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Faculté de Droit & de Sciences Politiques et
Faculté d'Economie et de Gestion Centre d'Etudes des Techniques
Financières et d'Ingénierie -- CETFI Equipe de Recherche en
Matière Pénale Fernand Boulan Groupe Européen de
Recherche sur la Délinquance Financière et la Criminalité
Organisée
Mémoire présenté pour l'obtention du
Master professionnel,
Droit Privé & Sciences Criminelles (Faculté
de Droit)
Comptabilité, Finance, Fiscalité et Patrimoine
(Faculté d'Economie et de Gestion)
Spécialité:
« Lutte contre la criminalité
financière et organisée»
L'entreprise face au phénomène
de
corruption privée de son service
achat
|
Présenté et soutenu par:
Alexis CREN
Octobre 2015
Sous la direction de : Marc SEGONDS et Adrien ROUX
2
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Faculté de Droit & de Sciences Politiques et
Faculté d'Economie et de Gestion Centre d'Etudes des Techniques
Financières et d'Ingénierie -- CETFI Equipe de Recherche en
Matière Pénale Fernand Boulan Groupe Européen de
Recherche sur la Délinquance Financière et la Criminalité
Organisée
Mémoire présenté pour l'obtention du
Master professionnel,
Droit Privé & Sciences Criminelles (Faculté
de Droit)
Comptabilité, Finance, Fiscalité et Patrimoine
(Faculté d'Economie et de Gestion)
Spécialité:
« Lutte contre la criminalité
financière et organisée»
L'entreprise face au phénomène
de
corruption privée de son service achat
|
Présenté et soutenu par:
Alexis CREN
Octobre 2015
Sous la direction de : Marc SECOND et Adrien ROUX
4
AVANT PROPOS
Le Groupe Européen de Recherche sur la
Délinquance Financière et la Criminalité Organisée
(DELFICO) est une entité du Centre d'Etudes des Techniques
Financières et d'Ingénierie (CETFI) de la Faculté
d'Economie et de Gestion qui travaille en collaboration avec le Centre de
recherche en matière pénale Fernand BOULAN de la Faculté
de Droit (Aix--Marseille Université) et l'Institut de Police
Scientifique de l'Ecole de Sciences Criminelles de l'Université de
Lausanne.
Sa mission est de fournir les supports d'analyse et
d'information destinés à lutter contre les organisations
criminelles transnationales, le blanchiment, l'escroquerie financière,
la corruption et, d'une manière plus générale,
l'utilisation détournée de techniques de gestion, juridiques,
économiques ou financières en vue de commettre un crime ou un
délit. Il vise également à définir les outils
permettant une analyse stratégique prospective dans ces domaines, afin
d'identifier et d'élaborer de nouvelles méthodes adaptées
à cette lutte.
5
« L'université n'entend donner aucune
approbation ni improbation aux opinions émises dans cet article, ces
opinions doivent être considérées comme propres à
leur auteur »
6
REMERCIEMENTS
Monsieur Gilles DUTEIL, directeur du Master 2
lutte contre la criminalité financière et organisée : pour
sa confiance et pour m'avoir permis d'intégrer ce Master.
Monsieur Marc SEGONDS, agrégé
des facultés et co--directeur du Master ainsi que Monsieur Adrien Roux
pour leur dévouement, leurs conseils avisés, pour la transmission
de leur rigueur juridique et pour avoir codirigé ce mémoire,
L'ensemble des intervenants et professeurs du Master 2 lutte
contre la délinquance financière et la criminalité
organisée : pour leur implication ainsi que pour la qualité du
travail et de la formation.
Monsieur Jean--Paul Philippe, ancien
directeur de la Brigade Centrale de lutte contre la corruption au sein de la
Direction Centrale de la Police judicaire et actuel Consultant et formateur en
investigations de fraudes, pour m'avoir conseillé et avoir
éclairé mes recherches.
Enfin, Messieurs Pascal Faget et Sylvain
Nogues, conseillers au Service central de prévention contre la
corruption, pour avoir su répondre à mes questions.
Merci.
7
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
1ERE PARTIE - LE RISQUE ELEVE DE CORRUPTION
PRIVEE
INHERENT AUX SERVICES ACHATS 8
CHAPITRE 1ER - LA CORRUPTION PRIVEE, UN PHENOMENE
OMNIPRESENT EN FRANCE 8
SECTION 1RE -L'INFRACTION DE CORRUPTION PRIVEE EN
FRANCE EN 2015 8
SECTION 2NDE - LES ETUDES STATISTIQUES PRIVEES, SEULS OUTILS DE
MESURE DU PHENOMENE DE
CORRUPTION ? 19
CHAPITRE 2 - RAISONS DE L'EXPOSITION PARTICULIERE
DES
SERVICES ACHATS AU RISQUE DE CORRUPTION PRIVEE 32
SECTION 1RE - LE CARACTERE SENSIBLE A LA CORRUPTION
PRIVEE DE CERTAINS COMPORTEMENTS
QUALIFIES DE PRATIQUES D'AFFAIRES 32 SECTION 2NDE - LES
ACHATS, UN SERVICE PARTICULIEREMENT EXPOSEE AU RISQUE DE CORRUPTION
PRIVEE 51
2EME PARTIE: LA CORRUPTION PRIVEE DES SERVICES ACHATS,
UN
PHENOMENE DIFFICILE A MAITRISER 63
CHAPITRE 1 - SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE
ET
DIFFICULTES SOULEVEES 63
SECTION 1 - ETUDE DE SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE DE
SERVICE ACHATS 63
SECTION 2 - DES DIFFICULTES A CONDAMNER PENALEMENT LES FAITS DE
CORRUPTION PRIVEE. 77
CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
PRIVEE
88
SECTION 1RE - LES MOYENS DE LUTTES CONTRE LA CORRUPTION
PRIVEE A LA DISPOSITION DES
ENTREPRISES 88 SECTION 2ND - LES INITIATIVES NECESSAIRES DES
POUVOIRS PUBLICS EN MATIERE DE LUTTE CONTRE
LA CORRUPTION PRIVEE 99
CONCLUSION 105
BIBLIOGRAPHIE 109
ANNEXES 114
8
« La corruption est en force, le talent est rare.
Ainsi, la corruption est l'arme de la médiocrité qui abonde, et
vous en sentirez partout la pointe. »
Honoré de Balzac Le père Goriot (1835)
INTRODUCTION
1. Quid de la corruption. La corruption peut
revêtir différentes définitions. Pour le professeur
André Vitu par exemple, la corruption (publique) désigne «
les agissements par lesquels un tiers obtient ou essaie d'obtenir,
moyennant des offres, des promesses, des dons, des présents ou
des avantages quelconques, d'une personne exerçant une fonction
officielle, qu'elle accomplisse ou retarde ou s'abstienne d'accomplir ou de
retarder un acte de sa fonction ou un acte facilité par elle. La
même expression sert aussi à désigner l'attitude du tiers
qui cède aux sollicitations de la personne chargée d'une fonction
officielle, et qui accepte de lui remettre ce qu'elle réclame pour
accomplir ou s'abstenir d'accomplir l'acte qui entre dans ses fonctions ou
estfacilité par elle. Ce tiers personnage est, en ces divers cas,
appelé corrupteur »1.
2. Une pluralité de définitions.
A cet égard le rapport explicatif de la Convention
pénale sur la corruption souligne le fait que bien que la corruption a
connu une longue histoire et qu'elle est un phénomène de grande
ampleur, il subsiste encore aujourd'hui des difficultés pour la
communauté internationale à trouver une définition
commune. Affirmant même que la corruption ne ferait probablement jamais
l'objet d'un même degré d'acceptation d'un Etat à l'autre.
« La communauté internationale n'a pas réussi à
s'entendre au sujet d'une définition qui puisse recueillir l'assentiment
général »2.
Pour Jean Cartier-Bresson, professeur agrégé de
l'Universités de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, la corruption est
« un phénomène d'échange occulte et d'influence
réciproque entre les sphères politique, administrative et
économique »3. Pour la Commission
européenne, la corruption s'entend de « tout abus de pouvoir ou
irrégularité commis dans un processus de décision en
l'échange d'une incitation ou d'un avantage indu
»4.
1 André VITU (2008 - 2014). JurisClasseur Pénal
des Affaires. Fascicule 10. Corruption d'agents publics nationaux et trafic
d'influence, actif ou passif, commis par des particuliers. N°3.
2 Rapport explicatif de la Convention pénale sur la
corruption. (2000). Conseil de l'Europe.
3 Jean CARTIER-BRESSON. (2008). Économie politique
de la corruption et de la gouvernance. Paris. L'Harmattan. collection
« Éthique économique ». p8
4 Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement
européen. (2014). Rapport anti--corruption de l'UE. Bruxelles.
p2.
2
Le Conseil de l'Europe a lui aussi sa propre
définition. Elle serait « une rétribution illicite ou
tout autre comportement à l'égard des personnes investies de
responsabilité dans le secteur public ou le secteur privé qui
contrevient aux devoirs qu'elles ont en vertu de leur statut d'agent d'Etat,
d'employé du secteur privé, d'agent indépendant ou d'un
autre rapport de cette nature et qui vise à procurer des avantages indus
de quelque nature qu'ils soient, pour eux--mêmes ou pour un tiers
»5.
3. La corruption, un échange occulte.
Il existe des dizaines de définitions officielles et bien
qu'elles soient toutes sensiblement différentes, celles-ci tendent
toutes à définir un même fait, celui d'un échange
entre au moins deux personnes. L'une est investie d'une fonction
particulière et va être rétribuée par l'autre
personne pour agir à ce titre et de manière abusive.
4. La corruption est partout. Au
détour d'une conversation au sujet des difficultés de
stationnement à Paris une connaissance m'expliquait non sans une pointe
de fierté qu'elle avait « trouvé la parade » : Cette
personne avait un accord avec le gardien d'un parking privée d'une
enseigne de supermarché. En l'échange de quelques dizaines
d'euros, le gardien avait accepté de lever la barrière du parking
autant de fois que nécessaire. Cette personne n'avait pas conscience de
la qualification de ce comportement, le caractère anodin de celui-ci ne
l'avait probablement pas amené à se poser la question. Reste que,
qu'importe le montant du préjudice causé ou même son
absence, la corruption peut se manifester de diverses façons. Dans le
cas décrit, il s'agissait de corruption de personne n'exerçant
pas une fonction publique.
5. L'importance de la qualité du corrompu.
La forme de corruption la plus reconnue est probablement la corruption
publique, celle des élus, des personnes investies d'une fonction de
service public ou investies de l'autorité publique. Il ne faut pas
oublier la corruption judiciaire, celle des magistrats, dont le grand public
entend souvent parler en matière de grand banditisme. On le pressent,
lorsqu'il s'agit d'identifier à quelle forme de corruption on a affaire
il est nécessaire d'identifier la qualité du corrompu. Cette
qualité est déterminante du texte d'incrimination qui sera
utilisé pour qualifier les faits de corruption. La forme à
laquelle nous avons décidé de nous intéresser est la
corruption privée.
5 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée,
étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II
Lutte contre la délinquance financière et la criminalité
organisée. p5.
3
Celle dans laquelle l'agent corrompu n'est jamais un membre de
la fonction publique, ou du moins celle d'un agent public qui n'est pas
corrompu à ce titre (On pense dans ce cas à l'exemple d'un maire
qui dirige par ailleurs une entreprise du secteur privé et dont l'acte
attendu est celui de sa fonction de dirigeant et non de celle de maire).
6. L'histoire de l'infraction de corruption
privée6. « À l'origine était
l'impunité. Alors que l'incrimination de la corruption publique semble
bel et bien appartenir à des temps immémoriaux, l'incrimination
de la corruption privée n'apparaît en comparaison que fort
tardivement et en des termes singulièrement étroits ».
Il faut attendre la loi du 19 février 1919 pour que la corruption
privée soit pour la première fois incriminée. Auparavant,
seule la corruption publique l'était, aux articles 117 et 179 du Code
pénal de 1810. Au départ, en 1919, et pour longtemps, la
corruption privée ne visait que les employés des entreprises
privées. Par la suite, en 1945, les dispositions réprimant la
corruption privée ont été complétées afin
d'étendre l'incrimination des actes facilités par la fonction de
l'agent, « mettant un terme à l'impunité de la
para--corruption privée ».
Avec l'entrée en vigueur de la loi n°92-1336 du 16
décembre 1992, la France a fait un bond en arrière important en
dépénalisant la corruption privée, diminuant le maximum de
la peine d'emprisonnement encouru de trois à deux ans et
déplaçant le texte du Code pénal au Code du travail en son
article L. 152-6.
Il faut attendre l'impulsion de l'Union européenne pour
voir la législateur français avancer de nouveau en matière
de lutte contre la corruption privée. La transposition de la
décision cadre n°2003-258 du 22 juillet 2003 a conduit à la
réintégration du texte d'incrimination de la corruption
privée dans le Code pénal français. Cette décision
cadre concrétise la volonté de l'Union européenne qui
avait été formulée dans l'action commune relative à
la corruption dans le secteur privée du 22 décembre 1998, celle
« d'apporter une réponse internationale au favoritisme
susceptible de fausser la concurrence, à la constitution de monopoles et
aux atteintes à la liberté d'entreprendre
»7.
C'est ainsi que, par l'entrée en vigueur de la loi
n°2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice, un
chapitre intitulé « de la corruption des personnes
n'exerçant pas une fonction publique » a pu être
créé. Les textes seront présentés
ultérieurement.
6 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de
droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive
de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17
février. p3. N°2
7 Travaux parlementaires. (2015). Projet de loi relatif
à la corruption. Disponible en ligne:
http://www.senat.fr/rap/l07-051/l07-0512.html
4
Ainsi, parce-que les faits de corruption « portent
atteinte à l'ordre public économique et à la confiance
dans les acteurs du marché » et non plus seulement à une
relation de travail de droit privé, les délits de corruption
active et passive des personnes n'exerçant pas une fonction publique ont
fini par trouver logiquement leur place au sein du Livre IV au titre des
atteintes à la confiance publique (V. E. Blessig, Rapp. sur le
projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire
dans le domaine de la justice: Doc. AN n° 2291, 2005, p.
27)8.
7. Diverses formes de corruption dans le secteur
privé. Parmi les formes que revêt la corruption
privée, la plus médiatisée, outre la corruption
médicale, est peut-être la corruption sportive et ce,
particulièrement en 2015. En effet, la presse a cette année
relayé un certain nombre de scandales qui ont éclaboussé
le monde du sport. Le plus important étant le celui de la
Fédération Internationale de Football Association (FIFA), dont
certains dirigeants auraient été achetés par des Etats
désireux d'être choisis pour organiser la coupe du monde de
football. Le football français a lui aussi été
éclaboussé par la corruption. En effet, le club de football de
Nîmes et ses dirigeants a été condamné le 18 mars
2015 par la commission de discipline de la Ligue Nationale de Football pour
avoir arrangé des rencontres avec d'autres équipes9.
Les agents sportifs eux aussi sont souvent soupçonnés de
corruption. Ces derniers proposeraient parfois à un dirigeant de club
l'achats d'un joueur en l'échange d'une rétro commission ou
d'avantages en nature au profit du dirigeant10. (Rappelons ici que
la corruption sportive fait l'objet d'un traitement particulier, en effet
depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2012158 du 1er
février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les
droits des sportifs, les articles 441-1-1 et suivants du Code pénal
réprime spécialement la corruption active et passive d'
« un acteur d'une manifestation sportive donnant lieu à des
paris sportifs, afin que ce dernier modifie, par un acte ou une abstention, le
déroulement normal et équitable de cette manifestation
»)11.
8 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de
droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive
de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17
février. p3. N°4
9 Décision de la Commission de Discipline de la LFP du
17 mars 2015. Disponible en ligne:
http://www.lfp.fr/corporate/article/les-decisions-du-17-mars-2015.htm
10 Manon MUNIER. (2014). Les dérives liées
aux transferts sportifs. Mémoire. Master II Lutte contre la
délinquance financière et la criminalité organisée.
p43
11 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de
droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive
de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17
février. p11. N°22
8.
5
La corruption dans le domaine des affaires.
C'est probablement dans ce domaine que les formes de corruption
peuvent être les plus variées. Un certain nombre de comportements
d'un salarié du secteur privé (par exemple) qui seraient
contraires à l'intérêt de son entreprise ou au moins
contraires à son règlement intérieur, dans
l'hypothèse où ils seraient effectués en l'échange
d'une rémunération par un tiers, peuvent être constitutifs
de corruption privée. A l'instar de l'espionnage industriel qui est une
pratique pouvant revêtir diverses qualifications, notamment celles de
violation du secret professionnel, d'abus de confiance de vol et de corruption
privée passive. « La révélation d'un savoir-faire
est souvent incitée par la recherche pour l'auteur d'un enrichissement
ou d'un avantage. Il essayera souvent de monnayer la révélation
contre un avantage matériel, un salaire plus intéressant ou un
embauchage »12.
9. Le code des achats, l'équivalent
privé du Code des marchés publics. Lorsqu'une mairie
n'est pas en mesure d'effectuer une tâche, elle délègue
à une entreprise du secteur privé. Lorsqu'une entreprise
privée est dans la même situation, elle délègue
à une autre entreprise privée. C'est l'idée de
sous-traitance. Lorsqu'on est face à une administration publique, c'est
le code des marchés publics qui va trouver à s'appliquer. En
revanche, lorsqu'il s'agit d'une entreprise de droit privé, c'est le
code des achats qui va déterminer quelle procédure de
dévolution du marché il faudra suivre. La corruption dans les
marchés publics est un fait de société mondial, en France
comme à l'étranger. Pour preuve, le législateur a
même décidé de les protéger les marchés
publics la corruption à l'aide d'une infraction obstacle qu'est le
favoritisme. Pourquoi quelque-chose d'illicite se produirait dans le secteur
public et non dans le secteur privé? Cette opération qui consiste
pour l'Etat à déléguer une tâche quelconque à
un tiers trouve son équivalent dans le secteur privé dans le
secteur des achats, qui a l'instar du domaine des marchés publics est
lui aussi un secteur exposé à la corruption. On se souvient de
l'affaire Faurecia qui avait éclaté en 2006. Un
équipementier du groupe PSA avait été accusé
d'avoir versé des pots-de-vin de plusieurs centaines de milliers d'euros
par an aux directeurs achats d'entreprises allemandes du secteur automobile
afin d'obtenir des contrats juteux13.
12 Régis FABRE. (2014). Réservation du
savoir-faire. Jurisclasseur Brevet. LexisNexis. Fasc N°4200 :
N°40
13 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée,
étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II
Lutte contre la délinquance financière et la criminalité
organisée. p50
10.
6
La corruption dans les achats. Bien que la
corruption privée soit appréhendée par le code
pénal, la réalité juridique est parfois
éloignée de la réalité des affaires. La corruption
dans les affaires semble être une pratique ancrée et qui
soulève des difficultés importantes en terme de lutte, de
détection et de répression. La raison d'être des services
achats, leur organisation, les budgets qu'ils ont vocation à
gérer et beaucoup d'autres raisons font que, parmi les formes de
corruption qui affectent les affaires, celle qui touche particulièrement
les services achats des entreprises privées constitue une des plus
systématiques.
11. Un phénomène omniprésent.
A en croire différentes études que nous
présenterons de façon plus détaillée à
l'occasion de cette étude, le phénomène de corruption
privée des services achats des entreprises est loin d'être
anecdotique. Un chiffre frappe tout particulièrement: Un quart des
directeurs achats a été confronté à une tentative
de corruption en 201414. Ce chiffre ressort d'une enquête
basée sur des réponses de personnes sondées, ainsi, on
peut légitimement se demander si les personnes ayant agréé
à une proposition de nature corruptive ont répondu de
façon affirmative à cette question. On peut aussi se demander si,
parmi tous les sondés, tous ont répondu en connaissance de cause
(nous verrons que la définition de la corruption n'est pas si
évidente, notamment concernant les cadeaux d'affaires). Ainsi, ce
chiffre devrait être interprété comme étant un
minimum. Le pourcentage de directeurs achats ayant été
confrontés à une tentative de corruption, devrait être plus
importante.
La corruption ne peut être perçue comme un fait
divers, mais comme un fait grave, porteur d'exclusions et
d'inégalités. A cause de la corruption, les intérêts
de quelques--uns sont favorisés au détriment des autres.
12. Une quasi absence de condamnation. Le
rapport législatif sur le projet de loi relatif à la lutte contre
la corruption du 12 septembre 2015 avance le fait que très peu
d'affaires de corruption sur le fondement des articles 445--1 et 445--2 du Code
pénal sont actuellement en cours. En outre, les données du
ministère de la justice disponibles montrent que le nombre de
condamnations intervenues ces dernières années est
extrêmement faible. Cette quasi absence de condamnation, dix ans
après le renouveau de l'incrimination en droit français laisse
perplexe.
14 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015
13.
7
Problématique. De par sa fonction et
son organisation le service achat d'une entreprise privée constitue un
écosystème favorable à la commission d'actes susceptibles
de revêtir, entre autres qualifications, celle de corruption
privée. Toutefois, certaines caractéristiques inhérentes
aux actes de corruption rendent leur détection et leur répression
difficile, expliquant alors le très faible niveau de condamnation
actuel. Au travers de l'étude de l'infraction et de certains modes
opératoires (du simple cadeau, aux fausses études en passant par
le contrat d'apporteur d'affaires), nous tenterons de mettre en évidence
les faiblesses du modèle répressif, de l'action des pouvoirs
publiques et la nécessité pour les entreprises de mettre en place
des mécanismes de prévention efficaces.
14. Plan du mémoire. Après
avoir démontré en quoi le service achats d'une entreprise
privée est particulièrement exposé au risque de corruption
privée (Partie 1), nous verrons que malgré l'identification du
problème, les difficultés de lutte contre le
phénomène de corruption privée restent nombreuses (Partie
2).
8
1ÈRE PARTIE - Le risque
élevé de corruption
privée inhérent aux services achats
Cette partie constituera le socle nécessaire de cette
étude. Dans un premier temps seront étudiés les contours
juridiques puis économiques de la corruption privée via un
état des lieux du phénomène en France (Chapitre
1er). Dans un second temps nous nous intéresseront plus en
détail aux services achats des entreprises et à ce qui fait d'eux
un écosystème propice à la commission de l'infraction de
corruption privée (Chapitre 2nd).
CHAPITRE 1ER - La corruption privée, un
phénomène omniprésent en France
Dans un premier temps il convient de s'intéresser au
régime juridique actuel de l'infraction qui fait l'objet de ce
mémoire, à savoir la corruption privée telle qu'elle est
appréhendée par justice française (Section 1). Dans un
second temps, la mesure du phénomène de corruption privée
dans les services achats des entreprises françaises sera
effectuée à l'aide des études menées par des
institutions privée (Section 2). Le but étant de démontrer
l'existence d'un fossé entre le nombre de condamnations et la
réalité de la vie des affaires.
SECTION 1re -L'infraction de corruption
privée en France en 2015
Dans un premier temps nous nous intéresserons au
mécanisme de corruption privée en tant qu'infraction en droit
pénal français (I) avant d'étudier les sanctions qui y
sont attachées (II).
I - De la qualification de corruption de personnes
n'exerçant pas une fonction publique
Dans cette partie nous définirons la notion de
corruption privée (A) avant de présenter l'infraction telle
qu'envisagée dans le Code pénal (B).
9
A - Notion de corruption privée
15. La corruption est une infraction ayant vocation à
sanctionner des modes opératoires utilisés « pour
obtenir la conclusion ou le bénéfice de certaines affaires
»15. Pour beaucoup et notamment dans les médias, la
corruption est souvent assimilée à la notion de « pot-de-vin
». Michel Véron considère que l'aspect le plus
inquiétant dans les affaires de corruption réside dans les
arguments de défense des mis en cause. Ces derniers justifient souvent
leurs agissements par le fait que corrompre est finalement un comportement
relativement banal dans la vie des affaires publiques ou privées. La
nécessité de tels comportements étant elle aussi
avancée. Les prévenus invoquant parfois le fait que sans la
corruption leur entreprise aurait périclité, que des emplois
auraient été nécessairement perdus.
16. « Un éclatement des textes
d'incrimination »16. En droit pénal
français, la corruption fait l'objet d'un certain éclatement
quant à sa codification. Les différents textes relatifs à
la corruption sont concentrés dans le livre quatrième du Code
pénal, au sein du titre III relatif aux atteintes à
l'autorité de l'Etat et au sein du titre IV relatif aux atteintes
à la confiance publique. Dans le cadre de ce mémoire, ce sont les
infractions de ce titre IV qui feront l'objet de notre intérêt. Le
chapitre V relatif à « la corruption des personnes
n'exerçant pas une fonction public » leur est
consacré.
17. Une définition de la corruption.
Quelque-soit son type (privée, publique...), la corruption en
droit pénal français peut se définir comme consistant
à « rémunérer une personne pour qu'elle
accomplisse ou n'accomplisse pas un acte qui relève de sa fonction
». Aussi, selon Michel Véron, l'infraction implique une
collusion entre au moins deux parties. Un corrupteur qui offre ou accepte de
récompenser le corrompu, en l'échange de la garantie de
l'accomplissement ou du non accomplissement d'un acte de sa fonction.
18. Distinction entre corruption active et corruption
passive. Traditionnellement, le comportement du corrupteur sera
qualifié de corruption active (« il corrompt » voix active) et
corrélativement, le comportement du corrompu sera qualifié de
corruption passive (« il est corrompu » voix passive). On le voit,
cette terminologie ne fait en rien référence à la personne
qui est ou n'est pas à l'initiative du pacte. Le corrompu ayant un
comportement actif, d'instigateur, ne sera donc pas qualifié de
corrupteur actif. De la même manière que le corrupteur qui se
laisse convaincre de verser un pot-de-vin « de façon passive »
ne
15 Michel VÉRON. (2013), Droit pénal des
affaires, Dalloz, 10ème édition. p73
16 Ibidem. p75
10
sera pas qualifié de corrupteur passif. L'explication
n'est donc que grammaticale et ne repose pas sur un quelconque comportement
proactif ou plutôt attentiste de la part de l'une et l'autre des parties
à un pacte de corruption.
19. Un texte d'incrimination relativement jeune.
Contrairement à la corruption d'une personne dépositaire
de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public
ou investie d'un mandat électif public (articles 432-11 et 433-1 du Code
pénal), d'un magistrat, d'un jurée, d'un expert ou d'un arbitre
(article 434-9 du Code pénal) ou celle des membres d'une profession
médicale ou de santé (article 441-8 du Code pénal), la
corruption dans le secteur privée se limitait jusqu'à
l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 à la corruption
de salarié et n'était codifiée, nous l'avons vu, «
que » dans le Code du travail à l'article L. 152-6.
B - L'incrimination de la corruption privée dans
le Code pénal 1 - Les textes d'incrimination
20. La corruption privée active
incriminée par l'article 445--1 du Code pénal. Cet
article incrimine le « le fait, par quiconque, de proposer, sans
droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une
personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique,
ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat
électif public exerce, dans le cadre d'une activité
professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une
personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque, des offres, des
promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour
elle-même ou pour autrui, pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne
d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte
de son activité ou de sa fonction ou facilité par son
activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales,
contractuelles ou professionnelles.
21. Est puni des mêmes peines le fait, par
quiconque, de céder à une personne visée au premier
alinéa qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou
indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des
avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou
avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte
visé audit alinéa, en violation de ses obligations
légales, contractuelles ou professionnelles ».
22. La corruption privée passive
incriminée par l'article 445--2 du Code pénal. Cet
article incrimine « le fait, par une personne qui, sans être
dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une
mission de service public, ni investie d'un
11
mandat électif public exerce, dans le cadre d'une
activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un
travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque,
de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement
ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou
des avantages quelconques, pour elle--même ou pour autrui, pour accomplir
ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte
de son activité ou de sa fonction ou facilité par son
activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales,
contractuelles ou professionnelles ».
23. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi
précitée17 portant adaptation du droit communautaire
dans le domaine de la justice, la corruption privée se trouve
incriminée par les articles 445-1 à 445-4 du Code pénal.
La corruption de salarié ayant à cette occasion, disparu de nos
codes. Dorénavant le texte d'incrimination de la corruption dite «
privée » est susceptible de s'appliquer à toute personne
« n'exerçant pas une fonction publique ».
2 - Personnes visées par les textes
24. Qualité indifférente de la personne
du corrupteur (corruption active)18. L'article 445-1 du
Code pénal qui incrimine la corruption active est susceptible de
s'appliquer à, pour reprendre le terme de l'article, «
quiconque ». Ce terme utilisé par le législateur
permet de retenir dans les liens de la prévention toute personne
physique ou morale sans qualité particulière requise.
25. Qualité requise de la personne corrompue
(corruption passive)19. L'article 445-2 du Code
pénal qui incrimine la corruption passive est susceptible de s'appliquer
à une personne qui « sans être dépositaire de
l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public,
ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une
activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un
travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque
» se livre à un acte de corruption. La qualité requise
du corrompu est ainsi définie de façon négative: Elle ne
doit pas posséder la qualité d'agent public. Mais aussi de
façon positive: Elle doit exercer une activité dans le secteur
privée. Les deux conditions étant cumulativement exigées.
Dès lors, qu'importe le but recherché par l'activité,
lucratif ou non (les termes de l'article « professionnel ou social
»
17 Loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses
dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la
justice
18 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de
droit pénal des affaires. Fascicule 30. 17 février, p5
19 Ibidem
12
permettent d'envisager non seulement l'appartenance à
une entreprise privée, une association ou un syndicat) et peu importe la
nature de la fonction exercée par le corrompu (les termes de l'article
« direction ou de travail » permettent d'envisager de
poursuivre aussi bien les salariés quelque soit leur place dans la
hiérarchie20, toute fonction de direction (administrateurs,
gérants de sociétés même non salariés et
travailleurs indépendants ou bénévoles), dans toute
entreprise privée quelle qu'en soit sa forme sociale. Ainsi, depuis
l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005, l'exigence d'un lien de
subordination n'existe plus.
3 - Les comportements incriminés par les
textes
26. Un pacte de corruption. Qu'elle soit
publique ou privée, de magistrat ou de médecin, le mode
opératoire de la corruption repose toujours sur la conclusion d'un pacte
reliant le corrupteur et le corrompu. « Le pacte porte sur les moyens
de la corruption acceptés ou offerts par le corrupteur et sur la
contrepartie qui est attendue du corrompu »21. Ainsi, pour
Michel Véron, l'infraction nait à l'occasion de la conclusion de
ce pacte qui conditionne l'accomplissement ou le non accomplissement de l'acte
de la fonction du corrompu au versement de la contrepartie convenue par le
corrupteur. Ainsi il convient de souligner que la mise à
l'exécution effective du pacte est indifférente. L'infraction est
consommée à sa conclusion et non au moment de
l'exécution.
27. Les moyens de la
corruption22. Selon les termes des articles incriminant la
corruption privée, il s'agit pour le corrompu de solliciter ou
d'agréer une proposition ou pour le corrupteur de proposer ou de
céder à la sollicitation d'offres, promesses, dons,
présents ou avantages quelconques. La contrepartie à l'acte de la
fonction attendue peut donc être matérialisée par des
versements de sommes d'argent, par des objets de valeurs et autres cadeaux ou
encore par des offres de prix avantageux (exemple de travaux effectués
gratuitement ou à un prix avantageux au domicile du
corrompu23).
28. L'acte recherché par le corrupteur et
l'exigence d'un dol spécial. D'après l'article 445-1 ou
445-2 du Code pénal, dans un schéma de corruption, la chose
attendue, recherchée par le corrupteur auprès du corrompu est
qu'il accomplisse, qu'il ait accompli, qu'il s'abstienne ou qu'il se soit
abstenu d'accomplir « un acte de
20 Par exemple un salarié responsable des achats (Cass.
crim., 27 mai 1987, n° 86-91.748. - plus récemment CA Paris, 25
mars 1998 : JurisData n° 1998-021008)
21 Michel VÉRON. Op. cit. p76
22 Michel VÉRON. Op. cit. p76
23 Cass. Crim, 26 janvier 2011
13
son activité ou de sa fonction ou facilité
par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations
légales, contractuelles ou professionnelles». A cet
égard, selon Michel Véron, un lien de causalité direct et
certain doit nécessairement être recherché et établi
entre l'acte du corrompu et la contrepartie qui doit être le but du pacte
de corruption et non son simple résultat24, qu'elle soit
postérieure ou antérieure. Michel Véron souligne par
ailleurs le fait que le corrupteur puisse attendre un acte positif aussi bien
qu'une abstention. Il convient aussi de souligner que cet acte peut être
« seulement » facilité par les fonctions.
29. Le moment du pacte de corruption et
l'indifférence de l'antériorité. En premier lieu,
la jurisprudence exigeait la preuve de l'antériorité de la
conclusion du pacte de corruption à l'accomplissement ou au non
accomplissement des actes de la fonction, rendant extrêmement difficile
la preuve de l'infraction. Une double modification législative a permis
de supprimer cette exigence. Le premier assouplissement qui s'est
avéré insuffisant était issu de la loi du 30 juin 2000 sur
la lutte contre la corruption. A cette occasion, l'expression « à
tout moment » en référence à la conclusion du pacte
était ajoutée. Il a fallut attendre la loi du 17 mai 2011 de
simplification et amélioration du droit pour aboutir à une
modification substantielle de l'infraction. Grâce à l'ajout des
expressions « pour avoir accompli » et « pour s'être
abstenu d'accomplir », l'indifférence du moment de conclusion du
pacte était donc acquise. Dorénavant, seule la preuve du lien de
causalité entre l'avantage indu et l'acte de la fonction est requise. Ce
qui constitue un progrès non négligeable en matière de
répression puisque la corruption peut dorénavant, sans doute
possible, résulter d'un avantage indu octroyé en remerciement de
l'accomplissement ou du non accomplissement d'un acte de la
fonction25.
30. L'incrimination de la «
tentative » de corruption au même titre que la
corruption26. La simple proposition de nature corruptrice
suffit à consommer l'infraction. En droit français la tentative
n'existe donc pas, ce qui fait de la corruption une infraction formelle. Ainsi,
en cas de refus du destinataire d'une proposition de corruption, le corrupteur
se rend tout de même coupable de l'infraction. En outre, le fait pour le
corrupteur de revenir sur sa proposition est indifférent puisque la
simple proposition, même non agréée suffit à
consommer le délit.
24 Wilfrid JEANDIDIER. (2005). Droit pénal des
affaires. Dalloz, 6ème édition. p. 40, n° 33
25 Michel VÉRON. Op. cit. p77
26 Marc SEGONDS. Op. cit. p12
14
4 -- Le bénéficiaire de la
corruption
31. L'indifférence du
bénéficiaire de la corruption privée27.
Le fait que le réel bénéficiaire de la corruption
soit un tiers n'exclut pas la qualification de corruption privée. En
effet, les articles font référence à « avantage
quelconque (...) pour elle-- même ou pour autrui ». Avant
même que la formule soit aussi claire à l'égard du
bénéficiaire, la jurisprudence avait fait sienne la solution de
l'indifférence du bénéficiaire et de l'indifférence
de l'enrichissement personnel de l'auteur de l'infraction28. La
chambre criminelle a récemment confirmé cette position dans un
arrêt du 20 mai 2009. En outre, il convient de souligner qu'en droit
pénal, le législateur n'a jamais fait de l'enrichissement
personnel un élément constitutif de quelque infraction que ce
soit.
II - Evolutions des peines encourues du chef de
corruption privée
Ici il convient de s'intéresser d'abord à
l'évolution de la peine principale (A) avant d'étudier
l'intérêt des peines complémentaires (B) prévues par
le Code pénal pour sanctionner la corruption privée.
A - Une aggravation progressive de la peine
principale
32. 2005 et une première aggravation de la
peine principale. La corruption active et la corruption passive sont
punies de la même manière. Concernant les personnes physiques, la
loi du 4 juillet 2005 a constitué un premier progrès important en
matière de répression. La peine principale est passée de
deux (article L152-6 du Code du travail aujourd'hui abrogé) à
cinq ans d'emprisonnement (sans compter l'élargissement du champ de
l'infraction évoqué précédemment). D'autre part,
étant donné des enjeux financiers liés à la
corruption privée pouvant atteindre des montants au moins aussi
élevés qu'en matière de corruption publique, le montant de
l'amende pécuniaire a été lui aussi revu à la
hausse, passant de 30 000 euros (article 152-6 du Code du travail aujourd'hui
abrogé) à 75 000 euros, équivalent des peines
prévues pour le trafic d'influence, l'abus de biens sociaux ou encore
l'escroquerie29. Toutefois, la durée de la peine
27 Agathe LEPAGE, Patrick MAISTRE DU CHAMBON, Renaud SALOMON.
(2013) Manuel de droit pénal des affaires ». LexisNexis,
3ème édition. p169
28 Marc SEGONDS (2008). À propos de la
onzième réécriture des délits de corruption.
Dalloz dossier. p1071, n°10 et (2003) À propos d'une diversion
juridique: l'absence d'enrichissement personnel. Dalloz. chron. 505
29 Pierre ROCAMORA. (2007) La corruption privée, un
risque majeur pour les entreprises, Mémoire. Master II Lutte contre
la délinquance financière et la criminalité
organisée
15
d'emprisonnement sanctionnant la corruption privée
reste deux fois moins élevée que celle prévue pour la
corruption publique (10 ans d'emprisonnement).
33. Une peine toujours limitée. Avant
l'entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 relative
à la fraude fiscale et à la grande délinquance
économique et financière, la sanction de l'infraction de
corruption privée à fait l'objet de certaines critiques. En
effet, en 2005 le législateur n'avait pas souhaité, comme l'a
fait remarquer Wilfrid Jeandidier30, appliquer certains moyens
jugés encore plus dissuasifs. Notamment « la redoutable
technique de l'amende proportionnelle, à taux mobile » qui
aurait permis déjà à l'époque d'augmenter encore un
peu plus le coût lié au risque pénal pour les potentiels
délinquants.
34. 2013 et une deuxième aggravation de la
peine principale Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6
décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande
délinquance économique et financière, la peine principale
applicable au personnes physiques a été plus que
multipliée par cinq, passant de 75 000 euros à 500 000 euros,
pouvant être portée au double du produit tiré de
l'infraction. Ainsi, le défaut noté au paragraphe
précédent est réparé. Il reste donc à
étudier les peines complémentaires pouvant être
prononcées par le juge en cas de condamnation.
B - Les peines complémentaires
35. L'article 445--3 du Code pénal relatif aux
peines complémentaires encourues par les personnes physiques.
Cet article dispose que : « Les personnes physiques coupables
des infractions définies aux articles 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-2-1
encourent également les peines complémentaires suivantes:
1° L'interdiction, suivant les modalités
prévues par l'article 131-26, des droits civiques, civils et de
famille;
2° L'interdiction, suivant les modalités
prévues par l'article 131-27, soit d'exercer une fonction publique ou
d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou
à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été
commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger,
d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre
quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le
compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une
société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent
être prononcées cumulativement »
30 Wilfried JEANDIDIER. (2002). Du délit de
corruption et des défauts qui l'affectent. La Semaine Juridique
Edition Générale. 25 septembre. n°39
16
3° La confiscation, suivant les modalités
prévues par l'article 131-21, de la chose qui a servi ou était
destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le
produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution;
4° L'affichage ou la diffusion de la décision
prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35.
»
Concernant les personnes physique, les peines
complémentaires n'appellent pas de commentaire particulier. En revanche,
le sort réservé aux personnes morales semble plus
intéressant.
36. L'article 445--4 du Code pénal relatif aux
peines complémentaires encourues par les personnes morales. Cet
article dispose que: « Les personnes morales déclarées
responsables pénalement, dans les conditions prévues par
l'article 121-2, des infractions définies aux articles 445-1, 445-1-1,
445-2 et 445-21 encourent, outre l'amende suivant les modalités
prévues par l'article 131-38 :
1° (Abrogé) ;
2° Pour une durée de cinq ans au plus, les
peines mentionnées aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6° et
7° de l'article 131-39.
L'interdiction mentionnée au 2° de l'article
131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de
laquelle l'infraction a été commise;
3° La confiscation, suivant les modalités
prévues par l'article 131-21, de la chose qui a servi ou était
destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le
produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution;
4° L'affichage ou la diffusion de la décision
prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35
».
37. Absence de peine de mort pour les personnes
morales. La principale remarque concernant l'article 445-4 du Code
pénal est qu'il ne prévoit pas la peine de dissolution,
équivalent de la peine de mort pour les personnes morales. (Tout comme
d'ailleurs l'article 433-25 incriminant la corruption publique active).
Toutefois, les peines prévues sont susceptibles d'avoir des effets
redoutables pour les entreprises, tant en terme de réputation que de
ressources.
38. Responsabilité pénale des personnes
morales expressément prévue. Aussi, la loi de 2005
apporte une nouveauté concernant la responsabilité pénale
des personnes morales. Contrairement à l'ancien article L.152-6 du Code
du travail, l'infraction est dorénavant expressément imputable
aux personnes morales dans les conditions prévues par l'article 121-2 du
Code pénal. En outre, l'article 445-4 du Code pénal opère
un renvoi à l'article 131-38 prévoyant que le taux maximum de la
peine d'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple
de
17
celui encourue par les personnes physiques, c'est à
dire 2,5 millions euros d'amende.
39. Autres peines complémentaires. Le
législateur a aussi prévu une série de peines
prononçables à l'encontre de ces personnes morales. Elles
encourent:
- L'interdiction d'exercer directement ou
indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales
dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a
été commise, pour une durée de cinq ans,
- Le placement sous surveillance judiciaire
pour une durée de cinq ans au plus.
- Une peine de fermeture, pour une
durée de cinq ans au plus, des établissements ou de un ou
plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à
commettre les faits incriminés
- Une peine d'interdiction de faire appel
public à l'épargne, ou encore l'interdiction d'émettre des
chèques ou d'utiliser des cartes de paiement
- La confiscation de la chose qui a servi ou
qui était destinée à commettre l'infraction, ou de la
chose qui en est le produit, à l'exception des choses susceptibles de
restitution;
- Une peine d'affichage ou de diffusion de
la décision de condamnation.
40. Une amélioration substantielle du cadre
juridique de la corruption privée. Ainsi, les changements
apportés par la loi du 4 juillet 2005 concernant la corruption
privée vont dans le sens d'une plus grande répression. Le champ
d'application de l'infraction a été considérablement
élargi et, au fil des réformes, le texte s'est
perfectionné. Bien que les textes ne soient pas d'une clarté
exemplaire et aient fait l'objet d'interprétations jurisprudentielles -
au demeurant nécessaires - le cadre juridique de la corruption
privée semble permettre une bonne appréhension du
phénomène. La sévérité des peines ayant elle
aussi augmenté avec le temps et le besoin de dissuasion ressenti par les
pouvoirs publics.
41. Nombre de condamnations en 2014.
Toutefois, malgré ces progrès non négligeables,
lorsque l'on s'intéresse aux chiffres de la délinquance, force
est de constater que le nombre de condamnations pour des faits de corruption
(tout type confondu) reste relativement faible. Par ailleurs, il est
regrettable que parmi toutes les données disponibles aucune
n'opère de distinction entre les condamnations pour corruption
privée et les condamnations pour corruption publique.
42.
18
Un niveau de répression toujours
inférieur à celui de la corruption publique. Encore
aujourd'hui, la sanction de la corruption publique est deux fois plus
élevée que la corruption privée, que ce soit en terme de
durée d'emprisonnement ou de montant de l'amende. Cette
différence de niveau de répression traduit le fait que la
corruption privée reste encore dans l'esprit du législateur un
comportement « moins grave » que la corruption publique. Elle ne
constitue donc pas à ce titre une priorité en terme de
répression. Cet argument peut éventuellement constituer une
première explication au très faible nombre de condamnations pour
des faits de corruption privée. Aussi, l'augmentation du quantum de la
peine est encore bien trop récent (Décembre 2013) pour en mesurer
l'effet dissuasif.
43. Hormis cette explication insuffisante, comment expliquer
ce très faible nombre de condamnations? Est-ce lié au faible
nombre de comportements susceptibles de revêtir la qualification de
corruption privée? L'explication est-elle ailleurs? Nous le verrons, la
corruption privée est omniprésente en France. L'hypothèse
selon laquelle il n'y aurait simplement pas de comportement incriminable est
insuffisante. Nous tenterons donc de rechercher les causes de cette quasi
absence de condamnations.
19
SECTION 2nde - Les études statistiques
privées, seuls outils de mesure du phénomène de
corruption?
44. Mesure du phénomène. Afin
de mesurer le fossé soupçonné entre le nombre de
condamnations effectives en France pour des faits de corruptions privée
et la réalité, il convient désormais de tenter de mesure
l'ampleur du phénomène de corruption dans les entreprises
françaises. Est--ce un épiphénomène ou au
contraire, la corruption privée est--elle un phénomène de
société préoccupant.
45. Utilité des études statistiques.
Pour mesurer le phénomène, le meilleur outil à
notre disposition semble être les études statistiques et autres
enquêtes commandées ou menées par des organismes
professionnels privés. Ces études et les informations qu'elles
apportent ont été d'une importance non négligeable dans le
cadre de cette étude.
I -- Première étude : «Les
Priorités des Services Achats en 2015 ou la manière dont
seront gérés les sous--traitants en 2015 » Etude du
cabinet AgileBuyer et du Groupement Achats d'HEC
46. Les priorités des services achats en 2015.
La première étude que nous citerons est celle du cabinet
de Conseil en Achats AgileBuyer qui s'est associé au Groupement Achats
& Supply Chain d'HEC pour la cinquième année
consécutive afin de rendre compte des principales priorités des
services achats en 2015. Parmi les quelques questions que les auteurs de cette
étude se sont posés, une est particulièrement mise en
avant, tout comme l'année précédente31,
à savoir « les services achats subissent-ils la pression de la
corruption ? »
47. Une étude ciblée sur les services
achats. Un des principaux avantages de cette étude, outre son
caractère récent, est que le cabinet AgileBuyer collabore avec
80% des entreprises du CAC40, sur des problématiques qui nous
intéressent tout particulièrement, celles des achats. A cet
égard nous noterons que l'objet de cette étude n'est pas la
corruption privée mais bien les services achats. Or, cette étude
donne une importance non négligeable à cet aspect qui doit donc
être analysé comme étant, aux yeux des auteurs, une
problématique inhérente aux services achats.
31 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2014). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous-traitants en 2014.
48.
20
Echantillon ou « population » de
l'étude. « Cette étude a été
réalisée à 1er
partir d'un questionnaire administré
électroniquement à un panel ciblé entre le décembre
2014 et le 08 décembre 2014 ». Sur les 542 réponses à
ce questionnaire, seules 482 ont été jugées assimilables
pour l'étude. Les réponses aberrantes ayant été
écartées ». Les questions ont été
posées notamment à des acheteurs, directeurs achats, responsables
achats, coordinateurs acheteur de tous secteurs (Automobile,
aéronautique, énergie, gestion des déchets, santé,
action sociale, agroalimentaire chimie, construction, distribution
générale, équipements électroniques, transport,
logistique, meubles, textiles, banque, assurance,
télécommunication, informatique, communication, médias
etc.)
49. Une définition de la corruption.
Les auteurs de l'étude définissent la corruption dans
les achats comme « le détournement d'un processus de choix afin
d'obtenir des avantages ou des prérogatives particulières pour
l'entreprise que le corrupteur représente »32. La
corruption peut affecter toute personne ayant des prérogatives de
décision ou d'influence.
50. En France, un quart des directeurs achats a
déjà été confronté à une tentative de
corruption de la part d'un sous--traitant. A la question « au
cour de votre carrière un ou des fournisseurs ont--ils
déjà essayé de vous corrompre », sur l'ensemble de la
population interrogée, 16% des individus ont répondu oui. Et
lorsque l'on s'intéresse plus particulièrement aux directeurs
achats, il n'est pas étonnant que ce chiffre passe à 25%, soit un
quart des directeurs d'achats interrogés ayant fait face à une
tentative de corruption.
51. Une exposition à la corruption
corrélée au niveau de responsabilité de l'acheteur.
Les auteurs de cette étude tentent d'expliquer cette plus
grande exposition des directeurs achats par le fait que les sous--traitants
corrupteurs préfèreraient s'adresser directement aux donneurs
d'ordre afin de « maximiser le retour sur investissement de leur
démarche risquée »33. Cependant, les auteurs
soulignent à juste titre que les collaborateurs ayant un niveau de
responsabilité inférieur aux directeurs ne sont pas
épargnés par le risque de corruption. Ces derniers ayant un
niveau de rémunération corrélativement plus faibles seront
parfois plus à même d'accepter de prendre part à un pacte
de corruption. En outre, « les acheteurs opérationnels ont souvent
le rôle d'analyste des offres fournisseurs, ce qui pourrait leur
permettre de privilégier telle ou telle entreprise en toute
32 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015.
33 Ibidem
21
discrétion ou encore de donner un accès partial
à l'information à certains fournisseurs généreux
»34.
52. Les français et la corruption
privée, une affaire de culture. D'autre part, l'étude
menée par AgileBuyer et le Groupement Achats d'HEC s'intéresse
à la nationalité des corrupteurs. A cet égard il est
presque étonnant de relever le fait que, bien que la corruption
n'épargne aucune nationalité, d'après les individus
interrogés, la plupart des tentatives de corruption émanent de
fournisseurs français et européens. En effet, « les
fournisseurs français et européens représentent (...) plus
de la moitié de ces tentatives, suivies de près par les
entreprises asiatiques. Mêmes les entreprises américaines ne sont
pas au--dessus
de tout soupçon »35. Les auteurs
tentent d'expliquer ces différences en fonction de la nationalité
par le fait que la corruption reste avant tout une affaire de culture. Un
fournisseur sera nécessairement plus enclin à tenter de corrompre
un acheteur s'il sait qu'il est susceptible d'entrer dans le jeu de la
corruption. Les français doivent donc manifestement être
considérés comme corruptibles. Ainsi, les auteurs
déplorent le fait que privilégier les entreprises
françaises et donc « le made in France », pour limiter les
risques de corruption sera, contrairement à ce que l'on pourrait
instinctivement penser, une erreur. A ce stade, une comparaison avec les
résultats d'une autre étude peut être faite concernant
« la culture française » et la corruption. En effet,
d'après les plus récents résultats de « L'indice de
perception de la corruption de 2014 » de l'association Transparency
International, la France est seulement classée à la
26ème place sur 175, derrière les Emirats Arabes Unis,
l'Uruguay, le Chili ou encore l'Estonie. On se rappel qu'en 2005, la France
pointait à la 18ème place de ce
classement36.
53. La mauvaise image confirmée du secteur de
l'immobilier. Il semblerait que les secteurs les plus
confrontés à des tentatives de corruption de la part des
sous--traitants sont l'immobilier et l'industrie du bois et papier. Le secteur
de l'immobilier pâtissait déjà d'une mauvaise image en
terme d'intégrité et cette mauvaise image ne risque pas de
disparaître. Plus de la moitié des membres des services achats
aurait déjà été confrontée une tentative de
corruption.
54. Remise en cause d'idées reçues
concernant les secteurs les plus corrompus. Il est étonnant de
noter que concernant les secteurs de l'automobile,
34 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015.
35 Ibidem
36 Association Transparency International. (2005). Corruption
Perceptions Index 2005.
22
du ferroviaire et de l'aéronautique, les chiffres sont
relativement peu élevés37. Les auteurs expliquent cela
par « Les efforts de sensibilisation et de formation des personnels des
grandes entreprises de l'Automobile, de l'Aéronautique et du Ferroviaire
(qui auraient porté) leurs fruits. On se souvient de certains scandales
dans ces secteurs ». Ici, les auteurs font probablement
référence, entre autres, à l'affaire Faurecia dont nous
avons déjà discuté. Aussi, les efforts fournis par les
professionnels des achats dans les grands groupes de construction en
matière de lutte anti-corruption seraient, de la même
manière, l'explication du plus « faible » niveau de corruption
dans ce secteur38.
55. L'intérêt des chartes
anti--corruption. Ainsi, grâce à cette étude, il
est possible de croire en un effet positif des programmes de lutte
anti-corruption mis en place par les entreprises elles-mêmes. Parmi les
moyens à leur disposition pour se prémunir contre la corruption,
on retrouve notamment les « chartes anticorruption ». 74% des
individus interrogés déclarent en avoir signé une au cours
ces dernières années. Ce chiffre correspond à une
augmentation assez négligeable de 2% par rapport à l'année
2014. Pas de révolution majeure donc. Aussi, bien qu'il n'existe pas de
corrélation statistiquement prouvée entre les deux variables, il
est intéressant de noter que le pourcentage de directeurs achats ayant
fait l'objet d'une tentative de corruption est identique au pourcentage
d'individus n'ayant pas signé de charte anti-corruption, soit environ
25%. (La question « avez-vous déjà cédé
à une tentative de corruption n'ayant pas été posé,
soit par pudeur, soit par réalisme quant à la probabilité
que les réponses soient honnêtes).
56. La conformité, une protection efficace
contre le risque pénal. Outre l'effet bénéfique
sur la réduction de la corruption, la mise en place de chartes et autres
formations anti-corruption est un argument permettant de s'assurer une
réduction des amendes infligées en cas de condamnation. Selon les
auteurs, si les chartes ne sont pas un rempart absolu contre la corruption,
elles constituent tout de même un outil au service de l'évolution
des pratiques dans les achats. Pour eux, « La professionnalisation de la
filière Achat n'est concevable qu'à l'aide de l'application de ce
type de chartes, de la mise en oeuvre de processus viables et sûrs et par
des formations régulières de haut niveau »39.
37 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous-traitants en 2015.
38 14% des individus interrogés reconnaissent avoir
déjà fait face à une tentative de corruption.
Ibidem
39 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous-traitants en 2015. p10
23
II - Deuxième étude : La 13ème
étude mondiale sur la Fraude « Overcoming compliance
fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014
menée par EY (Ernst Young)
57. Cette deuxième enquête susceptible
de nous aider à mesurer le phénomène se base sur la
perception des salariés vis-à-vis de la fraude, des pots-de-vin
et de la corruption. Ainsi, bien que cette étude ne
s'intéresse pas seulement au cas de la France, elle nous informe sur
certaines tendances auxquelles la France n'échappe pas. Cette
enquête a été conduite auprès de 2.700 cadres
(directeurs financiers, des responsables de la conformité, des
directeurs juridiques ainsi que des responsables de l'audit interne) dans 59
pays. La situation mondiale concernant la corruption qui ressort de cette
étude est relativement inquiétante et soulève un certain
nombre de questions:
- Les plus hauts responsables pourraient-ils
être plus impliqués dans la lutte contre la corruption?
- Pourquoi sont-ils aussi réticents
à suivre des formations anti-corruption?
- Pourquoi les procédures
anti-corruption ne sont-elles toujours pas des automatismes dans les
entreprises?
- Le « big data » est-il
exploité de façon optimale au regard de la conformité et
des enquêtes anti-fraude?
58. Existence d'un niveau de fraude incompressible.
En outre, les auteurs considèrent qu'il existe un niveau
résiduel et incompressible de comportements inappropriés qui ne
peuvent être éradiqués. Ce qui n'implique pas que les
entreprises doivent accepter ces comportements, au contraire, elles sont
encouragées à tenter de minimiser l'impact des comportements
frauduleux dans les affaires et notamment la corruption.
59. La corruption, une pratique courante dans les
affaires. Dans beaucoup d'Etats, les individus interrogés
dépeignent une vie des affaires comme étant un
écosystème propice à la corruption (sans distinction entre
corruption publique/ corruption privée). Cette étude
révèle que les fraudes traditionnelles, dont la corruption fait
partie (par opposition à des risques plus récents tel que la
cybercriminalité), sont loin d'avoir disparu. En effet, à la
question « lequel de ces comportement trouvez--vous justifié de
recourir afin d'aider votre entreprise à surmonter un retournement de
l'économie ? » 29% des individus interrogés ont
répondu qu'ils seraient prêt à offrir un divertissement,
afin de nouer ou de pérenniser une relation d'affaires, faits
constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient prêts à
offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons, 13% à offrir
une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un « pot-de-vin »
classique. Au total, près
24
de la moitié des sondés a reconnu être
prête à recourir à des moyens assimilables à de la
corruption « en cas de besoin ».
60. « Les oeuvres de
bienfaisance ». Un point particulièrement
intéressant est mis en lumière par cette étude. La
corruption est parfois associée à des dons pour des oeuvres de
charité. En effet, 20% des sondés et près de la
moitié des directeurs généraux (l'équivalent des
chief executive officers ci-après: « CEOs ») se sont vus
demander de contribuer à une oeuvre de charité par un de leur
client. Une telle demande peut largement être assimilée à
une corruption active et les entreprises et leurs acteurs devraient, selon les
auteurs, être méfiantes envers de telles requêtes
émanant d'un client. Il ne peut être exclu qu'une oeuvre de
charité soit utilisée pour « faire écran » entre
l'acheteur et le client afin de dissimuler ce qui doit en réalité
être qualifié de « pot-de-vin ».
Page suivante : Diagrammes
extraits de la 13ème étude
mondiale sur la Fraude menée par EY « Overcoming compliance
fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014.
Figure 9: Cheques and balances
Have you ever been asked to pay a bribe in a business
situation?
Total CEO Head of marketing/sales CFO
CCO
No Yes
92% 7%
21% 8% 7% 4%
79%
89%
92%
94%
25
Have you ever been asked to make a charitable contribution by a
customer or client?
Total
|
|
|
|
20%
|
|
78%
|
CEO
|
|
61%
|
39%
|
Head of marketinglsales
|
|
|
|
31%
|
|
68%
|
CFO
|
|
|
77%
|
22%
|
CCO
|
|
86%
|
11%
|
No Yes
Have you ever been asked to pre- or post-date a contract?
Total CEO
|
81%
71%
|
17%
28%
|
Head of marketing/sales
|
78%
|
20%
|
CFO
|
80%
|
19%
|
CCO
|
80%
|
18%
|
No Yes
Q; Have you ever been asked to do any of the following?
Pay a bribe in a business situation
Make a charitable contribution by a customer or client
Pre- or post-date a contract
61.
26
Confirmation au niveau mondiale de l'exposition plus
grande des dirigeants. L'étude révèle par
ailleurs que même au niveau mondial, plus le niveau de
responsabilité est élevé, plus le risque de corruption est
présent. En effet, à la question « vous êtes-vous
déjà vu offert un pot-de-vin ? », la proportion de
Directeur généraux (CEOs) à avoir répondu «
oui » était trois fois plus élevée que celle des
autres catégories de professionnels interrogés40. Le
plus paradoxal étant que, toujours d'après cette étude,
les CEOs sont moins susceptibles que leurs collaborateurs subalternes de
participer à des formations anti-corruption. Ceci confirme donc les
résultats de l'étude AgileBuyer de 2015 concernant le fait que le
risque de corruption affecte en premier les postes clefs des entreprises.
62. La corruption, une pratique encrée.
Déjà en 2007, Ernst Young (EY) produisait une étude sur le
sujet, cette fois plus centrée sur la France. (Enquête FIDS Ernest
&Young. (2007). Dénoncer les abus liés à la
fraude, aux pots de vin et à la corruption. Multinationales :
perceptions pour la France). A la question, « l'année
dernière avez vous eu à connaître des cas de fraude ou
corruption dans votre entreprise », 25% des salariés affirmaient
avoir des soupçons. Lorsque l'on sait que les salariés d'une
entreprise sont les plus à même de révéler
l'existence d'une fraude, ce sentiment de suspicion ne doit pas être
négligé lorsqu'il s'agit de se faire une idée du niveau de
corruption qui affecte les entreprises françaises.
III - Troisième étude: Edition 2014 de
l'étude mondiale sur la fraude en entreprise « Global
économic crime survey » menée par le département
« Forensic » de PwcFrance.
63. Une étude permettant de synthétiser
les apports des deux premières. Cette étude mondiale sur
la fraude en entreprise a porté sur les réponses de plus de 5000
entreprises dans le monde avec un regard particulier sur la situation de la
France. Après avoir analysé une étude centrée sur
les services achats des entreprises françaises puis une étude ne
se préoccupant pas particulièrement du cas de la France, cette
étude semble permettre de synthétiser nos développements
destinés à mesurer, à faire un état des lieux, de
la corruption privée dans les achats en France.
40 21% des dirigeants et 10% des cadres dirigeants disent
avoir été sollicités dans le passé pour payer des
pots-de-vin » - EY (Ernst Young). (2014). 13ème étude
mondiale sur la Fraude: « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the
commitment to ethical growth », juin.
27
64. Une meilleure détection des fraudes en
entreprise. Le premier apport sur lequel les auteurs de l'étude
PwcFrance est le fait que la fraude dans les entreprises françaises ait
progressé depuis 2009. En 2014, plus de la moitié des compagnies
reconnaissent avoir été victime de fraudes, contre 29% en 2011.
En parallèle, un constat est fait, celui de nets progrès dans le
domaine de la détection. Les deux variables étant
incontestablement corrélées. L'étude se veut donc
optimiste pour les années à venir concernant le recul des
pratiques frauduleuses en entreprise, du fait de leur meilleure
détection.
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat3.png)
Source: Département «
Forensic » de PwcFrance. (2014) Etude
mondiale sur la fraude en entreprise. « Global economic
crime survey ». p5
65. La corruption au sein des services achats, la
fraude la plus crainte pour l'avenir par les entreprises françaises.
La fraude aux achats, ou plutôt la corruption privée des
services achats puisque c'est bien souvent de cette infraction dont il s'agit,
constitue, avec la cybercriminalité, le type de fraude le plus craint
par un peu moins de la moitié des entreprises françaises.
66. Une nouvelle catégorie dans la typologie
des fraudes: « La fraude aux achats ». Analyser ce sondage
produit par PwcFrance a été une réelle satisfaction au
regard de l'intérêt et de l'actualité de l'objet de ce
mémoire, à savoir « L'entreprise face à la corruption
privée de son service achats ». En effet, pour la première
année (2014), les auteurs de cette enquête ont
procédé à une modification de leur typologie de fraudes et
ont décidé d'introduire « une nouvelle catégorie
à la croisée des chemins du détournement d'actifs et de la
corruption, à savoir la fraude aux achats »41.
Auparavant, la grande majorité des fraudes devait
41 PwcFrance, département « Forensic ».
(2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise « Global economic
crime survey ». p11
28
correspondre à une des trois catégories
suivantes: « les détournement d'actifs », « les fraude
comptable » ou « la corruption ». Le détournement
d'actifs étant cette année encore la première fraude
mondiale affectant les entreprises. Toutefois, dès son introduction dans
la typologie des fraudes, la fraude aux achats s'est hissée
immédiatement au deuxième rang en terme de récurrence.
Cette dernière doit donc être considérée comme une
menace non négligeable pour les entreprises. Au niveau de la France,
« seuls » 21% des sondés ont affirmé avoir
été victime de fraude aux achats (contre 29% au niveau mondial).
Ce chiffre n'en fait pas moins l'une des fraudes les plus préoccupantes
en France.
En outre, la très grande majorité des
entreprises devrait se sentir concernée par la fraude aux achats. En
effet, toute acquisition de bien ou fourniture de service expose une
entreprise, d'une manière ou d'une autre, à un tel type de
fraude. L'exposition étant très élevée, et nous le
verrons à l'occasion d'un développement sur le fonctionnement des
services achats, au moment de la sélection du sous-- traitant, c'est
à dire au cours des appels d'offres.
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat4.png)
Source: PwcFrance, département «
Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: «
Global economic crime survey ».p15
67. Une prise en compte tardive du
phénomène? Il convient de faire remarquer que la
récente création de cette catégorie de fraude ne signifie
pas que le risque de fraude au achats soit un risque nouveau mais ceci traduit
plutôt une prise de conscience relativement tardive de l'existence de ce
phénomène qui conduit souvent à des surfacturations
importantes au préjudice des entreprises
29
mais à l'avantage des fournisseurs (ce qui explique
peut-être pourquoi, de leur côté, la lutte contre la
corruption semble plus négligée). Ainsi, les auteurs mettent en
avant leur « expérience de terrain » afin d'affirmer
que les modes opératoires employés par les auteurs de ces fraudes
constitutives de corruption privée sont le plus souvent d'une certaine
complexité et font intervenir plusieurs individus. Dans un
développement ultérieurs nous illustrerons la complexité
de ces modes opératoires à l'aide de cas concrets.
68. Rappel nécessaire des points essentiels
permettant de mesurer le phénomène de corruption privée au
sein des entreprises françaises:
- Le fait qu'une étude dédiée à la
stratégie achats soit menée par un cabinet
spécialisé dans ce domaine et réserve un chapitre entier
à cette problématique est un premier indice de
l'omniprésence de ce phénomène. Une
remarque toutefois peut être faite, le cabinet en question est une
entreprise à but lucratif, il est donc intéressant pour lui de
pointer du doigt le phénomène
- Certains chiffres clefs tirés de différentes
études démontrent la réalité de cette fraude, en
effet, en France, 25% des Directeurs achats ont été
confrontés à une tentative de corruption. Dans le monde
et pour les Directeurs généraux ce chiffre est de 21%. Ces
chiffres confirment par ailleurs que les postes à
responsabilité sont les plus exposés au risque de
corruption privée.
- La corruption en entreprise demeure un
problème mondial et une préoccupation majeure. On
constate à cet égard qu'une importante proportion de
professionnels reconnaît être susceptible d'adopter des
comportements qualifiables de corruption.
- La France est manifestement un Etat sensible
à la corruption. Elle se situe seulement à la
26ème place des pays les moins corrompus d'après
l'indice de perception de la corruption de Transparency
International42. En outre, les fournisseurs français
seraient les plus corrupteurs en Europe et dans le monde.
- Certains secteurs seraient plus exposés que d'autres,
notamment l'immobilier. Toutefois des progrès ont été fait
grâce à la mise en place de procédures internes
anti-corruption et aux chartes dans des secteurs que l'on pourrait croire
sensibles comme l'automobile. La corruption privée n'est donc
pas une fatalité, bien qu'il y ait un nombre résiduel de
fraudes commises contre lesquelles il est difficile de lutter.
42 Association Transparency International. (2014). Corruption
Perceptions Index 2014.
30
- Malgré leur efficacité ainsi
démontrée, les programmes de lutte anti--corruption restent peu
mis en place dans les entreprises. De nets progrès restent
à faire en la matière. La meilleure détection des
fraudes constitue un des progrès ayant déjà
été faits depuis une dizaine d'année. Ceci semble avoir
été rendu possible grâce aux nouvelles technologies et
à l'exploitation du « big data ». C'est donc une
première solution à envisager pour lutter efficacement contre la
corruption privée.
- Pour mieux lutter contre le phénomène, une
autre piste est suggérée par ces études. Les
salariés d'une entreprise étant les plus à même de
révéler la commission d'une fraude, encourager ces
derniers à révéler les comportements peut être un
axe intéressant.
- La corruption dans les achats est une réalité
dont les professionnels semblent avoir conscience. Toutefois la lutte contre ce
phénomène ne semble toujours pas être une priorité.
Cette réalité et cette actualité a poussé à
la création d'une nouvelle catégorie dans la typologie de fraude:
« la fraude aux achats ».
69. Le nombre de condamnations pour corruption
privée active en France. D'après les chiffres
exposés dans le rapport pour 2013 du SCPC43, il est possible
de compter 74 infractions de corruption active ayant donné lieu à
condamnation en 2012. Si l'on soustrait les 31 qui ne concernent que les
personnes dépositaires de l'autorité publique, les 26 qui ne
concernent que les personnes chargées d'une mission de service publique
et les 5 qui ne concernent que les magistrat et les jurés, il est
possible d'affirmer que le nombre d'infractions ayant donné lieu
à condamnation concernant les élus et les personnes qui ne sont
pas dépositaires de l'autorité publiques est de 12, sans
possibilité de distinguer entre ces deux catégories. (En
2010, ce chiffre n'excédait pas 14)44 Pour toutes ces
infractions confondues le montant moyen de l'amende ferme était de
seulement 2217 euros. Ce rapport du SCPC pour 2013 constitue la source la plus
récente.
70. Le nombre de condamnations pour corruption
privée passive en France. Concernant cette donnée il est
néanmoins impossible de donner un chiffre « aussi précis
» que pour la corruption privée active. Toutefois, on remarque que
généralement, il y a toujours un peu plus de condamnations pour
corruption active que pour corruption passive. (74 contre 59 en 2012...)
43 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2013. (2014) juin.
p29
44 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2011. (2012) juin. p2
31
71. Ainsi, grâce à ces diverses
études, un constat s'impose: la corruption privée dans les achats
semble être une réalité pour les entreprises
françaises. La mise en lumière du très faible nombre de
condamnations en France pour des faits de corruption privée et ce
constat conduisent nécessairement à s'interroger sur les causes
de ce fossé mais aussi sur les raisons qui font que le domaine des
achats, plus que tout autre, est exposé à la corruption
privée.
32
Chapitre 2 - Raisons de l'exposition particulière
des services achats au risque de corruption privée
Ce chapitre sera dédié à mettre en
évidence le fait que le secteur des achats est par essence un domaine
plus exposé au risque de corruption privée du fait de certaines
pratiques auxquelles il est particulièrement exposé (Section
1re) mais aussi du fait de son fonctionnement (Section
2nde)
SECTION 1re - Le caractère sensible
à la corruption privée de certains comportements qualifiés
de pratiques d'affaires
Cette section aura pour objet d'étudier
précisément la pratique des ventes avec primes et cadeaux.
Après un bref exposé de thèses sur les notions de «
don » et de « cadeau » (I) nous présenterons le cadre
légal de ces pratiques commerciales (II) avant de soulever les limites
à leur licéité (III)
I -- Propos liminaires: Réflexions
sociologiques et sémantiques sur les notions de don et de
cadeau
Seront présentées tour à tour une
réflexion sociologique sur la notion de don par Marcel Mauss (A) puis
une étude plutôt sémantique sur la notion de cadeau par
Dominique Bourgeon (B)
A -- Etude sociologique pessimiste sur le don par Marcel
Mauss.
72. Le don, une notion agonistique45.
Marcel Mauss, considéré comme le père de
l'anthropologie française, avait réfléchi longuement sur
la question du don. Selon lui, celui-ci est agoniste (en créant un
rapport de force qui oblige celui qui reçoit, et ne peut alors se
libérer que par un « contre-don »). Marcel Mauss analyse le
don en trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et
l'obligation de rendre. Pour lui, la logique agonistique tend pour le donateur
à rompre la réciprocité du don en tournant la situation
à son profit, créant un déséquilibre « aux
sources mêmes du pouvoir »46.
45 D'après la définition donnée par le
Larousse, agonistique est un adjectif faisant référence à
la lutte, au conflit. « Se dit d'un comportement agressif». En latin
ecclésiastique agonisticus signifie « qui lutte »
46 Francis DUPUY. (2008). Anthropologie
économique. Armand Colin. p75
73.
33
Le don, un vecteur de dette? L'auteur
explique cette rupture d'équilibre par le fait que le « contre-don
» est nécessairement différé dans le temps. Le don
oblige à terme. En effet, en pratique une invitation à diner ou
un cadeau quelconque ne peut être rendu immédiatement. Le laps de
temps séparant le don de son rendu peut alors être assimilé
à une forme de crédit, supposant alors un accroissement de la
dette causé par un mécanisme semblable à celui de
l'intérêt bancaire. Celui qui reçoit est alors
obligé à un contre-don de plus grande valeur.
74. Le don, une pratique dénuée de
générosité. Ainsi, derrière des pratiques
en apparemment gratuites, libres et généreuses, se cache
nécessairement un intérêt pour le donateur et «
refuser de donner, négliger d'inviter, comme refuser de prendre,
équivaut à déclarer la guerre; c'est refuser l'alliance et
la communion »47
75. Le don, un vecteur de soumission. «
Accepter quelque-chose de quelqu'un, c'est accepter quelque chose de son
essence spirituelle, de son âme »48. En disant cela
Marcel Mauss reconnaît une force intrinsèque à toute chose
donnée. « Dans les choses échangées il y a une vertu
qui force les dons à circuler, à être donnés,
à être rendus ». Raison pour laquelle, pour Marcel Mauss,
donner revient à exercer une emprise sur le donataire qui ne pourra s'en
libérer qu'en rendant l'équivalent de la chose qu'il a
reçu au donateur. L'auteur reconnaît donc une forme de danger
à accepter un cadeau quel qu'il soit.
76. Approfondissement de la théorie de Marcel
Mauss. Dans le même sens, Pierre Bourdieu a lieu aussi
effectué une lecture pessimiste du don à partir de la notion de
temps entre le don et le contre-don et la relation de supériorité
qui s'installe entre le donateur et le donataire: « en effet, pour lui, ce
laps de temps permet au donateur de faire violence au donataire (contraint de
rester débiteur du donateur). Par ailleurs, dans ce système, la
violence est masquée sous une apparence de
générosité sans calcul. Le donataire reste donc dans la
dépendance du donateur49».
47 Marcel MAUSS. (1968). Essai sur le don : Forme et
raison de l'échange dans les sociétés archaïques.
Sociologie et Anthropologie. PUF. Collection Quadrige.
4ème édition. p.20 de la version numérique
48 Marcel MAUSS. (1923 -1924). Essai sur le don.
L'Année Sociologique.
49 Nicolas OLIVIER. (2008). Marcel Mauss, Essai sur le
don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés
archaïques - Lectures. Les comptes rendus.
34
B -- Etude sémantique sur la notion de cadeau par
Dominique Bourgeon
77. De l'intérêt de la sémantique
et de l'étymologie. Dans son article « Le cadeau
empoisonné: séduction et amours clandestines »
publié en 2010 à la Revue du Mauss, Dominique Bourgeon,
sociologue contemporaine, et dans la continuité des travaux de Marcel
Mauss, mène elle aussi une réflexion intéressante sur la
notion de cadeau. L'auteur fait d'ailleurs référence à une
partie des développements de Marcel Mauss au sujet du don, du «
recevoir » et du « rendre ». Elle nous rappelle aussi que la
notion de « cadeau » au sens large a pu revêtir un certain
nombre de significations au travers de son histoire. L'étymologie et la
sémantique pouvant, dans le cadre de cette étude, être
riches d'enseignements.
78. La notion de « cadeau empoisonné
». Un des développements de Dominique Bourgeon porte sur
une signification péjorative du cadeau, le cadeau «
empoisonné », à savoir celui qui aliène en
plaçant le donataire dans une situation de dette.
79. Le cadeau et la notion de dette. A cet
égard elle rappelle que « les mots « dette » et
« culpabilité » portent, en allemand, le même nom (au
pluriel près): « schuld-culpabilité » et «
schulden-dettes ». Rompre avec l'obligation de rendre engendrerait un
sentiment de culpabilité assimilable à un mal « qui ronge
», à un poison à l'action lente »50.
Ainsi, celui qui reçoit un cadeau serait rongé par la
culpabilité et finirait inéluctablement par « renvoyer
l'ascenseur » au donateur.
80. Le cadeau, objet de séduction et de
corruption. Dominique Bourgeon assimile aussi le cadeau à un
« philtre d'amour », sorte de venin, visant à
séduire, à influencer les comportements et les choix. Elle
apporte ainsi un parallèle entre la traduction en latin
ecclésiastique du terme « séduire », signifiant
corrompre, sens de subducere en latin populaire: «
séduire, corrompre, suborner ».
81. Le cadeau, un outil de manipulation social,
créateur de lien. L'objet de l'article de Dominique Bourgeon
est manifestement de mettre en exergue le lien sémantique entre les
notion de séduction, de corruption et de cadeau, dont la finalité
serait de « transgresser l'ordre établi et de s'affranchir,
notamment, des lois du don : au niveau de l'individu en le désinhibant
et en violant sa libre acceptation, au niveau collectif en menaçant le
jeu des alliances », en créant des alliances
50 Dominique BOURGEON. (2010). Le cadeau
empoisonné: séduction et amours clandestines. Revue du MAUSS
2 (n° 36). pp 183--196
35
normalement prohibées et au moins non-naturelles. On
voit ici le rapprochement que l'on peut faire avec la notion de corruption en
matière pénale. Le terme corruption n'est cependant
évoquée par l'auteur qu'en tant que moyen de séduction
amoureuse et non commerciale.
82. Portée des analyses de Marcel Mauss et
Dominique Bourgeon sur la notion de don et de cadeau. En
résumé, ces analyses confirment l'idée selon laquelle un
cadeau est généralement utilisé, consciemment ou non, en
vue de séduire celui qui le reçoit et, peut être de nature
à corrompre son jugement. Ainsi, l'objectif sous-jacent, assumé
ou non, de celui qui « offre » sera souvent d'obtenir quelque-chose
qu'il n'aurait pu obtenir sans cadeau, ou du moins plus difficilement. On
comprend bien pourquoi les cadeaux peuvent être considérés
comme des objets de séduction, ayant pour finalité naturelle
d'altérer le jugement du donataire et ainsi de le forcer à agir
dans l'intérêt du donneur. Bien qu'il ait librement accepté
de le recevoir, il faut reconnaître un pouvoir à la chose
donnée, celui de violer la liberté du donataire au profit de
l'intérêt du donateur.
83. Un lien existant entre les notions de don, de
cadeau et de corruption. On comprend aussi d'autant mieux en quoi la
frontière entre la corruption (cette fois-ci au sens pénal du
terme) et le simple cadeau d'affaires est et restera toujours extrêmement
fine et difficile à tracer. Et pour reprendre le vocabulaire
employé par Marcel Mauss dans son « essai sur le don », on
peut légitimement se demander dans quelle mesure, dans un schéma
de corruption, l'acte de la fonction attendu de la part du corrompu, ne puisse
s'apparenter au « contre-don ».
II -- La pratique du « cadeau d'affaires » et
des ventes avec prime, des pratiques licites mais encadrées.
84. Nécessité de protection de
l'économie. D'une certaine manière, le droit
pénal répond, en complément du droit de la concurrence et
du droit de la consommation à un objectif de protection de
l'économie, des concurrents et des consommateurs. En effet, les
qualités d'un produit ou d'un service sont parfois insuffisantes pour
décider le client à contracter. Corrompre c'est renoncer à
conquérir des marchés par la seule qualité des biens ou
services proposés, c'est un comportement qui entraîne la
diminution de la recherche et du développement et à terme une
perte de compétitivité que même la corruption ne saurait
annihiler. Les acteurs en situation de concurrence doivent donc recourir
à divers stratagèmes plus ou moins ingénieux afin
d'attirer la clientèle. Encore faut-il que les méthodes
employées demeures légales. Parmi ces méthodes
promotionnelles
36
utilisées par les professionnels ont retrouve notamment
la vente avec prime et le cadeau. La lutte contre la corruption peut elle aussi
être considérée comme faisant partie d'un arsenal visant
à protéger l'économie et ses acteurs.
A -- Eléments de définitions : Distinction
entre primes et cadeaux dans les affaires
85. Evolution de la réglementation sur les
primes et cadeaux. L'impératif de protection de
l'économie est l'objet d'une réglementation ayant connu un
certain nombre d'évolutions ces cinquante dernières
années. Dans un premier temps les pouvoirs publiques ont eu une attitude
plutôt restrictive, contribuant à l'existence d'une liste
d'infractions importante à l'encontre des professionnels, concernant un
certain nombre de procédés de vente jugés néfastes.
Toutefois la tendance semble s'être inversée, notamment sous
l'influence du libéralisme de l'Union Européenne. En droit
interne, l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986,
codifiée dans le Code de commerce, aux articles L. 410-1 et suivants
marque probablement ce revirement. Au départ, la loi du 20 mars 1951
n'interdisait que les ventes avec primes, épargnant l'autorisation de la
pratique des cadeaux. Toutefois l'article 40 de la loi n° 73-1193 du 27
décembre 1973 est venu à son tour les interdire. Ainsi,
jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 86-1243 du
1er décembre 1986 les deux pratiques étaient donc interdites et
sanctionnées de la même manière.
86. Un assouplissement de la réglementation
concernant les seuls cadeaux. Cette ordonnance a contribué
à un certain assouplissement du droit. Depuis, le fait de remettre des
cadeaux à la clientèle ne constitue plus, par principe, une
infraction pénale. (Qui pouvait alors s'analyser à
l'époque comme une infraction obstacle à certains modes
opératoires de corruption privée). Quant à la vente avec
prime, considérée comme faussant la concurrence, celle-ci est
demeurée prohibée et sanctionnée par l'article L.121-1 du
Code de la consommation jusqu'à une date récente.
87. La vente avec prime. La vente avec prime
est une « technique d'incitation à l'achat consistant à
attirer le client en lui offrant la perspective d'obtenir, avec un produit ou
un service acquis à titre onéreux, un autre objet ou un autre
service remis gratuitement ou à des conditions avantageuses
»51. La prime est donc un produit ou un service accessoire
additionnel au produit ou service objet principal
51 Lamy, « Droit économique », Partie 3
« Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et
d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou
suppléments proposés ou imposés », Section 1 «
Les primes et cadeaux ». (n°3337) « Critères de
distinction entre primes et cadeaux ».
37
de la relation d'affaires et accordée à
l'entreprise et non à ses représentants. Cette prime est connue
à l'avance et est accordée au client simultanément
à la conclusion du contrat principal, de vente ou de prestation de
service.
88. Le cadeau. Contrairement à la
prime, le cadeau est indépendant de tout contrat principal. « C'est
un produit accordé à toute personne sans obligation de contracter
»52. Il est intéressant de faire ici un parallèle
avec les développements précédents, au sujet de
l'affirmation « sans obligation de contracter ». Il a en effet
été soutenu par les auteurs que nous avons cités que, dans
une certaine mesure, le cadeau oblige d'une manière ou d'une autre celui
qui le reçoit.
89. Distinction principale entre cadeau et vente avec
prime. La distinction essentielle entre la prime et le cadeau a pu
être rappelée par la cour d'appel de Rouen qui a
considéré que, dans l'hypothèse où, avant de
contracter l'acheteur ignore qu'un produit ou service supplémentaire lui
sera fourni gratuitement ou à des conditions avantageuses, il ne pouvait
s'agir d'une prime mais d'un cadeau, d'une libéralité «
puisque la vente ne confère pas obligatoirement un droit à
cet objet» (CA Rouen, 11 mars 1965, Gaz. Pal. 1965, 2, tables, p.
287, nos 24 et s.). A cette époque la pratique du
cadeau était autorisée, contrairement à celle de la vente
avec prime.
90. Cas des cadeaux avant contrat. Une autre
distinction se fait au sujet des cadeaux octroyés en amont de toute
signature de contrat, une pratique répandue dans le monde des affaires
et qui nous intéresse tout particulièrement au regard de
l'infraction de corruption. Ces derniers n'entrent a priori pas dans le champ
de la définition de la prime.
91. Autre cas particulier, la vente avec prime
dissimulée. Une pratique courante consiste pour une entreprise
à présenter des cadeaux en apparence indépendant de toute
signature de contrat qui ne seront en réalité octroyés que
si cette signature intervient. En d'autres termes, l'entreprise fait «
miroiter » un cadeau à son client. A ce sujet, une
réponse ministérielle de 1994 énonce que «
lorsque l'annonce d'un cadeau d'entreprise dissimule une vente avec prime, ce
qui suppose qu'en réalité la remise du cadeau soit
subordonnée à un achat par le consommateur, le professionnel qui
présente une fausse offre gratuite s'expose aux sanctions applicables
à la publicité mensongère prévue et
réprimée par les articles L.
52 Lamy, « Droit économique », Partie 3
« Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et
d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou
suppléments proposés ou imposés », Section 1 «
Les primes et cadeaux ». (n°3337) « Critères de
distinction entre primes et cadeaux ».
38
121-1 et suivants du code de la consommation »
(Rép. min. à QE no 11015, JOAN Q. 26 sept. 1994, p. 4768).
92. Frontière ténue avec la corruption.
Par essence, les primes et les cadeaux sont toujours utilisés
comme des arguments de ventes additionnelles. Ils sont destinés à
s'ajouter à la prestation commerciale principale (produit ou service)
afin de convaincre le client de contracter avec celui qui les propose. Leur
utilisation détournée est non seulement de nature à
fausser la bonne concurrence mais peut aussi, à certaines conditions,
être constitutive de corruption.
B -- Primes et cadeaux, une évolution à deux
vitesses
1 -- Evolution de l'encadrement de la pratique des
ventes avec prime
93. L'influence du droit de l'Union
Européenne. La question de la conformité de la
législation nationale au regard du droit communautaire a fait l'objet
d'une première décision par la Cour de justice en 1982. Cette
dernière avait considéré dans un premier temps «
qu'on ne saurait méconnaître que l'offre de primes en nature
comme moyen de promotion des ventes peut induire en erreur les consommateurs
sur les prix réels des produits et fausser les conditions d'une
concurrence basée sur la compétitivité. Une
législation qui, pour cette raison, restreint ou même interdit de
telles pratiques commerciales, est donc de nature à contribuer à
la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions
commerciales »53, validant ainsi l'interdiction en vigueur
en droit français.
94. Revirement de la position de la Cour de justice
de l'Union. Il faut attendre l'année 2010 avant que cette
décision, bien que contestable à certains égards, face
l'objet d'une remise en question. Une nouvelle décision de la Cour de
justice, cette fois sur le fondement de la directive du 11 mai 2005 sur les
pratiques commerciales déloyales, a condamné l'Autriche du fait
de dispositions de droits internes prévoyant l'interdiction
générale des ventes avec primes. Le droit français
étant sur ce point très semblable au droit Autrichien, cette
décision avait alors été reprise par la Cour de
cassation54. Ceci ayant eu rapidement pour effet de pousser le
législateur national à revoir sa copie.
53 CJCE, 15 déc. 1982, aff. 286/81, Oasthoek,
Rec. CJCE 1982, p. 4575, Activités CJCE 1982, no 30
54
Cass. com., 13 juill. 2010, no 09-15.304,
Bull. civ. IV, no 127, JCP E 2010, 1820 ; Cass. 1re civ., 15 nov. 2010, no
09-11.161, Bull. civ. I, no 232, JCP E 2010, 2016
95.
39
La levée de l'interdiction de principe de la
pratique des ventes avec primes en droit national. Ainsi, c'est sous
l'impulsion de la jurisprudence de l'Union Européenne puis de la Cour de
cassation que la loi no 2011-525 du 17 mai 2011 est venue modifier l'article
L.121-35 du Code de la consommation en précisant que « la vente
avec prime n'est prohibée que dans la mesure où elle revêt
un caractère déloyal au sens de l'article L.120--1 »
96. Des limites persistantes. Le recours
à la vente ou à la prestation de service avec prime n'est
toutefois pas entièrement dérèglementé. En
principe, entre professionnels, la prime doit figurer dans les conditions
générales de ventes et doit figurer sur la facture et en
comptabilité au titre des « rabais, remises, ristournes ». Par
ailleurs des règles particulières de droit de la concurrence
s'appliquent aux entreprises en situation de domination sur un marché.
Aussi, il convient de rappeler que le recours à la vente ou à la
prestation de service avec prime doit être effectué dans le
respect de l'article 445-1 du Code pénal, objet de cette étude.
En effet, « la Cour de cassation, par une décision en date du 26
janvier 2011 a confirmé la décision de la cour d'appel
d'Aix-en-Provence sanctionnant le prévenu, président d'une
fédération, pour avoir obtenu un ordinateur qui constitue «
un avantage patrimonial qui ne saurait être assimilé à
un cadeau d'entreprise qui n'aurait pas manqué d'apparaître sur
une facture idoine afin d'accomplir un acte de sa fonction, s'agissant du choix
d'une entreprise aux fins d'établissement d'un contrat de maintenance
informatique et d'acquisition de matériel informatique concernant
directement l'organisme dont il assurait la présidence »
(Cass. crim, 26 janv. 2011, no 10-82.281) »55
97. Sanctions pénales. Les
infractions à la législation des ventes ou prestations de
services avec prime sont des contraventions de la cinquième classe.
L'amende maximale encourue étant de 1500 euros et de 3000 euros en cas
de récidive56. Toutefois, il est intéressant de noter
que l'amende pourra être prononcée à chaque vente ou
prestation exécutée en contravention avec la législation.
Le montant cumulé pouvant vite devenir conséquent.
55 Lamy, « Droit économique », Partie 3
« Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et
d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou
suppléments proposés ou imposés », Section 1 «
Les primes et cadeaux ». (n°3352) « Limites à la
validité des primes entre professionnels ».
56 Article R. 113-1 et R. 121-13 du Code de la consommation et
131-13, 5° du Code pénal
98.
40
Cumul avec d'autres infractions.
L'interdiction des ventes avec primes supposant qu'elle revête un «
caractère déloyal » au sens de l'article L. 120-1 permet
presque automatiquement de poursuivre tout comportement relatif à une
vente avec prime non conforme sur le fondement des l'articles L. 121-1,
réprimant justement les pratiques commerciales déloyales. Dans ce
cas les peines prévues sont bien plus élevées puisque
l'article L. 121-6 du code de la consommation prévoit une peine
d'emprisonnement de deux ans et une peine d'amende de 300 000 euros, pouvant
être portée à 10% du chiffre d'affaires moyen annuel des
trois dernières années.
99. Dans le cadre de ce mémoire il semble superflu
d'aller plus loin dans l'étude de la réglementation des pratiques
de vente avec primes (nous n'aborderons donc pas les modalités
d'attribution de la prime ni les régimes particuliers). L'essentiel
semble avoir été développé au regard de la
compréhension de la démonstration du caractère sensible
à la corruption privée de certains comportements qualifiés
de pratiques d'affaires. Il convient néanmoins de s'intéresser
désormais plus précisément à la
règlementation de la pratique des cadeaux en matière
commerciale.
2 -- Evolution de l'encadrement de la pratique des
cadeaux dans les affaires
100. Rappel. Comme il a été
dit précédemment, l'article 40 de la loi n° 73-1193 du 27
décembre 1973 prohibait la remise à titre gratuit de tout produit
ou prestation de service gratuit dès lors qu'elle n'était pas
liée à un acte commercial onéreux. Avant l'entrée
en vigueur de tout assouplissement de cette interdiction, la jurisprudence
avait dors et déjà admis certaines pratiques assimilables aux
cadeaux.
101. Abrogation récente de l'interdiction de
la pratique des cadeaux. Cette interdiction est désormais
dépassée et la jurisprudence confirmée depuis l'ordonnance
no 86-1243 du 1er décembre 1986, sans qu'aucune
nouvelle règle pénale d'ordre général ne soit venue
limiter cette dérèglementation. Nous le verrons, il existe
néanmoins certaines exceptions. La dépénalisation a pu
rendre possible, du moins par principe, certaines pratiques commerciales telles
que le transport gratuit de clientèle, les annonces et journaux
d'annonces gratuits et tout autre objet sans aucune limite de valeur
imposée.
102.
41
Cas particulier des cadeaux d'affaires ou cadeaux
d'entreprise. Il est intéressant de noter qu'avant cette
dépénalisation de la pratique commerciale des cadeaux, qui est
intervenue relativement tard, les cadeaux d'entreprise ou cadeaux d'affaires,
avantages gratuits bien connus, notamment en matière de corruption,
étaient eux aussi visés par l'interdiction générale
de 1973, sans exception à leur égard. Malgré cette
interdiction générale, cette pratique visant à
créer, maintenir ou consolider une relation d'affaires entre le
fournisseur et le client n'a jamais cessé d'exister et jouissait d'une
certaine impunité. Aujourd'hui, si cette pratique est
réalisée « dans les règles », sa
légalité de principe n'est de toute façon plus
contestée en droit de la concurrence et de la consommation.
103. Exceptions à la licéité des
cadeaux concernant les professions de santé. Au regard de la
lutte contre la corruption, certaines limites à la licéité
de la pratique des cadeaux et primes doivent cependant être
évoquées et notamment celles concernant le secteur de la
santé.
III - Les exceptions à la licéité
de la pratique des cadeaux, des mesures destinées à lutter contre
la corruption
La pratique des primes et cadeaux fait l'objet d'une
prohibition de principe dans certains domaines (A) mais connait aussi des
limites matérialisées par l'infraction de corruption
privée (B).
A -- Exceptions au principe de licéité de
la pratique des cadeaux commerciaux
1 - Le régime de l'exception et la loi «
anti--cadeaux »
104. Dispositions concernant les pharmaciens.
Un certain nombre de dispositions imposent une interdiction de
principe à la pratique des cadeaux par les pharmaciens. C'est le cas
notamment de l'article R. 4235-22 du code de la santé publique («
relatif à la sollicitation de clientèle par des
procédés contraires à la dignité de la profession
»), de l'article R. 4235-25 du code de la santé publique («
relatif à l'atteinte au libre choix du pharmacien par les malades
»), et de l'article R.5122-4, 14° du code de la santé publique
interdisant aux officines et autres établissements pharmaceutiques de
donner des primes, objets, produits, avantages matériels directs ou
indirects57.
57 Ce régime spécifique est rappelé aux
professionnels concernés et fait l'objet d'un article
pédagogique disponible sur le site de l'ordre des
pharmaciens:
105.
42
Dispositions concernant les professions
médicales. L'article L. 4113-6 du Code de la santé
publique dispose « qu' est interdit le fait, pour les étudiants
se destinant aux professions relevant de la quatrième partie du
présent code et pour les membres des professions médicales
mentionnées au présent livre, ainsi que les associations les
représentants, de recevoir des avantages en nature ou en espèces,
sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte,
procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou
commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires
de sécurité sociale. Est également interdit le fait, pour
ces entreprises, de proposer ou de procurer ces avantages ».
106. Professionnels concernés par
l'interdiction. Cette interdiction de principe concerne notamment les
médecins, les chirurgiens-dentistes, les chirurgiens
orthopédistes, les ophtalmologistes, les sages-femmes, les infirmiers,
masseurs-kinésithérapeutes, orthoptistes ou encore les
orthopédistes.
107. Nature de l'interdiction. Ces personnes
ne peuvent recevoir d'avantages provenant d'une entreprise fabriquant ou
commercialisant des produits pharmaceutiques, des matériels
médico-chirurgicaux dès lors que les produits sont pris en charge
par les régimes obligatoires de sécurité sociale.
Constituent des « avantages interdits » ceux reçus directement
ou indirectement, espèces (commissions, ristournes, remboursements de
frais) ou en nature (notamment cadeaux, invitations, prises en charge de
voyages d'agrément), qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas de rapport avec
des prestations prises en charge par la Sécurité sociale
dès lors que l'entreprise qui consent l'avantage commercialise elle
même des prestations prises en charge par la sécurité
sociale.
108. De rares exceptions. Hormis certaines
exceptions (« avantages de valeur négligeable » et
activités de recherche ou d'évaluation) dont les
régimes ne seront pas détaillés ici, la pratique des
cadeaux et primes est donc prohibée en matière sanitaire. En
résumé, le pharmacien se voit donc empêché de faire
des cadeaux à sa clientèle et le médecin d'en recevoir de
la part d'entreprise gravitant dans le monde de la santé.
http://www.ordre.pharmacien.fr/Nos-missions/Le-role-de-l-Ordre-dans-les-missions-de-sante-publique/Dispositif-anti-cadeaux
43
2 - Le risque de corruption, raison principale de
l'exception frappant le secteur de la santé
109. Justifications de l'exception à la
licéité de la pratique des cadeaux dans le domaine de la
santé. A ce stade de l'étude il convient de s'interroger
sur les causes de l'interdictions faite aux professions médicales. Selon
le Professeur Claude Béraud58 et pour reprendre ses propos,
« Les risques de la corruption sont mieux connus depuis quelques
années en raison de l'éclairage visant les conflits
d'intérêt des professionnels de la santé qui conduisent
à la commercialisation et à la prescription de dispositifs
médicaux ou de médicaments dangereux pour les malades. Des lois
ont été votées pour permettre la transparence des
relations financières entre les industriels et les soignants. Leur
efficacité n'est pas garantie car la plus grande partie des honoraires
que les industriels versent aux soignants ne sera pas connue du public
»59.
110. Manifestation de la corruption en matière
médicale. Aujourd'hui, en matière médicale le
corrupteur est rarement un individu isolé qui, par exemple, corrompt le
membre d'une clinique pour obtenir un passe droit concernant des soins ou un
emploi. En matière sanitaire, la corruption s'exerce de façon
industrielle, directement ou par l'intermédiaire de
sociétés « de lobbying » auprès de certains
acteurs du système de santé. Les médecins ou les
pharmaciens sont donc concernés par cette corruption, la plus souvent
afin qu'ils prescrivent les produits commercialisés par les industries
pharmaceutiques. L'existence de ces risques particuliers de corruptions a
récemment poussé les pouvoirs publics à adopter des lois
visant à les réduire et à les combattre. Notamment
« la loi de 2003 « anti--cadeau », proposée par
Simone Veil et Philippe Douste Blazy, toujours en vigueur mais elle a et
complétée par la loi de Xavier Bertrand du 29 décembre
2011 sur les liens d'intérêts qui lorsqu'ils sont de nature
à faire naître un conflit d`intérêts doivent
être déclarés »60.
111. Une exception justifiée par un
intérêt supérieur. On peut donc
légitimement en déduire que les exceptions en matière
sanitaire à l'autorisation de principe de recourir à la pratique
des cadeaux d'affaire sont motivées principalement par une
volonté des pouvoirs publics de réduire au maximum les
58 Le Professeur Claude Béraud est un
enseignant-médecin agrégé. Ancien chef de clinique
à Bordeaux et ancien vice-président de l'Université de
Bordeaux. Il a participé à plusieurs commissions
ministérielles notamment la Commission nationale des comptes de la
santé. Il est également nommé médecin conseil
national en 1989. Il a aussi occupé le poste de conseiller du
président de la Mutualité française jusqu'en 2003(
http://www.claudeberaud.fr).
59
http://www.claudeberaud.fr/?72-lutter-contre-les-fraudes-et-la-corruption-dans-le-systeme-de-soins
60 Ibidem
44
risques de corruption. L'idée de Marcel Mauss selon
laquelle il existe une forme de danger à accepter un cadeau semble donc
intégrée par les pouvoirs publics. C'est face à ce danger
que ces derniers ont préféré réguler au maximum
leur utilisation dans le domaine de la santé, au détriment de la
liberté. Cette exception s'explique probablement par le fait que la
santé est considérée comme étant d'un
intérêt supérieur à celui de la protection de la
liberté de commerce et d'industrie. Cette forte régulation de la
pratique du cadeau est donc censée matérialiser un obstacle
à toute corruption en matière de santé.
112. Un risque de corruption privée
justifié par la liberté? Cette analyse conforte donc
l'idée développée par les sociologues que nous avons
cités, selon laquelle tout cadeau induit nécessairement un risque
de corruption puisqu'il implique quasiment toujours un « contre-don »
au profit du donateur. Bien que les pouvoirs publics aient conscience de ce
risque, la pratique des cadeaux et notamment des cadeaux d'affaires reste
licite dans une grande majorité des secteurs de l'économie. Ceci
ne doit donc pas être interprété comme une reconnaissance
d'absence de risque de corruption liée à la pratique des cadeaux
et primes mais comme un choix politique, celui de faire primer la
liberté sur la sécurité dans les affaires. Rappelons
à cet égard que c'est sous l'influence de l'Union
Européenne que la pratique fut réintroduite en droit de la
consommation et en droit de la concurrence.
113. Ainsi, on le voit, l'utilisation des primes comme les
cadeaux ne fait plus aujourd'hui l'objet d'interdiction de principe, il n'y a
donc plus d'obstacle à leur utilisation dans les pratiques commerciales.
Reste donc la question du droit pénal et fiscal et des obligations
à respecter pour ne pas risquer de se rendre coupable de l'infraction
réprimée aux articles 445-1 et 445-2 du Code pénal.
B - La pratique actuelle du cadeau d'entreprise et les
risques de corruption
1 - Une pratique influencée par le contexte
économique et culturel
114. Influence de la crise actuelle sur la pratique
des cadeaux d'affaires. Les difficultés économiques
récentes ont entrainé avec elles une volonté palpable de
la part de la part de nos dirigeants de faire entrer plus d'éthique dans
les affaires. Cette volonté s'illustre de façon assez claire et
médiatique s'agissant du respect de l'environnement mais de façon
moins évidente concernant l'éthique des affaires.
45
Toujours est-il que les cadeaux d'affaires, levier de
commercialisation stratégique pour les entreprises, semblent être
dans le viseur des autorités publiques, fiscales et pénales. En
matière fiscale par exemple, ils peuvent dans certaines
hypothèses être considérés comme une
rémunération à part entière, avec les
conséquences en matière d'imposition qui s'en suivent. Ils
peuvent à ce titre constituer une contrainte importante pour
l'entreprise.
115. Des formes variées de cadeaux d'affaires.
Le cadeau peut revêtir diverses formes plus ou moins classiques.
Spiritueux, parfums, séjours en hôtels de luxe, gastronomie,
objets technologiques, cours de cuisine ou d'oenologie, visites culturelles,
coffrets cadeaux, invitation sur un circuit automobile... la liste est longue
et semble n'avoir de limite que l'imagination des donateurs. Les limites
juridiques sont quant à elles plus nettes, quoique parfois difficiles
à définir.
116. Une affaire de culture et une pratique
traditionnelle française. D'après une étude de
2012 menée auprès de 500 entreprises françaises par la
société Omyagué spécialisée dans la
commercialisation de cadeaux d'affaires, le chiffre d'affaires du marché
des cadeaux d'entreprise en 2012 était estimé à 851,45
millions d'euros, en progression de 3% par rapport à l'année
201161. Le cadeau d'affaires semble être une affaire de
culture, en France comme au Brésil ou en Russie cette pratique semble
faire partie des moeurs, contrairement à l'Allemagne ou la Suisse62
et plus généralement aux pays de culture anglo-saxonne, peu
enclins à accepter des cadeaux d'affaires.
117. Réflexion sur la culture anglo--saxonne
du cadeau d'affaires. D'après Eric Morgain, consultant,
ex-associé du cabinet d'audit et de conseil Deloitte63, les
anglo-saxons seraient moins adeptes des cadeaux d'affaires par crainte
notamment des risques d'accusation de corruption ou par respect des chartes
éthiques encadrant ces pratiques, plus répandues dans leurs
entreprises. Selon lui, «Il n'y a pas de cadeau sans contrepartie. Au
mieux, c'est inutile, au pire c'est dangereux. Le terrain de l'entreprise est
celui des compétences. Nous pouvons aussi entretenir de bonnes relations
grâce à notre expertise, notre confiance et des relations humaines
sérieuses. C'est beaucoup plus durable qu'un bon d'achat pour un
week--end.» Par ailleurs, rien n'interdit de renvoyer un cadeau
d'affaires. Dans certaines
61
http://www.actionco.fr/thematique/motiver-1019/seminaires-conventions-10091/Breves/Face-a-la-crise-les-entreprises-recourent-aux-cadeaux-d-affaires-54421.htm
62 Clarisse BURGER (2011), cadeaux d'affaires, la
sempiternelle remise en question. Le Nouvel Economiste. Propos de
Charles-Olivier Dornoy, Directeur commercial et marketing des Grandes Etapes
Françaises. Article disponible en ligne:
http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/cadeaux-daffaires-la-sempiternelle-remise-en-question-9599/
63 Ibidem
46
hypothèses ce sera d'ailleurs préférable.
En effet, rappelons l'idée de M.MAUSS selon laquelle refuser un don
permet de ne pas s'exposer au danger qu'il induit. Le risque n'est toutefois
pas seulement inhérent au cadeau lui-même mais découle
aussi du flou qui entoure la pratique, notamment vis à vis du droit
fiscal et pénal.
118. Evolution des mentalités.
Longtemps, l'incertitude entourant la pratique des cadeaux n'a pas
réellement posé de problème aux entreprises, toutefois,
crise et éthique ont progressivement changé la donne.
L'interrogation des professionnels semble croissante.
2 - Une insécurité juridique
persistante
119. Des règles fiscales imprécises.
En principe l'article 3964 du Code général
des impôts exige que, pour être déductibles du
résultat fiscal, les cadeaux d'entreprises doivent être
effectués dans l'intérêt de l'entreprise65,
qu'ils soient d'un montant « raisonnable » et en cas de
dépassement d'un seuil66, qu'ils fassent l'objet d'une
déclaration supplémentaire sous peine de sanctions. Aussi, les
cadeaux dont la valeur unitaire est inférieure à soixante euros
toutes taxes comprises par personne et par an sont déductibles de la TVA
à condition qu'ils aient été faits dans
l'intérêt de l'entreprise. Toutefois, en pratique, ces
règles sont peu respectées. La principale difficulté
étant que, hormis le seuil, le caractère « raisonnable
» et le fait que le cadeau soit effectué dans
l'intérêt de l'entreprise est soumis, en cas de contrôle,
à l'appréciation de l'administration fiscale. Ces critères
sont une première source d'ambiguïté et d'incertitudes quant
aux cadeaux.
64 Extrait de l'article 39 du Code général des
impôts : « 5. Sont également déductibles les
dépenses suivantes:
e. Les cadeaux de toute nature, à l'exception des
objets de faible valeur conçus spécialement pour la
publicité
f. Les frais de réception, y compris les frais de
restaurant et de spectacles.
Pour l'application de ces dispositions, les personnes les
mieux rémunérées s'entendent, suivant que l'effectif du
personnel excède ou non 200 salariés, des dix ou des cinq
personnes dont les rémunérations directes ou indirectes ont
été les plus importantes au cours de l'exercice.
Les dépenses ci--dessus
énumérées peuvent également être
réintégrées dans les bénéfices imposables
dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas
été apportée qu'elles ont été
engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise.
Lorsqu'elles augmentent dans une proportion supérieure
à celle des bénéfices imposables ou que leur montant
excède celui de ces bénéfices, l'administration peut
demander à l'entreprise de justifier qu'elles sont
nécessitées par sa gestion ».
65 Conseil d'Etat, arrêt du 27 novembre 1959 (req.,
n° 44826 : Rec. CE, p. 634 : Dr. fisc. 1960, n° 10, doctr., concl. M.
Poussière)
Conseil d'Etat, arrêt du 10 décembre 1969 (CE, 7e
et 9e sous-sect., 10 déc. 1969, req., n° 73973 : Dr. fisc. 1970,
n° 50, comm. 1429, concl. G. Schmeltz)
66 Actuellement le seuil s'élève à 3000
euros. L'obligation concerne la déclaration n°2067 (relevé
des frais généraux pour les sociétés) ou le cadre F
de la déclaration n°2031 de la liasse fiscale (pour les entreprises
individuelles).
120.
47
Des règles pénales imprécises.
L'objet des développements sociologiques
précédents a été de démontrer que dans une
certaine mesure, un cadeau implique généralement une contrepartie
attendue du donateur. Ceci étant dit, il reste à étudier
à quelles conditions la pratique des cadeaux d'affaires constitue et ne
constitue pas une hypothèse de corruption privée au sens des
articles 445-1 et 445-2 du Code pénal.
121. Initiative des pouvoirs publics en faveur de
plus de précision. Face au constat de l'imprécision de
la loi quant à la pratique des cadeaux d'entreprises, le
législateur semble prendre conscience de la situation et souhaite y
apporter des remèdes. La loi de financement de la sécurité
sociale pour 2011 a été une première étape de
modernisation en matière fiscale. Une remarque peut être faite
à ce sujet, en effet, mieux encadrer ces pratiques par le droit fiscal
constitue un moyen pour les pouvoirs publics de mieux les prévenir en
donnant aux entreprises le moyen de savoir s'ils se trouvent dans une situation
prévue légalement ou non. Dorénavant, tout cadeau au
delà d'un certain montant offert à un salarié par un tiers
est considéré comme un avantage en nature au sens du droit de la
Sécurité Sociale et doit être soumis comme tel aux
cotisations sociales. En revanche, lorsque le salarié exerce une
activité en lien direct avec la clientèle aucune cotisation n'est
imposée dès lors que la valeur du cadeau n'excède pas 15%
du Smic mensuel. Cette disposition suppose bien entendu que les
déclarations soient effectuées, en revanche, en cas de non
déclaration (frauduleuse) cette disposition constitue une
avancée, dans le sens où un cadeau qui n'aurait pas
été déclaré conformément à cette
règle permettra de démontrer peut-être plus aisément
la mauvaise foi des agents. Pour beaucoup, cette nouvelle réglementation
devrait faire évoluer les pratiques vers plus de transparence. Les
entreprises vont devoir s'adapter en obligeant par exemple les services,
utilisateurs théoriques de la pratique des cadeaux, à collaborer
avec les directions financières afin de revoir leur stratégie de
promotion.
122. Incitation des entreprises à plus de
prudence. Du fait de l'attention plus grande qui est portée
à la pratique des cadeaux d'affaires, à cette volonté de
transparence affichée de la part des pouvoirs publics, les entreprises
sont appelées à plus de vigilance. Notamment vis à vis des
risques d'accusation de corruption. Leur attention doit porter sur la nature du
cadeau, sur la façon dont il est offert, sans oublier le moment
où il est offert. A cet égard, Jacques Nillès, consultant,
Professeur de philosophie et maître de conférence en science de
gestion à l'Université de Savoie (spécialisé en
éthique de l'entreprise) considère lui aussi que « du
cadeau d'affaires à la tentative de pot-de-vin, la frontière est
parfois mince. On
48
peut attendre en retour d'un cadeau d'affaires plus de
souplesse dans la gestion d'un contrat, des négociations moins
serrées sur les prix et c'est là où on frôle la
corruption »67.
123. La proportionnalité, règle
principale en matière de cadeau. Toujours selon Jean-Jacques
Nillès, pour une entreprise, « la première chose
à savoir est qu'il y a cadeau et cadeau. Il convient de distinguer les
cadeaux rituels témoignant d'une forme de remerciement sans influencer
la nature de la relation, d'un cadeau disproportionné qui vise à
créer un sentiment de dette. C'est donc une question d'équilibre
de la relation »68. Dans le même sens, Maître
Titone et Maître Dary du cabinet Fidal69 précisent
qu'il n'existe pas de règle spécifique, que la législation
reste relativement imprécise mais que, outre l'importance du principe de
proportionnalité en matière de cadeaux d'entreprises, la
règle principale est de ne pas donner un cadeau en l'échange d'un
acte précis et précisé de la part du donataire, comme la
signature d'un contrat par exemple.
124. Difficultés d'appréciation de la
licéité d'un cadeau. Nous l'avons vu, le don d'argent en
matière de cadeau d'entreprise est prohibé. Il est cependant
moins aisé d'être aussi radical concernant par exemple une
invitation à diner dans un hôtel luxueux, à un spectacle ou
une représentation sportive. Bien qu'il n'existe aucune interdiction de
principe, ces pratiques peuvent être constitutives de corruption
privée dans certaines hypothèses. C'est notamment le cas de la
situation d'appel d'offre. Il ne faut pas être naïf, au cours d'un
appel d'offre et spécialement lors de la négociation, les cadeaux
doivent être évités au maximum, tant pour le fournisseur
que pour le client. En effet, dans cette hypothèse, il paraîtrait
peu crédible que le donateur comme le donataire n'ait pas une
idée précise de la contrepartie logique d'un cadeau d'affaires.
On pourrait éventuellement penser que dans ce cas précis, une
sorte de présomption de contrepartie précise soit possible. Un
tel comportement peut être constitutif du délit de corruption
sanctionné par l'article 445-1 du Code pénal si l'avantage n'est
pas en lien avec l'activité, que sa valeur est disproportionnée
et qu'il vise à obtenir une contrepartie contraire aux usages et/ou
obligations professionnels. Avant même l'entrée en vigueur de la
loi du 4 juillet 2005, la jurisprudence retenait que des présents en
nature tels que des
67 Catherine QUIGNON (2011). Cadeaux d'affaire, la
législation se durcit. Le nouvel économiste. Disponible en
ligne:
http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/cadeaux-daffaires-la-legislation-se-durcit-10741/
68 Catherine QUIGNON (2011). Le nouvel économiste. Op
cit.
69 Maîtres Matthieu DARY et Thierry TITONE (cabinet
Fidal), spécialisés dans le droit des affaires (Pratiques
tarifaires, réseaux de distribution, réglementation produit,
droit de la consommation, infractions économiques). (2011). Cadeaux
d'affaires: méfiez--vous. Action Co N°314. 1er Mai
49
repas au restaurant70, du matériel hi-fi,
photographique71 ou des voyages72 pouvaient faire office
d'avantage indu.
125. Abus de bien social et abus de confiance.
Aussi, il ne faut pas oublier qu'un dirigeant consentant un tel
avantage peut être poursuivi sur le terrain de l'abus de bien social qui
réprime le fait de faire un usage des biens ou du crédit de sa
société contraire à son intérêt, à des
fins personnelles ou pour favoriser une société dans laquelle il
est intéressé. De la même manière, un salarié
d'une entreprise qui reçoit un cadeau personnel afin de ne pas
défendre au mieux les intérêts de sa société
dans le cadre d'une négociation avec l'entreprise qui lui accorde ce
cadeau peut être poursuivi sur le terrain de l'abus de confiance, une des
infractions connexes au délit de corruption privée sur lesquelles
nous reviendrons ultérieurement.
126. Difficulté liée à une quasi
absence de jurisprudence en la matière. L'état actuel de
la jurisprudence en matière de corruption et cadeaux d'entreprise,
hormis pour le secteur de la santé et concernant les agents du service
public, ne permet pas d'en savoir plus sur les risques de corruption
liés à la pratique des cadeaux d'affaires. Est-ce à dire
qu'on ne peut se trouver dans une situation de corrupteur à corrompu en
présence de tels cadeaux? Evidemment non, l'explication doit
nécessairement se trouver ailleurs. On pourra éventuellement
interpréter ce défaut de jurisprudence comme causé par un
mélange de tolérance française envers certaines pratiques,
par un désintérêt des autorités de poursuite qui
privilégient (probablement pas manque de moyen) les atteintes à
la probité des personnes publiques et surtout par un problème de
preuve, inhérent à l'infraction de corruption et dont nous
examinerons les contours ultérieurement.
127. Un moyen de lutte contre cette
insécurité juridique. La principale difficulté
concernant les cadeaux d'affaires et la corruption reste ce flou juridique. Les
entreprises ont néanmoins des moyens de se prémunir contre les
risques de pratiques abusives de la part de leur membres. La première
chose à faire est de former les personnes concernées sur les
règles de base à respecter concernant un cadeau fait à un
client.
- Il ne doit pas être fait dans l'intention d'obtenir
une contrepartie particulière. - Il doit être en rapport avec
l'activité
- Il doit être d'un coût modéré et
raisonnable
70 CA Paris, 25 mars 1998 : JurisData n° 1998-021008. -
Cass. crim., 27 mai 1999, n° 98-84.471. - Cass. crim., 22 sept. 2004,
n° 03-86.473 : JurisData n° 2004-025297 ; Rev. sociétés
2005, p. 205, note B. Bouloc
71 Cass. crim., 22 juin 1999, n° 98-85.258
72 CA Paris, 25 mars 1998 : JurisData n° 1998-021008
50
Pour ne pas s'exposer à des risques pénaux et
fiscaux les fournisseurs doivent respecter ces quelques règles. A cet
égard nous étudierons ultérieurement
l'intérêt qu'ont les entreprises à intégrer des
règles anti--corruption au sein de leur règlement interne.
128. Outre l'exposition particulière
des acteurs du secteur achats à la pratique des cadeaux, le
fonctionnement, l'organisation et plus simplement la raison d'être des
services achats en font un écosystème spécialement
sensible au risque de corruption.
51
SECTION 2nde - Les achats, un service
particulièrement exposée au risque de corruption
privée
Au regard de l'objectif de démonstration du fait que
les achats sont un secteur sensible à la corruption, nous
présenterons d'abord la raison d'être et l'organisation de ces
services (I) avant de s'intéresser au processus et à la fonction
achats (II)
I - Le service achats, une organisation au service de la
rentabilité de l'entreprise
129. L'évolution des services achats semble être
fonction d'un besoin de rentabilité croissant du fait de l'augmentation
de la concurrence internationale. Cette réduction des coûts
liée à la spécialisation des services a entrainé de
facto un augmentation des risques de fraudes inhérents au service
achats. (En moyenne, un service achats gère un budget
représentant 40 à 80% du chiffre d'affaires de son entreprise).
L'évolution ayant conduit à la mise en place de services achats
dédiés sera évoquée (A) avant d'étudier les
différentes organisations possibles de ces services (B).
A - L'importance croissante de la fonction achats dans
les entreprises
130. Les intérêts stratégiques
d'un service d'achats. L'intérêt premier de la mise en
place d'un service achats est la réduction des coûts. Si une
compagnie a plusieurs filiales ou plusieurs sites, elle va par ce biais pouvoir
globaliser ses achats, augmenter le volume moyen des commandes et ainsi avoir
un plus grand pouvoir de négociation auprès de ses fournisseurs.
C'est grâce au service d'achats que la coordination et la globalisation
vont être rendues possibles. Les relations avec les fournisseurs sont
ainsi professionnalisées et les rapports de force plus
équilibrés, allant même jusqu'à la mise en place de
partenariats. Le service d'achats peut même aller jusqu'à
suggérer d'externaliser certains secteurs d'activité à
faible valeur ajoutée si sa connaissance du marché est bonne. Ce
peut être très utile, dans un contexte où les entreprises
françaises sont confrontées à la concurrence
internationale, la réduction des coûts est devenue une
priorité.
131.
52
L'importance croissante des services achats des
entreprises. Nous sommes passés d'une économie de
production, avec de forts volumes de ventes, à une économie
mondiale. La pression de la concurrence s'est donc fortement accrue ces
quarante dernières années, obligeant les entreprises à se
réorganiser afin de rester rentables. Les prix de vente ne pouvant
augmenter indéfiniment, la tendance des entreprises a été
de se concentrer sur la réduction des achats afin d'améliorer
leurs marges bénéficiaires73. Ce qui explique en
partie pourquoi une des fonctions ayant le plus évolué est celle
d'acheteur. Celle-ci a connu des évolutions majeures.
132. Le service achats, un service
particulièrement exposé aux risques de corruption. En
moyenne, le service achats d'une entreprise européenne voit passer entre
ses mains 40 à 80% du chiffre d'affaires
réalisé74. Le poste achats d'une entreprise est donc
souvent un des plus élevé d'une entreprise, ce qui en fait un
écosystème propice à la corruption.
133. Un développement de la fonction
d'acheteur en plusieurs étapes. Au départ la fonction
d'acheteur s'est d'abord développée dans le secteur industriel
avant d'apparaître dans le secteur tertiaire. Avant de prendre sa forme
actuelle la fonction d'achats s'est d'abord manifestée dans le suivi des
approvisionnements. Cette fonction était généralement
assez limitée, avec peu de responsabilité et donc peu
exposée au risque de corruption. Toutefois la fonction d'approvisionneur
a su évoluer pour de devenir celle que nous connaissons. «
L'acheteur est devenu celui qui recherche les fournisseurs susceptibles de
répondre aux besoins de l'entreprise en termes de qualité, de
coûts et de délais. Il passe les appels d'offres et négocie
les contrats en lieu et place des prescripteurs internes »75
.
134. La professionnalisation des services achats.
Au cours des années 1990 cette fonction s'est
professionnalisée, du fait notamment de l'utilisation croissante
d'internet dans les affaires et donc de nouveaux outils tels que
l'e-procurement ou l'e-sourcing. Durant cette période le métier
d'achats avait une image négative et été apparenté
à un rôle de « cost-killer ». « Au milieu des
années 2000, le métier s'anoblit. Dans un contexte
économique difficile, l'acheteur est celui qui permet à
l'entreprise de conserver ses marges, de nouer des partenariats
stratégiques avec des fournisseurs et de rechercher l'innovation. Enfin,
il est dernièrement celui qui
73 Marge commerciale = Prix de vente HT - Coût d'achat
HT
74 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015.
75 (2011). La fonction achats en entreprise, politique et
stratégie d'achats. Décision Achats - Le guide N°4. 1er
janvier. Disponible en ligne : http://www.decision-achats.fr/
53
contribue à la bonne image de l'entreprise à
travers le développement d'une politique d'achats durables
»76. Interrogé en 2010 au sujet de la fonction
achats, Pierre Pelouzet, président de la Compagnie des dirigeants et
acheteurs de France (CDAF), déclare que, étant donnée la
période économique actuelle les directions achats subissent
toujours la pression des directions générales et
financières concernant la réduction et la maîtrise des
coûts. Selon lui c'est un signe positif, celui de la reconnaissance du
métier d'acheteur. Pour Pierre Pelouzet, « le tout est de ne
pas tomber dans la caricature de la réduction des coûts,
c'est-à-dire le cost killing dont tout le monde connaît
aujourd'hui les limites».
135. Extension de la compétence du service
achats à tous les secteurs de l'entreprise. La tendance de
l'évolution de la fonction achats fait apparaître une prise de
contrôle progressive des différents portefeuilles de l'entreprise,
bien que les secteurs d'achats dits « hors production » (ressources
humaines, marketing, communication.) soient encore actuellement peu
impactés par cette progression. Il reste que, il n'est pas exclu
qu'à terme, malgré des résistances internes, les acheteurs
parviennent à conquérir de nouveaux postes d'achats. Ceci
reviendrait à étendre les risques de corruption inhérents
aux achats, du fait notamment de nouvelles délégations aux
services achats de la part des prescripteurs internes.
136. Une image négative de la part des
pouvoirs publics. Au départ l'image du métier d'acheteur
était relativement négative dans l'esprit des dirigeants et des
pouvoirs publics. Mais la reconnaissance croissante du métier d'acheteur
dans les entreprises explique que les pouvoirs publics s'y soient
intéressés. Afin de tenter de réhabiliter l'image de
l'acheteur, une charte de bonne conduite77 a été
rédigée sous l'impulsion du CDAF78 et a
été signée par Christine Lagarde Le 11 février
2010, alors ministre de l'économie79. Outre les pratiques
relatives à la corruption80, les acheteurs pâtissent
d'une mauvaise image due à l'attitude parfois irresponsable de certaines
entreprises en matière de gestion des rapports humains. Souvent, le
comportement négatif d'un petit nombre est de nature à impacter
l'image de l'ensemble. Les acheteurs ne sont pas épargnés et le
but de cette étude n'est bien entendu pas de rédiger une diatribe
à leur encontre mais bien de faire état de l'existence de risques
de corruption inhérents à leur fonctionnement.
76 Ibidem
77
http://www.relations--fournisseur--responsables.fr/
78 Abréviation pour Compagnie des dirigeants et acheteurs
de France
79
http://www.cdaf.fr/referentiel--des--achats/charte--label
80 25% des Directeurs Achats avouent avoir déjà
fait l'objet d'une tentative de corruption -- AgileBuyer - Groupement Achats
HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la
manière dont seront gérés les sous-traitants en
2015
54
B -- Les organisations achats dans les entreprises
137. Les organisations achats centralisées.
Une organisation centralisée implique l'existence d'une seule
direction des achats. Celle-ci pouvant dépendre de la direction
générale de l'entreprise, avec dans ce cas une fonction
stratégique des achats ou pouvant dépendre de la direction
financière avec dans ce cas un rôle plutôt dit de «
cost killer ». Au fur et à mesure de la professionnalisation des
achats, les acheteurs aspirent bien évidemment à davantage
d'indépendance. Le rattachement à la direction
générale est souvent le signe d'une certaine maturité de
la fonction tandis que le fait d'être sous la responsabilité de la
direction financière peut laisser penser que la stratégie achats
de l'entreprise porte avant tout sur les réductions de coûts et
moins sur la recherche de l'innovation ou de la qualité des produits ou
des prestations de service. Dans l'hypothèse où la direction
achats est centralisée, elle gère à la fois les achats de
production et les achats hors production. Les collaborateurs peuvent
être, est c'est le plus classique, répartis par familles d'achats.
Une autre configuration, un peu moins répandue est l'organisation projet
d'achats par projet d'achats avec des acheteurs polyvalents. Par ailleurs, un
service d'achats peut couvrir d'autres domaines, tels que la logistique de
l'entreprise ou les services généraux.
138. Les organisations achats
décentralisées. Dans le cadre d'une organisation
décentralisée, les achats sont sous la responsabilité
directe d'une « business unit » ou centre de profit en
Français81. C'est l'organisation la plus fréquente
dans le secteur industriel. Dans ce type d'organisation les achats restent
stratégiques au sein de leur business unit, les acheteurs étant
focalisées sur les achats de production. Ainsi, dans une même
entreprise on pourra retrouver un certain nombre de directions achats
permanentes sans aucun lien l'une avec l'autre. Aussi, en cas de projets
communs à plusieurs business unit, dans certaines entreprises le choix a
été fait de mettre en place une direction de coordination achats
ayant pour fonction de superviser ces projets.
81 Une « business unit » ou centre de
responsabilité est un « centre de responsabilité pour lequel
a été fixé un objectif de profit ou de marge (atteindre un
objectif de profit ou de marge donné, ou maximiser le profit ou la
marge). La performance de ce centre étant déterminée par
le profit ou la marge dégagée, il est dès lors possible de
donner à son responsable toute liberté dans le domaine des prix
(dans la mesure toutefois où la fixation des prix n'est pas incompatible
avec la stratégie marketing de l'entreprise...) et de l'engagement des
coûts (inutilité d'un budget détaillé
imposé). Il est clair qu'un centre de profit doit être de
préférence en contact avec le marché, ce qui
n'élimine pas les cessions d'une partie de ses prestations à
d'autres divisions de l'entreprise (ces transactions internes s'effectuant
alors à des prix de cessions internes) ».
Ahmed SILEM, Alain-Charles MARTINET. (2009). Lexique de
gestion et management. édition Dunod.
139.
55
Divide ut regnes. Afin de limiter les risques
de corruption du service d'achats, une organisation décentralisée
sera préférable. En effet, bien que l'objectif premier de la
professionnalisation des achats soit d'aboutir à la réduction des
coûts de fonctionnement d'une entreprise, celle-ci ne doit pas se faire
au détriment de l'augmentation des risques de fraudes telles que la
corruption. Dans tous les cas, que l'entreprise opte pour une organisation
centralisée ou décentralisée, l'équilibre devra
être trouvé entre les économies recherchées et les
coûts que peuvent représenter les risques de fraude
(matérialisé notamment par les pertes dues aux
détournements, par les amendes potentielles du fait de la
responsabilité pénale de l'entreprise ou par les coûts
induits par le contrôle de prévention et de détection de la
fraude).
140. Une nécessité d'équilibre.
On l'a dit, l'objectif principal d'un service d'achats est la
réduction des coûts. Toutefois, il apparaît que cette
organisation est relativement sensible aux risques de corruption. Ce qui induit
un certain nombre de risques de coûts. En cas d'absence de contrôle
totale du service achats, l'entreprise s'expose à un risque de fraude et
aux coûts qui y sont liés (amendes pénales, pertes
liées aux détournements, mauvaise réputation etc.). Ces
coûts sont à mettre en perspective avec ceux liés à
la mise en place de procédures qui peuvent s'avérer elles aussi
très coûteuses. Il nous sera difficile de chiffrer
précisément les coûts induits par la fraude et sa
prévention, toujours est-il qu'un équilibre doit être
trouvé entre les économies induites par la centralisation des
achats et les coûts liés à la fraude.
56
II - Le processus achats, une étape exposée
au risque de corruption
Pour comprendre cette exposition particulière des
services achats il faut tour à tour étudier la fonction
d'acheteur (A) puis ce qui constitue sa mission principale, à savoir le
processus achats ou la mise en place des appels d'offres (B)
A - La fonction d'acheteur en entreprise
141. Le profil type de l'acheteur en entreprise.
La fonction achats s'est fortement professionnalisée.
Aujourd'hui, les acheteurs ont généralement un niveau bac + 5. Il
est intéressant de noter que ces derniers ont généralement
un profil qui correspond avec celui du fraudeur type82, bien que la
fonction d'acheteur tende actuellement à se féminiser.
-- 61 % des fraudeurs exercent dans l'entreprise victime,
dont 41 % depuis plus de 6 ans,
-- Dans 70 % des cas, le fraudeur est un homme entre 36 et 55
ans occupant un poste de manager.
-- 54 % des fraudes sont commises par des employés
ayant des fonctions d'encadrement ou de direction.
-- Dans 70 % des cas, le fraudeur agit en collusion avec
d'autres individus et cette tendance est en constante augmentation.
142. Différents niveaux de
responsabilités. Pour ce qui est des profils, il convient de
distinguer les directeurs achats des responsables achats et des simples
acheteurs. Les premiers, du fait de leur plus haut niveau de
responsabilité sont les plus exposés aux risques de corruption.
Les simples acheteurs étant une cible secondaire pour les fournisseurs
peu scrupuleux.
143. Prise en compte de l'importance de l'entreprise.
Il convient également de différencier les acheteurs
selon la taille de l'entreprise. Dans les plus grands groupes, l'acheteur fait
partie d'un service très structuré, sa responsabilité est
donc mieux définie et il est en général
spécialisé sur un secteur en particulier. Dans une moyenne
entreprise, il lui est déjà confié plus de
responsabilités. Dans une TPE, il est multitâche.
82 KPMG. (2013). « Global profiles of the fraudster -
White collar crime - present and future ». Etude.
144.
57
Une variété de familles d'acheteurs.
Il existe de nombreuses fonctions dans le domaine des achats. Dans les
entreprises, on peut néanmoins distinguer deux grandes familles: les
acheteurs de production et les acheteurs hors production. Dans la grande
distribution, les acheteurs représentent une famille à part
entière. C'est également le cas dans la sphère publique
où la fonction est elle aussi en train de se professionnaliser. A chaque
famille d'acheteur des risques particuliers existent.
145. Les achats de production. Le premier
secteur concerné par la mise en place de services achats
dédiés sont les achats de production, considérés
comme les plus stratégiques. Progressivement, différentes
fonctions sont apparues, comme celle de « responsable du sourcing
international », suite à l'importance croissante des achats
internationaux dans les pays en cours de développement. Autres exemples,
celle de « responsable de la qualité achats » ou encore la
création de postes de juristes spécialisés dans les
achats.
146. Les achats hors production.
Actuellement on assiste à une progression de l'achat dit «
hors production » au sein des services achats. Ceci est certainement du
à une prise de conscience de la part des entreprises du potentiel
d'économie existant dans d'autres familles d'achats.
147. Une exposition au risque de fraude
corrélée au niveau de responsabilité. Au plus
haut de la hiérarchie d'un service, c'est le directeur achats qui est
chargé de gérer toute le service et de faire la liaison avec la
direction générale (les prescripteurs internes) ou avec d'autres
secteurs comme la production. Etant donné son plus haut niveau de
responsabilité, il n'est pas étonnant que statistiquement il soit
le plus exposé au risque de corruption. En 2015, un directeur des achats
sur quatre déclare avoir déjà été
confronté à une tentative de corruption là où
« seulement » 11% des acheteurs et 16% des responsables achats
déclarent avoir déjà été confrontés
à une tentative de corruption83.
148. La fonction d'achat et le processus d'achat.
En pratique, le rôle d'un acheteur est de mener à bien le
processus achats. La corruption peut être envisagée à
chaque étape de ce processus.
83 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015.
58
B -- Le processus achats, un risque de corruption à
chaque étape
149. Le processus achat, un processus en six
étapes. L'acte d'achat est le résultat de plusieurs
tâches opérationnelles successives. Ce processus peut être
décomposé en six phases étapes : la définition du
besoin, la recherche de fournisseurs, le lancement d'appel d'offres, l'analyse
des offres, la négociation et enfin la contractualisation. A chacune de
ces phases, le risque de corruption est présent. La gestion des
relations avec les fournisseurs est un moyen d'anticiper les risques.
150. L'étape de définition du besoin.
Logiquement, le produit ou la prestation de service dont a besoin
l'entreprise est défini à cette étape. Pour cela
l'entreprise doit établir un cahier des charges rédigé de
façon plus ou moins détaillée. Selon ce degré de
précision du cahier des charges, les fournisseurs potentiels disposeront
d'une plus ou moins grande marge de manoeuvre pour y répondre. En
précisant le contexte dans le cahier des charges l'entreprise peut
donner au fournisseur une idée de l'objectif recherché par
l'entreprise. Outre les caractéristiques du produit ou de la prestation,
les modalités commerciales relatives à la signature du contrat,
au budget, à la monnaie, au lieu de livraison des produits ou
d'exécution des prestations de service peuvent être
spécifiés. Plus le cahier des charges sera précis et plus
les risques de corruption seront réduits. Les « prescripteurs
internes »84 de l'entreprises pouvant imposer des contraintes
au services achat, leur ôtant ainsi la possibilité d'imposer un
fournisseur complaisant ou de surévaluer un marché.
Préciser les budgets est un moyen d'éviter les petits
arrangements entre acheteur et fournisseur. Outre l'aspect lutte contre la
fraude, l'acheteur peut, en étant associé à la
rédaction du cahier des charges, avoir une influence positive sur la
définition du besoin. Les membres du service achat sont ceux dans une
entreprise qui maîtrisent le mieux le marché et connaissent les
qualités et défauts des fournisseurs potentiels.
151. L'étape de recherche du fournisseur.
Une fois le besoin défini, l'acheteur a pour rôle de
choisir le fournisseur adéquat. Pour cela il a en principe à sa
disposition une liste des fournisseurs référencés de
l'entreprise. Ce « panel » permet de recenser les fournisseurs connus
et ainsi de limiter, d'un certain point de vue, les risques de fraude.
Toutefois, bien que le risque soit minimisé, il est possible d'envisager
l'hypothèse dans laquelle les membres du service achats nouent des liens
plus « amicaux » avec les fournisseurs habituels de l'entreprise
et
84 Expression employée par les auteurs de « La
fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats».
(2011). La fonction achats en entreprise, politique et stratégie
d'achats. Décision Achats -- Le guide N°4. 1er janvier.
Disponible en ligne:
http://www.decision--achats.fr/
59
qu'à terme, des fraudes soient envisagées par
l'une ou l'autre des parties, du fait de la relation de long terme ainsi
nouée. Raison pour laquelle, nous le verrons, envisager un
système de rotation dans les services achats, à l'image de ce qui
est appliqué dans certains services publics, peut être une
solution efficace pour éviter des collusions.
152. Méthodes de recherche de nouveaux
fournisseurs. Dans certains cas, un besoin nouveau obligera l'acheteur
à aller au delà du panel fournisseur et d'envisager la recherche
de nouveaux fournisseurs afin de répondre au besoin. Des méthodes
sont à sa disposition, relatives au « sourcing » et à
l'homologation des nouveaux fournisseurs.
Le « sourcing » consiste à rechercher,
à partir des objectifs consacrés dans le cahier des charges,
à identifier une zone géographique et une qualité de
produit ou de prestation attendue afin de réduire la liste des
fournisseurs potentiels. Une fois identifiés, les potentiels futurs
fournisseurs doivent être évalués grâces aux
données publiques disponibles puis contactés et interrogés
afin de déterminer quel fournisseur est le plus à même de
répondre aux exigences du cahier des charges. Les fournisseurs doivent
ensuite être homologués à l'aide de recherches
complémentaires et des audits des fournisseurs afin de réduire
les risques financiers, les risques de fiabilité ou les risques de
fraude. Cela fait partie de la « due diligence ».
153. L'étape de l'appel d'offres.
Vient ensuite le moment du lancement de l'appel d'offres. Dans la
plupart des cas, le membre du service achat ayant le plus haut niveau de
responsabilité, souvent le directeur, mène la procédure
d'appel d'offres. C'est d'ailleurs une autre explication du fait que les
directeurs achats sont statistiquement plus concernés par les tentatives
de corruption que leurs collaborateurs subalternes85.
Le déroulement classique de l'appel d'offres consiste
à constituer un dossier d'appel d'offres comprenant86:
-- Un résumé de l'appel d'offres (contexte et
objectifs);
-- Les règles et principes gouvernant une procédure
d'appel d'offres;
-- Le cahier des charges;
-- Les termes et conditions commerciales;
-- un questionnaire vierge au sujet du sous--traitant
potentiel;
Plus l'appel d'offres est précis, moins les risques de
corruptions seront élevés.
85 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015.
86 (2011). La fonction achats en entreprise, politique et
stratégie d'achats. Décision Achats -- Le guide N°4.
1er janvier. Disponible en ligne :
http://www.decision--achats.fr/
154.
60
Etape de l'analyse des offres. Par la suite,
les offres reçues par l'acheteur sont analysées selon certains
critères déterminants ou non (localité, matériel de
production, savoir faire etc.) afin de réduire le nombre de fournisseurs
potentiels. Les offres des fournisseurs restants doivent être
analysées de façon transparente et objective et aboutir au choix
final selon des critères de qualité, de coûts, de
délais notamment.
155. Concernant le critère
qualité, le respect de la norme Iso, par exemple, est un bon
indicateur des performances d'un fournisseur.
156. Concernant le critère de coûts,
un chiffrage précis du marché doit être
réalisé en collaboration avec les fournisseurs figurant sur une
« short-list » afin de pouvoir ne retenir que le plus
compétitif.
157. Concernant le critère du délai,
il doit être pris en compte au regard de l'agenda de
l'entreprise qui peut, vis à vis de ses propres clients avoir des
obligations strictes de respect de délais de livraison par exemple.
158. Concernant les critères additionnels.
La capacité d'adaptation, la sécurité
financière et la situation économique de l'entreprise sont
également à prendre en compte.
159. Concernant la sélection. Une
fois les offres passées au crible sur la base de paramètres
précis le meilleur fournisseur devrait être naturellement
sélectionné. Une procédure d'appel d'offre
élaborée et contrôlée étant une des garanties
les plus évidentes de prévention contre la corruption. Le service
d'achats doit être à même de justifier le choix du
fournisseur. C'est aussi une garantie d'égalité d'accès
à la commande ou au marché.
160. L'étape de
négociation87. Dans le cadre de relations
commerciales entre professionnels, l'article L.441-6 du code de commerce
dispose que les conditions de vente du fournisseur constituent le point de
départ de la négociation commerciale88. Le fournisseur
va essayer de convaincre son client de l'intérêt de son offre. Au
cours des négociations le fournisseur va être tenté de
faire usage
87 Près de deux tiers des fraudes aux achats
reportées interviennent lors de la phase de sélection du
prestataire. PwcFrance, département « Forensic ». (2014).
Etude mondiale sur la fraude en entreprise : « Global economic crime
survey ». p16
88 Maîtres Matthieu DARY et Thierry TITONE. (2011).
Cadeaux d'affaires : méfiez--vous de la législation. Action
Co N°314. 1er Mai.
Disponible en ligne:
http://www.actionco.fr/Action-Commerciale/Article/Cadeaux-d-affaires-mefiez-vous-de-la-legislation-39727-1.htm
61
d'arguments de ventes tels que des promotions, des pratiques
tarifaires plus intéressantes, des avantages pour l'entreprise cliente,
ses dirigeants et salariés. Ceci peut se manifester sous forme de primes
ou de cadeaux, pratiques dont nous avons dors et déjà
évalué le risque de corruption. La négociation est une
étape cruciale de l'entrée en relation d'affaires de l'acheteur
et du fournisseur. A ce stade, une grande partie des discussions vont porter
sur des considérations d'ordre financier. Pour le fournisseur comme pour
l'acheteur, c'est probablement et logiquement le moment de la procédure
d'appel d'offre où la tentation va être la plus forte d'entrer
dans un schéma de corruption. Le fournisseur peu scrupuleux aura alors
tout loisir de proposer un « pot-de-vin » à un membre de la
direction des achats afin d'obtenir le marché à un prix plus
intéressant ou afin d'évincer d'autres concurrents pouvant
subsister dans l'appel d'offre. Inversement, un membre de la direction des
achats pourra lui même, par exemple, suggérer le versement par le
fournisseur d'une contrepartie pour son propre compte en l'échange de la
dévolution du marché en des termes plus favorables pour le
fournisseur. Il existe une pléthore d'hypothèses de corruption
privée liée au service d'achats. Des illustrations seront
présentées ultérieurement ainsi que les moyens pouvant
être mis en oeuvre par les prescripteurs internes afin de limiter les
tentations voire de les rendre inenvisageables.
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat5.png)
Source: PwcFrance, département
« Forensic ». (2014).
Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global
economic crime survey ». p16
161.
62
L'étape de la contractualisation. A
l'issue des négociations et une fois que le choix du fournisseur
adéquat est fait il convient de contractualiser la relation d'affaires
en établissant le bon de commande qui lie juridiquement l'entreprise
à son fournisseur. Le contrat est un outil juridique important qui sert
à la fois sur le plan civil et commercial mais qui en matière
criminelle revêt une importance toute particulière en
matière de preuve. L'examen du contrat peu permettre dans certaines
hypothèses et en le confrontant à d'autres éléments
de déceler et de démontrer une fraude. Classiquement le contrat
comporte les identités des parties, l'objet du contrat en
précisant la qualité, la quantité, les délais de
livraison, le prix, les pénalités de retard ou encore les
incoterms89. Autant d'éléments sur lesquels il est
possible d'influer dans le cadre d'un schéma de corruption, dans le but
d'avantager l'une des parties à ce pacte.
162. Bien que le risque de corruption inhérent aux
services achats des entreprises soit un problème assez bien
identifié, il reste que la lutte contre ce phénomène reste
emprunte de difficultés importantes. Dans la seconde partie nous verrons
quelles sont ces difficultés qui rendent la lutte compliquée et
nous présenterons les principaux remèdes permettant de limiter le
phénomène.
89 Incoterms : « abréviation anglo--saxonne de
l'expression «International Commercial Terms», signifiant
«termes du commerce international» et traduite en français par
«C.I.V.» ou «conditions internationales de vente».
Définition du site des douanes françaises. Disponible en ligne:
http://www.douane.gouv.fr/articles/a10836--incoterms--pour--une--meilleure--performance
63
2ÈME PARTIE : La corruption privée
des
services achats, un phénomène difficile
à
maîtriser
CHAPITRE 1 - Schémas complexes de corruption
privée et difficultés
soulevées
Différents cas concrets ont été
sélectionnés pour leur complexité (Section 1) afin de
mettre en valeur les caractéristiques qui font de la corruption
privée une infraction encore difficile à condamner (Section
2).
SECTION 1 - Etude de schémas complexes de
corruption privée de service achats
Pour comprendre la manifestation concrète de la
corruption privée d'un service achats nous présenterons deux cas
concrets dont les faits récents permettront de détailler deux
modes opératoires relativement complexes, le premier étant la
dissimulation d'un schéma de corruption par l'utilisation frauduleuse de
contrats d'apporteur d'affaires (I) et le second étant l'utilisation de
la corruption privée et de fausses études pour rendre possibles
des détournements de fonds (II).
I - Première illustration: La dissimulation
d'un schéma de corruption privée par l'utilisation frauduleuse de
contrats d'apporteur d'affaires
A - Exposition de l'enquête et des
faits
163. Une enquête en cours. En janvier
2015, à l'occasion d'un stage au Pôle Financier du tribunal de
grande instance de Paris90 où j'ai eu la chance d'assister un
des magistrats instructeurs, l'opportunité m'a été
donnée d'enquêter sur des affaires de « grande
délinquance économique » et notamment une d'entre elles qui
a particulièrement retenu mon attention. Ce dossier étant
actuellement en cours d'instruction je ne suis pas autorisé à
révéler l'identité des parties. Toutefois, l'accord du
juge d'instruction a été donné afin que les faits ayant
été portés à sa connaissance puissent être
exposés, à condition que l'anonymat des parties soit
respecté.
90 La BRDA est, au même titre que la Brigade
Financière, une des brigades de la Sous--Direction des affaires
économiques et financières de la Police Judicaire - Site internet
de la préfecture de police:
http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/
164.
64
Une procédure récente. Un juge
d'instruction de la section « économique et financière
» du Pôle Financier a été saisi en 2014 suite à
un réquisitoire introductif effectué par le procureur de la
République pour des faits qualifiables d'abus de confiance, de
corruption privée, de complicité et de recel de ces
délits. Qualifications qui nous donneront l'occasion d'étudier
les infractions souvent connexes à des faits de corruption
privée. Une enquête avait auparavant été
diligentée à partir de 2013 par la Brigade de Répression
de la Délinquance Astucieuse (ci-après « BRDA ») suite
à un dépôt de plainte contre X par la société
victime.
165. Les faits reprochés. Selon la
société plaignante, certains de ses fournisseurs d'objets
publicitaires auraient versé, par l'intermédiaire d'un designer,
des commissions à des salariés de la direction des achats en
contrepartie de l'obtention du marchés des produits publicitaires. Les
commissions auraient transité via une société basée
en suisse, contrôlée par ledit designer, chargée de
répartir les sommes entre les instigateurs de ce système.
166. Auditions des membres du service achats de
l'entreprise victime. A partir des faits dénoncés par la
société plaignante les enquêteurs de la BRDA ont rapidement
procédé à l'audition d'un certain nombre de personnes
employées du service achats. De ces auditions ressortait qu'aucun membre
de la direction des achats n'était en mesure d'apporter des
éléments concrets afin de prouver le schéma corruptif,
hormis le fait qu'ils avaient manifestement connaissance de l'existence
d'anomalies dans les procédures de dévolution des marchés
aux sous-traitants. Par ailleurs, certains d'entre eux ont affirmé avoir
subi des pressions afin que l'affaire ne soit pas révélée
aux dirigeants.
167. Auditions des dirigeants responsables des
différents sous--traitant impliqués. D'après les
différents fournisseurs et concurrents interrogés il
apparaît que les pratiques en cause seraient, pour reprendre leurs mots,
« courantes » et connues des différents intervenants
du secteur. Ces derniers n'étant pour la plupart pas choqués et
presque aucun n'avaient été interpelés sur
l'anormalité de la réitération du paiement, années
après années, de commissions d'apporteur d'affaires. Aussi,
plusieurs éléments permettent d'affirmer qu'en interne, des
collaborateurs du principal mis en cause avaient tenté de faire cesser
la fraude suite à des alertes reçues de la part de fournisseurs
se sentant lésés.
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat6.png)
65
168. Le schéma de fraude ressortant de
l'enquête. Le directeur des achats et « l'apporteur
d'affaires », amis de longue date étaient à l'initiative de
la fraude. Le directeur des achats de la société plaignante
aurait eu la possibilité, avec la complicité d'autres acteurs de
sa direction des achats, d'imposer la société de «
l'apporteur d'affaires » en tant que designer de produits publicitaires et
les sociétés de son choix comme fabricants de ces produits. Le
rôle de « l'apporteur d'affaires » était d'approcher des
fabricants potentiels pour leur proposer l'obtention d'un contrat de
fabrication avec la société plaignante, en l'échange d'une
commission sous couvert d'un contrat d'apporteur d'affaires. Ces contrats
étaient prévus pour une durée de un an et tacitement
reconductibles. Le contrat d'apporteur d'affaires était signé
entre le fabricant et la société dirigée par «
l'apporteur d'affaires » domiciliée en Suisse et prévoyait
le versement d'une commission de l'ordre de 10% du chiffre d'affaires
généré par le contrat obtenu entre le fabricant et la
société plaignante. Cette commission faisait alors l'objet d'un
partage entre le directeur des achats de la société plaignante,
ses complices et « l'apporteur d'affaires ».
169.
66
La surévaluation du contrat entre l'entreprise
victime et le fournisseur corrupteur. Il y a fort à parier que
les instigateurs de la fraude, à savoir les membres du service achats,
aient pu pérenniser le système de fraude non pas en se reposant
sur la générosité des fournisseurs mais sur celle de leur
propre entreprise. On a pu voir en première partie que les services
achats ont généralement une certaine marge de manoeuvre, non
seulement dans le choix des fournisseurs mais aussi quant au montant des
marchés qu'ils doivent gérer. Les services d'achats jouissent
ainsi d'une certaine confiance de la part des prescripteurs internes, confiance
qui, en l'absence de contrôle, peut permettre des dérives comme
dans le cas ici présenté. En effet, il est fort probable que les
commissions reversées in fine aux membres du service achats, et ce
pendant une dizaine d'années, n'aient pas été
financées ou plutôt « supportées » par les
fournisseurs eux même mais grâce à une surfacturation du
montant du marché qui leur était dévolu. Surfacturation
prenant en compte le montant de la commission et permettant à tous les
acteurs du schéma de fraude d'y trouver leur intérêt.
(L'enquête étant encore en cours dans cet exemple, certaines zones
d'ombre subsistent encore, raison pour laquelle il convient de ne pas affirmer
que ces surfacturations aient bien eu lieu. Ces dernières étant
par essence difficiles à démontrer).
170. Les flux financiers. Tout schéma
de fraude impliquant des détournements conduit à
s'intéresser au chemin qu'empruntent les flux financiers qui en
résultent. Dans le cas précis, les flux financiers nous
intéressant sont ceux ayant servi à rémunérer les
instigateurs de la fraude, à savoir les membres du service achats de
l'entreprise victime et l'intermédiaire. Comme nous l'avons vu, le
versement de « l'avantage indu » était justifié dans la
comptabilité des fournisseurs par le contrat d'apporteur d'affaires. La
somme convenue, à savoir 10% du contrat signé entre l'entreprise
victime et le sous--traitant, était alors versée à une
société gérée par l'apporteur d'affaires
domiciliée en Suisse. Ceci constitue un premier point permettant
d'attester de la mauvaise foi des parties. Puisque l'apporteur d'affaires se
présentait aux fournisseurs comme le dirigeant d'une
société de design française, on peut légitimement
se demander pourquoi, si ce n'est pour dissimuler le versement, la somme
était systématiquement versée à cette
société Suisse.
Une fois la commission versée, les différentes
perquisitions et commissions rogatoires effectuées ont permis de
démontrer que les membres du service achats et l'intermédiaire
partageaient des investissements communs dans des plantations au Costa Rica, un
Etat malheureusement plus connu pour son manque de volonté en
matière de coopération pénale et fiscale que pour la
qualité de ses plantations.
67
En effet, ce pays figurait encore au 12 février 2010
sur la liste des Etats et territoires non coopératifs établie par
la France91.
B -- Qualifications juridique de la fraude.
1 - Qualification de l'infraction de
corruption
171. L'infraction de corruption passive
reprochée aux membres du service achats. Le fait pour les
membres de la direction des achats d'avoir, pendant une période
d'approximativement dix ans, conditionné l'octroi des marchés de
certains produits publicitaires au paiement d'une commission, en violation des
règles internes de sélection des fournisseurs92 est
constitutif de corruption passive de personne n'exerçant pas une
fonction publique. Infraction réprimée par l'article 445--2 du
Code pénal.
172. L'infraction de corruption active
reprochée aux sous--traitants. Le fait pour les fournisseurs de
produits publicitaires d'avoir accepté de verser une commission, de
l'ordre de 10% du montant du chiffre d'affaires réalisé avec
l'entreprise victime, en l'échange de l'obtention du marché est
constitutif de corruption active de personne n'exerçant pas une fonction
publique. Infraction réprimée par l'article 445--1 du Code
pénal.
173. Le recours à un apporteur d'affaire pour
justifier la commission. Le fait d'avoir versé la commission,
ou avantage indu, indirectement et par l'intermédiaire d'un tiers
apporteur d'affaires en contradiction avec le code des achats de l'entreprise
est indifférent et ne peut s'analyser comme un moyen imaginé par
les mis en causes pour tenter de dissimuler le schéma de corruption. En
effet, peut importe le moyen de versement de l'avantage, de façon
directe ou indirecte, sous couvert d'une commission ou non, l'infraction de
corruption active et l'infraction de corruption passive sont
constituées. Comme le souligne le Professeur Marc Segonds, « le
mode de formulation de la proposition ou de la sollicitation de nature
corruptrice ainsi que le mode de conclusion et d'exécution du pacte de
corruption importent peu, les articles 445-1 et 445-2 du Code pénal
assimilant le fait de corrompre et le fait d'être corrompu "directement
ou indirectement". Que l'agent corrupteur ou l'agent corrompu aient agi
directement ou par l'intermédiaire d'une
91 Site internet du Sénat:
http://www.senat.fr/rap/r11--673--1/r11--673--123.html
92 La plupart des entreprises d'une certaine taille ont
édicté un code des achats, à l'image de l'entreprise
Michelin par exemple. Site internet de l'entreprise Michelin:
http://purchasing.michelin.com/Les--achats--Michelin/Nos--valeurs
68
personne interposée - ou par l'intermédiaire
d'un tiers si l'on reste fidèle aux termes employés par l'article
2 de la décision-cadre n° 2003-258 du 22 juillet 2003 - ne modifie
en rien les termes de la qualification, sauf à observer que les modes
opératoires employés (prête-nom, société
écran notamment) seront de nature à constituer des
présomptions de fait toujours utiles pour rapporter la preuve du
caractère intentionnel - déduit de l'article 121-3, alinéa
1er, du Code pénal - du délit (Rappr. Cass. crim., 14 janv. 1991,
n° 89-82.715 : JurisData n° 1991-001573 ; Dr. pén. 1991, comm.
136, note M. Véron) »93.
174. Aussi, comme cela a pu être souligné par
les auteurs de l'étude PwcFrance étudiée en
première partie, la fraude aux achats est une hypothèse de fraude
à la frontière entre la corruption et les détournements
d'actifs. Ainsi, il n'est pas étonnant qu'un certains nombre d'autres
infractions puissent être retenues à l'encontre des auteurs. Les
infractions connexes envisageables étant nombreuses nous nous
contenterons d'évoquer seulement les principales.
2 -- Les infractions connexes au schéma de
corruption.
175. L'infraction d'abus de biens sociaux.
L'infraction d'ABS est un délit de fonction
réservé aux dirigeants de certaines formes de
sociétés punissant « Le fait, pour les gérants,
de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la
société, un usage qu'ils savent contraire à
l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour
favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont
intéressés directement ou indirectement »94.
En l'espèce les personnes physiques ayant pris part à la fraude
en tant que corrupteurs actifs étaient pour la plupart les dirigeants
des sociétés sous-traitantes. Sociétés
visées par les articles correspondants à la répression de
l'infraction d'ABS (L. 241-3 du Code de commerce pour les
sociétés à responsabilité limité et L. 242-6
pour les sociétés anonymes). En l'espèce les fournisseurs
corrupteurs pourraient éventuellement penser à se défendre
en invoquant le fait qu'ils ont pris part à cette fraude dans
l'intérêt de leur société, pour obtenir des
marchés intéressant... Ces arguments seraient
inévitablement balayés par le juge. En effet, la jurisprudence
retient de manière constante que l'usage des biens sociaux est
nécessairement contraire à l'intérêt de la
société lorsqu'il a lieu dans un but illicite. Cette position
retenue par l'arrêt Carpaye95 avait été
confirmée à l'occasion de l'affaire Carignon96 en
1997, affaire dans laquelle les
93 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique »,
JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. 17
février. p5
94 Article L. 241-3 du Code de commerce
95 Cass. Crim 24 avril 1992, Bull.crim, n°169, Rev.soc 1993,
p.124, note B.Bouloc
96 Cass. Crim. 6 février 1997, D.1997, p.334
69
juges avaient reconnu que quelque soit l'avantage à
court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour
seul objet de commettre un délit, à savoir la corruption, est
nécessairement contraire à l'intérêt social de la
société puisque cela l'expose à un risque anormal de
sanction pénale et à un risque de réputation. Bien que
cette solution ait été adoptée en matière de
corruption publique elle se trouve tout à fait transposable à des
faits de corruption privée. Dans le cas présent les fournisseurs
pourraient donc être poursuivis pour abus de biens sociaux une fois leur
mauvaise foi démontrée. A cet égard, le recours à
des moyens de dissimulation pourra servir de présomptions afin de
démontrer cette mauvaise foi.
176. L'infraction d'abus de confiance.
L'infraction d'abus de confiance est prévue par l'article 314-1
du Code pénal. D'après ce texte, « l'abus de confiance
est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui,
des fonds, des valeurs ou biens quelconques qui lui ont été remis
et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les
représenter ou d'en faire un usage déterminé »
Cette infraction est punie de trois ans d'emprisonnements et de 375 000
euros d'amende. En l'espèce, cette infraction pourrait être
reprochée au directeur des achats et à ses complices. En effet,
ces derniers ne possèdent pas la qualité requise pour tomber dans
le champ de la répression de l'abus de biens sociaux qui n'est pas
applicables aux cadres - même supérieurs - bien que les faits
réprimés soient relativement proches. Ici, le directeur des
achats mis en cause, en vertu de son contrat de travail et de la mission qui
lui était confiée, avait pour mission de faire un usage
déterminé des biens et sommes qui lui avait été
remis. Le fait de procéder à des surfacturations des
marchés, au préjudice de l'entreprise victime, est naturellement
constitutif d'un abus de confiance.
177. L'infraction de complicité. Dans
ce schéma de corruption, un des rôles clefs a été
joué par un ami du directeur des achats de la société
victime. Cette personne a revêtu plusieurs casquettes, la première
étant celle de directeur d'une société de design et la
seconde étant celle d'apporteur d'affaires. Aux yeux du droit
pénal, son rôle peut être résumé à
celui d'intermédiaire et de facilitateur. Les actes commis par cette
personne ne peuvent revêtir la qualification de corruption privée
active ou passive. En analysant la fraude dans son ensemble il est possible de
conclure que cette personne n'a pas été
rémunérée pour un quelconque acte de sa fonction et n'a
pas non plus rémunéré un tiers pour qu'il effectue un acte
de sa fonction. Son rôle, bien qu'actif et essentiel dans cette fraude a
été de faire l'intermédiaire entre le service achats de
l'entreprise victime et les potentiels fournisseurs susceptibles de se
prêter au jeu de la corruption. En les approchant et en leur exposant la
nécessité de le rémunérer à hauteur de 10%
du montant des contrats qu'il était
70
susceptible d'apporter, « l'apporteur d'affaires » a
finalement joué un rôle d'entremetteur susceptible de
revêtir la qualification de complice par facilitation aide ou assistance,
comportement réprimée par l'article 121-7 du Code pénal
alinéa premier97.
178. Pour reprendre une expression propre au
droit pénal, une deuxième illustration sera donnée afin de
donner « force et crédit » au premier exemple de schéma
complexe de corruption privée qui souffre d'un défaut majeur,
malgré sa richesse en terme d'illustration, à savoir le fait
qu'aucune condamnation ne soit encore intervenue.
97 L'article 121-7 du Code pénal dispose qu'«
Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par
aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la
consommation ».
71
II - Deuxième illustration: L'utilisation
combinée de la corruption privée et de fausses études aux
fins de détournement de fonds.
179. Un arrêt récent. La
deuxième illustration choisie est tirée d'un arrêt de la
chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 mars 201598. Cet
arrêt fait suite au pourvoi d'une personne condamnée par la cour
d'appel de Besançon le 25 février 2014 à trois ans
d'emprisonnement dont deux avec sursis, 30 000 euros d'amende, trois ans
d'interdiction de gérer et cinq ans de privation des droits civiques,
civils et de famille. La cour d'appel avait condamné un cadre dirigeant
de la société PSA des chefs de corruption active et de recel
d'abus de biens sociaux. A l'occasion de ce pourvoi et bien qu'ils ait
été rejeté, les faits n'étaient pas
contestés par le mis en cause, seul le quantum de la peine avait
été discuté.
A - Exposition de l'enquête et des
faits
180. Suite à la découverte des faits qui se sont
déroulés à partir de 2004, soit plus
de 10 ans avant cet arrêt de la chambre criminelle, une
procédure d'instruction
avait été ouverte entre 2007 et 2008 à
l'encontre notamment de M.X employé
donneur d'ordre secteur ferrage au sein de la
société PSA et de M.Y associé gérant
de la société Y mécanique. Il ressort de
l'arrêt que les principaux éléments de
preuve ayant permis de mettre la fraude à jour
étaient:
- L'examen de la comptabilité de la
société intermédiaire
- L'examen de la comptabilité de deux
sociétés italiennes fausses facturantes
- L'examen de la comptabilité des
sociétés sous-traitante de PSA
- L'examen des comptes bancaires de M.X et de
M.Y
- L'audition du directeur commercial de la
société intermédiaire
- L'audition de la secrétaire comptable
de la société intermédiaire
- L'audition des membres du personnel des
sociétés sous-traitante de PSA
- Les déclarations à l'audience
des dirigeants des sociétés sous-traitante de PSA
- Les aveux de M.X et de M.Y
Le texte de l'arrêt ne permettant pas, comme pour
l'illustration précédente, de
mettre à jour la chronologie de l'enquête, le
schéma de corruption sera cette fois-ci
directement présenté. (Voir page suivante)
98 Cass. Crim, 25 mars 2015, 14-82.179, Inédit
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat7.png)
72
Flux des sommes
de PSAdétournées au préj
udice
les sommes détournées
181.
73
Le schéma de fraude ressortant de
l'enquête. M.X et M.Y ont eu un rôle de chefs d'orchestre
et ont été les principaux instigateurs et
bénéficiaires de cette fraude aux achats.
182. En tant que donneur d'ordre du secteur ferrage au sein
de PSA à Sochaux, M.X, instigateur de la fraude, était en
relation avec le service achats de son entreprise et connaissait certains
sous-traitants potentiels. M.Y quant à lui était un fournisseur
indirect de l'entreprise PSA.
N'étant pas directement à l'origine du choix
des sous-traitants, M.X devait, avec la complicité de M.Y, corrompre les
membres de son service achats en leur offrant régulièrement des
cadeaux. A ce titre, M.Y reconnaissait que « la politique de cadeaux
s'était développée de manière exponentielle et
qu'un compte 58099 avait été dédié
à ces cadeaux et ce même après que l'expert--comptable l'a
mis en garde contre de telles pratiques ».
183. Le but de ces pratiques était d'imposer des
sous-traitants qui étaient eux aussi corrompus par M.X et M.Y. Ces
sous-traitants acceptaient, contre la promesse de marchés juteux avec
l'entreprise PSA et contre des cadeaux, de passer des commandes à la
société de M.Y (Société Y mécanique). Ces
commandes consistaient en de fausses études, jamais
réalisées mais permettant de justifier en comptabilité la
sortie des fonds. Ainsi, les bénéficiaires des cadeaux
étaient soient des employés des sous-traitants, soit des
salariés du service achats de PSA. Les commandes reçues de la
part de PSA, sous l'influence de M.X, donneur d'ordre, auprès des
sous-traitants étaient réelles mais surévaluées,
toujours sous l'influence de M.X
184. Une fois retenus, les fournisseurs sous-traitaient
à leur tour la part mécanique du marché à la
société Y Mécanique. Les commandes auprès de la
société Y Mécanique n'ont donné lieu à aucun
travail. Elle étaient surévaluées à l'aide de faux
bons de commandes et de faux devis. La société Y mécanique
facturait au sous-traitant et l'argent de ces commandes fictives était
versé sur le compte de la société Y Mécanique. Les
sous-traitants faisaient donc office d'intermédiaires pour faire sortir
les sommes d'argent détournées. Les bénéficiaires
de ces détournements étaient M.Y et M.X.
99 Il semble important de préciser qu'en
comptabilité, le compte 580 « virements internes » est un
compte financier principalement destiné, à la manière d'un
tampon, à enregistrer les retraits et dépôts
d'espèces de comptes bancaires. Il n'est donc absolument pas
destiné à comptabiliser des cadeaux.
185.
74
Pour en bénéficier les instigateurs de la fraude
avaient recours à deux sociétés italiennes dirigées
par M.Z. M.Y s'adressait à M.Z avec qu'il était en relation
d'affaires dans le passé. Au départ M.Z avait initié la
fausse facturation avec une première société italienne
dans laquelle il avait une participation. Le gérant de cette
société, inquiété par les montants facturés
avait mis fin à cette pratique dès juin 2004. M.Z avait alors
pris le relai avec sa propre société. Au total, c'est 354 000
euros de fausses factures qui ont été réalisées
entre 2004 et 2007.
186. Le mode opératoire était le
suivant:
M.Y contactait M.Z pour indiquer la somme d'argent voulue et
le sujet de l'étude. M.Z réalisait une fausse facture au nom de
sa société italienne et l'adressait à la
société Y mécanique qui payait par virement bancaire. M.Y
et M.X se rendaient en voiture en Italie et M.Z retirait l'argent du compte de
sa société et prélevait 20% de commission. M.Y et M.X
pouvaient alors se partager le surplus.
En outre, la société Y mécanique a
financé la location d'une voiture au profit de M.X et la
réfection du toit de son habitation.
187. Interprétation de ces faits par la
chambre criminelle. Les juges de la cour suprême concluent que
M.X et M.Y « ont mis sur pied un système
généralisé de corruption soit de salariés
d'intégrateurs de PSA soit directement d'acheteurs PSA, afin de
permettre à la société Y.Mécanique de
bénéficier de marchés et de bénéficier de
pratiques de sur-facturations à l'occasion de ces marchés,
pratiques de sur-facturation qui n'avaient d'autres but que de permettre
à MM. Y...et X... de détourner des fonds importants à leur
profit et au détriment de la société Y.Mécanique et
de ses créanciers; que pour reprendre des termes culinaires
particulièrement appropriés dans ce dossier, il apparaît
que MM. Y...et X... se sont littéralement " goinfrés " en
délestant systématiquement la société
Y.Mécanique de montants importants, les seules fausses factures
italiennes leur ayant rapporté la coquette somme de 353 326 euros
»
B - Qualifications juridiques de la fraude
188. L'infraction de corruption active de M.X.
Au sein de la société PSA le service achats était
en relation avec des sociétés sous-traitantes d'études et
de réalisation de projets, ainsi que différents postes comme
l'électricité, la serrurerie ou la mécanique). C'est au
service achats qu'appartenait en principe le choix des sous-traitants. Ainsi,
M.X, donneur d'ordre du secteur ferrage au sein de PSA à Sochaux n'avait
pas le pouvoir formel de décider des marchés de sous-traitance.
Raison pour laquelle, au regard de la définition de la corruption en
droit pénal
75
français M.X ne s'est pas rendu coupable de corruption
passive bien qu'il soit membre de la société victime. Le
caractère répréhensible de ses actes découle des
avantages qu'il a remis ou fait remettre aux membres du service achats de la
société PSA, ainsi qu'aux représentants des fournisseurs.
Raison pour laquelle il a été condamné du chef de
corruption active. En outre et pour reprendre les mots de l'arrêt, «
le fait qu'il n'ait pas eu le pouvoir formel de décider des
marchés de sous-- traitance n'enlève pas leur caractère
répréhensible aux avantages qu'il a remis ou fait remettre (par
M.Y) aux auteurs de corruption passive ».
189. L'infraction de corruption passive des membres
du service achats et des représentants des sous--traitants.
Bien que les sous-traitants affirment que c'est M.X qui leur avait
imposé ce système afin qu'ils puissent continuer à
recevoir des commandes, ces derniers se sont rendus coupables de corruption
privée passive en acceptant de faire transiter les fonds
détournés à l'aide de fausses factures et en
l'échange de cadeaux et de la garantie de conserver les marchés
auprès de PSA. De la même manière, pour avoir
accepté de suivre les ordres de M.X, en l'échange de divers
cadeaux, les salariés du service achats se sont bien évidemment
rendus coupable de corruption passive. Ils ne pourraient se dégager de
leur responsabilité en invoquant la pression de la hiérarchie et
ce d'autant plus que M.X n'était pas leur supérieur.
190. Un cas d'entente illicite? En outre,
devant la cour d'appel de Besançon, les membres du personnel des
sous-traitants, eux aussi prévenus dans cette affaire ont reconnu que
dès l'établissement du devis, ils savaient si leur entreprise
allait être choisie par PSA. Tous les fournisseurs s'étaient alors
entendus afin de mettre en place un tour de rôle, même tacite, pour
l'obtention des marchés avec PSA. L'interdiction des ententes illicites
est prévue à l'article L. 420-1 du Code de commerce. La sanction
est déterminée par l'autorité de la concurrence en
fonction de la valeur des ventes affectées par la pratique
incriminée. (Cette sanction ne pouvant excéder plus de 10% du
chiffre d'affaire de l'entreprise).
191. Infraction de corruption passive de M.X (non
relevée par les juges). Dans ce schéma de fraude aux
achats il aurait été possible de qualifier le comportement de M.X
de corruption passive. En effet, en tant que donneur d'ordre du secteur ferrage
au sein de PSA, le fait de d'influencer le choix des sous-traitants est un acte
non pas de la fonction, mais facilité par la fonction. Les juges du
fonds on d'ailleurs souligné « qu'il était directement
à l'origine du choix des sous-traitants ». On peut donc
considérer que l'obtention des marchés par les sous-traitants est
l'avantage indu attendu. La surfacturation et les fausses études
constituant la rémunération de M.X. Faisant des
sous-traitants des corrupteurs actifs.
192. Infractions de banqueroute et abus de biens
sociaux par M.Y et recel de ces infractions par M.X. D'après
l'arrêt, de concert, MM. Y et X ont sciemment pillé à des
fins personnelles la société Y.Mécanique d'une part en la
délestant frauduleusement de la somme de 353 326 euros par le biais des
fausses factures italiennes, somme qu'ils se sont partagée selon des
modalités qu'il n'a pas été possible d'établir, les
espèces étant par nature faciles à dissimuler et à
dissiper, et d'autre part en faisant financer par la société
Y.Mécanique des dépenses importantes d'ordre personnel. Ces faits
sont constitutifs de banqueroute et d'abus des biens ou du crédit d'une
société pour M. Y et de recel de ce délit pour M.
X100.
193. Peines complémentaires. M.X
étant maire de sa commune, une peine d'interdiction des droits civiques,
civils et de famille portant sur l'éligibilité et sur le droit de
vote pour une durée de cinq ans a été prononcée
à son encontre. Ceci étant justifié par la
particulière malhonnêteté dont il a fait preuve,
comportement incompatible avec un mandat électif public.
194. Les deux cas qui ont été
présentés permettent de se faire une idée assez
précise de la façon dont se manifeste la corruption privée
dans les achats. En outre, cela permet de mettre en exergue un certain nombre
de difficultés inhérentes à cette infraction. Dans la
seconde section de ce chapitre nous étudierons ces
difficultés.
76
100 Cass. Crim, 25 mars 2015, 14-82.179, Inédit
77
SECTION 2 - Des difficultés à condamner
pénalement les faits de corruption privée.
195. L'objectif de lutte contre le
phénomène de corruption privée. Dans la mesure
où nous nous plaçons dans une optique de lutte contre la
délinquance financière et la criminalité organisée,
l'objectif - bien qu'utopique - en matière de corruption privée,
ce vers quoi il faut tendre est nécessairement la disparition pure et
simple de ces comportements. Jusqu'ici, le phénomène a pu
être défini, mesuré puis illustré. Dorénavant
il convient de l'analyser au regard de cet objectif d'éradication.
196. Comme on a pu le voir en première partie,
à l'occasion de la mesure du phénomène, la quasi--absence
de condamnations ne saurait--être expliquée par l'absence de
comportement répréhensible. La cause de ce faible nombre de
condamnations se trouve nécessairement liée aux
difficultés à endiguer le phénomène. L'analyse va
ainsi porter sur un certain nombre de difficultés de natures
différentes qui, mises bout à bout, rendent cette infraction
très difficile à mettre à jour. Des difficultés de
nature plutôt sociologiques (I) et des difficultés de nature
tenant aux modes opératoires employés (II)
I - Des difficultés de nature
sociologique
Dans un premier temps nous verrons que les difficultés
en matière de lutte contre la corruption tiennent d'abord à un
problème d'éthique persistant dans les affaires (A) puis nous
verrons qu'elles découlent aussi en partie de la moindre importance
donnée à la corruption privée par rapport à
d'autres formes de criminalité ou délinquance (B).
A - Un problème majeur d'éthique dans les
affaires.
197. Un manque d'éducation et de conscience.
Une des principales difficultés tient au fait qu'une proportion
non négligeable des professionnels exposés n'a pas conscience de
la gravité de ces pratiques. Comme cela a pu être exposé en
première partie, beaucoup de professionnels considèrent que
certains comportements - pouvant revêtir la qualification de corruption -
sont des pratiques courantes dans les affaires. Certains n'ayant parfois pas
même conscience du caractère illicite de leurs agissements.
Toutefois, le plus souvent, et
78
c'est le cas lorsque les fraudes sont plus
élaborées (à l'image des illustrations qui ont
été données), les professionnels impliqués ont
conscience de l'illicéité de leur comportement mais le justifient
aisément par la nécessité de sauver ou simplement
pérenniser leur entreprise101.
198. Des arguments de défenses
inquiétants. A ce titre rappelons l'inquiétude de Michel
Véron suscitée par les arguments souvent avancés par les
corrupteurs mis en causes, à savoir la banalité de telles
pratiques et la justification de tels comportements au regard de la
nécessité d'obtenir des marchés à tout
prix102. Les deux illustrations que nous avons
présentées permettent d'ailleurs de confirmer un tel état
d'esprit habitant certains professionnels qui pourtant n'étaient pas
à nécessairement à l'origine de la mise en place des
schémas de corruption.
199. Irrecevabilité des causes
d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité
pénale. Il est bien évident que l'invocation des
articles 122-1 à 122-8 du Code pénal serait balayée d'un
revers de main dès l'instant où la contrainte ou l'état de
nécessité par exemple sont des notions de droit pénal
très proches de la notion de force majeure en droit civil. En
matière de corruption, la principale explication au fait de corrompre ou
d'accepter de corrompre est bien souvent la vénalité de
l'auteur.
200. Première illustration. En effet,
l'arrêt du 25 mars 2015 retranscrit les aveux du dirigeant d'une des
sociétés en cause. Tout en reconnaissant l'existence des fausses
facturations, il affirmait avoir agi à la demande de l'employé de
PSA (condamné pour corruption active) afin d'obtenir de la
trésorerie pour son entreprise qui, sans ce système, n'aurait pas
pu poursuivre son activité. Ajoutant que la mise en place du
système lui avait été imposée par l'instigateur de
la fraude qui menaçait d'interrompre la relation d'affaires. Pour lui,
« tout le monde était gagnant dans ce schéma corruptif
». Ces propos traduisent un manque d'éthique cruel de la part
de cet individu qui, même devant les juges du fond, semble presque encore
ignorer l'existence du préjudice qu'il a contribué à
causer, à savoir des détournements de fonds importants au
préjudice de l'entreprise PSA, sans compter
101 En effet, à la question « lequel de ces
comportement trouvez-vous justifié de recourir afin d'aider votre
entreprise à surmonter un retournement de l'économie? » 29%
des individus interrogés ont répondu qu'ils seraient prêt
à offrir un divertissement, afin de nouer ou de pérenniser une
relation d'affaire, faits constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient
prêt à offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons,
13% à offrir une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un «
pot-de-vin » classique. Au total, près de la moitié des
sondés a reconnu être prête à recourir à des
moyens assimilable à de la corruption « en cas de besoin ».
Source: enquête
102 Michel VÉRON. Op.cit. p73
79
le nivellement par le bas des prestations du fait de l'absence
de réelle mise en concurrence des entreprises du secteur.
201. Deuxième illustration. Dans le
premier cas rencontré, un problème d'éthique
général était aussi présent. Il semble en effet
important de souligner le fait que, d'après les auditions des dirigeants
des fournisseurs sollicités pour régler les commissions afin
d'obtenir les marchés, la pratique était connue de tous. Certains
l'ont qualifié de « courante » dans le secteur et aucun ne
semblait choqué par de tels agissements. Il existait une forme de
résignation face à la nécessité de régler
ces commissions indues pour obtenir les marchés. Pourtant, il semble
évident que l'alerte d'un seul d'entre eux auprès des dirigeants
de l'entreprise victime aurait suffit à mettre fin à ces
pratiques. Cependant il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin dans le
vice pour remarquer qu'il existe un réel problème
d'éducation. Les professionnels des achats n'ont souvent aucune
idée des risques liés à l'acceptation d'un simple cadeau,
pratique qui nous l'avons vu, se situant à la frontière avec la
corruption, peut rapidement faire basculer un comportement anodin en un
délit.
202. Les causes possibles de ce manque
d'éthique. Il semblerait que la cause de ce manque
d'éthique dans les affaires puisse être recherchée dans une
attitude laxiste voire de tolérance dont ont longtemps fait preuve les
pouvoirs publics et les entreprises elles--mêmes.
L'ultralibéralisme défendu par beaucoup a cependant montré
ses limites dans de nombreux secteurs comme celui des institutions bancaires
par exemple. L'éthique semble depuis quelques années avoir
été placée au centre des débats concernant la vie
des affaires. Toutefois, les effets de cette prise de conscience tardive sont
encore difficiles à mesurer.
B - Une volonté encore insuffisante de lutte de
la part des pouvoirs publiques et des entreprises.
1 - Un problème de priorité de la part des
pouvoirs publics
203. « En France, le col blanc est une
espèce protégée ». « Il n'y a pas
une seule forme de criminalité mais au moins deux. Celle des «
cols--bleus » et celle des « cols-- blancs », celle des
banlieues et celle des quartiers d'affaires, celle qui menace surtout les biens
matériels et celle qui sape les règles du jeu économique
»103. Aujourd'hui encore, la perception sociale, politique
et judiciaire entre l'une et l'autre demeure
103 Pierre LASCOUMES. (1997). Elites
irrégulières - Essai sur la délinquance d'affaires.
Editions Gallimard p9
80
différente. La criminalité en col blanc reste
moins infamante que des formes de criminalité plus primitives comme
celle des crimes de sang par exemple. Les délinquants économiques
jouissent encore d'une certaine protection de la part de l'opinion publique et
des autorités publiques, bien que la tendance a été
inversée depuis quelques années.
204. La primauté de la lutte contre la
probité des agents publics. Ce constat est d'autant plus vrai
en matière de corruption privée. En effet, encore aujourd'hui
cette forme de corruption est reléguée au second plan en
matière de lutte. Un symptôme fort étant le fait que la
corruption privée demeure deux fois moins réprimée que la
corruption publique. La priorité en matière de lutte contre la
délinquance économique est donc donnée à la
probité des agents publics. A ce titre, Pierre Lascoumes estime que
« cette focalisation sur les élus fait oublier que la notion de
délinquance d'affaires concerne aussi les actions pénalement
qualifiables commises par les entreprises et leurs dirigeants. C'est là
d'ailleurs le sens véritable du terme white collar crime...
»104
205. Un autre symptôme fort de ce constat ressort aussi
de la pauvreté de la littérature concernant la corruption
privée. A l'occasion des recherches effectuées dans le cadre de
la rédaction de ce mémoire une comparaison a pu être faite
avec la profusion d'écrits sur le sujet de la corruption publique
nationale, étrangère et internationale. Encore peu de personnes
s'intéressent au sujet de la corruption privée, les sources se
font rares, malgré un regain d'intérêt constaté
depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 que nous avons
déjà présentée.
206. Une gradation des peines relatives à la
gravité des comportements. Cette différence de
traitement demeure toutefois assez largement compréhensible. La
probité des agents publics se doit d'être exemplaire et cela
justifie une plus grande sévérité à leur
égard. Il est presque normal de considérer que la corruption de
personnes n'exerçant pas une fonction publique est « moins
dramatique » que la corruption de magistrats ou de médecins par
exemple. Cette différence de traitement trouve donc sa justification
dans la nature de l'intérêt protégé. Les exceptions
à l'autorisation de la pratique des primes et cadeaux trouvant elle--
même son fondement dans cette explication.
104 Pierre Lascoumes : « Elites irrégulières -
Essai sur la délinquance d'affaires », Editions Gallimard, 1997,
p11
207.
81
Une telle différence dans les peines n'exclut toutefois
pas la réelle nécessité de réprimer la corruption
privée et d'éduquer les acteurs concernés à faire
preuve de plus de vigilance et d'intégrité. Le libéralisme
économique, au coeur du fonctionnement de nos sociétés ne
doit pas justifier le recours à des pratiques qui par essence sont de
nature à briser l'égalité dans les affaires.
2 - Un manque persistant d'implication de la part des
entreprises.
208. Un problème de prévention.
Les entreprises elles-mêmes, pourtant principales et
premières victimes de la corruption privée, semblent ne pas
toutes prendre la mesure du phénomène et des graves
conséquences qu'il induit. Pour preuve, rappelons que statistiquement en
2014, encore un quart des professionnels du secteur achats des entreprises
françaises n'avaient pas signé de charte
anti-corruption105. A l'image du retard cruel de lutte contre la
cybercriminalité106 qui est un risque majeur et croissant
pour les entreprises, ces dernières ont souvent tendance à
vouloir lutter contre des menaces déjà existantes et à
préférer reléguer au second plan les nouveaux risques. La
corruption privée souffre elle aussi de ce syndrome puisque l'accent
est, nous l'avons déjà souligné, largement mis sur la
corruption dans le secteur public, au détriment de la lutte contre la
corruption privée. La solution doit être globale et les risques de
fraudes externe et interne devraient être envisagés de
façon plus générale. Se focaliser sur un risque trop
spécifique contribue à laisser proliférer tous les
autres.
209. Corruption et réputation, un obstacle
à la répression. Une autre difficulté est
liée au comportement des entreprises victimes de corruption
privée. Ces dernières restent relativement frileuses face
à la possibilité de porter plainte en cas de corruption
avérée. Selon Jean-Paul Philippe, habitué des audits au
sein des entreprises victimes de fraudes, « la corruption, comme toute
fraude, est anxiogène. Les entreprises en ont peur. Au delà de la
perte financière liée aux détournements, une fraude est un
réel vecteur de crises relationnelles au sein de l'entreprise et de
risque de détérioration de la réputation de l'entreprise
»107. Ce caractère anxiogène explique en
partie pourquoi dans beaucoup de cas, la seule sanction envisagée en cas
de fraude avérée sera le licenciement du ou des auteurs, de
façon à taire l'affaire pour ne pas prendre le risque d'effriter
la réputation de l'entreprise.
105 Etude AgileBuyer - Groupement Achats HEC : «Les
Priorités des Services Achats en 2015 ou la manière dont
seront gérés les sous--traitants en 2015 », 2015
106 13ème étude mondiale sur la
Fraude menée par EY (Ernst Young) « Overcoming compliance fatigue:
reinforcing the commitment to ethical growth », juin 2014
107 Entretien avec Jean-Paul Philippe, Ancien directeur de la
Brigade Centrale de lutte contre la corruption au sein de la Direction Centrale
de la Police judicaire et actuel Consultant et formateur en investigations de
fraudes, août 2015
210.
82
Exemple de licenciement pour des faits de corruptions
n'ayant donné lieu à aucune poursuite pénale. Le
16 mars 2010, la cour d'appel de Versailles a rendu un arrêt suite
à l'appel du jugement du 08 décembre 2008 par le Conseil de
Prud'homme de Versailles. Le litige opposait alors un ingénieur cadre
affecté à une direction des achats du groupe Renault. En 2006,
l'entreprise avait licencié l'ingénieur. Suite au rachat d'un de
ses fournisseurs, l'entreprise absorbante avait détecté des
anomalies en comptabilité. En effet, en 2004, le fournisseur avait pris
en charge un voyage aux Seychelles (une croisière sur un catamaran de
luxe) pour un montant avoisinant les 20 000 euros et ayant
bénéficié à la famille du directeur achats. Le
cadeau avait été consenti à l'insu de l'entreprise Renault
et en contradiction avec son code de déontologie (chapitre relatif aux
relations extérieures concernant les « corruptions et ristournes
occultes »), sachant que les acheteurs s'étaient vu interdire
formellement de recevoir des cadeaux et ce par un courrier de la direction. En
outre, les juges du fonds affirment qu'aucune pièce ne permettait de
constater que le fournisseur avait offert ce voyage à titre personnel
mais qu'au contraire ce cadeau s'inscrivait dans le cadre de la vie
professionnelle du mis en cause.
Malgré tous ces faits relatés
précisément et qui rappellent très clairement un cas,
même simple, de corruption privée, le motif de l'infraction n'a
pourtant pas été évoqué dans la lettre de
licenciement.
Les conseillers prud'homaux se sont eux aussi refusés
à évoquer l'éventualité de l'infraction, se
contentant de reconnaître la validité du licenciement pour faute
grave, non sans rappeler le fait que les fonctions du directeur achats
étaient de nature à le placer dans une position d'influence quant
au choix des fournisseurs et qu'il se trouvait nécessairement dans une
situation de conflit d'intérêt, et ce en totale contradiction avec
le code de déontologie et avec son devoir de loyauté à
l'égard de son employeur.
211. Ainsi, que ce soit du côté des entreprises
victimes potentielles, de ses acteurs auteurs potentiels ou des organes de
lutte, un problème d'éducation et d'information persiste
concernant la corruption privée. A cet égard, Jean-Paul
Philippe108, affirme que beaucoup de professionnels ignorent la
corruption privée, parlant tantôt de simple concurrence
déloyale ou même de pratique banale dans les affaires. Ce genre de
propos pouvant être entendu aussi bien de la part des acteurs
économiques que de la part, et c'est peut-être le plus
déplorable, d'enquêteurs ou de magistrats. Toujours est-il que
même si ces problématiques sociologiques et d'éducation
étaient résolues, la corruption resterait une infraction
difficile à mettre à jour.
108 Jean-Paul PHILIPPE. (Août 2015). Entretien.
83
II - Difficultés liées à la
mécanique de la corruption privée A - La dissimulation de
l'infraction par la fraude
212. La corruption, une infraction occulte par
essence. Le pacte, notion centrale de l'infraction, est
nécessairement tenu secret par les parties ou leurs complices qui n'ont
aucun intérêt à révéler la fraude. En outre,
le plus souvent, une infraction de corruption est accomplie en parallèle
d'autres infractions permettant de mieux dissimuler les détournements
auxquels elle donne lieu. La détection de la corruption est ainsi rendue
d'autant plus difficile du fait de sa dissimulation.
213. Quelques exemples de modes de dissimulations.
Tous les mécanismes frauduleux accompagnant un schéma de
corruption ont pour objet de justifier les détournements. Ces techniques
utilisées assurent souvent l'impunité des auteurs. Le directeur
des achats pourra par exemple créer secrètement un fournisseur
fictif afin de passer des commandes de biens ou de prestations de services tout
aussi fictives pour justifier une quelconque sortie de fonds. Un comptable
pourra détourner des chèques en créant des
sociétés avec des noms quasiment identiques à ceux du
réel client à qui son entreprise à vendu un bien ou une
prestation, afin d'encaisser les chèques pour son propre compte.
Ces exemples de fraude relativement simples démontrent
la nécessité pour les entreprises de se prémunir contre
leur survenance par la mise en place de procédures internes de
contrôle. Ajoutés aux exemples que nous avons
détaillé précédemment (utilisation de contrats
d'apporteurs d'affaires et fausses études), on imagine aisément
la variété des possibilités existantes pour dissimuler un
schéma de corruption et justifier les détournements de fonds qui
en sont l'aboutissement.
214. Le point de vue du SCPC. À cet
égard, le Service Central de Prévention de la Corruption a
étudié ce lien indissoluble entre la fraude et la
corruption109. Selon cette institution dont le rôle sera
précisé ultérieurement, « La corruption se
nourrit du produit des fraudes. Corrupteurs et corrompus utilisent à
leur profit les fausses factures; les manipulations comptables
organisées à partir des logiciels permissifs ainsi que les
montages à partir de sociétés écrans
génèrent des flux d'espèces qui permettent le financement
de la corruption »110. Pour le SCPC, l'opération
de
109 Expression utilisée par Pierre Rocamora : « La
corruption privée, un risque majeur pour les entreprises », Master
II Lutte contre la délinquance financière et la
criminalité organisée, octobre 2007, p65
110 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2006 ; éd. La
documentation Française, p. 113
84
corruption s'apparente le plus souvent à « un
montage actif, méthodique et calculé ».
215. Les outils informatiques au service de la
fraude. Selon Noël Pons, ancien conseiller au SCPC, il existe un
certain nombre d'outils informatiques pouvant faciliter l'oeuvre des fraudeurs.
Pour lui, « La recherche systématique des réductions de
coût et de facilités d'utilisation a suscité la
création de logiciels « souples ». Les concepteurs, qui
privilégient la souplesse d'utilisation de leurs logiciels, ne
prévoient pas toujours les verrous informatiques qui sont
nécessaires pour justifier des obligations d'intégrité
relatives aux règles comptables. Ainsi, ces logiciels comptables ou de
gestion qui permettent, du fait de leur souplesse d'utilisation, d'obtenir en
sortie documentaire ce que l'on désire et non la réalité
des opérations, peuvent être qualifiés de pourriciels
»111. Ainsi, de tels outils peuvent permettre des fraudes
quasi professionnelles rendant d'autant plus indétectables la
corruption.
216. L'omerta imposée ou
négociée auprès des salariés. Le
dictionnaire Larousse défini cette expression originaire des milieux
mafieux siciliens comme « un silence qui s'impose dans toute une
communauté d'intérêts ». Dans le cadre de cette
étude, ce terme peut être utilisé pour désigner le
comportement des personnes se trouvant « mêlées à
» ou « au courant de » l'existence d'un schéma de
corruption. Ces personnes pouvant être, non seulement les personnes
à qui la corruption est imposée, mais aussi ceux qui n'en
jouissent pas nécessairement. C'est le cas par exemple des
salariés d'un service achats dans l'hypothèse où ils sont
impliqués et tire un intérêt pécuniaire de la fraude
ou tout simplement du fait que l'omerta leur est imposée par leur
supérieur sous la menace de leur licenciement (par exemple).
L'instigateur ayant un haut poste de responsabilité et une certaine
assise dans l'entreprise peut donc faire pression sur ses collaborateurs
subalternes. Il peut aussi, et c'est la première hypothèse,
acheter le silence de ses collaborateurs en les faisant participer au
schéma de corruption. Au cours de l'audition de certains collaborateurs
des principaux instigateurs du schéma de corruption que nous avons
détaillé précédemment, le terme de «
harcèlement » avait d'ailleurs été utilisé
pour décrire ce silence imposé. A cet égard nous avons
d'ailleurs pu faire remarquer que les salariés d'un service d'achats
sont souvent les personnes les plus à même de donner l'impulsion
afin de faire connaître d'une fraude en cours. Raison pour laquelle
encourager les salariés à se comporter en lanceur d'alerte
pourrait constituer une des meilleures solutions pour faciliter la
répression.
111 Noël PONS et Valérie BERCHE. (2006). Pour
une méthodologie d'audit adaptée au conflit
d'intérêts. Audit Interne n° 182. Décembre.
p.7
217.
85
L'omerta due aux ententes illicites. «
Une entente illicite peut être définie comme tout
accord entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises
et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet
d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Ainsi,
toute pratique qui tend à limiter l'accès au marché ou le
libre exercice de la concurrence ou visant à faire obstacle à la
libre fixation des prix doit être qualifiée d'entente illicite
»112. Dans le second cas présenté dans la
partie dédiée aux illustrations, les membres du personnel des
sous--traitants corrompus et prévenus dans l'affaire avaient reconnu
devant la cour d'appel que dès l'établissement du devis, ils
savaient si oui ou non leur entreprise serait choisie par PSA. Tous les
fournisseurs s'étaient alors entendus afin de mettre en place un tour de
rôle pour l'obtention des marchés avec PSA. Ainsi, en se mettant
tous d'accord, les fournisseurs contribuent encore un peu plus à
minimiser les chances de détection de la fraude. En se mettant d'accord,
les fournisseurs peuvent donner l'illusion que le code des achats est
respecté quant à la procédure de dévolution des
marchés, par exemple en procédant à des offres de
couverture et ainsi en simulant une situation de concurrence qui n'a en
réalité d'autre but que de dissimuler la fraude.
Ce type de comportement constitue en outre une cause de
nivellement par le bas de la qualité des biens et des services, ce qui
pourrait causer un préjudice important pour tous, y compris pour les
consommateurs finaux. Puisque les fournisseurs sont certains d'être
sélectionnés, les dépenses en recherches et
développement sont rendues beaucoup moins importantes voire
complètement superflues, ce qui constitue un obstacle à tout
progrès.
218. Preuve et cadeaux. En outre, le flou
règlementaire en matière de cadeau, pratique qui, nous l'avons
vu, peut aisément se trouver à la limite de la corruption,
constitue lui aussi un obstacle à la répression. La preuve du
lien de causalité entre le cadeau et l'acte de la fonction attendu,
exigée pour qualifier une infraction de corruption, est
extrêmement difficile à matérialiser. Le doute
bénéficiant à l'accusé, principe cardinal et
incontournable du droit pénal, est sans doute un élément
supplémentaire pouvant expliquer le faible nombre de condamnations et le
fait que la pratique perdure.
112 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée,
étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II
Lutte contre la délinquance financière et la criminalité
organisée. p60
219.
86
Une conséquence de la difficulté
à mettre à jour la corruption. D'après le Service
Central de Prévention de la Corruption, la durée moyenne des
procédures en matière de manquement à la probité se
situe entre 5 et 6 ans. Ainsi, en moyenne, les 270 condamnations de 2013 (tout
manquement à la probité confondu) portent essentiellement sur de
faits datant de 2007/2008113.
B - La disparition d'une difficulté: la
prescription de l'action publique114
220. La corruption privée est un délit
instantané qui à ce titre se prescrit après trois ans
à compter du jour de la consommation de l'infraction. Auparavant, une
difficulté tenait au fait que les juges de la Cour de Cassation se
refusaient à appliquer aux délits de corruption la théorie
des délits clandestins. Cette théorie permettant de repousser le
point de départ du délai de prescription non plus au jour de
commission mais « au jour où le délit est apparu et a pu
être constaté dans les conditions permettant l'exercice de
l'action publique ».
221. Ainsi, pendant trop longtemps, le délit de
corruption étant une infraction instantanée, le point de
départ du délai de prescription était
nécessairement le jour de consommation de l'infraction, consommation
« se renouvelant à chaque acte d'exécution dudit pacte
»115.
222. Or, depuis 2008, la chambre criminelle de la Cour de
Cassation est revenue sur cette conception, admettant l'application de la
théorie des délits clandestins à la corruption. Cette
solution qui avait été admise en premier au sujet du trafic
d'influence peut être étendue à la corruption
privée116 du fait des similitudes importantes entre ces
délits. Ainsi, en cas de dissimulation, le délai de prescription
ne commence à courir qu'à compter du jour ou l'infraction est
apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant
l'exercice des poursuites117.
113 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015, p21
114 Marc SEGONDS. (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de
droit Pénal des Affaires. Fascicule 30. 17 février.
115 Cass. crim., 16 mai 2001, n° 00-85.478
116 Cass. crim., 6 mai 2009, n° 08-84.107 : JurisData
n° 2009-048450
117 Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-82.124 et n°
04-81.758 : JurisData n° 2008-043363 ; Dr. pén. 2008, comm. 102,
note M. Véron ; Bull. crim. 2008, n° 71 ; AJP 2008, p. 319, note J.
Lelieur ; Rev. pénit. 2009, p. 176, note M. Segonds
223.
87
Toujours est--il que la fraude et la dissimulation
étant souvent couplées à la corruption, la
détection du délit reste une difficulté majeure en
matière de répression. Malgré les progrès
récent eu égard au point de départ du délai de
prescription, seule la pugnacité des enquêteurs et des juges
d'instructions permet de mettre à jours les infractions de corruption.
La nécessité pour les entreprises de prévenir leur
survenance est donc évidente.
224. Une prise en compte tardive du
phénomène? Il convient de faire remarquer que la
récente création de cette catégorie de fraude118
ne signifie pas que le risque de fraude aux achats soit un risque nouveau
mais ceci traduit plutôt une prise de conscience relativement tardive de
l'existence de ce phénomène ancré qui conduit souvent
à des surfacturations importantes au préjudice des entreprises.
Les acteurs du secteur privé ne sont pas les seuls à blâmer
pour cette prise de conscience tardive. Il est aussi possible de regretter que
l'entrée de l'infraction de corruption privée dans le Code
pénal ne soit intervenue qu'en 2005. Il est en outre regrettable qu'il
ait fallu attendre la survenance d'une crise d'envergure mondiale pour que
l'éthique dans les affaires devienne une priorité. Aujourd'hui,
et il est possible d'affirmer que le problème n'est pas seulement
français, l'économie mondiale semble gangrénée par
des pratiques peu avouables. La corruption privée comme publique fait
partie de ces pratiques variées destinée à satisfaire la
vénalité de quelques uns, au détriment de la bonne
santé économique des entreprises victimes, au détriment de
la qualité des biens et prestations de service, au détriment de
l'emploi et plus généralement au détriment de la
croissance. Lutter contre l'éventualité de ces pratiques est bien
évidemment une des responsabilités des entreprises qui en sont
les premières victimes mais pas seulement. Les pouvoirs publics ont eux
aussi leur rôle à jouer dans la lutte contre la corruption puisque
les dommages indirects sont susceptibles d'avoir un impact négatif sur
l'ensemble de l'économie.
118 PwcFrance, département « Forensic ».
(2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic
crime survey ». p11
88
CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
PRIVÉE
Les moyens de lutte permettant d'endiguer le
phénomène de corruption privée au sein des services achats
des entreprises seront présentés dans l'ordre suivant. Dans un
premier temps nous verrons quelles sont les dispositifs à la disposition
des entreprises (Section 1) puis dans un second temps nous verrons quelles sont
et ont été les initiatives des pouvoirs publics en la
matière (Section 2).
Section 1re - Les moyens de luttes contre la
corruption privée à la disposition des entreprises
I -- Les outils préventifs : Les procédures
internes
Un certains nombre de moyens sont à la disposition des
entreprises afin de prévenir la survenance de schémas de
corruption. Un exemple d'organisation interne pour lutter contre une la fraude
sera donné (A) avant d'évoquer un outil plus concret qu'est
l'informatique (B) puis un outil moins spécifique à la corruption
mais tout aussi efficace, à savoir la charte anti--corruption (C). Enfin
nous évoquerons l'intérêt du contrôle interne et des
audits (D).
A -- L'exemple de la lutte contre la manipulation des
besoins.
225. Lutter contre la manipulation des besoins.
La manipulation des besoins de l'entreprise, nous l'avons
déjà évoqué, constitue un moyen de
détournement efficace et peut parfois être le support d'un
schéma de corruption. Elle peut viser à favoriser un
sous--traitant au détriment de ses concurrents, à limiter ou
à éliminer la concurrence, à prévoir des clauses
permettant des modifications ultérieures pour favoriser le fournisseur,
à écarter les fournisseurs agréés qualifiés
ou encore à se défaire de fournisseurs intègres. Pour
empêcher la manipulation des besoins, Noël Pons, ancien conseiller
au SCPC préconise un certain nombre de moyens119. Il
distingue les mesures de contrôle classiques et les mesures applicables
dans le domaine du contrôle des paiements.
119 Noel Pons: « La manipulation des besoins dans les
opérations achats » Lettre trimestrielle « Auditeur
Francophone » Union Francophone de l'Audit Interne n°11, octobre 2012
/ avril 2013 - P 19 à 21
226. 89
Les mesures de contrôles généraux.
Noël Pons préconise notamment:
-- Une vigilance quant à la
séparation des tâches entre l'évaluation des besoin et
l'engagement.
-- La détermination et la mesure
qualitative et quantitative de l'importance de chaque activité pour
l'entreprise
-- Le repérage des activités
actuelles et des besoins futurs afin d'étayer les objectifs et chacun
des projets
-- L'assurance que des fonctions
spécialisées participent à l'élaboration de
l'argumentation et des stratégies, avant la validation des projets
-- L'assurance que les besoins
concernés ne peuvent pas être satisfaits en interne pour un
coût moindre
-- Le « benchmarking »120
des coûts et l'installation d'une base de données «
Coûts »
-- L'examen indépendant des
spécifications par des fonctions appropriées, afin de garantir la
cohérence avec les besoins du secteur
-- L'exigence de la mise en place d'une
validation indépendante des ordres lors de toute modification majeure de
l'objet du contrat
-- L'exigence d'un examen indépendant
des modalités contractuelles
-- L'assurance qu'il n'existe pas
d'écart par rapport aux contrats standards (omission des droits d'audit,
de la déontologie, des exigences du responsable
hygiène--sécurité, des exigences juridiques
(indemnités/ assurances/ garanties).
-- Pour les dossiers complexes, l'exigence de
l'intervention d'un juriste dès le début de l'opération
227. Les mesures de contrôles financiers.
Ces contrôles peuvent consister en :
-- Des contrôles effectifs de
l'échéancier
-- L'assurance que les prévisions des
flux de trésorerie soient cohérents par rapport aux programmes
d'exécution des travaux
-- L'assurance qu'il n'existe pas de
stipulations comportant des modalités de paiement défavorables
telles que les paiements anticipés échelonnés, les
paiements anticipés sans escompte, l'omission de ristournes pour gros
volume, l'existence de paiements avant fourniture des produits ou de la
prestation
120 Le Benchmarking consiste à se comparer aux
meilleures entreprises, celles qui possèdent les performances les plus
remarquables dans leur domaine. Définition de Raphaëlle Granger:
« Benchmark, s'inspirer des meilleurs », 02 juillet 2015,
http://www.manager--go.com/
90
-- L'assurance qu'il n'existe pas de
stipulations comportant des modalités de contrôle
défavorables telles que l'absence de clauses pénales en cas de
retard, l'absence de la précision d'un lieu de livraison, l'absence de
précision du cout de l'assurance et du transport ou un
échéancier des paiements échelonnés non
approprié.
228. Aussi, l'utilisation de l'informatique peut
s'avérer un outil de contrôle et de transparence efficace au
service de la prévention contre la corruption.
B -- L'intérêt de l'utilisation de
l'informatique dans le processus achat
229. Les appels d'offres électroniques.
Ils garantissent plus de transparence dans la dévolution des
marchés par l'entreprise. Il existe des logiciels de plus en plus
performants permettant une présélection en ligne des
sous-traitants potentiels suite à un appel d'offres. Les acheteurs n'ont
plus qu'à choisir, ce qui permet non seulement de gagner un temps
important mais aussi de gagner en transparence. En outre, la
traçabilité des offres est assurée121. Ces
outils sont appelés des logiciels de pilotage achats. Ils
désignent les applications et technologies utilisant les bases de
données d'internet, raison pour laquelle leur utilisation dans le
processus achats est aussi appelée « e-sourcing ».
Ces logiciels « sont composés de plusieurs
modules qui suivent, peu ou prou, toutes les étapes d'un processus
achats traditionnel. Par exemple, un module paramétré par
l'entreprise permettra à tout acheteur de définir son besoin
selon une méthodologie prédéfinie par la direction achats
»122.
L'utilisation de telles méthodes permet d'éviter le
recours à des apporteurs d'affaires, qui nous l'avons vu peut donner
lieu à des conflits d'intérêts importants. Il existe
également des logiciels d'e-RFI (Request for Information), étape
du processus achats consistant à obtenir des informations sur leurs
sous-traitants sur des bases de données ouvertes.
Une autre solution innovante dans le processus achats en ligne
étant celle des logiciels d'enchères en ligne appelées
« enchères inversées ». La mise en compétition
des sous-traitant est donc mieux garantie.
121 « La fonction achats en entreprise, politique et
stratégie d'achats » - Décision Achats - Le guide
N°4 - 01/01/2011 Disponible sur le site http://www.decision-achats.fr/
122 « La fonction achats en entreprise, politique et
stratégie d'achats » - Décision Achats - Le guide
N°4 - 01/01/2011 Disponible sur le site http://www.decision-achats.fr/
230.
91
Malgré la démocratisation de l'utilisation de
ces logiciels, ces derniers sont loin d'être des garanties suffisantes du
respect du code des achats. La promotion de l'éthique dans les affaires
est un aspect incontournable de la lutte contre la corruption
C - La prévention par l'éducation:
L'intérêt des chartes anti-- corruption.
231. Un problème persistant
d'éducation. Que ce soit le flou persistant autour de la
législation concernant les cadeaux d'affaires qui laisse largement
planer le doute sur les pratiques acceptables et celles relevant de
l'infraction de corruption privée, que ce soit la méconnaissance
de l'existence de l'infraction de corruption par encore beaucoup de
professionnels, ou que ce soit l'inquiétante propension d'une partie non
négligeable d'entre eux à estimer acceptable le recours à
des pratiques corruptives pour améliorer, sauver ou pérenniser la
situation économique de leur entreprise123. Il existe une
pléthore d'indices permettant d'affirmer qu'en 2015, alors que
l'éthique en entreprise est déjà au centre des
débats depuis quelques années, qu'il y a une réelle
nécessité de sensibilisation et d'éducation des acteurs du
monde des affaires quant au danger de la corruption privée (notamment).
C'est la vocation des chartes et des formations anticorruption mises en place
par les entreprises. (La charte-anticorruption ne doit pas porter uniquement
sur la pratique des cadeaux mais doit envisager tous les comportements
risqués et prohibés auxquelles les entreprises sont
exposées).
232. Premières victimes de ces difficultés, les
entreprises semblent avoir pris la mesure de la nécessité
d'encadrer la pratique des cadeaux d'affaires par exemple. La première
étape étant de désigner un organe la superviser. Il faut
donner la possibilité aux directions financières, juridiques et
des achats, de travailler ensemble. Pour cela, il convient de mettre en place
des systèmes de conformité et de veiller à leur respect.
Jean-Jacques Nillès, consultant spécialisé en
éthique des
123 Rappelons qu'à la question « lequel de ces
comportement trouvez--vous justifié de recourir afin d'aider votre
entreprise à surmonter un retournement de l'économie ?
» 29% des individus interrogés ont répondu qu'ils
seraient prêt à offrir un divertissement, afin de nouer ou de
pérenniser une relation d'affaire, faits constitutifs de corruption. 14%
d'entre eux seraient prêt à offrir un cadeau personnel pour les
mêmes raisons, 13% à offrir une somme d'argent liquide,
c'est-à-dire un « pot-de-vin » classique. Au total,
près de la moitié des sondés a reconnu être
prête à recourir à des moyens assimilable à de la
corruption « en cas de besoin » Source: La 13ème
étude mondiale sur la Fraude « Overcoming compliance
fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014
menée par EY (Ernst Young)
92
affaires que nous avons déjà cité124
considère que toutes les entreprises ne sont pas tenues de placer
le curseur au même endroit concernant la pratique des cadeaux. Certaines
entreprises vont adopter une vision plutôt anglo-saxonne de la question
et condamner totalement la pratique des cadeaux d'affaires. Jean-Jacques
Nillès considère cette position comme risquée, pour lui,
un système trop contraignant va souvent conduire les individus à
le contourner. Il est possible d'opter pour des solutions moins radicales comme
la mise en place de chartes éthiques qui vont avoir pour objet de
définir précisément quelles sont les pratiques acceptables
au regard des conflits d'intérêts pouvant être
suscités. L'efficacité de ces chartes suppose qu'elles soient
rédigées en collaboration avec les salariés
concernés, qu'elles soient réalistes et qu'un certain libre
arbitre soit laissé au salarié.
233. La diffusion nécessaire des chartes.
Un des points essentiels au sujet des chartes anti-corruption est leur
large diffusion auprès des personnes concernées. L'idéal
étant d'organiser des formations afin de sensibiliser et
d'éduquer les salariés à leur contenu par l'organisation
de réunions et séminaires de formation. La diffusion des chartes
éthiques peut également se faire à l'extérieur de
l'entreprise, à destinations des sous-traitants et des clients afin de
promouvoir une culture de l'éthique d'entreprise. Beaucoup d'entreprises
du CAC40 ont d'ailleurs pris le parti de rendre leurs chartes publiques.
234. L'utilisation de mesures contraignantes.
La simple signature par les salariés de la charte
anti-corruption est insuffisante. Les formations sont donc nécessaires.
Mais les entreprises peuvent aller plus loin dans l'encadrement de la pratique
des cadeaux d'affaires, en obligeant par exemple les salariés à
signaler systématiquement tout cadeau qui leur est remis sous peine de
sanction pouvant aller jusqu'au licenciement en cas de non respect de la
charte.
235. La nécessaire exemplarité des
dirigeants. C'est un point important afin d'inciter les
salariés à intégrer les bonnes pratiques au regard de la
corruption. Antoinette Gutierrez-Crespin, associée EY Fraud
Investigation & Dispute Services, considère que « c'est aux
cadres dirigeants de donner le ton - tone from the top - et que ce sont les
plus exposés aux situations où leur intégrité est
menacée: 21% des dirigeants et 10% des cadres dirigeants disent avoir
été sollicités dans le passé pour payer des
pots--de--vin ». Rappelons que 11% de dirigeants d'entreprises
estiment pouvoir justifier la fraude aux états financiers pour aider
leur entreprise en cas de
124 Catherine QUIGNON (2011). Cadeaux d'affaire, la
législation se durcit. Le nouvel économiste. Disponible en
ligne:
http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/cadeaux-daffaires-la-legislation-se-durcit-10741/
93
difficultés. David Stulb, responsable mondial du
département Fraud Investigation & Dispute Services (FIDS), ajoute
que « l'implication des conseils d'administration ne doit pas se
limiter au premier cercle des dirigeants, mais doit s'adresser à
l'ensemble des cadres de l'entreprise »125.
D - La nécessité des contrôles
internes et audits
236. « La confiance n'exclut pas le
contrôle ». Cette assertion de Lénine illustre
bien la nécessité de coupler la mise en place de
procédures rigoureuses et de codes de déontologie pertinents avec
des mesures de contrôle afin de garantir leur respect. La lutte
anti-corruption au niveau de l'entreprise ne peut s'envisager de manière
efficace que si des mécanismes de contrôle sont mis en place. Ces
mécanismes peuvent émaner de l'intérieur de l'entreprise
mais peuvent aussi être effectués par des structures
indépendantes. Dans le second cas on parlera alors « d'audit
». Les contrôles internes peuvent être
matérialisés par exemple par l'imposition systématique de
la double signature des chèques et commandes (au delà d'un
certain seuil fixé par l'entreprise). L'association Transparency
International suggère quelques points de contrôles
sensibles126 :
-- Les contrôles et la conservation des
documents financiers et de comptabilité afin de détecter les
irrégularités éventuelles
-- Les contrôles des contrats et de
leur bonne exécution
-- Un bon suivi des pratiques des cadeaux,
invitations et dépenses
-- Veiller à contrôler et mettre
à jour les programmes de lutte anti-corruption
-- Les contrôles du fonctionnement et
du respect des procédures de dévolution des marchés
En étant réguliers, ces contrôles vont
contribuer à diminuer le sentiment d'impunité qui pourrait
conduire les moins intègres à mal se conduire. Toutefois, si ces
contrôles sont utiles, ils peuvent s'avérer insuffisants. En
effet, les contrôles internes ne permettent pas de détecter toutes
les fraudes, les membres d'une entreprise peuvent s'être habitués
à ces contrôles habituels et avoir décelé leurs
failles. Raison pour laquelle des contrôles extérieurs peuvent
être intéressants. Des contrôles effectués de
manière inopinée par des entreprises spécialisées
vont non seulement contribuer à diminuer le sentiment d'impunité
mais vont aussi permettre de détecter des fraudes qui avaient pu jusque
lors demeurer invisibles.
125 La 13ème étude mondiale sur la
Fraude « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to
ethical growth » de juin 2014 menée par EY (Ernst Young)
126 Association Transparency International. (2011).
Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption
237.
94
L'éthique et la réputation d'une
entreprise. Outre la lutte contre la fraude, la mise en place d'une
charte anti-corruption peut être présentée comme un
avantage concurrentiel par les entreprises. Reprendre les grands principes de
lutte anti-corruption prônés par les conventions internationales
et les appliquer au sein de sa structure permet à toute entreprise de
véhiculer une meilleure image auprès de ses partenaires. A
condition que les directions achats et communication travaillent de concert
afin de mettre en avant la politique d'éthique mise en place. En outre,
de plus en plus d'entreprises d'une certaine taille imposent à leurs
fournisseurs qu'ils apportent la preuve qu'ils ont mis en place des
systèmes anticorruption efficaces127.
238. Au delà de l'organisation du service et de la
promotion de l'éthique, l'entreprise a d'autres possibilités pour
lutter contre la corruption privée. L'entreprise doit se donner les
moyens de détecter toute fraude qui se déroule ou se serait
déroulée en son sein.
II -- Les outils de détection au service de
l'entreprise
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat8.png)
Source: PwcFrance, département «
Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: «
Global economic crime survey ». p6
127 Association Transparency International. (2011).
Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption
239.
95
Comme le montre ce diagramme il existe divers modes de
détection des fraudes. Outre la détection permise grâce aux
contrôles internes et externes des entreprises dont nous avons
évoqué les contours précédemment et les rotations
du personnel, un mode de détection va faire ici l'objet de toute notre
attention: le lanceur d'alerte ou « whistleblowing » (A). L'autre
moyen de détection que nous préciserons est la l'analyse de
données (B) (« data analytics »).
A - Le rôle essentiel des lanceurs d'alerte dans
la détection de la corruption
240. Les collaborateurs du fraudeur, aux
premières loges de la fraude. Bien souvent, et c'était
le cas dans les deux principales illustrations que nous avons
détaillées au cours de cette étude, les salariés
collaborateurs des principaux instigateurs de la corruption privée sont
les premiers au courant lorsqu'une fraude est en train ou va se dérouler
au sein de leur entreprise. Etant donné leur proximité, ils
seront généralement les premiers à détecter ou
à se voir proposer une participation à un schéma de
corruption. Ils constituent donc une source d'information
privilégiée qui ne doit pas être négligée par
les entreprises et par les pouvoirs publics. En effet, beaucoup de
salariés pourtant au fait de comportements douteux vont
préférer se « murer » dans leur silence plutôt
que de risquer leur réputation voire leur poste. On estime qu'entre 75 %
à 99 % d'entre eux préfèrent se taire en l'absence de
législation de protection128. Les causes de ce silence sont
souvent la peur des représailles mais sont aussi parfois empruntes d'une
culture française du silence héritée de la période
d'occupation, les dénonciateurs étant souvent assimilés
à des délateurs.
241. Origines du whistleblowing. Né
aux États-Unis dans les années 1970, le whistleblowing,
signifiant « tirer un coup de sifflet » est
l'équivalant anglo-saxon de notre « lanceur d'alerte ».
Transparency International définit le lanceur d'alerte comme
étant « un employé faisant un signalement touchant à
l'intérêt général : crime ou délit, erreur
judiciaire, corruption, atteintes à la sécurité, la
santé publique ou l'environnement, abus de pouvoir, usage illégal
de fonds publics, graves erreurs de gestion, conflits d'intérêts
ou dissimulation des preuves afférentes »129.
128 Nicole Marie MEYER. (2014). Le droit d'alerte en
perspective : 50 années de débats dans le monde. AJDA, 24
nov. no 39, p. 2242
129 Alain-Christian MONKAM. (2015). Avocat spécialiste
en droit social. whistleblowing : une protection en demi-teinte.
Jurisprudence Sociale Lamy
242.
96
Une position fragile des salariés.
Aussi, bien que le législateur ait fait entrer la corruption
dans le régime procédural de la criminalité
organisée, sans pour autant considérer explicitement que
l'infraction fait partie de cette catégorie de délinquance et
bien qu'il existe, comme nous l'avons vu, un corps d'incriminations permettant
d'appréhender la corruption privée sous toutes ses formes, la
lutte contre la corruption en général et la corruption
privée en particulier passe aussi par « la protection des
personnes que leur fonction place en situation privilégiée pour
en observer les pratiques et par la suite de les dénoncer
»130. Ainsi, c'est la raison d'être de l'article
L.1161-1 du Code du travail, issu de la loi n°2007-1598 du 13 novembre
2007, qui dispose qu' « aucune personne ne peut être
écartée d'une procédure de recrutement ou de
l'accès à un stage ou à une période deformation
entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné ou
licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou
indirecte, notamment en matière de rémunération, de
formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification,
de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de
contrat». pour avoir dénoncé ou témoigné
de bonne foi de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans
l'exercice de ses fonction. L'alinéa 2 ajoute que « toute
rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou
tout acte contraire est nul de plein droit». Si une mesure de
rétorsion est prise à l'encontre d'un salarié ayant
endossé le rôle de lanceur d'alerte, c'est à l'auteur de la
mesure qu'appartiendra de supporter la charge de la preuve du caractère
justifié et étranger à la dénonciation de cette
mesure prise à l'égard du salarié131. Il est
important de noter que la charge de la preuve ne fait pas l'objet d'une
inversion totale, en effet, le salarié devra d'abord établir
« des faits qui permettent de présumer qu'il a relaté ou
témoigné de faits de corruption »132.
243. Une absence d'obligation de
dénonciation. L'article 40 alinéa 2 du Code de
procédure pénal dispose que : « toute autorité
constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice
de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est
tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et
de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,
procès--verbaux et actes qui y sont relatifs ». L'absence
d'obligation similaire à l'égard des acteurs du secteur
privée démontre une fois de plus que l'accent est mis sur la
probité des agents publics qui se doivent d'être exemplaires.
130 Agathe Lepage, Patrick Maistre du Chambon, Renaud Salomon,
manuel « droit pénal des affaires », LexisNexis,
3ème édition, 2013, p169
131 Agathe Lepage, Patrick Maistre du Chambon, Renaud Salomon,
manuel « droit pénal des affaires », LexisNexis, 3ème
édition, 2013, p169
132 CA Paris, 13 mars 2013, no 12/03679 ; CA Paris, 21 mars 2013,
no 11/06352
244.
97
Un renforcement récent de la protection des
lanceurs d'alerte. La loi du 6 décembre 2013 a
créé l'article L.1132-3-3 du Code du travail afin
d'empêcher toute sanction à l'égard d'une personne «
pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits
constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu
connaissance dans l'exercice de ses fonctions ». Ainsi que l'article 40-6
du Code de procédure pénale qui dispose que : « la
personne qui a signalé un délit ou un crime commis dans son
entreprise ou dans son administration est mise en relation, à sa
demande, avec le service central de prévention de la corruption lorsque
l'infraction signalée entre dans le champ de compétence de ce
service ». D'aucuns considèrent que ces nouvelles dispositions
sont créatrices d' « un droit général de
dénoncer toute infraction »133.
245. Le rôle des entreprises en matière
d'alerte. Un cadre législatif accueillant n'est pas suffisant
pour encourager les initiatives des salariés en matière de
dénonciation. Non seulement les salariés n'ont pas
nécessairement conscience que leur protection juridique est plutôt
garantie (à condition qu'ils soient de bonne foi) mais la perception
négative des « délateurs » constitue toujours une
barrière morale à la dénonciation des fraudes par les
salariés qui en ont connaissance. Une fois encore, l'éducation et
la formation des salariés semblent être la clef et le prolongement
incontournable des dispositions légales qui ont été
adoptées ces dernières années. Les entreprises doivent
donc mettre en place des systèmes afin d'enregistrer et traiter les
éventuelles alertes. Pour cela les supports de communications tels que
le téléphone ou internet doivent être
privilégiés pour l'anonymat qu'ils offrent. En outre, les chartes
éthiques peuvent mentionner la possibilité pour les
salariés de dénoncer les comportements illicites de leurs
collaborateurs afin de pouvoir gérer la situation en interne. Les
entreprises veulent rester maîtresses de leur image et ne souhaitent pas
que les affaires soient systématiquement rendues publiques. Beaucoup
d'entreprises internationales n'ont pas attendu la loi de 2013 pour mettre en
place des dispositifs d'alerte.
B - La détection par l'analyse des données
forensic
246. Des méthodes récentes.
Parmi tous les moyens de lutte contre la corruption, un moyen de
détection progresse particulièrement depuis quelques
années: la détection par l'analyse des données. Rappelons
que l'édition 2014 de l'étude mondiale sur la fraude en
entreprise de PWC a permis de mettre en exergue le fait que le nombre de
fraudes reportées n'est probablement pas lié à leur
augmentation mais au fait que les entreprises soient mieux armées pour
les
133 Jean-Denis ERRARD. (2014). Les nouveaux lanceurs
d'alerte: le civisme de la dénonciation. Droit et patrimoine. 5
mai. no 236
98
détecter. Un des moyens de détection dont les
résultats sont les plus significatifs est l'analyse de données.
Ces systèmes ont vu leur utilisation généralisée
depuis l'avènement de la crise et la prise de conscience par les
entreprises du fait que la fraude peut engendrer des coûts financiers et
d'image importants. Dès lors, la détection de fraude est de moins
en moins le fruit du hasard et de plus en plus permise par la montée en
puissance de l'analyse de données.
247. Exemples de progrès permis par l'analyse
informatique des données134. La data forensic
consiste à analyser les supports électroniques à l'aide de
logiciels et de matériels « technico--légaux ». Ce sont
des solutions généralement proposées par des entreprises
spécialisées d'audit et de sécurité. Par
l'utilisation d'équipements techniques spécialisés ils
vont pouvoir collecter et sécuriser les preuves éventuelles,
traiter et analyser des volumes conséquents de courriers
électroniques, confronter les données suspectes et identifier les
auteurs et responsables, apporter un soutien aux enquêteurs, avocats et
parties. Ces solutions vont permettre également de numériser des
documents papiers afin de les analyser par mots clefs ce qui permet de gagner
un temps considérable.
248. La France, pays leaders dans l'analyse
informatique des données. Aujourd'hui, 25% des fraudes
détectées (dont la corruption) l'ont été
grâce à ces systèmes de détection
automatisés. D'après l'étude menée par PwcFrance,
en Europe de l'ouest et en France plus particulièrement la relation
entre le nombre de fraudes détectées et l'utilisation de ces
nouveaux systèmes est plus élevée qu'au niveau mondial. Un
chiffre frappe quant à l'efficacité de ces méthodes de
détections: « 80% des entreprises françaises ayant
reporté au moins une fraude avaient au préalable
réalisé une évaluation (analyse informatique des
données) de leur risque de fraude »135
249. Ainsi, la lutte contre la fraude en
général, la corruption en particulier et donc la corruption
privée doit faire l'objet d'une attention toute particulière de
la part des entreprises. Nous avons vu que ces dernières disposent d'un
arsenal conséquent à mettre à oeuvre afin d'assainir leurs
pratiques. Toutefois, les autorités publiques nationales et
internationales ont le devoir de s'investir dans la lutte. Non seulement en la
rendant possible - on a pu mesurer ce rôle au regard des
évolutions législatives sur les lanceurs d'alerte - mais aussi en
encourageant la lutte.
134
https://www.pwc.ch/fr/nos_services/conseil_economique/forensic/forensic_technology_solutio
ns.html
135 PwcFrance, département « Forensic ».
(2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic
crime survey ». p8
99
Section 2nd - Les initiatives
nécessaires des pouvoirs publics en matière de lutte contre la
corruption privée
Bien que des progrès conséquents aient
été faits par les entreprises en matière de lutte
anti-corruption, il reste encore beaucoup à faire (I). Au regard des
insuffisances subsistantes, il convient de s'interroger sur le rôle que
jouent les pouvoirs publics en la matière (II)
I - Une lassitude des entreprises en matière de
lutte anti-- corruption?
250. Une implication toujours insuffisante des cadres
dirigeants au regard des risques encourus. L'ensemble des
études que nous avons présentés sur la corruption dans les
services achats des entreprises françaises et sur la fraude dans le
monde permettent d'arriver à ce même constat que nous avons
déjà évoqué: Les personnels dirigeants sont ceux
qui font le moins preuve d'intégrité, contournent le plus souvent
les contrôles et sont le moins impliqués dans les formations
anticorruption. Ces comportements sont doublement préjudiciables pour
les entreprises. Non seulement il sera reproché aux cadre-dirigeants de
ne pas montrer l'exemple ni de ne pas encourager suffisamment les
procédures de lutte anti-corruption mais surtout, en tant que
responsable et représentant de leur entreprise, le comportement de ces
derniers exposent d'autant plus leur entreprise à une mise en cause de
sa responsabilité pénale.
251. Accentuation de la coopération
internationale. Cette insuffisance est d'autant plus regrettable que
les régulateurs semblent avoir accentué leurs efforts en
matière de lutte contre les fraudes en entreprise. Gérard Zolt,
associé du cabinet EY et responsable de la section FIDS (Fraud
Investigation & Dispute Service) pour la région France et Luxembourg
affirme que « les régulateurs investissent massivement afin de
renforcer leur capacité à exploiter les données de grandes
sociétés pour identifier de potentielles
irrégularités. Les plus récents outils de visualisation de
données peuvent contribuer à l'identification plus rapide et
efficace de signaux d'alarme en matière de comptabilisation des recettes
ou en matière d'achats. Les conseils d'administration devraient
s'interroger sur la manière dont la direction capitalise sur l'expertise
en matière d'analyse des données « big data » afin d'en
tirer le meilleur parti pour l'amélioration de la conformité
ainsi que des résultats d'enquêtes
»136. Avec l'accentuation de la
coopération internationale, les
136
http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Corruption_dans_le_monde_lutte_des_conseils_d_ad
ministration_pour_y_faire_face/$FILE/June14_fraud_survey_FR.pdf
100
normes anti-corruption sont de plus en plus appliquées
et de façon plus strictes. Les pouvoirs de poursuites ont
été renforcés, en terme de volonté et de budget.
Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à s'être mis à
poursuivre les faits de corruption.
252. Un ralentissement de la conformité.
Les études que nous avons présentées mettent
aussi en exergue un certain essoufflement de la part des entreprises en
matière de conformité. Au regard de l'accentuation de la lutte de
la part des régulateurs et de la meilleure coopération
internationale, ce ralentissement est inquiétant pour les entreprises.
En 2014, une entreprise sur cinq dans le monde n'a toujours pas mis en place de
charte anti-corruption. Près d'une sur deux n'a pas mis en place de
système de communication pour accueillir les informations des lanceurs
d'alertes éventuels et une personne sur deux (interrogée) n'a pas
participé à une formation anti-corruption137. Ainsi,
encore trop d'entreprises n'ont pas intégré la
nécessité de mettre en place ce type de procédures . Le
symptôme le plus parlant étant sans doute le faible nombre
d'entreprises ayant mis en place une « hotline » à destination
des lanceurs d'alerte, « plus petite composante d'un processus de
déclenchement d'alarme efficace et exhaustif
»138.
II - Les initiatives des pouvoirs publics
Cette dernière partie sera consacrée à
l'étude des initiatives les plus actuelles des pouvoirs publics
français en matière de lutte contre la corruption (A) puis
à la présentation d'un organe Etatique relativement ancien de
lutte contre la corruption, le Service Central de Prévention contre la
Corruption (B).
A - 2013 et la mise en oeuvres de nouvelles mesures
destinées à lutter contre la grande délinquance
économique et financière.
253. On a déjà pu remarquer que les
condamnations du chef de corruption privée sont encore quasiment
inexistantes en France. Pourtant, étant donnée
l'omniprésence avérée du phénomène et
notamment au sein du secteur achats des entreprises, on peut imaginer que la
répression pourrait s'intensifier. Toutefois, l'infraction de corruption
est par essence très difficilement réprimable et cette
caractéristique semble avoir été prise en compte par les
pouvoirs publics. En effet, depuis peu, l'Etat français a
souhaité s'armer pour lutter contre la grande
137 13ème étude mondiale sur la
Fraude menée par EY (Ernst Young) « Overcoming compliance fatigue:
reinforcing the commitment to ethical growth », juin 2014
138 Propos de Gérard Zolt, associé du cabinet EY et
responsable de la section FIDS
http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Corruption_dans_le_monde_lutte_des_conseils_d_ad
ministration_pour_y_faire_face/$FILE/June14_fraud_survey_FR.pdf
101
délinquance économique et financière, la
délinquance complexe qui ne peut être mise à jour que par
des spécialistes, formés et qualifiés.
254. La création d'un procureur de la
République financier139. C'est la loi du 6
décembre 2013 relative au procureur de la République financier et
la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et
à la grande délinquance économique et financière
qui ont permis la mise en place d'un procureur de la République
financier à compétence nationale. Ce dernier est directement
rattaché au tribunal de grande instance de Paris. Outre sa
compétence exclusive et nationale en matière de délits
boursiers, le procureur financier a une compétence partagée en
matière d'atteintes à la probité et notamment en
matière de corruption privée lorsqu'elles revêtent une
certaine complexité (grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes
ou grande dispersion géographique des faits). Le procureur financier est
aussi compétent pour poursuivre le blanchiment de l'ensemble de ces
infractions. Toutefois, en matière de corruption privée, il y a
fort à parier que ce procureur financier ne fera pas office de
révolution, ce dernier n'ayant finalement vocation qu'à
s'intéresser à des affaires à portée nationale ou
internationale et donc uniquement pour les dossiers impliquant des responsables
au plus haut de la hiérarchie d'entreprises « à forte
visibilité économique »140.
255. Les services d'enquête
spécialisés141. Le procureur de la
république financier a aussi pour possibilité de saisir des
services d'enquête spécialisés de la direction centrale de
la police judiciaire tels que l'office central pour la répression de la
grande délinquance financière (OCRGDF) et surtout l'office
central de lutte contre la corruption et les infractions financières et
fiscales (OCLCIFF) créé en octobre 2013, permettant de doubler
les effectifs consacrés aux infractions de corruption. L'OCLCIFF est
chargé des enquêtes en matière de corruption nationale et
internationale, des atteintes à la probité, des infractions au
droit des affaires, de la fraude fiscale complexe et du blanchiment de toutes
ces infractions. L'OCLCIFF a vocation à remplacer la Division nationale
d'investigations financières et fiscales (DNIFF). Il y a actuellement
plus de cent policiers, gendarmes, agents de la direction
générale des finances publiques au sein de l'OCLCIFF. Cet office
a par ailleurs pour objectif consacré de coordonner et d'organiser la
lutte contre les infractions de corruption (notamment) avec les autres services
d'enquête compétents (police judiciaire, gendarmerie, douanes,
administration fiscale ...).
139 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015
140 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015
141 Christine Dufau, commissaire divisionnaire, cheffe de
l'OCLCIFF,
http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Dossiers/Corruption--et--fraude--fiscale--en--ligne--de--mire
102
L'idée étant d'encourager le partage
d'informations et d'améliorer les techniques d'enquête sur des
phénomènes complexes. Aussi, à l'image de ce qui est fait
dans beaucoup d'entreprises pour accueillir les « alertes », l'OLCIFF
devrait mettre en place un dispositif sur internet accessible à toute
personne ayant des informations sur des faits de corruption.
256. Une réponse efficace? Ainsi,
comme le souligne les rédacteurs du dernier rapport d'activité du
SCPC (rendu public en juin 2014), la création du procureur financier est
censée répondre à deux attentes. La première est de
mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux et
notamment l'article 36 de la Convention des Nations Unies contre la corruption
de 2003, disposant que « Chaque État partie fait en sorte,
conformément aux principes fondamentaux de son système juridique,
qu'existent un ou plusieurs organes ou des personnes spécialisées
dans la lutte contre la corruption par la détection et la
répression ». D'autre part, le procureur financier est
censé être une réponse efficace aux infractions
financières complexes venant compléter l'action des juridictions
interrégionales spécialisées qui n'ont, à
l'exception du Pôle financier de Paris, pas su se diversifier
suffisamment et se sont focalisées sur la criminalité
organisée et les grands trafics, délaissant la délinquance
financière complexe. Toutefois, selon Eliane Houlette, procureur de la
République financier, il est encore trop tôt pour faire un bilan
de l'activité du parquet national financier. Celui-ci n'étant
opérationnel que depuis le 1er février 2014. Il reste que le
parquet semble être en expansion puisque le nombre de magistrats qui le
compose a déjà plus que doublé, passant de 5 à 12
en janvier 2015142.
257. Des limites concernant la corruption
privée. Dans son commentaire de la loi n°2013-1117 du 6
décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la
grande délinquance économique et financière143,
le Professeur Marc Segonds met en évidence un nouveau symptôme du
moindre intérêt voire du désintérêt des
pouvoirs publics pour les méfaits de la corruption privée. En
effet, tout en saluant l'extension de la repentance144 aux faits de
blanchiment, de corruption publique,
142 Eliane HOULETTE procureur de la République
financier. (2015). Discours. Audience solennelle de rentrée du tribunal
de grande instance de Paris. 19 janvier.
143 Marc SEGONDS. (2014). Commentaire dela loi
n°2013--1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre
la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière. LexisNexis. Revue de droit pénal.
Février.
144 A l'égard du blanchiment, l'article 324-6-1 du Code
pénal dispose que « Toute personne qui a tenté de
commettre les infractions prévues à la présente section
est exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou
judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction
et d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou
complices.
La peine privative de liberté encourue par l'auteur
ou le complice d'une des infractions prévues à la présente
section est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité
administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l'infraction ou
d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou
complices».
103
de corruption judiciaire, de corruption publique
étrangère et internationale et de corruption judiciaire
étrangère et internationale, l'auteur met en avant le fait que la
corruption privée est la seule à ne pas faire l'objet de ce
nouveau dispositif. En ignorant « des entrelacs de la corruption
publique et de la corruption privée, le législateur a omis d'y
soumettre cette dernière, omission d'autant plus impardonnable qu'il ne
peut raisonnablement être soutenu que la criminalité
organisée s'adonnerait à la première à l'exclusion
de la seconde ».
B - le Rôle ancré du Service Central de
prévention de la corruption145
258. Le Service Central de Prévention contre
la Corruption. Le SCPC est un service créé à par
la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention
de la corruption et à la transparence de la vie économique et des
procédures publiques. C'est la principale autorité
anti-corruption française ayant une compétence en matière
de prévention, de détection, de centralisation des informations
relatives à la corruption146.
259. Un service en expansion. Les effectifs
du SCPC ont été plus que doublés depuis cinq ans, passant
de 5 membres à 12 membres en 2015. En parallèle, son rôle
s'est développé. La mission de centralisation des informations
relatives à la corruption permet au SCPC de publier chaque année
un rapport détaillé sur le phénomène de corruption
et ses évolutions. Concernant la seule corruption privée, on
pourra regretter que même le SCPC fasse preuve d'un moindre
intérêt. En effet, les statistiques concernant la corruption
privée sont relativement peu mises en avant et détaillées
dans les rapports des dernières années, bien que pas totalement
ignorées.
260. Un service novateur. Outre la
fourniture de chiffres précis et détaillés sur la
corruption, le SCPC effectue un rappel annuel des évolutions de la
législation nationale et propose depuis 2010 des pistes de
réformes dont certaines ont été suivies (notamment la
possibilité de constituer partie civile pour les associations de lutte
contre la corruption et la protection des lanceurs d'alerte). Ces propositions
sont issues de discussions avec les différents ministères
concernés, des entreprises et autres organisations impliquées
dans la lutte contre la corruption.
145 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2014. (2015). juin
2015.
146 ANNEXE : Graphique illustrant le champ d'activité du
SCPC dans le cadre national
261.
104
Un service formateur. Le rapport du SCPC pour
l'année 2014 rappelle que le SCPC met ses compétences au service
de la prévention de la corruption en participant
régulièrement des formations de sensibilisation aux risques de
corruption auprès d'administrations publiques, d'étudiants et
d'entreprises privées. Dans cette optique de prévention, le SCPC
a élaboré et publié en 2015 un document intitulé
« Les lignes directrices françaises visant à renforcer
la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales ». A
l'heure où on constate un essoufflement des initiatives des entreprises
dans la prévention, il est de bon augure de constater que le SCPC tente
de sensibiliser les personnes concernées au phénomène et
à la nécessité de lutter. Ce document a pour objet de
proposer aux entreprises des recommandations juridiques non contraignantes pour
l'élaboration de programmes de conformité147.
262. Le SCPC, un service d'expertise. Le
SCPC est un soutien au service des autorités judiciaires et de
l'administration. Depuis la loi 1993, le SCPC est investi de la mission de
prêter son concours, sur demande, aux autorités judiciaires en
matière de corruption, de prise illégale d'intérêt,
de concussion, de favoritisme et de trafic d'influence. Il est également
chargé de donner des avis, toujours sur demande, à certaines
administrations au sujet de mesures anti--corruption. « En 2014, le
Service a été saisi de 66 demandes de concours, 9 émanant
d'autorités administratives, 2 d'autorités judiciaires et 57 de
particuliers, associations et conseillers municipaux
»148.
263. Des initiatives tardives mais
nécessaires. Ainsi, bien qu'une partie des mesures qui ont
été présentées soient intervenues relativement tard
dans un contexte où la délinquance économique fait
déjà l'objet de longs débats depuis des années, et
que leur impact soit difficilement mesurable, on voit que les pouvoirs publics
français cherchent à soutenir et à réaffirmer leur
volonté de lutter contre la corruption.
147 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2014. (2015). juin
2015.
148 Ibidem. p144
105
CONCLUSION
264. Depuis une dizaine d'année les pouvoirs publics
semblent avoir intégré le fait que la corruption est un
phénomène qui touche à la fois le secteur public
(fonctionnaires, élus, magistrats ...) et le secteur privée.
L'arsenal législatif mis en place pour lutter contre la corruption en
général et contre la corruption privée en particulier est
aujourd'hui opérationnel quoique emprunt d'une certaine
complexité. Ainsi, corruption publique et privée peuvent
être combattues et doivent l'être.
265. Dans ce mémoire plusieurs questions ont
été posées. Une des principales étant de savoir
pourquoi dix ans après un certain regain d'intérêt des
pouvoirs publics à l'égard d'un phénomène trop
longtemps ignoré, les condamnations sont toujours quasiment
inexistantes. Nous avons vu que la réponse à cette question ne
pouvait être simplement l'absence ou le très faible nombre de
comportements incriminables. En ce focalisant sur un des domaines les plus
exposés à la corruption privée, à savoir les
services achats des entreprises, il a été démontré
que la corruption privée est par nature une infraction non seulement
facile et lucrative à mettre en oeuvre pour les auteurs mais surtout
relativement difficile à détecter pour les victimes et encore
plus complexe à réprimer pour les autorités publiques.
266. Toutefois et malgré ce constat, le
phénomène de corruption privée ne doit pas être
perçu comme une fatalité. Bien qu'il existe un nombre
résiduel de fraudes potentielles impossibles à empêcher,
l'étude du cabinet AgileBuyer a permis de démontrer que des
progrès peuvent être faits si les moyens sont mis en place.
Rappelons à cet égard les changements intervenus en quelques
années dans les secteurs de l'automobile et de la construction suite aux
scandales qui les ont éclaboussés. La mise en place de
procédures internes anti--corruption et de chartes éthiques dans
ces secteurs a contribué à assainir ces secteurs qui comme
l'immobilier jouissaient d'une mauvaise réputation et de mauvais
résultats en terme d'éthique des affaires.
267.
106
Les diverses études auxquelles nous avons eu recours
démontrent qu'il existe un nombre significatif de fraudes non
détectées au sein des entreprises qui ne se sont pas encore
investies dans le jeu de la conformité. En effet, pour les entreprises
ayant eu recours à l'analyse informatique, qui ont encouragé les
lanceurs d'alertes potentiels et/ou qui ont fait la promotion de
l'éthique auprès de leurs salariés ont
nécessairement détecté bien plus de cas de corruptions que
celles qui se sont contentées de la détection par le hasard.
268. Aussi, l'expérience d'autres États que la
France a permis de constater que les moyens de détection de la fraude
avaient rendu possibles de nets progrès. En effet, au Royaume-Uni,
après avoir légèrement augmenté à la fin des
années 2010, grâce au nouveaux moyens de détections
développés, le pourcentage de fraudes reportées a fini par
diminuer de 6% entre 2011 et 2014. Cet Etat est peut-être en cours de
récolte des fruits de ses investissements dans les technologies de
détection automatisée. Ces dernières ayant un effet
dissuasif à moyen et long terme. Cet effet pouvant être
accentué si l'entreprise fait savoir que des contrôles
poussés ont lieu, et de façon inopinée149.
269. En matière de délinquance des affaires
comme dans toute autre forme de délinquance et de criminalité il
existe deux grandes familles de moyens de lutter. Les moyens axés sur la
prévention et les moyens axés sur la détection et la
répression. (Il est bien évident qu'un haut niveau de
répression aura parfois un effet préventif dans le sens où
les auteurs potentiels d'infraction seront parfois dissuadés de passer
à l'acte). Toujours est-il qu'il est possible de distinguer les moyens
de lutte dont les effets vont se situer en aval de la commission de
l'infraction combattue et les moyens préventifs qui comme le suffixe
l'indique, vont intervenir en amont de toute commission d'infraction.
270. On a pu voir que l'infraction de corruption
privée est par nature très difficile à réprimer. La
quasi absence de condamnation en étant le symptôme ultime. La
solution principale et optimale actuellement pour lutter contre la corruption
reste donc la prévention. L'idée étant d'empêcher
matériellement la fraude d'être commise ou de rendre possible sa
détection précoce. Ainsi, du coté des entreprises comme du
coté de l'Etat, il existe un certain nombre de moyens de lutte contre la
corruption pouvant être utilisés. Un certain nombre d'entre eux
ont été évoqués voire détaillés mais
il en existe peut-être autant que de modes opératoires de
corruption.
149 PwcFrance, département « Forensic ».
(2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic
crime survey ». p8
271.
107
Toutefois, malgré l'éventualité de ces
moyens de luttes, un problème majeur n'ayant pas été
évoqué se pose non seulement aux entreprises mais aussi aux
pouvoirs publics. La lutte contre la corruption quelle qu'elle soit,
représente un coût important, que ce soit pour l'Etat ou pour les
entreprises. Pour ces dernières, plus que la volonté, ce sont
bien les ressources disponibles qui seront déterminantes de la mise en
place ou non de procédures de lutte interne.
272. La mise en place de ces procédures est pourtant
relativement bénéfique pour une entreprise. Bien que cela
représente un surcoût important il est souvent plus
économique de tout mettre en oeuvre pour éviter de subir les
méfaits de la corruption plutôt que de les laisser se produire.
Par ailleurs, être reconnu comme étant une entreprise
éthique améliore nécessairement les chances d'être
sélectionnée par les plus grandes groupes et de pouvoir s'ouvrir
à l'international. Il en est de même pour les contrats publics. En
outre, un programme anti-corruption digne de ce nom est souvent une garantie
pour l'entreprise et ses membres d'être prémunis contre les
sanctions pénales. C'est aussi un argument à faire valoir devant
les organismes financiers et éventuellement devant des acheteurs
potentiels de l'entreprise150.
273. Ainsi, les entreprises doivent être de plus en
plus concernées. Pour cela les efforts des pouvoirs publics doivent
s'accentuer, peut-être pas sur la répression qui reste un point
complexe mais plutôt afin de les encourager. Dans la lutte contre la
corruption privée, c'est à la prévention que la
priorité doit être donnée et pour cela, c'est à
l'Etat de donner l'impulsion. Pour cela l'Etat dispose de différents
leviers, y compris la contrainte.
274. A cet égard un article du journal Le Monde du 22
juillet 2015151 laisse entendre qu'une nouvelle loi anti-corruption
devrait être débattue en 2016. Ce projet de loi prévoirait
notamment la création d'une agence nationale de lutte contre la
corruption pour remplacer le SCPC, avec plus de pouvoir et notamment la
possibilité de contrôler et de sanctionner - sur le modèle
anglo-saxon - les entreprises qui ne sont pas suffisamment investies dans la
prévention contre la corruption. Le cas des lanceurs d'alerte devrait
à nouveau être réformé dans le
150 Association Transparency International. (2011)
Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption. p9
151 CAZI,E. MICHEL,A. (2015) Une nouvelle loi anti-corruption
prévue en 2016, Le Monde. 22 juillet. Disponible sur le site
http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/07/22/une-nouvelle-loi-anti-corruption-prevue-en-2016_4693636_823448.html
108
sens d'une plus grande protection et via une harmonisation des
textes. L'agence devrait, dans le cas où elle recevrait une alerte,
avoir la possibilité de saisir la justice à la place du
salarié.
275. Aujourd'hui il est difficile de dire si
les réformes adoptées en 2013 et celles à venir
permettront d'endiguer le phénomène de corruption privée
dans les services achats des entreprises. Un seul constat peut--être
fait, celui d'un éveil trop tardif des pouvoirs publics. Ces derniers
ont attendu près d'une dizaine d'années avant d'adopter les
mesures nécessaires à la mise en oeuvre d'une répression
efficace que les seuls articles du code pénal ne suffisaient pas
à rendre possible.
109
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ANNEXES
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat9.png)
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat10.png)
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat11.png)
![](L-entreprise-face-au-phenomene-de-corruption-privee-de-son-service-achat12.png)
SOURCE: Rapport d'activité
du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année
2014. (2015). Juin.
115
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS 6
SOMMAIRE 7
INTRODUCTION 1
1ERE PARTIE - LE RISQUE ELEVE DE CORRUPTION
PRIVEE
INHERENT AUX SERVICES ACHATS 8
CHAPITRE 1ER - LA CORRUPTION PRIVEE, UN PHENOMENE
OMNIPRESENT EN FRANCE 8
SECTION 1RE -L'INFRACTION DE CORRUPTION PRIVEE EN
FRANCE EN 2015 8
I - DE LA QUALIFICATION DE CORRUPTION DE PERSONNES
N'EXERÇANT PAS UNE FONCTION PUBLIQUE
8
A - Notion de corruption privée 9
B - L'incrimination de la corruption privée dans le Code
pénal 10
II - EVOLUTIONS DES PEINES ENCOURUES DU CHEF DE CORRUPTION PRIVEE
14
A - Une aggravation progressive de la peine principale 14
B - Les peines complémentaires 15
SECTION 2NDE - LES ETUDES STATISTIQUES PRIVEES, SEULS
OUTILS DE MESURE DU PHENOMENE DE
CORRUPTION ? 19
I - PREMIERE ETUDE : «LES PRIORITES DES SERVICES ACHATS EN
2015 OU LA MANIERE DONT SERONT GERES LES SOUS--TRAITANTS EN 2015
» ETUDE DU CABINET AGILEBUYER ET DU
GROUPEMENT ACHATS D'HEC 19
II - DEUXIEME ETUDE : LA 13EME ETUDE MONDIALE SUR LA
FRAUDE « OVERCOMING COMPLIANCE FATIGUE: REINFORCING THE COMMITMENT TO
ETHICAL GROWTH » DE JUIN 2014 MENEE PAR EY
(ERNST YOUNG) 23
III - TROISIEME ETUDE : EDITION 2014 DE L'ETUDE MONDIALE SUR LA
FRAUDE EN ENTREPRISE
« GLOBAL ECONOMIC CRIME SURVEY » MENEE PAR LE
DEPARTEMENT « FORENSIC » DE PWCFRANCE.
26
CHAPITRE 2 - RAISONS DE L'EXPOSITION PARTICULIERE
DES
SERVICES ACHATS AU RISQUE DE CORRUPTION PRIVEE
32
SECTION 1RE - LE CARACTERE SENSIBLE A LA CORRUPTION
PRIVEE DE CERTAINS COMPORTEMENTS
QUALIFIES DE PRATIQUES D'AFFAIRES 32
I -- PROPOS LIMINAIRES : REFLEXIONS SOCIOLOGIQUES ET SEMANTIQUES
SUR LES NOTIONS DE DON ET
DE CADEAU 32
A -- Etude sociologique pessimiste sur le don par Marcel Mauss.
32
B -- Etude sémantique sur la notion de cadeau par
Dominique Bourgeon 34
II -- LA PRATIQUE DU « CADEAU D'AFFAIRES » ET DES
VENTES AVEC PRIME, DES PRATIQUES LICITES
MAIS ENCADREES. 35
A -- Eléments de définitions : Distinction entre
primes et cadeaux dans les affaires 36
B -- Primes et cadeaux, une évolution à deux
vitesses 38
III - LES EXCEPTIONS A LA LICEITE DE LA PRATIQUE DES CADEAUX, DES
MESURES DESTINEES A
LUTTER CONTRE LA CORRUPTION 41
A -- Exceptions au principe de licéité de la
pratique des cadeaux commerciaux 41
B - La pratique actuelle du cadeau d'entreprise et les risques de
corruption 44
116
SECTION 2NDE - LES ACHATS, UN SERVICE PARTICULIEREMENT
EXPOSEE AU RISQUE DE CORRUPTION
PRIVEE 51
I - LE SERVICE ACHATS, UNE ORGANISATION AU SERVICE DE LA
RENTABILITE DE L'ENTREPRISE 51
A - L'importance croissante de la fonction achats dans les
entreprises 51
B -- Les organisations achats dans les entreprises 54
II - LE PROCESSUS ACHATS, UNE ETAPE EXPOSEE AU RISQUE DE
CORRUPTION 56
A - La fonction d'acheteur en entreprise 56
B -- Le processus achats, un risque de corruption à chaque
étape 58
2EME PARTIE: LA CORRUPTION PRIVEE DES SERVICES ACHATS,
UN
PHENOMENE DIFFICILE A MAITRISER 63
CHAPITRE 1 - SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE
ET
DIFFICULTES SOULEVEES 63
SECTION 1 - ETUDE DE SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE DE
SERVICE ACHATS 63
I - PREMIERE ILLUSTRATION : LA DISSIMULATION D'UN SCHEMA DE
CORRUPTION PRIVEE PAR
L'UTILISATION FRAUDULEUSE DE CONTRATS D'APPORTEUR D'AFFAIRES
63
A - Exposition de l'enquête et des faits 63
B -- Qualifications juridique de la fraude. 67
II - DEUXIEME ILLUSTRATION : L'UTILISATION COMBINEE DE LA
CORRUPTION PRIVEE ET DE FAUSSES
ETUDES AUX FINS DE DETOURNEMENT DE FONDS. 71
A - Exposition de l'enquête et des faits 71
B - Qualifications juridiques de la fraude 74
SECTION 2 - DES DIFFICULTES A CONDAMNER PENALEMENT LES
FAITS DE CORRUPTION PRIVEE. . 77
I - DES DIFFICULTES DE NATURE SOCIOLOGIQUE 77
A - Un problème majeur d'éthique dans les affaires.
77
B - Une volonté encore insuffisante de lutte de la part
des pouvoirs publiques et des entreprises. 79
II - DIFFICULTES LIEES A LA MECANIQUE DE LA CORRUPTION PRIVEE
83
A - La dissimulation de l'infraction par la fraude 83
B - La disparition d'une difficulté : la prescription de
l'action publique 86
CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
88
PRIVEE
SECTION 1RE - LES MOYENS DE LUTTES CONTRE LA CORRUPTION
PRIVEE A LA DISPOSITION DES
ENTREPRISES 88
I -- LES OUTILS PREVENTIFS : LES PROCEDURES INTERNES 88
A -- L'exemple de la lutte contre la manipulation des besoins.
88
B -- L'intérêt de l'utilisation de l'informatique
dans le processus achat 90
C - La prévention par l'éducation:
L'intérêt des chartes anti--corruption. 91
D - La nécessité des contrôles internes et
audits 93
II -- LES OUTILS DE DETECTION AU SERVICE DE L'ENTREPRISE 94
A - Le rôle essentiel des lanceurs d'alerte dans la
détection de la corruption 95
B - La détection par l'analyse des données forensic
97
SECTION 2ND - LES INITIATIVES NECESSAIRES DES POUVOIRS
PUBLICS EN MATIERE DE LUTTE CONTRE
LA CORRUPTION PRIVEE 99
I - UNE LASSITUDE DES ENTREPRISES EN MATIERE DE LUTTE
ANTI--CORRUPTION ? 99
II - LES INITIATIVES DES POUVOIRS PUBLICS 100
A - 2013 et la mise en oeuvres de nouvelles mesures
destinées à lutter contre la grande délinquance
économique et financière. 100
B - le Rôle ancré du Service Central de
prévention de la corruption 103
CONCLUSION 105
BIBLIOGRAPHIE 109
ANNEXES 114
TABLE DES MATIERES 115
RESUMÉ
Le secteur privé n'est pas épargné par la
corruption. Du fait de l'importance des budgets transitant par les services
achats des entreprises, les membres de ces services sont exposés plus
que tout autre à la corruption privée.
Ce mémoire tente d'abord d'établir une
description objective de l'infraction de corruption privée, plus
récente, plus méconnue, bien moins utilisée et
médiatisée que la corruption publique. Pourtant, le dispositif
législatif dont elle fait l'objet est quasiment identique. En partant
des données fournies par le ministère de la justice sur le nombre
de condamnations, nous nous sommes rendus compte que ce nombre était
relativement bas et nous avons donc tenté de mesurer le
phénomène en France, à l'aide de diverses études
sur les achats, sur la corruption et plus généralement sur la
fraude en entreprise. Ces études permettent d'affirmer que la corruption
privée est loin d'être anecdotique dans les affaires mais qu'elle
s'apparente plutôt à une pandémie.
Les raisons qui font qu'un service achats est un
écosystème favorable à la propagation de la corruption
privée seront exposées. Celles-ci tiennent à la fois aux
pratiques courantes et inhérentes à ses services et notamment
celle des cadeaux d'affaires. En France, ces derniers font partie de la culture
des achats mais leur utilisation dévoyée peut s'apparenter
à de la corruption. En outre, les services achats, de par leur raison
d'être, leur organisation, de par les budgets qu'ils sont amenés
à gérer et de par leur fonction, celle d'émettre des
appels d'offres et d'octroyer les marchés, sont tout
particulièrement exposé à la corruption privée.
Différents modes opératoires basés sur l'utilisation
détourné d'entités juridiques et de facturations
destinées à truquer l'attribution des marchés seront
détaillés afin d'illustrer le fait que la corruption
privée s'apparente à de la sous-traitance frauduleuse. En effet,
le parasitisme des services achats est souvent la conséquence de la
volonté délibérée des salariés de violer le
code des achats dans le but de satisfaire leurs propres intérêts,
chose rendue possible par la dissimulation sophistiquée des
détournements et par les connivences établies entre les membres
des services achats et les fournisseurs corrupteurs.
Enfin, après avoir mis en exergue les
difficultés persistantes à réprimer l'infraction de
corruption passive, les principaux remèdes seront
présentés. Seront d'abord étudiés les moyens de
lutte à la disposition des entreprises puis pour finir le rôle que
doivent tenir les pouvoirs publics afin d'endiguer la situation qui reste
préoccupante.
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