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Gestion durable des ressources halieutiques dans la retenue d'eau de Maga (Mayo-Danay, extrême-nord Cameroun)


par Eric Toussoumna
Université de Ngaoundéré - Master 2 2015
  

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

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Le choix de ce sujet est fondé sur plusieurs raisons. Le lac artificiel de Maga a été créé pour développer la riziculture irriguée dans la plaine du Mayo-Danay il y a de cela plus de 36 ans. Au fil des années, la pêche s'y est greffée et depuis lors, son rôle n'a jamais cessé de s'accroitre dans les collectivités de Maga et Kaï-kaï.

Cependant, son développement actuel est menacé par plusieurs contraintes relatives à la surexploitation des ressources, à la dégradation de l'écosystème, au caractère destructif des outils de pêche, à l'indélicatesse des engins utilisés, aux problèmes d'hygiène et de salubrité des aires de débarquement et de transformation. Outre ces contraintes, la croissance démographique continue d'un côté, et de l'autre, la dégradation des infrastructures du lac, son ensablement et différentes autres formes de pollutions humaines, hypothèquent la vie des milliers d'habitants dont l'existence est rendue possible grâce à la pêche.

Malheureusement, les recherches visant à accompagner l'exploitation des ressources halieutiques dans ce plan d'eau sont quasiment inexistantes.

Ainsi, toute recherche à l'image de celle-ci, ayant pour but de faire le bilan de cette activité, mérite d'être initiée pour comprendre comment la pêche a influencé le statu quo du géosystème1 halieutique lacustre de Maga.

1. PROBLÉMATIQUE

Dans la région de l'Extrême-Nord-Cameroun, le lac artificiel de Maga, est très connu à travers ses multiples activités au nombre desquelles, la pêche artisanale. Créé en 1979 dans le cadre du projet rizicole SEMRY II, il a une capacité maximale de 625 millions de m3 et s'étend sur une superficie moyenne de 240 km2. Il s'agit d'une pêcherie très poissonneuse en raison de la conjonction des facteurs hydrodynamiques, climatiques et géomorphologiques favorables. En effet, la température des eaux, la durée d'insolation adéquate et les apports terrigènes en provenance des cours d'eau qui l'alimentent, etc., explique sa très forte productivité (2000T/an) dotée d'une grande diversité biologique (plus de 100 espèces).

La faible pente (0,2 %) des parties en amont de la retenue les transforme en yaerés2 durant la saison de pluies. La végétation de bordure est composée de multiples graminées. Le

1Jean-Pierre CORLAY explique que « le géosystème halieutique est une construction socio-économique et socio-spatiale résultant de la rencontre d'un potentiel de ressources biologiques marines exploitables (l'écosystème) et d'une stratégie de valorisation de ce potentiel (le socio-économique) ; l'ensemble de ces composantes abiotiques, biotiques et sociales, en interaction, constitue le système halieutique ».

2 Selon Seignobos(1986), du fulfuldé yaayre, le mot désigne une vaste plaine d'inondation. Le « grand yayré » correspond à la plaine de la rive gauche du Logone, en aval de Pouss. Pendant l'inondation, en

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phytoplancton abondant contribue à l'opacité des eaux. Dans les parties libres, la turbidité donnée par les sédiments du fond brassés par une houle légère limite encore la transparence des eaux de 15 à 25 cm. L'existence de ces milieux très favorables à la reproduction et à la croissance des alevins de certaines espèces (Alestes), protégées dans le lac des prédateurs par la multiplication des herbiers, confère à la retenue un énorme potentiel pour les activités piscicoles (Seignobos et Raugel, 1986).

La pêche y est pratiquée neuf mois sur douze. On estime à 8000, les personnes qui vivent des revenus de cette activité, dont environ 6500, relevant directement de la capture quasiment toutes, de nationalités camerounaises (97 %)3. Grâce à des engins et des embarcations très performants, ces pêcheurs composites, installés dans et autour de la retenue à travers 53 campements/villages, réalisent en moyenne par an, des captures mixtes qui s'élèvent à 2000 tonnes, transcendant alors le rendement maximum durable (RMD) fixé par la FAO depuis 1986 à 1500T/an. À mesure que le temps passe, la population croit et le système s'efforce à produire plus, pour non seulement tenter de satisfaire la demande locale (plus de 200000 personnes), mais aussi pour être plus compétitif à l'extérieur afin de gagner de nouveaux marchés intéressés par l'offre des produits halieutiques.

Malheureusement, ces ressources sont aujourd'hui confrontées à une surpêche4 et à la dégradation des conditions du milieu (restes de filets, produits chimiques, objets divers...). La pression des pêches exercée dans lac a progressivement conduit à la surexploitation des ressources, voire à l'extinction de plusieurs espèces de poissons (MINEPIA, 2015) ainsi qu'à la détérioration des écosystèmes où elles sont capturées. En d'autres termes, les prélèvements sur les ressources ont dépassé les capacités de renouvellement des stocks. Avec cette baisse de production, l'écart séparant l'offre et la demande de poissons s'agrandit ce qui fait que, les communautés de Maga et Kaï-kaï où les produits de la pêche participent majoritairement à l'alimentation quotidienne, en souffrent tellement.

particulier au moment du retrait des eaux, les yayrés appartiennent aux pêcheurs musgum, qui y ont aménagé des réseaux de drains et placé nasses et enceintes de capture. C'est ensuite le domaine, pendant la saison sèche, des éleveurs peuls et arabes Showa. Ils occupent ces vastes pâturages selon des lignes de partage qui varient avec la pression des éleveurs venant du Nigeria, les stress hydriques et, aussi, en fonction de leurs stratégies de gestion des bourgoutières et des vétiveraies. Depuis l'endiguement du Logone et la présence du lac de Maga, les yayrés sont mal alimentés en eau et ils ont perdu de leur potentiel agrostologique.

3 D'après les résultats de l'enquête cadre sur la retenue de Maga en 2011.

4La surpêche désigne la pêche excessive pratiquée par l'homme sur certains poissons ou crustacés. On parle de surpêche lorsque l'augmentation des capacités de capture entraine une diminution du nombre de prises, c'est-à-dire que l'espèce est pêchée plus vite qu'elle ne se reproduit.

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Pourtant en 1981, la Mission d'étude piscicole du barrage de Maga relevait que, le chiffre jugé optimal par la FAO (2 pêcheurs/km2) pour toute retenue d'eau a été doublé sur ce barrage et que, même si en ce qui concerne le lac de Maga spécifiquement, compte tenu de sa richesse en phyto - et zooplancton, à quoi s'ajoute l'existence de nombreux herbiers pérennes, le renouvellement rapide des populations piscicoles est possible, selon le service des pêches, 800 pêcheurs est le chiffre souhaitable pour un (RMD) de 1500 T/an. L'effectif des pêcheurs (1600 à 1650) en 1986 était le double de la normale. Ce constat devait amener les autorités à concevoir une réglementation d'accès au lac plus restrictive (Seignobos et Raugel, op. Cit). Mais dix ans après (1996), le laxisme de la réglementation et les abus des pêcheurs ont fait définitivement plafonner les prises à près de 1800 tonnes/an.

Depuis l'an 2000, la pêche artisanale lacustre connait une crise profonde marquée par une augmentation de l'effort de pêche et une baisse drastique des Captures par Unité d'effort (CPUE). Le lac de Maga qui produisait en 1981, 1500 tonnes de poissons frais grâce à un effort de pêche constitué d'environ 1200 actifs seulement (soit 1250 kg/pêcheur), n'en produit plus qu'à peine 2000, malgré les 61745 pêcheurs qui l'assiègent chaque année (soit 323 kg / pêcheur). Cette situation s'oppose à la croissance rapide de la population qui a été multipliée par 3 à Maga entre 1980 et 2010 avant d'atteindre 180 000 âmes aujourd'hui.

Le MINEPIA et la FAO en 2011 avaient dénombré 2567 pirogues sur la retenue, équipées de près de 50000 engins par 6174 pêcheurs. Si on considère 240 km2 la superficie moyenne de la retenue et une zone de frayère de 200×27000 ? 5400 m2, on se rend compte qu'il y a quasiment plus de 27 pêcheurs, 11 pirogues et 214 engins/filets de pêche de 07 types différents, dans le lac au km2. Comparé à l'effort de pêche optimal (2 pêcheurs/km2), c'est un constat alarmant d'autant plus que, les pêcheurs artisans opérant dans la bande côtière6 où se trouvent les nourriceries et les zones de reproduction, sont difficiles à contrôler.

De plus, la fréquence de pêche est simplifiée par l'installation des pêcheurs dans des campements situés à proximité, voire sur la retenue7 d'une part et d'autre part, la dynamique hydrologique du lac facilite les captures par la baisse du niveau des eaux (1 à 2 m en moyenne) de février à juin et le rétrécissement du plan d'eau d'au moins 60 % (SEMRY, 2015). Ces deux facteurs, corroborés par l'accès libre à la zone de pêche, font que pendant la période de décrue, les pêcheurs assiègent la retenue. Au bout de deux décennies, la taille et le volume des prises ont profondément diminué, conduisant les pêcheurs y compris l'État, à

5Estimation de la commune de Maga en 2015

6 Moins de 200m de la digue c'est une zone de frayère où la pêche est interdite.

7 En 2011, 53 villages/campements des pêcheurs vivants sur la retenue d'eau de Maga furent dénombrés (MINEPIA, 2014). Certains dans le lac, d'autres autour de celui-ci.

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investir pour tenter de produire plus, ce qui augmente la pression de pêche et aggrave le phénomène.

Cette situation doit sa chronicité aux améliorations techniques subies par les embarcations dont l'efficacité et la capacité ont été modifiées. Afin de maximiser les prises, les pirogues ont connu des ajustements qualitatifs (renforcement de la technologie d'équipage) et quantitatifs (agrandissement de la taille des pirogues pour une forte charge massive). La pirogue en bois plus petite (2 à 3 m de long) a tendance à disparaître (05 à 10% de taux de représentativité) tandis que la part de celles en tôles (allant parfois jusqu'à 10 m de long) est de plus en plus croissante et représente environ 82 % (25672) dans les parcs piroguiers.

Certains engins de pêche prohibés en particulier les palangres (16580 soit 33,45%), les éperviers (1042 soit 3%) pour ne citer que ces deux, très prospères sur la retenue, sont réputés destructeurs aussi bien pour les ressources halieutiques que pour l'écosystème. Les filets autorisés à grosses mailles (3 à 4 doigts) ont perdu leur efficacité et les pêcheurs ont dû adapter la grosseur des mailles des engins à la taille minimale des poissons. Les tendances actuelles d'évolution des stocks montrent alors, des signatures médiocres caractérisées par des débarquements pleins de captures juvéniles. Les Lates par exemple, n'ont plus le temps de se développer et n'arrivent guère à maturité.

Tout le système s'enfonce dans une spirale, avec sa cascade de difficultés croissantes dont les effets se font sentir au moins à quatre niveaux. D'abord biologique (l'effondrement des stocks), ensuite économique (la baisse des débarquements d'un côté et de l'autre, la raréfaction de certaines espèces de poissons en particulier les espèces nobles pénalisent le consommateur à travers le renchérissement des prix sur les marchés) puis social (chômage, inégalité devant l'offre des produits halieutiques) et enfin, spatial (l'écart séparant l'offre et la demande de poisson s'élargit de plus en plus, ce qui fait que les populations des villages riverains où, les produits de pêche contribuent pour une large part à la sécurité alimentaire, à l'emploi et à l'économie locale, en souffrent). D'où, une réaction de l'État8.

Mais, à l'heure actuelle, peu d'outils efficaces sont disponibles pour réguler et gérer l'effort des pêches qui, accentué par la croissance démographique, échappe à la méthode synergétique de la cogestion.

8 Allant de la gestion administrative du lac à sa gestion participative à travers la cogestion via l'intervention des organismes privés, tout est mis en marche pour y instaurer une pêche durable. Malheureusement comme par le passé, le secteur de la pêche est toujours un milieu d'insécurité se manifestant par des incompréhensions à plusieurs niveaux (pêcheurs contre pêcheurs, pêcheurs contre personnel du MINEPIA, pêcheurs contre cogestion -comité de vigilance-, pêcheurs contre administration, membre du comité de vigilance contre administration...).

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En revanche, le lac de Maga ne faisant pas l'objet d'une gestion rationnelle de ses stocks ichtyologiques, son avenir reste incertain, surtout qu'il est lié à la riziculture et que la SEMRY connaît depuis 1996 les insolubles problèmes de fonctionnement. Quel avenir réserve-t-on à la pêche au regard d'une telle exploitation ? La présente recherche entend apporter sa contribution à travers successivement une estimation de la pression de pêche actuelle sur la retenue, puis une identification des acteurs concernés et de leurs moyens de production et enfin, les marques de leurs prélèvements sur les ressources et l'écosystème.

2. QUESTIONS DE RECHERCHE 2.1. Question principale

Quel est l'impact de la pêche, animée ces dernières décennies par une démographie galopante, sur les ressources halieutiques dans la retenue d'eau de Maga ?

2.2. Questions spécifiques

? Comment la pêche lacustre de Maga a-t-elle évolué ces dernières décennies ? ? Comment les différents acteurs de cette activité travaillent-ils ?

? Quel est son impact sur les ressources halieutiques et l'écosystème ?

3. CONTEXTE SCIENTIFIQUE

Les inquiétudes sont nombreuses dans les milieux scientifiques qui s'intéressent à la gestion des ressources halieutiques et au développement durable, mais également au sein des pouvoirs publics et des ONG qui sont à même d'apporter une quelconque réponse à ce problème de la dégradation des pêcheries. Il y eut des auteurs, géographes ou non qui se sont penché sur cette question allant du développement de la pêche de capture à la gestion durable des ressources halieutiques en passant par la dynamique des territoires côtiers. Pour chacun de ces aspects, les connaissances sont notoires.

3.1. L'IMPORTANCE DE LA PÊCHE DANS LE MONDE

La contribution de la pêche qu'elle soit artisanale ou moderne dans l'alimentation et l'économie des habitants de la terre est à ce jour connue. Bavoux et al., (1998) constataient que les ressources halieutiques contribuent, incontestablement à nourrir les hommes et fournissent au moins 20 % des protéines animales consommées sur la planète. D'ailleurs, la

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pêche tient une place primordiale dans l'économie et la vie de quelques pays « spécialisés » en Islande par exemple où elle représente les trois quarts des exportations, 17 % du PIB et, avec les industries liées, environ 17 % d'emplois.

Pour la FAQ (2010), elle est une source importante de revenus, de moyens de subsistance et de création d'emplois pour des centaines de millions de personnes de par le monde, et qui progresse à un rythme plus rapide que dans les autres secteurs de l'agriculture.

Chaussade J. (2006), écrivait à cet effet : « la quantité annuelle de produits pêchés par habitant, qui avoisinait les 8,5 kg en 1950, s'éleva jusqu'à 18,8 kg en 1970 et plus encore aujourd'hui ». En 1998, Carré et Bavoux, renchérissaient que même si la production a tendance à stagner depuis le début des années 1990, on pêche plus de 90 millions de tonnes à la fin de la décennie 90 soit 142 millions de tonnes de produits marins.

Dans le même sillage, la FAO révèle que, désormais le commerce mondial des produits de la pêche compte parmi les marchés d'échanges internationaux qui se développent au rythme le plus rapide (FAQ, 2014). Scholz et al. (2005) estiment que, ce secteur représente un volume deux fois supérieur au volume global des échanges commerciaux internationaux de thé, café et cacao. Mais, tous les pays du monde ne s'y intègrent pas de la même façon.

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