Les cinq capitalismes à l'épreuve des enjeux environnementaux( Télécharger le fichier original )par Samuel Sauvage Université Paris-I La Sorbonne - Master 2 Economie des entreprises 2010 |
Conclusion :Notre étude a traversé les champs académiques pour tenter de reconstituer les liens qui unissent différents systèmes à l'environnement. Si, à l'évidence, notre étude ne vise ni à l'exhaustivité ni de devenir prophétique, elle permet de jeter les jalons d'une réflexion qui peut être d'une grande importance. La relation entre capitalisme et environnement est en effet un débat qui n'en est qu'à ses prémisses et qui pourrait s'avérer crucial pour l'humanité. Dans ce jeu, la réflexion sur la diversité des capitalismes, et sur leurs conséquences éventuelles sur l'environnement, peut jouer un rôle éclairant. Notre tâche ne peut être considérée que comme une première tentative, une ébauche même, d'étude de la capacité des différents capitalismes à s'adapter aux enjeux environnementaux. L'étude des cinq capitalismes constitue une entrée possible de ce type de questionnements, mais assurément pas la seule. Notre recherche, limitée par essence, invite à prolonger la réflexion et les réfutations. Elle a cependant le mérite de proposer des enseignements variés. Une probabilité faible d'adaptation aux enjeux environnementaux La première partie de notre raisonnement n'a pas accouché de nouveautés quelconques, dans la mesure où elle s'est attachée à démontrer l'importance de l'enjeu environnemental pour les décennies à venir. Nous avons tout d'abord confronté la prégnance de cet enjeu à la relative indifférence de la TR à son égard. En particulier, le fait que l'environnement constitue une menace pour le capitalisme en tant que tel, devait être posé, dans la mesure où les exigences d'une économie durable impliquent une mutation radicale des modes de production et de consommation. Notre recherche s'est ainsi attachée à explorer un segment nouveau pour la théorie de la régulation : les relations qu'entretiennent les cinq capitalismes avec l'environnement. Au niveau du marchés des produits, du marchés du travail, des systèmes financiers, de protection sociale et d'éducation, il est possible de déterminer des caractéristiques institutionnelles qui vont dans le sens de la durabilité, notamment lorsqu'elles favorisent l'innovation, l'adaptation, le long terme ou la sobriété. A la lumière des compatibilités dégagées, le capitalisme social-démocrate et, dans une moindre mesure, le capitalisme continental-européen semblent institutionnellement mieux placés pour entamer la mutation écologique de leur capitalisme. A l'inverse, le capitalisme libéral et le capitalisme méditerranéen nécessitent un changement institutionnel bien plus important pour s'adapter aux exigences de l'économie durable. Le capitalisme asiatique se situe, lui, entre les deux groupes, combinant caractéristiques pro-environnementales et anti-environnementales. Si la confrontation de ces enseignements avec des données sur les performances environnementales 85 actuelles des pays montre que nos résultats ne sont pas dénués de fondement empirique, elle montre également qu'au-delà des idéaux-types, la situation est beaucoup plus complexe. Pour évaluer la probabilité qu'un des pays de ces capitalismes se situe en pionnier de l'économie durable, il était essentiel d'incorporer des éléments politiques à notre analyse. En effet, le changement institutionnel dépend de l'évolution des équilibres politiques suis sous-tendent les démocraties. Toutefois, il dépend surtout de la manière dont les systèmes politiques filtrent les demandes des citoyens. L'étude des caractéristiques des systèmes politiques conduit à nuancer et à complexifier notre analyse des facultés d'adaptation des différents capitalismes. Il semble que les pays du capitalisme social-démocrate et continental-européen soient ouverts aux idées écologistes, mais qu'ils puissent difficilement accoucher de changements de cap radicaux. La situation est exactement inverse pour les pays du capitalisme méditerranéen et libéral. La nécessité de négocier une régulation internationale conduit à rabaisser les perspectives d'adaptation de tous les capitalismes confondus, en ce que la théorie des jeux enseigne que les accords seront probablement partiels et a minima. La question de la sortie du capitalisme Cette analyse invite à douter de la capacité des capitalismes à prendre le tournant de l'économie durable. Leurs institutions économiques mais aussi politiques sont des obstacles qui s'ajoutent les uns aux autres. A l'évidence, l'avenir s'accompagnera d'éléments aujourd'hui insoupçonnés, mais il semble aujourd'hui que ces obstacles seront de taille. Si aucun capitalisme ne parvient à s'adapter aux enjeux écologiques, alors la question du capitalisme en tant que tel doit être posée. Pour de nombreux auteurs, le capitalisme est intrinsèquement non durable. Pour BLOFF, «écologie et capitalisme se nient l'un l'autre. (É) L'humanité se trouve devant une situation inédite. Elle doit décider si elle souhaite continuer à vivre, ou si elle préfère sa propre autodestruction 104Ó. Les contradictions entre la logique capitalisme et la préservation de l'environnement ont fait l'objet d'une littérature aussi intéressante qu'abondante. Elle prend souvent appui sur l'intuition de Marx de l'existence d'une « faille métabolique » (metabolic rift), pour caractériser le fait que le capitalisme a créé une césure entre les systèmes économique et le système naturel, entre les hommes et la nature. La séparation entre la logique capitaliste et la logique se protection de l'environnement prend plusieurs formes, pointées par Rousseau et 104 BLOFF, article publié sur le site belge de l'association des réfugiés de l'Amérique Latine et des Caraïbes, http://www.arlac.be/francais/Ecologie%20et%20capitalisme%20se%20nient%20l%20un%20a%20l%20 autre.htm 86 Zuindeau (2007). Tout d'abord, le capitalisme est un mode de production qui repose sur l'accumulation du capital. Le fait que l'accumulation du capital soit durable ou non durable dépend des objectifs qui lui seront assignés. Or, « le capitalisme confère la primauté au pôle valeur d'échange [par rapport au pôle valeur d'usage], qu'il s'agit de faire évoluer quantitativement ». A l'inverse, la protection de l'environnement implique que soient pris en compte les besoins humains et les équilibres naturels. Dans de nombreux domaines, ces deux logiques s'ignorent complètement. La propriété privée, étendue à toutes les sphères, ne constitue pas une solution en soi aux problèmes environnementaux. En effet, « si l'objectif du propriétaire est la maximisation d'un gain financier actualisé, l'atteinte de ce dernier peut tout à fait s'obtenir au travers d'un épuisement de la ressource détenue et le placement financier des recettes perçues105 » (Rousseau, Zuindeau, 2007). Le capitalisme utilise pour l'accumulation du capital des « ressources fictives ». Pour Polanyi, la monnaie, le travail et la terre font partie de ces ressources. Ces marchandises sont créées et reproduites en dehors de tout contrôle économique humain. La recherche de l'accumulation du capital invite à exploiter ces ressources gratuites, ce qui conduit à un « conflit des logiques » (Passet, 1979) entre capitalisme et environnement. Ainsi, pour Foster (2001), « capitalist economies are geared first and foremost to the growth of profits, and hence to economic growth at virtually any cost--including the exploitation and misery of the vast majority of the world's population. This rush to grow generally means rapid absorption of energy and materials and the dumping of more and more wastes into the environment--hence widening environmental degradation 106». Il s'ensuit que le processus d'accumulation de valeurs risque d'aller de pair avec un processus de désaccumulation du capital naturel (Benton, 1989). Ces relations conflictuelles entre capitalisme et environnement sont à relier avec ce qui a été théorisé comme la « seconde contradiction du capitalisme » par Marx et ses successeurs107 : le capitalisme tend à surexploiter les sources de création de richesse, ce qui menace la génération durable de richesses108. La Terre reste considérée comme un « cadeau » que doit utiliser le capital. La logique invite alors à déplacer les problèmes environnementaux, comme en attestent ces « solutions » consistant à enterrer les déchets profondément ou à les envoyer dans l'espace. La formule « après moi le déluge », utilisée par Marx, rend compte de cette logique. Pour Foster (2001), la surexploitation des ressources n'a aucune raison de s'affaisser : « Nor is there any 105 ROUSSEAU, ZUINDEAU, op.cit. 106 FOSTER, Ecology against capitalism, Monthly review, vol 53, n°5, 2001. 107 Voir O'CONNOR, is sustainable capitalism possible ?, in ALLEN, food for the future, John Wiley & sons, Londres, 1993. 108 Marx : «capitalism saps the vitality of the everlasting sources of wealth», cité par Foster, op.cit. 87 prospect that this will change fundamentally, since capitalism is in many ways a system of unpaid costs ». En outre, dans le capitalisme, la nécessaire valorisation du capital s'opère sur une base individuelle, et non collective. La création maximale de valeur exerce une pression à la réduction de tous les types de coûts. Si cette réduction des coûts peut avoir des effets bénéfiques dans de nombreux cas, elle peut également s'effectuer aux dépens de l'environnement. Ainsi, la tendance va être à l'externalisation des coûts, et notamment de ceux qui pèseront sur les générations futures. Par exemple, le coût de l'utilisation du charbon dans l'industrie pèsera sur les générations futures, sous la forme de dérèglements climatiques. Néanmoins, tant que le charbon sera un moyen efficace de générer des profits individuels, et en l'absence d'incitations contraires, il sera utilisé. Selon Foster (2001), les économies capitalistes avancées sont étroitement liées à l'émission excessive de CO2. Malgré les prises de conscience croissantes dans les années 1990, ni l'administration Clinton aux Etats-Unis, ni le Japon, ni la plupart des pays européens n'ont pu empêcher leurs émissions d'augmenter par rapport à 1990. La force de certains intérêts capitalistes individuels agit à l'encontre des tentatives de régulation environnementale mondiale. Foster (2001) y voit la cause de l'échec (relatif) des négociations de Kyoto (1997). L'inégalité des intérêts en jeu a conduit à un arbitrage dont l'environnement a été le parent pauvre : « When set against the get-rich-quick imperatives of capital accumulation, the biosphere scarcely weighs in the balance. The emphasis on profits to be obtained from fossil fuel consumption and from a form of development geared to the auto- industrial complex largely overrides longer-term issues associated with global warming109 ». Enfin, le capitalisme visant une accumulation sans fin du capital, il se situe dans une logique du « toujours plus ». La quête des profits individuels est à la racine de la société de consommation, dont on a mentionné les effets pervers sur l'environnement. Perret doute des capacités d'évolution du capitalisme : « on ne voit pas comment un système dont le développement s'est appuyé sur l'exaspération du désir de possession pourrait s'accommoder d'une culture de la sobriété, de l'auto-contrainte et de la responsabilité collective 110È. Cette interrogation renvoie aux liens qui unissent capitalisme et croissance. Nombreux sont ceux parmi les décroissants qui notent une contradiction finale entre capitalisme et écologie. Selon eux, le capitalisme, parce qu'il implique une accumulation sans fin du capital, est viscéralement lié à la croissance. Or, une 109 FOSTER, op.cit. 110 PERRET, Le capitalisme est-il durable ?, carnets nord, Paris, 2008, p.118. croissance infinie dans un monde fini est inconcevable111. Dès lors, il est possible que la logique capitaliste ne soit pas compatible avec la finitude du monde. Cependant, sur le plan conceptuel, il est possible de différencier capitalisme et croissance, plusieurs périodes capitalistes de l'histoire ayant été caractérisées par l'absence de croissance. Bien que ces arguments soient intéressants et parfaitement audibles, il n'est donc pas certain qu'ils soient au coeur des relations entre capitalisme et environnement. Pour sauver la planète, s'agit-il donc, comme le suggère Hervé Kempf dans le titre de l'un de ses ouvrages les plus récents, de sortir du capitalisme ? La question est d'une ampleur telle que nous ne saurions y répondre avec aplomb. Seuls peuvent être rappelés deux éléments de notre démonstration, particulièrement utiles à ce stade : - Il y a une diversité de capitalismes, et leurs
relations à l'environnement sont diverses. Dès - Il est douteux qu'un des capitalismes puisse s'adapter aux
exigences de la soutenabilité A la lumière de ces enseignements, il apparaît, comme le disent Rousseau et Zuindeau (2007), que « le capitalisme lui-même ne devrait pas sortir indemne d'une confrontation avec les exigences requises par le développement durable ». Pour autant, si la mutation est partout nécessaire, elle ne doit pas être uniforme. Les conversions écologiques pourront alors s'appuyer sur certains éléments des capitalismes préexistants, et prendre des formes diverses. Elles pourront consister à un dépassement de certaines logiques capitalistes, mais peut-être pas de tous les éléments constitutifs de nos systèmes économiques. Dès lors, à la question « faut-il sortir du capitalisme ? », nous répondons « cela dépend de ce que nous appellerons encore le capitalisme ». 88 111 GEORGESCU-ROEGEN, Demain la décroissance, Pierre Marcel Favre, Paris, 1979. 89 |
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