vraie, un ... -Mince. J'ai pas préparé cette question... une vraie stigmatisation, une vraie... un vrai manque dans le regard qui est porté sur une artiste, femme.

JK: Oui. Il y a un défaut primaire. C'est exactement pour ça en fait que je... ça me met un peu en porte-à-faux, hein, je me sens un peu con parce que en effet, je devrais pouvoir revendiquer d'être une artiste féministe. Mais en fait voilà, je suis très gênée par le fait que dans les milieux où j'évolue en général hein, mais à Uzeste aussi, on me renvoie très souvent, quand je fais un spectacle, le fait que je suis une femme. C'est quelque chose qui revient très souvent sur le tapis. Alors que, pour en avoir discuté avec d'autres, évidemment je parle en leur nom, c'est pas très honnête, mais pour en avoir discuté, notamment avec Fabrice, euh, lui on ne lui renvoie jamais qu'il est un artiste-homme. On lui renvoie qu'il est un artiste. Et, je sais pas si tu as lu Masculin/Féminin de Françoise Héritier, je crois que c'est au début, dans la première moitié du premier volume, parce qu'elle pose les bases des différenciations masculin/féminin et elle dit, euh, très simplement, cette chose que je crois vraie, qui est que le masculin c'est le 1 et que le féminin c'est le 2. Et tout est, moi ce que je vis, en ce moment et comment je le formule actuellement, c'est que le 1, c'est la norme. L'homme, enfin «l'homme»... L'homme c'est le 1, c'est la norme, c'est la neutralité. La neutralité est masculine. Donc un artiste masculin est neutre, on n'a pas besoin de préciser qu'il est masculin. Par contre, un artiste féminin est... euh, une artiste féminine, n'est pas neutre, elle se distingue. Et donc on va souligner le fait qu'elle est une femme. Et ça, ça me...fait chier. Voila. Ça ne me convient pas. Quelque chose me, quelque chose me tient prisonnière là-dedans!

AL: C'est vraiment, Simone de Beauvoir qui explique que tout est construit autour de ce masculin neutre et que la femme est reléguée à «l'Autre».

JK: Mm. Mm-m

AL: Et que l'Autre se voit. On a peur de l'autre. Et...

JK: Et je dirais sur scène, si je peux me permettre

AL: Bien sûr, tu peux tout te permettre.

JK: Je dirais que l'Autre, «l'Autre» selon Simone de Beauvoir, donc la femme, est suspect. Je vais te donner un exemple, j'ai, j'ai créé ici, pratiquement, un duo, avec une contrebassiste, Claire Bellamy, qui s'appelait le duo Free-songs, Des Free Songs partout, dans lequel [...] on est deux femmes. Euh, il y a plein de choses intéressantes dans l'expérience que j'ai avec elle. C'est ici que ça s'est produit, donc ça tombe bien, un artiste à l'époque de la compagnie

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qui n'est plus là depuis, qui est quelqu'un de très gentil que j'aime beaucoup, me dit... Alors voilà, dans ce spectacle, y a un texte qui s'appelle Mirabeau, je suis partie d'une phrase de Mirabeau qui dit: «Les hommes sont comme les pommes, quand on les entassent ils pourrissent». Et je dis: «Les hommes sont comme les pommes, quand on les regarde ils rosissent, quand on les soupèse ils rougissent, quand on est patiente, ils mûrissent.» Ça c'est peut-être la seule vacherie du texte. «Les hommes sont comme les pommes, quand on les croque ils rapetissent, quand on les oublie ils s'aigrissent, quand on les laisse ils se flétrissent. Mais là où les roule ils s'immiscent, quand on les suce leur jus glisse, la pulpe fermentée vous grise. Vue de près la chair n'est pas triste, ni celle des pommes, ni celle des hommes» etc., etc. C'est un texte hyper tendre. A part, «quand on est patiente ils mûrissent», qui est une petite vulgarité. Mais sinon, tout le reste est hyper tendre. Et ce gars vient me voir à la fin et dit: « Superbe duo. Mais qu'est-ce qu'on en prend plein la gueule nous, les mecs!». Je dis: « Ah bon? Où ça? Quand? Comment? «. Il me dit : « Ah mais... ton texte sur les pommes là». J'fais: «Pardon, je vais te le faire relire parce que là y a un malentendu.» Voila. Et ça c'est... Je me souviens de cette personne-là ce jour-là. Je ne dirai pas qui c'est, c'est pas intéressant. De toute façon il est même pas fautif. Si tu veux. Parce que ça s'est reproduit plus ou moins de la même manière, à d'autres endroits, par la suite. Donc on est perçue, parce qu'on fait une musique et qu'on a une attitude scénique assez virile, finalement, assez rentre dedans, même si on est très féminine. On est autonome, on est indépendante, on fait pas les... on fait pas les... Je ne sais pas, je pense pas qu'on rentre dans les clichés, en tous cas de la «douce femme qui reste à sa place». On ne reste pas à notre place, on prend la place de l'artiste sur une scène. Et donc il nous est renvoyé, la plupart du temps, je dirai 98% du temps par des hommes, que, nous sommes donc en revendication féministe. Ou en revendication anti-hommes, ce qui, pour beaucoup, est la même chose. Et ça, ça m'embête vraiment beaucoup. L'autre truc, c'est que, dans ce trio que tu as vu cet été350 euh... j'ai beaucoup entendu parler par la suite de «comme c'était bien votre trio de filles». Je m'y attendais, je le savais. Moi-même je le dis des fois, je dis «notre trio de filles». Or, si Fabrice avait fait un trio avec deux mecs, un à la harpe et un à la batterie, euh... peut-être qu'on aurait dit: «Oui, la harpe c'est quand même pas un instrument de mec» et encore... Mais par contre, personne n'aurait dit: «Votre trio de garçons il était bien.» Voilà. Il y a vraiment la norme, le neutre et y a le reste. Donc on est vraiment suspecte, quand je dis «suspecte» c'est «suspecte d'agression»...euh... suspecte d'agression ou de... ou de revendications, ou de méchanceté etc., etc.

AL: Après, en côtoyant les Gojats là, euh... Alors peut-être un peu moins maintenant, mais il y a une période où ils s'entendaient beaucoup, et régulièrement, reprocher le fait d'être que des hommes, que jeunes garçons en plus. Et ... Et finalement... Bon déjà s'en est toujours au

350 Comprendre un trio avec une batteuse, une harpiste et Juliette Kapla en comédienne-chanteuse.

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même point, c'est autre chose, mais... Est-ce que l'on ne tend pas, quand même, à une critique inversée là-dessus aussi?

JK: Le jour où l'on aura, au sortir des conservatoires, des jeunes nanas, qui font des groupes, sans qu'on leur renvoie que ce sont des nanas et sans qu'elles doutent de leurs capacités à faire ça. Avec des potes. Des potesses. Euh, je pense que l'on pourra vraiment arrêter de critiquer les groupes d'hommes. Je comprends en plus. Je crois comprendre pourquoi y a que des hommes, des jeunes gens, enfin des garçons dans ces groupes-là. C'est aussi que les choses se font par affinités. Et que à certains... Et à tous les âges, on est en affinité, pour certaines activités, avec les gens du même sexe que soi. Bien souvent. Enfin, dans les conservatoires... Enfin c'est pas vraiment vrai ce que je dis parce que moi j'ai eu beaucoup de potes, justement. Je suis très attachée à l'amitié virile. Mais...Mais même dans ce cadre-là c'est pas évident pour une nana d'avoir exactement la même place que les garçons. Voila. La même place n'est pas évidente à trouver. Et dans les conservatoires de jazz, y a des nanas mais y en a pas beaucoup. Et dans les directions des ONJ351, par exemple, y a pas une seule nana pour l'instant. Et dans les conservatoires classiques y a plein de filles, mais aux directions d'orchestre y en a pratiquement aucune. Et ainsi de suite, enfin, tu connais tout ça mieux que moi... Mais... Y a quelque chose-là qui est quand même de l'ordre de la légitimité.

AL: Ah!

JK: (Rires) Question n°6!

AL: (Rires) Oui c'est un peu ça. Je reviendrai.... ouais, je reviendrai là-dessus mais, tout est lié et je pense que tu m'as beaucoup...influencée dans mes questionnements, puisque tu vas sur les questions que j'ai prévues. Notamment celle de la légitimité, qui était une question que tu avais soulevée quand on était en train d'écouter la table ovale...

JK: Ah oui!

AL: Voilà. Et... Où voilà, il faut le dire tu avais la rage parce qu'il n'y avait que des gars qui étaient là. Dont certains on pouvait se demander, justement, s'ils étaient plus légitimes ou non que toi à être à cette place. Enfin, en tout cas, moi c'est la question que je me suis posée. Parce que dans la légitimité, y a les notions aussi de... Il y a la notion de la compétence, fortement, mais aussi les notions d'âge, d'expérience, il me semble. Et... Donc voilà, ça me la posait sérieusement. Et justement... pour toi qu'est-ce que c'est qu'être légitime? Comment est-on légitime? Te sens-tu légitime? Comment?

JK: Il y a être légitime et se sentir légitime. Et je pense que c'est des choses différentes. Évidemment, je ne peux pas dire si je suis légitime, mais je ne me sens toujours pas légitime, par exemple sur le plan musical. Ça c'est assez intime, mais j'en subi des conséquences ici, à Uzeste.... Des conséquences que je m'inflige moi-même. Là, aucun des acteurs d'Uzeste Musical n'est responsable de ça, je crois. Par contre, si tu veux, je viens d'une famille de cinq enfants, on est trois garçons et deux filles, et... mes frères ont tous fait de la musique, un petit peu ou beaucoup. Ils étaient inégalement doués. Moi je crois que j'ai fait un mois de piano à

351 Orchestre Natiinal de Jazz

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cinq ans. J'étais beaucoup trop petite, et c'était beaucoup trop chiant. Et je n'ai plus jamais fait de musique, alors que j'en émettais le désir. Je suis une pure autodidacte. C'est à dire que j'ai appris un instrument qui est la flûte à bec, parce que j'avais une flûte à bec, et qu'à la fin du collège il n'y avait plus de cours de musique, et donc ma prof de musique m'a permis d'acheter une méthode, dans laquelle j'ai appris à lire au-delà des quatre notes qu'on nous avait apprises en quatre ans, pour travailler cet instrument. Et pour moi, la musique, même au sein de ma famille, alors que je suis la seule musicienne professionnelle de ma famille, euh... je ne me sens pas légitime, par exemple à parler de musique avec mon petit frère qui lui, a fait des études de batterie...très sérieuses, poussées.... professionnalisantes, certes, mais il n'est pas professionnel. Il n'a pas une pratique de scène. Je me sens toujours moins légitime à parler de ça. Par exemple. Et j'ai toujours l'impression, autre chose dans mon histoire, j'ai commencé à chanter avec des boppers, à Lille, qui... Moi je voulais chanter des chansons, que j'écrivais et puis le jazz m'intéressait aussi donc je chantais avec eux les deux. Des mecs à fond bebop, qui ne juraient que par Charlie Parker. Ce qu'il y avait avant les intéressait, ce qu'il y avait après...un peu moins. Tout ce qui était free-jazz... Bebop, hardbop; ok. Le reste les intéressait très peu. Ils étaient assez élitistes dans leurs façons de travailler, avec tout le monde. Et moi je me suis entendue dire... Euh, très exactement; «Tu ne peux pas improviser, car tu ne sais pas improviser. Tu improviseras quand tu sauras improviser.»... Donc j'ai cessé d'essayer d'improviser puisque je n'étais pas légitime. Et là, je pense que bien sûr, j'avais pas d'instruments j'étais chanteuse, donc les chanteurs, ils ne savent pas improviser, les chanteurs, ils ont pas de culture musicale, les chanteurs-ci, les chanteurs-là... Et résultat, j'ai été coincée, mais à mort! Et je suis toujours ultra-complexée, je n'oserai, je pense jamais de ma vie, chanter, improviser sur une grille de jazz devant Bernard Lubat. Alors que je sais le faire. Alors que j'ai appris à le faire. J'ai appris, grâce à Fabrice, qui m'a dit: «Vas-y, tu sais faire. On s'entraine.» Voila. Donc la légitimité elle vient de l'apprentissage aussi. Tout simplement. Pour dire tout ça.

AL: C'est intéressant ça. Je trouve ça intéressant, parce que quand je vois... Eum... Thomas, Louis, Jules, qui sont des «purs produits», on va dire, du conversatoire352, même si maintenant Thomas est au conservatoire, eum... Louis se sent totalement légitime à parler de musique alors qu'il est conscient et il sait qu'il n'a pas de technique musicale. Ou qu'elle est vraiment... enfin, il est incapable de déchiffrer une rythmicité à la voix et les notes il les connait à peine. Et pourtant, il se sent même plus légitime que beaucoup de musiciens, à parler de musique, alors pas forcément, techniquement, même pas du tout techniquement, mais justement sur une sorte de philosophie de la musique. Parce que, il se revendique comme amusicien. Toi qui est amusicienne, du moins c'est ce que je pense, est-ce que tu.... là tu m'as parlé finalement d'un discours d'être légitime à offrir un discours technique sur la

352 Jeu de mot entre le conservatoire, institution de formation académique en ville et le conversatoire, création de Beranrd Lubat pour expliquer son travail de transmission à Uzeste Musical.

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musique et à monter sur scène pour la chanson, mais avoir un discours sur ce que peut être l'art de la musique...

JK: Non. Je ne me sens pas vraiment légitime à ça, non plus. D'ailleurs, je suis à mon avis, beaucoup trop peu cultivée pour faire ça. Alors ça c'est pas forcément très passionnant. Que je sois, ou que je ne me considère pas assez cultivée pour avoir un avis. Mais ce qui est intéressant peut-être c'est de savoir d'où vient cette légitimité. Bon, tu parles de Louis, la légitimité, à mon avis, elle vient quand même souvent de la famille. C'est vrai que moi je ne suis pas d'une famille de musiciens. Donc n'étant pas d'une famille de musiciens je n'ai pas déjà cette légitimité-là. Ensuite, y a l'apprentissage sur papier, la connaissance technique, que je ne possède pas non plus, ou très peu. Même si je me suis formée après parce que c'était important. Je me débrouille. Mais j'ai une technique, quand même, qui est très sommaire. Et, après y a la légitimité sexuelle. Et je pense... «Je pense», mais alors là! Je prends des pincettes parce que je ne voudrais pas faire la victimisée, la «gonzesse», tu vois, à tous les coins de phrases. Mais je me dis que peut-être, aurais-je été un garçon... Enfin, je postule que si j'avais été un garçon les....mon apprentissage de la musique d'abord, aurait été facilité, je l'aurais sûrement réclamé. Beaucoup plus clairement que je ne l'ai fait. Et puis je me serais beaucoup plus euh, et je m'exprimerai beaucoup plus, sur la valeur de ce que j'entends. Bon, dans mon cas en plus, je suis comédienne et chanteuse. Et ce que je crains ici, par exemple en ce moment, c'est qu'on me, et parce que j'ai joué à ça, qu'on me glisse du côté de la comédienne est qu'on oublie le coté chanteuse, donc musicienne. Une chanteuse, un chanteur, c'est un musicien. Tu vois, il y a plusieurs couches. Y a la couche tu-fais-pas-que-ça-donc-on-sait-pas-ce-que-tu-fais, donc qu'est-ce que tu es exactement? Est-ce que tu ne serais pas plus auteure ou comédienne finalement? Alors que je suis vraiment chanteuse (coups sur la table qui appuient le propos), ça maintenant c'est admis pour moi et clair. Et je revendique en étant chanteuse d'être musicienne. Ce qui n'est pas gagné pour tout le monde. J'ai eu souvent cette discussion aussi avec de gens. Y compris des gens très féministes d'ailleurs, (sourire espiègle) donc ça n'a rien à voir, qui disaient: «Oui mais y a les chanteurs et les musiciens, c'est quand même pas pareil.».

AL: Y a Marie Buscatto qui a beaucoup travaillé dessus, sur les chanteuses de jazz. Qui elle-même est chanteuse de jazz et en fait, qui a travaillé sur les musiciennes de jazz et les chanteurs de jazz, où elle met chanteurs et chanteuses dedans. Et, ce que tu dis, revient dans ces textes, sur la mise à l'écart de ceux qui ne savent que chanter, et souvent les chanteurs maitrisent aussi un instrument, ce qui les met moins à l'écart. Elle fait des analyses, comme ça, qui peut-être t'intéresseront.

JK: Ouais, ça m'intéresserait beaucoup, oui.

AL: Et justement, sur, pour le coup, quand il y a des femmes, comment sont-elles considérées dans le jazz? Ça pose aussi cette question-là. Et ici, on est quand même dans des... avec des musiciens qui viennent pour certains du jazz, ou du moins qui y sont très attachés. Est-ce que ça pourrait jouer, penses-tu?

JK: Cette hiérarchisation?

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AL: Sur la considération de la chanteuse...

JK: Oui je pense, oui, oui. Oui, moi je parle aussi, plus ou moins, du milieu du jazz, hein. Parce que de toute façon dans la chanson, c'est encore plus pervers. C'est à dire que le chanteur c'est à la fois le patron, la star et le rien du tout. Voilà, j'en ai entendu beaucoup, y compris les musiciens avec qui je travaillais qui parlaient d'autres chanteurs en disant, ou chanteuses, en disant: « Elle est pas intéressante, elle sait rien faire, mais voilà, elle trouve des plans». Mais voilà, y a quelque chose, y a une hiérarchie qui est très... [Téléphone sonne, vérification que l'enregistrement a fonctionné] Oui donc dans le jazz, la légitimité, et des chanteurs et des bonnes femmes... quand t'es les deux tu cumules les handicaps.

AL & JK : (Rires)

AL : Eum.. Toujours sur Marie Buscatto, celle dont je te parlais, elle dit que les chanteuses de jazz, justement, ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente, sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux. Toi, là, c'est ce que tu...

JK: C'est ce que j'ai vécu un peu. Sauf que je me suis échappé du système puisque je suis devenue une chanteuse d'autre chose que de jazz. Mais oui. Mais oui. Y compris dans le son tu sais. J'ai souvenir de... ouais, même dans les chansons. J'ai le souvenir avec les mêmes gens, qui étaient plutôt mes potes hein, pourtant, fin même carrément, de m'être bagarrée en disant: «-Là, je ne m'entends pas, on ne m'entend pas. On va monter le son de la voix. -T'as qu'à chanter plus fort! « Et là, pour moi c'est complètement absurde! C'est à dire y a une guitare qui est amplifiée, y a une batterie qui joue fort et une basse qui est amplifiée. Moi j'ai un petit micro et on me dit : «T'as qu'à chanter plus fort». Pour moi, le sous discours, si j'interprète un tout petit peu, c'est : «T'as qu'à avoir une plus grosse bite, connasse.» Tu vois. C'est limite ça. Bon ça t'es pas obligé de le reproduire dans l'entretien si jamais ça se produisait mais, tu vois, c'est limite « T'as qu'à avoir plus de gros muscle. Moi j'ai des gros muscles. j'te bats au bras de fer. Tant pis pour ta gueule.» Je l'ai perçu directement comme ça à l'époque.

AL: Oui, je peux comprendre.

JK: Et oui oui, y a une bagarre. Et puis donc y a une bagarre sur la technicité, oui sur la place. Mais je pense que c'est une bagarre qui se mène aussi avec toute la société. Là aussi je vais te donner un exemple, quand j'ai fait un truc dont je ne suis pas fière sur le plan éthique. (Rires gloussés) J'ai joué quelques dates avec le casino de Lille. Un casino Barrière a ouvert à Lille, y a des années de ça. Et, ils ont appelé un mec, je sais pas ils ont dû le trouver dans l'annuaire parce qu'en plus c'est un mec qui fait un free, un free jazz très free quand même... il truc [marmonnements] quand même, et il joue pas du tout les standards, ou très peu. Mais c'est un prof de musique en collège et ils ont appelé ce mec en lui disant : «Est-ce que vous pouvez nous proposer trois soirées, ou plus éventuellement, avec des chanteu... il nous faudrait un trio de jazz, vous faites des standards de jazz et il faut une chanteuse sexy.» C'était ça la demande : «une chanteuse sexy». C'est à dire, «un trio», pour que ça coûte que tant, et que ça fasse pas trop de bruit. Parce que pour avoir fait ces dates, effectivement fallait pas faire de bruit. «De jazz» parce que le jazz c'est, c'est devenu, et ça c'est un autre sujet

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mais ça me révolte, une musique d'ascenseur et de chicours, et de bourges. Alors que c'est quand même une musique de rébellion absolue et de revendications politiques et raciales hyper importantes. Et, «une chanteuse sexy»! On s'en fout qu'elle chante bien ou mal. Ce qu'on demande à une chanteuse, d'abord on n'a pas demandé un chanteur, ce qu'on demande à une chanteuse c'est d'être sexy. (Silence) Alors bien sûr c'est le casino. Mais ... y a ce truc là aussi. Le public ne va pas forcément considérer la chanteuse ou le chanteur comme... en tous cas a fortiori la chanteuse comme une égale des musiciens.

AL: Mmm... Et... Bin je m'inspire de cette femme-là parce qu'elle travaille sur les chanteuses et que c'est ta situation. Tu vois, je te considère comme chanteuse (Rires). Et elle travaille sur les réseaux de musiciens aussi. Elle a constaté un phénomène que je trouve assez inquiétant pour les générations à venir. Et elle parle des musiciennes qui sont, de jazz, qui sont, pour la plupart avec un conjoint du métier. Que ce soit agent, musicien, programmateur. Pas nécessairement sur scène quoi. Et elle décrit un phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau de son conjoint. Euh... Qui est bénéfique sur le, sur le court terme, puisque ça permet d'avoir des dates, d'être incluse dans un groupe sans forcément ... avoir les problèmes de séductions et...et ses problèmes qui peuvent être dans un groupe où l'on est la seule femme. Mais ça... Elle analyse un phénomène négatif, où elles restent dans l'ombre de leur homme. Que, qu'elles sont dépendantes de lui sur ce réseau. Et que s'il y a rupture, elles perdent ce réseau. Est-ce que toi c'est une crainte que t'as pu déjà avoir? Dans ta vie d'artiste?

JK: (du tac au tac) Oui. Totalement. (Silence) Euh... totalement. Et pourtant j'ai travaillé, enfin j'ai commencé à travailler avec quelqu'un qui était mon compagnon. Bon, dès qu'on a travaillé ensemble, on s'est séparé, c'était mieux. (En allant remuer le feu et remettre une bûche) Mais on travaillait quand même ensemble. Et c'est vrai que ça a été une crainte immédiate de ...

AL: Attends, pars pas.

JK; 'scuse moi. Ah oui, c'est vrai y a le... Ça enregistre.

Oui donc euh... Je l'ai vécu, il y a longtemps. Au tout début de ma vie de chanteuse. Et... et j'ai travaillé pourtant à prendre les réseaux moi-même. C'est à dire à prendre la tête des choses. J'ai un fort besoin d'indépendance, ça c'est dans mon tempérament. Je pense que c'est une question de survie aussi. Et j'ai absolument besoin de ne pas dépendre des autres et particulièrement pas de mon conjoint. Mais bien sûr je dois reconnaître que la chance que j'ai de participer aux choses qui se passent à Uzeste Musical, c'est parce que j'ai rencontré Fabrice Vieira, que je fais ça. Bien évidemment. C'est à dire que je ne me serais pas pointée (claque la table), au culot, voir Bernard Lubat et lui dire : «Ecoute, j'ai vraiment trop envie de faire des choses chez toi... Laisse-moi essayer s'il te plait. « Peut-être qu'il aurait dit oui. Mais j'aurais pas fait ça.

AL: Pourquoi?

JK: Parce que.. je pense une part de personnalité. Parce que je suis trouillarde, orgueilleuse. Que j'me, mais mais que j'me sentais pas du tout capable de faire un truc pareil. Fin, c'était

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pas ma place. Je ne me supposais pas une seconde que je trouverai ma place ici. Par contre, quand j'ai rencontré Fabrice, j'ai mis du temps à travailler ici. Pour des tas de raisons qui ne méritent pas d'être explicitées ici. Mais, parce qu'il y a aussi des raisons personnelles d'interventions d'autres personnes qui étaient malveillantes donc c'était... compliqué. J'ai regardé ce qu'il se passé ici. Je connaissais déjà la compagnie Lubat, je les avais vu sur scène, j'écoutais leurs disques. Mais d'un seul coup je me suis dit, peut-être qu'en effet je pourrais proposer quelque chose. Et donc à ce moment ça je l'ai fait. Mais je serais quand même curieuse de savoir... si vraiment on allait voir à l'intérieur de la tête des gens, sans qu'ils se, sans qu'ils essayent d'être aimables ou politiquement correctes, combien de personnes qui gravitent autour de cette compagnie pensent que je suis là parce que je suis la femme de Fabrice. Ou combien pensent que je suis là parce que je suis une bonne artiste qui mérite d'être là et qui apporte quelque chose. Et si l'inverse s'était produit, si j'étais déjà dans la compagnie et que Fabrice m'avait connue et pris cette place là ici, cette demi-place que j'ai en fait. Euh... Je n'ai pas la réponse à la question suivante : est-ce qu'on se poserait autant la question? Est-ce qu'on se dirait : «Il est là parce que c'est le mec de Juliette.»?

AL: C'est une très bonne question... Parce que finalement là on ne le voit pas, donc je ne pourrai même pas le traiter dans mon sujet... J'y ai pensé. Mais je... Même Martine, son conjoint est écrivain, il est pas sur scène, c'est une situation un peu particulière encore. Et... je n'ai pas d'exemple à travailler qui pourrait.... éclairer un peu cette question.

JK: Oui, puisqu'on n'a pas en fait de femme qui gravite autour de la compagnie Lubat qui ne soit pas associée... sexuellement, à quelqu'un qui est déjà associé à la compagnie Lubat. Puisque Alain, le mari de Martine est président de l'association si je ne m'abuse.

AL: Ah! Je savais pas.

JK: Il est au bureau en tout cas.

AL: Ah.. ok.

JK: Je crois que c'est le président. (Silence) Alors je ne pense pas qu'il... que... je postulerais que les choses ce sont faites dans l'autre sens. Mais j'en suis pas sûre.

AL: Bin ce sera une question à poser.

JK: En tout cas, la plupart des nanas qui se sont trouvées ici... Un peu durablement, sont entrées ici par heu.... par le couple.

AL : Et finalement, est ce que ça ne pose pas la question de notre légitimité...

JK: Bien sûr! ... Ca la pose. C'est une des raisons pour lesquelles on ne s'estime pas légitime. Par ce qu'on arrive toujours grâce à quelqu'un, par l'entremise de quelqu'un et en seconde de quelqu'un.

AL: Et en même temps, toutes ces femmes qui gravitent autour d'Uzeste Musical, fin, y en a beaucoup qui ne font pas pa, pas plus, qui ne font ... plus que graviter autour d'Uzeste. Elles sont carrément dedans. (Silence)

JK: Oui. Oui là je parlais artistiquement en fait. C'est vrai que j'ai tendance à...dissocier l'artistique et les cuisines par exemple. Et je devrais pas.

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AL: Parce que tu vois si... si on prend ... bah ce qu'à pu être Joël & Marie... Martine. Même on peut aller à Martine et Diane finalement...

JK: Bien sûr.

AL: ... sur Uzeste. Et puis en effet, artistiquement, toi aussi. 'fin... Je crois, si j'en regarde les programmations, tu fais partie maintenant des artistes d'Uzeste. Des récurrentes.

JK: Oui, des récurrentes. Mais je me demande, si je me fâchais très fort avec Fabrice et qu'il ne soit pas élégant, je pense qu'il aurait les moyens de m'évacuer. Des programmes. Et que moi je n'aurais pas de moyens de l'évacuer des programmes, si tu veux. Voilà. On est pas du tout égaux. Fabrice c'est particulier, évidemment. Puisqu'il se trouve que, mon compagnon, est une personne qui est influente à Uzeste Musical en plus d'être acteur. Donc c'est un peu délicat. Mais clairement le numé... Et pour moi aussi, le numéro 1, c'est lui. C'est son projet. Moi j'ai d'autres projets.

AL: Et est-ce que, à Lille, la situation est inversée?

JK: Non, parce que je ne le fais pas vraiment travailler en fait. J'ai pas tellement l'occasion de lui donner du travail. Mais c'est vrai, qu'il y a un contexte dans lequel je l'embauche, heu, pour un spectacle qui m'a été demandé par la CCAS-EDF-GDF, qu'on a joué pas mal de fois. Et là c'est moi qui ai les contacts et effectivement il dépend de moi dans ce cadre-là. Si je suis vraiment honnête oui. Il dépend de moi

AL: D'accord, donc là finalement, euh, la question du réseau est en ta faveur.

JK: Oui.

AL: D'accord. Donc là finalement, l'intégration dans le projet l'emporte sur le genre.

JK: Exact.

AL: On est d'accord

JK: Et une petite chose là-dessus quand même. Une petite précision. Je ne sais pas comment font les autres femmes musiciennes mais, il est clair que pour moi, ça fait quinze ans que j'exerce, que j'ai cette pratique artistique. J'ai travaillé activement, et je continue à travailler à, d'une part être indépendante et d'autre part, à avoir le leader-chip. C'est à dire que, c'est presque maladif, chez moi, d'avoir mes réseaux. Et d'avoir la relation directe [Téléphone sonne] Allô? Oui, Clément353, je te la passe. (chuchote) Je voudrais pas que tu rates le spec...

AL: Oui Allô? -Tu en es où? -Euh, bin j'ai pas fini du tout. Donc c'est pas grave, je serai spectatrice ce soir. - D'accord- Allé, bisous. [...] Non, non, y a pas de...

JK: Alors on parle de la thèse des femmes dans le spectacle et parler de ça, fait que tu vas devoir passer à côté d'une représentation où tu serais actrice.

AL: Et oui...

JK: Trop les boules!

AL: Orf! Déjà je commence à y aller, c'est pas mal.

JK: Oui. Oui, c'est bien... Mais voilà je travaille aussi à ça parce que j'ai une trouille bleue de me retrouver dépendante, euh, d'autres et notamment de, d'un compagnon... et des hommes.

353 Clément, membre du parti Collectif qui joue le soir même.

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C'est à dire je garde, j'ai mes réseaux et je les soigne. (Silence) Je les partage mais je les soigne.

AL: Alors pour le coup là j'avais une question, euh, si! Qu'est-ce que, qu'est-ce qu'est Uzeste pour toi?

JK: Mmmh! (Silence) Bon plusieurs choses bien sûr. Là tout de suite parce qu'on est en hiver, un grand labo. Pour moi c'est un endroit où l'on peut essayer des choses. Où l'on peut apprendre en faisant. Et c'est hyper-important! En fait je pourrais dire après, c'est un endroit de réalisation artistique, de, d'innovation artistique. Je pourrais parler des autres. Mais si je parle de moi, moi, c'est l'endroit où j'ai trouvé des choses parce qu'on m'a laissé essayer des choses.

AL: Mmh! (Silence) Ok.

JK: Et c'est aussi un endroit de nourriture. Ça c'est important aussi en fait. De ressourcement et de nourriture. Je viens me réchauffer ici quand j'ai trop mal à ma politique, aussi.

AL: «A ta politique»...

JK: A... à mon muscle politique.

AL: Ah oui?

JK: Quand je trouve que le monde est trop moche et trop dur, ça me fait du bien de me replonger un coup dans Uzeste. Pendant des années ça a bien marché, quoi.

AL: Pourtant en termes de mise en face des réalités c'est pas mal.

JK: Oui, mais c'est sain.

AL: Mmh

JK: Tu sais, c'est comme d'avoir mal quelque part et d'aller voir son kiné quoi. Avoir un geste sain par rapport à la réalité.

AL: Et...Alors ça tu en as parlé, tu l'as évoqué mais peut-être pourras-tu être plus incisive, quelle est ta place à Uzeste, comment tu t'y définirais?

JK: Je pense que... Je ne suis pas qualifiée comme ça sur le site mais je crois qu'il n'est pas à jour. Moi ce que j'ai... Ce que je...Comment je m'y rêve en fait, j'aimerais qu'on me qualifie d'artiste associée. Quelque chose comme ça. Qu'est-ce que ça serait un artiste associé? Ça serait quelqu'un, qui a un pied dedans, un pied dehors. Et qu'on invite à faire des choses. Ensemble. Et qu'on invite à faire des choses tout seul. (Silence) Ce qui est pour moi une position absolument idéale, parce que j'ai ma vie ailleurs, une vie ailleurs, enfin une activité professionnelle, et que j'apporte de l'extérieur, ce que.. la légitimité que je vais chercher ailleurs, le travail que je fournie ailleurs, les choses que j'invente ailleurs. Mais ici, je peux être avec les autres, et toute seule. (Silence) Peut-être que j'apporte une couleur. (Silence)

AL: Le rouge?354

AL & JK: (rires)

354 Référence à sa robe rouge de scène.

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AL: (Silence) Eum, et justement tu parlais de... euh... (Silence) A Uzeste on parle souvent de peur et de désir, enfin je trouve... Déjà est ce que c'est un constat que tu partages.

JK: Mmm-m (approbateur)

AL: Et pour toi, où est la peur? ... Tu l'as même évoquée plusieurs fois là et, et justement je me demande en tant que, que dedans/dehors, où peut-être la peur?

JK: (Silence) Elle est partout en fait. Elle est dans... Sans hiérarchie hein, sans ordre de préférence, elle est dans le déplaire au milieu, ici, c'est à dire au maître des lieux, c'est à dire à Bernard. Malgré tout, elle existe cette peur. Elle n'est pas la chose la plus importante mais elle existe. Je me rends compte qu'elle est devenue insidieuse. Au début elle était réelle et consciente, maintenant elle est insidieuse. déplaire au milieu, ici, c'est à dire au maître des lieux, c'est à dire à Bernard. Malgré tout, elle existe cette peur. Ça c'est dans les, p't-être c'est pas dans la peur, 'fin si c'est la peur empêchante. Euh. Y a la peur de...Boh, la peur normale de planter. C'est à dire d'être dans une merde telle que je doive abandonner le plateau en disant : «désolée, j'y arrive pas». Évidemment ça arrive pas souvent ça. Mais c'est quand même une peur. Tu sais c'est comme la peur, j'espère que j'aurai jamais d'accident de bagnole, mais quand je prends ma bagnole j'ai peur d'un accident. Voilà, bin c'est pareil. C'est la peur d'avoir un accident de représentation. Et puis, là ce qui est assez nouveau parce qu'Uzeste m'a quand même fait goûter une drogue très dure qui est le...le repoussage des limites. La jouissance du repoussage des limites. «repoussage» faudrait trouver un autre mot mais... de l'extension des limites disons. Ou de l'exploration simplement, parce qu'elles sont pas forcément plus loin mais en tout cas j'y touche. Et ça c'est une jouissance qui est ultra-forte. Et je suis devenue dépendant de cette chose, cet état. Un état de liberté tel que j'ai l'impression d'être au milieu d'un brasier ardant! Un truc, c'est vraiment de la drogue. C'est à dire c'est d'une puissance! Enfin je dis «c'est vraiment de la drogue», je prends pas vraiment de drogue donc je sais pas vraiment ce que c'est. Mais c'est addictif d'une part et, je vais justement y revenir, et c'est d'une puissance énorme quoi. C'est vraiment très puissant cette chose-là. Quand je touche ça du doigt, je suis hyper-heureuse pour des semaines. Ma peur, en ce moment, c'est de ne pas retrouver ça.

AL: Pourquoi?

JK: Parce qu'on trouve pas à tous les coups. C'est la peur d'être sèche. C'est la peur de monter sur scène de faire un p'tit truc où j'aurais capitalisé ce que je sais faire et... ça peut être très agréable hein de capitaliser, mais pas ici. Ici ça ne m'intéresse pas de capitaliser. Ici ça m'intéresse de jouer avec la plaie et de voir où ça en est de la cicatrisation, de la... je sais pas quoi. Y a quelque chose qui est de l'ordre du, qui est un peu... C'est pas du masochisme. Je pense vraiment pas que ce soit du masochisme, même si je parle de blessure et tout ça, mais c'est de l'ordre de la jouissance un peu limite. Peut-être.

AL: (rires) (Silence) Et euh... Je suis désolée pour le coup je vais revenir sur quelque chose dont on a parlait parce que ça a tellement sauté que j'ai pas pu suivre mes...mes feuilles. Mais c'est très bien. Et, toujours Marie Buscatto, elle décrit quelque chose que je trouve intéressant; le besoin en tant qu'artiste d'être supporté-e d'être soutenu-e, euh, notamment par

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le conjoint. Tu parlais de la famille pour la légitimité. Et... Donc, et puis, donc voilà. Moralement, mais aussi sur la vie de famille si y a bin des enfants ou des parents à s'occuper, enfin ces choses-là. Et elle remarque que les femmes se retrouvent souvent à porter ce rôle pour leur conjoint et pour elle, ces femmes musiciennes puisqu'elles sont en général mélangées (sous-entendu «avec des musiciens», voir antérieurement dans l'entretien). Et au fur et à mesure des années, le conjoint se retrouve à progresser plus qu'elle qui se trouve dans ce double rôle de... de femme d'un musicien et de musicienne. Dilemme qui, apparemment, pour elle, n'est pas chez les hommes. Est-ce que toi tu peux avoir ce sentiment-là? Puisque vous êtes tous les deux musiciens, ça me questionne.

JK: Je l'ai pas du tout. D'abord j'ai pas d'enfant. Donc la question ne se pose pas. Ensuite on a chacun, même si on est ici chez nous deux, et qu'à Lille on est chez nous deux aussi, on a chacun un espace de prédilection. Et y a une égalité, euh, une égalité maximale entre mon compagnon et moi. Enfin moi j'en suis très satisfaite. Je ne mets jamais mon... Le boulot pour moi est très important. L'amour est très important mais le boulot est très important aussi. Et je ne mets jam... Je ne fais jamais de choix anti-professionnel pour le servir lui, ou pour servir le couple, une idée du couple. D'ailleurs il me l'a interdit formellement, plusieurs fois. Et ... je pense lui avoir interdit aussi plusieurs fois mais... C'est à dire on a mutuellement, je crois, un respect de l'autre et de la progression de l'autre qui est, qui est aiguë. Par contre la question se pose tout le temps, je pense dans tout couple. On serait un couple homosexuel, ce serait la même chose. Je pense que là y a un, y a toujours la question de la progression, et pour le boulot, et pour le couple, il est pas inutile de progresser, pas en même temps parce que c'est impossible, mais d'être attentif, euh, pas laisser l'autre sur le côté, surtout pas se laisser soi sur le côté. Mais vraiment la question domestique, pour moi c'est une question dont je suis absolument indemne. Je suis vraiment pas une femme d'intérieur en plus. (rires)

AL: Ok. Euh... ok. Et... Pour toi, qu'est-ce que signifie le féminisme? Là je vais rentrer sur des globalités.

JK: Mmm. J'ai peur de dire des conneries. Le féminisme pour moi c'est une nécessité, euh, sociale. C'est à dire c'est une action qu'il faut mener afin de s'approcher de cet idéal qui pour moi est impossible à contester, qui est l'égalité entre les Hommes, en général, entre les humains en général. Et que le féminisme, c'est un des points ultra-chauds de cette avancée-là. C'est à dire que le machisme, ou la misogynie, ou le patriarcat, sont des freins à l'égalité entre humains. (Silence)

AL: Et pour le coup, est-ce que pour toi il existerait un art féministe?

JK: Peut-être qu'il en existe. Je.. Je ne le connais pas. (Silence) Il y a la réalité telle que je la perçois, et il y a ce dont je rêve. Alors bien sûr j'ai tendance à parler de ce dont je rêve. Je pense qu'en effet, je produis un art féministe en partie. Contrairement à ce que j'ai dit au début de cet entretien. De fait, mon art est forcément, comme je te disais, à la fois gauchiste et à la fois féministe par exemple. Parce que ce sont pour moi des choix, éthiques et politiques incontournables. Ce sont mes choix. J'espère que si j'étais un

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homme je ferais aussi le choix du féminisme. Vraiment! Sincèrement je l'espère parce que je pense que c'est très important. Pour le respect de tous. Et... Je pense, du coup oui, y a du féminisme dans mes, dans ma pratique, dans mon discours, dans mon art. Est-ce qu'il y a un art féministe? Je pense qu'il y en a plein. En fait y a plein d'arts faits par des femmes. Mais encore une fois, par contre, parler de ce que je souhaite et de comment j'ai envie de lire le monde pour pas péter un plomb. Euh, je ne souhaite pas regarder l'art des femmes comme un art... forcément fait par des femmes ou forcément à revendication féministe. Je ne souhaite pas ça parce que je trouve que c'est nous cantonner à une fonction, à un état, et quiconque est cantonné est inférieur.

AL: Donc si je comprends bien, si... on ne cantonne pas les femmes, euh, à un art féministe, on peut supposer que toutes les femmes ne produisent pas un art féministe et que donc des hommes peuvent produire un, un art féministe?

JK: Je pense que oui.

AL: Est-ce que tu en aurais un exemple ici par exemple?

JK: Alors, des hommes qui produisent un art féministe...

AL: Ici ou ailleurs, d'ailleurs.

JK: Ici euh... J'allais dire Bernard Lubat pour rigoler mais bien sûr je rigole... totalement (rires). Euh... Un Art féministe! Quelle bonne question. Il faudrait que je réfléchisse à ta question. Que je me cultive un peu. Je suis sûr que ça existe. Mais c'est vrai que quand tu poses cette question j'ai tendance à chercher du côté des hommes qui ont soutenu leur femme artiste. Tu vois. C'est à dire, à repasser quand même par le couple et le domestique.

AL: Mmm-mh

JK: Bon j'ai rencontré y a quelques années, dans un concert à Paris, un chanteur québécois, qui fait des chansons pas mal du tout. Et qui lui se revendique comme féministe. Mais il n'est pas, euh, ses chansons ne sont pas spécialement féministes. (Silence) Mais dans la mesure où il est féministe, j'aimerai bien, j'aimerai me dire que quiconque, alors à ce moment-là ok, quiconque est féministe produit un art féministe? (Silence) J'ai pas de réponse à ça.

AL: Eum... Et, dans l'entretien tout à l'heure tu as parlé d'art féminin, que l'on te décrivait comme un art féminin, enfin comme une artiste féminine. Euh, tu l'as évoqué à un autre moment... Sur de la création mais pas la tienne. Et donc, pour toi est-ce qu'il y a une définition d'un art féminin, d'un art masculin?

JK: Vraiment non. Et je, je, en tout cas je travaille à ne pas faire, à ne pas cautionner ça. Là je, quand je dis ça vraiment je parle des autres. C'est à dire, on m'a souvent renvoyé, on me renvoie souvent que ce que je fais est féminin. Par exemple, quelqu'un - qui est une femme d'ailleurs hein, de très aimable, de très fin aussi euh, m'a dit cet été après le trio avec les... la batteuse et la harpiste, maintenant j'évite de dire les filles, je l'ai dit au début, maintenant j'ai arrêté (rires). Enfin «au début», y a six mois. Eumh - m'a dit : «Mais c'était très féminin ce que vous avez fait». Bon là j'ai sorti les griffes, les dents, tout ça, les lasers dans les yeux. Elle m'a dit: «Mais non, c'était très féminin parce que vous vous écoutiez beaucoup. Et que dans les groupes de musique improvisée -parce que c'était de la musique

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improvisée qui est quand même un domaine un peu réservé aux hommes. Encore. Donc - que dans les groupes de musique improvisée y a souvent, pas cette écoute-là». Je sais pas si elle a raison. J'espère qu'elle a tort. Mais encore une fois, voilà, on était des femmes, on était, on avait des énergies féminines, euh, des beautés féminines. On nous a parlé de notre aspect, de notre beauté, d'à quel point c'était chouette de voir trois belles femmes qui jouaient. Je sais qu'un ami d'une amie qui est venu a dit, bien sûr c'est des blagues, hein Anna, c'est pas... Mais j'entends, euh, une copine de Lille qui connait un musicien qui était là cet été qui m'dit: «Ah bin oui, machin m'a dit», «J'ai dit à machin que t'étais contente qu'il soit venu te voir toi plutôt que le groupe qui joue en face qui étaient ses potes.» J'préfère pas nommer en l'occurrence. Et... Et il lui a répondu: «Ah mais tu sais comment j'suis moi, si y a trois belles gonzesses qui jouent, j'préfère aller à ça plutôt qu'aller voir sept barbus». Et moi je l'ai mal pris. Ça me fait chier. J'croyais, peut-être avec raison d'ailleurs, il a, c'était surement une vanne, mais j'croyais que c'était vraiment par curiosité qu'il était venu nous voir. Voilà. Je crois ça. Toujours. En plus j'ai.. Je me suis beaucoup éloignée de ta question...

AL: Euh, non je demandais sur, euh...

JK: Ah oui! L'art féminin.

AL: Ou l'art masculin.

JK: Ou l'art masculin. En fait, quand je dis que je m'empêche, que je refuse de fonctionner comme ça, ça me demande un effort aussi. C'est à dire, je ne peux pas moi-même m'empêcher. Et je me bats contre ça! De, d'ouvrir un bouquin, et si c'est écrit par une femme, d'en attendre un peu moins, ou d'en attendre des préoccupations un peu plus gnangnan, bidule, je sais pas. Tout un tas de schémas de merde comme ça. Je suis sujette à des schémas débiles dans ce genre-là. Et je les combats. Je vois pas d'autres solutions. Ils sont là. Ils m'ont été inculqués, et j'essaie de m'en sortir. De la même façon, quand une femme joue de musique. De la même façon quand une femme, sans doute réalise un film, mais je ne suis pas très, euh, cinéphile. Voilà. Il y a toujours une suspicion. Une suspicion. je reprends ce mot parce qu'il me semble important. Quand la femme est artiste, une suspicion née, soit de ce «sale féminisme» qui serait contre les hommes. Alors que non, «féminisme», comme beaucoup de gens, n'est pas du tout contre les hommes, il est pour tout le monde, je le souligne. Heu. Soit de, bin de faible qualité artistique. Parce que je suis quand même le produit de ce monde d'hommes. Je suis quand même le produit, par exemple j'ai lu énormément de littérature. Je suis d'abord une littéraire avant d'être une musicienne, chronologiquement. Et je n'ai lu presque que des bouquins d'hommes! Parce que dans l'histoire, et pour la musique classique c'est la même chose, des compositions masculines! Et pour la peinture, je me suis dévorée de la peinture aussi quand j'étais ado et jeune fille, eh, tous les musées où je suis allée y avait toujours plus d'hommes. Et je me voyais, à dix-huit ans ou à vingt ans, quand je suis arrivée à Lille, face à des oeuvres de Sonia Delaunay, qui est une femme de, du, plus qui je crois était originaire du nord, au LaM, Musée d'art moderne de Lille. Qui est un beau musée. Et je me voyais face à Sonia Delaunay, en train de

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me dire, où à Marie Laurencin, qui était la chérie d'Apollinaire, si je ne me trompe pas. Enfin qui a était, qui était une copine en tout cas de, c'est, elle était dans le coup. De me dire «Oh quand même, c'est un peu nunuche ces pastels et ces machins»! Alors peut-être de c'est un peu nunuche Marie Laurencin, j'trouve ça un peu nunuche. Mais, Sonia Delaunay, non! (Silence)

AL: Oui, puis est-ce que tu t'es posé la question sur, euh, les, les nénuphars de Monet...

JK: Absolument pas! Tu as raison. Absolument pas. Enfin si peut-être mais... Non, non mais bien sûr. C'était la suspicion d'abord. Après, ce que l'oeuvre donne à voir ou pas, c'est presque pas important en l'occurrence.

AL: Et est-ce que, par conséquent, eum.. Enfin là tu dis qu'on en attend moins, c'est ce que tu as dit si je ne me trompe pas, donc ces femmes...

JK: Mmm-mh, on attend que ce soit moins bien

AL:On attend que ce soit moins bien et pour le coup, est-ce qu'il faut pas qu'elles fassent mieux qu'un mec? Pour que ce soit apprécié?

JK: Mmh. On dit beaucoup ça. On dit beaucoup ça par exemple. Ou dans l'entreprise. On dit : «Pour qu'une femme accède à un poste égal à celui d'un homme elle a besoin d'en faire, d'être deux ou dix fois meilleure. Pour l'art, euh, ouais j'pense aussi. J'pense que pour la musique de jazz par exemple, j'pense que les filles qui se débrouillent là-dedans... peut-être... doivent être un peu meilleures sur le plan technique peut-être. Mais je suis pas si sûre, je suis pas si sûre.

AL: Et toi en tout cas est-ce que tu t'es autorisée à...

JK: Est-ce qu'il a fallu que je sois meilleure, non. J'ai... Ce que j'ai trouvé c'est un, une niche où il n'y avait pas trop, où j'étais à la croisée des chemins et où ça n'était pas spécifiquement féminin ou masculin. C'est à dire que, par exemple j'ai monté un solo, dans ce solo, j'ai écrit le texte, j'ai fait la mise en scène. Voilà. Dans la mesure où j'ai tout fait toute seule, on ne me dit pas, alors peut-être qu'on me dit: «C'est féminin», on me le dit. On me le dit. C'est quelqu'un qui me semble un peu fou qui m'a dit ça donc j'ai pas accordé beaucoup d'importance. Mais, mais voilà. Je touche aux domaines masculins et féminins. Je suis à la fois la chanteuse, et puis l'auteure. Mais on m'a demandé souvent qui avait écrit mon texte. Je ne sais si on m'avait demandé ça si j'étais un homme. Comme je suis parano, j'ai tendance à le penser. Parce qu'en fait quand j'ai commencé à chanter, j'écrivais mes textes. Et, les gens, croyaient, ah «les gens» tu sais! Les gens croyaient très souvent que c'était le guitariste avec lequel je travaillais qui avait écrit les textes. Et ça c'est! Voilà, la virilité, c'est l'intellect. Du côté de l'homme est l'intellect. La puissance c'est le texte. Moi, je, j'avais ma p'tite voix, j'savais pas super bien chanter à mon avis. J'avais ma personnalité, ma gestuelle, mon truc. Mais on me disait: «Dis donc, ils sont vraiment bien tes textes. C'est lui qui les écrit hein, c'est ça?» ou «Qui est-ce qui les écrit?». Et, à la fois je jouissais de dire: «Mais c'est moi. » Et à la fois, j'étais, je pleurais de devoir dire que c'était moi. Euh, je voulais dire un autre truc à ce propos. Ça ça a était, en fait, ça était une de mes premières prises de conscience du problème féminin

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dans l'art. Cette question du texte. Parce qu'en effet, du côté de l'intellect, du sérieux est l'homme. Peut-être que je m'éloigne mais je vais aussi te raconter cette anecdote. Donc je joue avec Claire Bellamy qui est contrebassiste. La contrebasse c'est un instrument, assez viril. Y a pas mal de femme contrebassiste au fond, enfin moi j'en connais pas mal. Mais c'est quand même un instrument qui est connoté virilement. Il a une forme de corps féminin si l'on veut. Il demande de la force, de la taille, euh, de l'attaque. Et Claire a une énergie à part. Dans son apparence, elle est plus brune que moi, elle a plus de sourcils que moi, elle a un visage plus découpé que le mien. Elle est moins féminine. Elle dégage une énergie moins féminine. Je ne dis pas qu'elle est moins féminine que moi, c'est faux. Mais elle, elle, elle a l'air plus rentre-dedans, plus, donc plus masculine. Et il s'est produit aussi plusieurs fois, que quand on faisait un gig355 toutes les deux, les responsables disent: «Donc pour la facture je m'adresse à Claire, hein, c'est elle qui s'occupe de l'administration.» Or c'est moi qui m'en occupe. Mais elle avait la gueule de l'emploi, du côté de la plus virile. C'est elle qui a l'air la plus cash, la plus sérieuse, la plus virile, la plus. Je sais pas. Je m'exprime pas très bien, c'est pas très net pour moi ça. Mais j'ai ressenti très fort à ce moment-là aussi que du côté, tout ce qui était sérieux, donc les chiffres, tout ce qui était finalement puissant aussi, et pas délirant et pas poum-poum-poum-vous-avez-fait-le-spectacle-vous-êtes-sympas, c'était du côté de celle qui avait, qui possédait le plus de caractéristiques masculines.

AL: Et pourtant si on regarde dans le domaine du spectacle en général, l'aspect administratif est souvent relégué aux femmes.

JK: Absolument. C'est pour les femmes. Mais, en l'occurrence, c'est pour ça que je dis, bon moi c'était vraiment un ressenti hein, parce que c'était le moment où on allait parler de fric, donc parler de choses sérieuses. Voilà c'est juste pour ça. J'ai eu la sensation... En fait parce que je me suis demandé: «Pourquoi est-ce qu'ils pensent que c'est Claire qui s'occupent de ça?» Peut-être parce que c'est le vrai boulot aussi. je sais pas. Enfin moi je l'ai pris de manière, euh, je l'ai pris un peu mal.

AL: Mmh. Parce qu'en plus c'était toi qui était en contact avec eux directement?

JK: Oui!

AL: Ah oui, donc ça n'avait aucun sens.

JK: En plus c'est arrivé de nombreuses fois. Tout venait de moi, le, le contact était des mien. Ouais... Bizarre.

AL: Et, tu as cité, euh, Françoise Héritier, est ce que tu as lu d'autres livres qui ont pu t'inspirer sur le féminisme? Ou, et notamment, je pense à Judith Butler qui a pas mal parlé et qui a inspiré pas mal d'artistes. Et je me demandais si ça avait pu, toi te questionner.

JK: Et non, j'ai pas du tout lu ça. En fait j'ai très peu lu sur le féminisme.

AL: D'accord.

JK: J'ai lu deux bouquins de Françoise Héritier parce qu'elle posait tellement bien la question de dire: «Maintenant on va chercher, en deux volumes, à savoir pourquoi la domination

355 Note de JK : « (Argot) Spécialement en jazz, terme de l'argot des musiciens qui désigne un engagement occasionnel généralement sans enjeu artistique. Source wikipedia ! »

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masculine, pourquoi? Pourquoi rationnellement? Pourquoi? Sociologiquement, ethnologiquement... Et, qu'est-ce que. Les seuls trucs que j'ai lu qui pouvaient se rapprocher de ça c'est Journal de la création de Nancy Huston. Qui parle de cette question de la création et de la procréation. Elle postule que la procréation, si j'me souviens bien, est censée être réservée aux, comme elle est réservée aux femmes, la création doit être réservée aux hommes. Et qu'on ne peut pas faire les deux. Et en fait elle écrit cet essai alors qu'elle est enceinte. Y a pas mal de chose. Elle parle beaucoup d'une chambre à soi dans ce bouquin là aussi, si je ne confonds pas avec un autre. Euh... Mais non en fait, j'ai pas beaucoup lu. Je serai curieuse de... Donc si tu pouvais me donner des références je serai curieuse de les lire.

AL: Avec plaisir. Ok. Du coup, tchouc tchouc. Eum... C'est génial en fait parce que, il y a plein de choses sur lesquelles je peux passer parce qu'elles sont déjà dites. Dans, dans tes projets, enfin moi je t'ai toujours vue quasiment en solo ou invitée, ce qui donne quand même une place particulière, et entre mixité et non-mixité, pour toi, quels sont les projets, les productions en tout cas, les, qui te paraissent nécessaires, ou du moins les plus intéressantes?

JK: Je ne comprends pas la question.

AL: Eum. En fait, je me suis posé pas mal la question sur ces ateliers non-mixtes des, des, de groupes féministes, qui ont permis à des femmes de prendre une parole qu'elles n'avaient, qu'elle n'arrivait pas à prendre quand un homme, euh, monopolisait la parole. Et, même s'ils étaient de bonne volonté de venir dans ces groupes de paroles féministes, mais de, force est de constater que s'il y en avait un, il parlait une demi-heure sur une heure. Et, euh, d'ailleurs c'est comme ça que les groupes non-mixtes se sont faits, au MLF par exemple. Et au fur et à mesure, ça a été un constat qui a été conservé et donc une solution qui a été gardée.

JK: Mmmh-m

AL: Et finalement, quand on voit les productions artistiques, il y a des non-mixités qui ne sont pas forcément intelligées de cette manière. Mais, euh, néanmoins, il y a des fois on est amené-e à jouer que entre femmes, que entre hommes ou mélangés. Qu'est-ce qui est intéressant? Est-ce que ça présente des avantages, des inconvénients? Est-ce que, justement, ça pose la question d'un langage qui serait plus féminin, un langage qui serait plus masculin? Tu parlais d'écoute, de concours à la technique, euh, tu vois, de bataille... Est-ce qu'il y a, est-ce que ça peut-être enrichissant ou au contraire handicapant, les deux?

JK: Euh...(Silence) Euuuuuh! (rires) Je ne. Actuellement je ne fais pas toujours la différence, entre les groupes mixtes ou non-mixtes. Si on ne me la fait pas noter en fait. Si on ne me la met pas sous le nez. Eum. Par contre, quand même, pour moi c'est une maturité, en fait ça a été avec une, un gain de maturité, ça a accompagné un grain de maturité pour moi de commencer à travailler avec des femmes. Puisque longtemps je n'ai travaillé qu'avec des hommes. Et j'étais donc la chanteuse, l'écrivain, ou la fille qui trouvait des plans ou tout ça en même temps. D'ailleurs souvent tout ça en même temps. Ou alors je jouais dans des pièces de théâtre, donc on était... pas toujours en mixité d'ailleurs. Mais la distribution était, dans un cas par exemple, on était deux femmes sur scène et un musicien mais qui avait un rôle second, secondaire. C'était l'homme qui écrivait et une femme qui

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mettait en scène. Dans un autre cas, extrême où on était dix comédiens sur scène également en nombre hommes et femmes. Le scénographe était masculin et le metteur en scène était masculin. Euh. Mais j'me suis pas trop posé la question. Ça s'est produit comme ça. Après, y a eu un moment où j'ai choisi, sciemment de jouer avec des femmes. Quand j'ai rencontré Claire, je me suis, j'ai, je me suis consciemment poussée à lui poser la question, en disant: «Est-ce que tu veux bien intégrer mon groupe?» On était déjà quatre, elle a fait la cinquième. Et très rapidement: «Est-ce que tu es d'accord pour qu'on fasse un duo?» Et je me suis sentie très bien de travailler avec une femme. Ça m'a beaucoup reposée en fait. J'ai eu l'impression qu'il y avait un tas de rapports de force qui n'existait plus. Euh... Et puis qu'il y avait un sérieux aussi, qui était, ça, ça m'embête toujours un peu de parler comme ça mais tant pis je vais le dire. Je trouve que, les femmes que je fréquente dans le domaine musical me semble, heu, un peu plus que les hommes, sérieuses et aimer le risque. Je trouve qu'elles vont loin. Les deux personnes avec qui j'ai fait ce spectacle qui s'est joué cet été, c'est des, c'est des filles qui prennent des risques. Elles n'ont... Elles y vont quoi. Et j'ai l'impression que... Et c'est peut-être ça! C'est peut-être la réponse à ta question de toute à l'heure. Est-ce qu'il faut être meilleure pour y arriver. Peut-être que c'est ça. Peut-être que les femmes qui font ça prennent un peu plus de risque que les hommes et qu'elles bossent un peu plus sérieusement. En tout cas moi ça m'a reposée et puis maintenant je m'en fous. J'ai un duo là avec un pianiste qui m'a, que, c'est Minvielle qui m'a recommandée à ce gars-là qui est un type très intéressant. Euh. Je. C'est un bonhomme plus âgé que moi certes. Mais je ne sais pas si ça le désexualise pour autant. Je n'ai pas du tout conscience de jouer avec un homme ou avec une femme. Je m'en fous, je joue avec quelqu'un. Et j'aspire à ça maintenant. J'aimerai bien y arriver. (Silence)

AL: Eum. Alors, j'aurais ma dernière question à la fin. Mais je voudrais juste voir si je n'ai pas oublié des choses parce qu'on, c'était très riche. Et je sais qu'il y a des choses qui sont passées un peu à la trappe. [Pause thé] Oui, par exemple je te demandais où était la peur. Et.. Tu m'as répondu de manière très intéressante d'ailleurs. Et je ne t'ai pas demandé où se trouvait le désir, chez toi.

JK: Mmm!!

AL: Quand même.

JK: Oui! Le désir! Aie, aie, aie. C'est super, c'est devenu, en fait ça a toujours était très important. Bon alors, pareil. Pas d'ordre croissant ou décroissant. Y a le désir d'être aimée, c'est sûr. Mais c'est un «désir de», pas un désir pur. Y a le désir de me rencontrer. Ce qui va avec cette jouissance et la peur de ne pas la trouver. Hein, le désir de trouver, d'aller en face de quelque chose, qui est au-delà du bien et du mal.

AL:Mmmh.

JK: Pour ne citer personne et sans rapport avec Nietzsche vraiment mais. Oui ça en fait. C'est au-delà du bon et du mauvais, y a un truc qui brûle est qui réchauffe. Et ça je désir ardemment me rapprocher de cette chose-là. Et peut-être le désir d'avoir peur aussi. Mais le plus important je crois que c'est le deuxième que j't'ai dit. C'est vraiment le désir d'aller chercher!

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Le désir d'être dans cet état de concentration flottante aussi. Le dés... En fait, cette chose brûlante et chaude dont je te parle c'est à la fois, euh, un état et quelque chose. A la fois un état et un... et un objet. Mais c'est aussi un état. Un état à la fois de flottement et d'extrême concentration. Qui est... Je sais pas je pense que les, je pense qu'on peut devenir fou avec ça. Je pense pas que ça me guette. Je pense que les grands mystiques doivent avoir ce genre de plans. 'fin, tu vois, j'ai, j'mets ça très loin quoi. Pour moi ça se passe très loin.

AL: Ça a été très théorisé en danse ça. L' «awarness», ils appellent ça. Où, très rapidement en fait en danse ils se sont mis à fermer les yeux. Et donc il fallait avoir une conscience de l'autre et donc une concentration extrême pour, en fermant les yeux, savoir où est l'autre. En fait, être en mouvement, réussir à ne plus, à être tellement conscient de l'extérieur et de soi, que le mouvement n'est plus empêché. C'est à dire que si je ferme les yeux et que je suis pas attentive, je suis obligée d'aller doucement sinon je me cogne à la table. Alors que je si je suis dans un tel état de concentration etc. je sais où elle est et je l'évite. Et donc je ne suis pas obligée d'être lente.

JK: Mmmh.

AL: C'est comme si j'avais des yeux. Et ça a été pas mal théorisé et c'est très intéressant.

JK: Et donc ça ouvre les limites. C'est bien. C'est super ce que tu dis. D'une part ça m'intéresse aussi beaucoup, de lire si t'as des choses là-dessus.

AL: Faut que je retrouve. Oui, mais j'ai ça.

JK: Mais en plus, y a l'idée encore une fois des limites. De la liberté. Parce que la liberté c'est ça aussi. La liberté c'est cette chose qui est si désirable. C'est d'un seul coup de se dire: «Tiens bin ça j'en ai plus rien à foutre!». Et t'as l'impression de te débarrasser de sales peaux quoi. Et en plus parfois c'est définitif. Je ne pense pas que l'on monte sur scène pour se soigner; Je pense que c'est un peu risque de penser ça. Mais on nettoie quand même des choses. (Silence) Mais pour moi, le désir va avec le courage dont Bernard parlait hier soir aussi, tu vois, mais j'suis assez d'accord sur les [mot parasité par le tintement de l'église], et l'importance du courage. C'est un mouvement. Pour moi le désir c'est un mouvement. C'est actif. C'est une motion quoi.

AL: Ils appellent ça en danse aussi, la «motion». Ok, je vérifie juste encore au cas ou. Ok, c'est super. Et puis peut-être qu'en réécoutant après, y aura des choses sur lesquelles je voudrais revenir plus tard.

JK: Oui, oui. T'hésites pas hein, même par mail si tu veux. Je peux te répondre par écrit aussi, ou par Skype, ou par téléphone.

AL: Et pour le coup, juste ma dernière question; à Uzeste, pour toi, alors... Tu m'avais dit qu'il n'y avait pas d'art masculin/féminin, mais, euh, est-ce que tu penses qu'il existe quand même du féminin et du masculin?

JK: En général?

AL: Oui

JK: Oui.

AL: Alors pour le coup, pour toi à Uzeste, où serait le féminin et le masculin?

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JK: (Silence) Je pense que le féminin et le masculin sont, inégalement répartis chez les personnes, chez les individus. Partout. Et je pense que c'est la même chose à Uzeste qu'ailleurs. C'est à dire qu'y a, si on parle des individus, y a du féminin chez, à peu près, j'pense tous les musiciens que je connais à Uzeste ont une part féminine importante. Ouais je dirai même «importante». Et je pense que les... Pour les autres femmes qui interviennent à Uzeste, je dirais presque «à part toi» mais je peux pas te compter dans le truc puisque tu es l'intervieweuse.

AL: Si, si, parce que...

JK: En tout cas moi, j'me définis, et j'pense que toi aussi, comme quelqu'un qui a une part masculine importante aussi. Moi, en tout cas, je me perçois comme quelqu'un qui a une part masculine importante dans l'action, dans les choix, dans le positionnement. Donc, pour moi c'est des choses, c'est des natures. C'est comme si on disait: «Bon alors le blanc est féminin et puis le noir est masculin. Les yeux bleus sont féminins, les yeux noirs sont masculins. Les cheveux blonds sont féminins, les cheveux noirs sont masculins... A ce moment-là on dirait: «Fabrice Vieira, qui a les cheveux foncés, les yeux foncés, la peau foncée, est masculin ». Et moi qui ai les cheveux clairs, la peau claire, les yeux clairs, suis féminine. Sauf que ça n'a aucun sens. (Silence) Et puis qu'ils y a des hommes qui ont les cheveux clairs, et ainsi de suite. Enfin mon exemple est pourri. Mais tu vois ce que je veux dire.

AL: (rires)

JK: Pour moi c'est juste des couleurs qu'il y a chez les gens quoi. Y a des... Et ça peut changer hein, ça peut bouger, mais. Mais en fait si je regarde bien, les personnes qui sont permanentes à Uzeste, des permanents à Uzeste: Bernard; il a une part féminine importante pour moi. Pas dominante mais importante. Louis; je le connais très peu, mais il me semble que oui. Jules j'en suis sûre. Thomas; je pense que c'est assez équilibré. Enfin quand je dis que c'est «équilibré» c'est pas mieux que ce soit équilibré. Fabrice; je sais qu'il a une part féminine importante. J'oublie personne... Et après si je vois, Paolo, Matis, tous les autres...(Silence)

AL: Et, pour toi où sont les hommes et où sont les femmes à Uzeste Musical?

JK: Pfff... J'vais dire un truc horrible mais je dois le faire quand même; les hommes sont sur scène et les femmes sont à la cuisine. Et à l'organisation. Pas mal. C'est pas suffisant de dire ça, bien sûr. Mais ça reste un peu ça. Quand je dis «ça reste» c'est que bien sûr je souhaiterais que ce soit un peu moins, eum, un peu moins distribué comme ça, un peu moins tranché. Euh... Voilà. Les hommes sont aux décisions. Et les femmes sont aux participations. Ce qui est pas si mal, hein. (Silence) J'ai envie de dire, les hommes sont chez eux et les femmes sont invitées, mais ça ne concerne que moi ça. Je pense. Parce que c'est pas forcément vrai de Martine, ni de Laure d'ailleurs, tu vois.

AL: Oui c'est vrai qu'il y a eu Laure qui a été des fondatrices et qu'on ne voit plus. Alors que, finalement elle est plein de fois sur les photos, c'est une des rares femmes d'ailleurs qui est sur le mur de l'Estaminet, artiste, je compte pas Marie Lubat.

JK: Mais tu as l'intention de l'interviewer Laure?

AL: Oui, mais pas en...

JK: Ce serait intéressant j'pense.

AL: ...pas en discours analysé. Mais oui, oui. Mais après je l'ai déjà fait. Enfin, j'avoue que je me suis basée aussi sur elle, sur des questions où, elle m'a apporté dans mes réflexions.

Post Entretien

[Discussion sur la place d'AL à Uzeste]

JK: Je pense que, souvent, les femmes sont dehors, les hommes sont dedans, quoi!

AL: C'est marrant parce que domestiquement c'est plutôt l'inverse.

JK: Oui, à l'intérieur ouais. Mais dans le coup, dans le truc social, dans le coup quoi! Moi quand je vois un groupe de mecs comme j'ai vu hier sur scène356, moi j'me disais, putain, j'irai bien. Mais y avait quand même chez moi, encore chez moi à mon âge Anna! Un truc qui disait: «J'suis pas dedans, c'est pas ma classe». Bon c'est pas mes potes. C'est vrai. C'est pas mes potes. Des potes j'en ai d'autres. Mais quand même! D'ailleurs, ton positionnement physique sur scène était très flagrant à cet égard. C'était la file qui regarde les garçons jouer. Avec tout ce que ça véhicule aussi, de clichés et de réalités de, 'fin moi je voyais ça.

AL: Qui jouaient, mais qui jouaient les enfants.

JK: Oui, ils faisait les cons. Enfin ils étaient... C'est ça qui était beau d'ailleurs, c'est que tu les regardais avec la maturité d'une adolescente qui regarde des adolescents. Je sais que tu n'es pas une adolescente, ce ne sont plus des adolescents. Mais y avait ce, pour moi cet éclairage-là de «sont vraiment trop cons», «C'est pas possible d'être aussi cons», «Qu'est ce qu'ils font? je comprends pas.»

AL: Ah c'est marrant, c'est pas du tout ce que je voulais mettre au point.

JK: (Incompréhensible)

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356 parti Collectif, collectif de jeunes artiste bordelais, très majoritairement hommes.

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1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira

Le 17 mars 2015, de 15h à 17h, 1h40 d'enregistrement

A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste Musical, salle de réunion.

AL: Est-ce que en général, dans la vie ou sur scène, tu te considères comme militant?

FV: Euh, ça oscille. Parce que dans "militant" moi j'entends une forme de combat. Et que y a des fois j'suis militant et y a des fois, je cherche; Je ne suis pas tout le temps militant, je pense pas. Mais ça dépend effectivement des actions qu'on mène. Mais j'essaie. J'essaie d'être militant au maximum des actions que je peux faire.

AL: Et ce serait sur quel(s) terrain(s) dans ce cas des combats?

FV: Euh... Après il faudrait s'entendre sur ce terme "militant"? Toi, t'entends quoi par "militant"? Moi, j'entends quelque chose d'engagée. Donc quelque chose qui lutte contre autre chose que l'on dénoncerait. Et je ne suis pas tout le temps dans cet état que l'on pourrait dire révolté ou assez insurrectionnel... Je... je ... y a un moment ou... peut-être pas comme tout un chacun, mais y a des moments ou moi je, je, je faiblis aussi sur certaines choses et j'ai l'impression de chercher le militant à certains moments. Donc ça serait plutôt ça ma définition du militant. Donc dans ça quand est-ce que je milite? L'endroit, l'endroit le plus militant pour moi c'est effectivement l'endroit social du travail, en général, que je suis le plus militant. Et est-ce que ça me prend le plus large de mon temps... Et c'est ce qui me passionne. C'est, c'est... de cet état social du travail, multiforme, de trouver les moyens de changer, ou de militer, donc de changer et de me changer aussi en même temps quoi. [...]Mon militant il n'est pas axé que sur une seule chose. Il est presque multiface, pour tenter d'améliorer la compréhension et une certaine... liberté, égalité... Voilà. [...] Militant ça va être par exemple euh, d'un point de vue organisationnel d'un évènement, c'est comment chacun peut trouver sa place... sociale, comment il peut gagner sa vie et le mieux possible dans des conditions de travail meilleures. Après, d'un point de vue artistique, c'est trouver, il faut que chaque personne puisse développer et s'émanciper à l'endroit même, au maximum de ce qu'il veut et ce qu'il peut quoi. [...] Si je voulais rapprocher un terme vague et en même temps qui préciserait c'est plutôt de lier le militantisme avec l'humanisme au maximum. [...]

AL: Là, tu viens de parler de trouver sa place, pour toi quelle est ta place à Uzeste, comment est-ce que tu t'y définirais?

FV: Euh, je ne sais pas comment je pourrais la définir sur Uzeste. Ca fait plus de 20 ans que je travaille à Uzeste. J'ai un peu, en 20ans, balayé un nombre incalculable de places. Du strapontin à la technique, à tout un tas de choses. Mais par choix! C'est pas du tout subi. Par choix et puis par volonté, justement, de trouver, de trouver ma place tout en aidant d'autres à trouver la leur. Et en servant un processus au maximum de ce qui pouvait servir le processus. Donc ma place de maintenant elle est un peu faite de toutes ces places-là. C'est à dire comme j'ai balayé un peu, un... beaucoup nombre de places, je me retrouve un peu, dans un endroit que j'avais pas prévu, de responsabilités autant administratives, que techniques, que artistiques. Qui bougent entre elles. A certains moments ce doit être plus certaines positions qui doivent être mises en valeur etc. Mais c'est

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un peu toutes ces contradictions et en même temps toutes ces diversités qui s'affrontent... dans ma place. Donc je me suis laissé découvrir des places... depuis tout le temps. J'ai pas une place calculée que j'avais en arrivant ici, à part la volonté d'être artiste. Ça c'est la place que je veux, mais en général dans la société quelque part. Que j'apprends ici d'ailleurs. Cette place là c'est une place de .... Après la place ici elle découle de l'ensemble des problématiques que j'ai découvert... Mais, moi au centre, c'est l'artistique. A partir de là, prendre le relai pour que l'artistique soit toujours le sens de l'activité ici. [...] Donc ça se traduit par des choses concrètes comme, effectivement, quand les administrateurs ont tous fuis, se retrouver à faire l'administrateur, chose que je n'avais pas prévu de faire, du tout. Ou directeur technique, quand je suis arrivé, les premiers mois, le directeur technique est parti et tu te retrouves à faire directeur technique alors que t'y connais rien en fiche technique et en... et en technique.

AL: T'étais pas technicien avant?

FV: Non. J'avais fait beaucoup de scène, donc j'avais un rapport avec la scène, donc je connaissais les termes etc. mais comment marchait une fiche technique en relation avec un théâtre professionnel, des équipes professionnelles etc. Donc j'ai repris des documents qu'avait laissé le... et puis j'ai appris. Mais il fallait le faire parce qu'il y avait, de toutes façons, un vide, et ce vide il, il, y avait personne d'autre qui était là pour le faire. Donc il a fallu quelqu'un pour le faire. [...]

AL: Et pour toi qu'est-ce que c'est Uzeste Musical?

FV: Euh.... grande question! Déjà c'est une sacrée aventure, qui dure donc depuis plus de 38ans. Moi ça fait pas 38ans que j'y suis, 20ans à peu près. Pour moi ça a été un choix... Euh faudrait remonter à mon cas personnel, je ne sais pas si c'est trop le sujet du mémoire. (Signe d'y aller de ma part) Moi je suis en région parisienne, je suis né en région parisienne. Je fais de la musique. Je fais partie d'une chorale qui est à l'époque qui est euh... un peu reconnue à Paris. On fait des tournées d'été. On fait du jazz en chorale. Et un moment on doit faire un concert avec la Cie Lubat, donc j'ai 13ans. Et, et à l'occasion de ce concert-là, donc on fait une rencontre la veille du concert avec la Cie, un atelier pour faire le final. [...] Et là je suis tombé amoureux, en tout cas cette musique-là m'a secoué, et elle a changé absolument tout, les choses. Et à partir de là je suis resté en contact, surtout avec André Minvielle. Et on s'est vu souvent, j'ai essayé de venir ici, j'ai travaillé ici comme bénévole comme ça, un été, après je suis reparti parce que c'était compliqué... à cet âge-là. Et de fil en aiguille, Uzeste Musical ça a été un peu une façon de voir le développement personnel artistique, très tôt pour moi. Même si j'étais pas de cette région et quelque part avec aucun lien qui ferait que je pourrais m'investir là quoi. Donc je suis venu pour les premiers Uzestivals, je faisais l'aller-retour à Paris les week-ends, je venais jouer. J'avais plutôt 17ans.

AL: Tu venais jouer sur la scène de...

FV: Je venais faire les bals ici. Et je venais écouter les concerts tous les week-ends. C'est les premiers Uzestivals, ça doit dater vers 90, 91. Pas les premiers, y en a eu en 85, mais pour

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ma part c'était plutôt 90. Et la Cie, dès qu'elle pouvait me faire jouer, dans les bals, en région parisienne etc., etc., donc il s'est tissé comme ça, sur le long-court une, une sorte d'amitié, en tout cas d'échange. Même si j'avais pas encore décidé d'être artiste à ce moment-là, ça a toujours guidé mon parcours comme un exemple que, de toutes façons, je voudrais suivre, dans cette capacité à créer un lien social, un environnement, un labo, et en plus essayer de peser sur la société, sur ces choix militants de la société. On rejoint le militant. C'était une façon de découvrir ce militant, de découvrir la politique, de découvrir... euh, c'est quoi de se mêler de la cité. [...] Après, Uzeste Musical, tel qu'il se transforme, je pense que c'est un labo. Un labo émancipation pour tout... Les artistes ici peuvent créer, ils peuvent se tromper, comme il existe, à mon avis, très peu maintenant en France. Je dis pas qu'il en existe pas ailleurs [...]. Mais ici, effectivement on peut créer des spectacles, on peut prendre le temps de se tromper. On peut prendre le temps de créer des spectacles, de proposer des choses qui font que l'artiste change... littéralement. Donc c'est un vrai labo, un vrai lieu d'expérimentations, voilà. Pour moi c'est ça Uzeste Musical. Du point de vue de l'artiste. C'est à dire, c'est l'artiste et l'artistique au centre [...]. C'est pas le cas de beaucoup d'endroit où l'on te demande de tout de suite être performant, de calibrer un projet, ou de rentrer, de tout de suite demander des coproductions avant de créer [...] Après Uzeste Musical pour moi c'est aussi une euh, comme je venais de région parisienne, plutôt milieu rural, c'était une façon de, face à ce que je voyais se développer un peu partout en France, aussi une façon de repenser ce que les gens appelaient la décentralisation culturelle et la politique du territoire. C'était aussi allier un projet qui met l'artiste au centre de la société comme activiste, comme acteur de la société, et en même temps pouvoir être force de proposition d'un point de vue écologique, au sens large de "vie" dans la cité, et après d'un point de vue social et politique de vie aussi, pouvoir peser etc. Bon ça j'ai un peu, pas déchanté mais, je me rends compte que c'est très très difficile. Mais pour moi ça reste ça Uzeste Musical. Même si ça parait comme un échec cette histoire-là, politique, sociale et écologique, je pense que c'est pas Uzeste qui est l'échec, c'est plus tout ce qui est autour qui a rendu ça échec. Mais les plans, les potentialités de changements, de réinventer une ruralité moderne, de réinventer une décentralisation culturelle, de réinventer une politique, réinventer le mot politique etc., y a eu plein de pistes qui ont été envoyée par Uzeste Musical. Et pour moi ça c'est central aussi dans ce qu'est Uzeste Musical. [...]

AL: A Uzeste, j'entends souvent parler de désir et de peur, comme une espèce de dichotomie, ou de duo/duel. Et je me demandais, pour toi, où est la peur et où est le désir.

FV: ... La peur, la seule peur que je connaisse ici c'est le moment de monter sur scène. Et d'ailleurs, si ça devait disparaitre, ça peut sembler un peu con parce que tout le monde dit ça, mais, mais des fois ici on ressent vraiment, on le ressent vraiment quand... parce que quand y a pas grand monde des fois en face, mais même quand y a du monde... La peur c'est ça quoi. Le désir c'est, je pense que c'est... Le désir personnel c'est de se voir avancer, de se voir toujours apprendre des choses nouvelles quand même, même si des fois il faut se remuer, des fois c'est long...héhé. C'est pas très gratifiant, d'apprendre comme ça. Après le désir ça

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pourrait être quand je vois que d'autres y arrivent, et que d'autres s'emparent de tout ça, voilà. Surtout le désir je trouve qu'il est bien quand il est partagé. Quand c'est juste, si ça devait être juste mon désir, je... Quand le village vit, que tu as pu participer à lancer des idées ou à proposer des choses qui fait qu'à un moment donné, y a un lieu de vie qui s'anime, y a des gens, y de la joie, y a du commerce, y a tout un tas de choses. Tu vois, quand tu réactives, ça c'est du désir de réactiver un peu, euh, la vie. L'été, ça fonctionne, y a quelque chose que t'aurais du mal, d'un point de vue désir, que ça s'arrête. [...]

AL: [...] En revenant sur des choses plus générales, pas forcément à Uzeste, là j'interroge plutôt une culture de la Culture, finalement, pour toi quelle serait la répartition hommes/femmes dans le domaine culturel.

FV: Un état des lieux?

AL: Ouais.

FV: Alors euh... D'un point de vue musicien, je vois que c'est.. c'est.. c'est un milieu très masculin. Je connais pas le milieu classique, mais je vois que dans le milieu classique ça a l'air d'être pas du tout pareil. En lien à la formation je pense. En lien à la formation des conservatoires avec une, un travail d'excellence qui est fait qui est plus ouvert. Le milieu administratif et très féminin, pour le coup, en culturel. Pas beaucoup dans les directions, les directions des grandes maisons sont rarement des femmes. C'est surtout des directions, c'est des hommes. Souvent t'as beaucoup de secrétaires de direction femmes. T'as un peu un reflet de la société, en tout cas dans l'administration, t'as un peu des fois un reflet de ce qu'est la hiérarchie, de ce qu'on pense être une hiérarchie d'entrepreneuriat, ou je sais pas, hein, c'est ce que je pense. Euh, dans le milieu de la danse, je pense qu'effectivement y a une représentation aussi équitable ou équilibrée si on peut appeler ça comme ça. Mais qui est encore due à la formation. Et dans la musique qu'on pratique nous, la formation s'est drôlement développée depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, y a un équilibre qui est en train de s'opérer, avec de nombreuses femmes qui, qui, qui trouvent leur place dans l'histoire de cette musique...jazz, improvisée, jazz et musiques improvisées quoi.

AL: Là tu me parle d'une avancée vers un équilibre, tu penses que ça s'opère par quels moyens?

FV: Par la formation je crois. Surtout. Par les écoles qui ont donné... et en plus, comme souvent c'est des jeunes filles qui ont fait des écoles depuis très tôt, depuis très tôt elles ont trouvé leur façon d'évoluer à côté de leur génération de garçons. Et souvent elles sont, de toutes façons elles sont aussi capables et elles sont, après, aussi fortes à la sortie de ces écoles que beaucoup de garçons. Après, en ce moment elles bénéficient d'une no-men's, d'une phase un peu de... de grâce; comme elles sont pratiquement les premières, ou elles sont une nouvelle génération de premières... Euh... C'est drôle parce que des fois on en fait...les programmations, les théâtres, en font beaucoup sur elles, elles en font des fois beaucoup moins sur des garçons autant capables. Y a un espèce de renversement dialectique un peu volontariste aussi qui s'éprouve. Pour moi c'est la formation qui a changé beaucoup de choses. La formation et les écoles, mais c'est aussi la démocratisation des écoutes. On accède

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de plus en plus facilement à de l'écoute de musique, donc à pouvoir se... à pouvoir complètement être immergé dans... On peut découvrir des choses de plus en plus rapidement, et ça amène aussi un équilibre de formation, pas que par les canons de l'école, par le biais de l'école mais vraiment par cette écoute, par cette euh...[...]

AL: J'ai fait le choix de prendre des citations de Marie Buscatto qui a beaucoup travailler sur les musiciennes, les chanteuses aussi mais surtout les musiciennes, de jazz. Et je trouvais ça intéressant puisque, ici vu qu'il y a un choix qui est fait un peu à l'encontre des chanteurs/chanteuses...

FV: Ouais.

AL: ... avec une envie pour la musique, que ce soit incarné par des musiciens ou musiciennes. Je me suis intéressée à son travail sur les musiciennes de jazz.

FV: Oui.

AL: Donc par exemple je cite: "Les musiciennes de jazz ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux". Est-ce que toi tu ressens cette bagarre dans d'improvisation, en général, même en tant qu'homme? Et est-ce que tu t'es senti témoin, euh... d'une particularité envers ou pour les femmes dans cette bagarre-là?

FV: Alors moi je me sens me sens pas du tout dans cette bagarre-là. Par contre elle a existé effectivement. C'est plus une ancienne génération de jazz qui, euh, et peut-être aussi une ancienne génération de chanteuses, qui étaient dans un modèle qui se reproduisait. Et la chanteuse c'est quand même souvent elle qui avait l'affaire, elle qui avait trouvé l'affaire. Et les jazzmen ils étaient... ça c'est vraiment pas le jazz du début, c'est vraiment le jazz des années, je dirais 90 etc, ce que j'ai connu, voilà, et les jazzmen étaient un peu dans une nostalgie d'une époque qu'ils ont pas connu dans les années 60, de... d'un laissé aller et d'un... Et en même temps, comme c'était une femme qui avait l'affaire, qui est la chanteuse, c'est elle qui trouve l'affaire, c'est elle qui va devant, c'est elle qui parle, qui... Ils étaient un peu dans une défiance de... je dirais un peu sociale quand même, avec la femme qui, quand même, prend tous les risques et à un moment. Eux n'acceptent pas cette domination, pour certains, mais pour beaucoup, de mémoire. Avec des noms. Mais on va pas le faire... Mais en même temps, ces même mecs-là, face, des fois, à un autre directeur, pas forcément chanteur mais trompettiste ou saxophoniste, ils étaient pas dans les mêmes dispositions. Et à chaque fois l'argument c'est: "T'y connais rien à la musique.", "Toi t'es une chanteuse, tu n'y connais rien à la musique". Donc évidemment y a des anecdotes ou le mec change la tonalité, elle comprend pas la tonalité ou des choses comme ça, certaines chanteuses. Bien sûr y a tout un tas de choses. Mais je pense que c'est un rapport, quand même, de domination, où le, souvent la chanteuse dans ces orchestres c'est elle qui menait l'orchestre, et y avait un peu une défiance à la meneuse. Maintenant je pense, que euh, il reste encore des reliquats peut-être de ces histoires-là, mais c'est vraiment, ça existe plus.

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AL Mais la critique de, si on reprend l'archétype de La chanteuse, c'est quelque chose qui est encore très courant.

FV: Oui, qui est très courant, mais en même temps c'est plus que dans le jazz, ça peut être aussi dans la variété, ça peut être dans le classique. On retrouve le... Mais là, spécifiquement dans le jazz, y avait des chanteuses qui, d'ailleurs des chanteuses qui faisaient l'affaire (qui trouvaient les dates de représentations, géraient les contrats, s'occuper de faire jouer le groupe), mais qui se retrouvaient à gérer un peu des... des gens qui prenaient pas d'initiatives pour faire avancer. Voilà ils étaient là au service minimal derrière la chanteuse. Je pense que c'était une défiance de celle qui avait l'affaire. Alors qu'avec un saxophoniste, dans le milieu spécifique du jazz, c'était pas du tout le même, le même rapport quoi. [...] Mais je pense que ça ça disparait de plus en plus. Parce que y en a qui... parce que y a des chanteuses qui ont beaucoup évolué aussi. Qu'ont développé, d'un point de vue esthétique autre que le jazz, d'autres propositions qui sont dans un rapport avec... l'improvisation en fait, a fait complètement exploser le cadre de ça,[...] L'improvisatrice remet, du fait de cette histoire de l'improvisation, une forme d'égalité.

AL: [Parle des improvisatrices souvent dans des spectacles de non-musique (danse, théâtre, cirque..)]

FV: Et puis je pense que c'est pas que les femmes, je pense que les garçons de cette générations sont aussi dans ce rapport-là. Je pense que le jazz n'a pas su faire évoluer, en général, même si y a des cas particuliers différents, on a pas su faire évoluer son modèle de domination et son modèle de fonctionnement. C'est à dire y a toujours la recherche d'un leader, qui fait quand même le double du boulot des autres, c'est à dire qui écrit, qui trouve les plans et les autres derrière ils servent de sidemen, ou les suiveurs. Y a cette mythologie-là aussi de l'histoire du jazz aussi et des affaires du jazz. Et ces affaires n'existent quasiment plus, il existe des reliquats de tout ça mais ça ne marche plus comme ça. Et y a beaucoup de musiciens qui, ne trouvant pas de désir justement, dans ce modèle-là, ils inventent complètement un autre modèle. Et à partir de là, s'ouvre à eux, pas qu'une esthétique ou pas qu'un milieu, s'ouvre à eux un champ entier de l'artistique. [...]

AL: Avec Juliette j'avais discuté, une fois, à la table ovale notamment, elle était à côté de moi et je lui ai demandé: "Si tu y étais, tu aurais parlé de quoi?" Et elle m'avait parlé de la légitimité. Et en faisant des lectures, la légitimité est un sujet qui revient régulièrement, sur le...

FV: Tu tombes très bien! Parce que c'est mon sujet favori. Parce que je pense que c'est pas qu'un sujet féminin, c'est un sujet central de la vie. Je pense, encore une fois en étant né en banlieue parisienne même si un peu rurale, j'étais en lycée dit à haut potentiel de garnements (Rires). Et pour moi le sujet central c'est la légitimité des êtres. Y a des moments où c'est la grande inégalité qu'il faut combattre, mais on peut combattre que par, justement, impulser de l'égalité. Y a des gens, pur des raisons X-Y, et c'est comme ça, y a des gens qui naissent avec de la légitimité et y en a d'autres, ils ne peuvent que le découvrir qu'ils ont de la légitimité. Et c'est un combat. Moi pour ma part, ça a été un combat aussi, de me sentir

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légitime à dire à un moment donné: "Je veux faire de l'artistique", ou "Je veux...", voilà, c'est un combat à mener. C'est un combat qui n'est jamais gagné d'avance, il faut toujours repousser les limites de ça. Dès que ça n'existe plus c'est qu'on se trompe, c'est qu'en fait-on... Voilà, pour moi, c'est une façon d'être militant aussi. [...] Y a aucune loi qui peut donner ça. Y a aucun quota qui peut donner ça. C'est comment faire comprendre à tout le monde qu'il est légitime. Justement, du moment qu'il a le désir d'apprendre et de franchir des étapes, tout le monde peut arriver à quelque chose. Mais pour ça il faut l'impulsion nécessaire minimale, et cette impulsion nécessaire minimale j'ai l'impression qu'elle s'appelle "Légitimité". Voilà, c'est le cadre général. Pour plein de jeunes gens en ce moment, je pense qu'on leur dit pas assez qu'ils sont légitimes, de faire, de penser et donc on se réfugie dans plein de choses. [...] A un moment donnée, tu nés, tu es légitime. Le vivant est légitime. A partir de là, on peut tout se permettre. C'est à dire y a un espèce de socle d'existence, où t'existes quoi.

AL: Après quand tu dis "Aucun quota ne peut "...

FV: C'est exagéré, effectivement.

AL: Nan mais sur le moment je peux comprendre que la personne qui est choisie pour remplir le quota ne se sente pas légitime-à, parce qu'elle peut considérer que c'est pour remplir le quota. Mais est-ce que, en tant qu'enfant, si mettons moi y a 10 ans, je vois que sur les listes électorales y a une grande diversité de sexe, mais aussi d'âges, de races, est-ce que si moi je suis... une jeune femme noire, ça ne eut pas me... me permettre de me penser si ce n'est légitime, mais au moins potentiellement légitime à ...

FV: Oh c'est sûr.

AL:...accéder à ces postes-là?

FV: Si, si. C'est sûr. C'est sûr. Et d'ailleurs je sais que pour les dernières nominations dans les théâtres nationaux y a eu une volonté légitimiste, je sais pas si on peut appeler ça comme ça, en tout cas y a eu un vrai volontarisme d'inscrire des femmes en tant que directrices. C'est comme ça qu'à Bordeaux y a Marnas au TNBA, et que là y a eu un grand combat par rapport à des hommes qui, toujours pareil, qui disent: "Mais pourquoi on va changer de député alors que ceux qui sont là, y sont déjà, font bien leur boulot. " Donc pourquoi est-ce qu'on changerait ce truc conservateur et qu'on ferait entrer les femmes par la loi obligatoire alors que les autres font bien leur boulot. Mais le sujet n'est pas là, effectivement. Le sujet il est dans une, dans donner du symbole, je te rejoins effectivement, de donner du sens au mot légitimité, ou égalité pour le coup.

AL: [...]

FV: Mais là-dessus je suis toujours en bisbille parce que je... je sais pas si le quota est bon, si, enfin tu vois, je m'interroge toujours là-dessus quoi. Je vois tout de suite le côté positif, politique, c'est à dire pour accélérer les choses, et je sais très bien qu'à chaque fois dans ça, y a quand même un revers de la médaille. [Digression sur les quotas des universités brésiliennes] En ça je trouve que les élections qui se profilent maintenant [départementales], je trouve que l'idée d'imposer un binôme est quelque chose d'intéressant. Parce que ça prend

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la place de personne. C'est pas l'élu qui, qui, j'ai réfléchi ça y a pas longtemps, c'est pas l'élu qui représente le canton, en gros c'est un binôme. Et c'est un binôme homme/femme. C'est à dire que la femme n'a pris la place de personne, par contre elle est l'égale de l'homme à cet endroit-là. Là je trouve que c'est intéressant comme proposition électorale.

AL: Oui et puis ça va permettre à beaucoup de femme de se former à ces jeux politiques, certaines qui n'y verront aucun intérêt et d'autres qui y prendront goût comme leurs homologues.

FV: Et je me disais dans la représentativité politique, ce serait pas mal d'avoir, à plein d'endroits, un binôme. Plutôt que de nommer un homme ou une femme. Après faut voir les endroits où y a une responsabilité... mais y a des endroits comme les départements, les député-es, ça pourrait être, hein, peut-être moins de député-es, mais un vrai binôme sur le territoire plutôt que... Enfin sur le territoire on a UN député, c'est homme, UN député c'est une femme. Avec tout ce que ça trimballe comme, comme conservatisme et comme, de toutes façons comme reliquats de la domination de l'homme depuis longtemps sur ces sujets. Voilà, je trouve que pour sortir de ça c'est presque l'égalité, l'égalité de traitement, l'égalité des chances et puis l'égalité peut-être symbolique du pouvoir. Pourquoi le pouvoir serait détenu par, soit un homme, soit une femme? [...]

AL: Après, faut espérer que le département ce ne soit pas, les hommes qui vont aux réunions régaliennes, économiques, agricoles etc. et les femmes qui aillent à la santé...

FV: ...culture et la famille.

AL: Ouais voilà.

FV: Mais pour l'instant c'est comme ça. Et évidemment ça sera encore comme ça partout. Tout ce qui est finance, y a aucune femme qui tient les finances. De mémoire, je ne vois pas de ministre des finances en France femme.

AL: Dans le genre, y a la garde des sceaux. [...]

FV: L'histoire des quotas, c'est troublant pour moi parce que c'est toujours euh... Le problème c'est que quand on parle de quottas j'ai l'impression qu'on parle de "prendre la place", si tu veux. Et donc on déstabilise quelque chose quoi. Y a pas une transition qui se fait. Mais en même temps, comme arme politique d'accélération du temps, y a pas mieux, ça c'est clair.

AL: Et après, à Uzeste, si on réfléchit en terme de quotas, en plus y a la "chance " d'avoir différentes scènes. C'est pas parce que sur la quantité on met autant d'hommes que de femmes, ou de black que de blancs, qu'ils sont forcément aux mêmes endroits. On peut garder des "têtes d'affiche" qui vont bien, qui font ramener du monde, sur les grosses scènes, parce qu'il y a aussi l'enjeu économique. Faut que vous surviviez. Mais... Tu parles de faire des quotas sans que personnes ne soit évincé, de toutes façons dans les programmes y a toujours des personnes qui sont évincées...

FV: Oh bin oui.

AL: Ne serait-ce que par les calendriers des uns et des autres. Euh... Est-ce que c'est déjà un débat que vous avez pu avoir ici?

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FV: Non. Par rapport à Uzeste c'est souvent la critique justifiée et/ou injustifiée, je sais pas, ça dépend d'où elle vient aussi cette critique, de qui, qu'il n'y a pas assez de femmes. Voilà. Euh... Quand on fait les programmes, ou même la plupart des gens quand ils font leur programme, ils ne réfléchissent pas en tant que sexe. Tu vois dans la programmation, ça revient à ça, je pense que ça deviendrait une erreur si on réfléchissait par quota pour le coup. Parce qu'on passerait à côté du vrai choix et du vrai échange artistique.

AL: Nan mais je me dis, pas que là-dedans...

FV: Peut-être que c'était pas la question.

AL: Si, si, c'est ça. Mais, j'essaie de te pousser.

FV: (Rigole)

AL: C'est à dire que je prends là le modèle que tu viens de me décrire en politique, où tu dis que justement, ça permet à des femmes notamment d'acquérir des compétences parce qu'elles sont mises devant le fait de faire. Et que, notamment la prochaine génération, pour le coup, elle se retrouvera à devoir se battre autant que leurs congénères, sans forcément discrimination positive...pour accéder à des postes qui auront été acquis par quota. Est-ce que le fait de... Si là demain, pour l'Hestejada, y a autant d'hommes que de femmes, même si les femmes sont moins compétentes à l'heure actuelle, mettons, supposons, sur la musique, est-ce que le fait de pratiquer et de se retrouver confronter dans ces scènes-là avec les personnes-là, parce que c'est aussi ça qui fait progresser les uns les autres, ça ne leur permettrait pas d'aller vers les termes que tu me disais; égalité, équité, liberté.

FV: Ouais, ouais, ouais... Nan mais t'as raison. (Silence) Si, mais je ne vois pas comment on pourrait le... C'est là qu'intervient la notion qu'on essaie de faire, effectivement il faudrait inviter des artistes... Il faudrait changer la méthode de représentation des choses aussi. Je pense qu'il faudrait inventer des choses. Pour avoir une égalité parfaite, presque avec un quota, c'est par exemple, il faudrait dire: "Bin on fait un spectacle là, le but du spectacle, le principe actif c'est l'improvisation, ce qui fait que tu peux prendre 4femmes, 4hommes". Là tu peux le faire. Tu peux faire un spectacle comme ça, tu choisis 4 improvisatrices que tu trouves compétentes, 4 improvisateurs que tu trouves compétents ou plus. Et puis tu fais comme ça et tu leur dis: "Voilà. Maintenant c'est "égalité" vous le faites". Ça c'est possible. Mais c'est la mode de... c'est le mode de jeu des uns et des autres qui doit évoluer aussi pour que on puisse rendre actif cette histoire-là. Je sais pas si je suis clair. Ça pose un problème de représentation et d'un spectacle euh.... de quel spectacle on écrit quelque part. Et nous comme on écrit pas de spectacles, on est plus dans des jeux, d'inventer des gens qui sont dans l'art d'improviser, donc qui sont capables de fournir eux-mêmes quelque chose très rapidement pour échanger avec l'autre ou pour jouer quelque chose. Je dis pas que les femmes sont pas capables de ça. Mais c'est qu'il y en a encore, à mon avis, y en a mais y en pas tant que ça. C'est en train de changer, ce rapport à l'artistique, y a des femmes formées sur des métiers artistiques, de l'excellence, très bien. Mais sont-elles toutes capables de jouer à ce jeu-là, y en a-t-il beaucoup qui jouent à ce jeu-là? Je sais pas.

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Voilà. Et on les connait pas encore. Il faudrait les connaitre pour pouvoir jouer à ce

truc, qu'on a découvert avec certains qu'on pouvait jouer sous multiples-formes à ça. AL: Parce que j'ai l'impression qu'ici ça apprend à jouer en jouant aussi, avec les autres. FV: Ouais, ouais.

AL: Et je suppose qu'il y a déjà dû avoir des challenges où l'on dit: " tel danseur et tel musicien, vous ça peut être intéressant, donc faites quelque chose, là, à la grange Chao"...

FV: Ouais, bien sûr.

AL: Et sur ce genre de challenge qui font progresser...

FV: Oui mais, pardon je t'ai coupé.

AL: Non, vas-y.

FV: Pour ça il faudrait qu'il y ait plus de jeunes filles. Voilà. Et ça... Quelque part ça va se passer avec une nouvelle génération ce truc-là. Ça se passe avec l'ancienne génération y en a qui ont pris, y compris sur Uzeste, y en a les gens avec qui ont a des parcours depuis longtemps, qui sont des comédienne par exemple, qui ne sont pas... qui n'ont pas plongé dans l'art d'improviser. Ca ne veut pas dire qu'elle n'excelle pas dans leur domaine, mais elle n'ont pas choisi ce truc-là. Surtout les comédiennes pour le coup. Juliette par rapport à ça, Juliette elle a senti le truc en disant: "Maintenant, je pars sur l'idée découverte avec Ducom [poète d'improvisation qui propose des stages à Uzeste] de poésie improvisée, de poésie orale improvisée. Ce qui fait qu'à partir de là, évidemment, ce genre de pratiques tu peux la confronter avec d'autres gens instantanément. A partir de ce moment-là tu es une artiste qui peut jouer sur l'instant. Mais parce qu'on parle d'ici. Ici c'est un cas particulier parce que l'improvisation est au coeur du projet artistique, pour revitaliser l'art de la création. C'est pas vrai partout ça.

AL: Mais je vois par exemple cette expérience assez douloureuse pour certains du... de quand on était 5 du parti Collectif, avec Bernard, toi et les autres de la compagnie.

FV: "Douloureuse" je sais pas, mais peut-être que tu l'as vécue douloureusement. (Rigole)

AL: Ah non, moi ça allé. Mais je pense qu'il y en a certains qui se sont trouvés à rien savoir faire en fait...

FV: Ouais, et là on été à égalité, c'était un garçon ou une fille. Enfin là c'était surtout des garçons parce que du parti Collectif y avait que toi comme fille.

AL: En termes de quantité oui. Ouais. Mais tu vois cet évènement-là qui a été douloureux pour certains, leur a permis de se... de se dire, j'ai encore du chemin à faire, il faut que je travaille l'improvisation aussi dans ce cas scénique-là.

FV: Ouais.

AL: Et là c'est une chance qui leur est donnée, et en effet, ce sont des jeunes hommes qui ont cette chance-là.

FV: Voilà.

AL: Et pourtant c'est pas par leur compétences qu'ils arrivent là, c'est par... Là, ce qu'ils ont produit c'était pas une demande de compétences particulières, c'était une mise en situation, en fait.

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FV: En imagination, oui.

AL: Oui, "mise en imagination". Qui aurait pu être demandé même à une comédienne non-habituée à l'improvisation, ...

FV: oui, bien sûr.

AL: ... et qui aurait pu justement être un déclencheur à cette production. Est-ce que ça ça ne pourrait pas être une aide...

FV: Si, si...

AL: ... vers l'égalité?

FV: Si, pour moi c'est... D'ailleurs on le voit dans la musique parce que l'idée d'improvisation dans la musique, pas forcément dans tous les conservatoires, mais de plus en plus, on apprend de plus en plus la musique avec une approche de l'improvisation. C'est rentré. C'est à dire que ces jeunes filles qui arrive à un niveau professionnel ou reconnu d'artistique dans ce milieu de musique jazz contemporaine etc... Elles ont été confrontées à l'improvisation, elles ont un langage, que le classique n'a pas, d'autonomie sur la rencontre, sur l'égalité. Donc ces filles-là elles sont... Voilà, des femmes comme Joëlle Léandre, c'était une des premières à se charger de ce genre de trucs, et y en a d'autres en Europe parmi elles, mais elle elle était une des premières à le faire. Elle joue avec plein de gens, dans plein de projets différents. Voilà, mais y a des générations maintenant qui arrivent qui savent très très bien faire ça. Et ça a été parce que c'est à l'endroit de la formation qu'il faut agir. Après il faut des scènes comme ici qui soient capables de faire transpirer cette formation. C'est pour ça que ça interroge les quotas, parce qu'au-delà des quotas y aurait... pas un quota mais presque une obligation, et c'est ce qui se passe ici, par l'impulsion volontariste de Bernard, mais parce qu'il sait pour quoi, de forcer les gens à y aller. Il faudrait que des endroits comme ici soient multipliés par beaucoup et qu'à un moment, comme dans ces écoles ou dans ces conservatoires, y a souvent autant de femmes que d'hommes , qu'il y est une espèce de mise en situation immédiate pour rendre la légitimité à tout le monde de pouvoir agir, même si t'es pas la première ou premier de la classe. [...]

AL: Je retourne sur le sujet. Toujours Marie Buscatto, elle travaille sur les réseaux de musiciens, et elle s'est rendu compte que beaucoup de musiciennes sortent des formations en couple, ou lorsqu'elles se professionnalisent se retrouvent en couple avec quelqu'un du métier, un homme du métier en général, programmateur, musicien, agent... et elle décrit un phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau du compagnon qui peut être très bénéfique sur le moment, puisque ça lui permet de jouer, de ne pas être dans des rapports de séduction par rapport aux autres de musiciens, ou quoi...

FV: Ouais

AL: ... mais par contre qu'elles restent toujours un peu à la remorque du compagnon, suivre les projets, sauf s'ils les mènent vraiment ensemble. Et que si y a rupture, c'est elles qui se retrouvent exclues du... du réseau.

FV: Oui je connais très bien le truc. Oui parce que le milieu, le milieu de la musique en général et tenu par les hommes. Et je ne connais pas de directeurs de festivals qui soient une femme,

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il doit y en avoir, mais je connais pas. Euh... elles sont toujours, encore une fois, en deuxième rideau ou elles sont... elles existent mais elles sont... Euh, des directrices d'orchestres femmes, y en a pas beaucoup. Donc le milieu est tenu par les hommes. Ça veut pas dire que les hommes sont mauvais... C'est des hommes qui héritent aussi d'un héritage social. Et donc après, le mélange entre cet héritage social et les histoires amoureuses, c'est détonant! Évidemment. Et donc la femme, comme c'est l'homme qui détient le milieu, et que tout ou tard ça passe par... des circuits que l'homme fréquente aussi, c'est très difficile pour la femme. Et y a autre chose qui est très difficile pour la femme musicienne, c'est le fait de décider d'avoir un enfant pas exemple. Tu vois. Au-delà du statut et tous ces régimes intermittents qui posent problème, y a aussi, moi j'me rappelle d'une copine contrebassiste qui explique ce que c'est que d'avoir un enfant et que quand tu es contrebassiste et que tu travailles dans plusieurs orchestres. C'est à dire que, à un moment t'as toute la période avant d'avoir l'enfant, ou c'est très dur physiquement, t'as une période où tu as l'enfant, tu te fais remplacer, et souvent si ça se passe bien avec un garçon, y a au moins six mois où t'es pas accessible pour le métier. Si ces six mois-là t'avais des grosses dates ou des grosses tournées, tu trouves un remplaçant qui prends ta place et qui pour la suite du projet garde la place. Et après y a toute cette période de reprise où tu allaites l'enfant, où elle dit à un moment donnée: "T'es en train de jouer, t'as des montées de lait, t'as ton costume qui est un peu... (Geste autour du sein) tu vois". Et ça c'est une réalité de faits. Voilà qui rend, là pour le coup, une femme qui décide d'avoir un enfant dans ce milieu c'est très difficile parce que physiquement, ce milieu est très exigeant quand-même. Et c'est excluant aussi. Ça explique pour y a autant de femmes qui décident de ne pas avoir d'enfants dans ce milieu-là. Parce que c'est un arrêt, un arrêt qui peut être fatal dans le développement. [...]

AL: Elle analyse aussi le fait qu'en tant qu'artiste on a besoin d'être soutenu-e, moralement, psychologiquement, sur les compétences, la légitimité d'être sur scène etc., et aussi dans la vie de famille [...] et que beaucoup de femmes se trouvent à jouer les mamans, à soutenir leur homme aussi bien logistiquement que moralement et elles se soutiennent elles-mêmes quoi. Et que pour le coup ça privilégie aussi une ambition plus forte pour le conjoint que pour la conjointe. Toi t'analyses ça aussi?

FV: Alors, ouais, mais j'avais une autre copine qui avait fait une étude. Elle, elle... c'était la soeur de Thierry Madiot qui est un musicien. Elle avait fait une étude sur la vie du musicien en banlieue parisienne, et qu'il y avait 80% des musiciens de jazz qui étaient mariés avec une institutrice [...] [A propos des difficultés d'emplois du temps, de vie]. L'homme on lui accorde peut-être (claque des doigts) la légitimité de sa liberté d'office, dans la vie. Mais une femme est-ce, dans la société pour qu'elle se retrouve à être aussi, à avoir un emploi du temps aussi intensif alors qu'elle n'est pas une executive-women de l'industrie ou de la banque etc., je sais pas si c'est bien accepté dans la société. [...]

AL: Pour toi qu'est-ce que ça signifie "féminisme"? Et est-ce que tu te sens concerné?

FV: Bin pour moi le féminisme c'est le combat de l'égalité femme/homme, donc sans toutes les ramifications qu'il peut avoir. Moi je me sens autant féministe qu'une femme. Et je pense

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que je suis féminisme. Je suis pour l'égalité homme/femme dans les responsabilités, dans l'égalité salariale, dans l'égalité d'inventer les lois qui iront avec, les lois qui tiennent comptent de la différence. "Féminisme" égale pas "l'homme égale de la femme", euh... pas dans l'égalité mais dans la conformité quoi. On n'est pas conforme. [...] Les lois servent à... abolir l'indifférence de la différence. Pour moi c'est ça. Être féministe c'est ça. Effectivement, on est différent. Tenons compte de cette différence pour... dans les lois qu'on construit. Mais avec le principe de dire: "Faut qu'on aille vers une égalité" [...]

AL: Et est-ce que tu as eu les influences artistiques féministes... dans tes recherches?

FV: Non. J'ai vu des spectacles, j'ai vu des... ma compagne qui m'a montré des choses, j'ai entendu des émissions de radio qui m'ont ramené sur des combats comme ça. Par exemple sur la compositrice Nadia Boulanger, sur tout ce qu'elle a du faire pour qu'elle mérite de gagner le concours d'Europe. C'était une émission comme ça... [...] Au cinéma, des choses comme Camille Claudel, qui te marquent quand même dans cette histoire-là. Ça tombe bien puisqu'il y a un film de Tim Burton qui est sur cette histoire-là. Un homme qui récupère la peinture de sa femme et signe tous les tableaux après quoi. Des femmes qui n'ont pas été publiées, ça c'est Juliette qui me l'avait donné, et qui ont pris un pseudo-homme et qui ont été publié tout de suite et qui ont été complètement anoblies par la critique357. Voilà, des exemples comme ça, y en a dans l'histoire, ça te révolte. [...] C'est pas une question d'être féministe, c'est qu'à un moment donné tu traites un être humain comme ça! C'est à dire, t'es dans un traitement de choses qui est complètement illégitime quoi.

AL: Et des débats de la CGT, je ne sais pas si t'y est allé..

FV: Pas tous.

AL: Et ça t'apporte quelque chose là-dessus? Ça te nourrit?

FV: Euh... Si, si j'suis honnête j'aurais l'intention de dire non. Mais je ne les ai pas, à mon avis, assez bien suivis pour dire oui ou non.

AL: Et pour toi est-ce qu'il peut exister un art féministe?

FV: (Silence) Je pense qu'il y a des femmes qui sont tellement confrontées à l'opposition, qu'elles ont dû inventer forcément une révolte qui parle de leur condition de femmes. Donc ça doit exister. Et je pense que ça existe. Mais intégralement féministe, non. Peut-être qu'il y aurait quelque chose de l'ordre de la révolte qui serait féministe, où le moteur. En ça je pense à l'exposition de Niki de Saint Phalle à Paris, pour le moment elle a une performance qu'elle fait, où elle a des tableaux, avec des... de la peinture emprisonnée dedans, des fois c'est des corps de femmes, des morceaux... [...] C'est pas un art féministe, mais un art qui revendique un combat là-dessus, sur ça. Je pense que les femmes en parlent différemment que les hommes. En ce sens on peut-être parler d'art féministe. Mais pas d'un point de vue militant politique mais symbolique de révolte et d'interrogation.

AL: Et dans le même sens, que signifierait pour toi "masculin" et "féminin"?

FV: En art?

357 Note : Je pense que c'est une référence au livre Le Journal de la création, de Nancy Huston où l'écrivaine retrace l'histoire de plusieurs femmes écrivaines. Juliette Kapla y fait aussi référence dans son entretien.

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AL: En général...

FV: Je sais pas parce que, moi qui suis, ai une éducation un peu, comment dire...catholique, j'ai toujours été un peu outré de cette histoire de la naissance de la femme, si tu veux, dans la cuisse de l'homme. C'est de... c'est absolument terrifiant ces histoires-là. Dès le départ t'as un espèce de truc qui s'installe. Qu'est-ce qu'un homme, une femme, euh... J'en sais rien en fait. Je découvre à chaque instant, vraiment j'avance avec les yeux bandés là par rapport à ça, j'en sais rien. En fait, plus j'avance, plus j'abandonne des vieux modèles par contre ou des pseudos certitudes sur le sujet, que l'homme serait plus entreprenant et tout un je-sais-pas-quoi de, tout un tas de choses que je gomme qui sont quand même soit donné par ta famille, ton environnement, soit pas tout ce qu'on injecte de... Je ne sais plus ce que c'est. Plus ça va, plus je ne vois dans les relations, que de l'égalité en fait. [...]

AL: Est-ce que sur des travaux professionnels mixtes ou non-mixtes, qu'est-ce qui a été pour toi le plus difficile ou le plus intéressant, le plus facile. Quelles sont les... Est-ce que le fait de travailler avec des personnes du sexe opposé change la donne, apporte autre chose?

FV: Ça dépend dans quel contexte on travaille aussi je crois. C'est pour ça que les contextes les plus ouverts possibles et les plus... les moins sûrs d'eux possibles, amènent des relations différentes. Hélas, après dans mon expérience c'est quand même... Quand tu travailles, par exemple, dans un orchestre où tout est écrit, tu tombes souvent, bon même si y a une femme dedans, t'es dans une espèce de hiérarchie où tu... tu joues la musique d'un mec et y a pratiquement aucun rapport avec les gens parce que t'es dans un rapport de boulot, et y a qu'un rapport de compétition sur les moments de solo où chacun serait en train de se jauger par rapport à d'où il vient, quelles opportunités il a, donc là y a pas vraiment d'échanges. Mais les mêmes mecs... ou.... les mêmes mecs ou les mêmes femmes, mis dans un vrai processus créatif, je pense que c'est riche indifféremment. Je ne sais pas si c'est si c'est plus riche de travailler avec une femme qu'avec un homme, je pense que ça dépend du contexte dans lequel on travaille et avec qui on travaille. Et j'ai trop peu d'expérience dans des milieux différents pour vraiment pouvoir tirer des conclusions sur ça. Mais j'ai l'impression de ça en tout cas.

[...]

AL: Sur Uzeste particulièrement, pour toi où seraient les hommes et les femmes?

FV: Mmmh ouais. Alors là je pense qu'on est toujours lié à l'histoire aussi d'un lieu et on hérite toujours d'une histoire et d'un lieu. Je pense que ce lieu... C'est deux personnes qui l'inventent au départ; Alban et Bernard, euh, "Alban et Bernard" justement, Alban et Marie. Et que, comme dans toute histoire y a des choses qui s'installent. Eux, ce qu'ils avaient installé était peut-être un schéma qui existait, voilà où Marie s'est consacrée à la cuisine, à l'accueil des lieux, à l'épicerie, à beaucoup de choses, Alban il s'est... Il a donné une autre dimension, celle de la politique, de... Ils ont hérité aussi d'un fonctionnement, homme/femme qui existe assez classiquement, qu'ils ont essayé de bousculer à mon avis, mais qui... des fois t'as des choses qui sont plus fortes que toi. Et on est un peu héritier de cette histoire-là. Et je trouve qu'à l'heure actuelle on retrouve un

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peu ce schéma, qu'on essaie d'interroger tout le temps. Mais y a quand même ce schéma aussi qui est autant des hommes et des femmes, des fois la femme va directement aux choses telles qu'on pense qu'elle doit le faire etc. C'est là qu'il y a un combat qui est à mener, c'est pour ça qu'il est à mener autant par les hommes que par les femmes, et qu'il y a des choses à interroger. Même si, le fait qu'on... Notre sujet est l'artistique, elle remet en cause et en crise toutes ces situations. Mais dès qu'on fait plus attention on retourne sur des situations de l'historicité, de, d'où ça vient. Parce qu'en même temps c'est l'historicité du rapport homme/femme, à mon avis. Donc c'est un combat, enfin une vigilance. Il faut être vigilant pour qu'on réinterroge les vieux, les vieilles formes pour, pour, pour les interroger, pour voir si c'est vraiment un choix ou si on est en train de reproduire un modèle.

AL: Et toi tu te sens comment, presque affectivement, par rapport à ça?

FV: Ah bin je me sens troublé parce que... parce que c'est une situation qui me va aussi. Si tu veux en tant que... je sais pas, quel enfant ou je sais pas quoi, mais, cette situation que je laisse des fois s'installer, aussi, personnellement, et que je ne le remets pas en branle. C'est là où je parle de vigilance.

[...]

AL: [...] Sauf si tu as d'autres solutions, propositions en tête mais on a déjà évoqué les histoires de quotas, de formation...

FV: Non, non... Après je ne sais pas si on a fait le tour des questions. Après, des fois quand les gens disent qu'artistiquement y a pas assez de femmes, c'est le problème aussi du public, qui... le public en général j'ai l'impression qu'il est attiré vers les artistes hommes beaucoup aussi. Et que.. Ou alors des femmes qui... Y a aussi le public qui doit évoluer, dans ces milieux-là je pense. Dans sa façon de reconnaitre la femme, dans ses prises de risques et pas dans ce qu'il attend de la femme. J'ai l'impression que la femme des fois est plus attendue au tournant que les hommes. Les hommes peuvent se permettre plus de libertés artistiques. Alors que, même, on est au coeur d'un projet qui revendique l'improvisation et une forme de liberté. Quand je disais que le public est bienveillant, c'est vrai, le public est bienveillant, mais quand même, je pense qu'il est, si y a un degré à trouver, plus bienveillant avec les garçons en général qu'avec les femmes.

AL: Mmm... Tu penses qu'il y a ce...

FV: Et qu'une femme a un moment donné...a plus de défi pour convaincre qu'un homme des fois.

AL: On serait presque dans la formule d'entreprise: "Une femme doit faire mieux qu'un homme pour pouvoir faire les mêmes choses"?

FV: J'ai l'impression, j'ai l'impression. Et que quand elle fait, tout simplement, des fois on voit pas, aussi.

[...]

FV: A l'inverse des fois je connais des jeunes filles musiciennes qui sont gênées de leur succès... parce que des programmateurs mecs vont absolument vouloir programmer une femme. Et il

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programme la seule femme et ils vont en faire des tonnes et euh.. tu vois, ça c'est le revers de la médaille. Je sais pas si c'est bien ou pas bien en fait. En plus, quand je dis ça, je juge que c'est pas bien, mais je trouve que quand on fait ça on remet la femme face à s'interroger sur sa légitimité. "Est-ce que je suis vraiment légitime d'être programmée en tête d'affiche alors que mon copain de formation, qui est aussi bon que moi il ne sera jamais programmé en tête d'affiche.

[...]

FV : Donc se pose très tôt, après la question de la compétitivité des uns et des autres, de la concurrence des uns et des autres par rapport à ça. Donc dès qu'on touche à cette histoire d'inégalité homme/femme qui a une influence directe sur la concurrence, t'actives tous les vieux démons puissance dix. J'ai l'impression. Plutôt que de vouloir les régler, tu les réactives. C'est... c'est peut-être faux ce que je dis mais j'ai l'impression de ça.

AL: Ouais... En même temps je pense qu'on poserait exactement les mêmes questions, qui sont en train de se poser d'ailleurs, sur l'égalité des chances sociales financières, ça choque pas pareil.

FV: Ouais...

AL: Tout ce qui est bourses au mérite, tout ce qui est...

FV: Ça pose pas pareil, effectivement. Alors qu'il y a une inégalité qui sera là évidement. AL: [...]

FV: Et puis je pense qu'il faut faire évoluer ce système de concurrence effrénée à quelque chose où on se pose la question de donner du travail à tout le monde à un moment.

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1.1.3. Carnet de bord

Observation immersive

Pourquoi est-ce que la ségrégation horizontale persévère à Uzeste Musical ?

Est-ce que le discours féministe continuerait au sein d'Uzeste si cette égalité était obtenue ?

Quels moyens, modes de pensées sont mis?es en place pour ouvrir des places aux femmes ? (Porte fermée ? Porte déloquée ? Invitation/incitation à leur égard/ discrimination positive ?)

Uzestival automnal

Objectif : m'assurer du soutien des acteur?trices d'Uzeste Musical.

J'ai demandé l'accord de chaque personne liée à ma problématique, pour mener cette recherche. Il y a eu, en globalité trois types de réponses positives :

Toute recherche sur les activités d'Uzeste Musical intéresse. (Fabrice, Louis, Bernard, Laure)

La question du genre m'intéresse/ me trouble. (Juliette, Jaime, Martine, et d'une certaine manière Diane avec qui les discussions se sont accentué sur le genre et non pas sur le terrain.) « Bien sûr que je te soutien » (Jules, Mona...)

La problématique du genre, ne serait-ce qu'énoncée, enclenche des débats avec les personnes ayant répondu des deux premières manières. (Laure qui remarque que les femmes artistes qu'elle connait travaillent souvent seules - écrivaine, peintre, scénariste. Louis questionne sur la perte des repères de genre, est-ce que c'est sain ? Martine raconte des souvenirs d'enseignante ; des différences de comportements des parents envers leurs enfants selon leur sexe. Jaime aussi ouvre un débat.) Le terrain est propice à la germination des questions de genre.

Résidence du parti Collectif à Uzeste Musical, automne 2014

Observation immersive du 29 octobre au 2 novembre

Les lieux :

- L'Estaminet = Théâtre Amusicien dans le bourg d'Uzeste

- Le Moulin = Chez Louis Lubat et sa mère, à Uzeste mais hors du bourg. La plupart des artistes du parti Collectif y dorment durant les résidences uzestoises.

29 octobre 2014

Tanguy, Paolo, Louis, Simon et moi sommes déjà à Uzeste (chez Louis « au moulin »,

plus exactement). Les trois premiers vont à la pêche. Simon et moi restons au Moulin. Louis a impulsé l'envie de soigner l'accueille des «copains », autres artistes du collectif. Il est donc prévu que nous fassions le ménage ensemble, rendez-vous 17h à l'Estaminet. Simon et moi

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faisons le ménage. Nous attendons les autres pour déplacer les instruments et autre matériel de spectacle.

En attendant, nous en venons à discuter de mon sujet de mémoire. Simon pointe qu' « on [leur] dit souvent qu'il n'y a pas de filles dans le pC. Au CAPC par exemple. [Il a] répondu qu'il y en avait derrière, en pensant à [moi]. Et puis y a Mona pas loin. Mais c'est bizarre». Il ressort de cette discussion un intérêt pour le sujet de cette recherche, et pour des solutions.

Paolo et Simon se lance dans l'installation du nouvel écran de fond de scène. J'aide à ouvrir l'échelle et explique la contrainte des perches de ce théâtre. Mon expérience en tant que bénévole technique dans ce lieu me permet d'être entendu sur un point technique (masculin).

Jules, Paul, Clément, Jaime, Fabrice et Thomas nous retrouvent en fin de journée à l'Estaminet.

Le soir, plus ou moins tout le monde participe aux tâches ménagères.

30 octobre 2014

Premier jour de résidence.

Matin

Rendez-vous à 10h... qui sont devenues 11h.

Le travail s'est tourné vers la technique de deux morceaux, mené par Thomas. Louis et Jaime, absents ce matin, ont l'envie de questionner d'autres arts que la musique et l'influence pour mettre le laboratoire en exécution. Clément et moi tendons vers cette envie là, mais avec moi de suivi, ou du moins nous supposons sans suivi. Faut-il que la compétence musicale soit prouvée pour être influent?e/leadeur?se ?

Le midi, Amaro fait rapidement des pâtes pendant que deux vont chercher des chanterelles. Pour les autres, c'est un temps de pause.

Après-midi

Travail des morceaux de bal.

Nous sommes deux filles sur 15 présent?es. Deux non-musiciennes.

La réunion de fin de journée pour définir le programme du lendemain se transforme en débat sur le chemin artistique à prendre pour l'association. Pour le lendemain, la question est de savoir si c'est la technique du bigband qui doit être travaillé ou s'il est plus intéressant d'expérimenter.

Pro-technique : Il y a besoin d'une base sur laquelle se greffer, une base à travailler. Pour pouvoir sortir de ce cadre, il faut être à l'aise dedans.

Pro-expérimentation : La « base » n'est pas la même pour tout le monde. La base doit être transartistiques et donc se travailler ensemble.

Le débat se clôt dans un compromis : le bigband répétera le matin, et on expérimentera l'après-midi.

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31 octobre 2014 Matin

Répétition du Bigband. Mona n'est pas là : que des hommes.

Après-midi

Exercice d'improvisation : solos autour de la consigne « Je ne sais pas jouer de mon instrument »

Sur 14 personnes, une femme (moi), aussi seule non-musicienne.

Tout le monde a fait un solo, sauf Jaime et moi ensemble.

Après deux solos, j'ai pris la parole sur la nécessité d'entrer dans la lumière. Proposition d'un exercice de théâtre pour sentir la lumière les yeux fermés. Les deux solos qui suivent prêtent plus attention à la lumière : mon propos est entendu => terrain favorable à des échanges de compétences.

A la suite de mon intervention, Jaime m'a proposé de monter sur scène (personne n'y allait). Se levant en même temps, il propose gentiment de m'accompagner. J'y vois la proposition d'un duo, exercice intéressant, j'accepte.

Déroulé du duo improvisé Jaime & moi:

Jaime improvisa des textes proches de l'écriture de Falk Richter, dans leur découpage, et à Rodrigo Garcia, sur les sujets empruntés type TV réalité, etc.

Lui très directif : « Reste au centre, dans la lumière. Cherche la lumière ». Malgré la référence à un propos de ma part, la relation était de domination. Boris en tant que spectateur atteste : « très rapidement un rapport homme/femme s'est créé, avec une domination de type marionnette de son côté ». Ce fut mon ressenti aussi, exacerbé par les recherches du mémoire.

J'ai tenté de sortir de son discours, aller à l'inverse, sortir de son rythme frénétique. Je suis montée sur la chaise devant laquelle il statuait. J'ai essayé de le mouvoir, résistance de sa part. Jeu de lolita sur la chaise358. Encore des indications type TV-réalité, mais il s'adressait au public, et par continuité à moi. Je le pousse en dansant. Volonté : inverser les instruments. N'a pas pris le mouvement, j'étais trop petite pour le micro, et puis j'y suis incompétente. J'en suis sortie, il a repris le micro, le schéma s'est reproduit. 359

Donc je fus bien « accompagnée » et non pas « en duo » puisqu'il n'était pas au coeur du problème avec moi. 1) Il n'a pas joué la consigne de ne pas user de son instrument puisqu'il est manieur de mots, et s'est mis au micro. 2) Il s'est positionné en fond de scène, observateur du centre. 3) Il ne se positionnait jamais en fonction de mes propositions (continuité ou rupture), mais imposait le chemin qu'il avait choisi.

Ce n'était pas un duo, donc il n'était pas dans l'envie de se confronter à mes propositions. C'était un accompagnement, donc une assistance, un contre-point pour donner de la valeur à ce

358 Entrée dans le piège, installer un schéma en voulant le dénoncer.

359 Note au 16 novembre : Je regrette encore de ne pas avoir réagi sur le moment, sur scène. Arrêter cette situation que je vivais comme spect-actrice d'une domination que je cherche à dénoncer. J'aurais dû m'arrêter au moment même où j'ai réalisé que nous n'étions pas dans une rencontre saine, à égalité.

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qui était accompagné. Pourquoi ? Pourquoi avec moi mais pas avec un nouveau du collectif ? Pourquoi l'accompagnement et pas le duo ?

Hypothèses :

- Considération de la danse comme non-autonome, à l'inverse de la musique. Et particulièrement dépendante de la musique (donc des musicien?nes). 360

- Jaime avait vu la prestation moyenne, voire mauvaise aux vues de l'échelle de valeurs d'Uzeste Musical, faite par Sarah Meunier et moi il y a deux ans. Il a pu vouloir proposer un soutien, une mise en valeur pour aider une défaillance.

- Une envie de tester une autre relation dans le duo que la rencontre d'égal à égal?e.

Nb : N'étant pas bordelaise, ni musicienne, c'était la première opportunité pour moi de sortir du rôle d'administratrice aux yeux des autres membres du collectif, pour enfiler la casquette d'artiste. Il y avait donc un double-enjeux pour moi : m'affirmer comme multifonction dans l'association et proposer une approche de la scène sans musique. C'est-à-dire, affirmer la transdisciplinarité de la structure en questionnant la dominance de la musique.

Indice de réponse(s) :

Au repas je questionne Jaime sur son intention de départ : « M'as-tu accompagnée ou on

a fait un duo ? ». Le choix des pronoms n'est pas anodin : « tu » ou « on » était acteur ? Il y avait bien « la proposition d'accompagner au début.

Pourquoi pas les autres ?

Les autres, ils ne débutent pas en impro361. (Regard autour de la table) Ah si certains. »

Je crois qu'il s'est rendu compte à ce moment-là de son traitement de faveur. L'idée venait de Louis, il reconnait à la fin de la conversation qu'il aurait dû l'envoyer paitre.

L'idée venant de Louis Lubat, je le questionne sur le pourquoi de cette initiative : « J'avais peur que t'y aille pas toute seule. C'est dur devant les copains... qui sont pas habitués à voir des choses comme ça, ce travail du corps. »

En résulte : une reconnaissance positive de l'intérêt du travail corporel sur scène, et me considère362 comme capable de représenter ce travail. Mais aussi une mise à l'écart des bénéficiaires du volontarisme de discriminations positives.363

Ceci pose une autre question, au-delà du sexisme bienveillant, comment partage-t-on une expérience artistique avec quelqu'un?e considéré?e moins compétent?e. Dans le cas présenté

360 La danse attribuée au féminin considérée comme dépendante de la musique. La musique classique, considérée plus féminine que les plupart des autres danses, est dépendante de la partition... écrite par des hommes. (Cf. Rapport 2006 de Reine PRAT)

361 Ayant pratiqué 3 ans d'improvisation en danse contemporaine, 8 ans de théâtre avec exercices réguliers d'improvisation, plusieurs expériences de spectacles en cirque, danse et théâtre improvisés au dernier moment pour raisons diverses en solo ou duo, l'idée de « débutant?e » semble plus être un préjugé qu'un constat.

362 « Considère » et pas « préjuge » puisque Louis Lubat est le seul du collectif à m'avoir vue sur scène peu de temps avant. Jaime m'avait vu 3ans avant, en difficulté technique (rééducation d'une déchirure musculaire) et artistique (je n'étais pas prête, psychologiquement, à remonter sur scène à cette période).

363 Cette mise à l'écart, encore aujourd'hui en mai, est douloureuse car elle fût vécue comme du sexisme bienveillant.

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précédemment, la réponse fut directive, autoritaire et non poreuse. C'est-à-dire que le dominant s'est affirmé dans cette position en donnant des directives, les imposant si elles n'étaient pas suivies, et n'a pas absorbé de propositions de la part de la dominée. Exemple : Lorsque celle-ci est venue envahir l'espace du dominant, il n'a pas modifié son comportement (ses mots, mais pas son action), lorsqu'elle l'a mobilisé corporellement, il n'a pas absorbé/répondu au mouvement. Lorsqu'elle l'a forcé à sortir de sa place au micro, il n'a pas cherché à construire avec la nouvelle situation => a récupéré sa place. Chacun de ces choix sont des partis-pris qui peuvent très bien se justifier dans une relation en duo. Mais cette relation est uniforme sur toute la durée de la performance, produisant une relation de domination.

Lorsque l'on accueille quelqu'un e de moins expérimenté e, il y a aussi la possibilité de considérer l'autre comme son égal e, moins expérimenté e. Le jeu va alors être de faire ressortir la potentialité des propositions -souvent timides chez un e débutant e. Il s'agit donc de se monter hyper poreux se, et d'enrichir les esquisses proposées. Cette pratique est particulièrement exploité dans les cours de danse contemporaine contact, dont le principe actif est la porosité. Ce procédé met le la novice en situation de réussite, propice au sentiment de légitimité.

Samedi 1 novembre 2014

Préparation d'une sortie de résidence le soir-même.

Matin

Nous allons tous au marché. Après un détour au café, la place est investie d'instruments

et de nos tracts artisanaux. Les musiciens courent partout. C'est drôle, c'est frais. Mona n'ose pas y aller.

Après-midi

Répétition du Bigband. Les non-musicien nes de la formation se trouvent un rôle : Jaime

au mapping vidéo, Clément à la régie son, et moi à la lumière.

Sortie d'Uzine

Le spectacle est passé vite. Au menu : Sortie de trompettes du bar, Bigband classique puis

dissonant, mutinerie contre le chef-d'orchestre, problème post-révolution et coup de théâtre. Les musicien nes ont proposé autre chose que de la musique, mais être musicien ne était une condition sine qua non à la montée sur scène.

Dimanche 2 novembre 2014

Présent es : Martine, Bernard, Fabrice, Louis, Jaime, Paolo, Simon, Mona, Matis,

Clément, moi, Martine Amanieu, Sylvie Gravagna

Débriefing de Sortie d'Uzine

Bernard Lubat a pris le temps de poser les mots sur l'évènement de la veille : « Ce que

j'ai vu hier, c'est l'extension du noyau dur de la Cie Lubat ». Il ne marche pas ses mots : « [la musique était catastrophique, mais il y avait de belles choses]», « ça s'est planté, mais ça s'est

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planté bien ». Puis en parlant de l'Estaminet, il nous ouvre à tous la porte de son lieu et son expérience. Il parle d'un « lieu éduquant collectivement », et nous propose de nous faire jouer si nous venons à Uzeste. Par l'investissement dans le collectif, nous ouvrons des possibilités de réseaux. (Cf. Groupe de pote comme réseau)

Réunion pour l'Uzestival du nouvel an

Bernard Lubat propose diverses choses, plutôt mixte avec les deux comédiennes

présentes.

Un tour de table des propositions du parti Collectif se fait : solos et duos se dessinent. Louis invite Mona en classique, elle accepte. Je me propose aussi, encouragée par Bernard. Discrimination positive/coup de pouce.

Uzestival du nouvel an / 28 décembre 2014

Cabaret philos'autres Poésie : 2 hommes

Théâtre : 4 femmes et 1 homme

Musique : 7 hommes et 1 femme

Danse : 2 femmes

Vidéo : 2 hommes

Les tendances semblent bien similaires entre les chiffres nationaux et le terrain. A

approfondir avec les chiffres des Hestejadas.

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1.2. CORPUS SECONDAIRE

1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane Camus, Jaime Chao

Le 16 mars 2015, de 19h à 22h, 2h40 d'enregistrement

A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste Musical, salle de spectacle.

Anna Legrand:[...] D'abord, est-ce que un par un vous pourriez me dire quelle place vous pensez avoir à Uzeste et comment vous vous y définiriez ? (Silence)

Louis Lubat : Vas-y Jaime, on fait le tour de la table.

Jaime Chao: D'accord, «quelle est ma place à Uzeste?». Déjà ma place elle est dans la maison, que j'habite, j'habite sur place, maintenant je vote sur place aussi. Et rue Faza, en descendant ma rue, j'ai la chance d'avoir l'Estaminet, où j'ai appris beaucoup et j'ai un rôle d'apprenant. Que ce soit artistiquement, sur scène, au niveau de la voix et des instruments ou que ce soit technique avec tous les chantiers lumières et de sonorisation que je mets en place. C'est une espèce de lieu centre pour moi. Ça me définit, et je m'y définis, en fait, par Uzeste quoi, par ce qui se passe pour moi, ici.

AL: Diane?

Diane Camus: Moi j'ai grandi à Uzeste, donc c'est mon foyer, c'est mon chez moi, c'est ma famille. Mais quelle est ma place dans Uzeste Musical, euh, elle est en évolution permanente. Je suis passée par plein de stades. Enfants on était dans le théâtre donc un peu les artistes, petits artistes, voilà, du festival. Tous les adultes étaient autour de nous et voilà, on était dans une émulation, oui, artistique. Après j'ai été bénévole pendant des années. J'ai été pendant trois ans en cuisine. J'ai aidé Marie Brunet [à faire la cuisine] pendant je sais pas combien d'année pour les stages. Après là je viens de faire trois ans d'administratif, enfin d'organisation du festival, la régie un peu générale de tout le festival. Et là je suis un peu dans une phase d'évolution parce que ce qui m'intéresse c'est, c'est lier mon activité à Uzeste avec ma formation, ma formation d'architecte. Et donc pourquoi pas travailler plus sur la question de la scénographie. C'est là-dessus que j'ai envie de travailler. Puis même sur les problématiques qui m'intéresse qui sont la ruralité et la place d'un équipement comme Uzeste et d'une activité comme Uzeste comme dynamique territoriale. [...] Ma place elle est dans l'évolution, j'apprends à Uzeste, je suis passé par tous les stades. Et y en aura d'autres.

JC: A toi Loulou.

LL: Donc, euh, moi aussi j'apprends à Uzeste...

JC, LL: (Pouffent de rire)

JC: Entre parenthèses: «Rires».

Tous: (Rires)

LL: Donc moi aussi j'apprends à Uzeste. Donc je suis dans la Cie Lubat. Ma place à Uzeste c'est d'être musicien dans la Cie. Moi je pense que j'ai une place spéciale aussi, enfin «spéciale»... euh, si particulière quand même, parce que je suis le fils de Bernard. Mais je

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pense que je suis dans le même cas que Jaime et Diane c'est à dire que j'apprends à Uzeste et j'apprends à monter sur scène, on apprend aussi à organiser même si c'est pas formuler. J'ai pas un titre de directeur de quoi que ce soit. Mais ça fait longtemps que je programme dans l'Hestejada, qu'on programme tous ensemble. Donc je suis dans une place intermédiaire. Enfin bon...pff je sais pas comment définir. Je suis d'accord avec la définition de Jaime d'apprenant, mais ça je pense que c'est le cas de tout le monde à Uzeste. Sinon on y reste pas très longtemps. Voilà, et d'apprenant faiseur quoi. Le truc c'est on apprend et on fait en même temps. Voilà.

Margot Auzier: Moi ma place, pareil, y a une histoire de... d'enfance. Moi j'ai grandi ici, c'est ma base. J'ai appris à marcher par ici, comme beaucoup de gens ici. Et ma place elle est... C'est très fusionnelle, c'est dans les entrailles quoi. Mais ma place, mon existence à Uzeste elle est absolument pas acquise, même si ce terme ne me plait pas du tout... Je pense que mon existence c'est à moi de grandir encore à Uzeste et, parce que j'en ai envie, et besoin. Et j'apprends, pareil. Mais je pense que parler d'existence c'est pas défini quoi. Sinon je vais vous parler mon complexe de tripes, quoi.

AL: «de tripes»? C'est quoi ça?

MA: Pas d'«OEdipe» mais «des tripes». Ouais, c'est très fusionnelle cette aventure pour moi. Ça vient de loin, c'est très profond. Mais je pense que mon existence elle est, qu'il y a rien qui est écrit, et que je grandi, et on va voir comment j'existe au milieu de tout ça quoi.

AL: Et pour le coup c'est quoi ton «trip de tripes»?

MA: Je transforme le complexe d'OEdipe en complexe de tripes, des entrailles. Voila, parce que je parle des entrailles en parlant d'ici parce que c'est vraiment très, y a beaucoup de fusion et c'est très fort. Donc mon existence pour l'instant, je grandi. Voila.

AL: Et vous deux (Louis, Margot), quand je parle de vous comme «héritiers» ça vous parle ou pas du tout.

LL: «Héritiers» je trouve ça bizarre comme mot.

MA: Moi, je ... si je comprends et je suis d'accord. Totalement.

LL: Mais ça à un sens royal que j'aime pas.

MA: Oui, voilà.

AL: Oui, mais y'a des phrase sur le mur de l'Estam, ou même là, tu vois : « On a que ce qu'on hérite », ce genre de phrase. La notion d'héritage elle est, je pense que je l'ai rarement entendu autant qu'ici.

LL: Bin, parce qu'en plus ça vient pas que de là, c'était même avant. Enfin, tu vois je sais que mon père, avec sa mère et son père c'était déjà très important pour lui avant même qu'il y ait des enfants.

DC: Mais, moi je sais pas si... Je me permets juste. Est-ce que l'héritage, ce que défend Bernard, l'héritage il est pas juste de sang, l'héritage il est culturel... à ce sens-là, on est autant, Jaime et moi qui ne sommes pas à proprement dit des fils-de, mais on est aussi dans l'héritage. Parce qu'on apprend. Parce que ça fait plus de 15 ans qu'on est ici aussi. J'ai l'impression que

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l'héritage il est beaucoup plus large, il n'est pas que filial. Moi je le ressens aussi comme un

héritage.

MA: Ouais, je suis d'accord totalement, mais je pense que cette notion que tu as Anna, elle est

vraie. Je pense que c'est pas évident de s'appeler Auzier tous les jours à Uzeste, ou Lubat.

Bon je dis ça au premier degrés, absolument mais artistiquement, intellectuellement,

psychologiquement je pense que c'est pas rien quoi. Et que, à ce moment-là on peut parler

d'héritage ouais. Mais je suis totalement d'accord avec Diane.

LL: L'héritage euh.... sanguin, c'est pas tellement entre nous, c'est plutôt par rapport aux gens

de l'extérieur que ça....

MA: Oui c'est ça que je dis.

LL: Après, tu vois avec mon père on a décidé de le jouer à fond, qu'on joue tous les deux.

[Référence à Complexe d'oedipe, spectacle en duo.]

MA: Mais moi je me rends compte que j'ai pas le choix, que c'est comme ça.

DC, LL: Point barre/ Oui oui bien sûr.

LL, DC, MA:[...]

LL: Non mais y a un truc particulier si tu veux. Si tu veux à Uzeste dans le jus, effectivement

ça se voit et ça se voit pas... ça dépend sur quoi. Mais après Diane aussi, je sais pas si il faut

le dire, mais Bernard c'est aussi un beau-père pour toi.

DC: Ah bin oui.

JC: Pour moi y a relation filiale aussi.

LL: Puis y a aussi une relation euh...

JC: Et puis l'éducation parce que «relation» c'est «transmission» en fait. «Héritage» c'est

transmission en fait.

MA: Mais autant tous les deux (Jaime et Diane). Enfin j'ai envie de dire...

DC: Oui mis par exemple, dans l'enfance, quand on avait 10ans...moi je, face à Margot et

Juliette (Minvielle, fille d'André Minvielle), j'étais pas, je me sentais pas légitime. Parce que

oui. Et face à Sarah aussi. J'étais là parce que j'étais pièce rapportée. Parce que ma mère était

avec Bernard, mais j'étais pas, j'étais pas légitime.

MA: Tu veux dire que ça a duré beaucoup d'année cette...

DC: Ah oui: Oui oui .

JC: (Voix entre réel intérêt et mime de psychothérapeute) Et c'est encore le cas maintenant?

DC: Bin non.

LL: Oh le relou!

LL, JC, (DC), MA: (Rires)

AL: Mais c'est intéressant ce qu'elle dit parce que la question de la légitimité elle est

extrêmement présente, dans tous les travaux d'accès à des métiers clefs : comment est-ce que

tu te sens légitime? A monter sur scène, à diriger... [...]

MA: En même temps si tu arrives et que tu te penses légitime parce que tu t'appelles Auzier,

t'as absolument pas compris ce qui ce passe.

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DC: Non mais c'est des ressentis qui sont, enfin, à aucun moment dans mon enfance on m'a dit:

« T'es pas légitime ».

MA: Oui, oui, nan mais je comprends bien hein.

DC: C'est juste du ressenti personnel. Même Margot et Juliette, à aucun moment de notre

enfance elles... la question s'est posée . Donc c'était vraiment mon propre regard de personne

extérieure puisque j'étais pas complètement dedans. Enfin j'étais pas née, comme vous,

dedans et, où la question se pose pas. Vous êtes là, vos parents sont là, font ça. Moi j'étais,

mine de rien, une pièce rapportée.

AL: (à Jaime) Et toi pareil t'as aucun rapport euh... et tu te sens légitime?

MA: Enfin Jaime t'es là quand même... on a des...Il a appris à marcher...

DC: Son père était déjà présent avant sa naissance.

JC: Ah non, non. Enfin je pense pas. Moi les premières années j'avais quoi, 5-6ans.

MA: Oh si. Attends, dans le 7ème swing, (à Louis) c'était en quelle année le 7ème swing?

LL: Je sais pas, enfin ça fait très longtemps.

JC: Ouais, ça fait très longtemps; On peut dire oui, c'est comme si j'y étais né.

AL: (à Diane) Toi t'es arrivée...?

DC: Moi j'suis arrivée, euh... Bernard et ma mère se sont mis en... quelle année? J'avais 5 ans,

5 ou 6 ans. [...]

JC: Ouais on avait le même âge, à peu près.

LL; Oui mais Jaime il habitait pas ici.

DC: Jaime il habitait pas ici.

JC: Je venais que les étés, ou les Uzestivaux.

AL: Bin oui, alors justement, comment est-ce que toi tu te sens plus légitime, enfin peut-être,

je sais pas c'est là la question, à y aller? Comment est-ce que tu en es venu à te sentir légitime,

si tu te le sens, sur scène?

JC: Alors avant d'aborder cette question, y avait deux trucs que je voulais aborder. Diane, par

rapport à ce que tu sentais, moi c'est une question que je me pose souvent hein, parce que je

fais confiance à mes sensations aussi. Surtout à mes sensations d'enfants, parce que t'as

beaucoup d'empathie, tu sens les choses. Peut-être que même si consciemment, tu vois, vous

vous disiez pas ça, y avait pas des rapports de forces ou de hiérarchie des fils-de ou des

pièces rapportées? Est-ce que inconsciemment y avait pas aussi ces relations forces? [...]

DC: Moi je pense que c'était que du ressenti.

JC: Ouais mais un ressenti...

DC: Mais profond.

JC: Ouais d'accord, mais il tire ces racines quelque part. Il rebondit sur du réel, même s'il est

non-dit, s'il est intériorisé... je sais pas.

DC: Oui sans doute.

JC: Oui et je voulais aussi nuancer un peu la notion d'héritage, parce que même si...en fait

qu'est-ce que c'est l'héritage ici, en fait pour moi c'est l'aventure uzestoise tu vois. Cette

aventure autour de l'Hestejada, de la Cie Lubat. Et tu peux en hériter très facilement au désir.

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Et j'en vois plein qui viennent, qui partent, etc, depuis 40ans. La Cie Lubat a toujours été, enfin avec Bernard, quelque chose de très généreux, et très transmissif, transmissive-expérience. C'est pas pour rien qu'il parle de ça tu vois. Mais nous on a eu un coup de plus, et ce coup de plus il est important, tu vois parce que Bernard Lubat il a eu un fils, comme lui il a été fils de Alban, quoi tu vois, un fils unique, et on a eu, moi je pense, la chance de faire partie de cette aventure artistique plus facilement et plus simplement parce qu'on était dans les âges, tu vois, assez près de celui de Louis. Donc moi je sais que ce tremplin-là c'est parce que j'ai une amitié avec Louis, qu'on était assez proche d'âge. Et c'est ce qui fait que, alors qu'il y a eu des générations de musiciens hein, d'artistes avant, tu peux voir Corneloup, tu peux voir les Lassus's, tu peux voir, tu vois, même Fabrice qui est resté mais il s'est accroché, bin nous ça a été plus simple d'avoir le pied à l'étrier. On nous a vraiment poussés. Et moi je pense que ce truc-là de... y a pas eu de régénération spontanée, mais la naissance de Louis a aidé à ce qu'il y est toute une cohue-bohu autour de cet âge-là.

LL: C'est à dire qu'il...

DC: Et puis aussi une phase dans la vie Bernard qui est... . Il a fait des choses, voilà, et il arrive un moment où il veut transmettre. Et par le biais de son fils, c'est aussi..

JC: Moi je pense qu'il a toujours transmis. C'est pour ça que je nuance mais ça mets un petit plus.

DC: Oui, oui, il a toujours transmis mais souvent de manière aussi inconsciente. Sa volonté, son travail vraiment sur la transmission ça a quoi, 8 ans?

LL: Non mais c'est à dire qu'il a commencé à le dire avec nous.

DC: Voilà, c'est ça. A le formuler, à en faire une ligne directrice, ça fait 8 ans.

LL: Oui, une dizaine d'années.

JC: Voilà, j'ai fait les 2 points que je voulais faire, je reviens à ta question. [...]

AL: Pour le coup je te la reposerai plus tard. Tant qu'on reste sur la transmission, (à Margot) pour le coup, Auzier comment il t'a transmis, toi? Enfin, Patrick (son père).

MA: Bin moi j'ai vraiment grandi en partant faire les chantiers l'été comme si je partais vacances quoi.

Autres: (Petits rires)

MA: Donc j'ai commencé toute petite à faire ça. Et je comprenais pas. Enfin si je comprenais très bien, mais j'ai commencé vraiment toute petite à mon échelle. On me faisait faire du travail très minutieux, 'fin... Mais à 6ans je commençais avec un cutter à découper du scotch. Donc ça été vraiment, au départ, je partais en vacances, on faisait la route la nuit, il y avait beaucoup de feux d'artifices, c'était vraiment... J'adorais ça. Le travail, y avait une équipe, c'était super. Et puis en grandissant j'ai vraiment aimé ça quoi. Donc au fur et à mesure tout le monde m'apprenait. Et puis avec Patrick [son père] on a toujours été très... très proche dans le bricolage et tout ça, donc du coup plus je grandissais plus il m'apprenait, et plus j'aimais ça. J'avais ça dans la poche, pour moi c'était normal, et puis, et puis en grandissant un peu plus je me suis faite rattraper par le reste et j'ai compris que j'avais envie de faire ça

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en vrai, dans la vie, d'essayer de, de raconter des choses avec des pétards, aussi. Mais c'était pas du tout prévu. Pas...

DC: ...prémédité.

MA: Ça m'est un peu tombé dessus...

LL: Mais ça moi c'est pareil.

MA: Ouais.

LL: Enfin je pense que mon père il voulait que je sois musicien mais c'était pas... moi j'avais pas prévu non plus. [...]

MA: Moi c'était vraiment quand j'étais ado j'amenais mes copines sur les chantiers à chaque fois. Diane est venue.

DC: (Rires)

MA: On avait une chambre d'hôtel, c'était la teuf. Pour moi c'était....

AL: Mais ta soeur aussi, pour le coup ou pas?

MA: Et ma petite soeur pareil ouais.

AL: D'accord, qui elle, par contre, a tergiversé sur autre chose.

MA: Bin, qui est en train de grandir je pense. Mais qui vient avec nous dès qu'elle peut, qu'adore ça. Ouais.

JC: C'est important je pense, parce que tu vois, dans les deux cas, tu vois le terme que tu employais toute à l'heure... les «héritiers»...

MA: Et c'est pour ça j'envie de dire, pardon je te coupe, cet héritage qu'est-ce qu'on en fait quoi? C'est pour ça que j'ai du mal à parler d'existence, de mon existence à Uzeste, parce que mon existence, de par l'héritage, si c'est un peu ça la question, j'ai juste à dire qu'est-ce que j'en fais et qu'est-ce que je suis en train d'en faire. C'est pour ça que je parles, que c'est pas défini quoi.

JC: Mmm. C'était pas un héritage obligé quoi. Tu vois, même de la part des héritiers, c'était pas comme le fils et le père de notaire, il reprend l'étude, il a pas le choix quoi tu vois. Y a pas d'autres strates à accéder dans la société. Non, là je pense que ça a été un bain-marie, avec Alban et Marie, un bain-marie, on l'a connu. Donc on a grandi là-dedans, on avait le choix, tu vois, libre à nous de nous inventer comme on peut. Mais je crois que, comme on s'est construit par rapport à ici, on a senti le souffle, je sais pas, philosophique, d'une espèce d'ambition de vie qui peut se construire à partir d'ici quoi. Donc le lieu il est vraiment important, et petit à petit on s'est dit: «Putain, mais c'est là quoi, c'est là que je me construis, c'est là que je me définis» pour revenir à ta première question. De plus en plus, moi je sens l'importance de ce lieu Uzeste.

MA: Ouais.

[Pause pour se servir café/thé]

Tous: [...]

DC: Pour moi j'hérite complètement de, d'Uzeste, aussi de Bernard de... Pour moi c'est pas un héritage de nom, ni de... ni de lieux ou quoi c'est un héritage d'esprit, une prise de position dans la société, une manière de voir le monde, et pour moi, c'est mon héritage. Ca suffit pas

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juste d'hériter de la chose c'est... et c'est là où on peut parler de l'évolution . Qu'est-ce qu'on en fait, c'est quoi la suite? Parce que c'est pas reproduire ce qu'on a appris, c'est se nourrir de ce qu'on a eu, de ce qu'on a hérité pour proposer d'évoluer et de faire autre chose. [...] Certes, Bernard il est arrivé en 76 ou 78, mais la révolution, la prise de position dans la société elle a commencé en 37, avec Alban qui a décidé de dire: «Bin je ne suis plus métayer, et je deviens propriétaire d'un lieu, et j'ai toujours voulu être musicien et je vais faire de la musique, ma femme me suit. Donc déjà la réflexion sur les conditions sociales et comment proposer une nouvelle manière de vivre elle a commencé bien avant Bernard, elle a commencé avec la formation de ce lieu, et c'était en 37. Donc voilà, l'héritage il est long et l'histoire elle est dans le temps.

JC: Voilà peut-être, alors je vais faire un zoom sur un moment qu'elle a dit, voilà peut-être que comme ça tu auras un axe où trancher c'est; Alban qui a décidé de sortir de la métairie, tu vois, l'homme d'action, tu vois, et après, sa femme qui le suit. T'as vu, Marie, elle est, même si tu veux pas le faire hein, parce qu'on sait qu'elle a une importance capitale, mais voilà, c'est la femme qui suit. Mais c'était encore d'autres raisons sociales. Tu vois c'était la France moitié du XXème... première moitié c'était quand même... Mais c'est un héritage, y a cet héritage là aussi. Et je pense que après on peut le retrouver en décortiquant. Je pense que tu vas nous amener vers ces questions-là aussi mais tu vois, je pense que c'est pas rien. «C'est la femme qui suis».

AL: Et là tu en vois aujourd'hui des...

JC: Nous fais pas un, comme ça, saut temporel dans le mémoire.

AL: Mais si, c'est pas l'ordre du mémoire, peut-importe, tu amènes sur cette discussion, donc c'est bien que là ça te trotte. Et tu aurais une analogie actuelle à faire avec ça?

JC: Non. Je pense pas. Pas ce rôle-là, tu vois. Ils sont bien plus centraux maintenant, ils sont partagés, et surtout cette nouvelle génération, tu vois, elle a que le désir à mon avis que ça se passe ensemble.

AL: Tu parles de désir, toute à l'heure tu as parlé de désir de transmission, etc. Moi souvent ici quand je viens j'entends parlais de désirs et de peur, un peu comme une espèce de grande dichotomie permanente. Pour vous, où serait la peur, et où le désir?

LL: C'est pas opposé. Bernard quand il parle de la peur, il parle de la peur de la peur. En fait la peur c'est sain. Enfin moi pour parler de scène, c'est ce qu'il nous dit tout le temps, enfin ce qu'il nous dit c'est qu'il faut avoir peur de monter sur scène, mais il faut pas avoir peur d'avoir peur de monter sur scène. Donc la peur et le désir pour moi c'est très lié, parce que quand tu as envie de de faire quelque chose d'un peu ambitieux, ça c'est pas que sur scène, t'as un peu peur.

DC: Moi je commence à apprendre, et dans mes expériences ces dernières années j'ai appris que toutes les meilleures expériences que j'ai pu vivre, à chaque fois ça commencé par de la peur. Pour moi tout commence par de la peur. Si y a de la peur c'est qu'il faut y aller, c'est bon signe c'est que ça va aller, ça va être une expérience qui va m'apprendre à me surpasser, à aller toujours plus loin et à apprendre.

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MA: Moi la peur et le désir, je peux en parler artistiquement, mais je peux en parler aussi humainement, personnellement. Je sais pas... le duo peur/désir... Je pense que c'est là (monte son ventre).

AL: Et toi comment est-ce que tu t'es sentie légitime à faire péter les feux? [...]Et dans les Gojats vous avez senti des trucs comme ça, où ils y en avaient qui pouvaient ne pas se sentir légitimes à venir avec vous ou...

DC: Ça c'est chacun qui peut dire. Regarde Margot elle, je lui avais jamais dit.

AL: Oui, mais là ils sont, ils vivent encore beaucoup ensemble.

JC: C'est une aventure de groupe aussi. [...]

LL: Après tu sais la légitimité dans los Gojats c'est la même chose dans los Gojats par exemple que dans Uzeste. Parce que ceux qui se sentent le plus légitimes dans los Gojats c'est ceux qui se sentent le plus légitimes à Uzeste. C'est pas un hasard si tu veux, c'est pas qu'à Uzeste qu'il y a ça, c'est qu'à un moment ceux qui se sentent légitimes c'est ceux qui réfléchissent à la question et qui ont envie de s'y investir. Donc dans les Gojats y en a certains qui, même dans les discussions entre Gojats, prennent pas beaucoup la parole. Pour diverses raisons, y en a par exemple qui, comme ils ne réfléchissent pas à la question, quand la discussion arrive, c'est eux-mêmes qui se mutent. Des fois ils ont tort d'ailleurs.

JC: Mm-Mh

LL: Tu vois c'est pas qu'une légitimité qu'on leur donne, c'est une légitimité qui se donne à eux-mêmes. Tu vois, même par l'implication, si tu veux. Par exemple Jaime, qui maintenant est régisseur de la Cie Lubat (petits rires), ingénieur lumière (rires)

JC: Oh, j'y crois pas trop encore. [...]

LL:[...] et Jaime il vient avec nous. Pour ses capacités de mots, de parole et de scène aussi. Moi ça fait longtemps que je voulais qu'il vienne, je l'ai dit à Fabrice, je l'ai dit à Bernard. Mais c'est pas ça qui les a convaincu. C'est de le voir ici tout le temps, travailler. Donc la légitimité elle est aussi dans l'implication et le désir que t'y mets. Donc si tu veux dans les Gojats les problèmes de légitimité face à Uzeste c'est les mêmes problèmes de légitimité face à eux même, si tu veux, pour moi. [...]

AL: Là ce que je trouve intéressant c'est qu'il y a deux légitimités qui se confrontent. Moi je parle de la légitimité que tu ressens, qui fait que oui ou non tu peux agir, monter sur scène, monter un festival etc. Ou celle qui t'est reconnue par d'autres. Mais je sais pas, dans les Gojats, certains...

LL: Moi je que je remarque ici c'est que c'est souvent la même. C'est que souvent y a une ambiance si tu veux, si tu sens que t'es pas légitime: tu la fermes. Enfin j'ai l'impression quoi. Ce que je veux dire qu'en général les gens légitimes sur scène qui se sentent légitimes sont légitimes. Tu vois y a souvent une espèce de truc comme ça où y a pas... C'est pas que y a une objectivité de la légitimité mais si tu veux y a... Enfin, normalement ici si t'es intelligent et sensible, tu sens le truc, par exemple Paolo qui parle pas beaucoup, en réunion parfois il vient, il parle jamais. Quand y a mon père et tout ça. Parce qu'il est pas bête. Qu'il sent que si il parle d'un coup beaucoup, ça va être bizarre quoi parce qu'il est pas souvent ici, il est

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pas très impliqué encore dans tout ce qui se passe, un peu mais pas complètement. Et tu vois, personne a besoin de lui dire: «Écoutes, t'es pas légitime, t'as pas droit à la parole.» C'est lui qui se l'impose à lui-même.

DC: Mais moi je trouve que cette question de légitimité, moi, elle était, c'était du ressenti d'enfant. Mais à la fois je la trouve débile. Je m'en veux de m'être pas sentie légitime parce que ça veut dire quoi? Légitime vis à vis de qui? Légitime vis à vis de quoi? Enfin je veux dire... C'est pour ça que c'est intéressant ce que tu dis sur le fait que si tu t'impliques, quoi que tu fasses, si tu dis réellement ce que je fais, forcément tu seras légitime. Et la place à Uzeste, on nous donne pas notre place, la place on la prend. On la prend et on travaille et on agit, et c'est à partir de là. On se dit pas: «Bon bin moi maintenant j'ai envie d'être à Uzeste » donc voilà c'est dit, c'est fait. Bin non, c'est juste pendant les premiers temps tu vas passer le balai, tu vas aider à droite à gauche et puis petit à petit les gens ils vont voir que t'es toujours là et que tu proposes ton aide et bien ils vont te demander de faire ça, ça, ça et tu fais de plus en plus et à la fin tu deviens un... un rouage indispensable au fonctionnement de voilà. C'est le fait qui est important. C'est pas le dire ou le vouloir. Si, y a ça aussi. [...]

AL: Là, ce qui est intéressant c'est que tu définies toute une hiérarchie de tâches jusqu'à un sommet, et pourtant, enfin, moi j'ai l'impression de voir beaucoup des «copains» qui sont amenés sur le plateau sans justement passer par tout ce processus.

LL: Ils ont aucun pouvoir de décision sur rien. Ils sont sur le plateau.

AL: Enfin le plateau c'est quand même une responsabilité.

LL: Bin ici c'est une responsabilité différente d'ailleurs. Parce qu'on n'est pas dans un truc de programmation. [...] [En parlant d'une artiste invitée à l'Hestejada mais pas impliquée dans le fonctionnement] Demain on aura une discussion sur l'Hestejada avec Fabrice et Bernard; elle vient elle dit un truc personne ne l'écoute quoi. Comme les copains du parti Collectif

JC: En même temps ça c'est du protectionnisme un peu bête. Je sais qu'il nous sert, mais si y a des gens à une table, autant que, si ils ont des idées, qu'ils les exposent et que ça puissent être pris.

DC: Oui! Oui mais bien sûr!

LL: Oui nan mais ça je suis d'accord. Nan mais tu l'écoutes, mais ce que je veux dire c'est que si t'as pas, moi si j'ai rien d'intelligent à dire, ou d'extraordinaire à dire, je peux donner mon opinion sur, tu vois. Après si y a quelqu'un qui a une très bonne idée, qui la donne, on l'écoute. [...]

DC: On demande pas à tout le monde, que l'on fait jouer, d'être impliqué. [...]

MA: Moi je le suis pas du tout par exemple. Dans tous les quatre là. Absolument pas. J'suis là à côté. Je fais péter les pétards etc. Mais...

LL: Oui mais si tu veux t'as un rôle... un rôle...

DC: Bin un rôle de partenaire.

LL: Un peu plus si tu veux, parce que...

MA: Mmm... Non je ne me sens pas partenaire. Absolument pas. Sans être impliquée dans le coeur de la logistique et tout ça, je me sens ...

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DC: Oui mais par exemple tu sais très bien que...

LL: Mais regarde, y a un truc d'identité avec toi aussi. Y a un vrai rôle d'identité artificière,

parce que, tu vois, on va pas faire un feu avec d'autres artificiers

DC: avec d'autres artificiers

MA: Oui nan mais moi je me sens impliquée totalement, mais pas par la logistique, organisation

interne etc. [...]

AL: Oui je pensais à des personnes du parti Collectif qu'on a amené sur scène directement, sans

qu'ils aient été spectateurs ou quoi. Ça les positionnements en tant que artistes directement.

Ils ne sont pas passés par tout le processus des Gojats ou...

DC: Oui mais on peut pas tous passer par là.

LL: Nan mais y a deux choses, tout le monde à pas conscience de ça parce que les copains qu'on

amène, moi je serais pareil si on m'amenais j'aurais pas conscience de tout ça. Et ensuite ils

ont la place d'artistes mais après ils se prennent une bonne pétée et ça les calme. [...]

AL: J'ai vraiment l'impression qu'il y a deux générations, entre guillemets, des filles, vous, qui

avaient été au théâtre...

JC: J'y été aussi moi.

MA: 'fin, moi avant ça, avant cette génération, y a la génération Juliette (Minvielle), Louis et

moi, tous petits.

JC: Même Lucie (Minvielle)

MA: [...] Je parle de 1ans, 2ans , 3 ans. Moi je me rappelle, j'ai beaucoup de mémoire par rapport

à ça. [...]

[Jaime, Margot et Diane se remémorent comment le théâtre est venu à Uzeste par leur création

spontanée, en jeu d'enfants, d'une pièce de théâtre inspirée de la découverte d'une souris

morte. S'en suivront 3 pièces autodidactes de ces enfants]

AL: En fait je me demande comme cette séparation entre les filles et les garçons s'est faite, sur

scène notamment. Comment est-ce qu'on se retrouve avec un groupe de sept garçons et les

filles. Souvent j'ai eu cette histoire qui m'est venue, cette histoire de théâtre. Les filles

faisaient du théâtre, elles ont arrêté au lycée.

DC: Moi je suis d'accord sur cette question des générations.

LL: Y avait des garçons au théâtre.

DC: Oui, mais ils étaient minoritaires. On était une sacrée troupe de filles. Y avait les Daudet,

y avait Sarah, y avait toi [MA], y avait les Deletrez, y avait Lison Lavaud ...

JC: On était trois garçons.

MA: Antonin, Yassine et Jaime quoi.

DC: Y avait donc une bonne génération de filles. On était pas forcément du même age, mais on

était dans cette génération. Et Nathalie nous a pris sous son aile, et c'est avec elle qu'on a fait

du théâtre.

JC: Donc tu vois, Nathilie Boiteau, maintenant Dalila, tu vois un peu comédienne et liseuse de

texte dans la Cie Lubat. Et qui en parallèle, tu vois faisais un chantier éducatif.

DC et MA: Non!

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MA: Elle faisait ses études d'infirmière avec ma mère, avec Myriam. Elle a fait du théâtre avant

de lire des textes pour la Cie.

JC: Elle a fait du théâtre avec nous, avant de ...

MA: Parce qu'en fait c'était notre nounou à Juliette et moi et quand elle nous a vu faire tout ça

elle a dit: «Bin moi je vais m'occuper de vous les enfants».

DC: Elle s'est occupé de nous et après...

MA: C'est comme ça qu'elle s'est mise à faire du théâtre Dalila. Elle a fait du théâtre quelques

années avec nous et après on a monté Uz & Coutumes, et Dalila est entrée dans la Cie

quelques années après quoi. [...]

LL: Ce qu'il faudrait demander à Diane et Margot c'est pourquoi vous avez pas continué à faire

du théâtre par exemple.

MA: Bin on a arrêté de faire du théâtre parce qu'on était plusieurs générations dans cette troupe

et que les plus grands sont partis dans les lycées à la ville, parce que y a cette ruralité qui est

importante. Et c'est vrai, tout le monde est parti, justement, faire des études à la ville, lycées

option théâtre...

AL: Mais les Gojats aussi avec les lycées et conservatoires.

JC: Y a un truc spécial avec les Gojats, c'est qu'au début c'était trois personnes à qui on a

transmis la musique. Enfin c'est même pas qu'on leur a transmis la musique, c'est qu'on les

a posé sur scène, et après fallait qu'ils se débrouillent. Alors pourquoi on n'a pas posé les

filles sur scène puisque pendant les vacances elles étaient là les filles aussi...

DC: Mais...

JC: Donc ces trois personnes, c'était Thomas Boudé, dont on n'a pas parlé encore mas qui

est très important parce que lui il est né à Uzeste. Y a Louis Lubat et y a moi. Au départ

on avait un trio qui s'appelait BLC,

LL et JC: Boudé, Lubat, Chao

JC: Donc tu vois, c'est le trinôme de base qui a après formé les Gojats par agrégats.

DC: Par la suite. [...]

DC: Et après y a quelque chose d'essentiel à dire, c'est Bernard. C'est que, Bernard, c'est

à ce moment-là qu'il a mis tout en place, sa volonté et sa ligne directrice de la

transmission. Y en a toujours eu, mais là il en a pris conscience et qu'il en a fait un

travail primordial.

AL: Et vous vous aviez déjà arrêté le théâtre à ce moment-là?

DC: Nous euh... on avait déjà arrêté le théâtre. Et que lui est pas... voilà...

MA: Nous on avait déjà arrêté le théâtre depuis quelques années.

DC: Il est musicien

LL: Y avait deux choses, y avait le médium.

DC: Mmm. C'est le médium.

LL: Et puis y avait aussi moi quoi.

DC: Oh bin beaucoup.

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MA: Ouais parce que y avait cette histoire de, que t'étais tout petit et qu'il te faisait faire de la

batterie, on s'en rappelle.

LL: Mais ça, ça peut être aussi avec Thomas par exemple.

MA: Ouais. [...]

AL: Mais y avait déjà la notion de transdisciplinarité, notamment par Laure ou d'autres...

LL: Mmm, oui.

DC: Un peu moins.

LL et DC: Très différemment.

LL: Le terme d'amusicien par exemple, était pas encore arrivé. Mon père avait jamais fait un

solo. Donc c'était moins...

DC: C'était aussi un tournant dans la Cie Lubat.

LL: [...] C'est pour ça que mon père a fait un solo à un moment parce que y avait presque plus

de gens dans la Cie.

MA: J'allais parler de ça aussi.

LL: Donc il a fait un solo. Et après si tu veux, en nous il a aussi vu l'occasion, après Jules qui

est arrivé quand on était au collège ici, il a aussi vu une occasion de, au lieu de recruter des

gens, beh de les former directement. De faire un centre de formation de...

JC: Ce qu'il appelle le Conversatoire.

AL: Et pour le coup, hypothétiquement, si à ce moment-là, à cette époque-là, la

transdisciplinarité, le croisement, notamment avec du théâtre était déjà présent, vous pensez

que...

LL: Le croisement il est... C'est à dire que pour bosser bien avec mon père, faut faire de la

musique.

DC et MA: Ouais. Dalila elle est pas restée longtemps.

DC: Et nous on faisait de la musique. Mais Bernard s'est jamais occupé de nous.

MA: C'est vrai.

DC: [...] et après y a eu Emeline et Raphaëlle, elles, elles ont fait du piano. Elles en n'ont jamais

fait avec Bernard, elles ont fait avec Cadillac.

MA: [...]

AL: Donc même avec cet apprentissage musical, vous n'avez pas été à Uzeste.

MA: Nan, parce que c'est vrai que Bernard a commencé tout ça quand Louis a commencé à

grandir. Et moi, c'est vrai qu'il y a cette époque où la Cie s'est... y a eu un gros clash, y a

beaucoup de gens qui ont partis. [...] Et on a arrêté le théâtre pas longtemps après. [...]

JC: Cette aventure de laquelle t'as été retirée. Alors que t'habitais à même pas... 9 km. [...]

AL: Ça vous a pas donné envie, plus tard de, d'intégrer le groupe Gojats qui était en train de se

former?

LL: Ouais, j'pense que c'est une question d'âge aussi.

MA: Ouais, j'pense que y a cette histoire de génération et puis aussi...

DC: Bin non je pense pas parce qu'on a le même âge.

JC: Jules il est plus âgé.

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LL: Nan nan mais d'âge que quand t'as 13ans, tu joues pas avec des filles, enfin...

MA: Ouais, j'pense qu'on est toutes parties en ville faire nos études et qu'on s'est, qu'on a un peu décroché.

DC: Moi j'ai rien à faire, enfin pour moi j'ai rien à faire sur scène. Et je n'ai toujours rien à faire sur scène.

LL: Si quand tu fais les présentations [de son travail en architecture].

DC: Ouais, mais...non. [...]

AL: Mais l'autre jour tu m'avais proposé... [Proposition de création avec jeu de rétroprojecteur et danse en duo AL et DC]

DC: Oui, mais maintenant, aujourd'hui avec... pourquoi pas essayer. Mais c'était pas une fin en soi. Moi j'ai fait de la musique parce que j'étais obligée. Bernard il me faisait chier, j'étais obligée de faire des rythmes sur la table. [...]

AL: Et vous les gars? Je sais que la question des filles elle s'est posée plus tard pour vous mais... LL: [...] Paolo c'était un camarade de Thomas. Et quand t'es en 5ème, t'invites pas une fille, toute seule, chez toi, dans ta chambre...

DC: Oui c'est vrai.

MA: Et ouais. C'est vrai y a ça.

LL: ... pour jouer avec tes copains! Alors que t'invite ton copain Paolo. Tu vois, là y a pas de problème. Moi je pense que c'est important ça, c'est pas une connerie.

MA: Ouais, moi j'suis d'accord.

LL: C'est à dire que la formation, le moment où ça s'est agrégé ensemble, [...] à un âge où tu pars pas même jouer, tu vas pas dormir dans une même chambre qu'une fille. Enfin, tu vois, pour moi c'est des trucs qui... qui sont aussi important de cet âge-là quoi.

MA: Et nous, toutes les filles on était parties quoi.

LL: Voilà. Et après on en a rencontré d'autres, au lycée ou à Bordeaux, plus tard.

AL: Et ça, ça vous a pas donné envie de...

LL: Et après y a aussi un problème de... de filles musiciennes. [...] Nous, on été en classe musique à Camille Julian, avec Thomas et Paolo. Et si tu veux, dans la classe c'était classique, et y a des filles qui jouaient classique mais ceux qui voulait jouer jazz, par exemple Matis, y avait que des mecs quoi. Donc après on avait pas encore l'instinct de faire l'effort aussi. Tu vois, là avec Mona maintenant, bin j'ai envie de faire l'effort. Pas que parce que c'est une fille, mais parce qu'elle est là, parce qu'elle donne quoi. Et si tu veux je sens que, comme c'est une fille, elle est un peu en retrait, donc j'essaie de faire le petit effort que j'aurais pas fait y a 5 ans. Parce que j'avais pas ces questions-là en tête et parce que même, ça me faisait chier à 17ans de partir en voiture avec des meufs quoi. Nan mais c'est vrai. C'est le truc de l'âge, de...

JC: C'est l'adolescence quoi. Tu vois, où ça te titille encore et donc c'était moins possible.

MA: Bin ouais, ouais.

LL: Tu fais pas un groupe avec des filles. Et puis même, les exemples que t'as si tu veux, c'est un truc à la con, mais nous tous les exemples qu'on avait, y avait pas de filles dans les groupes

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quoi. Moi je sais qu'on y pensait pas du tout. Enfin moi j'y pensais pas du tout. Jusqu'à mes

18ans je me posais pas la question: pourquoi y a pas de filles?

DC: Après y a un truc auquel je pense et qui est assez important c'est que c'est avant tout une

aventure de... de bande de potes quoi.

LL: Bin oui.

DC: C'est ça aussi. Donc avec leur âge, t'es entre mecs...

MA: Ouais c'est ça

AL: Oui enfin toi (Diane), t'as connu le fait d'être une nana dans une bande de potes, moi aussi.

On sait que c'est possible.

DC: Ouais, enfin tu vois, même nous le théâtre... Le théâtre c'était une sacrée bande de potes et

on faisait n'importe quoi.

MA: Oh, si tu regardes la génération... Ouais, je sais pas.

DC: Et on était quand même... y avait trois mecs quoi, c'était pas non plus énorme.

MA: Mais parce que y en avait pas à Uzeste quoi. C'est vrai.

LL: Et après y avait juste Thomas, moi et Jaime.

DC: Et ils venaient, et ils se faisaient bizuter parce que c'était les petits.

MA: Pas moi.

[Souvenirs d'enfants]

LL: [Retour sur l'exemple de Thomas qui invitait Paolo à dormir chez lui] T'invites pas une fille

comme ça toute seule. Tu fais jamais ça de ta vie à 13 ans quoi.

MA: A 13 ans, t'invites pas une copine à dormir.

AL: Finalement il est là le problème, dans cette éducation...?

DC et MA: Bin oui.

LL: Ouais après, bon, ça on peut discuter, mais moi à 13 ans je..j... Je sais pas si c'est malsain

que ça.

AL: Pourquoi? Sain ou malsain mais quel est le problème?

LL: Moi je pense qu'il y a un problème à ce moment-là de l'adolescence si tu veux où...

MA: Non moi je pense qu'il y a pas de problème mais c'est un moment où t'es en train de grandir,

t'es en pleine ébullition, tu comprends des trucs sur ton corps, ce que tu provoquer, procurer

etc. Et je pense que de part tout ça et tout ce qui peut se dégager dans les hormones etc., ils

passent un truc entre les garçons et les filles où: les filles et les filles, les garçons et les

garçons, tu vois y a un truc qui se passe. C'est là est c'est hyper normal quoi. [...]

JC: Mais on revient à l'héritage. Et qu'est-ce que nous on a vu comme artistes sur scène, on a

surtout vu des artistes masculins...

DC et MA: Ouais.

JC: ... prendre le lead, tu vois, prendre le micro, même être sur scène. Moi j'ai rarement vu de

filles, j'ai rarement vu de filles dans les Hestejadas...

LL: Oh si...

JC:... envoyer un gros chorus de saxophone ou être batteuse quoi. Tu vois.

LL: Ah oui en musicienne.

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JC: Après, on va dire que les femmes, les femmes qui ont été admises sur scène ici, ont toutes été des compagnes, des compagnes d'artistes. Donc, moi je vais prendre l'exemple de Vanina Michel, première compagne de Bernard Lubat, (Rires de Louis) tu vois, qui lui a donné l'idée de créer le festival d'Uzeste. (Rires de Louis) Il a eu de la chance Louis, parce qu'il est le fils de Laure Duthilleul qui a été aussi sur scène, qui a fait partie de cette aventure-là. Des femmes, j'en vois peu d'autres.

MA: Dalila, qui a été à la Cie.

DC: Mais c'était la compagne de Fabrice

JC: Et même dans l'aventure de la Cie Lubat, même avant Uzeste, Mouffetard, ils étaient pas... c'était pas des adolescents. Ils avaient 25-30ans, Bernard c'était un musicien accompli. C'était peut-être encore moitié du 20ème siècle, donc des choses ont changé déjà depuis, mais y avait pas de filles dans l'aventure. Et ça on l'hérite aussi, même si on part de l'adolescence. C'est des pourcentages d'explications, et les uns cumulés aux autres, y a des faits.

LL: C'est aussi un fait que quand ils parlent des boites de jazz, par exemple, y a jamais de meufs qui jouent.

JC: Même qui rentraient dans ces cafés à l'époque.

LL: Tu vois il parle jamais de musicienne avec qui il a joué...

JC: Non.

LL: ... parce qu'il y en avait pas.

DC: Mais des maitresses, ça oui!

LL: Oui d'ailleurs, faudrait qu'il arrête de m'en parler. Tu vois il parle de chanteuses dans les Double six, si dans les Double Six y avait des musiciennes, c'était des chanteuses mais, c'était pas des chanteuses, euh... c'était pas la blague quoi. Les mecs aussi, les chanteurs, y avait un truc. Mais c'est le seul groupe dont il me parle, où il joue avec des filles. Après, ça empêche pas les maitresses.

DC: Dalida aussi.

JC: Non mais un groupe où il joue avec des filles quoi, où il met un intérêt, où il nous en parle avec intérêt.

AL: Ca, dans les pourcentages, les études ça ressort vraiment. Mais je me dis, un lieu comme ici où, où justement y a les enfants-de, garçons ou filles, est-ce que t'as pas envie que ton gamin il y aille, même si c'est une gamine...

LL: Oui sauf que son gamin il est arrivé après les filles. [...] Et puis quand je suis arrivé, que je suis venu m'installer ici, il a arrêté de fumer... du shit. Donc je pense que ça aide aussi à la lucidité, d'une certaine manière, et à éduquer des gens. Pour moi ça participe à tout ça. [...]

LL: Après y a peut-être un truc plus profond, c'est vrai que de voir que moi et Thomas, et toi (Jaime), j'ai revu les images dans le film de ma mère, on a huit ans on est sur la grosse scène de l'Hestejada à jouer de la caisse claire. Trois garçons. Non mais, tu vois.

DC et JC: Ouais, ouais.

JC: Moi c'est là que je vois un [inaudible]

LL: Je sais pas si c'est parce que c'est mes copains,

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JC: Moi je pense que c'est dans le choix aussi de ceux qui nous ont donné cette chance-là, vient un choix même s'il est inconscient qu'on va prendre les garçons, parce que les petites elles jouaient du saxophone, certaines...

LL: Jaime, moi je pense que c'est un mélange.

JC: C'est un mélange, bien sûr.

LL: Moi et Thomas on réclamait d'y aller. Elles c'est pas ça.

JC: Ouais mais parce qu'elles ont pas cet apprentissage de réclamer, tu vois de...

DC: Mais ça aurait été intéressant aussi d'avoir Raphaëlle. Parce que Raphaëlle il l'a beaucoup poussée. C'est une fille et il l'a énormément poussée, énormément. [...]

MA: Ouais, mais par exemple Lucie qui est la fille de Minvielle, qui est la plus vieille, elle a été forcée toute son enfance à faire de l'accordéon et elle aimait pas ça et elle est pas musicienne aujourd'hui quoi. Tu vois.

AL: Alors que Juliette (cadette de Lucie Minvielle), si.

MA: Alors que Juliette, si.

LL: Mais pas vraiment par ici. [...]

JC: Comme y a eu schisme avec Minvielle, on peut pas vraiment avoir l'exemple de Juliette qui aurait incorporé les Gojats. Parce que ça aurait pu être une éventualité.[...] Et en même temps, les seules fois où on a fait des trucs ensemble, j'ai senti que c'était pas évident pour elle. Pas pour elle, j'ai senti qu'elle était pas à l'aise, dans ce truc-là. Et en même temps c'est compliqué d'arriver dans ce truc-là, surtout on était adolescent encore, un peu plus jeune. [...] On n'arrive pas à faire du long terme, mais on arrive pas à se souder.

DC: Mais, Margot tu la connais plus que moi, mais tu penses que c'est parce que c'est vous ou que c'est que Juliette a mis aussi du temps à assumer et à vouloir être sûre que c'est ça [devenir musicienne]. Je l'ai juste vue avant qu'elle parte, et voilà, elle part au brésil parce qu'elle a dit: «J'assume, je veux faire ça». Je pense que ça a été aussi un peu long pour elle, de dire je fais/je fais pas, j'y vais/j'y vais pas. [...]

DC: Après t'as dit un truc toute à l'heure, ça change de sujet mais ça m'intéresse; t'as dit, sur la question qu'il y a peu de femmes et effectivement sur la scène française ou dans la musique y a peu de femmes. Et tu disais: «Oui mais justement dans un lieu comme Uzeste, pourquoi y a pas?». Et... moi c'est un argument qui m'énerve un peu. Je rencontre beaucoup de gens qui critiquent, qui aiment bien Uzeste et qui attaquent souvent sur la question de la femme. J'en ai beaucoup parlé avec Juliette (Kapla), à plein de reprises parce que elle elle est vachement là-dedans. Moi je t'avais dit que j'étais pas trop dedans mais en fait je me suis un peu posé la question de «pourquoi on voudrait absolument que Uzeste, certes c'est militant, certes y a Bernard qui a un engagement politique très fort, mais euh... on lui demande. .. on lui demande depuis des années d'intégrer les femmes, de tout ça. Et il essaie de trouver, maladroitement il te fait une journée de la femme (Rires de Louis), il te fait un concert... et tout le monde lui casse du sucre sur le dos. Quand il avait fait sa soirée de la femme, toutes les femmes l'avaient incendié. Après il fait un autre truc, on lui reproche...'Fin, je pense qu'on demande à Uzeste que y ait des femmes, que tout ça mais euh... Bernard, c'est pas son combat

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. Et on peut pas lui reprocher, c'est pas une femme. Et, et il est très féministe à sa manière. Voilà, il a rien contre les femmes et tout ça, mais il est maladroit dans tout ce qu'il fait quand on lui demande d'intégrer plus les femmes, tout ça. Et je pense que ce combat, c'est à d'autres de le mener. C'est aux femmes de le mener , et lui... Si les femmes étaient force de proposition et qu'elles arrivaient et qu'elles proposaient un truc et tout ça. Je pense que Bernard il serait pas contre. C'est, c'est...

LL: Même pour.

DC: ...c'est pas son combat. Il aimerait, mais il peut pas le mener.

AL: Moi je suis à la fois d'accord et pas d'accord là-dessus. C'est à dire que, d'ailleurs le fait que ce soit maladroit ou non, euh, déjà le fait qu'il y ait une démarche, moi je trouve ça très intéressant. C'est comme le fait de critiquer le fait qu'il y ait la journée de la femme nationalement, ça sous-entend, c'est vrai, que toutes les autres journées sont des journées de l'homme. Mais mine de rien, ça fait une journée où tous les bilans sur le plan de l'évolution des égalités hommes/femmes sont mis en avant sur les médias, ce qui ne serait pas fait. Donc tu vois, c'est ce genre de choses qui en effet sont critiquables et sont critiquées d'un point de vue symbolique, mais qui peuvent avoir des effets aussi réellement concrets. Donc ça après, moi, j'ai bien envie de mesurer ça.

LL: Ça c'est possible, mais tu vois, on l'avait fait une fois une journée de la femme à Sort. Et c'était bien, à part [Nom] y avait que de la qualité quoi.

DC: Mais Bernard il c'était fait mais...

LL: Il s'est fait défoncé!

[voix mêlées]

LL: Pour te montrer combien il est maladroit aussi, une fois dans le programme de l'Hestejada, il voulait mettre tous les noms des femmes d'abord. Non mais pour lui c'était, 'fin c'était sincère quoi. C'était pas, pas...

JC: Pas de la com, quoi.

LL: C'était pas de la com. C'était pas pour dire on a des femmes.

AL: C'était pour les mettre en avant.

LL: Voila! Tu vois. Et Martine lui a dit: «Attends Bernard, c'est pas possible.» [...]

MA: En même temps, j'ai juste un truc à dire c'est qu'il y a beaucoup de mecs sur la scène mais ayant grandi ici, y a eu beaucoup de femmes dans les bureaux aussi quoi. Uzeste c'est pas que...

AL: Voilà, mais justement. C'est aussi ce qu'on appelle la ségrégation horizontale, c'est à dire le fait que, par éducation, c'est toujours ça le problème, on se réparti, on se prédispose, on ambitionne, des métiers, des fonctions qui semblent disposées à notre âge, notre sexe, notre «race», etc. Et...

LL: Y en a beaucoup des artificières?

MA: Non.

AL: Justement. Justement, c'est hyper intéressant, c'est que tu vas, [...], c'est que symboliquement, tu vas, tu es professionnellement contre-genre.

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MA: Mais totalement.

AL: Professionnellement un technicien euh, un artificier, c'est masculin. Et tu viens mettre un sexe féminin là-dedans. Je dis pas forcément de la féminité, parce que je sais pas si tu es féminine, masculine ou quoi, et puis qu'est-ce que ça veut dire être féminin, masculin et tout. Mais, en tout cas, physiquement parlant, biologiquement parlant, t'amènes ça.

LL : Mais même artistiquement. 'Fin moi j'ai vu la différence entre plusieurs feux que j'ai fait avec Patrick et le feu de l'an dernier qui était écrit, pas que par toi mais par toi et par Guillaume, et c'était, je ne sais pas si je vais être maladroit comme mon père, mais c'était plus féminin, plus sensible en tout cas, je sais pas si le féminin c'est le sensible, mais en tout cas c'était assez différent que quand c'était que ton père qui faisait les plans de tirs. J'ai l'impression.

MA: Ah ça a rien à voir. On écrit pas du tout pareil.

LL: Voilà, donc pour moi y avait une vraie différence aussi sur le rendu artistique, c'était pas que symbolique si tu veux.

AL: Et justement, est-ce que ça amène pas à l'envie de... de, professionnellement, artistiquement, mêler avec des visions de femmes, vos travaux?

LL: Tu prends l'exemple du parti Collectif, tu vois à Bordeaux, nous on fonctionne, tu le sais très bien, sans audition. Moi je propose à tout le monde. Et il se trouve qu'il y a des femmes dans, dans... tu vois quand je vais au conservatoire, dès que je vois un musicien je lui dis: «Viens». J'dis «musiciens», alors qu'il y a des musiciennes aussi. Après y a un vrai défi dans le jeu, tu vois de... par exemple la seule fille qui est pour l'instant vraiment sur scène avec nous, qui est Mona-trompette, à la faire jouer quoi. Tu vois y a une vraie difficulté à la faire jouer quoi. Alors qui est pas liée qu'à son sexe à mon avis, qui est liée à beaucoup de... à son origine, au fait qu'elle fasse du classique, elle cumule une certaine euh... Tu vois, j'ai regardé une fois Jaime il l'a forcée à jouer devant tout le monde. Il l'a chopée, elle était-là, en scène...

JC: Vraiment hein.

LL: ... il lui a donné la trompette, il a dit: «Allé, c'est à toi ». Tu vois, elle était super mal. Et elle a fini par le faire

JC: Avec humour hein, j'avais un rôle à jouer aussi. Je suis pas aussi... J'aimerai que voilà, les gens qui vont écouter ça après, professeurs de Anna, sachent que je ne prends pas des décisions comme ça, voilà. J'suis pas autoritaire.

LL: Nan, mais tu l'aurais peut-être pas fait si c'était un mec.

DC : Ooh!

LL: Nan, mais je sais qu'on a cette discussion entre nous, avec Jaime aussi sur elle, tu vois, où elle est là et on a envie...

JC: Nan , ça a été son... pas « rite de passage », j'aime pas parce que y a pas... Mais il fallait qu'elle le fasse quoi. Il fallait crever l'abcès. [...] Il fallait crever l'abcès de cette jeune fille là, tu vois, marocaine, classique, seule fille du parti Collectif, et qui à un moment, devant quatre personnes dans la boîte de nuit à Lormon, y avait pas un vrai danger à se mettre en scène, et beh c'était le moment. Et moi j'avais un rôle à jouer de faux organisateur de soirée

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danseur, tu vois, un peu chiant avec son micro à côté de la bouche, je sautais partout etc. dans un désert en fait. Et voilà, elle était là, elle faisait partie du seul public quoi, et à un moment, voilà, je l'ai forcée à improviser avec la trompette, et personne savait qu'elle jouait de la trompette. [...] Et ça a été le premier moment où elle est montée sur scène.

DC: Mais après elle est seule, c'est dur hein.

LL: Ouais, mais bien sûr que c'est dur. Mais, c'est pour ça...

DC: Mais c'est là où j'en viens, c'est peut-être méchant, je sais pas, mais c'est...il faut que...on soit, en tant que femme, source de proposition aussi.

AL: Oui, mais après... Je vais revenir sur ce que tu disais avant; «Bernard c'est pas son combat» etc., euh... en fait je suis à la fois d'accord et pas d'accord. En l'occurrence, j'suis d'accord parce que lui il a fait un choix de se battre artistiquement etc., mais à partir du moment où tu es dans un discours pour combattre des inégalités, notamment sociales, en passant par de l'éducation populaire, forcément tu te retrouves confronté au fait que dans certaines zones géographiques, tu es moins cultivé que, par exemple, dans le 7ème à Paris. Et que comme ça t'as des populations qui sont ségréguées culturellement. Et que, à l'intérieur de ces populations là, y a la moitié de la population qui est aussi confrontée, enfin tous, on est tou tes confronté-es à de la ségrégation professionnelle, que ce soit d'une manière positive ou négative. Et ça, si tu te mets dans un combat contre les inégalités, forcément, que tu dois quelque part te confronter à l'idée que...

JC: Mmh. J'suis d'accord ouais.

AL: ... y a la moitié de la population qui a peut-être même pas conscience du fait qu'elle est mise en retrait, et que ça passe par... par du discours quand t'étais petit, et de te dire: «Mais non, mais t'en as pas la force ma chérie.»

DC: Nan mais, je suis... Je suis entièrement d'accord avec toi mais en ayant beaucoup parlé avec Bernard, il arrive pas à se mettre à la place des femmes. Et je le comprends tout à fait. Il a conscience de cette inégalité-là. Pour lui c'est injuste tout ça, et, et quand il dit: «Il faut se mobiliser», il essaie. Il fait une journée de la femme. Et ça tombe à l'eau parce que c'est un combat parmi 1000 que lui il mène, et que c'est sa ligne de... de front, c'est ailleurs. Il essaie, il essaie. Mais pour moi Uzeste c'est des pluralités, on est nombreux, chacun apporte, chacun mène son combat aussi et je pense que ce combat du féminisme, à Uzeste, je pense que ça peut être mené par quelqu'un d'autre que par Bernard.

LL: C'est ça. Mais parce que je pense que le combat du féminisme à Uzeste il est mené en fait. Tu vois Lydie Delmas,

DC et LL: Sylvie, Juliette.

LL: Martine, voilà. Après y a deux choses différentes [...] Effectivement y a une différence entre le fonctionnement du lieu et aussi des combats qu'on mène. C'est ça aussi, y a une dichotomie aussi. Entre comment on fonctionne, et la réalité. Et c'est quoi qu'on met en avant parce que si tu regardes le programme de la dernière Hestejada, le féminisme il est mis en avant. Alors c'est pas des gens qui travaillent au jour le jour à Uzeste, mais c'est des gens qui travaillent depuis très longtemps. Lydie Delmas par exemple, je veux dire ça fait 20ans

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qu'elle vient à Uzeste cette femme. Et ça fait 20ans qu'elle porte ce rôle. Toutes les femmes qu'on invite, les philosophes, en fait, on invite des femmes. On invite les femmes qui existent aussi.

MA: Y en a des femmes qui sont passées : des danseuses, des...

DC: Ah mais sur les 180, ça serait intéressant de faire le compte des 180 derni...

AL: Je fais que 4 programmes.

DC: Ah bin voila

MA: Y a quand même, y a quand même pas mal de femmes.

LL: Mais y a aucune musicienne presque.

JC: Joëlle Léandre, Joëlle Léandre c'est la seule que j'ai vu.

DC: Oui mais c'est la seule qui est, qui est venue, mais c'est vrai aussi, ce que tu dis, on fait venir les femmes qui existent, qui... voilà. Y aurait des...

LL: Par exemple en philosophe y a plein de femmes qui viennent. C'est là que je pense qu'il y a une volonté de faire ça, mais y a aussi une... une incapacité quoi. Bon Géraldine Laurent ça fait deux ans que ça chie pour des histoires de calendrier, de dates, mais en jazz c'est la seule fille que je voudrais inviter quoi. Y en a quelques-unes, mais moi c'est la seule qui m'intéresse, que je connais. Y en a sans doute que je connais pas, 'fin ça c'est un autre débat, j'ai pas...

JC: Ça c'est les invité-es extérieur-es de l'Hestejada, et après on parle de nous sur scène? Parce que nous on joue pas qu'au jazz, on joue un truc impur, qui demande aussi de faire des grimaces sur scène, et ça, ça commence à être le cas, mais c'était pas...enfin la fille elle a pas été construite comme ça par l'homme, pendant des millénaires. Comme espèce de femme objet, et beh elle était belle, elle était pomponnée depuis le début de sa naissance, on l'a formatée dans ce rôle-là, et ça ça fait très peu de temps en France, moi à mon avis ça fait moins de 50 ans, mais ça tu peux mieux en parler que moi, et le déclic il a eu lieu juste dans la génération de Bernard. Donc même si c'est pas un mec misogyne, et très au courant de tout ça, il est ancré dans l'actualité, lui il l'a hérité ce poids-là, sociétal. Et même s'il le remet en question, notre génération, c'est notre front à nous à tous. Donc ça ne sera pas qu'une histoire de filles. Mais nous on est pleinement conscient de ça...

LL: Ah oui

JC: ... et on a envie que ça change. On se rend compte...

LL: Oui, nan mais c'est pour ça qu'on en parle sur scène et qu'on se fout de notre gueule aussi souvent. On dit par exemple sur scène, quand y a Rita par exemple, et qu'on dit: «Y a Rita et 15 mecs autour quoi.»

AL: Mais là c'est elle qui est mise en avant.

LL: ... Oui.

AL: En termes de hiérarchie c'est elle qui est devant.

LL: Oui, oui c'est vrai.

AL: Et quand tu parlais de la CGT pour vous ça a eu un impact moralement, mentalement, intellectuellement de réflexion sur euh...

209

DC: Ah complet.

MA: Bin ouais.

DC: Ça fait partie d'Uzeste. Uzeste ça fait 25ans qu'ils sont là.

AL: Je parlais des débats féministes, Lydie.

DC: Oui mais ça fait 27 ans que... qu'ils sont là.

MA: Mais moi je l'ai pas ce... Enfin bien sûr qu'il y a cette question que les Gojats c'est que des

mecs, le parti Collectif, la Cie etc. Mais moi je fais des feux d'artifices et je... je travaille

dans un milieu où y a que des mecs et que des gros bourinasses. J'exagère mais... Et j'ai

absolument pas ce problème ou ce questionnement. Je l'ai eu, mais je pense que ...

LL: Mais c'est là que je pense que l'héritage rentre en jeu aussi quand même. Enfin t'as pas

l'impression de ça, du rapport des autres qu'ont à toi? Que si, enfin je sais pas c'est peut-être

un peu cru, mais que si t'étais pas la fille de Auzier ils seraient aussi accueillants ou aussi

pas accueillants?

MA: Bin ça je le vis, tu sais, parce que je travaille pas qu'avec Auzier justement et... y a plein

de gens qui m'attendent au tournant. Mais...

LL: Mais je pense que du fait qu'ils t'attendent au tournant, ils t'attendent. Alors que si t'étais

une fille et...

MA: Ah mais totalement!

LL:... et pas Auzier. Ils te verraient pas. Je pense qu'il y a aussi ça qui joue.

MA: Ah mais c'est sûr. C'est pour ça que je disais toute à l'heure que c'était pas rien.

JC: Si il te voit dans ta manière d'être. Et ça peut-être que tu as le nom, ça s'appelle «existe-

corporel» ou un nom comme ça quoi, c'est ce que tu dégages. De comment tu te comportes

à l'endroit où tu es. Et toi quand t'es sur un champ de feu,t'es à ta place. Et le mec vite fait,

qu'il soit misogyne ou pas, il sait que toi t'es à ta place.

MA: Voilà, c'est que que j'allais dire.

JC: Quand Louis monte sur scène et se met à la batterie, on sait qu'il est à sa place.

DC: C'est là qu'elle est la légitimité. [...]

LL: Mais moi je pense que si j'étais une fille, m'appeler Lubat ça me servirait. Plus que... que

je suis un garçon.

JC: Mouais c'est possible.

LL: Ce serait dur mais en même tant je serais repérée tout de suite.

DC: Nan, moi j'pense que ce serait moins dur.

LL: Oui c'est ce que je dis. Je pense que ce serait moins dur.

MA: J'suis pas sûre hein. Je suis pas sûre et je pense que de toutes façons c'est très con de...

Mais je suis pas sûre hein.

LL: Nan mais j'essaie de voir...

JC: C'est le truc de la discrimination positive de la fille qui reprend à la batterie le truc.

MA: Ouais je comprends pas là. Regarde moi j'ai bien pris une tenaille quoi.

DC: Une fille batteuse qui s'appelle Lubat.

MA: Ah!

210

LL: Mais même pas que dans le comparatif du fait que je sois un mec. Juste de dire une fille qui arrive comme ça dans le jazz, c'est très dur, c'est très dur!

JC, MA et AL: Mm, c'est sûr.

DC: Mais si elle a un nom...

LL: Et je pense que si elle a un nom, là se serait plus... Si tu veux, moi des fois dans ma vie personnelle, je préfère m'appeler Lubat. Enfin je suis très content de m'appeler Lubat quoi. Et dans le milieu du jazz, ça me dessert plus que ça me sert. Parce qu'ils me connaissent, mais ils me connaissent du... tout de suite je vois dans leurs yeux l'apriori. Alors qu'une fille qui arrive dans le jazz, c'est très très dur, c'est beaucoup plus dur que pour un mec, je pense qu'encore aujourd'hui c'est comme ça, et que si elle a un nom, même pas Lubat, c'est plus facile pour elle parce qu'elle est repérée plus vite. Y a un truc comme ça que je veux dire. Et je pense qu'il y a plus d'indulgence qu'avec moi.

JC: Ouais, je sais pas...

LL: Nan mais je l'ai vu avec Raph, Raphaël Quenehen, il était au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse de Paris) avec une batteuse qui s'appelle Anne Paceo, moi j'aime pas du tout. On en parle une fois, y avait Paseo qui passait à la TV la veille et j'dis: «C'est quand même de la merde» et dit «Ah ouais mais en même temps, elle a passé 5 ans, tout le monde se foutait de sa gueule au CNSM.

JC: Putain...

LL: Nan mais c'est horrible. Mais y a le truc, c'est pas méchant, mais il fait de la, je sais pas comment dire, de la discrimination. Il m'explique qu'il aime pas ce qu'elle fait, mais...

MA: Et que comme c'est...

DC: ...mais qu'elle mérite parce que...

LL: Voilà. Moi je ne suis pas d'accord avec ça. Mais c'est juste pour donner un exemple aussi de... de comment on représente le truc quoi. [...] Nous on se sert du réservoir des gens qu'on voit et qu'on regarde. Et quand je regarde le réservoir philosophique des philosophes, quand je regarde des réservoirs comme ça, tu te rends compte qu'il y a pas mal de femmes qui viennent. Mais le problème c'est que quand tu regardes le réservoir des musiciens, bin c'est un réservoir de musicien, c'est pas un réservoir de musiciennes. [...] Et je mon père, il peut être autant féministe qu'il veut, l'exigence artistique il transige pas avec ça. Et il fera jamais du volontariat si sur scène ça passe pas.

AL: Et dans votre travail de construction des réseaux professionnels, vous vous êtes déjà senties valorisé-es ou dévalorisé-es par des éléments symboliques comme l'âge, le sexe, le nom, en dehors de ce que l'on peut connaitre de votre travail concret? [...]

MA: Bin totalement. Quand je suis cheffe de chantier et que c'est moi qui écris le feu d'artifices etc. et que j'arrive dans une ville où je dois tout à coup rencontrer le service technique de la ville...

LL: De Mézin (ville où une date devait être partagée entre Pyr'Ozier, les artificiers et los Gojats) JC: Ouais c'est clair.

MA: ...pour voir les lieux et tout ça.

211

LL: Mézin c'était la folie.

MA: Et bin les mecs du service technique, là, quand il voit une petite nana de 23 balais arriver

en face d'eux avec une tenaille à la main, ils rigolent quoi, tu vois. Ils te regardent pas tous

dans les yeux. Ils ont pas tous compris que c'était toi qu'allais leur expliquer quelques trucs...

C'est vraiment...

LL: Là tu sors la bombe à kérosène.

MA: Et le pire c'est que ça m'arrive très souvent que... que c'est après le feu d'artifice, au

démontage que les mecs ils viennent comme des fous me voir quoi. Tout à coup... Parce

qu'ils ont vu que j'étais pas en train de leur raconter des conneries, que je...

JC: Ça c'est de l'éducation populaire!

MA: Très souvent quoi!

DC: Moi ça me l'a fait la première année que j'ai fait Uzeste. C'était hyper dur avec euh... les

techniciens. Parce que euh, c'est pas une gamine de 22ans qui va leur apprendre le métier.

Et c'était pas évident. Et là par contre, euh, j'aurais pas étais la belle-fille de Bernard Lubat...

j'aurais pu aller me brosser.

JC: Mm.

LL: Mais là je pense que c'est plus le fait de l'âge que du sexe.

DC: Oui.

LL: Parce qu'en prod y a beaucoup de femmes.

DC: Là c'était la question de l'âge.

AL: Oui mais la prod et souvent considéré comme le travail de la maman.

LL: Oui nan mais je suis d'accord avec toi. Mais ils...

DC: Ils voulaient me marcher dessus parce qu'avant y avait Marie, Flora...

LL: C'est une femme, mais les techniciens ils ont l'habitude d'avoir un interlocuteur féminin.

[...]

MA: Ouais, mais moi en m'y confrontant énormément, je trouve ça chiant parce que je trouve

ça inadmissible, mais je trouve ça plus chiant parce que pour le coup j'ai envie de lui, de lui

dire: «Allé, viens avec moi quoi. Prend ta visseuse et viens mécher, viens et on va voir

comment ça se passe. «. Et du coup ça me fait plus chier parce que je trouve ça tellement

aberrant et tellement présent partout que... que j'ai pas envie que ce soit tabou comme,

comme, comme, j'sais pas, comme les mecs qui supportent pas les homosexuels. Parce que

c'est super réel quoi. Donc on est là, tout ça ça se passe, très bien bin on y va quoi.

JC: Généralement c'est qui les agresseurs? C'est des gens de plus de 30ans? 40ans? Non? Qui

se permettent?

MA et DC: Ouais, totalement.

JC: Et maintenant, la génération de maintenant c'est beaucoup plus rare quoi.

AL: Je sais pas. C'est plus pernicieux.

JC: A Mézin moi j'ai trouvé ça affreux. La manière dont ils t'ont reçu là. j'étais avec Tanguy, je

trouvais ça mais super violent. J'étais furax. Et en même temps si tu veux que ça se passe, tu

peux pas leur rentrer dedans.

212

MA: T'étais avec moi quand on a fait le repérage, non?

JC: Non.

MA: C'était pire.

LL: Tanguy ils nous a raconté.

JC: Ah c'était pire? Parce que là, rien qu'autour de la table, comme ça, avec les mecs qui te reçoivent avec les petits mots d'enculés là. Putain, ça...

MA: Ah non mais c'était rien ça pour moi.

JC: Ah ouais? J'ai horreur de ça moi déjà.

[...]

MA: Mais tu sais, moi la première année à Roquetaillade, où j'ai pris le relai de l'Opéra Liberté là, en 2013, j'avais les talkies. C'est moi qui avait le talky, j'étais cheffe de tir, j'avais le talky relié à toute l'équipe des techniciens et toute l'équipe de la sécurité (service d'ordre assuré par la CGT). Et bin après le feu d'artifice, Delmas, le grand Delmas de la CGT, il est venu taper dans l'époque de Patrick Auzier (son père), comme un taré en lui disant: «Putain ta fille, elle avait le talky! Elle a géré!!» Et en fait parce qu'ils étaient super flippés quoi. Ils ont halluciné, ils sont venus me voir à la fin: «C'était super!», me parler de la sécurité, tout ça.

LL: Mais ça pour moi c'est l'âge aussi.

MA: Et voilà je pense que ça, mais totalement. [...]

LL: Je pense qu'à Uzeste, je me trompe peut-être, je pense que c'est plus l'âge. A Mézin, par exemple, je pense que t'aurais été un mec du même âge, ça aurait été complètement différent. MA: Non mais Mézin, le repérage a été immonde quoi. [...]

JC: Moi, au terme de «ségrégation horizontale», je vais opposer le terme de «ségrégation verticale». [...] En tout cas, ici dans ce lieu et en résonance avec toutes les activités qu'on mène, dans l'association parti Collectif ou d'autres trucs, y a l'importance du musicien, l'importance de l'artiste. Je dirais pas qu'il y a un ascendant sur le reste, mais qu'il y a un rôle capital. [...]

AL: Dans les recherches que j'ai pu faire, y a un constat qui m'a touché et que je trouvais intéressant, c'est : déjà la plupart des femmes artistes ou du métier culturel sont en couple avec une autre personne du secteur culturel. Surtout l'exemple qui... (MA désigne LL et AL) Oui je sais, nous sommes un excellent exemple. Euh, à la base c'est surtout sur les musiciennes de jazz, qui sont pour quasiment la totalité en couple avec un musicien, un agent, un chargé de com, technicien etc. Et ça crée deux problèmes : la dépendance au réseau du conjoint et le problème du soutien. Puisque c'est quand même des vies qui ont besoin d'un soutien physique, mental, etc. Et souvent, ils se rendent compte au fur et à mesure que la conjointe soutient le musicien au détriment de elle, sa carrière. Et souvent quand un enfant arrive, la carrière s'arrête, au bénéfice de celle du musicien. [...] Je me demande si vous, vous avez pas cette crainte de dépendance aux réseaux d'ici, du lieu et aussi du conjoint, conjointe.

LL: Euh, je pense que la dépendance aux réseaux des parents on peut l'évacuer tout de suite parce que, si tu veux, moi j'ai pas peur qu'elle s'envole, parce que je pense pas que je vais couper tous les ponts avec mon père...

213

JC: Tu vois, contrairement à ce qui pourrait t'arriver à toi (AL), par exemple.

LL: (Petits rires) T'es vraiment un **** toi [...]

MA: Mais moi par exemple...

DC: Après dans le milieu archi (de l'architecture) c'est pareil hein. C'est que les couples, ils se

forment et t'as le mec qui devient une grande star et la femme qui a fait ses études d'archi. ...

MA: Elle s'occupe de la baraque!

DC: Non, c'est encore pire que ça. Elle devient secrétaire. Et après elle est cocue avec une

collègue, évidemment [...] et du coup elle s'occupe de l'agence avec les cocus et voilà.

JC: Tu rigoles!?

DC: Nan, nan, c'est énorme. La plupart des secrétaires des grands archi. c'est des femmes

d'archi.

MA: Moi par exemple je suis en couple avec un artificier

JC, DC et LL: (Rires)

MA: On est tombé amoureux en se soutenant, en plus, énormément dans notre métier. Et euh,

on a un réseau qui est très lié mais on a aussi un réseau qui est très différent, dans notre

relationnel du milieu. Donc ça se rejoint beaucoup mais on a aussi chacun nos, nos axes. Et

on se soutient énormément mais on a chacun notre écriture. [...]

AL: Donc si dans un an c'est fini, tu ne te retrouves pas sans réseau en fait.

LL: Oui mais parce que tu en avais déjà un avant. Tu t'es pas construite que par lui.

MA: Nan. On s'est rencontré dans ce milieu-là en ayant chacun nos réseaux et en ayant aussi

du réseau commun quoi, forcément. Et non j'ai pas peur d'arrêter ma carrière en ayant des

enfants. [...] Toute en étant consciente de la dangerosité de la fusion et en faisant attention

quoi.

DC: Moi j'espère ne pas être secrétaire.

Tous: (Rires)

JC: Mais t'as pas eu beaucoup d'amoureux archi. ?

DC: Nan. Nan mais justement c'était une règle, pour moi.

MA: Ouais mais tu sais la règle...

DC/ Oh, pour l'instant je la respecte bien.

LL: Toi (MA) t'avais une règle comme ça? Tu voulais pas...?

MA: Nan, mais c'était pas une règle, mais je pense que ça te tombe dessus. [...]

LL: Mais attends, y a des règles hein, toi [A]) tu voulais pas être avec un mec des Gojats au

départ.

AL: Mmmh.

JC: Tu rigoles?

LL: C'est un échec. [...]

[Retour sur la CGT et les débats féministes]

DC: Mais on en a déjà parlé Anna. Pareil, moi cette préoccupation du combat féministe, je l'ai

eu très tard. Je l'ai depuis six mois. Que avant, j'ai jamais été confrontée à.... Peut-être

inconsciemment, mais jamais consciemment. J'ai toujours été, beaucoup travaillé avec des

214

hommes, en permanence, même à l'école. Et j'ai toujours eu, pas porté la culotte, mais j'ai

toujours eu ma place et jamais faite écrasée.

AL: Et qu'est-ce qui c'est passé y a six mois?

DC: Y a eu ces entretiens à St Medard en Jalles (entretiens sociologique sur les habitants des

HLM) où j'ai vu que...

JC: Ouais que c'était un problème.

DC: Beh que c'était réel. [...]

DC : Mais voilà, y a une réalité aussi sociale. On avait rigolé de Marie Lubat. Marie Lubat qui

euh, on est trois soeurs : Ariane, Raphaëlle et moi. Et Marie adorait Ariane parce que c'est

celle qui faisait des études. Donc elle était à Bordeaux pour faire des études, c'était important.

Raphaëlle c'était l'artiste, la danseuse. Et bin moi j'étais faite pour faire à manger, repasser

le linge, et surtout, éduquer Louis. Donc je me faisais engueuler quand Louis ne disait pas

bonjour à Jeannette, que il faisait du boudin etc. C'était: «Non mais Diane, ça va pas du tout,

qu'est-ce que vous faite...». Après je me faisait engueuler parce que je faisais pas la sauce

salade comme il fallait, que je savais pas plier le linge comme il fallait... Y a aussi un....

LL: Oui, un truc horrible qui se transmet.

MA: Ah oui, oui, oui...

DC: Voilà. Qui est inconscient. Mais voilà. Moi je l'analysais pas comme ça à l'époque. Mais

voilà, ça me fait rire.

AL: Mais ça reste quand même ancré.

DC: Ça reste ancré. [...]

AL: Quel constat vous feriez à Uzeste, non pas seulement sur la répartition hommes/femmes

mais aussi masculin/féminin?

LL: Ouais mais ça faudrait que tu définisses un peu parce que là....

DC: Ouais

JC: Pour que cette rencontre nous serve aussi j'aimerai bien que tu définisses «genre» et «sexe»,

la différence est pas... [...]

AL: Mais en fait j'avais plutôt envie de vous demander à vous, de définir le masculin et le

féminin.

LL: Ah, bin quelqu'un a une définition? Jaime?

JC: Bin pour moi le masculin c'est la force... l'esprit aventurier...

Tous: (Rires)

JC: C'est la puissance de décision et d'action. C'est le leader-chip. Et puis, (rires) le féminin se

serait plus, tu vois, la douceur, la gentillesse, le côté familial.

Tous: (Rires)

JC: Euh (se rapprochant de l'enregistreur), je m'appelle Louis Lubat.

Tous: (Rires)

AL: Finalement t'as pas si tort que ça. Le féminin et le masculin c'est ce qui va être construit

culturellement comme étant attribué à l'homme ou à la femme. [Présentation du schéma des

opposition de Pierre Bourdieu]

215

DC: Du coup on les présente comme des oppositions?

AL: Alors, c'est là le problème. Notre génération... Enfin. Moi j'étais plus dans l'idée que c'était

plutôt, par exemple la force qui correspondrait aussi bien au féminin qu'au masculin c'est

juste c'était pas les mêmes forces, «force féminine», «force masculine».

JC, DC: Mmh. Ouais.

AL: A l'heure d'aujourd'hui, moi je me dis qu'il n'y a pas de féminin ni de masculin.

JC: Moi j'suis d'accord plutôt.

DC: Moi c'était plutôt là-dessus.

JC et MA: Ouais, moi aussi.

DC: Je me disais: «C'est peut-être ma vision architecte de mes deux, sans poésie, sans rien»,

mais pour moi c'est... C'est des mots vides de sens.

LL: Moi j'suis d'accord avec toi mais en même temps c'est des mots, par exemple au feu de l'an

dernier [fait pas MA], que je me suis dit. Tu vois. En facilité de langage bête...

MA: C'est ce que tout le monde a dit d'ailleurs. Moi j'ai beaucoup entendu ça.

LL: Tu vois. Le feu de l'an dernier où c'était plus féminin.

DC: Mais ça veut dire quoi?

MA: J'suis pas d'accord hein. Mais je comprends.

LL: Non, non mais je sais. Mais tu vois sur le cliché de ce que t'as dit quoi, de la douceur. Tu

vois, où Patrick ça envoie du pâté beaucoup, c'est un peu l'image du mec aussi. Peut-être pas

dans la vie de tous les jours...

MA: Mais de par les moeurs, je comprends très bien ce que ça veut dire quoi. Mais après, de par

mon être et ce que je veux...

JC: C'est bizarre quand même, même ces mots qu'on emploie, même si on est pas d'accord on

les emploie, quand même quoi. Moi des fois quand je les dis, je m'analyse en train de les

dire quoi. C'est pour ça que j'ai rigolé un peu là-dessus, mais Louis il a ces mots-là,

«féminin», ...

LL: Nan mais que je sens qui est pas juste hein.

JC:...parce qu'on a pas les mots pour aller plus loin. Parce qu'on est dans une période charnière

où on est en train de se dire qu'il n'y a plus de masculin, plus de féminin alors qu'est-ce qu'il

y a quoi? Y a des mots, mais faut pas qu'ils soient vides de sens, il faut les remplir.

DC: Pour moi ça s'arrête à la grammaire.

MA: Moi je pense que pour moi c'est devenu une histoire de sexe. Et je pense que je me sers de

mon métier et de mon milieu pour dire ça. Mais je comprends, par exemple à la fin du feu

cette année, que tout le monde me dise que c'est beaucoup plus féminin et tout ça. Sauf que,

je comprends, mais ça me parle pas.

LL: Toi tu le conçois pas comme ça, quand tu l'écris...

MA: Pas du tout! Et en plus, cet espèce de milieu où je suis là, où c'est très bourinasse mais en

même temps il peut y avoir énormément de douceur, euh, et qui est un milieu très masculin,

et bin pour moi ça veut plus rien dire. Enfin c'est pas vrai parce que toute l'histoire fait que

ça veut dire beaucoup de choses, mais que je, pour moi je suis, en faisant tout ça, en train de

216

le démonter et... et je trouve pas ça... et je trouve ça plus.... j'y trouve plus de sens en tout

cas.

AL: Alors j'ai pas compris pourquoi tu dis que c'est plus une histoire de sexe?

MA: Parce que tu nous disais: «Pour vous, suite à ce débat c'est quoi le féminin, c'est quoi le

masculin?» Et bin moi je dirais que c'est une histoire de sexe quoi. Après je pense pas que...

AL: Je comprends pas ce que tu veux dire.

MA: Et beh que le masculin c'est le sexe masculin et le féminin pareil quoi.

AL: Donc y a pas de qualités...

JC: Y a pas de genre pour toi?

MA: Si y a un genre, mais que tu te définis, mais que...

LL: Oui pas intrinsèque au sexe que t'as quoi.

MA: Voilà C'est pas [...] Mais si là tu me demandes «féminin/masculin» je te dis: «un homme

et une femme» quoi.

LL: Mais ça veut dire qu'un homme et une femme, ils ont des qualités et des défauts différents?

MA: Bin ça veut dire qu'une femme peut être très très forte et très brute et un homme très doux,

très sensible.

LL: Donc y a du genre.

MA: Ah mais y a du genre! Mais cest à dire que moi j'ai pris la question au premier... Pour moi

la question c'est pas: «qu'est-ce que c'est le genre masculin et le genre féminin», c'est:

«qu'est-ce que c'est le masculin et qu'est-ce que c'est le féminin». Comme ça là, brute de

pomme, et bin c'est l'homme et la femme quoi.

LL: Donc accepter sa part de féminité. Mais c'est un demi-cliché ça. Enfin moi j'pense. Parce

qu'en même temps, tu vois ton feux l'an dernier, dans les clichés, il a les attributs du féminin.

Dans les clichés, on est même pas obligé d'utiliser le mot.

MA: Mais peut-être que tu dis ça que par exemple y avait du rose. Tu vois, c'est hyper con ce

que je suis en train de dire, mais c'est vrai quoi.

LL: Ah non, mais peut-être.

DC: Mais pourquoi on doit utiliser ses termes là? De féminin et masculin? Pourquoi on peut

pas dire que le feu de Margot, et moi c'est ça que j'ai pensé, c'est que je l'ai trouvé sensible.

JC: Ouais c'est ça.

LL: Ouais, mais dans le cliché, sensible c'est féminin.

DC: Peut-être, et bin luttons contre les clichés et nommons les sentiments qu'on a eu. [...]

2. DOCUMENTS ANNEXES

3. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014

autres

Musiciens

Myriam

Roubinet

Théâtre Feux d'artifice Musique Cinéma A-musique Communication

Feux d'artifice Musique Production Danse

Margaux

Auzier

Auzier

Juliette

Minvielle

Andrè

Minvielle

Laure

Duthilleul

Bernard

Lubat

Diane Camus

Martine

Camus

Raphaëlle

Camus

Louis Lubat

Chatet

A-musique

Rousseau

217

A-musique A-musique

Anna

Legrand

 

Mona

Chavanne

 
 
 

Michel Portal, Sclavis et

Cirque/ recherche A-musique

Légende

Lien familial (couple, parenté)

Patrick

Ancien lien de couple

Lien d'amitié

Fondateurs d'Uzeste Musical

Actuels acteurs de la Cie Lubat

Acteurs occasinels de la Cie Lubat

Jules

Paolo

3.1. PHOTOGRAPHIES DU THEATRE AMUSICIEN

Vue extérieure du Théâtre Amusicien durant la Marche pour la culture. L'enseigne

« Estaminet » disparaît au fil des ans.

Juliette

Kapla

Fabrice

Vieira

Joël Boudé

Marie

Boudé

Sylvie

Gravagna

Antoine

Chao

Matine

Amanieu

Alain

Amanieu

A-Musique A-musique Régie

Administration

Cuisine Théâtre Radio Uz Théâtre Ecriture

membre du bureau

d'Uzeste Musical

Thomas

Boudé

 

Jaime Chao

Polack

A-musique

A-musique A-musique

Los Gojats

Membres du parti Collectif (Bordeaux)

Bernard

A-musique

218

Camille

Georges

Photographie

+ vingtaine de jeunes artistes bordelais? es

Mathis

Tanguy

Vue intérieure du Théâtre Amusicien, depuis le balcon. Les chaises ont été poussées sur les côtés pour laisser place au bal. Sur scène, Los Gojats et la Cie Lubat. Hestejada 2013

219

BIBLIOGRAPHIES

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

LA RECHERCHE FEMINISTE

Epistémologie féministe

Ouvrages

DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualités: introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Univ. de

France, coll. « Philosophies », n° 194, 2008.

PUIG DE LA BELLACASA María, Les savoirs situés de Sandra Harding et Donna Haraway: science et épistémologies féministes, Paris, l'Harmattan, 2014.

S.a., « Lectures critiques », Revue française de science politique, vol. 60, no 3, 2010.

Articles

BRACKE Sarah, María PUIG DE LA BELLACASA, et Isabelle CLAIR, « Le féminisme du positionnement.

Héritages et perspectives contemporaines », Cahiers du Genre, vol. 54, no 1, 2013.

DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, « Esquisse d'une épistémologie de la théorisation féministe en art », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.

Genre & genres

Ouvrages

BAUDRILLARD Jean, De la séduction, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1988.

BOURDIEU Pierre, La domination masculine: suivi de Quelques questions sur le mouvement gay et

lesbien, Paris, Seuil, coll. « points », 2002.

FRAISSE Geneviève, Les Excès du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014.

GRESY Brigitte, La vie en rose pour en découdre avec les stéréotypes, Paris, Albin Michel, 2014.

Séminaire et conférence

COULOMB-GULLY Marlène, « Médias et Genre », Licence 2 et Master 1 Arts du spectacle et communication, Toulouse, Université Toulouse Jean Jaurès, 2012 et 2014.

FRAISSE Geneviève & Marlène COULOMB, Rencontre autour de l'ouvrage de FRAISSE Geneviève, Les excès du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, Librairie Ombres Blanches, 10 avril 2015.

LES EDITIONS ALBIN MICHEL, La Vie en rose - Brigitte Grésy [en ligne], youtube, [https://www.youtube.com/ watch?v =NEZ5dWWJhh8], consulté le 10 juin 2015.

Féminisme

Ouvrages

BEAUVOIR Simone de, Le Deuxième sexe. I, Les faits et les mythes (1949), Paris, Gallimard, 1986.

BECQUER Annie, Bernard Cerquiglini, Nicole Cholewka, Martine Coutier, Josette Frécher, et Marie-Josèphe Mathieu, Femme, j'écris ton nom...: guide d'aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, Paris, la Documentation française, 1999.

FEDERICI Silvia, Caliban et la sorcière, Femmes, corps et accumulation primitive, = Caliban and the Witch. Women, the body and primitive accumulation, Genève-Paris/ Marseille, Entremonde/ Senonevero, 2014.

220

MICHEL Andrée., Le Féminisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 2007.

PIPON Colette, Et on tuera tous les affreux le féminisme au risque de la misandrie, 1970-1980, Mémoire d'histoire, (sous.dir.) VIGNA Xavier et Philippe POIRRIER, Presses universitaires de Rennes, Rennes, coll. « Mnémosyne », 2013.

Article

LAMOUREUX Diane, « Y a-t-il une troisième vague féministe? », Cahiers du Genre, HS 1, no 3, 2006.

Séminaire

BOURCIER Marie-Hélène, «Why my body is still a battle ground: et que c'est vrai des performances

féministes des années 1870 au porno activisme du XXème siècle » (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

Ouvrage littéraire

HUSTON Nancy, Journal de la création, Arles, Actes sud, 2001.

Discrimination positive

Ouvrage

LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes?: psychologie des racismes ordinaires, Wavre

(Belgique), Mardaga, coll. « PSY, individus, groupes, cultures », 2012.

Articles

BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la

différence? », VST - Vie sociale et traitements, vol. 95, no 3, 2007.

CALVES Gwénaële, « Pour une analyse (vraiment) critique et la discrimination positive », Le Débat, vol. 117, no 5, 2001.

JONAS Irène, « Psychologie évolutionniste, mixité et sexisme bienveillant », Travail, genre et sociétés, vol. 23, no 1, 2010.

Femmes & travail

Ouvrages

GALLIOZ Stéphanie, « La féminisation des entreprises du bâtiment : jeu paradoxal des stéréotypes de

sexe » in GUILLAUME Cécile, Les femmes changent-elles le travail?, PUF., Paris, coll. « Sociologies pratiques », n°14, 2007.

Présentation d'ouvrage

AN PERFORMANCE, Entretien avec Brigitte Grésy : Sexisme ordinaire et diversité [en ligne], youtube,

[ https://www.youtube.com/watch?v=FvKqSM9f1e4], consulté le 10 juin 2015.

Rapport

GUEGOT Françoise, L'Egalité professionnelle hommes/femmes dans la fonction publique, rapport au

président de la République [en ligne], Assemblée Nationale, janvier 2011, [ http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/egalite_homme_femme_fonction_ publique_guegot.pdf], consulté le 20 mai 2015.

Théorie queer

Ouvrage

BUTLER Judith, Trouble dans le genre = Gender trouble: le féminisme et la subversion de l'identité,

Paris, La Découverte, 2006.

221

Articles

BOURCIER Marie-Hélène, « Queer Move/ments », Mouvements, vol. 20, no 2, 2002.

VILLEMUR Frédérique, « Pensée queer et mélancolie du genre », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.

Séminaire

PLANA Muriel, « Théâtralités queer », Master Arts du spectacle et communication, Toulouse, Université

Toulouse Jean Jaurès, 2015.

GENRE & ART

Histoire des femmes artistes

Ouvrage

BARD Christine, Frédérique EL AMRANI, et Bibia PAVARD, Histoire des femmes dans la France des

XIXe et XXe siècles, Paris, Ellipses, 2013.

Séminaires

ELHOUTI-CABANNE Stéphanie, «L'art au féminin : statut et création des femmes peintres de la

Renaissance aux Lumières » (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

VERNET Anne-Laure, «Féminisme et processus de forclusion des femmes de génie, un combat inégal ; l'exemple de la cinéaste Alice Guy» (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts,

Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

Muse & Génie

Ouvrages

BOURDIEU Pierre, « Mais qui a créé les créateurs ? », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984. BENICHOU Paul, Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830: essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1996.

NIETZSCHE Friedrich, Humain, trop humain: un livre pour esprits libres, (trad.) Robert Rovini, Paris, Gallimard, vol.1, 1991.

Articles

FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ? », in GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création, interprétation, les musiciennes dans la société contemporaine, Paris, Harmattan, coll. « Univers musical », 2005.

SAPIRO Gisèle, « La Vocation artistique entre don et don de soi », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 168, no 3, 2007.

SOFIO Séverine, « La Vocation comme subversion: Artistes femmes et anti-académisme dans la France révolutionnaire », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 168, no 3, 2007.

TRASFORINI Maria Antonietta, « Du génie au talent: quel genre pour l'artiste? », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.

Valeur et genre de l'art

Ouvrage

PLANA Muriel, Théâtre et féminin: identité, sexualité, politique, Dijon, Éd. universitaires de Dijon,

2012.

Articles

POLLOCK Griselda, « Des canons et des guerres culturelles », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.

222

SOFIO Séverine, Perin Emel YAVUZ, et Pascale MOLINIER, « Les Arts au prisme du genre: la valeur en question », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007.

Professionnalisation

Ouvrage

FIDECARO Agnese et Stéphanie LACAHT (dir.), Profession: créatrice: la place des femmes dans le

champ artistique: actes du colloque de l'Université de Genève, 18 et 19 juin 2004, Lausanne, Antipodes, 2007.

Articles

CACOUAULT-BITAUD Marlaine et Hyacinthe RAVET, « Les Femmes, les arts et la culture », Frontières

artistiques, frontières de genre, vol. 19, no 1, 2008.

MIROUSE Stéphanie & Nadine HASCHAR-NOE, « Vocation artistique et rationalisation du travail : ethnographie d'une compagnie de Danse contemporaine », Revue sciences sociales et sport, n°3, juin 2010.

RAVET Hyacinthe, « Genre et travail artistique », Hors collection Sciences Humaines, 2013.

Rapports

DONNAT Olivier, « La féminisation des pratiques culturelles », Bulletin du département des études, de

la prospective et des statistiques, Ministère Délégation au développement et aux affaires internationales Département des études, de la prospective et des statistiques, n° 147, juin 2015.

GONTHIER-MAURIN Brigitte, Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le thème « La place des femmes dans l'art et la culture», Sénat.

GOUYON Marie et Frédérique PATUREAU, Les métiers artistiques : des conditions d'emploi spécifiques, des disparités de revenus marquées [en ligne], Insee, 2013 [ http://www.insee.fr/fr/ffc/ docs_ffc/FPORSOC13j_D4_artistiques.pdf], consulté le 10 mai 2015.

MULLER Lara, N°F0501, Participation culturelle et sportive Tableaux issus de l'enquête PCV de mai 2003, Direction des Statistiques Démographiques et Sociales, Insee, 2005.

PRAT Reine, Mission EgalitéS. Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant. 1 Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation, mission pour l'égalité h/f dans les arts du spectacle, 2006.

PRAT Reine, Arts du spectacle. Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique. 2 De l'interdit à l'empêchement, mission pour l'égalité h/f dans les arts du spectacle, 2009.

SACD, Où sont les femmes ? Saison 2014/2015, s.l., 2015.

SARDEING Annick, Etude sur la présence des femmes artistes pour la saison 2012-2013 dans les structures subventionnées par le ministère de la culture et de la communication / musique, théâtre, danse, arts du cirque et de la rue / Premiers éléments pour la saison 2013-2014, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013.

OBSERVATOIRE DE L'EGALITE HOMMES-FEMMES DANS LA CULTURE ET LA COMMUNICATION, Ressources - Égalité entre femmes et hommes [en ligne], Ministère de la Culture et de la Communication, 2013, [ http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/ Egalite-entre-femmes-et-hommes/Ressources], consulté le 19 novembre 2014.

223

Journaux, critiques

ANNE Catherine et Myriam MARZOUKI, « Culture: les femmes veulent mieux que des strapontins »,

Libération, 24 janvier 2013.

GRISEL Erick, « Les hommes mènent la danse », Vanity Fair France, n°18, décembre 2014.

Musique

Ouvrages

BRIANT-FROIDURE Bénédicte, Musiques actuelles: les femmes sont elles des hommes comme les autres?, Université Pierre Mendès France Institut d'études politiques de Grenoble Observatoire National des politiques culturelles Centre National de la Fonction Publique territoriale Ministère de la Culture et de la Communication, 2011.

GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création, interprétation, les musiciennes dans la société contemporaine, Paris, Harmattan, coll. « Univers musical », 2005.

Articles

BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », Travail, genre et sociétés, n°19, 2008.

BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme, L'accord imparfait entre voix et instrument », Revue française de sociologie, vol. 44, no 1, 2003.

LAUNAY Florence, « Les musiciennes: de la pionnière adulée à la concurrente redoutée, Bref historique d'une longue professionnalisation », Travail, genre et sociétés, vol. 19, no 1, 2008.

MARRY Catherine, « Hyacinthe Ravet, Musiciennes. Enquête sur les femmes et la musique. Éditions autrement, Paris, 2011, 329 pages », Travail, genre et sociétés, vol. 31, no 1, 2014.

RAVET Hyacinthe, « Féminin et Masculin en musique, dynamiques identitaires et rapports de pouvoir », GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création, interprétation, les musiciennes dans la sociétéì contemporaine, Paris, Harmattan, coll. « Univers musical », 2005, p.234.

RAVET Hyacinthe, « Professionnalisation féminine et féminisation d'une profession: les artistes interprètes de musique », Travail, genre et sociétés, vol. 9, no 1, 2003.

ROUEFF Olivier, « L'invention d'une «scène» musicale, ou le travail du réseau », La programmation d'un club de musiques improvisées entre radicalisation et consécration (1991-2001), OPuS 8, no 1, 2006.

MEDIA

Médias & genre

Ouvrage

COULOMB-GULLY Marlène (dir.), Médias: la fabrique du genre, Toulouse, Presses universitaires du

Mirail, 2012.

Sémiopragmatique

Ouvrage et thèse

BARTHES Roland, Leçon: leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du College de France,

prononcée le 7 janvier 1977, Seuil., Paris, coll. « essais », 2015.

224

TORRES VITOLAS Miguel Angel, Approche sémio-pragmatiue de pratiques nées de la réception médiatique, Université Toulouse 2 Le Mirail, Toulouse, 2011.

Séminaires

MOLINIER Pierre, « Sémiopragmatique », Master 1 Arts du spectacle et communication, Toulouse,

Université Toulouse Jean Jaurès, 2015.

Média artistique

Ouvrage

BENJAMIN Walter, L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 4ème version (1939), (trad.)

DUVOY Lionel, Paris, Allia, 2012.

UZESTE MUSICAL & LE POÏELITIQUE

Mémoire et thèse

HAMIDI-KIM Bérénice, Les cités du « théâtre politique » en France, 1989 - 2007 Archéologie et avatars

d'une notion idéologique, esthétique et institutionnelle plurielle, Thèse de doctorat de Lettres et

Arts, (sous dir.) HAMON-SIREJOLS Christine, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2007.

OGILVIE Philippe, Le Festival d'Uzeste et la Compagnie Lubat 1978-1990, Mémoire de maîtrise d'histoire culturelle, (sous dir.) GOETSCHEL Pascale et Pascal ORY, Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne Centre d'Histoire Sociale (CHS), Paris, vol.1, 2005.

Articles

BONNERAVE Jocelyn, « Improviser ensemble. De l'interaction? l'écologie sonore », Tracés, vol. 18,

no 1, 2010.

BONNERAVE Jocelyn, « Pour une écologie musicale », Les performances du jazz, vol. 181, no 1, 2007.

Conférence retranscrite

CORMAN Enzo, Considérations poélitiques, (Conférence), Polemos Unisersité d'été Prima del teatro,

San Miniato (Italie), 2 juillet 2005.

Non-scientifique

ROMEAS Nicolas, « L'Energie profuse et diffuse de l'amusicien d'Uz, entretien avec Bernard Lubat »,

Cassandre/Horschamps, n°88, 2012.

UZESTE MUSICAL, L'Uzeste, journal d'expression poïélitique de la compagnie Lubat de gasconha, Uzeste, n°1-2-4-5- 10 & 11, mai 1998-août 1998- avril 1999- août 2000-août 2003-août 2004.

UZESTE MUSICAL, Mine d'art à ciel ouvert : une association transartistique et culturelle [en ligne], [ http://www.uzeste.org/lassociation/mine-dart-a-ciel-ouvert-une-association-transartistique-et-culturelle/#more-29], consulté le 24/01/2015.

225

BIBLIOGRAPHIE ALPHABETIQUE

AN PERFORMANCE, Entretien avec Brigitte Grésy : Sexisme ordinaire et diversité [en ligne], youtube, [ https://www.youtube.com/watch?v=FvKqSM9f1e4], consulté le 10 juin 2015.

ANNE Catherine et Myriam MARZOUKI, « Culture: les femmes veulent mieux que des strapontins », Libération, 24 janvier 2013.

BARD Christine, Frédérique EL AMRANI, et Bibia PAVARD, Histoire des femmes dans la France des XIXe et XXe siècles, Paris, Ellipses, 2013.

BARTHES Roland, Leçon: leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du College de France, prononcée le 7 janvier 1977, Seuil., Paris, coll. « essais », 2015.

BAUDRILLARD Jean, De la séduction, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1988.

BEAUVOIR Simone de, Le Deuxième sexe. I, Les faits et les mythes (1949), Paris, Gallimard, 1986. BECQUER Annie, Bernard CERQUIGLINI, Nicole CHOLEWKA, Martine COUTIER, Josette FRECHER, et

Marie-Josèphe MATHIEU, Femme, j'écris ton nom...: guide d'aide à la féminisation des noms

de métiers, titres, grades et fonctions, Paris, la Documentation française, 1999.

BELORGEY Jean-Michel, « Discrimination ordinaire/discrimination positive: Quelle place pour la différence? », VST - Vie sociale et traitements, vol. 95, n° 3, 2007.

BENICHOU Paul, Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830: essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1996.

BENJAMIN Walter, L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 4ème version (1939), (trad.) Duvoy Lionel, Paris, Allia, 2012.

BONNERAVE Jocelyn, « Improviser ensemble. De l'interaction? l'écologie sonore », Tracés, vol. 18, n° 1, 2010.

BONNERAVE Jocelyn, « Pour une écologie musicale », Les performances du jazz, vol. 181, n° 1, 2007. BOURCIER Marie-Hélène, « Queer Move/ments », Mouvements, vol. 20, n° 2, 2002.

BOURCIER Marie-Hélène, «Why my body is still a battle ground: et que c'est vrai des performances féministes des années 1870 au porno activisme du XXème siècle » (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

BOURDIEU Pierre, « Mais qui a créé les créateurs ? », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984. BOURDIEU Pierre, La domination masculine: suivi de Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien, Paris, Seuil, coll. « points », 2002.

BOURDIEU Pierre, « Le capital social », Actes de la recherche en sciences sociales [en ligne], Vol. 31, janvier 1980, [ http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1980_ num_31_1_2069], consulté le 25 avril 2015, p.2-3.

BRACKE Sarah, María PUIG DE LA BELLACASA, et Isabelle CLAIR, « Le féminisme du positionnement. Héritages et perspectives contemporaines », Cahiers du Genre, vol. 54, n° 1, 2013.

BRIANT-FROIDURE Bénédicte, Musiques actuelles: les femmes sont elles des hommes comme les autres?, Université Pierre Mendès France Institut d'études politiques de Grenoble Observatoire National des politiques culturelles Centre National de la Fonction Publique territoriale Ministère de la Culture et de la Communication, 2011.

BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme, L'accord imparfait entre voix et instrument », Revue française de sociologie, vol. 44, n° 1, 2003.

226

BUSCATTO Marie, « Tenter, rentrer, rester: les trois défis des femmes instrumentistes de jazz », Travail, genre et sociétés, n°19, 2008.

BUTLER Judith, Trouble dans le genre = Gender trouble: le féminisme et la subversion de l'identité, Paris, La Découverte, 2006.

CACOUAULT-BITAUD Marlaine et Hyacinthe RAVET, « Les Femmes, les arts et la culture », Frontières artistiques, frontières de genre, vol. 19 , n° 1, 2008.

CALVES Gwénaële, « Pour une analyse (vraiment) critique et la discrimination positive », Le Débat, vol. 117, n° 5, 2001.

CORMAN Enzo, Considérations poélitiques, (Conférence), Polemos Unisersité d'été Prima del teatro, San Miniato (Italie), 2 juillet 2005.

COULOMB-GULLY Marlène, « Médias et Genre » (séminaire), Licence 2 et Master 1 Arts du spectacle et communication, Toulouse, Université Toulouse Jean Jaurès, 2012 et 2014.

COULOMB-GULLY Marlène (dir.), Médias: la fabrique du genre, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012.

DONNAT Olivier, « La féminisation des pratiques culturelles », Bulletin du département des études, de la prospective et des statistiques, Ministère Délégation au développement et aux affaires internationales Département des études, de la prospective et des statistiques, n° 147, juin 2015.

DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualités: introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Univ. de France, coll. « Philosophies », n° 194, 2008.

DUMONT Fabienne et Séverine SOFIO, « Esquisse d'une épistémologie de la théorisation féministe en art », Cahiers du Genre, vol. 43, n° 2, 2007.

ELHOUTI-Cabanne Stéphanie, «L'art au féminin : statut et création des femmes peintres de la Renaissance aux Lumières » (séminaire), Journée d'étude : Femmes, Féminisme et arts, Paris, Universités de Cergy-Pontoise et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 12 décembre 2014.

FEDERICI Silvia, Caliban et la sorcière, Femmes, corps et accumulation primitive, = Caliban and the Witch. Women, the body and primitive accumulation, Genève-Paris/ Marseille, Entremonde/ Senonevero, 2014.

FIDECARO Agnese et Stéphanie LACAHT (dir.), Profession: créatrice: la place des femmes dans le champ artistique: actes du colloque de l'Université de Genève, 18 et 19 juin 2004, Lausanne, Antipodes, 2007.

FRAISSE Geneviève & Marlène COULOMB, Rencontre autour de l'ouvrage FRAISSE Geneviève, Les excès du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014, Librairie Ombres Blanches, 10 avril 2015.

FRAISSE Geneviève, « Muse, ou génie ? », in GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création, interprétation, les musiciennes dans la société contemporaine, Paris, Harmattan, coll. « Univers musical », 2005.

FRAISSE Geneviève, Les Excès du genre: concept, image, nudité, Paris, Lignes, 2014.

GALLIOZ Stéphanie, « La féminisation des entreprises du bâtiment : jeu paradoxal des stéréotypes de sexe » in GUILLAUME Cécile, Les femmes changent-elles le travail?, PUF., Paris, coll. « Sociologies pratiques », n°14, 2007.

GONTHIER-MAURIN Brigitte, Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le thème « La place des femmes dans l'art et la culture», Sénat.

227

GOUYON Marie et Frédérique PATUREAU, Les métiers artistiques : des conditions d'emploi spécifiques, des disparités de revenus marquées [en ligne], Insee, 2013 [ http://www.insee.fr/fr/ffc/ docs_ffc/FPORSOC13j_D4_artistiques.pdf], consulté le 10 mai 2015.

GREEN Anne-Marie et Hyacinthe RAVET (dir.), L'accès des femmes à l'expression musicale: Apprentissage, création, interprétation, les musiciennes dans la société contemporaine, Paris, Harmattan, coll. « Univers musical », 2005.

GRESY Brigitte, La vie en rose pour en découdre avec les stéréotypes, Paris, Albin Michel, 2014. GRISEL Erick, « Les hommes mènent la danse », Vanity Fair France, n°18, décembre 2014.

GUEGOT Françoise, L'Egalité professionnelle hommes/femmes dans la fonction publique, rapport au président de la République [en ligne], Assemblée Nationale, janvier 2011, [ http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/egalite_homme_femme_fonction_ publique_guegot.pdf], consulté le 20 mai 2015.

HAMIDI-KIM Bérénice, Les cités du « théâtre politique » en France, 1989 - 2007 Archéologie et avatars

d'une notion idéologique, esthétique et institutionnelle plurielle, Thèse de doctorat de Lettres et

Arts, (sous dir.) HAMON-SIREJOLS Christine, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2007. HUSTON Nancy, Journal de la création, Arles, Actes sud, 2001.

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230

TABLES DES MATIERES

REMERCIEMENTS 2

SOMMAIRE 3

GLOSSAIRE 5

INTRODUCTION 8

I. Genre et arts de la scène, la scène comme média 9

i. Genre et genres 9

ii. La scène comme média 10

Note sur la langue comme média 12

II. UZESTE MUSICAL, UN TERRAIN POLITIQUE, RURAL ET ARTISTIQUE 12

i. Héritier es d'un lieu et d'une histoire 13

ii. Le laboratoire et le foyer rural 14

iii. La subjectivité du de la cheurcheur se 15

III. PROBLEMATIQUE ET OUTILS METHODOLOGIQUES 18

1. PLAFONDS ET MURS DE VERRE : MICRO ET MACRO SOCIETES EN DIALOGUE 21

1.1. SEGREGATION VERTICALE, UN SECTEUR AU MASCULIN 23

1.1.1. Illégitimes à l'ambition 25

1.1.2. L'entrée dans les écoles supérieures et l'insertion professionnelle 26

1.1.3. Vivre de son art, rester professionnelle 27

1.1.4. Le plafond de verre : le difficile accès aux postes à responsabilités 28

1.1.5. La visibilité, hiérarchie des représentations 30

1.2. CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ET MYTHIQUES DU GENRE EN ART 32

1.2.1. L'absence des femmes dans l'histoire de l'art 33

1.2.1.1. L'exclusion des institutions et réseaux 33

1.2.1.2. Une participation aux arts mineurs 36

1.2.1.3. Réappropriation masculine 36

1.2.1.4. L'oubli 38

1.2.2. Mythologie contemporaine ; L'Artiste 39

1.2.2.1. Le Génie et la Muse, le Créateur et la créature 39

1.2.2.2. Le Génie détaché de la muse 40

1.3. SEGREGATION HORIZONTALE 43

1.3.1. Technique & organisation 44

1.3.2. Les arts de la scène marqués par le genre 46

1.3.2.1. Danse 47

1.3.2.2. Théâtre 50

1.3.2.3. Musique 52

231

1.4. FOCUS SUR LE JAZZ 54

1.4.1. La Chanteuse, « échelon inférieur de la valeur musicale » 55

1.4.2. Le « groupe de potes » aux bagarres permanentes 57

1.4.3. Le couple 59

2. LE GENIE, LA CHANTEUSE ET L'OPTIMISTE : PORTRAITS 62

2.1. BERNARD LUBAT - L'IDENTITE DU LIEU 62

2.1.1. La genèse, le récit épique d'une histoire vraie 63

2.1.2. Le génie : du prodige au mentor 67

2.1.3. L' « auto-légitimité » de Bernard Lubat 69

2.2. JULIETTE KAPLA - L'ENTRE-DEUX 72

2.2.1. « Dehors/dedans », artiste associée et indépendante 72

2.2.1.1. Une place particulière à Uzeste 72

2.2.1.2. Rester indépendante, une question de survie 73

2.2.1.3. « Sexuellement rattachée à Uzeste » 74

2.2.2. Un vécu de chanteuse 76

2.2.2.1. L'incompétence préjugée 77

2.2.2.2. La bagarre et le groupe de potes 79

2.2.3. Un engagement féministe, se détacher de « l'artiste féminine » 80

2.2.3.1. Un militantisme de la sphère privée 80

2.2.3.2. « Je ne suis pas une artiste féminine ou féministe » 81

2.3. FABRICE VIEIRA - L'OPTIMISTE 85

2.3.1. Vocation de militant multiforme 85

2.3.1.1. L'expression de la vocation 85

2.3.1.2. Militant du travail multiforme 86

2.3.2. Conscient et optimiste 88

2.3.3. Vers une politique féministe 90

2.3.3.1. Discrimination et discrimination positive 91

2.3.3.1.1. Sexisme bienveillant 92

2.3.3.1.2. La question des quotas 94

2.3.4. Faire évoluer le genre en art 95

3. ANTICAPITALISME ET QUEER, CONVERGENCES ENTRE LES LUTTES FEMINISTES ET UZESTE

MUSICAL 99

3.1. ANTICAPITALISME ET FEMINISME, LIER LES TERRAINS DE LUTTE 99

3.1.1. Un capitalisme au coeur de la domination masculine 100

3.1.2. Art en milieu rural : l'Art-chipellisation 101

3.1.3. Des postes transdisciplinaires 103

3.1.4. Une économie politique et esthétique 104

3.2. ESTHETIQUE SUBVERSIVE, LE POÏELITIQUE 105

232

3.2.1. Définir le queer 106

3.2.2. La distanciation 107

3.2.3. L'indéfinissable, l'incernable : la permanence du trouble 109

3.2.4. Permanente révolution 111

CONCLUSION 116

ANNEXES 120

TABLE DES MATIERES DES ANNEXES 120

1. CORPUS 121

1.1. Corpus principal 121
1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 . 121

1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des équipes technique et

organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14 121
1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations

artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et visibilité 122

1.1.2. Entretiens semi-directifs 123

1.1.2.1. Grille initiale des entretiens 124

1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat 125

1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla 143

1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira 167

1.1.3. Carnet de bord 183

1.2. Corpus secondaire 189

1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane Camus, Jaime Chao 189

2. DOCUMENTS ANNEXES 217

2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014 217

2.2. Photographies du Théâtre Amusicien 217

BIBLIOGRAPHIES 219

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE 219

La recherche féministe 219

Genre & Art 221

Média 223

Uzeste Musical & le poïélitique 224

BIBLIOGRAPHIE ALPHABETIQUE 225

TABLES DES MATIERES 230






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo