Université Paris1 - UFR 02 Sciences Economiques
- Master 2 Entreprises, stratégies et ressources humaines.
Master Recherche Economie des Ressources Humaines et des
Politiques Sociales
1
Les Cinq Capitalismes à
l'épreuve
des enjeux environnementaux
Capacités et Probabilités
d'adaptation
Dirigé par Bruno Amable
Présenté et soutenu par Samuel Sauvage
Octobre 2010
2
L'université de Paris 1 Panthéon Sorbonne
n'entend donner aucune approbation, ni désapprobation aux opinions
émises dans ce mémoire ; elles doivent être
considérées comme propre à leur auteur.
3
Résumé :
Les problèmes liés à la
dégradation de l'environnement appellent les capitalismes à
s'adapter à de nouvelles exigences. Ils invitent également les
auteurs régulationnistes à s'intéresser à
l'obligatoire conversion des capitalismes, afin de pouvoir en analyser les
contours. Les cinq capitalismes sont inégalement préparés
à cette mutation, comme en témoigne l'analyse des relations
qu'entretiennent leurs institutions avec l'environnement. Il apparaît que
le capitalisme social-démocrate et, dans une moindre mesure, le
capitalisme continental-européen, sont institutionnellement les plus
prêts à affronter le défi de la durabilité.
Cependant, les opinions publiques, les systèmes politiques et la
nécessité d'une négociation internationale rendent plus
improbables la mise en oeuvre d'une conversion d'ampleur suffisante.
L'importance des enjeux - l'éventuelle absence d'adaptation des
capitalismes militerait pour une sortie du capitalisme - invite à
approfondir l'analyse.
Abstract :
Environmental problems call capitalisms to adapt to new
parameters. They also invite French Regulation School authors to deepen their
appraisal of the necessary conversion of capitalisms. The five capitalisms
stressed by Amable are unequally prepared to take on the conversion, as
shown by the relations between their institutions and environmental issues. It
appears that social-democrat capitalism and, to a lesser extent,
European-continental capitalism are institutionally closer to meet durability
requirements. However, the importance of public opinions, of political systems
and the necessity to reach an international agreement make unlikely the
achievement of a far-reaching conversion. Considering what is at stake - the
possible absence of adaptation of capitalisms would advocate the pulling out of
capitalism, such questionings deserve to be deepened
4
Avec mes remerciements à l'ensemble de l'équipe
pédagogique du master et à Sandrine Rousseau.
Sommaire
Introduction 7
I La nécessité d'étudier
l'environnement comme un facteur de mutation des capitalismes
A) L'intégration jusqu'à présent
marginale de l'environnement dans la théorie de la
Régulation 18
B) Des défis environnementaux qui menacent le
capitalisme
C) A la veille d'une mutation des capitalismes
II La diversité des capacités d'adaptation
des cinq capitalismes
|
23
28
|
A) Des institutions plus enclines que d'autres à
favoriser la durabilité
|
39
|
B) Agrégation des complémentarités
: l'Europe sociale-démocrate et continentale
en bonne position
|
..50
|
C) Un rapport à l'environnement qui a des bases
empiriques
|
57
|
|
III L'improbabilité politique d'un changement
institutionnel suffisant
|
|
A) La dynamique du changement institutionnel, un
processus politique
|
67
|
B) Des systèmes politiques qui favorisent la
protection de l'environnement
|
..73
|
C) La négociation internationale diminue la
probabilité du changement institutionnel
|
78
|
|
Conclusion
|
83
|
|
5
|
6
7
Introduction
L'été 2010 a été prompt à
rappeler l'importance des phénomènes climatiques à travers
trois exemples médiatisés. Au Pakistan, environ sept millions
d'hectares de terres cultivables ont été inondées. En
Russie, 130 000 hectares de forêts ont été
enflammées suite à la canicule. Au Groenland, un bloc de glace de
1500 milliards de tonnes s'est détaché du glacier.
Avec l'augmentation du nombre de catastrophes de ce
type1, les sujets environnementaux prennent une place croissante
dans le quotidien de nos contemporains. L'exigence de préservation de
l'environnement a imprégné des cercles larges de l'opinion,
jusqu'au point où chaque activité en arrive à être
jugée sur son caractère « écolo ». La plupart
des pays se sont dotés de ministères de l'environnement ou de
l'écologie. Les sommets internationaux consacrés à
l'environnement, tel que le dernier en date, le sommet de Copenhague (en
décembre 2009), accaparent l'attention des médias et de la
société civile. Les entreprises communiquent de plus en plus sur
leurs performances environnementales, en particulier autour du concept de
« développement durable »2. L'environnement a ainsi
pénétré aussi bien les sphères individuelles,
culturelles, que politiques et économiques.
L'importance des problèmes environnementaux appelle
à réfléchir sur les moyens de protéger la
planète et, dès lors, à questionner notre système
économique. Les différentes étapes de la prise en compte
de l'environnement à l'échelle internationale s'inscrivent dans
des rapports différents à l'économie. Tout d'abord, en
1972, le rapport Meadows du Club de Rome était marqué
par une logique résolument alternative au système
économique des Trente Glorieuses en questionnant la croissance
illimitée 3. Quinze ans plus tard, le rapport Brundtland,
publié par la commission mondiale sur l'environnement et le
développement des Nations-Unies, adoptait une approche plus conciliante
avec le système économique en promouvant le «
développement durable4 ». Comme l'illustrent ces deux
approches différentes, il est possible de considérer les liens
entre économie et environnement de plusieurs manières.
L'étude de leur compatibilité va être
1Selon le centre de recherche sur
l'épidémiologie des désastres (CRED), Louvain La Neuve,
Belgique. Le CRED est rattaché à l'Université catholique
de Louvain (Belgique), et gère EM-DAT, base de données sur les
catastrophes (plus de 14 000 événements dans le monde depuis
1900) : http://www.em-dat.net/. 2LIBAERT, La
communication verte, éditions Liaisons, Paris, 1992.
GENDRON, Ethique et développement économique
: le discours des dirigeants sur l'environnement, Thèse de
doctorat, Université du Québec, Montréal, 2006.
3MEADOWS, MEADOWS, RANDERS, BEHRENS, Halte
à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, Fayard,
Paris, 1973.
4BRUNDTLAND, Notre avenir à tous,
Editions du Fleuve, Paris, 1988.
8
au coeur de ce travail de recherche, dans la mesure où
il va aboutir à une réflexion sur les capacités et les
probabilités d'adaptation de nos systèmes économiques aux
enjeux environnementaux.
Quelques définitions
De nombreux termes autour de l'environnement et du capitalisme
sont à définir. Tout d'abord, précisons que notre
recherche se place dans une optique environnementale, et non écologique,
d'où l'utilisation du terme « enjeux environnementaux ». Cet
terme a été choisi pour maintenir l'étude dans un cadre
large, afin d'inclure tous les éléments liés à
l'environnement qui peuvent remettre en cause les capitalismes. On entend par
environnement « ce qui entoure l'homme et ses activités ».
Cependant, l'environnement naturel renvoie aux éléments naturels
de la planète, et c'est à lui que nous nous
réfèrerons lorsque nous parlerons d'environnement. Contrairement
au terme « écologie », le terme « environnement »
n'a de sens qu'en rapport à l'homme : le terme est donc
anthropocentrique. Dans la mesure où notre approche se focalise sur les
activités humaines et sur leurs effets sur ce qui entoure l'homme, elle
peut être qualifiée d'environnementaliste. Les approches
écologistes renvoient, elles, à la nature comme une somme
d'équilibres naturels entre êtres vivants, dont l'homme fait
partie et dont l'homme dépend. L'écologie, dans son acception
générale, désigne la science qui étudie les
relations entre êtres vivants. Toutefois, au cours de cette recherche,
nous pourrons utiliser l'adjectif « écologique » sans
spécifiquement renvoyer à cette définition, mais plus
généralement pour caractériser des
phénomènes liés à la protection de la nature.
Nous utiliserons souvent, au cours de notre
démonstration, le terme « protection de l'environnement », en
opposition à la « dégradation de l'environnement ». Il
s'agit des deux évolutions inverses, positive et négative, que
peut connaître l'environnement. Protègera l'environnement toute
activité ou attitude qui permettra d'améliorer son état
par rapport à la situation actuelle. L'une de nos hypothèses
fondatrices sera la réalité du changement climatique, et la
nécessité relativement urgente de s'adapter rapidement pour
devenir durable. L'incertitude est réelle dans ce domaine, mais, comme
l'affirme Herrera (2010), « l'indétermination entourant
l'ampleur exacte de la plupart de ces phénomènes globaux
cède désormais de plus en plus de terrain face à la
quasi-certitude de leur survenue5 ».
Seul le versant environnemental du développement
durable sera ainsi étudié. Pour rappel, le développement
durable a été défini lors du rapport
Brundtland6 comme « le mode de développement qui
répond aux besoins du présent sans compromettre la
capacité des générations
5HERRERA, Un autre capitalisme n'est pas
possible, Sylepse, Paris, 2010. 6BRUNDTLAND, Notre avenir
à tous, Editions du Fleuve, Paris, 1988.
9
futures de répondre aux leurs ». Le
développement est souvent considéré comme durable
lorsqu'il s'appuie de manière équilibrée sur un pilier
économique, un pilier social et un pilier environnemental. Il promeut
ainsi un capitalisme durable sur les trois plans. Cependant, notre utilisation
de l'adjectif durable ne renverra qu'à l'aspect environnemental de la
durabilité, bien que des éléments sociaux puissent tout
aussi bien menacer la durabilité. Sera durable toute activité
qui, si elle était étendue à la population mondiale,
resterait compatible avec les ressources de la planète. Cette
définition renvoie à « l'empreinte écologique »,
mesure popularisée par le WWF. L'empreinte écologique mesure les
surfaces biologiquement productives de terre et d'eau nécessaires pour
produire les ressources qu'un individu, une population ou une activité
consomme et pour absorber les déchets générés,
compte tenu des technologies et de la gestion des ressources en
vigueur7. En outre, nous serons amenés, au cours de
l'étude, à distinguer la « durabilité forte » de
la « durabilité faible », mais cette distinction fera l'objet
d'une explication en temps voulu.
Nous nous réfèrerons à la
durabilité pour évaluer le capitalisme. Ce système
économique mérite une attention particulière lors de sa
définition. Nous pouvons définir le capitalisme comme un
système économique reposant sur l'accumulation du capital pour
réaliser des profits. De manière moins précise, Marx et
Weber le définissaient comme « la soif insatiable du gain
»8. Traditionnellement, la propriété
privée des moyens de production est considérée être
une caractéristique essentielle du capitalisme. Dans certaines
définitions, elle en est même l'élément
essentiel9. Cependant, l'expérimentation du capitalisme
d'État, en URSS notamment10, tend à infirmer
l'importance de la propriété privée dans la
définition du capitalisme. Le capitalisme s'accompagne, dans les
écrits marxistes, du salariat, où le travailleur ne dispose pas
des moyens de production. Enfin, si le capitalisme est lié à
l'économie de marché, il s'agit de deux concepts distincts.
L'économie de marché est un système où les biens et
services sont échangés sur la base de prix relatifs, en fonction
de l'offre et de la demande, et où la concurrence est
présente11. L'économie de marché coexiste le
plus souvent avec le capitalisme, d'où les nombreux recoupements entre
les deux concepts.
L'une des originalités de notre approche va consister
à différencier plusieurs capitalismes, selon les institutions qui
les soutiennent. Comme Amable (2005), nous allons considérer les
institutions comme les « règles formelles ou informelles qui
définissent l'ensemble des choix disponibles12 ».
Les institutions seront à la fois des « règles du jeu
», tel que l'explique North
7WWF, rapport planète vivante, 2008.
8BARRILLON, L'URSS, un capitalisme d'Etat
réellement existant, revue Agone 21, 1999.
9Larousse, 2000.
10BARRILLON, op.cit.
11GILPIN, The political economy of international
relations, Princeton univerity press, Princeton, 1987.
12AMABLE, Les cinq capitalismes, Seuil,
Paris, 2005.
10
(1990), ou encore « des contraintes inventées
par les hommes qui s'imposent à leurs interactions13
». Dans les cas où les règles formelles ne sont pas
respectées, elle ne constituent plus des institutions. C'est pourquoi
les institutions peuvent également recouvrir « les
systèmes auto-entretenus de croyances partagées sur la
façon évidente dont le jeu est joué de manière
répétée » (Amable, 2005). Pour Aoki (1994),
« [institutions can be] something spontaneously and /or endogenously
shaped and sustained 14». Pour Amable, les institutions
peuvent alors être des « stratégies d'équilibre du
jeu », susceptibles d'évoluer.
Une étude fondée sur la diversité
des capitalismes
Les différences d'institutions sous-tendent les
théories de diversité des capitalismes. Si nous allons utiliser
la typologie d'Amable, un bref rappel des réalisations de ce courant
reste bienvenu.
Les différences entre le modèle français
et de Modell Deutschland, par exemple, ont été
fréquemment mises en avant (Amable, 2005). Ainsi, une
différenciation des capitalismes selon les pays est une manière
d'aborder la diversité des capitalismes. Néanmoins, cette
approche a l'inconvénient de ne pas fournir de grille de lecture plus
globale. Depuis les années 1990 et surtout 2000, il a eu plusieurs
tentatives de définition de structures théoriques globales qui
permettent d'englober sous leur dénomination plusieurs pays. En quelque
sorte, il s'est agi de concevoir des « idéaux-types
»15. Albert, en 1991, publie Capitalisme contre
capitalisme, où il distingue le modèle rhénan du
modèle libéral américain. Cette distinction sera
approfondie par Hall et Soskice (2001) : pour eux, les économies
libérales de marché sont fondamentalement différentes des
économies coordonnées de marché par la place qu'elles
accordent à la coordination au sein des firmes. La prise en compte
d'autres variables que la coordination -telles que le secteur financier, la
relation d'emploi ou le système éducatif - peut conduire à
des typologies différentes, telles que celle d'Amable, Barré et
Boyer16 (1997).
Dans cette étude, nous allons prendre appui sur la
théorie des Cinq capitalismes de Bruno Amable (2005). Construit
à rebours de l'idée que le capitalisme est « un », cet
ouvrage montre que même après vingt années de
mondialisation libérale, la diversité des institutions
économiques et sociales n'a non seulement pas été
atteinte, mais ne devrait pas l'être dans le futur. Amable
13NORTH, Instituttions, institutional change and
economic performance, Cambridge university press, Cambridge, 1990.
14AOKI, Endogenizing institutions and
institutional changes, Ecological Economics, 2005.
15WEBER, Essais sur la théorie de la
science (1904-1917), Plon, Paris, 1965.
16Voir AMABLE, BARRE, BOYER, Les systèmes
d'innovation à l'ère de la globalisation, Economica, Paris,
1997.
11
distingue cinq modèles de capitalismes : le
modèle libéral, le modèle continental européen, le
modèle social-démocrate, le modèle
méditerranéen et le modèle asiatique. Pour établir
la typologie, l'auteur analyse cinq domaines dans lesquels les configurations
institutionnelles sont variables : le marché des produits, le
marché du travail, le marché financier, la protection sociale et
enfin le système éducatif. Des institutions spécifiques se
sont construites en rapport à ces domaines dans différents pays,
suite à l'élaboration de compromis sociopolitiques entre les
différentes forces politiques d'un pays à un moment donné.
Les institutions se sont nourries les unes des autres et ont fait
système, de sorte que des configurations institutionnelles se sont mises
en place de façon très différenciée dans le monde.
Pour Amable, ces configurations sont efficaces car les institutions sont
complémentaires entre elles.
A l'évidence, les typologies sont toujours
critiquables, car elles opèrent des catégorisations
simplificatrices. Néanmoins, la recherche de l'exactitude ne pourrait
mener17, au mieux, qu'à des comparaisons internationales pays
par pays. Pour nourrir des ambitions explicatives au niveau conceptuel, il est
nécessaire de réaliser des regroupements.
L'approche d'Amable n'en reste pas à la
réalisation d'une typologie. L'analyse se prolonge effectivement sur le
champ politique : il en ressort que les cinq types de capitalismes ont des
caractéristiques politiques notables, qu'il s'agisse du système
politique ou du type de votes qui y sont associés. Aussi l'analyse se
place-t-elle sur un axe dynamique, en envisageant les évolutions des
capitalismes, en particulier du capitalisme continental européen.
Institutions et performances
La typologie des cinq capitalismes permet à
Amable d'étudier les performances de ces modèles dans un domaine
: les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC -
dont l'adjectif « nouvelles » devient suranné). Cette
interrogation repose sur l'hypothèse que les institutions jouent un
rôle économique de premier ordre, comme le rappelle Aoki (1994) :
« a consensus seems to have emerged among economists that «
institutions matter » for understanding the differences in economic
performances among various economies over time and
space18 ».
« L'une des intuitions fortes de la théorie de
la variété des capitalismes est qu'il doit exister une liaison
forte entre la structure institutionnelle des pays et le type
d'activités dans lesquelles ils
17Amable signale que même au sein d'un pays tel
que l'Italie, plusieurs configurations institutionnelles peuvent être
relevées.
18AOKI, op.cit.
12
se spécialisent19 ». Amable
trouve empiriquement que les économies libérales utilisent
davantage les NTIC que les autres types de capitalismes, sauf en comparaison
avec les capitalismes sociaux-démocrates dans certains segments
particuliers. Ce travail de corrélation est proche de la démarche
qui va nous animer.
Objectifs de l'étude
Notre objectif prioritaire, relativement modeste, tranche avec
l'ambition affichée par le second. Il s'agit de faire avancer la
réflexion régulationniste sur l'environnement. L'environnement
est en effet considéré comme un grand absent de la théorie
de la régulation (Lacroix, Mollard, 1993). Cette affirmation semble
exagérée dans la mesure où, comme nous le verrons en
première partie, la théorie de la régulation ne part tout
de même pas de zéro vis-à-vis de l'environnement. Il est
toutefois notable que le courant de la diversité des capitalismes s'est
très peu attardé sur cet élément, alors que le
besoin de recherches supplémentaires a été souligné
à plusieurs reprises. Ainsi, Zuindeau et Rousseau (2007) appelaient la
théorie de la régulation à « traiter les
questions suivantes : étude des relations entre telle forme
institutionnelle et le rapport à la durabilité, en particulier
les formes de la concurrence, (É), analyse de la dimension territoriale
du développement durable... ». Le même Zuindeau invite,
en 2007, à la constitution d'un véritable programme
régulationniste en la matière. Il pointe, notamment, la
nécessité d'effectuer des analyses comparées en
matière environnementale entre différents
capitalismes20. Notre approche vise ainsi à déblayer
le terrain pour ouvrir des pistes de réflexion et nourrir, modestement,
la théorie de la variété des capitalismes en lien avec
l'environnement.
Notre second objectif est ambitieux. Il se base sur
l'intuition suivante : si les configurations institutionnelles ont un effet sur
la relation qu'aura un type de capitalisme avec les NTIC, elle peuvent jouer un
rôle dans leur appréhension de l'environnement. Les cinq
capitalismes ont des facultés en matière de protection de
l'environnement différentes. Alors que nous présupposons que les
économies sont à la veille d'une mutation majeure, nous pouvons
nous interroger sur la probabilité que chaque type de capitalisme
s'adapte aux exigences de l'économie durable. Dès lors, il
s'agirait de déterminer pour quel type de capitalisme, le « chemin
restant à parcourir » est le plus court ou, pour utiliser une
notion chère aux économistes classiques, quel capitalisme
disposerait d'un avantage comparatif institutionnel en matière
environnementale. Dans la mesure où,
19AMABLE, op.cit.
20 ZUINDEAU, Regulation school and environment : theoretical
proposals and avenues of research, Ecological Economics,1997.
13
aujourd'hui, aucun pays développé ne peut voir
son mode de développement qualifié de durable, il ne s'agit pas
de définir « un modèle à suivre ». Notre
problématique peut être résumée de la manière
suivante : dans quelle mesure les capitalismes sont-ils
inégalement préparés au défi de la
durabilité ? Quelle est leur probabilité d'adaptation à un
nouveau mode de régulation ?
S'interroger sur les capacités et probabilités
d'adaptation des capitalismes requiert tout d'abord de déterminer
quelles relations entretient chaque institution avec la protection de
l'environnement. Par exemple, est-ce qu'un système financier
fondé sur les banques est de nature à la favoriser ?
L'élaboration de complémentarités au
niveau conceptuel pourra ensuite faire place à une version
agrégée de ces complémentarités : alors, sur le
plan conceptuel et à la lumière des caractéristiques des
institutions étudiées par Amable, il sera possible de dire quel
capitalisme est le mieux préparé pour s'adapter aux exigences de
l'économie durable.
Mais s'interroger sur la probabilité que les
capitalismes s'adaptent invite à dépasser le niveau purement
conceptuel des complémentarités institutionnelles. Pour qu'un
type de capitalisme s'adapte, il est nécessaire qu'il soit
politiquement prêt au changement. Ainsi, il s'agira
d'étudier pour chaque capitalisme la manière dont le
système politique peut laisser la place à une nouvelle
configuration institutionnelle favorable à l'environnement. Le
prolongement de l'étude au niveau politique ajoute une variable aux
probabilités d'adaptation, ce qui contribuera autant à
complexifier qu'à rendre plus pertinente notre analyse. Si les
possibilités d'adaptation s'avéraient faibles, le scénario
d'une sortie du capitalisme devrait être envisagé.
Des éléments mis de côté par
l'étude
Le sujet étant extrêmement large, il est
impossible de traiter l'ensemble des tenants et aboutissants des liens entre
environnement et capitalisme. Tout d'abord, nous ne pourrons mentionner les
nombreux théoriciens qui ont alimenté la réflexion sur
l'écologie ou le capitalisme qu'à la marge. Pour pertinentes et
passionnantes que soient ces contributions, il n'est pas dans notre objet
d'intégrer des éléments d'ordre purement conceptuel ou
philosophique.
En particulier, l'adaptation aux enjeux environnementaux est
présentée ici sous l'angle de la nécessité : au vu
des connaissances scientifiques actuelles, il est probable que nos
économies fassent face à un dilemme du type « s'adapter ou
peut-être disparaître ». Ainsi, nous ne nous demandons pas
dans quelle mesure la mutation est souhaitable. Par exemple, nous ne
mentionnerons pas les possibles gains en matière de bien-être ou
de lien social qui pourraient rendre souhaitable cette mutation, ou au
contraire les pertes que feraient subir la contraction des échanges.
Un pan relativement large de la réflexion sur les
pistes de réforme du capitalisme
14
s'intéresse aux enjeux de démocratie, locale et
internationale21. Bien que ces enjeux soient essentiels pour que la
conversion soit possible et souhaitable, nous ne pourrons pas les
intégrer dans l'analyse.
De la même manière, une condition importante de
la réussite de l'adaptation aux enjeux écologiques est la justice
sociale. Dans la mesure où une partie des politiques environnementales
consiste à donner un prix plus élevé aux activités
non durables, il est essentiel de mettre en place ce type de mesures de
façon équitable. Dans de nombreux aspects, les politiques
environnementales doivent s'accompagner d'une réduction des
inégalités22. Cet aspect, pour important qu'il soit,
ne pourra être traité qu'à la marge dans cette
étude.
Notre étude se concentre géographiquement sur
les pays les plus développés. Les cas des BRIC (Brésil,
Russie, Inde, Chine), par exemple, ne seront pas étudiés. Il est
possible de regretter cet état de fait, dans la mesure où ces
pays tendent à devenir, en valeur absolue, les plus grands pollueurs de
la planète. Nous sommes ainsi conscients que la portée de notre
étude serait plus grande si elle s'étendait à ce type de
pays. Cependant, la tâche serait de taille, dans la mesure où il
faudrait reprendre une nouvelle typologie les intégrant, alors que la
qualification du système économique chinois constitue une gageure
à elle seule. A une échelle plus modeste, notre analyse
intégrant les cinq capitalismes nous semble déjà
constituer une avancée.
Notre recherche aurait pu consister en une étude
approfondie d'une institution des capitalismes (par exemple, les
systèmes financiers) et de ses liens avec l'environnement. Elle aurait
pu, également, reposer uniquement sur une analyse empirique des
performances des différents capitalismes, visant à
déterminer lesquels sont, aujourd'hui, les plus durables. Si ces
éléments sont présents dans l'étude, ils n'en
constituent absolument pas le coeur. De plus, si notre analyse avait
consisté en une étude des performances environnementales des
capitalismes, elle aurait inévitablement dû intégrer des
éléments qui impactent sur elles, telles que la densité de
population, la quantité de ressources naturelles, le PIB/tête, la
spécialisation de la production, la croissance, la force du mouvement
écologiste, etc.
Éléments méthodologiques
Notre recherche s'inscrit dans la lignée de la
théorie de la régulation, et ce pour plusieurs raisons. Tout
d'abord, parce qu'elle se base sur la typologie réalisée par un
auteur considéré comme régulationniste, Bruno Amable.
Ensuite, parce que la théorie de la régulation fournit un cadre
adapté à ce type de recherche, en permettant l'étude des
formes institutionnelles,
21 COUTROT, Jalons vers un monde possible, Le bord de
l'eau, Paris, 2010.
22 LAURENT, Ecologie et inégalités, revue
de l'OFCE, avril 2009.
15
géographiques et temporelles, et la mobilisation de
concepts tels que le « régime d'accumulation » et le «
mode de régulation ». Le mode de régulation est la
résultante de cinq formes institutionnelles particulières : la
forme de la concurrence, la forme de la monnaie, la forme de l'État, la
forme du rapport salarial et la forme d'insertion dans l'économie
mondiale. Notre analyse, de la même manière, se fonde sur des
caractéristiques institutionnelles pour aboutir à des
considérations plus globales.
Ce choix est renforcé par l'inadaptation des outils
néoclassiques à l'étude d'un tel objet. Bien que les
institutions soient aujourd'hui intégrées par l'économie
standard23, l'économie néoclassique intègre
l'environnement de manière contestable24. La courbe
environnementale de Kuznets ne nous servira pas de base. Selon elle, les
émissions en rapport avec la croissance forment un « U
inversé » : à un certain niveau de développement, les
émissions de CO2 sont censées décroître.
Malgré les réfutations empiriques constantes de cette
relation25, la courbe semble utilisée dans la plupart des
articles d'économie de l'environnement.
Pour mener à bien notre recherche, notre méthode
a été la suivante. Elle s'est basée, à titre
principal, de lectures académiques et de quelques ouvrages « grand
public ». Nous avons systématiquement varié les sources,
afin d'obtenir une vision complète des enjeux. Notre méthode a
consisté, ensuite, en une analyse systématique des liens
conceptuels qui unissaient certaines formes des capitalismes à
l'environnement. Les relations ont alors été proposées
à l'aide de références ou, en leur absence, de liens
logiques issus de notre propre interprétation. Dans ces cas, nous
prenons néanmoins soin de spécifier qu'il s'agit tout au plus
d'hypothèses plausibles. Enfin, lorsque nous mobilisons les
données, nous avons pris le parti de ne pas assommer le lecteur avec des
chiffres trop abondants : nous avons donc décidé de donner des
chiffres faisant état de la moyenne des catégories de pays,
plutôt que de donner les chiffres de chaque pays.
Difficultés rencontrées
Nous avons rencontré des difficultés d'ordre
pratique et d'ordre conceptuel.
23 BARRO, Determinants of economic growth, a cross-country
empirical study, Journal of comparative economics, vol 26, 1998.
24 HERRERA, L'économie néoclassique de
l'environnement face à la crise écologique, in Un autre
capitalisme n'est pas possible, Sylepse, Paris, 2010.
25 BOUTAUD, BRODHAG, GONDRAN, Lorsque le développement
perd le Nord ! Courbes de Kuznets environnementales : l`apport d`indicateurs
alternatifs de type empreinte écologique dans la réflexion sur le
développement durable,
http://www.francophonie-durable.org/documents/colloque-ouaga-a3-boutaud.pdf
16
Sur le plan conceptuel, notre programme de recherche devait
éviter de nombreux écueils. Il était tout d'abord
essentiel de démontrer l'importance des enjeux écologiques, et le
type de mesures qu'il impliquait. Cependant, pour pouvoir évaluer la
compatibilité des capitalismes avec l'environnement, encore fallait-il
déterminer les éléments constitutifs de la protection de
l'environnement. Il aurait été possible d'isoler un ou plusieurs
dispositifs de protection de l'environnement, tels qu'un type de taxe carbone,
et d'évaluer les caractéristiques des capitalismes en rapport
avec le dispositif. La portée de l'étude aurait cependant
été bien inférieure. Pour conserver l'objectif
d'évaluation d'écolo-compatibilité des cinq capitalismes,
il a donc fallu identifier ab nihilo quelques principes qui, à
notre sens, pouvaient être à la base de la mutation
écologique des capitalismes.
Une seconde difficulté a résidé dans la
valorisation des apports personnels dans la démonstration.
L'étude repose en grande partie sur des éléments
personnels, certes construits à l'aide d'ouvrages divers, mais dont
l'assemblage constitue une nouveauté. Il en va ainsi pour
l'échelle de radicalité du changement et du tableau des
complémentarités. Or, en l'absence d'outils quantitatifs, ces
éléments peuvent paraître sujets à la critique. Le
défi était donc de montrer la cohérence logique du
raisonnement, malgré le fait que certaines de ses bases n'aient pas
été empiriquement prouvées.
Une troisième difficulté de l'analyse a
été la différenciation entre les « types de
capitalismes » et les « pays ». En effet, si les capitalismes
sont censés représenter les caractéristiques de groupes de
pays, ils ne les décrivent qu'imparfaitement. Cette situation invitait
ainsi à en rester aux « idéaux-types » des
capitalismes. Cependant, à l'heure d'analyser les systèmes
politiques, il fallait appréhender les pays en tant que tels. Une «
conversion du capitalisme au pays » devait alors être
réalisée avec grande précaution pour éviter les
raccourcis.
Une dernière difficulté, enfin, a tenu à
la difficile articulation d'éléments venant de champs
disciplinaires différents. Si, au final, les approches politiques
complètent efficacement les approches économiques, cette
interdisciplinarité nous a conduit à consulter une
littérature extrêmement abondante. Il s'agissait alors
d'éviter de se détourner de l'objectif de l'étude.
Annonce du plan
Cette étude invite à penser la complexité
des liens qui unissent environnement et capitalismes. La théorie de la
régulation, devant l'importance des problèmes environnementaux,
se doit d'intégrer mieux l'environnement dans son analyse que par le
passé. Face aux enjeux environnementaux, seule une mutation en
profondeur du système économique pourra mettre l'économie
sur les rails de la durabilité forte.
17
Ces prémisses nous permettront d'entamer une
étude régulationniste des complémentarités entre
les différentes institutions constitutives des capitalismes et les
principes qui favorisent la protection de l'environnement. Nous verrons alors
que les capitalismes social-démocrate et continental-européen
sont relativement mieux préparés que les autres, tant au niveau
conceptuel qu'empirique.
La probabilité de leur meilleure adaptation
dépendra cependant d'éléments politiques, qu'il s'agisse
des opinions publiques, des systèmes politiques ou des
négociations internationales. Ces éléments complexifient
l'analyse, et tendent à rendre l'adaptation à une économie
durable plus improbable.
18
I La nécessité d'étudier
l'environnement comme un facteur de mutation des
capitalismes
L'environnement occupe une place de plus en plus
prépondérante dans les débats politiques et
économiques, et pour cause : il est probable que sa dégradation
croissante ait des conséquences économiques et sociales
considérables. Dès lors, cette partie vise à introduire
l'élément environnemental et à montrer son importance dans
le cadre des études régulationnistes.
La théorie de la régulation (TR), qui donne un
cadre à notre analyse, ne s'est préoccupée que
marginalement de l'environnement (A). Cette situation est de moins en moins
tenable, dans la mesure où les défis environnementaux se font de
plus en plus importants, jusqu'à constituer une menace pour le
capitalisme (B). Au vu de cette menace, il est raisonnable de considérer
que les capitalismes sont à la veille d'une mutation d'ampleur pour
s`adapter à cette nouvelle donne (C).
A) L'intégration jusqu'à présent
marginale de l'environnement dans la théorie de la
régulation
Traditionnellement, la TR a peu intégré le
rapport à l'environnement dans son explication du mode de
développement de nos sociétés. Si le contexte de
l'émergence de la TR permet d'expliquer cet état de fait, une
intégration croissante de l'environnement dans son corpus est à
souligner.
1- La TR, un courant hétérodoxe qui
intègre peu l'environnement
Il s'agit ici non seulement de définir la TR, mais
surtout de dresser un panorama des recherches existantes en lien avec
l'environnement.
a- un courant hétérodoxe
La théorie de la régulation constitue l'une des
deux principales approches hétérodoxes de l'économie en
France. Elle s'est distinguée à partir des années 1970,
autour des travaux de chercheurs tels qu'Aglietta, Boyer, Lipietz ou encore
Mistral, pour interpréter d'une manière nouvelle les dynamiques
d`accumulation, leurs caractéristiques, leur entrée en crise,
leur enchaînement. Elle se caractérise par une approche
transdisciplinaire et par une prise en compte
19
systématique des institutions.
La TR distingue différents « régimes
d'accumulation » au sein des économies capitalistes. Ceux-ci
reposent sur cinq configurations institutionnelles qui indiquent les types de
rapports marchand et salarial présents dans l'économie : forme de
la concurrence, forme de la monnaie, forme de l'Etat, forme du rapport salarial
et forme d'insertion dans l'économie mondiale.
Il est utile de rappeler que ces cinq formes institutionnelles
divergent des cinq éléments de caractérisation des
capitalismes utilisés par Bruno Amable : formes du marché des
biens et services, formes du marché du travail, formes du système
financier, formes de protections sociales et systèmes éducatifs.
Néanmoins, son travail de différenciation des formes capitalistes
selon leurs configurations institutionnelles permet, parmi d`autres
éléments, de le classer parmi les travaux
régulationnistes. Les cinq capitalismes s'insèrent dans
le constat de la relative indifférence de la TR à
l'environnement, dans la mesure où les capitalismes sont
différenciés à l'aune de facteurs autres
qu'environnementaux.
b- L'environnement, oublié de la théorie de
la régulation ?
Au milieu des années 1990, Lacroix et Mollard (1993)
affirmaient que l'écologie était totalement absente de la
théorie de la régulation. Or, selon lui, cette
indifférence apparente relevait du paradoxe, dans la mesure où la
plupart des auteurs régulationnistes, et lui le premier, sont des
militants écologistes. Lipietz y voyait deux explications : d'une part,
les auteurs en question étaient davantage des écologistes que des
environnementalistes. D'autre part, la TR s'est construite autour de la crise
du fordisme. De ce point de vue, « il est difficile de prétendre
que le fordisme soit entré en crise par le côté du rapport
société-environnement »26. Bien qu'il rappelle
que les régulationnistes ont pu critiquer les dommages que causait le
fordisme à l'environnement, ils se sont davantage
intéressés aux sources de la crise du fordisme, à trouver,
selon lui, dans le rapport salarial et dans l'absence de régulation
internationale.
A partir de la seconde moitié des années 1980,
les régulationnistes commencent à intégrer le rapport
société-environnement dans les perspectives d'évolutions
souhaitables des régimes d'accumulation. Ainsi, Lipietz (1991) laissait
poindre la préférence des écologistes pour les
modèles « à implication négociée des
salariés », en ce qu'ils favorisent l'autonomie des individus et
laissent la porte ouverte à une réduction du temps de travail. De
façon plus symbolique, « l'appel de Vézelay »
réalisé par Beaud (1988) appelait un mode de régulation
mondial
26 LIPIETZ, 1995, p.351.
20
permettant de « garantir le maintien des
équilibres et la conservation de la vie du Terre »27 et
signifiait l'intégration progressive des problèmes
environnementaux dans le corpus de la TR.
2- Etat des lieux des travaux régulationnistes
sur l'environnement
Malgré cette relative indifférence à
l'environnement, certains travaux régulationnistes méritent
d'être cités dans le cadre de ce diagnostic. Ils permettent de
mieux ancrer notre recherche dans l'existant. Les travaux cités, loin de
constituer un état des lieux exhaustif des travaux
régulationnistes sur l'environnement (nos excuses aux travaux
oubliés), constituent une base non négligeable pour notre
recherche.
a- L'environnement, intégré via des
études thématiques
Tout d'abord, comme le rappelle Lipietz (1995), «
deux branches de l'école régulationniste ne pouvaient manquer
toutefois de traiter directement du problème de l'environnement
(É) : les études spatiales et les études agricoles
28». Dans le cas des études spatiales, Lipietz
(1974) a montré que la rente foncière capte directement « la
valeur de l'environnement », d'où une activité
régulée en l'absence d'agent régulateur. Dans le cas des
études agricoles, deux auteurs sont à citer : Debailleul et
Laurent. Le premier, en 1990, lie la Grand Dépression et la fin du
fordisme à des éléments écologiques
(érosion, interdiction d'intrants chimiques à proximité
des cours d'eau). La seconde, en 1992, étudie une part importante du
rapport société-agriculture-environnement.
En 1997, Lipietz s'est également distingué par
un article intitulé « The post-fordist world : labour
relations, international hierarchy and global ecology »29.
Il y réalise une géopolitique des négociations
climatiques, sur laquelle nous reviendrons ensuite. Surtout, il en arrive
à promouvoir, face à la crise du fordisme, une stratégie
offensive - comprendre, celle du « modèle nordique » de
flexicurité et de négociation salariale. Celle-ci aurait
en effet, selon lui, des effets positifs sur l'écosystème dans
son ensemble.
b- Une ambition d'intégrer pleinement l'environnement
dans la TR
27 Cité dans BEAUD, « L'économie mondiale
dans les années quatre-vingt », La Découverte, Paris,
1989.
28 LIPIETZ, « Ecologie politique
régulationniste ou économie de l'environnement ? », in
BOYER et SAILLARD, « l'état de la théorie de la
régulation », La Découverte, Paris, 1995.
29 In Review of International Political Economy, 4 : 1, 1 -
41.
21
La thèse de S. Rousseau30, portant sur les
liens entre TR et environnement, montre pourtant que l'absence de prise en
compte de l'environnement est une erreur pour la TR. En effet, elle voit dans
la crise du fordisme un changement du rapport social à l'environnement,
le rapport social à l`environnement pouvant se définir de
manière grossière comme la perception collective de
l'environnement. Le régime de production fordiste s'est affranchi de
toute contrainte vis-à-vis de la nature, dans la lignée du
développement issu des Lumières, où l'homme s'érige
en « maître et possesseur de la nature » (Descartes). De plus,
la période des « Trente Glorieuses », selon l'expression
chère à Jean Fourastié, s'est accompagnée d'un
progrès technique important, ce qui a renforcé l'idée
scientiste que le progrès scientifique pourrait répondre à
l'avenir à l'ensemble des problèmes. Durant cette période,
pratiquement aucune législation environnementale ne voit le jour.
Des éléments naturels vont cependant modifier
cette indifférence par rapport à l'environnement. Les
catastrophes naturelles d'une part (Lacq, Amoco Cadiz, Torrey Canyon, puis
Bhopal), les modes d'extraction des ressources (menant au choc
pétrolier) et une meilleure connaissance des pollutions ramènent,
à partir des années 1970, l'environnement au centre des
préoccupations. Un désaccord se profile, en filigrane, entre
certains auteurs régulationnistes, et non des moindres (Boyer, 1986),
qui considèrent le choc pétrolier comme étant
exogène, et l'approche de Rousseau qui montre que l'environnement a
toujours été endogène, sous la forme d'un rapport
société-environnement différent. La création, dans
la plupart des pays de l'OCDE, de secrétariats d'Etat à
l'environnement atteste de ce changement de rapport social à
l'environnement. Pour Rousseau, la TR aurait pu analyser plus finement la fin
du fordisme si elle avait su intégrer l'environnement.
Selon Rousseau, le rapport à l'environnement
crée des conditions pour rendre possible un certain régime
d'accumulation. Selon les rapports de force qui existent entre les
différents utilisateurs de l'environnement, l'accumulation sera plus ou
moins intensive en ressources. Par exemple, plus les intérêts
d'une entreprise polluante primeront sur ceux des promeneurs, moins
l'accumulation sera durable. « The mode of accumulation is partly
dependant on the difference between exchange value and reproduction value
»31. La différence entre le prix
d'échange et le « prix de la nature » (coût et temps
pour se régénérer) donne une indication de la
durabilité d'un régime. Il en résulte un « tribut
environnemental », c'est-à-dire une dette écologique
accumulée
30 ROUSSEAU, Economie et environnement : una analyse
régulationniste de la rente environnementale, Thèse de
doctorat, Lille.
31 ROUSSEAU, « A regulationist analysis of
economy », à paraître dans Review of radical political
economists.
22
sous la forme d'une surexploitation des ressources. Ainsi, les
dégradations environnementales ne sont donc plus seulement la
conséquence (néfaste) du mode de développement, mais en
sont également la source.
Le « mariage » entre TR et environnement aurait pu
se concrétiser lors de la tentative, de la part de Becker et Raza
(2000), puis de Rousseau (2002), de faire du rapport à l'environnement
la sixième forme institutionnelle sur lesquelles se distinguent les
capitalismes32. Elle justifie cette intégration de plusieurs
manières. La reprise de Polanyi (1944) donne un premier argument. Pour
l'auteur de La grande transformation, trois biens ont des
caractéristiques particulières dans le système capitaliste
: le travail, la monnaie et la terre. Ainsi, la terre mériterait de
rejoindre les deux autres parmi les formes institutionnelles
étudiées. Rousseau plaide ensuite pour cette sixième forme
institutionnelle, en montrant que l'environnement répond aux
critères de forme institutionnelle formulés par Boyer (1986) et
Billaudot (1996). Ces cinq critères sont : l'importance et la
configuration des rapports sociaux qui président au partage de la
valeur, l'importance du rapport capital/travail comme fondement du rapport
salarial, l'existence de conflits/compromis et la survenue de crises. Pour
l'enseignante à l'Université de Lille 1, l'environnement remplit
l'ensemble de ces critères et mérite d'être
considéré comme une forme institutionnelle à part
entière.
c- Une analyse des capitalismes en lien avec
l'environnement (Zuindeau, Rousseau)
Une recherche régulationniste se rapproche de notre
objet d'étude, et à ce titre mérite une attention
particulière : Théorie de la régulation et
développement durable (Zuindeau, Rousseau, 2007). Bien que leur
article se focalise sur le développement durable, concept
assurément plus large que la simple perspective environnementale qui
anime le présent travail, il est d'une grande utilité pour la
recherche qui nous anime. Leur objectif est proche de notre recherche : «
compte tenu de l'analyse particulière qu'effectue la TR du
capitalisme, nous nous demandons dans quelle mesure ce système
économique et social particulier est de nature à être
compatible avec la logique sous-jacente du capitalisme
»33. En réalité, il s'agit d'une recherche
symétrique à la nôtre : alors que nous allons analyser la
diversité spatiale des capitalismes avec la protection de
l'environnement, ils font de même avec la diversité temporelle des
capitalismes. Ainsi, les
32 ROUSSEAU, « Environnement et théorie de la
régulation, une place sous-estimée ? », 2005,
http://web.upmf-grenoble.fr/regulation/wp/seriec/RousseauRRWP2005-5.pdf
33 Sandrine Rousseau et Bertrand Zuindeau, «
Théorie de la régulation et développement durable »,
Revue de la régulation, n°1, Varia, [En ligne], mis en ligne le15
juin 2007. URL : http://regulation.revues.org/
23
chercheurs intègrent dans leur travail la
périodisation des capitalismes, des premières ères
industrielles au fordisme puis au post-fordisme.
Les auteurs analysent les convergences et divergences qui
existent entre la TR et le développement durable. La TR permet d'offrir
un cadre d'analyse fin pour lier les institutions - et notamment les cinq
formes institutionnelles - et l'environnement. Pour eux, TR comme
développement durable se présentent dans le temps long. Leur
ancrage dans le temps reste néanmoins différent, dans la mesure
où la TR analyse les institutions à une période
précise, alors que le développement durable n'a pas de limites.
De plus, à l'inverse de la logique prospective du développement
durable, la TR étudie plutôt le passé.
Si le système fordiste a fait progresser certains
éléments du développement durable tels que
l'équité intra-générationnelle, son rapport
à l'environnement est conflictuel. En effet, le fordisme s'est assis sur
un véritable compromis productiviste, aux dépens des ressources
naturelles. Il en résulte que l'intensité
énergétique des productions n'a jamais été aussi
importante que durant le fordisme (Clerc et al, 1995). Pour les
auteurs, « l'articulation d'une production et d'une consommation de
masse, d'un côté, la prégnance de l'idéologie
productiviste, de l'autre, vont largement préparer la montée des
problèmes environnementaux ».
Le système post-fordiste, malgré sa difficile
définition, se caractérise par un rapport plus contrasté
à l'environnement. Les mouvements tels que la tertiarisation,
l'économie immatérielle, la responsabilisation des entreprises,
affectent positivement la relation du post-fordisme à l'environnement.
Toutefois, l'accentuation de la mondialisation exacerbe les contraintes de
compétitivité-coût et exerce une influence opposée.
Il en résulte que la baisse de l'intensité
énergétique dans les pays développés
n'empêche pas une hausse des consommations totales. Les auteurs en
concluent que « le post-fordisme ne semble pas plus apte à
assurer une compatibilité avec la logique inhérente au
développement durable [que le fordisme] ».
Zuindeau et Rousseau étudient ensuite la
compatibilité « générale » du capitalisme avec
le développement durable. Nous poserons également cette question
à la fin de notre étude.
Si nous avons mobilisé ces recherches, c'est pour
montrer qu'en matière environnementale, la TR ne part pas de
zéro. De récents travaux régulationnistes se rapprochent
même fortement de l'étude présente. Les auteurs de la TR
rappellent cependant qu'il ne s'agit là que des premiers jalons d'une
recherche nécessaire. Ainsi, comme le rappellent Zuindeau et Rousseau
(2007), « l'intégration de l'environnement dans le corpus
régulationniste demeure un exercice encore largement inachevé
».
Or, il nous semble qu'aujourd'hui, la TR, pour
appréhender les mutations des capitalismes, se doit d'intégrer
l'environnement dans son analyse. En effet, les enjeux environnementaux
24
prennent une place croissante dans nos sociétés,
et constituent une menace pour le capitalisme tel qu'il est.
B) Des défis environnementaux qui menacent le
capitalisme
Les problèmes environnementaux affectent divers pans de
l'économie et de la société. Bien que leurs
conséquences comportent une part considérable d'incertitude, le
relatif consensus qui émerge à leur endroit et leur potentielle
gravité invite à les prendre au sérieux. Les menaces
écologiques, dans leur variété (1), s'érigent en
véritables menaces pour les systèmes capitalistes eux-mêmes
(2).
1- La menace sur l'environnement
De plus en plus, sa dégradation de l'environnement est
vue comme une menace pour la survie de l'humanité. La critique du
modèle de développement capitaliste basé sur la croissance
apparaît dans la seconde moitié du XXème siècle. Aux
analyses du premier des économistes écologistes, Nicholas
Georgescu-Roegen, se sont ajoutées celles de René Passet, de
Jacques Ellul, d'Ivan Illich ou encore d'André Gorz. Cependant, selon
Denis Clerc, ces analyses étaient sans doute trop radicales pour
influer le cours des sociétés où tout poussait à
faire de la croissance économique l'objectif central34.
Les thèses écologistes des décennies
d'après-guerre qui ont notamment inspiré le rapport Meadows de
1972 se sont progressivement imposées dans l'opinion, jusqu'à
convoquer de grands sommets internationaux dédiés au changement
climatique.
Depuis le milieu des années 1990, le
réchauffement climatique constitue la préoccupation principale en
matière d'environnement. Cependant, plusieurs autres sujets
d'inquiétude existent et méritent d'être mentionnés
avant qu'on en revienne au changement climatique.
a- Des problèmes environnementaux qui
s'accumulent
Il est à noter qu'ils apparaissent étroitement
liés entre eux. La diversité de ces enjeux environnementaux nuit
parfois à la visibilité des combats écologistes, mais
mérite d'être rappelée :
L'érosion de la biodiversité
fait craindre à une majorité de biologistes que nous
sommes
34 CLERC, Du club de Rome à Copenhague, une longue
marche, Alternatives économiques, hors-série 83, 4ème
trimestre 2009.
25
en train d'assister à la sixième crise
d'extinction massive des espèces de l'histoire. Notre connaissance des
espèces étant limitée, il est difficile de se prononcer
précisément sur ces enjeux. Néanmoins, selon le
comité français de l'union internationale pour la conservation de
la nature, le taux d'extinction est estimé entre cent et mille fois
plus élevé à l'heure actuelle que ce qu'on a connu
jusqu'ici au cours de l'évolution de la vie sur Terre.
· L'épuisement des ressources
halieutiques est un problème distinct de celui de la
biodiversité. En effet, il n'est pas uniquement question ici
d'extinction de variétés de poissons, mais aussi de la
raréfaction de ressources qui participent à l'alimentation
humaine. La surexploitation de ces ressources est telle que, d'après le
conseil national de l`exploitation des mers, les limites biologiques sont
dépassées pour la plupart des poissons consommés.
· La déforestation qui
s'opère dans plusieurs régions du monde a des conséquences
aussi bien en matière de biodiversité (à elle seule
l'Amazonie représenterait 50% de la biodiversité mondiale) et de
réchauffement climatique (les forêts jouent un rôle de
« puits de carbone »), d`après le World Resources Institute.
Le gain de zones forestières dans les zones tempérées ne
suffit pas pour compenser la déforestation massive de la forêt
tropicale.
· La dissémination de produits toxiques
divers dans la nature risque de poser des problèmes aux
écosystèmes et à la santé humaine. Notamment, les
polluants organiques persistants et les métaux lourds comportent des
effets nocifs divers (cancer, altération de la
fertilité...)35. En outre, les multiples déchets issus
de nos modes de production, notamment ceux issus de la filière
nucléaire, ont une vie longue (des centaines de milliers
d'années) et une radioactivité plus ou moins prononcée.
· La pénurie d'eau s'aggrave :
la capacité à produire de l'eau douce potable est
altérée partout dans le monde. D'ici 2025, selon le rapport The
World's Water (2008-2009), près de deux milliards de personnes devraient
vivre dans des zones connaissant des pénuries d'eau. La hausse
prévue de la demande mondiale en eau (pour l'agriculture principalement)
ne fait que renforcer cette inquiétude, et les risques de conflit qui y
sont afférents.
35 Voir CHEVALIER, Les sept plaies d'une planète
durable, Alternatives Economiques, n°83, quatrième trimestre
2009.
·
26
Le défi alimentaire mondial est enfin
le dernier défi d'ordre environnemental qui se pose à l'homme. La
FAO prévoit que l'agriculture mondiale devra nourrir, d'ici 2050, plus
de 9 milliards d'individus. La production alimentaire mondiale devrait alors
augmenter de 70% d'ici cette date. Une gageure alors que les superficies
consacrées à l'agriculture stagnent depuis des années et
que le modèle d'agriculture productiviste qui s'est imposé dans
la majeure partie du monde montre ses limites. L'épuisement des sols
appelle en effet des solutions nouvelles.
b- Le changement climatique, au carrefour des enjeux
environnementaux
Le défi posé par le changement climatique est
à la fois parallèle et intimement lié à ces
problèmes. C'est pour répondre au changement climatique que les
sommets mondiaux de l'environnement ont été convoqués :
sommet de la Terre, à Rio (1992), sommet de Johannesburg (1997), sommet
de Copenhague (2009)...
Il s'agit d'un phénomène déjà
observable. Les travaux du groupe intergouvernemental d'experts sur le climat
(GIEC) rassemblent les travaux de nombreux organismes. Globalement, les
climatologues notent la hausse sans précédent des
températures terrestres au cours du XXème siècle et la
relient aux activités humaines. Le consensus n'est pas total sur ce
dernier point, comme l'ont montré les réactions des «
climatosceptiques » et les polémiques, d'actualité, sur
l'impartialité et les méthodes du GIEC. Néanmoins, il est
suffisamment partagé au sein de la communauté scientifique pour
que, dans le cadre de cette recherche, nous nous appuyions sur la thèse
du réchauffement climatique d'origine humaine.
Dans Le capitalisme est-il durable ?, Bernard Perret
rappelle que la hausse des températures mondiales aura des effets
contrastés d'une région à l'autre. Cependant, il note
qu'au vu des émissions de gaz à effet de serre passées, la
température moyenne du globe augmentera de 1,8 à 4 degrés
d'ici la fin du XXIème siècle. Ce réchauffement, qui
serait plus important si le capitalisme emprunte la voie du business as
usual, élèverait le niveau de la mer de 18 à 59
centimètres. D`autres conséquences probables du
réchauffement sont à prévoir : l'augmentation de la
fréquence d'épisodes climatiques extrêmes, la diminution de
la couverture neigeuse - avec, en particulier, une forte rétraction des
glaciers tropicaux, qui entraînera l'assèchement estival de
nombreux cours d'eau - , un ralentissement des courants océaniques, une
augmentation de leur acidité...
27
2- Une menace pour les capitalismes
Les relations entre la protection de l'environnement et le
capitalisme sont placées sous le signe de la menace, et ce dans les deux
sens. En effet, il est tout autant possible de considérer le capitalisme
comme une menace pour la préservation de l'environnement, que de
considérer les problèmes environnementaux comme une menace pour
la pérennité du capitalisme. C'est sur ce deuxième point
qu'il s'agit d'insister ici, car il montre que le système
économique actuel doit nécessairement s'adapter aux contraintes
environnementales.
Les problèmes environnementaux, dans leur
diversité, sont autant de défis posés à
l'espèce humaine et, partant, au capitalisme. Qu'il s'agisse des
problèmes en matière de biodiversité, de ressources
halieutiques, de déforestation, de pollutions disséminées,
de pénuries d'eau ou encore de production agricole, c'est
l'espèce humaine et son mode de vie qui sont menacés. Bernard
Perret résume les enjeux anthropologiques du réchauffement
climatique : « les conséquences économiques et
humanitaires, directes ou indirectes, du réchauffement seront
considérables : catastrophes naturelles, inondations des zones
côtières, diminution des rendements agricoles et des ressources
halieutiques. Le changement climatique contribuera à l'aggravation des
autres grands problèmes écologiques - pénuries d'eau
douce, déclin de la biodiversité, etc. - et, surtout, des grands
problèmes humanitaires auxquels l'humanité est d'ores et
déjà confrontée : pénuries alimentaires,
sous-développement du continent africain, migrations massives et
incontrôlables, émergence de nouvelles maladies, etc. »
(p.27).
Ce type de phénomènes pourrait entraver
fortement le fonctionnement des économies capitalistes. Selon nous,
l'accumulation du capital en vue d'en tirer un profit est plus difficile dans
un monde où les hommes manquent de ressources alimentaires, où
les hommes sont davantage malades et où les réfugiés
climatiques affluent de manière incontrôlée. La main
d'oeuvre de qualité pourraient devenir plus difficiles à obtenir.
De plus, l'utilisation des ressources deviendrait plus coûteuse, à
mesure qu'elles s'amoindrissent et que les conflits autour d'elles se
multiplient. Ainsi, selon Kovel (2002), les coûts directs ou liés
à l'internalisation des externalités se fera sentir :
«This degradation will have a contradictory effect on profitability
itself ...either directly, by so fouling the natural ground of production that
it breaks down, or indirectly,» through the reinternalization of «the
costs that had been expelled into the environment36. » A
terme, le capitalisme, aujourd'hui drogué au pétrole, doit
nécessairement trouver des voies alternatives à ce type de
ressources
36 KOVEL, The enemy of nature, Zed Press, London,
2002, pp.39-40
28
fossiles. Enfin, la paix sociale, élément
indispensable à la bonne marche de toute entreprise, serait difficile
à obtenir au moment où la crise écologique produirait des
effets économiques et sociaux. Il pourrait, de surcroît, en
résulter une demande politique de changement radical et de sortie du
capitalisme. Pour toutes ces raisons, le capitalisme apparaît comme
menacé par les enjeux environnementaux.
Pour utiliser un vocabulaire régulationniste, il est
possible de considérer les problèmes écologiques comme
pouvant être les déclencheurs d'une crise structurelle du
régime d'accumulation actuel. Ce type de crise constitue une remise en
cause du mode de régulation ; il résulte d'une incapacité
à perpétuer l'accumulation. Elle appelle des réponses.
C) A la veille d'une mutation des
capitalismes
Comme nous avons pu le voir dans la section
précédente, les capitalismes ont intérêt à
s'adapter aux enjeux environnementaux. Les dirigeants des firmes
multinationales se font désormais les hérauts du
développement durable, en déployant une communication
spécifique à ce sujet. Ils font tous état des
avancées de leur groupe en la matière et se posent en champions
de la responsabilité environnementale37.
Notre but est ici de constituer une « échelle de
radicalité du changement ». Si l'adaptation du capitalisme aux
contraintes environnementales est réclamée de la part de la
plupart des acteurs, il reste à déterminer l'ampleur dudit
changement. En effet, une grande variété d'évolutions peut
se dessiner derrière ces intentions. A première vue, il semble
évident que le développement durable réclamé par
certaines associations écologistes ne doit pas recouvrir les mêmes
réalités que celui sur lequel communique Christophe de Margerie,
PDG de Total. Selon que le changement sera plus ou moins radical, il aura des
conséquences plus ou moins grandes sur le mode de production actuel.
Nous nous appuierons sur la différence entre les soutenabilités
fortes et faibles38, afin d'abord identifier les leviers qui peuvent
être vecteurs de durabilité puis de réaliser, à des
fins pédagogies, ladite échelle de radicalité du
changement.
37 Voir Développement durable, 5 ans après,
la métamorphose, T. FOLLENFANT, C. TUTENUIT, Le Cherche-Midi,
Paris, 2007.
38 Voir VIVIEN, Les modèles économiques de
soutenabilité et le changement climatique, Regards croisés
sur l'économie, la Découverte, 2009.
29
1- Une exigence de durabilité
forte
Quelle durabilité faut-il viser pour nos
économies ? De nombreuses analyses ont montré les implications de
la soutenabilité en termes bio-physiques, éthiques, politiques et
culturels (Odum E.P., 1971 ; Odum H.T., 1971 ; Georgescu-Roegen, 1979 ; Jonas,
1979 ; Passet, 1979 ; Anand, Sen, 2000), ou ayant soulevé les
ambiguïtés, les limites et les contradictions de ce concept
(Pearce, 1974 ; Daly, 1992 ; Latouche, 1994 ; Sachs, Esteva, 1996 ; Harribey,
1997, 1998 et 1999). Au niveau économique, une distinction usuelle est
faite entre « soutenabilité forte » et «
soutenabilité faible » (ou durabilité). Nous allons voir que
la dernière semble plus convaincante.
a- La durabilité faible, compatible avec
l'économie néoclassique
La durabilité faible a été
formalisée au cours des années 1970, bien avant
l'émergence du terme « développement durable », sur la
base d`une idée de Hotteling (1931). Elle est apparue pour appliquer la
théorie néoclassique de la croissance aux cas de consommation de
ressources non-renouvelables. Une croissance basée sur l'extraction de
ces ressources pouvait difficilement, à première vue, allouer du
bien-être éternellement, donc être considérée
comme soutenable. A long terme, la consommation devait tendre vers zéro
(Solow, 1974).
Hartwick (1977) a proposé de dépasser cette
difficulté, en investissant les rentes issues de l'extraction des
ressources non-renouvelables - ou une partie d'entre elles (El Serafy, 1989) -
en capital. L'accent est alors mis sur le capital net total, grâce
à une hypothèse salvatrice : l'élasticité constante
et unitaire de la substitution entre les facteurs de production. Comme le
rappellent S. Dietz et E. Neumayer (2006), « this entailed the
assumption that natural capital was similar to produced capital and could
easily be substituted for it. In fact, in validating the weak sustainability
paradigm, it should be true that either :
- natural resources are super-abundant ;
- the elasticity of susbtitution between natural and
produced capital is greater than or equal to unity ;
- technological progress can increase the productivity of
the natural capital stock faster than it is being depleted
»39 .
L'hypothèse de durabilité faible repose sur
l'indifférenciation du bien-être : qu'il soit d'origine naturelle
ou artificielle n'importe pas. Solow allait jusqu'à imaginer : «
The world can
39 S.DIETZ, E.NEUMAYER, Weak and strong sustainability in
the SEEA, concepts and measurements, Ecological Economics 61, 2007,
p.2.
30
get along without natural resources, so exhaustion is just
an event, not a catastrophe 40». Alors, comme le rappelle
R. Ayres41, si l'on considère que le bien-être
économique « recouvre » les autres préoccupations, le
débat s'en trouve réduit à une pure argumentation
économique sur l'élasticité et la
substituabilité.
b- La durabilité forte, objectif pertinent des
politiques publiques
C'est sur la substituabilité des facteurs que
s'établit le désaccord avec les tenants de la durabilité
forte : le capital naturel serait en partie non substituable. Selon Ekins et
al. (2003) et Pierce et Turner (1990)42, le capital naturel a quatre
fonctions. Premièrement, la fourniture de matières
premières pour la production et la consommation. Deuxièmement,
l'assimilation des déchets. Troisièmement, la production d'«
agréments » tels que le paysage. Enfin et surtout, il permet la vie
humaine, via le système écologique global qui permet
l'alimentation, l'eau, l'air respirable et un climat stable.
Pour sûr, ces deux dernières fonctions ne sont
pas substituables. Or, l'importance de la dernière invite à ne
pas mésestimer cet état de fait. Dietz et Neumayer (2006) mettent
en avant d'autres éléments qui invitent à
préférer l'hypothèse de durabilité forte :
- l'incertitude sur le fonctionnement des cycles du capital
naturel
- l'irréversibilité de certaines pertes en
capital naturel
- l'aversion plus grande aux pertes en capital naturel qu'aux
gains en utilité (selon le raisonnement de Kahneman et Tversky,
1979).
- « une consommation future plus importante n'est
pas un substitut approprié aux pertes en capital naturel (Barry, 1990)
».
La théorie du « capital naturel critique »,
développé notamment par Ekins, s'appuie sur cette conception de
la durabilité. Est critique tout capital naturel qui n'est soit pas
substituable, soit irréversible, soit dont la perte induirait des
coûts importants liés à ses fonctions vitales ou dont la
perte ne serait pas éthique. La polymorphie de cette définition
explique qu'elle soit difficile à utiliser. Néanmoins, elle rend
compte de manière efficace de l'importance qu'il convient d'accorder aux
scénarios de « durabilité forte » dans la mutation du
capitalisme. En d'autres termes, il est pertinent de ne considérer comme
durables que les modes de production qui permettent une durabilité
forte.
40 SOLOW, The Economics of Resources or the Resources of
Economics, in American Economic review, 1-14, may 1974.
41 R.U. AYRES, Weak versus strong sustainability,
http://www.tinbergen.nl/discussionpapers/98103.pdf
42 cités par DIETZ et NEUMAYER, op.cit.
31
2- Des leviers divers pour une mutation
d'ampleur
Dans cette sous-partie, l'objectif est de rapprocher les
objectifs de réduction des émissions des mesures politiques
qu'ils impliquent de prendre. Cela implique tout d'abord de montrer que ces
objectifs appellent une intervention publique, puis que ces interventions
peuvent prendre plusieurs formes, afin de pouvoir dégager une
représentation graphique de la relation objectifs/mesures.
a. Des objectifs ambitieux qui rendent nécessaire
l'intervention publique
Les rapports du GIEC pointent la nécessité de
limiter la concentration de dioxyde de carbone à moins de 450 parties
par million de volume (pm). Cet objectif s'avère compatible avec
l'objectif européen de tenter de contenir le réchauffement
mondial à moins de 2°C. Il s'agit d'une approche scientifique mais
également pragmatique : la limite de tolérance aurait pu
être plus restrictive pour, par exemple, tenter d`enrayer le
réchauffement climatique en tant que tel.
L'objectif de 450pm implique une division globale par deux
des émissions de CO2 mondiales d'ici 2050. Or, au vu de la
responsabilité historique que portent les pays développés
et de la nécessité de ne pas brimer le développement de
pays pauvres, cet objectif doit être porté à une division
par quatre des émissions dans des pays comme la France43.
Il est hautement improbable que l'adaptation des capitalismes
à la réalité écologique se fasse d'elle-même,
venant du comportement vertueux des entreprises et des consommateurs. S'il ne
faut pas sous-estimer l'importance de la « bonne volonté » des
acteurs44, l'histoire récente tend à montrer que
malgré la connaissance croissante des dangers du réchauffement
climatique, les émissions nettes de CO2 continuent d'augmenter.
L'importance de l'Etat pour mettre en oeuvre un cadre qui favorise
l'environnement est à souligner.
Certains considèrent que les signaux du marché
pourront suffire à la mutation des capitalismes. Une conception
libérale consisterait à laisser jouer le jeu des prix : à
mesure que la ressource se raréfie, le prix augmente, ce qui
réduit la consommation. A terme, l'épuisement des ressources
supprimera toutes les pollutions liées au pétrole et aidera la
planète à se régénérer. Ce raisonnement
simple résume la croyance dans l'autorégulation du
marché.
L'exemple du pétrole, parmi beaucoup d'autres, permet
d'invalider cette conception à deux
43 RADANNE, La division par quatre des émissions
de dioxyde de carbone en France, Ministère de l'Ecologie et du
développement durable, 2004.
44 POSTEL, ROUSSEAU, SOBEL, La responsabilité sociale
et environnementale des entreprises : une reconfiguration potentielle du
rapport salarial fordiste ?, Economie appliquée, 2006.
32
niveaux. D`une part, la hausse du prix du pétrole sera
une incitation à l'extraction croissante des ressources, ainsi que le
rappelle Hervé Kempf : « L'effet pervers de la hausse des prix
de l'énergie dans le système capitaliste est qu'elle stimule
l'exploitation de réserves jusque-là marginales de
pétrole, et va donc accroître les émissions de gaz à
effet de serre45 ». L'offre de pétrole
n'est, en effet, pas totalement figée. D'autre part, de nombreux experts
considèrent qu'il ne faut pas extraire tout le pétrole souterrain
si l'on veut maintenir la planète dans un état vivable. Selon B.
Perret (2008), « les stocks de pétrole, de gaz et de charbon
sont trop importants pour que l'on puisse attendre le salut de la
pénurie ». Selon les calculs d'Henri Prévot,
spécialiste des questions énergétiques, « pour
que la hausse de température moyenne ne dépasse pas 3°C, il
faudra que l'humanité sache laisser sous le sol, dans les deux
siècles à venir, les deux tiers des énergies fossiles
(gaz, pétrole, charbon) accessibles »46. Si, par
exemple, on en extrayait 87%, la hausse moyenne des températures serait
probablement de 6 degrés...
A l'heure actuelle, il n'existe aucune incitation de taille
à limiter l'extraction des ressources fossiles telles que le
pétrole, si bien que le libre jeu du marché ne constitue pas une
solution. Dès lors, une plus grande régulation sera
nécessaire pour faire face aux enjeux climatiques. Celle-ci pourra faire
intervenir la puissance publique, mais d'autres acteurs pourront
également y prendre part.
b. Des bâtons, des carottes et des
sermons
Quatre grands types d'interventions peuvent être mis en
avant. Mis en oeuvre de manière conjointe, ils permettront aux
économies capitalistes de s'adapter aux enjeux environnementaux. Leur
description sommaire et non exhaustive ci-après sert de prélude
à la construction d'une échelle de radicalité du
changement. Ils peuvent être classés selon les trois
mécanismes de l'intervention publique (« sticks, carrots and
sermons47 »).
· Des bâtons.
La puissance publique devra tout d'abord édicter des
règlementations, pour limiter ou interdire certains mésusages.
Par exemple, c'est par l'interdiction des chlorofluorocarbones, suite au
traité de Montréal (1987), que la concentration de ces gaz
nuisibles à la couche d'ozone a été fortement
réduite. D'autres types de règlementations et de normes doivent
voir le jour dans la lutte contre le changement climatique.
45 KEMPF, « Pour sauver la planète, sortez du
capitalisme », Le Seuil, 2009, Paris, p.108.
46 PREVOT, Trop de pétrole, Seuil, Paris, 2007,
p.35.
47 Distinction fréquemment utilisée, reprise
notamment par PERRET (2008), op.cit.
33
Selon une majorité d'économistes, la
règlementation n'est cependant pas le moyen le plus efficace d'agir sur
un marché. Pour limiter les émissions dans un secteur
donné, il peut être pertinent de créer un marché de
droits négociables. Le recours aux mécanismes de marché
permet de déterminer à l'avance la quantité
d'émissions ou de pollutions qui seront admises, et enfin de les
répartir selon l'offre et la demande. Il en résulte que la
quantité d'émissions aura été
règlementée, mais répartie selon l'état du
marché en question.
Ces outils sont appelés à cohabiter avec la
taxation (qui figure dans la catégorie des « carottes ») dans
un ensemble cohérent, car ils possèdent chacun des avantages et
des inconvénients différents. Leurs caractéristiques sont,
par exemple, justement résumées par Folmer, Gabel et Ophir
(1995)48.
· Des carottes :
La puissance publique devra recourir à des incitations
diverses pour orienter la production et la consommation. Via
l'intervention publique sur les prix, la production et la consommation
pourront être orientée dans un sens durable. D'un
côté, la taxation qui, pénalise les comportements non
durables, est appelée à être utilisé de façon
croissante, comme en atteste la tentative récente de mise en place d'une
« contribution climat énergie » (également
appelée « taxe carbone »).
Cependant, à mesure que les activités
polluantes seront taxées, les activités non nuisibles seront
encouragées et la mutation du capitalisme sera entamée. Les
systèmes de « bonus malus » devront également se
développer. Des incitations - fiscales par exemple - devront se
développer pour encourager les acteurs privés à adopter
des comportements vertueux. Par exemple, les innovations écologiques,
indispensables à l'économie durable, devront être
encouragées.
· Des sermons :
A moyen terme, le rôle des « sermons » est
essentiel, afin de faire partager aux acteurs et aux citoyens les objectifs de
la politique publique. Souvent, il n'est pas possible de contrôler
l'ensemble des comportements, et il faut alors que les citoyens en aient
intégré les tenants et aboutissants grâce à des
sermons : par exemple, le tri sélectif nécessite des sermons.
Il existe, de surcroît, une certaine marge de
progrès pour développer les comportements vertueux volontaires.
Le développement de la responsabilité sociétale des
entreprises et de la consommation responsable en sont des illustrations
pertinentes. En agissant sur « l'esprit du temps », selon
l'expression d'Edgar Morin, ces pratiques se développeront et joueront
un rôle dans la lutte contre le changement climatique.
48 FOLMER, GABEL, OPSCHOOR, principles of environmental
and resource economics, Edward Edgar Publishing limited, Hants, UK,
1995.
34
Toutefois, ces sermons s'accompagnent d'un devoir pour la
puissance publique : l'exemplarité. Les investissements publics devront
être orientés massivement vers ce qui est durable : transports
publics, énergies renouvelables...
Plus largement, la puissance publique devra, selon nous,
fournir un cadre structurel plus enclin à favoriser la
durabilité. En particulier, la réforme du système de
comptabilité publique permettrait de trouver des alternatives au PIB.
Or, pour la protection de l'environnement, le dépassement de la mesure
strictement monétaire de la richesse aurait des effets
bénéfiques. Elle pourrait ainsi inclure dans son analyse
l'économie domestique, la valeur d'usage, les stocks de capital naturel
déjà présents, etc 49. D'autres
éléments, plus proches de ce qu'est la richesse réelle,
pourraient ainsi être en ligne de mire de l'action gouvernementale. La
construction d'indicateurs de bien-être ou de bonheur est, malgré
ses difficultés, à inscrire dans cette
démarche50. Elle permettrait notamment de sortir d'un
objectif du « toujours plus », à l'évidence nuisible
à la préservation de l'environnement.
c- Construction d'une échelle pédagogique
de radicalité du changement
L'objectif est ici de mettre en relation les objectifs -
ambitieux - et les leviers d'action. Si ces objectifs sont souvent cités
par les organisations internationales, ce qu'ils impliquent en termes de
changement de mode de production est souvent obscur. En effet, rares sont ceux
qui précisent les différentes évolutions à
prévoir. En règle générale, une série de
mesures et de principes sont mis en avant, sans que leur importance soit
réellement hiérarchisée en matière de
faisabilité et de réduction des émissions de CO2. Le
travail étant de taille, nous allons nous contenter de résumer
les mesures susceptibles de diminuer les émissions de gaz à effet
de serre, afin de constituer une ébauche d'« échelle de
radicalité du changement ».En réalité,
l'échelle ne poursuit qu'un but pédagogique, pour que le lecteur
puisse se représenter les éléments qui doivent changer
pour réduire fortement les émissions de gaz à effet de
serre.
Nous avons mis en correspondance les mesures citées
ci-avant, en montrant sur un axe la nécessité de les cumuler pour
arriver à diviser par quatre les émissions de CO2. Nous avons
additionné les mesures suivantes, comme autant de pistes pour
réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Mentionnées dans le rapport de la DRIRE (2004), elles sont des pistes
non exhaustives de réponse au réchauffement climatique :
amélioration de l'efficience énergétique,
développement des services et du télétravail,
développement de la RSE et de la consommation responsable,
49 Voir WHEELOCK, GIARINI, EKINS, real-life economics,
Routledge, 1992, chapitre 5.
50 Voir J. Gadrey : Les nouveaux indicateurs de
richesse, La Découverte, Paris, 2007, ou P. VIVERET,
Reconsidérer la richesse, ed. de l'Aube, Paris, 2008.
35
développement des énergies renouvelables,
taxation écologique, progrès technique orienté, grandes
infrastructures écologiques, recul de la société de
consommation, mesure différente de la croissance.
Ces mesures sont placées selon leur affiliation
à quatre grands principes que nous avons dégagés et qui,
selon nous, peuvent guider la capacité des capitalismes à
s'adapter aux exigences d'une économie durable. Nous proposons :
· La faculté à s'adapter au changement
· La faculté à susciter l'innovation
· La faculté à envisager le long terme
· La faculté à encourager la
sobriété
Les quatre principes ne sont pas totalement
interdépendants les uns des autres. Il est possible, par exemple, de
considérer que la faculté à susciter l'innovation
dépend de la faculté à envisager le long terme. De
même, les facultés d'innovation et d'adaptation sont deux facettes
du même progrès technique auquel se référait
Schumpeter51. Notre démarche ne nous permet pas de
distinguer, comme le fait Amable (2005), les innovations radicales des
innovations incrémentales. Cela nous semble cependant d'une importance
secondaire, dans la mesure où les unes comme les autres peuvent jouer un
rôle dans la quête d'une économie durable. Le
quatrième principe - la faculté à encourager la
sobriété - pourra étonner, dans la mesure où a
priori un capitalisme n'encourage pas la limitation des besoins. Ici, la
sobriété est à prendre dans un sens large : elle inclut
l'ensemble des pratiques qui vont conduire à réduire les
gaspillages et les consommations superflues52. La définition
de ce qui est du gaspillage et du superflu est subjective, et pourra faire
l'objet de débats. Nonobstant, le principe en tant que tel nous
paraît porteur de durabilité. Au total, ces quatre principes
regroupent de manière efficace la palette d'évolutions
nécessaires du capitalisme.
Nous sommes conscients que l'échelle de
radicalité du changement, ci-après, constitue un outil
éminemment critiquable sur le plan scientifique. Les effets de chacune
des mesures ne sont pas chiffrés, ce qui implique qu'il est possible
d'imaginer une échelle classifiant différemment les
évolutions environnementales. L'échelle ne revendiquant aucune
précision, elle doit nécessairement être
considérée comme insuffisante au lecteur averti.
Néanmoins, la vertu uniquement pédagogique de l'outil, dans le
but d'une meilleure compréhension du mémoire, nous invite
à le partager malgré tout.
51 SCHUMPETER, Capitalisme, socialisme et
démocratie, 1942.
52 DE FOUCAULT, L'abondance frugale, éditions
Odile Jacob, Paris, 2010.
I
Echelle de radicalité du changement
Di41S arls des érnissiors de
CO2
|
Irravir
|
|
Pim efi UN
L Tmr
|
/4
Part marginale du pëtrole et des
énersies fassiles
Fiem re dfrfférerrte de
la richesse
|
|
Recul dela slxiétc
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|
Innmeations tedhnola$iorm e vrenir
|
|
|
|
|
Taw:ao' ëmloiique i tQrrrttique.,
au marché d quotas
|
|
|
|
Rr'pl=ldérerac d_ cneraics
rerlourv+elaib oF
Grandes infrastrurtimes publiques taolo
iques
FT arienLk forte Irefficienoe
énergétique
Taxatiorr eoolagique madérie
ECM r:rric dei services et tt la aua i
V*~Ppement dei éraiergies.
reaatruelahies
13eir de la ItiE et
criosurnmaitiall responsable
Arndioretian rlatln+elle dc refficierlc et
du prcEres technique
37
Comme le suggère l'échelle, il existe une grande
variété de mesures qui peuvent être prises pour
protéger l'environnement. Celles-ci peuvent s'enchevêtrer de
différentes manières et donc arriver, selon le dosage, à
mettre sur pied une économie durable. Elle suggère que les
objectifs de division des émissions de CO2 nécessitent une
palette de mesures d'ampleur conséquente.
La menace environnementale qui pèse sur les
capitalismes rend inéluctable leur tentative d'adaptation aux enjeux
environnementaux. Nous avons vu que pour réduire drastiquement les
émissions de CO2, les mesures ne peuvent pas rester superficielles, et
doivent affecter le coeur même du régime d'accumulation.
Il nous semble à présent utile d'étudier
la compatibilité de ces mesures avec les caractéristiques des
capitalismes. Les institutions des différents capitalismes peuvent-elles
intégrer la préoccupation environnementale ? Comment les quatre
principes mis en avant dans cette partie - la faculté à innover,
à s'adapter, à envisager le long terme et à encourager la
sobriété - peuvent-ils interagir avec les caractéristiques
des cinq capitalismes ?
38
II La diversité des capacités
d'adaptation des cinq capitalismes
La première partie de notre raisonnement nous a permis
de mettre en avant l'urgence écologique et l'ampleur des changements qui
appellent les capitalismes. La théorie de la régulation offrant,
par ses caractéristiques, un cadre adapté à l'étude
de l'évolution des capitalismes, nous avons souligné l'importance
qu'il y a à enrichir la recherche régulationniste en la
matière.
Il s'agit maintenant de passer aux actes et de se lancer dans
une entreprise ambitieuse : la détermination du type de capitalisme le
mieux préparé à la mutation écologique. Comme nous
l'avons spécifié en introduction, il ne s'agit pas de signaler
« un modèle à suivre » dans la mesure où,
aujourd'hui, aucune économie développée n'est durable -
i-e empreinte écologique de 1 planète. Il s'agit plutôt
d'initier la réflexion sur des types de capitalismes qui
possèderaient des caractéristiques compatibles avec les exigences
de préservation de l'environnement et qui de ce fait seraient moins
éloignés de la durabilité. Dans ce cas, nous pourrions
considérer que ces capitalismes nécessiteraient un changement
institutionnel plus limité. Bien que nous soyons réticents
à utiliser un terme étroitement lié à
l'économie classique, il serait même loisible de considérer
ces capitalismes comme ayant un « avantage comparatif » en
matière environnementale.
Cette étude repose sur un postulat fort : «
institutions matter ». Voilà plusieurs décennies
que les institutions sont mises en avant pour expliquer les performances de
telle ou telle économie dans un domaine. Par exemple, les liens entre
les institutions du marché du travail et le taux de chômage ont
fait l'objet de milliers de recherches, avec des résultats
réels.
Ainsi, il est intéressant d'analyser les
institutions-types des capitalismes pour apporter un éclairage sur leur
éventuelle compatibilité environnementale. Cependant, comme le
rappelle Amable, « les effets d'interaction entre les institutions
peuvent être tels qu'il est nécessaire de considérer ces
dernières conjointement pour comprendre leurs effets sur les
décisions que prennent les agents et leurs conséquences sur la
performance économique È53. Les «
complémentarités institutionnelles (Aoki, 1994) doivent donc
être prises en compte, selon la définition suivante : des
institutions sont dites complémentaires quand la présence de
l'une augmente l'efficacité de l'autre. Les
complémentarités mises en avant par Amable dans les Cinq
Capitalismes doivent donc être reprises. Les caractéristiques
des capitalismes pourront alors être
53 AMABLE, op.cit.
39
évaluées à l'aune de leur faculté
à protéger l'environnement.
Pour déterminer quel capitalisme semble le plus
préparé à la mutation écologique, il s'agit tout
d'abord d'analyser les complémentarités entre différentes
institutions avec la protection de l'environnement (A). Nous pourrons alors
suggérer que certains modèles sont moins en retard que d'autres
(B). Enfin, nous tenterons de valider ou de tempérer les
résultats à l'aune de quelques chiffres (C).
A) Des institutions plus enclines que d'autres
à favoriser la durabilité
Les liens entre les institutions qui caractérisent les
capitalismes et l'environnement ne sont pas toujours évidents ou
établis. De même qu'il n'est pas automatique que la protection de
l'emploi nuise au taux d'emploi, les relations entre institutions et protection
de l'environnement sont parfois complexes et peuvent être ambivalentes. A
cette complexité s'ajoute un obstacle de taille : le peu de travaux de
recherche réalisés dans ce domaine. Si cet état de fait
constitue en soi un appel à approfondir la recherche en ce domaine, il
rend notre analyse des compatibilités difficile.
Pour autant, il est à notre sens possible de se baser
sur des hypothèses raisonnables et logiques pour analyser les
complémentarités. C'est sur cette base souvent fragile qu'il
s'agira de mettre en relation les quatre principes qui rendent possible la
durabilité (faculté à s'adapter, à innover,
à prendre en compte le long terme et à encourager la
sobriété) avec les caractéristiques des cinq capitalismes
mis en avant par Amable. Celui-ci analyse les caractéristiques des
capitalismes dans cinq domaines : le marché des biens et services (1),
le marché du travail (2), le système financier (3), la protection
sociale (4) et le système éducatif (5).
1- Marché des produits et
environnement
Amable étudie les institutions qui caractérisent
les marchés des biens et services. Selon nous, certaines sont enclines
à favoriser la durabilité, tandis que d'autres semblent
plutôt favoriser la prédation (i-e la non-durabilité). Ici,
le but est de discuter les liens que chacune d'entre elles entretient avec
l'exigence de durabilité.
La première différenciation à
établir sur le marché des produits est à réaliser
au niveau du mode de concurrence : les capitalismes sont-ils
caractérisés par une concurrence fondée par les prix ou
fondée sur la qualité ? Il s'agit là d'une
différenciation de grande importance, dans la
40
mesure où les liens avec l'environnement semblent
relativement clairs : la concurrence fondée sur les prix tend à
nuire à l'environnement, tandis que celle fondée sur la
qualité tend à favoriser sa préservation.
En effet, la concurrence fondée sur les prix va inciter
à réduire au maximum les coûts, afin d'obtenir un produit
au plus bas prix. Parmi les vertus écologiques du post-fordisme,
Rousseau et Zuindeau (2007) dégagent l'émergence de la
compétitivité hors-prix : « le post-fordisme
confère une place significative aux éléments
hors-coûts dans les formes de compétitivité. La
qualité des produits et des process, l'image véhiculée par
les biens, sont des facteurs propices à une meilleure intégration
de l'environnement54 ». Ce type de concurrence favorise,
en effet, les démarches de « chartes de qualité », les
labels et les garanties. Elle favorise également la démarche de
responsabilité sociétale des entreprises et ses corollaires
(audits environnementaux, analyse du cycle de vie, management environnemental)
et donc une meilleure prise en compte de l'environnement. Ainsi, quand l'image
du produit et éventuellement sa résistance comptent autant que
son prix, la contrainte qui pèse sur l'environnementale se
relâche.
Il aurait également été possible de
différencier les modèles selon l'intensité de la
concurrence, les économies anglo-saxonnes étant
caractérisées par une concurrence plus forte que les
économies d'Europe continentale. Cependant, les liens entre
intensité de la concurrence et environnement sont plus ambigus. Nous
n'utiliserons donc pas cet élément de différenciation pour
justifier d'aptitudes environnementales différentes.
Ensuite, Amable différencie les marchés des
produits selon l'engagement de l'Etat dans ceux-ci. Celui-ci, selon les
indicateurs de l'OCDE55 utilisés par Amable, se
définit par l'ensemble des règlementations qui encadrent le
marché des produits. Ici, n'est pas prise en compte la
réglementation vis-à-vis de l'extérieur,
c'est-à-dire à des fins protectionnistes.
Pour mettre en place les mesures environnementales
explicitées plus haut, il y a besoin d'une autorité
régulatrice telle que l'État. S'il est concevable qu'une
économie non règlementée ait de meilleures performances
écologiques qu'une économie régulée (telle que
l'URSS), il semble qu'à la veille de la nécessaire conversion
écologique de l'économie, il ne soit pas possible de faire
l'impasse sur l'État. Ainsi, il est raisonnable de considérer
l'engagement de l'État comme un avantage en vue de la conversion vers
une économie durable.
De même, le type de coordination qui préside les
marchés de produits peut avoir un impact
54 ROUSSEAU, ZUINDEAU, Théorie de la
régulation et développement durable, Revue de la
régulation n°1, 2007.
55 NICOLETTI et al, 2000.
41
sur le rapport à l'environnement. La coordination peut
effectivement être basée sur les signaux de prix envoyés
par le marché, ou passer par d'autres canaux.
La coordination par les signaux envoyés par le
marché est sujette à d'importants doutes. En effet, les prix
reflètent toujours la valeur d'échange et non la valeur d'usage.
Cette idée, déjà présente chez Aristote et reprise
par Marx, a selon Zuindeau des implications environnementales : «
excessive exploitation of the environment can therefore result from the
consumption of natural goods that are useful for market production, but whose
price, relatively low or even zero, favours high demand. By using the customary
terminology for environmental economics, we can also say that a significant
part of the pressure exerted by people on nature results from a discrepancy
between the market value and the total economic value of environmental goods
»56. La valeur économique totale de ces biens
intègrerait, elle, la valeur d'usage direct, la valeur d'option et la
valeur d'existence (Pearce, 1993). En définitive, bien qu'à notre
connaissance les liens ne soient pas empiriquement avérés, il est
probable qu'une coordination par d'autres canaux que ceux du marché soit
plus propice pour protéger l'environnement. En effet, elle accorde une
place plus importante à la négociation entre acteurs et à
l'édiction, par exemple, de normes environnementales contraignantes.
Les marchés des produits se distinguent
également par le degré de protection mis en place contre la
concurrence et les investissements étrangers. Le degré
d'ouverture économique des pays a probablement un impact sur le rapport
à l'environnement. Néanmoins, la relation n'est pas, à
notre connaissance, établie.
D'un côté, l'ouverture à la concurrence
internationale peut améliorer la protection de l'environnement. En
effet, elle sert d'aiguillon aux entreprises nationales pour qu'elles innovent
et qu'elles s'adaptent. Elles peuvent alors devenir plus efficientes dans
l`utilisation des ressources. Elle peut ainsi accélérer le
découplage entre PIB et énergie consommée,
conformément à la courbe environnementale de
Kuznets57. Au cours de la seconde moitié du XXème
siècle, le point de valeur ajoutée a généré
une consommation énergétique toujours plus faible, alors que
l'ouverture à la concurrence, sous les effets du GATT/OMC et de l'Union
Européenne, s'accélérait58. Enfin, le commerce
international lié à l'ouverture peut avoir, selon certains
auteurs (Suarez (2010)), des effets bénéfiques sur
l'environnement, dans les cas où il entraîne un changement de
composition vers des activités plus respectueuses de l'environnement ou
des transferts de technologies propres.
Cependant, les effets globaux de l'ouverture sur
l'environnement semblent négatifs.
56 ZUINDEAU, «Regulation school and
environment», Ecological Economics, 162, 2007.
57 Relation expliquée par TISDELL, Globalisation and
sustainability, Ecological Economics 39, 2001.
58 CHENG, An investigation of cointegration and causality
between energy consumption and economic growth, Journal of energy and
development, vol 21, 1995.
42
L'ouverture à la concurrence internationale tend
à accroître l'intensité de la concurrence, et par là
même la pression exercée pour réduire les coûts
(notamment de protection de l'environnement). L'effet sur l'environnement
dépendra, dans ce cas, de l'importance de la
compétitivité-coût dans le marché. Les liens entre
ouverture et environnement sont à rapprocher des effets du commerce
international sur l'environnement. Cependant, les effets négatifs
semblent plus nombreux (Barbier, 2008) : hausse des exportations à forte
intensité en matières premières, renforcement du syndrome
hollandais, économies d'échelle facteurs de pollutions...
Si l'ouverture entraîne un regain de croissance, il peut
s'opérer un « effet rebond », selon lequel malgré la
baisse de la pollution par unité de PIB, la croissance peut
générer des émissions supérieures : «
empirical results reported by the World resources institute (1997) indicate
that material throughput has continued to rise even in countries experiencing
falling pollution intensities »59. Selon Neumayer (2000),
le système construit autour de l'OMC favorise les échanges et la
croissance au détriment de l'environnement. Surtout, l'ouverture
à la concurrence pose le problème du dumping environnemental. Les
entreprises nationales peuvent souffrir de la concurrence d'autres entreprises
soumise à des règles écologiques plus laxistes. Les cas
diffèrent beaucoup selon les pays et selon leur degré de
développement. Toutefois, il est possible d'affirmer qu'une ouverture
forte interdit en quelque sorte la mise en place de règlementations
environnementales strictes à l'échelle nationale, sous peine
d'une perte de compétitivité dommageable aux entreprises
nationales. Enfin, un dernier effet négatif est à mettre en
exergue : l'accroissement de la concurrence et de l'ouverture se traduit
généralement par un accroissement des échanges,
d'où des pollutions liées aux transports plus importantes.
L'impact de l'ouverture à la concurrence sur
l'environnement est difficilement quantifiable. Il semble néanmoins, au
vu des arguments avancés, que les capitalismes
caractérisés par une grande ouverture économique ne sont
pas idéalement placés pour mettre en route la mutation
écologique.
Un dernier élément pourrait différencier
les marchés des produits dans les différents capitalismes : la
taille des firmes. Toutefois, la différenciation ne s'opère
qu'à la marge, dans la mesure où c'est le capitalisme asiatique
qui se caractérise par les grandes firmes et le capitalisme
méditerranéen qui possède la caractéristique
inverse. Les autres capitalismes ne se différencient pas par ce
critère.
Nous ne nous hasarderons pas à établir une
corrélation entre la taille des firmes et le degré
59 TISDELL, Capital/Natural resource substitution : the
debate of Georgescu-Roegen with Solow/Stiglitz, Ecological Economics,
Elsevier, 1997. Dans le même registre, une étude canadienne
montrait récemment que la France était championne du monde de
l'économie verte, alors que ses émissions nettes avaient
augmenté depuis 1990.
43
de protection de l'environnement. Le secteur de la production
importe davantage, en matière environnementale, que la taille des
firmes. Cette variable jouera un rôle neutre dans notre
appréciation.
2 - Marchés du travail et
environnement
Les liens entre les institutions qui caractérisent le
rapport salarial et l'environnement sont plus indirects. Il faut, en outre,
garder à l'esprit que les institutions du marché du travail
subissent des évolutions fréquentes, comme en atteste la
quête généralisée de flexibilité en Europe
dans les années 1990. La faculté d'une économie à
s'adapter au changement, cependant, peut dépendre des institutions qui
régissent son marché du travail. D'où des
complémentarités existantes, autour de trois axes.
Le niveau de protection de l'emploi est le premier
élément différenciateur des capitalismes. Les indicateurs
de l'OCDE mesurent les procédures et les coûts liés au
licenciement des travailleurs, ainsi que les procédures d'embauche des
travailleurs temporaires ou à durée déterminée.
Bien qu'Amable fasse une mention séparée de la
flexibilité externe, il nous semble pertinent de la rapprocher du
degré de protection de l'emploi. En effet, les deux notions recoupent
des réalités proches, c'est-à-dire la facilité
à embaucher et à licencier. Nous allons donc étudier, ici,
la protection de l'emploi/flexibilité externe et ses rapports avec
l'environnement.
La protection de l'emploi et la flexibilité externe
permettent aux entreprises de s'adapter à court terme aux
évolutions du marché. La mutation que connaîtra le
capitalisme s'effectuera, probablement et schématiquement, de la
manière suivante : les activités polluantes devront
connaître des difficultés, tandis que les activités de
« l'économie verte » devront se développer. Dans ce
cadre, des protections de l'emploi rigides peuvent compromettre l'adaptation de
l'économie vers une économie de l`innovation (Saint-Paul, 2000).
Il nous sera peut-être objecté qu'il y a autant de destructions et
de créations d'emplois en France qu'aux Etats-Unis (en rapport au nombre
total d'emplois)60, alors que l'un de caractérise par une
forte protection de l'emploi et l'autre par une grande flexibilité.
Cependant, les créations et destructions d'emplois en France reposent
sur un nombre restreint de travailleurs, victimes du dualisme du marché
du travail, et donc d'une protection de l'emploi limitée. Il est donc
possible de considérer que les économies
caractérisées par une faible protection de l'emploi soient plus
à même de s'adapter rapidement aux
60 CAHUC, ZYLBERBERG, «Le chômage,
fatalité ou nécessité ?», Flammarion, Paris,
2004.
44
exigences d'une économie durable, à se lancer
dans de nouveaux secteurs et à abandonner des secteurs insoutenables.
Ainsi, pour Amable, « des réajustements rapides de la main
d'oeuvre baissent les dépenses liées au changement structurel et
permettent le redéploiement de la structure industrielle
»61.
Les principes d'une protection de l'emploi faible et d'une
forte flexibilité externe se heurtent toutefois à un autre
principe générateur de durabilité : la faculté
à prendre en compte le long terme. En effet, la précarité
généralisée des emplois ne constitue pas non plus une
incitation à investir dans les métiers et compétences
d'avenir. C'est pourquoi, pour permettre une adaptabilité des
économies, une sécurisation des parcours professionnels devrait
accompagner la flexibilité.
La complémentarité entre ces deux
éléments n'est pas nouvelle et constitue l'une des bases de la
flexicurité. Au-delà des mirages et faux-semblants de ce
concept62, les configurations qu'il présente font
apparaître, sur le plan conceptuel, un assemblage intéressant pour
affronter la mutation écologique. Nous rappelons que les effets sociaux
de ces configurations ne sont ici pas abordés.
Le dualisme que mentionne Amable pour caractériser les
marchés du travail asiatique et méditerranéen n'est pas,
par contre, mobilisable dans le cadre de l'étude des
éco-complémentarités. En effet, il serait possible
d'imaginer une relation entre un marché du travail dualiste et la mise
en place de mesures écologiques. Néanmoins, nous disposons de
trop peu d'éléments pour nous aventurer dans cette voie.
Le deuxième axe de différenciation des
marchés du travail concerne le type de relations industrielles. Cela
recouvre la coordination des négociations, la centralisation, le
corporatisme, la densité syndicale ou encore la conflictualité.
Deux éléments semblent mieux préparer à
l'économie durable.
Premièrement, le niveau de négociation salariale
peut avoir un impact indirect sur la préservation de l'environnement.
Plus précisément, selon que la négociation sera
centralisée ou décentralisée, les incitations à
innover seront distinctes. Il en résultera, en définitive, une
faculté différente à susciter l'innovation
écologique. Au niveau des firmes, la centralisation des
négociations salariales (notamment selon le modèle de
Rehn-Meidner) constitue une incitation à innover. Ainsi, les gains de
productivité d'une entreprise ne se traduiront pas nécessairement
par des hausses de salaires. De ce fait, la rente de l'innovation sera plus
importante. Les vertus
61 AMABLE, op.cit, p.257.
62 RAMAUX, «La flexicurité, critique empirique
et théorique», in Tremblay D-G, Flexibilité,
sécurité d'emploi et flexicurité, les enjeux et
défis, Presses de l'Université de Québec.
45
écologiques de cette institution sont
résumées par Amable (2009) : « a coordinated
wage-bargaining system enables a solidaristic wage setting, which favours
innovation and productivity. A centralized Financial system enables firms to
develop long-term stratégies »63.
Deuxièmement, le niveau de conflictualité des
relations de travail et son pendant inverse, la coopération au sein de
la firme, sont des éléments qui ont un impact sur la
manière dont les économies sauront d'adapter. Les relations
coopératives et négociées permettent
généralement aux entreprises d'évoluer dans de nouvelles
directions. Pour Scruggs (2001), les relations basées sur le
néocorporatisme favorisent la prise en compte de l'environnement pour
trois raisons :
- les groupes corporatistes traditionnels prennent plus
facilement en compte les externalités car celles-ci retombent sur
eux,
- les plus grandes organisations ont l'autorité
suffisante pour faire respecter les règles environnementales
- les systèmes d'intermédiation des
intérêts pluralistes et compétitifs entraînent des
problèmes de coordination et d'application des règles
importants.
La conflictualité, elle, peut constituer un facteur de
blocage. Toutefois, la conflictualité n'est pas la résultante de
l'existence de syndicats forts. Il serait en outre aventureux de
considérer que l'entreprise voudra forcément devenir plus
durable, et que les salariés s'y opposeront par crainte du changement.
Si ce type de scénario pourra exister, rien ne dit qu'il sera
majoritaire. Ainsi, si la conflictualité ralentira le processus
d'adaptation, nous ne pouvons pas dire qui, de l'entreprise ou des syndicats,
sera à l'origine du blocage. De même, le rôle du
corporatisme et des syndicats peut jouer dans les deux sens. Ce sont, en effet,
les syndicats qui sont les acteurs de relations de travail coopératives
et négociées. Ils peuvent, également, être des
outils de mobilisation et de blocage, s'ils jugent les droits des
salariés sacrifiés par les évolutions.
Le troisième axe de différenciation fait appel
aux politiques de l'emploi mises en place dans les pays. Depuis 1985, l'OCDE
retient une définition restrictive des politiques de l'emploi : elles
recouvrent les mesures ciblées qui ont pour but d'augmenter le taux
d'emploi. La nomenclature de l'OCDE classe parmi les politiques actives de
l'emploi les éléments suivants : les services publics de
l'emploi, les dispositifs de formation professionnelle, les politiques de
rotation dans l'emploi, les incitations à l'emploi, les emplois
protégés, les créations directes d'emplois et enfin les
aides à la création d'entreprise pour les chômeurs. Amable,
limité par l'accès aux données institutionnelles,
constitue en réalité quatre groupes : les pays qui n'ont pas de
politique de l'emploi active (tels que les Etats-Unis, la Norvège ou
l'Espagne) ceux dont la politique est
63 AMABLE, « Structural reforms in Europe and the
(in)coherence of institutions », Oxford Review of Economic Policy,
vol 25, n°1, 2009, p.21.
46
surtout dirigée vers la jeunesse (Italie, Portugal),
ceux dont elle est dirigée vers les handicapés (Suède,
Pays-Bas) et ceux dont elle est dirigée vers les créations
d'emplois (Allemagne, Danemark).
Les capitalismes caractérisés par les politiques
actives de l'emploi semblent partir avec un avantage à la veille de la
conversion écologique des économies. D'une part, elles sont
susceptibles prendre en charge les « perdants » de la mutation tels
que les salariés de l'industrie automobile déclinante. D'autre
part, elles permettent d'offrir des solutions aux populations les plus
exposées (jeunesse, handicapés...) et, de cette manière,
de rendre la conversion écologique plus équitable. A l'inverse,
l'économie américaine, extrêmement carbonée et au
niveau moyen d'éducation relativement faible, pourrait rencontrer des
difficultés en l'absence de politiques actives de l'emploi.
3- Systèmes financiers et
environnement
Amable analyse les caractéristiques des secteurs
financiers des cinq capitalismes. La dichotomie marchés
financiers/banques est enrichie par d'autres éléments. La forme
que prend le financement de l'économie est d'une importance
considérable : les différences dans les systèmes
financiers sont parfois considérées comme des déterminants
plus importants de la spécialisation du commerce international que les
différences de capital humain ou physique (Svaleryd et Vlachos, 2000).
Les formes prises par le secteur financier sont liées à la
manière dont les enjeux environnementaux seront pris en compte, dans la
mesure où elles influent sur la capacité à prendre en
compte le long terme.
Globalement, il est possible d'affirmer que les
économies largement dépendantes des marchés financiers
sont afférées sur le court terme. Les marchés financiers
exercent une pression sur les coûts pour garantir le meilleur return
on equity et créer de la valeur actionnariale à court terme.
Pour Zuindeau, cette logique tend à augmenter la pression exercée
sur l'environnement64. L'influence négative des
marchés financiers sur l'environnement a également
été pointée par McCarthy et Prudham65 (2004).
De même, selon Amable et Chatelain (1995)66, les relations de
marché rendent impossibles les engagements de long terme entre
gestionnaire et détenteur de titres.
64 ZUINDEAU, op cit.
65 MCARTHY, PRUDHAM, «Neoliberal nature and the
nature of neoliberalismÓ, 2003,
http://www.eci.ox.ac.uk/~dliverma/articles/McCarthy_neoliberal%20nature%20and%20the%20nature%20
of%20neolibralism.pdf
66 AMABLE, CHATELAIN, « Systèmes financiers et
croissance, les effets du court-termisme », Revue économique,
volume 46 .
47
Certains objecteront, à la lumière des travaux
d'Allen et Gale (2000), que les marchés financiers permettent aux
investisseurs d'avoir une vision diversifiée des investissements et donc
de favoriser les innovations. Cependant, de quels investissements parle-t-on ?
Il semble justifié, comme le font Amable et Chatelain, de
considérer le financement bancaire des firmes comme plus propice
à financer certains investissements de long terme : accumulation de
compétences spécifiques, dépenses de recherche et
développement, etc.
Une forme particulière de pression joue à
l'encontre de la protection de l'environnement : l'importance du marché
pour contrôler les entreprises, sous forme de fusions-acquisitions. Il
nous apparaît raisonnable de supposer que ce type de transactions exerce
une forte pression en faveur du management à court terme des
entreprises.
Toutefois, tous les systèmes dépendants des
marchés financiers ne sont pas identiques. Le degré de
sophistication des marchés, élevé dans les
économies libérales, tend à augmenter la sphère de
la finance et, partant, l'importance du court-termisme. Aussi, la forme que
prend la finance peut-elle différer selon les investisseurs
institutionnels présents. Ainsi, il existe des investisseurs
institutionnels qui, généralement, prennent des positions sur un
temps plus long (fonds de pension)67. Malgré la pertinence de
cette distinction, nous ne pourrons pas l'intégrer à notre
étude, par manque de données. En outre, deux
éléments utilisés par Amable ne nous paraissent pas
pouvoir être utilisés dans le cadre de cette réflexion sur
les complémentarités environnementales : le degré de
protection des actionnaires minoritaires et l'importance du capital-risque. Ces
éléments seront donc considérés comme neutres du
point de vue environnemental.
A l'inverse, les économies où
l'intermédiation bancaire est plus forte pourront plus facilement
intégrer le long terme (d`où l`expression « capital patient
»). La modalité asiatique de la collaboration
banques-entreprises mérite un rapide détour. Dans ce
modèle, les banques participent à la stratégie des firmes.
Si, selon nous, l'influence des banques en matière de financement est
plus écolo-compatible que celle des marchés financiers, leur
immixtion dans la gestion des entreprises l'est moins clairement. La force des
banques sera néanmoins considérée comme un
élément positif sur le plan environnemental.
Par contre, deux caractéristiques mises en avant par
Amable - la concentration de la propriété et la concentration
bancaire - entretiennent des liens tellement indirects avec l'environnement que
nous les considérerons comme neutres.
67 ISRAELEWICZ, « le capitalisme zinzin »,
Grasset, Paris, 1999.
48
Pour résumer, la dichotomie marchés financiers /
banques est l'élément fondamental qui différencie les
capacités d'inclusion du long terme des différents capitalismes.
Comme le rappelle Amable (2005) : « Les secteurs où la
compétitivité est fondée sur l'investissement à
haut risque et à court terme prospèreront dans les pays où
les marchés boursiers sont bien développés, tandis que les
secteurs fondés sur l'investissement à faible risque et à
long terme seront favorisés là où le secteur financier est
fondé sur les banques »68.
4- Protection sociale et environnement
Les systèmes de protection sociale influent-ils sur la
manière dont les économies sauront répondre aux
problèmes écologiques ? Dans ce cadre, nous n'allons pas
différencier les dépenses liées à la vieillesse de
celles liées à la famille ou au chômage.
L'existence de systèmes de protection sociale forte
(mesurée par les dépenses de protection sociale / PIB) est un
élément qui peut préparer favorablement à la
mutation écologique. En effet, une forte protection sociale permet de
s'assurer contre les risques de la vie. Comme cela a déjà
été dit, la conversion écologique de l'économie
créera probablement des secteurs gagnants et des secteurs perdants. Or,
l'existence d'importants filets de sécurité est de nature
à permettre une adaptation plus souple, si tant est qu`ils seront
toujours correctement financés. Ainsi, la protection sociale est le
pendant « sécurité » du modèle de
flexicurité dont, déjà, nous avons dit qu'il semblait
adapté aux économies en mutation. Le modèle
libéral, qui n'offre souvent qu'un filet de sécurité pour
soulager la pauvreté, se situe à l'opposé.
Amable ajoute un élément pour
différencier les modèles de protection sociale : l'organisation
du système des retraites, par capitalisation ou par répartition.
Cette différence nous semble entretenir des liens trop indirects sur
l'appréhension de l'environnement pour être prise en compte
ici.
5 - Système éducatif et
environnement
Amable complète son analyse de la diversité des
capitalismes en analysant les systèmes éducatifs. Dans cette
tâche difficile, il inclut le type d'institution scolaire et la formation
professionnelle.
Les systèmes scolaires peuvent être soit
standardisés, comme c'est le cas du Japon, ou fortement
différenciés, comme c'est le cas de l'Allemagne. Dans ce
deuxième cas, les élèves sont
68 AMABLE, op.cit., p.257.
49
aiguillés très tôt vers des
compétences spécifiques. Le type de système va
générer une main d'oeuvre qui aura principalement soit des
compétences générales, soit des compétences
spécifiques.
Les compétences spécifiques peuvent jouer un
rôle à double tranchant dans la mutation vers une économie
durable. En effet, si elles sont nécessaires aux activités de
l'économie verte, elles sont aussi un facteur d`enfermement dans un
secteur donné. Par exemple, il sera plus difficile à une personne
très spécialisée dans l'industrie automobile de se
reconvertir qu'à une personne qui n'aura accumulé que des
compétences générales. Ces dernières, en augmentant
les options alternatives des salariés, sont un meilleur gage de
reconversion et d'adaptation.
Les effets du système éducatif peuvent
être compensés par le type de formation professionnelle en
vigueur. Estevez-Abe et al (2001) ont réalisé une typologie des
systèmes de formation professionnelle, où il apparaît que
les économies qui présentent des compétences
spécifiques présentent également des systèmes de
formation professionnelle. Ensuite, les modalités de la formation
professionnelle divergent (au sein de la firme, par un système
d'apprentissage...).
En définitive, les compétences
générales et spécifiques sont complémentaires. Les
premières sont plus « sûres » en matière de
durabilité car plus facilement adaptables. Cependant, les
compétences spécifiques favorisent également la
durabilité, dans les cas où elles s'accompagnent de politiques de
formation tout au long de la vie développées.
L'étude des complémentarités fait
émerger une série d'éléments qui semblent jouer en
faveur d'une meilleure prise en compte de l'environnement : la concurrence
fondée sur la qualité, l'intervention de l'Etat sur le
marché des produits, la coordination hors-prix, la faible ouverture
internationale, la faible protection de l'emploi, la négociation
salariale centralisée, la coopération au sein de la firme,
l'absence de conflictualité, les politiques actives de l'emploi, les
systèmes financiers basés sur les banques, la faible
sophistication des marchés financiers, la faiblesse du marché
pour le contrôle des entreprises, la forte protection sociale, les
systèmes éducatifs donnant des compétences
générales ou les systèmes donnant des compétences
spécifiques mais les assortissant d'une politique de formation
professionnelle.
L'étude des liens qui unissent les différentes
institutions des capitalismes avec l'environnement nous permet de
suggérer, à un niveau agrégé, la capacité
des différents capitalismes à s'adapter aux enjeux
écologiques.
50
B) Agrégation des
complémentarités : l'Europe sociale-démocrate et
continentale en bonne position
La partie précédente a permis de déblayer
le terrain pour rendre possible une analyse comparée de
l'écolo-compatibilité des Cinq Capitalismes. L'agrégation
des complémentarités pourra fournir des enseignements
variés.
1- Précisions
méthodologiques
La construction d'un tableau de complémentarités
se base sur les relations à l'environnement mises en avant
précédemment. Certaines de ces relations sont positives, d'autres
sont négatives. Pour de nombreux éléments, il nous est
apparu difficile de conclure à une quelconque relation à
l'environnement, et nous avons préféré les
considérer comme neutres.
Les relations mises en évidence ont été
argumentées sur le plan conceptuel, et nous semblent avoir un sens.
Toutefois, elles ne sont que rarement avérées. Elles se
prêtent, dès lors, à la critique et à la
réfutation. Le chantier de l'étude des
complémentarités environnementales de la diversité
spatiale des capitalismes n'en est que mieux ouvert.
A ce stage de la recherche, il s'agit de mettre en relation
les complémentarités explicitées dans la partie
précédente avec la typologie des capitalismes
réalisée par Amable (2005). Il s'agit simplement de reprendre les
caractéristiques des différents capitalismes, et de les
étudier à l'aune de leur rapport à l'environnement.
A des fins pédagogiques, nous n'allons pas utiliser
toutes les caractéristiques mentionnées par Amable. Tout d'abord,
un premier écrémage a été réalisé :
il concerne les éléments qui, d'après nous, ne nourrissent
pas de liens clairs avec la protection de l'environnement. Ces
éléments sont la présence de syndicats forts, la
stimulation du capital-risque, le degré de concentration bancaire, la
base de la protection sociale (fondée sur l'emploi), le système
des retraites, le dualisme du marché du travail et la présence de
grandes firmes.
Ensuite, certains éléments ont été
recoupés sous un même thème, afin de ne pas agréger
des résultats qui renvoient à des corrélations similaires.
Par exemple, pour le capitalisme asiatique, la qualité de l'enseignement
secondaire a été regroupée avec le fort taux de
scolarisation. De même, la force de l'éducation technique a
été regroupée avec le développement de
compétences spécifiques, celles-ci étant son corollaire.
Autre exemple, la formation permanente a été regroupée
avec la formation professionnelle. Une dernière illustration s'impose :
afin d'éviter la
51
multiplication de critères financiers et donc la
surreprésentation d'éléments financiers dans le tableau
final, nous avons regroupé les variables « sophistication des
marchés » et « existence d'un marché pour le
contrôle des entreprises » sous le thème «
sophistication et diversification des marchés financiers ».
Malgré ces efforts, certains éléments
semblent à l'évidence avoir moins d'importance que d'autres dans
le chemin vers une économie durable. Nous avons mis un coefficient 2
à cinq éléments qui, au vu des
complémentarités détaillées
précédemment, sont appelées à jouer un rôle
important dans la mutation des capitalismes vers la durabilité. Ces
éléments correspondent aux caractéristiques les plus
saillantes sur le plan environnemental des cinq domaines étudiés
par Amable. Il s'agit de :
- La forme de concurrence sur le marché des produits
(qualité/prix)
- Le niveau de protection de l'emploi (forte/faible)
- Le mode de financement de l'économie (marchés
financiers/banques)
- Le niveau de protection sociale (forte/faible)
- L'importance de la formation professionnelle (forte/faible).
Le tableau est donc le fruit d'une méthode en quatre temps
:
1- Analyse des caractéristiques des capitalismes et de
leurs rapports à l'environnement.
2- Ecrémage des caractéristiques non
pertinentes dans cette étude, et regroupement de caractéristiques
similaires sous un même intitulé.
3- Agrégation des relations, selon une dichotomie de
couleurs. Pour simplifier, le rouge est non durable, le vert est durable.
4- Pondération simple des différents
éléments, via une gradation de couleurs.
2- Tableau des
complémentarités
Le tableau qui suit constitue un point central de notre
étude. Il va étudier les caractéristiques des cinq
capitalismes en fonction de leurs éventuelles vertus environnementales.
Là encore, il s'agit d'étudier leur aptitude à susciter
l'innovation, l'adaptation, à envisager le long terme et à
encourager la sobriété.
La frontière qui sépare les capitalismes n'est
pas toujours nette. La typologie d'Amable regroupe les pays en cinq
capitalismes, comme suit :
Capitalisme libéral de marché : Etats-Unis,
Canada, Australie, Royaume-Uni Capitalisme asiatique : Japon, Corée du
Sud
52
Capitalisme européen continental : Pays-Bas, France,
Allemagne, Suisse, Belgique, Norvège, Irlande, Autriche.
Capitalisme social-démocrate : Danemark, Finlande,
Suède Capitalisme méditerranéen : Espagne, Italie,
Portugal, Grèce.
Le tableau ci-après donne une image de la
compatibilité environnementale en puissance des cinq capitalismes.
53
Institution
|
Capitalisme fondé sur
le marché
|
Capitalisme méditerranéen
|
Capitalisme asiatique
|
Capitalisme européen continental
|
Capitalisme social- démocrate
|
Type de concurrence
|
Prix
|
Prix
|
Qualité
|
Qualité Concurrence par les prix
modérée
|
Qualité
|
Prix
|
Intervention publique sur le marché
des produits
|
Faible
|
Faible
|
Forte
|
Forte
|
Forte
|
Coordination sur le marché des produits
|
Prix
|
Prix
|
Hors-prix
|
Hors-prix
|
Hors-prix
|
Ouverture internationale
|
Forte
|
Forte
|
Faible
|
Forte
|
Forte
|
Protection de l'emploi
|
Faible*
|
Forte
|
Forte dans la firme
|
Forte
|
Modérée
|
Politique active de l'emploi
|
Faible
|
Faible
|
Faible
|
Forte
|
Forte
|
Négociation salariale
|
Décentralisée
|
Centralisée
|
Décentralisée
|
Coordonnée
|
Centralisée
|
Relations de travail
|
Non
documentées
|
Conflictualité
|
coopératives
|
Conflictualité
|
coopératives
|
Financement de l'économie
|
Marchés financiers
|
Banques
|
Banques
|
Banques
|
Banques + investisseurs institutionnels
|
Sophistication/ diversification des
Liarches financiers
|
Forte
|
Faible
|
Faible
|
Faible
|
Faible
|
Protection sociale
|
Faible
|
Modérée
|
Faible
|
Forte
|
Forte
|
Taux de scolarisation
|
Faible
|
faible
|
Fort
|
Fort
|
Fort
|
Formation professionnelle
|
Faible
|
Faible
|
Faible hors- firme
|
Forte
|
Forte
|
Compétences
|
Générales
|
Générales
|
Spécifiques**
|
Spécifiques
|
Spécifiques
|
Tableau des complémentarités environnementales
des cinq capitalismes
54
Légende :
-2
|
Elément non durable important
|
-1
|
Elément non durable d'importance moyenne
|
+1
|
Elément durable d'importance moyenne
|
+2
|
Elément durable important
|
* La faible protection de l'emploi est un
élément d'importance uniquement lorsqu'elle s'assortit d'une
protection sociale élevée.
** Le développement de compétences
spécifiques ne va dans le sens de la durabilité que s'il
s'accompagne d'une politique de formation professionnelle étendue. En
l'occurrence, les compétences spécifiques deviennent un handicap,
en l'absence d'outils généralisés de reconversion.
3. Une avance des capitalismes
social-démocrate et européen-continental sur le capitalisme
libéral
Bien que la prudence soit de mise sur l'interprétation
du tableau, les capacités d'adaptation aux enjeux environnementaux
apparaissent différenciées d'un type de capitalisme à un
autre.
a. Des enseignements à ne pas
surévaluer
La mésinterprétation du tableau est un risque
facile qu'il s'agit d'éviter. Préciser ce qu'il n'est pas permet
de mieux expliquer ce qu'il est.
Le tableau ne donne pas un indice des capitalismes les plus
durables ou les plus verts. Si cela avait été le cas, il aurait
mobilisé des données telles que les émissions de CO2
liées à la production, à la consommation, etc. Il ne prend
pas en compte ces variables réelles essentielles car il se situe
à un niveau conceptuel.
Le tableau ne propose pas de « modèle à
suivre ». En effet, nous savons qu'aucun des pays qui compose cette
typologie n'a une empreinte écologique d'une
planète69. En d'autres termes, aucune des économies ne
repose sur des bases durables.
Une lacune vient ajouter des limites aux conclusions qui
peuvent être tirées du tableau : il ne renseigne pas sur les
compatibilités qui existent entre les institutions des capitalismes et
la nécessité de développer la sobriété. Or,
nous avons vu au début de cette étude que, pour diviser
69 WWF, rapport planète vivante, 2008.
55
par quatre les émissions de CO2 d'ici 2050, il
était nécessaire de modifier les modes de production et de
consommation mêmes pour faire place à davantage de
sobriété. Cette capacité renvoie d'ailleurs autant
à des éléments culturels qu'économiques : la
logique du « toujours plus » doit être remplacée par une
logique du « moins » (de carbone) et/ou du « mieux » (de
qualité de vie). Or, si le tableau renseigne sur les facultés
à susciter l'innovation, l'adaptation, la vision à long terme...
il ne donne pas d'indications sur la sobriété.
En réalité, le tableau propose une grille
d'analyse conceptuelle qui s'inscrit dans une démarche prospective :
à l'avenir, les capitalismes possèdent-ils des
caractéristiques qui les rendront aptes à prendre le chemin de la
durabilité ? Les configurations institutionnelles sont-elles de nature
à s'adapter aux différentes politiques environnementales qui
devront s'étendre (cf. décrites dans l'échelle de
radicalité du changement) ?
L'interprétation adéquate repose plutôt
sur l'ampleur du changement institutionnel nécessaire. Les capitalismes
qui, dans le tableau, comprennent le plus de cases vertes sont ceux qui seront
les mieux adaptés à la mutation écologique des
capitalismes. Pour eux, le changement institutionnel nécessaire sera
d'une moins grande ampleur. Les institutions qui les caractérisent sont
considérées comme plus facilement compatibles avec les
institutions en vigueur dans une économie durable.
A l'inverse, les capitalismes représentés dans
le tableau avec une part dominante de rouge devraient avoir plus de
difficultés à faire face au défi environnemental. Les
institutions qui les caractérisent sont jugées non compatibles
avec une économie durable. Pour eux, le changement institutionnel
nécessaire sera plus important, et la durabilité devrait donc
être plus difficile à atteindre.
b- Capitalisme social-démocrate vs Capitalisme
libéral
Ces précautions prises, nous pouvons passer à
une analyse plus fine du tableau.
Le capitalisme social-démocrate apparaît comme le
plus apte à prendre le tournant de la durabilité. Il
possède en effet les caractéristiques de base qui permettent une
bonne innovation, une rapide adaptation et une vision à long terme.
L'intervention de l'Etat et la concurrence par la qualité laissent
supposer que des éléments autres que quantitatifs pourront
être pris en compte. L'existence d'une flexibilité externe
combinée à une forte protection sociale et à une
sécurisation des parcours accroît leurs capacités
théoriques d'adaptation, tandis que la prégnance des banques
autorise une vision à plus long terme. La seule ombre au tableau est en
réalité petite : nous avons dit que l'ouverture internationale
pouvait tendre à jouer un rôle négatif dans la mise en
place de
56
politiques environnementales. Cependant, il s'agit d'une des
relations les moins solidement établies.
Le modèle européen continental donne des
résultats encourageants, similaires à ceux du modèle
social-démocrate en de nombreux points. La différence
fondamentale réside dans les institutions du marché du travail,
où la faible flexibilité externe et la conflictualité
laissent planer un doute sur la capacité d'adaptation rapide des firmes.
Cet élément milite pour que la mutation écologique
s'accompagne d'une politique sociale forte, rendant le changement plus
acceptable, plus légitime et donc plus probable.
Le capitalisme asiatique se trouve à la croisée
des chemins. Son interprétation est rendue difficile par le fait que
certaines institutions aient des applications différentes selon qu'on se
place dans ou hors la firme. Les liens entre l'Etat et l'économie,
via les grandes firmes, peuvent constituer un atout, si l'avenir est
à un nouveau type de planification, la « planification
écologique »70. Le soupçon pèse
principalement sur la capacité de reconversion des travailleurs, en
l'absence de politique active de l'emploi, de forte protection sociale, et
alors que ces travailleurs ont principalement développé des
compétences spécifiques.
Le capitalisme méditerranéen apparaît
comme peu préparé à la mutation écologique. Sa
relative indépendance vis-à-vis des marchés financiers
(encore que les problèmes actuels de dette souveraine suggèrent
le contraire) constitue un facteur de prise en compte du long terme. Cependant,
la majorité des caractéristiques de ce capitalisme s'inscrit en
contradiction avec les exigences d'une économie durable.
Le capitalisme libéral de marché constitue,
à quelques exceptions près, une sorte d'anti-modèle en
matière de préparation aux mutations de l'économie
durable. La prégnance de la compétitivité-prix, celle des
marchés financiers, l'absence de protection sociale et de formation
professionnelle, sont autant d'éléments qui suggèrent que
le changement institutionnel pour arriver à une économie durable
devra être considérable. Le tableau n'est cependant pas absolument
noir : les compétences générales acquises par les
salariés, et la forte flexibilité dont jouissent les entreprises,
portent à penser que la main d'oeuvre pourra bouger d'un secteur
à l'autre.
Le tableau des complémentarités a donc
donné des enseignements d'importance : certaines économies ont
des caractéristiques qui les rendent plus aptes à s'adapter
à la mutation des capitalismes vers la durabilité. Pour elles, le
changement institutionnel à venir sera moins conséquent. Ce
résultat est compatible avec les travaux de Scruggs (2001) : à
travers une étude empirique des années 1970 aux années
1990, elle démontre qu'il existe une corrélation entre
70 PERRET, op.cit.
57
l'existence d'institutions néocorporatistes et les
bonnes performances environnementales71. Cette relation a
été amplement discutée dans la littérature, avec
des désaccords72 comme des corroborations73. Le
néocorporatisme est défini comme l'institution d'une
négociation entre l'Etat et les partenaires sociaux74. Or,
les pays européens qui sont mis en avant dans le tableau sont justement
des pays qu'on regroupe habituellement parmi les pays
néocorporatistes.
Pour l'instant, nous avons utilisé une typologie des
capitalismes existante, celle d'Amable, pour étudier les liens de ces
capitalismes avec des facteurs qui favorisent la protection de l'environnement.
Désormais, il s'agit d'ancrer davantage ces relations dans la
réalité et de voir si, au niveau des pays, ce type de rapports
à l'environnement coïncide avec les performances écologiques
des pays. Globalement, les performances actuelles des pays valident-elles cette
typologie ?
C) Un rapport à l'environnement qui a des bases
empiriques
Il est clair que la partie précédente a
donné des indices sur le niveau de préparation des capitalismes
à la mutation écologique. Elle a donc mis en relation des
idéaux-types de capitalisme avec des concepts (innovation, adaptation,
long terme, sobriété), et elle en a dégagé des
enseignements.
Dans cette partie, l'objectif est de « tester » la
plausibilité de ces enseignements, à l'aune de quelques
données empiriques. Cependant, notre tableau des
complémentarités raisonnait en « capitalismes », alors
que les chiffres disponibles sur les performances environnementales sont
classées par pays. Dès lors, nous devons tout d'abord clarifier
les liens qui existent entre les idéaux-types de capitalisme et les pays
qu'ils représentent.
1 - D'une analyse de « capitalismes »
à une analyse par pays
La frontière qui sépare les capitalismes n'est
pas toujours nette. Dans tout effort de typologie, la limite doit
nécessairement être fixée quelque part. En
conséquence, certains pays possèdent des caractéristiques
de plusieurs modèles. Ainsi, il peut exister un hiatus entre les
caractéristiques d'un pays et celles du capitalisme idéal-typique
auquel il est rattaché.
71 SCRUGGS, Is there really a link between neo-corporatism
and environmental performance ? Updated evidence and new data for the 1980s and
the 1990s, British journal of political science, 31, 2001.
72 NEUMAYER, Are left-wing party strength and corporatism
good for the environment ? , Ecological Economics 45, 2002.
73 WARD, Liberal democracy and sustainability,
Environmental politics, 17, 2008.
74 HALL, SOSKICE, Varieties of capitalism, the
institutional foundations of comparative advantage, Oxford university
press, 2001.
58
Les analyses d'Amable font ressortir une composition des
capitalismes comme suit :
Capitalisme libéral de marché : Etats-Unis, Canada,
Australie, Royaume-Uni
Capitalisme asiatique : Japon, Corée du Sud
Capitalisme européen continental : Pays-Bas, France,
Allemagne, Suisse, Belgique, Norvège,
Irlande, Autriche.
Capitalisme social-démocrate : Danemark, Finlande,
Suède
Capitalisme méditerranéen : Espagne, Italie,
Portugal, Grèce.
La figure ci-dessous, réalisée par Amable, donne
une image sommaire des cinq capitalismes : Sans entrer dans les détails
de l'analyse d'Amable, l'axe horizontal sépare les pays ayant un
système financier décentralisé, à gauche, de ceux
ayant des marchés du travail « rigides », à droite. Le
plan vertical peut être interprété comme la dimension de
l'Etat-providence.
Source : AMABLE, Les Cinq capitalismes, p.222.
La représentation schématique des cinq
capitalismes permet de rendre compte du caractère non évident du
regroupement. Les capitalismes libéral, asiatique,
méditerranéen et social-démocrate sont clairement
distingués, sur chacun des axes. C'est, comme l'admet Amable, le
capitalisme européen continental qui semble le plus
hétérogène. Selon lui, l'analyse aurait pu
59
diviser ce groupe en deux groupes, l'un étant
composé des Pays-Bas, de la Suisse voire de l'Irlande. Ces pays, par
exemple, sont plus proches de certains pays libéraux ou
sociaux-démocrates que de certains pays du modèle continental
européen (tels que l'Autriche). Le regroupement des pays s'effectue
cependant de la sorte :
Source : AMABLE, Les Cinq capitalismes, p.228.
Pour illustrer la différence qu'il peut exister entre
les caractéristiques d'un capitalisme et celles d'un pays, prenons le
cas de la France. Dans chacun des domaines étudiés, la France se
retrouve classée avec des pays différents, en fonction des
caractéristiques constatées. Le tableau ci-après en donne
un aperçu :
Domaine
|
Pays classés avec la France
|
Éléments de différenciation
|
Marché des produits
|
Allemagne, Belgique
|
Règlementation coercitive,
règlementation économique, charges individuelles
pour les PME
|
Protection de l'emploi
|
Finlande, Norvège, Autriche, Japon
|
Indicateurs de règlementation de l'emploi et de protection
de l'emploi
|
Politiques de l'emploi
|
Portugal, Italie
|
Dépenses pour la jeunesse
|
60
Systèmes financiers
|
Allemagne, Autriche, Japon, Portugal, Espagne, Italie
|
Contrôle dispersé des firmes, investissement en
capital-risque, Concentration de la propriété, crédit/PIB,
part des obligations dans les bilans des banques...
|
Protection sociale
|
Allemagne, Autriche, Belgique, Suisse
|
Part des dépenses vieillesse, part des dépenses
pour le survivant, part des dépenses santé
|
Formation tout au long de la vie
|
Aucun
|
Initiative forte de l'employeur, moyenne de l'individu
|
Système éducatif
|
Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Irlande
|
Dépenses par élève dans le primaire et dans
le secondaire, nombre moyen d'années d'études
|
Source : AMABLE, Les cinq capitalismes, p.153 à
222, Seuil, Paris, 2005.
Ainsi, la France est classée avec des pays très
différents, selon le secteur étudié. Par exemple, on
s'aperçoit qu'elle est classée davantage avec le Japon (deux
fois) qu'avec l'Irlande. Cela ne signifie pas qu'elle soit plus proche du
capitalisme asiatique. Cela révèle simplement que l'analyse
« par pays » et « par secteur » est plus proche de la
réalité.
Toutefois, l'ensemble de ces variables a été
agrégé par Amable, pour en aboutir à une typologie en cinq
capitalismes. Ceux-ci ont une cohérence institutionnelle globale, et
visent à donner une image de la réalité. Ainsi, aucun pays
rattaché à un idéal-type ne partage davantage de
caractéristiques avec un autre idéal-type. Dès lors, il
est cohérent de vouloir rapprocher les complémentarités
mises en avant pour les idéaux-types aux données empiriques
correspondant aux pays.
2- Les vérifications empiriques consolident les
enseignements
Les précautions prises précédemment nous ont
permis d'éclaircir deux points :
· Les caractéristiques des Etats peuvent
être différentes de celles présentes dans
l'idéal-type auquel ils sont rattachés.
· Les Etats ont cependant davantage de
caractéristiques en commun avec l'idéal-type auquel ils sont
rattachés qu'avec d'autres idéaux-types.
61
Il s'agit désormais de tester les enseignements
donnés par le tableau à l'aide de quelques données
empiriques. Globalement, nous nous attendons à voir les pays appartenant
au modèle social-démocrate ou au modèle continental
européen, avoir de meilleures performances que les pays appartenant au
modèle libéral ou méditerranéen.
Au vu de la différence qui existe entre pays et
idéaux-types, il est possible qu'il existe des exceptions. Celles-ci
doivent cependant rester marginales si l'on veut continuer à croire dans
les enseignements donnés par le tableau. Il serait effectivement
étrange de constater que malgré le fait que les pays
sociaux-démocrates aient des caractéristiques a priori plus
compatibles avec les exigences d'une économie durable, ceux-ci
obtiennent les pires performances écologiques.
Quatre éléments complémentaires
permettent de vérifier la plausibilité de nos
complémentarités : les émissions de CO2, l'empreinte
écologique, des indicateurs composites, et enfin le niveau de
régulation environnementale.
a- les émissions de CO2
Tout d'abord, il est logique de mentionner les
émissions totales des pays en équivalents de CO2, selon les
chiffres données par l`Agence Internationale de l`Energie75,
mesurées en tonnes de CO2/tête. Signalons d'emblée que ce
type de données est imparfait : si un pays consomme de nombreux biens
nécessitant beaucoup de carbone, mais les importe, ses émissions
seront faibles. Pour mieux prendre en compte les effets des importations et des
exportations, les émissions nettes sont plus pertinentes. Cependant,
l'utilisation de ces chiffres reste peu habituelle.
Sans surprise, au classement des émissions de
CO2/tête, les Etats-Unis arrivent premiers, avec 19,1 T/hab. Un
deuxième pays du modèle libéral le talonne : le Canada
(17,3 T/hab). Si l'Australie a des résultats similaires, le Royaume-Uni
a des émissions beaucoup plus faibles (8,6 T/hab). Ensuite, parmi les
pays étudiés, viennent les pays du capitalisme asiatique, autour
de 10 T/hab. Les pays du capitalisme européen continental ont une
moyenne de 7 T/hab, qui s'avère moins bonne que la performance
suédoise (5 T/hab) mais bien meilleure que le résultat finlandais
(12,1 T/hab). La moyenne des résultats est résumée par le
tableau ci-après :
75 IEAS, International Energy Agency Statistics (2009), CO2
Emissions From Fuel Combustion, en ligne:
http://www.iea.org/co2highlights/co2highlights.pdf
62
Type de capitalisme
|
Emissions totales moyennes de CO2 per
capita
|
Méditerranéen
|
7,2
|
Européen continental
|
8,5
|
Social-démocrate
|
9,0
|
Asiatique
|
9,9
|
Libéral
|
16,0
|
Source : Agence Internationale de l`Energie
Ce tableau illustre les mauvaises performances des pays du
capitalisme libéral. Les différences entre les autres
capitalismes sont plus faibles. A noter la surprenante première place
des pays du capitalisme méditerranéen, probablement explicable
par leur PIB plus faible.
b- L'empreinte écologique
L'empreinte écologique qui caractérise les pays
doit nous donner des indications supplémentaires. Pour faciliter la
compréhension, il convient de savoir que chaque individu devrait n'
« avoir droit » qu'à 1,8 ha. Il en résulte, par
exemple, que si le mode de vie d'un habitant moyen du capitalisme
libéral était étendu à la planète
entière, nous aurions besoin de près de quatre planètes.
Si l'outil est imparfait76, il est très
pédagogique.
Comme le montre le tableau ci-après, les empreintes
écologiques des pays ne semblent pas recouvrir les enseignements
apportés par le tableau n°1. En effet, les pays européens
ont des empreintes écologiques analogues. De façon inattendue,
les pays asiatiques recueillent les meilleurs résultats. La
dernière place des pays du capitalisme libéral entre, elle, dans
le cadre de nos suppositions.
Type de capitalisme
|
Empreinte écologique totale moyenne des pays
(en ha/hab)
|
Libéral
|
7
|
Social-démocrate
|
5,2
|
Européen continental
|
5,2
|
Méditerranéen
|
5,2
|
Asiatique
|
3,9
|
76 PIGUET, BLANC, CORBIERE-NICOLIER, ERKMAN, L'empreinte
écologique, un indicateur ambigu, Futuribles, n°334, octobre
2007
63
Source : Global footprint network, 2009, with 2006 data.
c- Les approches à partir d'indicateurs
composites
En 1991, Benhaim, Caron et Levarlet77 analysaient
les performances écologiques d'une centaine de pays, à partir de
vingt indicateurs statistiques. Le niveau de développement, les
conditions de production et leur consommation énergétique
étaient pris en compte. Il en a résulté une classification
selon deux axes, l'un lié au développement économique
(horizontal), l'autre par émissions de CO2. Bien que ces travaux datent
de bientôt vingt ans, ils donnent une image intéressant des
différents modes de développement.
Source : Lipietz (1997), The post fordist world : labour
relations, international hierarchy and global ecology, Review of
International Political Economy, p.35.
Il apparaît que les pays européens sont les plus
« propres ». La différence qu'on pouvait attendre entre les
pays qui forment le « capitalisme social-démocrate » des pays
qui forment le « capitalisme européen continental » n'est pas
apparente : la Suède se trouve encerclée par quatre membres de ce
deuxième type de capitalisme. Les mauvaises performances des Etats-Unis,
par
77 BENHAIM, CARON, LEVARLET, La maîtrise des
émissions de CO2, un accord international est-il possible ? ,
Mondes en développement, 1991.
64
contre, sont une nouvelle fois démontrées.
Outre cette représentation graphique
intéressante, il existe des tentatives de réalisation de
classements qui mettent en valeur les performances environnementales des pays.
Les indicateurs composites ont des limites connues78 : la
première d'entre elles est la difficulté à agréger
des variables qui recouvrent des réalités différentes et
qui ont une importance différente d'un pays à l'autre. Pour
autant, ces indicateurs ont le mérite de prendre en compte une large
palette d'éléments environnementaux importants.
Un classement réalisé par des chercheurs de Yale
et de Columbia est devenu une référence en matière de
performance environnementale : il s'agit de l' environmental performance
index, qui a succédé au environmental sustainability
index en 2006. Il se base sur des indicateurs de résultats et sur
des benchmarks, autour de 25 indicateurs. L'indicateur établit «
how close countries are to established environmental policy
goals79 ». Cinq domaines sont étudiés :
l'état de l'environnement, la limitation des pressions sur les milieux,
la réduction de la vulnérabilité humaine, la
capacité de réponse institutionnelle et le positionnement
international.
Le classement 2010 donne le top ten suivant :
Islande, Suisse, Costa Rica, Suède, Norvège, Maurice, France,
Autriche, Cuba et Colombie. Comme pour l'empreinte écologique, nous
avons jugé utile de calculer la performance moyenne des pays composant
les cinq capitalismes :
Type de capitalisme
|
Score moyen à l'EPI index
|
Social-démocrate
|
76,60
|
Européen continental
|
73,86
|
Méditerranéen
|
69,25
|
Libéral
|
67,35
|
Asiatique
|
64,75
|
Les résultats donnés par cet indicateur
confortent nos résultats concernant les pays les plus
écolo-compatibles, mais pas concernant les pays les plus
éloignés de la durabilité. En effet, si les pays du
capitalisme social-démocrate sont les mieux classés, les pays
libéraux ne sont pas, cette
78 MITCHELL, Problems and Fundamentals of sustainable
development indicators, Sustainable development, 1996.
79 Environmental Performance Index (EPI), (2010), en ligne :
http://epi.yale.edu/Countries
65
fois-ci, derniers.
d- La mesure de la « régulation
environnementale »
Mesurer l'état de l'environnement dans les pays est une
première manière de corroborer notre jugement sur la
compatibilité des institutions de ces pays avec la protection de
l'environnement. Une facette complémentaire mérite d'être
explorée : il s'agit du niveau de régulation environnementale des
pays. Il est attendu que les pays des capitalismes social-démocrate et
européen continental présentent le plus grand interventionnisme
en matière environnementale.
L'article de Esty et Porter, intitulé Ranking
national environmental regulation and performance : a leading indicator of
future competitiveness ?80, établit un
classement du régime de régulation environnementale. L'index
prend en compte la rigidité des régulations, leur structure, les
subventions, l'exécution de ces mesures... Il mesure la qualité
du système de régulation environnementale dans un pays. Il
convient de préciser d'emblée que cet indicateur est
étroitement lié au niveau de réglementation dans le
pays81.
La Finlande se classe première, devant la Suède,
Singapour, les Pays-Bas, l'Autriche et la Suisse. Un tableau, similaire aux
précédents, nous permet de voir les performances des pays qui
composent les différents capitalismes, et de tester de nouveau les
enseignements tirés de notre tableau des
complémentarités.
Type de capitalisme
|
Score moyen à l'Environmental regulator regime index,
avec correction de l'effet richesse
|
Social-démocrate
|
642
|
Européen continental
|
65
|
Libéral
|
-234
|
Asiatique
|
-363
|
Méditerranéen
|
-515
|
Source : ESTY, PORTER (2001).
80 ESTY, PORTER, Ranking national environmental regulation
and performance : a leading indicator of future competitiveness ?, The
global competitiveness report, 2001, p.93.
81 SIMOES, ESTER, cultural change and environmentalism : a
cross-national approach of mass publics and decision makers, Ambiente
& Sociedade, 7, 2004, p.90.
66
Le classement des systèmes de régulation
environnementale est à rapprocher des complémentarités des
capitalismes mises en avant au cours de cette étude. Les pays du
capitalisme social-démocrate dépassent largement les autres pays.
Les pays d'Europe continentale ont un système largement moins bien
noté, souffrant de la mauvaise note de l'Irlande. La surprise provient
des pays libéraux. Bien que leur classement ne soit globalement pas
reluisant, ils obtiennent des résultats meilleurs que les pays du
capitalisme asiatique et méditerranéen.
e- conclusions : un tableau des
complémentarités plausible
Au final, que peut-on conclure des résultats
donnés par ces études empiriques ? Confirment-ils ou
infirment-ils nos résultats ?
Au travers de la palette de données et d'indicateurs
étudiés, nous pouvons dire que, globalement, nos résultats
pointent dans la même direction. Ainsi, les pays du capitalisme
social-démocrate sont plutôt à la pointe des performances
environnementales, et les pays du capitalisme libéral sont plutôt
en retard. Pour certains critères, les pays d'Europe continentale ont
des résultats similaires à leurs homologues du capitalisme
social-démocrate. De même, les pays du capitalisme asiatique et
méditerranéen se retrouvent plutôt dans le bas des
classements, comme le tableau des complémentarités le laissait
supposer.
La hiérarchie, cependant, est souvent bousculée.
Pour certains indicateurs, les pays libéraux obtiennent des
résultats acceptables, souvent meilleurs que ceux des pays du
capitalisme méditerranéen ou asiatique. Il est curieux de
remarquer que pour des données telles que les émissions ou
l'empreinte écologique, les pays du capitalisme
méditerranéen ne se distinguent pas des autres pays
européens, alors que pour les indicateurs composites ils se placent
derniers. Dans leur cas, un effet-richesse peut jouer, dans la mesure où
ils sont globalement moins riches que les pays auxquels ils sont
comparés.
En définitive, nous pouvons dire que ces données
n'invalident pas les relations mises en avant. Les compatibilités
environnementales mises en avant se retrouvent globalement dans les
données trouvées. Par exemple, la bonne préparation des
économies du capitalisme social-démocrate a été
rendue plausible par pratiquement toutes les données
affichées.
Cela ne signifie pas, en soi, que nos
complémentarités sont validées, de même que des
résultats contraires ne les auraient pas invalidées. Cependant,
le fait que les économies sociales-démocrates et
continentales-européennes aient de bonnes performances environnementales
rend plausible le fait, suggéré par notre tableau, qu'elles
soient mieux préparées aux enjeux environnementaux
67
Comme nous l'avons fait en distinguant les pays des
idéaux-types auxquels ils sont rattachés, les chiffres et
classements invitent cependant à considérer nos résultats
avec prudence. En effet, d'un secteur à l'autre, d'un indicateur
à l'autre, la hiérarchie peut être bousculée.
Au terme de cette partie, nous pouvons affirmer qu' « au
vu de leurs caractéristiques, les pays du capitalisme
social-démocrate semblent mieux préparés à la
mutation vers une économie durable. En effet, le changement
institutionnel dont ils ont besoin est moins conséquent que pour les
autres modèles ».
Une telle affirmation pêcherait sans doute par un
excès de concentration sur les aspects économiques et
institutionnels. Or, le changement institutionnel est un processus politique.
C'est cette dimension que nous allons explorer à présent. Elle
permet de passer de la « capacité » à s'adapter
à la « probabilité » de l'adaptation.
68
III L'improbabilité politique d'un
changement institutionnel suffisant
La partie précédente nous a conduits à
nous focaliser sur des éléments institutionnels,
économiques et environnementaux. Nous avons pu constater que sur le
point de vue des complémentarités institutionnelles, les pays du
capitalisme social-démocrate ou européen-continental apparaissent
plus à même de s'adapter aux défis de l'économie
durable, c'est-à-dire qu'ils sont plus proches du changement
institutionnel nécessaire.
Cependant, cette partie nous invite à prendre en
considération le facteur politique, incontournable dans tout changement
institutionnel. Elle vise, ainsi, à ajouter des facteurs de
complexité à notre étude. Des éléments de
science politique, tel que le système électoral, peuvent
considérablement changer notre appréhension du sujet. En effet,
dans quelle mesure les opinions publiques et les partis politiques sont-ils
à même de soutenir le changement ? Comment le système
politique influe-t-il sur la probabilité du changement ? Quelles sont
les contraintes d'un changement institutionnel international ?
Nous procèderons en trois temps. Nous définirons
tout d'abord le changement institutionnel et montrerons que des
considérations électorales et culturelles sont à la base
du changement institutionnel (A). Ensuite, nous explorerons les liens qui
unissent les systèmes politiques avec le changement institutionnel, en
particulier avec celui qui favorise la durabilité. Enfin, nous nous
attarderons sur les possibilités d'un changement institutionnel
négocié à l'échelle internationale (C). Ces
nouveaux éléments nous permettrons au final de se demander si la
soutenabilité passe par une sortie du capitalisme.
A) La dynamique du changement institutionnel, un
processus politique
Les études précédentes de
complémentarités ont oublié un aspect essentiel : le
changement institutionnel se décide au niveau politique. Il
dépend, dès lors, de considérations diverses et complexes.
Après avoir expliqué la dynamique du changement institutionnel,
nous explorerons la diversité des soutiens politiques aux mesures de
protection de l'environnement.
69
1- Le changement institutionnel nécessite des
soutiens politiques
Pour comprendre le changement institutionnel, il est important
de comprendre les bases sur lesquelles reposent les équilibres
institutionnels. Dans ce cadre, nous utilisons les mêmes concepts et
hypothèses qu'Amable. Les institutions diverses forment un
équilibre politique, c'est-à-dire une situation dans laquelle le
conflit social est régulé. Le choix d'institutions est un choix
politique ou le reflet de l'équilibre politique qui prévaut dans
la société. Il existe dans nos démocraties une
multiplicité d'intérêts mais également une
divergence d'intérêts, lesquels réclament un mode de
coordination et de compromis. Ce compromis, cependant, ne peut pas satisfaire
l'ensemble des intérêts. Ainsi, Amable prend l'exemple de la
négociation salariale qui, sur certaines bases, correspondra aux
attentes des salariés, mais pas à celles des chômeurs.
La diversité des intérêts des agents est
posée et crée des conflits. Elle est cependant mouvante, car
influencée par les incitations diverses, le contexte économique
ou culturel. Ils se divisent en différents groupes sociaux dont les
intérêts sont comparables. Ces intérêts sont ensuite
convertis en demande politique, à mesure que les idées
véhiculées par les groupes sociaux sont canalisées par des
idéologies, c'est-à-dire des systèmes de pensée
organisés. Ainsi s'est rétréci le spectre des
intérêts en un éventail plus restreint de groupes
sociopolitiques exprimant des demandes politiques particulières. La
coalition politique se formera à partir d'un « groupe social
dominant », c'est-à-dire un agrégat de plusieurs groupes
sociopolitiques. Une telle approche, basée sur les groupes, est
fréquemment utilisée en théorie des
institutions82.
Dès lors que les équilibres institutionnels
reposent sur la stabilité du bloc social dominant, le changement
institutionnel se caractérise par une rupture de cette coalition
d'intérêts. La rupture peut avoir plusieurs causes, telles que
l'évolution des attentes d'un groupe sociopolitique, l'incapacité
à fédérer des intérêts devenus
contradictoires, etc. Aujourd'hui, nos systèmes socio-économiques
reposent sur des équilibres institutionnels qui ne favorisent pas la
durabilité. A l'évidence, les blocs sociaux dominants n'expriment
pas la volonté de mettre en place des réformes radicales pour
converger vers un mode de développement durable. Dès lors, le
changement institutionnel nécessaire à la mutation des
capitalismes nécessitera une évolution du bloc social dominant,
soit sous la forme d'une évolution interne (prise en compte croissante
des problèmes écologiques par les mêmes groupes
sociopolitiques), soit sous la forme d'un changement de bloc social dominant.
La demande politique de changement devra ainsi parvenir à être
suffisamment forte pour créer autour d'elle les contours d'un nouveau
bloc social, animé d'attentes plus
82 SAFARZYNSKA, VAN DEN BERGH, Evolving power and
environmental policy : explaining institutional change with group
selection, Ecological Economics 69, 2010.
70
écologiques.
2- Le changement institutionnel lié à la
force des demandes politiques
Les demandes politiques, exprimées notamment dans les
programmes des partis politiques, sont difficiles à agréger
à un niveau pertinent. Il nous semble plus pertinent d'utiliser les
« european values surveys » ou « world values surveys »,
afin d'appréhender les opinions et les valeurs partagées par les
citoyens de différents pays. Elles sont indispensables à la
conduite du changement : « implementing global environmental policies
will succeed only when based on unequivocal public support, particularly when
such policies require fundamental lifestyle changes83 »
(SIMOES, ESTER, 2002).
Tout d'abord, ces enquêtes montrent que la
préoccupation environnementale est très largement
partagée, dans les pays développés comme dans les pays en
développement. Simoes et Ester, dans leur interprétation des
résultats, insistent même sur un élément
étonnant : dans les pays en développement, les citoyens expriment
le souhait que les enjeux environnementaux priment sur les enjeux
économiques. Les auteurs soulignent cependant que les citoyens militent
pour la mise en place de mesures « douces », le moins contraignantes
possibles : « The more that environmental policy instruments limit
personal freedom and choice, the less these instruments meet with public
support84 ». Selon Inglehart (1995), les populations qui
soutiennent le plus les politiques environnementales sont soit les populations
qui souffrent le plus de la pollution (d'où un niveau de conscience
élevé au Sud), soit les pays les plus riches, où le niveau
d'éducation est élevé, et les valeurs «
postmatérialistes » majoritaires.
Dans le cadre de notre étude, il s'agit de savoir
quelles sont les différences qui existent parmi les pays
développés, afin de déterminer si les cinq capitalismes
auront des chances similaires de changement institutionnel.
Une typologie, réalisée sur la base des world
values surveys, réalisée par Inglehart et Welzel, permet de
mesurer la place des « valeurs postmatérialistes ». Les
politologues ont divisé les résultats de ces enquêtes selon
deux axes qui expliquent 70% de la variance entre pays : valeurs
séculières-rationnelles vs valeurs traditionnelles, valeurs de
survie vs valeurs post-
83 SIMOES, ESTER, cultural change and environmentalism : a
cross-national approach of mass publics and decision makers, Ambiente
& Sociedade, 7, 2004
84 op.cit.
71
matérialistes. Ce dernier axe est celui qui nous
intéresse : « people with postmaterialist values - emphasazing
self expression and the quality of life - are much more apt to give High
priority to protecting the environment than those with materialist values
»85.
La carte montre que les valeurs post-matérialistes
semblent étroitement liées au niveau de développement. Il
est difficile d'en tirer des enseignements pour différencier nos cinq
capitalismes, sauf peut-être pour les pays du capitalisme asiatique, qui
affichent des niveaux de valeurs post-matérialistes relativement
faibles. D'ailleurs, si l'explication par les valeurs postmatérialistes
rejoint d'autres analyses reposant sur les valeurs86, elle est
jugée insuffisante par plusieurs chercheurs87. Inglehart,
cependant, tend à abonder dans le sens des capitalismes
social-démocrate et européen-continental : « the public
of the nordic countries and the Netherlands rank highest of all 43 publics in
support of the environment ».
Source: Ronald Inglehart and Christian Welzel,
Modernization, Cultural Change and Democracy, New York, Cambridge
University Press, 2005: p. 64 based on the World Values Surveys.
85 INGLEHART, Public support for environmental protection,
objective problems and subjective values in 43 societies, Political
science and politics, 1995.
86 VOGEL, The protestant ethic and the sspirit of
environmentalism : the cultural roots of green politics and policies,
Zeitschrift fur Umweltpolitik und Umweltrecht, 3, 2002 ; voir aussi DIETZ,
FITZGERALD, SHWOM (2005).
87 DUNLAP, YORK, The globalization of environmental concern
and the limits of the postmaterialist values explanation, The sociological
quarterly, 49, 2005.
72
Les enquêtes fournissent des éléments
d'une grande utilité. Une question, notamment, s'avère d'une
importance particulière. Elle est posée comme suit : dans quelle
mesure seriez-vous prêt à payer davantage de taxes pour des buts
environnementaux ? Une telle question donne des indications sur la
préparation des opinions publiques à accepter le changement
institutionnel nécessaire. Les résultats sont donnés par
le tableau ci-dessous :
Capitalisme
|
Pays
|
Accepte la taxe 2005
|
Accepte la taxe (200?)
|
Européen
|
France
|
38
|
56
|
Allemagne
|
32
|
57
|
Pays-Bas
|
56
|
69
|
Belgique
|
45
|
47
|
Irlande
|
42
|
52
|
Norvège
|
75
|
76
|
Suisse
|
41
|
(non renseigné)
|
Social-démocrate
|
Danemark
|
67
|
71
|
Finlande
|
52
|
58
|
Méditerranéen
|
Italie
|
45
|
55
|
Libéral
|
Royaume-Uni
|
54
|
72
|
Australie
|
70
|
(non renseigné)
|
Canada
|
59
|
65
|
La différence entre les résultats des
enquêtes dans le temps complique l'interprétation. Le tableau
montre qu'en compagnie des pays sociaux-démocrates, les pays
libéraux ont des opinions publiques également prêtes
à agir. En comparaison, le score des pays du capitalisme continental
apparaissent faibles. Néanmoins, il semble que dans les pays où
il y a peu de régulation environnementale, il est moins douloureux de se
déclarer favorable à son augmentation.
Ces résultats nous montrent cependant que dans les pays
d'Europe continentale, il sera relativement difficile de fédérer
un bloc social dominant sur des mesures telles qu'une plus grande taxation
écologique. Ainsi, ils fournissent un éclairage nouveau à
notre tentative de déterminer quel type de pays est le plus proche du
changement institutionnel.
73
Des valeurs pro-environnementales suffisent-elles pour initier
un changement politique ? Celles-ci doivent s'immiscer dans le système
institutionnel pour changer le bloc social dominant, si elles veulent mener
à un changement de politiques. Or, plusieurs études montrent
qu'il existe un décalage important entre les valeurs et les votes
ensuite exprimés. Ainsi, la poussée des valeurs
écologistes devrait mécaniquement se traduire par une
poussée des partis verts/écologistes. Or, comme l'expliquent
Patulny et Norris (2005), « there are gaps in the conversion of
environmental values into votes »88.
Source : World Values Survey, Tax and votes data, in
Norris, Patulny (2005), p.11.
Ce tableau montre que les valeurs environnementales n'ont pas
lien direct avec l'intention de vote pour un parti écologiste. Ainsi,
les pays où les citoyens se disent les plus prêts à
accepter une taxe environnementale ne sont pas ceux où les votes verts
(ou apparentés) sont les plus forts. Cette situation peut être due
à deux types de facteurs. D'une part, les citoyens semblent prêts
à accepter des taxes lorsque leur pays n'est pas très
interventionniste en la matière, et qu'en conséquence il ne leur
en a pas imposé beaucoup. On note, à l'inverse, que l'acceptation
des taxes en Allemagne ou en France a beaucoup diminué d'une
enquête à l'autre, ce qui peut être dû à des
phénomènes du type « nous avons fait assez d'efforts »,
selon l'interprétation de Norris et Patulny (2005).
88 PATLUNY, NORRIS, Sustaining interest : are green values
converting to votes ? , International journal of environment, workplace
and employment, vol 1, 2005.
74
D'autre part, le système politique peut constituer un
élément explicatif pertinent. Le système politique
favorise plus ou moins l'expression des votes pour les partis non
hégémoniques. D'où l'importance de se pencher sur les
différents systèmes politiques et leurs relations avec
l'environnement, pour une approche plus fine de la probabilité du
changement institutionnel.
B) Des systèmes politiques qui favorisent la
protection de l'environnement
Pour l'instant, nous avons défini des configurations
institutionnelles qui, du point de vue conceptuel, favorisaient la prise en
compte de l'environnement. Le changement institutionnel nécessaire
dépend, cependant, de facteurs politiques. Si les valeurs jouent un
rôle dans le soutien aux coalitions au pouvoir, elles passent par le
prisme du système politique. Ici, il s'agit de clarifier les
interrelations qui existent entre les systèmes politiques et le
changement institutionnel pro-environnemental.
1- Valeurs et votes nécessaires au changement
institutionnel
Notre hypothèse de base est qu'un système
politique sera vertueux sur le plan environnemental s'il permet la prise en
compte des idées écologistes. Cette prise en compte peut soit
s'opérer par une influence importante des partis verts ou
écologistes, soit par l'appropriation de ces thèmes par d'autres
forces politiques. Neumayer (2002) trouve une corrélation claire et
robuste entre la force des partis verts/libertaires de gauche et de faibles
niveaux de pollution. Ainsi, « the rise of ecologically oriented
parties had thus a real impact on air pollution levels89
».
D'autres forces politiques peuvent également jouer un
rôle positif sur l'environnement si elles s'approprient les enjeux qui
lui sont liés. Neumayer juge plausible que la force des partis de gauche
traditionnels soit positivement liée à la protection de
l'environnement, mais la démonstration empirique est beaucoup moins
robuste. Dans une étude de 2006 sur les valeurs environnementales et
celles des partis, il affirme : « left-wing parties and individuals
are also more pro-environmental than their right-wing counterparts. Ecological
economics is more likely to be supported by left-wing parties and
individuals90 ». Cependant, pour Ward (2008), ces partis
n'endosseront les programmes environnementaux que s'ils se sentent
menacés par des partis écologistes. Or, ce type de configuration
sera favorisé, ou non, en fonction du système politique.
89 NEUMAYER, are left-wing party strength and corporatism
good for the environment ? Evidence from panel analysis of air pollution in
OECD countries, Ecological Economics, 45, 2002.
90 NEUMAYER, The environment, left-wing political orientation
and ecological economics, LSE research online. 2006.
75
2- Des votes dont l'éventualité
dépend des systèmes politiques
Quels systèmes politiques favorisent la protection de
l'environnement ? De nombreuses études existent sur la question. Nous ne
mobiliserons que celles qui se révèlent directement utiles dans
notre comparaison des capitalismes. Il existe également de nombreuses
typologies de systèmes politiques. Par exemple, Lijphart (1999)
proposait quatre éléments de différenciation : le nombre
de dimensions des problèmes évoqués dans les programmes
des partis politiques, le degré de disproportion du système
électoral, le pluralisme des groupes d'intérêts et la
rigidité constitutionnelle. D'autres indicateurs, tels que la
concentration des partis politiques, ou la fragmentation du législatif,
peuvent être pris en compte (Amable, 2005).
Ces différents éléments conduisent
généralement à différencier deux systèmes
politiques opposés. D'une part, le système majoritaire, dont le
modèle de Westminster constitue la forme idéalisée. Il est
le plus appliqué dans les pays du capitalisme libéral, mais
également du capitalisme méditerranéen. Il possède
une dizaine de caractéristiques (Lijphart, 1999), dont les suivantes
revêtent un intérêt particulier pour notre étude :
- l'exécutif est à parti unique
- le système est bipartite
- le système électoral est majoritaire, à
travers des systèmes favorisant des mécanismes du
type « le premier emporte tout »
- aucun contrôle de constitutionnalité.
A l'opposé, se trouve le modèle de consensus,
« fondé sur la négociation entre des groupes
d'intérêts organisés91 ». Il
représente les pays sociaux-démocrates, mais également une
partie des pays d'Europe continentale. Ses caractéristiques sont
symétriques :
- exécutif de grande coalition
- système multipartite
- système électoral proportionnel
- contrôle de constitutionnalité.
Chacun de ces systèmes a ses avantages et ses
inconvénients dans la conduite du changement écologique. Le
système majoritaire, tout d'abord, présente l'avantage de
minimiser le
91 AMABLE, op.cit.
76
nombre d'acteurs disposant d'un droit de veto. Amable
démontre que les capitalismes libéraux sont ceux qui concentrent
le plus faible nombre d'acteurs disposant d'un droit de veto92 :
à mesure que la distance vis-à-vis du capitalisme libéral
augmente, le nombre d'acteurs disposant d'un droit de veto augmente. Dans ce
type de système, « même un petit changement de
majorité politique peut avoir des conséquences énormes sur
la structure institutionnelle et de là sur la structure des
intérêts, tandis que les changements électoraux ne peuvent
pas facilement se traduire en un changement politique dans les systèmes
fondés sur les compromis institutionnalisés
È93. Il en résulte que les pays du capitalisme
libéral pourront plus facilement mettre en oeuvre un changement rapide
et radical, malgré le fait qu'ils soient souvent dotés d'une
certaine rigidité constitutionnelle (à l'exception du
Royaume-Uni). Ainsi, ce type de système politique permet de passer plus
facilement outre certains intérêts particuliers. Une telle analyse
est compatible avec les travaux de Scruggs (1993), pour qui les
démocraties avec des structures de pouvoir unifiées peuvent avoir
de meilleures performances environnementales.
Cependant, ces systèmes ont des degrés
d'ouverture faibles aux idées nouvelles telles que les idées
écologistes. Le caractère « participatif » et «
ouvert » du système politique influe positivement sur la prise en
compte des problèmes environnementaux (JANICKE 94 , 1992).
Ward (2008) définit l'ouverture par plusieurs critères tels que
le nombre de partis, la taille des districts ou encore le niveau de
proportionnelle. Ces systèmes qui se caractérisent par la
recherche de l'électeur médian (Congleton, 1992) sont
fondés sur deux partis hégémoniques. Ainsi, Amable montre
une claire corrélation entre le niveau de concentration politique et
l'appartenance aux capitalismes libéral ou méditerranéen.
Dans le cadre de leur système électoral, le « vote vert
» n'a souvent aucune utilité, ce qui freine l'émergence de
ces forces politiques. De même, les partis hégémoniques ne
se sentent pas menacés par ces forces et ne s'approprient pas
forcément leurs combats. Ward ajoute un dernier handicap à ces
systèmes : selon lui, il existe une corrélation nette entre
l'existence d'un régime présidentiel et les mauvaises
performances environnementales (en termes d'empreinte
écologique)95.
En définitive, les pays du capitalisme libéral
et, dans une certaine mesure, ceux du capitalisme méditerranéen
laisseront difficilement les forces écologistes exercer une influence
politique importante. Cependant, ce sont eux qui possèdent le plus grand
potentiel de changement radical.
92 AMABLE, op.cit.
93 AMABLE, 2005, op.cit., p. 234.
94J ANICKE, conditions for environmental Policy sucess, an
international comparison, The environmentalist, ,vol 12, 1992.
95 WARD, liberal democracy and sustainability,
Environmental politics, 17:3, 2008.
77
Sans surprise, les relations affichées par les
démocraties de consensus avec l'environnement sont symétriques.
Dans son ouvrage de 1999, Lijphart affirme que ce type de démocratie
favorise la prise en compte de l'environnement. Leur capacité à
s'engager sur des projets de long terme, suggérée par Amable,
peut effectivement jouer un rôle positif. Surtout, l'ouverture de ces
systèmes à des idées nouvelles ou minoritaires crée
un terreau favorable à une influence croissante des forces
écologistes. Ward (2008) va dans le même sens : « we
expect better performance where the party system is more open to green
entrants, or where exist small left-libertarian parties capable of bearing that
message »96. Il ne trouve, cependant, pas de
corrélation robuste.
Le handicap de ces systèmes en matière
environnementale réside dans l'existence d'une multiplicité
d'acteurs possédant un droit de veto. Ce système impose un
compromis incessant, peu propice à l'instauration de changements
importants et au sacrifice d'intérêts particuliers. Or,
l'importance de la mise en place d'un changement radical a suffisamment
été mise en avant dans cette étude. Amable tend à
nuancer ce handicap qui pourrait être apposé aux
démocraties sociales-démocrates. Selon lui, certains
systèmes de consensus se caractérisent en même temps par un
faible nombre d'acteurs ayant droit de veto. De plus, le nombre d'acteurs ayant
ce droit est un élément d'appréciation important, mais pas
suffisant. En effet, il peut être encore plus important de
s'intéresser au type de coalitions au pouvoir. Si la différence
entre les différents partis d'une coalition est importante, alors les
possibilités de changement seront faibles. Cependant, la « distance
aux extrêmes » (Tsebelis, 2002, Tsebelis et Chang, 2001) n'est pas
nécessairement forte dans les démocraties de consensus, et dans
ce cas des changements peuvent être conduits.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de
cette étude des relations entre systèmes politiques et
environnement. Tout d'abord, le système politique joue un rôle
dans la capacité de protection de l'environnement, définie par
l'OCDE (1994) comme la capacité d'une société à
identifier et résoudre les problèmes environnementaux. Il
facilitera plus ou moins l'émergence de partis écologistes puis,
il encadrera plus ou moins l'action gouvernementale. Nous avons vu que les
systèmes majoritaire et de consensus ont des caractéristiques
opposées. Il s'ensuit que :
- les systèmes de consensus vont plus facilement
prendre en compte les problèmes environnementaux, mais sur la base
d'un petit dénominateur commun. D'où une probable prise en compte
dans le cadre d'une soutenabilité faible.
- Les systèmes majoritaires ont peu de chances de
donner le pouvoir à des forces écologistes. Cependant, si cela
arrivait, leurs possibilités de mener à bien des changements
96 WARD, op.cit, p. 401.
78
radicaux est plus importante.
Dès lors, la prise en compte de facteurs politiques
complexifie notre approche du changement institutionnel. Désormais, le
fait que les capitalismes sociaux-démocrates soient les plus mieux
placés pour mener à bien la conversion écologique du
capitalisme paraît moins clair. Un dernier élément de
complexification mérite d'être ajouté : la dimension
internationale du changement.
C) La négociation internationale tend
à rendre moins probable un changement institutionnel d'ampleur
La dernière dimension politique intégrée
à l'analyse - la dimension internationale - se situe sur un niveau
différent. Il ne s'agit plus, comme dans les parties
précédentes, d'évaluer la capacité des
différents capitalismes à prendre le tournant écologique,
sur la base de critères institutionnels, économiques et
politiques. Ici, il s'agit d'inscrire le changement institutionnel au niveau
environnemental dans son cadre naturel, le cadre international. Après
avoir expliqué les raisons d'un positionnement à l'échelle
mondiale, nous montrerons qu'à ce niveau la probabilité d'un
accord international (2) et la probabilité qu'il soit exigeant (3) sont
faibles est réduite.
1- Le besoin d'une coordination
internationale
Jusqu'à présent, nous avons analysé la
capacité d'un pays, ou d'un type de pays, à mettre en place des
dispositifs de protection de l'environnement. Aujourd'hui, les gouvernements
n'agissent pas suffisamment sur le front de l'environnement, alors qu'ils le
pourraient. Nombreux justifient leur inaction sous prétexte que toute
solution doit être mondiale. Or, la lutte contre le changement climatique
peut être facilitée par le positionnement en leader de certains
pays. Pour Rotillon, Pereau et Tazdaït (2002), le leadership de certains
pays pour pousser les négociations est une condition essentielle de la
conclusion d'un accord.
Cependant, l'action au niveau étatique a des limites.
Tout d'abord, elle est globalement insuffisante pour lutter contre des
problèmes mondiaux. De plus, dans la mesure où les Etats restent
inscrits dans un marché mondial, ils n'ont pas intérêt
à risquer de mettre en danger leur compétitivité pour des
motifs environnementaux, pendant que d'autres pays se comporteront en passagers
clandestins et pratiqueront le dumping environnemental.
79
Pour répondre aux problèmes environnementaux qui
concernent la planète dans son ensemble, il faut dès lors
parvenir à une régulation environnementale mondiale.
L'environnement est en effet un bien public mondial qui pourrait, dans les
scénarios pessimistes, succomber à la « tragédie des
biens communs » (The tragedy of commons, Hardin et
Baden97, 1977). La coopération entière est cependant
une manière de baisser les émissions, mieux que dans une
situation d'équilibre de Nash (Finus, 2000). Depuis le sommet de la
Terre de Rio (1992), les tentatives de mettre en place une régulation
mondiale se sont succédé. Néanmoins, ces sommets n'ont
jamais été à la hauteur des enjeux.
2- La probabilité d'un accord
environnemental
Une approche réaliste ou néo-réaliste des
relations internationales conduit à considérer les chances
d'accord large avec circonspection. Bien que cette partie nous conduit à
nous exprimer en termes de probabilités, elle ne contient pas de calculs
proprement dits.
a- Un accord difficile sur l'environnement
Pour traiter des accords internationaux sur l'environnement
(AIE), la mobilisation de la théorie des jeux est devenue
fréquente, depuis Mäler (1989). Celle-ci définit des
situations « coopératives » et « non-coopératives
». Dans les premières, l'ensemble des acteurs a le même
intérêt à coopérer. Dans les secondes, hélas
les plus fréquentes, les acteurs ont globalement intérêt
à coopérer, mais pas forcément individuellement (Barrett,
1994). L'accord, en effet, crée les conditions où certains
gagnent plus que d'autres.
Les négociations internationales sur l'environnement
sont des situations non-coopératives. En effet, il s'agit souvent
d'allouer un prix à un bien public, donc les participants doivent se
partager le fardeau. En échange, ils pourront bénéficier
d'une amélioration de la qualité de l'environnement. Cependant,
l'incitation au « free-riding » (se comporter en passager clandestin)
est considérable. Selon Finus (2000), « in areas such as global
warming, spillovers as well as the absence of property rights create strong
incentives to free-ride, which undermine cooperation98 ».
Il existe, dans ce secteur, une claire distinction entre la
profitabilité d'un accord et son optimalité, d'où
l'absence de « main invisible ».
Il existe deux types de comportements en passager clandestin.
D'une part, il y a une
97 HARDIN, BADEN, Managing the commons, Freeman and co,
1977.
98 FINUS, Game theory and international environmental
cooperation, any practical application ?, 2000
80
incitation à ne pas faire partie de l'accord : les
acteurs peuvent profiter de l'amélioration globale de l'environnement
sans en supporter les coûts. D'autre part, il y a une incitation à
violer l'accord : dans certains cas, les bénéfices liés
à la violation de l'accord sont supérieurs aux dommages. Par
exemple, il peut exister d'importants gains - politiques notamment - à
la signature d'un accord, et également d'importants gains -
économiques notamment - à la violation de l'accord.
La divergence des intérêts est un autre
élément qui rend improbable la conclusion d'un accord
international. En effet, pour Bauer (1992), la probabilité d'un accord
décroît à mesure que
l'hétérogénéité des intérêts
s'accroît. La valeur qu'accordent les pays à l'environnement, par
exemple, peut considérablement varier d'un pays à l'autre. Les
coûts du changement climatique sont différents d'un pays à
l'autre : alors que la plupart des dommages écologiques se produisent au
Sud, ce sont précisément les pays du sud qui prônent le
plus le status quo (Lipietz, 1997). Parmi les pays du sud, pour des
raisons géographiques évidentes, le Bangladesh est l'un des seuls
à demander une régulation mondiale. En outre, la
nécessité d'un développement économique
conséquent n'est pas la même selon le niveau de richesse des pays.
De plus, à la divergence d'intérêts s'ajoute une
asymétrie d'information, favorable aux pays qui ont le moins
intérêt à signer (Rotillon, Pereau, Tazdaït, 2002). On
peut distinguer deux ou trois types de positions :
- celle des pays développés, pour qui la valeur
environmentale tend à être élevée, et qui portent
sur eux la culpabilité historique de la situation climatique.
- Celle des pays en développement, pour qui le
développement économique est indispensable, davantage que la
protection de l'environnement.
- Éventuellement, il est possible de
différencier ce dernier type de pays des pays qui vivent de
l'extraction de ressources fossiles. Pour eux, la culpabilité est
réelle, mais l'intérêt à la protection de
l'environnement est faible.
b- Un accord probablement partiel
Les nombreuses incitations qui incitent à ne pas
coopérer peuvent transformer la situation de théorie des jeux en
« chicken game È99. Dans cette situation, deux groupes
se forment : les pays signataires de l'accord, et les pays non signataires.
Face aux comportements non coopératifs des non-signataires qui
compromettent l'amélioration du bien-être global, plusieurs
mécanismes sont explorés. Il s'agit, à travers eux, de
faire en sorte que le nombre de signataires soit le plus grand possible.
99 CARRARO, SINISALCO, International environmental
agreements, incentives and political economy, 1997.
81
Premièrement, des mécanismes de transferts
peuvent être adjoints à l'accord, de manière à
compenser le désintérêt qu'ont certains pays à
l'accord (il existe en effet des coûts asymétriques). Les
transferts peuvent être monétaires ou prendre d'autres formes
telles que les transferts de technologie. Cependant, si l'ajout de transferts
augmente la probabilité que les pays réticents se joignent
à l'accord, il augmente la probabilité que les Etats-parties le
quittent. De ce fait, il vaut parfois mieux un accord partiel que l'inclusion
de transferts trop importants (Hoel, Schneider, 1997). Deuxièmement, des
menaces peuvent être formulées à l'encontre des pays
non-signataires. En l'absence d'institution supranationale forte, nous
n'explorons pas la possibilité de menaces adressées à un
Etat pour qu'il signe un accord.
Troisièmement, il est possible de lier l'accord
à d'autres accords. Notamment, les cas de lien entre un accord
environnemental et un accord sur un sujet auquel tous les Etats ont
intérêt peut être une solution : « issue-linkages
to a club-good agreement can be a successful policy » (Barrett,
1997). Pour Finus, « from a theoretical point of view, linking several
issues with each other can help to avoid asymmetric welfare implications, may
help to enforce an AIE and may increase the participation rate ».
Pour autant, certains auteurs ont identifié des situations où
cette stratégie est contre-productive (Carraro, Siniscalco, 1997).
Ces incitations ont cependant des limites, et l'issue la plus
probable est la conclusion d'un accord partiel. Pour Rotillon, Pereau et
Tazdaït (2002), les situations non-coopératives provoquent des
intérêts au free-riding, et les accords conclus ne peuvent
être que partiels100. Empiriquement d'ailleurs, seuls des
accords partiels ont été signés, comme en atteste le plus
connu, le protocole de Kyoto. Les modèles d'étude des
négociations environnementales se focalisent d'ailleurs souvent sur les
caractéristiques des coalitions, excluant de fait la possibilité
d'un accord global101. Pour certains, le but devrait plutôt
être la signature de deux ou trois accords (Carraro, Siniscalco,
1997).
3- Un accord probablement a
minima
Des doutes existent également sur l'ampleur de
l'accord. L'enjeu, en effet, n'est pas simplement de réduire les
émissions de CO2, mais plutôt de les réduire massivement.
Le contenu des accords et leur résultat a fait l'objet d'une
littérature réduite, due à la complexité de la
démarche et à la difficulté à les tester
empiriquement (Bloch, 1997, Yi, 1997). Deux éléments sont
à prendre en compte : la stabilité de l'accord et son contenu.
100 ROTILLON (dir), régulation environmentale,
Economica, 2002.
101 Voir par exemple le modèle de TULKENS, cooperation
versus free-riding, in Régulation environmentale (dir Rotillon),
Economica, Paris, 2002.
82
La stabilité d'un accord (ou l'équilibre) est
définie par Finus comme un état où les pays signataires
n'ont pas d'incitation à quitter la coalition et les pays
non-signataires n'ont pas d'incitation à y accéder. A
l'évidence, plus les AIE seront stables, plus grande sera la protection
de l'environnement. Pour qu'un accord soit stable, il faut qu'il y ait une
désincitation au départ de la coalition102. Il s'agit,
en outre, d'une stratégie pour limiter le free-riding qui consiste
à violer l'accord délibérément. Pour ce faire,
l'accord peut prévoir des voies douces, telles que la prévision
d'un mode de règlement des litiges, ou des voies dures, telles que
l'établissement de sanctions préétablies. Pour Finus, plus
grandes seront les sanctions prévues, plus probable sera le respect de
l'accord. Il constate cependant que ce type de solutions dures ne fait partie
d'aucun accord jusque-là signé. A l'inverse, la solution douce,
la moins efficace, faisait en 1991 partie de la plupart des accords (Barrett,
Brown, 1991).
En outre, les accords seront stables s'ils se
caractérisent par le « self-enforcement », c'est-à-dire
leur capacité à se perpétuer d'eux-mêmes, sans
régulation tierce. Le self-enforcement est favorisé par les
accords qui prévoient des transferts de certains pays à
d'autres.
Enfin, la stabilité dépend du type de monitoring
prévu par l'accord.
Le contenu des accords est un élément d'une
grande importance, à l'heure où l'on étudie la
probabilité de l'adaptation des capitalismes aux exigences de
l'économie durable.
L'accession aux accords est un acte volontaire de la part des
Etats et de leurs représentants. Dès lors, « treaties
must be individually rational » (Finus, p.7). Il en résulte
que chaque Etat possède, en quelque sorte, un droit de veto quant
à son contenu. Or, les désaccords sont inhérents à
la structure divergente des intérêts. Par exemple, ils peuvent
porter sur l'ampleur de la réduction des émissions
nécessaire, l'allocation entre Etats du coût de la
réduction, le niveau des compensations, l'identification des
donneurs-nets et des receveurs-nets... La conséquence de cette
constatation est de taille pour notre recherche : la nécessité
d'aboutir au consensus réduit les prétentions de l'accord au
maximum, pour en arriver au plus petit dénominateur commun. Comme
l'affirme Finus, « for global pollutants where the number of countries
affected by the externality is large, neither the globally optimal emission
reduction nor the median country proposal are stable. The likelihood that the
smallest tax or quota proposals are stable is higher, though for global
pollutants very low ».
Ainsi, le résultat le plus probable d'une
négociation internationale d'accords sur l'environnement est la
signature d'accords partiels et a minima.
102 Au-delà de la désincitation naturelle qui a
lieu lorsqu'on se place dans une situation où la négociation a
lieu de manière répétée. Dans ce cas, les Etats
doivent assurer leur crédibilité en ne quittant pas les
accords.
Cette conclusion pessimiste peut être modifiée si
l'on prend de la distance par rapport aux enseignements de la théorie
des jeux. Celle-ci, en particulier, a tendance à oublier que des
facteurs politiques, culturels ou autres (tels que l'image d'un pays ou les
représentations des gouvernants) peuvent jouer un rôle, et
provoquer un accord là où il semble improbable103.
Toutefois, le fait que les Etats défendent prioritairement leurs
intérêts nous semble être une hypothèse raisonnable
pour expliquer la majorité des stratégies de négociation,
ce qui rapproche notre conclusion pessimiste d'une conclusion
réaliste.
83
103 HOEL, SCHNEIDER, incentives to participate in an
international agreement, environment and resource economics Ð 9,
1997.
84
Conclusion :
Notre étude a traversé les champs
académiques pour tenter de reconstituer les liens qui unissent
différents systèmes à l'environnement. Si, à
l'évidence, notre étude ne vise ni à l'exhaustivité
ni de devenir prophétique, elle permet de jeter les jalons d'une
réflexion qui peut être d'une grande importance. La relation entre
capitalisme et environnement est en effet un débat qui n'en est
qu'à ses prémisses et qui pourrait s'avérer crucial pour
l'humanité. Dans ce jeu, la réflexion sur la diversité des
capitalismes, et sur leurs conséquences éventuelles sur
l'environnement, peut jouer un rôle éclairant.
Notre tâche ne peut être considérée
que comme une première tentative, une ébauche même,
d'étude de la capacité des différents capitalismes
à s'adapter aux enjeux environnementaux. L'étude des cinq
capitalismes constitue une entrée possible de ce type de
questionnements, mais assurément pas la seule. Notre recherche,
limitée par essence, invite à prolonger la réflexion et
les réfutations. Elle a cependant le mérite de proposer des
enseignements variés.
Une probabilité faible d'adaptation aux enjeux
environnementaux
La première partie de notre raisonnement n'a pas
accouché de nouveautés quelconques, dans la mesure où elle
s'est attachée à démontrer l'importance de l'enjeu
environnemental pour les décennies à venir. Nous avons tout
d'abord confronté la prégnance de cet enjeu à la relative
indifférence de la TR à son égard. En particulier, le fait
que l'environnement constitue une menace pour le capitalisme en tant que tel,
devait être posé, dans la mesure où les exigences d'une
économie durable impliquent une mutation radicale des modes de
production et de consommation.
Notre recherche s'est ainsi attachée à explorer
un segment nouveau pour la théorie de la régulation : les
relations qu'entretiennent les cinq capitalismes avec l'environnement.
Au niveau du marchés des produits, du marchés du travail, des
systèmes financiers, de protection sociale et d'éducation, il est
possible de déterminer des caractéristiques institutionnelles qui
vont dans le sens de la durabilité, notamment lorsqu'elles favorisent
l'innovation, l'adaptation, le long terme ou la sobriété. A la
lumière des compatibilités dégagées, le capitalisme
social-démocrate et, dans une moindre mesure, le capitalisme
continental-européen semblent institutionnellement mieux placés
pour entamer la mutation écologique de leur capitalisme. A l'inverse, le
capitalisme libéral et le capitalisme méditerranéen
nécessitent un changement institutionnel bien plus important pour
s'adapter aux exigences de l'économie durable. Le capitalisme asiatique
se situe, lui, entre les deux groupes, combinant caractéristiques
pro-environnementales et anti-environnementales. Si la confrontation de ces
enseignements avec des données sur les performances environnementales
85
actuelles des pays montre que nos résultats ne sont pas
dénués de fondement empirique, elle montre également
qu'au-delà des idéaux-types, la situation est beaucoup plus
complexe.
Pour évaluer la probabilité qu'un des pays de
ces capitalismes se situe en pionnier de l'économie durable, il
était essentiel d'incorporer des éléments politiques
à notre analyse. En effet, le changement institutionnel dépend de
l'évolution des équilibres politiques suis sous-tendent les
démocraties. Toutefois, il dépend surtout de la manière
dont les systèmes politiques filtrent les demandes des citoyens.
L'étude des caractéristiques des systèmes politiques
conduit à nuancer et à complexifier notre analyse des
facultés d'adaptation des différents capitalismes. Il semble que
les pays du capitalisme social-démocrate et continental-européen
soient ouverts aux idées écologistes, mais qu'ils puissent
difficilement accoucher de changements de cap radicaux. La situation est
exactement inverse pour les pays du capitalisme méditerranéen et
libéral. La nécessité de négocier une
régulation internationale conduit à rabaisser les perspectives
d'adaptation de tous les capitalismes confondus, en ce que la théorie
des jeux enseigne que les accords seront probablement partiels et a
minima.
La question de la sortie du capitalisme
Cette analyse invite à douter de la capacité des
capitalismes à prendre le tournant de l'économie durable. Leurs
institutions économiques mais aussi politiques sont des obstacles qui
s'ajoutent les uns aux autres. A l'évidence, l'avenir s'accompagnera
d'éléments aujourd'hui insoupçonnés, mais il semble
aujourd'hui que ces obstacles seront de taille. Si aucun capitalisme ne
parvient à s'adapter aux enjeux écologiques, alors la question du
capitalisme en tant que tel doit être posée.
Pour de nombreux auteurs, le capitalisme est
intrinsèquement non durable. Pour BLOFF, «écologie et
capitalisme se nient l'un l'autre. (É) L'humanité se trouve
devant une situation inédite. Elle doit décider si elle souhaite
continuer à vivre, ou si elle préfère sa propre
autodestruction 104Ó. Les contradictions entre la
logique capitalisme et la préservation de l'environnement ont fait
l'objet d'une littérature aussi intéressante qu'abondante. Elle
prend souvent appui sur l'intuition de Marx de l'existence d'une « faille
métabolique » (metabolic rift), pour caractériser le fait
que le capitalisme a créé une césure entre les
systèmes économique et le système naturel, entre les
hommes et la nature. La séparation entre la logique capitaliste et la
logique se protection de l'environnement prend plusieurs formes,
pointées par Rousseau et
104 BLOFF, article publié sur le site belge de
l'association des réfugiés de l'Amérique Latine et des
Caraïbes,
http://www.arlac.be/francais/Ecologie%20et%20capitalisme%20se%20nient%20l%20un%20a%20l%20
autre.htm
86
Zuindeau (2007).
Tout d'abord, le capitalisme est un mode de production qui
repose sur l'accumulation du capital. Le fait que l'accumulation du capital
soit durable ou non durable dépend des objectifs qui lui seront
assignés. Or, « le capitalisme confère la primauté au
pôle valeur d'échange [par rapport au pôle valeur d'usage],
qu'il s'agit de faire évoluer quantitativement ». A l'inverse, la
protection de l'environnement implique que soient pris en compte les besoins
humains et les équilibres naturels. Dans de nombreux domaines, ces deux
logiques s'ignorent complètement.
La propriété privée, étendue
à toutes les sphères, ne constitue pas une solution en soi aux
problèmes environnementaux. En effet, « si l'objectif du
propriétaire est la maximisation d'un gain financier actualisé,
l'atteinte de ce dernier peut tout à fait s'obtenir au travers d'un
épuisement de la ressource détenue et le placement financier des
recettes perçues105 » (Rousseau, Zuindeau,
2007).
Le capitalisme utilise pour l'accumulation du capital des
« ressources fictives ». Pour Polanyi, la monnaie, le travail et la
terre font partie de ces ressources. Ces marchandises sont créées
et reproduites en dehors de tout contrôle économique humain. La
recherche de l'accumulation du capital invite à exploiter ces ressources
gratuites, ce qui conduit à un « conflit des logiques »
(Passet, 1979) entre capitalisme et environnement. Ainsi, pour Foster (2001),
« capitalist economies are geared first and foremost to the growth of
profits, and hence to economic growth at virtually any cost--including the
exploitation and misery of the vast majority of the world's population. This
rush to grow generally means rapid absorption of energy and materials and the
dumping of more and more wastes into the environment--hence widening
environmental degradation 106». Il s'ensuit que le
processus d'accumulation de valeurs risque d'aller de pair avec un processus de
désaccumulation du capital naturel (Benton, 1989).
Ces relations conflictuelles entre capitalisme et
environnement sont à relier avec ce qui a été
théorisé comme la « seconde contradiction du capitalisme
» par Marx et ses successeurs107 : le capitalisme tend à
surexploiter les sources de création de richesse, ce qui menace la
génération durable de richesses108. La Terre reste
considérée comme un « cadeau » que doit utiliser le
capital. La logique invite alors à déplacer les problèmes
environnementaux, comme en attestent ces « solutions » consistant
à enterrer les déchets profondément ou à les
envoyer dans l'espace. La formule « après moi le déluge
», utilisée par Marx, rend compte de cette logique. Pour Foster
(2001), la surexploitation des ressources n'a aucune raison de s'affaisser :
« Nor is there any
105 ROUSSEAU, ZUINDEAU, op.cit.
106 FOSTER, Ecology against capitalism, Monthly review,
vol 53, n°5, 2001.
107 Voir O'CONNOR, is sustainable capitalism possible ?,
in ALLEN, food for the future, John Wiley & sons, Londres,
1993.
108 Marx : «capitalism saps the vitality of the everlasting
sources of wealth», cité par Foster, op.cit.
87
prospect that this will change fundamentally, since
capitalism is in many ways a system of unpaid costs ».
En outre, dans le capitalisme, la nécessaire
valorisation du capital s'opère sur une base individuelle, et non
collective. La création maximale de valeur exerce une pression à
la réduction de tous les types de coûts. Si cette réduction
des coûts peut avoir des effets bénéfiques dans de nombreux
cas, elle peut également s'effectuer aux dépens de
l'environnement. Ainsi, la tendance va être à l'externalisation
des coûts, et notamment de ceux qui pèseront sur les
générations futures. Par exemple, le coût de l'utilisation
du charbon dans l'industrie pèsera sur les générations
futures, sous la forme de dérèglements climatiques.
Néanmoins, tant que le charbon sera un moyen efficace de
générer des profits individuels, et en l'absence d'incitations
contraires, il sera utilisé. Selon Foster (2001), les économies
capitalistes avancées sont étroitement liées à
l'émission excessive de CO2. Malgré les prises de conscience
croissantes dans les années 1990, ni l'administration Clinton aux
Etats-Unis, ni le Japon, ni la plupart des pays européens n'ont pu
empêcher leurs émissions d'augmenter par rapport à 1990.
La force de certains intérêts capitalistes
individuels agit à l'encontre des tentatives de régulation
environnementale mondiale. Foster (2001) y voit la cause de l'échec
(relatif) des négociations de Kyoto (1997). L'inégalité
des intérêts en jeu a conduit à un arbitrage dont
l'environnement a été le parent pauvre : « When set
against the get-rich-quick imperatives of capital accumulation, the biosphere
scarcely weighs in the balance. The emphasis on profits to be obtained from
fossil fuel consumption and from a form of development geared to the auto-
industrial complex largely overrides longer-term issues associated with global
warming109 ».
Enfin, le capitalisme visant une accumulation sans fin du
capital, il se situe dans une logique du « toujours plus ». La
quête des profits individuels est à la racine de la
société de consommation, dont on a mentionné les effets
pervers sur l'environnement. Perret doute des capacités
d'évolution du capitalisme : « on ne voit pas comment un
système dont le développement s'est appuyé sur
l'exaspération du désir de possession pourrait s'accommoder d'une
culture de la sobriété, de l'auto-contrainte et de la
responsabilité collective 110È. Cette
interrogation renvoie aux liens qui unissent capitalisme et croissance.
Nombreux sont ceux parmi les décroissants qui notent une contradiction
finale entre capitalisme et écologie. Selon eux, le capitalisme, parce
qu'il implique une accumulation sans fin du capital, est viscéralement
lié à la croissance. Or, une
109 FOSTER, op.cit.
110 PERRET, Le capitalisme est-il durable ?, carnets
nord, Paris, 2008, p.118.
croissance infinie dans un monde fini est
inconcevable111. Dès lors, il est possible que la logique
capitaliste ne soit pas compatible avec la finitude du monde. Cependant, sur le
plan conceptuel, il est possible de différencier capitalisme et
croissance, plusieurs périodes capitalistes de l'histoire ayant
été caractérisées par l'absence de croissance. Bien
que ces arguments soient intéressants et parfaitement audibles, il n'est
donc pas certain qu'ils soient au coeur des relations entre capitalisme et
environnement.
Pour sauver la planète, s'agit-il donc, comme le
suggère Hervé Kempf dans le titre de l'un de ses ouvrages les
plus récents, de sortir du capitalisme ? La question est d'une ampleur
telle que nous ne saurions y répondre avec aplomb. Seuls peuvent
être rappelés deux éléments de notre
démonstration, particulièrement utiles à ce stade :
- Il y a une diversité de capitalismes, et leurs
relations à l'environnement sont diverses. Dès lors, il existe
des capitalismes plus ou moins compatibles avec la protection de
l'environnement.
- Il est douteux qu'un des capitalismes puisse s'adapter aux
exigences de la soutenabilité forte, en raison
d'éléments économiques et politiques. Cela peut être
dû à l'antagonisme qui existe entre la logique capitaliste et la
protection de l'environnement.
A la lumière de ces enseignements, il apparaît,
comme le disent Rousseau et Zuindeau (2007), que « le capitalisme
lui-même ne devrait pas sortir indemne d'une confrontation avec les
exigences requises par le développement durable ». Pour
autant, si la mutation est partout nécessaire, elle ne doit pas
être uniforme. Les conversions écologiques pourront alors
s'appuyer sur certains éléments des capitalismes
préexistants, et prendre des formes diverses. Elles pourront consister
à un dépassement de certaines logiques capitalistes, mais
peut-être pas de tous les éléments constitutifs de nos
systèmes économiques. Dès lors, à la question
« faut-il sortir du capitalisme ? », nous répondons «
cela dépend de ce que nous appellerons encore le capitalisme ».
88
111 GEORGESCU-ROEGEN, Demain la décroissance,
Pierre Marcel Favre, Paris, 1979.
89
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94
Table des matières
Introduction
Quelques définitions....8 Une étude fondée
sur la diversité des capitalismes....10 Institutions et
performances.....11 Objectifs de l'étude...11 Des éléments
mis de côté par l'étude...13 Éléments
méthodologiques...14 Difficultés rencontrées...15 Annonce
du plan...16
I La nécessité d'étudier
l'environnement comme un facteur de mutation des capitalismes
A) L'intégration jusqu'à présent
marginale de l'environnement dans la théorie de la
régulation .18
1- La TR, un courant hétérodoxe qui
intègre peu
l'environnementÉÉÉÉÉÉÉÉ.18
a- Un courant hétérodoxe...18
b- L'environnement, oublié de la théorie de la
régulation....18
2- Etat des lieux des travaux régulationnistes sur
l'environnementÉÉÉÉÉÉÉÉ19
a- L'environnement, intégré via des
études thématiques...20
b- Une ambition d'intégrer l'environnement dans la
théorie de la régulation...20
c- Une analyse des capitalismes en lien avec l'environnement
.22
B) Des défis environnementaux qui menacent le
capitalisme 23
1. La menace sur
l'environnement...............................................................
24
a. Des problèmes environnementaux qui s'accumulent 24
a. Le changement climatique, problème le plus
global...25
2. É menace pour les
capitalismesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.26
C) A la veille d'une mutation des capitalismes
28
1. Une exigence de durabilité
forte............................................................... 29
a. La durabilité faible, compatible avec
l'économie néoclassique 29
b. La durabilité forte, objectif pertinent des politiques
publiques 30
2. Des leviers divers pour une mutation
d'ampleur.......................................... 31
a. Des objectifs ambitieux qui rendent nécessaire
l'intervention publique...31
b. Des bâtons, des carottes et des sermons...33
c. Construction d'une échelle pédagogique de
radicalité du changement.....35
II La diversité des capacités
d'adaptation des cinq capitalismes
A) Des institutions plus enclines à favoriser la
durabilité .39
1. Marché des biens et services et
environnementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.39
2. Marché du travail et environnement
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
43
3. Systèmes financiers et environnement
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.46
4.
95
Protection sociale et environnement
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.47
5. Système éducatif et environnement
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..48
B) Agrégation des complémentarités :
l'Europe sociale-démocrate et continentale en bonne
position .50
1- Précisions méthodologiques
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ50
2- Tableau des complémentarités
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ52
3-Une apparente avance des capitalismes social-démocrate et
européen-continental ...54
a. Des enseignements à ne pas surévaluer 54
b. Capitalisme social-démocrate vs Capitalisme
libéral 55
C) Un rapport à l'environnement qui a des bases
empiriques 57
1 - D'une analyse de « capitalismes » à
une analyse par pays
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
57 2- Les vérifications empiriques consolident les
enseignements
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ60
a. Les émissions de CO2 61
b. L'empreinte écologique .62
c. Les approches à partir d'indicateurs composites 62
d. La mesure de la « régulation environnementale
» ..64
e. conclusions : un tableau des complémentarités
plausible 65
III L'improbabilité politique d'un changement
institutionnel suffisant
A) La dynamique du changement institutionnel, un
processus politique 67
1- Le changement institutionnel nécessite des
soutiens politiques
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
67
2- Le changement institutionnel lié à la force
des demandes politiques
ÉÉÉÉÉÉÉÉ68
B) Des systèmes politiques qui favorisent la
protection de l'environnement .73
1- Valeurs et votes nécessaires au changement
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ...73
2- Des votes dont l'éventualité dépend
des systèmes politiques
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ74
C) La négociation internationale diminue la
probabilité du changement institutionnel 78
1 Le besoin d'une coordination internationale
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ78
2- La probabilité d'un accord environnemental
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
|
79
|
a- Un accord difficile sur l'environnement
|
79
|
b- Un accord probablement partiel
|
.80
|
|
3- Un accord probablement a minima
ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
|
81
|
Conclusion
Une probabilité faible d'adaptation aux enjeux
environnementaux 83
La question de la sortie du capitalisme 85
|