WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La crise de la première période intermédiaire en Egypte pharaonique


par Mamadou Lamine Sané
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maîtrise 2007
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1

UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE

DAKAR

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT D'HISTOIRE

RECHERCHES SUR LES MANIFESTATIONS,

CAUSES ET CONSEQUENCES DE LA CRISE

DE LA PREMIERE PERIODE

INTERMEDIAIRE

THEME

Présenté par

Mamadou Lamine Sané

Sous la direction du

Année Académique

2006-2007

Professeur Babacar Sall

DEDICACES

2

Je DéDIe Ce MéMOIRe À MA MèRe eT À

TOUs CeUX QUI sONT ARRAChés À

NOTRe AffeCTION PAR le TOUT

PUIssANT.

3

REMERCIEMENTS

Nous remercions Allah de nous avoir donné la capacité et la force de réaliser ce travail.

Nous remercions nos chers parents (notre père, nos tantes ainsi que nos frères et soeurs).

Nos remerciements vont également à notre directeur de mémoire et à tous les enseignants qui ont participé à notre formation.

A nos amis du département d'histoire et à ceux de l'amicale des étudiants de la communauté rurale de Bona.

A tous ceux qui nous ont assistés par leur soutien moral ou matériel.

4

Liste des abréviations

o A.E. : Ancien empire.

o F.L.S.H. : Faculté des Lettres et Sciences Humaines.

o H.G.A. : Histoire Générale de L'Afrique

o I.F.AN. : Institut Fondamental d'Afrique Noire.

o M.E. : Moyen empire.

o P.P.I. : Première Période Intermédiaire.

o P.U.F. : Presse Universitaire de France.

o U.C.A.D : Université Cheikh Anta DIOP.

5

PLAN

Introduction générale ..................

.. .

Première Partie : Présentation générale de l'Egypte sous la crise de la Première Période Intermédiaire ......

Chapitre I : Les bouleversements socio-politiques de la fin de

l'Ancien empire ..

Chapitre II : l'Effondrement de la civilisation .....

Deuxième Partie : La crise ...............................

Chapitre I : Le contexte

Chapitre II : Les facteurs générateurs dans l'éclatement de la violence.

Troisième Partie : Les conséquences

..

Chapitre I : Au plan politique et religieux Chapitre II : Renouveau culturel

Conclusion

BIBLIOGRAPHIE .s..s.

6

INTRODUCTION GENERALE

L'histoire de la civilisation pharaonique concerne les époques les plus reculées de l'histoire des hommes. De ce point de vue, son étude permet d'éclaircir des questions aussi importantes que par exemple la formation de l'Etat, la naissance de la religion, des arts et des sciences.

Il est en effet établi que c'est aux environs de -3200 qu'un souverain du nom de Narmer (le légendaire Menés des Grecs) opère l'union des Deux-Terres (La Haute et la Basse Egypte) sous l'autorité d'un maître unique (Cl. Lalouette., L'empire des Ramsès, Paris Fayard, 1985, p.12 ; M. A. Bohème., L'art égyptien, Paris P.U.F., 1992, p.44). Avec cette unification, s'ouvre l'histoire d'un Etat qui continue encore de fasciner les historiens. En effet, de sa formation vers la fin du IVe millénaire à sa réduction en une simple province de l'empire romain, vers -30, la monarchie pharaonique va traverser plus de 30 siècles d'existence et devient du coup, dans l'histoire de l'humanité, l'Etat qui a gardé le plus longtemps une structure et des instituions cohérentes. Ceci pour dire que l'Etat des pharaons n'est pas seulement intéressent par son antiquité mais elle l'est aussi par sa continuité. Comment un Etat, constitué à cette haute antiquité, a pu se maintenir à travers des dizaines de siècles, en conservant sa forme et ses structures? Examiner les aspects liés à cette question revient à étudier l'évolution de la civilisation égyptienne, dans ses différentes phases de composition et de recomposition.

Comme l'a affirmé J. Vercoutter, « Au cours de ses 4000 ans d'histoire, [l'Egypte] a éprouvé toutes les vicissitudes qui peuvent s'abattre sur une société humaine : guerres civiles, anarchie, famines, invasions étrangères, querelles religieuses, rien ne lui a été épargné. Elle a tout connu... » (J. Vercoutter., l'Egypte ancienne, Paris, P.U.F, 2003, p.9). Ce texte de J. Vercoutter laisse apparaître une situation : c'est le fait qu'à côté des périodes fastes qui ont vu la civilisation égyptienne s'épanouir, il y a eu des époques de crise. Autrement dit, derrière cette continuité exceptionnelle qui caractérise cette civilisation, il y a eu des alternances de périodes stables et des époques de crise.

C'est partant de ce constat, que l'égyptologie moderne va diviser l'histoire de l'Egypte entre les phases appelées « empires » et les « périodes intermédiaires ». Les empires correspondant à des périodes stables, où toute la basse vallée du Nil est soumise à l'autorité d'un souverain unique, qui garantit l'ordre et la prospérité à son peuple. En revanche, les périodes intermédiaires sont des périodes de crise pendant lesquelles l'Egypte se trouve

7

morcelée en royaumes pratiquement indépendants et rivaux, faisant en même temps face à un appauvrissement économique et à des invasions étrangères (G. Posener, S. Sauneron et J. Yoyotte., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Fernand Hazan, 1992, p.135 ; Bohème M.A., Forgeau A., Pharaon. Les secrets du pouvoir, Paris, Armand Colin, 1998, p.43).

Suivant cette division, nous nous sommes intéressés à la crise qui a marqué la période dite Première Période Intermédiaire et qui fait suite à l'Ancien empire.

En effet, au cours de ses différentes phases d'accomplissement, la civilisation égyptienne a connu une première brillante période appelée Ancien empire (A.E. en abrégé) (B. Sall., « Les luttes politiques dans l'Ancien empire égyptien », in, Notes africaines, no 173, I.F.A.N., 1982, p.10). Cette période qui correspond aux IIIe, IVe,Ve et VIe dynasties, est datée d'entre -2778 à -2423 ( E. Drioton J. Vandier., L'Egypte des origines à la conquête d'Alexandre, Paris, P.U.F., 1984, p.167) ou bien de -2700 à -2190 ( N. Grimal., Histoire de l'Egypte ancienne, Paris, Fayard, 1988, p.108). Ce fut une période qui avait vu la monarchie, instituée à l'époque thinite (I ère et IIe dynasties), atteindre son apogée avec une organisation étatique perfectionnée, contrôlant les biens et les hommes du pays et capable d'assurer la sécurité des frontières comme l'approvisionnement en produits extérieurs. Sous l'A.E., la monarchie a su développer un système politico-idéologique qui a regroupé tous les pouvoirs aux mains du pharaon. Ce dernier devait être à la tête d'une administration fortement centralisée avec des fonctionnaires à qui, il déléguait ses pouvoirs. Grâce à ce système, l'Egypte allait connaître une période de stabilité, de prospérité économique et de développement culturel pendant plusieurs siècles. L'une des marques les plus visibles de la grandeur de la civilisation égyptienne à cette époque dite A.E, est la construction de ces gigantesques complexes funéraires que sont les pyramides. D'où le terme d'époque des pyramides employé aussi pour désigner cette période.

Cependant, après avoir traversé plusieurs siècles de paix sociale, d'unité politique et de prospérité, l'A.E. va connaître une fin difficile, marquée par un bouleversement politique et social de grande envergure (Cf., B .Sall., op.cit., 1982, p.10). Ces événements qui intervinrent vers la fin de la VIe dynastie, devaient marquer en même temps les débuts d'une période sombre de la civilisation égyptienne. Celle-ci va perdurer jusqu'aux environs de -2050, c'est-à-dire à l'avènement du Moyen empire (M.E. en abrégé), considéré comme la seconde période faste de la civilisation égyptienne. C'est donc cette période sombre qui sépare l'Ancien du Moyen empire que les égyptologues ont désigné sous le terme de « Première Période Intermédiaire » (P.P.I. en abrégé) (N. Grimal., op.cit., 1988, p.172).

8

La P.P.I. est une période de crise politique et sociale qui a vu la monarchie pharaonique sombrer dans l'anarchie. Pendant près de deux siècles l'Egypte allait être privée de sa royauté qui, comme on l'a évoqué tantôt, a été la garante de l'ordre social, de la prospérité économique et de la sécurité de ses frontières. Le Delta oriental allait être sous occupation étrangère et le pays devait se morceler en entités politiquement indépendantes et rivales. Aussi, les traces des grands édifices comme les pyramides (qui sont les témoins les plus visibles de la grandeur de la civilisation égyptienne à l'A.E.) sont absentes durant cette époque.

Il apparaît ainsi, que cette phase de l'histoire égyptienne dite P.P.I., a été une époque politiquement et culturellement décadente par rapport à l'Ancien et au Moyen empire.

C'est par rapport à cette situation de décadence entre deux des périodes considérées comme étant les plus achevées de la civilisation égyptienne, que l'étude portant sur la P.P.I., nous semble importante.

En suivant l'évolution historique de l'Egypte entre l'Ancien et le Moyen empire, un certain nombre d'interrogations nous sont venues à l'esprit.

Qu'est ce qui peut expliquer qu'un Etat aussi puissant que celui de l'A.E., sous lequel la civilisation égyptienne allait connaître une brillante période, puisse, à un certain moment donné de son évolution, décliner pour s'effondrer ensuite?

Comment est intervenue cette situation d'effondrement et comment elle s'est manifestée?

Etant donné que la situation de déclin a été momentanée, quels effets a-t-elle eu sur la monarchie qui s'est reconstituée par la suite ?

Telles sont les interrogations auxquelles notre présent travail tente d'apporter des réponses. En effet, répondre à ces questions, revient non seulement à étudier la P.P.I. en tant qu'époque historique comme l'Ancien ou le Moyen empire, mais c'est aussi revoir le processus qui conduit a la crise de la fin de l'A.E et son impacte sur l'évolution de la civilisation de l'Egypte pharaonique.

Les raisons qui nous ont poussé à faire une telle étude sont de divers ordres.

Il y a le fait que depuis très longtemps, nous nous sommes intéressés à des études portant sur les civilisations anciennes. Etant étudiant, faisant ses premiers pas dans la recherche, nous avons opté pour la civilisation égyptienne notamment son évolution au plan politique. Par rapport à cela, certaines études telles que celles de B. Sall (« Les luttes politiques dans l'Ancien empire égyptien », in, op.cit., 1982), portant sur l'évolution politique à l'A.E., nous ont montré que cette période, rendue célèbre par ses pyramides, a été

9

une époque riche en activités politiques. Or, il se trouve que la P.P.I., en tant que période de crise politique, a été un résultat de l'évolution du système monarchique à l'époque précédente (c'est-à-dire à l'A.E.). Nous nous sommes dit qu'il est par conséquent possible de faire une étude sur cette période dite P.P.I.

Cette idée s'est confortée en nous, en s'apercevant que dans les travaux de mémoires de maîtrise soutenus à l'U.C.A.D., il n'y a pas d'étude portant sur la P.P.I.

Dans ce travail de recherche sur la crise de la P.P.I., notre objectif est de recourir à un certain nombre de sources que nous allons analyser et interpréter afin de pouvoir donner au finish, une idée sur ce qu'a été cette crise de la P.P.I., dans l'évolution de la civilisation égyptienne.

Parmi ces sources, il y a les inscriptions biographiques des cadres égyptiens qui ont été recueillies dans les Urkunden et dont on retrouve une traduction anglaise en 5 volumes faite par J.H., Breasted (Ancient records of Egypt., London, Chicago, 1988 - première édition 1906-). En rapport avec notre sujet d'étude, c'est le volume I qui nous intéresse parce que contenant les inscriptions biographiques allant du début de l'A.E. à la fin du M.E. Nous retrouvons une traduction française de ces textes avec A. Roccati (La littérature historique sous l'Ancien empire, Paris, Cerfs, 1982). Mais comme l'indique son titre, l'ouvrage de A. Roccati ne s'intéresse qu'à l'A.E. En dépit des lacunes qu'ils peuvent comporter (dues parfois à des altérations du texte original), ces documents sont d'un grand apport pour une étude portant sur les institutions égyptiennes.

L'autre catégorie de sources à la quelle nous avons fait recours concerne les textes littéraires, notamment ceux du M.E. En effet, comme l'a affirmé G., Posener, «son caractère d'actualité une fois reconnu, la littérature peut être exploitée par l'historien de manière systématique. Par ses thèmes et par la manière de les traiter, elle permet de mieux comprendre les problèmes politiques de l'époque, de saisir les conflits d'opinion et de suivre le mouvement des idée». (G. Posener., Littérature et politique sous l'Egypte de la XIIe dynastie, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, 1956, p. X). Ainsi, les textes littéraires du M.E., par la diversité de leurs thèmes, nous permettent de saisir dans une certaine mesure, les changements intervenus par la faveur de la crise de la P.P.I., et cela aussi bien sur le plan politique que religieux et social. Pour l'essentiel de ces textes, nous avons utilisé les traductions contenues dans les ouvrages de (Cl. Lalouette., Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte. Des pharaons et des hommes, traduction française et commentaires, Paris, Gallimard, 1984 ; G. Lefebvre., Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique, Paris, Maisonneuve, 1982 ; G. Posener., op.cit., 1956).

10

En plus des sources, certains ouvrages généraux nous ont été d'un grand apport. C'est notamment celui de N. Grimal., (op.cit., 1988), d'E Drioton et J Vandier., (op.cit., 1984), de J. Vercoutter., (L'Egypte et la vallée du Nil. Tome I: des origines à la fin de l'Ancien empire, Paris, P.U.F, 1992), d'A. Moret., (Le Nil et la civilisation égyptienne, Paris La Renaissance du livre, 1926) et de J. Pirenne., (Histoire de la civilisation de l'Egypte pharaonique, Tomes I et II, Neuchâtel, La Baconnière, 1961 et 1962).

Pour tenter d'apporter des réponses aux questions soulevées, notre démarche s'articule autour de trois parties.

La première partie est une approche descriptive, relative à la situation de l'Egypte pendant cette tranche chronologique appelée P.P.I. Elle est divisée en deux chapitres. Dans le premier chapitre, nous avons tenté de retracer le cadre chronologique de cette période de crise en évoquant les différentes dynasties qui se sont succédées ou qui ont régnés simultanément dans les différentes parties de l'Egypte. Ensuite nous avons procédé à une analyse de la situation anarchique de l'Egypte, à la fin de l'A.E., qui s'était caractérisée par un soulèvement du peuple contre la monarchie et par une invasion étrangère. Le deuxième chapitre a trait à l'état politique et culturel de l'Egypte à la suite de l'effondrement de la monarchie. Il y a été aussi question de la crise de conscience qui s'est emparée de l'Egyptien durant cette époque de bouleversement de l'ordre social établi.

La deuxième partie de notre travail est consacrée à l'analyse de la situation qui a conduit à l'effondrement de l'A.E. Cette partie aussi est divisée en deux chapitres. Dans le premier chapitre, nous avons tenté de remonter aux sources de la crise politique qui a été à la base de l'affaiblissement du pouvoir monarchique. La centralisation politico-religieuse entamée dès l'époque thinite, au moment de la formation de l'Etat, atteint son sommet à partir de l'A.E. avec le triomphe de l'absolutisme monarchique. Le système centralisé de l'Etat à l'A.E., a été le résultat d'une entreprise de neutralisation, entamée par les pharaons, contre les forces centrifuges représentées par les nomarques. Mais si dans la première moitié de l'A.E., l'absolutisme royale devait triompher, les choses devaient commencer à se renverser à partir de la Ve dynastie, en faveur des nomarques et ceci du fait des changements politico-idéologiques qui ont accompagné l'avènement de cette dynastie. Un processus d'affaiblissement de la royauté fut alors entrepris par les nomarques notamment sous la VIe dynastie. Le second chapitre porte sur l'analyse des éléments qui ont concouru à l'éclatement de la violence politique et sociale à la fin de l'A.E. La monarchie qui avait fini par s'affaiblir

11

du fait de l'opposition des nomarques, allait au même moment, se confronter à une grave crise du trésor qui devait s'amplifier à cause de la dégradation des conditions climatiques.

La troisième partie est consacrée à l'analyse des effets de la crise sur l'évolution de la civilisation égyptienne. Cette partie aussi est divisée en deux chapitres. Le premier concerne les changements intervenus au niveau politico-idéologique et sur le plan des croyances religieuses, au sortir de la crise de la P.P.I. L'effondrement de l'A.E., signifiant en même temps, échec d'un système politico-idéologique, la monarchie qui allait se reconstituer au M.E. devait connaître une évolution par rapport à l'ancien système. Et, étant donné que la religion funéraire était étroitement liée à l'idéologie royale, elle devait nécessairement subir une certaine évolution par rapport à celle de l'A.E. Le dernier chapitre est consacré au renouveau culturel qui va accompagner le retour de la monarchie. Aussi bien au niveau de l'art que de la littérature, l'époque qui succède à la P.P.I, allait être une époque de renaissance. Cette renaissance est liée à l'éclosion de nouvelles idées, favorisée par la crise des consciences intervenue au cours de la P.P.I.

12

PREMIERE PARTIE :

PRESENTATION GENERALE DE

L'EGYPTE SOUS LA PREMIERE

PERIODE INTERMEDIAIRE (P.P.I.)

13

Chapitre I: Les bouleversements sociopolitiques de la fin de l'Ancien empire

A- Le cadre chronologique de la P.P.I.

Il convient de remarquer avant tout que le cadre chronologique de la période dite P.P.I., n'est pas facile à déterminer pour une raison fondamentale : la carence des sources pour ce qui concerne cette période de crise. Pour une époque aussi ancienne que celle de l'histoire de l'Egypte pharaonique, les traces font parfois défaut, même pour des phases considérées comme étant stables comme l'Ancien ou le Moyen empire. Ceci pour dire qu'en ce qui concerne une période de crise comme celle de la P.P.I., les sources posent problèmes. Pour autant, la P.P.I., semble-t-il, n'a pas été considérée par les anciens égyptiens comme étant une période de rupture au plan historique.1 Ceci pour une raison simple, elle est incluse dans la chronologie établie par l'historiographie égyptienne.

Ainsi, pour étudier la chronologie de cette période intermédiaire, il existe un certain nombre de sources.

D'abord il y a le découpage en dynasties de l'histoire égyptienne fait par Manéthon.2

Ensuite nous avons les listes royales parmi lesquelles il y a celles d'Abydos, de Saqqara ainsi que le Papyrus de Turin .Ce dernier document contient une liste de souverains, organisés en dynasties et allant des origines au Nouvel empire.3 La comparaison de ces différentes sources nous permet d'établir dans une certaine mesure le cadre chronologique de cette période dite P.P.I.

En ce qui concerne les débuts de cette période sombre, ils se confondent avec la fin troublée de l'A.E. La question à ce niveau est de déterminer à quel moment prend fin l'A.E. pour laisser la place à la P.P.I. Il se trouve que la fin de l'A.E n'est pas facile à déterminer du fait de la confusion dans laquelle il s'était achevé. Toutefois, on sait que la dernière dynastie considérée comme faisant partie de l'époque stable que fut l'A.E. avait été la VIe dynastie.

1 Grimal N., op.cit., 1988, p.72

2 Manéthon était un prêtre égyptien qui vivait sous la dynastie grecque des Ptolémée, laquelle gouverna l'Egypte de -305 à-30.C'est lui qui détermina le découpage en dynastie de la chronologie historique en trente dynasties allant de Ménès (considéré comme le premier pharaon) jusqu'à la conquête macédonienne intervenue vers -333(Cf., Rosalie and David A.E., A biographical dictionary of Ancient Egypt, London, Routledge, 2001, p.71 et 113)

3 Grimal N., op.cit, 1988, p.58

14

Il convient d'étudier les conditions dans lesquelles s'était achevée cette dynastie, pour pouvoir déterminer les débuts de la crise qui a fait sombrer la monarchie.

Il semble en effet que c'est à la fin du règne de Pépi II (5e pharaon de la VIe dynastie) que l'instabilité s'installe à la tête de la monarchie pharaonique. Ce pharaon, semble-t-il, avait eu un règne trop long qui dura environ 94ans.4 Ce long règne de Pépi II n'avait pas manqué d'avoir des conséquences que sont entre autres, la crise de succession qu'avait connue la monarchie après lui5. En effet, d'après la liste royale d'Abydos, le successeur de Pépi II a été le pharaon Mérenrê II6. Mais ce dernier, semble-t-il, ne put guère se maintenir longtemps au pouvoir puisque le Papyrus de Turin ne lui accorde qu'un an et un mois de règne7. Cette même source, au même titre que Manéthon, considère la reine Nitocris comme successeur de Mérenrê II.8 Toutefois, là où Manéthon considère la reine Nitocris comme le dernier souverain de la VIe dynastie, le Papyrus de Turin donne six autres pharaons qui auraient régné après elle9. Quant à la liste royale d'Abydos, elle ne mentionne pas Nitocris, mais après Mérenrê II, et avant les pharaons du M.E., elle incorpore dix-sept cartouches royaux.10 Tout ceci montre que les sources divergent sur le nombre de pharaons qui avaient succédé à Pépi II. Et ce désaccord au niveau des sources peut être une illustration de la confusion qui a suivi la fin du règne de Pépi II.

A ce désaccord des sources, s'ajoutent les événements rapportés par Hérodote et qui se seraient déroulés durant cette fin d'époque. D'après ce dernier, la reine Nitocris avait vengé l'assassinat de son frère et roi par un massacre avant de se donner la mort.11 Hérodote ne donne pas l'identité des assassins de pharaon, mais ses propos laissent apparaître au moins qu'il y a eu une crise au sommet de l'Etat, pendant cette période qui a suivi le règne de Pépi II.

4 Vernus P, Yoyotte J., Dictionnaire des pharaons, Paris, Noêsis, 1998, p.121. A propos de la longueur du règne de Pépi II, les sources donnent divers chiffres. Le Papyrus de Turin donne 90 ans et plus (Cf., Roccati A., op.cit., 1982, p.35), Manéthon donne 94 ans (Manéthon, cité par H. Gauthier, Livre des Rois d'Egypte, Tome I, 1907, p.169). Mais si l'on se réfère à la lecture du chiffre 32 (du recensement), relevé sur un graffite de son temple funéraire, qui est la date la plus tardive notée sur les monuments, le règne de Pépi II n'excéderait pas 64 ans (Cf., Vercoutter J., op.cit., 1992, p.332). Quoi qu'il en soit, les chiffres donnés par les différentes sources montrent que Pépi II a eu un très long règne à la tête de la monarchie pharaonique.

5 Grimal N., op.cit, 1988, p.107

6 Ibidem

7 Roccati A., op.cit., 1982 p.35

8Ibidem

9 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.353-354

10Ibidem

11 Hérodote, II, 100, texte établi et traduit par PH.E Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1948

15

Un autre fait qui montre qu'après Pépi II, la monarchie était confrontée à une crise, c'est l'interruption a partir de ce pharaon, de la série des grandes constructions (les pyramides) représentant les complexes funéraires des souverains de l'A.E.12

Ainsi en se fondant sur tous ces éléments que nous venons d'évoquer, nous pouvons considérer que les débuts de la P. P. I. se situent à la fin du règne de Pépi II. La conclusion à tirer de cet état de fait est que les souverains de la VIe dynastie, postérieurs à Pépi II (comme Mérenrê II ou Nitocris), ne font pas partie de l'A.E., mais de la P. P.I.13 Celle-ci comprend en plus, la fausse VIIe dynastie, les VIIIe, IXe, Xe, et une partie de la XIe dynastie.14

On parle de fausse VIIe dynastie car d'après Manéthon, elle comprend « soixante-dix rois de Memphis qui régnèrent pendant soixante-dix jours».15 Mais à l'exception de Manéthon, les autres sources n'évoquent pas ce nombre important de pharaons dans la période qui a suivi la fin de l'A.E. L'existence de cette dynastie, dont on ne connaît aucun nom des souverains qui l'auraient composée, est contestée. Pour certains historiens, elle n'a peut-être jamais existé. Placée dans le contexte troublé qui marqua la fin de la VIe dynastie, elle pourrait correspondre à un gouvernement oligarchique qui dirigea l'Egypte à cette époque.16 Mais même si l'on se place dans la perspective d'un gouvernement oligarchique, celui-ci a été d'une courte durée car, comme on le constate avec Manéthon, il dépasse à peine deux mois.

Il semble toutefois qu'après les troubles, la monarchie avait réussi à ressusciter avec la VIIIe dynastie. Cette dernière, bien que moins obscure, reste très mal connue. Elle serait originaire d'Abydos.17 Concernant les règnes, la liste d'Abydos et le Papyrus de Turin ont conservé une liste de pharaons (dix-sept sur la première et huit sur le second) ayant régné à cette période.18 Quant à Manéthon, ses abréviateurs parlent pour la VIIIe dynastie de 27 pharaons qui auraient régné 146 ans ou bien de 5 souverains restés au pouvoir pendant un siècle.19 Comme on le voit, le nombre de souverains qui ont composé cette dynastie reste très incertain et cela d'autant plus qu'ils ont laissé très peu de monuments. En effet, le seul édifice connu qui daterait de cette période est une pyramide trouvée dans une nécropole royale et qui

12 Seidlmayer S., « The First Intermediate Period »,in, Shaw I(editor),The Oxford History of Ancient Egypt, Oxford University Press, 2000, p.119-120

13 Sall B, op.cit, 1982, p.13

14 Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998, p.132

15 Manéthon cité par Vercoutter J., op.cit, 1992, p.354

16Drioton E et Vandier J., op.cit, 1984, Paris, P.U. F., p.214; Sall B., op.cit, 1982, p.14, note 19

17 Sall B., op.cit, 1982, p.10

18 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.214-215

19 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.359

16

serait postérieure au règne de Pépi II.20 L'auteur de cette pyramide, située à Saqqara Sud, est le seul pharaon de cette période identifié avec précision. Il s'agit de Qakarê Aba à qui le Papyrus de Turin n'accorde que deux ans de règne21. On a aussi retrouvé des documents officiels qui appartiendraient à la VIIIe dynastie. Ce sont des textes de décrets royaux qui concernaient la famille du vizir Chémai à Coptos.22 Les pharaons qui avaient promulgué ces décrets en question étaient Néferkaouor et Demedjibtaoui. 23 Ces documents officiels nous renseignent dans une certaine mesure, sur la politique intérieure de la VIIIe dynastie. Par exemple un des décrets était un acte de nomination du vizir Chémai comme gouverneur des vingt deux nomes du sud24. Cette nomination montre quelque part, la volonté des souverains de cette dynastie de rétablir l'autorité royale en Haute Egypte. En effet, la VIIIe dynastie, semble-t-il, s'était placée dans l'héritage de la tradition memphite. C'est probablement dans ce sens que malgré son origine abydéenne, elle s'était basée à Memphis, capitale de la monarchie défunte. Cette idée semble se confirmer dans les noms de souverains supposés appartenir à cette dynastie et fournis par les listes royales. En effet, plusieurs de ces noms reprennent celui du couronnement de Pépi II à savoir Néferkarê. 25 Mais les pharaons de la VIIIe dynastie n'ont guère pu restauré la monarchie pharaonique à l'image de ce qu'elle fut sous l'A.E. Ils avaient dû faire face durant cette période, à l'occupation du Delta par les Asiatiques et à la tendance autonomiste des princes locaux dont ceux d'Héracléopolis qui vont finir par faire sécession.26

La période qui englobe la fausse VIIe dynastie et la VIIIe dynastie est datée d'entre -2263 et -222027. C'est aussi cette période qui constitue l'intervalle entre la fin troublée de l'A.E. et l'avènement de la royauté héracléopolitaine à savoir les IXe et Xe dynasties. Cette royauté héracléopolitaine fut l'oeuvre des princes de cette localité qui avaient réussi à unifier la Moyenne Egypte et à faire sécession vers -222228. Par la suite, un des leurs devait s'arroger la dignité royale sous le nom de Méribrê Khéti et va fonder la lignée des souverains héracléopolitains. Ce Méribrê Khéti fut un souverain énergique qui avait réussi à éclipser les derniers souverains memphites.29 C'est peut-être pour cette raison que la tradition grecque

20 Drioton E Vandier J op.cit. 1984, p. 215

21 Grimal N., op.cit., 1988, p.175

22 Ibidem

23 Le grand atlas de l'Egypte ancienne, Paris, Editions Atlas, 1998, p.100

24 Pirenne J., op.cit., 1962, p.11

25 Grimal N., op.cit., 1988, p.175

26Ibidem

27Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.216.

28 Ibidem

29 Pirenne J., op.cit, 1962, p.14

17

le dépeint comme un cruel tyran, mort dévoré par un crocodile.30L'avènement de la dynastie héracléopolitaine annonce en même temps la fin de la suprématie de Memphis comme centre de la royauté. En effet, la VIIIe dynastie devait disparaître dans des conditions obscures et la royauté allait désormais s'installer à Héracléopolis. Ce changement de la résidence royale de Memphis à Héracléopolis avait été probablement considéré par les anciens Egyptiens comme une interruption majeure. Les compilateurs des listes royales comme ceux du Papyrus de Turin ont arrêté à la VIIIe dynastie le grand total de la première partie de l'histoire égyptienne et ceux de la liste d'Abydos ne mentionnent pas de nom royal entre la VIIIe dynastie et la XIe dynastie31. Les souverains qui ont régné à Héracléopolis sont répartis entre la IXe et la Xe dynastie. On ignore les raisons qui avaient entraîné le passage de la IXe à la Xe dynastie. Mais nous constatons que les noms de couronnement portés par les pharaons de ces deux dynasties ne reflètent pas de rupture. Il se pourrait alors qu'elles forment une seule famille.32 Le nombre des souverains qui l'ont composés reste toutefois mal connu. Manéthon attribue 19 souverains à chacune des deux dynasties héracléopolitaines alors que le Papyrus de Turin donne une liste de 18 souverains ayant directement précédé la XIe dynastie.33 Il s'y ajoute la perte de plusieurs noms de pharaons ainsi que les informations concernant la longueur de leurs règnes sur cette liste de Turin.34 Les seuls pharaons qui nous sont connus de la période héracléopolitaine sont Méribrê Khéti I, Nébkaourê Khéti II, Néferkarê, Ouahkarê Khéti III et Mérikarê35. Tous ces pharaons portent des noms de couronnement qui comportent le suffixe Rê. Ce qui laisse supposer que malgré leur origine héracléopolitaine, et les coups portés à la royauté memphite, ces pharaons se sont considérés comme les héritiers de la tradition memphite. La rareté des documents royaux et monuments officiels qui caractérise cette période empêche une description claire de leur politique. Les rares informations que nous avons de ces dynasties héracléopolitaines nous proviennent des inscriptions tombales des princes de Haute Egypte et de quelques oeuvres littéraires datant de

30Vernus P Yoyotte J, op.cit, 1998, p.108

31 Seidlmayer S., «The First Intermediate Period», in, Shaw I., op.cit., 2000.p.118

32 Aufrère S., Pharaons d'Egypte. Condensé des annales royales et liste exhaustives des souverains de Haute et Basse Egypte, Paris, Errance, 1997, p.8.

33 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraph 53

34 Seidlmayer S., «The First Intermediate Period», in, Shaw I., op.cit., 2000, 119

35 Sur le tableau chronologique des IXe et Xe dynasties (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.217). Le pharaon Ouahkarê Khéti III est considéré comme l'auteur d'un Enseignement qu'il donna à son fils Mérikarê. C'est aussi sous son règne que se serait déroulée l'histoire du paysan volé. Pour ces deux textes (Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1984, respectivement p.50 à57 et 197 à 211)

18

cette période.36Ces documents nous permettent dans une certaine mesure de lire les faits sociaux et politiques des règnes de ces dynasties.

Il semble, qu'en dehors de la lutte qu'ils ont menée contre l'occupation asiatique dans le Delta, les souverains héracléopolitains avaient dû faire face aux prétentions hégémoniques des princes thébains37. Ce qui montre quelque part qu'ils ont tenté de restaurer l'unité de l'Egypte et l'autorité de la royauté pharaonique. Mais cette ambition devait être limitée du coté de la Haute Egypte par les Thébains. Ces derniers devaient par la suite parvenir à s'assurer la domination du Sud. Et vers -2130, au moment où Néferkarê accédait au trône à Héracléopolis, le prince thébain, s'arrogea la dignité royale et régna sur la Haute Egypte sous le nom de Séhertaoui Antef38. Il fonda ainsi la XIe dynastie qui s'installa à Thèbes. Cette dynastie devait être contemporaine, en partie, des règnes des dynasties héracléopolitaines.

Dès lors, la royauté égyptienne devait se partager entre les souverains établis à Thèbes et ceux qui sont à Héracléopolis. C'est dire qu'on va assister à des règnes parallèles dans ce pays où ce fut la personne de pharaon qui incarnait l'unité nationale. Le règne de Séhertaoui Antef I et de ses successeurs Ouhankh Antef II et Nekhtnebtepnefer Antef III devait être marqué par la rivalité avec les souverains Héracléopolitains.39 Contrairement à ces derniers dont les tombes ne sont pas connues, Séhertaoui et ses successeurs ont leurs tombes établies dans la nécropole de Drah Aboul Naga.40 Ils sont par conséquents connus d'après leurs édifices funéraires. Et, les inscriptions provenant de ces tombes, permettent de connaître certaines activités menées par ces souverains thébains.

Ainsi, dans une inscription qu'il a laissée, Ouhankh Antef II évoque le conflit avec le Nord c'est-à-dire le royaume d'Héracléopolis et sa conquête du nome thinite41. Il aurait comme souverain contemporain à Héracléopolis Ouahkarê Khéti III (auteur de l'Enseignement) et ils furent tous les deux de très grands souverains42. Ouhankh Antef II et son successeur Nekhtnebtepnefer Antef III sont aussi connus à travers l'inscription

36Pour les inscriptions des tombes (Cf., Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes 391 à 423G ; Grimal N., op.cit, 1988, p.177-178).Quant aux textes littéraires (Cf., Lalouette Cl., notre note précédente).

37Dans le texte de Khéti III, il évoque la lutte qu'il mena contre les Asiatiques dans le Delta et la guerre qui l'opposa aux princes locaux notamment les thébains (Cf., Lalouette Cl., op.cit, 1984, p. 53-54). 38 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.216.Ce Séhertaoui Antef n'est pas le fondateur de la lignée des princes thébains ; il y avait un Antef et un Montouhotep qui sont nommés dans la liste royale de la « Chambre des ancêtres » de Karnak en tant que nomarques (Cf., Grimal N., op.cit, 1988, p.179) 39Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.218-220

40Pour les tombes des Antef (Cf., Vandier J., Manuel d'archéologie égyptienne, Tome II. Les grandes époques. L'architecture funéraire, Paris, A. ET J. Picard ET Cie, 1954, p.154-155)

41 Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes 421à423

42 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.218

19

biographique d'un certain Thethi qui fut trésorier en chef sous leurs règnes43. Dans le conflit qui les a opposé aux héracléopolitains, l'avantage devait finir par revenir aux thébains. En effet, c'est le fils de ce Antef III, Montouhotep II qui parvint à triompher définitivement de la royauté héracléopolitaine, mettant un terme à la P.P.I. et ouvrant le M.E.44

B- La phase violente de la crise

Ce que nous considérons ici comme étant la phase violente de la crise de la P.P.I., correspond à l'anarchie dans laquelle l'Egypte avait sombré à la fin de l'A.E. Cette situation avait constitué, en même temps, le début de la période décadente qui devait durer jusqu'au M.E. Sur cette violence qui caractérisa les débuts de la P.P.I., les documents officiels sont pratiquement muets. C'est peut-être là, un signe des troubles qu'avait connus le pays à l'époque. Mais la littérature populaire a heureusement conservé des échos de cette violence consécutive à la fin de l'A.E. Il s'agit d'abord du texte d'un certain Ipou-our connu sous le titre des Lamentations d'Ipou-our.45 L'auteur nous fait une peinture saisissante du chaos dans lequel était plongé son pays. Le texte, divisé en six parties, comporte toutefois de nombreuses lacunes. Les quatre premières parties sont consacrées à la description de l'état chaotique de l'Egypte et les deux dernières évoquent le souvenir de l'équilibre perdu du royaume tranquille46. La traduction de ce texte a été reprise par d'autres auteurs tels que A. Moret et C.A. Diop.47 A travers ces traductions, on peut dénoter certaines variations dans la forme du texte mais le fond reste le même. Pour ce qui nous concerne, nous avons utilisé la traduction de Cl. Lalouette contenue dans Textes sacrés textes profanes de l'ancienne Egypte.

43 Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes 423A-423G

44 Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998, p.100. Montouhotep II est classé en seconde position dans la suite des souverains qui portent ce nom après le premier qui est cité dans la liste royale de Karnak. Ce dernier n'a jamais régné effectivement, mais il fut considéré par la postérité au nombre des pharaons parce qu'il a été le père des deux premiers souverains de la XIe dynastie à savoir Séhertaoui Antef I et Ouhankh Antef II (Cf. Grimal N., op.cit, 1988, p.179 et Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998, p.100)

45 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p. 211 à 221. Ce texte a été traduit par A. Gardiner sous le titre de Admonition of egyptian sage, Leipzig, 1909

46Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.211

47 Moret A., op.cit., 1926, p.261à 267 ; Diop C.A., Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, paris, Présence africaine, 1981, p.180-181

20

Le second texte est un conte prophétique dont les personnages étaient le pharaon Snéfrou48 et le nommé Néferrohou (ou Neferty).49 Ce fut le souverain qui, désoeuvré et cherchant un homme qui pouvait le divertir, trouva en Néferrohou quelqu'un qui pouvait l'entretenir du passé comme de l'avenir. Ainsi, à la demande de Snéfrou qui préférait qu'on l'entretienne des choses à venir, Néferrohou se projeta dans le futur et fit une peinture dramatique d'une période difficile que devait traverser l'Egypte. Cette période allait être

caractérisée par des troubles à tous les niveaux de la société égyptienne. Le texte en question comprend trois parties. La première est une sorte d'introduction qui montre les circonstances qui ont permis la naissance de la prophétie. La seconde est consacrée à la description des malheurs qui allaient secouer l'Egypte. Quant à la troisième, elle annonce l'arrivée d'un roi considéré comme le sauveur du pays50.

La question qui est posée est celle de savoir si les événements douloureux que prédit Néferrohou sont consécutifs aux bouleversements de la fin de l'A.E. Sur ce point, les avis des historiens divergent. Mais nombre d'entre eux pensent que ces événements sont ceux qui marquèrent la fin difficile de l'A.E.51 Si nous partons de cette hypothèse, nous pouvons admettre que les malheurs que prédisait l'auteur du conte prophétique sont les mêmes que ceux dont il est question dans les Lamentations d'Ipou-our. En d'autres termes, la partie prophétique du texte de Néferrohou est une composition postérieure aux événements qu'elle est censée prédire.

Ce sont donc ces deux textes (celui d'Ipou-our et de Néferrohou) qui vont nous servir de source pour le tableau de la situation que nous allons tenter de reconstituer. En effet, présenter la situation de l'Egypte pendant cette phase violente de la crise nous semble important. Cela nous permettra d'identifier les différents acteurs qui ont intervenu dans les troubles, de mesurer la profondeur de ces troubles et enfin de dégager la signification de la violence qui mit fin à l'A.E.

A travers l'analyse des sources sus-citées, nous avons constaté que l'Egypte avait connu au cours de cette période, une guerre civile et une invasion étrangère. Ces deux faits

48Ce pharaon est considéré comme le fondateur de la IVe dynastie et c'est lui qui inaugura la politique de construction grandiose propre aux souverains de cette dynastie (Cf., Rachet G., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Larousse, 1998, p.246)

49 Le nom de Néferrohou est de la traduction de G. Lefebvre. Mais dans certaines traductions comme chez G. Posener on a le nom de Neferty au lieu de Néferrohou (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.21-60 ; Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.70-74). Nous utiliserons dans ce mémoire l'appellation de Néferrohou ou de Neferty, selon l'auteur dont nous avons utilisé la traduction.

50 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.104-105

51Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.297-298, note168 ; Lefebvre G., op.cit, 1982, p.92. Sur les discussions concernant cette question, Cf., Posener G., op.cit, 1956, p.44-47

21

s'étaient-ils produits simultanément ou successivement? La question reste ouverte. En ce qui nous concerne, nous pensons que pour l'aborder, il faut tenir en considération plusieurs faits.

Nous savons, d'après les sources, que l'invasion dont fut victime l'Egypte à l'A.E. avait concerné la partie Est du Delta et serait l'oeuvre des Asiatiques.52 Mais cette invasion semble-t-il n'était pas la première action de ces Asiatiques en direction de l'Egypte. Déjà sous Pipi Ier ils avaient entrepris une de leurs razzias habituelles contre le Delta dans l'intention de s'y établir avec leurs troupeaux.53 Il avait fallu mobiliser un nombre important de soldats venant de diverses régions d'Egypte et même de la Nubie pour faire face à ces envahisseurs54. Il semble d'ailleurs qu'une seule mobilisation n'avait pas suffis pour enrayer la menace bédouine. La même opération avait été menée cinq fois sous le même Pipi Ier et contre les mêmes ennemis. 55 Cependant, il semble que malgré les revers que leur avait infligé ce pharaon, les Bédouins n'avaient pas renoncé à l'espoir d'envahir l'Egypte.56 Or, nous sommes à la fin de l'A.E. La longévité exceptionnelle du règne de Pépi II avait entraîné une sclérose des rouages de l'administration.57 Les nomarques locaux, devenus quasi indépendants, n'obéissent plus à l'Etat central.58 Cette situation ne devait pas être favorable à la formation d'une armée homogène et nombreuse comme ce fut le cas sous Pépi Ier. Pour les Bédouins qui n'attendaient que l'occasion pour pénétrer en Egypte, il semble que celle-ci s'était présentée à la fin du règne de Pépi II. Et l'invasion devait intervenir dès les dernières années de règne de ce souverain.59 Cela implique le fait que les successeurs de Pépi II à savoir Mérenrê II et la reine Nitocris avaient régné avec la présence des envahisseurs dans le Delta. C'est sous ces dernières souverains qu'avait semble-t-il débuté l'explosion sociale.60

En s'appuyant sur ces faits que nous venons d'évoquer, nous préférons commencer l'étude de cette phase violente par l'invasion extérieure.

D'après l'auteur de la prophétie, «« Les ennemis ont apparu dans l'Est, les Asiatiques sont descendus en Egypte (E 32-33cf.18), ils « parcourent le pays » (E32), « ils terrorisent

52 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.99 ; Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.213

53 Erman A Ranke H., La Civilisation égyptienne (traduction française de Charles Mathien), Paris, Payot, 1976, p.698. Pépi Ier est considéré comme étant le second ou le troisième pharaon de la VIe dynastie.

54 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 306 à 315 ; Roccati A. op.cit, 1982, p.187à197 55Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 214

56 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.214

57 Grimal N., op.cit, 1988, p.107

58 Daumas F., La civilisation de l'Egypte pharaonique, Paris, Arthaud, 1982, p.76. Nous reviendrons sur cette question dans les prochains chapitres consacrés à l'évolution de la situation politique sous l'Ancien empire.

59 Sall B., op.cit, 1982, p.12

60 Ibidem

22

les moissonneurs, et ils enlèvent les attelages qui sont en train de labourer » (E19). Les nomades viennent avec leurs troupeaux qui s'abreuvent librement aux fleuves d'Egypte... (E35-36)...Les Bédouins emportent la nourriture et le pays se trouve dans la misère (E3032)''.61 Nous retrouvons les mêmes renseignements, relatifs à l'invasion de l'Egypte dans le texte d'Ipou-our lorsqu'il dit que « du dehors [les Asiatiques] sont venus en Egypte »62. De ces deux passages, il apparaît que l'Egypte avait été victime d'une invasion étrangère dans sa partie orientale. Cette partie du Delta, comme on l'a vu, a toujours tenté, par sa fertilité et ses richesses, les peuples asiatiques.63 Ce qui explique le fait que leur entrée en Egypte allait être suivie d'une occupation effective. C'est ce que laisse apparaître ce passage du texte d'Ipou-our où il dit que les occupants sont devenus « les artisans des travaux de la Basse Egypte ».64 Ainsi, L'Egypte venait de par cette occupation d'être amputée d'une partie importante de son territoire. Cette occupation constitue une des premières manifestations de la décadence du pouvoir monarchique qui fut incapable de faire face aux envahisseurs.65 Cela, d'autant plus que cette invasion n'était pas semble-t-il, l'oeuvre d'un Etat conquérant. D'après D. Valbelle, le Delta oriental n'a pas été pris d'assaut par les armées régulières d'un quelconque royaume asiatique désirant l'annexer.66 Ceci pour dire que cette invasion ne fut pas une action organisée mais plutôt un rush de peuplades en direction de l'Egypte, laquelle n'était plus en mesure de protéger ses frontières.

Face à cette incapacité de l'autorité pharaonique à défendre son territoire, la situation intérieure ne devait pas tarder à basculer dans l'anarchie. L'auteur du Conte prophétique décrit cette situation en disant qu'« on prendra les armes de combat et le pays vivra dans le désordre. On fera des flèches en bronze et on demandera du pain avec du sang ».67 C'est cette même image de violence qui nous est décrite par Ipou-our lorsqu'il dit : « Voyez donc, le visage est blême...ce qu'avait prédit les ancêtres est atteint... ; le pays est affligé de bande de voleurs, et l'homme doit aller labourer avec un bouclier...Voyez donc, le visage est blême et l'archer est équipé car le crime est partout ».68 Ainsi, la sécurité dont la monarchie avait dotée l'Egypte a disparu. Le sujet est obligé de veiller à sa propre sécurité. Et dans ce climat

61 Posener G., op.cit., 1956, p.40

62 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.213

63 Posener G., op.cit, 1956, p.40

64 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.215

65Nous fondons cette idée sur le fait que les sources qui évoquent cette occupation n'ont pas fait état d'une quelconque tentative de résistance de la part des Egyptiens. Elles n'ont fait que déplorer l'occupation de leur pays.

66Valbelle D., Les Neufs Arcs. L'Egyptien et les étrangers de la préhistoire à la conquête d'Alexandre, Paris, A. Collin, 1990, p.71

67 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.101

68 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.212

23

de terreur, toutes les activités économiques allaient être perturbées. « Le Nil frappe (ses rives), et pourtant on ne laboure pas [...] L'or manque, les matériaux pour tous les travaux également [...] On manque de fruits, de charbon de bois, de divers sortes de bois: irtiou, maâou, flout, shetaou ».69 Si on ajoute ces événements à l'occupation du Delta, on peut dire que la situation de l'époque fut particulièrement dure pour le peuple égyptien. En effet, selon Néferrohou, « le pays est complètement ruiné ; il n'y subsiste plus rien ».70 C'est probablement ces rudes conditions qui vont pousser le peuple à s'acharner contre ceux qui symbolisaient la source de leur misère, c'est-à-dire les fonctionnaires.71 Le dessin de cette action populaire contre les symboles de l'Etat nous est fait par Ipou-our en ces termes : « Voyez donc, les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie ; et chaque ville dit : « Laissez-nous chasser les puissants de chez nous » [...]Voyez donc, l'auguste chambre des archives, ses écrits ont été enlevés[...]Voyez donc, les bureaux administratives sont ouverts, les rôles ont été enlevés de sorte que celui qui était un serf peut devenir le maître des serfs. Voyez, (les scribes] sont tués, leurs écrits enlevés [...] Voyez donc, les scribes de l'office des grains, leurs livres aussi ont été arrachés[...]Voyez, les juges d'Egypte sont chassés à travers le pays, chassés des Maisons de la royauté .»72

Ces extraits du texte d'Ipou-our nous montrent ainsi que l'action populaire fut particulièrement violente à l'endroit de l'administration royale et de ses agents. En effet, tout ce qui constituait les fondements de cette administration tels que la justice, le trésor et les archives avaient été pillés. Les fonctionnaires eux-mêmes avaient subi les coups de la violence populaire. Les raisons de cet acharnement du peuple contre l'administration et tout ce qui le symbolisait peuvent être cherchées dans le fonctionnement de l'Etat memphite. Ce dernier, caractérisé par sa centralisation, avait comme base principale, le fonctionnarisme. Ainsi, les fonctionnaires jouissaient d'énormes privilèges de la part de pharaon. Entre autres attestations de cet état de fait, nous avons l'exemple des privilèges dont avait bénéficié Metjen, un fonctionnaire de la IIIe dynastie. Dans sa biographie, il nous fait savoir qu'il

69 Id., Ibid., p.212-214. Sur la question des crues du Nil, nos deux sources décrivent deux situations opposées. En effet, là ou Ipou-our dit que « le Nil frappe (ses rives) », Néferrohou dit que « les fleuves d'Egypte étant à sec, on pourra traverser l'eau à pied » (Cf., Lefebvre G., op.cit, 1982, p.100). Autrement dit, là où le premier évoque la venue des crues du Nil, le second parle d'une baisse du niveau des eaux du fleuve. Les propos de Néferrohou montrent quelque part que l'arrêt des activités, comme l'agriculture, n'est pas dû uniquement à la violence comme l'affirme Ipou-our mais également aux perturbations des conditions climatiques. Nous reviendrons sur le problème des crues du Nil et son impact dans l'effondrement de l'A.E.

70 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.99

71Sene Kh., Etude de l'évolution des luttes politiques en Egypte à l'Ancien empire, mémoire de maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D., 2002-2003, p.73

72 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.212, 216 -217

24

obtint entant que directeur de mission des nomes de Neith, et de l'Occident, 12 « fondations de Metjen dans les nomes de Neith, du Taureau Sauvage et de la Cuisse ».73 Et une fois gouverneur de nome, il bénéficia en outre d'une donation royale prélevée sur le domaine de la couronne.74 Un autre exemple de cette situation se trouve dans un texte intitulé La Satire des métiers. Un homme faisant à son fils la comparaison entre le métier de scribe et les autres métiers lui disait ceci : « vois, aucun scribe ne manque de nourriture, ni de biens appartenant au Palais royale Vie-Santé-Force ».75 A travers ces exemples, il apparaît que l'Etat assurait à ses fonctionnaires des avantages qui les mettaient dans une certaine aisance. Ce qui ne pouvait pas manquer de provoquer une fracture sociale au détriment d'une grande partie du peuple. Ainsi, d'après C.A Diop, c'est l'appareil bureaucratique devenu, pour le peuple, extrêmement lourd, avec l'absolutisme royal qui était particulièrement visé.76

En plus de l'administration, l'institution royale devait elle-même être victime des bouleversements qui secouèrent l'Egypte à l'époque. D'après Ipou-our, « une chose a été faite qui n'était pas arrivée auparavant : on est tombé assez bas pour que des misérables enlèvent le roi ».77Ce passage traduit que le pharaon d'Egypte était déchu de la royauté qu'il incarnait. La continuité de cette royauté pharaonique venait donc de s'interrompre sous le coup d'une action populaire. Dans la conception idéologique que les Egyptiens avaient de cette institution monarchique, l'acte qui venait d'être commis fut d'une extrême gravité pour la marche du pays. En effet, le pharaon, en sa qualité de souverain d'Egypte, est considéré comme le successeur légitime d'Horus, premier souverain d'Egypte, fils d'Osiris et d'Isis.78 Il était aussi le fils du Dieu solaire Rê. Ainsi, en sa qualité d'héritier des dieux, le pharaon était le continuateur du pouvoir des dieux sur terre. Il était en outre chargé d'assurer l'Ordre Universel conformément à Maât, déesse de la vérité et de la Justice, enfant comme lui du dieu solaire Rê.79 Par rapport donc à tout ce que symbolisait pharaon, son absence sur le trône d'Egypte était synonyme de menace de chaos.

Dans son action contre la royauté, le peuple ne s'est pas limité au souverain en place. D'après Ipou-our, « ...celui qui avait été enterré en Faucon divin est maintenant sur une

73 Roccati A., op.cit., 1982, p.86-87

74 Pirenne J., op.cit, 1961, p.137

75 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.197

76 Diop C.A., Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ? Paris, Présence Africaine, 1967, p.153

77 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217

78 Vercoutter J., « Pharaon », in, Dictionnaire de l'Egypte ancienne, Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1998, p.297

79 Id., Ibid, p.298

25

civière et ce que recelait la pyramide est désormais vide ».80 Ce passage du texte d'Ipou-our dénote que le peuple s'était attaqué également au pharaon défunt et à sa sépulture. Au vu des croyances funéraires de l'époque, cette action était lourde de conséquences. En effet, dans la religion funéraire de l'A.E., l'idée était que le pharaon, après sa mort, rejoignait son père Rê pour l'éternité81. Et, dans les Textes des Pyramide, confectionnés pour le pharaon défunt, on peut lire ces passages : « Tes os, pour toi, sont rassemblés, tes membres sont mis en place pour toi, la poussière qui était sur toi est chassé, tes biens, pour toi, sont dénoués. On ouvre pour toi le tombeau, on fait glisser les deux portes du sarcophage, enfin l'on déploie pour toi les portes du ciel [...] Les pieds du roi frappent la terre pour prendre son essor vers le ciel. Le voilà qui monte au ciel [...] il vole comme un oiseau, il se pose, tel un scarabée, sur le trône vacant qui est dans ta barque, ô Rê [...].Comme il est beau de voir le roi, le front ceint comme celui de Rê, vêtu de son pagne, comme Hathor, sa plume étant comme la plume du faucon tandis qu'il s'élève vers le ciel, parmi ses frères les dieux.»82 À travers ces extraits des textes des pyramides, on voit que non seulement le pharaon défunt ressuscitait mais il rejoignait les dieux. Et lors de son ascension au ciel, il ne se contentait pas de bénéficier, pour lui seul, de la vie éternelle. Certes, après la mort, pharaon devenait l'un des compagnons de Rê, mais il continuait de garder la charge de ses sujets, qu'il entraînait avec lui dans l'au-delà.83 Par conséquent, piller la tombe de ce défunt qui était au rang des dieux est une remise en cause des fondements de la religion funéraire de l'Egypte. D'après N. Grimal, le sacrilège est double, car non seulement le pays est privé de son pharaon, donc de la garantie du maintien de l'ordre établi, mais les générations précédentes sont dépouillées de leur survie84. A travers ces événements, on voit que non seulement la structure de l'Etat s'était effondrée, mais les bases religieuses dans lesquelles celle-ci était encrée avaient été renversées.

A l'issue de cette violence, la société égyptienne avait été particulièrement bouleversée. Ipou-our déplore cette situation en ces termes : « voyez, en vérité ces transformations du peuple d'Egypte [...] voyez, l'homme riche (d'autre fois) dort assoiffé, maintenant ; mais celui qui auparavant mendiait pour la lie, a désormais la bière à profusion [...] Voyez, celui qui ne possédait rien est maintenant un homme opulent, et le grand fait sa

80 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217

81 Vercoutter J., « Pharaon », in, op.cit., 1998, p.298

82 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 143-144. Les Textes des Pyramides constituent un recueil de textes gravés sur les parois des chambres de cinq pyramides de Saqqara appartenant respectivement à Ounas ( dernier pharaon de la Ve dynastie), Téti, Pépi Ier, Mérenrê Ier et Pépi II , tous pharaons de la VIe dynastie. C'est un recueil d'incantations grâce auxquelles le pharaon défunt pouvait rejoindre, dans l'au-delà, la place qui lui est réservée au prés des dieux (Cf., Rachet G., op.cit, 1998, p.222).

83 Grimal N., op.cit., 1988, p.159 84Grimal N., op.cit, 1988, p.173

26

louange. Voyez l'homme pauvre démuni du pays est devenu riche ; le riche est devenu pauvre ».85 C'est dire qu'au plan social, la violence avait opposé les pauvres aux riches, permettant aux premiers de dépouiller les seconds de leurs biens. Ce qui avait donné l'occasion à ces anciens pauvres de se retrouver à la position des privilégiés. Il y a eu alors un changement des rôles au sein de la société égyptienne. En effet, si l'on suit la description de Ipou-our, on constate que toute la structuration de l'ancienne société était en place, mais ce sont plutôt les hommes qui avaient changé de position sociale. Autrement dit, il y avait un renversement de la situation sociale que Ipou-our assimile à l'image d'un « pays qui tourne comme tourne la roue du potier ».86 C'est donc dans ces conditions que s'était achevée la première phase brillante de la civilisation de l'Egypte pharaonique.

Il reste toutefois que ces événements douloureux qui avaient caractérisé cette fin d'époque sont diversement interprétés par les historiens. D'après certains d'entre eux, l'Egypte avait connu à la fin de l'A.E., une révolution, la première enregistrée dans l'histoire universelle.87 Cependant, si nous analysons la situation au cours de cette phase violente, il est difficile de qualifier ces événements de révolution.

D'abord sur le plan politique, Ipou-our, en décrivant la chute du pouvoir monarchique, disait ceci: « on n'est tombé assez bas pour que le pays ait été dépouillé de la royauté par un petit nombre de gens sans raison »88. Ce passage du texte d'Ipou-our montre clairement que le pharaon en place avait été déchu de son pouvoir. Mais le texte n'évoque pas une prise quelconque du pouvoir politique par les auteurs de cette chute du pharaon. D'ailleurs ces gens qui ont dépouillé l'Egypte de sa royauté sont qualifiés par d'Ipou-our de « petit nombre de gens sans raison »89. Autrement dit, il s'agissait de personnes qui n'avaient aucune connaissance par apport à la gestion du pouvoir politique.

Ensuite, dans la violence sociale, on na vu qu'il s'agissait d'une opposition entre les pauvres et les riches. Les premiers s'étant attaqués aux seconds pour s'emparer de leurs biens et de leur position sociale. Là aussi, on n'évoque pas une situation de redistribution des richesses

85 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.218 86Id., Ibid, p.213

87 Cf., Diop C.A., op.cit, 1981, p.178 ; Pirenne J., op.cit, 1961, p.329

88 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217

89 Le qualificatif de « petit nombre de gens sans raison » utilisé par Ipou-our pour désigner les auteurs de la chute de pharaon doit être nuancé. Il se pourrait qu'il soit un partisan de la royauté défunte et pour masquer le fait que la chute de celle-ci fut le résultat d'un mécontentement populaire, il parle de petit nombre de gens sans raison. Et même si on se place dans la perspective d'un petit nombre de personnes qui aurait mis fin à la royauté, cela traduirait un autre fait : c'est le niveau de faiblesse atteint par la royauté à tel point qu'elle puisse être balayée par un petit groupe d'individus.

mais plutôt un changement de position sociale : «L'homme démuni du pays est devenu riche; le riche est devenu pauvre».

Voici la situation politique et sociale de l'Egypte à l'issu de la violence qui a marqué la fin de l'A.E. Or, dans le dictionnaire, la révolution est définie comme un ensemble d'événements historiques qui ont lieu dans une communauté importante (nationale en général), lorsqu'une partie du groupe en insurrection réussit à prendre le pouvoir politique et que des changements profonds (politiques, économiques et sociaux) se produisent dans la société.90

En s'appuyant sur cette définition, nous pouvons dire que le soulèvement populaire de la fin de l'A.E. avait certes été violent, mais et il n'avait pas abouti à une révolution. En effet, dans la définition du dictionnaire, il y a deux faits importants qui peuvent transformer un soulèvement populaire en révolution : c'est la prise du pouvoir d'Etat et l'introduction de changements profonds aussi bien sur le plan politique que social et économique. Mais le peuple égyptien qui s'était soulevé à cette époque n'avait ni pris le pouvoir ni introduit un nouveau système politique, social et économique. Nous pensons donc à l'instar des auteurs tels que N. Grimal ou B. Sall qu'il n'y avait pas eu de révolution en Egypte à la fin de l'A.E., mais plutôt une révolte91. Nous verrons par la suite que malgré les coups portés à l'institution royale, les symboles de cette dernière allaient subsister à travers les différents princes locaux qui devaient se l'approprier. Et la lutte pour l'héritage de cette royauté défunte était l'un des enjeux de la guerre civile qui opposa les princes locaux durant toute la période intermédiaire.

27

90 Le grand Robert de langue française, Tome III, Paris, 1985, r. Révolution 91Grimal N., op.cit, 1988, p.173; Sall B., op.cit., 1982, p.12.

28

Chapitre II : Effondrement de la civilisation

A- Désagrégation du territoire et de la monarchie

A la suite de la violence au cours de la laquelle tous les fondements de sa civilisation se sont ébranlés, l'Egypte pharaonique devait connaître une situation politique difficile. En effet, si à l'A.E., toute la basse vallée du Nil était unifiée sous un seul pouvoir central, la situation devint complètement différente à la suite de la crise qui intervint à la fin de la VIe dynastie. Une partie du pays (la Basse Egypte) était sous domination étrangère tandis que la monarchie s'était écroulée sous le coup de la violence.92 La royauté devait, par la suite, se reconstituer sous les VIIIe, IXe, Xe et XIe dynasties. Mais elle n'allait pas incarner la même image de puissance et d'unité que celle de l'Etat memphite. Elle devait se caractériser par une perte de prestige devant la puissance des princes locaux, des règnes parallèles et des conflits internes.

L'étude de cette situation nous semble importante dans la mesure où elle permettra de voir le niveau de désagrégation qu'avait atteint l'Etat durant cette phase dite P.P.I.

D'après la chronologie de la P.P.I, ce fut la fausse VIIe dynastie qui avait fait suite à la fin troublée de la VIe dynastie. Cette fausse VIIe dynastie fait alors partie de cette époque mouvementée que fut la P.P.I. Elle fait partie de cette période sombre d'autant plus que son existence même est fortement controversée. En effet, là où Manéthon parle de « soixante-dix rois qui régnèrent pendant soixante-dix jours »93 pour cette dynastie, beaucoup d'égyptologues pensent qu'elle n'avait pas existé et qu'à sa place, se trouvait probablement un gouvernement oligarchique.94

Dans tous les cas, que l'on se réfère à la dynastie de Manéthon ou à l'hypothèse d'un gouvernement oligarchique, une situation reste confirmée : c'est l'absence d'un souverain unique pour toute l'Egypte au sortir de cette phase violente. Dès lors, il apparaît évident qu'après l'effondrement de la royauté, l'Egypte est restée un moment sans souverain unique incarnant la monarchie pharaonique. Ce qui constitue un fait notoire dans l'évolution politique du pays car, depuis son institution sous les dynasties thinites, les Annales officielles

92 Cf., supra, chap.I, B.

93 Manéthon cité par Vercoutter J., op.cit, 1992, p.354 94Cf., supra, I, A

29

ou les listes royales ne montrent pas une période où la monarchie est restée sans pharaon. Toutefois, cette situation a été, semble-t-il, momentanée. En effet, avec la VIIIe dynastie, la royauté devait renaître de ses cendres dans le lieu même où on n'avait procédé à sa mise à mort, c'est-à-dire à Memphis95. Mais ce retour ne devait pas pour autant permettre son rétablissement complet.

D'abord du côté de la Basse Egypte, l'occupation asiatique se poursuivait toujours.96Autrement dit, l'autorité royale ne s'y exerçait pas. Dans le reste du pays, il semble que cette autorité royale avait été reconnue mais au prix d'énormes concessions de la part des pharaons de l'époque. C'est ce que reflète l'analyse de l'unique document officiel datant de cette période et connu sous le nom des Décrets de Coptos.97 En effet, plusieurs de ces décrets étaient promulgués en faveur du vizir Chémai et de sa famille à Coptos par les souverains de la VIIIe dynastie. Chémai, en plus de sa qualité de vizir et époux d'une fille royale, se fit nommer prêtre du culte royal et gouverneur des vingt deux nomes de Haut Egypte98. Les liens consanguins entre ce vizir et les souverains de la VIIIe dynastie ainsi que les responsabilités qui lui ont été confiées montrent que les pharaons de l'époque avaient cherché l'alliance des puissantes familles de la Haute Egypte.99 D'ailleurs le fait que le pouvoir royal, dans des moments difficiles, cherche l'alliance des princes locaux par le biais du mariage n'est pas un cas isolé dans l'histoire de l'Egypte. Nous verrons que sous la VIe dynastie, au moment où la puissance des nomarques devenait de plus en plus menaçante pour le pouvoir central, les pharaons avaient cherché l'alliance des nomarques d'Abydos par le mariage.100 La famille de Chémai étant alliée à la famille royale, d'importantes charges et privilèges allaient être concédés à ses membres. C'est ainsi qu'un autre décret concernait la nomination de Idi, fils de Chémai comme prince des sept nomes méridionaux de Haute Egypte et comme grand prêtre des dieux de ces nomes.101

95 Sall B., op.cit, 1982, p.13

96 Nous n'avons pas de documents contemporains de la VIIIe dynastie attestant que celle-ci n'avait pas contrôlé la Basse Egypte. Mais le fait que la présence des Asiatiques soit évoquée par un document postérieur (l'Enseignement de Khéti, IXe et Xe dynasties) montre que les pharaons de la VIIIe dynastie avaient régné avec la présence de ces envahisseurs.

97 Ces décrets sont des ordres des pharaons copiés sur des dalles de pierre et affichés à l'entrée du temple de Min à Coptos (Cf., Le grand atlas de l'Egypte ancienne, op.cit, 1998, p.100)

98 Pirenne J., op.cit., 1962, p.11 La charge du gouverneur de Haute Egypte entre dans le cadre du maintien de l'autorité royale dans cette région. Nous reviendrons sur le contexte qui a entouré son institution sous l'A.E.

99 Gardiner A., Egypt of the pharaohs, London, Oxford Universty Press, 1979 (première edition 1961), p.108-109

100 Pirenne J., op.cit, 1962, p.10 101Id., Ibid, p.12

30

Ainsi, en leur conférant de très hautes charges et de grands honneurs, les souverains de la VIIIe dynastie reconnaissaient à cette famille un pouvoir extraordinaire, difficile à concilier avec le centralisme du gouvernement monarchique.102

Ces décrets, même s'ils constituent quelques uns des rares documents officiels connus de cette VIIIe dynastie, reflètent toutefois que celle-ci avait accordé d'importants pouvoirs aux chefs locaux du Sud pour s'assurer la soumission, au moins formelle, de leurs provinces. Mais il semble qu'en réalité le pouvoir des souverains qui régnèrent à cette époque était très limité. Cette faiblesse du pouvoir royal est aussi perceptible au niveau archéologique.

En effet, un seul monument royal datant de cette période nous est connu. Il s'agit de la pyramide du souverain Qakarê Aba. Cette pyramide, de dimensions très modestes, n'est pas plus large que les pyramides secondaires appartenant aux épouses de Pépi II.103 Ce qui peut être interprété comme étant la manifestation d'une perte de prestige de pharaon et au-delà pour la monarchie qu'il incarne.

L'effritement de la monarchie pharaonique s'était aussi manifesté à travers les expéditions que menait l'Egypte à l'étranger. Les pharaons décadents de cette période ne sont plus mentionnés dans les mines du Sinaï et n'envoient plus dans les pays lointains d'expéditions dont leurs dignitaires puissent tirer gloire.104

Toute cette situation avait été alors le reflet d'une monarchie qui s'était relevée d'une crise mais qui peinait à recouvrir la totalité de ses pouvoirs politiques et économiques. La VIIIe dynastie avait certes permis le retour de la monarchie pharaonique mais la restauration effective de celle-ci était loin d'être achevée. Et l'autorité de ses pharaons était amoindrie au point que les princes locaux allaient songer à s'emparer de la puissance souveraine.

La première tentative d'usurpation de la dignité royale fut l'oeuvre des princes d'Héracléopolis avec Khéti qui allait se proclamer souverain de Haute et Basse Egypte.105 Il fonda la lignée des pharaons héracléopolitains qui avaient constitué les IXe et Xe dynasties. La VIIIe dynastie devait disparaître dans des conditions obscures, emportant avec elle, Memphis et tout ce qu'elle symbolisait comme siège de la royauté pharaonique. Cette usurpation de la dignité royale par le prince Khéti devait constituer un tournant majeur dans la désagrégation qu'était entrain de subir la monarchie pharaonique. Dans la mesure où, si la

102 Le grand atlas de l'Egypte ancienne, op.cit., 1998, p.100

103 Brovarski E., « First Intermediate Period », in, Encyclopedia of the Archaeology of Egypt, London and New York, Routledge, 1999, p.43

104 Le grand atlas de l'Egypte ancienne, op.cit., 1998, p.101 105Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.216

31

VIIIe dynastie pouvait revendiquer le droit au trône d'Egypte malgré son origine abydéenne, il semble que ce ne pouvait être le cas pour Khéti et ses successeurs.106 D'abord nous n'avons pas d'éléments pouvant rattacher les princes héracléopolitains à la royauté memphite. Ensuite la seule chose que nous connaissons de Khéti, le fondateur de la lignée héracléopolitaine, est sa cruauté légendaire qui est probablement un écho de la force qui avait présidé à son usurpation de la dignité royale.107 Il ressort, par conséquent, de cette prise du pouvoir royal, par Khéti, qu'à la faveur de la crise, la dignité royale devenait accessible à ceux qui ne pouvaient pas y prétendre auparavant. Ce qui montre le niveau d'abaissement qu'avait atteint la dignité royale. Jusque là, il y'a eu des fondateurs de dynasties qui étaient considérés comme des usurpateurs du trône royal parce qu'ils n'étaient pas issus de la familles royale.108Ce fut le cas des fondateurs de la Ve dynastie qui, semble-t- il, avaient tiré leur légitimité de l'origine divine qu'ils se sont fabriqué.109 Ce fut aussi le cas de Téti (fondateur de la VIe dynastie) qui aurait obtenu sa légitimité au trône en épousant Ipout, « princesse » et fille d'Ounas (dernier pharaon de la Ve dynastie)110. Ces exemples montrent bien qu'à chaque fois qu'il y avait usurpation du pouvoir royal, les auteurs avaient cherché un moyen pour se légitimer sans passer par la force. Mais il semble que l'avènement des princes héracléopolitains, favorisé par la crise, avait constitué en même temps, une remise en cause des fondements de la légitimité au trône d'Egypte. Désormais, la force est devenue un élément indispensable dans l'acquisition de la dignité royale.

Dans ces conditions, il n'est pas exclu que d'autres princes locaux puissent nourrir des ambitions par rapport à la dignité royale. A Thèbes déjà, le nomarque Antef portait les titres ci-après : prince héréditaire, comte, grand seigneur du nome Thébain, satisfaisant le souverain comme gardien de la Porte du Sud, qui fait vivre les Deux Terres, prophète supérieur,... Antef.111 Ces titres, notamment celui relatif aux « Deux-Terres » (c'est-à-dire la Haute et Basse Egypte), montrent non seulement qu'Antef disposait d'importants pouvoirs

106Nous avons évoqué les liens consanguins unissant les nomarques d'Abydos à la famille royale à partir de la VIe dynastie. Il est possible que sur la base de ces liens, les Abydéens revendiquent le trône après que la famille royale de Memphis se soit éteinte sous le coup de la révolte.

107Khéti fut à l'origine nomarque du 20e nome de Haute Egypte avec comme capitale provinciale Héracléopolis. Après avoir vaincu les nomarques voisins, il devait usurper de force la dignité royale et se faire reconnaître comme souverain d'Egypte. Ce qui explique probablement le fait que Manéthon présente Khéti comme un cruel tyran qui finit dans la démence et meurt dévoré par un crocodile (Cf., Rosali and David A E., op.cit., 2001, p.1)

108 Dans le dogme royal, le droit au trône est fondé sur la nature divine du monarque, transmise par le sang (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.88)

109Nous verrons dans le chapitre consacré à la venue de cette dynastie, les éléments utilisés pour la légitimation de ses pharaons.

110 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318; Grimal N., op.cit., 1988, p.96.

111 Breasted J. H., op.cit., 1988, paragraphe 420.

32

dans sa province, mais qu'il avait des ambitions pour le trône royal. C'est ainsi que même si la situation n'allait pas intervenir avec ce Antef, ses successeurs notamment Séhertaoui Antef II, devaient finir par usurper à leur tour la dignité royale et régner sur la Haute Egypte. Cette seconde usurpation consacra la division de l'Egypte et la désagrégation de la monarchie pharaonique. A partir de là, la royauté devait connaître des règnes parallèles avec des souverains à Héracléopolis et à Thèbes. Le pays devait se partager entre la Basse Egypte occupée par les Bédouins, la Moyenne Egypte sous l'autorité héracléopolitaine et la Haute Egypte dirigée par les Thébains.112 Les souverains héracléopolitains devaient par la suite parvenir à chasser les occupants asiatiques de la Basse Egypte.113 Dès lors, l'Egypte reprenait le caractère qu'elle avait connu avant son unification par Narmer c'est-à-dire un royaume dans le Nord et un autre dans le Sud.114 Et non seulement le pays est divisé en deux royaumes mais en plus ces royaumes devaient se faire la guerre dans le but, semble t-il, d'hériter de la monarchie pharaonique. Le conflit qui opposa les deux royaumes rivaux apparaît dans plusieurs textes datant de cette période.115 Ainsi, dans l'enseignement qu' il donna à son fils, Khéti III lui disait : « ne sois pas en mauvais terme avec le Sud ; tu sais ce que la Résidence a annoncé à ce sujet... mais ils n'ont pas franchi(notre frontière) comme ils le disent ; je me suis approché de la ville de This et celle de Maquî, à la limite Sud de Taout , je les ai saisis comme un nuage qui crève ; le roi Mery (ib) Rê juste-de-voix n'avait pas pu faire cela . »116 Le souverain héracléopolitain reconnaît implicitement que l'autorité de son royaume ne va pas au-delà de This et il se targue même d'avoir approché cette ville. Cela, malgré le fait qu'il se considère comme souverain de Haute et Basse Egypte.

Les mêmes références au conflit apparaissent chez le souverain thébain, Ouhankh Antef II lorsqu'il dit, dans son inscription tombale, qu'il a capturé le nome entier de Thinite, ouvert toutes les forteresses et y a installé la Porte du Nord.117

112 Sall B., op.cit., 1982, p.10

113 Nous retrouvons dans le texte de Khéti, un passage relatif à l'expulsion des Bédouins de la Basse Egypte lorsqu'il dit : « Maintenant ce qui suit est dit à propos des étrangers ...Ces étrangers étaient comme un mur clos, je l'ai ouvert...et je fis en sorte que la Basse Egypte les frappe, je pillai leurs biens, je me saisis de leurs troupeaux, jusqu'à ce que les Asiatiques fussent dégoûtés de l'Egypte »(Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1984 p.54)

114 Pirenne J., op.cit., 1961, p.33.

115 Lalouette Cl., supra, chap.I, A, note 40, (Enseignement de Khéti III); Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 393 à 396 et 422 à 423 ; Grimal N., op.cit., 1988, p.177-178(extrait du texte d'Ankhtifi).

116 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.53

117Breasted J.H., op.cit,1988, paragraphe 423.Le fait que les deux souverains (Khéti III et Ouhankh Antef II) évoquent la même situation conflictuelle au tour de la ville de This (This=Thinite. Cf., Rachet G., op.cit., 1998, p.223) confirme le fait que ces deux souverains étaient contemporains et rivaux. Et quand on compare leurs deux textes, c'est comme si on assistait à une « batail de communication » où le texte de Khéti apportait un démenti à celui de son homologue Ouhankh Antef II à propos du control de This.

33

C'est dire qu'à la place d'un Etat qui était uni à l'A.E., l'Egypte s'était retrouvée avec deux royaumes hostiles, qui se faisaient la guerre durant la P.P.I.

La royauté n'allait pas complètement disparaître, mais l'essentiel de ses prérogatives devait se partager entre les souverains régnant à Héracléopolis et à Thèbes et entre les princes locaux. Ces derniers, d'après les inscriptions qu'ils ont laissées, apparaissent comme des chefs qui disposaient d'énormes pouvoirs qui auparavant relevaient de la royauté. Et, se sentant responsables de leurs domaines respectifs, ils vont affirmer leur conscience et leur indépendance.

Ainsi le prince Khéti II d'Assiout disait à propos de ses réalisations dans sa province : j'ai fait relever la terre submergée. J'ai fait que l'eau du Nil coule partout, . .chaque voisin était approvisionné en eau et chacun disposait de l'eau du Nil à son désir. .J'étais riche en graine . .J'ai remis tous les impôts que j'ai trouvés établis par mes pères. J'ai rempli le pâturage du bétail.118 Cette mentalité de roitelet se remarque aussi chez le nomarque Ankhtifi lorsqu'il dit : j'apporte du pain à l'affamé du vêtements à la personne nue . .j'ai donné du sandale à celui qui marche pieds nus. .Toute la Haute Egypte mourrait de faim et les gens étaient réduits à manger leurs fils, mais je n'ai pas accepté que quelqu'un meurt de faim dans ce nome.119 Et il ajoute, « j'ai fait vivre les nomes d'Hiérakonpolis et d'Edfou, Eléphantine et Ombos ! ».120 Ces textes qui émanent des chefs locaux montrent bien que ces derniers s'étaient substitués à l'autorité royale dans les provinces. En effet, les services qui, traditionnellement, étaient sous l'autorité de pharaon pour toute l'Egypte comme celui des grands travaux du roi, celui des eaux qui assurait l'entretien des canaux et des vannes dans

Cette ville, vu ce qu'elle symbolisait en tant que première capitale de la monarchie pharaonique, avait probablement constitué un enjeu dans la lutte qui opposa les deux royaumes rivaux. Il semble qu'à un certain moment donné, elle avait constitué une frontière pour les deux royaumes rivaux. (Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.291, note 30)

118 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 407- 408

119 Seidlmayer S., «The First Intermediate Period», in, Shaw I., op.cit., 2000, p.129

120 Grimal N., op.cit. 1988, p.178. Durant cette période de crise, il est probable que la famine gagne une bonne partie du pays. Cette situation pouvait s'expliquer par la détérioration des conditions climatiques et la désorganisation du pouvoir royal qui, rendait impossible toute maîtrise des eaux du Nil en vue d'une exploitation judicieuse. Toutefois, les paroles d'Ankhtifi, à propos d'une famine qui aurait poussé les Egyptiens à des pratiques d'anthropophages, doivent être nuancés. D'abord du fait qu'aucun autre texte ou représentation datant de cette époque ne laisse apparaître une telle pratique. Ensuite, il existe des textes contemporains, notamment ceux des princes de Thèbes ou d'Assiout qui montrent que malgré la crise, la situation de la Haute Egypte n'a pas été aussi critique comme le dit Ankhtifi. D'ailleurs, le mérite de ces princes était, de parvenir à suppléer dans leurs provinces respectives, les services de l'Etat, pour le bien-être des populations.

34

toute l'étendue du territoire, n'existent plus qu'au niveau du nome où ils sont dirigés par le prince local.121

En outre, des épithètes qui étaient exclusivement réservés à pharaon comme « may he live for ever » ou « the protection of life be around him like Rê eternally » sont désormais portés par des princes locaux.122 Ces derniers disposaient aussi de pouvoirs militaires. C'est ce qui apparaît à travers leurs inscriptions. A Assiout, la force militaire est évoquée à plusieurs reprises dans les récits des nomarques. Ainsi, Tefibi, faisant référence à la guerre avec les souverains thébains, disait : « The first time that my soldiers fought with the Southern nome123 Le pouvoir militaire des princes d'Assiout est représenté sur le plan artistique à travers des statuaires où sont sculptés des groupes de soldats en défilé.124 Quant à Ankhtifi, il se glorifiait de son pouvoir militaire à travers un passage de son texte où il disait : «... j'ai constaté que toutes les forces de Thèbes et de Coptos avaient pris d'assaut les forteresses d'Erman (...) j'abordais la rive occidentale du nome de Thèbes (...) Mes troupes d'élites cherchèrent le combat dans la région occidentale du nome de Thèbes mais personne n'osait par crainte d'elles. Alors, je descendis le courant et abordait sur la rive orientale du nome de Thèbes (...) Alors mes braves troupes d'élites se firent éclaireurs à l'Ouest et à l'Est du nome de Thèbes, cherchant le combat. ».125 Ces passages sus-cités confirment bien la guerre civile qui ravagea l'Egypte à l'époque. En outre, ils montrent que certains nomarques avaient combattu les thébains à la faveur héracléopolitaines. Mais au delà de toutes ces informations, c'est le caractère très autonome du pouvoir militaire des princes qui apparaît ici. En laissant le soin aux chefs locaux de défendre les frontières d'un royaume diminué, les souverains de cette époque de crise admettaient en même temps que ces derniers puissent disposer de leurs propres troupes.

C'est ainsi que si à l'A.E., les chefs militaires aussi puissants que soient-ils comme Ouni ou Pépinakht, évoquaient leurs exploits militaires en commençant par « La Majesté de mon seigneur m'envoya ... », à présent, les nomarques parlent de « mes soldats » ou de « mes troupes d'élites »126. Toute cette situation montre que durant la période de royauté double, les nomarques s'étaient emparés de l'essentiel des prérogatives de pharaon qu'ils ont exercé

121 Pirenne J. op.cit., 1962, p.24

122 Gardiner A., op.cit., 1979, p.114

123 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 396

124 Vandier J., Manuel d'archéologie égyptienne, Tome III : Les grandes époques. La statuaire, Paris, A. Et J. Picard et Cie, 1958, p.154 ; Wildung D., op.cit., 1984, p.159 à 161

125 Grimal N., op.cit., 1988, p.178

126 Pour les textes biographiques d'Ouni et Pépi-Nakht, Cf., Roccati A., op.cit., 1982, respectivement p.187 à 197 et 208 à 211

35

localement. D'après A. Moret, ils s'étaient attribuer, à titre héréditaire, des privilèges sacrés et des devoirs de pharaon comme chef d'armée, grand prêtre, juge, administrateur, pourvoyeur de terres et de nourriture.127

Il apparaît ainsi que certes, la royauté pharaonique n'avait pas complètement disparu, mais elle avait connu une profonde désagrégation durant cette époque sombre de la P.P.I. Cette situation de régression peut aussi se lire sur le plan culturel à travers la production artistique de cette époque de crise.

B- Régression de l'art

Le désordre et le disfonctionnement de l'Etat pharaonique n'avaient pas été les seules manifestations de la crise de la P.P.I. En effet, la société égyptienne avait été une société fortement structurée autour de la toute puissance de l'Etat qui mettait son sceau sur toutes les activités.128 A la tête de ce puissant Etat, se trouvait le pharaon. Et, en tant que lien vivant entre la divinité et ses sujets, c'est de lui que dépendent les actes religieux, funéraires et même les actes profanes dont le caractère n'est bien faisant qu'enrobé dans le bon vouloir divin.129 En outre, il y a le fait que les moyens de production de l'oeuvre d'art dépassaient les possibilités d'un simple particulier. Il était impossible pour un seigneur, si puissant soit-il, d'organiser pour son propre compte une expédition dans les carrières pour extraire et faire tailler le sarcophage, les montants de portes ou de statues dont il avait besoin pour sa tombe.130 C'est là le rôle de l'Etat. Cela d'autant plus que les ateliers dans lesquels sont sculptées les statues ou gravés les reliefs dépendent du pouvoir central.131 Toute cette situation devait avoir comme effet, une étroite dépendance de l'activité artistique vis-à-vis du pouvoir memphite. L'une des manifestations de cet état de fait se trouve dans le fait que l'essentiel des écoles et ateliers d'art se trouvaient à Memphis, à la commande du souverain et de la cour.132 En outre, l'artiste égyptien fut un fonctionnaire qui remplissait un devoir d'Etat.133

127 Moret A., Histoire de l'Orient, Tome I. Préhistoire IVe et IIIe millénaires, Paris, P .U.F. 1941, p.431

128 Daumas F., op.cit., 1982, p.431

129 Drioton E Du Bourguet P., Les pharaons à la conquête de l'art, Desclée de Brower, 1965, p. 24

130 Grimal N., op.cit., 1988,p.112-113 131Ibidem

132Aufrère J., Golvin J.- Cl., Goyon J.- Cl., L'Egypte restituée, Tome I, Sites et temples de Haute Egypte. De l'apogée de la civilisation pharaonique à l'époque romaine, Paris, Editions Errance, 1997, p.55 133Posener G., Sauneron S. et Yoyotte J., op.cit., 1999, p.25

36

Compte tenu de tous ces éléments, il n'est pas étonnant que les vicissitudes du pouvoir royal affectent l'évolution de l'art égyptien.

Ainsi, la P.P.I., caractérisée par l'effondrement du pouvoir royal, devait constituer une période de recul pour l'art. C'est la raison pour laquelle, l'analyse de la situation de l'art pendant cette époque sombre, permet en même temps, de voir sous un angle culturel, la décrépitude du pouvoir monarchique en Egypte.

En effet, l'un des premiers signes de régression de l'art avait été l'absence de monuments royaux durant cette période. Cette situation, en dehors du fait qu'elle reflète l'état de faiblesse qu'avait atteint la royauté, avait comme conséquence, la réduction de la production des oeuvres d'art. Ceci du fait que l'art égyptien était conçu et pratiqué en fonction de l'architecture.134 Or l'absence ou la rareté des monuments voudrait en même temps dire diminution du travail architectural. Nous avons vu que vers le Nord, le seul édifice royal connu de cette période sombre est une pyramide de modestes dimensions. On n'a pas retrouvé des monuments appartenant aux souverains qui avaient régné à Héracléopolis.135 Quant à Thèbes, les souverains de la XIe dynastie dont la nécropole se situe à Drah Aboul Naga, avaient des tombes qui étaient de simples fosses ou bien des chambres rupestres.136Toute cette situation montre que l'architecture funéraire royale avait souffert de la crise. Contrairement à celle-ci, l'architecture funéraire privée, favorisée par le développement de la tombe rupestre, devait faire état d'un nombre important de monuments.137 Ce développement de l'architecture funéraire privée peut être la manifestation de l'accroissement des pouvoirs des princes à travers le pays. Cependant, les tombes appartenant à ces chefs locaux sont généralement pauvres ; ce qui illustre le fait que leurs propriétaires avaient eux aussi souffert de la situation difficile dans laquelle se trouvait l'Egypte.138

Dans le relief et la peinture, on note une réduction de la décoration funéraire de sorte que souvent (dans les tombes rupestres comme dans les mastabas en briques crues), la stèle funéraire devient l'unique support de l'écriture et de l'image.139 Aussi, le travail se caractérise par une pauvreté fréquente.140 Il existe toutefois des différences d'une région à

134 Bohême M..A., op.cit., 1992, p.9

135 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.26

136 Vandier J, op.cit., 1954, p.154-155

137 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.145 138Vandier J., op.cit, 1954, p.312-313

139 Wildung D., L'âge d'or de l'Egypte : le Moyen empire, Fribourg, Office du Livre S.A., 1984, p.24

140 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.149

37

une autre, manifestation de l'émergence des écoles d'art locales dans les chefs-lieux régionaux à la place des ateliers de la Résidences.141

Ainsi dans certaines régions comme Memphis où le pouvoir était absent, les quelques mastabas de cette période offrent quelques spécimens d'un travail grossier. Il s'agit des reliefs en fragments où les sujets sont réduits à l'essentiel et comprimés dans de petits panneaux avec des dessins anguleux et le relief est léger et très peu soigné.142

L'essentiel de la décoration, datant de cette période intermédiaire, provient des tombes princières des Moyennes et Hautes Egypte. A Assiout par exemple, les tombes de Khéti II et de Tefibi présentent des sujets qui sont de longues rangées de soldats avec une qualité parfaite des reliefs.143

On retrouve aussi des décorations dans les tombes d'Ankhtifi à Mo'alla, du général Iti à Gebelein et du monarque Setka à Assouan. La décoration de ces tombes qui présente des ressemblances, se caractérise par des sujets maigres, élancés et maladroits avec des combinaisons de couleurs parfois désagréables.144

Au niveau de la statuaire, l'effet de la crise devait se manifester dans l'utilisation du bois à la place de la pierre. En effet, la non utilisation de la pierre à l'époque serait due au tarissement des sources classiques d'approvisionnement en pierre dans les carrières par les grandes expéditions organisées depuis la capitale.145Il s'y ajoute que durant cette période de crise, la cour royale de Memphis, qui organisait les expéditions dans les mines, avait disparu, cédant la place aux cours provinciales. Or, malgré le fait qu'ils disposaient d'un certain nombre de pouvoir dans leurs provinces respectives, les princes locaux ne disposaient pas d'une puissance qui pouvait leur permettre de lever des expéditions vers les mines, comme le faisait le pouvoir memphite.

Il existe cependant, pour cette période, des oeuvres d'une certaine qualité. C'est le cas à Assiout où une quarantaine de soldats armés sont représentés sur une planche rectangulaire en bois en deux groupes. Les soldats du premier groupe sont armés de piques et de boucliers et ceux du second groupe d'arcs et de flèches.146

141Ibidem

142 Ibidem

143 Ibidem

144 Brovarski E., op.cit, in, Encyclopedia of the Archaeology of Ancient Egypt, 1999, p.318

145 Grimal N., op.cit, 1988, p.191

146 Drioton E Vandier J. op.cit, 1984, p.224

38

Comme on le constate à travers cette brève description de l'art égyptien de la P.P.I., celui-ci contraste à plusieurs niveaux, avec l'art de l'A.E., caractérisé par sa grandeur et son harmonie.

C- Réveil d'une nouvelle conscience

Ce fut en Egypte que se constitua la première forme monarchique de l'Etat et, pour avoir connu tous les problèmes qui peuvent s'abattre sur une société, l'Egypte leur a cherché les premières réponses147. Or, l'un des premiers bouleversements majeurs qui ébranla la civilisation de l'Egypte avait été cette crise dont nous venons de décrire les manifestations. C'est durant cette crise que la forme monarchique de l'Etat, instituée depuis plusieurs siècles, s'était effondrée. C'est aussi cette époque qui a vu la paix sociale qui caractérisa l'A.E., se rompre sous le coup de la violence. Cette période intermédiaire fut alors une période inquiète et turbulente qui devait ébranler la conception du monde de l'ancienne Egypte.148

La crise de conscience qui s'empara des Egyptiens de cette période de troubles devait les pousser à redéfinir leur place dans l'univers.149 Dès lors, la P.P.I. ne devait pas apparaître uniquement comme une période de décadence politique et sociale mais elle devait être aussi, celle qui a favorisé l'éclosion de nouvelles idées.

Nous suivons cette émergence d'un esprit nouveau à travers les textes littéraires qui datent de cette période de crise. Parmi ces textes, il y a l'Enseignement du roi Khéti III à son fils Mérikarê ; La Satire des métiers ou bien Les Neufs palabres du paysan volé.150 Ces trois textes permettent de lire l'état d'esprit de l'Egyptien par rapport à la crise politique et sociale qui a secoué son pays. Nous avons ensuite le Dialogue entre l'homme et son ba et Les chants

147 Sall B., « L'image memphite des nubio-soudanais », in, ANKH : Revue d'Egyptologie et Civilisations Africaines, n° 8/9, 1999-2000, p.31

148Woldering I., Egypte. L'art des pharaons, traduit de l'allemand par Louise Servicen, Paris, Albin Michel, 1963, p.42

149Grimal N., op.cit., 1988, p.182

150 Pour ces trois textes, (Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1982, respectivement p. 50à 57 ; 192 à 197 et 197 à 211). Le texte des Neufs palabres du paysan volé a été traduit par G. Lefebvre sous le titre de Conte de l'oasien. D'après lui, rien ne prouve que l'homme volé fût un paysan, d'où le choix de l'oasien pour désigner l'auteur de ce texte, en référence au milieu d'où il est venu (Cf., Lefebvre G., op.cit., 1982, p.41à69)

39

du harpiste.151 Ces deux derniers textes illustrent l'émergence d'une pensée pessimiste dans une société qui venait de vivre le bouleversement de sa civilisation.

L'analyse de ces différents textes littéraires permet ainsi de saisir, dans une certaine mesure, l'évolution de la pensée en Egypte, par rapport à la vie politique, sociale et religieuse.

Cette évolution est notée d'abord au niveau même des thèmes qui sont développés dans ces textes contemporains de la P.P.I. En effet, si à l'A.E., l'essentiel des écrits connus était des textes religieux ou biographiques, ceux de la période intermédiaire se caractérisent par leur tendance à aborder des thèmes jusque là ignorés dans la production littéraire. Entre autres thèmes, il y a ceux qui attraient à la gestion du pouvoir royal, à la gouvernance publique, à la justice et à l'ordre social établi.

D'abord sur le plant politique, le système monarchique, tel qu'il se présentait sous l'A.E., avait comme centre, la personne du pharaon. Ce dernier était le garant de l'ordre et de la sécurité, protecteur du faible, celui qui devait veiller à la venue des crues du Nil pour éviter que la misère ne s'abatte sur son peuple. Aussi, en sa qualité d'héritier du pouvoir des dieux et de « fils de Rê », il incarnait un pouvoir divin. Cependant, la crise qui avait secoué l'Egypte à la fin de l'A.E., avait bouleversé toute cette conception qu'on se faisait de pharaon. Nous avons vu qu'au cours de la violence, ce dernier avait été déchu du trône qu'il incarnait. Le pays allait connaître une invasion étrangère et une guerre civile. Par la suite, les restes de la monarchie allaient être disputés entre les différents chefs de provinces. Toute cette situation devait finir par discréditer le dogme sur lequel se fondait la royauté pharaonique.

Il fallait alors revoir le fonctionnement même de cette institution pour éviter que de pareilles catastrophes ne se reproduisent en Egypte. C'est dans ce sens que Khéti III (un des souverains de l'époque intermédiaire), conscient de cette situation, allait prodiguer des enseignements à son fils et successeur Mérikarê. Dans les recommandations concernant la fonction de souverain, il disait à son fils : « Soi «artisan en parole » pour être fort, c'est la puissance d'un homme que sa langue ; les mots sont plus forts que n'importe quel combat ; [...] C'est une école pour les Grands que l'homme sage ; ceux qui connaissent son savoir ne l'attaquent pas, aucun [mal] ne survient dans son voisinage. Les Vérités et Justice viennent à

151 Nous utilisons ici la traduction de Cl Lalouette., op.cit., 1984, respectivement p.421 à 429 et 229-230. Nous retrouvons les extraits de la traduction des deux textes chez Th. Obenga., La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère, Paris, l'Harmattan, 1990, p.189 à 197 et 473

40

lui déjà « brassées », [...] Cherche à égaler tes pères, ceux qui ont vécu avant toi... Vois, leur paroles persistent dans les livres ,
· ouvre (ceux-ci), lis et copie (leur) connaissance ,
· l'homme habile devient alors un homme instruit.
»152 Derrière ces propos de Khéti, apparaît l'importance fondamentale que les qualités humaines devaient occuper dans l'exercice de la fonction royale. Il s'agissait de substituer l'intelligence à la violence dans la vie politique en fondant cette dernière sur des bases largement humaines.153 En effet, si à l'A.E., il suffisait que le roi fût roi, il faut à présent qu'il ait des qualités humaines.154 La crise avait fini par révéler que malgré le fait qu'il était le « fils de Rê » et que son pouvoir était de nature divine, pharaon n'a pas été épargné par le peuple lors de la révolte. Tirant les leçons de cette situation, Khéti avait cherché à mettre en exergue les qualités humaines du souverain dans la gestion du pouvoir. Un homme d'Etat doit avoir le sens du dialogue car dans certaines circonstances, la parole peut se révéler plus efficace que la force qu'il incarne. Le fait que Khéti, de surcroît un souverain, conseille à son fils et successeur de disposer des qualités humaines reflète l'évolution très sensible qu'était entrain de subir la nature divine de la royauté pharaonique. Mettre la parole au service de la royauté, signifie en même temps qu'on était entrain de faire recours à des moyens d'actions autres que le dogme de la royauté divine, qui était le fondement du pouvoir monarchique. Et au delà, c'est l'évolution des idées politiques qui apparaît à travers ces conseils de Khéti à son fils. Sous l'A.E., les textes en rapport avec la royauté ne faisaient pas de remarques sur pharaon ni sur l'exercice de son pouvoir. Cela du fait que la nature surhumaine des pharaons et la dévotion que leur vouaient leurs sujets excluaient tout dialogue véritable. Pharaon promulguait des décrets et adressait des instructions, il ne parlait pas de lui-même, ni de ce qu'il faisait, car il n'en avait pas besoin.155 Mais la crise qui a secoué l'institution royale est passée par là et, il fallait s'adapter aux modifications qu'elle avait introduites dans la conception du pouvoir monarchique

Dans ce texte de Khéti, on retrouve des passages où l'auteur faisait allusion à l'application de ce que nous pouvons considérer comme étant une politique de bonne gouvernance. En effet, en demandant à son successeur de ne pas préférer le fils d'un homme riche à celui d'un pauvre et de choisir un homme en fonction de ses actes,156 Khéti préconisait en même temps la suppression de l'hérédité dans les charges publiques.

152 Id., Ibid, p.50

153 Daumas F., op.cit., 1982, p.77-78

154 Posener G., op.cit., 1956, p.9

155 Id., Ibid, p. 15

156 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.52

41

Autrement dit, les liens familiaux devaient cesser d'être un critère d'accès aux charges de l'Etat, comme cela s'était produit sous l'A.E.,157 Seul la compétence de l'homme devait lui valoir la confiance de pharaon. Ce dernier devait aussi lutter contre la pratique de la corruption au sein des institutions étatiques. Pour ce faire, la solution se trouve dans le bon traitement des agents de l'Etat. Ainsi pour Khéti, il faut accorder de l'importance aux fonctionnaires car, «Celui qui est riche dans sa maison ne sera point partial,... il possède des biens et n'a pas de besoin. Mais l'homme démuni ne parlera pas selon la Vérité, il ne peut être juste celui qui dit « Ah ! Si j'avais » il se portera vers celui qui lui plait et favorisera celui qui a des récompenses pour lui. »158 Pour que les institutions royales fonctionnent correctement, il faut que les serviteurs de l'Etat soient mis dans de bonnes conditions. C'est aussi le seul moyen de lutter contre la corruption.

Comme on le constate à travers ces conseils de Khéti, la crise de la P.P.I, avait conduit la royauté à revoir son fonctionnement. Le pharaon ne devait pas se contenter uniquement de régner. Il devait veiller à ce que les institutions royales fonctionnent correctement car, c'est désormais à ce niveau, et non dans la nature divine de son pouvoir, qu'il pouvait s'assurer l'estime de son peuple.

Les conseils de Khéti à son fils ont aussi concerné la question de la justice. Par rapport à celle-ci, il lui disait: « accomplis la Justice tant que tu dureras sur la terre. Apaise celui qui pleure ; n'opprime pas la veuve ; n'expulse pas un homme des possessions de son père [...] Garde-toi de punir à tord ; ne supprime pas celui qui ne t'est pas utile ; et si tu punis, que ce soit au moyen de la bastonnade ou de l'emprisonnement ; ainsi le pays sera fermement établi, à l'exception du révolté dont les plans seront découverts, car Dieu connaît l'homme au coeur vil et Dieu punit, par le sang, les mauvaises actions... »159 Il y a là une conscience élevée de l'importance de la justice dans la consolidation d'un Etat. Le respect des droits de l'homme doit être un souci majeur pour le souverain. Il doit veiller à ce que toute décision de justice fasse l'objet d'un procès équitable. En outre, les seules formes de punitions suggérées, étaient l'emprisonnement ou la bastonnade. Aujourd'hui les défenseurs des droits de l'homme diront que la bastonnade relève de la torture. Il reste cependant,

157 Nous verrons que sous l'A.E., l'introduction de l'hérédité dans les charges de l'Etat devait constituer un des éléments qui ont contribué à l'affaiblissement du pouvoir memphite qui devait s'effondrer par la suite.

158 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.51. Dans un autre texte qui date de cette même période, en l'occurrence

les Neufs palabres du paysan volé, l'auteur se montre très critique vis-à-vis des magistrats qu'il juge comme étant des corrompus. Pour lui, « ce peut-être une (simple) corbeille de fruits qui (parfois) «retourne» les juges ; car c'est leur pâture de dire des mensonges » (Cf., Id., Ibid, 203).

159 Ibidem

42

qu'elle est préférable à la peine de mort. Or, pour Khéti, la peine de mort ne relève pas de la justice des hommes mais de celle de Dieu. C'est lui qui « punit, par le sang, les mauvaises actions ».160 Ceci pour dire que le respect de l'être humain avait atteint un niveau tel que même si l'homme commet un acte qui est puni par le sang, on dit que la sentence est d'ordre divin. La peine de mort, semble-t-il, est étrangère à la civilisation égyptienne. D'après J. Pirenne, durant toute la période de l'A.E., (en dehors de figures de très ancienne origine, et devenues symboliques, qui montrent le pharaon mettant à mort un ennemi vaincu) on n'a pas de connaissance de relation ou représentation de la peine de mort.161

Si le souverain est tenu à veiller pour une bonne application de la justice, ce n'est pas seulement pour une question de gouvernance, mais c'est parce que lui-même est désormais tenu de se justifier au jour du jugement dernier. A ce propos, voici ce que Khéti faisait savoir à son héritier: « Les magistrats divins qui jugent les misérables, tu sais qu'ils ne sont pas indulgents, en ce grand jour du jugement du malheureux, à l'heure d'établir la sentence ,
· et cela est pénible lorsque l'accusateur est le Sage (Thot). Ne te fit pas à la longueur des années (que tu as vécues), car ils considèrent le temps de vie comme ils considèrent une heure. L'homme demeure après sa mort, et ses actes sont placés à côté de lui en un tas ,
· c'est l'éternité qui est là, et c'est insensé celui qui à accompli ce qu'ils (les juges) blâment ,
· mais celui qui a atteint ce lieu sans avoir commis de mauvaises actions, il demeurera là comme Dieu, marchant librement de même que les (autres) possesseurs du Temps éternel.»162
Ces propos, qui de surcroît, étaient prononcés par un souverain, révèlent un autre aspect de l'évolution de la doctrine divine de pharaon. En effet, dans la religion funéraires, il est établi que pharaon, puisqu'il était d'une essence divine, à sa mort, il rejoignait les dieux et continuait de régner sur ses sujets. D'où, c'était lui qui disposait d'une pyramide et c'est pour lui que sont composés les Textes des Pyramides. Si un particulier bénéficie de cette immortalité, c'est par une faveur royale. Mais à présent, cette opportunité dont disposait pharaon à rejoindre les dieux après sa mort est maintenant suspendue aux actes accomplis sur terre. D'après N. Grimal, la rétribution des actes du pharaon, souverain par delà la mort, est une chose qui eut été impensable.163 Mais au-delà, c'est l'évolution du concept divin de la royauté pharaonique qui apparaît à travers ces changements dénotés dans la religion funéraire.

160 Ibidem

161 Pirenne J., op.cit., 1961, p165

162 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 52

163 Grimal N., op.cit., 1988, p.183

43

Les deux autres textes qui reflètent les changements intervenus à la faveur de la crise sont le Dialogue entre l'homme et son ba et le chant du harpiste. A travers ces textes, on peut lire la crise de conscience qui s'était emparée de l'Egyptien durant cette période de crise.

En effet, l'effondrement qui se produisit à cette époque avait non seulement entraîné la dislocation de l'ordre établi par l'Etat, mais aussi, la conception que l'Egyptien se faisait du monde allait subir des évolutions. Ce que l'on avait paru bâtir pour l'éternité s'était révélé périssable.164 L'homme c'est rendu compte qu'en réalité, rien n'était éternel dans le monde d'ici bas. C'est dans ce sens que le harpiste, faisant allusion à la mort d'Antef165, disait : « c'est un homme prospère, ce bon seigneur. Un destin heureux est maintenant fini. Une génération passe et d'autres hommes viennent à sa place depuis le temps des ancêtres [...] J'ai entendu les discours d'Imhotep et de Dedefhor dont les hommes partout prononcent les paroles, mais où est maintenant leur résidence ? Leurs murs sont détruits, leur emplacement même n'est plus, comme s'ils n'avaient jamais existé. »166 Derrière cette allusion faite à Antef et à des personnages comme Imhotep, c'est le caractère relatif de l'homme et de ses actions qui est rappelé par le harpiste. En effet, quel que soit ce que l'homme a représenté ou ce qu'il a réalisé sur terre, il est condamné à disparaître un jour et d'autres générations viendront à sa place.

Dès lors, si l'homme est condamné à disparaître un jour ou l'autre, à quoi vaut la peine de s'accrocher à cette vie dominée par la violence ? L'auteur du Dialogue entre l'homme et son ba se lamente de cette situation en s'interrogeant en ces termes : « A qui parlerais-je aujourd'hui ? Les coeurs sont cupides. Et chacun emporte le bien de son prochain [...] La douceur a péri. La puissance revient à tous [...] On pille. Chaque homme dépouille son prochain.» Face à cette situation difficile, la mort allait être vue comme une solution aux difficultés de la vie. Elle se présente à l'homme « comme la guérison après un

164 Wolf W., Le monde des Egyptiens, (texte français de Jaques Boitel), Paris, Corrêa Bouchet / Châtel, 1955, p.52

165 Il n'est pas précisé dans le texte, à quel Antef le harpiste fait allusion ? Mais étant donné que le texte date de la P.P.I, on peut supposer qu'il s'agit d'un des souverains Antef qui ont régné à cette époque sur une partie du pays.

166 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.228. Les deux personnages illustres auxquels le harpiste fait allusion dans ce texte à savoir Imhotep et Dedefhor, ont vécu sous l'A.E. Le premier, Imhotep, avait vécu sous le pharaon Djeser, (IIIe dynastie). Grand-prêtre d'Héliopolis, la ville du dieu Rê, prêtre-lecteur et architecte, Imhotep fut conseiller du pharaon et initiateur de cette admirable architecture en pierre qu'était la pyramide. Il fut l'objet d'un culte à la Basse époque. Quant à Dedefhor, il était un des fils du pharaon Chéops. Homme de lettre, il fut comparé dans une certaine mesure à Imhotep. Aussi dans le conte du Papyrus Westcar, c'est lui qui introduit le magicien Djédi au près de Chéops à qui il allait annoncer l'avènement des pharaons de la Ve dynastie (Cf., Grimal N., op.cit., 1988, p.80-81 et 89-90)

44

accident [...] comme l'odeur de la myrrhe [...] Comme le parfum du lotus »167 Elle devient libératrice ; c'est le grand air du dehors que goûte intensément tout homme après une longue détention.168 C'est pourquoi elle s'est présentée à l'homme comme une alternative face à cette vie devenue très difficile. Et pour convaincre son ba de mourir avec lui, l'homme propose qu'il ferait « en sorte qu'il atteigne l'Occident comme le ba de celui qui repose dans la pyramide [pharaon] et pour l'enterrement de qui demeure encore quelqu'un sur terre ».169 Derrière cette proposition de l'homme à son ba apparaît l'inégalité des Egyptiens devant la mort et l'envi qu'avait le peuple de bénéficier de l'immortalité de l'âme à l'instar de pharaon et des privilégiés. En effet, dans la religion funéraire égyptienne, les hommes d'éternité se trouvaient parmi les favoris de pharaon. C'était ces derniers qui étaient assez riches pour s'assurer la momification, une tombe, des rites, une stèle qui maintient leur nom en vie et les offrandes.170 Les pauvres avaient ce désir d'éternité mais ils n'avaient pas les moyens de le réaliser. C'est pour cette raison que dans sa réponse à l'homme, le ba lui fait ces remarques : « tu n'es certes pas un homme (bien né), mais n'es-tu pas vivant ? Et tu achèves tes plaintes sur la vie comme si tu étais un homme opulent ! »171 C'est dire que sont ceux-là qui étaient sûr d'assurer leur survie à l'au-delà qui pouvaient se plaindre de la vie sur terre mais pas les pauvres. Pour ces derniers, la perspective d'une éternité dans l'au-delà demeurait incertaine. Alors, pour le harpiste, la solution était de vivre la vie comme il le fallait: « que ton coeur soit joyeux, qu'il oubli que, un jour, tu deviendras un akh. Suis ton désir, tout le temps de ta vie. Place de la myrrhe sur ta tête, habille- toi de lin fin, et oins toi avec les vraies merveilles qui appartiennent à Dieu. Accrois encore tes joies et ne permets pas que ton coeur s'attriste. Suis ton désir et les plaisirs que tu souhaites. Fais ce que tu veux sur la terre, n'afflige pas ton coeur, jusqu'à ce que vienne pour toi, le jour des lamentations. »172 Seule la vie vaut la peine d'être vécue parce qu'elle est au moins une réalité. En outre, le souffle de la vie est la même aussi bien pour le riche que pour le pauvre. Il ne faut pas par conséquent gâcher la joie de vivre par des pensées angoissantes en rapport

167 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.225-226

168 Obenga Th., op.cit., 1990, p.194

169 Lalouette Cl., op.cit., 1984n p.222

170 Obenga Th., op.cit., 1990, p.192

171 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.222

172 Id., Ibid., p.228

45

avec le devenir après la mort. Ce qui fait dire à Cl. Lalouette que prés de 2000 ans avant Epicure, les Egyptiens chantaient déjà la recherche du plaisir simple et « vertueux ».173

D'ailleurs pour l'Egyptien de cette période de crise, la perspective d'une survie éternelle après la mort, fondée uniquement sur les rites funéraires, avait été une croyance fortement remise en cause. Ceci du fait que les fondements de la religion funéraire avaient subi des violations majeures au cours des troubles. En effet, si l'on se réfère à Ipou-our, il parle de l'abandon de la momification ou bien de la violation de la pyramide royale.174 Alors, si les rites funéraires qui participaient à assurer une vie éternelle au défunt sont abandonnés, si les tombes avaient été pillées, comment le mort pouvait-il atteindre l'éternité ? Autrement dit, si la survie de l'homme dans l'au-delà ne dépendait que de ces éléments de la religion funéraire, ceux dont les tombes ont été pillées et ceux qui étaient morts et jetés au fleuve ne pouvaient plus accéder à la survie éternelle. C'est par rapport à cette situation que le ba, répondant de l'homme dans le Dialogue, lui fit cette remarque : « Si tu pense à la sépulture, c'est un deuil pour le coeur, c'est ce qui amène les larmes en attristant l'homme ; c'est enlever celui-ci de sa maison, pour le jeter sur le tertre ; jamais plus, alors, tu ne monteras au ciel pour voir le soleil. Ceux qui ont construit (des monuments) en granit et édifié...des pyramides parfaites, oeuvres achevées, ces bâtisseurs sont devenus des dieux ; mais maintenant leurs tables d'offrandes sont nues, comme celles des abandonnés qui sont morts sur la rive, sans descendance. » 175Ainsi, la momification, les offrandes, les vastes tombaux ne constituent plus des éléments indispensables pour assurer à l'homme une survie éternelle. Sur ce plan, la crise que traversa l'Egypte à la P.P.I avait permis à l'homme de prendre conscience du fait que tous les hommes sont en réalité égaux devant la mort. La seule chose qui pouvait faire la différence après la mort reste les actions de l'homme sur terre, comme l'avait dit Khéti III à son fils : « l'homme demeure après sa mort et ses actes sont placés à côté de lui en un tas.» C'est de ses actes que dépendra le sort de chacun dans l'autre monde. Selon Th. Obenga, la question de l'autre vie était posée, discutée et résolue à un moment de crise politique et sociale, dans le sens d'indépendance spirituelle, de libération et, en même temps naissait une philosophie de la mort donnant satisfaction à l'esprit des pauvres.176 En effet, dans la décadence qui caractérise cette période, il reste au moins que la notion de la

173 Id., La littérature égyptienne. Que- sais- je ? Paris P.U.F., 1981, p.35. Epicure est un philosophe grec qui vécut de -341 à -270 ; dans sa philosophie, il prône la doctrine selon laquelle, l'homme doit atteindre le bonheur par la recherche du plaisir.

174 Id., op.cit., 1984, p. 212 et 217

175 Id, Ibid, p.222

176 Obenga Th., op.cit., 1990, p.194

personnalité humaine a subsisté dans l'idée que tous les hommes sont égaux devant Dieu et au fond de sa conscience, chaque égyptien est convaincu que Dieu jugera tous les hommes.177

Comme on le constate, la P.P.I., avait profondément marqué la civilisation égyptienne par les dommages et destructions matérielles. Cependant, elle a été en même temps le lieu d'éclosion d'une vision nouvelle par rapport à la conception que les hommes se faisaient de la vie et de leur sort après la mort. C'est de cette nouvelle vision du monde et des rapports entre l'homme et les dieux, que devaient bénéficier les Egyptiens des époques suivantes.

46

177 Pirenne J., op.cit., 1962, p.45

DEUXIEME PARTIE :

47

LA CRISE

48

Chapitre I : Le contexte

A- L'avènement de la Ve dynastie et ses conséquences

Le commencement de la déchirure politique et sociale qui secoua l'Egypte durant la P.P.I., avait été en même temps, le terminus d'une époque considérée comme étant l'une des plus achevées de sa civilisation.178 En effet, après avoir connu les règnes des IIIe, IVe, Ve et VIe dynasties, l'A.E. devait s'effondrer à la fin de cette dernière. La question que l'on se pose est celle de savoir par quel processus une civilisation aussi brillante est arrivée à s'affaisser. La réponse à cette question nous amène à analyser l'évolution politico- religieuse du système monarchique de l'Egypte sous l'A.E. Il semble en effet, qu'au cours de cette évolution, le système monarchique avait connu deux phases. Durant la première, l'institution monarchique avait tendu vers l'absolutisme royal. La second fut marquée par l'influence du régime « féodalisant » et oligarchique179. C'est cette dernière phase qui devait aboutir aux bouleversements sociopolitiques qui ont mis un terme à la période memphite180.

L'avènement de la Ve dynastie a, semble-t-il, constitué une étape majeure dans le processus qui a conduit à cette fin d'époque.181

Il s'agit pour nous, d'étudier le contexte de l'avènement de cette dynastie et son impact dans la crise.

Pour cette étude, nous disposons d'un certain nombre de sources. Il s'agit principalement du Papyrus Westcar, un document qui contient une série de contes dont l'un évoque la venue des trois premiers pharaons de la Ve dynastie.182 Ensuite, nous avons la Pierre de Palerme, un document sur lequel sont gravées les Annales des souverains des cinq premières dynasties. Dans ces Annales, sont consignées les actions importantes des pharaons par année de règne.183 Il y a aussi les inscriptions biographiques des fonctionnaires de l'A.E. dont nous retrouvons la traduction à travers les ouvrages de J.H. Breasted (Ancient records of Egypt) et d'A. Roccati (La littérature historique sous l'Ancien empire égyptien).

178 Vercoutter J., op.cit., L'Egypte ancienne, 2003, p.55

179 Moret A., op.cit., 1946, p.202-203

180 La « période memphite » renvoie à la période où la capitale du royaume pharaonique se trouvait à Memphis. Il s'agit de l'A.E. On l'appel aussi « Egypte memphite ».

181 Sall B., op.cit., 1982, p.10-11

182 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.80 à 90 ; Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.27 à 30

183 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 76 à 167 ; Roccati A., op.cit., 1982, p.36 à 52.

49

L'avènement de la Ve dynastie et les changements politico-idéologiques qui l'ont accompagné, ont entraîné des bouleversements dans l'évolution du système monarchique. Jusque là, l'Etat pharaonique était caractérisé par un centralisme politique et religieux qui trouve sa base dans la phase de consolidation de l'unité monarchique à l'époque thinite.184 Dans le processus qui avait conduit à cette centralisation, l'Etat memphite s'était, semble-t-il, heurté à des forces centrifuges constituées par les administrateurs provinciaux, chefs de file des aristocraties terrienne, politique et cléricale185. Ce fut dans le cadre de la lutte contre cette tendance autonomiste que, dés le début de l'A.E., le système monarchique est apparu très centralisé. Cette centralisation de la monarchie pharaonique s'est manifestée à plusieurs niveaux.

D'abord sur le plan religieux, elle s'est exprimée par l'incorporation du culte de Rê au culte royale186. En effet, dans l'immense pyramide à degré qu'il se fit élever comme sépulture, Djeser (premier pharaon de la IIIe dynastie et de l'A.E.) prit comme titre « Roi de Haute et de Basse Egypte, maître des Deux-Couronnes, Djeser » suivi du signe du Soleil Rê surmontant Seth187. La superposition de ces deux signes, en dehors du fait qu'elle traduit la domination de Rê sur Seth, laisse apparaître la réunion des cultes autour du dieu solaire188. Cependant, pour ne pas se laisser dominer par la théologie solaire, pharaon allait en faire la justification de l'absolutisme au quel il tendait189. Ainsi, Djeser allait prendre comme nom d'Horus, Neteryerkhet c'est-à-dire « plus divin que le corps [des dieux] » dans le but, semble-t-il, d'acquérir un caractère aussi divin que Rê.190 Ceci devait lui permettre de se départir de toute tutelle divine qui pouvait se traduire sur le plan politique par une tutelle cléricale.

Au plan politique, la centralisation du pouvoir s'est manifestée dans l'administration dès le début de l'A.E. Dans la biographie de Metjen, un fonctionnaire de la IIIe dynastie, on constate qu'il fut « Gouverneur de la demeure du pharaon Houni (constituée de plusieurs villages) (en tant que) [nomarque] (âdj-mer) du nome du Harpon [...] Gouverneur de la grande demeure de Sékhemou (entant que) [nomarque] de nome du Taureau sauvage ».191

184 Séne Kh., op.cit., 2002-2003,

185 Sall B., op.cit., 1984, p.23

186 Pirenne J., op.cit, 1961, p.133. L'influence de la doctrine solaire sur le pouvoir monarchique s'était faite sentir dés l'époque thinite. Des noms royaux composés avec Rê tels que Neb-Rê « Rê est maître », Ka-Rê « le génie de Rê » ou Nefer-Ka-Rê « beau est le génie de Rê », sont portés par les 2e, 6e et 7e pharaons de la IIe dynastie (Cf., Moret A., op.cit., 1941, p.193)

187 Pirenne J., op.cit., 1961, p.133-134

188 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.27

189 Pirenne J., op.cit., 1961, p.134

190 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.28

191 Roccati A., op.cit., 1982, p.85

50

Aussi, c'est en tant que « Gouverneur de la demeure du pharaon Houni (dans) le nome de la Cuisse [qu]'un terrain de 12 aroures lui est donné avec son fils, et (en plus) du personnel et du bétail ».192 Il apparaît ainsi que ce fut en sa qualité de fonctionnaire que Metjen occupa des charges de gouverneur de nome et reçut des rétributions de la part de pharaon. Ce dernier, ayant réussi à devenir l'unique détenteur de tous les pouvoirs exécutifs, législatifs et juridiques, allait nommer des fonctionnaires pour l'exécution de ses ordres. En retour, ils étaient rémunérés.193 Dés lors, le fonctionnarisme devait s'instituer à la place de la « noblesse seigneuriale ». Des mesures telles que la hiérarchie des charges administratives ou bien la mutation des agents furent instituées pour éviter toute reconstitution de pouvoir personnel.194

Le centralisme monarchique de l'Etat égyptien s'était ainsi institué sur la base de la neutralisation de la tendance autonomiste. Et la lutte entre ces deux forces opposées devait être le moteur de l'évolution politique en Egypte durant l'A.E.

Avec l'avènement de la IVe dynastie, cette lutte devait franchir une nouvelle étape. En effet, d'après Hérodote, Chéops (considéré comme le second pharaon de cette dynastie) « ferma tous les temples et empêcha aux Egyptiens d'offrir des sacrifices ».195 Ces mesures prises par Chéops s'inscrivaient, semble-t-il, dans le cadre de l'absolutisme royal. D'abord il s'agissait pour pharaon, d'incarner Rê lui-même en vue d'imposer son autorité sur la terre.196 Sur un autre plan, les temples égyptiens, en dehors de leur caractère de sanctuaire, constituaient en même temps des centres politiques et une source de revenus pour des familles « aristocratiques » qui en tiraient leur richesse.197 De ce fait, la mesure de la fermeture des temples visait aussi, la noblesse dans ce qui constituait la base de sa puissance. Ainsi, le pharaon, devenu le « Grand Dieu », était l'objet de tous les cultes.198 Le culte royal allait se confondre avec le culte de Rê et tous les principaux cultes étaient désormais présidés par des fils royaux ou par de grands dignitaires.199

Sur le plan administratif, les plus hautes charges de l'Etat, désormais coiffées par le vizir, pouvaient être confiées à des princes membres de la famille royale.200 La classe des fonctionnaires devait tenir toute sa puissance du souverain uniquement, dans la vie comme

192 Id., Ibid, p.86

193 Pirenne J., op.cit., 1961, p.136

194 Id., Ibid, p.136-137

195 Hérodote, II, 24.

196 Séne Kh., op.cit, 2002-2003, p40

197 Muck O., Chéops et la grande pyramide, l'apogée de l'Ancien empire d'Egypte, traduit de l'Allemand par Remy G, Paris Payot, 1978, p.90

198 Pirenne J., op.cit, 1961, p.154

199 Ibidem

200 Wolf W., op.cit., 1955, p.34

51

dans la mort. 201 C'est le pharaon qui dote, protège et nourrit son serviteur ici-bas comme dans l'au delà. Ce dernier devenait un imakhou de son souverain de qui il recevait une concession pour le culte funéraire. Par exemple, Khoufouânkh, un fonctionnaire de la IVe dynastie dit que « Sa majesté lui a fait faire le présent (monument) conformément à sa condition d'imakhou auprès de Sa Majesté... ».202 Un autre dignitaire, contemporain de Khephren rapporte dans une inscription que pharaon lui avait donné des offrandes funéraires champs et villages en sa condition d'imakhou.203 Les dignitaires étaient en outre tenus de se faire ensevelir aux cotés de pharaon. L'une des manifestations de cet état de fait est visible dans la nécropole de Gizeh où les tombes plates de hauts dignitaires sont surplombées par la gigantesque pyramide royale.204 Il apparaît ainsi que les deux premières dynasties de l'A.E. furent caractérisées par une forte centralisation des pouvoirs politiques et religieux autour de pharaon.

Cependant, ce système centralisé allait, semble-t-il, se confronter à une crise politico-idéologique à la fin de la IVe dynastie. En effet, Chepseskaf, considéré comme le dernier pharaon de cette dynastie, ne prit pas, comme ses prédécesseurs, un nom de Rê. Pour sa tombe, il préféra un mastaba à la pyramide qui se rattachait directement au culte solaire.205 En outre, on a noté l'absence des mastabas appartenant à des dignitaires autour de la tombe de ce pharaon. Tout cela peut être interprété comme un abandon par Chepseskaf, de la politique absolutiste de ses prédécesseurs. Et c'est dans ce contexte que devait s'achever la IVe dynastie.

Ce rappel de la situation politique et idéologique qui avait marqué cette première moitié de A.E. nous permet d'entrevoir les changements qui devaient intervenir à l'avènement de la Ve dynastie.

En effet, comme l'a rapporté J. Vercoutter, il est impossible de parler de cette dynastie sans prendre en compte le conte du Papyrus Westcar qui annonce la venue de ses trois premiers souverains.206 Cet avènement est rapporté sous forme de légende qui remonterait à la IVe dynastie. D'après cette légende, c'est au pharaon Chéops que le magicien Djédi annonça la venue prochaine des trois premiers pharaons de ce qui allait constituer la Ve dynastie. Voici comment le conte est rapporté d'après la traduction de G.

201 Ibidem

202 Roccati A., op.cit., 1982, p.99-100

203 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 207 et 209

204 Wolf W., op.cit., 1955, p.34

205 Pirenne J., op.cit, 1961, p.168. Ce fut, semble-t-il, dans le besoin de se légitimer par rapport à Chéops qu'ils identifièrent à Rê, que ses successeurs à savoir Djédefrê, Khéfren et Mykérinos, prirent tous le nom de Rê.

206 Vercoutter J., op.cit, 1992, p.288

52

Lefebvre. Le souverain Chéops, à court de divertissement (comme ce fut le cas pour Snéfrou dans le conte prophétique), demanda à ses enfants de lui raconter chacun une histoire. L'un d'eux, Dedefhor, au lieu d'inventer une histoire préféra faire appel au magicien Djédi. Ce dernier, après avoir fait quelques prouesses devant le pharaon, finit par lui annoncer la venue prochaine de trois souverains qui allaient mettre fin à sa lignée. Ce fut en réponse à la question de Chéops à savoir s'il connaissait le nombre des chambres secrètes du sanctuaire de Thot que Djédi lui répondit : « S'il vous plait, je ne connais pas leur nombre, souverain V.S.F., mon maître, mais je connais l'endroit où cela est. » Sa Majesté dit : « Où est-ce donc ? » Et ce Djédi répondit : « Il y'a un coffret de silex là, dans une chambre appelée «(Chambre de) l'inventaire à Héliopolis». [Eh bien ! c'est] dans ce coffret. » [Sa Majesté dit : « Va, apporte-le moi »] Mais Djédi répondit : « Souverain V.S.F., mon maître non ce n'est pas moi qui te l'apporterai. » Sa Majesté dit : « Qui donc me l'apportera ? » Djédi répondit « C'est l'aîné des trois enfants qui son dans le sein de Reddjedet, qui te l'apportera. » Et Sa Majesté dit, « Certes, cela me fera plaisir ! (Mais à propos de) ce que tu allais me dire, qui est elle cette Reddjedet ? » Djédi répondit : « C'est la femme d'un prêtre de Rê, seigneur de Sakhébou ; et il a dit d'eux qu'ils exerceraient cette fonction bienfaisante dans ce pays entier et que l'aîné d'entre eux serait Grand voyant à Héliopolis. » 207 Derrière ce conte légendaire, il y a un fond historique dont l'analyse permet de voir la rupture politico-idéologique consécutive à l'avènement de la Ve dynastie ainsi que ses conséquences sur l'évolution de l'Egypte.

D'abord la première remarque à faire est le fait que la légende qui annonce la venue de la Ve dynastie remonte au pharaon Chéops. Nous avons vu avec Hérodote que ce pharaon avait des rapports difficiles avec le clergé. Dans le cadre de l'absolutisme royal, Chéops était parti jusqu'à fermer les temples et interdire les sacrifices aux Egyptiens. Et, c'est à ce pharaon, d'après le conte, que le magicien Djédi vint annoncer la fin de la lignée des souverains de la IVe dynastie au profit d'une nouvelle famille issue du clergé. Si nous faisons le rapprochement entre le choix de Chéops dans le conte et ses rapports difficiles avec le clergé, on peut voir derrière ce conte, les luttes entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux à l'A.E.

Ensuite, en faisant venir les pharaons de la Ve dynastie d'Héliopolis, et en précisant qu'ils n'étaient pas de la lignée de Chéops, le conte introduit une rupture entre la IVe et la Ve

207 Lefebvre G., op.cit., 1982., p. 80. Les trois enfants, futurs pharaons, sont respectivement Ouserkaf, Sahourê, et Nefekarê-Kakai. C'est aussi dans cet ordre de frère à frère qu'ils se sont succédés sur le trône d'Egypte.

53

dynastie. Sur cette question, certains auteurs pensent qu'il n'y avait pas de rupture puisque la Reddjedet du conte serait une princesse royale.208 Quant à Manéthon, il fait venir la Ve dynastie d'Eléphantine.209 Si l'affirmation de Manéthon ne reflète pas les faits, vu les liens de cette dynastie avec Héliopolis, elle montre tout de même qu'il y avait rupture avec la IVe dynastie. Dans ce cas, l'avènement de la Ve dynastie, avait non seulement provoqué un changement au niveau des familles dynastiques mais il allait introduire une rupture dans la tradition monarchique qui consistait à faire venir les pharaons d'Egypte du Sud.210 Cet avènement de la Ve dynastie avait par conséquent mis fin à un privilège que détenait la Haute Egypte. Ce fut une situation qui n'avait certainement pas manqué d'influer négativement sur les rapports entre la royauté et ses provinces, celles du Sud en particulier. Nous verrons les difficultés que devaient rencontrer les pharaons pour asseoir l'autorité de l'Etat dans cette région.

Cependant, le changement le plus marquant, consécutif à l'avènement de la Ve dynastie, se trouve dans l'orientation politico-idéologique qui a été adoptée. En effet, d'après le conte, les trois premiers pharaons de cette dynastie sont issus de l'union de Rê avec une femme en l'occurrence Reddjedet. C'est dire que ces souverains avaient une origine divine. Si cette origine divine que se sont donnée les pharaons de la Ve dynastie leur a servi de moyen pour se légitimer, elle devait toutefois avoir d'énormes conséquences sur l'évolution politique de l'Egypte.

D'abord en proclamant que les pharaons avaient une origine divine, la nouvelle doctrine mettait en même temps la royauté sous une tutelle divine. Dés lors, l'idée de S. Sauneron selon laquelle, en Egypte, le sort des clergés et la richesse des dieux étaient liés aux circonstances politiques devient crédible.211 En effet, cette tutelle divine devait se traduire par une étroite dépendance des pharaons à l'égard de Rê. L'une des manifestations de cette dépendance est visible dans le protocole royal.

Les pharaons, à partir de Néferkarê, allaient régulièrement introduire le titre de « fils de Rê » dans le protocole.212 Rê devint ainsi un dieu dynastique. Mais son ascension au sommet du panthéon égyptien devait entraîner la solarisation des autres divinités qui allaient

208 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.174

209 Manéthon, cité par Moret A., op.cit, 1926, p.180. Nous concevons mal que les pharaons de la Ve dynastie soient originaires d'Eléphantine et qu'ils abandonnent la divinité de cette localité (Khnoum) au profit de celle d'une autre localité quelle que soit sa puissance. Nous verrons comment les pharaons du M.E., originaires du Sud, devaient se concilier la puissance de Rê sans pour autant reléguer leur divinité au second plan.

210 Sall B., op.cit., 1984, p.22

211 Sauneron S., Les prêtres de l'Ancienne Egypte, Paris, Edition du Seuil, 1957, p.171

212 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.175

54

devenir tout simplement ses hypostases.213 Dans un pays ou chaque capitale de province ou nome avait ses divinités qui donnaient au patriotisme local de fortes assises214, un tel système idéologique n'était pas de nature à affermir les liens entre la royauté et les provinces.

L'autre inconvénient de la nouvelle doctrine se trouve dans la modification de l'image même de pharaon. Jusque là, la divinité de pharaon n'était affirmée qu'en fonction de sa descendance d'Horus, le dieu dynastique considéré en dehors de toute synthèse doctrinale. Il était le grand dieu incarnant la force divine du faucon Horus.215 Mais en avouant sa dépendance à l'égard d'un dieu, pharaon s'était, en quelque sorte, rapproché de l'humanité et avait perdu, au yeux de ses sujets, cette éminente dignité qui faisait de lui l'égal des divinités.216 Dès lors, la conception impersonnelle de la royauté devait s'affaiblir pour céder la place, au centre de la vie politique, à celle d'une personne qui remplit une fonction217. La conséquence de cette situation était que l'essentiel des actions des pharaons devaient désormais s'orienter vers la religion. Déjà, le ton avait été donné par le dieu Rê lui-même dans le conte qui annonce la venue de la Ve dynastie. S'adressant aux divinités qui devaient assister Reddjedet dans l'accouchement, il leur disait : « Allez donc et délivrez Reddjedet des trois enfants qui sont dans son sein et qui exerceront cette fonction bienfaisante dans ce pays entier. Ils construiront vos temples, ils approvisionneront vos autels, ils feront prospérer vos tables à libation, ils accroîtront vos offrandes. »218 Ces paroles de Rê à l'endroit des divinités traduisent l'importance que devaient occuper les cadres religieux dans la politique des nouveaux souverains. En effet, il incombait désormais à chaque pharaon, le devoir non seulement d'ériger son tombeau personnel, mais d'assurer la fondation d'un domaine sacré pour le dieu Rê. Aussi les Annales du royaume évoquent constamment la construction de temples et de dotations pieuses à partir de la Ve dynastie.219 C'est ce qu'atteste la Pierre de Palerme. Selon ce document, le pharaon Sahourê, en l'an 5 de son règne « a fait entant que monument de lui pour ...Nekheb du sanctuaire Méridional : 800 offrandes du dieu par jour. Outo du sanctuaire Septentrional : 4800 offrandes du dieu par jour. Rê dans le domaine des stèles : 138 offrandes du dieu par jour. Rê dans le sanctuaire de Haute Egypte : 40 offrandes du dieu par jour...Rê de Sekhetrê : un terrain de 1 aroure, 2 kha, 4 ta dans le nome d'Athribis. Le Harponneur Horus, un terrain de 2 aroures

213 Sall B., op.cit., 1982, p.11

214 Daumas F., Les Dieux de l'Egypte, « Que- sais- je », Paris, P.U.F., 1965, p.29

215 Woldering I., op.cit., 1963, p.27

216 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.173

217 Wolf W., op.cit., 1955, p.48

218 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.240

219 Wolf W., op.cit., 1955, p.44

55

dans le nome de Bousiris. Le dieu Sem : un terrain de 2 aroures dans le nome de Bousiris [...] »220 Ces actions en faveur du culte de Rê ont concerné tous les trois pharaons de la Ve dynastie dont les Annales figurent dans la Pierre de Palerme. Il apparaît ainsi que ces pharaons octroyaient des bénéfices en terres et offrandes journalières aux temples solaires, non seulement aux sanctuaires mais aux temples locaux servant à la célébration du culte de Rê.221 Cette situation allait avoir comme effets sur le plan politique, la montée en puissance du clergé qui devait réussir à transformer la monarchie en une théocratie. En effet, l'importance du culte était telle que les charges sacerdotales devaient être confiées aux courtisans et aux grands fonctionnaires222. Ces derniers allaient dès lors cumuler les charges sacerdotales aux charges administratives. Et, dans les nomes, ces charges sacerdotales et administratives devaient se traduire par la célébration du culte de Rê et l'exercice de la fonction de nomarque223. Ce cumul des charges sacerdotales qui étaient accompagnées des bénéfices comme l'atteste la Pierre de Palerme et des charges administratives, allait favoriser l'émergence d'une nouvelle noblesse. Le danger pour la royauté était qu'au moment où elle s'affaiblissait économiquement par des fondations pieuses, la puissance de l'oligarchie augmentait. Or, toute puissance de cette dernière, en particulier dans les nomes, était nuisible au pouvoir central. Nous avons vu que les pharaons des deux premières dynasties memphites avaient fortement combattu cette situation en empêchant toute possibilité de reconstitution de pouvoir personnel.

Ainsi, en permettant cette reconstitution de la puissance de l'aristocratie, dans un contexte où la nature de la royauté commençait à tendre vers l'humanisation et les sensibilités religieuses locales heurtées, la Ve dynastie avait ouvert la voie vers l'affaiblissement de la monarchie.

B- Le processus d'affaiblissement de la royauté

La Ve dynastie, en adoptant une orientation politico-idéologique qui avait comme conséquence la reconstitution de la puissance de l'aristocratie, allait créer une situation défavorable à la royauté. En effet, jusque là, l'Etat memphite avait, comme principale caractéristique, sa forte centralisation autour de pharaon. Ce fut dans le strict rassemblement

220 Roccati A., op.cit, 1982, p.46-47

221 Séne Kh., op.cit, 2003-2004, p.52

222 Pirenne J., op.cit, 1961, p.242

223 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.52

56

des énergies, sous l'égide de ce dernier qui était à la tête d'une organisation administrative centralisée et remarquablement efficace, que l'Etat tirait sa puissance224.

Ce système centralisé qui fut à la base de la puissance de la monarchie pharaonique, avait été le résultat d'une politique de négation de tout pouvoir à tendance autonomiste.225 En d'autres termes, toute action allant dans le sens d'altérer cette forte centralisation de l'Etat signifiait en même temps affaiblissement de la puissance monarchique.

Or, à partir de la Ve dynastie, commençait à se manifester une situation allant dans le sens d'une déconfiture des institutions pharaoniques. Dans la mesure où cette situation signifiait en même temps renforcement des pouvoirs des nomarques, chefs de file des forces centrifuges, c'est à travers son évolution que nous allons tenter d'analyser le processus d'affaiblissement de la royauté.

Dans le système politique centralisé appliqué par les souverains des premières dynasties memphites, l'une des principales mesures contre la tendance au pouvoir personnel avait été le fait de muter les agents de l'Etat. C'est ce système qui fit des nomarques, dans l'administration locale, de simples « préfets » susceptibles d'être déplacés plusieurs fois au cours de leur carrière.226 Il semble toutefois que même si pharaon avait théoriquement conservé le pouvoir de muter les nomarques, il cessa très tôt de l'exercer.227 Cet abandon par pharaon de son pouvoir de muter les nomarques, devait constituer une des premières étapes dans le processus qui allait conduire à l'affaiblissement de la monarchie. En effet, accepter que les nomarques, dans l'administration provinciale, s'établissent de manière permanente dans les nomes, était une façon d'encourager la reconstitution de pouvoir personnel. Si cette situation n'avait pas eu d'incidence au départ sur le système monarchique, c'est probablement parce qu'il y avait une puissante administration centrale, au début de l'A.E., capable de contrôler ces nomarques.

Cependant, avec l'avènement de la Ve dynastie, d'importants changements allaient se produire dans le système monarchique. En effet, le cumul des charges administratives et sacerdotales devait entraîner l'accroissement de la puissance de l'aristocratie. Cette dernière allait continuer de bénéficier des faveurs de la part de pharaon. C'est ce que laisse apparaître l'inscription biographique du vizir Ptahouach qui vécut sous la Ve dynastie. Selon ce dernier, il a obtenu « ...une tombe en calcaire blanc sur le Bassin de [sa] fondation, lequel est dans ( la nécropole de) la pyramide « Sahourê se lève en tant que bais»...200 pièces de lin royal

224 Wolf W., op.cit., 1955, p.34

225 Sall B., op.cit., 1984, p.23

226 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.180

227 Ibidem

57

lui furent sorties des restes du grand palais[...] Sa Majesté lui fit faire [une litière]... des caisses [relatives à la place d'embaumement pour] le traitement(de la momie) et (à) la tente de purification avec un nécessaire [pour l'oeuvre du prêtre- lecteur]...Sa Majesté ordonna qu'on lui fasse cela [en tant que concession] royale »228. Il semble qu'en plus de ces concessions, les besoins du culte funéraire et le désir de transmettre sa fonction à ses enfants, allaient amener le nomarque à demander au pharaon, pour son fils aîné, la succession de sa charge229. Le pharaon, semble-t-il, avait cédé assez rapidement à cette demande permettant en même temps l'hérédité des charges.230 Ainsi dès le règne de Sahourê, le nome de Oun (Hermopolis Magna) devint en fait héréditaire dans la famille de Sérefenka.231 A la fin de la Ve dynastie, le nome de Nâret-Pekhout (Crocodilopolis) est donné, en fief, au général Inti.232 Cette hérédité des nomarques, ajoutée au fait que ces derniers n'étaient plus mutés, devrait être à la base de l'évolution très sensible qu'avait connue l'administration provinciale sous l'A.E.233 Cette évolution est visible au niveau des titres portés par les nomarques. Par exemple, la transformation des gouvernements des nomes de Oun et de Nâret-Pekhout, en apanage de famille au profit des descendants du « directeur de la province des Nouvelles Villes » Sérefenka et au profit du général Inti, fut accompagnée d'un changement de titre pour leurs gouverneurs.234 Au lieu de juge intendant, c'est l'ancien titre de « régent de château » (heqa het), porté jadis par les princes féodaux qui est utilisé.235 Ce retour aux anciens titres reflète un désir d'autonomie face au pouvoir central. On peut dire par conséquent, que c'est au courant de la Ve dynastie, que les nomarques commencèrent à marquer des points dans leurs prétentions autonomistes face à Memphis. Et au moment où s'achevait cette dynastie, il semble que la puissance de la tendance autonomiste, dirigée par les nomarques, avait commencé à représenter une menace pour le pouvoir central. Certes, le passage de la Ve à la VIe dynastie s'était effectué sans troubles majeurs.236 Mais le nom d'Horus que prit Téti, le fondateur de la VIe dynastie, est révélateur d'une certaine situation au sein de la monarchie. Il s'agit de Sehetep-taoui, celui « Qui pacifie les Deux-Terres », ce qui laisse augurer son programme politique237. Dans l'histoire de l'Egypte, tous les pharaons

228 Roccati A., op.cit., 1982, p.111

229 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.180

230 Ibidem

231 Pirenne J., op.cit., 1961, p.260

232 Ibidem

233 Grimal N., op.cit., 1988, p.111

234 Pirenne J., op.cit., 1961, p.273

235 Ibidem

236 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318

237 Grimal N., op.cit., 1988, p.97

58

qui avaient porté ce nom, avaient eu à rétablir l'unité du royaume après des troubles politiques graves238. Or pour Téti, nous venons de voir qu'il accéda au trône sans troubles majeurs. Cela semble se confirmer à travers la biographie de certains fonctionnaires qui ont servi sous son règne et qui étaient déjà dans l'administration sous la Ve dynastie239. En outre, il n'a été noté ni de destruction, ni d'usurpation dans les nécropoles contemporaines240. On peut dés lors se poser la question de savoir qu'est ce qui explique le choix du nom de Sehetep-taoui par Téti ? Nous pensons que la réponse à cette question peut être cherchée dans l'évolution des institutions pharaoniques avec la puissance grandissante de l'administration locale au détriment du pouvoir central. Cette situation, même si elle s'effectuait de façon pacifique comme nous venons de le voir, pouvait représenter à terme une menace pour la royauté. Peut-être que le pharaon Téti, conscient de ce danger, avait voulu redresser la situation d'où, le choix de ce nom d'Horus, qui semble se traduire dans ses actes. En effet, un des vizir très connu sous son règne, Kagemni, rapporte dans sa biographie : « [La Majesté de Téti, mon Seigneur, qu'il vive éternellement, me nomma à la tête de] tout bureau, de tout service horaire de la Résidence »241. Ce Kagemni et un autre fonctionnaire du nom de Méhi avaient été dotés d'importants pouvoirs par Téti. Ils furent vizir, juges suprêmes, chanceliers, directeurs des écritures royales, directeurs de tous les travaux du roi, directeurs de la haute cour des six, directeurs de l'administration des finances et des domaines.242 Ces charges, détenues par une poignée de hauts fonctionnaires, montrent que Téti avait probablement tenté de maintenir la centralisation de l'Etat pharaonique, base de son unité et de sa puissance. Mais d'après Manéthon, ce souverain périt assassiné.243 Les raisons de ce supposé assassinat ne sont pas connues. Etait-il lié au programme politique du pharaon ? Rien ne permet de l'affirmer. Toutefois, plusieurs faits montrent que ce fut à partir

238 Id., ibid., p.96 ; Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318.Ce fut le cas de Hetepsekhemouy, fondateur de la IIe dynastie ou de Khâsekhemouy, dernier pharaon de cette dynastie qui réunit les royaumes « horiens » et « séthiens » ?

239 C'est le cas de Kagemni qui avait été « fonctionnaire de l'Etat au temps d'Onnos » (dernier souverain de la Ve dynastie) et qui occupa d'importantes fonctions sous Téti. (Cf., Roccati A., op.cit, 1982, p.137)

240 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318

241 Roccati A., op.cit., 1982, p.140

242 Pirenne J., Histoire des Institutions et du droit privé de l'Ancienne Egypte, Tome III : La VI e dynastie et le démembrement de l'empire, Bruxelles, Edition de la Fondation Egyptologique Reine Elisabeth, 1935, p.70.

243 Manéthon, cité par Grimal N., op.cit., 1988, p.98. Si cette affirmation de Manéthon, rapportée par N. Grimal, est vraie, on pourrait dire, en se basant sur les sources, que c'est la première fois qu'un souverain d'Egypte a été assassiné. Cela impliquerait en même temps que le dogme de la royauté divine avait commencé à subir de graves violations dès le début de la VIe dynastie. Cependant la critique que l'on peut apporter à cette affirmation de Manéthon porte sur le fait que pour une action aussi grave que le meurtre d'un souverain, les sources contemporaines soient muettes. En effet, aucune inscription biographique contemporaine de la VIe dynastie ne fait état de cette action. Cela d'autant plus que certains de ces fonctionnaires ont servi sous le règne de Téti et sous celui de ses successeurs ; c'est le cas d'Ouni.

59

de la VIe dynastie, que la puissance des nomarques allait devenir de plus en plus manifeste. Dans les nomes, l'hérédité des charges de nomarques, amorcée sous la Ve dynastie, devait se généraliser244. Plusieurs exemples illustrent cet état de fait. Ainsi dans le nome du Lièvre (XVe nome de Haute Egypte), Merou-Bébi qui exerçait la charge de « régent de château » légua à son fils, Téti-Ankh, les mêmes fonctions245. Dans le XIVe nome de Haute Egypte, à Sebekhotep (qui vécut sous Pépi Ier), succédèrent, dans sa charge de nomarque, ses fils à savoir Pépiânkh l'aîné, Pépiânkh le puîné et Pépiânkh le cadet246. Etant une hérédité de fait durant les dynasties précédentes (car nécessitant pour être nomarque la nomination par le souverain), le nome allait finir par devenir une hérédité de droit et l'approbation de pharaon ne devint qu'une formalité.247 Ceci permit à certaines familles de nomarque, d'étendre leur pouvoir sur d'autres nomes, par le biais de l'alliance matrimoniale. Cette situation est attestée sous le règne de Mérenrê Ier. Le nomarque Ibi, issu de la puissante famille des nomarques du nome thinite248, avait hérité du nome de Cerastes-Montain parce qu'étant époux de Rahenem, reconnue comme héritière du dit nome249. A Ibi, succéda son fils Djaou-Shemai, à la tête des deux nomes (celui de Thinis et de Cerastes- Montain)250.

La montée en puissance des nomarques se reflète dans leurs titres qui continuaient à évoluer. Ainsi, à partir de la VIe dynastie, on voit apparaître chez les nomarques, certains titres qui montrent le pouvoir dont ils disposaient au sein de leurs nomes. Il s'agit des titres tels que « grand seigneur de nome », « prince » ou « directeur des prophètes ».251 Ce dernier titre montre qu'en dehors des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires que leur conférait pharaon jusqu'à la fin de la Ve dynastie, les nomarques s'étaient emparés, à la VIe dynastie, des pouvoirs religieux.

Mais pour les souverains de la VIe dynastie, il n'était pas question de laisser la puissance des nomarques prospérer au risque de menacer le caractère centralisé de l'Etat qui était le fondement de la puissance monarchique. Aussi, des actions allaient être entreprises pour endiguer le désir autonomiste des nomarques et renforcer le pouvoir central.

244 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.211

245 Pirenne J., op.cit, 1935, p.170-171

246 Vandier J., op.cit, 1954, p.308

247 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.59

248 Nous verrons dans la suite de cette partie que cette famille des nomarques thinites allait occuper une position assez importante dans la monarchie égyptienne.

249Breasted J. H., op.cit., 1988, paragraphe 375

250 Id., Ibid, paragraphe376

251 Husson G., Valbelle D., op.cit, 1992, p.53-54.

60

C- La réaction pharaonique et ses limites

Pour faire face à la montée en puissance des nomarques, qui signifiait en même temps une perte d'autorité du pouvoir central, les pharaons de la VIe dynastie avaient mené une politique de redressement. En effet, des mesures allaient être prises aussi bien sur le plan administratif qu'économique pour renforcer le pouvoir central. Ce sont les actions des pharaons, allant dans le sens de cette politique de redressement que certains égyptologues ont désignées sous l'expression de « réaction pharaonique ».252 Elles avaient concerné principalement les institutions pharaoniques et la question de l'approvisionnement de l'Egypte en produits étrangers.

Les premières mesures de ce que nous considérons comme allant dans le sens d'une réaction pharaonique remontent au début de la VIe dynastie. Nous avons vu que Téti, le premier souverain de cette dynastie avait pris des mesures qui consistèrent à un renforcement de l'autorité centrale. C'est ainsi qu'il concentra l'essentiel des pouvoirs politiques, judiciaires et économiques dans les mains d'une poignée de hauts fonctionnaires. Parmi ces derniers, il y avait le vizir Kagemni dont la biographie montre qu'il fut un homme qui eut une longue carrière administrative, commencée sous la Ve dynastie253. Téti devait entreprendre d'autres actions qui s'inscrivaient toujours dans le cadre de la consolidation du pouvoir royal. D'après J. Pirenne, ce pharaon chercha ouvertement l'alliance du nomarque d'Abydos (Khoui) en faisant épouser par son fils Pépi Ier, les deux filles de ce chef local.254 Le prestige que les princes d'Abydos tiraient du culte d'Osiris, célébré dans leur nome, le souvenir du grand rôle politique joué auparavant par Abydos, érigée en capitale royale lors de l'unification du pays par Ménès, n'avaient sans doute pas été étrangers à la puissance de ces nomarques dont pharaon chercha ouvertement l'alliance.255 Cependant, la question se pose de savoir si cette alliance entre les nomarques d'Abydos et la famille royale remonte à Téti ? En effet, dans son inscription biographique, Ouni évoque un procès dans le harem royal

252 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.212

253 D'après son inscription biographique, Kagemni fut « favoris au prés d'Izézi » et il remplit « la tâche de fonctionnaire de l'Etat au temps d'Onnos ». (Cf., Roccati A., op.cit, 1982, p.139) Izézi et Onnos étaient respectivement avant-dernier et dernier pharaon de la Ve dynastie.

254 Pirenne J., op.cit, 1961, p.299. Sur les liens entre la famille royale et les nomarques d'Abydos, (Cf., Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 344 à349, (Stèle des deux reines Enekhnes-Mérirê).

255 Pirenne J., op.cit, 1962, p.10.

61

contre l'épouse royale Imtes. Sa Majesté le désigna pour entendre seul, l'affaire sans aucun magistrat, ni vizir, ni prince256. Ce procès contre l'épouse royale laisse penser que celle-ci était mêlée à un complot visant le pharaon Pépi Ier sous le règne de qui Ouni instruisit cette affaire. Or, le nom de l'épouse royale citée dans ce procès est différent du nom porté par les deux reines issues de la famille d'Abydos et futures mères des pharaons Mérenrê Ier et Pépi II.257 D'où l'hypothèse selon laquelle, Pépi Ier avait contracté un premier mariage avec l'épouse royale Imtes. Mais à la suite du complot auquel cette dernière fut mêlée, le pharaon prit en mariage deux filles issues de la noblesse locale. Dés lors, on peut dire que l'alliance entre la famille royale et les nomarques d'Abydos remonte à Pépi Ier et non à Téti comme l'affirme J. Pirenne. Mais dans tous les cas, cette situation montre que les pharaons avaient cherché l'alliance de puissantes familles provinciales au moment même où la puissance de ces dernières constituait une menace pour le pouvoir central.

Toutefois, les véritables actions allant dans le sens d'une réaction pharaonique avaient surtout consisté en une reprise en main de l'administration des provinces par le pouvoir memphite. C'est ainsi que dés Téti, on constate que des fonctionnaires étaient détachés de l'administration centrale pour assurer la direction des nomes. D'après l'inscription biographique trouvée sur la fausse porte de sa tombe, un fonctionnaire du nom d'Izi rapporta dans sa biographie : « [J'ai été] aîné du portail au temps d'Izézi. On me donna (la fonction) de gouverneur de demeure au temps d'Onnos. On me donna (la fonction) de maître royal, scribe, fonctionnaire de l'Etat, subordonné du roi au temps de Téti. J' [exécutais] tout ce que ce dieu [désirait]. On me [donna la dignité de prince, Ami unique,] grand chef de nome sous la majesté de ce dieu [...] [Je veillai] à [tout] travail du roi qui devait être organisé [dans ce nome, de sorte que] Sa Majesté me récompensa [pour cela, après que j'eus achevé] la mission pour [la Résidence] »258. Sa biographie montre qu'Izi fut d'abord fonctionnaire sous les deux derniers souverains de la Ve dynastie. Il occupa par la suite sous Téti, les fonctions de « maître royale, scribe, fonctionnaire de l'Etat et subordonné du roi ». Par la suite, il va bénéficier de la dignité de prince, Ami unique et grand chef de nome, affecté à Edfou au Sud de l'Egypte. Il apparaît ainsi, comme ce fut le cas pour le vizirat, que ce fut à un fonctionnaire d'une longue carrière administrative que Téti confia la direction du nome d'Edfou. Mais, si avec Téti, le fonctionnaire détaché dans l'administration provinciale n'était

256 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 310, Inscription d'Ouni

257Les deux reines mères portaient toutes le nom de Enekhnes-Mérirê. Pour les différencier, la première (la mère de Mérenrê Ier) est appelée Enekhnes-Mérirê I et la seconde (la mère de Pépi II) Enekhnes-Mérirê II.

258 Roccati A., op.cit., 1982, p.177-179

62

qu'à la tête d'un seul nome, la situation va évoluer avec ses successeurs. En effet, « l'Ami unique, prêtre- lecteur, directeur des employés du palais », Qar dit dans sa biographie : « La majesté de Mérenrê me fit remonter le fleuve jusqu'au nome d'Edfou en tant qu'Ami unique, chef de nome, et en tant que directeur de l'orge de Haute Egypte, directeur des prophètes [...] On en vint à m'attribuer la fonction de seigneur de tout chef de la Haute Egypte entière »259. Mérenrê Ier affecta Qar en Haute Egypte en le dotant d'importants pouvoirs politiques, économiques et religieux mais aussi en le plaçant au dessus des nomarques locaux. En dehors de Qar, Mérenrê Ier envoya dans cette même région, un autre cadre de l'administration centrale avec d'importants pouvoirs, il s'agit d'Ouni. Dans sa biographie, ce dernier rapporte : « Alors que j'étais officier de la grande demeure, porte- sandale, le roi de Haute et de Basse Egypte, Mérenrê, mon seigneur, qu'il vive éternellement, me nomma prince, directeur de la Haute Egypte, [d'Eléphantine au Sud à Aphroditopolis au Nord] ... Je remplis pour lui la fonction de directeur de Haute Egypte de façon qu'on fût satisfait, de façon que personne n'y outrageait son prochain. Tout travail fut exécuté, toute chose qu'on devait payer pour la résidence fut payée, dans cette Haute Egypte deux fois (de même que) toute corvée qui devait être payée pour la Résidence dans cette Haute Egypte deux fois. Il y eut un gouvernement et l'obéissance exista dans cette Haut Egypte »260. Cette biographie d'Ouni, à l'instar de celles d'Izi et de Qar, éclaire beaucoup sur la politique de réaction menée par les pharaons en Haute Egypte. En effet, tous ces fonctionnaires envoyés dans cette région avaient en commun, le fait d'avoir une longue et riche carrière administrative. Et il semble que ce fut grâce à eux que l'Etat memphite parvint à faire respecter son autorité en

259 Id., ibid., p.179. Cette biographie de Qar montre que sa carrière administrative débuta sous le règne de Pépi Ier où il occupa le poste de « directeur des employés du grand palais »

260Roccati A., op.cit., 1982, p.195; Breasted J.H., op.cit. 1988, paragraphe 320. A l'instar d'Izi et de Qar, la biographie d'Ouni montre que lui aussi fut un fonctionnaire d'une longue carrière débutée sous le règne de Téti. Avant d'être envoyé en Haute Egypte, il eut à accomplir des charges importantes comme l'instruction du procès contre l'épouse royale Imtes ou bien la direction des campagnes militaires contre les Bédouins. D'ailleurs, ce furent probablement la longue carrière administrative d'Ouni mais surtout ses qualités militaires, qui avaient motivé son choix, par pharaon, pour le poste de gouverneur de la Haute Egypte. A ce niveau on peut dire que le recours à un gouverneur militaire dans les régions où l'autorité de l'Etat est en proie à des difficultés, est une expérience politique qui avait été tentée par les pharaons pour restaurer leur autorité en Haute Egypte.

Il faut en outre remarquer qu'il existe des différences dans la traduction du poste d'Ouni entre A. Roccati et J.H. Breasted. En effet, au lieu de «directeur de Haute Egypte » employé par le premier, le second emploie le terme de « gouverneur du Sud ». Il reste toutefois que malgré ces différences, les prérogatives d'Ouni sont les mêmes dans les deux traductions. C'est dire que les termes de « directeur de Haute Egypte », « gouverneur du Sud » ou « gouverneur de la Haute Egypte », renvoient à une même fonction administrative. Selon E. Drioton et J. Vandier, le titre de « gouverneur du Sud » est apparu à la fin de la Ve dynastie et le plus ancien à l'avoir porté fut un certain Rê shepsès (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit, 1988, p.212). Toutefois, il semble que même si le titre avait existé auparavant, la fonction ne fut véritablement exercée qu'avec Ouni, sous le règne de Mérenrê Ier.

63

Haute Egypte261. D'après Ouni, tout travail fut exécuté et toute corvée due à la Résidence fut payée. Ces propos d'Ouni concernant le payement de l'impôt dû à la Résidence révèlent un autre aspect significatif dans la lutte entre le pouvoir central et les provinces, celles de la Haute Egypte en particulier. En effet, entre autres charges du nomarque, il y a la « perception efficace de l'impôt sur les récoltes »262. Mais le fait qu'Ouni dise qu'il avait fait respecter cette disposition par les nomarques de la Haute Egypte sous-entend qu'avant son intervention, l'impôt ne parvenait pas à la Résidence. Selon B. Sall, il y a deux explications possibles à cette situation. Soit les nomarques avaient cessé toute collecte de l'impôt pour gagner les paysans à leur cause, ou bien ils le collectaient et le confisquaient263. Dans tous les cas, il semble qu'ils ont usé de leur pouvoir sur les ressources fiscales de l'Etat pour l'affaiblir à leur profit.

Le dernier point important de la réaction pharaonique avait été le regain d'intérêt pour la Nubie-Soudan. Cette région, située au Sud de l'Egypte, regorgeait d'énormes potentialités et, en tant que carrefour et voie d'accès vers l'Afrique profonde, elle offrait maints produits de la zone tropicale et équatoriale dont certains constituaient la base même de la civilisation égyptienne264. Cette richesse économique de la Nubie-Soudan est perceptible dans les textes égyptiens de l'A.E. Dans la Pierre de Palerme, le pharaon Snéfrou (IVe dynastie) fait savoir qu'il ramena au cours d'une seule campagne en Nubie, quelques 200000 têtes de bétail grand et petit.265 En outre, parmi les produits que rapportèrent les chefs de caravanes qui dirigèrent des campagnes dans cette région, on peut citer l'or, l'ivoire, l'encens, l'ébène, des pierres précieuses, des peaux de panthères, etc.

Or, au cours de la VIe dynastie, l'Etat memphite était confronté à un problème de ressources financières à cause de l'opposition des nomarques et des concessions importantes que faisaient les pharaons aux temples et aux dignitaires de l'Etat. Pour les souverains de l'Egypte, il fallait se tourner vers la Nubie-Soudan pour faire face à ces difficultés de

261 Les biographies de ces fonctionnaires montrent en outre que dans le cadre des luttes politiques, ce furent les nomarques de la Haute Egypte qui étaient les plus impliqués dans l'opposition de l'administration locale face au pouvoir central.

262 Husson V., Valbelle D., op.cit., 1992, p.55

263 Sall., op.cit., 1982, p.12

264 Ndiaye L., Recherches sur les attaches éthiopiennes du dieu Amon, mémoire de maîtrise, U.C.A.D., F.L.S.H., 2001-2002, p.77

265 Roccati A., op.cit., 1982, p.39. Selon M. Cornevin, du point de vue climatique, l'assèchement du Sahara au Sud du 22° N, a commencé vers -3000 à l'époque même où se terminait celui du désert occidental de l'Egypte. Cet assèchement allait s'achever vers -1250 ; ce qui veut dire que pendant les deux premières tiers de l'histoire de l'Egypte, la Nubie-Soudan avait connu une pluviométrie, une flore et une faune de type sahélien humide et sahélien sec. Ce sont ces facteurs climatiques qui expliquent la prospérité pastorale de cette région dont les échos se trouvent dans les textes de l'A.E. (Cf., Cornevin M., Archéologie africaine, Paris, Maisonneuve et Larose, 1993, p.71)

64

trésorerie. Ainsi, il semble que dès le règne de Pépi Ier, l'option nubio-soudanaise fut initiée avec la nomination de Qar au poste de « préposé à l'ouverture de la porte d'Eléphantine », qui devait transmettre au pharaon toutes les nouvelles qu'on lui apporte des pays nubiens.266 Cette nomination de Qar devait permettre à l'Etat memphite de recueillir assez d'informations sur cette région nubio-soudanaise.267 Quant Mérenrê Ier arriva au pouvoir, il allait, lui-même, effectuer une visite dans la région qui surplombe la première cataracte avant de charger Ouni d'y creuser des canaux.268 C'est aussi sous les ordres de ce même souverain que le conducteur de caravane269, trésorier de dieu, Herkhouf entreprit sa première mission, en compagnie de son père, en terre nubienne dans le but, disait-il, d'explorer la route du pays de Yam.270 Toutes ces actions montrent que la Nubie-Soudan suscitait de l'importance pour l'Etat égyptien et, elles devaient constituer un prélude au déferlement des caravanes égyptiennes en direction de cette région. C'est ainsi qu'en plus de son premier voyage, Herkhouf allait diriger deux autres campagnes en Nubie sous Mérenrê Ier, qui lui permirent de ramener d'importantes quantités de produits à la Résidence.271En dehors d'Herkhouf, d'autres chefs de caravanes tels que Pépinakht, Mékhou ou Sabni avaient effectué des campagnes en terre nubienne.

Il apparaît ainsi, d'après toutes les actions menées par les pharaons depuis Téti, au début de la VIe dynastie, que l'Etat memphite avait tenté par des moyens politiques et économiques d'endiguer la montée en puissance des nomarques et de redresser son autorité.

Toutefois, cette politique (la réaction pharaonique) devait se confronter à des obstacles qui devaient empêcher sa réussite effective.

D'abord sur le plan institutionnel, les mesures prises par l'Etat memphite allaient se révéler inefficaces C'est le cas de la concentration d'importants pouvoirs aux mains du vizir. En effet, si ce poste n'était au début confié qu'à de hauts fonctionnaires de l'administration centrale comme Kagemni, il devait finir par tomber dans les mains des nomarques. C'est ce qu'atteste la nomination comme vizir des princes de nome comme ceux de Cusae, de

266 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.208

267 Sall B., « Egypte et Koush (aux origines de l'hostilité) », in, Revue Sénégalaise d'Histoire (R.S.H.), n°4-5, 1999-2000, p.33

268 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 316 et 324

269 Ce titre de « conducteur de caravane » que porte Herkhouf dans la traduction de J.H. Breasted correspond au titre de « directeur des étrangers » chez A. Roccati. Ce titre fut porté par la plupart des dignitaires égyptiens qui avaient dirigé des campagnes vers la Nubie-Soudan.

270 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe333. D'après Herkhouf, ce premier périple en Nubie-Soudan dura sept mois et au retour, il ramena des produits.

271 Sur les détails de ces deux campagnes (Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 334,335 et336 ; Roccati A., op.cit., 1982, p.204 à 206)

65

Djou-ef et de Taour qui ont occupé ce poste et l'ont rendu héréditaire.272 Par ailleurs, l'un des derniers grands vizirs connus de l'A.E. à savoir Djâou était issu de la puissante famille des nomarques d'Abydos.273

La même situation est constatée au niveau du poste de « gouverneur du Sud ». L'analyse des prérogatives que détenait le titulaire de ce poste, nous avait permis de voir que sa création visait un rétablissement du pouvoir régalien en Haute Egypte. Mais comme ce fut le cas pour le vizirat, le gouvernorat du Sud allait lui aussi finir par tomber aux mains des nomarques. En effet, après Ouni, la plupart de ceux qui devaient porter le titre de « gouverneur du Sud », étaient des nomarques.274 Selon toute probabilité, les nomarques, en s'accaparant du gouvernorat du Sud, l'ont vidé de tout contenu en portant le titre sans exercer réellement la fonction.275 C'est dire que les mesures administratives prises par l'Etat pour enrayer la puissance des nomarques s'étaient révélées veines.

Du côté de l'option nubio-soudanaise, il semble que là aussi, les caravanes égyptiennes devaient se confronter à l'opposition des Etats nubiens. Certains indices à travers les textes des chefs de caravanes reflètent une détérioration des rapports entre Egyptiens et Nubiens. Dans le texte où il fait le récit de son second voyage en Nubie, Herkhouf rapporte : « Sa Majesté m'envoya une deuxième fois, seul. Je montai par la route d'Eléphantine et je descendis dans les pays d'Irtjet : (qui s'appellent) Mekhou, Térérez, Itjetj, dans un délai de huit mois... ».276 Ce voyage, comparé au premier voyage (qui dura sept mois), avait duré un mois de plus. D'après B. Sall, ce mois de plus s'expliquerait par le fait qu'Herkhouf avait été fait prisonnier par les Nubiens.277 C'est là, un signe qui montre que ces derniers avaient commencé à s'opposer aux caravanes égyptiennes. Cette situation devait se confirmer lors du troisième voyage d'Herkhouf. En effet, dans le récit de ce voyage, Herkhouf dit : « [Je descendis en Imaaou ( ?)], qui est au midi de Irtjet, et au fond de Zatjou, et je trouvai le gouverneur de Irtjet, Zatjou et Ouaouat tous ensemble en une coalition. Mais je descendis avec trois cents ânes chargés d'encens, d'ébène, [...], toute chose belle de valeur, puisque le gouverneur de Irtjet, Zatjou et Ouaouat voyait la force multiple des troupes de Yam, qui

272 Pirenne J., op.cit., 1935 p, 267, in, Séne Kh., op.cit, 2002-2003 p.62-63

273 Nous reviendrons sur ce personnage et sur les positions importantes qu'il occupa au sommet de l'Etat, à l'avènement de Pépi II.

274D'après E. Drioton et J. Vandier, il y a eu en dehors d'Ouni, au moins deux personnages qui ont eu à porter le titre de « gouverneur du Sud », il s'agit des nomarques de Cusae et d'Edfou (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.212). On a aussi l'exemple de Ibi, nomarque de Cerastes-Mountain dont l'inscription biographique montre qu'il avait porté le titre de « gouverneur du Sud » (Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 377)

275 Sall B., op.cit., 1982, p.12

276 Roccati A., op.cit., 1982, p.204

277 Sall B., op.cit., in, ANKH, n°8/9, 1999-2000, p.34

descendaient avec moi à la Résidence, avec une expédition envoyée avec moi. Alors ce même [gouverneur] m'escorta... ».278 Il semble ainsi, que les Etats nubiens, ayant senti l'ampleur que prenait la violation de leur territoire par les caravanes égyptiennes, décidèrent de fédérer leurs forces pour y faire face. Et à l'issu de ce troisième voyage, Herkhouf avait certes réussi de faire parvenir des produits à la Résidence mais il n'a dû son salut qu'à l'escorte d'un contingent des armées de Yam et à un détachement de l'armée égyptienne279. Mais ces événements montrent déjà que du côté de la Nubie, les caravanes égyptiennes devaient faire face à une opposition des Etats. Les inscriptions biographiques des chefs de caravanes qui allaient, par la suite, se rendre au Sud, vont attester le climat de violence qui s'est installé dans les rapports entre Egyptiens et Nubiens.

Ainsi, en rencontrant des difficultés d'approvisionnement en produits nubio-soudanais, l'Etat memphite allait être privé de la plupart de ses moyens d'action contre les forces centrifuges. L'avènement du pharaon Pépi II à l'age de six ans280 allait consacrer la montée en puissance de ces forces centrifuges et l'affaiblissement de la monarchie.

66

278 Roccati A., op.cit., 1982, p, 205

279 Sall B., op.cit., in, ANKH, 1999-2000, p.34

280 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.332

67

Chapitre II : Les facteurs générateurs de l'éclatement de la violence

A- La faiblesse des institutions

Dans la lutte qu'elle mena sous la VI e dynastie pour le renforcement de son autorité, le pouvoir memphite s'était confronté à des difficultés, lesquelles allaient amoindrir les résultats de sa politique.

En effet, sur le plan des institutions, les réformes entreprises par les pharaons, pour endiguer la montée en puissance des nomarques, avaient comporté des limites. Ces derniers, étaient parvenus à rendre vaines ces mesures qui visaient à réduire leur pourvoir au profit de l'autorité centrale. Ce fut le cas du renforcement des prérogatives du vizir. Nous avons vu que le vizirat était occupé, au début de la VI e dynastie, par des hauts fonctionnaires à l'image de Kagemni et qui concentraient d'énormes pouvoirs dans leurs mains. Mais cette importante fonction allait finir par tomber dans les mains des nomarques281. La même situation intervint au niveau du gouvernorat du Sud qui avait été institué pour renforcer l'autorité de l'Etat dans les provinces de Haute Egypte.

En effet, après Ouni, un haut fonctionnaire à qui Mérenrê Ier confia ce poste, presque tous les autres qui l'ont occupé par la suite étaient des nomarques282. Ces deux faits montrent que dans leur opposition au pouvoir central, les nomarques avaient réussi à s'emparer des

281 Depuis son institution qui, d'après certains d'historiens, remonte à la IVe dynastie (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit., 1984 ; p.176), le poste de vizir était resté une affaire de la famille royale. A partir de la Ve dynastie il a commencé à être occupé par des personnes qui n'étaient pas de la famille royale mais qui étaient toutes de hauts cadres appartenant à l'administration centrale. Ce fut le cas de Ptahhotep ou de Sendjemib (Cf., Pirenne J., op.cit, 1961, p.246 ; Grimal N., op.cit, 1988, p.110 ; Roccati A., op.cit, 1982, p.122à128). Ce n'est donc qu'à partir de la VIe dynastie que les nomarques commencèrent à devenir vizir à l'instar de ceux de Djou-ef, de Taour mais surtout d'Abydos avec le vizir Djâou. (Cf., supra, Deuxième partie, chap. I, C).

282 Sur les exemples des nomarques qui avaient porté le titre de « gouverneur du Sud », (Cf., supra, Deuxième partie, chap. I, C). Il faut préciser qu'il y a eu des dignitaires qui avaient porté ce titre sans exercer réellement la fonction mais qui n'étaient pas des nomarques. Ce fut le cas d'Herkhouf. Pour N. Grimal, ce dernier était nomarque du nome d'Eléphantine (Cf., Grimal N., op.cit, 1988, p.104). Toutefois, dans l'inscription biographique d'Herkhouf dont nous retrouvons la traduction chez J. H. Breasted et A. Roccati, il n'y a aucun titre qui fait référence à lui, en tant que nomarque. Alors si des dignitaires comme Herkhouf ont eu à porter le titre de « gouverneur du Sud », ce n'était pas dans une perspective d'opposition au pouvoir memphite comme ce fut le cas pour les nomarques, mais c'est probablement parce que la fonction s'était vidée de son contenu (par le jeu des nomarques) et avait fini par devenir honorifique.

68

fonctions dont la vocation était de renforcer la centralisation de l'Etat égyptien. Et, en portant les titres sans exercer réellement la charge, ils parvenaient à rendre inefficaces les mesures prises par les pharaons à l'encontre de leurs ambitions autonomistes.

Ce fut dans ce contexte de lutte entre pouvoir central et nomarques que Pépi II arriva au trône à l'âge de 6ans. L'arrivée d'un jeune souverain à la tête de la monarchie devrait constituer un handicap majeur pour celle-ci dans sa lutte contre la large autonomie prônée par les chefs de province. Le jeune âge de Pépi II devait offrir l'occasion à ces derniers d'empiéter sur les prérogatives royales et affaiblir le pouvoir central283.

L'un des tous premiers éléments qui devait être favorable aux nomarques et qui était consécutif à l'âge du souverain fut la régence. D'après J. Vercoutter, ce furent la mère de Pépi II, Ankhesenmérirê II et son oncle Djâou qui assurèrent la régence284. Il se trouve que ces deux personnalités n'étaient pas issues de la famille royale mais plutôt d'une famille de nomarque. A ce niveau un problème de légitimité allait se poser. Et c'est là une des conséquences du mariage que Pépi Ier avait contracté avec des femmes issues d'une lignée de nomarque.

L'autre problème qui se posait dans cette régence, se trouvait dans l'attitude qu'avaient adoptée les deux personnalités qui l'ont assurée. En effet, Ankhesenmérirê II et Djâou avaient assuré la direction de l'Etat au moment où le pouvoir central devait faire face à la montée en puissance de l'administration locale dirigée par les nomarques. La continuité de l'Etat aurait dicté à Djâou et à sa soeur de prendre des initiatives pour faire face aux nomarques comme l'avaient fait les autres pharaons de la VI e dynastie dans le cadre de la réaction pharaonique. Il semble que cela n'a pas été le cas. Nous fondons cette idée sur un passage de l'inscription biographique de Djâou où il est écrit : «J'ai fait cela à Abydos dans le nome thinite, en tant qu'imakhou, auprès de la majesté du roi de Haute et Basse Egypte Néferkarê,qu'il vive éternellement, et au prés de la majesté du roi de Haute et de Basse Egypte Mérirê(Pépi Ier) et du roi de Haute et de Basse Egypte Mérenrê, à cause de l'amour de mon nome, où j'ai été enfanté... »285. Malgré les liens de Djâou avec la famille royale et malgré ses importantes charges au sommet de l'Etat, il exhibe clairement son attachement à sa province. Avec cette fierté locale qu'il exprima ouvertement, il n'était pas évident que Djâou, au moment de la régence, se mette à combattre le désir autonomiste des nomarques.

283 Moret A., op.cit, 1926, p.236

284 Vercoutter J., op.cit, 1992, p.332

285 Roccati A op.cit, 1982, p.230-231

69

Autrement dit, ces derniers devaient profiter de la présence au sommet de l'Etat, d'un homme issu de leur milieu, pour assouvir leurs ambitions autonomistes.

Les effets de la jeunesse de Pépi II sont aussi perceptibles à travers sa réaction lorsque Herkhouf lui annonça qu'il avait rapporté un pygmée de son voyage au Soudan méridional. Dans la lettre qu'il adressa à Herkhouf et qui date de l'an 2 de son règne, le souverain écrit: « On a appris l'affaire de cette tienne lettre, que tu as communiquée au roi [...] Tu as dit dans cette tienne lettre que tu as ramené tout produit excellent et beau [...] Tu as dit dans cette tienne lettre que tu as ramené un pygmée du pays des habitants de l'horizon... pour les danses du dieu, lequel est comme le nain que ramena le trésorier du dieu Ourdjédedba du pays d'Oponé au temps d'Izézi[...] Quitte (les autres ?) et amène avec toi ce nain, que tu ramènes du pays des habitants de l'horizon, vivant, saint et sauf, pour les danses du dieu et pour réjouir le coeur du roi de Haute et Basse Egypte Néferkarê [...] S'il monte avec toi dans le bateau, place des hommes capables, qui se tiennent autour de lui des deux côtés du bateau, pour éviter qu'il ne tombe dans l'eau [....] Ma majesté souhaite voir ce nain plus que les produits des carrières d'Oponé»286.

Le jeune souverain montre, à travers cette lettre, qu'il accorde plus d'importance au pygmée qu'aux autres produits rapportés par Herkhouf. Or, nous avons vu que la recherche des produits nubio-soudanais par les chefs de caravanes comme Herkhouf, entrait dans le cadre d'une politique qui visait à juguler les difficultés de trésorerie auxquelles était confronté l'Etat égyptien. Mais en donnant des instructions fermes à Herkhouf pour que le pygmée lui parvienne en bonne santé, en disant qu'il voulait voir ce pygmée plus que les

286 Roccati A., op.cit, 1982, p.206-207. Dans cette traduction. A. Roccati emplois en même temps les termes de pygmée et de nain pour désigner le personnage que ramena Herkhouf. Or, si le premier terme (pygmée) désigne une population africaine vivant dans la foret équatoriale est caractérisée par leur petite taille, le second (nain) désigne une personne atteinte du nanisme qui découle d'une anomalie et se caractérisant par une taille inférieure à la moyenne. Ces deux termes ne désignent donc pas la même réalité. Et B. Sall fait remarquer que le nain, étant la conséquence d'une évolution embryologique particulière, accidentelle, tous les peuples en tout lieu et en tout temps ont pu avoir en leur sein des nains. L'Egypte ancienne n'a pas échappé à la règle. D'ailleurs la statue de Seneb et celle de son père les présentent comme des nains. En outre, le fait qu'Herkhouf prenne la peine d'informer le pharaon qu'il détient ce personnage ainsi que le désir ardent affiché par Pépi II pour le voir, montrent que c'est un personnage nouveau dans l'expérience des Egyptiens (Cf., Sall B., « HERKHOUF et le pays de Yam », in, ANKH, Revue d'Egyptologie et des Civilisations africaines, n°4-5, 1995-1996, p57à70). Ainsi, pour bon nombre d'égyptologues, le personnage que ramena Herkhouf et qui est désigné en égyptien par le terme Deneg, correspond à un pygmée (Cf., Vercoutter J., « L'iconographie du Noir dans l'Egypte ancienne. Des origines à la XXVe dynastie », in, Vercoutter J., Leclan J., Snowden JR. FM., Desanges J., L'image du noir dans l'art occidental, tome I. Des pharaons à la chute de l'empire Romain, Paris, Gallimard, 1991, p.35-36 ; Sall B., Racine Ethiopienne de l'Egypte ancienne, Paris, L'Harmattan/Khepera, 1999, p.134à139 ; Adam Sh. avec le concours de J. Vercoutter « La Nubie, trait d'union entre l'Afrique Centrale et la Méditerranée, facteur géographique de civilisation », in, Mokhtar G. (dir.), op.cit, 1980, p.251-252). Si tel est le cas, c'est une attestation qu'il y a eu une intense vie de relation entre l'Afrique centrale et l'Egypte, par le relais de l'espace soudanien.

70

produits des carrières, Pépi II mettait en avance sa curiosité au détriment des difficultés financières de l'Etat.

La jeunesse du souverain allait ainsi contribuer à fragiliser davantage l'institution royale aux prises avec la fronde des nomarques. A partir de ce moment, ces derniers allaient marquer leur autonomie vis-à-vis de Memphis. C'est ainsi que dans les nomes, les organes de l'administration étaient conservés, mais ils relevaient désormais du nomarque qui allait instituer un gouvernement pratiquement autonome.287 Aussi, les nomarques continuaient à prélever les impôts, mais au lieu de les envoyer au trésor royal, ils les conservaient dans leur propre nome.288 C'est là une des conséquences de l'échec de la création du poste de gouverneur du Sud dont l'une des prérogatives était de récupérer l'impôt dans les provinces et de le convoyer à Memphis. L'autre manifestation de l'émancipation des nomarques, à partir du règne de Pépi II, a été le développement des nécropoles provinciales. En effet, nous avons vu qu'aux plus forts moments de l'absolutisme royal sous l'A.E., les tombes des hauts dignitaires de l'Etat se trouvaient dans la nécropole royale autour de la tombe du pharaon. Cette pratique montre combien pharaon avait du pouvoir sur ses serviteurs. Cependant, au cours de la VIe dynastie, en même temps qu'ils réussissaient à affaiblir la royauté, les nomarques obtenaient du pharaon la possibilité de se faire ensevelir dans leurs nomes.

Ainsi, dans la nécropole de Koseir el-Amarna qui abrite les tombes des nomarques de Cusae (XIVe nome de Haute Egypte), la plus ancienne tombe, celle du nomarque Sebekhotep, remonte au règne de Pépi Ier.289 Mais ce fut avec le règne de Pépi II que de magnifiques sépultures spacieuses et bien décorées, appartenant aux nomarques, sont multipliées dans les nécropoles locales.290 Parmi ces nécropoles, il y a celle de Qoubet el-Haoua qui abrite les tombes de célèbres dignitaires comme Herkhouf, Pépinakht, Sabni et Mékhou, tous morts sous Pépi II.291 À Deir el-Gebraoui, la nécropole abrite les tombes du nomarque Ibi et de ses deux successeurs à savoir les deux Djâou qui étaient tous contemporains de Pépi II.292 Ce fut aussi le cas dans la nécropole thinite d'Abydos où le vizir Djâou s'était fait ensevelir au nom de l'attachement qu'il avait pour son nome. Dans la nécropole de Meir, qui abrite de riches tombes appartenant à une partie de la famille des nomarques de Cusae, Pépiânkh-le-Moyen, dont la tombe remonte à la fin de la VI e dynastie, se vante en disant : « Je fis qu'on établisse ma propriété de magistrat à l'Occident dans le

287 Pirenne J., op.cit., 1961, p.315

288 Ibidem.

289 Vandier J., op.cit., 1954, p.307à309

290 Sall B., op.cit., 1984, p.26

291 Roccati A., op.cit., 1982, p.200à222.

292 Id., ibid., p.224à228

71

district de la Dame de Vérité, dans un lieu libre et beau, où l'on avait jamais travaillé. D'autres n'y avaient jamais encore fait des travaux avant moi, mais c'est moi qui ouvris cette nécropole : elle servira en cimetière, elle fera ce que l'on souhaite ».293 Ces exemples montrent que les nomarques avaient cessé de se faire ensevelir dans la nécropole royale. Et, au moment où cette dernière perdait de son importance, c'est dans les nomes où devaient se trouver les riches sépultures décorées qui autrefois, se groupaient autour de la sépulture royale.294 Aussi, dans les inscriptions tombales de ces nécropoles provinciales, au lieu du simple protocole et de la liste des faveurs accordées par le souverain à son serviteur qui figuraient presque exclusivement sur les parois des tombes anciennes, on trouve à présent un état détaillé des services rendus par le défunt durant sa vie.295 Ainsi, le déplacement des tombes des nomarques, de la nécropole royale vers les nomes, constitue une des manifestations les plus visibles des acquis obtenus par les chefs de provinces dans leur opposition face à la centralisation des institutions prônées par le pouvoir memphite. En effet, en abandonnant l'usage de demeurer, même dans la mort à proximité du pharaon, les nomarques montraient qu'ils s'émancipaient de la mainmise que ce dernier avait sur leur personne dans la vie comme dans l'au-delà.296 Et pourtant, malgré cette volonté d'autonomie qui se lit dans leurs tombes, ces derniers continuaient à obtenir de pharaon des privilèges qui ne faisaient que renforcer leur puissance.

Ainsi, pour son ensemble funéraire, le nomarque Ibi, mort sous Pépi II, écrit : « J'ai fait cela (l'ensemble funéraire) avec les villages de ma personne, avec mon service de prêtre pur, avec une concession royale que ma octroyée la majesté de mon seigneur [pour] me procurer un terrain [...] sans compter les biens de mon père, alors que j'étais gouverneur de demeure de la maison de ravitaillement, et un terrain de 203aroures, que m'a donné la majesté de mon seigneur pour m'enrichir ».297 Aussi, pour l'enterrement du prince Djâou à Deir el-Gebraoui, son fils le prince Djâou obtint de Pépi II, « qu'on tire le cercueil, le linge, le parfum pour la fête, de l'huile rituelle, pour le dit Djâou. Sa majesté fit apporter, [par] un employé, le cercueil, le parfum pour la fête, l'huile rituelle, 200 pièces d'étoffe de première qualité [...] provenant de la Double Maison de l'argent de la Résidence, pour le dit Djâou ».298 Ensuite, Djâou demanda à pharaon de conférer à titre posthume la dignité de

293 Id., ibid., p.234à236

294 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.220

295 Id., ibid., p.222

296 Erman A Ranke H., op.cit, 1976, p.55 297Roccati A., op.cit, 1982, p.226

298 Id., ibid., p.227

72

prince à son père ce que fit sa Majesté en octroyant « un décret pour le nommer prince en tant qu'offrande de par le roi ».299

Ces concessions de Pépi II en faveur des nomarques, montrent que malgré leur volonté d'autonomie, ces derniers parvenaient à manipuler le pharaon pour obtenir des faveurs de sa part afin de renforcer leur pouvoir local au détriment de l'autorité centrale qui devait s'affaiblir davantage. Cet affaiblissement de l'institution royale en faveur des nomarques allait se traduire par le morcellement des pouvoirs du pharaon. En effet, dans l'armature institutionnelle de la monarchie égyptienne, la justice et l'armée étaient les deux bases essentielles du pouvoir royal et, aussi longtemps que les pharaons en conservèrent le contrôle, la décadence de l'administration ne se révéla pas dans toute sa gravité.300 Mais sous Pépi II, les nomarques allaient parvenir à s'accaparer des pouvoirs judiciaires et militaires de pharaon.

Ainsi, en ce qui concerne la justice, même si la Haute Cour continuait à siéger à Memphis, elle devrait perdre toute action dans les nomes et on ne retrouve plus aucun personnage important pour en faire parti.301 En outre, les titres tels que Président de chambre ou Conseiller allaient disparaître sous Pépi II.302 Dès lors, c'est dans les nomes que les nomarques devaient rendre la justice non pas au nom de pharaon, mais au nom du dieu local dont ils étaient en même temps les grands prêtres.303 Cette possibilité qu'avaient les nomarques de rendre la justice dans les nomes et au nom des dieux locaux, au-delà du fait qu'elle montre l'accaparement des pouvoirs judiciaires de pharaon, révèle un autre aspect des luttes politiques.

En effet, au moment où les liens qui rattachaient le nomarque au pharaon se relâchaient, ceux qui l'unissaient au dieu local de son nome devaient se fortifier. Ainsi, c'est au dieu provincial que le nomarque confiait désormais ses espérances et c'est à lui qu'il se déclarait attaché par les liens d'imakhou.304 Et, dans les inscriptions des tombes provinciales, apparaissent des expression telles que « imakhou au près de son dieu local »305 ou « imakhou au près de mon dieu ».306 On va dès lors assister à un retour en force des divinités locales, lequel retour devait s'effectuer au détriment du dieu Rê qui assurait jusque là, le rôle de dieu

299 Ibidem

300 Pirenne J., op.cit, 1961, p.299

301 Id., Ibid., p.316

302 Ibidem

303 Id., Les grands courants de l'Histoire universelle, tome I : Des origines à l'Islam, Neuchâtel, La Baconnière, 1959, p.24

304 Moret A., op.cit, 1926, p.244

305 Roccati A., op.cit, 1982, p.226

306 Id., ibid., p.236

73

dynastique. La déconfiture de la monarchie au plan politique allait se traduire au plan religieux, par un retour des cultes des dieux locaux et par un recul du culte royal et du culte solaire.

C'est là une des conséquences du rapprochement entre la théologie solaire et la monarchie qui avait été la base de l'absolutisme royal amorcé au début de l'A.E. La centralisation monarchique s'était accomplie parallèlement à une centralisation religieuse qui avait réuni les dieux locaux en un système dominé par le seul dieu Rê. C'est dire que le relâchement de la centralisation du pouvoir monarchique devait entraîner, pour le dieu Rê, une perte de sa position de dieu national. Or, si Rê perd sa position d'être le seul grand dieu, le caractère de dieu vivant de pharaon, fondé sur la théologie solaire, devait lui aussi perdre sa valeur.307 On peut dès lors dire que les nomarques, en favorisant le retour en force des cultes des dieux locaux, avaient réussi en même temps à faire régresser le dogme de la divinité de pharaon basé sur la théologie solaire. Ainsi, la puissance que pharaon tirait de son caractère divin, allait s'affaiblir en même temps que ses pouvoirs politiques.

En plus de la justice, l'armée aussi allait tendre vers une provincialisation. C'est ce qu'on constate dans la biographie de Sabni. Selon ce dernier, lorsqu'on l'informa de la mort de son père Mékhou, parti en mission du côté de la Nubie, il mobilisa « les troupes de son domaine personnel » pour aller chercher le cadavre de son défunt père.308 Le défunt Mékhou, qui portait les titres de « prince, trésorier du roi, Ami unique, prêtre lecteur »309, fut un haut dignitaire de l'Etat égyptien. De plus, il était parti en Nubie-Soudan à la recherche de produits susceptibles d'alimenter le trésor royal.

La remarque que nous faisons à ce niveau, c'est qu'aussitôt informé de la mort de son père et non moins dignitaire de l'Etat, parti en mission, Sabni mobilisa les troupes de son domaine pour aller chercher le cadavre. Avait-il agi sous les ordres de pharaon ou bien était-il parti sur sa propre initiative ? Nous retrouvons la réponse dans la lettre qu'il adressa à la Résidence pour l'informer de l'opération : « Or, j'écrivis des lettres pour informer que j'étais parti pour ramener ce mien père Mékhou du pays d'Outjetj dans Ouaouat ».310 Ces propos de Sabni montrent qu'au moment où la lettre parvenait à la Résidence, il était déjà parti à la recherche du cadavre de Mékhou. Autrement dit Sabni n'était pas allé en Nubie en qualité de chef militaire aux ordres de pharaon mais plutôt en tant qu'un fils parti à la recherche du

307 Pirenne J., op.cit., 1961, p.298

308 Roccati A., op.cit., 1982, p.217

309 Id., ibid., p, 218

310 Id., ibid., p.217

74

cadavre de son père. Le comportement de Sabni traduit un manque de discipline vis-à-vis de l'autorité militaire de pharaon et au-delà, une certaine liberté de la part des nomarques de disposer de leurs troupes. En effet, c'est le souverain, conformément à son autorité militaire, qui devait charger un chef militaire d'aller chercher le corps d'un dignitaire mort en mission à l'étranger. C'est ce qu'on a constaté avec le rapatriement du cadavre d'un autre dignitaire mort en mission vers les côtes d'Arabie.

Dans sa biographie, Pépinakht rapporte que la majesté de son seigneur l'envoya dans le pays des Asiatiques [Aâmou] pour lui ramener le compagnon unique, commandant des marins et conducteur de caravanes, Enenkhet qui construisait un bateau pour se rendre à Pount lorsque les Asiatiques [...] le tuèrent avec la troupe de l'armée qui l'accompagnait.311 Pépinakht montre ainsi que ce fut le pharaon qui le chargea d'aller chercher le corps du dignitaire Enenkhet. Mais à la différence de Pépinakht et pour une mission similaire, Sabni n'avait pas attendu l'ordre de pharaon. Son attitude peut dès lors être interprétée comme une manifestation de l'usurpation des pouvoirs militaires de pharaon par les nomarques.

Il apparaît ainsi, qu'à partir du règne de Pépi II, les nomarques avaient réussi à transformer tous les organes qui symbolisaient le pouvoir de pharaon, en une administration locale et autonome au niveau de chaque province. Et, durant tout le long règne de ce pharaon, la situation allait très peu évoluer entraînant un affaiblissement profond des institutions.312 L'un des signes de cet affaiblissement de la monarchie pharaonique, allait être la régression, très sensible, de la puissance que l'Egypte incarnait face à ses voisins. Les deux biographies de Sabni et de Pépinakht illustrent cet état de fait. En effet, du côté du Sud, nous avons évoqué l'opposition des Etats Nubiens face aux caravanes égyptiennes qui commençait à se manifester sous le prédécesseur de Pépi II à savoir Mérenrê Ier. Il semble que dans un premier temps, Pépi II avait tenté de réagir face à cette opposition des Nubiens. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer de la biographie de Pépinakht dont la première mission en terre

311 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe360. Il y a un fait qui attire notre attention dans les deux textes de Sabni et de Pépinakht, par rapport au rapatriement des corps de dignitaires égyptiens morts à l'étranger : c'est le sort des hommes qui les accompagnaient. En effet, si pour Mekhou, on ignore le sort des hommes qui étaient en sa compagnie, pour Enenkhet, il est clairement indiqué qu'il a été tué en même temps que la troupe qui l'accompagnait Mais dans tous les deux cas, il n'a nul part été fait mention du sort des hommes qui composaient les caravanes. Il semble que pharaon ne s'intéressait qu'au cadavre du dignitaire dont il devait prendre les dispositions pour le rapatriement et l'enterrement. On est donc tenté de se demander si le silence au tour du sort de ces compagnons des chefs de caravanes n'était rien d'autre que la manifestation de cette inégalité des Egyptiens devant la mort qui faisait que seul les privilégiés bénéficiaient d'un rituel funéraire important avec l'aide de pharaon.

312 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.213. Sur la longévité du règne de Pépi II, (Cf., supra, Première partie, chap. I, A)

75

nubienne, sous Pépi II, avait consisté à « écraser le pays de Ouaouat [et] d'Irtjet ».313 La deuxième mission de Pépinakht s'inscrivit dans le même but et contre les mêmes Etats. Mais il semble que malgré les actions musclées de Pépinakht à leur encontre, les Nubiens restaient déterminés à faire face contre la violation de leurs territoires par les caravanes égyptiennes. Et, c'est dans ce contexte que le chef de caravane, Mékhou, allait trouver la mort alors qu'il était en mission dans cette région méridionale. Son fils Sabni qui partit à la recherche de son cadavre, donne le compte rendu de son voyage : « [Then I took a troop of my estate, and 100 asses with me, bearing ointment, honey, clothing, oil [...] in order to make present [in] these countries [...] I pacified these countries ... in the countries of ... the name which is Mether. [I loaded] the body of this sole companion upon an ass, and I had him carried by the troop of my estate ».314 Si on s'inscrit dans la perspective que la mort de Mékhou n'a pas été une mort naturelle, mais qu'elle découle des rapports heurtés entre l'Egypte et les Nubiens, (ce que pensent certains historiens)315, alors on peut dire que les propos de Sabni ne laissent pas apparaître une réaction violente de l'Egypte face à cette situation. Il semble que dans un contexte d'émancipation de ses provinces, la monarchie pharaonique, affaiblie, n'eut pas les moyens de réagir face aux Nubiens316. C'est dans ce même contexte que le chef de caravane Enenkhet et toute la troupe d'expédition qui l'accompagnait, furent massacrés par les Asiatiques. Là aussi, il faut remarquer que ces Asiatiques, ceux «qui habitent le sable », sont désignés par les mêmes termes que ceux qui avaient fait l'objet d'intenses campagnes militaires dirigées par Ouni sous Pépi Ier.317 Le fait que ces peuples, qui avaient été fortement combattus par Pépi Ier refassent surface et s'attaquent aux Egyptiens, montre que le joug de l'Egypte, affaiblie, commençait à être secoué par les Bédouins. La monarchie, semble t-il, n'avait plus les moyens de mobiliser les gigantesques campagnes signalées sous Pépi Ier, pour renvoyer les Bédouins loin de l'Egypte et pour sécuriser ses zones d'approvisionnement en matières premières. Les conséquences de cet affaiblissement de la monarchie pharaonique aussi bien au niveau interne qu'externe, allaient être énormes sur les plans politique, économique, social et sécuritaire.

313 Roccati A., op.cit, 1982, p.209-210. Il est à remarquer que les Etats nubiens de Ouaouat et d'Irtjet auxquels Pépinakht devait s'attaquer, sont ceux qui constituèrent la coalition qui avait tenté de barrer la route à Herkhouf sous Mérenrê Ier ; ce qui montre que leur dynamique fédérative amorcée depuis ce dernier pharaon, se poursuivait sous Pépi II. Ceci est en outre confirmé par le fait que ces Etats étaient cités par Sabni dans la mort de Mékhou en Nubie.

314 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe366et368

315 Sall B., op.cit, in, R.S.H., n°4-5, p35 ; Vandier J., op.cit, 1954, p312

316 Sall B., op.cit, in, ANKH, n°4-5, 1999-2000, p.35

317 Pour les campagnes militaires d'Ouni contre les Bédouins, Cf., Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes311à314 et Roccati A., op.cit, 1982, p.193-164

76

B- La crise du trésor

La base de la prospérité économique de l'Egypte résidait avant tout, dans une organisation centralisée et efficace, s'appuyant sur un pouvoir royal fort.318 Autrement dit, tout relâchement de cette organisation devait avoir des répercussions négatives sur la situation économique du pays. Or, depuis la V e dynastie, le pouvoir central avait été confronté à un processus d'affaiblissement, dû aux ambitions autonomistes des nomarques. Cette situation allait aboutir à l'affaiblissement de la monarchie notamment à partir de la VIe dynastie.

Au même moment, le trésor royal allait connaître une paupérisation du fait de la combinaison d'un certain nombre de facteurs.

Le premier facteur qui est à la base des difficultés financières de l'Egypte memphite est en liaison avec le système politico-idéologique adopté par les pharaons des premières dynasties. En effet, dans le cadre de l'absolutisme royal, l'Etat memphite avait mis en place un système de fonctionnarisme dans lequel le serviteur devait à son souverain un travail, qu'il fournissait en échange de l'entretien de sa propre vie.319

Et, le mode de rémunération qui avait été mis sur pied fut le paiement en nature. Il pouvait concerner l'octroi de terre, du bétail, des demeures funéraires, de l'or, etc.320 Nous avons vu que sous la IIIe dynastie, Metjen avait reçu des terres, du personnel et du bétail, en sa qualité de gouverneur de nome. Aussi, c'est le pharaon qui fournissait à son serviteur, la concession funéraire et les éléments de la tombe comme le sarcophage, la fausse porte et la table d'offrandes.321 Sous la IV e dynastie, un contemporain du pharaon Khephren qui portait les titres d'Ami unique, seigneur de Nekhen, membre de la cour royale et gouverneur local rapporte qu'il obtint de pharaon comme offrandes funéraires, des champs et des villages en sa qualité d'imakhou.322 Sous la Ve dynastie, le doyen des médecins Niankhsekhmet avait obtenu du pharaon Sahourê, «une double fausse porte en pierre », venant de Tourah.323 Ces concessions royales en faveur des serviteurs de pharaon devaient se poursuivre sous la VIe dynastie. Dans sa biographie, Ouni rapporte qu'il avait demandé à sa majesté (Pépi Ier) qu'il lui apporte un sarcophage en calcaire blanc de Tourah ; «Sa Majesté fit traverser le fleuve à

318 Wolf W., op.cit., 1955, p.48

319 Grimal N., op.cit., 1988, p.111

320 Séne Kh., La crise financière de Memphis et l'option nubio-soudanaise de l'Ancien empire, mémoire de D.E.A., F.LS.H., .U.C.A.D. 2003-2004, p.7

321 Grimal N., op.cit., 1988,p.111

322 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 207 et209

323 Roccati A., op.cit., 1892, p.97

77

un trésorier du dieu avec l'équipage d'un capitaine à ses ordres, pour [l'] apporter le dit sarcophage de Tourah [...] avec son couvercle et une fausse-porte : un linteau, deux montants, un seuil ».324 Ces exemples montrent que les concessions des pharaons en faveur des privilégiés avaient occupé une bonne partie des dépenses de l'Etat durant toute la période de l'A.E.

Or, d'après A. Moret, on peut évaluer le nombre de privilégiés enterrés au près de pharaon à environ 500 par règne.325 Ce nombre considérable de privilégiés par règne donne une idée de l'ampleur que pouvaient prendre ces dépenses au cours de chaque règne.

A côté des faveurs faites aux serviteurs de pharaon, il y a des dépenses concernant le culte des rois et des dieux. En effet, les gigantesques pyramides de l'A.E. qui ont constitué la sépulture pour le pharaon, avaient certainement nécessité d'énormes dépenses pour leurs édifications. Ainsi, pour la pyramide de Chéops, Hérodote a donné une idée des moyens considérables que son édification devait nécessiter.326 Sous les V e et VI e dynasties, plusieurs inscriptions ont fait état des activités allant dans le sens des travaux des pyramides royales. Ainsi, les inscriptions de la chaussée qui conduit à la pyramide du pharaon Onnos (Ve dynastie), mentionnent le transport d'éléments architecturaux tirés des carrières pour les travaux de la pyramide.327 Pour la pyramide «Mérenrê-apparaît-en-perfection », Ouni fut envoyé à «Ibha pour transporter le cercueil des vivants [...] avec son couvercle, avec le pyramidion précieux et auguste [puis] à Eléphantine pour transporter la fausse-porte en granit rose avec un seuil, les herses et les linteaux en granit rose, pour transporter les portes et les dalles en granit rose de la chambre supérieure de la pyramide [...] dans dix bateaux larges, trois chalands, trois bateaux de 80 coudées ».328

Aussi, pour le culte des dieux, la Pierre de Palerme renseigne qu'il y a eu, à partir de la V e dynastie, de manière régulière, les constructions des temples, des donations ainsi que des milliers d'offrandes par jours, offertes par le pharaon.329 En deux années de règne, le

324 Id., ibid., p.192

325 Moret A., op.cit, 1926, p.234

326 Hérodote, II, 124-125. Selon l'auteur, « Aux uns était assigné de traîner des pierres à partir des carrières qui sont dans la montagne arabique, jusqu'au Nil ; à d'autres, il ordonna de recevoir ces pierres, après que, sur des bateaux, on les avaient transportées au-delà du fleuve, et de les traîner jusqu'à la montagne, la montagne appelée Libyque. Le travail était accompli par des troupes de dix myriades d'hommes qui se renouvelaient à chaque trimestre. Le temps pendant lequel le peuple fut soumis à d'exténuants labeurs aurait été de dix ans pour l'établissement de la chaussée par où l'ont traînait les pierres ». Selon l'auteur, ces dix années étaient différentes des vingt ans consacrés à la construction de la pyramide elle-même.

327 Roccati A., op.cit, 1982, p.131à133

328 Id., ibid., p.196

329 Pour les actions des pharaons de la Ve dynastie relevées sur la Pierre de Palerme, Cf., Roccati A., op.cit, 1982, p.43à52

78

pharaon Ouserkaf avait remis 1924 aroures (environ 400 ha) de terre aux sanctuaires d'Héliopolis, de Nekheb et de Pé, ainsi qu'a des temples locaux. En une seule année de règne, son successeur, Sahourê, donna aux temples 5856 offrandes journalières et 2021aroures (environ 429 ha) de terre.330 Ces exemples illustrent l'importance des donations aux temples, faites par les pharaons à partir de la V e dynastie. Et, les terres remises aux clergés étaient prélevées sur le domaine de la couronne et sur celui de l'Etat.331 En plus des terres et autres produits d'offrandes, le culte nécessitait de véritables trésors de malachite, d'électrum, de myrrhe et d'objets précieux.332

Il apparaît ainsi que les dépenses pour l'entretien des fonctionnaires, les besoins du culte funéraire et celui des dieux, avaient fortement contribué à l'érosion du trésor Memphite. Cette érosion du trésor devait s'aggraver à cause de l'évolution qu'avait subie le système fiscal.

Le système fiscal de l'Etat memphite avait connu une inégalité dans la répartition de l'impôt sur les plans social et géographique.333 En effet, les donations faites par les pharaons pour le besoin du culte étaient, pour la plupart du temps, immunisées par décret royal.334 Ainsi, le pharaon Snéfrou, avait pris un décret pour que les deux villes de ces deux pyramides soient éternellement exemptées de faire corvée due au roi, de payer toute imposition à la Cour.335 Cette charte fut renouvelée par le pharaon Pépi Ier en l'an 21 de son règne sous le décret dit « décret de Dahshour ».336 Les temples des dieux devaient eux aussi bénéficier des exemptions d'impôts. Sous la V e dynastie, le pharaon Néferkarê adressa au directeur des prophètes du temple de Khentamenti (ancien dieu local d'Abydos), un décret où on peut lire : «Décret royal pour le directeur des prophètes Hemou. Je n'ai pas permis qu'un homme quelconque ait pouvoir de prendre aucun des prophètes, qui sont dans le Nome où tu es, pour l'état d'artisan ou toute autre corvée du Nome, en surplus du service à faire pour le dieu, personnellement, dans le temple où celui-ci est, et du bon entretien des temples par les prophètes qui y sont [...]. Car ils sont exemptés (khout) pour l'étendue de l'éternité, conformément au décret du roi du Sud et du Nord Néfarkarê...»337 Selon J. Pirenne, si semblable privilège est attribué à un petit temple secondaire, il faut en déduire que de grands et puissants sanctuaires comme ceux d'Héliopolis, de Nekheb et de Pé, et sans doute les

330 Pirenne J., op.cit., 1961, p.243

331 Ibidem

332 Ibidem

333 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.9

334 Drioton E Vandier J. op.cit., 1984, p182

335 Moret A., op.cit., 1926, p.237

336 Id. ibid, p.238 ; Obenga Th ., op.cit., 2990, p.443

337 Moret A., op.cit., 1926, p.240

79

temples solaires eux-mêmes en avaient bénéficié.338 L'exemption de l'impôt allait aussi être accordée aux gouvernements provinciaux au fur et à mesure de leurs protestations.339 En effet, en tant que directeur des prophètes, le nomarque allait jouir des immunités arrachées par le clergé à la piété ou à la faiblesse de pharaon et lui-même allait recevoir des terres et des exemptions d'impôts à titre personnel.340

Comme on le constate, les donations faites par les pharaons aux temples et aux particuliers avaient constitué un facteur de dépérissement des ressources du trésor memphite. Il s'y ajoute deux autres problèmes nés de la crise que traversaient les institutions et de l'évolution des rapports entre l'Egypte et ses voisins. Nous avons vu que dans leur lutte contre le pouvoir central, pour une plus grande autonomie, les chefs de provinces avaient usé de l'arme fiscale pour priver la royauté d'une bonne partie de ses ressources et aggraver la crise financière. Dans les rapports entre l'Egypte et ses voisins, on a noté des difficultés qui avaient commencé à se manifester à partir du règne de Mérenrê Ier. En effet, du côté du Sud, les caravanes égyptiennes allaient être aux prises avec l'opposition de la coalition des Etats nubiens d'Irtjet, de Ouaouat et de Zatjou. Et sous Pépi II, un chef de caravane, Mekhou, allait trouver la mort dans cette région. Les mêmes difficultés allaient se manifester du côté des voisins Asiatiques. Là aussi, un chef de caravane et toute l'équipe qui l'accompagnait devaient être tués par les Asiatiques.

Et, d'après Pépinakht, ce chef de caravane (Enenkhet), construisait un bateau pour se rendre au pays de Pount lorsque les Asiatiques le tuèrent.341 Or, ce pays (Pount) est réputé pour sa richesse en produits tels que l'or, l'électrum, l'ivoire, l'ébène etc., qui attiraient les Egyptiens.342 Et la construction du bateau par le défunt Enenkhet montre que son voyage avait certainement un but économique.

Ce climat d'insécurité auquel étaient confrontées les caravanes égyptiennes allait affecter l'importation des matières premières en provenance de l'étranger qui devait se ralentir considérablement avant de s'arrêter.343

Ainsi, l'érosion du trésor de l'Etat, aggravée par la crise politique et les difficultés d'approvisionnement des matières venant de l'étranger, allait être à la base de la crise financière. Cette situation allait affecter considérablement les couches sociales les plus défavorisées. En effet, au point de vu fiscal, malgré l'exemption d'imposition accordée à

338 Pirenne J., op.cit., 1961

339 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.10

340 Moret A., op.cit., 1926, p.244

341 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 360

342 Grimal N., op.cit., 188, p.93

343 Wolf W., op.cit., 1955, p.48

80

certaines catégories sociales, le trésor allait continuer sa mission de collecte et de redistribution des produits et revenus de l'Etat ; laquelle redistribution, continuait à favoriser les dignitaires de l'Etat. Nous avons vu qu'avec Pépi II, malgré l'affaiblissement du pouvoir, pharaon continuait à octroyer des concessions aux dignitaires. Dès lors, le poids de l'impôt allait s'alourdir sur les petits propriétaires.344 Ces derniers devaient s'endetter et finir par être ruinés complètement. D'un autre côté, la baisse ou l'arrêt des importations des matières premières allait avoir comme effet, un recul des activités quotidiennes d'une bonne frange des Egyptiens. Dans ce pays, les activités telles que la construction des pyramides royales, des temples solaires et royaux, des tombeaux concédés aux imakhou, la décoration sculpturale des édifices, la fabrication des luxueux mobiliers pour les palais des vivants et des morts, des étoffes, des bijoux, etc., avaient certainement nécessité une classe d'artisans, d'ouvriers et de paysans très considérable.345 Pour cette classe composée de personnes qui ne vivaient que de leurs bras et qui ne mangeaient pas quand le travail manquait, l'arrêt des activités quotidiennes était synonyme de misère.346 Ainsi, la monarchie pharaonique affaiblie politiquement par les nomarques, devait faire face à une grave crise financière qui plongea un bon nombre d'égyptiens dans la misère. Son incapacité, face à cette situation, allait constituer une des sources principales de la révolte populaire qui secoua le pays à la fin du règne de Pépi II.

Il semble toutefois qu'à côté de la carence des institutions et de la crise financière, l'Egypte était, à cette époque, en proie à des difficultés d'ordre climatique.

C- Les effets des changements climatiques

A la fin de l'A.E., au moment où les luttes politiques avaient abouti à l'affaiblissement de la royauté, et que le trésor royal était en difficulté, l'Egypte semble-t-il, était en même temps en proie à des problèmes dus aux mutations climatiques. En effet, vers -3000, lorsque s'établissait la royauté pharaonique dans la basse vallée du Nil (au Nord du 24° N), le désert occidental égyptien était parvenu à son degré de dessèchement actuel au

344 Pirenne J., op.cit., 1961, p.303

345 Moret A., op.cit., 1926, p.250

346 Pirenne J., op.cit., 1961, p.327

81

terme d'une longue évolution amorcée vers -4800.347 L'une des manifestations de cette situation avait été la disparition dans le Sahara septentrional des points d'eau dès le Ve millénaire et qui avait rendu impossible les relations entre la vallée du Nil et les massifs du Sahara central sauf par la voie des oasis parallèles à la côte Libyenne (Siwa, Djeraboub, Aujila et Sokna).348 Cette situation allait avoir comme conséquence, une plus grande dépendance de l'Egypte de l'inondation annuelle du Nil.349

Il se trouve que le Nil, comme beaucoup d'autres fleuves, prend sa source dans la zone intertropicale étendue jusqu'à 4° Sud, sur des hautes terres situées entre 1000 et 2000 mètres d'altitude avec des volcans dépassant les 4000 mètres.350 Sur ces montagnes, les pluies dépassent souvent 1,5 mètre par an.351 Toutefois, si le Nil traverse le Sahara sur près de 3000 km, il le doit en grande partie à l'apport de ses affluents éthiopiens. En Ethiopie, il existe de vastes plateaux volcaniques entre les 7° et 17° N qui se situent aujourd'hui entre 2000 et 4000 mètres d'altitude et qui reçoivent entre 1 et 2 mètres de pluie par an.352 Cette situation laisse apparaître que le Nil reflète les changements climatiques survenus dans la zone intertropicale beaucoup plus qu'en Egypte même.353 Or, si l'assèchement du Sahara septentrional était continu (entre -5000 et -2500 il n'y a pas eu de retour d'humidité dans l'actuel désert égyptien), ce ne fut pas le cas dans le Sahara méridional où il y a eu un « Humide néolithique » entre -4500 et -2500, encadré par un « Grand Aride mi-Holocène » de -2500 à -1000 environ.354 Et les crues du Nil, alimentées par des eaux venant au Sud 22° N, suivaient le rythme irrégulier du dessèchement du Sahara méridional355. Si nous prenons en compte cette situation au niveau du Sahara méridional, elle traduirait une baisse de ces crues à partir de -2500, s'est à dire au cours de la deuxième moitié de l'A.E. Et selon P. Rognon, il a été constaté que vers 5000 B P (-3000 à -2800), le volume des crues du Nil a diminué d'environ 25 à 30% par rapport à son débit antérieur et cette diminution est devenue catastrophique vers 4300-4000 B P (-2250 à -1950).356

Cette analyse des conditions climatiques et hydrologiques a montré que sous l'A.E., l'Egypte avait été confrontée aux effets de la désertification, avec une baisse des crues du

347 Cornevin M., op.cit., 1993, p.49

348 Ibidem

349 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.353

350 Rognon P., Biographie d'un désert, Paris, Plon, 1989, p.137

351 Ibidem

352 Id., ibid, p.140 353Id., Ibid, p.293

354 Cornevin M., op.cit., 1993, p.67

355 Ibidem

356 Rognon P., op.cit., 1989, p.293

82

Nil. Mais ce qui allait aggraver la situation, c'est qu'au moment où les conditions naturelles devenaient de plus en plus précaires, la situation politique rendait difficile toute action commune pouvant permettre au pays de faire face aux calamités naturelles. Nous avons vu qu'au cours de la VIe dynastie, notamment à partir du règne de Pépi II, les nomarques avaient réussi à gagner une plus grande autonomie et avaient tendance à gérer les provinces de manière autonome. Cette large autonomie des provinces eut comme effet immédiat, une absence de consensus national qui pouvait permettre une utilisation rationnelle des eaux du Nil, afin de parer aux difficultés qui pourraient découler de la baisse des crues.357 Dès lors, la crise politique et financière que traversait la monarchie à la fin de l'A.E., allait s'accentuer du fait de la vulnérabilité du pays face à la dégradation des conditions naturelles. Dans ce pays que fut l'Egypte, la part de l'homme n'a jamais été négligeable dans la fécondation de la terre.358 Il est vrai que par sa crue annuelle, le Nil entretient le sol cultivable, en corrige l'évaporation et lui rend l'humidité nécessaire dans un pays où la pluie est rare.359 Toutefois, dans cette crue annuelle, le fleuve adopte des situations qui sont toutes aussi dommageables pour l'Egypte.360 En effet, l'arrivée des eaux du fleuve peut signifier submersion de la vallée, avec destruction ou démolition de tout ce qu'elle trouve sur son passage. Elle délite le sol et déplace les limites des propriétés.361 Mais, inversement, lorsque la crue est insuffisante, le pays pouvait connaître une situation de famine. Au début de l'A.E., sous le règne de Djeser, il semble que l'Egypte avait connu à une situation similaire, où l'insuffisance des crues avait provoqué une famine. C'est du moins la conclusion qu'on peut tirer d'un document connu sous le nom de Stèle de la famine où le pharaon Djeser, s'exprimant sur la situation disait : « Mon coeur était dans une très grande peine, car le Nil n'était pas venu à temps pendant une durée de sept ans. Le grain était peu abondant, les graines étaient desséchées, tout ce qu'on avait à manger était en maigre quantité, chacun était frustré de son revenu. [...] Même les courtisans étaient dans le besoin ; et les temples étaient fermés, les sanctuaires étaient sous la poussière... »362. C'est pour faire face à ces aléas des crues que, semble-t-il, très tôt les Egyptiens cherchèrent à discipliner le fleuve. Ainsi, de puissantes digues, parallèles au cours du fleuve furent mises en place pour forcer le fleuve à suivre un lit régulier et des canaux perpendiculaires au fleuve, partageant la vallée en un damier de bassin,

357 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.12

358 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.4

359 Moret A., op.cit.

, 1926, p.38

360 Id., Ibid, p.36

361 Ibidem

362 Grimal N., op.cit., 1988, p.80-81

83

étagés du Sud au Nord les uns au dessus des autres363. Toute cette énorme entreprise ne pouvait se réaliser sans un labeur régulier et tenace, collectif et coordonné. D'où la nécessité d'un chef pour gouverner, assigner à chacun sa tâche et repartir avec équité, l'eau du fleuve, à tous.364 C'est ce qui explique l'importance de l'Etat qui symbolisait une organisation de masses humaines, l'unité de la direction et la centralisation qui étaient à la base de la prospérité de l'Egypte. En effet, avec un pouvoir central fort, il était possible d'assurer une véritable politique économique, en parvenant à discipliner la crue, en coordonnant les observations nilométriques tout au long du cours du fleuve et en mobilisant des milliers d'Egyptiens pour parfaire le réseau des canaux.365 Tels sont là, quelques uns des éléments qui rendaient indispensable, la présence en Egypte d'un pouvoir central fort. En faisant une remarque sur l'Egypte sous l'administration Ptoléméenne, Napoléon n'avait pas manqué de relever cette situation. Selon lui, « Dans aucun pays, l'administration n'a autant d'influence sur la prospérité publique. Si l'administration est bonne, les canaux sont bien creusés, bien entretenus, les règlements pour l'irrigation sont exécutés avec justice, l'inondation est plus étendue. Si l'administration est mauvaise, ou faible, les canaux sont obstrués de vase, les digues mal entretenues, les règlements de l'irrigation transgressés, les principes du système d'inondation contrariés par la sédition et les intérêts particuliers des individus et des localités. »366 Ce constat de Napoléon sur l'administration est une illustration du rôle important de l'Etat pour l'Egypte. La faiblesse de celui-ci ne pouvait qu'accentuer la vulnérabilité du pays face à la dégradation des conditions naturelles. Or, la situation politique à la fin de l'A.E. se caractérisait par une faiblesse de la monarchie doublée, au plan naturel, par une baisse des crues du Nil. Cette faiblesse de la monarchie laisse supposer que celle-ci était dans l'incapacité de contraindre les nomarques, devenus plus ou moins indépendants, dans leurs provinces, à maintenir en état les canaux d'irrigation, indispensables pour assurer une bonne répartition des crues367. La production agricole devait nécessairement souffrir de cette situation qui allait avoir comme effets, l'installation de la famine. Pharaon venait ainsi de se montrer incapable dans ses fonctions nourricières qui constituaient une des prérogatives les plus essentielles de son pouvoir. On a vu comment le pharaon Djeser s'était attristé lorsque les baisses des crues du Nil avaient entraîné une situation de famine sous son règne.

363 Moret A., op.cit., 1926, p.38

364 Moret A., L'Egypte pharaonique, in, Hanotaux G., Histoire de la nation égyptienne, Tome II, Paris Plon, 1932, p.14-15

365 Lalouette Cl., L'Empire des Ramsès, Paris, Fayard, 1985, p.12

366 Moret A., op.cit., 1926, p.40

367 Ibidem

84

Il apparaît ainsi, que la situation de l'Egypte avait été particulièrement difficile à la fin de l'A.E. En effet, l'institution royale, minée par les luttes politiques avait fini par s'affaiblir politiquement et financièrement. Au même moment, la crise financière à laquelle était confronté l'Etat ainsi que les effets de la dégradation des conditions climatiques, devaient plonger le peuple dans la misère. Le comble de la situation allait être atteint à cause d'un autre fait qui découle de l'affaiblissement de la monarchie : c'est l'invasion du Delta par les Bédouins. A partir de cet instant, il semble que toutes les conditions étaient réunies pour pousser le peuple à ce soulever contre la royauté.

TROISIEME PARTIE :

85

LES CONSEQUENCES

86

Chapitre I : Au plan politique et religieux

A- Evolution du concept de royauté divine

C'est au M.E. qu'on décèle les conséquences de la crise de la P.P.I.

La fin de cette crise intervint vers - 2050 au moment où l'Egypte retrouva son unité sous la direction des princes thébains368. Cette réunification des Haute et Basse Egypte, allait permettre, en même temps, le retour de la monarchie pharaonique après une longue période de carence. En effet, à partir de Montouhotep II (considéré comme l'unificateur du pays) les souverains Thébains vont adopter le protocole royal de l'A.E., prenant le nom d'Horus, se proclamant rois de Haute et de Basse Egypte et se donnant le titre de « Fils de Rê »369. Le M.E., considéré comme la seconde phase brillante de l'histoire de l'Egypte venait ainsi de s'ouvrir. Le pays allait renouer avec la construction de grands édifices royaux et religieux qui constituent l'un des signes les plus visibles de la vitalité de sa civilisation. Au plan politique, on va assister au retour des institutions royales à l'image de celles de l'A.E.370

Dans le même temps, l'Egypte allait renouer avec la politique extérieure de l'A.E. avec des expéditions en Asie et en Nubie371.

Ainsi, si l'on ne se fiait qu'à ce retour du « Royaume des Deux-Terres », à la titulature des pharaons ou bien à la teneur de leurs actions, pas le moindre changement ne serait intervenu depuis la fin de l'A.E. à l'exception de la capitale qui a quitté Memphis pour Thèbes372. Cependant, à y regarder de près il semble que le système monarchique avait beaucoup évolué au sortir de la P.P.I.

En effet, pour l'institution royale, rien ne devait plus être comme avant. Le souvenir des luttes politiques, qui avaient affaibli la monarchie memphite avant de contribuer à son effondrement était encore présent. En outre, le spectacle des pharaons sans autorité, des règnes simultanés de souverains qui se disputaient ou se partageaient la couronne et qui cédaient leurs privilèges aux princes, avait participé à discréditer les titres, les cartouches et

368 Sur la fin de la P.P.I., (Cf. ; Supra, Première partie, chapitre I, A).

369 Pirenne J., op.cit, 1960, p. 51.

370 Les titres administratifs tels que « Vizir », « Chef des six cours de justice », « Gouverneur des villes », commencèrent à réapparaître dans la biographie des fonctionnaires (Cf., Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 424 à 459).

371 Grimal N., op. cit., 1984, p. 195.

372 Wolf. W., op. cit., 1955, p. 66.

87

les insignes de la royauté373. On en était arrivé à une monarchie qui avait perdu son caractère sublime et dont la faiblesse et le fractionnement avaient comme conséquence, la dépréciation du dogme de la royauté divine qui fut un de ses fondements à l'A.E.374 Tous ces faits constituèrent alors, les manifestations de profondes modifications de l'image de l'institution monarchique. Le concept d'une royauté incarnée par un souverain considéré comme un dieu, allait évoluer vers une tendance beaucoup plus humaine.

Pour analyser l'évolution subie par le concept de royauté divine au sortir de la crise, nous allons utiliser comme sources, les textes littéraires du M.E.

Il s'agit principalement de la Prophétie de Néferty que nous avons utilisé en analysant la phase violente de la crise de la P.P.I. La dernière partie de ce texte est consacrée à l'annonce de l'avènement d'un certain Amény, considéré comme le sauveur de l'Egypte.375

Il y a aussi l'Enseignement du roi Amenemhat à son fils Sésostris où le pharaon, prodiguait des conseils à son fils et successeur en l'entretenant des réalités propres à la gestion du pouvoir.376

Nous avons aussi les textes biographiques du M.E. dont nous retrouvons la traduction dans (Ancient records of Egypt) de J. H. Breasted.

373 Posener G., op.cit, 1956, p. 66.

374 Ibidem.

375 Ameny le sauveur de l'Egypte dans la prophétie, a été identifié à Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie. L'identification d'Ameny à Amenemhat Ier étant posée, le texte de la prophétie peut être considéré comme annonciateur de l'avènement de la XIIe dynastie. Sur la question de cette identification, Cf., Lefebvre G., op.cit, 1982, p.104, note 60; Posener G., op.cit, 1956, p.22-29 ; Ndiaye L., op.cit., 20012002, p.67à72.

376 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.57 à 59 ; Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 474 à 483. La question sur l'auteur réel de ce texte reste posée. En effet, si pour certains historiens Amenemhat Ier est son auteur, pour d'autres par contre le texte est composé après la mort de ce pharaon dans le but de légitimer l'arrivée au trône de son fils Sésostris Ier . Sur les arguments des uns et des autres (Cf., Posener G., op.cit, 1956, p.67 à 75 ; Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe474). Mais dans tous les cas, il reste que ce texte constitue une source importante dans l'analyse de l'évolution de l'image divine de pharaon sous le M.E. De par son auteur, son auditoire et son contenu, ce texte a un précédent dans l'Enseignement de Khéti III à son fils Mérikarê qui date de la P.P.I. En fait, ce qui fait la valeur de ces deux textes, c'est que les auteurs, malgré leur position de souverain, sont perçus comme de simples mortels et les sentiments qu'ils expriment sont humains. La ressemblance entre certains aspects de ces deux textes est telle que certains auteurs font la confusion. C'est le cas de Y. Somet (Cf., L'Afrique dans la philosophie. Introduction à la philosophie africaine pharaonique, Paris, Khepera, 2005, p.125, not 187) qui fait attribuer certains passages du texte d'Amenemhat à l'Enseignement de Khéti III. Cette confusion a fait dire à Y. Somet que, l'Enseignement de Khéti III a été situé de façon anachronique, par certains auteurs, à la IXe ou Xe dynastie. Or, effectivement le texte de Khéti III date des IXe et Xe dynasties (c'est-à-dire celles des souverains nommés Khéti ou Mérikarê), c'est le texte d'Amenemhat qui date de la XIIe dynastie. En fait, la confusion faite par Y. Somet pourrait être due au fait que les passages de l'Enseignement d'Amenemhat qu'il a cités sont tirés de l'ouvrage de J. Pirenne (op.cit, 1962, p.99-103). Et ce dernier a entamé l'étude du texte d'Amenemhat, dans son ouvrage, en faisant des références au texte de Khéti III qui est son antécédent dans la littérature égyptienne.

88

Comme l'ont affirmé E. Drioton et J. Vandier, la doctrine de la divinité de pharaon, telle qu'elle avait été amplifiée par son inclusion dans le dogme héliopolitain, resta théoriquement inchangée pendant tout le cours de l'histoire de l'Egypte. Toutefois, elle avait subi, dans ses expressions, le contrecoup des vicissitudes politiques de la monarchie377. C'est ainsi que durant l'Ancien empire, la pureté du sang solaire était l'élément essentiel de la légitimité. Et, pour la transmettre à leur successeur, les pharaons prirent de préférence pour Grande Epouse ou reine, une de leurs propres soeurs ou demi-soeurs378. A l'époque, la succession étant basée sur la lignée paternelle, c'est le fils aîné issu de cette union qui était considéré comme l'héritier présomptif et il succédait à son père au trône à la mort de ce dernier379. Il était arrivé que le trône fût usurpé par quelqu'un qui n'était pas de la lignée royale. Mais dans ce cas, il prenait une fille royale comme épouse ou bien une doctrine est élaborée pour légitimer son pouvoir380. Mais depuis la fin de l'A.E., ce dogme qui sous-tendait la légitimité du pharaon avait subi maintes violations.

Nous avons vu que par la faveur de la crise de la P.P.I, le trône d'Egypte était devenu accessible par la seule force de l'énergie humaine. Ce fut par ce biais que les princes héracléopolitains et thébains s'assurèrent la dignité royale. C'est aussi par leur énergie et sur la base d'une puissance qu'ils avaient acquise et étendue eux-mêmes, que les Montouhotep parvinrent à réunifier l'Egypte et à permettre le retour de la monarchie dans toutes ses dimensions. Les contemporains de ces pharaons avaient été les témoins et les acteurs de ces durs combats, contre le royaume héracléopolitain et les princes locaux, qui avaient tous revêtu l'aspect d'actes humains.381

Pour les Egyptiens de l'époque, la légitimité de ces Montouhotep découlait alors, plus de leur énergie que d'une doctrine élaborée en leur faveur. Et, le nom théophore qu'ils

ont pris Montouhotep c'est- à- dire

377 Drioton E. Vandier J., op.cit, 1984, p. 88.

378 Id., Ibid, p. 89.

379 Ibidem.

380 Nous avons évoqué le cas de la Ve dynastie pour laquelle, un des contes du Papyrus Westcar avait servi de légitimation. Il y a aussi l'exemple de Téti, fondateur de la VIe dynastie qui semble-t-il, n'étant pas de lignée royale, épousa une princesse royale pour légitimer son pouvoir.

381 Wolf W., op.cit, 1955, p.67. On retrouve l'iconographie du triomphe des Montouhotep dans un temple de Gébélein où Montouhotep II s'était fait représenter, en train d'assommer à tour de rôle, ses ennemis et le premier d'entre eux personnifiait les Egyptiens (Cf., Breasted J.H., op.cit., paragraphe 423H).

89

(« Montou est satisfait ») montre que ces souverains étaient conscients qu'ils étaient des hommes qui remplissaient des fonctions à la satisfaction des dieux382. On pourrait s'attendre à ce que la restauration de la monarchie mette fin à ce mode de dévolution du pouvoir, hérité de la crise de la P.P.I. Mais si nous analysons les circonstances de l'avènement de la XIIe dynastie, il semble que la valeur de l'homme était devenue un élément indispensable dans la transmission du pouvoir monarchique. En effet, si l'on se réfère à sa biographie, Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie, avant d'accéder au trône, avait été un des plus importants cadres de la monarchie.

D'après les titres qui figurent dans son inscription biographique, il avait été : Gouverneur de ville, Prince héréditaire, Comte, Juge en chef, Chef de tous les travaux, Chef des six cours de justice, Gardien de la Porte du Sud, Magnat du souverain de Haute et de Basse Egypte, Gouverneur de tout le Sud, qui dirige l'administration du seigneur des Deux-Terres, Commandant de tout ce qui commande, Vizir du roi, etc.383 Ce même Amenemhat avait été plusieurs fois chargé par pharaon, pour diriger des expéditions à la tête des milliers de soldats venus de toutes les contrées du pays384. Ensuite, dans le Conte prophétique qui servit à légitimer son pouvoir, l'origine du fondateur de la XIIe est déclinée en ces termes : « Voici que surgira au Sud un roi, appelé Ameny, juste de voix. C'est le fils d'une femme de T3-Stj, c'est un enfant de Hn-Nhn (E 57-59)...Le fils de quelqu'un se fera un renom pour l'éternité et à jamais.»(E 61-62)385. Dans ce texte de légitimation, le nouveau pharaon n'a aucun lien avec la famille royale défunte ni du côté de son père encore moins de sa mère. En fait, l'expression « fils de quelqu'un » employée ici, était, semble-t-il, utilisée pour désigner un homme de bonne naissance mais qui n'était pas de sang royal386. Amenemhat semble-t-il, n'était pas non plus issu d'une famille de princes territoriaux comme le furent les Montouhotep387. Pourtant, au lieu de recourir au dogme de la théogamie exploité à d'autres moments de l'histoire égyptienne, pour donner une origine divine à ce sauveur dépourvu de sang royal388, l'auteur de la prophétie admet ouvertement qu'il n'est pas d'origine royale.389 C'est dire que le sang divin, acquis par naissance, par un mariage avec une femme pourvue

382Wildung D., op.cit., 1984, p. 70. Montou est un Dieu faucon de la Thébaïde qui semble avoir été une divinité guerrière (Cf., Posener G., Sauneron S., Yoyotte J., op. cit., 1992, p. 175).

383 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 445.

384 Id., Ibid, paragraphes 442, 447 et 448.

385 Posener G., op. cit., 1956, p. 47à49

386 Id., ibid., p.49-50 ; Gardiner A., op.cit., 1979, p.126

387 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 65.

388 Les souverains de la Ve dynastie se sont fabriqués une origine divine en se présentant dans le conte du Papyrus Westcar comme étant des enfants issus de l'union de Rê et de la femme Reddjedet.

389 Posener G., op.cit., 1956, p. 52.

90

de sang royal ou bien par la faveur d'une doctrine élaborée à cet effet, n'est pas l'élément indispensable à la légitimité du pharaon au M.E. La preuve, c'est que l'auteur de la prophétie insiste plutôt sur les qualités humaines d'Ameny qui lui ont permis d'asseoir son pouvoir : « Ceux qui étaient opposés au mal et qui méditaient des actes hostiles ont fait taire leur bouche par crainte de lui. Les Asiatiques tomberont par l'effet de la terreur qu'il inspire, les Timhou (habitants de la Libye) tomberont devant sa flamme. Les ennemis appartiendront à sa colère et les rebelles à sa puissance... »390 Cette attitude de l'auteur peut être interprétée comme une volonté de sa part de montrer que la valeur de l'homme occupait désormais une position centrale dans l'accession au trône d'Egypte. Et à ce niveau, la biographie d'Amenemhat, confirme cet état de fait. En effet, il semble que se fut son poids dans l'armée égyptienne ainsi que ses hautes fonctions civiles, qui lui permirent de s'emparer du pouvoir à la suite de la crise de succession intervenue à la fin de la XIe dynastie.391 En s'emparant du trône ainsi, Amenemhat Ier n'avait fait que profiter des changements subis par le dogme qui fondait la légitimité de pharaon et dont la base avait été, à l'A.E., l'acquisition du sang divin. On peut en titrer la conclusion que l'avènement de la XIIe dynastie a été une des conséquences des modifications subies par le dogme de la royauté divine, les quelles modifications trouvent leurs explications dans la crise de la P.P.I. Ce fut dans cette crise, que des Egyptiens osèrent s'arroger la dignité royale sur l'unique base de la force. Il apparut dès lors qu'il ne suffisait plus d'être de sang royal ou de se confectionner une ascendance divine pour prétendre à la royauté. Il fallait des qualités humaines qui devaient permettre au souverain d'asseoir son pouvoir et de faire respecter l'autorité royale. C'est là une évolution très sensible du dogme de la royauté divine vers une conception beaucoup plus humaine.

Le second aspect de l'évolution de l'image divine de pharaon est en rapport avec la vision que les Egyptiens avaient de leur souverain et de l'institution qu'il incarnait. Nous venons de voir que depuis la crise de la P.P.I., la légitimité des fondateurs de dynasties se fondait plus sur leurs valeurs humaines que sur une doctrine leur conférant des qualités divines. Alors, plutôt que des roi-dieux, les contemporains de ces souverains allaient voir en eux, des hommes qui avaient acquis la dignité royale par la force de leur énergie. Des lors, le fait de tenter de s'emparer du trône royal, allait apparaître moins comme une attaque contre

390 Lefebvre G., op.cit 1982, p.104

391 Grimal N., op.cit, 1988, p.197. Selon N. Grimal, il y avait d'autres prétendants au trône, contre lesquels Amenemhat avait lutté. Il s'agit d'un nommé Antef et d'un Ségerséni. Mais N. Grimal ne précise pas les positions qu'occupèrent ces derniers sous les Montouhotep. Pour Amenemhat Ier, sa biographie montre, comme l'ont remarqué G. Husson et D. Valbelle, qu'il a été le premier vizir connu de l'histoire de l'Egypte, à se servir de sa position au sommet de l'Etat, pour fonder une dynastie à la tête de la monarchie pharaonique (Cf., Husson G Valbelle D., op.cit, 1992, p.35).

91

un pouvoir de droit divin plutôt qu'à une institution qui se présentait avant tout comme une oeuvre humaine. La conséquence, c'est que les risques de conspiration contre le pharaon d'Egypte devaient s'augmenter392.

C'est ainsi qu'Amenemhat Ier qui accéda au trône par la force de son énergie, allait être victime d'une tentative d'assassinat393. Les détails de ces actions que nous pouvons qualifier de tentative de coups d'état, ont été rapportés par le pharaon lui-même en ces termes : « C'est après le repas du soir, la nuit était venue et je prenais une heure de repos; je m'étais étendu sur mon lit, étant extrêmement las, et mon coeur commençait pour moi à suivre mon sommeil. Alors, des armes furent brandies, qui auraient dû, au contraire, veiller sur moi; je fus comme le serpent du désert. Je m'éveillai (au bruit) du combat, étant seul, et je découvris qu'il s'agissait d'une rixe de soldats. Si j'avais pris mes armes en mains, j'aurais pu mettre en déroute pêle-mêle ces lâches ; mais il n'y a pas d'homme brave la nuit, ni d'homme qui puisse combattre seul. Le succès ne peut advenir sans protection »394.

La question de savoir si le pharaon a péri dans l'attenta ou s'il s'en est sorti indemne se pose entre les historiens. En effet, si pour certains, Amenemhat Ier a trouvé la mort dans cet attentat, pour d'autres par contre il avait survécu395.

Mais ce qui nous intéresse ici, c'est de montrer d'abord qu'il y a eu une tentative d'assassinat contre la personne de pharaon.396 Ensuite, l'image du pharaon qui se dégage dans ce texte, contraste à plusieurs niveaux avec l'image divine incarnée par les souverains de l'A.E.

392 Durant toute la période de l'A.E., le seul cas de conspiration contre un pharaon, rapporté par un texte contemporain, est la conspiration de harem contre Pépi Ier à la quelle Ouni faisait référence dans sa biographie (Cf., Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 310 ; Roccati A., op.cit, 1982, p. 192-193).

393 En dehors de cette tentative d'assassinat qu'Amenemhat rapporte ici, nous avons d'autres faits relevés par la littérature contemporaine et qui attestent des risques de conspirations qui existaient au sommet de la monarchie au cours du M.E. C'est ainsi que dans l'Aventure de Sinouhé, le héros du roman nous apprend que sa fuite de l'Egypte, intervenue à la mort d'Amenemhat Ier, avait été motivée par la peur d'un éventuel coup de force contre le corégent et successeur désigné du souverain défunt qui était Sésostris Ier. Alors que ce dernier était à la tête d'une expédition dirigée contre les Libyens, la nouvelle de la mort de son père lui parvint ; il partit en hâte pour la Résidence royale, sans informer son armée. Mais au même moment, un de ses frères ou demi-frères, qui avait probablement des prétentions au trône et qui se trouvait dans l'armée, reçut lui aussi la nouvelle par l'entremise des émissaires venus de la Résidence. C'est de là que Sinouhé, apprit la nouvelle. Mais ignorant que Sésostris Ier était déjà informé, il crut qu'une conspiration se fomentait contre ce dernier et qu'une guerre civile pouvait éclater. Alors il préféra s'éloigner de l'Egypte pour aller chercher refuge en Asie (Cf., Lefebvre G., op. cit., 1982, p.4 ; Posener G., op.cit., 1956, p.68).

394 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p 1984, p. 58.

395 Les discussions sur cette question ont été reprises par G. Posener (Cf., op. cit. 1956, p. 65 à 75 et 82 à 85).

396 Si l'on s'inscrit dans la doctrine royale qui consacre la divinité de pharaon, cet attentat contre la personne d'Amenemhat Ier est une illustration que ses auteurs avaient atteint le summum de l'impiété. Tenter de tuer un pharaon d'Egypte, c'est non seulement remettre en cause la continuité du pouvoir des dieux dont il est le dépositaire sur terre, mais c'est aussi violer le caractère divin de sa personne. On ne

92

D'abords, c'est le pharaon en question qui raconte les péripéties de la tentative d'assassinat. En le faisant, il dévoilait en même temps le mystère qui entourait sa personne et qui faisait de lui un être craint par ses sujets qui l'apercevaient comme un surhomme.

Ensuite, il reconnaît explicitement son imprévoyance en disant : « Je n'avais pas prévu cela, je n'avais pas pensé cela, mon «coeur» n'aurait pas dû amener l'intimité de mes serviteurs »397. En présentant ainsi le pharaon, comme un humain qui reconnaissait qu'il pouvait manquer de perspicacité et qu'il était incapable de pressentir un complot contre sa personne, on le rabaissait au niveau de ses sujets. En fait, l'attitude prêtée au pharaon, dans ce texte, n'était pas celle d'un être d'une essence supérieure et différente.398 Et selon G. Posener, c'est dans ce texte d'Amenemhat que s'est dégagée l'image la plus humaine du pharaon dans toute la littérature égyptienne399.

Ce fut, semble-t-il, pour faire face à des risques de conspiration contre le pouvoir royal, qu'Amenemhat Ier introduisit une innovation majeure dans la direction de la couronne :

peut comprendre ces actes qu'en les inscrivant dans la suite des bouleversements intervenus au cours de la crise de la P.P.I. En effet, rapportant les événements intervenus lors de la phase violente de cette crise, Ipou-our disait que : « Le feu montera vers les hauteurs et sa flamme s'élèvera contre les ennemis du pays...une chose a été faite qui n'était pas arrivée auparavant : on est tombé assez bas pour que des misérables enlèvent le roi...celui qui, avait été enterré en Faucon divin (pharaon) est maintenant sur une civière et ce que recelait la pyramide est désormais vide... » (Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.217). Action sans précédente dans l'histoire de l'Egypte, pour la première fois, des sujets osèrent s'attaquer à la personne du pharaon régnant mais aussi à la sépulture du pharaon défunt violant ainsi tout se qui caractérisait la divinité du souverain d'Egypte.

397 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 58.

398 Cette attitude, qui contraste beaucoup avec l'image des roi-dieux de l'A.E, est un reflet des modifications subies par la nature divine de pharaon, dont on a tendance à décrire comme un simple humain. On retrouve cette situation dans d'autres écrits du M.E. Par exemple dans le conte du Naufragé, c'est un prince, probablement un corégent, qui est mis en scène dans une mission extérieure qu'il a dirigé. Rien n'indique dans le texte que ce prince était un corégent. Mais si l'on se réfère à d'autres documents du M.E., on voit que des corégents ont dirigé des missions à l'extérieure de l'Egypte. C'est l'exemple du futur Sésostris Ier dans le texte de Sinouhé ou du futur Amenemhat II qui dirigea une expédition avec un nomarque du nome d'Oryx (Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 520). On peut dès lors supposer que le prince dont il s'agit dans le conte du Naufragé était un corégent. Or, selon G. Posener, si on juge d'après le protocole royal, il n'y a pas de différence, sur le plan dogmatique, entre le pharaon et son corégent. La XIIe dynastie conçoit la corégence en des termes qui autorisent à parler de « prince », « roi » ou « dieu » (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.66). Ainsi dans le Naufragé, il s'est agit d'un corégent qui était tombé dans la panique après que le navire qu'il dirigeait fit naufrage. Pour le rassurer l'auteur du conte (un simple marin), lui adresse ces mots : « Soit tranquille prince. Nous voici arriver au pays... Notre équipage est revenu indemne, sans qu'il y ait eu de perte pour notre troupe... Ecoute-moi, prince, car je sui exempt d'exagération. Lave-toi, mets de l'eau sur tes doigts, de sorte que tu puisses répondre quand on s'adressera à toi. Parle au roi en pleine possession de toi-même et réponds sans balbutier... » (Cf., Lefebvre G., op.cit., 1982, p.32-33). La même attitude est notée chez le pharaon Chéops dans le conte du Papyrus Westcar. Quand le magicien Djédi l'annonça la venue prochaine des souverains de la Ve dynastie, qui devaient mettre fin à sa lignée, le pharaon tomba aussitôt dans la tristesse ; il oublie un moment son caractère divin et pense à l'idée que sa lignée allait s'éteindre. Le magicien devait tenter de l'assurer en lui signifiant que la prédication n'interviendrait que trois génération après (Cf., Lefebvre G., op.cit., 1982, p. 85)

399 Ibidem.

93

c'était la corégence400. En l'an 20 de son règne, il associa son fils Sésostris Ier au trône, inaugurant ainsi une pratique qui allait être systématiquement appliquée pendant toute la XIIe dynastie401. En effet, malgré la divinité de sa personne consacrée par le dogme royal, pharaon était conscient qu'à cause de sa composante humaine, il était exposé à l'éphémère, au contingent, à la mort et aux risques de conspiration contre son pouvoir et sa personne402. Et c'est par rapport à cette situation, qu'il donna des enseignements à son fils et corégent en lui disant : « Prends garde aux subalternes, afin que n'arrive pas (un évènement) au danger duquel on n'aurait pas prêté attention; ne t'approche pas d'eux, ne demeure pas seul ; n'aie pas confiance en un frère, ne connais pas d'amis, ne te crée pas d'intimes, cela ne sert à rien. Si tu dors, que ce soit ton propre coeur qui prenne garde de toi, car l'homme n'a pas d'amis au jour du malheur »403. Ce passage du texte d'Amenemhat reflète une absence de sérénité chez un souverain préoccupé par sa sécurité. Le pouvoir qu'il incarne était, semble-t-il, devenu une lutte de tous les instants afin de déjouer les conspirations de palais et les assassinats. C'est dire que le pharaon du M.E. n'était plus ce surhomme que les sujets de l'A.E. regardaient comme un dieu.

Il apparaît ainsi à travers l'analyse de l'image de pharaon au sortir de la P. P.I., que le dogme de la royauté divine qui fut l'un des fondements essentiels de la monarchie sous l'A.E., avait sensiblement évolué vers un caractère beaucoup plus humain. La conséquence de cette évolution était que, ce que la monarchie de l'A.E. avait acquis en puissance, grâce à la croyance du peuple, la nouvelle institution ne pouvait le reconquérir que par la pleine action et la personnalité de ses souverains.404 Autrement dit, le souverain d'Egypte, au M.E., n'était plus d'abord un prêtre405, mais un Rex (c'est-à-dire un souverain dont le pouvoir était

400 Leprohon R. J., « Middle Kingdom »,in, Encyclopedia of the Archaeology of Ancient Egypt., op.cit, 1999, p. 48. Si nous acceptons avec l'auteur que la corégence fut introduite après la tentative d'assassinat, alors cela impliquerait qu'Amenemhat Ier avait survécu à la tentative d'assassinat contre sa personne. Mais dans tous les cas, la corégence, semble-t-il, a été une réponse politique, trouvée par les pharaons du M .E., contre les risques de conspirations. Sous l'A.E., aussi bien dans les Annales royales que dans les textes biographiques, il na pas été signalé de règnes simultanés dans une même dynastie. Et, le seul cas de régence signalé durant cette époque memphite était celle intervenue sous la jeunesse du pharaon Pépi II (sur cette régence, Cf., supra, Deuxième partie, chap. II, A).

401 Grimal N., op.cit., 1988, p. 199.

402 Obenga Th., op.cit., 1990, p. 440.

403 Lalouette El., op.cit., 1984, p. 57.

404 Wolf W., op. cit., 1955, p. 67.

405 Le pharaon d'Egypte, en sa qualité de fils des dieux, se devait de prendre soin de ses pères. En ce sens, il était par définition, le prêtre par excellence dans tous les temples, vis-à-vis de tous les dieux. Il se devait de bâtir, restaurer, agrandir leurs temples mais également veiller à leur culte. En contrepartie de cette fonction sacerdotale, Pharaon recevait des dieux, la toute puissance sur terre pour maintenir l'ordre défini par ces derniers (Cf., Moret A., op.cit, 1926, p.187 ; Vernus P ; Yoyotte J., op.cit, 1998, p.125; Sauneron S., op.cit., 1957, p.28-32). Il apparaît ainsi, que les fonctions religieuses de pharaon lui conféraient une grande part de son pouvoir. Mais au M.E., ce pouvoir que confère la religion au pharaon devait reculer au profit d'autres moyens d'action que sont la force et la politique.

94

fondé sur la force et la politique). C'est par la guerre que les Montouhotep ont su imposer leur autorité sur tous les autres princes locaux. Aussi, après son accession au trône, la XIIe dynastie devait mettre en oeuvre des moyens politiques tels que la propagande par le biais de la littérature ou bien la corégence pour pérenniser son règne.

B- Changement d'orientation politico-idéologique

Nous avions vu, en analysant la genèse de la crise de la P. P. I., que sous l'A.E., la monarchie égyptienne était apparue comme une institution centralisée. Ce fut dans le cadre de cette centralisation que les pharaons memphites menèrent, dès le départ, une politique de neutralisation des forces centrifuges dirigées par les nomarques. Au plan religieux, le système absolutiste des memphites avait comme base, l'idéologie solaire. Aussi, très tôt, le culte de Rê avait été intégré au culte royal. A partir de la Ve dynastie, Rê allait devenir le dieu dynastique de l'Egypte. Ce système politico-idéologique constitua la base du pouvoir monarchique durant tout l'A.E. Son évolution fut toutefois marquée par l'opposition de la tendance autonomiste, dirigée par les nomarques. Et ce furent les luttes politiques entre le pouvoir central et les nomarques représentants de l'administration provinciale, qui devaient affaiblir la monarchie avant d'aboutir à son effondrement.

Le retour de la monarchie avec le M.E. devait s'accompagner de changements aussi bien sur le plan idéologique que sur celui des institutions.

Déjà vers la fin de l'A.E., au moment où les nomarques s'accaparèrent d'une bonne partie des prérogatives royales, on sentait en même temps un recul du culte solaire au profit des cultes des dieux locaux. Rê avait accédé au sommet du panthéon égyptien, par le biais de la solarisation des autres dieux locaux favorisée par l'arrivée au trône de ses adorateurs à partir de la Ve dynastie. Il est normal que l'effritement du pouvoir royal se traduise sur le plan idéologique par le recul de l'influence du dieu solaire. Ce recul devait s'accentuer avec l'effondrement du pouvoir memphite. Ainsi, au cours de la P. P. I., il apparaît que même si on note une certaine influence de Rê dans le royaume héracléopolitain, il reste qu'en Moyenne et en Haute Egypte, son prestige avait régressé au profit des dieux locaux406. La

406 Nous avons vu dans la chronologie, que les souverains héracéopolitains, adoptaient tous des noms de couronnement, formés sur le suffixe Rê. Ce qui laisse supposer qu'ils s'inscrivaient dans la tradition memphite dans laquelle Rê était le dieu dominant. Selon J. Pirenne, ces souverains avaient conservé

95

conséquence de cette situation devait se manifester à travers l'importance que devaient occuper certaines divinités dans l'idéologie royale au M.E. C'est ainsi que dès leur arrivée au trône des Deux-Terres, les Montouhotep adoptèrent comme nom personnel, un nom théophore, formé sur celui de Montou, divinité locale d'Ermant, d'où ils étaient probablement originaires407.

Loin d'être des « fils de Rê », les pharaons de la XIe dynastie se présentèrent, avant tout, comme des serviteurs de Montou, à qui ils devaient le pouvoir et auquel ils proclamèrent leur attachement en prenant le nom théophore de Montouhotep (« Montou est satisfait »)408. Cette adoption par les nouveaux pharaons d'un nom formé sur celui de leur divinité locale est une attestation du recul de l'influence de Rê sur la monarchie qui venait de se reconstituer à l'avènement du M.E.

Lorsque le changement dynastique eut lieu avec la venue de la XIIe dynastie, on note l'apparition d'autres divinités comme dieux éponymes des nouveaux souverains. Il s'agit du dieu Amon et de la déesse Ouseret d'où les noms théophores de :

Amenemhat (« Amon est en avant »)409

et de Sésostris (ou Sénousret dans les anciens

ouvrages) c'est-à-dire (« Le fils de la déesse Ouseret »). En outre, dans le Conte prophétique, considéré comme un texte de légitimation du fondateur de cette XIIe dynastie, il y a ce passage : « Ce sera fini pour le nome d'Héliopolis d'être le pays du berceau de tout dieu »410. Cette phrase semble annoncer la fin du rôle primordial d'Héliopolis en tant que cité du dieu solaire, dans l'organisation politique et religieuse de l'Egypte.

Désormais, c'est le dieu Amon qui devait jouer le rôle de dieu dynastique. En effet, les pharaons de la XIIe dynastie avaient compris que pour gagner à leur cause tout le pays, il fallait que le pouvoir royal apparût justifié par le culte. C'est dans ce cadre qu'ils favorisèrent la constitution du clergé d'Amon411. Ainsi dès le règne d'Amenemhat Ier, le clergé d'Amon

comme base de la vie politique et religieuse, la cosmogonie solaire qu'on retrouve dans L'Enseignement de Khéti III (Cf., Pirenne J., op. cit., 1962, p. 57).

407 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 250.

408 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 52.

409 Grimal N., op.cit., 1988, p. 197.

410 Lefebvre G., op.cit., 1982, p. 103.

411 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 66.

96

allait comprendre quatre serviteurs divins d'Amon, quatre pères divins et une dizaine de prêtres ouâb qui étaient tous de grands personnages au sein de la monarchie412.

Toutefois, si le culte d'Amon, promu à la dignité de grand dieu, pouvait servir de base à la théorie monarchique et se faire accepter par la piété des populations de Haute Egypte, il ne fallait pas songer à l'imposer dans le reste du pays413 et cela d'autant plus que le prestige des divinités comme Rê ou Ptah restait vivace en Moyenne et Basse Egypte414. Pour les souverains de la XIIe dynastie, il fallait éviter l'erreur de la Ve dynastie sous laquelle on a vu Rê s'imposer au sommet du Panthéon par le biais de la solarisation des autres divinités. C'est dans ce sens qu'ils favorisèrent la fusion d'Amon avec les dieux universels de l'A.E. et les divinités locales415.

Amon devint le dieu du compromis, qui devait permettre à la nouvelle royauté de surmonter les divergences et d'aboutir à une nouvelle unité. En effet, de par son nom même, qui signifie « le caché », ce dieu ne laisse apparaître aucune particularité frappante, mais les dissimule au contraire416. C'est ainsi que dès ses premières évocations sous Amenemhat Ier à Karnak, il est souvent appelé Amon-Rê417. Son temple de Karnak fut désigné comme « Trône

412 Lalouette El., Thèbes ou la naissance d'un empire, Paris, Fayard, 1986, p. 47.

413 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 66.

414 Ibidem.

415 Moret A., op. cit., 1941, p. 438.

416 Wildung D., op. cit., 1984, p. 66-67.

417 Id., Ibid, p. 66. Selon F. Daumas, il existe une statuette en pierre trouvée à Karnak et qui porte au dos une inscription où on peut lire les noms de Pépi Ier suivis de la mention « Aimé d'Amon-Rê, Seigneur de Thèbes ». Il en conclut que la fusion des dieux Amon et Rê remonte à l'A.E. (Cf., Daumas F., op.cit., 1965, p.48). Si cette affirmation de F. Daumas est vraie, elle impliquerait le fait que le dieu Amon était membre du panthéon à l'A.E. et que sa fusion avec Rê date de cette époque. Autrement dit, les pharaons de la XIIe dynastie n'ont fait que reprendre à leur compte, l'avantage politico-idéologique que présente cette fusion d'Amon et de Rê, mais ils n'étaient pas ses initiateurs. Toutefois, la thèse selon laquelle Amon est une divinité qui existait dans le Panthéon à l'A.E. n'est pas partagée par tous les égyptologues. C'est le cas de B. Sall qui lui-même, après avoir soutenu, dans un premier temps cette thèse (Cf., Sall B.,Recherches sur l'iconographie et les titres du dieu Amon dans les centres religieux du royaume de Koush. Milieu du 8es. av. J.C- milieu du 4es. av. J.C, Thèse de 3e cycle, Sorbonne, 1981, p.32à54), a émis, dans ses récents travaux, des réserves sur l'existence d'Amon dans le panthéon, depuis l'A.E. Entres autres éléments soulevés par l'auteur, il y a le fait que l'image du bélier Ovis platyura (support matériel d'incarnation du principe divin dénommé Amon) caractérisée par sa stature léonine, sa toison épaisse, son museau puissant, ses cornes torsadées s'enroulant autour des oreilles , n'est pas un caractère hiéroglyphique à la différence de celle du bélier Ovis longipes, avatar du dieu Khnoum qui constitue le bilitère b3 (Cf., Gardiner A., Egyptian Grammar, Oxford, Griffith Institute, 1978, p.448,C.4 et C.5 ; 459, E.10 et E.11 ; 462, F.7, F.8, cité par l'auteur ). Le fait que l'image du bélier d'Amon n'est pas utilisée comme un caractère hiéroglyphique, laisse supposer qu'il n'a pas existé une divinité nommée Amon à l'A.E. Ensuite, il y a le fait que les expressions telles que « Amon d'Opet » ; « Amon de Karnak » ; « Amon, maître des deux terres » « Amon-Rê » ; « Amon, roi des dieux » ou « le domaine d'Amon »,par lesquelles on faisait référence au dieu Amon au Nouvel empire, ne sont pas attestées à l'A.E. Ce sont là, quelques uns des éléments parmi d'autres, qui ont fait penser à B. Sall que l'hypothèse de l'existence d'une divinité appelée Amon dans le panthéon, à l'époque memphite, reste contestable (Cf., Sall B.,

97

des Deux-Terres » (Nes-taoui)418. Par ce biais, les pharaons du M.E. réussirent à se concilier le prestige du dieu héliopolitain tout en confortant la position d'Amon dans l'idéologie royale. En effet, l'ordre même des noms (Amon-Rê) donne la prééminence au dieu de Karnak.

Cette politique de conciliation vis-à-vis de Rê, prônée par les souverains Thébains est visible aussi sous Sésostris Ier. En l'an 3 de son règne, ce pharaon tint une audience solennelle avec ses conseillers auxquels il communiqua son intention d'ériger un temple pour Rê à Héliopolis. Et, à travers l'inscription dédicatoire de ce temple on peut lire : C'est Harakhté [c'est-à-dire Rê sous sa forme de faucon Horus] qui ma demandé d'exécuter ce qu'il recommande d'exécuter. C'est lui qui ma désigné comme berger de ce pays [...] seigneur des Deux-Terres419. Ces propos du pharaon Sésostris Ier, ainsi que l'acte qu'il projetait de réaliser, traduisent de sa part, une volonté de se rapprocher du clergé de Rê.

Dans cette nouvelle idéologie royale, les autres divinités n'étaient pas laissées en rade. C'est ainsi que Ptah, dieu de Memphis (ancienne capitale), apparaît à côté d'Amon et de Rê comme un grand dieu. Dans les Bas-relief de Karnak, Sésostris Ier s'était fait représenter enlacé par Ptah qui, en l'embrassant, unissait son âme à la sienne420. En dehors de ce rapprochement avec les grands dieux de l'A.E., les largesses des souverains de la XIIe dynastie allaient apparaître à travers d'autres sanctuaires encore existant en Haute et Basse Egypte421.

L'activité d'Amenemhat Ier est visible à Coptos dans le temple de Min qu'il décora en partie, à Abydos où il consacra un autel en granit à Osiris, à Dendara où il offrit une porte en à granit Hathor et plus significatif encore, dans le temple de Ptah à Memphis.422 En outre,

« Amon, Heka pesedjet », extrait du Bulletin de l'IFAN Ch. A. Diop, Dakar, Tome51, sér. B, n°1-2, 2001 pp.11-35,). En plus de ces réserves apportées par B. Sall sur l'existence d'Amon dans le panthéon dès l'A.E., l'hypothèse de F. Daumas sur une fusion d'Amon et de Rê dès l'A.E., comporte un autre handicape. En effet, quelque soit la période où elle a été opérée, cette fusion d'Amon, une divinité du Sud et de Rê, une divinité du Nord, répondait à une nécessité politico-idéologique comme on vient de le voir. Or, malgré le fait qu'il soutienne l'existence d'Amon à l'A.E., F. Daumas n'a pas manqué de préciser qu'il était une divinité obscure de la petite bourgade thébaine. Si cela était le cas, on ne voit pas quelle était la pertinence au plan politique, du choix d'Amon, une divinité quasi inconnue à l'A.E., aux cotés d'autres dieux du Sud plus connus tels que Khnoum d'Eléphantine ou Min de Coptos. Et cela, d'autant plus que la plupart de ces grands dieux du Sud étaient adorés dans des provinces où les nomarques avaient acquis une certaine puissance et commençaient à s'opposer au pouvoir memphite. (Cf., supra, Deuxième partie, chap. I et II). Nous pensons dès lors que le M.E., époque où les adorateurs d'Amon arrivèrent au trône, est la période la mieux indiquée pour sa fusion avec Rê. Au M.E., même si Amon n'était pas encore très connu, l'arrivée au pouvoir de ses adorateurs lui donnait toutes les armes nécessaires pour conquérir le sommet du panthéon égyptien.

418 Moret A., op. cit., 1941, p. 438.

419 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 502.

420 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 67.

421 Moret A., op. cit., 1926, p. 282.

422 Grimal N., op.cit.,1988, p.198

98

dans l'inscription du temple d'Héliopolis, à laquelle nous faisions référence, on retrouve une liste des oeuvres accomplies par le pharaon Sésostris Ier en faveur de plusieurs divinités reparties à travers le pays423.

C'est dire qu'à travers la nouvelle idéologie adoptée par les souverains du M.E., il apparaît certes que leurs divinités (Montou ensuite Amon) avaient occupé une position de choix dans la monarchie. Toutefois, leur ascension ne s'était pas traduite par une banalisation des autres cosmogonies. En ce sens, les pharaons du M.E. ont pu éviter l'erreur de leurs prédécesseurs de l'A.E. (en particulier la Ve dynastie) qui avait consisté à intégrer de manière systématique les autres divinités dans le système solaire, quitte à heurter la foi de leurs fidèles.

Parallèlement à cette évolution idéologique, on va assister à de profondes transformations au niveau des institutions monarchiques. En effet, si à l'A.E., les pharaons s'étaient retrouvés à la tête d'un Etat puissant qui avait réussi à faire de l'Egypte un pays prospère et puissant, c'est parce qu'ils avaient su mettre en place une armature institutionnelle structurée au tour du souverain. Ce système centralisé avait été le résultat d'une politique de neutralisation de toute volonté autonomiste de la part des chefs de province. Le processus qui aboutit à l'effondrement de la monarchie memphite ne fut amorcé qu'au moment où les nomarques avaient commencé à gagner en autonomie.

Lorsque la royauté s'effondra à Memphis, ces nomarques allaient essayer de combler le vide laissé par l'autorité royale dans leurs provinces respectives, en s'appropriant l'essentiel des prérogatives de pharaon. Ainsi dans chaque nome, les anciens domaines de la couronne et les domaines sacerdotaux allaient être rassemblés entre leurs mains et ils devinrent les centres d'action de toute fonction sociale et politique de leurs « petits Etats ».424

Après la réunification, la première tâche politique qui incomba au nouveau pouvoir royal était celle de calmer l'esprit d'indépendance des chefs de provinces425.

Pour la nouvelle monarchie, la mission historique dans l'accomplissement de laquelle les pharaons ne devaient jamais faiblir, consistait à réduire à néant cette aristocratie locale et à conduire à la victoire, la notion d'Etat adoptée par l'ensemble du peuple426. Cet enjeu politique, il semble que les Montouhotep l'avaient compris dès le départ. D'après J. Vandier et E. Drioton, la XIe dynastie avait supprimé dès le départ, les nomarques héréditaires427.

423 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 500.

424 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 53.

425 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 241.

426 Wolf W., op. cit., 1955, p. 67.

427 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 241.

99

Cette situation semble se confirmer dans la rareté des tombes provinciales sous le règne de la XIe dynastie428. Les quelques familles de nomarques qui subsistèrent à l'époque ne l'ont été que par la faveur des nouveaux souverains qui les récompensèrent ainsi de leur fidélité429. A nouveau, les pharaons instituèrent un système centralisé au sein duquel, les fonctionnaires susceptibles d'être déplacés, ne résidaient plus dans les nomes de manière habituelle et dépendaient étroitement du pouvoir central installé à Thèbes430. Un poste de « Gouverneur du Nord » fut créé et en même temps on assistait au rétablissement des anciens chanceliers ainsi que de la charge de vizir431.

Les quelques rares biographies des fonctionnaires de la XIe dynastie donnent une idée sur le système centralisé de l'administration. Par exemple Henu, un cadre qui vécut sous Montouhotep III, portait les titres de : Porteur du sceau royal, Compagnon unique, Chef des temples, Chef du grenier et de la Maison Blanche, Chef des Cornes et sabots, Chefs des six cours de justice, Gardien de la Porte du Sud, celui qui est au dessus de l'administration des nomes du Sud, Trésorier en chef, Intendant.432 On peut constater à travers ces titres que les Montouhotep avaient réussi à restaurer les institutions de la monarchie avec cependant, un changement majeur qui avait été le remplacement des nomarques héréditaires par les fonctionnaires attachés au pouvoir central.

Il semble toutefois, que cette politique de neutralisation de l'aristocratie locale, prônée par la XIe dynastie, n'avait pas totalement réussi433. Elle devait être la cause de l'hostilité de cette aristocratie locale vis-à-vis des Montouhotep. C'est ainsi que lorsque Amenemhat Ier s'empara du pouvoir, il devait s'appuyer sur ces familles princières dont le mécontentement était facile à exploiter434. Dépossédés de leurs prérogatives et tenus à l'écart du pouvoir, les anciens princes locaux ne pouvaient que souhaiter un changement de dynastie grâce auquel, il leur serait possible de reconquérir leurs anciens privilèges435. Cet appui des grandes familles provinciales à Amenemhat Ier est attesté dans l'inscription tombale de Khnoumhotep I, un prince de Beni-Hasan. Dans cette inscription, Khnoumhotep I disait: « Then appointed me [my lord] the King of Upper and Lower Egypt, Sehetepibre, son of Re:

428 A propos des tombes provinciales sous la XIe dynastie, (Cf., Vandier J., op.cit., 1954, p. 323-325).

429 Grimal N., op.cit., 1988, p. 194.

430 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 241.

431 Grimal N., op.cit., 1988, p. 194.

432 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 428. Le caractère centralisé des institutions sous les Montouhotep est aussi visible à travers la biographie du vizir Amenemhat que nous avons soulignée en analysant le passage de la XIe à la XIIe dynastie.

433 Posener G., op.cit. 1956, p. 14.

434 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 252.

435 Ibidem.

100

Amenemhet (I) living forever and ever to the office... I went down with his majesty to...in twenty ship of cedar which he led ... He expelled him from two regions (Egypt). »436 D'après J.H. Breasted, le pronom « him » désigne, dans ce texte, les rivaux d'Amenemhat Ier dans la bataille pour le trône.437 Il semble qu'à la suite de cette main forte que lui apportèrent les chefs locaux, Amenemhat Ier allait favoriser leur réintégration dans les instituions royales permettant du coup le retour de la charge de nomarque. Ce retour des nomarques devait s'accompagner d'un rétablissement des bases de l'administration provinciale. Le nouveau pharaon allait en effet, rétablir les limites entre les différents nomes, remettre en place leurs bornes frontières, distinguer leurs eaux d'après ce qui est dans les écrits et évaluer [l'impôt] d'après ce qui existait.438 On note en même temps la réapparition des anciens titres de l'administration provinciale comme celui de « grand chef de nome » qui avait presque partout disparu sous la XIe dynastie439. Il apparaît ainsi que c'est avec Amenemhat Ier, qu'on va assister au retour de l'administration provinciale, dirigée par les nomarques. Toutefois les choses, semble-t-il, ne devaient plus évoluer comme sous l'A.E. Et d'après G. Husson et D. Valbelle, c'est au cours de la XIIe dynastie que s'amorce la plus importante transformation de l'histoire de l'administration provinciale en Egypte440.

En effet, pour les souverains de la XIIe dynastie, il fallait permettre le retour des nomarques mais en même temps, tirer toutes les leçons du processus politique qui conduisit à l'effondrement de l'A.E. Ainsi, les nomarques allaient avoir les mêmes prérogatives que leurs prédécesseurs de l'époque memphite. Ils percevaient les impôts dus à la couronne, levaient des milices pour les corvées et, en cas de guerre, devaient avec leurs milices, se mettre au service de pharaon et s'occupaient naturellement de l'entretien des canaux et de l'exploitation des terres441. On constate même que les nomarques pouvaient se permettre certaines libéralités, probablement permises par le pharaon. Par exemple, ils conservèrent la possibilité d'utiliser leurs années de gouvernance des nomes à côté des années de règne de pharaon, pour établir la chronologie. Cette pratique est attestée dans l'inscription biographique du nomarque Amenemhat de Beni-Hasan qui vécut sous Sésostris Ier. Cette

436 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 465

437 Id., ibid., paragraphe 463

438Id., ibid, paragraphe 625. Dans un passage de l'Enseignement d'Amenemhat, le souverain faisait allusion à cette organisation administrative en disant : «J'ai avancé jusqu'à Elephantine et, rebroussant chemin, je suis allé jusqu'aux marécages du Delta. Ayant pris soin des frontières du pays, j'ai surveillé son intérieur...» (M210-11); Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.76

439 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 252. Ainsi, Khnoumhotep I allait être nommé, par Amenemhat Ier, Prince héréditaire, Compte, Gouverneur des plateaux orientaux dans Menet-Khufu et, enfin, Grand Seigneur du nome d'Oryx, (Cf., Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 625-626).

440 Husson G. Valbelle D., op.cit., 1992, p. 56.

441 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 252-253.

101

inscription débute par cette formule: « Year 43 under the majesty of Sésostris I, living forever and ever; corresponding to year 25 in the Oryx nome with the hereditary prince, count, [Amenemhat], triomphant »442. On note aussi le développement des nécropoles provinciales comme à Assiout, Siout, Meir ou à Beni-Hasan443.

A travers ces faits, il apparaît que les nomarques avaient bénéficié de certains privilèges au début de la XIIe dynastie. Toutefois, ce ne fut plus contre la cour, mais par sa permission que les grandes familles de nomarques connurent de nouveau la prospérité444. Et les pharaons allaient veiller à ce que le processus qui conduisit sous l'A.E. à l'autonomie des nomarques ne se reproduise. Ainsi, la succession dans les charges fut particulièrement surveillée par pharaon qui intervenait directement. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer en analysant la succession dans les charges au sein de la famille des nomarques de Beni-Hasan. Dans cette famille, le premier d'entre eux, connu au M.E., avait été Khnoumhotep I. C'est lui qui fut nommé par Amenemhat Ier comme Gouverneur des plateaux orientaux de Menet-Khufu et Grand Seigneur du nome d'Oryx. A sa mort, le pharaon Sésostris Ier délégua, comme faveur spéciale, ses charges à ses enfants. Ainsi, Nakh fut nommé à la direction de Menet-Khufu tandis qu'Amenemhat recevait le nome d'Oryx. Au même moment, leur soeur Beket fut mariée à Nehri, un officiel de la cour qui fut vizir, Gouverneur de la résidence royale et probablement prince du nome voisin de Hare. De cette union, naquit Khnoumhotep II, qui allait être nommé, par le pharaon Amenemhat II, Comte de Menet-Khufu en remplacement de son oncle Nakht.445

Si l'on suit l'évolution des charges dans cette famille, on constate que seul le premier d'entre eux avait eu à cumuler les charges de Gouverneur de Menet- Khufu et Grand seigneur du nome d'Oryx. Ensuite à chaque fois qu'il y avait succession, pharaon intervenait dans l'héritage en remaniant les charges et en les morcelant446. Selon A. Moret, il est vraisemblable que cette politique avait été appliquée partout où il y avait les grandes familles de nomarques447.

En évitant ainsi l'hérédité effective des charges dans les grandes familles de nomarques, le pouvoir central mettait en même temps, fin à toute possibilité de reconstitution de pouvoir personnel.

442 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 518.

443 Pour les nécropoles provinciales sous la XIIe dynastie, (Cf., Vandier J., op.cit., 1954, p. 331 à 350).

444 Moret A., « L'Egypte pharaonique », in, G. Hanotaux, Histoire de la nation égyptienne, Tome II, Paris, Plon, 1932, p. 231.

445 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 619 à 639

446 Moret A., op. cit., 1926, p. 276.

447 Id., op. cit., 1932, p. 243.

102

Les mêmes dispositions furent prises dans les domaines attachés à la fonction de nomarque. D'après un texte connu sous le nom des contrats de Hepzefi, l'auteur, un nomarque de Siout qui vécut sous Sésostris Ier, avait conclu avec des prêtres du culte funéraire, une série de contrats.

Dans ces contrats, le nomarque s'assurait contractuellement des obligations dues par les prêtres pour son propre culte, après son décès. En contrepartie, il cédait un fond aux prêtres et des revenus qui devenaient leur propriété et qui sont transmissibles par héritage. Toutefois, Hepzefi avait établi la différence, entre la propriété obtenue par héritage appelée « domaine paternel » et celle qui était attachée à sa fonction appelée « domaine du comte »448.

Dans les contrats, il est spécifié que c'est le « domaine paternel » qui était transmissible par héritage dans la famille du nomarque et c'est sur lui seul qu'il avait le droit de tester449. Ce texte de Hepzefi est une illustration que l'Etat continuait à octroyer des terres à ses serviteurs mais, il veillait à ce que ces concessions ne puissent contribuer comme sous l'A.E., à la constitution de grandes propriétés.

En analysant la situation politique au début de la XIIe dynastie, il apparaît que celle-ci avait favorisé le retour des nomarques au sein de l'Etat égyptien. Et, tout en restant soucieux du respect de l'autorité souveraine, les pharaons ont su ne pas se montrer orgueilleux à leur égard450. Par cette politique, les souverains thébains réussissaient à intégrer les grandes familles aristocratiques, dans un système qui tendait de plus en plus vers la centralisation et qui fit perdre toute indépendance à ces dernières451. A partir du milieu de la XIIe dynastie, la charge de monarque commençait à disparaître en plusieurs endroits et, sous le règne de Sésostris III, on peut constater sa disparition effective452. Avec cette disparition, les titres tels que heq Spat ou her Zaza âa que portaient les « Régents des nomes » et les « Grands chefs supérieurs » de l'époque « féodale », cessèrent d'être en usage453. En outre, on remarque qu'aucun monument de nomarque n'apparaît dans la basse Vallée du Nil après le règne de Sésostris III454.

448 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 536.

449 Ibidem; Wolf W., op. cit., 1955, p. 70.

450 Moret A., op. cit., 1941, p. 442.

451 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 73.

452 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 253.

453 Moret A., op. cit., 1926, p. 279.

454 Ibidem.

103

La disparition des nomarques avait, semble-t-il, été suivie par une réforme administrative. C'est ainsi qu'une nouvelle organisation allait placer le pays sous l'autorité directe d'un vizir, en trois ministères (ouâret) dont un pour le Nord, un pour le Sud, et un troisième pour la « Tête du Sud »455.

Désormais, ce sont des fonctionnaires investis directement par le pharaon, sous l'autorité du vizir, qui devaient remplacer les nomarques456.

Dans cette nouvelle administration, les titres portés par les fonctionnaires déterminaient bien plus rigoureusement la hiérarchie du fonctionnarisme que ne le faisait l'A.E. Par exemple dans l'administration du trésor on retrouve un Directeur du cabinet (ou bien Directeur général du cabinet de la trésorerie), un adjoint du Directeur des trésoriers, un substitut du Directeur des trésoriers, un scribe de ce Directeur, un scribe de la trésorerie, un scribe en chef de la trésorerie, un Directeur des employés de la trésorerie, un Gardien de la trésorerie457.

Ces reformes administratives allaient susciter l'émergence d'une classe moyenne d'agents des offices d'Etat458. Et, l'un des traits les plus caractéristiques du fonctionnarisme sous le M.E. était qu'à la place des hauts fonctionnaires connus sous l'A.E., les cadres subalternes occupèrent de plus en plus d'importance.459

Il ressort ainsi de cette analyse des institutions royales sous le M.E., que l'une des plus grandes réussites politiques des souverains Thébains avait été le fait de contenir le désir autonomiste des nomarques. En le faisant, ils parvenaient, en même temps, à éviter toute possibilité de décentralisation pouvant affaiblir le pouvoir royal et aboutir à son effondrement. C'est dire que les leçons du processus politique qui avait provoqué l'effondrement de l'A.E, ont été tirées par les pharaons du M.E.

C- Evolution des croyances funéraires

De tous les peuples de l'antiquité, c'est sans doute les Egyptiens qui avaient attaché la plus grande importance au culte des morts. Ce culte était étroitement lié aux croyances

455 Grimal N., op.cit., 1988, p. 206-207.

456 Daumas F., « Histoire : Période pharaonique », in, op. cit., 1998, p. 188.

457 Erman A. Ranke H., op. cit., 1976, p. 128-129.

458 Vernus P. Yoyotte J., op.cit., 1998, p. 65.

459 Erman A Ranke H., op.cit., 1976, p.129

104

funéraires et à la conception que les Egyptiens avaient de l'au-delà.460 Dans cette conception, l'idée était que le défunt, allait connaître, dans sa tombe, une nouvelle existence, avec des besoins semblables à ceux qu'il avait sur terre461. Cette religion funéraire égyptienne, basée sur la survie de l'homme après la mort, s'était inspirée de la doctrine osirienne. En effet, conçu comme un homme qui meurt et qui ressuscite sous la forme d'un dieu, Osiris était devenu le centre d'action des conceptions sur l'au-delà462. Lorsque le culte d'Osiris fut associé à la doctrine royale, pharaon, après sa mort, puisqu'il était d'essence divine, fut enterré comme Osiris tandis que son esprit, akh, rejoignait les dieux comme l'avait fait l'esprit d'Osiris, dans l'au-delà463. Dans les Textes des Pyramides on voit que le pharaon défunt pouvait être assimilé à Osiris. Par exemple dans ce passage composé pour le pharaon Téti, on peut lire : « O Osiris Téti, Horus vient...il te reconnaît, car Horus t'aime...Horus t'a cherché...Horus t'a fait vivre en ton nom de Anzti...Nephthys a fait une brassée de tous tes membres...On te remet à ta mère Nout, en son nom de sarcophage ,
· [...] Horus t'a réuni tes membres, et il ne permet pas que tu te décompose ,
· [...] Ah ! Osiris Téti, ton coeur est redressé, ton coeur est fort, ta bouche est ouverte, car Horus t'a vengé [...] Tu vis, tu es en mouvement chaque jour. »
(§609-621)464 Il apparaît ainsi, que par la faveur des rites osiriens, le souverain défunt avait le privilège de retrouver un « corps éternel » à l'image d'Osiris. Mais, il faut remarquer qu'à l'A.E., à l'instar du système politique, la religion funéraire était fortement influencée par la théologie solaire. D'où l'idée selon la quelle, pharaon, après avoir subi les rites osiriens, était censé aller vivre au ciel au prés de Rê, son père. Dans les passages des Textes des Pyramides, consacrés à cette ascension de pharaon, on peut lire : « Les pieds du roi frappent la terre pour prendre son essor vers le ciel. Le voilà qui monte au ciel... il vole comme un oiseau, il se pose tel un scarabée, sur le trône vacant qui est dans ta barque, ô Rê ! (365)...O Rê-Atoum, ton fils est venu à toi, le roi est venu à toi. Elève-le, entoure-le de l'étreinte de tes bras. C'est ton fils, qui appartient à ton corps, pour l'éternité »

460 Rachet G., op.cit., 1998, p.75-76

461 Posener G., Sauneron S., Yoyotte J., op.cit, 1998, p.71-72

462 Pirenne J., op.cit, 1961, p.114. D'après la légende, Osiris, à l'époque où il régnait sur l'Egypte, avait un frère rival et violent qu'était Seth. Ce dernier, jaloux de son frère, réussit à l'assassiner. Ensuite pour éviter toute possibilité de recomposition du corps d'Osiris, il décomposa le cadavre et dispersa les morceaux à travers l'Egypte. Mais Isis, l'épouse d'Osiris, aidée de sa soeur Nephthys, de Thot et d'Anubis, se mit en quête des débris du cadavre de son époux. Elle fut assez habile pour les retrouver et pour reconstituer le corps qu'elle réussit à rendre incorruptible par le procédé de l'embaumement. Par sa magie, elle ranima Osiris qui engendra Horus, vengeur de son père et victorieux de Seth. (Cf., Moret A., op.cit, 1926, p.100à105)

463 Ibidem

464 Moret A., op.cit, 1926, p.199

105

(152-160). 465 Comme on le voit, ce privilège de l'immortalité était réservé en principe à la seule personne des pharaons. Cependant, il devait finir par s'étendre (sous forme de privilège que les pharaons concédaient juridiquement en tant que dieux, fils de Rê) à la famille royale d'abord puis aux grands fonctionnaires.466 Le signe le plus visible de cet état de fait a été le tombeau et les éléments du culte funéraire que pharaon octroyait à ses favoris. Et dans la plupart des cas, l'inscription funéraire trouvée dans ces tombes de grands dignitaires commençait par une formule mentionnant l'accord passé par le souverain avec les dieux pour le salut du défunt.467 Il apparaît ainsi, que dans la religion funéraire de l'A.E., la survie dans l'au delà n'était pas accessible à tous. En effet, l'inégalité sociale, sur terre, qui se manifestait par des faveurs qu'accordaient les pharaons aux grands dignitaires, semble se prolonger dans

l'au-delà. Lorsque la crise éclata, cette religion funéraire qui reproduisait les inégalités
sociales sur terre, allait subir, à l'instar de l'institution royale, les effets de la révolte. D'après Ipou-our, le peuple n'avait pas hésité à violer la sépulture du pharaon défunt468. Or, la survie du pharaon, enterré en « faucon divin », garantissait en même temps la survie à ses sujets, sur qui, il continuait de régner dans l'au-delà. Ces graves faits allaient être à l'origine des profonds bouleversements que devaient subir les croyances funéraires à partir de la P.P.I. En effet, il était apparu aux yeux de l'Egyptien, que le fait d'avoir un tombeau et de bénéficier du culte funéraire, n'était pas suffisant pour s'assurer une vie éternelle dans l'au-delà. Et, dans la classe dirigeante de cette période, par suite d'une conception sceptique face à la religion funéraire de l'ancienne époque, une éthique spiritualisée s'était formée et elle considérait la rectitude morale comme la condition requise pour une vie d'outre tombe heureuse.469 Le souverain Khéti III ne disait-il pas à son fils et successeur d'accomplir la justice tant qu'il sera sur terre car celui qui meurt sans avoir commis de mauvaises actions demeurera comme un Dieu à l'image des possesseurs du Temps éternel (c'est-à-dire les justifiés).470 Dès lors, le tribunal des morts, présidé sous l'A.E. par le dieu Rê, allait s'allier au tribunal des morts de la légende d'Osiris. Et, l'idée (limitée au pharaon à l'époque des Pyramides) que le mort, tel le dieu Osiris, ressuscitera à une vie nouvelle, allait s'appliquer,

465 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.143-144

466 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.97

467 Ibidem Par exemple dans l'inscription biographique d'Herkhouf on peut lire : « Une offrande que le roi donne et une offrande qu'Anubis donne [...] qu'il (le défunt) soit enterré dans la nécropole, au désert occidental après être devenu très vieux en tant qu'imakhou au près du grand dieu [...] Une offrande que le roi donne et qu'Osiris donne, seigneur de Bousiris, qu'il (le défunt) marche en paix sur les chemins réservés de l'Occident, sur lesquels marchent les imakhou, et qu'il monte au dieu seigneur du ciel en tant qu'imakhou... » (Cf., Roccati A., op.cit., 1982, p.202)

468 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.217

469 Woldering I., op.cit., 1963, p.83

470 Lalouette Cl. op.cit., 1984, p.51-52

106

en principe, à tous les hommes.471 A l'intérieur des sarcophages en bois de cette période de crise, on trouve des textes religieux qui forment une transition entre les Textes des Pyramides et ceux du Livre des Morts : il s'agit des Textes des sarcophages. Dans ces textes, on retrouve des passages tirés des Textes des Pyramide mais complétés et modifiés par toute sortes d'additions et de corrections à l'usage non pas de pharaon mais de simples particuliers.472 Il apparaît ainsi, qu'avec la crise de la P.P.I., la religion funéraire avait connu de profondes modifications. Ce sont ces modifications qui allaient être à la base de l'évolution qu'on va noter dans les croyances funéraires au M.E. En effet, au cours de cette période thébaine, la religion funéraire allait se caractériser par deux éléments importants par rapport à celle de l'A.E : il s'agit du développement du culte d'Osiris et de la vulgarisation des rituels funéraires jusque là réservés au pharaon.

En ce qui concerne la religion funéraire osirienne, elle était, de par sa conception anthropomorphique, beaucoup plus accessible au commun du peuple que le dogmatisme souvent abstrait des autres théologies et, en particulier de la théologie solaire.473 Dans le mythe, le dieu Osiris, assassiné par son frère et rival Seth, avait été vengé par son fils Horus et avait été ensuite rappelé à une nouvelle vie.474 Or, pour tout homme conscient qu'un jour ou l'autre, le souffle de la vie s'arrêtera pour lui, le sort d'Osiris devait constituer son souhait le plus ardent. C'est ainsi que la doctrine osirienne connut un développement général et devint la religion qui pouvait relier toutes les classes de la société égyptienne.475 Pour le peuple, le service d'Horus des souverains thinites, l'érection des temples solaires, à la gloire de Rê par les memphites, toutes ces actions n'étaient que des pompes officielles, des hommages rendus aux dieux par le pharaon et la cour.476 Pour les souverains thébains conscients du fait que la centralisation religieuse à laquelle ils aspiraient, était loin de s'appuyer sur un courant de l'opinion, le culte d'Osiris allait leur servir d'occasion.477 Ainsi, ils vont faire pour Osiris, ce que firent leurs prédécesseurs de la Ve dynastie pour Rê en lui créant un culte. Mais au lieu de s'exprimer par des monuments gigantesques, tels que les temples à obélisque, le culte d'Osiris, de caractère plus intime et plus personnel, allait s'effectuer dans des fêtes où le peuple tout entier était en communion de sentiment avec le

471 Woldering I., op.cit., 1963, p.85

472 Daumas F., op.cit., 1982, p.260

473 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.245

474 Erman A Ranke H., op.cit., 1976, p.388

475 Moret A., op.cit., 1926, p.293

476 Ibidem

477 Selon J. Pirenne, le culte d'Amon sur lequel se fonda la royauté à partir de la XIIe dynastie, n'était pas encore étendu dans tout le pays. Aussi, la cosmogonie du dieu Rê auquel Amon s'était associé, n'était pas non plus une forme de culte capable d'entraîner les masses (Cf., Pirenne J., op.cit., 1962, p.67)

107

pharaon et la cour.478 Ce fut à Abydos, où allaient se célébrer désormais de grandes fêtes en l'honneur d'Osiris et durant les quelles, sa vie, sa mort et sa résurrection, étaient mimées au cours des représentations publiques, effectuées par des prêtres ou de hauts personnages.479 Des pèlerins venaient de toutes les parties du pays pour assister à cette cérémonie. Et, en souvenir de leur pèlerinage, ils laissaient une stèle dans le voisinage du tombeau d'Osiris, laquelle stèle devait représenter pour eux, une sépulture fictive au près du dieu.480

Cependant, le défunt ne pourrait vivre dans l'empire céleste d'Osiris qu'après s'être justifié de ses actes devant le tribunal d'Osiris qui, lui-même, ne fut admis dans l'Ennéade qu'après le jugement qui le proclama « justifié ».481 Dès lors, les modalités d'accès à l'au-delà osirien allaient connaître un développement et désormais, ce n'est plus pharaon uniquement qui devait être concerné mais tous les hommes. Nous avons vu que déjà pendant la période de crise, des particuliers avaient commencé à utiliser pour leur compte, de nouveaux guides de l'au-delà qui sont peints sur les parois des sarcophages. Mais sous le M.E., le rituel funéraire qui jadis, n'était destiné qu'à la seule personne de pharaon, allait connaître une extension générale. En effet, à travers les innombrables stèles et sarcophages trouvés dans les nécropoles de cette époque, les défunts, qu'ils soient fils de roi, grands fonctionnaires, artisans ou paysans, demandaient, en formules identiques, l'offrande funéraire sur terre et l'accès au ciel au près de Rê.482 Aussi, ils proclament tous que dans l'autre monde, ils seront des « Osiris justifiés »483 Le mort, quelque soit sa catégorie socioprofessionnelle, bénéficiait de la momification tel qu'Osiris et il recevait dans l'autre vie, des coiffures, des armes, des talismans analogues à ceux d'Osiris, par conséquent, pareils à ceux de pharaon, image d'Osiris sur terre.484 Aussi, dans les Textes de sarcophages rédigés non pour pharaon (comme ce fut le cas à l'A.E. avec les Textes des pyramides) mais pour de simples particuliers, on peut lire des passages tels que : « ô vous qui présidez à l'au-delà souterrain et qui gardez les portes, faites un bon chemin afin que N.485 puisse entrer, adorer Osiris et devenir lui-même, à tout jamais, un dieu » ou bien « ô Osiris N., tu montes au tribord du ciel et tu descends au bâbord de la terre, parmi ces dieux qui sont en la suite

478 Moret A., op.cit., 1926, p.287-288

479 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.48-49. Parmi les hauts fonctionnaires qui effectuèrent ces représentations, on peut citer le vizir Montouhotep qui vécut sous Sésostris Ier (Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 530-534).

480 Moret A., op.cit., 1926, p.295

481 Id., Ibid, p.296

482 Id., op.cit., 1941, p.444

483 Ibidem

484 Id., op.cit., 1926, p.245-246

485 Etant donné que ces formules se répètent sur les différents sarcophages, les noms divers des possesseurs ont été suggérés, dans la traduction, au moyen de la lettre N.

d'Osiris, en paix et en repos, auprès de Rê, dans le ciel ».486 Il apparaît ainsi, que les particuliers, à l'image du pharaon défunt dans les Textes des Pyramides, avaient la possibilité de rejoindre les dieux et de devenir eux-mêmes des dieux dans l'au-delà.

En ouvrant ainsi au peuple l'accès à la survie éternelle dans l'au-delà, la religion funéraire allait connaître une nette évolution sous le M.E. Et cette évolution, comme nous venons de le voir, découle des changements intervenus dans les croyances religieuses à partir de la P.P.I.

108

486 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.267

109

Chapitre II : Renouveau culturel

A- L'Art

L'art et la littérature sous toutes leurs formes avaient été pour les Egyptiens, un moyen d'expression du rapport au monde, au divin mais aussi à la pensée.487 De ce fait, ils constituent deux formes d'expression importante dans l'analyse de l'évolution de la civilisation égyptienne.

Ainsi, en ce qui concerne l'art, il a traversé pendant la longue période de l'histoire égyptienne, des alternances de vitalité et de décrépitude. Ceci est lié au fait qu'au-delà des circonstances ou des sentiments artistiques, cet art avait été étroitement dépendant de la personne de pharaon et de l'institution qu'il incarnait.488 Il constitue à cet effet, une mesure et une expression immédiate de la situation politique et sociale à des moments déterminés de son histoire.

En effet, si l'A.E. est resté dans l'histoire comme une brillante époque de la civilisation égyptienne, c'est en partie grâce à cette gigantesque architecture de ses pyramides qui constitue en même temps une manifestation de la grandeur de la royauté memphite.

Ensuite, en faisant la description de la crise de la P.P.I., nous avons tenté de montrer cette liaison étroite entre la production et la qualité des oeuvres d'art et la situation politique. Ceci nous avait permis de voir que la faible production des oeuvres d'art et leur qualité médiocre, étaient liées à l'effondrement du pouvoir memphite. En d'autres termes, la P.P.I., s'était caractérisée au plan culturel, par une régression de la production des oeuvres d'art et de leur qualité.

Lorsque la monarchie se reconstitua au M.E., on devait assister à une magnifique renaissance artistique.489 Mais cette renaissance artistique devait en même temps refléter les changements politiques et sociaux intervenus à la faveur de la crise de la P.P.I.

Comme sous l'A.E., ce sont les monuments religieux et les édifices funéraires royaux qui se sont les mieux perpétués et qui attestent du retour des activités artistiques.490 Ainsi,

487 Somet Y., op.cit., 2005 p. 117

488 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.19

489 Pirenne J., op.cit., 1962, p.93

490 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.161

110

au cours de la XI e dynastie, les pharaons avaient entrepris des activités de construction de temples à Eléphantine, à Gebelein, à Tod, à Ermant, à Deir el-Bahari, à Deir el- Ballas, à Dendérah, à Abydos etc.491 Mais de ces temples, il ne reste malheureusement que peu de chose.492 C'est au niveau de l'architecture funéraire royale, qu'il existe des signes les plus visibles de la renaissance artistique à partir de la XIe dynastie. En effet, l'une des oeuvres architecturales les plus remarquables du M.E. a été le temple funéraire construit par les souverains Montouhotep II et III, à Deir el- Bahari. Le pharaon Montouhotep II, après avoir réunifié l'Egypte, choisit pour sa tombe, un des plus beaux sites de la nécropole thébaine, il s'agit du cirque de Deir el- Bahari, dominé par la montagne thébaine.493 Ce monument occupe à Thèbes, une place analogue à celle de la pyramide de Djeser à Sakkarah.494 Le site, qui est admirablement choisi, offre un cadre à la fois naturel et imposant à l'édifice qui se différencie de ceux des rois Antef qui ne se contentaient que de tombes rupestres artificielles.495 L'architecte avait su respecter les indications qui lui étaient fournies par la configuration du terrain et, c'est dans cette harmonie de l'oeuvre avec la nature que réside en grande partie le charme de ce temple496 (Cf., Figure I). De par son plan, ce monument funéraire des Montouhotep est une sorte de synthèse du complexe funéraire entre la pyramide de l'A.E. et la tombe rupestre de la P.P.I., à laquelle le cadre et les détails architecturaux confèrent un aspect grandiose, digne du renouveau artistique du M.E.497 Cet édifice, unique en son genre, est certes une preuve que la lignée royale prétendait recueillir l'héritage des roi-dieux du temps des pyramides. Mais le caractère monumental abstrait de l'A.E. se transforme ici pour devenir l'ordre équilibré et l'articulation d'une architecture aux proportions modérées, dignes d'un souverain qui demeure conscient de sa nature humaine.498

En ce qui concerne l'architecture funéraire civile, elle est moins développée, du fait de la rareté des tombes civiles, preuve de la concentration de l'autorité entre les mains des souverains de la XIe dynastie.

L'activité architecturale devait connaître une nette évolution sous les souverains de la XIIe dynastie, qui furent de grands bâtisseurs. Toutefois, à l'image de la XIe dynastie, il subsiste très peu d'édifices appartenant à la XIIe dynastie. Ainsi, en ce qui concerne

491 Grimal N., op.cit., 1988, p.195

492 Pirenne J., op.cit, 1962, p.93

493 Vandier J., op.cit., 1954, p.158

494 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p .161

495 Ibidem

496 Drioton E Vandier J., op.cit., p.248

497 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.161-162

498 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.162

111

Figure I

Le temple funéraire des Montouhotep (XIe dynastie) juxtaposé à celui d'Hatchepsout (XVIIIe dynastie) à Deir el-Bahari

Source : Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1956, p.163

Cet édifice funéraire, des Montouhotep est l'un des signes les plus visibles du renouveau artistique qui a accompagné l'avènement du M.E.

112

les temples, ils ont du se répartir autour de Thèbes et du Fayoum.499 Par exemple, à Médamoud et à Tod, on a pu reconstituer le plan d'un temple que bâtirent respectivement Sésostris Ier et Sésostris III.500 A Karnak, divers indices ont permis de déterminer l'emplacement occupé par le temple de la XIIe dynastie. Le plan de celui-ci comprend trois salles en succession d'ouest en est, avec un naos sur socle d'albâtre dans la dernière.501 Toujours à Karnak, on a trouvé (incorporés à un pylône datant d'Aménophis III), les éléments d'une chapelle jubilaire de Sésostris Ier, qui a pu être reconstituée.502 C'est un petit temple périptère, élevé sur une plate-forme et on y accède, sur les deux côtés les moins larges, par un escalier dont chacun ménage en son milieu un plan incliné.503 C'est un monument construit en calcaire, d'une grâce simple, sans ornements superflus, sans colonnes. Les murs du rectangle qu'il forme, percés de grandes baies rectilignes, sont couverts d'hiéroglyphe du plus beau style.504 Le pharaon y est figuré avec un art d'une finesse, d'une précision dans le détail et d'un modelé qui en font une des meilleurs oeuvres connues de la XIIe dynastie505.

Quant à l'architecture funéraire royale, elle se retrouve à travers les tombes des souverains de la XIIe dynastie, disséminées en des emplacements variés entre Memphis et le Fayoum.506 Il semble à ce niveau, que c'est la proximité avec les anciennes nécropoles memphites ainsi que la surface plane du désert occidental du Nord ou de l'oasis du Fayoum qui expliquent le retour aux formes et aux éléments traditionnels de la pyramide complétée comme à l'A.E. d'un temple funéraire.507 Et, en ce qui concerne les temples funéraires, l'édifice le plus connu pour la XIIe dynastie a été celui d'Amenemhat III à Hawara dont le souvenir a été conservé par les Grecs. Ce vaste complexe de bâtiment comportait outre la résidence royale, les bureaux du gouvernement central et peut-être aussi la sépulture de pharaon.508 En faisant référence à ce complexe funéraire d'Amenemhat III, Hérodote disait : « Je l'ai vu, il est vraiment au-dessus de ce que l'on peut dire. Qu'on face la somme des

499 Id., Ibid, p.169

500 Ibidem

501 Ibidem

502 Woldering I., op.cit., 1963, p.86

503 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.169

504 Pirenne J., op.cit., 1962, p.95

505 Ibidem

506 Ainsi, Amenemhat Ier et Sésostris Ier se sont fait enterrés à Licht, Amenemhat II et Sésostris III ont leur tombeaux à Dahchour, Sésostris II enterré à Illahoun tandis que Amenemhat III se trouve à Hawra ( Cf., Grimal N., op.cit., 1988, p.127-128). Selon certains historiens, cette pratique qui consiste à changer d'emplacement des résidences royales, sous la XIIe dynastie, était une façon de se prémunir contre les risques de conspiration qui minaient le pouvoir monarchique.

507 Diakhaby M., La XIIe dynastie : essai de synthèse, mémoire de maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D., 19891990, p. 59

508 Pirenne J., op.cit., 1962, p.96

113

constructions des ouvrages d'art que les Grecs ont produits ; ils apparaîtront inférieurs à ce labyrinthe et du coté du travail et du coté de la dépense...Déjà les pyramides étaient au-dessus de ce que l'on peut dire...mais le labyrinthe dépasse encore les pyramides. » 509 Ce témoignage d'Hérodote sur le temple funéraire d'Amenemhat III, est une illustration du renouveau artistique au M.E. Toutefois, dans leur ensemble, les pyramides des souverains de la XIIe dynastie ne peuvent pas rivaliser avec celles de leurs prédécesseurs memphites. Ces pyramides se distinguent de leurs modèles de l'A.E. sur la question des matériaux et de la structure (rôle de la brique et du compartimentage), des pentes plus fortes, des dimensions moindres et des remaniements de plans (faux niveau pour tromper les voleurs, multiplication des couloirs et des puits).510 Selon Cl. Lalouette, l'édification des pyramides en briques avec de modestes dimensions s'explique du fait que la crise économique et sociale qu'avait subie le royaume ne permettait pas alors de grands travaux d'art, en matériaux durs.511 Il semble toutefois, que l'aspect économique n'est pas la seule explication à cette situation. On peut trouver d'autres explications dans la crise de la P.P.I. En effet, le caractère surhumain des pharaons de l'A.E., qui se reflète dans leurs gigantesques sépultures, est un trait auquel l'évolution politique avait mis un terme. Et, durant toute la période de crise, nous avons vu que les tombeaux des souverains de l'époque étaient de piètres édifices dont la plupart d'ailleurs n'ont pas pu se conserver. Lorsque la monarchie fut de retour, le souci de l'au-delà allait certes bénéficier d'une attention particulière comme auparavant, mais sa place privilégiée devait reculer derrière les nécessités politiques.512 Avec le M.E., l'Etat des pharaons ne se concrétisait plus et ne s'affirmait plus par des tombes monumentales, dont la construction durait des années, mais se manifestait dans un rapport équilibré entre la religion et la politique, le monde actuel et l'au-delà.513 Certes, les sépultures royales de la XIIe dynastie vont être construites sur le modèle de la pyramide traditionnelle mais ceci s'explique, comme nous l'avons vu, par un souci d'adaptation à la surface plane du milieu où elles ont été édifiées. Mais à travers le procédé de construction qui a été adopté, peu onéreux en comparaison des pyramides en pierre de l'A.E., les pharaons de la XIIe dynastie avaient probablement voulu exprimer que leurs sépultures étaient moins celles des rois-dieux que de souverains conscients de leur caractère humain.

509 Hérodote, II, 48

510 Bohême M.A., op.cit., 1992, p.55-56

511 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.44

512 Wildung D., op.cit., 1984, p.73

513 Ibidem

114

Un autre fait qui trouve ses explications dans la crise, était les bouleversements subis par les croyances religieuses. En effet, les contemporains de cette période de crise avaient été témoins des actes de violations de la pyramide royale. 514 Il était apparu aux yeux de ces Egyptiens que les pratiques funéraires fondées sur le tombeau et le rituel funéraire, n'étaient pas les seuls moyens indispensables pour assurer la survie de l'homme à l'au-delà. Chez les penseurs de la P.P.I, on trouve des méditations sur la vanité des grandioses monuments funéraires du passé. C'est ainsi que dans le Dialogue entre l'homme et son ba, l'auteur disait que « ceux qui bâtissaient en granit et élevaient des pyramides (c'est-à-dire les pharaons) ont leurs tables d'offrandes aussi vides que les morts les plus misérables ».515 Ceci pour dire que malgré les moyens matériels mis en oeuvre, les pharaons n'avaient pas réussi à perpétuer leur culte et à s'assurer l'immortalité. Pour les souverains du M.E., héritiers de ces idées sceptiques vis-à-vis du rôle de la pyramide, l'édification de celle-ci ne devait plus constituer une préoccupation majeure comme ce fut le cas à l'A.E.

La renaissance de l'architecture qui s'était ainsi manifestée dés le début du M.E., allait s'accompagner d'un renouveau véritable au niveau de la sculpture. En effet, la stabilité et l'éclat du pouvoir royal retrouvés, ne pouvaient que favoriser le développement de la statuaire. Pour la nouvelle royauté, il fallait faire figure de monarchie puissante et conférer à son image, le prestige de l'ancien royaume divin.516 Mais comme nous l'avons vu pour l'architecture, la statuaire est le reflet d'une certaine situation politique et sociale. Et pour E. Drioton et P. Du Bourguet, c'est plus dans la statuaire que dans n'importe quel art, que se manifeste le changement psychologique opéré depuis la fin de l'A.E. dans la conception du pharaon.517 Sous l'A.E., les statues royales traduisaient la conception que les Egyptiens de l'époque se faisaient de la nature de leur souverain dont la sérénité du visage et la majesté de l'attitude, sont plus celles d'un dieu que d'un homme.518 Par exemple la statue polychrome de Djeser ou bien celle du sphinx de Gizeh représentant le visage de Khephren avec un corps de lion, sont un reflet de la nature surhumaine de ces souverains. Mais au M.E., le pharaon, s'il restait théoriquement le fils des dieux, ce n'est plus l'empreinte divine qui le marque.519 Ainsi, au niveau de la statuaire, ses traits allaient apparaître comme ceux d'un homme divinisé plutôt que d'un dieu humanisé, d'un chef que d'un dieu.520 En effet, l'artiste du M.E.

514 Sur cette question, Cf., supra, Première partie, chap.I, B. Les lamentations d'Ipou-Our.

515 Posener G., op.cit., 1956, p.10

516 Woldering D., op.cit., 1963, p.100

517 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.62-63

518 Drioton E Vandier J, op.cit., 1984, p.194

519 E Drioton Du Bourguet P., op.cit., 1965, p. 177-178 520Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.178

115

FigureII

Montouhotep II (M.E)

Source : Drioton E. Du Bourguet P. op.cit., 1965, p.112

Dans cette image du pharaon Montouhotep II, on voit que les traits du corps connaissent une certaine amplification qui traduit le désir de l'artiste à mettre en exergue la force humaine du souverain

116

va chercher à caractériser l'homme qui règne et non un pharaon impersonnel.521 Pour la XIe dynastie, deux statues royales, pratiquement les seules à être conservées en bon état, figurent le pharaon Montouhotep II. Ces portraits royaux du souverain Montouhotep II sont, grâce à leur force d'expression, des sources historiques de premier ordre. Ils disent plus sur le caractère et les ambitions de ces souverains que leurs titulatures et les inscriptions des temples.522 Les Montouhotep, comme nous l'avons vu auparavant, avaient réussi à réunifier l'Egypte, après une longue période de division. Et cette réunification, avait été le résultat d'une longue lutte, amorcée sous leurs prédécesseurs à savoir les Antef. Ceci pour montrer que la force et la puissance de ces Montouhotep ont été déterminantes dans la restauration de la monarchie. C'est cette image de force que le sculpteur va tenter de montrer dans la représentation de ses souverains. Dans les grandes statues royales de Montouhotep II, le sculpteur, semble-t-il, a voulu exprimer en volume presque géométrique, la puissance du souverain avec un visage épais, corps massif, torse droit, jambes épaisses, pieds larges et solides ; une vigueur presque brutale se dégage de cette image 523(Cf., Figure II). Un autre élément qui frappe dans cette représentation de Montouhotep, c'est la disproportion entre les jambes et le corps du souverain. Pour E. Drioton et P. Du Bourguet, il ne peut s'agir là d'un défaut de métier mais probablement, Montouhotep était atteint d'un oedème des jambes et, dans un souci de réalisme, le sculpteur a reproduit tel quel son modèle.524 Le fait de représenter un pharaon jusqu'à faire ressortir ses défauts physiques dus à une maladie, montre que c'est le caractère humain de ce dernier qui est plutôt mis en avant dans la statuaire.

En ce qui concerne les statues royales de la XIIe dynastie, elles se caractérisent d'abord par le fait qu'elles proviennent de diverses écoles de sculpture réparties entre Memphis, Thèbes au Sud et Tanis dans le Delta. C'est cette diversification des écoles de sculptures qui va expliquer les différences qui seront notées à travers les statues des souverains de la XIIe dynastie.525 Ainsi, les oeuvres produites dans les ateliers du Nord vont avoir tendance à conserver les traditions des sculpteurs de l'A.E., avec un style plus idéalisé

521 Moret A., op.cit., 1941, p.455

522 Wildung D., op.cit., 1984, p.194

523 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.66

524 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.166

525 La diversification des écoles de sculpture constitue en elle, une conséquence de la crise de la P.P.I. En effet, comme nous l'avons vu auparavant, durant l'A.E., c'est à Memphis où se trouvaient concentrés les ateliers de sculpture. Cela du fait que toute la production artistique dépendait exclusivement de l'Etat.

Figure III

A) Statue du pharaon Dieser (A.E.) B) Statue du pharaon Chéphren protégé

par Horus ( A.E.)

Sources : A) Drioton E ;Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.112; B) Malek J., « The Old Kingdom », in, Shaw I., op.cit., 2000, p.106

La sérénité et le calme qui apparaissent à travers ces portraits des souverains de l'A.E. sont un reflet du caractère supra humain de ces derniers qui apparaissaient comme des dieux aux yeux de leurs sujets.

117

Mais lorsque la monarchie disparaît sous la P.P.I., les particuliers, notamment les chefs de provinces avaient commencé à disposer de leurs propres ateliers d'art, dans leurs provinces. Ce qui explique d'ailleurs que lorsque la monarchie se reconstitua à Thèbes, les écoles d'arts locales étaient déjà prêtes à l'accompagner. Et, l'unité qui caractérisait les oeuvres d'art de l'A.E. va céder la place à une certaine diversité dans le style.

118

A) Sésostris III jeune (détail)

 

B) Sésostris III dans la force de l'âge (détail)

Figure IV

C) Sésostris III âgé (fragment)

Source : Drioton E. Du Bourguet P., op. cit., 1956, p. 186-187

Le pharaon Sésostris III (M.E.) est représenté ici suivant les différents stades de l'évolution humaine (jeune, adulte et âgé). C'est là, un signe qui montre qu'aux yeux des Égyptiens du M.E., le pharaon est avant tout un homme. Comparés aux images de la figure précédente (celles des souverains memphites), on voit que ces visages de Sésostris III montrent qu'il y a eu une évolution dans la conception que les Égyptiens se faisaient du pharaon entre l'A.E. et le M.E.

119

et conventionnel.526 C'est de là que proviendraient les dix statues analogues de Sésostris Ier qui ont été retrouvées dans sa pyramide à Lischt, présentant un visage jeune, serein et une expression presque souriante du souverain.527

Dans les ateliers du Sud par contre, on va retrouver des oeuvres qui se distinguent par un rude réalisme et par un souci de ressemblance qui semble n'avoir jamais été poussé à ce point.528 On note une volonté manifeste de placer le pharaon sur le même plan que l'humanité.529 Cette tendance se manifeste surtout dans les statuaires en ronde bosse de Sésostris III, en provenance de Médamoud, où il est représenté à plusieurs ages de la vie, allant de la jeunesse aux joues rondes et douces, en passant par la maturité aux arrêts presque agressives, jusqu'à la vieillesse aux rides amères.530 A travers ces représentations de Sésostris III, chaque trait isolé du visage dénote la tension intérieure et extérieure, qui se conjuguent pour composer le portrait visible et sensible d'un souverain conscient du caractère problématique et éphémère de ce monde.531 Ce qui fait la beauté de ses statues, c'est leur caractère de vérité et de passion qui montre en même temps qu'elles étaient conçues à une période où la société était en pleine mutation. Et, c'est parce qu'elles ont su rendre compte de cette impression, qu'elles peuvent être comparées aux oeuvres les plus belles de l'A.E.532 En effet, l'image de la maturité épanouie des têtes de souverains aux temps des pyramides, que créa la foi en l'existence éternelle du roi-dieu, avait abouti au M.E., à ce visage buriné par le doute et chargé de responsabilité spirituelle.533 Ainsi, si l'on compare ces statues à celles des souverains memphites, on voit qu'autant ces derniers apparaissent calmes, sereins et possèdent la certitude et la noblesse d'un dieu, autant la physionomie de Sésostris III est humaine et dominé par le souci des luttes 534 (Cf., Figures III et IV).

On peut donc dire que la statuaire du M.E. a été un reflet des modifications politiques intervenues depuis la fin de l'A.E.

526 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.62

527 Id., op.cit., 1981, p.71

528 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.261-262

529 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.183

530 Ibidem

531 Woldering I., op.cit., 1963, p.104

532 Pirenne J., op.cit., 1962, p.98

533 Woldering I., op.cit., 1963, p.104

534 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.60

120

B- La Littérature

Le M.E. est l'époque où la langue et la littérature ont atteint leur forme la plus parfaite.535 En effet, à l'image de l'art, la période thébaine a constitué pour la littérature, une époque de renaissance. Cette renaissance de la littérature s'est traduite à travers un développement considérable des genres littéraires. On retrouve, en plus des genres déjà connus à l'A.E. tels que la poésie religieuse avec les Textes des pyramides, les Enseignements et les récits biographiques, d'autres genres assez nouveaux comme les contes merveilleux, les romans d'aventures ou bien les contes mythiques.536 Au-delà de cette diversité des genres, ce qui fait l'intérêt de la littérature du M.E., c'est la transformation politique, sociale et morale qui s'y reflète. En effet, si le M.E. apparaît dans la civilisation égyptienne, comme une période classique, c'est en partie grâce à la qualité et à la richesse de ses oeuvres littéraires. Il est à noter toutefois, que cette richesse qui se reflète dans la littérature thébaine et qui traduit une nette évolution par rapport à celle de l'A.E., trouve ses explications dans les transformations intervenues au cours de la P.P.I.

En effet, autant que l'on peut en juger, la production littéraire de l'A.E. reflète une sorte de sécurité tranquille, une foi inébranlée dans la puissance et la durée d'un royaume qui a créé la première grande civilisation humaine connue.537 L'homme, confiant dans ses dieux et ses institutions, vivait selon des règles morales bien établies, qui garantissaient l'ordre du monde et de la société.538 Et dans cette société ancienne, la nature surhumaine des pharaons et la dévotion que leur vouaient leurs sujets excluait tout dialogue véritable.539 Ainsi, point de discussion sur la personne de pharaon ou bien sur l'institution royale qu'il incarne. Le faire d'ailleurs pouvait être perçu comme un acte d'impiété vis-à-vis de pharaon à qui la doctrine royale avait conféré une nature divine et qui apparaît comme étant le continuateur du pouvoir des dieux sur terre.

Cependant, la crise qui a mis fin à l'A.E. allait poser de graves problèmes. En effet, des brèches irréparables devaient s'ouvrir dans les conceptions sociales et religieuses.540 La paix sociale et la sécurité, que garantissait une puissante autorité royale, avaient cédé la place à l'anarchie, à la guerre civile et à l'invasion étrangère.541 L'ordre établi de même que

535 Grimal N. op.cit., 1988, p.211

536 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.53

537 Daumas. F., op.cit., 1982, p.393

538 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.32

539 Posener G., op.cit., 1956, p.15

540 Daumas F., op.cit., 1982, p.393

541 Sur cette situation chaotique de l'Egypte à la fin de l'A.E. (Cf., supra, Première Partie, chap. I, B)

121

l'équilibre des consciences en sortirent profondément bouleversés. Cette situation allait favoriser la naissance d'une littérature particulière et originale, qui dépeint l'homme, privé de ses cadres sociaux et religieux rassurants, livré au doute et à l'angoisse.542 C'est à cette littérature qu'appartiennent des oeuvres telle que les Lamentations d'Ipou-our où l'auteur fait une peinture saisissante du chaos social et politique dans lequel était plongée l'Egypte. Il y a aussi le Dialogue entre l'homme et son ba ou bien les Chants du harpiste qui montrent le pessimisme dans lequel était plongé l'Egyptien de l'époque, face à l'effondrement de cette civilisation qui apparaissait à ses yeux comme éternelle. C'est dans cette littérature des temps troublés qu'il faut aussi placer les Neuf palabres du paysan volé qui a trait à la psychologie de l'Egyptien du commun vis-à-vis de l'injustice, de l'arbitraire et de la force qui viole le droit, à une époque où l'autorité royale faisait défaut.543

C'est aussi durant cette période de crise que la royauté fut obligée de sortir de son mutisme pour apprendre à communiquer et prendre des leçons chez de simples mortels.544 Pour ce faire, elle utilisa la littérature avec le genre Enseignement, connu depuis l'A.E. C'est dans ce cadre qu'il faut ranger le texte de l'Enseignement de Khéti III à son fils Mérikarê.545 L'intérêt de ce texte se trouve dans le fait qu'il témoigne de préoccupations autant politiques que morales. En effet, à coté du thème classique de l'Enseignement où c'est un père qui fait profiter à son fils, son expérience de la vie, on a ici un souverain qui donne à son héritier des conseils relatifs à l'exercice du pouvoir politique. Il lui conseille par exemple d'être un « artisan en parole » car les mots sont plus forts que n'importe quel combat ou bien de lever de « jeunes troupes » et de multiplier en leur sein ses partisans.546

Il apparaît à travers tous ces écris, que la P.P.I. avait fortement marqué les esprits. Et intellectuellement, elle avait donné lieu à une riche activité interprétative, conduisant à des évolutions notables sur la conception du pouvoir, les croyances funéraires et à la naissance d'une littérature politique.547

Ce sont ces transformations intervenues dans la pensée, que devait hériter le M.E. et qui allaient donner lieu à une riche activité littéraire durant la période thébaine. En fait, sur le plan de la littérature, le M.E., semble-t-il, n'avait pas innové mais ce sont les genres

542 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p. 9

543 Somet Y., op.cit., 2005, p.128

544 Posener G. op.cit., 1956, p.15

545Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.50 à 57

546 Id., Ibid, p. 50 et 52

547 Margueron J.-C, Pfirsch L., Le Proche- Orient et l'Egypte antique, Paris, Hachette, 2005, p.206

122

précédents, tels que les avaient modifiés et approfondis par les penseurs de la P.P.I., qui allaient être cultivés.548

Il s'agit ici, de voir à travers une synthèse des principaux genres, les manifestations d'un renouveau littéraire au M.E.

Comme à l'A.E., parmi les genres littéraires qui se sont développés au M.E., il y a la poésie religieuse avec les Textes des sarcophages.549 Ces textes, comme on l'a vu auparavant, sont issus des modifications subies par les Textes des Pyramides pendant la P.P.I. En effet, si les Textes des pyramides étaient des recueilles destinés exclusivement à assurer le passage de pharaon dans le monde des dieux, ceux des sarcophages ont été composés pour de simples particuliers et leurs composition date à partir de la P.P.I. Ils constituent dans ce sens, une source importante pour analyser l'évolution subie par les croyances religieuses à partir de la fin de l'A.E.

Un autre genre qui vit le jour pendant les époques antérieures et qui a été développé au M.E., est le récit biographique. Comme sous l'A.E., c'est dans la plupart des cas, un grand personnage qui fait le récit de sa carrière dans un style narratif, simple et net.550 Nous retrouvons la traduction de ces écrits biographiques du M.E. dans (Ancient Records of Egypt) de J.H. Breasted. Et à l'image des textes biographiques de l'époque memphite, ceux du M.E. constituent une précieuse source pour toute étude relative à la situation institutionnelle de l'époque. Mais au M.E., le genre biographique allait évoluer de plus en plus vers une recherche de la perfection formelle, qui devait aboutir à la création de la biographie romancée. Celle-ci se retrouve à travers les Aventures de Sinouhé551, une des oeuvres les plus connues de la littérature égyptienne. Le texte est aujourd'hui connu par cinq papyrus et par plus de vingt ostraca. Les principaux manuscrits sont le papyrus de Berlin (B) et le papyrus du Ramesséum (R).552 Le personnage principal de ce roman n'est sans doute pas un être imaginaire. Contemporain d'Amenemhat Ier et de Sésostris Ier, il dut être le héros d'aventures qui frappèrent l'imagination de ses contemporains et furent aussitôt après sa mort, arrangées sous une forme romancée.553 Le sujet du roman est simple, il débute par la titulature et le nom de Sinouhé qui va ensuite prendre la parole dans tout le livre pour faire le récit de ses aventures. Il indique d'abord sa position à la cour, au moment où commence l'histoire (R 25), à la mort d'Amenemhat Ier, en l'an 30 de son règne, quand son fils Sésostris Ier revient

548 Posener G., op.cit., 1956, p.16 ; Daumas F., op.cit., 1982, p.397

549 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 266 à 269

550 Daumas F., op.cit., 1982, p.39

551 Posener G., op.cit., 1956, p. 86-115 ; Lefebvre G., op.cit., 1982, p. 1à 25

552 Posener G., op.cit., 1956, p.88

553 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.1

123

d'une campagne contre les Libyens (R 5-16). On a déjà évoqué les circonstances qui avaient présidé à la fuite de Sinouhé qui, faisait parti de la campagne et avait surpris par hasard la conversation du rival de Sésostris Ier avec le messager venu de la capitale. Cette partie du récit, contient un fond historique qui nous plonge dans le contexte politique de la XIIe dynastie, avec des risques de conspirations qui existaient au sommet de la monarchie.554

Après avoir pris la fuite, en direction de l'Asie, Sinouhé atterrit dans le pays de Qédem où, il est recueilli par Amounenshi, le prince du Retenou (R 28-30). Ce dernier l'interroge sur les motifs de son exil et sur les conséquences possibles de la mort d'Amenemhat Ier(R 30-45), ce qui permet à Sinouhé de prononcer un long éloge du nouveau pharaon, Sésostris Ier(R 45-75).

Amounenshi va finir par lui donner sa fille aînée en mariage et lui attribuer un territoire fertile (R75-86). Promu chef de tribu, Sinouhé passe de longues années dans l'abondance, ses fils grandissent et dominent chacun sa tribu, tandis que lui-même reçoit le commandement de l'armée d'Amounenshi et fait apprécier ses qualités militaires (R 86-109). Un preux de Retenou vient provoquer Sinouhé en combat singulier dans l'intention de le dépouiller de ses biens ; l'Egyptien relève le défit, et le duel se termine par la victoire de Sinouhé qui s'empare des possessions du vaincu.( B 109-146). Sinouhé devient ainsi riche, mais il a la nostalgie de sa patrie et, il souhaite renter en Egypte pour rependre son poste à la résidence royale (B 146-173). Informé de ce désir, Sésostris envoie à l'exilé, un long message dans lequel il lui dit de revenir en Egypte, l'assure qu'il retrouvera sa place à la cour et lui promet une belle sépulture. (B 173-199). Après avoir accueilli cette nouvelle avec joie, Sinouhé décide de renter en Egypte (B199-204). Sésostris lui accorde une audience, le présente à la reine et aux enfants royaux et le nomme Ami à la cour (B204-248). On installe Sinouhé et on lui construit une belle tombe, les dispositions sont prises pour assurer son culte funéraire et le vieil exilé finit ses jours dans la faveur royale (B24-310).555 Ce roman, de par la beauté du style et de la langue, représente un véritable chef-d'oeuvre de la littérature égyptienne. Et si on juge de par le nombre de manuscrits, sur papyri et ostraca, datant de la XIIe à la XXe dynastie, il était sans doute le plus populaire au près des Egyptiens.556 Mais au-delà de sa qualité littéraire, l'intérêt de ce texte se trouve dans le fait qu'il contient bon nombre de thèmes que l'on retrouve dans d'autres écrits du M.E. C'est le cas de l'évocation

554 Sur cette question (Cf., Supra, Troisième Partie, Chap. I, A)

555 Traduction de Posener G., op.cit., 1956, p.87-89.

556 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.95

124

des sujets tels que les difficultés de succession où bien de l'éloge au souverain Sésostris Ier, qui sont des thèmes qui renvoient à la littérature politique du M.E.

En effet, s'il y a un fait qui caractérise le plus la littérature au M.E., c'est bien le développement important qu'a connu le genre politique. L'utilisation de la parole à des fins politiques ne date pas du M.E. Mais comme il arrive constamment lorsqu'on cherche les sources d'inspirations de la littérature thébaine, c'est vers la P.P.I., qu'il faut se tourner pour trouver les origines de cet emploi.557 Comme on l'a vu tantôt, c'est pendant cette époque de crise, où les intérêts opposés et les opinions contraires s'affrontaient, que l'actualité avait fait son intrusion dans la littérature, et on avait appris à se servir des écrits pour influer sur l'opinion.558 Ainsi, des thèmes de l'anarchie et de la prophétie politique vont voir le jour à travers des écrits tels que les Lamentations d'Ipou-our. Ces thèmes vont être repris et exploités au M.E. ce qui donne la Prophétie de Neferty.559 Aussi, le premier testament politique d'un souverain qui parle de son oeuvre et qui donne des conseils à son héritier, a été l'Enseignement de Khéti III à son fils Mérikarê, cette formule est utilisée au M.E. avec l'Enseignement d'Amenemhat à son fils Sésostris.560 Ceci montre l'influence de la P.P.I., sur l'épanouissement du genre politique au M.E. A remarquer que cette littérature politique constitue une source précieuse pour analyser les changements politico-idéologiques intervenus depuis la fin de l'A.E.

Parmi les écrits à tendance politique laissés par le M.E. et particulièrement par la XIIe dynastie (on ne connaît pas d'écrit politique ayant été produit sous la XIe dynastie)561, l'oeuvre la plus ancienne est la Prophétie de Neferty.562 Le texte est connu par un papyrus du Musée de l'Ermitage de Leningrad (N°1116B).La composition de ce livre, écrit sous

557 Posener G., op.cit., 1956, p.15

558 Ibidem

559 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.49

560 Posener G., op.cit., 1956, p.16

561 Selon G. Posener, il existe une différence de style politique entre la XIe et la XIIe dynastie. En effet, lorsque la monarchie fut restaurée au M.E., après une longue période de carence, il était évident que la condition de la royauté, la nouvelle façon de la concevoir, les sentiments qu'elle suscitait dans la population et les habitudes que celle-ci avait prises, tous ces faits devaient peser sur la politique des nouveaux souverains. Mais il semble que les Montouhotep, dont la famille gouvernait Thèbes depuis des générations et luttait avec ténacité pour imposer son hégémonie au reste du pays, n'avaient pas saisi les données du problème. Ils avaient continué à recourir aux mesures de force qui ne convenaient qu'à l'état de guerre ( à ce propos, nous avons vu comment ils avaient supprimé les princes locaux qui étaient les chefs de leurs provinces respectives pendant la P.P.I). La fin de la XIe dynastie s'explique en partie par l'échec de cette politique de force. Aussi, quoique l'unité du pays fût déjà rétablie quand Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie, était monté au trône, la tache qui l'attendait, ressemblait à celle d'un fondateur de royaume. Il fallait recréer l'idéal de la royauté et restituer son prestige. Ayant compris que la politique de la force n'avait pas réussi aux Montouhotep, Amenemhat Ier et ses successeurs allaient utiliser d'autres moyens d'actions parmi lesquels la littérature (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.13-14).

562 Id., Ibid., p. 21

125

Amenemhat Ier, est simple. L'action se place à la cour du souverain Snéfrou de la IVe dynastie. Ce dernier, pour se divertir, fait chercher un voyant appelé Neferty à qui il demande de lui dévoiler l'avenir (E1-19). Cette première partie du document sert d'introduction à la prophétie à travers laquelle, Néferty, décrit d'abord les malheurs qui vont s'abattre sur l'Egypte (E20-57)563 avant d'annoncer la venue d'un sauveur du nom d'Ameny564 qui devait ramener l'ordre et la prospérité (E57-70).565 Comme on le voit, ce texte est un écrit à tendance politique qui nous plonge dans le contexte difficile du passage de la XIe à la XIIe dynastie. On a vu comment Amenemhat Ier, qui n'était pas de la lignée royale des Montouhotep, est arrivé au trône au détriment d'autres prétendants. Il semble en effet, que l'auteur de la prophétie avait l'intention d'avantager Amenemhat Ier. Pour ce faire, il recule de plusieurs siècles et se place au temps de Snéfrou c'est-à-dire au début de la IVe dynastie ; ce qui lui permet d'imaginer les faits sous forme de prédication afin de dépeindre Amenemhat Ier sous les traits d'un messie et amener le lecteur à l'identifier aux sauveurs annoncés dans les prophéties anciennes.566

Le second texte à tendance politique est l'Enseignement d'Amenemhat à son fils Sésostris. Ce texte est inscrit dans plusieurs papyrus dont, le Papyrus Millingen, les Papyrus Sallier au British Museum et le Papyrus Berlin 3019 ; dans un rouleau de cuivre au musée du Louvre, sur des tablettes de bois à Brooklyn et à travers de nombreux ostraca. Mais c'est le papyrus Millingen (désigné M) qui sert de base dans la plupart des traductions.567 Cet opuscule de 36 lignes est divisé en 15 versets qui, dans l'ensemble, correspondent aux divisions logiques de l'exposé.568

Après le titre (M 11-2), on lit un bref exorde dans lequel Amenemhat invite son fils à suivre ses conseils, afin d'avoir un règne heureux (M 12-3). Il lui recommande ainsi la défiance à l'égard des subordonnés et des proches (M 13-5), et il explique qu'on ne peut compter que sur soi-même, « car le jour critique, l'homme n'a pas de partisan » (M 15-6). Pour justifier ce pessimisme, le pharaon évoque son expérience personnelle : il a aidé le pauvre et l'orphelin et il n'a recueilli que l'ingratitude et l'hostilité (M 16-9). Se tournant alors vers ses successeurs sur le trône d'Egypte, il leur demande de se lamenter sur son triste sort

(M 19-11), puis il passe au récit de l'attentat dont il a été victime et qui a eu lieu un soir, alors

563 Ces malheurs, comme on l'a vu, évoquent l'anarchie qui frappa l'Egypte à la fin de la VIe dynastie et correspondent par conséquent, à ceux qu'Ipou-our a décrit dans les Admonitions.

564 On a déjà vu que ce Ameny a été identifié à Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie.

565 Posener G., op.cit., 1956, p.22 ; traduction intégrale du texte avec G. Lefebvre., op.cit, 1982, p.96-109

566 Id., Ibid., p.29

567 Id., Ibid, p.61-63; Lalouette Cl., op.cit. 1984, p.292.

568 Posener G., op.cit., 1956, p.63

126

que le souverain prenait son repos (M111-27-9). Ensuite le pharaon fait une description de sa carrière : il a visité Eléphantine et le Delta, restauré la prospérité de l'Egypte et rétabli l'ordre intérieur (M 29-31)569 ; il a subjugué les Nubiens et rendus les Asiatiques dociles comme des chiens (M 31-3). Le pharaon s'est construit une maison décorée de matières précieuses

(M 33-6). Les deux derniers versets sont obscurs, le pharaon parle à Sésostris et lui donne ses derniers conseils (M 36-12).570 A l'image de la Prophétie de Néferty, ce texte d'Amenemhat est un écrit politique qui s'inspire de l'époque précédente pour répondre à la conjoncture de son temps.571 En effet, les paroles désabusées du souverain et les conseils qu'il prodigue à son fils et successeur, impliquent l'existence de difficultés politiques auxquelles était confrontée la royauté. Et, s'inspirant de Khéti III sous la P.P.I., Amenemhat Ier allait détourner le genre « Enseignement » de son objet véritable pour apprendre à son fils à faire une politique réaliste afin de pouvoir maintenir la royauté. Une fois de plus celle-ci s'est servie de la littérature à des fins politiques. L'autre aspect important du texte d'Amenemhat est le fait que le souverain y apparaît comme un simple mortel et les sentiments qu'il exprime sont aussi humains.

En dehors de la Prophétie de Néferty et de l'Enseignement d'Amenemhat, le M.E. connaît d'autres écrits que l'on peut ranger dans le genre politique. C'est le cas des Enseignements loyaliste tel que celui de Séhétepibrê, un haut fonctionnaire de Sésostris III et d'Amenemhat III.572 Sous prétexte de composer un enseignement pour son fils (comme dans les enseignements classiques), l'auteur, un partisan de la monarchie, devait longuement s'appesantir sur le pouvoir et les bienfaits du pharaon, en disant par exemple que c'est lui « qui donne de quoi vivre à ceux qui le suivent, il est généreux pour celui qui adhère à son chemin, ses ennemis n'auront rien... ».573 C'est aussi l'influence de la politique sur la littérature, qui a entraîné l'apparition d'un genre nouveau, celui des hymnes royaux, qui ont pour but de proclamer sur le modèle poétique, les biens faits du souverain.574Sur un ensemble de papyrus retrouvé à Kahoun, on peut lire plusieurs hymnes à Amenemhat III et à Sésostris III.575 Ces hymnes, à l'image des enseignements loyalistes, sont des écrits qui prônent le respect absolu de pharaon et cherchent en même temps à remettre en valeur la théorie de son

569 Ce passage comme on l'a vu, se réfère à la restauration de l'administration provinciale qui avait été supprimée par les prédécesseurs d'Amenemhat Ier.

570 Id ., Ibid, p.63-64 ; Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.57-59

571 Diakhaby M., op.cit, 89-90, p.52

572 Posener G., op.cit., 1956, p.117 ; Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 747-748

573 Traduction de J. Pirenne., op.cit., 1962, p.102

574 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.42

575 Ibidem

127

pouvoir divin.576 Comme on le constate, le genre politique a connu un développement considérable au M.E. Toutefois, si bon nombre d'écrits du temps ont été inspirés par la propagande royale, il semble que certains étaient destinés à divertir le peuple et appartiennent ainsi à la littérature dite populaire.577 Ces écrits ont été, contrairement aux textes de propagandes royales, l'oeuvre des scribes écrivant librement.578 C'est le cas des contes merveilleux et des récits mythiques qui regroupent un nombre important d'écrits datant du M.E.

Parmi les contes les plus connus dans la littérature thébaine, on peut citer ceux du Papyrus Westcar. Ce document contient en son état actuel, quatre contes qui mettent en scènes les pharaons de la IVe dynastie.579 L'histoire se déroule dans la cour royale. C'est le pharaon Chéops qui, en proie à l'ennui, fait venir ses fils et les prie de le distraire, chacun par une histoire de son invention.580

Du premier des contes, il ne reste que la formule finale. Le nom de son auteur ainsi que son contenu sont ignorés. Le deuxième conte a été l'oeuvre du futur pharaon Khephren et il a trait à l'affaire du mari trompé. C'est la femme du prêtre-lecteur Oubaoné qui rejoint, chaque jour son amant dans un pavillon du jardin, averti de cette situation, Oubaoné fabrique un petit crocodile de cire sur lequel il lit une formule magique, il attend que l'amant vienne se baigner dans le lac, pour jeter vers lui le crocodile de cire; l'animal s'anime, grandit et le dévore.581

Le troisième conte, dû au prince Baoufrê ne manque ni de charme, ni de fraîcheur.582 C'est le récit d'un tour accompli par le prêtre-lecteur Djadjaemankh pour distraire le pharaon Snéfrou (père de Chéops). Sa prouesse était celle d'aller quérir, à pied sec, dans un lac, un bijou perdu par une des filles qui étaient entrain de ramer pour le plaisir de pharaon. Djadjaemankh va partager l'eau du lac en deux, placer l'une des moitiés sur l'autre, pour retrouver l'objet perdu.583

Le dernier conte devait être celui du prince Dedefhor. Mais ce dernier, au lieu d'inventer une histoire, préfère aller chercher le magicien Djédi (un voyant et un prestidigitateur habile), qu'il amène devant Chéops. Ce Djédi, après avoir accompli quelques

576 Daumas F ., op.cit., 1982, p.405

577 Pirenne J., op.cit., 1962, p.104

578 Id., Ibid, p.109

579 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.71 ; Lalouette Cl. op.cit., 1981, p.87 ; On retrouve la traduction intégrale du texte avec G. Lefebvre., op.cit., 1982, p.73-90

580 Lefebvre G., op.cit., 1982, p071

581 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.86-87

582 Lefebvre G ., op.cit., 1982, p.71

583 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.87

128

tours amusants, annonce à Chéops, l'avènement prochain des trois premiers souverains de la Ve dynastie.584 Nous avons déjà évoqué ce conte qui nous plonge dans les compétions dynastique de l'A.E.585

Ces contes, en dehors de leur aspect littéraire, reflètent une certaine image de pharaon, propre à l'opinion du M.E. qui, avait tendance à traiter le souverain d'Egypte comme un simple mortel. Pour ce faire, la littérature populaire va remonter à l'A.E., au plus fort moment de l'absolutisme royal, pour montrer que ces souverains de l'époque qui apparaissaient comme des dieux sur terre, n'étaient en réalité que de simples hommes. Ainsi, les Snéfrou, Chéops ou Khephren dont les gigantesques pyramides étaient encore là pour montrer leur caractère surnaturel, vont être traités avec une familiarité très peu adéquate à la divinité à laquelle ils prétendaient. La plupart des histoires racontées dans les contes, ont été dites pour divertir des pharaons qui étaient en manque de divertissement comme cela peut arriver à n'importe quel être humain. Et quelques fois, on prête à ces pharaons, des attitudes qui sont proches du ridicule. C'est ainsi que dans le quatrième conte du papyrus Westcar, le pharaon Chéops, ayant appris que le Magicien Djédi savait remettre en place une tête coupée, lui demande de faire l'expérience sur un humain. Mais le magicien va refuser d'obtempérer à cet ordre royal en signifiant au pharaon qu'il n'est pas recommandé de faire pareille chose à l'homme586. Et l'expérience allait avoir lieu sur des animaux. On voit ici que le souverain est présenté comme quelqu'un d'insouciant de la dignité humaine et il reçoit une leçon de morale de la part de ses sujets.

Le dernier écrit que l'on va examiner et qui appartient à la littérature populaire est le Conte du Naufragé appelé aussi l'Ile du serpent587. Ce conte qui peut être rangé dans le genre épique, est connu par un manuscrit du M.E., trouvé au Musée de l'Ermitage à Leningrad588. Dans ce texte aussi, c'est la situation d'un prince qui est mise en scène et qui sert de prétexte à l'auteur pour entrer dans le récit de son aventure. Le prince en question, comme nous l'avons vu auparavant, pourrait être un corégent donc un pharaon. Ce dernier, avait échoué dans une mission navale qu'il a conduite en Nubie et il a pris peur à l'idée qu'il doit rendre compte au pharaon. Pour le tranquilliser, un compagnon qui faisait partie de son équipage s'adresse à lui en lui disant : « Sois tranquille prince. Nous voici arrivés au

584 Id., Ibid, p.87-88

585 Pour les détails de la venue des souverains de la Ve dynastie (Cf., supra, Deuxième partie, chap. II, A)

586 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.83

587 Il a été traduit par G. Lefebvre., op.cit., 1982, p.32 à 40

588 Id., Ibid, p. 31 L'unique Manuscrit en question est le papyrus 1115 du Musée de l'Ermitage. Le texte, en parfaite conservation, mesure 3m. 80 de long ; il renferme 189 lignes, dont 136 verticales et 53 horizontales.

129

pays ...On rend grâce, on glorifie Dieu...Ecoute-moi prince, met de l'eau sur tes doigts, de sorte que tu puisses répondre quand on s'adresse à toi. Parle au roi en pleine possession de toi-même et réponds sans balbutier... ». Ensuite, il lui fait le récit d'une situation similaire qu'il aurait vécue personnellement. C'est au cours d'une mission qui les conduisait vers les mines du Sinaï ; alors qu'ils traversaient la Mer Rouge, leur navire fait naufrage et tout l'équipage périt à l'exception du naufragé. Il va atterrir dans une île merveilleuse dont le maître, un serpent, le reçoit amicalement et le renvoie ensuite chez lui, comblé de dons. De retour en Egypte, le pharaon lui fait bon accueil et l'élève à la dignité de Compagnon.589 Ce conte, écrit en un langage classique, constitue un texte remarquable de la littérature égyptienne.590 Mais au delà de cette qualité littéraire, on peut le ranger dans la catégories de certains écrits du M.E., qui se montrèrent assez critiques par rapport à la divinité de pharaon. En effet, le fait de prêter à pharaon des attitudes aussi humaines que la peur, revient à le rabaisser au niveau de ses sujets et à ridiculiser parfois son caractère divin. Comment un pharaon qui apparaissait comme un être doté d'une essence supra humaine, peut avoir peur ou bien paniquer devant certaines situations ? Nous avons vu que ce fut le cas avec Chéops à l'annonce de la venue de la Ve dynastie ; c'est aussi le cas d'Amenemhat Ier lorsqu'il a été victime d'une tentative de coups d'Etat. Ces exemples montrent bien que la conception que les Egyptiens du M.E. se faisaient de pharaon est loin de celle de leurs prédécesseurs de l'époque memphite. Le pharaon du M.E. continuait certes d'incarner le pouvoir divin sur terre, mais son caractère divin avait sensiblement évolué vers une nature beaucoup plus humaine.

L'autre aspect important du Conte du Naufragé, se trouve dans le fait qu'il a permis à l'auteur de faire un tableau réaliste de la vie des marins de cette époque et de la navigation en Mer Rouge.

Au terme de cette synthèse des principaux genres littéraires du M.E., il apparaît que dans son ensemble, l'époque thébaine a été une période riche en production littéraire. De par la variété et l'abondance de ses thèmes, la littérature du M.E. montre qu'il y a eu une nette évolution dans la pensée, depuis la fin de l'A.E. Une évolution qui a été favorisée par l'émergence d'un esprit nouveau, pendant la crise de la P.P.I.

589 Id., Ibid, p. 29

590 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.107

130

CONCLUSION GENERALE

Au terme de ce travail de recherches, consacré à la crise de la P.P.I., il convient d'apporter un certain nombre de réponses aux questions que nous nous sommes posées au départ.

Il est en effet établi, qu'au cours de la période dite A.E., la civilisation égyptienne a connu une phase de gloire qui est éternisée par les pyramides. Cependant, après près de plusieurs siècles de stabilité, l'A.E devait sombrer dans une crise politique et sociale vers la fin de la VIe dynastie, particulièrement après le règne de Pépi II. Cette crise connue sous le terme de P.P.I., devait perdurer jusqu'à l'avènement du M.E. aux environs de -2050. Elle débuta par une phase violente au cours de laquelle l'Egypte allait traverser une situation particulièrement difficile. En effet, après avoir été victime d'une invasion Bédouine dans sa partie orientale, l'Etat pharaonique allait faire face à un soulèvement intérieur de la part des masses populaires. Ses dernières ayant comme cibles, l'Etat et ses agents, devaient s'en prendre aux symboles des institutions monarchiques et aux classes privilégiées considérées comme étant responsables de leur misère. Ces actions du peuple contre l'Etat et ses symboles eurent comme résultat, un effondrement du système monarchique et un bouleversement total de l'ordre établi. Une analyse de ces événements et des différents protagonistes, nous a permis d'arriver à la conclusion que contrairement à ce que pensent certains historiens, le soulèvement qui a causé la ruine de l'Etat memphite n'a pas été une révolution mais plutôt une révolte contre l'institution royale.

A la suite de ces événements violents, la monarchie pharaonique devait réussir à renaître avec la VIIIe dynastie, dans le lieu même où on avait procédé à sa mise à mort, à savoir Memphis. Cependant, le royaume des Deux-Terres devait mettre du temps pour recouvrir le contenu de cette appellation qui renvoie à l'union de la Haute et de la Basse Egypte sous l'autorité d'un seul maître. En effet, tout en se réclamant de l'héritage de la monarchie défunte, la VIIIe dynastie disposait d'une autorité qui dépassait à peine le pourtour de la région memphite. Face à cette carence d'autorité, les princes locaux, d'abord ceux d'Héracléopolis (IXe et Xe dynasties) ensuite ceux de Thèbes (XIe dynastie), vont usurper la dignité royale. La VIIIe dynastie, basée à Memphis, devait finir par disparaître et l'Egypte allait se retrouver dans une situation identique à celle qui la caractérisait avant la naissance de la monarchie : c'est-à-dire un royaume au Nord avec les héracléopolitains et un autre au

131

Sud avec les thébains. Une guerre interne allait opposer ces deux royaumes qui ambitionnaient tous de réunifier l'Egypte à l'image de ce qu'elle fut à l'A.E. Cette guerre interne ne prit fin qu'au moment où les thébains réussirent à venir à bout de leurs rivaux et réunifier le pays à nouveau : c'est le début du M.E. situé vers -.2050.

La carence du pouvoir royale au cours de la P.P.I. s'était traduite au plan culturel, par une certaine régression au niveau de la production des oeuvres d'art ainsi que de leur qualité. Cette situation s'explique en grande partie par le fait que le centralisme monarchique à l'A.E, était tel que les activités d'art avaient été complètement contrôlées par l'Etat. L'effritement de ce dernier avait eu par conséquent des répercussions sur la production artistique.

L'autre caractéristique et non des moindres de cette période intermédiaire a été la crise de conscience qui se reflète à travers la littérature de cette époque de crise. En effet, l'écroulement d'un ordre politique et social qui apparaissait jusqu'ici comme étant immuable, allait entraîner l'émergence d'une nouvelle vision du monde. De ce fait, la P.P.I., tout en étant une période d'effondrement des valeurs anciennes, fut en même temps une époque riche en ce qui concerne le développement de nouvelles idées. Et, lorsque la monarchie se reconstitua par la suite, elle devait bénéficier de cet esprit nouvel qui est né au cours de la crise.

Après avoir décrit ce que fut la P.P.I. dans ses différentes facettes, nous nous sommes intéressés à la situation dont l'évolution devait conduire à cette crise de fin d'époque que fut la P.P.I. C'est l'objet de notre deuxième partie. Certes, comme l'a affirmé J. Vercoutter : « le problème de la disparition des civilisations est par bien des aspects, aussi mystérieux que celui de la mort des individus » (Vercoutter J., op.cit., 2003, p.115), mais c'est justement le rôle de l'historien que de chercher à reconstituer à partir des traces laissées par ces civilisations disparues, les éléments explicatifs de leur déclin. Ainsi, la question des causes de la crise nous a conduit à étudier l'évolution du système monarchique sous l'A.E. En effet, si durant cette période dite des pyramides, l'Egypte parvint à atteindre un haut niveau de civilisation, c'est parce qu'elle s'était dotée d'un système politique capable de mobiliser les énergies pour une cause commune. Autrement dit il y avait en place une monarchie fortement centralisée autour de pharaon. Mais ce système centralisé contenait en son sein, les germes mêmes de sa destruction, en ce sens qu'elle avait été instituée sur les bases de la négation de tout pouvoir à tendance personnelle. Cela dans un contexte où les anciennes aristocraties terriennes, politiques ou cléricales, représentées par les nomarques, prônaient un système décentralisé. La lutte politique qui opposa les deux tendances allait, dans un premier temps,

132

être à l'avantage du pouvoir central qui réussit à instituer un système absolutiste au sein de la monarchie (c'est notamment sous les IIIe et IVe dynasties). Mais à partir de la Ve dynastie, les choses allaient prendre une nouvelle tournure par la faveur des changements politico-idéologiques qui ont accompagné l'avènement de cette dynastie. En fait, l'orientation cléricale prise par les pharaons de cette dynastie allait transformer la monarchie en une théocratie. Et à partir de ce moment, les nomarques allaient se voir confier, en plus de leurs charges civiles, des charges sacerdotales pourvues d'importants bénéfices. Cette situation allait permettre à ces derniers, de renforcer leurs pouvoirs au niveau local et d'évoluer vers une autonomie vis-à-vis de Memphis. Dés lors, allait s'ouvrir un processus d'affaiblissement du pouvoir royal, le quel processus devait aboutir vers la fin de la VIe dynastie, à affaiblir la royauté et cela en dépit des mesures prises par cette dernière pour contrer la tendance autonomiste des nomarques.

La monarchie qui s'était ainsi affaiblie par l'opposition des nomarques allait, à la fin du règne de Pépi II, être confronté à deux autres problèmes ; il s'agit de la crise du trésor et des difficultés d'adaptations à la modification des conditions climatiques intervenues durant cette période. La misère qui va s'abattre sur les masses populaires, du fait de ces difficultés, allait être un élément déterminant dans la révolte du peuple contre l'institution monarchique. C'est dire que les causes de la crise qui a provoqué l'effondrement de l'A.E., sont à chercher dans l'affaiblissement de la monarchie du fait de l'opposition des nomarques. Cette situation avait non seulement aggravé les difficultés financières mais elle a aussi rendu l'Egypte vulnérable face à la dégradation des conditions climatiques.

La crise de la P.P.I., après avoir perdurée pendant près de deux siècles, allait prendre fin pour laisser la place à une autre époque politiquement stable et culturellement riche : c'est le M.E.

L'Egypte devint à nouveau un pays uni et la monarchie allait se reconstituer sous sa forme de l'A.E. Toutefois le pays venait de traverser une longue période de crise au cours de laquelle, il a connu de gaves problèmes que furent entres autres, la disparition de la royauté, la guerre civile, l'invasion étrangère etc. Toute cette situation devait profondément marquer la conception que les Egyptiens se faisaient de leur civilisation. De ce fait, malgré le retour de la monarchie les choses ne devraient plus évoluer comme dans l'ancienne société. C'est ainsi que sur le plan politique, l'institution royale allait être de retour telle qu'elle se présentait à l'A.E. Mais derrière ce retour, se trouvaient de profonds changements. En effet, la crise avait fini par révéler que malgré le caractère divin dont elle se prévalait, l'institution

133

royale n'avait pas pu éviter à l'Egypte de tomber dans la décadence. Et, au cours de cette crise, cette institution a subi de pires épreuves. Après avoir été destituée par le peuple, la royauté allait passer entre les mains des princes locaux qui s'affrontèrent autour de ses restes. Toute cette situation allait peser sur la nouvelle institution royale qui s'est reconstituée au M.E. Celle-ci, tout en continuant à apparaître comme un pouvoir de nature divine, devait évoluer vers une tendance beaucoup plus humaine. Les nouveaux pharaons ayant compris que la doctrine de royauté divine avait beaucoup perdu de sa valeur, allaient user des moyens d'action telle que la politique, pour asseoir leur pouvoir. En outre, tirant les leçons du processus politique qui a causé la fin de l'A.E., ces souverains allaient tout faire pour éviter que le pouvoir des chefs locaux ne puisse nuire au caractère centralisé de l'Etat égyptien.

A l'image de l'institution monarchique, la religion funéraire allait elle aussi connaître des évolutions notables. A ce niveau aussi, la crise avait révélé que cette religion funéraire, telle que la concevait l'ancienne société, ne présentait pas des garanties certaines pour assurer la survie éternelle à l'homme. Ce n'était pas le fait de se doter d'une sépulture ou de bénéficier d'un rituel funéraire qui pouvait assurer la survie de l'homme à l'au-delà mais c'était plutôt ses actions sur terre. Dès lors l'inégalité des Egyptiens devant la mort, qui faisait que seuls les privilégiés avaient les moyens de s'assurer une survie dans l'au-delà, allait disparaître permettant en même temps le développement de la religion osirienne.

Au plan culturel, on va assister au M.E, à une renaissance au niveau de l'art et de la littérature. Cette situation aussi trouve ses explications dans la crise de la P.P.I. Au plan artistique, il y a le fait que l'art égyptien avait toujours vécu sous la coupole de la monarchie qui était, à la base de toutes les productions. Cependant la disparition de celle-ci au cours de la P.P.I avait permis une certaine diversification des écoles d'art. De ce fait, pendant la période de crise, même si l'art avait connu une régression, il avait commencé à connaître une certaine diversification. Au niveau de la littérature aussi, la P.P.I., avait été une période très riche dans l'éclosion de nouvelles idées. Cela du fait que le bouleversement de la civilisation avait provoqué une crise des consciences qui a poussé les Egyptiens de l'époque à méditer sur leur sort. Il y a eu alors un développement de la pensée littéraire qui se caractérisa par une certaine liberté d'esprit. Ainsi, lorsque le M.E arrive, il va hériter de cette évolution notée dans l'art et la littérature.

La P.P.I. a été ainsi, une période de crise certes, mais elle a occupé une place importante dans le renouveau que va connaître la civilisation Egyptienne au cours du M.E.

134

BIBLIOGRAPHIE

Sources

1. Breasted J.H., Ancient records of Egypt. Historical documents, from the

earliest times to the persan conquest, Part I, Chicago, 1988 ( I ère editions
1906)

2. Hérodote., Histoire, Livre II, texte établi et traduit par PH. E. Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1948

3. Lalouette C., Textes sacrés textes profanes de l'Egypte ancienne, des pharaons et des hommes, Paris, Gallimard, 1984

4. Lefebvre G., Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique, Paris, Maisonneuve, 1982

5. Roccati A., La littérature historique sous l'Ancien empire égyptien, Paris, Cerf, 1982

Instruments de travail

1. Encyclopedia of Archaeology of Ancient Egypt (Compiled and edited by Bard K.A), London and New York, Routledge, 1999

2. Dictionnaire de l'Egypte ancienne, Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1998

3. Le grand atlas de l'Egypte ancienne, Paris, Edition Atlas, 1998

4. Le grand Robert de la langue française, Tome III, Paris, 1985

5. Faulkner (R.O)., A concise dictionary of Middle Egyptian, Oxford, Griffith Institute, 1996 (première edition 1962)

6. Gardiner A., Egyptian Grammar, Oxford, Griffith Institute, Ashmolean Museum, 1978( première edition 1927)

7. Posener G., Sauneron S., Yoyotte J., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Fernand Hazan, 1992

8. Rachet G., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Larousse, 1998

9. Rosalie and David A.E., A biographical dictionary of Ancient Egypt, London, Routledge, 2000

135

10. Vernus P., Yoyotte J., Dictionnaire des pharaons, Paris, Noeêsis, 1998

Ouvrages généraux

.

1. Arkell AJ., A History of the Sudan from the earliest time to 1821, Universty of

London, The Athlone Press, 1961

2. Aufrère S., Pharaons d'Egypte. Condensé des Annales royales et listes exhaustives des souverains de Haute et Basse Egypte, Paris, Errance, 1997

3. Id, Golvin J.C et Goyon J.C., L'Egypte restituée. Tome I : Sites et temples de la Haute Egypte de l'apogée de la civilisation pharaonique à l'époque gréco-romaine, Paris, Edition Errance, 1999

4. Bohême M.A. Forgeau A., Pharaon. Les secrets du pouvoir, Paris, Armand Colin, 1998

5. Bohême M.A., L'Art égyptien, « Que-sais-je » ? Paris P.U.F., 1996

6. Cornevin M., Archéologie africaine, Paris, Maisonneuve et Larose, 1993

7. Daumas F., La civilisation de l'Egypte pharaonique, Paris Arthaud, 1982 Id.,

8. Diop C.A., Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, Paris, Présence Africaine, 1981

9. Id., Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ? Paris, Présence Africaine, 1967

10. Drioton E Du Bourguet P., Les pharaons à la conquête de l'art, Paris, Desclée du Brouwer, 1965

11. Drioton E Vandier J., L'Egypte des origines à la conquête d'Alexandre, Paris, P.U.F., 1984

12. Erman A Ranke H., La civilisation égyptienne, (Traduction française de Charles Mathien) Paris, Payot, 1976

13. Gardiner A., Egypt of the pharaohs, London, Oxford Universty Press, 1979 (première edition 1967)

14. Grimal N., L'Histoire de l'Egypte ancienne, Paris, Fayard, 1988

15. Lalouette Cl., Thèbes ou la naissance d'un empire, Paris, Fayard, 1986

16. Id., L'empire des Ramsès, Paris, Fayard, 1985

17.

136

Id., La littérature égyptienne, « Que- sais-je » ? Paris, P.U.F., 1981

18. Id., L'art égyptien, « Que- sais-j »e ? Paris, P.U.F., 1981

19. Margueron J.-C, Pfirsch L., Le Proche- Orient et l'Egypte antique, Paris, Hachette, 2005

20. Moret A., Histoire de l'Orient, T1, Préhistoire IVe et IIIe millénaire, Paris, PUF, 1941

21. Id., « L'Egypte pharaonique », in, Histoire de la nation égyptienne, Tome II, Paris, Plon, 1932

22. Id., Le Nil et la civilisation égyptienne, Paris, la Renaissance du livre, 1926

23. Muck O., Chéops et la grande pyramide ; l'apogée de l'Ancien empire d'Egypte ; traduit de l'Allemand par Remy G., Paris, Payot, 1978

24. Obenga Th., La philosophie africaine de l'Egypte pharaonique, 2780-330 avant notre ère, Paris, Harmattan ,1990

25. Pirenne J., Histoire de la civilisation de l'Egypte ancienne, Tome II, Neuchâtel, Edition de la Baconnière, 1962

26. Id., op.cit., Tome I, 1961

27. Id., Les grands courants de l'histoire universelle, Tome I: Des origines à l'islam, La Baconnière, Neuchatel, 1959

28. Id., Histoire des institutions et du droit privé de l'ancienne Egypte, Tome III: La VIe dynastie et le démembrement de l'empire, Edition de la fondation égyptologique Reine Elisabeth, Bruxelles, 1935

29. Posener G., Littérature et politique dans l'Egypte de la XIIe dynastie, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, 1956

30. Rognon P., Biographie d'un désert, Paris, Plon, 1989

31. Sall B., Racines éthiopienne de l'Egypte ancienne, Paris, l'Harmattan / Khepera, 1999

32. Sauneron S., Les prêtres de l'ancienne Egypte, Paris, Editions du Seuil, 1957

33. Somet Y., L'Afrique dans la philosophie. Introduction à la philosophie africaine pharaonique, Paris, KHEPERA, 2005

34. Vandier J., Manuel d'archéologie égyptienne. Les grandes époques. Tome III : La statuaire, Paris édition A. Et J. Picard et Cie, 1958

35. Id., op.cit., Tome II : L'architecture religieuse civile, 1955

36. Id., op.cit., Tome II : L'architecture funéraire, 1954

37. Vercoutter J., L'Egypte ancienne. « Que sais je » ? Paris, P.U.F., 2003

38.

137

Id., L'Egypte et la vallée du Nil, Tome I : des origines à la fin de l'Ancien empire, Paris, P.U.F., 1992

39. Wildung D., L'Age d'or de l'Egypte : le Moyen empire, Fribourg, Office du Livre S.A., 1984

40. Woldering I., Egypt: l'art des pharaons, traduit de l'allemand par Louise Servicen, Paris Albin Michel, 1963

41. Wolf W., Le monde des Egyptiens (texte traduit de Jaques Boitel), Paris, Corea (Buchet/ Chastel), 1955

Articles

1. Abu Bakr A., « L'Egypte pharaonique », in, Mokhtar G. (dir.), Histoire Générale de l'Afrique (H.G.A), Tome II, Afrique ancienne, Jeune Afrique/ Stock / Unesco, 1980, p.73 à 106

2. Adam Sh. avec le concours de J. Vercoutter « La Nubie, trait d'union entre l'Afrique Centrale et la Méditerranée, facteur géographique de civilisations », in, Mokhtar G. (dir.), op.cit., 1980, p. 239 à 258.

3. Callender G., « Middle Kingdom »,in, Show I., (editor), The Oxford History of Ancient Egypt, Oxford University Press., 2000, p.148 à 183

4. Malek J., «The Old Kingdom», in, Shaw I., op.cit., 2000, P. 89 à 117

5. Sall B., « Les luttes politiques dans l'Ancien empire égyptien », in, Notes africaines no 173, I F A N, 1982, p.10 à 14

6. Id., « Les luttes politiques en Egypte », in, Afrika Zamani, no 14-15, 1984, p. 21 à 31

7. Id. « L'image memphite des Nubio-soudanais. Une lecture historique », in, ANKH, Revue d'égyptologie et des civilisations africaines, n° 8 / 9, 1999-2000, p.31 à 44

8. Id., « HERKHOUF et le pays de Yam », in, ANKH, op.cit., no 4-5, 1995, P. 57 à 70

9. Id., « Egypte et Koush (aux origines de l'hostilité) », in, Revue Sénégalaise d'histoire, Nouvelle série, n°4-5, 1999-2000, p.27 à 39

10. Id., « Amon, heka pesedjet », extrait du Bulletin de l'I F A N ch. A. Diop, Dakar, Tome 51, sér. B, no 1-2, 2001, p. 11à35

11.

138

Seidlmayer S., « The First Intermediate Period », in, Shaw I, op. cit., 2000, p. 118 à 147

12. Vercoutter J., «L'iconographie du Noir dans l'Egypte ancienne. Des origines à la XXVe dynastie », in, Vercoutter J., Leclan J., Snowden J R., Desanges J., L'image du noir dans l'art occidental, Tome I : Des pharaons à la chute de l'empire Romain, Paris, Gallimard, 1991, p.33 à 88

Mémoires et Thèses

1. Diakhaby M., La XIIe dynastie: Essai de Synthèse, mémoire de maîtrise, U.C.A.D, F.L.S.H., 1989-1990

2. Ndiaye L., Recherches sur les attaches éthiopiennes du dieu Amon, mémoire de maîtrise, U.C.A.D., F.L.S.H., 2001-2002

3. Sall B., Amon de Koush. Recherches sur l'iconographie et les titres du dieu Amon dans les centres religieux du royaume de Koush : milieu du VIIIe siècle avant J.G.- milieu du IVe siècle après J.G., Thèse de doctorat de 3e cycle, Paris IV, 1981

4. Séne Kh., Etude de l'évolution des luttes politiques en Egypte sous l'Ancien empire, mémoire de maîtrise, U.C.A.D., F.L.S.H., 2002-2003

5. Id., La crise financière de Memphis et l'option nubio-soudanaise de l'Ancien empire, mémoire de D.E.A., 2003-2004

139

Tables des matières

Introduction générale ..

..2

Première Partie : Présentation générale de l'Egypte sous la crise de la Première Période Intermédiaire ......8

Chapitre I : Les bouleversements socio-politiques de la fin de l'Ancien empire....9

A-

Le cadre chronologique de la Première Période

Intermédiaire 9

B- La phase violente de la crise ..15

Chapitre II : l'Effondrement de la civilisation........24

A- Désagrégation du territoire et de la monarchie 24

B- Régression de l'art 31

C- Eveil d'une nouvelle conscience 34

Deuxième Partie : La crise 43

Chapitre I : Le contexte . 44

A-

L'avènement de la Ve dynastie et ses conséquences 44

B- Le processus d'affaiblissement de la royauté ..51

C- La réaction pharaonique et ses limites 56

Chapitre II : Les facteurs générateurs dans l'éclatement de la violence...63

A- Faiblesse des institutions .63

B- La crise du trésor ....72

C- Les effets des changements climatiques 76

Troisième Partie : Les conséquences...81

Chapitre I : Au plan politique et religieux...82

A-

140

Evolution du concept de royauté divine 82

B- Changement d'orientation politico-idéologique .90

C- Evolution des croyances funéraires ..100

Chapitre II : Renouveau culturel 105

A- L'art .105

B- La littérature .112

Conclusion 122

BIBLIOGRAPHIE . 126






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway