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Les cinq capitalismes à  l'épreuve des enjeux environnementaux

( Télécharger le fichier original )
par Samuel Sauvage
Université Paris-I La Sorbonne - Master 2 Economie des entreprises 2010
  

Disponible en mode multipage

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Université Paris1 - UFR 02 Sciences Economiques -
Master 2 Entreprises, stratégies et ressources humaines.

Master Recherche Economie des Ressources Humaines et des Politiques Sociales

1

Les Cinq Capitalismes à l'épreuve

des enjeux environnementaux

Capacités et Probabilités d'adaptation

Dirigé par Bruno Amable

Présenté et soutenu par Samuel Sauvage

Octobre 2010

2

L'université de Paris 1 Panthéon Sorbonne n'entend donner aucune approbation, ni désapprobation aux opinions émises dans ce mémoire ; elles doivent être considérées comme propre à leur auteur.

3

Résumé :

Les problèmes liés à la dégradation de l'environnement appellent les capitalismes à s'adapter à de nouvelles exigences. Ils invitent également les auteurs régulationnistes à s'intéresser à l'obligatoire conversion des capitalismes, afin de pouvoir en analyser les contours. Les cinq capitalismes sont inégalement préparés à cette mutation, comme en témoigne l'analyse des relations qu'entretiennent leurs institutions avec l'environnement. Il apparaît que le capitalisme social-démocrate et, dans une moindre mesure, le capitalisme continental-européen, sont institutionnellement les plus prêts à affronter le défi de la durabilité. Cependant, les opinions publiques, les systèmes politiques et la nécessité d'une négociation internationale rendent plus improbables la mise en oeuvre d'une conversion d'ampleur suffisante. L'importance des enjeux - l'éventuelle absence d'adaptation des capitalismes militerait pour une sortie du capitalisme - invite à approfondir l'analyse.

Abstract :

Environmental problems call capitalisms to adapt to new parameters. They also invite French Regulation School authors to deepen their appraisal of the necessary conversion of capitalisms. The five capitalisms stressed by Amable are unequally prepared to take on the conversion, as shown by the relations between their institutions and environmental issues. It appears that social-democrat capitalism and, to a lesser extent, European-continental capitalism are institutionally closer to meet durability requirements. However, the importance of public opinions, of political systems and the necessity to reach an international agreement make unlikely the achievement of a far-reaching conversion. Considering what is at stake - the possible absence of adaptation of capitalisms would advocate the pulling out of capitalism, such questionings deserve to be deepened

4

Avec mes remerciements à l'ensemble de l'équipe pédagogique du master et à Sandrine Rousseau.

Sommaire

Introduction 7

I La nécessité d'étudier l'environnement comme un facteur de mutation des capitalismes

A) L'intégration jusqu'à présent marginale de l'environnement dans la théorie de la

Régulation 18

B) Des défis environnementaux qui menacent le capitalisme

C) A la veille d'une mutation des capitalismes

II La diversité des capacités d'adaptation des cinq capitalismes

23

28

A) Des institutions plus enclines que d'autres à favoriser la durabilité

39

B) Agrégation des complémentarités : l'Europe sociale-démocrate et continentale

en bonne position

..50

C) Un rapport à l'environnement qui a des bases empiriques

57

 

III L'improbabilité politique d'un changement institutionnel suffisant

 

A) La dynamique du changement institutionnel, un processus politique

67

B) Des systèmes politiques qui favorisent la protection de l'environnement

..73

C) La négociation internationale diminue la probabilité du changement institutionnel

78

 

Conclusion

83

 

5

6

7

Introduction

L'été 2010 a été prompt à rappeler l'importance des phénomènes climatiques à travers trois exemples médiatisés. Au Pakistan, environ sept millions d'hectares de terres cultivables ont été inondées. En Russie, 130 000 hectares de forêts ont été enflammées suite à la canicule. Au Groenland, un bloc de glace de 1500 milliards de tonnes s'est détaché du glacier.

Avec l'augmentation du nombre de catastrophes de ce type1, les sujets environnementaux prennent une place croissante dans le quotidien de nos contemporains. L'exigence de préservation de l'environnement a imprégné des cercles larges de l'opinion, jusqu'au point où chaque activité en arrive à être jugée sur son caractère « écolo ». La plupart des pays se sont dotés de ministères de l'environnement ou de l'écologie. Les sommets internationaux consacrés à l'environnement, tel que le dernier en date, le sommet de Copenhague (en décembre 2009), accaparent l'attention des médias et de la société civile. Les entreprises communiquent de plus en plus sur leurs performances environnementales, en particulier autour du concept de « développement durable »2. L'environnement a ainsi pénétré aussi bien les sphères individuelles, culturelles, que politiques et économiques.

L'importance des problèmes environnementaux appelle à réfléchir sur les moyens de protéger la planète et, dès lors, à questionner notre système économique. Les différentes étapes de la prise en compte de l'environnement à l'échelle internationale s'inscrivent dans des rapports différents à l'économie. Tout d'abord, en 1972, le rapport Meadows du Club de Rome était marqué par une logique résolument alternative au système économique des Trente Glorieuses en questionnant la croissance illimitée 3. Quinze ans plus tard, le rapport Brundtland, publié par la commission mondiale sur l'environnement et le développement des Nations-Unies, adoptait une approche plus conciliante avec le système économique en promouvant le « développement durable4 ». Comme l'illustrent ces deux approches différentes, il est possible de considérer les liens entre économie et environnement de plusieurs manières. L'étude de leur compatibilité va être

1Selon le centre de recherche sur l'épidémiologie des désastres (CRED), Louvain La Neuve, Belgique. Le CRED est rattaché à l'Université catholique de Louvain (Belgique), et gère EM-DAT, base de données sur les catastrophes (plus de 14 000 événements dans le monde depuis 1900) : http://www.em-dat.net/. 2LIBAERT, La communication verte, éditions Liaisons, Paris, 1992.

GENDRON, Ethique et développement économique : le discours des dirigeants sur l'environnement, Thèse de doctorat, Université du Québec, Montréal, 2006.

3MEADOWS, MEADOWS, RANDERS, BEHRENS, Halte à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, Paris, 1973.

4BRUNDTLAND, Notre avenir à tous, Editions du Fleuve, Paris, 1988.

8

au coeur de ce travail de recherche, dans la mesure où il va aboutir à une réflexion sur les capacités et les probabilités d'adaptation de nos systèmes économiques aux enjeux environnementaux.

Quelques définitions

De nombreux termes autour de l'environnement et du capitalisme sont à définir. Tout d'abord, précisons que notre recherche se place dans une optique environnementale, et non écologique, d'où l'utilisation du terme « enjeux environnementaux ». Cet terme a été choisi pour maintenir l'étude dans un cadre large, afin d'inclure tous les éléments liés à l'environnement qui peuvent remettre en cause les capitalismes. On entend par environnement « ce qui entoure l'homme et ses activités ». Cependant, l'environnement naturel renvoie aux éléments naturels de la planète, et c'est à lui que nous nous réfèrerons lorsque nous parlerons d'environnement. Contrairement au terme « écologie », le terme « environnement » n'a de sens qu'en rapport à l'homme : le terme est donc anthropocentrique. Dans la mesure où notre approche se focalise sur les activités humaines et sur leurs effets sur ce qui entoure l'homme, elle peut être qualifiée d'environnementaliste. Les approches écologistes renvoient, elles, à la nature comme une somme d'équilibres naturels entre êtres vivants, dont l'homme fait partie et dont l'homme dépend. L'écologie, dans son acception générale, désigne la science qui étudie les relations entre êtres vivants. Toutefois, au cours de cette recherche, nous pourrons utiliser l'adjectif « écologique » sans spécifiquement renvoyer à cette définition, mais plus généralement pour caractériser des phénomènes liés à la protection de la nature.

Nous utiliserons souvent, au cours de notre démonstration, le terme « protection de l'environnement », en opposition à la « dégradation de l'environnement ». Il s'agit des deux évolutions inverses, positive et négative, que peut connaître l'environnement. Protègera l'environnement toute activité ou attitude qui permettra d'améliorer son état par rapport à la situation actuelle. L'une de nos hypothèses fondatrices sera la réalité du changement climatique, et la nécessité relativement urgente de s'adapter rapidement pour devenir durable. L'incertitude est réelle dans ce domaine, mais, comme l'affirme Herrera (2010), « l'indétermination entourant l'ampleur exacte de la plupart de ces phénomènes globaux cède désormais de plus en plus de terrain face à la quasi-certitude de leur survenue5 ».

Seul le versant environnemental du développement durable sera ainsi étudié. Pour rappel, le développement durable a été défini lors du rapport Brundtland6 comme « le mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations

5HERRERA, Un autre capitalisme n'est pas possible, Sylepse, Paris, 2010. 6BRUNDTLAND, Notre avenir à tous, Editions du Fleuve, Paris, 1988.

9

futures de répondre aux leurs ». Le développement est souvent considéré comme durable lorsqu'il s'appuie de manière équilibrée sur un pilier économique, un pilier social et un pilier environnemental. Il promeut ainsi un capitalisme durable sur les trois plans. Cependant, notre utilisation de l'adjectif durable ne renverra qu'à l'aspect environnemental de la durabilité, bien que des éléments sociaux puissent tout aussi bien menacer la durabilité. Sera durable toute activité qui, si elle était étendue à la population mondiale, resterait compatible avec les ressources de la planète. Cette définition renvoie à « l'empreinte écologique », mesure popularisée par le WWF. L'empreinte écologique mesure les surfaces biologiquement productives de terre et d'eau nécessaires pour produire les ressources qu'un individu, une population ou une activité consomme et pour absorber les déchets générés, compte tenu des technologies et de la gestion des ressources en vigueur7. En outre, nous serons amenés, au cours de l'étude, à distinguer la « durabilité forte » de la « durabilité faible », mais cette distinction fera l'objet d'une explication en temps voulu.

Nous nous réfèrerons à la durabilité pour évaluer le capitalisme. Ce système économique mérite une attention particulière lors de sa définition. Nous pouvons définir le capitalisme comme un système économique reposant sur l'accumulation du capital pour réaliser des profits. De manière moins précise, Marx et Weber le définissaient comme « la soif insatiable du gain »8. Traditionnellement, la propriété privée des moyens de production est considérée être une caractéristique essentielle du capitalisme. Dans certaines définitions, elle en est même l'élément essentiel9. Cependant, l'expérimentation du capitalisme d'État, en URSS notamment10, tend à infirmer l'importance de la propriété privée dans la définition du capitalisme. Le capitalisme s'accompagne, dans les écrits marxistes, du salariat, où le travailleur ne dispose pas des moyens de production. Enfin, si le capitalisme est lié à l'économie de marché, il s'agit de deux concepts distincts. L'économie de marché est un système où les biens et services sont échangés sur la base de prix relatifs, en fonction de l'offre et de la demande, et où la concurrence est présente11. L'économie de marché coexiste le plus souvent avec le capitalisme, d'où les nombreux recoupements entre les deux concepts.

L'une des originalités de notre approche va consister à différencier plusieurs capitalismes, selon les institutions qui les soutiennent. Comme Amable (2005), nous allons considérer les institutions comme les « règles formelles ou informelles qui définissent l'ensemble des choix disponibles12 ». Les institutions seront à la fois des « règles du jeu », tel que l'explique North

7WWF, rapport planète vivante, 2008.

8BARRILLON, L'URSS, un capitalisme d'Etat réellement existant, revue Agone 21, 1999.

9Larousse, 2000.

10BARRILLON, op.cit.

11GILPIN, The political economy of international relations, Princeton univerity press, Princeton, 1987.

12AMABLE, Les cinq capitalismes, Seuil, Paris, 2005.

10

(1990), ou encore « des contraintes inventées par les hommes qui s'imposent à leurs interactions13 ». Dans les cas où les règles formelles ne sont pas respectées, elle ne constituent plus des institutions. C'est pourquoi les institutions peuvent également recouvrir « les systèmes auto-entretenus de croyances partagées sur la façon évidente dont le jeu est joué de manière répétée » (Amable, 2005). Pour Aoki (1994), « [institutions can be] something spontaneously and /or endogenously shaped and sustained 14». Pour Amable, les institutions peuvent alors être des « stratégies d'équilibre du jeu », susceptibles d'évoluer.

Une étude fondée sur la diversité des capitalismes

Les différences d'institutions sous-tendent les théories de diversité des capitalismes. Si nous allons utiliser la typologie d'Amable, un bref rappel des réalisations de ce courant reste bienvenu.

Les différences entre le modèle français et de Modell Deutschland, par exemple, ont été fréquemment mises en avant (Amable, 2005). Ainsi, une différenciation des capitalismes selon les pays est une manière d'aborder la diversité des capitalismes. Néanmoins, cette approche a l'inconvénient de ne pas fournir de grille de lecture plus globale. Depuis les années 1990 et surtout 2000, il a eu plusieurs tentatives de définition de structures théoriques globales qui permettent d'englober sous leur dénomination plusieurs pays. En quelque sorte, il s'est agi de concevoir des « idéaux-types »15. Albert, en 1991, publie Capitalisme contre capitalisme, où il distingue le modèle rhénan du modèle libéral américain. Cette distinction sera approfondie par Hall et Soskice (2001) : pour eux, les économies libérales de marché sont fondamentalement différentes des économies coordonnées de marché par la place qu'elles accordent à la coordination au sein des firmes. La prise en compte d'autres variables que la coordination -telles que le secteur financier, la relation d'emploi ou le système éducatif - peut conduire à des typologies différentes, telles que celle d'Amable, Barré et Boyer16 (1997).

Dans cette étude, nous allons prendre appui sur la théorie des Cinq capitalismes de Bruno Amable (2005). Construit à rebours de l'idée que le capitalisme est « un », cet ouvrage montre que même après vingt années de mondialisation libérale, la diversité des institutions économiques et sociales n'a non seulement pas été atteinte, mais ne devrait pas l'être dans le futur. Amable

13NORTH, Instituttions, institutional change and economic performance, Cambridge university press, Cambridge, 1990.

14AOKI, Endogenizing institutions and institutional changes, Ecological Economics, 2005.

15WEBER, Essais sur la théorie de la science (1904-1917), Plon, Paris, 1965.

16Voir AMABLE, BARRE, BOYER, Les systèmes d'innovation à l'ère de la globalisation, Economica, Paris, 1997.

11

distingue cinq modèles de capitalismes : le modèle libéral, le modèle continental européen, le modèle social-démocrate, le modèle méditerranéen et le modèle asiatique. Pour établir la typologie, l'auteur analyse cinq domaines dans lesquels les configurations institutionnelles sont variables : le marché des produits, le marché du travail, le marché financier, la protection sociale et enfin le système éducatif. Des institutions spécifiques se sont construites en rapport à ces domaines dans différents pays, suite à l'élaboration de compromis sociopolitiques entre les différentes forces politiques d'un pays à un moment donné. Les institutions se sont nourries les unes des autres et ont fait système, de sorte que des configurations institutionnelles se sont mises en place de façon très différenciée dans le monde. Pour Amable, ces configurations sont efficaces car les institutions sont complémentaires entre elles.

A l'évidence, les typologies sont toujours critiquables, car elles opèrent des catégorisations simplificatrices. Néanmoins, la recherche de l'exactitude ne pourrait mener17, au mieux, qu'à des comparaisons internationales pays par pays. Pour nourrir des ambitions explicatives au niveau conceptuel, il est nécessaire de réaliser des regroupements.

L'approche d'Amable n'en reste pas à la réalisation d'une typologie. L'analyse se prolonge effectivement sur le champ politique : il en ressort que les cinq types de capitalismes ont des caractéristiques politiques notables, qu'il s'agisse du système politique ou du type de votes qui y sont associés. Aussi l'analyse se place-t-elle sur un axe dynamique, en envisageant les évolutions des capitalismes, en particulier du capitalisme continental européen.

Institutions et performances

La typologie des cinq capitalismes permet à Amable d'étudier les performances de ces modèles dans un domaine : les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC - dont l'adjectif « nouvelles » devient suranné). Cette interrogation repose sur l'hypothèse que les institutions jouent un rôle économique de premier ordre, comme le rappelle Aoki (1994) : « a consensus seems to have emerged among economists that « institutions matter » for understanding the differences in economic performances among various economies over time and

space18 ».

« L'une des intuitions fortes de la théorie de la variété des capitalismes est qu'il doit exister une liaison forte entre la structure institutionnelle des pays et le type d'activités dans lesquelles ils

17Amable signale que même au sein d'un pays tel que l'Italie, plusieurs configurations institutionnelles peuvent être relevées.

18AOKI, op.cit.

12

se spécialisent19 ». Amable trouve empiriquement que les économies libérales utilisent davantage les NTIC que les autres types de capitalismes, sauf en comparaison avec les capitalismes sociaux-démocrates dans certains segments particuliers. Ce travail de corrélation est proche de la démarche qui va nous animer.

Objectifs de l'étude

Notre objectif prioritaire, relativement modeste, tranche avec l'ambition affichée par le second. Il s'agit de faire avancer la réflexion régulationniste sur l'environnement. L'environnement est en effet considéré comme un grand absent de la théorie de la régulation (Lacroix, Mollard, 1993). Cette affirmation semble exagérée dans la mesure où, comme nous le verrons en première partie, la théorie de la régulation ne part tout de même pas de zéro vis-à-vis de l'environnement. Il est toutefois notable que le courant de la diversité des capitalismes s'est très peu attardé sur cet élément, alors que le besoin de recherches supplémentaires a été souligné à plusieurs reprises. Ainsi, Zuindeau et Rousseau (2007) appelaient la théorie de la régulation à « traiter les questions suivantes : étude des relations entre telle forme institutionnelle et le rapport à la durabilité, en particulier les formes de la concurrence, (É), analyse de la dimension territoriale du développement durable... ». Le même Zuindeau invite, en 2007, à la constitution d'un véritable programme régulationniste en la matière. Il pointe, notamment, la nécessité d'effectuer des analyses comparées en matière environnementale entre différents capitalismes20. Notre approche vise ainsi à déblayer le terrain pour ouvrir des pistes de réflexion et nourrir, modestement, la théorie de la variété des capitalismes en lien avec l'environnement.

Notre second objectif est ambitieux. Il se base sur l'intuition suivante : si les configurations institutionnelles ont un effet sur la relation qu'aura un type de capitalisme avec les NTIC, elle peuvent jouer un rôle dans leur appréhension de l'environnement. Les cinq capitalismes ont des facultés en matière de protection de l'environnement différentes. Alors que nous présupposons que les économies sont à la veille d'une mutation majeure, nous pouvons nous interroger sur la probabilité que chaque type de capitalisme s'adapte aux exigences de l'économie durable. Dès lors, il s'agirait de déterminer pour quel type de capitalisme, le « chemin restant à parcourir » est le plus court ou, pour utiliser une notion chère aux économistes classiques, quel capitalisme disposerait d'un avantage comparatif institutionnel en matière environnementale. Dans la mesure où,

19AMABLE, op.cit.

20 ZUINDEAU, Regulation school and environment : theoretical proposals and avenues of research, Ecological Economics,1997.

13

aujourd'hui, aucun pays développé ne peut voir son mode de développement qualifié de durable, il ne s'agit pas de définir « un modèle à suivre ». Notre problématique peut être résumée de la manière suivante : dans quelle mesure les capitalismes sont-ils inégalement préparés au défi de la durabilité ? Quelle est leur probabilité d'adaptation à un nouveau mode de régulation ?

S'interroger sur les capacités et probabilités d'adaptation des capitalismes requiert tout d'abord de déterminer quelles relations entretient chaque institution avec la protection de l'environnement. Par exemple, est-ce qu'un système financier fondé sur les banques est de nature à la favoriser ? L'élaboration de complémentarités au niveau conceptuel pourra ensuite faire place à une version agrégée de ces complémentarités : alors, sur le plan conceptuel et à la lumière des caractéristiques des institutions étudiées par Amable, il sera possible de dire quel capitalisme est le mieux préparé pour s'adapter aux exigences de l'économie durable.

Mais s'interroger sur la probabilité que les capitalismes s'adaptent invite à dépasser le niveau purement conceptuel des complémentarités institutionnelles. Pour qu'un type de capitalisme s'adapte, il est nécessaire qu'il soit politiquement prêt au changement. Ainsi, il s'agira d'étudier pour chaque capitalisme la manière dont le système politique peut laisser la place à une nouvelle configuration institutionnelle favorable à l'environnement. Le prolongement de l'étude au niveau politique ajoute une variable aux probabilités d'adaptation, ce qui contribuera autant à complexifier qu'à rendre plus pertinente notre analyse. Si les possibilités d'adaptation s'avéraient faibles, le scénario d'une sortie du capitalisme devrait être envisagé.

Des éléments mis de côté par l'étude

Le sujet étant extrêmement large, il est impossible de traiter l'ensemble des tenants et aboutissants des liens entre environnement et capitalisme. Tout d'abord, nous ne pourrons mentionner les nombreux théoriciens qui ont alimenté la réflexion sur l'écologie ou le capitalisme qu'à la marge. Pour pertinentes et passionnantes que soient ces contributions, il n'est pas dans notre objet d'intégrer des éléments d'ordre purement conceptuel ou philosophique.

En particulier, l'adaptation aux enjeux environnementaux est présentée ici sous l'angle de la nécessité : au vu des connaissances scientifiques actuelles, il est probable que nos économies fassent face à un dilemme du type « s'adapter ou peut-être disparaître ». Ainsi, nous ne nous demandons pas dans quelle mesure la mutation est souhaitable. Par exemple, nous ne mentionnerons pas les possibles gains en matière de bien-être ou de lien social qui pourraient rendre souhaitable cette mutation, ou au contraire les pertes que feraient subir la contraction des échanges.

Un pan relativement large de la réflexion sur les pistes de réforme du capitalisme

14

s'intéresse aux enjeux de démocratie, locale et internationale21. Bien que ces enjeux soient essentiels pour que la conversion soit possible et souhaitable, nous ne pourrons pas les intégrer dans l'analyse.

De la même manière, une condition importante de la réussite de l'adaptation aux enjeux écologiques est la justice sociale. Dans la mesure où une partie des politiques environnementales consiste à donner un prix plus élevé aux activités non durables, il est essentiel de mettre en place ce type de mesures de façon équitable. Dans de nombreux aspects, les politiques environnementales doivent s'accompagner d'une réduction des inégalités22. Cet aspect, pour important qu'il soit, ne pourra être traité qu'à la marge dans cette étude.

Notre étude se concentre géographiquement sur les pays les plus développés. Les cas des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), par exemple, ne seront pas étudiés. Il est possible de regretter cet état de fait, dans la mesure où ces pays tendent à devenir, en valeur absolue, les plus grands pollueurs de la planète. Nous sommes ainsi conscients que la portée de notre étude serait plus grande si elle s'étendait à ce type de pays. Cependant, la tâche serait de taille, dans la mesure où il faudrait reprendre une nouvelle typologie les intégrant, alors que la qualification du système économique chinois constitue une gageure à elle seule. A une échelle plus modeste, notre analyse intégrant les cinq capitalismes nous semble déjà constituer une avancée.

Notre recherche aurait pu consister en une étude approfondie d'une institution des capitalismes (par exemple, les systèmes financiers) et de ses liens avec l'environnement. Elle aurait pu, également, reposer uniquement sur une analyse empirique des performances des différents capitalismes, visant à déterminer lesquels sont, aujourd'hui, les plus durables. Si ces éléments sont présents dans l'étude, ils n'en constituent absolument pas le coeur. De plus, si notre analyse avait consisté en une étude des performances environnementales des capitalismes, elle aurait inévitablement dû intégrer des éléments qui impactent sur elles, telles que la densité de population, la quantité de ressources naturelles, le PIB/tête, la spécialisation de la production, la croissance, la force du mouvement écologiste, etc.

Éléments méthodologiques

Notre recherche s'inscrit dans la lignée de la théorie de la régulation, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce qu'elle se base sur la typologie réalisée par un auteur considéré comme régulationniste, Bruno Amable. Ensuite, parce que la théorie de la régulation fournit un cadre adapté à ce type de recherche, en permettant l'étude des formes institutionnelles,

21 COUTROT, Jalons vers un monde possible, Le bord de l'eau, Paris, 2010.

22 LAURENT, Ecologie et inégalités, revue de l'OFCE, avril 2009.

15

géographiques et temporelles, et la mobilisation de concepts tels que le « régime d'accumulation » et le « mode de régulation ». Le mode de régulation est la résultante de cinq formes institutionnelles particulières : la forme de la concurrence, la forme de la monnaie, la forme de l'État, la forme du rapport salarial et la forme d'insertion dans l'économie mondiale. Notre analyse, de la même manière, se fonde sur des caractéristiques institutionnelles pour aboutir à des considérations plus globales.

Ce choix est renforcé par l'inadaptation des outils néoclassiques à l'étude d'un tel objet. Bien que les institutions soient aujourd'hui intégrées par l'économie standard23, l'économie néoclassique intègre l'environnement de manière contestable24. La courbe environnementale de Kuznets ne nous servira pas de base. Selon elle, les émissions en rapport avec la croissance forment un « U inversé » : à un certain niveau de développement, les émissions de CO2 sont censées décroître. Malgré les réfutations empiriques constantes de cette relation25, la courbe semble utilisée dans la plupart des articles d'économie de l'environnement.

Pour mener à bien notre recherche, notre méthode a été la suivante. Elle s'est basée, à titre principal, de lectures académiques et de quelques ouvrages « grand public ». Nous avons systématiquement varié les sources, afin d'obtenir une vision complète des enjeux. Notre méthode a consisté, ensuite, en une analyse systématique des liens conceptuels qui unissaient certaines formes des capitalismes à l'environnement. Les relations ont alors été proposées à l'aide de références ou, en leur absence, de liens logiques issus de notre propre interprétation. Dans ces cas, nous prenons néanmoins soin de spécifier qu'il s'agit tout au plus d'hypothèses plausibles. Enfin, lorsque nous mobilisons les données, nous avons pris le parti de ne pas assommer le lecteur avec des chiffres trop abondants : nous avons donc décidé de donner des chiffres faisant état de la moyenne des catégories de pays, plutôt que de donner les chiffres de chaque pays.

Difficultés rencontrées

Nous avons rencontré des difficultés d'ordre pratique et d'ordre conceptuel.

23 BARRO, Determinants of economic growth, a cross-country empirical study, Journal of comparative economics, vol 26, 1998.

24 HERRERA, L'économie néoclassique de l'environnement face à la crise écologique, in Un autre capitalisme n'est pas possible, Sylepse, Paris, 2010.

25 BOUTAUD, BRODHAG, GONDRAN, Lorsque le développement perd le Nord ! Courbes de Kuznets environnementales : l`apport d`indicateurs alternatifs de type empreinte écologique dans la réflexion sur le développement durable, http://www.francophonie-durable.org/documents/colloque-ouaga-a3-boutaud.pdf

16

Sur le plan conceptuel, notre programme de recherche devait éviter de nombreux écueils. Il était tout d'abord essentiel de démontrer l'importance des enjeux écologiques, et le type de mesures qu'il impliquait. Cependant, pour pouvoir évaluer la compatibilité des capitalismes avec l'environnement, encore fallait-il déterminer les éléments constitutifs de la protection de l'environnement. Il aurait été possible d'isoler un ou plusieurs dispositifs de protection de l'environnement, tels qu'un type de taxe carbone, et d'évaluer les caractéristiques des capitalismes en rapport avec le dispositif. La portée de l'étude aurait cependant été bien inférieure. Pour conserver l'objectif d'évaluation d'écolo-compatibilité des cinq capitalismes, il a donc fallu identifier ab nihilo quelques principes qui, à notre sens, pouvaient être à la base de la mutation écologique des capitalismes.

Une seconde difficulté a résidé dans la valorisation des apports personnels dans la démonstration. L'étude repose en grande partie sur des éléments personnels, certes construits à l'aide d'ouvrages divers, mais dont l'assemblage constitue une nouveauté. Il en va ainsi pour l'échelle de radicalité du changement et du tableau des complémentarités. Or, en l'absence d'outils quantitatifs, ces éléments peuvent paraître sujets à la critique. Le défi était donc de montrer la cohérence logique du raisonnement, malgré le fait que certaines de ses bases n'aient pas été empiriquement prouvées.

Une troisième difficulté de l'analyse a été la différenciation entre les « types de capitalismes » et les « pays ». En effet, si les capitalismes sont censés représenter les caractéristiques de groupes de pays, ils ne les décrivent qu'imparfaitement. Cette situation invitait ainsi à en rester aux « idéaux-types » des capitalismes. Cependant, à l'heure d'analyser les systèmes politiques, il fallait appréhender les pays en tant que tels. Une « conversion du capitalisme au pays » devait alors être réalisée avec grande précaution pour éviter les raccourcis.

Une dernière difficulté, enfin, a tenu à la difficile articulation d'éléments venant de champs disciplinaires différents. Si, au final, les approches politiques complètent efficacement les approches économiques, cette interdisciplinarité nous a conduit à consulter une littérature extrêmement abondante. Il s'agissait alors d'éviter de se détourner de l'objectif de l'étude.

Annonce du plan

Cette étude invite à penser la complexité des liens qui unissent environnement et capitalismes. La théorie de la régulation, devant l'importance des problèmes environnementaux, se doit d'intégrer mieux l'environnement dans son analyse que par le passé. Face aux enjeux environnementaux, seule une mutation en profondeur du système économique pourra mettre l'économie sur les rails de la durabilité forte.

17

Ces prémisses nous permettront d'entamer une étude régulationniste des complémentarités entre les différentes institutions constitutives des capitalismes et les principes qui favorisent la protection de l'environnement. Nous verrons alors que les capitalismes social-démocrate et continental-européen sont relativement mieux préparés que les autres, tant au niveau conceptuel qu'empirique.

La probabilité de leur meilleure adaptation dépendra cependant d'éléments politiques, qu'il s'agisse des opinions publiques, des systèmes politiques ou des négociations internationales. Ces éléments complexifient l'analyse, et tendent à rendre l'adaptation à une économie durable plus improbable.

18

I La nécessité d'étudier l'environnement comme un facteur de mutation des

capitalismes

L'environnement occupe une place de plus en plus prépondérante dans les débats politiques et économiques, et pour cause : il est probable que sa dégradation croissante ait des conséquences économiques et sociales considérables. Dès lors, cette partie vise à introduire l'élément environnemental et à montrer son importance dans le cadre des études régulationnistes.

La théorie de la régulation (TR), qui donne un cadre à notre analyse, ne s'est préoccupée que marginalement de l'environnement (A). Cette situation est de moins en moins tenable, dans la mesure où les défis environnementaux se font de plus en plus importants, jusqu'à constituer une menace pour le capitalisme (B). Au vu de cette menace, il est raisonnable de considérer que les capitalismes sont à la veille d'une mutation d'ampleur pour s`adapter à cette nouvelle donne (C).

A) L'intégration jusqu'à présent marginale de l'environnement dans la théorie de la régulation

Traditionnellement, la TR a peu intégré le rapport à l'environnement dans son explication du mode de développement de nos sociétés. Si le contexte de l'émergence de la TR permet d'expliquer cet état de fait, une intégration croissante de l'environnement dans son corpus est à souligner.

1- La TR, un courant hétérodoxe qui intègre peu l'environnement

Il s'agit ici non seulement de définir la TR, mais surtout de dresser un panorama des recherches existantes en lien avec l'environnement.

a- un courant hétérodoxe

La théorie de la régulation constitue l'une des deux principales approches hétérodoxes de l'économie en France. Elle s'est distinguée à partir des années 1970, autour des travaux de chercheurs tels qu'Aglietta, Boyer, Lipietz ou encore Mistral, pour interpréter d'une manière nouvelle les dynamiques d`accumulation, leurs caractéristiques, leur entrée en crise, leur enchaînement. Elle se caractérise par une approche transdisciplinaire et par une prise en compte

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systématique des institutions.

La TR distingue différents « régimes d'accumulation » au sein des économies capitalistes. Ceux-ci reposent sur cinq configurations institutionnelles qui indiquent les types de rapports marchand et salarial présents dans l'économie : forme de la concurrence, forme de la monnaie, forme de l'Etat, forme du rapport salarial et forme d'insertion dans l'économie mondiale.

Il est utile de rappeler que ces cinq formes institutionnelles divergent des cinq éléments de caractérisation des capitalismes utilisés par Bruno Amable : formes du marché des biens et services, formes du marché du travail, formes du système financier, formes de protections sociales et systèmes éducatifs. Néanmoins, son travail de différenciation des formes capitalistes selon leurs configurations institutionnelles permet, parmi d`autres éléments, de le classer parmi les travaux régulationnistes. Les cinq capitalismes s'insèrent dans le constat de la relative indifférence de la TR à l'environnement, dans la mesure où les capitalismes sont différenciés à l'aune de facteurs autres qu'environnementaux.

b- L'environnement, oublié de la théorie de la régulation ?

Au milieu des années 1990, Lacroix et Mollard (1993) affirmaient que l'écologie était totalement absente de la théorie de la régulation. Or, selon lui, cette indifférence apparente relevait du paradoxe, dans la mesure où la plupart des auteurs régulationnistes, et lui le premier, sont des militants écologistes. Lipietz y voyait deux explications : d'une part, les auteurs en question étaient davantage des écologistes que des environnementalistes. D'autre part, la TR s'est construite autour de la crise du fordisme. De ce point de vue, « il est difficile de prétendre que le fordisme soit entré en crise par le côté du rapport société-environnement »26. Bien qu'il rappelle que les régulationnistes ont pu critiquer les dommages que causait le fordisme à l'environnement, ils se sont davantage intéressés aux sources de la crise du fordisme, à trouver, selon lui, dans le rapport salarial et dans l'absence de régulation internationale.

A partir de la seconde moitié des années 1980, les régulationnistes commencent à intégrer le rapport société-environnement dans les perspectives d'évolutions souhaitables des régimes d'accumulation. Ainsi, Lipietz (1991) laissait poindre la préférence des écologistes pour les modèles « à implication négociée des salariés », en ce qu'ils favorisent l'autonomie des individus et laissent la porte ouverte à une réduction du temps de travail. De façon plus symbolique, « l'appel de Vézelay » réalisé par Beaud (1988) appelait un mode de régulation mondial

26 LIPIETZ, 1995, p.351.

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permettant de « garantir le maintien des équilibres et la conservation de la vie du Terre »27 et signifiait l'intégration progressive des problèmes environnementaux dans le corpus de la TR.

2- Etat des lieux des travaux régulationnistes sur l'environnement

Malgré cette relative indifférence à l'environnement, certains travaux régulationnistes méritent d'être cités dans le cadre de ce diagnostic. Ils permettent de mieux ancrer notre recherche dans l'existant. Les travaux cités, loin de constituer un état des lieux exhaustif des travaux régulationnistes sur l'environnement (nos excuses aux travaux oubliés), constituent une base non négligeable pour notre recherche.

a- L'environnement, intégré via des études thématiques

Tout d'abord, comme le rappelle Lipietz (1995), « deux branches de l'école régulationniste ne pouvaient manquer toutefois de traiter directement du problème de l'environnement (É) : les études spatiales et les études agricoles 28». Dans le cas des études spatiales, Lipietz (1974) a montré que la rente foncière capte directement « la valeur de l'environnement », d'où une activité régulée en l'absence d'agent régulateur. Dans le cas des études agricoles, deux auteurs sont à citer : Debailleul et Laurent. Le premier, en 1990, lie la Grand Dépression et la fin du fordisme à des éléments écologiques (érosion, interdiction d'intrants chimiques à proximité des cours d'eau). La seconde, en 1992, étudie une part importante du rapport société-agriculture-environnement.

En 1997, Lipietz s'est également distingué par un article intitulé « The post-fordist world : labour relations, international hierarchy and global ecology »29. Il y réalise une géopolitique des négociations climatiques, sur laquelle nous reviendrons ensuite. Surtout, il en arrive à promouvoir, face à la crise du fordisme, une stratégie offensive - comprendre, celle du « modèle nordique » de flexicurité et de négociation salariale. Celle-ci aurait en effet, selon lui, des effets positifs sur l'écosystème dans son ensemble.

b- Une ambition d'intégrer pleinement l'environnement dans la TR

27 Cité dans BEAUD, « L'économie mondiale dans les années quatre-vingt », La Découverte, Paris, 1989.

28 LIPIETZ, « Ecologie politique régulationniste ou économie de l'environnement ? », in BOYER et SAILLARD, « l'état de la théorie de la régulation », La Découverte, Paris, 1995.

29 In Review of International Political Economy, 4 : 1, 1 - 41.

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La thèse de S. Rousseau30, portant sur les liens entre TR et environnement, montre pourtant que l'absence de prise en compte de l'environnement est une erreur pour la TR. En effet, elle voit dans la crise du fordisme un changement du rapport social à l'environnement, le rapport social à l`environnement pouvant se définir de manière grossière comme la perception collective de l'environnement. Le régime de production fordiste s'est affranchi de toute contrainte vis-à-vis de la nature, dans la lignée du développement issu des Lumières, où l'homme s'érige en « maître et possesseur de la nature » (Descartes). De plus, la période des « Trente Glorieuses », selon l'expression chère à Jean Fourastié, s'est accompagnée d'un progrès technique important, ce qui a renforcé l'idée scientiste que le progrès scientifique pourrait répondre à l'avenir à l'ensemble des problèmes. Durant cette période, pratiquement aucune législation environnementale ne voit le jour.

Des éléments naturels vont cependant modifier cette indifférence par rapport à l'environnement. Les catastrophes naturelles d'une part (Lacq, Amoco Cadiz, Torrey Canyon, puis Bhopal), les modes d'extraction des ressources (menant au choc pétrolier) et une meilleure connaissance des pollutions ramènent, à partir des années 1970, l'environnement au centre des préoccupations. Un désaccord se profile, en filigrane, entre certains auteurs régulationnistes, et non des moindres (Boyer, 1986), qui considèrent le choc pétrolier comme étant exogène, et l'approche de Rousseau qui montre que l'environnement a toujours été endogène, sous la forme d'un rapport société-environnement différent. La création, dans la plupart des pays de l'OCDE, de secrétariats d'Etat à l'environnement atteste de ce changement de rapport social à l'environnement. Pour Rousseau, la TR aurait pu analyser plus finement la fin du fordisme si elle avait su intégrer l'environnement.

Selon Rousseau, le rapport à l'environnement crée des conditions pour rendre possible un certain régime d'accumulation. Selon les rapports de force qui existent entre les différents utilisateurs de l'environnement, l'accumulation sera plus ou moins intensive en ressources. Par exemple, plus les intérêts d'une entreprise polluante primeront sur ceux des promeneurs, moins l'accumulation sera durable. « The mode of accumulation is partly dependant on the difference between exchange value and reproduction value »31. La différence entre le prix d'échange et le « prix de la nature » (coût et temps pour se régénérer) donne une indication de la durabilité d'un régime. Il en résulte un « tribut environnemental », c'est-à-dire une dette écologique accumulée

30 ROUSSEAU, Economie et environnement : una analyse régulationniste de la rente environnementale, Thèse de doctorat, Lille.

31 ROUSSEAU, « A regulationist analysis of economy », à paraître dans Review of radical political economists.

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sous la forme d'une surexploitation des ressources. Ainsi, les dégradations environnementales ne sont donc plus seulement la conséquence (néfaste) du mode de développement, mais en sont également la source.

Le « mariage » entre TR et environnement aurait pu se concrétiser lors de la tentative, de la part de Becker et Raza (2000), puis de Rousseau (2002), de faire du rapport à l'environnement la sixième forme institutionnelle sur lesquelles se distinguent les capitalismes32. Elle justifie cette intégration de plusieurs manières. La reprise de Polanyi (1944) donne un premier argument. Pour l'auteur de La grande transformation, trois biens ont des caractéristiques particulières dans le système capitaliste : le travail, la monnaie et la terre. Ainsi, la terre mériterait de rejoindre les deux autres parmi les formes institutionnelles étudiées. Rousseau plaide ensuite pour cette sixième forme institutionnelle, en montrant que l'environnement répond aux critères de forme institutionnelle formulés par Boyer (1986) et Billaudot (1996). Ces cinq critères sont : l'importance et la configuration des rapports sociaux qui président au partage de la valeur, l'importance du rapport capital/travail comme fondement du rapport salarial, l'existence de conflits/compromis et la survenue de crises. Pour l'enseignante à l'Université de Lille 1, l'environnement remplit l'ensemble de ces critères et mérite d'être considéré comme une forme institutionnelle à part entière.

c- Une analyse des capitalismes en lien avec l'environnement (Zuindeau, Rousseau)

Une recherche régulationniste se rapproche de notre objet d'étude, et à ce titre mérite une attention particulière : Théorie de la régulation et développement durable (Zuindeau, Rousseau, 2007). Bien que leur article se focalise sur le développement durable, concept assurément plus large que la simple perspective environnementale qui anime le présent travail, il est d'une grande utilité pour la recherche qui nous anime. Leur objectif est proche de notre recherche : « compte tenu de l'analyse particulière qu'effectue la TR du capitalisme, nous nous demandons dans quelle mesure ce système économique et social particulier est de nature à être compatible avec la logique sous-jacente du capitalisme »33. En réalité, il s'agit d'une recherche symétrique à la nôtre : alors que nous allons analyser la diversité spatiale des capitalismes avec la protection de l'environnement, ils font de même avec la diversité temporelle des capitalismes. Ainsi, les

32 ROUSSEAU, « Environnement et théorie de la régulation, une place sous-estimée ? », 2005, http://web.upmf-grenoble.fr/regulation/wp/seriec/RousseauRRWP2005-5.pdf

33 Sandrine Rousseau et Bertrand Zuindeau, « Théorie de la régulation et développement durable », Revue de la régulation, n°1, Varia, [En ligne], mis en ligne le15 juin 2007. URL : http://regulation.revues.org/

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chercheurs intègrent dans leur travail la périodisation des capitalismes, des premières ères industrielles au fordisme puis au post-fordisme.

Les auteurs analysent les convergences et divergences qui existent entre la TR et le développement durable. La TR permet d'offrir un cadre d'analyse fin pour lier les institutions - et notamment les cinq formes institutionnelles - et l'environnement. Pour eux, TR comme développement durable se présentent dans le temps long. Leur ancrage dans le temps reste néanmoins différent, dans la mesure où la TR analyse les institutions à une période précise, alors que le développement durable n'a pas de limites. De plus, à l'inverse de la logique prospective du développement durable, la TR étudie plutôt le passé.

Si le système fordiste a fait progresser certains éléments du développement durable tels que l'équité intra-générationnelle, son rapport à l'environnement est conflictuel. En effet, le fordisme s'est assis sur un véritable compromis productiviste, aux dépens des ressources naturelles. Il en résulte que l'intensité énergétique des productions n'a jamais été aussi importante que durant le fordisme (Clerc et al, 1995). Pour les auteurs, « l'articulation d'une production et d'une consommation de masse, d'un côté, la prégnance de l'idéologie productiviste, de l'autre, vont largement préparer la montée des problèmes environnementaux ».

Le système post-fordiste, malgré sa difficile définition, se caractérise par un rapport plus contrasté à l'environnement. Les mouvements tels que la tertiarisation, l'économie immatérielle, la responsabilisation des entreprises, affectent positivement la relation du post-fordisme à l'environnement. Toutefois, l'accentuation de la mondialisation exacerbe les contraintes de compétitivité-coût et exerce une influence opposée. Il en résulte que la baisse de l'intensité énergétique dans les pays développés n'empêche pas une hausse des consommations totales. Les auteurs en concluent que « le post-fordisme ne semble pas plus apte à assurer une compatibilité avec la logique inhérente au développement durable [que le fordisme] ».

Zuindeau et Rousseau étudient ensuite la compatibilité « générale » du capitalisme avec le développement durable. Nous poserons également cette question à la fin de notre étude.

Si nous avons mobilisé ces recherches, c'est pour montrer qu'en matière environnementale, la TR ne part pas de zéro. De récents travaux régulationnistes se rapprochent même fortement de l'étude présente. Les auteurs de la TR rappellent cependant qu'il ne s'agit là que des premiers jalons d'une recherche nécessaire. Ainsi, comme le rappellent Zuindeau et Rousseau (2007), « l'intégration de l'environnement dans le corpus régulationniste demeure un exercice encore largement inachevé ».

Or, il nous semble qu'aujourd'hui, la TR, pour appréhender les mutations des capitalismes, se doit d'intégrer l'environnement dans son analyse. En effet, les enjeux environnementaux

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prennent une place croissante dans nos sociétés, et constituent une menace pour le capitalisme tel qu'il est.

B) Des défis environnementaux qui menacent le capitalisme

Les problèmes environnementaux affectent divers pans de l'économie et de la société. Bien que leurs conséquences comportent une part considérable d'incertitude, le relatif consensus qui émerge à leur endroit et leur potentielle gravité invite à les prendre au sérieux. Les menaces écologiques, dans leur variété (1), s'érigent en véritables menaces pour les systèmes capitalistes eux-mêmes (2).

1- La menace sur l'environnement

De plus en plus, sa dégradation de l'environnement est vue comme une menace pour la survie de l'humanité. La critique du modèle de développement capitaliste basé sur la croissance apparaît dans la seconde moitié du XXème siècle. Aux analyses du premier des économistes écologistes, Nicholas Georgescu-Roegen, se sont ajoutées celles de René Passet, de Jacques Ellul, d'Ivan Illich ou encore d'André Gorz. Cependant, selon Denis Clerc, ces analyses étaient sans doute trop radicales pour influer le cours des sociétés où tout poussait à faire de la croissance économique l'objectif central34. Les thèses écologistes des décennies d'après-guerre qui ont notamment inspiré le rapport Meadows de 1972 se sont progressivement imposées dans l'opinion, jusqu'à convoquer de grands sommets internationaux dédiés au changement climatique.

Depuis le milieu des années 1990, le réchauffement climatique constitue la préoccupation principale en matière d'environnement. Cependant, plusieurs autres sujets d'inquiétude existent et méritent d'être mentionnés avant qu'on en revienne au changement climatique.

a- Des problèmes environnementaux qui s'accumulent

Il est à noter qu'ils apparaissent étroitement liés entre eux. La diversité de ces enjeux environnementaux nuit parfois à la visibilité des combats écologistes, mais mérite d'être rappelée :

L'érosion de la biodiversité fait craindre à une majorité de biologistes que nous sommes

34 CLERC, Du club de Rome à Copenhague, une longue marche, Alternatives économiques, hors-série 83, 4ème trimestre 2009.

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en train d'assister à la sixième crise d'extinction massive des espèces de l'histoire. Notre connaissance des espèces étant limitée, il est difficile de se prononcer précisément sur ces enjeux. Néanmoins, selon le comité français de l'union internationale pour la conservation de la nature, le taux d'extinction est estimé entre cent et mille fois plus élevé à l'heure actuelle que ce qu'on a connu jusqu'ici au cours de l'évolution de la vie sur Terre.

· L'épuisement des ressources halieutiques est un problème distinct de celui de la biodiversité. En effet, il n'est pas uniquement question ici d'extinction de variétés de poissons, mais aussi de la raréfaction de ressources qui participent à l'alimentation humaine. La surexploitation de ces ressources est telle que, d'après le conseil national de l`exploitation des mers, les limites biologiques sont dépassées pour la plupart des poissons consommés.

· La déforestation qui s'opère dans plusieurs régions du monde a des conséquences aussi bien en matière de biodiversité (à elle seule l'Amazonie représenterait 50% de la biodiversité mondiale) et de réchauffement climatique (les forêts jouent un rôle de « puits de carbone »), d`après le World Resources Institute. Le gain de zones forestières dans les zones tempérées ne suffit pas pour compenser la déforestation massive de la forêt tropicale.

· La dissémination de produits toxiques divers dans la nature risque de poser des problèmes aux écosystèmes et à la santé humaine. Notamment, les polluants organiques persistants et les métaux lourds comportent des effets nocifs divers (cancer, altération de la fertilité...)35. En outre, les multiples déchets issus de nos modes de production, notamment ceux issus de la filière nucléaire, ont une vie longue (des centaines de milliers d'années) et une radioactivité plus ou moins prononcée.

· La pénurie d'eau s'aggrave : la capacité à produire de l'eau douce potable est altérée partout dans le monde. D'ici 2025, selon le rapport The World's Water (2008-2009), près de deux milliards de personnes devraient vivre dans des zones connaissant des pénuries d'eau. La hausse prévue de la demande mondiale en eau (pour l'agriculture principalement) ne fait que renforcer cette inquiétude, et les risques de conflit qui y sont afférents.

35 Voir CHEVALIER, Les sept plaies d'une planète durable, Alternatives Economiques, n°83, quatrième trimestre 2009.

·

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Le défi alimentaire mondial est enfin le dernier défi d'ordre environnemental qui se pose à l'homme. La FAO prévoit que l'agriculture mondiale devra nourrir, d'ici 2050, plus de 9 milliards d'individus. La production alimentaire mondiale devrait alors augmenter de 70% d'ici cette date. Une gageure alors que les superficies consacrées à l'agriculture stagnent depuis des années et que le modèle d'agriculture productiviste qui s'est imposé dans la majeure partie du monde montre ses limites. L'épuisement des sols appelle en effet des solutions nouvelles.

b- Le changement climatique, au carrefour des enjeux environnementaux

Le défi posé par le changement climatique est à la fois parallèle et intimement lié à ces problèmes. C'est pour répondre au changement climatique que les sommets mondiaux de l'environnement ont été convoqués : sommet de la Terre, à Rio (1992), sommet de Johannesburg (1997), sommet de Copenhague (2009)...

Il s'agit d'un phénomène déjà observable. Les travaux du groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC) rassemblent les travaux de nombreux organismes. Globalement, les climatologues notent la hausse sans précédent des températures terrestres au cours du XXème siècle et la relient aux activités humaines. Le consensus n'est pas total sur ce dernier point, comme l'ont montré les réactions des « climatosceptiques » et les polémiques, d'actualité, sur l'impartialité et les méthodes du GIEC. Néanmoins, il est suffisamment partagé au sein de la communauté scientifique pour que, dans le cadre de cette recherche, nous nous appuyions sur la thèse du réchauffement climatique d'origine humaine.

Dans Le capitalisme est-il durable ?, Bernard Perret rappelle que la hausse des températures mondiales aura des effets contrastés d'une région à l'autre. Cependant, il note qu'au vu des émissions de gaz à effet de serre passées, la température moyenne du globe augmentera de 1,8 à 4 degrés d'ici la fin du XXIème siècle. Ce réchauffement, qui serait plus important si le capitalisme emprunte la voie du business as usual, élèverait le niveau de la mer de 18 à 59 centimètres. D`autres conséquences probables du réchauffement sont à prévoir : l'augmentation de la fréquence d'épisodes climatiques extrêmes, la diminution de la couverture neigeuse - avec, en particulier, une forte rétraction des glaciers tropicaux, qui entraînera l'assèchement estival de nombreux cours d'eau - , un ralentissement des courants océaniques, une augmentation de leur acidité...

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2- Une menace pour les capitalismes

Les relations entre la protection de l'environnement et le capitalisme sont placées sous le signe de la menace, et ce dans les deux sens. En effet, il est tout autant possible de considérer le capitalisme comme une menace pour la préservation de l'environnement, que de considérer les problèmes environnementaux comme une menace pour la pérennité du capitalisme. C'est sur ce deuxième point qu'il s'agit d'insister ici, car il montre que le système économique actuel doit nécessairement s'adapter aux contraintes environnementales.

Les problèmes environnementaux, dans leur diversité, sont autant de défis posés à l'espèce humaine et, partant, au capitalisme. Qu'il s'agisse des problèmes en matière de biodiversité, de ressources halieutiques, de déforestation, de pollutions disséminées, de pénuries d'eau ou encore de production agricole, c'est l'espèce humaine et son mode de vie qui sont menacés. Bernard Perret résume les enjeux anthropologiques du réchauffement climatique : « les conséquences économiques et humanitaires, directes ou indirectes, du réchauffement seront considérables : catastrophes naturelles, inondations des zones côtières, diminution des rendements agricoles et des ressources halieutiques. Le changement climatique contribuera à l'aggravation des autres grands problèmes écologiques - pénuries d'eau douce, déclin de la biodiversité, etc. - et, surtout, des grands problèmes humanitaires auxquels l'humanité est d'ores et déjà confrontée : pénuries alimentaires, sous-développement du continent africain, migrations massives et incontrôlables, émergence de nouvelles maladies, etc. » (p.27).

Ce type de phénomènes pourrait entraver fortement le fonctionnement des économies capitalistes. Selon nous, l'accumulation du capital en vue d'en tirer un profit est plus difficile dans un monde où les hommes manquent de ressources alimentaires, où les hommes sont davantage malades et où les réfugiés climatiques affluent de manière incontrôlée. La main d'oeuvre de qualité pourraient devenir plus difficiles à obtenir. De plus, l'utilisation des ressources deviendrait plus coûteuse, à mesure qu'elles s'amoindrissent et que les conflits autour d'elles se multiplient. Ainsi, selon Kovel (2002), les coûts directs ou liés à l'internalisation des externalités se fera sentir : «This degradation will have a contradictory effect on profitability itself ...either directly, by so fouling the natural ground of production that it breaks down, or indirectly,» through the reinternalization of «the costs that had been expelled into the environment36. » A terme, le capitalisme, aujourd'hui drogué au pétrole, doit nécessairement trouver des voies alternatives à ce type de ressources

36 KOVEL, The enemy of nature, Zed Press, London, 2002, pp.39-40

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fossiles. Enfin, la paix sociale, élément indispensable à la bonne marche de toute entreprise, serait difficile à obtenir au moment où la crise écologique produirait des effets économiques et sociaux. Il pourrait, de surcroît, en résulter une demande politique de changement radical et de sortie du capitalisme. Pour toutes ces raisons, le capitalisme apparaît comme menacé par les enjeux environnementaux.

Pour utiliser un vocabulaire régulationniste, il est possible de considérer les problèmes écologiques comme pouvant être les déclencheurs d'une crise structurelle du régime d'accumulation actuel. Ce type de crise constitue une remise en cause du mode de régulation ; il résulte d'une incapacité à perpétuer l'accumulation. Elle appelle des réponses.

C) A la veille d'une mutation des capitalismes

Comme nous avons pu le voir dans la section précédente, les capitalismes ont intérêt à s'adapter aux enjeux environnementaux. Les dirigeants des firmes multinationales se font désormais les hérauts du développement durable, en déployant une communication spécifique à ce sujet. Ils font tous état des avancées de leur groupe en la matière et se posent en champions de la responsabilité environnementale37.

Notre but est ici de constituer une « échelle de radicalité du changement ». Si l'adaptation du capitalisme aux contraintes environnementales est réclamée de la part de la plupart des acteurs, il reste à déterminer l'ampleur dudit changement. En effet, une grande variété d'évolutions peut se dessiner derrière ces intentions. A première vue, il semble évident que le développement durable réclamé par certaines associations écologistes ne doit pas recouvrir les mêmes réalités que celui sur lequel communique Christophe de Margerie, PDG de Total. Selon que le changement sera plus ou moins radical, il aura des conséquences plus ou moins grandes sur le mode de production actuel. Nous nous appuierons sur la différence entre les soutenabilités fortes et faibles38, afin d'abord identifier les leviers qui peuvent être vecteurs de durabilité puis de réaliser, à des fins pédagogies, ladite échelle de radicalité du changement.

37 Voir Développement durable, 5 ans après, la métamorphose, T. FOLLENFANT, C. TUTENUIT, Le Cherche-Midi, Paris, 2007.

38 Voir VIVIEN, Les modèles économiques de soutenabilité et le changement climatique, Regards croisés sur l'économie, la Découverte, 2009.

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1- Une exigence de durabilité forte

Quelle durabilité faut-il viser pour nos économies ? De nombreuses analyses ont montré les implications de la soutenabilité en termes bio-physiques, éthiques, politiques et culturels (Odum E.P., 1971 ; Odum H.T., 1971 ; Georgescu-Roegen, 1979 ; Jonas, 1979 ; Passet, 1979 ; Anand, Sen, 2000), ou ayant soulevé les ambiguïtés, les limites et les contradictions de ce concept (Pearce, 1974 ; Daly, 1992 ; Latouche, 1994 ; Sachs, Esteva, 1996 ; Harribey, 1997, 1998 et 1999). Au niveau économique, une distinction usuelle est faite entre « soutenabilité forte » et « soutenabilité faible » (ou durabilité). Nous allons voir que la dernière semble plus convaincante.

a- La durabilité faible, compatible avec l'économie néoclassique

La durabilité faible a été formalisée au cours des années 1970, bien avant l'émergence du terme « développement durable », sur la base d`une idée de Hotteling (1931). Elle est apparue pour appliquer la théorie néoclassique de la croissance aux cas de consommation de ressources non-renouvelables. Une croissance basée sur l'extraction de ces ressources pouvait difficilement, à première vue, allouer du bien-être éternellement, donc être considérée comme soutenable. A long terme, la consommation devait tendre vers zéro (Solow, 1974).

Hartwick (1977) a proposé de dépasser cette difficulté, en investissant les rentes issues de l'extraction des ressources non-renouvelables - ou une partie d'entre elles (El Serafy, 1989) - en capital. L'accent est alors mis sur le capital net total, grâce à une hypothèse salvatrice : l'élasticité constante et unitaire de la substitution entre les facteurs de production. Comme le rappellent S. Dietz et E. Neumayer (2006), « this entailed the assumption that natural capital was similar to produced capital and could easily be substituted for it. In fact, in validating the weak sustainability paradigm, it should be true that either :

- natural resources are super-abundant ;

- the elasticity of susbtitution between natural and produced capital is greater than or equal to unity ;

- technological progress can increase the productivity of the natural capital stock faster than it is being depleted »39 .

L'hypothèse de durabilité faible repose sur l'indifférenciation du bien-être : qu'il soit d'origine naturelle ou artificielle n'importe pas. Solow allait jusqu'à imaginer : « The world can

39 S.DIETZ, E.NEUMAYER, Weak and strong sustainability in the SEEA, concepts and measurements, Ecological Economics 61, 2007, p.2.

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get along without natural resources, so exhaustion is just an event, not a catastrophe 40». Alors, comme le rappelle R. Ayres41, si l'on considère que le bien-être économique « recouvre » les autres préoccupations, le débat s'en trouve réduit à une pure argumentation économique sur l'élasticité et la substituabilité.

b- La durabilité forte, objectif pertinent des politiques publiques

C'est sur la substituabilité des facteurs que s'établit le désaccord avec les tenants de la durabilité forte : le capital naturel serait en partie non substituable. Selon Ekins et al. (2003) et Pierce et Turner (1990)42, le capital naturel a quatre fonctions. Premièrement, la fourniture de matières premières pour la production et la consommation. Deuxièmement, l'assimilation des déchets. Troisièmement, la production d'« agréments » tels que le paysage. Enfin et surtout, il permet la vie humaine, via le système écologique global qui permet l'alimentation, l'eau, l'air respirable et un climat stable.

Pour sûr, ces deux dernières fonctions ne sont pas substituables. Or, l'importance de la dernière invite à ne pas mésestimer cet état de fait. Dietz et Neumayer (2006) mettent en avant d'autres éléments qui invitent à préférer l'hypothèse de durabilité forte :

- l'incertitude sur le fonctionnement des cycles du capital naturel

- l'irréversibilité de certaines pertes en capital naturel

- l'aversion plus grande aux pertes en capital naturel qu'aux gains en utilité (selon le raisonnement de Kahneman et Tversky, 1979).

- « une consommation future plus importante n'est pas un substitut approprié aux pertes en capital naturel (Barry, 1990) ».

La théorie du « capital naturel critique », développé notamment par Ekins, s'appuie sur cette conception de la durabilité. Est critique tout capital naturel qui n'est soit pas substituable, soit irréversible, soit dont la perte induirait des coûts importants liés à ses fonctions vitales ou dont la perte ne serait pas éthique. La polymorphie de cette définition explique qu'elle soit difficile à utiliser. Néanmoins, elle rend compte de manière efficace de l'importance qu'il convient d'accorder aux scénarios de « durabilité forte » dans la mutation du capitalisme. En d'autres termes, il est pertinent de ne considérer comme durables que les modes de production qui permettent une durabilité forte.

40 SOLOW, The Economics of Resources or the Resources of Economics, in American Economic review, 1-14, may 1974.

41 R.U. AYRES, Weak versus strong sustainability, http://www.tinbergen.nl/discussionpapers/98103.pdf

42 cités par DIETZ et NEUMAYER, op.cit.

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2- Des leviers divers pour une mutation d'ampleur

Dans cette sous-partie, l'objectif est de rapprocher les objectifs de réduction des émissions des mesures politiques qu'ils impliquent de prendre. Cela implique tout d'abord de montrer que ces objectifs appellent une intervention publique, puis que ces interventions peuvent prendre plusieurs formes, afin de pouvoir dégager une représentation graphique de la relation objectifs/mesures.

a. Des objectifs ambitieux qui rendent nécessaire l'intervention publique

Les rapports du GIEC pointent la nécessité de limiter la concentration de dioxyde de carbone à moins de 450 parties par million de volume (pm). Cet objectif s'avère compatible avec l'objectif européen de tenter de contenir le réchauffement mondial à moins de 2°C. Il s'agit d'une approche scientifique mais également pragmatique : la limite de tolérance aurait pu être plus restrictive pour, par exemple, tenter d`enrayer le réchauffement climatique en tant que tel.

L'objectif de 450pm implique une division globale par deux des émissions de CO2 mondiales d'ici 2050. Or, au vu de la responsabilité historique que portent les pays développés et de la nécessité de ne pas brimer le développement de pays pauvres, cet objectif doit être porté à une division par quatre des émissions dans des pays comme la France43.

Il est hautement improbable que l'adaptation des capitalismes à la réalité écologique se fasse d'elle-même, venant du comportement vertueux des entreprises et des consommateurs. S'il ne faut pas sous-estimer l'importance de la « bonne volonté » des acteurs44, l'histoire récente tend à montrer que malgré la connaissance croissante des dangers du réchauffement climatique, les émissions nettes de CO2 continuent d'augmenter. L'importance de l'Etat pour mettre en oeuvre un cadre qui favorise l'environnement est à souligner.

Certains considèrent que les signaux du marché pourront suffire à la mutation des capitalismes. Une conception libérale consisterait à laisser jouer le jeu des prix : à mesure que la ressource se raréfie, le prix augmente, ce qui réduit la consommation. A terme, l'épuisement des ressources supprimera toutes les pollutions liées au pétrole et aidera la planète à se régénérer. Ce raisonnement simple résume la croyance dans l'autorégulation du marché.

L'exemple du pétrole, parmi beaucoup d'autres, permet d'invalider cette conception à deux

43 RADANNE, La division par quatre des émissions de dioxyde de carbone en France, Ministère de l'Ecologie et du développement durable, 2004.

44 POSTEL, ROUSSEAU, SOBEL, La responsabilité sociale et environnementale des entreprises : une reconfiguration potentielle du rapport salarial fordiste ?, Economie appliquée, 2006.

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niveaux. D`une part, la hausse du prix du pétrole sera une incitation à l'extraction croissante des ressources, ainsi que le rappelle Hervé Kempf : « L'effet pervers de la hausse des prix de l'énergie dans le système capitaliste est qu'elle stimule l'exploitation de réserves jusque-là marginales de pétrole, et va donc accroître les émissions de gaz à effet de serre45 ». L'offre de pétrole n'est, en effet, pas totalement figée. D'autre part, de nombreux experts considèrent qu'il ne faut pas extraire tout le pétrole souterrain si l'on veut maintenir la planète dans un état vivable. Selon B. Perret (2008), « les stocks de pétrole, de gaz et de charbon sont trop importants pour que l'on puisse attendre le salut de la pénurie ». Selon les calculs d'Henri Prévot, spécialiste des questions énergétiques, « pour que la hausse de température moyenne ne dépasse pas 3°C, il faudra que l'humanité sache laisser sous le sol, dans les deux siècles à venir, les deux tiers des énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) accessibles »46. Si, par exemple, on en extrayait 87%, la hausse moyenne des températures serait probablement de 6 degrés...

A l'heure actuelle, il n'existe aucune incitation de taille à limiter l'extraction des ressources fossiles telles que le pétrole, si bien que le libre jeu du marché ne constitue pas une solution. Dès lors, une plus grande régulation sera nécessaire pour faire face aux enjeux climatiques. Celle-ci pourra faire intervenir la puissance publique, mais d'autres acteurs pourront également y prendre part.

b. Des bâtons, des carottes et des sermons

Quatre grands types d'interventions peuvent être mis en avant. Mis en oeuvre de manière conjointe, ils permettront aux économies capitalistes de s'adapter aux enjeux environnementaux. Leur description sommaire et non exhaustive ci-après sert de prélude à la construction d'une échelle de radicalité du changement. Ils peuvent être classés selon les trois mécanismes de l'intervention publique (« sticks, carrots and sermons47 »).

· Des bâtons.

La puissance publique devra tout d'abord édicter des règlementations, pour limiter ou interdire certains mésusages. Par exemple, c'est par l'interdiction des chlorofluorocarbones, suite au traité de Montréal (1987), que la concentration de ces gaz nuisibles à la couche d'ozone a été fortement réduite. D'autres types de règlementations et de normes doivent voir le jour dans la lutte contre le changement climatique.

45 KEMPF, « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme », Le Seuil, 2009, Paris, p.108.

46 PREVOT, Trop de pétrole, Seuil, Paris, 2007, p.35.

47 Distinction fréquemment utilisée, reprise notamment par PERRET (2008), op.cit.

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Selon une majorité d'économistes, la règlementation n'est cependant pas le moyen le plus efficace d'agir sur un marché. Pour limiter les émissions dans un secteur donné, il peut être pertinent de créer un marché de droits négociables. Le recours aux mécanismes de marché permet de déterminer à l'avance la quantité d'émissions ou de pollutions qui seront admises, et enfin de les répartir selon l'offre et la demande. Il en résulte que la quantité d'émissions aura été règlementée, mais répartie selon l'état du marché en question.

Ces outils sont appelés à cohabiter avec la taxation (qui figure dans la catégorie des « carottes ») dans un ensemble cohérent, car ils possèdent chacun des avantages et des inconvénients différents. Leurs caractéristiques sont, par exemple, justement résumées par Folmer, Gabel et Ophir (1995)48.

· Des carottes :

La puissance publique devra recourir à des incitations diverses pour orienter la production et la consommation. Via l'intervention publique sur les prix, la production et la consommation pourront être orientée dans un sens durable. D'un côté, la taxation qui, pénalise les comportements non durables, est appelée à être utilisé de façon croissante, comme en atteste la tentative récente de mise en place d'une « contribution climat énergie » (également appelée « taxe carbone »).

Cependant, à mesure que les activités polluantes seront taxées, les activités non nuisibles seront encouragées et la mutation du capitalisme sera entamée. Les systèmes de « bonus malus » devront également se développer. Des incitations - fiscales par exemple - devront se développer pour encourager les acteurs privés à adopter des comportements vertueux. Par exemple, les innovations écologiques, indispensables à l'économie durable, devront être encouragées.

· Des sermons :

A moyen terme, le rôle des « sermons » est essentiel, afin de faire partager aux acteurs et aux citoyens les objectifs de la politique publique. Souvent, il n'est pas possible de contrôler l'ensemble des comportements, et il faut alors que les citoyens en aient intégré les tenants et aboutissants grâce à des sermons : par exemple, le tri sélectif nécessite des sermons.

Il existe, de surcroît, une certaine marge de progrès pour développer les comportements vertueux volontaires. Le développement de la responsabilité sociétale des entreprises et de la consommation responsable en sont des illustrations pertinentes. En agissant sur « l'esprit du temps », selon l'expression d'Edgar Morin, ces pratiques se développeront et joueront un rôle dans la lutte contre le changement climatique.

48 FOLMER, GABEL, OPSCHOOR, principles of environmental and resource economics, Edward Edgar Publishing limited, Hants, UK, 1995.

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Toutefois, ces sermons s'accompagnent d'un devoir pour la puissance publique : l'exemplarité. Les investissements publics devront être orientés massivement vers ce qui est durable : transports publics, énergies renouvelables...

Plus largement, la puissance publique devra, selon nous, fournir un cadre structurel plus enclin à favoriser la durabilité. En particulier, la réforme du système de comptabilité publique permettrait de trouver des alternatives au PIB. Or, pour la protection de l'environnement, le dépassement de la mesure strictement monétaire de la richesse aurait des effets bénéfiques. Elle pourrait ainsi inclure dans son analyse l'économie domestique, la valeur d'usage, les stocks de capital naturel déjà présents, etc 49. D'autres éléments, plus proches de ce qu'est la richesse réelle, pourraient ainsi être en ligne de mire de l'action gouvernementale. La construction d'indicateurs de bien-être ou de bonheur est, malgré ses difficultés, à inscrire dans cette démarche50. Elle permettrait notamment de sortir d'un objectif du « toujours plus », à l'évidence nuisible à la préservation de l'environnement.

c- Construction d'une échelle pédagogique de radicalité du changement

L'objectif est ici de mettre en relation les objectifs - ambitieux - et les leviers d'action. Si ces objectifs sont souvent cités par les organisations internationales, ce qu'ils impliquent en termes de changement de mode de production est souvent obscur. En effet, rares sont ceux qui précisent les différentes évolutions à prévoir. En règle générale, une série de mesures et de principes sont mis en avant, sans que leur importance soit réellement hiérarchisée en matière de faisabilité et de réduction des émissions de CO2. Le travail étant de taille, nous allons nous contenter de résumer les mesures susceptibles de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, afin de constituer une ébauche d'« échelle de radicalité du changement ».En réalité, l'échelle ne poursuit qu'un but pédagogique, pour que le lecteur puisse se représenter les éléments qui doivent changer pour réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons mis en correspondance les mesures citées ci-avant, en montrant sur un axe la nécessité de les cumuler pour arriver à diviser par quatre les émissions de CO2. Nous avons additionné les mesures suivantes, comme autant de pistes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mentionnées dans le rapport de la DRIRE (2004), elles sont des pistes non exhaustives de réponse au réchauffement climatique : amélioration de l'efficience énergétique, développement des services et du télétravail, développement de la RSE et de la consommation responsable,

49 Voir WHEELOCK, GIARINI, EKINS, real-life economics, Routledge, 1992, chapitre 5.

50 Voir J. Gadrey : Les nouveaux indicateurs de richesse, La Découverte, Paris, 2007, ou P. VIVERET, Reconsidérer la richesse, ed. de l'Aube, Paris, 2008.

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développement des énergies renouvelables, taxation écologique, progrès technique orienté, grandes infrastructures écologiques, recul de la société de consommation, mesure différente de la croissance.

Ces mesures sont placées selon leur affiliation à quatre grands principes que nous avons dégagés et qui, selon nous, peuvent guider la capacité des capitalismes à s'adapter aux exigences d'une économie durable. Nous proposons :

· La faculté à s'adapter au changement

· La faculté à susciter l'innovation

· La faculté à envisager le long terme

· La faculté à encourager la sobriété

Les quatre principes ne sont pas totalement interdépendants les uns des autres. Il est possible, par exemple, de considérer que la faculté à susciter l'innovation dépend de la faculté à envisager le long terme. De même, les facultés d'innovation et d'adaptation sont deux facettes du même progrès technique auquel se référait Schumpeter51. Notre démarche ne nous permet pas de distinguer, comme le fait Amable (2005), les innovations radicales des innovations incrémentales. Cela nous semble cependant d'une importance secondaire, dans la mesure où les unes comme les autres peuvent jouer un rôle dans la quête d'une économie durable. Le quatrième principe - la faculté à encourager la sobriété - pourra étonner, dans la mesure où a priori un capitalisme n'encourage pas la limitation des besoins. Ici, la sobriété est à prendre dans un sens large : elle inclut l'ensemble des pratiques qui vont conduire à réduire les gaspillages et les consommations superflues52. La définition de ce qui est du gaspillage et du superflu est subjective, et pourra faire l'objet de débats. Nonobstant, le principe en tant que tel nous paraît porteur de durabilité. Au total, ces quatre principes regroupent de manière efficace la palette d'évolutions nécessaires du capitalisme.

Nous sommes conscients que l'échelle de radicalité du changement, ci-après, constitue un outil éminemment critiquable sur le plan scientifique. Les effets de chacune des mesures ne sont pas chiffrés, ce qui implique qu'il est possible d'imaginer une échelle classifiant différemment les évolutions environnementales. L'échelle ne revendiquant aucune précision, elle doit nécessairement être considérée comme insuffisante au lecteur averti. Néanmoins, la vertu uniquement pédagogique de l'outil, dans le but d'une meilleure compréhension du mémoire, nous invite à le partager malgré tout.

51 SCHUMPETER, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942.

52 DE FOUCAULT, L'abondance frugale, éditions Odile Jacob, Paris, 2010.

I

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37

Comme le suggère l'échelle, il existe une grande variété de mesures qui peuvent être prises pour protéger l'environnement. Celles-ci peuvent s'enchevêtrer de différentes manières et donc arriver, selon le dosage, à mettre sur pied une économie durable. Elle suggère que les objectifs de division des émissions de CO2 nécessitent une palette de mesures d'ampleur conséquente.

La menace environnementale qui pèse sur les capitalismes rend inéluctable leur tentative d'adaptation aux enjeux environnementaux. Nous avons vu que pour réduire drastiquement les émissions de CO2, les mesures ne peuvent pas rester superficielles, et doivent affecter le coeur même du régime d'accumulation.

Il nous semble à présent utile d'étudier la compatibilité de ces mesures avec les caractéristiques des capitalismes. Les institutions des différents capitalismes peuvent-elles intégrer la préoccupation environnementale ? Comment les quatre principes mis en avant dans cette partie - la faculté à innover, à s'adapter, à envisager le long terme et à encourager la sobriété - peuvent-ils interagir avec les caractéristiques des cinq capitalismes ?

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II La diversité des capacités d'adaptation des cinq capitalismes

La première partie de notre raisonnement nous a permis de mettre en avant l'urgence écologique et l'ampleur des changements qui appellent les capitalismes. La théorie de la régulation offrant, par ses caractéristiques, un cadre adapté à l'étude de l'évolution des capitalismes, nous avons souligné l'importance qu'il y a à enrichir la recherche régulationniste en la matière.

Il s'agit maintenant de passer aux actes et de se lancer dans une entreprise ambitieuse : la détermination du type de capitalisme le mieux préparé à la mutation écologique. Comme nous l'avons spécifié en introduction, il ne s'agit pas de signaler « un modèle à suivre » dans la mesure où, aujourd'hui, aucune économie développée n'est durable - i-e empreinte écologique de 1 planète. Il s'agit plutôt d'initier la réflexion sur des types de capitalismes qui possèderaient des caractéristiques compatibles avec les exigences de préservation de l'environnement et qui de ce fait seraient moins éloignés de la durabilité. Dans ce cas, nous pourrions considérer que ces capitalismes nécessiteraient un changement institutionnel plus limité. Bien que nous soyons réticents à utiliser un terme étroitement lié à l'économie classique, il serait même loisible de considérer ces capitalismes comme ayant un « avantage comparatif » en matière environnementale.

Cette étude repose sur un postulat fort : « institutions matter ». Voilà plusieurs décennies que les institutions sont mises en avant pour expliquer les performances de telle ou telle économie dans un domaine. Par exemple, les liens entre les institutions du marché du travail et le taux de chômage ont fait l'objet de milliers de recherches, avec des résultats réels.

Ainsi, il est intéressant d'analyser les institutions-types des capitalismes pour apporter un éclairage sur leur éventuelle compatibilité environnementale. Cependant, comme le rappelle Amable, « les effets d'interaction entre les institutions peuvent être tels qu'il est nécessaire de considérer ces dernières conjointement pour comprendre leurs effets sur les décisions que prennent les agents et leurs conséquences sur la performance économique È53. Les « complémentarités institutionnelles (Aoki, 1994) doivent donc être prises en compte, selon la définition suivante : des institutions sont dites complémentaires quand la présence de l'une augmente l'efficacité de l'autre. Les complémentarités mises en avant par Amable dans les Cinq Capitalismes doivent donc être reprises. Les caractéristiques des capitalismes pourront alors être

53 AMABLE, op.cit.

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évaluées à l'aune de leur faculté à protéger l'environnement.

Pour déterminer quel capitalisme semble le plus préparé à la mutation écologique, il s'agit tout d'abord d'analyser les complémentarités entre différentes institutions avec la protection de l'environnement (A). Nous pourrons alors suggérer que certains modèles sont moins en retard que d'autres (B). Enfin, nous tenterons de valider ou de tempérer les résultats à l'aune de quelques chiffres (C).

A) Des institutions plus enclines que d'autres à favoriser la durabilité

Les liens entre les institutions qui caractérisent les capitalismes et l'environnement ne sont pas toujours évidents ou établis. De même qu'il n'est pas automatique que la protection de l'emploi nuise au taux d'emploi, les relations entre institutions et protection de l'environnement sont parfois complexes et peuvent être ambivalentes. A cette complexité s'ajoute un obstacle de taille : le peu de travaux de recherche réalisés dans ce domaine. Si cet état de fait constitue en soi un appel à approfondir la recherche en ce domaine, il rend notre analyse des compatibilités difficile.

Pour autant, il est à notre sens possible de se baser sur des hypothèses raisonnables et logiques pour analyser les complémentarités. C'est sur cette base souvent fragile qu'il s'agira de mettre en relation les quatre principes qui rendent possible la durabilité (faculté à s'adapter, à innover, à prendre en compte le long terme et à encourager la sobriété) avec les caractéristiques des cinq capitalismes mis en avant par Amable. Celui-ci analyse les caractéristiques des capitalismes dans cinq domaines : le marché des biens et services (1), le marché du travail (2), le système financier (3), la protection sociale (4) et le système éducatif (5).

1- Marché des produits et environnement

Amable étudie les institutions qui caractérisent les marchés des biens et services. Selon nous, certaines sont enclines à favoriser la durabilité, tandis que d'autres semblent plutôt favoriser la prédation (i-e la non-durabilité). Ici, le but est de discuter les liens que chacune d'entre elles entretient avec l'exigence de durabilité.

La première différenciation à établir sur le marché des produits est à réaliser au niveau du mode de concurrence : les capitalismes sont-ils caractérisés par une concurrence fondée par les prix ou fondée sur la qualité ? Il s'agit là d'une différenciation de grande importance, dans la

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mesure où les liens avec l'environnement semblent relativement clairs : la concurrence fondée sur les prix tend à nuire à l'environnement, tandis que celle fondée sur la qualité tend à favoriser sa préservation.

En effet, la concurrence fondée sur les prix va inciter à réduire au maximum les coûts, afin d'obtenir un produit au plus bas prix. Parmi les vertus écologiques du post-fordisme, Rousseau et Zuindeau (2007) dégagent l'émergence de la compétitivité hors-prix : « le post-fordisme confère une place significative aux éléments hors-coûts dans les formes de compétitivité. La qualité des produits et des process, l'image véhiculée par les biens, sont des facteurs propices à une meilleure intégration de l'environnement54 ». Ce type de concurrence favorise, en effet, les démarches de « chartes de qualité », les labels et les garanties. Elle favorise également la démarche de responsabilité sociétale des entreprises et ses corollaires (audits environnementaux, analyse du cycle de vie, management environnemental) et donc une meilleure prise en compte de l'environnement. Ainsi, quand l'image du produit et éventuellement sa résistance comptent autant que son prix, la contrainte qui pèse sur l'environnementale se relâche.

Il aurait également été possible de différencier les modèles selon l'intensité de la concurrence, les économies anglo-saxonnes étant caractérisées par une concurrence plus forte que les économies d'Europe continentale. Cependant, les liens entre intensité de la concurrence et environnement sont plus ambigus. Nous n'utiliserons donc pas cet élément de différenciation pour justifier d'aptitudes environnementales différentes.

Ensuite, Amable différencie les marchés des produits selon l'engagement de l'Etat dans ceux-ci. Celui-ci, selon les indicateurs de l'OCDE55 utilisés par Amable, se définit par l'ensemble des règlementations qui encadrent le marché des produits. Ici, n'est pas prise en compte la réglementation vis-à-vis de l'extérieur, c'est-à-dire à des fins protectionnistes.

Pour mettre en place les mesures environnementales explicitées plus haut, il y a besoin d'une autorité régulatrice telle que l'État. S'il est concevable qu'une économie non règlementée ait de meilleures performances écologiques qu'une économie régulée (telle que l'URSS), il semble qu'à la veille de la nécessaire conversion écologique de l'économie, il ne soit pas possible de faire l'impasse sur l'État. Ainsi, il est raisonnable de considérer l'engagement de l'État comme un avantage en vue de la conversion vers une économie durable.

De même, le type de coordination qui préside les marchés de produits peut avoir un impact

54 ROUSSEAU, ZUINDEAU, Théorie de la régulation et développement durable, Revue de la régulation n°1, 2007.

55 NICOLETTI et al, 2000.

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sur le rapport à l'environnement. La coordination peut effectivement être basée sur les signaux de prix envoyés par le marché, ou passer par d'autres canaux.

La coordination par les signaux envoyés par le marché est sujette à d'importants doutes. En effet, les prix reflètent toujours la valeur d'échange et non la valeur d'usage. Cette idée, déjà présente chez Aristote et reprise par Marx, a selon Zuindeau des implications environnementales : « excessive exploitation of the environment can therefore result from the consumption of natural goods that are useful for market production, but whose price, relatively low or even zero, favours high demand. By using the customary terminology for environmental economics, we can also say that a significant part of the pressure exerted by people on nature results from a discrepancy between the market value and the total economic value of environmental goods »56. La valeur économique totale de ces biens intègrerait, elle, la valeur d'usage direct, la valeur d'option et la valeur d'existence (Pearce, 1993). En définitive, bien qu'à notre connaissance les liens ne soient pas empiriquement avérés, il est probable qu'une coordination par d'autres canaux que ceux du marché soit plus propice pour protéger l'environnement. En effet, elle accorde une place plus importante à la négociation entre acteurs et à l'édiction, par exemple, de normes environnementales contraignantes.

Les marchés des produits se distinguent également par le degré de protection mis en place contre la concurrence et les investissements étrangers. Le degré d'ouverture économique des pays a probablement un impact sur le rapport à l'environnement. Néanmoins, la relation n'est pas, à notre connaissance, établie.

D'un côté, l'ouverture à la concurrence internationale peut améliorer la protection de l'environnement. En effet, elle sert d'aiguillon aux entreprises nationales pour qu'elles innovent et qu'elles s'adaptent. Elles peuvent alors devenir plus efficientes dans l`utilisation des ressources. Elle peut ainsi accélérer le découplage entre PIB et énergie consommée, conformément à la courbe environnementale de Kuznets57. Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, le point de valeur ajoutée a généré une consommation énergétique toujours plus faible, alors que l'ouverture à la concurrence, sous les effets du GATT/OMC et de l'Union Européenne, s'accélérait58. Enfin, le commerce international lié à l'ouverture peut avoir, selon certains auteurs (Suarez (2010)), des effets bénéfiques sur l'environnement, dans les cas où il entraîne un changement de composition vers des activités plus respectueuses de l'environnement ou des transferts de technologies propres.

Cependant, les effets globaux de l'ouverture sur l'environnement semblent négatifs.

56 ZUINDEAU, «Regulation school and environment», Ecological Economics, 162, 2007.

57 Relation expliquée par TISDELL, Globalisation and sustainability, Ecological Economics 39, 2001.

58 CHENG, An investigation of cointegration and causality between energy consumption and economic growth, Journal of energy and development, vol 21, 1995.

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L'ouverture à la concurrence internationale tend à accroître l'intensité de la concurrence, et par là même la pression exercée pour réduire les coûts (notamment de protection de l'environnement). L'effet sur l'environnement dépendra, dans ce cas, de l'importance de la compétitivité-coût dans le marché. Les liens entre ouverture et environnement sont à rapprocher des effets du commerce international sur l'environnement. Cependant, les effets négatifs semblent plus nombreux (Barbier, 2008) : hausse des exportations à forte intensité en matières premières, renforcement du syndrome hollandais, économies d'échelle facteurs de pollutions...

Si l'ouverture entraîne un regain de croissance, il peut s'opérer un « effet rebond », selon lequel malgré la baisse de la pollution par unité de PIB, la croissance peut générer des émissions supérieures : « empirical results reported by the World resources institute (1997) indicate that material throughput has continued to rise even in countries experiencing falling pollution intensities »59. Selon Neumayer (2000), le système construit autour de l'OMC favorise les échanges et la croissance au détriment de l'environnement. Surtout, l'ouverture à la concurrence pose le problème du dumping environnemental. Les entreprises nationales peuvent souffrir de la concurrence d'autres entreprises soumise à des règles écologiques plus laxistes. Les cas diffèrent beaucoup selon les pays et selon leur degré de développement. Toutefois, il est possible d'affirmer qu'une ouverture forte interdit en quelque sorte la mise en place de règlementations environnementales strictes à l'échelle nationale, sous peine d'une perte de compétitivité dommageable aux entreprises nationales. Enfin, un dernier effet négatif est à mettre en exergue : l'accroissement de la concurrence et de l'ouverture se traduit généralement par un accroissement des échanges, d'où des pollutions liées aux transports plus importantes.

L'impact de l'ouverture à la concurrence sur l'environnement est difficilement quantifiable. Il semble néanmoins, au vu des arguments avancés, que les capitalismes caractérisés par une grande ouverture économique ne sont pas idéalement placés pour mettre en route la mutation écologique.

Un dernier élément pourrait différencier les marchés des produits dans les différents capitalismes : la taille des firmes. Toutefois, la différenciation ne s'opère qu'à la marge, dans la mesure où c'est le capitalisme asiatique qui se caractérise par les grandes firmes et le capitalisme méditerranéen qui possède la caractéristique inverse. Les autres capitalismes ne se différencient pas par ce critère.

Nous ne nous hasarderons pas à établir une corrélation entre la taille des firmes et le degré

59 TISDELL, Capital/Natural resource substitution : the debate of Georgescu-Roegen with Solow/Stiglitz, Ecological Economics, Elsevier, 1997. Dans le même registre, une étude canadienne montrait récemment que la France était championne du monde de l'économie verte, alors que ses émissions nettes avaient augmenté depuis 1990.

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de protection de l'environnement. Le secteur de la production importe davantage, en matière environnementale, que la taille des firmes. Cette variable jouera un rôle neutre dans notre appréciation.

2 - Marchés du travail et environnement

Les liens entre les institutions qui caractérisent le rapport salarial et l'environnement sont plus indirects. Il faut, en outre, garder à l'esprit que les institutions du marché du travail subissent des évolutions fréquentes, comme en atteste la quête généralisée de flexibilité en Europe dans les années 1990. La faculté d'une économie à s'adapter au changement, cependant, peut dépendre des institutions qui régissent son marché du travail. D'où des complémentarités existantes, autour de trois axes.

Le niveau de protection de l'emploi est le premier élément différenciateur des capitalismes. Les indicateurs de l'OCDE mesurent les procédures et les coûts liés au licenciement des travailleurs, ainsi que les procédures d'embauche des travailleurs temporaires ou à durée déterminée.

Bien qu'Amable fasse une mention séparée de la flexibilité externe, il nous semble pertinent de la rapprocher du degré de protection de l'emploi. En effet, les deux notions recoupent des réalités proches, c'est-à-dire la facilité à embaucher et à licencier. Nous allons donc étudier, ici, la protection de l'emploi/flexibilité externe et ses rapports avec l'environnement.

La protection de l'emploi et la flexibilité externe permettent aux entreprises de s'adapter à court terme aux évolutions du marché. La mutation que connaîtra le capitalisme s'effectuera, probablement et schématiquement, de la manière suivante : les activités polluantes devront connaître des difficultés, tandis que les activités de « l'économie verte » devront se développer. Dans ce cadre, des protections de l'emploi rigides peuvent compromettre l'adaptation de l'économie vers une économie de l`innovation (Saint-Paul, 2000). Il nous sera peut-être objecté qu'il y a autant de destructions et de créations d'emplois en France qu'aux Etats-Unis (en rapport au nombre total d'emplois)60, alors que l'un de caractérise par une forte protection de l'emploi et l'autre par une grande flexibilité. Cependant, les créations et destructions d'emplois en France reposent sur un nombre restreint de travailleurs, victimes du dualisme du marché du travail, et donc d'une protection de l'emploi limitée. Il est donc possible de considérer que les économies caractérisées par une faible protection de l'emploi soient plus à même de s'adapter rapidement aux

60 CAHUC, ZYLBERBERG, «Le chômage, fatalité ou nécessité ?», Flammarion, Paris, 2004.

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exigences d'une économie durable, à se lancer dans de nouveaux secteurs et à abandonner des secteurs insoutenables. Ainsi, pour Amable, « des réajustements rapides de la main d'oeuvre baissent les dépenses liées au changement structurel et permettent le redéploiement de la structure industrielle »61.

Les principes d'une protection de l'emploi faible et d'une forte flexibilité externe se heurtent toutefois à un autre principe générateur de durabilité : la faculté à prendre en compte le long terme. En effet, la précarité généralisée des emplois ne constitue pas non plus une incitation à investir dans les métiers et compétences d'avenir. C'est pourquoi, pour permettre une adaptabilité des économies, une sécurisation des parcours professionnels devrait accompagner la flexibilité.

La complémentarité entre ces deux éléments n'est pas nouvelle et constitue l'une des bases de la flexicurité. Au-delà des mirages et faux-semblants de ce concept62, les configurations qu'il présente font apparaître, sur le plan conceptuel, un assemblage intéressant pour affronter la mutation écologique. Nous rappelons que les effets sociaux de ces configurations ne sont ici pas abordés.

Le dualisme que mentionne Amable pour caractériser les marchés du travail asiatique et méditerranéen n'est pas, par contre, mobilisable dans le cadre de l'étude des éco-complémentarités. En effet, il serait possible d'imaginer une relation entre un marché du travail dualiste et la mise en place de mesures écologiques. Néanmoins, nous disposons de trop peu d'éléments pour nous aventurer dans cette voie.

Le deuxième axe de différenciation des marchés du travail concerne le type de relations industrielles. Cela recouvre la coordination des négociations, la centralisation, le corporatisme, la densité syndicale ou encore la conflictualité. Deux éléments semblent mieux préparer à l'économie durable.

Premièrement, le niveau de négociation salariale peut avoir un impact indirect sur la préservation de l'environnement. Plus précisément, selon que la négociation sera centralisée ou décentralisée, les incitations à innover seront distinctes. Il en résultera, en définitive, une faculté différente à susciter l'innovation écologique. Au niveau des firmes, la centralisation des négociations salariales (notamment selon le modèle de Rehn-Meidner) constitue une incitation à innover. Ainsi, les gains de productivité d'une entreprise ne se traduiront pas nécessairement par des hausses de salaires. De ce fait, la rente de l'innovation sera plus importante. Les vertus

61 AMABLE, op.cit, p.257.

62 RAMAUX, «La flexicurité, critique empirique et théorique», in Tremblay D-G, Flexibilité, sécurité d'emploi et flexicurité, les enjeux et défis, Presses de l'Université de Québec.

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écologiques de cette institution sont résumées par Amable (2009) : « a coordinated wage-bargaining system enables a solidaristic wage setting, which favours innovation and productivity. A centralized Financial system enables firms to develop long-term stratégies »63.

Deuxièmement, le niveau de conflictualité des relations de travail et son pendant inverse, la coopération au sein de la firme, sont des éléments qui ont un impact sur la manière dont les économies sauront d'adapter. Les relations coopératives et négociées permettent généralement aux entreprises d'évoluer dans de nouvelles directions. Pour Scruggs (2001), les relations basées sur le néocorporatisme favorisent la prise en compte de l'environnement pour trois raisons :

- les groupes corporatistes traditionnels prennent plus facilement en compte les externalités car celles-ci retombent sur eux,

- les plus grandes organisations ont l'autorité suffisante pour faire respecter les règles environnementales

- les systèmes d'intermédiation des intérêts pluralistes et compétitifs entraînent des problèmes de coordination et d'application des règles importants.

La conflictualité, elle, peut constituer un facteur de blocage. Toutefois, la conflictualité n'est pas la résultante de l'existence de syndicats forts. Il serait en outre aventureux de considérer que l'entreprise voudra forcément devenir plus durable, et que les salariés s'y opposeront par crainte du changement. Si ce type de scénario pourra exister, rien ne dit qu'il sera majoritaire. Ainsi, si la conflictualité ralentira le processus d'adaptation, nous ne pouvons pas dire qui, de l'entreprise ou des syndicats, sera à l'origine du blocage. De même, le rôle du corporatisme et des syndicats peut jouer dans les deux sens. Ce sont, en effet, les syndicats qui sont les acteurs de relations de travail coopératives et négociées. Ils peuvent, également, être des outils de mobilisation et de blocage, s'ils jugent les droits des salariés sacrifiés par les évolutions.

Le troisième axe de différenciation fait appel aux politiques de l'emploi mises en place dans les pays. Depuis 1985, l'OCDE retient une définition restrictive des politiques de l'emploi : elles recouvrent les mesures ciblées qui ont pour but d'augmenter le taux d'emploi. La nomenclature de l'OCDE classe parmi les politiques actives de l'emploi les éléments suivants : les services publics de l'emploi, les dispositifs de formation professionnelle, les politiques de rotation dans l'emploi, les incitations à l'emploi, les emplois protégés, les créations directes d'emplois et enfin les aides à la création d'entreprise pour les chômeurs. Amable, limité par l'accès aux données institutionnelles, constitue en réalité quatre groupes : les pays qui n'ont pas de politique de l'emploi active (tels que les Etats-Unis, la Norvège ou l'Espagne) ceux dont la politique est

63 AMABLE, « Structural reforms in Europe and the (in)coherence of institutions », Oxford Review of Economic Policy, vol 25, n°1, 2009, p.21.

46

surtout dirigée vers la jeunesse (Italie, Portugal), ceux dont elle est dirigée vers les handicapés (Suède, Pays-Bas) et ceux dont elle est dirigée vers les créations d'emplois (Allemagne, Danemark).

Les capitalismes caractérisés par les politiques actives de l'emploi semblent partir avec un avantage à la veille de la conversion écologique des économies. D'une part, elles sont susceptibles prendre en charge les « perdants » de la mutation tels que les salariés de l'industrie automobile déclinante. D'autre part, elles permettent d'offrir des solutions aux populations les plus exposées (jeunesse, handicapés...) et, de cette manière, de rendre la conversion écologique plus équitable. A l'inverse, l'économie américaine, extrêmement carbonée et au niveau moyen d'éducation relativement faible, pourrait rencontrer des difficultés en l'absence de politiques actives de l'emploi.

3- Systèmes financiers et environnement

Amable analyse les caractéristiques des secteurs financiers des cinq capitalismes. La dichotomie marchés financiers/banques est enrichie par d'autres éléments. La forme que prend le financement de l'économie est d'une importance considérable : les différences dans les systèmes financiers sont parfois considérées comme des déterminants plus importants de la spécialisation du commerce international que les différences de capital humain ou physique (Svaleryd et Vlachos, 2000). Les formes prises par le secteur financier sont liées à la manière dont les enjeux environnementaux seront pris en compte, dans la mesure où elles influent sur la capacité à prendre en compte le long terme.

Globalement, il est possible d'affirmer que les économies largement dépendantes des marchés financiers sont afférées sur le court terme. Les marchés financiers exercent une pression sur les coûts pour garantir le meilleur return on equity et créer de la valeur actionnariale à court terme. Pour Zuindeau, cette logique tend à augmenter la pression exercée sur l'environnement64. L'influence négative des marchés financiers sur l'environnement a également été pointée par McCarthy et Prudham65 (2004). De même, selon Amable et Chatelain (1995)66, les relations de marché rendent impossibles les engagements de long terme entre gestionnaire et détenteur de titres.

64 ZUINDEAU, op cit.

65 MCARTHY, PRUDHAM, «Neoliberal nature and the nature of neoliberalismÓ, 2003, http://www.eci.ox.ac.uk/~dliverma/articles/McCarthy_neoliberal%20nature%20and%20the%20nature%20 of%20neolibralism.pdf

66 AMABLE, CHATELAIN, « Systèmes financiers et croissance, les effets du court-termisme », Revue économique, volume 46 .

47

Certains objecteront, à la lumière des travaux d'Allen et Gale (2000), que les marchés financiers permettent aux investisseurs d'avoir une vision diversifiée des investissements et donc de favoriser les innovations. Cependant, de quels investissements parle-t-on ? Il semble justifié, comme le font Amable et Chatelain, de considérer le financement bancaire des firmes comme plus propice à financer certains investissements de long terme : accumulation de compétences spécifiques, dépenses de recherche et développement, etc.

Une forme particulière de pression joue à l'encontre de la protection de l'environnement : l'importance du marché pour contrôler les entreprises, sous forme de fusions-acquisitions. Il nous apparaît raisonnable de supposer que ce type de transactions exerce une forte pression en faveur du management à court terme des entreprises.

Toutefois, tous les systèmes dépendants des marchés financiers ne sont pas identiques. Le degré de sophistication des marchés, élevé dans les économies libérales, tend à augmenter la sphère de la finance et, partant, l'importance du court-termisme. Aussi, la forme que prend la finance peut-elle différer selon les investisseurs institutionnels présents. Ainsi, il existe des investisseurs institutionnels qui, généralement, prennent des positions sur un temps plus long (fonds de pension)67. Malgré la pertinence de cette distinction, nous ne pourrons pas l'intégrer à notre étude, par manque de données. En outre, deux éléments utilisés par Amable ne nous paraissent pas pouvoir être utilisés dans le cadre de cette réflexion sur les complémentarités environnementales : le degré de protection des actionnaires minoritaires et l'importance du capital-risque. Ces éléments seront donc considérés comme neutres du point de vue environnemental.

A l'inverse, les économies où l'intermédiation bancaire est plus forte pourront plus facilement intégrer le long terme (d`où l`expression « capital patient »). La modalité asiatique de la collaboration banques-entreprises mérite un rapide détour. Dans ce modèle, les banques participent à la stratégie des firmes. Si, selon nous, l'influence des banques en matière de financement est plus écolo-compatible que celle des marchés financiers, leur immixtion dans la gestion des entreprises l'est moins clairement. La force des banques sera néanmoins considérée comme un élément positif sur le plan environnemental.

Par contre, deux caractéristiques mises en avant par Amable - la concentration de la propriété et la concentration bancaire - entretiennent des liens tellement indirects avec l'environnement que nous les considérerons comme neutres.

67 ISRAELEWICZ, « le capitalisme zinzin », Grasset, Paris, 1999.

48

Pour résumer, la dichotomie marchés financiers / banques est l'élément fondamental qui différencie les capacités d'inclusion du long terme des différents capitalismes. Comme le rappelle Amable (2005) : « Les secteurs où la compétitivité est fondée sur l'investissement à haut risque et à court terme prospèreront dans les pays où les marchés boursiers sont bien développés, tandis que les secteurs fondés sur l'investissement à faible risque et à long terme seront favorisés là où le secteur financier est fondé sur les banques »68.

4- Protection sociale et environnement

Les systèmes de protection sociale influent-ils sur la manière dont les économies sauront répondre aux problèmes écologiques ? Dans ce cadre, nous n'allons pas différencier les dépenses liées à la vieillesse de celles liées à la famille ou au chômage.

L'existence de systèmes de protection sociale forte (mesurée par les dépenses de protection sociale / PIB) est un élément qui peut préparer favorablement à la mutation écologique. En effet, une forte protection sociale permet de s'assurer contre les risques de la vie. Comme cela a déjà été dit, la conversion écologique de l'économie créera probablement des secteurs gagnants et des secteurs perdants. Or, l'existence d'importants filets de sécurité est de nature à permettre une adaptation plus souple, si tant est qu`ils seront toujours correctement financés. Ainsi, la protection sociale est le pendant « sécurité » du modèle de flexicurité dont, déjà, nous avons dit qu'il semblait adapté aux économies en mutation. Le modèle libéral, qui n'offre souvent qu'un filet de sécurité pour soulager la pauvreté, se situe à l'opposé.

Amable ajoute un élément pour différencier les modèles de protection sociale : l'organisation du système des retraites, par capitalisation ou par répartition. Cette différence nous semble entretenir des liens trop indirects sur l'appréhension de l'environnement pour être prise en compte ici.

5 - Système éducatif et environnement

Amable complète son analyse de la diversité des capitalismes en analysant les systèmes éducatifs. Dans cette tâche difficile, il inclut le type d'institution scolaire et la formation professionnelle.

Les systèmes scolaires peuvent être soit standardisés, comme c'est le cas du Japon, ou fortement différenciés, comme c'est le cas de l'Allemagne. Dans ce deuxième cas, les élèves sont

68 AMABLE, op.cit., p.257.

49

aiguillés très tôt vers des compétences spécifiques. Le type de système va générer une main d'oeuvre qui aura principalement soit des compétences générales, soit des compétences spécifiques.

Les compétences spécifiques peuvent jouer un rôle à double tranchant dans la mutation vers une économie durable. En effet, si elles sont nécessaires aux activités de l'économie verte, elles sont aussi un facteur d`enfermement dans un secteur donné. Par exemple, il sera plus difficile à une personne très spécialisée dans l'industrie automobile de se reconvertir qu'à une personne qui n'aura accumulé que des compétences générales. Ces dernières, en augmentant les options alternatives des salariés, sont un meilleur gage de reconversion et d'adaptation.

Les effets du système éducatif peuvent être compensés par le type de formation professionnelle en vigueur. Estevez-Abe et al (2001) ont réalisé une typologie des systèmes de formation professionnelle, où il apparaît que les économies qui présentent des compétences spécifiques présentent également des systèmes de formation professionnelle. Ensuite, les modalités de la formation professionnelle divergent (au sein de la firme, par un système d'apprentissage...).

En définitive, les compétences générales et spécifiques sont complémentaires. Les premières sont plus « sûres » en matière de durabilité car plus facilement adaptables. Cependant, les compétences spécifiques favorisent également la durabilité, dans les cas où elles s'accompagnent de politiques de formation tout au long de la vie développées.

L'étude des complémentarités fait émerger une série d'éléments qui semblent jouer en faveur d'une meilleure prise en compte de l'environnement : la concurrence fondée sur la qualité, l'intervention de l'Etat sur le marché des produits, la coordination hors-prix, la faible ouverture internationale, la faible protection de l'emploi, la négociation salariale centralisée, la coopération au sein de la firme, l'absence de conflictualité, les politiques actives de l'emploi, les systèmes financiers basés sur les banques, la faible sophistication des marchés financiers, la faiblesse du marché pour le contrôle des entreprises, la forte protection sociale, les systèmes éducatifs donnant des compétences générales ou les systèmes donnant des compétences spécifiques mais les assortissant d'une politique de formation professionnelle.

L'étude des liens qui unissent les différentes institutions des capitalismes avec l'environnement nous permet de suggérer, à un niveau agrégé, la capacité des différents capitalismes à s'adapter aux enjeux écologiques.

50

B) Agrégation des complémentarités : l'Europe sociale-démocrate et continentale en bonne position

La partie précédente a permis de déblayer le terrain pour rendre possible une analyse comparée de l'écolo-compatibilité des Cinq Capitalismes. L'agrégation des complémentarités pourra fournir des enseignements variés.

1- Précisions méthodologiques

La construction d'un tableau de complémentarités se base sur les relations à l'environnement mises en avant précédemment. Certaines de ces relations sont positives, d'autres sont négatives. Pour de nombreux éléments, il nous est apparu difficile de conclure à une quelconque relation à l'environnement, et nous avons préféré les considérer comme neutres.

Les relations mises en évidence ont été argumentées sur le plan conceptuel, et nous semblent avoir un sens. Toutefois, elles ne sont que rarement avérées. Elles se prêtent, dès lors, à la critique et à la réfutation. Le chantier de l'étude des complémentarités environnementales de la diversité spatiale des capitalismes n'en est que mieux ouvert.

A ce stage de la recherche, il s'agit de mettre en relation les complémentarités explicitées dans la partie précédente avec la typologie des capitalismes réalisée par Amable (2005). Il s'agit simplement de reprendre les caractéristiques des différents capitalismes, et de les étudier à l'aune de leur rapport à l'environnement.

A des fins pédagogiques, nous n'allons pas utiliser toutes les caractéristiques mentionnées par Amable. Tout d'abord, un premier écrémage a été réalisé : il concerne les éléments qui, d'après nous, ne nourrissent pas de liens clairs avec la protection de l'environnement. Ces éléments sont la présence de syndicats forts, la stimulation du capital-risque, le degré de concentration bancaire, la base de la protection sociale (fondée sur l'emploi), le système des retraites, le dualisme du marché du travail et la présence de grandes firmes.

Ensuite, certains éléments ont été recoupés sous un même thème, afin de ne pas agréger des résultats qui renvoient à des corrélations similaires. Par exemple, pour le capitalisme asiatique, la qualité de l'enseignement secondaire a été regroupée avec le fort taux de scolarisation. De même, la force de l'éducation technique a été regroupée avec le développement de compétences spécifiques, celles-ci étant son corollaire. Autre exemple, la formation permanente a été regroupée avec la formation professionnelle. Une dernière illustration s'impose : afin d'éviter la

51

multiplication de critères financiers et donc la surreprésentation d'éléments financiers dans le tableau final, nous avons regroupé les variables « sophistication des marchés » et « existence d'un marché pour le contrôle des entreprises » sous le thème « sophistication et diversification des marchés financiers ».

Malgré ces efforts, certains éléments semblent à l'évidence avoir moins d'importance que d'autres dans le chemin vers une économie durable. Nous avons mis un coefficient 2 à cinq éléments qui, au vu des complémentarités détaillées précédemment, sont appelées à jouer un rôle important dans la mutation des capitalismes vers la durabilité. Ces éléments correspondent aux caractéristiques les plus saillantes sur le plan environnemental des cinq domaines étudiés par Amable. Il s'agit de :

- La forme de concurrence sur le marché des produits (qualité/prix)

- Le niveau de protection de l'emploi (forte/faible)

- Le mode de financement de l'économie (marchés financiers/banques)

- Le niveau de protection sociale (forte/faible)

- L'importance de la formation professionnelle (forte/faible).

Le tableau est donc le fruit d'une méthode en quatre temps :

1- Analyse des caractéristiques des capitalismes et de leurs rapports à l'environnement.

2- Ecrémage des caractéristiques non pertinentes dans cette étude, et regroupement de caractéristiques similaires sous un même intitulé.

3- Agrégation des relations, selon une dichotomie de couleurs. Pour simplifier, le rouge est non durable, le vert est durable.

4- Pondération simple des différents éléments, via une gradation de couleurs.

2- Tableau des complémentarités

Le tableau qui suit constitue un point central de notre étude. Il va étudier les caractéristiques des cinq capitalismes en fonction de leurs éventuelles vertus environnementales. Là encore, il s'agit d'étudier leur aptitude à susciter l'innovation, l'adaptation, à envisager le long terme et à encourager la sobriété.

La frontière qui sépare les capitalismes n'est pas toujours nette. La typologie d'Amable regroupe les pays en cinq capitalismes, comme suit :

Capitalisme libéral de marché : Etats-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni Capitalisme asiatique : Japon, Corée du Sud

52

Capitalisme européen continental : Pays-Bas, France, Allemagne, Suisse, Belgique, Norvège, Irlande, Autriche.

Capitalisme social-démocrate : Danemark, Finlande, Suède Capitalisme méditerranéen : Espagne, Italie, Portugal, Grèce.

Le tableau ci-après donne une image de la compatibilité environnementale en puissance des cinq capitalismes.

53

Institution

Capitalisme
fondé sur le
marché

Capitalisme
méditerranéen

Capitalisme
asiatique

Capitalisme
européen
continental

Capitalisme
social-

démocrate

Type de
concurrence

Prix

Prix

Qualité

Qualité
Concurrence
par les prix

modérée

Qualité

Prix

Intervention
publique sur le
marché des
produits

Faible

Faible

Forte

Forte

Forte

Coordination
sur le marché
des produits

Prix

Prix

Hors-prix

Hors-prix

Hors-prix

Ouverture
internationale

Forte

Forte

Faible

Forte

Forte

Protection de
l'emploi

Faible*

Forte

Forte dans la
firme

Forte

Modérée

Politique
active de
l'emploi

Faible

Faible

Faible

Forte

Forte

Négociation
salariale

Décentralisée

Centralisée

Décentralisée

Coordonnée

Centralisée

Relations de
travail

Non

documentées

Conflictualité

coopératives

Conflictualité

coopératives

Financement
de l'économie

Marchés
financiers

Banques

Banques

Banques

Banques +
investisseurs
institutionnels

Sophistication/
diversification
des Liarches
financiers

Forte

Faible

Faible

Faible

Faible

Protection
sociale

Faible

Modérée

Faible

Forte

Forte

Taux de
scolarisation

Faible

faible

Fort

Fort

Fort

Formation
professionnelle

Faible

Faible

Faible hors-
firme

Forte

Forte

Compétences

Générales

Générales

Spécifiques**

Spécifiques

Spécifiques

Tableau des complémentarités environnementales des cinq capitalismes

54

Légende :

-2

Elément non durable important

-1

Elément non durable d'importance moyenne

+1

Elément durable d'importance moyenne

+2

Elément durable important

* La faible protection de l'emploi est un élément d'importance uniquement lorsqu'elle s'assortit d'une protection sociale élevée.

** Le développement de compétences spécifiques ne va dans le sens de la durabilité que s'il s'accompagne d'une politique de formation professionnelle étendue. En l'occurrence, les compétences spécifiques deviennent un handicap, en l'absence d'outils généralisés de reconversion.

3. Une avance des capitalismes social-démocrate et européen-continental sur le capitalisme libéral

Bien que la prudence soit de mise sur l'interprétation du tableau, les capacités d'adaptation aux enjeux environnementaux apparaissent différenciées d'un type de capitalisme à un autre.

a. Des enseignements à ne pas surévaluer

La mésinterprétation du tableau est un risque facile qu'il s'agit d'éviter. Préciser ce qu'il n'est pas permet de mieux expliquer ce qu'il est.

Le tableau ne donne pas un indice des capitalismes les plus durables ou les plus verts. Si cela avait été le cas, il aurait mobilisé des données telles que les émissions de CO2 liées à la production, à la consommation, etc. Il ne prend pas en compte ces variables réelles essentielles car il se situe à un niveau conceptuel.

Le tableau ne propose pas de « modèle à suivre ». En effet, nous savons qu'aucun des pays qui compose cette typologie n'a une empreinte écologique d'une planète69. En d'autres termes, aucune des économies ne repose sur des bases durables.

Une lacune vient ajouter des limites aux conclusions qui peuvent être tirées du tableau : il ne renseigne pas sur les compatibilités qui existent entre les institutions des capitalismes et la nécessité de développer la sobriété. Or, nous avons vu au début de cette étude que, pour diviser

69 WWF, rapport planète vivante, 2008.

55

par quatre les émissions de CO2 d'ici 2050, il était nécessaire de modifier les modes de production et de consommation mêmes pour faire place à davantage de sobriété. Cette capacité renvoie d'ailleurs autant à des éléments culturels qu'économiques : la logique du « toujours plus » doit être remplacée par une logique du « moins » (de carbone) et/ou du « mieux » (de qualité de vie). Or, si le tableau renseigne sur les facultés à susciter l'innovation, l'adaptation, la vision à long terme... il ne donne pas d'indications sur la sobriété.

En réalité, le tableau propose une grille d'analyse conceptuelle qui s'inscrit dans une démarche prospective : à l'avenir, les capitalismes possèdent-ils des caractéristiques qui les rendront aptes à prendre le chemin de la durabilité ? Les configurations institutionnelles sont-elles de nature à s'adapter aux différentes politiques environnementales qui devront s'étendre (cf. décrites dans l'échelle de radicalité du changement) ?

L'interprétation adéquate repose plutôt sur l'ampleur du changement institutionnel nécessaire. Les capitalismes qui, dans le tableau, comprennent le plus de cases vertes sont ceux qui seront les mieux adaptés à la mutation écologique des capitalismes. Pour eux, le changement institutionnel nécessaire sera d'une moins grande ampleur. Les institutions qui les caractérisent sont considérées comme plus facilement compatibles avec les institutions en vigueur dans une économie durable.

A l'inverse, les capitalismes représentés dans le tableau avec une part dominante de rouge devraient avoir plus de difficultés à faire face au défi environnemental. Les institutions qui les caractérisent sont jugées non compatibles avec une économie durable. Pour eux, le changement institutionnel nécessaire sera plus important, et la durabilité devrait donc être plus difficile à atteindre.

b- Capitalisme social-démocrate vs Capitalisme libéral

Ces précautions prises, nous pouvons passer à une analyse plus fine du tableau.

Le capitalisme social-démocrate apparaît comme le plus apte à prendre le tournant de la durabilité. Il possède en effet les caractéristiques de base qui permettent une bonne innovation, une rapide adaptation et une vision à long terme. L'intervention de l'Etat et la concurrence par la qualité laissent supposer que des éléments autres que quantitatifs pourront être pris en compte. L'existence d'une flexibilité externe combinée à une forte protection sociale et à une sécurisation des parcours accroît leurs capacités théoriques d'adaptation, tandis que la prégnance des banques autorise une vision à plus long terme. La seule ombre au tableau est en réalité petite : nous avons dit que l'ouverture internationale pouvait tendre à jouer un rôle négatif dans la mise en place de

56

politiques environnementales. Cependant, il s'agit d'une des relations les moins solidement établies.

Le modèle européen continental donne des résultats encourageants, similaires à ceux du modèle social-démocrate en de nombreux points. La différence fondamentale réside dans les institutions du marché du travail, où la faible flexibilité externe et la conflictualité laissent planer un doute sur la capacité d'adaptation rapide des firmes. Cet élément milite pour que la mutation écologique s'accompagne d'une politique sociale forte, rendant le changement plus acceptable, plus légitime et donc plus probable.

Le capitalisme asiatique se trouve à la croisée des chemins. Son interprétation est rendue difficile par le fait que certaines institutions aient des applications différentes selon qu'on se place dans ou hors la firme. Les liens entre l'Etat et l'économie, via les grandes firmes, peuvent constituer un atout, si l'avenir est à un nouveau type de planification, la « planification écologique »70. Le soupçon pèse principalement sur la capacité de reconversion des travailleurs, en l'absence de politique active de l'emploi, de forte protection sociale, et alors que ces travailleurs ont principalement développé des compétences spécifiques.

Le capitalisme méditerranéen apparaît comme peu préparé à la mutation écologique. Sa relative indépendance vis-à-vis des marchés financiers (encore que les problèmes actuels de dette souveraine suggèrent le contraire) constitue un facteur de prise en compte du long terme. Cependant, la majorité des caractéristiques de ce capitalisme s'inscrit en contradiction avec les exigences d'une économie durable.

Le capitalisme libéral de marché constitue, à quelques exceptions près, une sorte d'anti-modèle en matière de préparation aux mutations de l'économie durable. La prégnance de la compétitivité-prix, celle des marchés financiers, l'absence de protection sociale et de formation professionnelle, sont autant d'éléments qui suggèrent que le changement institutionnel pour arriver à une économie durable devra être considérable. Le tableau n'est cependant pas absolument noir : les compétences générales acquises par les salariés, et la forte flexibilité dont jouissent les entreprises, portent à penser que la main d'oeuvre pourra bouger d'un secteur à l'autre.

Le tableau des complémentarités a donc donné des enseignements d'importance : certaines économies ont des caractéristiques qui les rendent plus aptes à s'adapter à la mutation des capitalismes vers la durabilité. Pour elles, le changement institutionnel à venir sera moins conséquent. Ce résultat est compatible avec les travaux de Scruggs (2001) : à travers une étude empirique des années 1970 aux années 1990, elle démontre qu'il existe une corrélation entre

70 PERRET, op.cit.

57

l'existence d'institutions néocorporatistes et les bonnes performances environnementales71. Cette relation a été amplement discutée dans la littérature, avec des désaccords72 comme des corroborations73. Le néocorporatisme est défini comme l'institution d'une négociation entre l'Etat et les partenaires sociaux74. Or, les pays européens qui sont mis en avant dans le tableau sont justement des pays qu'on regroupe habituellement parmi les pays néocorporatistes.

Pour l'instant, nous avons utilisé une typologie des capitalismes existante, celle d'Amable, pour étudier les liens de ces capitalismes avec des facteurs qui favorisent la protection de l'environnement. Désormais, il s'agit d'ancrer davantage ces relations dans la réalité et de voir si, au niveau des pays, ce type de rapports à l'environnement coïncide avec les performances écologiques des pays. Globalement, les performances actuelles des pays valident-elles cette typologie ?

C) Un rapport à l'environnement qui a des bases empiriques

Il est clair que la partie précédente a donné des indices sur le niveau de préparation des capitalismes à la mutation écologique. Elle a donc mis en relation des idéaux-types de capitalisme avec des concepts (innovation, adaptation, long terme, sobriété), et elle en a dégagé des enseignements.

Dans cette partie, l'objectif est de « tester » la plausibilité de ces enseignements, à l'aune de quelques données empiriques. Cependant, notre tableau des complémentarités raisonnait en « capitalismes », alors que les chiffres disponibles sur les performances environnementales sont classées par pays. Dès lors, nous devons tout d'abord clarifier les liens qui existent entre les idéaux-types de capitalisme et les pays qu'ils représentent.

1 - D'une analyse de « capitalismes » à une analyse par pays

La frontière qui sépare les capitalismes n'est pas toujours nette. Dans tout effort de typologie, la limite doit nécessairement être fixée quelque part. En conséquence, certains pays possèdent des caractéristiques de plusieurs modèles. Ainsi, il peut exister un hiatus entre les caractéristiques d'un pays et celles du capitalisme idéal-typique auquel il est rattaché.

71 SCRUGGS, Is there really a link between neo-corporatism and environmental performance ? Updated evidence and new data for the 1980s and the 1990s, British journal of political science, 31, 2001.

72 NEUMAYER, Are left-wing party strength and corporatism good for the environment ? , Ecological Economics 45, 2002.

73 WARD, Liberal democracy and sustainability, Environmental politics, 17, 2008.

74 HALL, SOSKICE, Varieties of capitalism, the institutional foundations of comparative advantage, Oxford university press, 2001.

58

Les analyses d'Amable font ressortir une composition des capitalismes comme suit :

Capitalisme libéral de marché : Etats-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni

Capitalisme asiatique : Japon, Corée du Sud

Capitalisme européen continental : Pays-Bas, France, Allemagne, Suisse, Belgique, Norvège,

Irlande, Autriche.

Capitalisme social-démocrate : Danemark, Finlande, Suède

Capitalisme méditerranéen : Espagne, Italie, Portugal, Grèce.

La figure ci-dessous, réalisée par Amable, donne une image sommaire des cinq capitalismes : Sans entrer dans les détails de l'analyse d'Amable, l'axe horizontal sépare les pays ayant un système financier décentralisé, à gauche, de ceux ayant des marchés du travail « rigides », à droite. Le plan vertical peut être interprété comme la dimension de l'Etat-providence.

Source : AMABLE, Les Cinq capitalismes, p.222.

La représentation schématique des cinq capitalismes permet de rendre compte du caractère non évident du regroupement. Les capitalismes libéral, asiatique, méditerranéen et social-démocrate sont clairement distingués, sur chacun des axes. C'est, comme l'admet Amable, le capitalisme européen continental qui semble le plus hétérogène. Selon lui, l'analyse aurait pu

59

diviser ce groupe en deux groupes, l'un étant composé des Pays-Bas, de la Suisse voire de l'Irlande. Ces pays, par exemple, sont plus proches de certains pays libéraux ou sociaux-démocrates que de certains pays du modèle continental européen (tels que l'Autriche). Le regroupement des pays s'effectue cependant de la sorte :

Source : AMABLE, Les Cinq capitalismes, p.228.

Pour illustrer la différence qu'il peut exister entre les caractéristiques d'un capitalisme et celles d'un pays, prenons le cas de la France. Dans chacun des domaines étudiés, la France se retrouve classée avec des pays différents, en fonction des caractéristiques constatées. Le tableau ci-après en donne un aperçu :

Domaine

Pays classés avec la France

Éléments de différenciation

Marché des produits

Allemagne, Belgique

Règlementation coercitive,

règlementation économique, charges individuelles pour les PME

Protection de l'emploi

Finlande, Norvège, Autriche, Japon

Indicateurs de règlementation de l'emploi et de protection de l'emploi

Politiques de l'emploi

Portugal, Italie

Dépenses pour la jeunesse

60

Systèmes financiers

Allemagne, Autriche, Japon, Portugal, Espagne, Italie

Contrôle dispersé des firmes, investissement en capital-risque, Concentration de la propriété, crédit/PIB, part des obligations dans les bilans des banques...

Protection sociale

Allemagne, Autriche, Belgique, Suisse

Part des dépenses vieillesse, part des dépenses pour le survivant, part des dépenses santé

Formation tout au long de la vie

Aucun

Initiative forte de l'employeur, moyenne de l'individu

Système éducatif

Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Irlande

Dépenses par élève dans le primaire et dans le secondaire, nombre moyen d'années d'études

Source : AMABLE, Les cinq capitalismes, p.153 à 222, Seuil, Paris, 2005.

Ainsi, la France est classée avec des pays très différents, selon le secteur étudié. Par exemple, on s'aperçoit qu'elle est classée davantage avec le Japon (deux fois) qu'avec l'Irlande. Cela ne signifie pas qu'elle soit plus proche du capitalisme asiatique. Cela révèle simplement que l'analyse « par pays » et « par secteur » est plus proche de la réalité.

Toutefois, l'ensemble de ces variables a été agrégé par Amable, pour en aboutir à une typologie en cinq capitalismes. Ceux-ci ont une cohérence institutionnelle globale, et visent à donner une image de la réalité. Ainsi, aucun pays rattaché à un idéal-type ne partage davantage de caractéristiques avec un autre idéal-type. Dès lors, il est cohérent de vouloir rapprocher les complémentarités mises en avant pour les idéaux-types aux données empiriques correspondant aux pays.

2- Les vérifications empiriques consolident les enseignements

Les précautions prises précédemment nous ont permis d'éclaircir deux points :

· Les caractéristiques des Etats peuvent être différentes de celles présentes dans l'idéal-type auquel ils sont rattachés.

· Les Etats ont cependant davantage de caractéristiques en commun avec l'idéal-type auquel ils sont rattachés qu'avec d'autres idéaux-types.

61

Il s'agit désormais de tester les enseignements donnés par le tableau à l'aide de quelques données empiriques. Globalement, nous nous attendons à voir les pays appartenant au modèle social-démocrate ou au modèle continental européen, avoir de meilleures performances que les pays appartenant au modèle libéral ou méditerranéen.

Au vu de la différence qui existe entre pays et idéaux-types, il est possible qu'il existe des exceptions. Celles-ci doivent cependant rester marginales si l'on veut continuer à croire dans les enseignements donnés par le tableau. Il serait effectivement étrange de constater que malgré le fait que les pays sociaux-démocrates aient des caractéristiques a priori plus compatibles avec les exigences d'une économie durable, ceux-ci obtiennent les pires performances écologiques.

Quatre éléments complémentaires permettent de vérifier la plausibilité de nos complémentarités : les émissions de CO2, l'empreinte écologique, des indicateurs composites, et enfin le niveau de régulation environnementale.

a- les émissions de CO2

Tout d'abord, il est logique de mentionner les émissions totales des pays en équivalents de CO2, selon les chiffres données par l`Agence Internationale de l`Energie75, mesurées en tonnes de CO2/tête. Signalons d'emblée que ce type de données est imparfait : si un pays consomme de nombreux biens nécessitant beaucoup de carbone, mais les importe, ses émissions seront faibles. Pour mieux prendre en compte les effets des importations et des exportations, les émissions nettes sont plus pertinentes. Cependant, l'utilisation de ces chiffres reste peu habituelle.

Sans surprise, au classement des émissions de CO2/tête, les Etats-Unis arrivent premiers, avec 19,1 T/hab. Un deuxième pays du modèle libéral le talonne : le Canada (17,3 T/hab). Si l'Australie a des résultats similaires, le Royaume-Uni a des émissions beaucoup plus faibles (8,6 T/hab). Ensuite, parmi les pays étudiés, viennent les pays du capitalisme asiatique, autour de 10 T/hab. Les pays du capitalisme européen continental ont une moyenne de 7 T/hab, qui s'avère moins bonne que la performance suédoise (5 T/hab) mais bien meilleure que le résultat finlandais (12,1 T/hab). La moyenne des résultats est résumée par le tableau ci-après :

75 IEAS, International Energy Agency Statistics (2009), CO2 Emissions From Fuel Combustion, en ligne: http://www.iea.org/co2highlights/co2highlights.pdf

62

Type de capitalisme

Emissions totales moyennes de CO2 per capita

Méditerranéen

7,2

Européen continental

8,5

Social-démocrate

9,0

Asiatique

9,9

Libéral

16,0

Source : Agence Internationale de l`Energie

Ce tableau illustre les mauvaises performances des pays du capitalisme libéral. Les différences entre les autres capitalismes sont plus faibles. A noter la surprenante première place des pays du capitalisme méditerranéen, probablement explicable par leur PIB plus faible.

b- L'empreinte écologique

L'empreinte écologique qui caractérise les pays doit nous donner des indications supplémentaires. Pour faciliter la compréhension, il convient de savoir que chaque individu devrait n' « avoir droit » qu'à 1,8 ha. Il en résulte, par exemple, que si le mode de vie d'un habitant moyen du capitalisme libéral était étendu à la planète entière, nous aurions besoin de près de quatre planètes. Si l'outil est imparfait76, il est très pédagogique.

Comme le montre le tableau ci-après, les empreintes écologiques des pays ne semblent pas recouvrir les enseignements apportés par le tableau n°1. En effet, les pays européens ont des empreintes écologiques analogues. De façon inattendue, les pays asiatiques recueillent les meilleurs résultats. La dernière place des pays du capitalisme libéral entre, elle, dans le cadre de nos suppositions.

Type de capitalisme

Empreinte écologique totale moyenne des
pays (en ha/hab)

Libéral

7

Social-démocrate

5,2

Européen continental

5,2

Méditerranéen

5,2

Asiatique

3,9

76 PIGUET, BLANC, CORBIERE-NICOLIER, ERKMAN, L'empreinte écologique, un indicateur ambigu, Futuribles, n°334, octobre 2007

63

Source : Global footprint network, 2009, with 2006 data.

c- Les approches à partir d'indicateurs composites

En 1991, Benhaim, Caron et Levarlet77 analysaient les performances écologiques d'une centaine de pays, à partir de vingt indicateurs statistiques. Le niveau de développement, les conditions de production et leur consommation énergétique étaient pris en compte. Il en a résulté une classification selon deux axes, l'un lié au développement économique (horizontal), l'autre par émissions de CO2. Bien que ces travaux datent de bientôt vingt ans, ils donnent une image intéressant des différents modes de développement.

Source : Lipietz (1997), The post fordist world : labour relations, international hierarchy and global ecology, Review of International Political Economy, p.35.

Il apparaît que les pays européens sont les plus « propres ». La différence qu'on pouvait attendre entre les pays qui forment le « capitalisme social-démocrate » des pays qui forment le « capitalisme européen continental » n'est pas apparente : la Suède se trouve encerclée par quatre membres de ce deuxième type de capitalisme. Les mauvaises performances des Etats-Unis, par

77 BENHAIM, CARON, LEVARLET, La maîtrise des émissions de CO2, un accord international est-il possible ? , Mondes en développement, 1991.

64

contre, sont une nouvelle fois démontrées.

Outre cette représentation graphique intéressante, il existe des tentatives de réalisation de classements qui mettent en valeur les performances environnementales des pays. Les indicateurs composites ont des limites connues78 : la première d'entre elles est la difficulté à agréger des variables qui recouvrent des réalités différentes et qui ont une importance différente d'un pays à l'autre. Pour autant, ces indicateurs ont le mérite de prendre en compte une large palette d'éléments environnementaux importants.

Un classement réalisé par des chercheurs de Yale et de Columbia est devenu une référence en matière de performance environnementale : il s'agit de l' environmental performance index, qui a succédé au environmental sustainability index en 2006. Il se base sur des indicateurs de résultats et sur des benchmarks, autour de 25 indicateurs. L'indicateur établit « how close countries are to established environmental policy goals79 ». Cinq domaines sont étudiés : l'état de l'environnement, la limitation des pressions sur les milieux, la réduction de la vulnérabilité humaine, la capacité de réponse institutionnelle et le positionnement international.

Le classement 2010 donne le top ten suivant : Islande, Suisse, Costa Rica, Suède, Norvège, Maurice, France, Autriche, Cuba et Colombie. Comme pour l'empreinte écologique, nous avons jugé utile de calculer la performance moyenne des pays composant les cinq capitalismes :

Type de capitalisme

Score moyen à l'EPI index

Social-démocrate

76,60

Européen continental

73,86

Méditerranéen

69,25

Libéral

67,35

Asiatique

64,75

Les résultats donnés par cet indicateur confortent nos résultats concernant les pays les plus écolo-compatibles, mais pas concernant les pays les plus éloignés de la durabilité. En effet, si les pays du capitalisme social-démocrate sont les mieux classés, les pays libéraux ne sont pas, cette

78 MITCHELL, Problems and Fundamentals of sustainable development indicators, Sustainable development, 1996.

79 Environmental Performance Index (EPI), (2010), en ligne : http://epi.yale.edu/Countries

65

fois-ci, derniers.

d- La mesure de la « régulation environnementale »

Mesurer l'état de l'environnement dans les pays est une première manière de corroborer notre jugement sur la compatibilité des institutions de ces pays avec la protection de l'environnement. Une facette complémentaire mérite d'être explorée : il s'agit du niveau de régulation environnementale des pays. Il est attendu que les pays des capitalismes social-démocrate et européen continental présentent le plus grand interventionnisme en matière environnementale.

L'article de Esty et Porter, intitulé Ranking national environmental regulation and performance : a leading indicator of future competitiveness ?80, établit un classement du régime de régulation environnementale. L'index prend en compte la rigidité des régulations, leur structure, les subventions, l'exécution de ces mesures... Il mesure la qualité du système de régulation environnementale dans un pays. Il convient de préciser d'emblée que cet indicateur est étroitement lié au niveau de réglementation dans le pays81.

La Finlande se classe première, devant la Suède, Singapour, les Pays-Bas, l'Autriche et la Suisse. Un tableau, similaire aux précédents, nous permet de voir les performances des pays qui composent les différents capitalismes, et de tester de nouveau les enseignements tirés de notre tableau des complémentarités.

Type de capitalisme

Score moyen à l'Environmental regulator regime
index, avec correction de l'effet richesse

Social-démocrate

642

Européen continental

65

Libéral

-234

Asiatique

-363

Méditerranéen

-515

Source : ESTY, PORTER (2001).

80 ESTY, PORTER, Ranking national environmental regulation and performance : a leading indicator of future competitiveness ?, The global competitiveness report, 2001, p.93.

81 SIMOES, ESTER, cultural change and environmentalism : a cross-national approach of mass publics and decision makers, Ambiente & Sociedade, 7, 2004, p.90.

66

Le classement des systèmes de régulation environnementale est à rapprocher des complémentarités des capitalismes mises en avant au cours de cette étude. Les pays du capitalisme social-démocrate dépassent largement les autres pays. Les pays d'Europe continentale ont un système largement moins bien noté, souffrant de la mauvaise note de l'Irlande. La surprise provient des pays libéraux. Bien que leur classement ne soit globalement pas reluisant, ils obtiennent des résultats meilleurs que les pays du capitalisme asiatique et méditerranéen.

e- conclusions : un tableau des complémentarités plausible

Au final, que peut-on conclure des résultats donnés par ces études empiriques ? Confirment-ils ou infirment-ils nos résultats ?

Au travers de la palette de données et d'indicateurs étudiés, nous pouvons dire que, globalement, nos résultats pointent dans la même direction. Ainsi, les pays du capitalisme social-démocrate sont plutôt à la pointe des performances environnementales, et les pays du capitalisme libéral sont plutôt en retard. Pour certains critères, les pays d'Europe continentale ont des résultats similaires à leurs homologues du capitalisme social-démocrate. De même, les pays du capitalisme asiatique et méditerranéen se retrouvent plutôt dans le bas des classements, comme le tableau des complémentarités le laissait supposer.

La hiérarchie, cependant, est souvent bousculée. Pour certains indicateurs, les pays libéraux obtiennent des résultats acceptables, souvent meilleurs que ceux des pays du capitalisme méditerranéen ou asiatique. Il est curieux de remarquer que pour des données telles que les émissions ou l'empreinte écologique, les pays du capitalisme méditerranéen ne se distinguent pas des autres pays européens, alors que pour les indicateurs composites ils se placent derniers. Dans leur cas, un effet-richesse peut jouer, dans la mesure où ils sont globalement moins riches que les pays auxquels ils sont comparés.

En définitive, nous pouvons dire que ces données n'invalident pas les relations mises en avant. Les compatibilités environnementales mises en avant se retrouvent globalement dans les données trouvées. Par exemple, la bonne préparation des économies du capitalisme social-démocrate a été rendue plausible par pratiquement toutes les données affichées.

Cela ne signifie pas, en soi, que nos complémentarités sont validées, de même que des résultats contraires ne les auraient pas invalidées. Cependant, le fait que les économies sociales-démocrates et continentales-européennes aient de bonnes performances environnementales rend plausible le fait, suggéré par notre tableau, qu'elles soient mieux préparées aux enjeux environnementaux

67

Comme nous l'avons fait en distinguant les pays des idéaux-types auxquels ils sont rattachés, les chiffres et classements invitent cependant à considérer nos résultats avec prudence. En effet, d'un secteur à l'autre, d'un indicateur à l'autre, la hiérarchie peut être bousculée.

Au terme de cette partie, nous pouvons affirmer qu' « au vu de leurs caractéristiques, les pays du capitalisme social-démocrate semblent mieux préparés à la mutation vers une économie durable. En effet, le changement institutionnel dont ils ont besoin est moins conséquent que pour les autres modèles ».

Une telle affirmation pêcherait sans doute par un excès de concentration sur les aspects économiques et institutionnels. Or, le changement institutionnel est un processus politique. C'est cette dimension que nous allons explorer à présent. Elle permet de passer de la « capacité » à s'adapter à la « probabilité » de l'adaptation.

68

III L'improbabilité politique d'un changement institutionnel suffisant

La partie précédente nous a conduits à nous focaliser sur des éléments institutionnels, économiques et environnementaux. Nous avons pu constater que sur le point de vue des complémentarités institutionnelles, les pays du capitalisme social-démocrate ou européen-continental apparaissent plus à même de s'adapter aux défis de l'économie durable, c'est-à-dire qu'ils sont plus proches du changement institutionnel nécessaire.

Cependant, cette partie nous invite à prendre en considération le facteur politique, incontournable dans tout changement institutionnel. Elle vise, ainsi, à ajouter des facteurs de complexité à notre étude. Des éléments de science politique, tel que le système électoral, peuvent considérablement changer notre appréhension du sujet. En effet, dans quelle mesure les opinions publiques et les partis politiques sont-ils à même de soutenir le changement ? Comment le système politique influe-t-il sur la probabilité du changement ? Quelles sont les contraintes d'un changement institutionnel international ?

Nous procèderons en trois temps. Nous définirons tout d'abord le changement institutionnel et montrerons que des considérations électorales et culturelles sont à la base du changement institutionnel (A). Ensuite, nous explorerons les liens qui unissent les systèmes politiques avec le changement institutionnel, en particulier avec celui qui favorise la durabilité. Enfin, nous nous attarderons sur les possibilités d'un changement institutionnel négocié à l'échelle internationale (C). Ces nouveaux éléments nous permettrons au final de se demander si la soutenabilité passe par une sortie du capitalisme.

A) La dynamique du changement institutionnel, un processus politique

Les études précédentes de complémentarités ont oublié un aspect essentiel : le changement institutionnel se décide au niveau politique. Il dépend, dès lors, de considérations diverses et complexes. Après avoir expliqué la dynamique du changement institutionnel, nous explorerons la diversité des soutiens politiques aux mesures de protection de l'environnement.

69

1- Le changement institutionnel nécessite des soutiens politiques

Pour comprendre le changement institutionnel, il est important de comprendre les bases sur lesquelles reposent les équilibres institutionnels. Dans ce cadre, nous utilisons les mêmes concepts et hypothèses qu'Amable. Les institutions diverses forment un équilibre politique, c'est-à-dire une situation dans laquelle le conflit social est régulé. Le choix d'institutions est un choix politique ou le reflet de l'équilibre politique qui prévaut dans la société. Il existe dans nos démocraties une multiplicité d'intérêts mais également une divergence d'intérêts, lesquels réclament un mode de coordination et de compromis. Ce compromis, cependant, ne peut pas satisfaire l'ensemble des intérêts. Ainsi, Amable prend l'exemple de la négociation salariale qui, sur certaines bases, correspondra aux attentes des salariés, mais pas à celles des chômeurs.

La diversité des intérêts des agents est posée et crée des conflits. Elle est cependant mouvante, car influencée par les incitations diverses, le contexte économique ou culturel. Ils se divisent en différents groupes sociaux dont les intérêts sont comparables. Ces intérêts sont ensuite convertis en demande politique, à mesure que les idées véhiculées par les groupes sociaux sont canalisées par des idéologies, c'est-à-dire des systèmes de pensée organisés. Ainsi s'est rétréci le spectre des intérêts en un éventail plus restreint de groupes sociopolitiques exprimant des demandes politiques particulières. La coalition politique se formera à partir d'un « groupe social dominant », c'est-à-dire un agrégat de plusieurs groupes sociopolitiques. Une telle approche, basée sur les groupes, est fréquemment utilisée en théorie des institutions82.

Dès lors que les équilibres institutionnels reposent sur la stabilité du bloc social dominant, le changement institutionnel se caractérise par une rupture de cette coalition d'intérêts. La rupture peut avoir plusieurs causes, telles que l'évolution des attentes d'un groupe sociopolitique, l'incapacité à fédérer des intérêts devenus contradictoires, etc. Aujourd'hui, nos systèmes socio-économiques reposent sur des équilibres institutionnels qui ne favorisent pas la durabilité. A l'évidence, les blocs sociaux dominants n'expriment pas la volonté de mettre en place des réformes radicales pour converger vers un mode de développement durable. Dès lors, le changement institutionnel nécessaire à la mutation des capitalismes nécessitera une évolution du bloc social dominant, soit sous la forme d'une évolution interne (prise en compte croissante des problèmes écologiques par les mêmes groupes sociopolitiques), soit sous la forme d'un changement de bloc social dominant. La demande politique de changement devra ainsi parvenir à être suffisamment forte pour créer autour d'elle les contours d'un nouveau bloc social, animé d'attentes plus

82 SAFARZYNSKA, VAN DEN BERGH, Evolving power and environmental policy : explaining institutional change with group selection, Ecological Economics 69, 2010.

70

écologiques.

2- Le changement institutionnel lié à la force des demandes politiques

Les demandes politiques, exprimées notamment dans les programmes des partis politiques, sont difficiles à agréger à un niveau pertinent. Il nous semble plus pertinent d'utiliser les « european values surveys » ou « world values surveys », afin d'appréhender les opinions et les valeurs partagées par les citoyens de différents pays. Elles sont indispensables à la conduite du changement : « implementing global environmental policies will succeed only when based on unequivocal public support, particularly when such policies require fundamental lifestyle changes83 » (SIMOES, ESTER, 2002).

Tout d'abord, ces enquêtes montrent que la préoccupation environnementale est très largement partagée, dans les pays développés comme dans les pays en développement. Simoes et Ester, dans leur interprétation des résultats, insistent même sur un élément étonnant : dans les pays en développement, les citoyens expriment le souhait que les enjeux environnementaux priment sur les enjeux économiques. Les auteurs soulignent cependant que les citoyens militent pour la mise en place de mesures « douces », le moins contraignantes possibles : « The more that environmental policy instruments limit personal freedom and choice, the less these instruments meet with public support84 ». Selon Inglehart (1995), les populations qui soutiennent le plus les politiques environnementales sont soit les populations qui souffrent le plus de la pollution (d'où un niveau de conscience élevé au Sud), soit les pays les plus riches, où le niveau d'éducation est élevé, et les valeurs « postmatérialistes » majoritaires.

Dans le cadre de notre étude, il s'agit de savoir quelles sont les différences qui existent parmi les pays développés, afin de déterminer si les cinq capitalismes auront des chances similaires de changement institutionnel.

Une typologie, réalisée sur la base des world values surveys, réalisée par Inglehart et Welzel, permet de mesurer la place des « valeurs postmatérialistes ». Les politologues ont divisé les résultats de ces enquêtes selon deux axes qui expliquent 70% de la variance entre pays : valeurs séculières-rationnelles vs valeurs traditionnelles, valeurs de survie vs valeurs post-

83 SIMOES, ESTER, cultural change and environmentalism : a cross-national approach of mass publics and decision makers, Ambiente & Sociedade, 7, 2004

84 op.cit.

71

matérialistes. Ce dernier axe est celui qui nous intéresse : « people with postmaterialist values - emphasazing self expression and the quality of life - are much more apt to give High priority to protecting the environment than those with materialist values »85.

La carte montre que les valeurs post-matérialistes semblent étroitement liées au niveau de développement. Il est difficile d'en tirer des enseignements pour différencier nos cinq capitalismes, sauf peut-être pour les pays du capitalisme asiatique, qui affichent des niveaux de valeurs post-matérialistes relativement faibles. D'ailleurs, si l'explication par les valeurs postmatérialistes rejoint d'autres analyses reposant sur les valeurs86, elle est jugée insuffisante par plusieurs chercheurs87. Inglehart, cependant, tend à abonder dans le sens des capitalismes social-démocrate et européen-continental : « the public of the nordic countries and the Netherlands rank highest of all 43 publics in support of the environment ».

Source: Ronald Inglehart and Christian Welzel, Modernization, Cultural Change and Democracy, New York, Cambridge University Press, 2005: p. 64 based on the World Values Surveys.

85 INGLEHART, Public support for environmental protection, objective problems and subjective values in 43 societies, Political science and politics, 1995.

86 VOGEL, The protestant ethic and the sspirit of environmentalism : the cultural roots of green politics and policies, Zeitschrift fur Umweltpolitik und Umweltrecht, 3, 2002 ; voir aussi DIETZ, FITZGERALD, SHWOM (2005).

87 DUNLAP, YORK, The globalization of environmental concern and the limits of the postmaterialist values explanation, The sociological quarterly, 49, 2005.

72

Les enquêtes fournissent des éléments d'une grande utilité. Une question, notamment, s'avère d'une importance particulière. Elle est posée comme suit : dans quelle mesure seriez-vous prêt à payer davantage de taxes pour des buts environnementaux ? Une telle question donne des indications sur la préparation des opinions publiques à accepter le changement institutionnel nécessaire. Les résultats sont donnés par le tableau ci-dessous :

Capitalisme

Pays

Accepte la taxe 2005

Accepte la taxe (200?)

Européen

France

38

56

Allemagne

32

57

Pays-Bas

56

69

Belgique

45

47

Irlande

42

52

Norvège

75

76

Suisse

41

(non renseigné)

Social-démocrate

Danemark

67

71

Finlande

52

58

Méditerranéen

Italie

45

55

Libéral

Royaume-Uni

54

72

Australie

70

(non renseigné)

Canada

59

65

La différence entre les résultats des enquêtes dans le temps complique l'interprétation. Le tableau montre qu'en compagnie des pays sociaux-démocrates, les pays libéraux ont des opinions publiques également prêtes à agir. En comparaison, le score des pays du capitalisme continental apparaissent faibles. Néanmoins, il semble que dans les pays où il y a peu de régulation environnementale, il est moins douloureux de se déclarer favorable à son augmentation.

Ces résultats nous montrent cependant que dans les pays d'Europe continentale, il sera relativement difficile de fédérer un bloc social dominant sur des mesures telles qu'une plus grande taxation écologique. Ainsi, ils fournissent un éclairage nouveau à notre tentative de déterminer quel type de pays est le plus proche du changement institutionnel.

73

Des valeurs pro-environnementales suffisent-elles pour initier un changement politique ? Celles-ci doivent s'immiscer dans le système institutionnel pour changer le bloc social dominant, si elles veulent mener à un changement de politiques. Or, plusieurs études montrent qu'il existe un décalage important entre les valeurs et les votes ensuite exprimés. Ainsi, la poussée des valeurs écologistes devrait mécaniquement se traduire par une poussée des partis verts/écologistes. Or, comme l'expliquent Patulny et Norris (2005), « there are gaps in the conversion of environmental values into votes »88.

Source : World Values Survey, Tax and votes data, in Norris, Patulny (2005), p.11.

Ce tableau montre que les valeurs environnementales n'ont pas lien direct avec l'intention de vote pour un parti écologiste. Ainsi, les pays où les citoyens se disent les plus prêts à accepter une taxe environnementale ne sont pas ceux où les votes verts (ou apparentés) sont les plus forts. Cette situation peut être due à deux types de facteurs. D'une part, les citoyens semblent prêts à accepter des taxes lorsque leur pays n'est pas très interventionniste en la matière, et qu'en conséquence il ne leur en a pas imposé beaucoup. On note, à l'inverse, que l'acceptation des taxes en Allemagne ou en France a beaucoup diminué d'une enquête à l'autre, ce qui peut être dû à des phénomènes du type « nous avons fait assez d'efforts », selon l'interprétation de Norris et Patulny (2005).

88 PATLUNY, NORRIS, Sustaining interest : are green values converting to votes ? , International journal of environment, workplace and employment, vol 1, 2005.

74

D'autre part, le système politique peut constituer un élément explicatif pertinent. Le système politique favorise plus ou moins l'expression des votes pour les partis non hégémoniques. D'où l'importance de se pencher sur les différents systèmes politiques et leurs relations avec l'environnement, pour une approche plus fine de la probabilité du changement institutionnel.

B) Des systèmes politiques qui favorisent la protection de l'environnement

Pour l'instant, nous avons défini des configurations institutionnelles qui, du point de vue conceptuel, favorisaient la prise en compte de l'environnement. Le changement institutionnel nécessaire dépend, cependant, de facteurs politiques. Si les valeurs jouent un rôle dans le soutien aux coalitions au pouvoir, elles passent par le prisme du système politique. Ici, il s'agit de clarifier les interrelations qui existent entre les systèmes politiques et le changement institutionnel pro-environnemental.

1- Valeurs et votes nécessaires au changement institutionnel

Notre hypothèse de base est qu'un système politique sera vertueux sur le plan environnemental s'il permet la prise en compte des idées écologistes. Cette prise en compte peut soit s'opérer par une influence importante des partis verts ou écologistes, soit par l'appropriation de ces thèmes par d'autres forces politiques. Neumayer (2002) trouve une corrélation claire et robuste entre la force des partis verts/libertaires de gauche et de faibles niveaux de pollution. Ainsi, « the rise of ecologically oriented parties had thus a real impact on air pollution levels89 ».

D'autres forces politiques peuvent également jouer un rôle positif sur l'environnement si elles s'approprient les enjeux qui lui sont liés. Neumayer juge plausible que la force des partis de gauche traditionnels soit positivement liée à la protection de l'environnement, mais la démonstration empirique est beaucoup moins robuste. Dans une étude de 2006 sur les valeurs environnementales et celles des partis, il affirme : « left-wing parties and individuals are also more pro-environmental than their right-wing counterparts. Ecological economics is more likely to be supported by left-wing parties and individuals90 ». Cependant, pour Ward (2008), ces partis n'endosseront les programmes environnementaux que s'ils se sentent menacés par des partis écologistes. Or, ce type de configuration sera favorisé, ou non, en fonction du système politique.

89 NEUMAYER, are left-wing party strength and corporatism good for the environment ? Evidence from panel analysis of air pollution in OECD countries, Ecological Economics, 45, 2002.

90 NEUMAYER, The environment, left-wing political orientation and ecological economics, LSE research online. 2006.

75

2- Des votes dont l'éventualité dépend des systèmes politiques

Quels systèmes politiques favorisent la protection de l'environnement ? De nombreuses études existent sur la question. Nous ne mobiliserons que celles qui se révèlent directement utiles dans notre comparaison des capitalismes. Il existe également de nombreuses typologies de systèmes politiques. Par exemple, Lijphart (1999) proposait quatre éléments de différenciation : le nombre de dimensions des problèmes évoqués dans les programmes des partis politiques, le degré de disproportion du système électoral, le pluralisme des groupes d'intérêts et la rigidité constitutionnelle. D'autres indicateurs, tels que la concentration des partis politiques, ou la fragmentation du législatif, peuvent être pris en compte (Amable, 2005).

Ces différents éléments conduisent généralement à différencier deux systèmes politiques opposés. D'une part, le système majoritaire, dont le modèle de Westminster constitue la forme idéalisée. Il est le plus appliqué dans les pays du capitalisme libéral, mais également du capitalisme méditerranéen. Il possède une dizaine de caractéristiques (Lijphart, 1999), dont les suivantes revêtent un intérêt particulier pour notre étude :

- l'exécutif est à parti unique

- le système est bipartite

- le système électoral est majoritaire, à travers des systèmes favorisant des mécanismes du

type « le premier emporte tout »

- aucun contrôle de constitutionnalité.

A l'opposé, se trouve le modèle de consensus, « fondé sur la négociation entre des groupes d'intérêts organisés91 ». Il représente les pays sociaux-démocrates, mais également une partie des pays d'Europe continentale. Ses caractéristiques sont symétriques :

- exécutif de grande coalition

- système multipartite

- système électoral proportionnel

- contrôle de constitutionnalité.

Chacun de ces systèmes a ses avantages et ses inconvénients dans la conduite du changement écologique. Le système majoritaire, tout d'abord, présente l'avantage de minimiser le

91 AMABLE, op.cit.

76

nombre d'acteurs disposant d'un droit de veto. Amable démontre que les capitalismes libéraux sont ceux qui concentrent le plus faible nombre d'acteurs disposant d'un droit de veto92 : à mesure que la distance vis-à-vis du capitalisme libéral augmente, le nombre d'acteurs disposant d'un droit de veto augmente. Dans ce type de système, « même un petit changement de majorité politique peut avoir des conséquences énormes sur la structure institutionnelle et de là sur la structure des intérêts, tandis que les changements électoraux ne peuvent pas facilement se traduire en un changement politique dans les systèmes fondés sur les compromis institutionnalisés È93. Il en résulte que les pays du capitalisme libéral pourront plus facilement mettre en oeuvre un changement rapide et radical, malgré le fait qu'ils soient souvent dotés d'une certaine rigidité constitutionnelle (à l'exception du Royaume-Uni). Ainsi, ce type de système politique permet de passer plus facilement outre certains intérêts particuliers. Une telle analyse est compatible avec les travaux de Scruggs (1993), pour qui les démocraties avec des structures de pouvoir unifiées peuvent avoir de meilleures performances environnementales.

Cependant, ces systèmes ont des degrés d'ouverture faibles aux idées nouvelles telles que les idées écologistes. Le caractère « participatif » et « ouvert » du système politique influe positivement sur la prise en compte des problèmes environnementaux (JANICKE 94 , 1992). Ward (2008) définit l'ouverture par plusieurs critères tels que le nombre de partis, la taille des districts ou encore le niveau de proportionnelle. Ces systèmes qui se caractérisent par la recherche de l'électeur médian (Congleton, 1992) sont fondés sur deux partis hégémoniques. Ainsi, Amable montre une claire corrélation entre le niveau de concentration politique et l'appartenance aux capitalismes libéral ou méditerranéen. Dans le cadre de leur système électoral, le « vote vert » n'a souvent aucune utilité, ce qui freine l'émergence de ces forces politiques. De même, les partis hégémoniques ne se sentent pas menacés par ces forces et ne s'approprient pas forcément leurs combats. Ward ajoute un dernier handicap à ces systèmes : selon lui, il existe une corrélation nette entre l'existence d'un régime présidentiel et les mauvaises performances environnementales (en termes d'empreinte écologique)95.

En définitive, les pays du capitalisme libéral et, dans une certaine mesure, ceux du capitalisme méditerranéen laisseront difficilement les forces écologistes exercer une influence politique importante. Cependant, ce sont eux qui possèdent le plus grand potentiel de changement radical.

92 AMABLE, op.cit.

93 AMABLE, 2005, op.cit., p. 234.

94J ANICKE, conditions for environmental Policy sucess, an international comparison, The environmentalist, ,vol 12, 1992.

95 WARD, liberal democracy and sustainability, Environmental politics, 17:3, 2008.

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Sans surprise, les relations affichées par les démocraties de consensus avec l'environnement sont symétriques. Dans son ouvrage de 1999, Lijphart affirme que ce type de démocratie favorise la prise en compte de l'environnement. Leur capacité à s'engager sur des projets de long terme, suggérée par Amable, peut effectivement jouer un rôle positif. Surtout, l'ouverture de ces systèmes à des idées nouvelles ou minoritaires crée un terreau favorable à une influence croissante des forces écologistes. Ward (2008) va dans le même sens : « we expect better performance where the party system is more open to green entrants, or where exist small left-libertarian parties capable of bearing that message »96. Il ne trouve, cependant, pas de corrélation robuste.

Le handicap de ces systèmes en matière environnementale réside dans l'existence d'une multiplicité d'acteurs possédant un droit de veto. Ce système impose un compromis incessant, peu propice à l'instauration de changements importants et au sacrifice d'intérêts particuliers. Or, l'importance de la mise en place d'un changement radical a suffisamment été mise en avant dans cette étude. Amable tend à nuancer ce handicap qui pourrait être apposé aux démocraties sociales-démocrates. Selon lui, certains systèmes de consensus se caractérisent en même temps par un faible nombre d'acteurs ayant droit de veto. De plus, le nombre d'acteurs ayant ce droit est un élément d'appréciation important, mais pas suffisant. En effet, il peut être encore plus important de s'intéresser au type de coalitions au pouvoir. Si la différence entre les différents partis d'une coalition est importante, alors les possibilités de changement seront faibles. Cependant, la « distance aux extrêmes » (Tsebelis, 2002, Tsebelis et Chang, 2001) n'est pas nécessairement forte dans les démocraties de consensus, et dans ce cas des changements peuvent être conduits.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette étude des relations entre systèmes politiques et environnement. Tout d'abord, le système politique joue un rôle dans la capacité de protection de l'environnement, définie par l'OCDE (1994) comme la capacité d'une société à identifier et résoudre les problèmes environnementaux. Il facilitera plus ou moins l'émergence de partis écologistes puis, il encadrera plus ou moins l'action gouvernementale. Nous avons vu que les systèmes majoritaire et de consensus ont des caractéristiques opposées. Il s'ensuit que :

- les systèmes de consensus vont plus facilement prendre en compte les problèmes
environnementaux, mais sur la base d'un petit dénominateur commun. D'où une probable prise en compte dans le cadre d'une soutenabilité faible.

- Les systèmes majoritaires ont peu de chances de donner le pouvoir à des forces
écologistes. Cependant, si cela arrivait, leurs possibilités de mener à bien des changements

96 WARD, op.cit, p. 401.

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radicaux est plus importante.

Dès lors, la prise en compte de facteurs politiques complexifie notre approche du changement institutionnel. Désormais, le fait que les capitalismes sociaux-démocrates soient les plus mieux placés pour mener à bien la conversion écologique du capitalisme paraît moins clair. Un dernier élément de complexification mérite d'être ajouté : la dimension internationale du changement.

C) La négociation internationale tend à rendre moins probable un changement institutionnel d'ampleur

La dernière dimension politique intégrée à l'analyse - la dimension internationale - se situe sur un niveau différent. Il ne s'agit plus, comme dans les parties précédentes, d'évaluer la capacité des différents capitalismes à prendre le tournant écologique, sur la base de critères institutionnels, économiques et politiques. Ici, il s'agit d'inscrire le changement institutionnel au niveau environnemental dans son cadre naturel, le cadre international. Après avoir expliqué les raisons d'un positionnement à l'échelle mondiale, nous montrerons qu'à ce niveau la probabilité d'un accord international (2) et la probabilité qu'il soit exigeant (3) sont faibles est réduite.

1- Le besoin d'une coordination internationale

Jusqu'à présent, nous avons analysé la capacité d'un pays, ou d'un type de pays, à mettre en place des dispositifs de protection de l'environnement. Aujourd'hui, les gouvernements n'agissent pas suffisamment sur le front de l'environnement, alors qu'ils le pourraient. Nombreux justifient leur inaction sous prétexte que toute solution doit être mondiale. Or, la lutte contre le changement climatique peut être facilitée par le positionnement en leader de certains pays. Pour Rotillon, Pereau et Tazdaït (2002), le leadership de certains pays pour pousser les négociations est une condition essentielle de la conclusion d'un accord.

Cependant, l'action au niveau étatique a des limites. Tout d'abord, elle est globalement insuffisante pour lutter contre des problèmes mondiaux. De plus, dans la mesure où les Etats restent inscrits dans un marché mondial, ils n'ont pas intérêt à risquer de mettre en danger leur compétitivité pour des motifs environnementaux, pendant que d'autres pays se comporteront en passagers clandestins et pratiqueront le dumping environnemental.

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Pour répondre aux problèmes environnementaux qui concernent la planète dans son ensemble, il faut dès lors parvenir à une régulation environnementale mondiale. L'environnement est en effet un bien public mondial qui pourrait, dans les scénarios pessimistes, succomber à la « tragédie des biens communs » (The tragedy of commons, Hardin et Baden97, 1977). La coopération entière est cependant une manière de baisser les émissions, mieux que dans une situation d'équilibre de Nash (Finus, 2000). Depuis le sommet de la Terre de Rio (1992), les tentatives de mettre en place une régulation mondiale se sont succédé. Néanmoins, ces sommets n'ont jamais été à la hauteur des enjeux.

2- La probabilité d'un accord environnemental

Une approche réaliste ou néo-réaliste des relations internationales conduit à considérer les chances d'accord large avec circonspection. Bien que cette partie nous conduit à nous exprimer en termes de probabilités, elle ne contient pas de calculs proprement dits.

a- Un accord difficile sur l'environnement

Pour traiter des accords internationaux sur l'environnement (AIE), la mobilisation de la théorie des jeux est devenue fréquente, depuis Mäler (1989). Celle-ci définit des situations « coopératives » et « non-coopératives ». Dans les premières, l'ensemble des acteurs a le même intérêt à coopérer. Dans les secondes, hélas les plus fréquentes, les acteurs ont globalement intérêt à coopérer, mais pas forcément individuellement (Barrett, 1994). L'accord, en effet, crée les conditions où certains gagnent plus que d'autres.

Les négociations internationales sur l'environnement sont des situations non-coopératives. En effet, il s'agit souvent d'allouer un prix à un bien public, donc les participants doivent se partager le fardeau. En échange, ils pourront bénéficier d'une amélioration de la qualité de l'environnement. Cependant, l'incitation au « free-riding » (se comporter en passager clandestin) est considérable. Selon Finus (2000), « in areas such as global warming, spillovers as well as the absence of property rights create strong incentives to free-ride, which undermine cooperation98 ». Il existe, dans ce secteur, une claire distinction entre la profitabilité d'un accord et son optimalité, d'où l'absence de « main invisible ».

Il existe deux types de comportements en passager clandestin. D'une part, il y a une

97 HARDIN, BADEN, Managing the commons, Freeman and co, 1977.

98 FINUS, Game theory and international environmental cooperation, any practical application ?, 2000

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incitation à ne pas faire partie de l'accord : les acteurs peuvent profiter de l'amélioration globale de l'environnement sans en supporter les coûts. D'autre part, il y a une incitation à violer l'accord : dans certains cas, les bénéfices liés à la violation de l'accord sont supérieurs aux dommages. Par exemple, il peut exister d'importants gains - politiques notamment - à la signature d'un accord, et également d'importants gains - économiques notamment - à la violation de l'accord.

La divergence des intérêts est un autre élément qui rend improbable la conclusion d'un accord international. En effet, pour Bauer (1992), la probabilité d'un accord décroît à mesure que l'hétérogénéité des intérêts s'accroît. La valeur qu'accordent les pays à l'environnement, par exemple, peut considérablement varier d'un pays à l'autre. Les coûts du changement climatique sont différents d'un pays à l'autre : alors que la plupart des dommages écologiques se produisent au Sud, ce sont précisément les pays du sud qui prônent le plus le status quo (Lipietz, 1997). Parmi les pays du sud, pour des raisons géographiques évidentes, le Bangladesh est l'un des seuls à demander une régulation mondiale. En outre, la nécessité d'un développement économique conséquent n'est pas la même selon le niveau de richesse des pays. De plus, à la divergence d'intérêts s'ajoute une asymétrie d'information, favorable aux pays qui ont le moins intérêt à signer (Rotillon, Pereau, Tazdaït, 2002). On peut distinguer deux ou trois types de positions :

- celle des pays développés, pour qui la valeur environmentale tend à être élevée, et qui
portent sur eux la culpabilité historique de la situation climatique.

- Celle des pays en développement, pour qui le développement économique est
indispensable, davantage que la protection de l'environnement.

- Éventuellement, il est possible de différencier ce dernier type de pays des pays qui vivent
de l'extraction de ressources fossiles. Pour eux, la culpabilité est réelle, mais l'intérêt à la protection de l'environnement est faible.

b- Un accord probablement partiel

Les nombreuses incitations qui incitent à ne pas coopérer peuvent transformer la situation de théorie des jeux en « chicken game È99. Dans cette situation, deux groupes se forment : les pays signataires de l'accord, et les pays non signataires. Face aux comportements non coopératifs des non-signataires qui compromettent l'amélioration du bien-être global, plusieurs mécanismes sont explorés. Il s'agit, à travers eux, de faire en sorte que le nombre de signataires soit le plus grand possible.

99 CARRARO, SINISALCO, International environmental agreements, incentives and political economy, 1997.

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Premièrement, des mécanismes de transferts peuvent être adjoints à l'accord, de manière à compenser le désintérêt qu'ont certains pays à l'accord (il existe en effet des coûts asymétriques). Les transferts peuvent être monétaires ou prendre d'autres formes telles que les transferts de technologie. Cependant, si l'ajout de transferts augmente la probabilité que les pays réticents se joignent à l'accord, il augmente la probabilité que les Etats-parties le quittent. De ce fait, il vaut parfois mieux un accord partiel que l'inclusion de transferts trop importants (Hoel, Schneider, 1997). Deuxièmement, des menaces peuvent être formulées à l'encontre des pays non-signataires. En l'absence d'institution supranationale forte, nous n'explorons pas la possibilité de menaces adressées à un Etat pour qu'il signe un accord.

Troisièmement, il est possible de lier l'accord à d'autres accords. Notamment, les cas de lien entre un accord environnemental et un accord sur un sujet auquel tous les Etats ont intérêt peut être une solution : « issue-linkages to a club-good agreement can be a successful policy » (Barrett, 1997). Pour Finus, « from a theoretical point of view, linking several issues with each other can help to avoid asymmetric welfare implications, may help to enforce an AIE and may increase the participation rate ». Pour autant, certains auteurs ont identifié des situations où cette stratégie est contre-productive (Carraro, Siniscalco, 1997).

Ces incitations ont cependant des limites, et l'issue la plus probable est la conclusion d'un accord partiel. Pour Rotillon, Pereau et Tazdaït (2002), les situations non-coopératives provoquent des intérêts au free-riding, et les accords conclus ne peuvent être que partiels100. Empiriquement d'ailleurs, seuls des accords partiels ont été signés, comme en atteste le plus connu, le protocole de Kyoto. Les modèles d'étude des négociations environnementales se focalisent d'ailleurs souvent sur les caractéristiques des coalitions, excluant de fait la possibilité d'un accord global101. Pour certains, le but devrait plutôt être la signature de deux ou trois accords (Carraro, Siniscalco, 1997).

3- Un accord probablement a minima

Des doutes existent également sur l'ampleur de l'accord. L'enjeu, en effet, n'est pas simplement de réduire les émissions de CO2, mais plutôt de les réduire massivement. Le contenu des accords et leur résultat a fait l'objet d'une littérature réduite, due à la complexité de la démarche et à la difficulté à les tester empiriquement (Bloch, 1997, Yi, 1997). Deux éléments sont à prendre en compte : la stabilité de l'accord et son contenu.

100 ROTILLON (dir), régulation environmentale, Economica, 2002.

101 Voir par exemple le modèle de TULKENS, cooperation versus free-riding, in Régulation environmentale (dir Rotillon), Economica, Paris, 2002.

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La stabilité d'un accord (ou l'équilibre) est définie par Finus comme un état où les pays signataires n'ont pas d'incitation à quitter la coalition et les pays non-signataires n'ont pas d'incitation à y accéder. A l'évidence, plus les AIE seront stables, plus grande sera la protection de l'environnement. Pour qu'un accord soit stable, il faut qu'il y ait une désincitation au départ de la coalition102. Il s'agit, en outre, d'une stratégie pour limiter le free-riding qui consiste à violer l'accord délibérément. Pour ce faire, l'accord peut prévoir des voies douces, telles que la prévision d'un mode de règlement des litiges, ou des voies dures, telles que l'établissement de sanctions préétablies. Pour Finus, plus grandes seront les sanctions prévues, plus probable sera le respect de l'accord. Il constate cependant que ce type de solutions dures ne fait partie d'aucun accord jusque-là signé. A l'inverse, la solution douce, la moins efficace, faisait en 1991 partie de la plupart des accords (Barrett, Brown, 1991).

En outre, les accords seront stables s'ils se caractérisent par le « self-enforcement », c'est-à-dire leur capacité à se perpétuer d'eux-mêmes, sans régulation tierce. Le self-enforcement est favorisé par les accords qui prévoient des transferts de certains pays à d'autres.

Enfin, la stabilité dépend du type de monitoring prévu par l'accord.

Le contenu des accords est un élément d'une grande importance, à l'heure où l'on étudie la probabilité de l'adaptation des capitalismes aux exigences de l'économie durable.

L'accession aux accords est un acte volontaire de la part des Etats et de leurs représentants. Dès lors, « treaties must be individually rational » (Finus, p.7). Il en résulte que chaque Etat possède, en quelque sorte, un droit de veto quant à son contenu. Or, les désaccords sont inhérents à la structure divergente des intérêts. Par exemple, ils peuvent porter sur l'ampleur de la réduction des émissions nécessaire, l'allocation entre Etats du coût de la réduction, le niveau des compensations, l'identification des donneurs-nets et des receveurs-nets... La conséquence de cette constatation est de taille pour notre recherche : la nécessité d'aboutir au consensus réduit les prétentions de l'accord au maximum, pour en arriver au plus petit dénominateur commun. Comme l'affirme Finus, « for global pollutants where the number of countries affected by the externality is large, neither the globally optimal emission reduction nor the median country proposal are stable. The likelihood that the smallest tax or quota proposals are stable is higher, though for global pollutants very low ».

Ainsi, le résultat le plus probable d'une négociation internationale d'accords sur l'environnement est la signature d'accords partiels et a minima.

102 Au-delà de la désincitation naturelle qui a lieu lorsqu'on se place dans une situation où la négociation a lieu de manière répétée. Dans ce cas, les Etats doivent assurer leur crédibilité en ne quittant pas les accords.

Cette conclusion pessimiste peut être modifiée si l'on prend de la distance par rapport aux enseignements de la théorie des jeux. Celle-ci, en particulier, a tendance à oublier que des facteurs politiques, culturels ou autres (tels que l'image d'un pays ou les représentations des gouvernants) peuvent jouer un rôle, et provoquer un accord là où il semble improbable103. Toutefois, le fait que les Etats défendent prioritairement leurs intérêts nous semble être une hypothèse raisonnable pour expliquer la majorité des stratégies de négociation, ce qui rapproche notre conclusion pessimiste d'une conclusion réaliste.

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103 HOEL, SCHNEIDER, incentives to participate in an international agreement, environment and resource economics Ð 9, 1997.

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Conclusion :

Notre étude a traversé les champs académiques pour tenter de reconstituer les liens qui unissent différents systèmes à l'environnement. Si, à l'évidence, notre étude ne vise ni à l'exhaustivité ni de devenir prophétique, elle permet de jeter les jalons d'une réflexion qui peut être d'une grande importance. La relation entre capitalisme et environnement est en effet un débat qui n'en est qu'à ses prémisses et qui pourrait s'avérer crucial pour l'humanité. Dans ce jeu, la réflexion sur la diversité des capitalismes, et sur leurs conséquences éventuelles sur l'environnement, peut jouer un rôle éclairant.

Notre tâche ne peut être considérée que comme une première tentative, une ébauche même, d'étude de la capacité des différents capitalismes à s'adapter aux enjeux environnementaux. L'étude des cinq capitalismes constitue une entrée possible de ce type de questionnements, mais assurément pas la seule. Notre recherche, limitée par essence, invite à prolonger la réflexion et les réfutations. Elle a cependant le mérite de proposer des enseignements variés.

Une probabilité faible d'adaptation aux enjeux environnementaux

La première partie de notre raisonnement n'a pas accouché de nouveautés quelconques, dans la mesure où elle s'est attachée à démontrer l'importance de l'enjeu environnemental pour les décennies à venir. Nous avons tout d'abord confronté la prégnance de cet enjeu à la relative indifférence de la TR à son égard. En particulier, le fait que l'environnement constitue une menace pour le capitalisme en tant que tel, devait être posé, dans la mesure où les exigences d'une économie durable impliquent une mutation radicale des modes de production et de consommation.

Notre recherche s'est ainsi attachée à explorer un segment nouveau pour la théorie de la régulation : les relations qu'entretiennent les cinq capitalismes avec l'environnement. Au niveau du marchés des produits, du marchés du travail, des systèmes financiers, de protection sociale et d'éducation, il est possible de déterminer des caractéristiques institutionnelles qui vont dans le sens de la durabilité, notamment lorsqu'elles favorisent l'innovation, l'adaptation, le long terme ou la sobriété. A la lumière des compatibilités dégagées, le capitalisme social-démocrate et, dans une moindre mesure, le capitalisme continental-européen semblent institutionnellement mieux placés pour entamer la mutation écologique de leur capitalisme. A l'inverse, le capitalisme libéral et le capitalisme méditerranéen nécessitent un changement institutionnel bien plus important pour s'adapter aux exigences de l'économie durable. Le capitalisme asiatique se situe, lui, entre les deux groupes, combinant caractéristiques pro-environnementales et anti-environnementales. Si la confrontation de ces enseignements avec des données sur les performances environnementales

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actuelles des pays montre que nos résultats ne sont pas dénués de fondement empirique, elle montre également qu'au-delà des idéaux-types, la situation est beaucoup plus complexe.

Pour évaluer la probabilité qu'un des pays de ces capitalismes se situe en pionnier de l'économie durable, il était essentiel d'incorporer des éléments politiques à notre analyse. En effet, le changement institutionnel dépend de l'évolution des équilibres politiques suis sous-tendent les démocraties. Toutefois, il dépend surtout de la manière dont les systèmes politiques filtrent les demandes des citoyens. L'étude des caractéristiques des systèmes politiques conduit à nuancer et à complexifier notre analyse des facultés d'adaptation des différents capitalismes. Il semble que les pays du capitalisme social-démocrate et continental-européen soient ouverts aux idées écologistes, mais qu'ils puissent difficilement accoucher de changements de cap radicaux. La situation est exactement inverse pour les pays du capitalisme méditerranéen et libéral. La nécessité de négocier une régulation internationale conduit à rabaisser les perspectives d'adaptation de tous les capitalismes confondus, en ce que la théorie des jeux enseigne que les accords seront probablement partiels et a minima.

La question de la sortie du capitalisme

Cette analyse invite à douter de la capacité des capitalismes à prendre le tournant de l'économie durable. Leurs institutions économiques mais aussi politiques sont des obstacles qui s'ajoutent les uns aux autres. A l'évidence, l'avenir s'accompagnera d'éléments aujourd'hui insoupçonnés, mais il semble aujourd'hui que ces obstacles seront de taille. Si aucun capitalisme ne parvient à s'adapter aux enjeux écologiques, alors la question du capitalisme en tant que tel doit être posée.

Pour de nombreux auteurs, le capitalisme est intrinsèquement non durable. Pour BLOFF, «écologie et capitalisme se nient l'un l'autre. (É) L'humanité se trouve devant une situation inédite. Elle doit décider si elle souhaite continuer à vivre, ou si elle préfère sa propre autodestruction 104Ó. Les contradictions entre la logique capitalisme et la préservation de l'environnement ont fait l'objet d'une littérature aussi intéressante qu'abondante. Elle prend souvent appui sur l'intuition de Marx de l'existence d'une « faille métabolique » (metabolic rift), pour caractériser le fait que le capitalisme a créé une césure entre les systèmes économique et le système naturel, entre les hommes et la nature. La séparation entre la logique capitaliste et la logique se protection de l'environnement prend plusieurs formes, pointées par Rousseau et

104 BLOFF, article publié sur le site belge de l'association des réfugiés de l'Amérique Latine et des

Caraïbes,

http://www.arlac.be/francais/Ecologie%20et%20capitalisme%20se%20nient%20l%20un%20a%20l%20 autre.htm

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Zuindeau (2007).

Tout d'abord, le capitalisme est un mode de production qui repose sur l'accumulation du capital. Le fait que l'accumulation du capital soit durable ou non durable dépend des objectifs qui lui seront assignés. Or, « le capitalisme confère la primauté au pôle valeur d'échange [par rapport au pôle valeur d'usage], qu'il s'agit de faire évoluer quantitativement ». A l'inverse, la protection de l'environnement implique que soient pris en compte les besoins humains et les équilibres naturels. Dans de nombreux domaines, ces deux logiques s'ignorent complètement.

La propriété privée, étendue à toutes les sphères, ne constitue pas une solution en soi aux problèmes environnementaux. En effet, « si l'objectif du propriétaire est la maximisation d'un gain financier actualisé, l'atteinte de ce dernier peut tout à fait s'obtenir au travers d'un épuisement de la ressource détenue et le placement financier des recettes perçues105 » (Rousseau, Zuindeau, 2007).

Le capitalisme utilise pour l'accumulation du capital des « ressources fictives ». Pour Polanyi, la monnaie, le travail et la terre font partie de ces ressources. Ces marchandises sont créées et reproduites en dehors de tout contrôle économique humain. La recherche de l'accumulation du capital invite à exploiter ces ressources gratuites, ce qui conduit à un « conflit des logiques » (Passet, 1979) entre capitalisme et environnement. Ainsi, pour Foster (2001), « capitalist economies are geared first and foremost to the growth of profits, and hence to economic growth at virtually any cost--including the exploitation and misery of the vast majority of the world's population. This rush to grow generally means rapid absorption of energy and materials and the dumping of more and more wastes into the environment--hence widening environmental degradation 106». Il s'ensuit que le processus d'accumulation de valeurs risque d'aller de pair avec un processus de désaccumulation du capital naturel (Benton, 1989).

Ces relations conflictuelles entre capitalisme et environnement sont à relier avec ce qui a été théorisé comme la « seconde contradiction du capitalisme » par Marx et ses successeurs107 : le capitalisme tend à surexploiter les sources de création de richesse, ce qui menace la génération durable de richesses108. La Terre reste considérée comme un « cadeau » que doit utiliser le capital. La logique invite alors à déplacer les problèmes environnementaux, comme en attestent ces « solutions » consistant à enterrer les déchets profondément ou à les envoyer dans l'espace. La formule « après moi le déluge », utilisée par Marx, rend compte de cette logique. Pour Foster (2001), la surexploitation des ressources n'a aucune raison de s'affaisser : « Nor is there any

105 ROUSSEAU, ZUINDEAU, op.cit.

106 FOSTER, Ecology against capitalism, Monthly review, vol 53, n°5, 2001.

107 Voir O'CONNOR, is sustainable capitalism possible ?, in ALLEN, food for the future, John Wiley & sons, Londres, 1993.

108 Marx : «capitalism saps the vitality of the everlasting sources of wealth», cité par Foster, op.cit.

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prospect that this will change fundamentally, since capitalism is in many ways a system of unpaid costs ».

En outre, dans le capitalisme, la nécessaire valorisation du capital s'opère sur une base individuelle, et non collective. La création maximale de valeur exerce une pression à la réduction de tous les types de coûts. Si cette réduction des coûts peut avoir des effets bénéfiques dans de nombreux cas, elle peut également s'effectuer aux dépens de l'environnement. Ainsi, la tendance va être à l'externalisation des coûts, et notamment de ceux qui pèseront sur les générations futures. Par exemple, le coût de l'utilisation du charbon dans l'industrie pèsera sur les générations futures, sous la forme de dérèglements climatiques. Néanmoins, tant que le charbon sera un moyen efficace de générer des profits individuels, et en l'absence d'incitations contraires, il sera utilisé. Selon Foster (2001), les économies capitalistes avancées sont étroitement liées à l'émission excessive de CO2. Malgré les prises de conscience croissantes dans les années 1990, ni l'administration Clinton aux Etats-Unis, ni le Japon, ni la plupart des pays européens n'ont pu empêcher leurs émissions d'augmenter par rapport à 1990.

La force de certains intérêts capitalistes individuels agit à l'encontre des tentatives de régulation environnementale mondiale. Foster (2001) y voit la cause de l'échec (relatif) des négociations de Kyoto (1997). L'inégalité des intérêts en jeu a conduit à un arbitrage dont l'environnement a été le parent pauvre : « When set against the get-rich-quick imperatives of capital accumulation, the biosphere scarcely weighs in the balance. The emphasis on profits to be obtained from fossil fuel consumption and from a form of development geared to the auto- industrial complex largely overrides longer-term issues associated with global warming109 ».

Enfin, le capitalisme visant une accumulation sans fin du capital, il se situe dans une logique du « toujours plus ». La quête des profits individuels est à la racine de la société de consommation, dont on a mentionné les effets pervers sur l'environnement. Perret doute des capacités d'évolution du capitalisme : « on ne voit pas comment un système dont le développement s'est appuyé sur l'exaspération du désir de possession pourrait s'accommoder d'une culture de la sobriété, de l'auto-contrainte et de la responsabilité collective 110È. Cette interrogation renvoie aux liens qui unissent capitalisme et croissance. Nombreux sont ceux parmi les décroissants qui notent une contradiction finale entre capitalisme et écologie. Selon eux, le capitalisme, parce qu'il implique une accumulation sans fin du capital, est viscéralement lié à la croissance. Or, une

109 FOSTER, op.cit.

110 PERRET, Le capitalisme est-il durable ?, carnets nord, Paris, 2008, p.118.

croissance infinie dans un monde fini est inconcevable111. Dès lors, il est possible que la logique capitaliste ne soit pas compatible avec la finitude du monde. Cependant, sur le plan conceptuel, il est possible de différencier capitalisme et croissance, plusieurs périodes capitalistes de l'histoire ayant été caractérisées par l'absence de croissance. Bien que ces arguments soient intéressants et parfaitement audibles, il n'est donc pas certain qu'ils soient au coeur des relations entre capitalisme et environnement.

Pour sauver la planète, s'agit-il donc, comme le suggère Hervé Kempf dans le titre de l'un de ses ouvrages les plus récents, de sortir du capitalisme ? La question est d'une ampleur telle que nous ne saurions y répondre avec aplomb. Seuls peuvent être rappelés deux éléments de notre démonstration, particulièrement utiles à ce stade :

- Il y a une diversité de capitalismes, et leurs relations à l'environnement sont diverses. Dès
lors, il existe des capitalismes plus ou moins compatibles avec la protection de l'environnement.

- Il est douteux qu'un des capitalismes puisse s'adapter aux exigences de la soutenabilité
forte, en raison d'éléments économiques et politiques. Cela peut être dû à l'antagonisme qui existe entre la logique capitaliste et la protection de l'environnement.

A la lumière de ces enseignements, il apparaît, comme le disent Rousseau et Zuindeau (2007), que « le capitalisme lui-même ne devrait pas sortir indemne d'une confrontation avec les exigences requises par le développement durable ». Pour autant, si la mutation est partout nécessaire, elle ne doit pas être uniforme. Les conversions écologiques pourront alors s'appuyer sur certains éléments des capitalismes préexistants, et prendre des formes diverses. Elles pourront consister à un dépassement de certaines logiques capitalistes, mais peut-être pas de tous les éléments constitutifs de nos systèmes économiques. Dès lors, à la question « faut-il sortir du capitalisme ? », nous répondons « cela dépend de ce que nous appellerons encore le capitalisme ».

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111 GEORGESCU-ROEGEN, Demain la décroissance, Pierre Marcel Favre, Paris, 1979.

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Table des matières

Introduction

Quelques définitions....8 Une étude fondée sur la diversité des capitalismes....10 Institutions et performances.....11 Objectifs de l'étude...11 Des éléments mis de côté par l'étude...13 Éléments méthodologiques...14 Difficultés rencontrées...15 Annonce du plan...16

I La nécessité d'étudier l'environnement comme un facteur de mutation des capitalismes

A) L'intégration jusqu'à présent marginale de l'environnement dans la théorie de la

régulation .18

1- La TR, un courant hétérodoxe qui intègre peu l'environnementÉÉÉÉÉÉÉÉ.18

a- Un courant hétérodoxe...18

b- L'environnement, oublié de la théorie de la régulation....18

2- Etat des lieux des travaux régulationnistes sur l'environnementÉÉÉÉÉÉÉÉ19

a- L'environnement, intégré via des études thématiques...20

b- Une ambition d'intégrer l'environnement dans la théorie de la régulation...20

c- Une analyse des capitalismes en lien avec l'environnement .22

B) Des défis environnementaux qui menacent le capitalisme 23

1. La menace sur l'environnement............................................................... 24

a. Des problèmes environnementaux qui s'accumulent 24

a. Le changement climatique, problème le plus global...25

2. É menace pour les capitalismesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.26

C) A la veille d'une mutation des capitalismes 28

1. Une exigence de durabilité forte............................................................... 29

a. La durabilité faible, compatible avec l'économie néoclassique 29

b. La durabilité forte, objectif pertinent des politiques publiques 30

2. Des leviers divers pour une mutation d'ampleur.......................................... 31

a. Des objectifs ambitieux qui rendent nécessaire l'intervention publique...31

b. Des bâtons, des carottes et des sermons...33

c. Construction d'une échelle pédagogique de radicalité du changement.....35

II La diversité des capacités d'adaptation des cinq capitalismes

A) Des institutions plus enclines à favoriser la durabilité .39

1. Marché des biens et services et environnementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.39

2. Marché du travail et environnement ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ. 43

3. Systèmes financiers et environnement ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.46

4.

95

Protection sociale et environnement ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.47

5. Système éducatif et environnement ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..48

B) Agrégation des complémentarités : l'Europe sociale-démocrate et continentale en bonne

position .50

1- Précisions méthodologiques ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ50

2- Tableau des complémentarités ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ52 3-Une apparente avance des capitalismes social-démocrate et européen-continental ...54

a. Des enseignements à ne pas surévaluer 54

b. Capitalisme social-démocrate vs Capitalisme libéral 55

C) Un rapport à l'environnement qui a des bases empiriques 57

1 - D'une analyse de « capitalismes » à une analyse par pays ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 57
2- Les vérifications empiriques consolident les enseignements ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ60

a. Les émissions de CO2 61

b. L'empreinte écologique .62

c. Les approches à partir d'indicateurs composites 62

d. La mesure de la « régulation environnementale » ..64

e. conclusions : un tableau des complémentarités plausible 65

III L'improbabilité politique d'un changement institutionnel suffisant

A) La dynamique du changement institutionnel, un processus politique 67

1- Le changement institutionnel nécessite des soutiens politiques ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 67

2- Le changement institutionnel lié à la force des demandes politiques ÉÉÉÉÉÉÉÉ68

B) Des systèmes politiques qui favorisent la protection de l'environnement .73

1- Valeurs et votes nécessaires au changement ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ...73

2- Des votes dont l'éventualité dépend des systèmes politiques ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ74

C) La négociation internationale diminue la probabilité du changement institutionnel 78

1 Le besoin d'une coordination internationale ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ78

2- La probabilité d'un accord environnemental ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ

79

a- Un accord difficile sur l'environnement

79

b- Un accord probablement partiel

.80

 

3- Un accord probablement a minima ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ

81

Conclusion

Une probabilité faible d'adaptation aux enjeux environnementaux 83

La question de la sortie du capitalisme 85






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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera