1
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE
DAKAR
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DEPARTEMENT
D'HISTOIRE
RECHERCHES SUR LES MANIFESTATIONS,
CAUSES ET CONSEQUENCES DE LA CRISE
DE LA PREMIERE PERIODE
INTERMEDIAIRE
THEME
Présenté par
Mamadou Lamine Sané
Sous la direction du
Année Académique
2006-2007
Professeur Babacar Sall
DEDICACES
2
Je DéDIe Ce MéMOIRe À MA MèRe eT
À
TOUs CeUX QUI sONT ARRAChés À
NOTRe AffeCTION PAR le TOUT
PUIssANT.
3
REMERCIEMENTS
Nous remercions Allah de nous avoir donné la
capacité et la force de réaliser ce
travail.
Nous remercions nos chers parents (notre père, nos tantes
ainsi que nos frères et soeurs).
Nos remerciements vont également à notre directeur
de mémoire et à tous les enseignants qui ont participé
à notre formation.
A nos amis du département d'histoire et à ceux de
l'amicale des étudiants de la communauté rurale de Bona.
A tous ceux qui nous ont assistés par leur soutien moral
ou matériel.
4
Liste des
abréviations
o A.E. : Ancien empire.
o F.L.S.H. : Faculté des Lettres et
Sciences Humaines.
o H.G.A. : Histoire Générale de
L'Afrique
o I.F.AN. : Institut Fondamental d'Afrique
Noire.
o M.E. : Moyen empire.
o P.P.I. : Première Période
Intermédiaire.
o P.U.F. : Presse Universitaire de
France.
o U.C.A.D : Université Cheikh Anta
DIOP.
5
PLAN
Introduction générale
..................
|
.. .
|
Première Partie :
Présentation générale de l'Egypte sous la
crise de la Première Période Intermédiaire
......
Chapitre I : Les bouleversements socio-politiques de la
fin de
l'Ancien empire ..
Chapitre II : l'Effondrement de la
civilisation .....
Deuxième Partie : La crise
...............................
Chapitre I : Le contexte
Chapitre II : Les facteurs
générateurs dans l'éclatement de la
violence.
Troisième Partie : Les
conséquences
|
..
|
Chapitre I : Au plan politique et religieux Chapitre
II : Renouveau culturel
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE .s..s.
6
INTRODUCTION GENERALE
L'histoire de la civilisation pharaonique concerne les
époques les plus reculées de l'histoire des hommes. De ce point
de vue, son étude permet d'éclaircir des questions aussi
importantes que par exemple la formation de l'Etat, la naissance de la
religion, des arts et des sciences.
Il est en effet établi que c'est aux environs de -3200
qu'un souverain du nom de Narmer (le légendaire Menés des Grecs)
opère l'union des Deux-Terres (La Haute et la Basse Egypte) sous
l'autorité d'un maître unique (Cl. Lalouette., L'empire des
Ramsès, Paris Fayard, 1985, p.12 ; M. A. Bohème., L'art
égyptien, Paris P.U.F., 1992, p.44). Avec cette unification,
s'ouvre l'histoire d'un Etat qui continue encore de fasciner les historiens. En
effet, de sa formation vers la fin du IVe millénaire à
sa réduction en une simple province de l'empire romain, vers -30, la
monarchie pharaonique va traverser plus de 30 siècles d'existence et
devient du coup, dans l'histoire de l'humanité, l'Etat qui a
gardé le plus longtemps une structure et des instituions
cohérentes. Ceci pour dire que l'Etat des pharaons n'est pas seulement
intéressent par son antiquité mais elle l'est aussi par sa
continuité. Comment un Etat, constitué à cette haute
antiquité, a pu se maintenir à travers des dizaines de
siècles, en conservant sa forme et ses structures? Examiner les aspects
liés à cette question revient à étudier
l'évolution de la civilisation égyptienne, dans ses
différentes phases de composition et de recomposition.
Comme l'a affirmé J. Vercoutter, « Au cours de
ses 4000 ans d'histoire, [l'Egypte] a éprouvé toutes les
vicissitudes qui peuvent s'abattre sur une société humaine :
guerres civiles, anarchie, famines, invasions étrangères,
querelles religieuses, rien ne lui a été épargné.
Elle a tout connu... » (J. Vercoutter., l'Egypte ancienne,
Paris, P.U.F, 2003, p.9). Ce texte de J. Vercoutter laisse apparaître une
situation : c'est le fait qu'à côté des périodes
fastes qui ont vu la civilisation égyptienne s'épanouir, il y a
eu des époques de crise. Autrement dit, derrière cette
continuité exceptionnelle qui caractérise cette civilisation, il
y a eu des alternances de périodes stables et des époques de
crise.
C'est partant de ce constat, que l'égyptologie moderne
va diviser l'histoire de l'Egypte entre les phases appelées «
empires » et les « périodes intermédiaires ». Les
empires correspondant à des périodes stables, où toute la
basse vallée du Nil est soumise à l'autorité d'un
souverain unique, qui garantit l'ordre et la prospérité à
son peuple. En revanche, les périodes intermédiaires sont des
périodes de crise pendant lesquelles l'Egypte se trouve
7
morcelée en royaumes pratiquement indépendants
et rivaux, faisant en même temps face à un appauvrissement
économique et à des invasions étrangères (G.
Posener, S. Sauneron et J. Yoyotte., Dictionnaire de la civilisation
égyptienne, Paris, Fernand Hazan, 1992, p.135 ; Bohème M.A.,
Forgeau A., Pharaon. Les secrets du pouvoir, Paris, Armand Colin,
1998, p.43).
Suivant cette division, nous nous sommes
intéressés à la crise qui a marqué la
période dite Première Période Intermédiaire et qui
fait suite à l'Ancien empire.
En effet, au cours de ses différentes phases
d'accomplissement, la civilisation égyptienne a connu une
première brillante période appelée Ancien empire (A.E. en
abrégé) (B. Sall., « Les luttes politiques dans l'Ancien
empire égyptien », in, Notes africaines, no 173, I.F.A.N.,
1982, p.10). Cette période qui correspond aux IIIe,
IVe,Ve et VIe dynasties, est datée
d'entre -2778 à -2423 ( E. Drioton J. Vandier., L'Egypte des
origines à la conquête d'Alexandre, Paris, P.U.F., 1984,
p.167) ou bien de -2700 à -2190 ( N. Grimal., Histoire de l'Egypte
ancienne, Paris, Fayard, 1988, p.108). Ce fut une période qui avait
vu la monarchie, instituée à l'époque thinite (I
ère et IIe dynasties), atteindre son apogée
avec une organisation étatique perfectionnée, contrôlant
les biens et les hommes du pays et capable d'assurer la sécurité
des frontières comme l'approvisionnement en produits extérieurs.
Sous l'A.E., la monarchie a su développer un système
politico-idéologique qui a regroupé tous les pouvoirs aux mains
du pharaon. Ce dernier devait être à la tête d'une
administration fortement centralisée avec des fonctionnaires à
qui, il déléguait ses pouvoirs. Grâce à ce
système, l'Egypte allait connaître une période de
stabilité, de prospérité économique et de
développement culturel pendant plusieurs siècles. L'une des
marques les plus visibles de la grandeur de la civilisation égyptienne
à cette époque dite A.E, est la construction de ces gigantesques
complexes funéraires que sont les pyramides. D'où le terme
d'époque des pyramides employé aussi pour désigner cette
période.
Cependant, après avoir traversé plusieurs
siècles de paix sociale, d'unité politique et de
prospérité, l'A.E. va connaître une fin difficile,
marquée par un bouleversement politique et social de grande envergure
(Cf., B .Sall., op.cit., 1982, p.10). Ces événements qui
intervinrent vers la fin de la VIe dynastie, devaient marquer en
même temps les débuts d'une période sombre de la
civilisation égyptienne. Celle-ci va perdurer jusqu'aux environs de
-2050, c'est-à-dire à l'avènement du Moyen empire (M.E. en
abrégé), considéré comme la seconde période
faste de la civilisation égyptienne. C'est donc cette période
sombre qui sépare l'Ancien du Moyen empire que les égyptologues
ont désigné sous le terme de « Première
Période Intermédiaire » (P.P.I. en abrégé) (N.
Grimal., op.cit., 1988, p.172).
8
La P.P.I. est une période de crise politique et sociale
qui a vu la monarchie pharaonique sombrer dans l'anarchie. Pendant près
de deux siècles l'Egypte allait être privée de sa
royauté qui, comme on l'a évoqué tantôt, a
été la garante de l'ordre social, de la prospérité
économique et de la sécurité de ses frontières. Le
Delta oriental allait être sous occupation étrangère et le
pays devait se morceler en entités politiquement indépendantes et
rivales. Aussi, les traces des grands édifices comme les pyramides (qui
sont les témoins les plus visibles de la grandeur de la civilisation
égyptienne à l'A.E.) sont absentes durant cette époque.
Il apparaît ainsi, que cette phase de l'histoire
égyptienne dite P.P.I., a été une époque
politiquement et culturellement décadente par rapport à l'Ancien
et au Moyen empire.
C'est par rapport à cette situation de décadence
entre deux des périodes considérées comme étant les
plus achevées de la civilisation égyptienne, que l'étude
portant sur la P.P.I., nous semble importante.
En suivant l'évolution historique de l'Egypte entre
l'Ancien et le Moyen empire, un certain nombre d'interrogations nous sont
venues à l'esprit.
Qu'est ce qui peut expliquer qu'un Etat aussi puissant que
celui de l'A.E., sous lequel la civilisation égyptienne allait
connaître une brillante période, puisse, à un certain
moment donné de son évolution, décliner pour s'effondrer
ensuite?
Comment est intervenue cette situation d'effondrement et
comment elle s'est manifestée?
Etant donné que la situation de déclin a
été momentanée, quels effets a-t-elle eu sur la monarchie
qui s'est reconstituée par la suite ?
Telles sont les interrogations auxquelles notre présent
travail tente d'apporter des réponses. En effet, répondre
à ces questions, revient non seulement à étudier la P.P.I.
en tant qu'époque historique comme l'Ancien ou le Moyen empire, mais
c'est aussi revoir le processus qui conduit a la crise de la fin de l'A.E et
son impacte sur l'évolution de la civilisation de l'Egypte
pharaonique.
Les raisons qui nous ont poussé à faire une
telle étude sont de divers ordres.
Il y a le fait que depuis très longtemps, nous nous
sommes intéressés à des études portant sur les
civilisations anciennes. Etant étudiant, faisant ses premiers pas dans
la recherche, nous avons opté pour la civilisation égyptienne
notamment son évolution au plan politique. Par rapport à cela,
certaines études telles que celles de B. Sall (« Les luttes
politiques dans l'Ancien empire égyptien », in, op.cit.,
1982), portant sur l'évolution politique à l'A.E., nous ont
montré que cette période, rendue célèbre par ses
pyramides, a été
9
une époque riche en activités politiques. Or, il
se trouve que la P.P.I., en tant que période de crise politique, a
été un résultat de l'évolution du système
monarchique à l'époque précédente
(c'est-à-dire à l'A.E.). Nous nous sommes dit qu'il est par
conséquent possible de faire une étude sur cette période
dite P.P.I.
Cette idée s'est confortée en nous, en
s'apercevant que dans les travaux de mémoires de maîtrise soutenus
à l'U.C.A.D., il n'y a pas d'étude portant sur la P.P.I.
Dans ce travail de recherche sur la crise de la P.P.I., notre
objectif est de recourir à un certain nombre de sources que nous allons
analyser et interpréter afin de pouvoir donner au finish, une
idée sur ce qu'a été cette crise de la P.P.I., dans
l'évolution de la civilisation égyptienne.
Parmi ces sources, il y a les inscriptions biographiques des
cadres égyptiens qui ont été recueillies dans les
Urkunden et dont on retrouve une traduction anglaise en 5 volumes
faite par J.H., Breasted (Ancient records of Egypt., London, Chicago,
1988 - première édition 1906-). En rapport avec notre sujet
d'étude, c'est le volume I qui nous intéresse parce que contenant
les inscriptions biographiques allant du début de l'A.E. à la fin
du M.E. Nous retrouvons une traduction française de ces textes avec A.
Roccati (La littérature historique sous l'Ancien empire, Paris,
Cerfs, 1982). Mais comme l'indique son titre, l'ouvrage de A. Roccati ne
s'intéresse qu'à l'A.E. En dépit des lacunes qu'ils
peuvent comporter (dues parfois à des altérations du texte
original), ces documents sont d'un grand apport pour une étude portant
sur les institutions égyptiennes.
L'autre catégorie de sources à la quelle nous
avons fait recours concerne les textes littéraires, notamment ceux du
M.E. En effet, comme l'a affirmé G., Posener, «son
caractère d'actualité une fois reconnu, la littérature
peut être exploitée par l'historien de manière
systématique. Par ses thèmes et par la manière de les
traiter, elle permet de mieux comprendre les problèmes politiques de
l'époque, de saisir les conflits d'opinion et de suivre le mouvement des
idée». (G. Posener., Littérature et politique sous
l'Egypte de la XIIe dynastie, Paris, Librairie Ancienne
Honoré Champion, 1956, p. X). Ainsi, les textes littéraires du
M.E., par la diversité de leurs thèmes, nous permettent de saisir
dans une certaine mesure, les changements intervenus par la faveur de la crise
de la P.P.I., et cela aussi bien sur le plan politique que religieux et social.
Pour l'essentiel de ces textes, nous avons utilisé les traductions
contenues dans les ouvrages de (Cl. Lalouette., Textes sacrés et
textes profanes de l'ancienne Egypte. Des pharaons et des hommes,
traduction française et commentaires, Paris, Gallimard, 1984 ; G.
Lefebvre., Romans et contes égyptiens de l'époque
pharaonique, Paris, Maisonneuve, 1982 ; G. Posener., op.cit.,
1956).
10
En plus des sources, certains ouvrages généraux
nous ont été d'un grand apport. C'est notamment celui de N.
Grimal., (op.cit., 1988), d'E Drioton et J Vandier.,
(op.cit., 1984), de J. Vercoutter., (L'Egypte et la
vallée du Nil. Tome I: des origines à la fin de l'Ancien
empire, Paris, P.U.F, 1992), d'A. Moret., (Le Nil et la civilisation
égyptienne, Paris La Renaissance du livre, 1926) et de J. Pirenne.,
(Histoire de la civilisation de l'Egypte pharaonique, Tomes I et II,
Neuchâtel, La Baconnière, 1961 et 1962).
Pour tenter d'apporter des réponses aux questions
soulevées, notre démarche s'articule autour de trois parties.
La première partie est une approche descriptive,
relative à la situation de l'Egypte pendant cette tranche chronologique
appelée P.P.I. Elle est divisée en deux chapitres. Dans le
premier chapitre, nous avons tenté de retracer le cadre chronologique de
cette période de crise en évoquant les différentes
dynasties qui se sont succédées ou qui ont régnés
simultanément dans les différentes parties de l'Egypte. Ensuite
nous avons procédé à une analyse de la situation
anarchique de l'Egypte, à la fin de l'A.E., qui s'était
caractérisée par un soulèvement du peuple contre la
monarchie et par une invasion étrangère. Le deuxième
chapitre a trait à l'état politique et culturel de l'Egypte
à la suite de l'effondrement de la monarchie. Il y a été
aussi question de la crise de conscience qui s'est emparée de l'Egyptien
durant cette époque de bouleversement de l'ordre social
établi.
La deuxième partie de notre travail est
consacrée à l'analyse de la situation qui a conduit à
l'effondrement de l'A.E. Cette partie aussi est divisée en deux
chapitres. Dans le premier chapitre, nous avons tenté de remonter aux
sources de la crise politique qui a été à la base de
l'affaiblissement du pouvoir monarchique. La centralisation politico-religieuse
entamée dès l'époque thinite, au moment de la formation de
l'Etat, atteint son sommet à partir de l'A.E. avec le triomphe de
l'absolutisme monarchique. Le système centralisé de l'Etat
à l'A.E., a été le résultat d'une entreprise de
neutralisation, entamée par les pharaons, contre les forces centrifuges
représentées par les nomarques. Mais si dans la première
moitié de l'A.E., l'absolutisme royale devait triompher, les choses
devaient commencer à se renverser à partir de la Ve
dynastie, en faveur des nomarques et ceci du fait des changements
politico-idéologiques qui ont accompagné l'avènement de
cette dynastie. Un processus d'affaiblissement de la royauté fut alors
entrepris par les nomarques notamment sous la VIe dynastie. Le
second chapitre porte sur l'analyse des éléments qui ont concouru
à l'éclatement de la violence politique et sociale à la
fin de l'A.E. La monarchie qui avait fini par s'affaiblir
11
du fait de l'opposition des nomarques, allait au même
moment, se confronter à une grave crise du trésor qui devait
s'amplifier à cause de la dégradation des conditions
climatiques.
La troisième partie est consacrée à
l'analyse des effets de la crise sur l'évolution de la civilisation
égyptienne. Cette partie aussi est divisée en deux chapitres. Le
premier concerne les changements intervenus au niveau
politico-idéologique et sur le plan des croyances religieuses, au sortir
de la crise de la P.P.I. L'effondrement de l'A.E., signifiant en même
temps, échec d'un système politico-idéologique, la
monarchie qui allait se reconstituer au M.E. devait connaître une
évolution par rapport à l'ancien système. Et, étant
donné que la religion funéraire était étroitement
liée à l'idéologie royale, elle devait
nécessairement subir une certaine évolution par rapport à
celle de l'A.E. Le dernier chapitre est consacré au renouveau culturel
qui va accompagner le retour de la monarchie. Aussi bien au niveau de l'art que
de la littérature, l'époque qui succède à la P.P.I,
allait être une époque de renaissance. Cette renaissance est
liée à l'éclosion de nouvelles idées,
favorisée par la crise des consciences intervenue au cours de la
P.P.I.
12
PREMIERE PARTIE :
PRESENTATION GENERALE DE
L'EGYPTE SOUS LA PREMIERE
PERIODE INTERMEDIAIRE (P.P.I.)
13
Chapitre I: Les bouleversements sociopolitiques de la
fin de l'Ancien empire
A- Le cadre chronologique de la P.P.I.
Il convient de remarquer avant tout que le cadre chronologique
de la période dite P.P.I., n'est pas facile à déterminer
pour une raison fondamentale : la carence des sources pour ce qui concerne
cette période de crise. Pour une époque aussi ancienne que celle
de l'histoire de l'Egypte pharaonique, les traces font parfois défaut,
même pour des phases considérées comme étant stables
comme l'Ancien ou le Moyen empire. Ceci pour dire qu'en ce qui concerne une
période de crise comme celle de la P.P.I., les sources posent
problèmes. Pour autant, la P.P.I., semble-t-il, n'a pas
été considérée par les anciens égyptiens
comme étant une période de rupture au plan
historique.1 Ceci pour une raison simple, elle est incluse dans la
chronologie établie par l'historiographie égyptienne.
Ainsi, pour étudier la chronologie de cette
période intermédiaire, il existe un certain nombre de sources.
D'abord il y a le découpage en dynasties de l'histoire
égyptienne fait par Manéthon.2
Ensuite nous avons les listes royales parmi lesquelles il y a
celles d'Abydos, de Saqqara ainsi que le Papyrus de Turin .Ce dernier document
contient une liste de souverains, organisés en dynasties et allant des
origines au Nouvel empire.3 La comparaison de ces différentes
sources nous permet d'établir dans une certaine mesure le cadre
chronologique de cette période dite P.P.I.
En ce qui concerne les débuts de cette période
sombre, ils se confondent avec la fin troublée de l'A.E. La question
à ce niveau est de déterminer à quel moment prend fin
l'A.E. pour laisser la place à la P.P.I. Il se trouve que la fin de
l'A.E n'est pas facile à déterminer du fait de la confusion dans
laquelle il s'était achevé. Toutefois, on sait que la
dernière dynastie considérée comme faisant partie de
l'époque stable que fut l'A.E. avait été la VIe
dynastie.
1 Grimal N., op.cit., 1988, p.72
2 Manéthon était un prêtre
égyptien qui vivait sous la dynastie grecque des Ptolémée,
laquelle gouverna l'Egypte de -305 à-30.C'est lui qui détermina
le découpage en dynastie de la chronologie historique en trente
dynasties allant de Ménès (considéré comme le
premier pharaon) jusqu'à la conquête macédonienne
intervenue vers -333(Cf., Rosalie and David A.E., A biographical dictionary
of Ancient Egypt, London, Routledge, 2001, p.71 et 113)
3 Grimal N., op.cit, 1988, p.58
14
Il convient d'étudier les conditions dans lesquelles
s'était achevée cette dynastie, pour pouvoir déterminer
les débuts de la crise qui a fait sombrer la monarchie.
Il semble en effet que c'est à la fin du règne
de Pépi II (5e pharaon de la VIe dynastie) que
l'instabilité s'installe à la tête de la monarchie
pharaonique. Ce pharaon, semble-t-il, avait eu un règne trop long qui
dura environ 94ans.4 Ce long règne de Pépi II n'avait
pas manqué d'avoir des conséquences que sont entre autres, la
crise de succession qu'avait connue la monarchie après lui5.
En effet, d'après la liste royale d'Abydos, le successeur de Pépi
II a été le pharaon Mérenrê II6. Mais ce
dernier, semble-t-il, ne put guère se maintenir longtemps au pouvoir
puisque le Papyrus de Turin ne lui accorde qu'un an et un mois de
règne7. Cette même source, au même titre que
Manéthon, considère la reine Nitocris comme successeur de
Mérenrê II.8 Toutefois, là où
Manéthon considère la reine Nitocris comme le dernier souverain
de la VIe dynastie, le Papyrus de Turin donne six autres
pharaons qui auraient régné après elle9. Quant
à la liste royale d'Abydos, elle ne mentionne pas Nitocris, mais
après Mérenrê II, et avant les pharaons du M.E., elle
incorpore dix-sept cartouches royaux.10 Tout ceci montre que les
sources divergent sur le nombre de pharaons qui avaient succédé
à Pépi II. Et ce désaccord au niveau des sources peut
être une illustration de la confusion qui a suivi la fin du règne
de Pépi II.
A ce désaccord des sources, s'ajoutent les
événements rapportés par Hérodote et qui se
seraient déroulés durant cette fin d'époque.
D'après ce dernier, la reine Nitocris avait vengé l'assassinat de
son frère et roi par un massacre avant de se donner la
mort.11 Hérodote ne donne pas l'identité des assassins
de pharaon, mais ses propos laissent apparaître au moins qu'il y a eu une
crise au sommet de l'Etat, pendant cette période qui a suivi le
règne de Pépi II.
4 Vernus P, Yoyotte J., Dictionnaire des
pharaons, Paris, Noêsis, 1998, p.121. A propos de la longueur du
règne de Pépi II, les sources donnent divers chiffres. Le Papyrus
de Turin donne 90 ans et plus (Cf., Roccati A., op.cit., 1982, p.35),
Manéthon donne 94 ans (Manéthon, cité par H. Gauthier,
Livre des Rois d'Egypte, Tome I, 1907, p.169). Mais si l'on se
réfère à la lecture du chiffre 32 (du recensement),
relevé sur un graffite de son temple funéraire, qui est la date
la plus tardive notée sur les monuments, le règne de Pépi
II n'excéderait pas 64 ans (Cf., Vercoutter J., op.cit., 1992,
p.332). Quoi qu'il en soit, les chiffres donnés par les
différentes sources montrent que Pépi II a eu un très long
règne à la tête de la monarchie pharaonique.
5 Grimal N., op.cit, 1988, p.107
6 Ibidem
7 Roccati A., op.cit., 1982 p.35
8Ibidem
9 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.353-354
10Ibidem
11 Hérodote, II, 100, texte
établi et traduit par PH.E Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1948
15
Un autre fait qui montre qu'après Pépi II, la
monarchie était confrontée à une crise, c'est
l'interruption a partir de ce pharaon, de la série des grandes
constructions (les pyramides) représentant les complexes
funéraires des souverains de l'A.E.12
Ainsi en se fondant sur tous ces éléments que
nous venons d'évoquer, nous pouvons considérer que les
débuts de la P. P. I. se situent à la fin du règne de
Pépi II. La conclusion à tirer de cet état de fait est que
les souverains de la VIe dynastie, postérieurs à
Pépi II (comme Mérenrê II ou Nitocris), ne font pas partie
de l'A.E., mais de la P. P.I.13 Celle-ci comprend en plus, la fausse
VIIe dynastie, les VIIIe, IXe, Xe,
et une partie de la XIe dynastie.14
On parle de fausse VIIe dynastie car d'après
Manéthon, elle comprend « soixante-dix rois de Memphis qui
régnèrent pendant soixante-dix jours».15 Mais
à l'exception de Manéthon, les autres sources n'évoquent
pas ce nombre important de pharaons dans la période qui a suivi la fin
de l'A.E. L'existence de cette dynastie, dont on ne connaît aucun nom des
souverains qui l'auraient composée, est contestée. Pour certains
historiens, elle n'a peut-être jamais existé. Placée dans
le contexte troublé qui marqua la fin de la VIe dynastie,
elle pourrait correspondre à un gouvernement oligarchique qui dirigea
l'Egypte à cette époque.16 Mais même si l'on se
place dans la perspective d'un gouvernement oligarchique, celui-ci a
été d'une courte durée car, comme on le constate avec
Manéthon, il dépasse à peine deux mois.
Il semble toutefois qu'après les troubles, la monarchie
avait réussi à ressusciter avec la VIIIe dynastie.
Cette dernière, bien que moins obscure, reste très mal connue.
Elle serait originaire d'Abydos.17 Concernant les règnes, la
liste d'Abydos et le Papyrus de Turin ont conservé une liste de pharaons
(dix-sept sur la première et huit sur le second) ayant
régné à cette période.18 Quant à
Manéthon, ses abréviateurs parlent pour la VIIIe
dynastie de 27 pharaons qui auraient régné 146 ans ou bien de 5
souverains restés au pouvoir pendant un siècle.19
Comme on le voit, le nombre de souverains qui ont composé cette dynastie
reste très incertain et cela d'autant plus qu'ils ont laissé
très peu de monuments. En effet, le seul édifice connu qui
daterait de cette période est une pyramide trouvée dans une
nécropole royale et qui
12 Seidlmayer S., « The First Intermediate Period
»,in, Shaw I(editor),The Oxford History of Ancient Egypt, Oxford
University Press, 2000, p.119-120
13 Sall B, op.cit, 1982, p.13
14 Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998,
p.132
15 Manéthon cité par Vercoutter J.,
op.cit, 1992, p.354
16Drioton E et Vandier J., op.cit, 1984,
Paris, P.U. F., p.214; Sall B., op.cit, 1982, p.14, note 19
17 Sall B., op.cit, 1982, p.10
18 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984,
p.214-215
19 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.359
16
serait postérieure au règne de Pépi
II.20 L'auteur de cette pyramide, située à Saqqara
Sud, est le seul pharaon de cette période identifié avec
précision. Il s'agit de Qakarê Aba à qui le Papyrus de
Turin n'accorde que deux ans de règne21. On a aussi
retrouvé des documents officiels qui appartiendraient à la
VIIIe dynastie. Ce sont des textes de décrets royaux qui
concernaient la famille du vizir Chémai à Coptos.22
Les pharaons qui avaient promulgué ces décrets en question
étaient Néferkaouor et Demedjibtaoui. 23 Ces documents
officiels nous renseignent dans une certaine mesure, sur la politique
intérieure de la VIIIe dynastie. Par exemple un des
décrets était un acte de nomination du vizir Chémai comme
gouverneur des vingt deux nomes du sud24. Cette nomination montre
quelque part, la volonté des souverains de cette dynastie de
rétablir l'autorité royale en Haute Egypte. En effet, la
VIIIe dynastie, semble-t-il, s'était placée dans
l'héritage de la tradition memphite. C'est probablement dans ce sens que
malgré son origine abydéenne, elle s'était basée
à Memphis, capitale de la monarchie défunte. Cette idée
semble se confirmer dans les noms de souverains supposés appartenir
à cette dynastie et fournis par les listes royales. En effet, plusieurs
de ces noms reprennent celui du couronnement de Pépi II à savoir
Néferkarê. 25 Mais les pharaons de la VIIIe
dynastie n'ont guère pu restauré la monarchie pharaonique
à l'image de ce qu'elle fut sous l'A.E. Ils avaient dû faire face
durant cette période, à l'occupation du Delta par les Asiatiques
et à la tendance autonomiste des princes locaux dont ceux
d'Héracléopolis qui vont finir par faire
sécession.26
La période qui englobe la fausse VIIe
dynastie et la VIIIe dynastie est datée d'entre -2263 et
-222027. C'est aussi cette période qui constitue l'intervalle
entre la fin troublée de l'A.E. et l'avènement de la
royauté héracléopolitaine à savoir les
IXe et Xe dynasties. Cette royauté
héracléopolitaine fut l'oeuvre des princes de cette
localité qui avaient réussi à unifier la Moyenne Egypte et
à faire sécession vers -222228. Par la suite, un des
leurs devait s'arroger la dignité royale sous le nom de
Méribrê Khéti et va fonder la lignée des souverains
héracléopolitains. Ce Méribrê Khéti fut un
souverain énergique qui avait réussi à éclipser les
derniers souverains memphites.29 C'est peut-être pour cette
raison que la tradition grecque
20 Drioton E Vandier J op.cit. 1984, p.
215
21 Grimal N., op.cit., 1988, p.175
22 Ibidem
23 Le grand atlas de l'Egypte ancienne,
Paris, Editions Atlas, 1998, p.100
24 Pirenne J., op.cit., 1962, p.11
25 Grimal N., op.cit., 1988, p.175
26Ibidem
27Drioton E Vandier J., op.cit, 1984,
p.216.
28 Ibidem
29 Pirenne J., op.cit, 1962, p.14
17
le dépeint comme un cruel tyran, mort
dévoré par un crocodile.30L'avènement de la
dynastie héracléopolitaine annonce en même temps la fin de
la suprématie de Memphis comme centre de la royauté. En effet, la
VIIIe dynastie devait disparaître dans des conditions obscures
et la royauté allait désormais s'installer à
Héracléopolis. Ce changement de la résidence royale de
Memphis à Héracléopolis avait été
probablement considéré par les anciens Egyptiens comme une
interruption majeure. Les compilateurs des listes royales comme ceux du Papyrus
de Turin ont arrêté à la VIIIe dynastie le grand
total de la première partie de l'histoire égyptienne et ceux de
la liste d'Abydos ne mentionnent pas de nom royal entre la VIIIe
dynastie et la XIe dynastie31. Les souverains qui ont
régné à Héracléopolis sont répartis
entre la IXe et la Xe dynastie. On ignore les raisons qui
avaient entraîné le passage de la IXe à la
Xe dynastie. Mais nous constatons que les noms de couronnement
portés par les pharaons de ces deux dynasties ne reflètent pas de
rupture. Il se pourrait alors qu'elles forment une seule famille.32
Le nombre des souverains qui l'ont composés reste toutefois mal connu.
Manéthon attribue 19 souverains à chacune des deux dynasties
héracléopolitaines alors que le Papyrus de Turin donne une liste
de 18 souverains ayant directement précédé la
XIe dynastie.33 Il s'y ajoute la perte de plusieurs noms
de pharaons ainsi que les informations concernant la longueur de leurs
règnes sur cette liste de Turin.34 Les seuls pharaons qui
nous sont connus de la période héracléopolitaine sont
Méribrê Khéti I, Nébkaourê Khéti II,
Néferkarê, Ouahkarê Khéti III et
Mérikarê35. Tous ces pharaons portent des noms de
couronnement qui comportent le suffixe Rê. Ce qui laisse supposer que
malgré leur origine héracléopolitaine, et les coups
portés à la royauté memphite, ces pharaons se sont
considérés comme les héritiers de la tradition memphite.
La rareté des documents royaux et monuments officiels qui
caractérise cette période empêche une description claire de
leur politique. Les rares informations que nous avons de ces dynasties
héracléopolitaines nous proviennent des inscriptions tombales des
princes de Haute Egypte et de quelques oeuvres littéraires datant de
30Vernus P Yoyotte J, op.cit, 1998, p.108
31 Seidlmayer S., «The First Intermediate
Period», in, Shaw I., op.cit., 2000.p.118
32 Aufrère S., Pharaons d'Egypte.
Condensé des annales royales et liste exhaustives des souverains de
Haute et Basse Egypte, Paris, Errance, 1997, p.8.
33 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraph
53
34 Seidlmayer S., «The First Intermediate
Period», in, Shaw I., op.cit., 2000, 119
35 Sur le tableau chronologique des IXe
et Xe dynasties (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit, 1984,
p.217). Le pharaon Ouahkarê Khéti III est considéré
comme l'auteur d'un Enseignement qu'il donna à son fils
Mérikarê. C'est aussi sous son règne que se serait
déroulée l'histoire du paysan volé. Pour ces deux textes
(Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1984, respectivement p.50 à57 et
197 à 211)
18
cette période.36Ces documents nous
permettent dans une certaine mesure de lire les faits sociaux et politiques des
règnes de ces dynasties.
Il semble, qu'en dehors de la lutte qu'ils ont menée
contre l'occupation asiatique dans le Delta, les souverains
héracléopolitains avaient dû faire face aux
prétentions hégémoniques des princes
thébains37. Ce qui montre quelque part qu'ils ont
tenté de restaurer l'unité de l'Egypte et l'autorité de la
royauté pharaonique. Mais cette ambition devait être
limitée du coté de la Haute Egypte par les Thébains. Ces
derniers devaient par la suite parvenir à s'assurer la domination du
Sud. Et vers -2130, au moment où Néferkarê accédait
au trône à Héracléopolis, le prince thébain,
s'arrogea la dignité royale et régna sur la Haute Egypte sous le
nom de Séhertaoui Antef38. Il fonda ainsi la XIe
dynastie qui s'installa à Thèbes. Cette dynastie devait
être contemporaine, en partie, des règnes des dynasties
héracléopolitaines.
Dès lors, la royauté égyptienne devait se
partager entre les souverains établis à Thèbes et ceux qui
sont à Héracléopolis. C'est dire qu'on va assister
à des règnes parallèles dans ce pays où ce fut la
personne de pharaon qui incarnait l'unité nationale. Le règne de
Séhertaoui Antef I et de ses successeurs Ouhankh Antef II et
Nekhtnebtepnefer Antef III devait être marqué par la
rivalité avec les souverains
Héracléopolitains.39 Contrairement à ces
derniers dont les tombes ne sont pas connues, Séhertaoui et ses
successeurs ont leurs tombes établies dans la nécropole de Drah
Aboul Naga.40 Ils sont par conséquents connus d'après
leurs édifices funéraires. Et, les inscriptions provenant de ces
tombes, permettent de connaître certaines activités menées
par ces souverains thébains.
Ainsi, dans une inscription qu'il a laissée, Ouhankh
Antef II évoque le conflit avec le Nord c'est-à-dire le royaume
d'Héracléopolis et sa conquête du nome
thinite41. Il aurait comme souverain contemporain à
Héracléopolis Ouahkarê Khéti III (auteur de
l'Enseignement) et ils furent tous les deux de très grands
souverains42. Ouhankh Antef II et son successeur Nekhtnebtepnefer
Antef III sont aussi connus à travers l'inscription
36Pour les inscriptions des tombes (Cf., Breasted J
H., op.cit, 1988, paragraphes 391 à 423G ; Grimal N.,
op.cit, 1988, p.177-178).Quant aux textes littéraires (Cf.,
Lalouette Cl., notre note précédente).
37Dans le texte de Khéti III, il évoque
la lutte qu'il mena contre les Asiatiques dans le Delta et la guerre qui
l'opposa aux princes locaux notamment les thébains (Cf., Lalouette Cl.,
op.cit, 1984, p. 53-54). 38 Drioton E Vandier J.,
op.cit, 1984, p.216.Ce Séhertaoui Antef n'est pas le fondateur
de la lignée des princes thébains ; il y avait un Antef et un
Montouhotep qui sont nommés dans la liste royale de la « Chambre
des ancêtres » de Karnak en tant que nomarques (Cf., Grimal N.,
op.cit, 1988, p.179) 39Drioton E Vandier J.,
op.cit, 1984, p.218-220
40Pour les tombes des Antef (Cf., Vandier J.,
Manuel d'archéologie égyptienne, Tome II. Les grandes
époques. L'architecture funéraire, Paris, A. ET J. Picard ET
Cie, 1954, p.154-155)
41 Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes
421à423
42 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984,
p.218
19
biographique d'un certain Thethi qui fut trésorier en
chef sous leurs règnes43. Dans le conflit qui les a
opposé aux héracléopolitains, l'avantage devait finir par
revenir aux thébains. En effet, c'est le fils de ce Antef III,
Montouhotep II qui parvint à triompher définitivement de la
royauté héracléopolitaine, mettant un terme à la
P.P.I. et ouvrant le M.E.44
B- La phase violente de la crise
Ce que nous considérons ici comme étant la phase
violente de la crise de la P.P.I., correspond à l'anarchie dans laquelle
l'Egypte avait sombré à la fin de l'A.E. Cette situation avait
constitué, en même temps, le début de la période
décadente qui devait durer jusqu'au M.E. Sur cette violence qui
caractérisa les débuts de la P.P.I., les documents officiels sont
pratiquement muets. C'est peut-être là, un signe des troubles
qu'avait connus le pays à l'époque. Mais la littérature
populaire a heureusement conservé des échos de cette violence
consécutive à la fin de l'A.E. Il s'agit d'abord du texte d'un
certain Ipou-our connu sous le titre des Lamentations
d'Ipou-our.45 L'auteur nous fait une peinture saisissante du
chaos dans lequel était plongé son pays. Le texte, divisé
en six parties, comporte toutefois de nombreuses lacunes. Les quatre
premières parties sont consacrées à la description de
l'état chaotique de l'Egypte et les deux dernières
évoquent le souvenir de l'équilibre perdu du royaume
tranquille46. La traduction de ce texte a été reprise
par d'autres auteurs tels que A. Moret et C.A. Diop.47 A travers ces
traductions, on peut dénoter certaines variations dans la forme du texte
mais le fond reste le même. Pour ce qui nous concerne, nous avons
utilisé la traduction de Cl. Lalouette contenue dans Textes
sacrés textes profanes de l'ancienne Egypte.
43 Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes
423A-423G
44 Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998,
p.100. Montouhotep II est classé en seconde position dans la suite des
souverains qui portent ce nom après le premier qui est cité dans
la liste royale de Karnak. Ce dernier n'a jamais régné
effectivement, mais il fut considéré par la
postérité au nombre des pharaons parce qu'il a été
le père des deux premiers souverains de la XIe dynastie
à savoir Séhertaoui Antef I et Ouhankh Antef II (Cf. Grimal N.,
op.cit, 1988, p.179 et Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998,
p.100)
45 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p. 211
à 221. Ce texte a été traduit par A. Gardiner sous le
titre de Admonition of egyptian sage, Leipzig, 1909
46Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.211
47 Moret A., op.cit., 1926, p.261à
267 ; Diop C.A., Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance,
paris, Présence africaine, 1981, p.180-181
20
Le second texte est un conte prophétique dont les
personnages étaient le pharaon Snéfrou48 et le
nommé Néferrohou (ou Neferty).49 Ce fut le souverain
qui, désoeuvré et cherchant un homme qui pouvait le divertir,
trouva en Néferrohou quelqu'un qui pouvait l'entretenir du passé
comme de l'avenir. Ainsi, à la demande de Snéfrou qui
préférait qu'on l'entretienne des choses à venir,
Néferrohou se projeta dans le futur et fit une peinture dramatique d'une
période difficile que devait traverser l'Egypte. Cette période
allait être
caractérisée par des troubles à tous les
niveaux de la société égyptienne. Le texte en question
comprend trois parties. La première est une sorte d'introduction qui
montre les circonstances qui ont permis la naissance de la prophétie. La
seconde est consacrée à la description des malheurs qui allaient
secouer l'Egypte. Quant à la troisième, elle annonce
l'arrivée d'un roi considéré comme le sauveur du
pays50.
La question qui est posée est celle de savoir si les
événements douloureux que prédit Néferrohou sont
consécutifs aux bouleversements de la fin de l'A.E. Sur ce point, les
avis des historiens divergent. Mais nombre d'entre eux pensent que ces
événements sont ceux qui marquèrent la fin difficile de
l'A.E.51 Si nous partons de cette hypothèse, nous pouvons
admettre que les malheurs que prédisait l'auteur du conte
prophétique sont les mêmes que ceux dont il est question dans les
Lamentations d'Ipou-our. En d'autres termes, la partie
prophétique du texte de Néferrohou est une composition
postérieure aux événements qu'elle est censée
prédire.
Ce sont donc ces deux textes (celui d'Ipou-our et de
Néferrohou) qui vont nous servir de source pour le tableau de la
situation que nous allons tenter de reconstituer. En effet, présenter la
situation de l'Egypte pendant cette phase violente de la crise nous semble
important. Cela nous permettra d'identifier les différents acteurs qui
ont intervenu dans les troubles, de mesurer la profondeur de ces troubles et
enfin de dégager la signification de la violence qui mit fin à
l'A.E.
A travers l'analyse des sources sus-citées, nous avons
constaté que l'Egypte avait connu au cours de cette période, une
guerre civile et une invasion étrangère. Ces deux faits
48Ce pharaon est considéré comme le
fondateur de la IVe dynastie et c'est lui qui inaugura la politique
de construction grandiose propre aux souverains de cette dynastie (Cf., Rachet
G., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris,
Larousse, 1998, p.246)
49 Le nom de Néferrohou est de la traduction
de G. Lefebvre. Mais dans certaines traductions comme chez G. Posener on a le
nom de Neferty au lieu de Néferrohou (Cf., Posener G., op.cit.,
1956, p.21-60 ; Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.70-74). Nous utiliserons dans ce
mémoire l'appellation de Néferrohou ou de Neferty, selon l'auteur
dont nous avons utilisé la traduction.
50 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.104-105
51Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.297-298,
note168 ; Lefebvre G., op.cit, 1982, p.92. Sur les discussions
concernant cette question, Cf., Posener G., op.cit, 1956, p.44-47
21
s'étaient-ils produits simultanément ou
successivement? La question reste ouverte. En ce qui nous concerne, nous
pensons que pour l'aborder, il faut tenir en considération plusieurs
faits.
Nous savons, d'après les sources, que l'invasion dont
fut victime l'Egypte à l'A.E. avait concerné la partie Est du
Delta et serait l'oeuvre des Asiatiques.52 Mais cette invasion
semble-t-il n'était pas la première action de ces Asiatiques en
direction de l'Egypte. Déjà sous Pipi Ier ils avaient
entrepris une de leurs razzias habituelles contre le Delta dans l'intention de
s'y établir avec leurs troupeaux.53 Il avait fallu mobiliser
un nombre important de soldats venant de diverses régions d'Egypte et
même de la Nubie pour faire face à ces envahisseurs54.
Il semble d'ailleurs qu'une seule mobilisation n'avait pas suffis pour enrayer
la menace bédouine. La même opération avait
été menée cinq fois sous le même Pipi Ier
et contre les mêmes ennemis. 55 Cependant, il semble que
malgré les revers que leur avait infligé ce pharaon, les
Bédouins n'avaient pas renoncé à l'espoir d'envahir
l'Egypte.56 Or, nous sommes à la fin de l'A.E. La
longévité exceptionnelle du règne de Pépi II avait
entraîné une sclérose des rouages de
l'administration.57 Les nomarques locaux, devenus quasi
indépendants, n'obéissent plus à l'Etat
central.58 Cette situation ne devait pas être favorable
à la formation d'une armée homogène et nombreuse comme ce
fut le cas sous Pépi Ier. Pour les Bédouins qui
n'attendaient que l'occasion pour pénétrer en Egypte, il semble
que celle-ci s'était présentée à la fin du
règne de Pépi II. Et l'invasion devait intervenir dès les
dernières années de règne de ce souverain.59
Cela implique le fait que les successeurs de Pépi II à savoir
Mérenrê II et la reine Nitocris avaient régné avec
la présence des envahisseurs dans le Delta. C'est sous ces
dernières souverains qu'avait semble-t-il débuté
l'explosion sociale.60
En s'appuyant sur ces faits que nous venons d'évoquer,
nous préférons commencer l'étude de cette phase violente
par l'invasion extérieure.
D'après l'auteur de la prophétie, ««
Les ennemis ont apparu dans l'Est, les Asiatiques sont descendus en Egypte
(E 32-33cf.18), ils « parcourent le pays » (E32), « ils
terrorisent
52 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.99 ;
Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.213
53 Erman A Ranke H., La Civilisation
égyptienne (traduction française de Charles Mathien), Paris,
Payot, 1976, p.698. Pépi Ier est considéré
comme étant le second ou le troisième pharaon de la
VIe dynastie.
54 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes
306 à 315 ; Roccati A. op.cit, 1982, p.187à197
55Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 214
56 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984,
p.214
57 Grimal N., op.cit, 1988, p.107
58 Daumas F., La civilisation de l'Egypte
pharaonique, Paris, Arthaud, 1982, p.76. Nous reviendrons sur cette
question dans les prochains chapitres consacrés à
l'évolution de la situation politique sous l'Ancien empire.
59 Sall B., op.cit, 1982, p.12
60 Ibidem
22
les moissonneurs, et ils enlèvent les attelages qui
sont en train de labourer » (E19). Les nomades viennent avec leurs
troupeaux qui s'abreuvent librement aux fleuves d'Egypte... (E35-36)...Les
Bédouins emportent la nourriture et le pays se trouve dans la
misère (E3032)''.61 Nous retrouvons les mêmes
renseignements, relatifs à l'invasion de l'Egypte dans le texte
d'Ipou-our lorsqu'il dit que « du dehors [les Asiatiques] sont venus
en Egypte »62. De ces deux passages, il apparaît que
l'Egypte avait été victime d'une invasion étrangère
dans sa partie orientale. Cette partie du Delta, comme on l'a vu, a toujours
tenté, par sa fertilité et ses richesses, les peuples
asiatiques.63 Ce qui explique le fait que leur entrée en
Egypte allait être suivie d'une occupation effective. C'est ce que laisse
apparaître ce passage du texte d'Ipou-our où il dit que les
occupants sont devenus « les artisans des travaux de la Basse Egypte
».64 Ainsi, L'Egypte venait de par cette occupation
d'être amputée d'une partie importante de son territoire. Cette
occupation constitue une des premières manifestations de la
décadence du pouvoir monarchique qui fut incapable de faire face aux
envahisseurs.65 Cela, d'autant plus que cette invasion
n'était pas semble-t-il, l'oeuvre d'un Etat conquérant.
D'après D. Valbelle, le Delta oriental n'a pas été pris
d'assaut par les armées régulières d'un quelconque royaume
asiatique désirant l'annexer.66 Ceci pour dire que cette
invasion ne fut pas une action organisée mais plutôt un rush de
peuplades en direction de l'Egypte, laquelle n'était plus en mesure de
protéger ses frontières.
Face à cette incapacité de l'autorité
pharaonique à défendre son territoire, la situation
intérieure ne devait pas tarder à basculer dans l'anarchie.
L'auteur du Conte prophétique décrit cette situation en
disant qu'« on prendra les armes de combat et le pays vivra dans le
désordre. On fera des flèches en bronze et on demandera du pain
avec du sang ».67 C'est cette même image de violence
qui nous est décrite par Ipou-our lorsqu'il dit : « Voyez donc,
le visage est blême...ce qu'avait prédit les ancêtres est
atteint... ; le pays est affligé de bande de voleurs, et l'homme doit
aller labourer avec un bouclier...Voyez donc, le visage est blême et
l'archer est équipé car le crime est partout
».68 Ainsi, la sécurité dont la monarchie
avait dotée l'Egypte a disparu. Le sujet est obligé de veiller
à sa propre sécurité. Et dans ce climat
61 Posener G., op.cit., 1956, p.40
62 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.213
63 Posener G., op.cit, 1956, p.40
64 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.215
65Nous fondons cette idée sur le fait que
les sources qui évoquent cette occupation n'ont pas fait état
d'une quelconque tentative de résistance de la part des Egyptiens. Elles
n'ont fait que déplorer l'occupation de leur pays.
66Valbelle D., Les Neufs Arcs. L'Egyptien et
les étrangers de la préhistoire à la conquête
d'Alexandre, Paris, A. Collin, 1990, p.71
67 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.101
68 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.212
23
de terreur, toutes les activités économiques
allaient être perturbées. « Le Nil frappe (ses rives), et
pourtant on ne laboure pas [...] L'or manque, les matériaux pour tous
les travaux également [...] On manque de fruits, de charbon de bois, de
divers sortes de bois: irtiou,
maâou, flout, shetaou
».69 Si on ajoute ces événements
à l'occupation du Delta, on peut dire que la situation de
l'époque fut particulièrement dure pour le peuple
égyptien. En effet, selon Néferrohou, « le pays est
complètement ruiné ; il n'y subsiste plus rien
».70 C'est probablement ces rudes conditions qui vont
pousser le peuple à s'acharner contre ceux qui symbolisaient la source
de leur misère, c'est-à-dire les fonctionnaires.71 Le
dessin de cette action populaire contre les symboles de l'Etat nous est fait
par Ipou-our en ces termes : « Voyez donc, les riches se lamentent,
les miséreux sont dans la joie ; et chaque ville dit : «
Laissez-nous chasser les puissants de chez nous » [...]Voyez donc,
l'auguste chambre des archives, ses écrits ont été
enlevés[...]Voyez donc, les bureaux administratives sont ouverts, les
rôles ont été enlevés de sorte que celui qui
était un serf peut devenir le maître des serfs. Voyez, (les
scribes] sont tués, leurs écrits enlevés [...] Voyez donc,
les scribes de l'office des grains, leurs livres aussi ont été
arrachés[...]Voyez, les juges d'Egypte sont chassés à
travers le pays, chassés des Maisons de la royauté
.»72
Ces extraits du texte d'Ipou-our nous montrent ainsi que
l'action populaire fut particulièrement violente à l'endroit de
l'administration royale et de ses agents. En effet, tout ce qui constituait les
fondements de cette administration tels que la justice, le trésor et les
archives avaient été pillés. Les fonctionnaires
eux-mêmes avaient subi les coups de la violence populaire. Les raisons de
cet acharnement du peuple contre l'administration et tout ce qui le symbolisait
peuvent être cherchées dans le fonctionnement de l'Etat memphite.
Ce dernier, caractérisé par sa centralisation, avait comme base
principale, le fonctionnarisme. Ainsi, les fonctionnaires jouissaient
d'énormes privilèges de la part de pharaon. Entre autres
attestations de cet état de fait, nous avons l'exemple des
privilèges dont avait bénéficié Metjen, un
fonctionnaire de la IIIe dynastie. Dans sa biographie, il nous fait
savoir qu'il
69 Id., Ibid., p.212-214. Sur la question
des crues du Nil, nos deux sources décrivent deux situations
opposées. En effet, là ou Ipou-our dit que « le Nil frappe
(ses rives) », Néferrohou dit que « les fleuves d'Egypte
étant à sec, on pourra traverser l'eau à pied » (Cf.,
Lefebvre G., op.cit, 1982, p.100). Autrement dit, là où
le premier évoque la venue des crues du Nil, le second parle d'une
baisse du niveau des eaux du fleuve. Les propos de Néferrohou montrent
quelque part que l'arrêt des activités, comme l'agriculture, n'est
pas dû uniquement à la violence comme l'affirme Ipou-our mais
également aux perturbations des conditions climatiques. Nous reviendrons
sur le problème des crues du Nil et son impact dans l'effondrement de
l'A.E.
70 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.99
71Sene Kh., Etude de l'évolution des
luttes politiques en Egypte à l'Ancien empire, mémoire de
maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D., 2002-2003, p.73
72 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.212, 216
-217
24
obtint entant que directeur de mission des nomes de Neith, et
de l'Occident, 12 « fondations de Metjen dans les nomes de Neith, du
Taureau Sauvage et de la Cuisse ».73 Et une fois
gouverneur de nome, il bénéficia en outre d'une donation royale
prélevée sur le domaine de la couronne.74 Un autre
exemple de cette situation se trouve dans un texte intitulé La
Satire des métiers. Un homme faisant à son fils la
comparaison entre le métier de scribe et les autres métiers lui
disait ceci : « vois, aucun scribe ne manque de nourriture, ni de
biens appartenant au Palais royale Vie-Santé-Force
».75 A travers ces exemples, il apparaît que l'Etat
assurait à ses fonctionnaires des avantages qui les mettaient dans une
certaine aisance. Ce qui ne pouvait pas manquer de provoquer une fracture
sociale au détriment d'une grande partie du peuple. Ainsi,
d'après C.A Diop, c'est l'appareil bureaucratique devenu, pour le
peuple, extrêmement lourd, avec l'absolutisme royal qui était
particulièrement visé.76
En plus de l'administration, l'institution royale devait
elle-même être victime des bouleversements qui secouèrent
l'Egypte à l'époque. D'après Ipou-our, « une
chose a été faite qui n'était pas arrivée
auparavant : on est tombé assez bas pour que des misérables
enlèvent le roi ».77Ce passage traduit que le
pharaon d'Egypte était déchu de la royauté qu'il
incarnait. La continuité de cette royauté pharaonique venait donc
de s'interrompre sous le coup d'une action populaire. Dans la conception
idéologique que les Egyptiens avaient de cette institution monarchique,
l'acte qui venait d'être commis fut d'une extrême gravité
pour la marche du pays. En effet, le pharaon, en sa qualité de souverain
d'Egypte, est considéré comme le successeur légitime
d'Horus, premier souverain d'Egypte, fils d'Osiris et d'Isis.78 Il
était aussi le fils du Dieu solaire Rê. Ainsi, en sa
qualité d'héritier des dieux, le pharaon était le
continuateur du pouvoir des dieux sur terre. Il était en outre
chargé d'assurer l'Ordre Universel conformément à
Maât, déesse de la vérité et de la Justice, enfant
comme lui du dieu solaire Rê.79 Par rapport donc à tout
ce que symbolisait pharaon, son absence sur le trône d'Egypte
était synonyme de menace de chaos.
Dans son action contre la royauté, le peuple ne s'est
pas limité au souverain en place. D'après Ipou-our, «
...celui qui avait été enterré en Faucon divin est
maintenant sur une
73 Roccati A., op.cit., 1982, p.86-87
74 Pirenne J., op.cit, 1961, p.137
75 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.197
76 Diop C.A., Antériorité des
civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ?
Paris, Présence Africaine, 1967, p.153
77 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217
78 Vercoutter J., « Pharaon », in,
Dictionnaire de l'Egypte ancienne, Paris, Encyclopaedia Universalis et
Albin Michel, 1998, p.297
79 Id., Ibid, p.298
25
civière et ce que recelait la pyramide est
désormais vide ».80 Ce passage du texte d'Ipou-our
dénote que le peuple s'était attaqué également au
pharaon défunt et à sa sépulture. Au vu des croyances
funéraires de l'époque, cette action était lourde de
conséquences. En effet, dans la religion funéraire de l'A.E.,
l'idée était que le pharaon, après sa mort, rejoignait son
père Rê pour l'éternité81. Et, dans les
Textes des Pyramide, confectionnés pour le pharaon
défunt, on peut lire ces passages : « Tes os, pour toi, sont
rassemblés, tes membres sont mis en place pour toi, la poussière
qui était sur toi est chassé, tes biens, pour toi, sont
dénoués. On ouvre pour toi le tombeau, on fait glisser les deux
portes du sarcophage, enfin l'on déploie pour toi les portes du ciel
[...] Les pieds du roi frappent la terre pour prendre son essor vers le ciel.
Le voilà qui monte au ciel [...] il vole comme un oiseau, il se pose,
tel un scarabée, sur le trône vacant qui est dans ta barque,
ô Rê [...].Comme il est beau de voir le roi, le front ceint comme
celui de Rê, vêtu de son pagne, comme Hathor, sa plume étant
comme la plume du faucon tandis qu'il s'élève vers le ciel, parmi
ses frères les dieux.»82 À travers ces
extraits des textes des pyramides, on voit que non seulement le pharaon
défunt ressuscitait mais il rejoignait les dieux. Et lors de son
ascension au ciel, il ne se contentait pas de bénéficier, pour
lui seul, de la vie éternelle. Certes, après la mort, pharaon
devenait l'un des compagnons de Rê, mais il continuait de garder la
charge de ses sujets, qu'il entraînait avec lui dans
l'au-delà.83 Par conséquent, piller la tombe de ce
défunt qui était au rang des dieux est une remise en cause des
fondements de la religion funéraire de l'Egypte. D'après N.
Grimal, le sacrilège est double, car non seulement le pays est
privé de son pharaon, donc de la garantie du maintien de l'ordre
établi, mais les générations précédentes
sont dépouillées de leur survie84. A travers ces
événements, on voit que non seulement la structure de l'Etat
s'était effondrée, mais les bases religieuses dans lesquelles
celle-ci était encrée avaient été
renversées.
A l'issue de cette violence, la société
égyptienne avait été particulièrement
bouleversée. Ipou-our déplore cette situation en ces termes :
« voyez, en vérité ces transformations du peuple
d'Egypte [...] voyez, l'homme riche (d'autre fois) dort assoiffé,
maintenant ; mais celui qui auparavant mendiait pour la lie, a désormais
la bière à profusion [...] Voyez, celui qui ne possédait
rien est maintenant un homme opulent, et le grand fait sa
80 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217
81 Vercoutter J., « Pharaon », in,
op.cit., 1998, p.298
82 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 143-144.
Les Textes des Pyramides constituent un recueil de textes
gravés sur les parois des chambres de cinq pyramides de Saqqara
appartenant respectivement à Ounas ( dernier pharaon de la Ve
dynastie), Téti, Pépi Ier, Mérenrê
Ier et Pépi II , tous pharaons de la VIe dynastie.
C'est un recueil d'incantations grâce auxquelles le pharaon défunt
pouvait rejoindre, dans l'au-delà, la place qui lui est
réservée au prés des dieux (Cf., Rachet G.,
op.cit, 1998, p.222).
83 Grimal N., op.cit., 1988, p.159 84Grimal
N., op.cit, 1988, p.173
26
louange. Voyez l'homme pauvre démuni du pays est
devenu riche ; le riche est devenu pauvre ».85 C'est dire
qu'au plan social, la violence avait opposé les pauvres aux riches,
permettant aux premiers de dépouiller les seconds de leurs biens. Ce qui
avait donné l'occasion à ces anciens pauvres de se retrouver
à la position des privilégiés. Il y a eu alors un
changement des rôles au sein de la société
égyptienne. En effet, si l'on suit la description de Ipou-our, on
constate que toute la structuration de l'ancienne société
était en place, mais ce sont plutôt les hommes qui avaient
changé de position sociale. Autrement dit, il y avait un renversement de
la situation sociale que Ipou-our assimile à l'image d'un «
pays qui tourne comme tourne la roue du potier ».86 C'est
donc dans ces conditions que s'était achevée la première
phase brillante de la civilisation de l'Egypte pharaonique.
Il reste toutefois que ces événements douloureux
qui avaient caractérisé cette fin d'époque sont
diversement interprétés par les historiens. D'après
certains d'entre eux, l'Egypte avait connu à la fin de l'A.E., une
révolution, la première enregistrée dans l'histoire
universelle.87 Cependant, si nous analysons la situation au cours de
cette phase violente, il est difficile de qualifier ces
événements de révolution.
D'abord sur le plan politique, Ipou-our, en décrivant
la chute du pouvoir monarchique, disait ceci: « on n'est tombé
assez bas pour que le pays ait été dépouillé de la
royauté par un petit nombre de gens sans raison
»88. Ce passage du texte d'Ipou-our montre clairement que
le pharaon en place avait été déchu de son pouvoir. Mais
le texte n'évoque pas une prise quelconque du pouvoir politique par les
auteurs de cette chute du pharaon. D'ailleurs ces gens qui ont
dépouillé l'Egypte de sa royauté sont qualifiés par
d'Ipou-our de « petit nombre de gens sans raison
»89. Autrement dit, il s'agissait de personnes qui
n'avaient aucune connaissance par apport à la gestion du pouvoir
politique.
Ensuite, dans la violence sociale, on na vu qu'il s'agissait
d'une opposition entre les pauvres et les riches. Les premiers s'étant
attaqués aux seconds pour s'emparer de leurs biens et de leur position
sociale. Là aussi, on n'évoque pas une situation de
redistribution des richesses
85 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.218
86Id., Ibid, p.213
87 Cf., Diop C.A., op.cit, 1981, p.178 ;
Pirenne J., op.cit, 1961, p.329
88 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217
89 Le qualificatif de « petit nombre de gens
sans raison » utilisé par Ipou-our pour désigner les auteurs
de la chute de pharaon doit être nuancé. Il se pourrait qu'il soit
un partisan de la royauté défunte et pour masquer le fait que la
chute de celle-ci fut le résultat d'un mécontentement populaire,
il parle de petit nombre de gens sans raison. Et même si on se place dans
la perspective d'un petit nombre de personnes qui aurait mis fin à la
royauté, cela traduirait un autre fait : c'est le niveau de faiblesse
atteint par la royauté à tel point qu'elle puisse être
balayée par un petit groupe d'individus.
mais plutôt un changement de position sociale :
«L'homme démuni du pays est devenu riche; le riche est devenu
pauvre».
Voici la situation politique et sociale de l'Egypte à
l'issu de la violence qui a marqué la fin de l'A.E. Or, dans le
dictionnaire, la révolution est définie comme un ensemble
d'événements historiques qui ont lieu dans une communauté
importante (nationale en général), lorsqu'une partie du groupe en
insurrection réussit à prendre le pouvoir politique et que des
changements profonds (politiques, économiques et sociaux) se produisent
dans la société.90
En s'appuyant sur cette définition, nous pouvons dire
que le soulèvement populaire de la fin de l'A.E. avait certes
été violent, mais et il n'avait pas abouti à une
révolution. En effet, dans la définition du dictionnaire, il y a
deux faits importants qui peuvent transformer un soulèvement populaire
en révolution : c'est la prise du pouvoir d'Etat et l'introduction de
changements profonds aussi bien sur le plan politique que social et
économique. Mais le peuple égyptien qui s'était
soulevé à cette époque n'avait ni pris le pouvoir ni
introduit un nouveau système politique, social et économique.
Nous pensons donc à l'instar des auteurs tels que N. Grimal ou B. Sall
qu'il n'y avait pas eu de révolution en Egypte à la fin de
l'A.E., mais plutôt une révolte91. Nous verrons par la
suite que malgré les coups portés à l'institution royale,
les symboles de cette dernière allaient subsister à travers les
différents princes locaux qui devaient se l'approprier. Et la lutte pour
l'héritage de cette royauté défunte était l'un des
enjeux de la guerre civile qui opposa les princes locaux durant toute la
période intermédiaire.
27
90 Le grand Robert de langue
française, Tome III, Paris, 1985, r. Révolution
91Grimal N., op.cit, 1988, p.173; Sall B., op.cit.,
1982, p.12.
28
Chapitre II : Effondrement de la civilisation
A- Désagrégation du territoire et de la
monarchie
A la suite de la violence au cours de la laquelle tous les
fondements de sa civilisation se sont ébranlés, l'Egypte
pharaonique devait connaître une situation politique difficile. En effet,
si à l'A.E., toute la basse vallée du Nil était
unifiée sous un seul pouvoir central, la situation devint
complètement différente à la suite de la crise qui
intervint à la fin de la VIe dynastie. Une partie du pays (la
Basse Egypte) était sous domination étrangère tandis que
la monarchie s'était écroulée sous le coup de la
violence.92 La royauté devait, par la suite, se reconstituer
sous les VIIIe, IXe, Xe et XIe dynasties. Mais
elle n'allait pas incarner la même image de puissance et d'unité
que celle de l'Etat memphite. Elle devait se caractériser par une perte
de prestige devant la puissance des princes locaux, des règnes
parallèles et des conflits internes.
L'étude de cette situation nous semble importante dans
la mesure où elle permettra de voir le niveau de
désagrégation qu'avait atteint l'Etat durant cette phase dite
P.P.I.
D'après la chronologie de la P.P.I, ce fut la fausse
VIIe dynastie qui avait fait suite à la fin troublée
de la VIe dynastie. Cette fausse VIIe dynastie fait alors
partie de cette époque mouvementée que fut la P.P.I. Elle fait
partie de cette période sombre d'autant plus que son existence
même est fortement controversée. En effet, là où
Manéthon parle de « soixante-dix rois qui
régnèrent pendant soixante-dix jours »93
pour cette dynastie, beaucoup d'égyptologues pensent qu'elle n'avait pas
existé et qu'à sa place, se trouvait probablement un gouvernement
oligarchique.94
Dans tous les cas, que l'on se réfère à
la dynastie de Manéthon ou à l'hypothèse d'un gouvernement
oligarchique, une situation reste confirmée : c'est l'absence d'un
souverain unique pour toute l'Egypte au sortir de cette phase violente.
Dès lors, il apparaît évident qu'après
l'effondrement de la royauté, l'Egypte est restée un moment sans
souverain unique incarnant la monarchie pharaonique. Ce qui constitue un fait
notoire dans l'évolution politique du pays car, depuis son institution
sous les dynasties thinites, les Annales officielles
92 Cf., supra, chap.I, B.
93 Manéthon cité par Vercoutter J.,
op.cit, 1992, p.354 94Cf., supra, I, A
29
ou les listes royales ne montrent pas une période
où la monarchie est restée sans pharaon. Toutefois, cette
situation a été, semble-t-il, momentanée. En effet, avec
la VIIIe dynastie, la royauté devait renaître de ses
cendres dans le lieu même où on n'avait procédé
à sa mise à mort, c'est-à-dire à
Memphis95. Mais ce retour ne devait pas pour autant permettre son
rétablissement complet.
D'abord du côté de la Basse Egypte, l'occupation
asiatique se poursuivait toujours.96Autrement dit, l'autorité
royale ne s'y exerçait pas. Dans le reste du pays, il semble que cette
autorité royale avait été reconnue mais au prix
d'énormes concessions de la part des pharaons de l'époque. C'est
ce que reflète l'analyse de l'unique document officiel datant de cette
période et connu sous le nom des Décrets de
Coptos.97 En effet, plusieurs de ces décrets
étaient promulgués en faveur du vizir Chémai et de sa
famille à Coptos par les souverains de la VIIIe dynastie.
Chémai, en plus de sa qualité de vizir et époux d'une
fille royale, se fit nommer prêtre du culte royal et gouverneur des vingt
deux nomes de Haut Egypte98. Les liens consanguins entre ce vizir et
les souverains de la VIIIe dynastie ainsi que les
responsabilités qui lui ont été confiées montrent
que les pharaons de l'époque avaient cherché l'alliance des
puissantes familles de la Haute Egypte.99 D'ailleurs le fait que le
pouvoir royal, dans des moments difficiles, cherche l'alliance des princes
locaux par le biais du mariage n'est pas un cas isolé dans l'histoire de
l'Egypte. Nous verrons que sous la VIe dynastie, au moment où
la puissance des nomarques devenait de plus en plus menaçante pour le
pouvoir central, les pharaons avaient cherché l'alliance des nomarques
d'Abydos par le mariage.100 La famille de Chémai étant
alliée à la famille royale, d'importantes charges et
privilèges allaient être concédés à ses
membres. C'est ainsi qu'un autre décret concernait la nomination de Idi,
fils de Chémai comme prince des sept nomes méridionaux de Haute
Egypte et comme grand prêtre des dieux de ces nomes.101
95 Sall B., op.cit, 1982, p.13
96 Nous n'avons pas de documents contemporains de
la VIIIe dynastie attestant que celle-ci n'avait pas
contrôlé la Basse Egypte. Mais le fait que la présence des
Asiatiques soit évoquée par un document postérieur
(l'Enseignement de Khéti, IXe et Xe
dynasties) montre que les pharaons de la VIIIe dynastie avaient
régné avec la présence de ces envahisseurs.
97 Ces décrets sont des ordres des pharaons
copiés sur des dalles de pierre et affichés à
l'entrée du temple de Min à Coptos (Cf., Le grand atlas de
l'Egypte ancienne, op.cit, 1998, p.100)
98 Pirenne J., op.cit., 1962, p.11 La
charge du gouverneur de Haute Egypte entre dans le cadre du maintien de
l'autorité royale dans cette région. Nous reviendrons sur le
contexte qui a entouré son institution sous l'A.E.
99 Gardiner A., Egypt of the pharaohs,
London, Oxford Universty Press, 1979 (première edition 1961),
p.108-109
100 Pirenne J., op.cit, 1962, p.10
101Id., Ibid, p.12
30
Ainsi, en leur conférant de très hautes charges
et de grands honneurs, les souverains de la VIIIe dynastie
reconnaissaient à cette famille un pouvoir extraordinaire, difficile
à concilier avec le centralisme du gouvernement
monarchique.102
Ces décrets, même s'ils constituent quelques uns
des rares documents officiels connus de cette VIIIe dynastie,
reflètent toutefois que celle-ci avait accordé d'importants
pouvoirs aux chefs locaux du Sud pour s'assurer la soumission, au moins
formelle, de leurs provinces. Mais il semble qu'en réalité le
pouvoir des souverains qui régnèrent à cette époque
était très limité. Cette faiblesse du pouvoir royal est
aussi perceptible au niveau archéologique.
En effet, un seul monument royal datant de cette
période nous est connu. Il s'agit de la pyramide du souverain
Qakarê Aba. Cette pyramide, de dimensions très modestes, n'est pas
plus large que les pyramides secondaires appartenant aux épouses de
Pépi II.103 Ce qui peut être interprété
comme étant la manifestation d'une perte de prestige de pharaon et
au-delà pour la monarchie qu'il incarne.
L'effritement de la monarchie pharaonique s'était aussi
manifesté à travers les expéditions que menait l'Egypte
à l'étranger. Les pharaons décadents de cette
période ne sont plus mentionnés dans les mines du Sinaï et
n'envoient plus dans les pays lointains d'expéditions dont leurs
dignitaires puissent tirer gloire.104
Toute cette situation avait été alors le reflet
d'une monarchie qui s'était relevée d'une crise mais qui peinait
à recouvrir la totalité de ses pouvoirs politiques et
économiques. La VIIIe dynastie avait certes permis le retour
de la monarchie pharaonique mais la restauration effective de celle-ci
était loin d'être achevée. Et l'autorité de ses
pharaons était amoindrie au point que les princes locaux allaient songer
à s'emparer de la puissance souveraine.
La première tentative d'usurpation de la dignité
royale fut l'oeuvre des princes d'Héracléopolis avec Khéti
qui allait se proclamer souverain de Haute et Basse Egypte.105 Il
fonda la lignée des pharaons héracléopolitains qui avaient
constitué les IXe et Xe dynasties. La
VIIIe dynastie devait disparaître dans des conditions
obscures, emportant avec elle, Memphis et tout ce qu'elle symbolisait comme
siège de la royauté pharaonique. Cette usurpation de la
dignité royale par le prince Khéti devait constituer un tournant
majeur dans la désagrégation qu'était entrain de subir la
monarchie pharaonique. Dans la mesure où, si la
102 Le grand atlas de l'Egypte ancienne,
op.cit., 1998, p.100
103 Brovarski E., « First Intermediate Period », in,
Encyclopedia of the Archaeology of Egypt, London and New York,
Routledge, 1999, p.43
104 Le grand atlas de l'Egypte ancienne, op.cit.,
1998, p.101 105Drioton E Vandier J., op.cit., 1984,
p.216
31
VIIIe dynastie pouvait revendiquer le droit au
trône d'Egypte malgré son origine abydéenne, il semble que
ce ne pouvait être le cas pour Khéti et ses
successeurs.106 D'abord nous n'avons pas d'éléments
pouvant rattacher les princes héracléopolitains à la
royauté memphite. Ensuite la seule chose que nous connaissons de
Khéti, le fondateur de la lignée héracléopolitaine,
est sa cruauté légendaire qui est probablement un écho de
la force qui avait présidé à son usurpation de la
dignité royale.107 Il ressort, par conséquent, de
cette prise du pouvoir royal, par Khéti, qu'à la faveur de la
crise, la dignité royale devenait accessible à ceux qui ne
pouvaient pas y prétendre auparavant. Ce qui montre le niveau
d'abaissement qu'avait atteint la dignité royale. Jusque là, il
y'a eu des fondateurs de dynasties qui étaient considérés
comme des usurpateurs du trône royal parce qu'ils n'étaient pas
issus de la familles royale.108Ce fut le cas des fondateurs de la
Ve dynastie qui, semble-t- il, avaient tiré leur
légitimité de l'origine divine qu'ils se sont
fabriqué.109 Ce fut aussi le cas de Téti (fondateur de
la VIe dynastie) qui aurait obtenu sa légitimité au
trône en épousant Ipout, « princesse » et fille d'Ounas
(dernier pharaon de la Ve dynastie)110. Ces exemples
montrent bien qu'à chaque fois qu'il y avait usurpation du pouvoir
royal, les auteurs avaient cherché un moyen pour se légitimer
sans passer par la force. Mais il semble que l'avènement des princes
héracléopolitains, favorisé par la crise, avait
constitué en même temps, une remise en cause des fondements de la
légitimité au trône d'Egypte. Désormais, la force
est devenue un élément indispensable dans l'acquisition de la
dignité royale.
Dans ces conditions, il n'est pas exclu que d'autres princes
locaux puissent nourrir des ambitions par rapport à la dignité
royale. A Thèbes déjà, le nomarque Antef portait les
titres ci-après : prince héréditaire, comte, grand
seigneur du nome Thébain, satisfaisant le souverain comme gardien de la
Porte du Sud, qui fait vivre les Deux Terres, prophète
supérieur,... Antef.111 Ces titres, notamment celui relatif
aux « Deux-Terres » (c'est-à-dire la Haute et Basse Egypte),
montrent non seulement qu'Antef disposait d'importants pouvoirs
106Nous avons évoqué les liens
consanguins unissant les nomarques d'Abydos à la famille royale à
partir de la VIe dynastie. Il est possible que sur la base de ces
liens, les Abydéens revendiquent le trône après que la
famille royale de Memphis se soit éteinte sous le coup de la
révolte.
107Khéti fut à l'origine nomarque du
20e nome de Haute Egypte avec comme capitale provinciale
Héracléopolis. Après avoir vaincu les nomarques voisins,
il devait usurper de force la dignité royale et se faire
reconnaître comme souverain d'Egypte. Ce qui explique probablement le
fait que Manéthon présente Khéti comme un cruel tyran qui
finit dans la démence et meurt dévoré par un crocodile
(Cf., Rosali and David A E., op.cit., 2001, p.1)
108 Dans le dogme royal, le droit au trône est
fondé sur la nature divine du monarque, transmise par le sang (Cf.,
Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.88)
109Nous verrons dans le chapitre consacré
à la venue de cette dynastie, les éléments utilisés
pour la légitimation de ses pharaons.
110 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318; Grimal N.,
op.cit., 1988, p.96.
111 Breasted J. H., op.cit., 1988, paragraphe 420.
32
dans sa province, mais qu'il avait des ambitions pour le
trône royal. C'est ainsi que même si la situation n'allait pas
intervenir avec ce Antef, ses successeurs notamment Séhertaoui Antef II,
devaient finir par usurper à leur tour la dignité royale et
régner sur la Haute Egypte. Cette seconde usurpation consacra la
division de l'Egypte et la désagrégation de la monarchie
pharaonique. A partir de là, la royauté devait connaître
des règnes parallèles avec des souverains à
Héracléopolis et à Thèbes. Le pays devait se
partager entre la Basse Egypte occupée par les Bédouins, la
Moyenne Egypte sous l'autorité héracléopolitaine et la
Haute Egypte dirigée par les Thébains.112 Les
souverains héracléopolitains devaient par la suite parvenir
à chasser les occupants asiatiques de la Basse Egypte.113
Dès lors, l'Egypte reprenait le caractère qu'elle avait connu
avant son unification par Narmer c'est-à-dire un royaume dans le Nord et
un autre dans le Sud.114 Et non seulement le pays est divisé
en deux royaumes mais en plus ces royaumes devaient se faire la guerre dans le
but, semble t-il, d'hériter de la monarchie pharaonique. Le conflit qui
opposa les deux royaumes rivaux apparaît dans plusieurs textes datant de
cette période.115 Ainsi, dans l'enseignement qu' il donna
à son fils, Khéti III lui disait : « ne sois pas en
mauvais terme avec le Sud ; tu sais ce que la Résidence a annoncé
à ce sujet... mais ils n'ont pas franchi(notre frontière) comme
ils le disent ; je me suis approché de la ville de This et celle de
Maquî, à la limite Sud de Taout , je les ai saisis comme un nuage
qui crève ; le roi Mery (ib) Rê juste-de-voix n'avait pas pu faire
cela . »116 Le souverain héracléopolitain
reconnaît implicitement que l'autorité de son royaume ne va pas
au-delà de This et il se targue même d'avoir approché cette
ville. Cela, malgré le fait qu'il se considère comme souverain de
Haute et Basse Egypte.
Les mêmes références au conflit
apparaissent chez le souverain thébain, Ouhankh Antef II lorsqu'il dit,
dans son inscription tombale, qu'il a capturé le nome entier de Thinite,
ouvert toutes les forteresses et y a installé la Porte du
Nord.117
112 Sall B., op.cit., 1982, p.10
113 Nous retrouvons dans le texte de Khéti, un passage
relatif à l'expulsion des Bédouins de la Basse Egypte lorsqu'il
dit : « Maintenant ce qui suit est dit à propos des
étrangers ...Ces étrangers étaient comme un mur clos, je
l'ai ouvert...et je fis en sorte que la Basse Egypte les frappe, je pillai
leurs biens, je me saisis de leurs troupeaux, jusqu'à ce que les
Asiatiques fussent dégoûtés de l'Egypte »(Cf.,
Lalouette Cl., op.cit., 1984 p.54)
114 Pirenne J., op.cit., 1961, p.33.
115 Lalouette Cl., supra, chap.I, A, note 40,
(Enseignement de Khéti III); Breasted J.H., op.cit.,
1988, paragraphes 393 à 396 et 422 à 423 ; Grimal N.,
op.cit., 1988, p.177-178(extrait du texte d'Ankhtifi).
116 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.53
117Breasted J.H., op.cit,1988, paragraphe 423.Le
fait que les deux souverains (Khéti III et Ouhankh Antef II)
évoquent la même situation conflictuelle au tour de la ville de
This (This=Thinite. Cf., Rachet G., op.cit., 1998, p.223) confirme le
fait que ces deux souverains étaient contemporains et rivaux. Et quand
on compare leurs deux textes, c'est comme si on assistait à une «
batail de communication » où le texte de Khéti apportait un
démenti à celui de son homologue Ouhankh Antef II à propos
du control de This.
33
C'est dire qu'à la place d'un Etat qui était uni
à l'A.E., l'Egypte s'était retrouvée avec deux royaumes
hostiles, qui se faisaient la guerre durant la P.P.I.
La royauté n'allait pas complètement
disparaître, mais l'essentiel de ses prérogatives devait se
partager entre les souverains régnant à
Héracléopolis et à Thèbes et entre les princes
locaux. Ces derniers, d'après les inscriptions qu'ils ont
laissées, apparaissent comme des chefs qui disposaient d'énormes
pouvoirs qui auparavant relevaient de la royauté. Et, se sentant
responsables de leurs domaines respectifs, ils vont affirmer leur conscience et
leur indépendance.
Ainsi le prince Khéti II d'Assiout disait à
propos de ses réalisations dans sa province : j'ai fait relever la terre
submergée. J'ai fait que l'eau du Nil coule partout, . .chaque voisin
était approvisionné en eau et chacun disposait de l'eau du Nil
à son désir. .J'étais riche en graine . .J'ai remis tous
les impôts que j'ai trouvés établis par mes pères.
J'ai rempli le pâturage du bétail.118 Cette
mentalité de roitelet se remarque aussi chez le nomarque Ankhtifi
lorsqu'il dit : j'apporte du pain à l'affamé du vêtements
à la personne nue . .j'ai donné du sandale à celui qui
marche pieds nus. .Toute la Haute Egypte mourrait de faim et les gens
étaient réduits à manger leurs fils, mais je n'ai pas
accepté que quelqu'un meurt de faim dans ce nome.119 Et il
ajoute, « j'ai fait vivre les nomes d'Hiérakonpolis et d'Edfou,
Eléphantine et Ombos ! ».120 Ces textes qui
émanent des chefs locaux montrent bien que ces derniers s'étaient
substitués à l'autorité royale dans les provinces. En
effet, les services qui, traditionnellement, étaient sous
l'autorité de pharaon pour toute l'Egypte comme celui des grands travaux
du roi, celui des eaux qui assurait l'entretien des canaux et des vannes
dans
Cette ville, vu ce qu'elle symbolisait en tant que
première capitale de la monarchie pharaonique, avait probablement
constitué un enjeu dans la lutte qui opposa les deux royaumes rivaux. Il
semble qu'à un certain moment donné, elle avait constitué
une frontière pour les deux royaumes rivaux. (Cf., Lalouette Cl.,
op.cit., 1984, p.291, note 30)
118 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 407-
408
119 Seidlmayer S., «The First Intermediate Period», in,
Shaw I., op.cit., 2000, p.129
120 Grimal N., op.cit. 1988, p.178. Durant cette
période de crise, il est probable que la famine gagne une bonne partie
du pays. Cette situation pouvait s'expliquer par la détérioration
des conditions climatiques et la désorganisation du pouvoir royal qui,
rendait impossible toute maîtrise des eaux du Nil en vue d'une
exploitation judicieuse. Toutefois, les paroles d'Ankhtifi, à propos
d'une famine qui aurait poussé les Egyptiens à des pratiques
d'anthropophages, doivent être nuancés. D'abord du fait qu'aucun
autre texte ou représentation datant de cette époque ne laisse
apparaître une telle pratique. Ensuite, il existe des textes
contemporains, notamment ceux des princes de Thèbes ou d'Assiout qui
montrent que malgré la crise, la situation de la Haute Egypte n'a pas
été aussi critique comme le dit Ankhtifi. D'ailleurs, le
mérite de ces princes était, de parvenir à suppléer
dans leurs provinces respectives, les services de l'Etat, pour le
bien-être des populations.
34
toute l'étendue du territoire, n'existent plus qu'au
niveau du nome où ils sont dirigés par le prince
local.121
En outre, des épithètes qui étaient
exclusivement réservés à pharaon comme « may he
live for ever » ou « the protection of life be around him like
Rê eternally » sont désormais portés par des
princes locaux.122 Ces derniers disposaient aussi de pouvoirs
militaires. C'est ce qui apparaît à travers leurs inscriptions. A
Assiout, la force militaire est évoquée à plusieurs
reprises dans les récits des nomarques. Ainsi, Tefibi, faisant
référence à la guerre avec les souverains thébains,
disait : « The first time that my soldiers fought with the Southern
nome.»123 Le pouvoir militaire des princes d'Assiout est
représenté sur le plan artistique à travers des statuaires
où sont sculptés des groupes de soldats en
défilé.124 Quant à Ankhtifi, il se glorifiait
de son pouvoir militaire à travers un passage de son texte où il
disait : «... j'ai constaté que toutes les forces de
Thèbes et de Coptos avaient pris d'assaut les forteresses d'Erman (...)
j'abordais la rive occidentale du nome de Thèbes (...) Mes troupes
d'élites cherchèrent le combat dans la région occidentale
du nome de Thèbes mais personne n'osait par crainte d'elles. Alors, je
descendis le courant et abordait sur la rive orientale du nome de Thèbes
(...) Alors mes braves troupes d'élites se firent éclaireurs
à l'Ouest et à l'Est du nome de Thèbes, cherchant le
combat. ».125 Ces passages sus-cités confirment
bien la guerre civile qui ravagea l'Egypte à l'époque. En outre,
ils montrent que certains nomarques avaient combattu les thébains
à la faveur héracléopolitaines. Mais au delà de
toutes ces informations, c'est le caractère très autonome du
pouvoir militaire des princes qui apparaît ici. En laissant le soin aux
chefs locaux de défendre les frontières d'un royaume
diminué, les souverains de cette époque de crise admettaient en
même temps que ces derniers puissent disposer de leurs propres
troupes.
C'est ainsi que si à l'A.E., les chefs militaires aussi
puissants que soient-ils comme Ouni ou Pépinakht, évoquaient
leurs exploits militaires en commençant par « La Majesté
de mon seigneur m'envoya ... », à présent, les
nomarques parlent de « mes soldats » ou de « mes
troupes d'élites »126. Toute cette situation montre
que durant la période de royauté double, les nomarques
s'étaient emparés de l'essentiel des prérogatives de
pharaon qu'ils ont exercé
121 Pirenne J. op.cit., 1962, p.24
122 Gardiner A., op.cit., 1979, p.114
123 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 396
124 Vandier J., Manuel d'archéologie
égyptienne, Tome III : Les grandes époques. La statuaire,
Paris, A. Et J. Picard et Cie, 1958, p.154 ; Wildung D., op.cit.,
1984, p.159 à 161
125 Grimal N., op.cit., 1988, p.178
126 Pour les textes biographiques d'Ouni et Pépi-Nakht,
Cf., Roccati A., op.cit., 1982, respectivement p.187 à 197 et
208 à 211
35
localement. D'après A. Moret, ils s'étaient
attribuer, à titre héréditaire, des privilèges
sacrés et des devoirs de pharaon comme chef d'armée, grand
prêtre, juge, administrateur, pourvoyeur de terres et de
nourriture.127
Il apparaît ainsi que certes, la royauté
pharaonique n'avait pas complètement disparu, mais elle avait connu une
profonde désagrégation durant cette époque sombre de la
P.P.I. Cette situation de régression peut aussi se lire sur le plan
culturel à travers la production artistique de cette époque de
crise.
B- Régression de l'art
Le désordre et le disfonctionnement de l'Etat
pharaonique n'avaient pas été les seules manifestations de la
crise de la P.P.I. En effet, la société égyptienne avait
été une société fortement structurée autour
de la toute puissance de l'Etat qui mettait son sceau sur toutes les
activités.128 A la tête de ce puissant Etat, se
trouvait le pharaon. Et, en tant que lien vivant entre la divinité et
ses sujets, c'est de lui que dépendent les actes religieux,
funéraires et même les actes profanes dont le caractère
n'est bien faisant qu'enrobé dans le bon vouloir divin.129 En
outre, il y a le fait que les moyens de production de l'oeuvre d'art
dépassaient les possibilités d'un simple particulier. Il
était impossible pour un seigneur, si puissant soit-il, d'organiser pour
son propre compte une expédition dans les carrières pour extraire
et faire tailler le sarcophage, les montants de portes ou de statues dont il
avait besoin pour sa tombe.130 C'est là le rôle de
l'Etat. Cela d'autant plus que les ateliers dans lesquels sont sculptées
les statues ou gravés les reliefs dépendent du pouvoir
central.131 Toute cette situation devait avoir comme effet, une
étroite dépendance de l'activité artistique
vis-à-vis du pouvoir memphite. L'une des manifestations de cet
état de fait se trouve dans le fait que l'essentiel des écoles et
ateliers d'art se trouvaient à Memphis, à la commande du
souverain et de la cour.132 En outre, l'artiste égyptien fut
un fonctionnaire qui remplissait un devoir d'Etat.133
127 Moret A., Histoire de l'Orient, Tome I.
Préhistoire IVe et IIIe millénaires,
Paris, P .U.F. 1941, p.431
128 Daumas F., op.cit., 1982, p.431
129 Drioton E Du Bourguet P., Les pharaons à la
conquête de l'art, Desclée de Brower, 1965, p. 24
130 Grimal N., op.cit., 1988,p.112-113
131Ibidem
132Aufrère J., Golvin J.- Cl., Goyon J.- Cl.,
L'Egypte restituée, Tome I, Sites et temples de Haute Egypte. De
l'apogée de la civilisation pharaonique à l'époque
romaine, Paris, Editions Errance, 1997, p.55 133Posener G.,
Sauneron S. et Yoyotte J., op.cit., 1999, p.25
36
Compte tenu de tous ces éléments, il n'est pas
étonnant que les vicissitudes du pouvoir royal affectent
l'évolution de l'art égyptien.
Ainsi, la P.P.I., caractérisée par
l'effondrement du pouvoir royal, devait constituer une période de recul
pour l'art. C'est la raison pour laquelle, l'analyse de la situation de l'art
pendant cette époque sombre, permet en même temps, de voir sous un
angle culturel, la décrépitude du pouvoir monarchique en
Egypte.
En effet, l'un des premiers signes de régression de
l'art avait été l'absence de monuments royaux durant cette
période. Cette situation, en dehors du fait qu'elle reflète
l'état de faiblesse qu'avait atteint la royauté, avait comme
conséquence, la réduction de la production des oeuvres d'art.
Ceci du fait que l'art égyptien était conçu et
pratiqué en fonction de l'architecture.134 Or l'absence ou la
rareté des monuments voudrait en même temps dire diminution du
travail architectural. Nous avons vu que vers le Nord, le seul édifice
royal connu de cette période sombre est une pyramide de modestes
dimensions. On n'a pas retrouvé des monuments appartenant aux souverains
qui avaient régné à
Héracléopolis.135 Quant à Thèbes, les
souverains de la XIe dynastie dont la nécropole se situe
à Drah Aboul Naga, avaient des tombes qui étaient de simples
fosses ou bien des chambres rupestres.136Toute cette situation
montre que l'architecture funéraire royale avait souffert de la crise.
Contrairement à celle-ci, l'architecture funéraire privée,
favorisée par le développement de la tombe rupestre, devait faire
état d'un nombre important de monuments.137 Ce
développement de l'architecture funéraire privée peut
être la manifestation de l'accroissement des pouvoirs des princes
à travers le pays. Cependant, les tombes appartenant à ces chefs
locaux sont généralement pauvres ; ce qui illustre le fait que
leurs propriétaires avaient eux aussi souffert de la situation difficile
dans laquelle se trouvait l'Egypte.138
Dans le relief et la peinture, on note une réduction de
la décoration funéraire de sorte que souvent (dans les tombes
rupestres comme dans les mastabas en briques crues), la stèle
funéraire devient l'unique support de l'écriture et de
l'image.139 Aussi, le travail se caractérise par une
pauvreté fréquente.140 Il existe toutefois des
différences d'une région à
134 Bohême M..A., op.cit., 1992, p.9
135 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.26
136 Vandier J, op.cit., 1954, p.154-155
137 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.145
138Vandier J., op.cit, 1954, p.312-313
139 Wildung D., L'âge d'or de l'Egypte : le Moyen
empire, Fribourg, Office du Livre S.A., 1984, p.24
140 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.149
37
une autre, manifestation de l'émergence des
écoles d'art locales dans les chefs-lieux régionaux à la
place des ateliers de la Résidences.141
Ainsi dans certaines régions comme Memphis où le
pouvoir était absent, les quelques mastabas de cette période
offrent quelques spécimens d'un travail grossier. Il s'agit des reliefs
en fragments où les sujets sont réduits à l'essentiel et
comprimés dans de petits panneaux avec des dessins anguleux et le relief
est léger et très peu soigné.142
L'essentiel de la décoration, datant de cette
période intermédiaire, provient des tombes princières des
Moyennes et Hautes Egypte. A Assiout par exemple, les tombes de Khéti II
et de Tefibi présentent des sujets qui sont de longues rangées de
soldats avec une qualité parfaite des reliefs.143
On retrouve aussi des décorations dans les tombes
d'Ankhtifi à Mo'alla, du général Iti à Gebelein et
du monarque Setka à Assouan. La décoration de ces tombes qui
présente des ressemblances, se caractérise par des sujets
maigres, élancés et maladroits avec des combinaisons de couleurs
parfois désagréables.144
Au niveau de la statuaire, l'effet de la crise devait se
manifester dans l'utilisation du bois à la place de la pierre. En effet,
la non utilisation de la pierre à l'époque serait due au
tarissement des sources classiques d'approvisionnement en pierre dans les
carrières par les grandes expéditions organisées depuis la
capitale.145Il s'y ajoute que durant cette période de crise,
la cour royale de Memphis, qui organisait les expéditions dans les
mines, avait disparu, cédant la place aux cours provinciales. Or,
malgré le fait qu'ils disposaient d'un certain nombre de pouvoir dans
leurs provinces respectives, les princes locaux ne disposaient pas d'une
puissance qui pouvait leur permettre de lever des expéditions vers les
mines, comme le faisait le pouvoir memphite.
Il existe cependant, pour cette période, des oeuvres
d'une certaine qualité. C'est le cas à Assiout où une
quarantaine de soldats armés sont représentés sur une
planche rectangulaire en bois en deux groupes. Les soldats du premier groupe
sont armés de piques et de boucliers et ceux du second groupe d'arcs et
de flèches.146
141Ibidem
142 Ibidem
143 Ibidem
144 Brovarski E., op.cit, in, Encyclopedia of the
Archaeology of Ancient Egypt, 1999, p.318
145 Grimal N., op.cit, 1988, p.191
146 Drioton E Vandier J. op.cit, 1984, p.224
38
Comme on le constate à travers cette brève
description de l'art égyptien de la P.P.I., celui-ci contraste à
plusieurs niveaux, avec l'art de l'A.E., caractérisé par sa
grandeur et son harmonie.
C- Réveil d'une nouvelle conscience
Ce fut en Egypte que se constitua la première forme
monarchique de l'Etat et, pour avoir connu tous les problèmes qui
peuvent s'abattre sur une société, l'Egypte leur a cherché
les premières réponses147. Or, l'un des premiers
bouleversements majeurs qui ébranla la civilisation de l'Egypte avait
été cette crise dont nous venons de décrire les
manifestations. C'est durant cette crise que la forme monarchique de l'Etat,
instituée depuis plusieurs siècles, s'était
effondrée. C'est aussi cette époque qui a vu la paix sociale qui
caractérisa l'A.E., se rompre sous le coup de la violence. Cette
période intermédiaire fut alors une période
inquiète et turbulente qui devait ébranler la conception du monde
de l'ancienne Egypte.148
La crise de conscience qui s'empara des Egyptiens de cette
période de troubles devait les pousser à redéfinir leur
place dans l'univers.149 Dès lors, la P.P.I. ne devait pas
apparaître uniquement comme une période de décadence
politique et sociale mais elle devait être aussi, celle qui a
favorisé l'éclosion de nouvelles idées.
Nous suivons cette émergence d'un esprit nouveau
à travers les textes littéraires qui datent de cette
période de crise. Parmi ces textes, il y a l'Enseignement du roi
Khéti III à son fils Mérikarê ; La Satire
des métiers ou bien Les Neufs palabres du paysan
volé.150 Ces trois textes permettent de lire
l'état d'esprit de l'Egyptien par rapport à la crise politique et
sociale qui a secoué son pays. Nous avons ensuite le Dialogue entre
l'homme et son ba et Les chants
147 Sall B., « L'image memphite des nubio-soudanais
», in, ANKH : Revue d'Egyptologie et Civilisations
Africaines, n° 8/9, 1999-2000, p.31
148Woldering I., Egypte. L'art des
pharaons, traduit de l'allemand par Louise Servicen, Paris, Albin Michel,
1963, p.42
149Grimal N., op.cit., 1988, p.182
150 Pour ces trois textes, (Cf., Lalouette Cl.,
op.cit., 1982, respectivement p. 50à 57 ; 192 à 197 et
197 à 211). Le texte des Neufs palabres du paysan volé a
été traduit par G. Lefebvre sous le titre de Conte de
l'oasien. D'après lui, rien ne prouve que l'homme volé
fût un paysan, d'où le choix de l'oasien pour désigner
l'auteur de ce texte, en référence au milieu d'où il est
venu (Cf., Lefebvre G., op.cit., 1982, p.41à69)
39
du harpiste.151 Ces deux derniers textes
illustrent l'émergence d'une pensée pessimiste dans une
société qui venait de vivre le bouleversement de sa
civilisation.
L'analyse de ces différents textes littéraires
permet ainsi de saisir, dans une certaine mesure, l'évolution de la
pensée en Egypte, par rapport à la vie politique, sociale et
religieuse.
Cette évolution est notée d'abord au niveau
même des thèmes qui sont développés dans ces textes
contemporains de la P.P.I. En effet, si à l'A.E., l'essentiel des
écrits connus était des textes religieux ou biographiques, ceux
de la période intermédiaire se caractérisent par leur
tendance à aborder des thèmes jusque là ignorés
dans la production littéraire. Entre autres thèmes, il y a ceux
qui attraient à la gestion du pouvoir royal, à la gouvernance
publique, à la justice et à l'ordre social établi.
D'abord sur le plant politique, le système monarchique,
tel qu'il se présentait sous l'A.E., avait comme centre, la personne du
pharaon. Ce dernier était le garant de l'ordre et de la
sécurité, protecteur du faible, celui qui devait veiller à
la venue des crues du Nil pour éviter que la misère ne s'abatte
sur son peuple. Aussi, en sa qualité d'héritier du pouvoir des
dieux et de « fils de Rê », il incarnait un pouvoir divin.
Cependant, la crise qui avait secoué l'Egypte à la fin de l'A.E.,
avait bouleversé toute cette conception qu'on se faisait de pharaon.
Nous avons vu qu'au cours de la violence, ce dernier avait été
déchu du trône qu'il incarnait. Le pays allait connaître une
invasion étrangère et une guerre civile. Par la suite, les restes
de la monarchie allaient être disputés entre les différents
chefs de provinces. Toute cette situation devait finir par discréditer
le dogme sur lequel se fondait la royauté pharaonique.
Il fallait alors revoir le fonctionnement même de cette
institution pour éviter que de pareilles catastrophes ne se reproduisent
en Egypte. C'est dans ce sens que Khéti III (un des souverains de
l'époque intermédiaire), conscient de cette situation, allait
prodiguer des enseignements à son fils et successeur
Mérikarê. Dans les recommandations concernant la fonction de
souverain, il disait à son fils : « Soi «artisan en parole
» pour être fort, c'est la puissance d'un homme que sa langue ; les
mots sont plus forts que n'importe quel combat ; [...] C'est une école
pour les Grands que l'homme sage ; ceux qui connaissent son savoir ne
l'attaquent pas, aucun [mal] ne survient dans son voisinage. Les
Vérités et Justice viennent à
151 Nous utilisons ici la traduction de Cl Lalouette.,
op.cit., 1984, respectivement p.421 à 429 et 229-230. Nous
retrouvons les extraits de la traduction des deux textes chez Th. Obenga.,
La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant
notre ère, Paris, l'Harmattan, 1990, p.189 à 197 et 473
40
lui déjà « brassées »,
[...] Cherche à égaler tes pères, ceux qui ont vécu
avant toi... Vois, leur paroles persistent dans les livres , · ouvre
(ceux-ci), lis et copie (leur) connaissance , · l'homme habile devient
alors un homme instruit.»152 Derrière ces propos de
Khéti, apparaît l'importance fondamentale que les qualités
humaines devaient occuper dans l'exercice de la fonction royale. Il s'agissait
de substituer l'intelligence à la violence dans la vie politique en
fondant cette dernière sur des bases largement humaines.153
En effet, si à l'A.E., il suffisait que le roi fût roi, il faut
à présent qu'il ait des qualités humaines.154
La crise avait fini par révéler que malgré le fait qu'il
était le « fils de Rê » et que son pouvoir était
de nature divine, pharaon n'a pas été épargné par
le peuple lors de la révolte. Tirant les leçons de cette
situation, Khéti avait cherché à mettre en exergue les
qualités humaines du souverain dans la gestion du pouvoir. Un homme
d'Etat doit avoir le sens du dialogue car dans certaines circonstances, la
parole peut se révéler plus efficace que la force qu'il incarne.
Le fait que Khéti, de surcroît un souverain, conseille à
son fils et successeur de disposer des qualités humaines reflète
l'évolution très sensible qu'était entrain de subir la
nature divine de la royauté pharaonique. Mettre la parole au service de
la royauté, signifie en même temps qu'on était entrain de
faire recours à des moyens d'actions autres que le dogme de la
royauté divine, qui était le fondement du pouvoir monarchique. Et
au delà, c'est l'évolution des idées politiques qui
apparaît à travers ces conseils de Khéti à son fils.
Sous l'A.E., les textes en rapport avec la royauté ne faisaient pas de
remarques sur pharaon ni sur l'exercice de son pouvoir. Cela du fait que la
nature surhumaine des pharaons et la dévotion que leur vouaient leurs
sujets excluaient tout dialogue véritable. Pharaon promulguait des
décrets et adressait des instructions, il ne parlait pas de
lui-même, ni de ce qu'il faisait, car il n'en avait pas
besoin.155 Mais la crise qui a secoué l'institution royale
est passée par là et, il fallait s'adapter aux modifications
qu'elle avait introduites dans la conception du pouvoir monarchique
Dans ce texte de Khéti, on retrouve des passages
où l'auteur faisait allusion à l'application de ce que nous
pouvons considérer comme étant une politique de bonne
gouvernance. En effet, en demandant à son successeur de ne pas
préférer le fils d'un homme riche à celui d'un pauvre et
de choisir un homme en fonction de ses actes,156 Khéti
préconisait en même temps la suppression de
l'hérédité dans les charges publiques.
152 Id., Ibid, p.50
153 Daumas F., op.cit., 1982, p.77-78
154 Posener G., op.cit., 1956, p.9
155 Id., Ibid, p. 15
156 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.52
41
Autrement dit, les liens familiaux devaient cesser
d'être un critère d'accès aux charges de l'Etat, comme cela
s'était produit sous l'A.E.,157 Seul la compétence de
l'homme devait lui valoir la confiance de pharaon. Ce dernier devait aussi
lutter contre la pratique de la corruption au sein des institutions
étatiques. Pour ce faire, la solution se trouve dans le bon traitement
des agents de l'Etat. Ainsi pour Khéti, il faut accorder de l'importance
aux fonctionnaires car, «Celui qui est riche dans sa maison ne sera
point partial,... il possède des biens et n'a pas de besoin. Mais
l'homme démuni ne parlera pas selon la Vérité, il ne peut
être juste celui qui dit « Ah ! Si j'avais » il se portera vers
celui qui lui plait et favorisera celui qui a des récompenses pour
lui. »158 Pour que les institutions royales fonctionnent
correctement, il faut que les serviteurs de l'Etat soient mis dans de bonnes
conditions. C'est aussi le seul moyen de lutter contre la corruption.
Comme on le constate à travers ces conseils de
Khéti, la crise de la P.P.I, avait conduit la royauté à
revoir son fonctionnement. Le pharaon ne devait pas se contenter uniquement de
régner. Il devait veiller à ce que les institutions royales
fonctionnent correctement car, c'est désormais à ce niveau, et
non dans la nature divine de son pouvoir, qu'il pouvait s'assurer l'estime de
son peuple.
Les conseils de Khéti à son fils ont aussi
concerné la question de la justice. Par rapport à celle-ci, il
lui disait: « accomplis la Justice tant que tu dureras sur la terre.
Apaise celui qui pleure ; n'opprime pas la veuve ; n'expulse pas un homme des
possessions de son père [...] Garde-toi de punir à tord ; ne
supprime pas celui qui ne t'est pas utile ; et si tu punis, que ce soit au
moyen de la bastonnade ou de l'emprisonnement ; ainsi le pays sera fermement
établi, à l'exception du révolté dont les plans
seront découverts, car Dieu connaît l'homme au coeur vil et Dieu
punit, par le sang, les mauvaises actions... »159 Il y a
là une conscience élevée de l'importance de la justice
dans la consolidation d'un Etat. Le respect des droits de l'homme doit
être un souci majeur pour le souverain. Il doit veiller à ce que
toute décision de justice fasse l'objet d'un procès
équitable. En outre, les seules formes de punitions
suggérées, étaient l'emprisonnement ou la bastonnade.
Aujourd'hui les défenseurs des droits de l'homme diront que la
bastonnade relève de la torture. Il reste cependant,
157 Nous verrons que sous l'A.E., l'introduction de
l'hérédité dans les charges de l'Etat devait constituer un
des éléments qui ont contribué à l'affaiblissement
du pouvoir memphite qui devait s'effondrer par la suite.
158 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.51. Dans un autre
texte qui date de cette même période, en l'occurrence
les Neufs palabres du paysan volé, l'auteur se
montre très critique vis-à-vis des magistrats qu'il juge comme
étant des corrompus. Pour lui, « ce peut-être une
(simple) corbeille de fruits qui (parfois) «retourne» les juges ; car
c'est leur pâture de dire des mensonges » (Cf., Id.,
Ibid, 203).
159 Ibidem
42
qu'elle est préférable à la peine de
mort. Or, pour Khéti, la peine de mort ne relève pas de la
justice des hommes mais de celle de Dieu. C'est lui qui « punit, par
le sang, les mauvaises actions ».160 Ceci pour dire que le
respect de l'être humain avait atteint un niveau tel que même si
l'homme commet un acte qui est puni par le sang, on dit que la sentence est
d'ordre divin. La peine de mort, semble-t-il, est étrangère
à la civilisation égyptienne. D'après J. Pirenne, durant
toute la période de l'A.E., (en dehors de figures de très
ancienne origine, et devenues symboliques, qui montrent le pharaon mettant
à mort un ennemi vaincu) on n'a pas de connaissance de relation ou
représentation de la peine de mort.161
Si le souverain est tenu à veiller pour une bonne
application de la justice, ce n'est pas seulement pour une question de
gouvernance, mais c'est parce que lui-même est désormais tenu de
se justifier au jour du jugement dernier. A ce propos, voici ce que
Khéti faisait savoir à son héritier: « Les
magistrats divins qui jugent les misérables, tu sais qu'ils ne sont pas
indulgents, en ce grand jour du jugement du malheureux, à l'heure
d'établir la sentence , · et cela est pénible lorsque
l'accusateur est le Sage (Thot). Ne te fit pas à la longueur des
années (que tu as vécues), car ils considèrent le temps de
vie comme ils considèrent une heure. L'homme demeure après sa
mort, et ses actes sont placés à côté de lui en un
tas , · c'est l'éternité qui est là, et c'est
insensé celui qui à accompli ce qu'ils (les juges) blâment
, · mais celui qui a atteint ce lieu sans avoir commis de mauvaises
actions, il demeurera là comme Dieu, marchant librement de même
que les (autres) possesseurs du Temps éternel.»162
Ces propos, qui de surcroît, étaient prononcés par un
souverain, révèlent un autre aspect de l'évolution de la
doctrine divine de pharaon. En effet, dans la religion funéraires, il
est établi que pharaon, puisqu'il était d'une essence divine,
à sa mort, il rejoignait les dieux et continuait de régner sur
ses sujets. D'où, c'était lui qui disposait d'une pyramide et
c'est pour lui que sont composés les Textes des Pyramides. Si
un particulier bénéficie de cette immortalité, c'est par
une faveur royale. Mais à présent, cette opportunité dont
disposait pharaon à rejoindre les dieux après sa mort est
maintenant suspendue aux actes accomplis sur terre. D'après N. Grimal,
la rétribution des actes du pharaon, souverain par delà la mort,
est une chose qui eut été impensable.163 Mais
au-delà, c'est l'évolution du concept divin de la royauté
pharaonique qui apparaît à travers ces changements
dénotés dans la religion funéraire.
160 Ibidem
161 Pirenne J., op.cit., 1961, p165
162 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 52
163 Grimal N., op.cit., 1988, p.183
43
Les deux autres textes qui reflètent les changements
intervenus à la faveur de la crise sont le Dialogue entre l'homme et
son ba et le chant du harpiste. A travers ces textes, on peut
lire la crise de conscience qui s'était emparée de l'Egyptien
durant cette période de crise.
En effet, l'effondrement qui se produisit à cette
époque avait non seulement entraîné la dislocation de
l'ordre établi par l'Etat, mais aussi, la conception que l'Egyptien se
faisait du monde allait subir des évolutions. Ce que l'on avait paru
bâtir pour l'éternité s'était
révélé périssable.164 L'homme c'est
rendu compte qu'en réalité, rien n'était éternel
dans le monde d'ici bas. C'est dans ce sens que le harpiste, faisant allusion
à la mort d'Antef165, disait : « c'est un homme
prospère, ce bon seigneur. Un destin heureux est maintenant fini. Une
génération passe et d'autres hommes viennent à sa place
depuis le temps des ancêtres [...] J'ai entendu les discours d'Imhotep et
de Dedefhor dont les hommes partout prononcent les paroles, mais où est
maintenant leur résidence ? Leurs murs sont détruits, leur
emplacement même n'est plus, comme s'ils n'avaient jamais
existé. »166 Derrière cette allusion faite
à Antef et à des personnages comme Imhotep, c'est le
caractère relatif de l'homme et de ses actions qui est rappelé
par le harpiste. En effet, quel que soit ce que l'homme a
représenté ou ce qu'il a réalisé sur terre, il est
condamné à disparaître un jour et d'autres
générations viendront à sa place.
Dès lors, si l'homme est condamné à
disparaître un jour ou l'autre, à quoi vaut la peine de
s'accrocher à cette vie dominée par la violence ? L'auteur du
Dialogue entre l'homme et son ba se lamente de cette situation en
s'interrogeant en ces termes : « A qui parlerais-je aujourd'hui ? Les
coeurs sont cupides. Et chacun emporte le bien de son prochain [...] La douceur
a péri. La puissance revient à tous [...] On pille. Chaque homme
dépouille son prochain.» Face à cette situation
difficile, la mort allait être vue comme une solution aux
difficultés de la vie. Elle se présente à l'homme
« comme la guérison après un
164 Wolf W., Le monde des Egyptiens, (texte
français de Jaques Boitel), Paris, Corrêa Bouchet / Châtel,
1955, p.52
165 Il n'est pas précisé dans le texte, à
quel Antef le harpiste fait allusion ? Mais étant donné que le
texte date de la P.P.I, on peut supposer qu'il s'agit d'un des souverains Antef
qui ont régné à cette époque sur une partie du
pays.
166 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.228. Les deux
personnages illustres auxquels le harpiste fait allusion dans ce texte à
savoir Imhotep et Dedefhor, ont vécu sous l'A.E. Le premier, Imhotep,
avait vécu sous le pharaon Djeser, (IIIe dynastie).
Grand-prêtre d'Héliopolis, la ville du dieu Rê,
prêtre-lecteur et architecte, Imhotep fut conseiller du pharaon et
initiateur de cette admirable architecture en pierre qu'était la
pyramide. Il fut l'objet d'un culte à la Basse époque. Quant
à Dedefhor, il était un des fils du pharaon Chéops. Homme
de lettre, il fut comparé dans une certaine mesure à Imhotep.
Aussi dans le conte du Papyrus Westcar, c'est lui qui introduit le magicien
Djédi au près de Chéops à qui il allait annoncer
l'avènement des pharaons de la Ve dynastie (Cf., Grimal N.,
op.cit., 1988, p.80-81 et 89-90)
44
accident [...] comme l'odeur de la myrrhe [...] Comme le
parfum du lotus »167 Elle devient libératrice ;
c'est le grand air du dehors que goûte intensément tout homme
après une longue détention.168 C'est pourquoi elle
s'est présentée à l'homme comme une alternative face
à cette vie devenue très difficile. Et pour convaincre son ba
de mourir avec lui, l'homme propose qu'il ferait « en sorte qu'il
atteigne l'Occident comme le ba de celui qui repose dans la
pyramide [pharaon] et pour l'enterrement de qui demeure encore quelqu'un sur
terre ».169 Derrière cette proposition de l'homme
à son ba apparaît l'inégalité des Egyptiens
devant la mort et l'envi qu'avait le peuple de bénéficier de
l'immortalité de l'âme à l'instar de pharaon et des
privilégiés. En effet, dans la religion funéraire
égyptienne, les hommes d'éternité se trouvaient parmi les
favoris de pharaon. C'était ces derniers qui étaient assez riches
pour s'assurer la momification, une tombe, des rites, une stèle qui
maintient leur nom en vie et les offrandes.170 Les pauvres avaient
ce désir d'éternité mais ils n'avaient pas les moyens de
le réaliser. C'est pour cette raison que dans sa réponse à
l'homme, le ba lui fait ces remarques : « tu n'es certes pas
un homme (bien né), mais n'es-tu pas vivant ? Et tu achèves tes
plaintes sur la vie comme si tu étais un homme opulent !
»171 C'est dire que sont ceux-là qui étaient
sûr d'assurer leur survie à l'au-delà qui pouvaient se
plaindre de la vie sur terre mais pas les pauvres. Pour ces derniers, la
perspective d'une éternité dans l'au-delà demeurait
incertaine. Alors, pour le harpiste, la solution était de vivre la vie
comme il le fallait: « que ton coeur soit joyeux, qu'il oubli que, un
jour, tu deviendras un akh. Suis ton désir, tout le
temps de ta vie. Place de la myrrhe sur ta tête, habille- toi de lin fin,
et oins toi avec les vraies merveilles qui appartiennent à Dieu. Accrois
encore tes joies et ne permets pas que ton coeur s'attriste. Suis ton
désir et les plaisirs que tu souhaites. Fais ce que tu veux sur la
terre, n'afflige pas ton coeur, jusqu'à ce que vienne pour toi, le jour
des lamentations. »172 Seule la vie vaut la peine
d'être vécue parce qu'elle est au moins une réalité.
En outre, le souffle de la vie est la même aussi bien pour le riche que
pour le pauvre. Il ne faut pas par conséquent gâcher la joie de
vivre par des pensées angoissantes en rapport
167 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.225-226
168 Obenga Th., op.cit., 1990, p.194
169 Lalouette Cl., op.cit., 1984n p.222
170 Obenga Th., op.cit., 1990, p.192
171 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.222
172 Id., Ibid., p.228
45
avec le devenir après la mort. Ce qui fait dire
à Cl. Lalouette que prés de 2000 ans avant Epicure, les Egyptiens
chantaient déjà la recherche du plaisir simple et « vertueux
».173
D'ailleurs pour l'Egyptien de cette période de crise,
la perspective d'une survie éternelle après la mort,
fondée uniquement sur les rites funéraires, avait
été une croyance fortement remise en cause. Ceci du fait que les
fondements de la religion funéraire avaient subi des violations majeures
au cours des troubles. En effet, si l'on se réfère à
Ipou-our, il parle de l'abandon de la momification ou bien de la violation de
la pyramide royale.174 Alors, si les rites funéraires qui
participaient à assurer une vie éternelle au défunt sont
abandonnés, si les tombes avaient été pillées,
comment le mort pouvait-il atteindre l'éternité ? Autrement dit,
si la survie de l'homme dans l'au-delà ne dépendait que de ces
éléments de la religion funéraire, ceux dont les tombes
ont été pillées et ceux qui étaient morts et
jetés au fleuve ne pouvaient plus accéder à la survie
éternelle. C'est par rapport à cette situation que le
ba, répondant de l'homme dans le Dialogue, lui fit
cette remarque : « Si tu pense à la sépulture, c'est un
deuil pour le coeur, c'est ce qui amène les larmes en attristant l'homme
; c'est enlever celui-ci de sa maison, pour le jeter sur le tertre ; jamais
plus, alors, tu ne monteras au ciel pour voir le soleil. Ceux qui ont construit
(des monuments) en granit et édifié...des pyramides parfaites,
oeuvres achevées, ces bâtisseurs sont devenus des dieux ; mais
maintenant leurs tables d'offrandes sont nues, comme celles des
abandonnés qui sont morts sur la rive, sans descendance. »
175Ainsi, la momification, les offrandes, les vastes tombaux ne
constituent plus des éléments indispensables pour assurer
à l'homme une survie éternelle. Sur ce plan, la crise que
traversa l'Egypte à la P.P.I avait permis à l'homme de prendre
conscience du fait que tous les hommes sont en réalité
égaux devant la mort. La seule chose qui pouvait faire la
différence après la mort reste les actions de l'homme sur terre,
comme l'avait dit Khéti III à son fils : « l'homme
demeure après sa mort et ses actes sont placés à
côté de lui en un tas.» C'est de ses actes que
dépendra le sort de chacun dans l'autre monde. Selon Th. Obenga, la
question de l'autre vie était posée, discutée et
résolue à un moment de crise politique et sociale, dans le sens
d'indépendance spirituelle, de libération et, en même temps
naissait une philosophie de la mort donnant satisfaction à l'esprit des
pauvres.176 En effet, dans la décadence qui
caractérise cette période, il reste au moins que la notion de
la
173 Id., La littérature égyptienne.
Que- sais- je ? Paris P.U.F., 1981, p.35. Epicure est un philosophe grec qui
vécut de -341 à -270 ; dans sa philosophie, il prône la
doctrine selon laquelle, l'homme doit atteindre le bonheur par la recherche du
plaisir.
174 Id., op.cit., 1984, p. 212 et 217
175 Id, Ibid, p.222
176 Obenga Th., op.cit., 1990, p.194
personnalité humaine a subsisté dans
l'idée que tous les hommes sont égaux devant Dieu et au fond de
sa conscience, chaque égyptien est convaincu que Dieu jugera tous les
hommes.177
Comme on le constate, la P.P.I., avait profondément
marqué la civilisation égyptienne par les dommages et
destructions matérielles. Cependant, elle a été en
même temps le lieu d'éclosion d'une vision nouvelle par rapport
à la conception que les hommes se faisaient de la vie et de leur sort
après la mort. C'est de cette nouvelle vision du monde et des rapports
entre l'homme et les dieux, que devaient bénéficier les Egyptiens
des époques suivantes.
46
177 Pirenne J., op.cit., 1962, p.45
DEUXIEME PARTIE :
47
LA CRISE
48
Chapitre I : Le contexte
A- L'avènement de la Ve dynastie et ses
conséquences
Le commencement de la déchirure politique et sociale
qui secoua l'Egypte durant la P.P.I., avait été en même
temps, le terminus d'une époque considérée comme
étant l'une des plus achevées de sa civilisation.178
En effet, après avoir connu les règnes des IIIe, IVe,
Ve et VIe dynasties, l'A.E. devait s'effondrer à
la fin de cette dernière. La question que l'on se pose est celle de
savoir par quel processus une civilisation aussi brillante est arrivée
à s'affaisser. La réponse à cette question nous
amène à analyser l'évolution politico- religieuse du
système monarchique de l'Egypte sous l'A.E. Il semble en effet, qu'au
cours de cette évolution, le système monarchique avait connu deux
phases. Durant la première, l'institution monarchique avait tendu vers
l'absolutisme royal. La second fut marquée par l'influence du
régime « féodalisant » et oligarchique179.
C'est cette dernière phase qui devait aboutir aux bouleversements
sociopolitiques qui ont mis un terme à la période
memphite180.
L'avènement de la Ve dynastie a,
semble-t-il, constitué une étape majeure dans le processus qui a
conduit à cette fin d'époque.181
Il s'agit pour nous, d'étudier le contexte de
l'avènement de cette dynastie et son impact dans la crise.
Pour cette étude, nous disposons d'un certain nombre de
sources. Il s'agit principalement du Papyrus Westcar, un document qui
contient une série de contes dont l'un évoque la venue des trois
premiers pharaons de la Ve dynastie.182 Ensuite, nous
avons la Pierre de Palerme, un document sur lequel sont gravées
les Annales des souverains des cinq premières dynasties. Dans ces
Annales, sont consignées les actions importantes des pharaons par
année de règne.183 Il y a aussi les inscriptions
biographiques des fonctionnaires de l'A.E. dont nous retrouvons la traduction
à travers les ouvrages de J.H. Breasted (Ancient records of
Egypt) et d'A. Roccati (La littérature historique sous l'Ancien
empire égyptien).
178 Vercoutter J., op.cit., L'Egypte ancienne, 2003,
p.55
179 Moret A., op.cit., 1946, p.202-203
180 La « période memphite » renvoie à la
période où la capitale du royaume pharaonique se trouvait
à Memphis. Il s'agit de l'A.E. On l'appel aussi « Egypte memphite
».
181 Sall B., op.cit., 1982, p.10-11
182 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.80 à 90 ;
Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.27 à 30
183 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 76
à 167 ; Roccati A., op.cit., 1982, p.36 à 52.
49
L'avènement de la Ve dynastie et les
changements politico-idéologiques qui l'ont accompagné, ont
entraîné des bouleversements dans l'évolution du
système monarchique. Jusque là, l'Etat pharaonique était
caractérisé par un centralisme politique et religieux qui trouve
sa base dans la phase de consolidation de l'unité monarchique à
l'époque thinite.184 Dans le processus qui avait conduit
à cette centralisation, l'Etat memphite s'était, semble-t-il,
heurté à des forces centrifuges constituées par les
administrateurs provinciaux, chefs de file des aristocraties terrienne,
politique et cléricale185. Ce fut dans le cadre de la lutte
contre cette tendance autonomiste que, dés le début de l'A.E., le
système monarchique est apparu très centralisé. Cette
centralisation de la monarchie pharaonique s'est manifestée à
plusieurs niveaux.
D'abord sur le plan religieux, elle s'est exprimée par
l'incorporation du culte de Rê au culte royale186. En effet,
dans l'immense pyramide à degré qu'il se fit élever comme
sépulture, Djeser (premier pharaon de la IIIe dynastie et de
l'A.E.) prit comme titre « Roi de Haute et de Basse Egypte, maître
des Deux-Couronnes, Djeser » suivi du signe du Soleil Rê surmontant
Seth187. La superposition de ces deux signes, en dehors du fait
qu'elle traduit la domination de Rê sur Seth, laisse apparaître la
réunion des cultes autour du dieu solaire188. Cependant, pour
ne pas se laisser dominer par la théologie solaire, pharaon allait en
faire la justification de l'absolutisme au quel il tendait189.
Ainsi, Djeser allait prendre comme nom d'Horus, Neteryerkhet
c'est-à-dire « plus divin que le corps [des dieux] » dans le
but, semble-t-il, d'acquérir un caractère aussi divin que
Rê.190 Ceci devait lui permettre de se départir de
toute tutelle divine qui pouvait se traduire sur le plan politique par une
tutelle cléricale.
Au plan politique, la centralisation du pouvoir s'est
manifestée dans l'administration dès le début de l'A.E.
Dans la biographie de Metjen, un fonctionnaire de la IIIe dynastie,
on constate qu'il fut « Gouverneur de la demeure du pharaon Houni
(constituée de plusieurs villages) (en tant que) [nomarque]
(âdj-mer) du nome du Harpon [...] Gouverneur de la grande demeure de
Sékhemou (entant que) [nomarque] de nome du Taureau sauvage
».191
184 Séne Kh., op.cit., 2002-2003,
185 Sall B., op.cit., 1984, p.23
186 Pirenne J., op.cit, 1961, p.133. L'influence de
la doctrine solaire sur le pouvoir monarchique s'était faite sentir
dés l'époque thinite. Des noms royaux composés avec
Rê tels que Neb-Rê « Rê est maître »,
Ka-Rê « le génie de Rê » ou Nefer-Ka-Rê
« beau est le génie de Rê », sont portés par les
2e, 6e et 7e pharaons de la IIe dynastie (Cf., Moret A.,
op.cit., 1941, p.193)
187 Pirenne J., op.cit., 1961, p.133-134
188 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.27
189 Pirenne J., op.cit., 1961, p.134
190 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.28
191 Roccati A., op.cit., 1982, p.85
50
Aussi, c'est en tant que « Gouverneur de la demeure
du pharaon Houni (dans) le nome de la Cuisse [qu]'un terrain de 12 aroures lui
est donné avec son fils, et (en plus) du personnel et du bétail
».192 Il apparaît ainsi que ce fut en sa
qualité de fonctionnaire que Metjen occupa des charges de gouverneur de
nome et reçut des rétributions de la part de pharaon. Ce dernier,
ayant réussi à devenir l'unique détenteur de tous les
pouvoirs exécutifs, législatifs et juridiques, allait nommer des
fonctionnaires pour l'exécution de ses ordres. En retour, ils
étaient rémunérés.193 Dés lors,
le fonctionnarisme devait s'instituer à la place de la « noblesse
seigneuriale ». Des mesures telles que la hiérarchie des charges
administratives ou bien la mutation des agents furent instituées pour
éviter toute reconstitution de pouvoir personnel.194
Le centralisme monarchique de l'Etat égyptien
s'était ainsi institué sur la base de la neutralisation de la
tendance autonomiste. Et la lutte entre ces deux forces opposées devait
être le moteur de l'évolution politique en Egypte durant l'A.E.
Avec l'avènement de la IVe dynastie, cette
lutte devait franchir une nouvelle étape. En effet, d'après
Hérodote, Chéops (considéré comme le second pharaon
de cette dynastie) « ferma tous les temples et empêcha aux
Egyptiens d'offrir des sacrifices ».195 Ces mesures prises
par Chéops s'inscrivaient, semble-t-il, dans le cadre de l'absolutisme
royal. D'abord il s'agissait pour pharaon, d'incarner Rê lui-même
en vue d'imposer son autorité sur la terre.196 Sur un autre
plan, les temples égyptiens, en dehors de leur caractère de
sanctuaire, constituaient en même temps des centres politiques et une
source de revenus pour des familles « aristocratiques » qui en
tiraient leur richesse.197 De ce fait, la mesure de la fermeture des
temples visait aussi, la noblesse dans ce qui constituait la base de sa
puissance. Ainsi, le pharaon, devenu le « Grand Dieu », était
l'objet de tous les cultes.198 Le culte royal allait se confondre
avec le culte de Rê et tous les principaux cultes étaient
désormais présidés par des fils royaux ou par de grands
dignitaires.199
Sur le plan administratif, les plus hautes charges de l'Etat,
désormais coiffées par le vizir, pouvaient être
confiées à des princes membres de la famille
royale.200 La classe des fonctionnaires devait tenir toute sa
puissance du souverain uniquement, dans la vie comme
192 Id., Ibid, p.86
193 Pirenne J., op.cit., 1961, p.136
194 Id., Ibid, p.136-137
195 Hérodote, II, 24.
196 Séne Kh., op.cit, 2002-2003, p40
197 Muck O., Chéops et la grande pyramide,
l'apogée de l'Ancien empire d'Egypte, traduit de l'Allemand par
Remy G, Paris Payot, 1978, p.90
198 Pirenne J., op.cit, 1961, p.154
199 Ibidem
200 Wolf W., op.cit., 1955, p.34
51
dans la mort. 201 C'est le pharaon qui dote,
protège et nourrit son serviteur ici-bas comme dans l'au delà. Ce
dernier devenait un imakhou de son souverain de qui il recevait une
concession pour le culte funéraire. Par exemple, Khoufouânkh, un
fonctionnaire de la IVe dynastie dit que « Sa
majesté lui a fait faire le présent (monument)
conformément à sa condition d'imakhou auprès de Sa
Majesté... ».202 Un autre dignitaire, contemporain
de Khephren rapporte dans une inscription que pharaon lui avait donné
des offrandes funéraires champs et villages en sa condition
d'imakhou.203 Les dignitaires étaient en outre tenus
de se faire ensevelir aux cotés de pharaon. L'une des manifestations de
cet état de fait est visible dans la nécropole de Gizeh où
les tombes plates de hauts dignitaires sont surplombées par la
gigantesque pyramide royale.204 Il apparaît ainsi que les deux
premières dynasties de l'A.E. furent caractérisées par une
forte centralisation des pouvoirs politiques et religieux autour de pharaon.
Cependant, ce système centralisé allait,
semble-t-il, se confronter à une crise politico-idéologique
à la fin de la IVe dynastie. En effet, Chepseskaf,
considéré comme le dernier pharaon de cette dynastie, ne prit
pas, comme ses prédécesseurs, un nom de Rê. Pour sa tombe,
il préféra un mastaba à la pyramide qui se rattachait
directement au culte solaire.205 En outre, on a noté
l'absence des mastabas appartenant à des dignitaires autour de la tombe
de ce pharaon. Tout cela peut être interprété comme un
abandon par Chepseskaf, de la politique absolutiste de ses
prédécesseurs. Et c'est dans ce contexte que devait s'achever la
IVe dynastie.
Ce rappel de la situation politique et idéologique qui
avait marqué cette première moitié de A.E. nous permet
d'entrevoir les changements qui devaient intervenir à l'avènement
de la Ve dynastie.
En effet, comme l'a rapporté J. Vercoutter, il est
impossible de parler de cette dynastie sans prendre en compte le conte du
Papyrus Westcar qui annonce la venue de ses trois premiers
souverains.206 Cet avènement est rapporté sous forme
de légende qui remonterait à la IVe dynastie.
D'après cette légende, c'est au pharaon Chéops que le
magicien Djédi annonça la venue prochaine des trois premiers
pharaons de ce qui allait constituer la Ve dynastie. Voici comment
le conte est rapporté d'après la traduction de G.
201 Ibidem
202 Roccati A., op.cit., 1982, p.99-100
203 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 207 et
209
204 Wolf W., op.cit., 1955, p.34
205 Pirenne J., op.cit, 1961, p.168. Ce fut,
semble-t-il, dans le besoin de se légitimer par rapport à
Chéops qu'ils identifièrent à Rê, que ses
successeurs à savoir Djédefrê, Khéfren et
Mykérinos, prirent tous le nom de Rê.
206 Vercoutter J., op.cit, 1992, p.288
52
Lefebvre. Le souverain Chéops, à court de
divertissement (comme ce fut le cas pour Snéfrou dans le conte
prophétique), demanda à ses enfants de lui raconter chacun une
histoire. L'un d'eux, Dedefhor, au lieu d'inventer une histoire
préféra faire appel au magicien Djédi. Ce dernier,
après avoir fait quelques prouesses devant le pharaon, finit par lui
annoncer la venue prochaine de trois souverains qui allaient mettre fin
à sa lignée. Ce fut en réponse à la question de
Chéops à savoir s'il connaissait le nombre des chambres
secrètes du sanctuaire de Thot que Djédi lui répondit :
« S'il vous plait, je ne connais pas leur nombre, souverain V.S.F.,
mon maître, mais je connais l'endroit où cela est. » Sa
Majesté dit : « Où est-ce donc ? » Et ce
Djédi répondit : « Il y'a un coffret de silex là,
dans une chambre appelée «(Chambre de) l'inventaire à
Héliopolis». [Eh bien ! c'est] dans ce coffret. » [Sa
Majesté dit : « Va, apporte-le moi »] Mais Djédi
répondit : « Souverain V.S.F., mon maître non ce n'est
pas moi qui te l'apporterai. » Sa Majesté dit : « Qui
donc me l'apportera ? » Djédi répondit « C'est
l'aîné des trois enfants qui son dans le sein de Reddjedet, qui te
l'apportera. » Et Sa Majesté dit, « Certes, cela me
fera plaisir ! (Mais à propos de) ce que tu allais me dire, qui est elle
cette Reddjedet ? » Djédi répondit : « C'est
la femme d'un prêtre de Rê, seigneur de Sakhébou ; et il a
dit d'eux qu'ils exerceraient cette fonction bienfaisante dans ce pays entier
et que l'aîné d'entre eux serait Grand voyant à
Héliopolis. » 207 Derrière ce conte légendaire,
il y a un fond historique dont l'analyse permet de voir la rupture
politico-idéologique consécutive à l'avènement de
la Ve dynastie ainsi que ses conséquences sur
l'évolution de l'Egypte.
D'abord la première remarque à faire est le fait
que la légende qui annonce la venue de la Ve dynastie remonte
au pharaon Chéops. Nous avons vu avec Hérodote que ce pharaon
avait des rapports difficiles avec le clergé. Dans le cadre de
l'absolutisme royal, Chéops était parti jusqu'à fermer les
temples et interdire les sacrifices aux Egyptiens. Et, c'est à ce
pharaon, d'après le conte, que le magicien Djédi vint annoncer la
fin de la lignée des souverains de la IVe dynastie au profit
d'une nouvelle famille issue du clergé. Si nous faisons le rapprochement
entre le choix de Chéops dans le conte et ses rapports difficiles avec
le clergé, on peut voir derrière ce conte, les luttes entre le
pouvoir politique et le pouvoir religieux à l'A.E.
Ensuite, en faisant venir les pharaons de la Ve
dynastie d'Héliopolis, et en précisant qu'ils n'étaient
pas de la lignée de Chéops, le conte introduit une rupture entre
la IVe et la Ve
207 Lefebvre G., op.cit., 1982., p. 80. Les trois
enfants, futurs pharaons, sont respectivement Ouserkaf, Sahourê, et
Nefekarê-Kakai. C'est aussi dans cet ordre de frère à
frère qu'ils se sont succédés sur le trône
d'Egypte.
53
dynastie. Sur cette question, certains auteurs pensent qu'il
n'y avait pas de rupture puisque la Reddjedet du conte serait une princesse
royale.208 Quant à Manéthon, il fait venir la Ve
dynastie d'Eléphantine.209 Si l'affirmation de
Manéthon ne reflète pas les faits, vu les liens de cette dynastie
avec Héliopolis, elle montre tout de même qu'il y avait rupture
avec la IVe dynastie. Dans ce cas, l'avènement de la
Ve dynastie, avait non seulement provoqué un changement au
niveau des familles dynastiques mais il allait introduire une rupture dans la
tradition monarchique qui consistait à faire venir les pharaons d'Egypte
du Sud.210 Cet avènement de la Ve dynastie avait
par conséquent mis fin à un privilège que détenait
la Haute Egypte. Ce fut une situation qui n'avait certainement pas
manqué d'influer négativement sur les rapports entre la
royauté et ses provinces, celles du Sud en particulier. Nous verrons les
difficultés que devaient rencontrer les pharaons pour asseoir
l'autorité de l'Etat dans cette région.
Cependant, le changement le plus marquant, consécutif
à l'avènement de la Ve dynastie, se trouve dans l'orientation
politico-idéologique qui a été adoptée. En effet,
d'après le conte, les trois premiers pharaons de cette dynastie sont
issus de l'union de Rê avec une femme en l'occurrence Reddjedet. C'est
dire que ces souverains avaient une origine divine. Si cette origine divine que
se sont donnée les pharaons de la Ve dynastie leur a servi de
moyen pour se légitimer, elle devait toutefois avoir d'énormes
conséquences sur l'évolution politique de l'Egypte.
D'abord en proclamant que les pharaons avaient une origine
divine, la nouvelle doctrine mettait en même temps la royauté sous
une tutelle divine. Dés lors, l'idée de S. Sauneron selon
laquelle, en Egypte, le sort des clergés et la richesse des dieux
étaient liés aux circonstances politiques devient
crédible.211 En effet, cette tutelle divine devait se
traduire par une étroite dépendance des pharaons à
l'égard de Rê. L'une des manifestations de cette dépendance
est visible dans le protocole royal.
Les pharaons, à partir de Néferkarê,
allaient régulièrement introduire le titre de « fils de
Rê » dans le protocole.212 Rê devint ainsi un dieu
dynastique. Mais son ascension au sommet du panthéon égyptien
devait entraîner la solarisation des autres divinités qui
allaient
208 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.174
209 Manéthon, cité par Moret A.,
op.cit, 1926, p.180. Nous concevons mal que les pharaons de la Ve
dynastie soient originaires d'Eléphantine et qu'ils abandonnent la
divinité de cette localité (Khnoum) au profit de celle d'une
autre localité quelle que soit sa puissance. Nous verrons comment les
pharaons du M.E., originaires du Sud, devaient se concilier la puissance de
Rê sans pour autant reléguer leur divinité au second
plan.
210 Sall B., op.cit., 1984, p.22
211 Sauneron S., Les prêtres de l'Ancienne Egypte,
Paris, Edition du Seuil, 1957, p.171
212 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.175
54
devenir tout simplement ses hypostases.213 Dans un
pays ou chaque capitale de province ou nome avait ses divinités qui
donnaient au patriotisme local de fortes assises214, un tel
système idéologique n'était pas de nature à
affermir les liens entre la royauté et les provinces.
L'autre inconvénient de la nouvelle doctrine se trouve
dans la modification de l'image même de pharaon. Jusque là, la
divinité de pharaon n'était affirmée qu'en fonction de sa
descendance d'Horus, le dieu dynastique considéré en dehors de
toute synthèse doctrinale. Il était le grand dieu incarnant la
force divine du faucon Horus.215 Mais en avouant sa
dépendance à l'égard d'un dieu, pharaon s'était, en
quelque sorte, rapproché de l'humanité et avait perdu, au yeux de
ses sujets, cette éminente dignité qui faisait de lui
l'égal des divinités.216 Dès lors, la
conception impersonnelle de la royauté devait s'affaiblir pour
céder la place, au centre de la vie politique, à celle d'une
personne qui remplit une fonction217. La conséquence de cette
situation était que l'essentiel des actions des pharaons devaient
désormais s'orienter vers la religion. Déjà, le ton avait
été donné par le dieu Rê lui-même dans le
conte qui annonce la venue de la Ve dynastie. S'adressant aux
divinités qui devaient assister Reddjedet dans l'accouchement, il leur
disait : « Allez donc et délivrez Reddjedet des trois enfants
qui sont dans son sein et qui exerceront cette fonction bienfaisante dans ce
pays entier. Ils construiront vos temples, ils approvisionneront vos autels,
ils feront prospérer vos tables à libation, ils accroîtront
vos offrandes. »218 Ces paroles de Rê à
l'endroit des divinités traduisent l'importance que devaient occuper les
cadres religieux dans la politique des nouveaux souverains. En effet, il
incombait désormais à chaque pharaon, le devoir non seulement
d'ériger son tombeau personnel, mais d'assurer la fondation d'un domaine
sacré pour le dieu Rê. Aussi les Annales du royaume
évoquent constamment la construction de temples et de dotations pieuses
à partir de la Ve dynastie.219 C'est ce qu'atteste
la Pierre de Palerme. Selon ce document, le pharaon Sahourê, en
l'an 5 de son règne « a fait entant que monument de lui pour
...Nekheb du sanctuaire Méridional : 800 offrandes du dieu par jour.
Outo du sanctuaire Septentrional : 4800 offrandes du dieu par jour. Rê
dans le domaine des stèles : 138 offrandes du dieu par jour. Rê
dans le sanctuaire de Haute Egypte : 40 offrandes du dieu par jour...Rê
de Sekhetrê : un terrain de 1 aroure, 2 kha, 4 ta dans le nome
d'Athribis. Le Harponneur Horus, un terrain de 2 aroures
213 Sall B., op.cit., 1982, p.11
214 Daumas F., Les Dieux de l'Egypte, « Que- sais- je
», Paris, P.U.F., 1965, p.29
215 Woldering I., op.cit., 1963, p.27
216 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.173
217 Wolf W., op.cit., 1955, p.48
218 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.240
219 Wolf W., op.cit., 1955, p.44
55
dans le nome de Bousiris. Le dieu Sem : un terrain de 2
aroures dans le nome de Bousiris [...] »220 Ces actions en
faveur du culte de Rê ont concerné tous les trois pharaons de la
Ve dynastie dont les Annales figurent dans la Pierre de Palerme. Il
apparaît ainsi que ces pharaons octroyaient des bénéfices
en terres et offrandes journalières aux temples solaires, non seulement
aux sanctuaires mais aux temples locaux servant à la
célébration du culte de Rê.221 Cette situation
allait avoir comme effets sur le plan politique, la montée en puissance
du clergé qui devait réussir à transformer la monarchie en
une théocratie. En effet, l'importance du culte était telle que
les charges sacerdotales devaient être confiées aux courtisans et
aux grands fonctionnaires222. Ces derniers allaient dès lors
cumuler les charges sacerdotales aux charges administratives. Et, dans les
nomes, ces charges sacerdotales et administratives devaient se traduire par la
célébration du culte de Rê et l'exercice de la fonction de
nomarque223. Ce cumul des charges sacerdotales qui étaient
accompagnées des bénéfices comme l'atteste la Pierre
de Palerme et des charges administratives, allait favoriser
l'émergence d'une nouvelle noblesse. Le danger pour la royauté
était qu'au moment où elle s'affaiblissait économiquement
par des fondations pieuses, la puissance de l'oligarchie augmentait. Or, toute
puissance de cette dernière, en particulier dans les nomes, était
nuisible au pouvoir central. Nous avons vu que les pharaons des deux
premières dynasties memphites avaient fortement combattu cette situation
en empêchant toute possibilité de reconstitution de pouvoir
personnel.
Ainsi, en permettant cette reconstitution de la puissance de
l'aristocratie, dans un contexte où la nature de la royauté
commençait à tendre vers l'humanisation et les
sensibilités religieuses locales heurtées, la Ve
dynastie avait ouvert la voie vers l'affaiblissement de la monarchie.
B- Le processus d'affaiblissement de la royauté
La Ve dynastie, en adoptant une orientation
politico-idéologique qui avait comme conséquence la
reconstitution de la puissance de l'aristocratie, allait créer une
situation défavorable à la royauté. En effet, jusque
là, l'Etat memphite avait, comme principale caractéristique, sa
forte centralisation autour de pharaon. Ce fut dans le strict rassemblement
220 Roccati A., op.cit, 1982, p.46-47
221 Séne Kh., op.cit, 2003-2004, p.52
222 Pirenne J., op.cit, 1961, p.242
223 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.52
56
des énergies, sous l'égide de ce dernier qui
était à la tête d'une organisation administrative
centralisée et remarquablement efficace, que l'Etat tirait sa
puissance224.
Ce système centralisé qui fut à la base
de la puissance de la monarchie pharaonique, avait été le
résultat d'une politique de négation de tout pouvoir à
tendance autonomiste.225 En d'autres termes, toute action allant
dans le sens d'altérer cette forte centralisation de l'Etat signifiait
en même temps affaiblissement de la puissance monarchique.
Or, à partir de la Ve dynastie,
commençait à se manifester une situation allant dans le sens
d'une déconfiture des institutions pharaoniques. Dans la mesure
où cette situation signifiait en même temps renforcement des
pouvoirs des nomarques, chefs de file des forces centrifuges, c'est à
travers son évolution que nous allons tenter d'analyser le processus
d'affaiblissement de la royauté.
Dans le système politique centralisé
appliqué par les souverains des premières dynasties memphites,
l'une des principales mesures contre la tendance au pouvoir personnel avait
été le fait de muter les agents de l'Etat. C'est ce
système qui fit des nomarques, dans l'administration locale, de simples
« préfets » susceptibles d'être déplacés
plusieurs fois au cours de leur carrière.226 Il semble
toutefois que même si pharaon avait théoriquement conservé
le pouvoir de muter les nomarques, il cessa très tôt de
l'exercer.227 Cet abandon par pharaon de son pouvoir de muter les
nomarques, devait constituer une des premières étapes dans le
processus qui allait conduire à l'affaiblissement de la monarchie. En
effet, accepter que les nomarques, dans l'administration provinciale,
s'établissent de manière permanente dans les nomes, était
une façon d'encourager la reconstitution de pouvoir personnel. Si cette
situation n'avait pas eu d'incidence au départ sur le système
monarchique, c'est probablement parce qu'il y avait une puissante
administration centrale, au début de l'A.E., capable de contrôler
ces nomarques.
Cependant, avec l'avènement de la Ve
dynastie, d'importants changements allaient se produire dans le système
monarchique. En effet, le cumul des charges administratives et sacerdotales
devait entraîner l'accroissement de la puissance de l'aristocratie. Cette
dernière allait continuer de bénéficier des faveurs de la
part de pharaon. C'est ce que laisse apparaître l'inscription
biographique du vizir Ptahouach qui vécut sous la Ve
dynastie. Selon ce dernier, il a obtenu « ...une tombe en calcaire
blanc sur le Bassin de [sa] fondation, lequel est dans ( la nécropole
de) la pyramide « Sahourê se lève en tant que
bais»...200 pièces de lin royal
224 Wolf W., op.cit., 1955, p.34
225 Sall B., op.cit., 1984, p.23
226 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.180
227 Ibidem
57
lui furent sorties des restes du grand palais[...] Sa
Majesté lui fit faire [une litière]... des caisses [relatives
à la place d'embaumement pour] le traitement(de la momie) et (à)
la tente de purification avec un nécessaire [pour l'oeuvre du
prêtre- lecteur]...Sa Majesté ordonna qu'on lui fasse cela [en
tant que concession] royale »228. Il semble qu'en plus de
ces concessions, les besoins du culte funéraire et le désir de
transmettre sa fonction à ses enfants, allaient amener le nomarque
à demander au pharaon, pour son fils aîné, la succession de
sa charge229. Le pharaon, semble-t-il, avait cédé
assez rapidement à cette demande permettant en même temps
l'hérédité des charges.230 Ainsi dès le
règne de Sahourê, le nome de Oun (Hermopolis Magna) devint en fait
héréditaire dans la famille de Sérefenka.231 A
la fin de la Ve dynastie, le nome de Nâret-Pekhout (Crocodilopolis) est
donné, en fief, au général Inti.232 Cette
hérédité des nomarques, ajoutée au fait que ces
derniers n'étaient plus mutés, devrait être à la
base de l'évolution très sensible qu'avait connue
l'administration provinciale sous l'A.E.233 Cette évolution
est visible au niveau des titres portés par les nomarques. Par exemple,
la transformation des gouvernements des nomes de Oun et de Nâret-Pekhout,
en apanage de famille au profit des descendants du « directeur de la
province des Nouvelles Villes » Sérefenka et au profit du
général Inti, fut accompagnée d'un changement de titre
pour leurs gouverneurs.234 Au lieu de juge intendant, c'est l'ancien
titre de « régent de château » (heqa
het), porté jadis par les princes féodaux qui est
utilisé.235 Ce retour aux anciens titres reflète un
désir d'autonomie face au pouvoir central. On peut dire par
conséquent, que c'est au courant de la Ve dynastie, que les
nomarques commencèrent à marquer des points dans leurs
prétentions autonomistes face à Memphis. Et au moment où
s'achevait cette dynastie, il semble que la puissance de la tendance
autonomiste, dirigée par les nomarques, avait commencé à
représenter une menace pour le pouvoir central. Certes, le passage de la
Ve à la VIe dynastie s'était
effectué sans troubles majeurs.236 Mais le nom d'Horus que
prit Téti, le fondateur de la VIe dynastie, est
révélateur d'une certaine situation au sein de la monarchie. Il
s'agit de Sehetep-taoui, celui « Qui pacifie les Deux-Terres
», ce qui laisse augurer son programme politique237. Dans
l'histoire de l'Egypte, tous les pharaons
228 Roccati A., op.cit., 1982, p.111
229 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.180
230 Ibidem
231 Pirenne J., op.cit., 1961, p.260
232 Ibidem
233 Grimal N., op.cit., 1988, p.111
234 Pirenne J., op.cit., 1961, p.273
235 Ibidem
236 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318
237 Grimal N., op.cit., 1988, p.97
58
qui avaient porté ce nom, avaient eu à
rétablir l'unité du royaume après des troubles politiques
graves238. Or pour Téti, nous venons de voir qu'il
accéda au trône sans troubles majeurs. Cela semble se confirmer
à travers la biographie de certains fonctionnaires qui ont servi sous
son règne et qui étaient déjà dans l'administration
sous la Ve dynastie239. En outre, il n'a
été noté ni de destruction, ni d'usurpation dans les
nécropoles contemporaines240. On peut dés lors se
poser la question de savoir qu'est ce qui explique le choix du nom de
Sehetep-taoui par Téti ? Nous pensons que la réponse
à cette question peut être cherchée dans l'évolution
des institutions pharaoniques avec la puissance grandissante de
l'administration locale au détriment du pouvoir central. Cette
situation, même si elle s'effectuait de façon pacifique comme nous
venons de le voir, pouvait représenter à terme une menace pour la
royauté. Peut-être que le pharaon Téti, conscient de ce
danger, avait voulu redresser la situation d'où, le choix de ce nom
d'Horus, qui semble se traduire dans ses actes. En effet, un des vizir
très connu sous son règne, Kagemni, rapporte dans sa biographie :
« [La Majesté de Téti, mon Seigneur, qu'il vive
éternellement, me nomma à la tête de] tout bureau, de tout
service horaire de la Résidence »241. Ce Kagemni et
un autre fonctionnaire du nom de Méhi avaient été
dotés d'importants pouvoirs par Téti. Ils furent vizir, juges
suprêmes, chanceliers, directeurs des écritures royales,
directeurs de tous les travaux du roi, directeurs de la haute cour des six,
directeurs de l'administration des finances et des domaines.242 Ces
charges, détenues par une poignée de hauts fonctionnaires,
montrent que Téti avait probablement tenté de maintenir la
centralisation de l'Etat pharaonique, base de son unité et de sa
puissance. Mais d'après Manéthon, ce souverain périt
assassiné.243 Les raisons de ce supposé assassinat ne
sont pas connues. Etait-il lié au programme politique du pharaon ? Rien
ne permet de l'affirmer. Toutefois, plusieurs faits montrent que ce fut
à partir
238 Id., ibid., p.96 ; Vercoutter J.,
op.cit., 1992, p.318.Ce fut le cas de Hetepsekhemouy, fondateur de la
IIe dynastie ou de Khâsekhemouy, dernier pharaon de cette
dynastie qui réunit les royaumes « horiens » et «
séthiens » ?
239 C'est le cas de Kagemni qui avait été «
fonctionnaire de l'Etat au temps d'Onnos » (dernier souverain de la
Ve dynastie) et qui occupa d'importantes fonctions sous Téti.
(Cf., Roccati A., op.cit, 1982, p.137)
240 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.318
241 Roccati A., op.cit., 1982, p.140
242 Pirenne J., Histoire des Institutions et du droit
privé de l'Ancienne Egypte, Tome III : La VI e
dynastie et le démembrement de l'empire, Bruxelles, Edition de la
Fondation Egyptologique Reine Elisabeth, 1935, p.70.
243 Manéthon, cité par Grimal N.,
op.cit., 1988, p.98. Si cette affirmation de Manéthon,
rapportée par N. Grimal, est vraie, on pourrait dire, en se basant sur
les sources, que c'est la première fois qu'un souverain d'Egypte a
été assassiné. Cela impliquerait en même temps que
le dogme de la royauté divine avait commencé à subir de
graves violations dès le début de la VIe dynastie.
Cependant la critique que l'on peut apporter à cette affirmation de
Manéthon porte sur le fait que pour une action aussi grave que le
meurtre d'un souverain, les sources contemporaines soient muettes. En effet,
aucune inscription biographique contemporaine de la VIe dynastie ne
fait état de cette action. Cela d'autant plus que certains de ces
fonctionnaires ont servi sous le règne de Téti et sous celui de
ses successeurs ; c'est le cas d'Ouni.
59
de la VIe dynastie, que la puissance des nomarques
allait devenir de plus en plus manifeste. Dans les nomes,
l'hérédité des charges de nomarques, amorcée sous
la Ve dynastie, devait se généraliser244.
Plusieurs exemples illustrent cet état de fait. Ainsi dans le nome du
Lièvre (XVe nome de Haute Egypte), Merou-Bébi qui
exerçait la charge de « régent de château »
légua à son fils, Téti-Ankh, les mêmes
fonctions245. Dans le XIVe nome de Haute Egypte, à
Sebekhotep (qui vécut sous Pépi Ier),
succédèrent, dans sa charge de nomarque, ses fils à savoir
Pépiânkh l'aîné, Pépiânkh le
puîné et Pépiânkh le cadet246. Etant une
hérédité de fait durant les dynasties
précédentes (car nécessitant pour être nomarque la
nomination par le souverain), le nome allait finir par devenir une
hérédité de droit et l'approbation de pharaon ne devint
qu'une formalité.247 Ceci permit à certaines familles
de nomarque, d'étendre leur pouvoir sur d'autres nomes, par le biais de
l'alliance matrimoniale. Cette situation est attestée sous le
règne de Mérenrê Ier. Le nomarque Ibi, issu de
la puissante famille des nomarques du nome thinite248, avait
hérité du nome de Cerastes-Montain parce qu'étant
époux de Rahenem, reconnue comme héritière du dit
nome249. A Ibi, succéda son fils Djaou-Shemai, à la
tête des deux nomes (celui de Thinis et de Cerastes-
Montain)250.
La montée en puissance des nomarques se reflète
dans leurs titres qui continuaient à évoluer. Ainsi, à
partir de la VIe dynastie, on voit apparaître chez les
nomarques, certains titres qui montrent le pouvoir dont ils disposaient au sein
de leurs nomes. Il s'agit des titres tels que « grand seigneur de nome
», « prince » ou « directeur des prophètes
».251 Ce dernier titre montre qu'en dehors des pouvoirs
exécutifs, législatifs et judiciaires que leur conférait
pharaon jusqu'à la fin de la Ve dynastie, les nomarques
s'étaient emparés, à la VIe dynastie, des
pouvoirs religieux.
Mais pour les souverains de la VIe dynastie, il
n'était pas question de laisser la puissance des nomarques
prospérer au risque de menacer le caractère centralisé de
l'Etat qui était le fondement de la puissance monarchique. Aussi, des
actions allaient être entreprises pour endiguer le désir
autonomiste des nomarques et renforcer le pouvoir central.
244 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.211
245 Pirenne J., op.cit, 1935, p.170-171
246 Vandier J., op.cit, 1954, p.308
247 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.59
248 Nous verrons dans la suite de cette partie que cette famille
des nomarques thinites allait occuper une position assez importante dans la
monarchie égyptienne.
249Breasted J. H., op.cit., 1988, paragraphe
375
250 Id., Ibid, paragraphe376
251 Husson G., Valbelle D., op.cit, 1992, p.53-54.
60
C- La réaction pharaonique et ses limites
Pour faire face à la montée en puissance des
nomarques, qui signifiait en même temps une perte d'autorité du
pouvoir central, les pharaons de la VIe dynastie avaient mené
une politique de redressement. En effet, des mesures allaient être prises
aussi bien sur le plan administratif qu'économique pour renforcer le
pouvoir central. Ce sont les actions des pharaons, allant dans le sens de cette
politique de redressement que certains égyptologues ont
désignées sous l'expression de « réaction pharaonique
».252 Elles avaient concerné principalement les
institutions pharaoniques et la question de l'approvisionnement de l'Egypte en
produits étrangers.
Les premières mesures de ce que nous considérons
comme allant dans le sens d'une réaction pharaonique remontent au
début de la VIe dynastie. Nous avons vu que Téti, le
premier souverain de cette dynastie avait pris des mesures qui
consistèrent à un renforcement de l'autorité centrale.
C'est ainsi qu'il concentra l'essentiel des pouvoirs politiques, judiciaires et
économiques dans les mains d'une poignée de hauts fonctionnaires.
Parmi ces derniers, il y avait le vizir Kagemni dont la biographie montre qu'il
fut un homme qui eut une longue carrière administrative,
commencée sous la Ve dynastie253. Téti
devait entreprendre d'autres actions qui s'inscrivaient toujours dans le cadre
de la consolidation du pouvoir royal. D'après J. Pirenne, ce pharaon
chercha ouvertement l'alliance du nomarque d'Abydos (Khoui) en faisant
épouser par son fils Pépi Ier, les deux filles de ce
chef local.254 Le prestige que les princes d'Abydos tiraient du
culte d'Osiris, célébré dans leur nome, le souvenir du
grand rôle politique joué auparavant par Abydos,
érigée en capitale royale lors de l'unification du pays par
Ménès, n'avaient sans doute pas été
étrangers à la puissance de ces nomarques dont pharaon chercha
ouvertement l'alliance.255 Cependant, la question se pose de savoir
si cette alliance entre les nomarques d'Abydos et la famille royale remonte
à Téti ? En effet, dans son inscription biographique, Ouni
évoque un procès dans le harem royal
252 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.212
253 D'après son inscription biographique, Kagemni fut
« favoris au prés d'Izézi » et il remplit « la
tâche de fonctionnaire de l'Etat au temps d'Onnos ». (Cf., Roccati
A., op.cit, 1982, p.139) Izézi et Onnos étaient
respectivement avant-dernier et dernier pharaon de la Ve
dynastie.
254 Pirenne J., op.cit, 1961, p.299. Sur les liens
entre la famille royale et les nomarques d'Abydos, (Cf., Breasted J.H.,
op.cit, 1988, paragraphe 344 à349, (Stèle des deux
reines Enekhnes-Mérirê).
255 Pirenne J., op.cit, 1962, p.10.
61
contre l'épouse royale Imtes. Sa
Majesté le désigna pour entendre seul, l'affaire sans aucun
magistrat, ni vizir, ni prince256. Ce procès contre
l'épouse royale laisse penser que celle-ci était
mêlée à un complot visant le pharaon Pépi
Ier sous le règne de qui Ouni instruisit cette affaire. Or,
le nom de l'épouse royale citée dans ce procès est
différent du nom porté par les deux reines issues de la famille
d'Abydos et futures mères des pharaons Mérenrê
Ier et Pépi II.257 D'où l'hypothèse
selon laquelle, Pépi Ier avait contracté un premier
mariage avec l'épouse royale Imtes. Mais à la suite du
complot auquel cette dernière fut mêlée, le pharaon prit en
mariage deux filles issues de la noblesse locale. Dés lors, on peut dire
que l'alliance entre la famille royale et les nomarques d'Abydos remonte
à Pépi Ier et non à Téti comme l'affirme
J. Pirenne. Mais dans tous les cas, cette situation montre que les pharaons
avaient cherché l'alliance de puissantes familles provinciales au moment
même où la puissance de ces dernières constituait une
menace pour le pouvoir central.
Toutefois, les véritables actions allant dans le sens
d'une réaction pharaonique avaient surtout consisté en une
reprise en main de l'administration des provinces par le pouvoir memphite.
C'est ainsi que dés Téti, on constate que des fonctionnaires
étaient détachés de l'administration centrale pour assurer
la direction des nomes. D'après l'inscription biographique
trouvée sur la fausse porte de sa tombe, un fonctionnaire du nom d'Izi
rapporta dans sa biographie : « [J'ai été]
aîné du portail au temps d'Izézi. On me donna (la fonction)
de gouverneur de demeure au temps d'Onnos. On me donna (la fonction) de
maître royal, scribe, fonctionnaire de l'Etat, subordonné du roi
au temps de Téti. J' [exécutais] tout ce que ce dieu
[désirait]. On me [donna la dignité de prince, Ami unique,] grand
chef de nome sous la majesté de ce dieu [...] [Je veillai] à
[tout] travail du roi qui devait être organisé [dans ce nome, de
sorte que] Sa Majesté me récompensa [pour cela, après que
j'eus achevé] la mission pour [la Résidence]
»258. Sa biographie montre qu'Izi fut d'abord
fonctionnaire sous les deux derniers souverains de la Ve dynastie.
Il occupa par la suite sous Téti, les fonctions de « maître
royale, scribe, fonctionnaire de l'Etat et subordonné du roi ». Par
la suite, il va bénéficier de la dignité de prince, Ami
unique et grand chef de nome, affecté à Edfou au Sud de l'Egypte.
Il apparaît ainsi, comme ce fut le cas pour le vizirat, que ce fut
à un fonctionnaire d'une longue carrière administrative que
Téti confia la direction du nome d'Edfou. Mais, si avec Téti, le
fonctionnaire détaché dans l'administration provinciale
n'était
256 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 310,
Inscription d'Ouni
257Les deux reines mères portaient toutes le
nom de Enekhnes-Mérirê. Pour les différencier, la
première (la mère de Mérenrê Ier) est
appelée Enekhnes-Mérirê I et la seconde (la mère de
Pépi II) Enekhnes-Mérirê II.
258 Roccati A., op.cit., 1982, p.177-179
62
qu'à la tête d'un seul nome, la situation va
évoluer avec ses successeurs. En effet, « l'Ami unique,
prêtre- lecteur, directeur des employés du palais », Qar dit
dans sa biographie : « La majesté de Mérenrê me
fit remonter le fleuve jusqu'au nome d'Edfou en tant qu'Ami unique, chef de
nome, et en tant que directeur de l'orge de Haute Egypte, directeur des
prophètes [...] On en vint à m'attribuer la fonction de seigneur
de tout chef de la Haute Egypte entière »259.
Mérenrê Ier affecta Qar en Haute Egypte en le dotant
d'importants pouvoirs politiques, économiques et religieux mais aussi en
le plaçant au dessus des nomarques locaux. En dehors de Qar,
Mérenrê Ier envoya dans cette même région,
un autre cadre de l'administration centrale avec d'importants pouvoirs, il
s'agit d'Ouni. Dans sa biographie, ce dernier rapporte : « Alors que
j'étais officier de la grande demeure, porte- sandale, le roi de Haute
et de Basse Egypte, Mérenrê, mon seigneur, qu'il vive
éternellement, me nomma prince, directeur de la Haute Egypte,
[d'Eléphantine au Sud à Aphroditopolis au Nord] ... Je remplis
pour lui la fonction de directeur de Haute Egypte de façon qu'on
fût satisfait, de façon que personne n'y outrageait son prochain.
Tout travail fut exécuté, toute chose qu'on devait payer pour la
résidence fut payée, dans cette Haute Egypte deux fois (de
même que) toute corvée qui devait être payée pour la
Résidence dans cette Haute Egypte deux fois. Il y eut un gouvernement et
l'obéissance exista dans cette Haut Egypte »260.
Cette biographie d'Ouni, à l'instar de celles d'Izi et de Qar,
éclaire beaucoup sur la politique de réaction menée par
les pharaons en Haute Egypte. En effet, tous ces fonctionnaires envoyés
dans cette région avaient en commun, le fait d'avoir une longue et riche
carrière administrative. Et il semble que ce fut grâce à
eux que l'Etat memphite parvint à faire respecter son autorité
en
259 Id., ibid., p.179. Cette biographie de Qar montre
que sa carrière administrative débuta sous le règne de
Pépi Ier où il occupa le poste de « directeur des
employés du grand palais »
260Roccati A., op.cit., 1982, p.195;
Breasted J.H., op.cit. 1988, paragraphe 320. A l'instar d'Izi et de
Qar, la biographie d'Ouni montre que lui aussi fut un fonctionnaire d'une
longue carrière débutée sous le règne de
Téti. Avant d'être envoyé en Haute Egypte, il eut à
accomplir des charges importantes comme l'instruction du procès contre
l'épouse royale Imtes ou bien la direction des campagnes
militaires contre les Bédouins. D'ailleurs, ce furent probablement la
longue carrière administrative d'Ouni mais surtout ses qualités
militaires, qui avaient motivé son choix, par pharaon, pour le poste de
gouverneur de la Haute Egypte. A ce niveau on peut dire que le recours à
un gouverneur militaire dans les régions où l'autorité de
l'Etat est en proie à des difficultés, est une expérience
politique qui avait été tentée par les pharaons pour
restaurer leur autorité en Haute Egypte.
Il faut en outre remarquer qu'il existe des différences
dans la traduction du poste d'Ouni entre A. Roccati et J.H. Breasted. En effet,
au lieu de «directeur de Haute Egypte » employé par le
premier, le second emploie le terme de « gouverneur du Sud ». Il
reste toutefois que malgré ces différences, les
prérogatives d'Ouni sont les mêmes dans les deux traductions.
C'est dire que les termes de « directeur de Haute Egypte », «
gouverneur du Sud » ou « gouverneur de la Haute Egypte »,
renvoient à une même fonction administrative. Selon E. Drioton et
J. Vandier, le titre de « gouverneur du Sud » est apparu à la
fin de la Ve dynastie et le plus ancien à l'avoir
porté fut un certain Rê shepsès (Cf., Drioton E
Vandier J., op.cit, 1988, p.212). Toutefois, il semble que même
si le titre avait existé auparavant, la fonction ne fut
véritablement exercée qu'avec Ouni, sous le règne de
Mérenrê Ier.
63
Haute Egypte261. D'après Ouni, tout travail
fut exécuté et toute corvée due à la
Résidence fut payée. Ces propos d'Ouni concernant le payement de
l'impôt dû à la Résidence révèlent un
autre aspect significatif dans la lutte entre le pouvoir central et les
provinces, celles de la Haute Egypte en particulier. En effet, entre autres
charges du nomarque, il y a la « perception efficace de l'impôt sur
les récoltes »262. Mais le fait qu'Ouni dise qu'il avait
fait respecter cette disposition par les nomarques de la Haute Egypte
sous-entend qu'avant son intervention, l'impôt ne parvenait pas à
la Résidence. Selon B. Sall, il y a deux explications possibles à
cette situation. Soit les nomarques avaient cessé toute collecte de
l'impôt pour gagner les paysans à leur cause, ou bien ils le
collectaient et le confisquaient263. Dans tous les cas, il semble
qu'ils ont usé de leur pouvoir sur les ressources fiscales de l'Etat
pour l'affaiblir à leur profit.
Le dernier point important de la réaction pharaonique
avait été le regain d'intérêt pour la Nubie-Soudan.
Cette région, située au Sud de l'Egypte, regorgeait
d'énormes potentialités et, en tant que carrefour et voie
d'accès vers l'Afrique profonde, elle offrait maints produits de la zone
tropicale et équatoriale dont certains constituaient la base même
de la civilisation égyptienne264. Cette richesse
économique de la Nubie-Soudan est perceptible dans les textes
égyptiens de l'A.E. Dans la Pierre de Palerme, le pharaon
Snéfrou (IVe dynastie) fait savoir qu'il ramena au cours
d'une seule campagne en Nubie, quelques 200000 têtes de bétail
grand et petit.265 En outre, parmi les produits que
rapportèrent les chefs de caravanes qui dirigèrent des campagnes
dans cette région, on peut citer l'or, l'ivoire, l'encens,
l'ébène, des pierres précieuses, des peaux de
panthères, etc.
Or, au cours de la VIe dynastie, l'Etat memphite
était confronté à un problème de ressources
financières à cause de l'opposition des nomarques et des
concessions importantes que faisaient les pharaons aux temples et aux
dignitaires de l'Etat. Pour les souverains de l'Egypte, il fallait se tourner
vers la Nubie-Soudan pour faire face à ces difficultés de
261 Les biographies de ces fonctionnaires montrent en outre
que dans le cadre des luttes politiques, ce furent les nomarques de la Haute
Egypte qui étaient les plus impliqués dans l'opposition de
l'administration locale face au pouvoir central.
262 Husson V., Valbelle D., op.cit., 1992, p.55
263 Sall., op.cit., 1982, p.12
264 Ndiaye L., Recherches sur les attaches
éthiopiennes du dieu Amon, mémoire de maîtrise,
U.C.A.D., F.L.S.H., 2001-2002, p.77
265 Roccati A., op.cit., 1982, p.39. Selon M.
Cornevin, du point de vue climatique, l'assèchement du Sahara au Sud du
22° N, a commencé vers -3000 à l'époque
même où se terminait celui du désert occidental de
l'Egypte. Cet assèchement allait s'achever vers -1250 ; ce qui veut dire
que pendant les deux premières tiers de l'histoire de l'Egypte, la
Nubie-Soudan avait connu une pluviométrie, une flore et une faune de
type sahélien humide et sahélien sec. Ce sont ces facteurs
climatiques qui expliquent la prospérité pastorale de cette
région dont les échos se trouvent dans les textes de l'A.E. (Cf.,
Cornevin M., Archéologie africaine, Paris, Maisonneuve et
Larose, 1993, p.71)
64
trésorerie. Ainsi, il semble que dès le
règne de Pépi Ier, l'option nubio-soudanaise fut
initiée avec la nomination de Qar au poste de «
préposé à l'ouverture de la porte d'Eléphantine
», qui devait transmettre au pharaon toutes les nouvelles qu'on lui
apporte des pays nubiens.266 Cette nomination de Qar devait
permettre à l'Etat memphite de recueillir assez d'informations sur cette
région nubio-soudanaise.267 Quant Mérenrê
Ier arriva au pouvoir, il allait, lui-même, effectuer une
visite dans la région qui surplombe la première cataracte avant
de charger Ouni d'y creuser des canaux.268 C'est aussi sous les
ordres de ce même souverain que le conducteur de caravane269,
trésorier de dieu, Herkhouf entreprit sa première mission, en
compagnie de son père, en terre nubienne dans le but, disait-il,
d'explorer la route du pays de Yam.270 Toutes ces actions montrent
que la Nubie-Soudan suscitait de l'importance pour l'Etat égyptien et,
elles devaient constituer un prélude au déferlement des caravanes
égyptiennes en direction de cette région. C'est ainsi qu'en plus
de son premier voyage, Herkhouf allait diriger deux autres campagnes en Nubie
sous Mérenrê Ier, qui lui permirent de ramener
d'importantes quantités de produits à la
Résidence.271En dehors d'Herkhouf, d'autres chefs de
caravanes tels que Pépinakht, Mékhou ou Sabni avaient
effectué des campagnes en terre nubienne.
Il apparaît ainsi, d'après toutes les actions
menées par les pharaons depuis Téti, au début de la
VIe dynastie, que l'Etat memphite avait tenté par des moyens
politiques et économiques d'endiguer la montée en puissance des
nomarques et de redresser son autorité.
Toutefois, cette politique (la réaction pharaonique)
devait se confronter à des obstacles qui devaient empêcher sa
réussite effective.
D'abord sur le plan institutionnel, les mesures prises par
l'Etat memphite allaient se révéler inefficaces C'est le cas de
la concentration d'importants pouvoirs aux mains du vizir. En effet, si ce
poste n'était au début confié qu'à de hauts
fonctionnaires de l'administration centrale comme Kagemni, il devait finir par
tomber dans les mains des nomarques. C'est ce qu'atteste la nomination comme
vizir des princes de nome comme ceux de Cusae, de
266 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.208
267 Sall B., « Egypte et Koush (aux origines de
l'hostilité) », in, Revue Sénégalaise d'Histoire
(R.S.H.), n°4-5, 1999-2000, p.33
268 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 316 et
324
269 Ce titre de « conducteur de caravane » que porte
Herkhouf dans la traduction de J.H. Breasted correspond au titre de «
directeur des étrangers » chez A. Roccati. Ce titre fut
porté par la plupart des dignitaires égyptiens qui avaient
dirigé des campagnes vers la Nubie-Soudan.
270 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe333.
D'après Herkhouf, ce premier périple en Nubie-Soudan dura sept
mois et au retour, il ramena des produits.
271 Sur les détails de ces deux campagnes (Cf.,
Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 334,335 et336 ; Roccati A.,
op.cit., 1982, p.204 à 206)
65
Djou-ef et de Taour qui ont occupé ce poste et l'ont
rendu héréditaire.272 Par ailleurs, l'un des derniers
grands vizirs connus de l'A.E. à savoir Djâou était issu de
la puissante famille des nomarques d'Abydos.273
La même situation est constatée au niveau du
poste de « gouverneur du Sud ». L'analyse des prérogatives que
détenait le titulaire de ce poste, nous avait permis de voir que sa
création visait un rétablissement du pouvoir régalien en
Haute Egypte. Mais comme ce fut le cas pour le vizirat, le gouvernorat du Sud
allait lui aussi finir par tomber aux mains des nomarques. En effet,
après Ouni, la plupart de ceux qui devaient porter le titre de «
gouverneur du Sud », étaient des nomarques.274 Selon
toute probabilité, les nomarques, en s'accaparant du gouvernorat du Sud,
l'ont vidé de tout contenu en portant le titre sans exercer
réellement la fonction.275 C'est dire que les mesures
administratives prises par l'Etat pour enrayer la puissance des nomarques
s'étaient révélées veines.
Du côté de l'option nubio-soudanaise, il semble
que là aussi, les caravanes égyptiennes devaient se confronter
à l'opposition des Etats nubiens. Certains indices à travers les
textes des chefs de caravanes reflètent une détérioration
des rapports entre Egyptiens et Nubiens. Dans le texte où il fait le
récit de son second voyage en Nubie, Herkhouf rapporte : « Sa
Majesté m'envoya une deuxième fois, seul. Je montai par la route
d'Eléphantine et je descendis dans les pays d'Irtjet : (qui s'appellent)
Mekhou, Térérez, Itjetj, dans un délai de huit mois...
».276 Ce voyage, comparé au premier voyage (qui
dura sept mois), avait duré un mois de plus. D'après B. Sall, ce
mois de plus s'expliquerait par le fait qu'Herkhouf avait été
fait prisonnier par les Nubiens.277 C'est là, un signe qui
montre que ces derniers avaient commencé à s'opposer aux
caravanes égyptiennes. Cette situation devait se confirmer lors du
troisième voyage d'Herkhouf. En effet, dans le récit de ce
voyage, Herkhouf dit : « [Je descendis en Imaaou ( ?)], qui est au
midi de Irtjet, et au fond de Zatjou, et je trouvai le gouverneur de Irtjet,
Zatjou et Ouaouat tous ensemble en une coalition. Mais je descendis avec trois
cents ânes chargés d'encens, d'ébène, [...], toute
chose belle de valeur, puisque le gouverneur de Irtjet, Zatjou et Ouaouat
voyait la force multiple des troupes de Yam, qui
272 Pirenne J., op.cit., 1935 p, 267, in, Séne
Kh., op.cit, 2002-2003 p.62-63
273 Nous reviendrons sur ce personnage et sur les positions
importantes qu'il occupa au sommet de l'Etat, à l'avènement de
Pépi II.
274D'après E. Drioton et J. Vandier, il y a
eu en dehors d'Ouni, au moins deux personnages qui ont eu à porter le
titre de « gouverneur du Sud », il s'agit des nomarques de Cusae et
d'Edfou (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.212). On a aussi
l'exemple de Ibi, nomarque de Cerastes-Mountain dont l'inscription biographique
montre qu'il avait porté le titre de « gouverneur du Sud »
(Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 377)
275 Sall B., op.cit., 1982, p.12
276 Roccati A., op.cit., 1982, p.204
277 Sall B., op.cit., in, ANKH, n°8/9, 1999-2000,
p.34
descendaient avec moi à la Résidence, avec
une expédition envoyée avec moi. Alors ce même [gouverneur]
m'escorta... ».278 Il semble ainsi, que les Etats nubiens,
ayant senti l'ampleur que prenait la violation de leur territoire par les
caravanes égyptiennes, décidèrent de fédérer
leurs forces pour y faire face. Et à l'issu de ce troisième
voyage, Herkhouf avait certes réussi de faire parvenir des produits
à la Résidence mais il n'a dû son salut qu'à
l'escorte d'un contingent des armées de Yam et à un
détachement de l'armée égyptienne279. Mais ces
événements montrent déjà que du côté
de la Nubie, les caravanes égyptiennes devaient faire face à une
opposition des Etats. Les inscriptions biographiques des chefs de caravanes qui
allaient, par la suite, se rendre au Sud, vont attester le climat de violence
qui s'est installé dans les rapports entre Egyptiens et Nubiens.
Ainsi, en rencontrant des difficultés
d'approvisionnement en produits nubio-soudanais, l'Etat memphite allait
être privé de la plupart de ses moyens d'action contre les forces
centrifuges. L'avènement du pharaon Pépi II à l'age de six
ans280 allait consacrer la montée en puissance de ces forces
centrifuges et l'affaiblissement de la monarchie.
66
278 Roccati A., op.cit., 1982, p, 205
279 Sall B., op.cit., in, ANKH, 1999-2000,
p.34
280 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.332
67
Chapitre II : Les facteurs
générateurs de l'éclatement de la violence
A- La faiblesse des institutions
Dans la lutte qu'elle mena sous la VI e dynastie
pour le renforcement de son autorité, le pouvoir memphite s'était
confronté à des difficultés, lesquelles allaient amoindrir
les résultats de sa politique.
En effet, sur le plan des institutions, les réformes
entreprises par les pharaons, pour endiguer la montée en puissance des
nomarques, avaient comporté des limites. Ces derniers, étaient
parvenus à rendre vaines ces mesures qui visaient à
réduire leur pourvoir au profit de l'autorité centrale. Ce fut le
cas du renforcement des prérogatives du vizir. Nous avons vu que le
vizirat était occupé, au début de la VI e
dynastie, par des hauts fonctionnaires à l'image de Kagemni et qui
concentraient d'énormes pouvoirs dans leurs mains. Mais cette importante
fonction allait finir par tomber dans les mains des nomarques281. La
même situation intervint au niveau du gouvernorat du Sud qui avait
été institué pour renforcer l'autorité de l'Etat
dans les provinces de Haute Egypte.
En effet, après Ouni, un haut fonctionnaire à
qui Mérenrê Ier confia ce poste, presque tous les
autres qui l'ont occupé par la suite étaient des
nomarques282. Ces deux faits montrent que dans leur opposition au
pouvoir central, les nomarques avaient réussi à s'emparer des
281 Depuis son institution qui, d'après certains
d'historiens, remonte à la IVe dynastie (Cf., Drioton E
Vandier J., op.cit., 1984 ; p.176), le poste de vizir était resté
une affaire de la famille royale. A partir de la Ve dynastie il a
commencé à être occupé par des personnes qui
n'étaient pas de la famille royale mais qui étaient toutes de
hauts cadres appartenant à l'administration centrale. Ce fut le cas de
Ptahhotep ou de Sendjemib (Cf., Pirenne J., op.cit, 1961, p.246 ;
Grimal N., op.cit, 1988, p.110 ; Roccati A., op.cit, 1982,
p.122à128). Ce n'est donc qu'à partir de la VIe
dynastie que les nomarques commencèrent à devenir vizir à
l'instar de ceux de Djou-ef, de Taour mais surtout d'Abydos avec le vizir
Djâou. (Cf., supra, Deuxième partie,
chap. I, C).
282 Sur les exemples des nomarques qui avaient porté le
titre de « gouverneur du Sud », (Cf., supra, Deuxième
partie, chap. I, C). Il faut préciser qu'il y a eu des dignitaires qui
avaient porté ce titre sans exercer réellement la fonction mais
qui n'étaient pas des nomarques. Ce fut le cas d'Herkhouf. Pour N.
Grimal, ce dernier était nomarque du nome d'Eléphantine (Cf.,
Grimal N., op.cit, 1988, p.104). Toutefois, dans l'inscription
biographique d'Herkhouf dont nous retrouvons la traduction chez J. H. Breasted
et A. Roccati, il n'y a aucun titre qui fait référence à
lui, en tant que nomarque. Alors si des dignitaires comme Herkhouf ont eu
à porter le titre de « gouverneur du Sud », ce n'était
pas dans une perspective d'opposition au pouvoir memphite comme ce fut le cas
pour les nomarques, mais c'est probablement parce que la fonction
s'était vidée de son contenu (par le jeu des nomarques) et avait
fini par devenir honorifique.
68
fonctions dont la vocation était de renforcer la
centralisation de l'Etat égyptien. Et, en portant les titres sans
exercer réellement la charge, ils parvenaient à rendre
inefficaces les mesures prises par les pharaons à l'encontre de leurs
ambitions autonomistes.
Ce fut dans ce contexte de lutte entre pouvoir central et
nomarques que Pépi II arriva au trône à l'âge de
6ans. L'arrivée d'un jeune souverain à la tête de la
monarchie devrait constituer un handicap majeur pour celle-ci dans sa lutte
contre la large autonomie prônée par les chefs de province. Le
jeune âge de Pépi II devait offrir l'occasion à ces
derniers d'empiéter sur les prérogatives royales et affaiblir le
pouvoir central283.
L'un des tous premiers éléments qui devait
être favorable aux nomarques et qui était consécutif
à l'âge du souverain fut la régence. D'après J.
Vercoutter, ce furent la mère de Pépi II,
Ankhesenmérirê II et son oncle Djâou qui assurèrent
la régence284. Il se trouve que ces deux personnalités
n'étaient pas issues de la famille royale mais plutôt d'une
famille de nomarque. A ce niveau un problème de légitimité
allait se poser. Et c'est là une des conséquences du mariage que
Pépi Ier avait contracté avec des femmes issues d'une
lignée de nomarque.
L'autre problème qui se posait dans cette
régence, se trouvait dans l'attitude qu'avaient adoptée les deux
personnalités qui l'ont assurée. En effet,
Ankhesenmérirê II et Djâou avaient assuré la
direction de l'Etat au moment où le pouvoir central devait faire face
à la montée en puissance de l'administration locale
dirigée par les nomarques. La continuité de l'Etat aurait
dicté à Djâou et à sa soeur de prendre des
initiatives pour faire face aux nomarques comme l'avaient fait les autres
pharaons de la VI e dynastie dans le cadre de la réaction
pharaonique. Il semble que cela n'a pas été le cas. Nous fondons
cette idée sur un passage de l'inscription biographique de Djâou
où il est écrit : «J'ai fait cela à Abydos dans
le nome thinite, en tant qu'imakhou, auprès de la majesté du roi
de Haute et Basse Egypte Néferkarê,qu'il vive
éternellement, et au prés de la majesté du roi de Haute et
de Basse Egypte Mérirê(Pépi Ier) et du roi de
Haute et de Basse Egypte Mérenrê, à cause de l'amour de mon
nome, où j'ai été enfanté... »285.
Malgré les liens de Djâou avec la famille royale et
malgré ses importantes charges au sommet de l'Etat, il exhibe clairement
son attachement à sa province. Avec cette fierté locale qu'il
exprima ouvertement, il n'était pas évident que Djâou, au
moment de la régence, se mette à combattre le désir
autonomiste des nomarques.
283 Moret A., op.cit, 1926, p.236
284 Vercoutter J., op.cit, 1992, p.332
285 Roccati A op.cit, 1982, p.230-231
69
Autrement dit, ces derniers devaient profiter de la
présence au sommet de l'Etat, d'un homme issu de leur milieu, pour
assouvir leurs ambitions autonomistes.
Les effets de la jeunesse de Pépi II sont aussi
perceptibles à travers sa réaction lorsque Herkhouf lui
annonça qu'il avait rapporté un pygmée de son voyage au
Soudan méridional. Dans la lettre qu'il adressa à Herkhouf et qui
date de l'an 2 de son règne, le souverain écrit: « On a
appris l'affaire de cette tienne lettre, que tu as communiquée au roi
[...] Tu as dit dans cette tienne lettre que tu as ramené tout produit
excellent et beau [...] Tu as dit dans cette tienne lettre que tu as
ramené un pygmée du pays des habitants de l'horizon... pour les
danses du dieu, lequel est comme le nain que ramena le trésorier du dieu
Ourdjédedba du pays d'Oponé au temps d'Izézi[...] Quitte
(les autres ?) et amène avec toi ce nain, que tu ramènes du pays
des habitants de l'horizon, vivant, saint et sauf, pour les danses du dieu et
pour réjouir le coeur du roi de Haute et Basse Egypte
Néferkarê [...] S'il monte avec toi dans le bateau, place des
hommes capables, qui se tiennent autour de lui des deux côtés du
bateau, pour éviter qu'il ne tombe dans l'eau [....] Ma majesté
souhaite voir ce nain plus que les produits des carrières
d'Oponé»286.
Le jeune souverain montre, à travers cette lettre,
qu'il accorde plus d'importance au pygmée qu'aux autres produits
rapportés par Herkhouf. Or, nous avons vu que la recherche des produits
nubio-soudanais par les chefs de caravanes comme Herkhouf, entrait dans le
cadre d'une politique qui visait à juguler les difficultés de
trésorerie auxquelles était confronté l'Etat
égyptien. Mais en donnant des instructions fermes à Herkhouf pour
que le pygmée lui parvienne en bonne santé, en disant qu'il
voulait voir ce pygmée plus que les
286 Roccati A., op.cit, 1982, p.206-207. Dans cette
traduction. A. Roccati emplois en même temps les termes de pygmée
et de nain pour désigner le personnage que ramena Herkhouf. Or, si le
premier terme (pygmée) désigne une population africaine vivant
dans la foret équatoriale est caractérisée par leur petite
taille, le second (nain) désigne une personne atteinte du nanisme qui
découle d'une anomalie et se caractérisant par une taille
inférieure à la moyenne. Ces deux termes ne désignent donc
pas la même réalité. Et B. Sall fait remarquer que le nain,
étant la conséquence d'une évolution embryologique
particulière, accidentelle, tous les peuples en tout lieu et en tout
temps ont pu avoir en leur sein des nains. L'Egypte ancienne n'a pas
échappé à la règle. D'ailleurs la statue de Seneb
et celle de son père les présentent comme des nains. En outre, le
fait qu'Herkhouf prenne la peine d'informer le pharaon qu'il détient ce
personnage ainsi que le désir ardent affiché par Pépi II
pour le voir, montrent que c'est un personnage nouveau dans l'expérience
des Egyptiens (Cf., Sall B., « HERKHOUF et le pays de Yam », in,
ANKH, Revue d'Egyptologie et des Civilisations africaines,
n°4-5, 1995-1996, p57à70). Ainsi, pour bon nombre
d'égyptologues, le personnage que ramena Herkhouf et qui est
désigné en égyptien par le terme Deneg,
correspond à un pygmée (Cf., Vercoutter J., «
L'iconographie du Noir dans l'Egypte ancienne. Des origines à la
XXVe dynastie », in, Vercoutter J., Leclan J., Snowden
JR. FM., Desanges J., L'image du noir
dans l'art occidental, tome I. Des pharaons à la chute de l'empire
Romain, Paris, Gallimard, 1991, p.35-36 ; Sall B., Racine Ethiopienne
de l'Egypte ancienne, Paris, L'Harmattan/Khepera, 1999, p.134à139 ;
Adam Sh. avec le concours de J. Vercoutter « La Nubie, trait d'union entre
l'Afrique Centrale et la Méditerranée, facteur
géographique de civilisation », in, Mokhtar G. (dir.),
op.cit, 1980, p.251-252). Si tel est le cas, c'est une attestation qu'il y
a eu une intense vie de relation entre l'Afrique centrale et l'Egypte, par le
relais de l'espace soudanien.
70
produits des carrières, Pépi II mettait en
avance sa curiosité au détriment des difficultés
financières de l'Etat.
La jeunesse du souverain allait ainsi contribuer à
fragiliser davantage l'institution royale aux prises avec la fronde des
nomarques. A partir de ce moment, ces derniers allaient marquer leur autonomie
vis-à-vis de Memphis. C'est ainsi que dans les nomes, les organes de
l'administration étaient conservés, mais ils relevaient
désormais du nomarque qui allait instituer un gouvernement pratiquement
autonome.287 Aussi, les nomarques continuaient à
prélever les impôts, mais au lieu de les envoyer au trésor
royal, ils les conservaient dans leur propre nome.288 C'est
là une des conséquences de l'échec de la création
du poste de gouverneur du Sud dont l'une des prérogatives était
de récupérer l'impôt dans les provinces et de le convoyer
à Memphis. L'autre manifestation de l'émancipation des nomarques,
à partir du règne de Pépi II, a été le
développement des nécropoles provinciales. En effet, nous avons
vu qu'aux plus forts moments de l'absolutisme royal sous l'A.E., les tombes des
hauts dignitaires de l'Etat se trouvaient dans la nécropole royale
autour de la tombe du pharaon. Cette pratique montre combien pharaon avait du
pouvoir sur ses serviteurs. Cependant, au cours de la VIe dynastie,
en même temps qu'ils réussissaient à affaiblir la
royauté, les nomarques obtenaient du pharaon la possibilité de se
faire ensevelir dans leurs nomes.
Ainsi, dans la nécropole de Koseir el-Amarna qui abrite
les tombes des nomarques de Cusae (XIVe nome de Haute Egypte), la
plus ancienne tombe, celle du nomarque Sebekhotep, remonte au règne de
Pépi Ier.289 Mais ce fut avec le règne de Pépi
II que de magnifiques sépultures spacieuses et bien
décorées, appartenant aux nomarques, sont multipliées dans
les nécropoles locales.290 Parmi ces nécropoles, il y
a celle de Qoubet el-Haoua qui abrite les tombes de célèbres
dignitaires comme Herkhouf, Pépinakht, Sabni et Mékhou, tous
morts sous Pépi II.291 À Deir el-Gebraoui, la
nécropole abrite les tombes du nomarque Ibi et de ses deux successeurs
à savoir les deux Djâou qui étaient tous contemporains de
Pépi II.292 Ce fut aussi le cas dans la nécropole
thinite d'Abydos où le vizir Djâou s'était fait ensevelir
au nom de l'attachement qu'il avait pour son nome. Dans la nécropole de
Meir, qui abrite de riches tombes appartenant à une partie de la famille
des nomarques de Cusae, Pépiânkh-le-Moyen, dont la tombe remonte
à la fin de la VI e dynastie, se vante en disant : «
Je fis qu'on établisse ma propriété de magistrat
à l'Occident dans le
287 Pirenne J., op.cit., 1961, p.315
288 Ibidem.
289 Vandier J., op.cit., 1954, p.307à309
290 Sall B., op.cit., 1984, p.26
291 Roccati A., op.cit., 1982, p.200à222.
292 Id., ibid., p.224à228
71
district de la Dame de Vérité, dans un lieu
libre et beau, où l'on avait jamais travaillé. D'autres n'y
avaient jamais encore fait des travaux avant moi, mais c'est moi qui ouvris
cette nécropole : elle servira en cimetière, elle fera ce que
l'on souhaite ».293 Ces exemples montrent que les
nomarques avaient cessé de se faire ensevelir dans la nécropole
royale. Et, au moment où cette dernière perdait de son
importance, c'est dans les nomes où devaient se trouver les riches
sépultures décorées qui autrefois, se groupaient autour de
la sépulture royale.294 Aussi, dans les inscriptions tombales
de ces nécropoles provinciales, au lieu du simple protocole et de la
liste des faveurs accordées par le souverain à son serviteur qui
figuraient presque exclusivement sur les parois des tombes anciennes, on trouve
à présent un état détaillé des services
rendus par le défunt durant sa vie.295 Ainsi, le
déplacement des tombes des nomarques, de la nécropole royale vers
les nomes, constitue une des manifestations les plus visibles des acquis
obtenus par les chefs de provinces dans leur opposition face à la
centralisation des institutions prônées par le pouvoir memphite.
En effet, en abandonnant l'usage de demeurer, même dans la mort à
proximité du pharaon, les nomarques montraient qu'ils
s'émancipaient de la mainmise que ce dernier avait sur leur personne
dans la vie comme dans l'au-delà.296 Et pourtant,
malgré cette volonté d'autonomie qui se lit dans leurs tombes,
ces derniers continuaient à obtenir de pharaon des privilèges qui
ne faisaient que renforcer leur puissance.
Ainsi, pour son ensemble funéraire, le nomarque Ibi,
mort sous Pépi II, écrit : « J'ai fait cela (l'ensemble
funéraire) avec les villages de ma personne, avec mon service de
prêtre pur, avec une concession royale que ma octroyée la
majesté de mon seigneur [pour] me procurer un terrain [...] sans compter
les biens de mon père, alors que j'étais gouverneur de demeure de
la maison de ravitaillement, et un terrain de 203aroures, que m'a donné
la majesté de mon seigneur pour m'enrichir ».297
Aussi, pour l'enterrement du prince Djâou à Deir el-Gebraoui, son
fils le prince Djâou obtint de Pépi II, « qu'on tire le
cercueil, le linge, le parfum pour la fête, de l'huile rituelle, pour le
dit Djâou. Sa majesté fit apporter, [par] un employé, le
cercueil, le parfum pour la fête, l'huile rituelle, 200 pièces
d'étoffe de première qualité [...] provenant de la Double
Maison de l'argent de la Résidence, pour le dit Djâou
».298 Ensuite, Djâou demanda à pharaon de
conférer à titre posthume la dignité de
293 Id., ibid., p.234à236
294 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.220
295 Id., ibid., p.222
296 Erman A Ranke H., op.cit, 1976, p.55
297Roccati A., op.cit, 1982, p.226
298 Id., ibid., p.227
72
prince à son père ce que fit sa Majesté
en octroyant « un décret pour le nommer prince en tant
qu'offrande de par le roi ».299
Ces concessions de Pépi II en faveur des nomarques,
montrent que malgré leur volonté d'autonomie, ces derniers
parvenaient à manipuler le pharaon pour obtenir des faveurs de sa part
afin de renforcer leur pouvoir local au détriment de l'autorité
centrale qui devait s'affaiblir davantage. Cet affaiblissement de l'institution
royale en faveur des nomarques allait se traduire par le morcellement des
pouvoirs du pharaon. En effet, dans l'armature institutionnelle de la monarchie
égyptienne, la justice et l'armée étaient les deux bases
essentielles du pouvoir royal et, aussi longtemps que les pharaons en
conservèrent le contrôle, la décadence de l'administration
ne se révéla pas dans toute sa gravité.300 Mais
sous Pépi II, les nomarques allaient parvenir à s'accaparer des
pouvoirs judiciaires et militaires de pharaon.
Ainsi, en ce qui concerne la justice, même si la Haute
Cour continuait à siéger à Memphis, elle devrait perdre
toute action dans les nomes et on ne retrouve plus aucun personnage important
pour en faire parti.301 En outre, les titres tels que
Président de chambre ou Conseiller allaient disparaître sous
Pépi II.302 Dès lors, c'est dans les nomes que les
nomarques devaient rendre la justice non pas au nom de pharaon, mais au nom du
dieu local dont ils étaient en même temps les grands
prêtres.303 Cette possibilité qu'avaient les nomarques
de rendre la justice dans les nomes et au nom des dieux locaux, au-delà
du fait qu'elle montre l'accaparement des pouvoirs judiciaires de pharaon,
révèle un autre aspect des luttes politiques.
En effet, au moment où les liens qui rattachaient le
nomarque au pharaon se relâchaient, ceux qui l'unissaient au dieu local
de son nome devaient se fortifier. Ainsi, c'est au dieu provincial que le
nomarque confiait désormais ses espérances et c'est à lui
qu'il se déclarait attaché par les liens
d'imakhou.304 Et, dans les inscriptions des tombes
provinciales, apparaissent des expression telles que « imakhou au
près de son dieu local »305 ou « imakhou
au près de mon dieu ».306 On va dès lors
assister à un retour en force des divinités locales, lequel
retour devait s'effectuer au détriment du dieu Rê qui assurait
jusque là, le rôle de dieu
299 Ibidem
300 Pirenne J., op.cit, 1961, p.299
301 Id., Ibid., p.316
302 Ibidem
303 Id., Les grands courants de l'Histoire universelle, tome
I : Des origines à l'Islam, Neuchâtel, La Baconnière,
1959, p.24
304 Moret A., op.cit, 1926, p.244
305 Roccati A., op.cit, 1982, p.226
306 Id., ibid., p.236
73
dynastique. La déconfiture de la monarchie au plan
politique allait se traduire au plan religieux, par un retour des cultes des
dieux locaux et par un recul du culte royal et du culte solaire.
C'est là une des conséquences du rapprochement
entre la théologie solaire et la monarchie qui avait été
la base de l'absolutisme royal amorcé au début de l'A.E. La
centralisation monarchique s'était accomplie parallèlement
à une centralisation religieuse qui avait réuni les dieux locaux
en un système dominé par le seul dieu Rê. C'est dire que le
relâchement de la centralisation du pouvoir monarchique devait
entraîner, pour le dieu Rê, une perte de sa position de dieu
national. Or, si Rê perd sa position d'être le seul grand dieu, le
caractère de dieu vivant de pharaon, fondé sur la
théologie solaire, devait lui aussi perdre sa valeur.307 On
peut dès lors dire que les nomarques, en favorisant le retour en force
des cultes des dieux locaux, avaient réussi en même temps à
faire régresser le dogme de la divinité de pharaon basé
sur la théologie solaire. Ainsi, la puissance que pharaon tirait de son
caractère divin, allait s'affaiblir en même temps que ses pouvoirs
politiques.
En plus de la justice, l'armée aussi allait tendre vers
une provincialisation. C'est ce qu'on constate dans la biographie de Sabni.
Selon ce dernier, lorsqu'on l'informa de la mort de son père
Mékhou, parti en mission du côté de la Nubie, il mobilisa
« les troupes de son domaine personnel » pour aller chercher
le cadavre de son défunt père.308 Le défunt
Mékhou, qui portait les titres de « prince, trésorier du
roi, Ami unique, prêtre lecteur »309, fut un haut
dignitaire de l'Etat égyptien. De plus, il était parti en
Nubie-Soudan à la recherche de produits susceptibles d'alimenter le
trésor royal.
La remarque que nous faisons à ce niveau, c'est
qu'aussitôt informé de la mort de son père et non moins
dignitaire de l'Etat, parti en mission, Sabni mobilisa les troupes de son
domaine pour aller chercher le cadavre. Avait-il agi sous les ordres de pharaon
ou bien était-il parti sur sa propre initiative ? Nous retrouvons la
réponse dans la lettre qu'il adressa à la Résidence pour
l'informer de l'opération : « Or, j'écrivis des lettres
pour informer que j'étais parti pour ramener ce mien père
Mékhou du pays d'Outjetj dans Ouaouat ».310 Ces
propos de Sabni montrent qu'au moment où la lettre parvenait à la
Résidence, il était déjà parti à la
recherche du cadavre de Mékhou. Autrement dit Sabni n'était pas
allé en Nubie en qualité de chef militaire aux ordres de pharaon
mais plutôt en tant qu'un fils parti à la recherche du
307 Pirenne J., op.cit., 1961, p.298
308 Roccati A., op.cit., 1982, p.217
309 Id., ibid., p, 218
310 Id., ibid., p.217
74
cadavre de son père. Le comportement de Sabni traduit
un manque de discipline vis-à-vis de l'autorité militaire de
pharaon et au-delà, une certaine liberté de la part des nomarques
de disposer de leurs troupes. En effet, c'est le souverain, conformément
à son autorité militaire, qui devait charger un chef militaire
d'aller chercher le corps d'un dignitaire mort en mission à
l'étranger. C'est ce qu'on a constaté avec le rapatriement du
cadavre d'un autre dignitaire mort en mission vers les côtes d'Arabie.
Dans sa biographie, Pépinakht rapporte que la
majesté de son seigneur l'envoya dans le pays des Asiatiques
[Aâmou] pour lui ramener le compagnon unique, commandant des marins et
conducteur de caravanes, Enenkhet qui construisait un bateau pour se rendre
à Pount lorsque les Asiatiques [...] le tuèrent avec la troupe de
l'armée qui l'accompagnait.311 Pépinakht montre ainsi
que ce fut le pharaon qui le chargea d'aller chercher le corps du dignitaire
Enenkhet. Mais à la différence de Pépinakht et pour une
mission similaire, Sabni n'avait pas attendu l'ordre de pharaon. Son attitude
peut dès lors être interprétée comme une
manifestation de l'usurpation des pouvoirs militaires de pharaon par les
nomarques.
Il apparaît ainsi, qu'à partir du règne de
Pépi II, les nomarques avaient réussi à transformer tous
les organes qui symbolisaient le pouvoir de pharaon, en une administration
locale et autonome au niveau de chaque province. Et, durant tout le long
règne de ce pharaon, la situation allait très peu évoluer
entraînant un affaiblissement profond des institutions.312
L'un des signes de cet affaiblissement de la monarchie pharaonique, allait
être la régression, très sensible, de la puissance que
l'Egypte incarnait face à ses voisins. Les deux biographies de Sabni et
de Pépinakht illustrent cet état de fait. En effet, du
côté du Sud, nous avons évoqué l'opposition des
Etats Nubiens face aux caravanes égyptiennes qui commençait
à se manifester sous le prédécesseur de Pépi II
à savoir Mérenrê Ier. Il semble que dans un
premier temps, Pépi II avait tenté de réagir face à
cette opposition des Nubiens. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer
de la biographie de Pépinakht dont la première mission en
terre
311 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe360. Il y
a un fait qui attire notre attention dans les deux textes de Sabni et de
Pépinakht, par rapport au rapatriement des corps de dignitaires
égyptiens morts à l'étranger : c'est le sort des hommes
qui les accompagnaient. En effet, si pour Mekhou, on ignore le sort des hommes
qui étaient en sa compagnie, pour Enenkhet, il est clairement
indiqué qu'il a été tué en même temps que la
troupe qui l'accompagnait Mais dans tous les deux cas, il n'a nul part
été fait mention du sort des hommes qui composaient les
caravanes. Il semble que pharaon ne s'intéressait qu'au cadavre du
dignitaire dont il devait prendre les dispositions pour le rapatriement et
l'enterrement. On est donc tenté de se demander si le silence au tour du
sort de ces compagnons des chefs de caravanes n'était rien d'autre que
la manifestation de cette inégalité des Egyptiens devant la mort
qui faisait que seul les privilégiés bénéficiaient
d'un rituel funéraire important avec l'aide de pharaon.
312 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.213. Sur la
longévité du règne de Pépi II, (Cf.,
supra, Première partie, chap. I, A)
75
nubienne, sous Pépi II, avait consisté à
« écraser le pays de Ouaouat [et] d'Irtjet
».313 La deuxième mission de Pépinakht
s'inscrivit dans le même but et contre les mêmes Etats. Mais il
semble que malgré les actions musclées de Pépinakht
à leur encontre, les Nubiens restaient déterminés à
faire face contre la violation de leurs territoires par les caravanes
égyptiennes. Et, c'est dans ce contexte que le chef de caravane,
Mékhou, allait trouver la mort alors qu'il était en mission dans
cette région méridionale. Son fils Sabni qui partit à la
recherche de son cadavre, donne le compte rendu de son voyage : «
[Then I took a troop of my estate, and 100 asses with me, bearing ointment,
honey, clothing, oil [...] in order to make present [in] these
countries [...] I pacified these countries ... in the countries of ... the name
which is Mether. [I loaded] the body of this sole companion upon an ass, and I
had him carried by the troop of my estate ».314 Si on
s'inscrit dans la perspective que la mort de Mékhou n'a pas
été une mort naturelle, mais qu'elle découle des rapports
heurtés entre l'Egypte et les Nubiens, (ce que pensent certains
historiens)315, alors on peut dire que les propos de Sabni ne
laissent pas apparaître une réaction violente de l'Egypte face
à cette situation. Il semble que dans un contexte d'émancipation
de ses provinces, la monarchie pharaonique, affaiblie, n'eut pas les moyens de
réagir face aux Nubiens316. C'est dans ce même contexte
que le chef de caravane Enenkhet et toute la troupe d'expédition qui
l'accompagnait, furent massacrés par les Asiatiques. Là aussi, il
faut remarquer que ces Asiatiques, ceux «qui habitent le sable »,
sont désignés par les mêmes termes que ceux qui avaient
fait l'objet d'intenses campagnes militaires dirigées par Ouni sous
Pépi Ier.317 Le fait que ces peuples, qui avaient
été fortement combattus par Pépi Ier refassent
surface et s'attaquent aux Egyptiens, montre que le joug de l'Egypte,
affaiblie, commençait à être secoué par les
Bédouins. La monarchie, semble t-il, n'avait plus les moyens de
mobiliser les gigantesques campagnes signalées sous Pépi
Ier, pour renvoyer les Bédouins loin de l'Egypte et pour
sécuriser ses zones d'approvisionnement en matières
premières. Les conséquences de cet affaiblissement de la
monarchie pharaonique aussi bien au niveau interne qu'externe, allaient
être énormes sur les plans politique, économique, social et
sécuritaire.
313 Roccati A., op.cit, 1982, p.209-210. Il est
à remarquer que les Etats nubiens de Ouaouat et d'Irtjet auxquels
Pépinakht devait s'attaquer, sont ceux qui constituèrent la
coalition qui avait tenté de barrer la route à Herkhouf sous
Mérenrê Ier ; ce qui montre que leur dynamique
fédérative amorcée depuis ce dernier pharaon, se
poursuivait sous Pépi II. Ceci est en outre confirmé par le fait
que ces Etats étaient cités par Sabni dans la mort de
Mékhou en Nubie.
314 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe366et368
315 Sall B., op.cit, in, R.S.H.,
n°4-5, p35 ; Vandier J., op.cit, 1954, p312
316 Sall B., op.cit, in, ANKH,
n°4-5, 1999-2000, p.35
317 Pour les campagnes militaires d'Ouni contre les
Bédouins, Cf., Breasted J.H., op.cit, 1988,
paragraphes311à314 et Roccati A., op.cit, 1982, p.193-164
76
B- La crise du trésor
La base de la prospérité économique de
l'Egypte résidait avant tout, dans une organisation centralisée
et efficace, s'appuyant sur un pouvoir royal fort.318 Autrement dit,
tout relâchement de cette organisation devait avoir des
répercussions négatives sur la situation économique du
pays. Or, depuis la V e dynastie, le pouvoir central avait
été confronté à un processus d'affaiblissement,
dû aux ambitions autonomistes des nomarques. Cette situation allait
aboutir à l'affaiblissement de la monarchie notamment à partir de
la VIe dynastie.
Au même moment, le trésor royal allait
connaître une paupérisation du fait de la combinaison d'un certain
nombre de facteurs.
Le premier facteur qui est à la base des
difficultés financières de l'Egypte memphite est en liaison avec
le système politico-idéologique adopté par les pharaons
des premières dynasties. En effet, dans le cadre de l'absolutisme royal,
l'Etat memphite avait mis en place un système de fonctionnarisme dans
lequel le serviteur devait à son souverain un travail, qu'il fournissait
en échange de l'entretien de sa propre vie.319
Et, le mode de rémunération qui avait
été mis sur pied fut le paiement en nature. Il pouvait concerner
l'octroi de terre, du bétail, des demeures funéraires, de l'or,
etc.320 Nous avons vu que sous la IIIe dynastie, Metjen
avait reçu des terres, du personnel et du bétail, en sa
qualité de gouverneur de nome. Aussi, c'est le pharaon qui fournissait
à son serviteur, la concession funéraire et les
éléments de la tombe comme le sarcophage, la fausse porte et la
table d'offrandes.321 Sous la IV e dynastie, un
contemporain du pharaon Khephren qui portait les titres d'Ami unique, seigneur
de Nekhen, membre de la cour royale et gouverneur local rapporte qu'il obtint
de pharaon comme offrandes funéraires, des champs et des villages en sa
qualité d'imakhou.322 Sous la Ve
dynastie, le doyen des médecins Niankhsekhmet avait obtenu du pharaon
Sahourê, «une double fausse porte en pierre », venant
de Tourah.323 Ces concessions royales en faveur des serviteurs de
pharaon devaient se poursuivre sous la VIe dynastie. Dans sa
biographie, Ouni rapporte qu'il avait demandé à sa majesté
(Pépi Ier) qu'il lui apporte un sarcophage en calcaire blanc
de Tourah ; «Sa Majesté fit traverser le fleuve
à
318 Wolf W., op.cit., 1955, p.48
319 Grimal N., op.cit., 1988, p.111
320 Séne Kh., La crise financière de Memphis et
l'option nubio-soudanaise de l'Ancien empire, mémoire de D.E.A.,
F.LS.H., .U.C.A.D. 2003-2004, p.7
321 Grimal N., op.cit., 1988,p.111
322 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 207
et209
323 Roccati A., op.cit., 1892, p.97
77
un trésorier du dieu avec l'équipage d'un
capitaine à ses ordres, pour [l'] apporter le dit sarcophage de Tourah
[...] avec son couvercle et une fausse-porte : un linteau, deux montants, un
seuil ».324 Ces exemples montrent que les concessions des
pharaons en faveur des privilégiés avaient occupé une
bonne partie des dépenses de l'Etat durant toute la période de
l'A.E.
Or, d'après A. Moret, on peut évaluer le nombre
de privilégiés enterrés au près de pharaon à
environ 500 par règne.325 Ce nombre considérable de
privilégiés par règne donne une idée de l'ampleur
que pouvaient prendre ces dépenses au cours de chaque règne.
A côté des faveurs faites aux serviteurs de
pharaon, il y a des dépenses concernant le culte des rois et des dieux.
En effet, les gigantesques pyramides de l'A.E. qui ont constitué la
sépulture pour le pharaon, avaient certainement nécessité
d'énormes dépenses pour leurs édifications. Ainsi, pour la
pyramide de Chéops, Hérodote a donné une idée des
moyens considérables que son édification devait
nécessiter.326 Sous les V e et VI e
dynasties, plusieurs inscriptions ont fait état des activités
allant dans le sens des travaux des pyramides royales. Ainsi, les inscriptions
de la chaussée qui conduit à la pyramide du pharaon Onnos
(Ve dynastie), mentionnent le transport d'éléments
architecturaux tirés des carrières pour les travaux de la
pyramide.327 Pour la pyramide
«Mérenrê-apparaît-en-perfection », Ouni fut
envoyé à «Ibha pour transporter le cercueil des vivants
[...] avec son couvercle, avec le pyramidion précieux et auguste [puis]
à Eléphantine pour transporter la fausse-porte en granit rose
avec un seuil, les herses et les linteaux en granit rose, pour transporter les
portes et les dalles en granit rose de la chambre supérieure de la
pyramide [...] dans dix bateaux larges, trois chalands, trois bateaux de 80
coudées ».328
Aussi, pour le culte des dieux, la Pierre de Palerme
renseigne qu'il y a eu, à partir de la V e dynastie, de
manière régulière, les constructions des temples, des
donations ainsi que des milliers d'offrandes par jours, offertes par le
pharaon.329 En deux années de règne, le
324 Id., ibid., p.192
325 Moret A., op.cit, 1926, p.234
326 Hérodote, II, 124-125. Selon l'auteur,
« Aux uns était assigné de traîner des pierres
à partir des carrières qui sont dans la montagne arabique,
jusqu'au Nil ; à d'autres, il ordonna de recevoir ces pierres,
après que, sur des bateaux, on les avaient transportées
au-delà du fleuve, et de les traîner jusqu'à la montagne,
la montagne appelée Libyque. Le travail était accompli par des
troupes de dix myriades d'hommes qui se renouvelaient à chaque
trimestre. Le temps pendant lequel le peuple fut soumis à
d'exténuants labeurs aurait été de dix ans pour
l'établissement de la chaussée par où l'ont traînait
les pierres ». Selon l'auteur, ces dix années étaient
différentes des vingt ans consacrés à la construction de
la pyramide elle-même.
327 Roccati A., op.cit, 1982, p.131à133
328 Id., ibid., p.196
329 Pour les actions des pharaons de la Ve dynastie
relevées sur la Pierre de Palerme, Cf., Roccati A.,
op.cit, 1982, p.43à52
78
pharaon Ouserkaf avait remis 1924 aroures (environ 400 ha) de
terre aux sanctuaires d'Héliopolis, de Nekheb et de Pé, ainsi
qu'a des temples locaux. En une seule année de règne, son
successeur, Sahourê, donna aux temples 5856 offrandes journalières
et 2021aroures (environ 429 ha) de terre.330 Ces exemples illustrent
l'importance des donations aux temples, faites par les pharaons à partir
de la V e dynastie. Et, les terres remises aux clergés
étaient prélevées sur le domaine de la couronne et sur
celui de l'Etat.331 En plus des terres et autres produits
d'offrandes, le culte nécessitait de véritables trésors de
malachite, d'électrum, de myrrhe et d'objets
précieux.332
Il apparaît ainsi que les dépenses pour
l'entretien des fonctionnaires, les besoins du culte funéraire et celui
des dieux, avaient fortement contribué à l'érosion du
trésor Memphite. Cette érosion du trésor devait s'aggraver
à cause de l'évolution qu'avait subie le système
fiscal.
Le système fiscal de l'Etat memphite avait connu une
inégalité dans la répartition de l'impôt sur les
plans social et géographique.333 En effet, les donations
faites par les pharaons pour le besoin du culte étaient, pour la plupart
du temps, immunisées par décret royal.334 Ainsi, le
pharaon Snéfrou, avait pris un décret pour que les deux villes de
ces deux pyramides soient éternellement exemptées de faire
corvée due au roi, de payer toute imposition à la
Cour.335 Cette charte fut renouvelée par le pharaon
Pépi Ier en l'an 21 de son règne sous le décret
dit « décret de Dahshour ».336 Les temples des
dieux devaient eux aussi bénéficier des exemptions
d'impôts. Sous la V e dynastie, le pharaon
Néferkarê adressa au directeur des prophètes du temple de
Khentamenti (ancien dieu local d'Abydos), un décret où on peut
lire : «Décret royal pour le directeur des prophètes
Hemou. Je n'ai pas permis qu'un homme quelconque ait pouvoir de prendre aucun
des prophètes, qui sont dans le Nome où tu es, pour l'état
d'artisan ou toute autre corvée du Nome, en surplus du service à
faire pour le dieu, personnellement, dans le temple où celui-ci est, et
du bon entretien des temples par les prophètes qui y sont [...]. Car ils
sont exemptés (khout) pour l'étendue de
l'éternité, conformément au décret du roi du Sud et
du Nord Néfarkarê...»337 Selon J. Pirenne, si
semblable privilège est attribué à un petit temple
secondaire, il faut en déduire que de grands et puissants sanctuaires
comme ceux d'Héliopolis, de Nekheb et de Pé, et sans doute les
330 Pirenne J., op.cit., 1961, p.243
331 Ibidem
332 Ibidem
333 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.9
334 Drioton E Vandier J. op.cit., 1984, p182
335 Moret A., op.cit., 1926, p.237
336 Id. ibid, p.238 ; Obenga Th ., op.cit.,
2990, p.443
337 Moret A., op.cit., 1926, p.240
79
temples solaires eux-mêmes en avaient
bénéficié.338 L'exemption de l'impôt
allait aussi être accordée aux gouvernements provinciaux au fur et
à mesure de leurs protestations.339 En effet, en tant que
directeur des prophètes, le nomarque allait jouir des immunités
arrachées par le clergé à la piété ou
à la faiblesse de pharaon et lui-même allait recevoir des terres
et des exemptions d'impôts à titre personnel.340
Comme on le constate, les donations faites par les pharaons
aux temples et aux particuliers avaient constitué un facteur de
dépérissement des ressources du trésor memphite. Il s'y
ajoute deux autres problèmes nés de la crise que traversaient les
institutions et de l'évolution des rapports entre l'Egypte et ses
voisins. Nous avons vu que dans leur lutte contre le pouvoir central, pour une
plus grande autonomie, les chefs de provinces avaient usé de l'arme
fiscale pour priver la royauté d'une bonne partie de ses ressources et
aggraver la crise financière. Dans les rapports entre l'Egypte et ses
voisins, on a noté des difficultés qui avaient commencé
à se manifester à partir du règne de Mérenrê
Ier. En effet, du côté du Sud, les caravanes
égyptiennes allaient être aux prises avec l'opposition de la
coalition des Etats nubiens d'Irtjet, de Ouaouat et de Zatjou. Et sous
Pépi II, un chef de caravane, Mekhou, allait trouver la mort dans cette
région. Les mêmes difficultés allaient se manifester du
côté des voisins Asiatiques. Là aussi, un chef de caravane
et toute l'équipe qui l'accompagnait devaient être tués par
les Asiatiques.
Et, d'après Pépinakht, ce chef de caravane
(Enenkhet), construisait un bateau pour se rendre au pays de Pount lorsque les
Asiatiques le tuèrent.341 Or, ce pays (Pount) est
réputé pour sa richesse en produits tels que l'or,
l'électrum, l'ivoire, l'ébène etc., qui attiraient les
Egyptiens.342 Et la construction du bateau par le défunt
Enenkhet montre que son voyage avait certainement un but économique.
Ce climat d'insécurité auquel étaient
confrontées les caravanes égyptiennes allait affecter
l'importation des matières premières en provenance de
l'étranger qui devait se ralentir considérablement avant de
s'arrêter.343
Ainsi, l'érosion du trésor de l'Etat,
aggravée par la crise politique et les difficultés
d'approvisionnement des matières venant de l'étranger, allait
être à la base de la crise financière. Cette situation
allait affecter considérablement les couches sociales les plus
défavorisées. En effet, au point de vu fiscal, malgré
l'exemption d'imposition accordée à
338 Pirenne J., op.cit., 1961
339 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.10
340 Moret A., op.cit., 1926, p.244
341 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 360
342 Grimal N., op.cit., 188, p.93
343 Wolf W., op.cit., 1955, p.48
80
certaines catégories sociales, le trésor allait
continuer sa mission de collecte et de redistribution des produits et revenus
de l'Etat ; laquelle redistribution, continuait à favoriser les
dignitaires de l'Etat. Nous avons vu qu'avec Pépi II, malgré
l'affaiblissement du pouvoir, pharaon continuait à octroyer des
concessions aux dignitaires. Dès lors, le poids de l'impôt allait
s'alourdir sur les petits propriétaires.344 Ces derniers
devaient s'endetter et finir par être ruinés complètement.
D'un autre côté, la baisse ou l'arrêt des importations des
matières premières allait avoir comme effet, un recul des
activités quotidiennes d'une bonne frange des Egyptiens. Dans ce pays,
les activités telles que la construction des pyramides royales, des
temples solaires et royaux, des tombeaux concédés aux
imakhou, la décoration sculpturale des édifices, la
fabrication des luxueux mobiliers pour les palais des vivants et des morts, des
étoffes, des bijoux, etc., avaient certainement nécessité
une classe d'artisans, d'ouvriers et de paysans très
considérable.345 Pour cette classe composée de
personnes qui ne vivaient que de leurs bras et qui ne mangeaient pas quand le
travail manquait, l'arrêt des activités quotidiennes était
synonyme de misère.346 Ainsi, la monarchie pharaonique
affaiblie politiquement par les nomarques, devait faire face à une grave
crise financière qui plongea un bon nombre d'égyptiens dans la
misère. Son incapacité, face à cette situation, allait
constituer une des sources principales de la révolte populaire qui
secoua le pays à la fin du règne de Pépi II.
Il semble toutefois qu'à côté de la
carence des institutions et de la crise financière, l'Egypte
était, à cette époque, en proie à des
difficultés d'ordre climatique.
C- Les effets des changements climatiques
A la fin de l'A.E., au moment où les luttes politiques
avaient abouti à l'affaiblissement de la royauté, et que le
trésor royal était en difficulté, l'Egypte semble-t-il,
était en même temps en proie à des problèmes dus aux
mutations climatiques. En effet, vers -3000, lorsque s'établissait la
royauté pharaonique dans la basse vallée du Nil (au Nord du
24° N), le désert occidental égyptien était parvenu
à son degré de dessèchement actuel au
344 Pirenne J., op.cit., 1961, p.303
345 Moret A., op.cit., 1926, p.250
346 Pirenne J., op.cit., 1961, p.327
81
terme d'une longue évolution amorcée vers
-4800.347 L'une des manifestations de cette situation avait
été la disparition dans le Sahara septentrional des points d'eau
dès le Ve millénaire et qui avait rendu impossible les relations
entre la vallée du Nil et les massifs du Sahara central sauf par la voie
des oasis parallèles à la côte Libyenne (Siwa, Djeraboub,
Aujila et Sokna).348 Cette situation allait avoir comme
conséquence, une plus grande dépendance de l'Egypte de
l'inondation annuelle du Nil.349
Il se trouve que le Nil, comme beaucoup d'autres fleuves,
prend sa source dans la zone intertropicale étendue jusqu'à
4° Sud, sur des hautes terres situées entre 1000 et 2000
mètres d'altitude avec des volcans dépassant les 4000
mètres.350 Sur ces montagnes, les pluies dépassent
souvent 1,5 mètre par an.351 Toutefois, si le Nil traverse le
Sahara sur près de 3000 km, il le doit en grande partie à
l'apport de ses affluents éthiopiens. En Ethiopie, il existe de vastes
plateaux volcaniques entre les 7° et 17° N qui se situent aujourd'hui
entre 2000 et 4000 mètres d'altitude et qui reçoivent entre 1 et
2 mètres de pluie par an.352 Cette situation laisse
apparaître que le Nil reflète les changements climatiques survenus
dans la zone intertropicale beaucoup plus qu'en Egypte
même.353 Or, si l'assèchement du Sahara septentrional
était continu (entre -5000 et -2500 il n'y a pas eu de retour
d'humidité dans l'actuel désert égyptien), ce ne fut pas
le cas dans le Sahara méridional où il y a eu un « Humide
néolithique » entre -4500 et -2500, encadré par un «
Grand Aride mi-Holocène » de -2500 à -1000
environ.354 Et les crues du Nil, alimentées par des eaux
venant au Sud 22° N, suivaient le rythme irrégulier du
dessèchement du Sahara méridional355. Si nous prenons
en compte cette situation au niveau du Sahara méridional, elle
traduirait une baisse de ces crues à partir de -2500, s'est à
dire au cours de la deuxième moitié de l'A.E. Et selon P. Rognon,
il a été constaté que vers 5000 B P (-3000 à
-2800), le volume des crues du Nil a diminué d'environ 25 à 30%
par rapport à son débit antérieur et cette diminution est
devenue catastrophique vers 4300-4000 B P (-2250 à
-1950).356
Cette analyse des conditions climatiques et hydrologiques a
montré que sous l'A.E., l'Egypte avait été
confrontée aux effets de la désertification, avec une baisse des
crues du
347 Cornevin M., op.cit., 1993, p.49
348 Ibidem
349 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.353
350 Rognon P., Biographie d'un désert, Paris,
Plon, 1989, p.137
351 Ibidem
352 Id., ibid, p.140 353Id., Ibid,
p.293
354 Cornevin M., op.cit., 1993, p.67
355 Ibidem
356 Rognon P., op.cit., 1989, p.293
82
Nil. Mais ce qui allait aggraver la situation, c'est qu'au
moment où les conditions naturelles devenaient de plus en plus
précaires, la situation politique rendait difficile toute action commune
pouvant permettre au pays de faire face aux calamités naturelles. Nous
avons vu qu'au cours de la VIe dynastie, notamment à partir
du règne de Pépi II, les nomarques avaient réussi à
gagner une plus grande autonomie et avaient tendance à gérer les
provinces de manière autonome. Cette large autonomie des provinces eut
comme effet immédiat, une absence de consensus national qui pouvait
permettre une utilisation rationnelle des eaux du Nil, afin de parer aux
difficultés qui pourraient découler de la baisse des
crues.357 Dès lors, la crise politique et financière
que traversait la monarchie à la fin de l'A.E., allait s'accentuer du
fait de la vulnérabilité du pays face à la
dégradation des conditions naturelles. Dans ce pays que fut l'Egypte, la
part de l'homme n'a jamais été négligeable dans la
fécondation de la terre.358 Il est vrai que par sa crue
annuelle, le Nil entretient le sol cultivable, en corrige l'évaporation
et lui rend l'humidité nécessaire dans un pays où la pluie
est rare.359 Toutefois, dans cette crue annuelle, le fleuve adopte
des situations qui sont toutes aussi dommageables pour l'Egypte.360
En effet, l'arrivée des eaux du fleuve peut signifier submersion de la
vallée, avec destruction ou démolition de tout ce qu'elle trouve
sur son passage. Elle délite le sol et déplace les limites des
propriétés.361 Mais, inversement, lorsque la crue est
insuffisante, le pays pouvait connaître une situation de famine. Au
début de l'A.E., sous le règne de Djeser, il semble que l'Egypte
avait connu à une situation similaire, où l'insuffisance des
crues avait provoqué une famine. C'est du moins la conclusion qu'on peut
tirer d'un document connu sous le nom de Stèle de la famine
où le pharaon Djeser, s'exprimant sur la situation disait : «
Mon coeur était dans une très grande peine, car le Nil
n'était pas venu à temps pendant une durée de sept ans. Le
grain était peu abondant, les graines étaient
desséchées, tout ce qu'on avait à manger était en
maigre quantité, chacun était frustré de son revenu. [...]
Même les courtisans étaient dans le besoin ; et les temples
étaient fermés, les sanctuaires étaient sous la
poussière... »362. C'est pour faire face à
ces aléas des crues que, semble-t-il, très tôt les
Egyptiens cherchèrent à discipliner le fleuve. Ainsi, de
puissantes digues, parallèles au cours du fleuve furent mises en place
pour forcer le fleuve à suivre un lit régulier et des canaux
perpendiculaires au fleuve, partageant la vallée en un damier de
bassin,
357 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.12
358 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.4
359 Moret A., op.cit.
, 1926, p.38
360 Id., Ibid, p.36
361 Ibidem
362 Grimal N., op.cit., 1988, p.80-81
83
étagés du Sud au Nord les uns au dessus des
autres363. Toute cette énorme entreprise ne pouvait se
réaliser sans un labeur régulier et tenace, collectif et
coordonné. D'où la nécessité d'un chef pour
gouverner, assigner à chacun sa tâche et repartir avec
équité, l'eau du fleuve, à tous.364 C'est ce
qui explique l'importance de l'Etat qui symbolisait une organisation de masses
humaines, l'unité de la direction et la centralisation qui
étaient à la base de la prospérité de l'Egypte. En
effet, avec un pouvoir central fort, il était possible d'assurer une
véritable politique économique, en parvenant à discipliner
la crue, en coordonnant les observations nilométriques tout au long du
cours du fleuve et en mobilisant des milliers d'Egyptiens pour parfaire le
réseau des canaux.365 Tels sont là, quelques uns des
éléments qui rendaient indispensable, la présence en
Egypte d'un pouvoir central fort. En faisant une remarque sur l'Egypte sous
l'administration Ptoléméenne, Napoléon n'avait pas
manqué de relever cette situation. Selon lui, « Dans aucun
pays, l'administration n'a autant d'influence sur la prospérité
publique. Si l'administration est bonne, les canaux sont bien creusés,
bien entretenus, les règlements pour l'irrigation sont
exécutés avec justice, l'inondation est plus étendue. Si
l'administration est mauvaise, ou faible, les canaux sont obstrués de
vase, les digues mal entretenues, les règlements de l'irrigation
transgressés, les principes du système d'inondation
contrariés par la sédition et les intérêts
particuliers des individus et des localités. »366
Ce constat de Napoléon sur l'administration est une illustration du
rôle important de l'Etat pour l'Egypte. La faiblesse de celui-ci ne
pouvait qu'accentuer la vulnérabilité du pays face à la
dégradation des conditions naturelles. Or, la situation politique
à la fin de l'A.E. se caractérisait par une faiblesse de la
monarchie doublée, au plan naturel, par une baisse des crues du Nil.
Cette faiblesse de la monarchie laisse supposer que celle-ci était dans
l'incapacité de contraindre les nomarques, devenus plus ou moins
indépendants, dans leurs provinces, à maintenir en état
les canaux d'irrigation, indispensables pour assurer une bonne
répartition des crues367. La production agricole devait
nécessairement souffrir de cette situation qui allait avoir comme
effets, l'installation de la famine. Pharaon venait ainsi de se montrer
incapable dans ses fonctions nourricières qui constituaient une des
prérogatives les plus essentielles de son pouvoir. On a vu comment le
pharaon Djeser s'était attristé lorsque les baisses des crues du
Nil avaient entraîné une situation de famine sous son
règne.
363 Moret A., op.cit., 1926, p.38
364 Moret A., L'Egypte pharaonique, in, Hanotaux G.,
Histoire de la nation égyptienne, Tome II, Paris Plon, 1932,
p.14-15
365 Lalouette Cl., L'Empire des Ramsès, Paris,
Fayard, 1985, p.12
366 Moret A., op.cit., 1926, p.40
367 Ibidem
84
Il apparaît ainsi, que la situation de l'Egypte avait
été particulièrement difficile à la fin de l'A.E.
En effet, l'institution royale, minée par les luttes politiques avait
fini par s'affaiblir politiquement et financièrement. Au même
moment, la crise financière à laquelle était
confronté l'Etat ainsi que les effets de la dégradation des
conditions climatiques, devaient plonger le peuple dans la misère. Le
comble de la situation allait être atteint à cause d'un autre fait
qui découle de l'affaiblissement de la monarchie : c'est l'invasion du
Delta par les Bédouins. A partir de cet instant, il semble que toutes
les conditions étaient réunies pour pousser le peuple à ce
soulever contre la royauté.
TROISIEME PARTIE :
85
LES CONSEQUENCES
86
Chapitre I : Au plan politique et religieux
A- Evolution du concept de royauté
divine
C'est au M.E. qu'on décèle les
conséquences de la crise de la P.P.I.
La fin de cette crise intervint vers - 2050 au moment
où l'Egypte retrouva son unité sous la direction des princes
thébains368. Cette réunification des Haute et Basse
Egypte, allait permettre, en même temps, le retour de la monarchie
pharaonique après une longue période de carence. En effet,
à partir de Montouhotep II (considéré comme l'unificateur
du pays) les souverains Thébains vont adopter le protocole royal de
l'A.E., prenant le nom d'Horus, se proclamant rois de Haute et de Basse Egypte
et se donnant le titre de « Fils de Rê »369. Le
M.E., considéré comme la seconde phase brillante de l'histoire de
l'Egypte venait ainsi de s'ouvrir. Le pays allait renouer avec la construction
de grands édifices royaux et religieux qui constituent l'un des signes
les plus visibles de la vitalité de sa civilisation. Au plan politique,
on va assister au retour des institutions royales à l'image de celles de
l'A.E.370
Dans le même temps, l'Egypte allait renouer avec la
politique extérieure de l'A.E. avec des expéditions en Asie et en
Nubie371.
Ainsi, si l'on ne se fiait qu'à ce retour du «
Royaume des Deux-Terres », à la titulature des pharaons ou bien
à la teneur de leurs actions, pas le moindre changement ne serait
intervenu depuis la fin de l'A.E. à l'exception de la capitale qui a
quitté Memphis pour Thèbes372. Cependant, à y
regarder de près il semble que le système monarchique avait
beaucoup évolué au sortir de la P.P.I.
En effet, pour l'institution royale, rien ne devait plus
être comme avant. Le souvenir des luttes politiques, qui avaient affaibli
la monarchie memphite avant de contribuer à son effondrement
était encore présent. En outre, le spectacle des pharaons sans
autorité, des règnes simultanés de souverains qui se
disputaient ou se partageaient la couronne et qui cédaient leurs
privilèges aux princes, avait participé à
discréditer les titres, les cartouches et
368 Sur la fin de la P.P.I., (Cf. ; Supra,
Première partie, chapitre I, A).
369 Pirenne J., op.cit, 1960, p. 51.
370 Les titres administratifs tels que « Vizir »,
« Chef des six cours de justice », « Gouverneur des villes
», commencèrent à réapparaître dans la
biographie des fonctionnaires (Cf., Breasted J.H., op.cit, 1988,
paragraphe 424 à 459).
371 Grimal N., op. cit., 1984, p. 195.
372 Wolf. W., op. cit., 1955, p. 66.
87
les insignes de la royauté373. On en
était arrivé à une monarchie qui avait perdu son
caractère sublime et dont la faiblesse et le fractionnement avaient
comme conséquence, la dépréciation du dogme de la
royauté divine qui fut un de ses fondements à
l'A.E.374 Tous ces faits constituèrent alors, les
manifestations de profondes modifications de l'image de l'institution
monarchique. Le concept d'une royauté incarnée par un souverain
considéré comme un dieu, allait évoluer vers une tendance
beaucoup plus humaine.
Pour analyser l'évolution subie par le concept de
royauté divine au sortir de la crise, nous allons utiliser comme
sources, les textes littéraires du M.E.
Il s'agit principalement de la Prophétie de
Néferty que nous avons utilisé en analysant la phase
violente de la crise de la P.P.I. La dernière partie de ce texte est
consacrée à l'annonce de l'avènement d'un certain
Amény, considéré comme le sauveur de
l'Egypte.375
Il y a aussi l'Enseignement du roi Amenemhat à son
fils Sésostris où le pharaon, prodiguait des conseils
à son fils et successeur en l'entretenant des réalités
propres à la gestion du pouvoir.376
Nous avons aussi les textes biographiques du M.E. dont nous
retrouvons la traduction dans (Ancient records of Egypt) de J. H.
Breasted.
373 Posener G., op.cit, 1956, p. 66.
374 Ibidem.
375 Ameny le sauveur de l'Egypte dans la prophétie, a
été identifié à Amenemhat Ier, le
fondateur de la XIIe dynastie. L'identification d'Ameny à
Amenemhat Ier étant posée, le texte de la
prophétie peut être considéré comme annonciateur de
l'avènement de la XIIe dynastie. Sur la question de cette
identification, Cf., Lefebvre G., op.cit, 1982, p.104, note 60;
Posener G., op.cit, 1956, p.22-29 ; Ndiaye L., op.cit.,
20012002, p.67à72.
376 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.57 à 59 ;
Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 474 à 483. La question
sur l'auteur réel de ce texte reste posée. En effet, si pour
certains historiens Amenemhat Ier est son auteur, pour d'autres par
contre le texte est composé après la mort de ce pharaon dans le
but de légitimer l'arrivée au trône de son fils
Sésostris Ier . Sur les arguments des uns et des autres (Cf.,
Posener G., op.cit, 1956, p.67 à 75 ; Breasted J.H.,
op.cit, 1988, paragraphe474). Mais dans tous les cas, il reste que ce
texte constitue une source importante dans l'analyse de l'évolution de
l'image divine de pharaon sous le M.E. De par son auteur, son auditoire et son
contenu, ce texte a un précédent dans l'Enseignement de
Khéti III à son fils Mérikarê qui date de la
P.P.I. En fait, ce qui fait la valeur de ces deux textes, c'est que les
auteurs, malgré leur position de souverain, sont perçus comme de
simples mortels et les sentiments qu'ils expriment sont humains. La
ressemblance entre certains aspects de ces deux textes est telle que certains
auteurs font la confusion. C'est le cas de Y. Somet (Cf., L'Afrique dans la
philosophie. Introduction à la philosophie africaine pharaonique,
Paris, Khepera, 2005, p.125, not 187) qui fait attribuer certains passages du
texte d'Amenemhat à l'Enseignement de Khéti III. Cette
confusion a fait dire à Y. Somet que, l'Enseignement de Khéti
III a été situé de façon anachronique, par
certains auteurs, à la IXe ou Xe dynastie. Or,
effectivement le texte de Khéti III date des IXe et
Xe dynasties (c'est-à-dire celles des souverains
nommés Khéti ou Mérikarê), c'est le texte
d'Amenemhat qui date de la XIIe dynastie. En fait, la confusion
faite par Y. Somet pourrait être due au fait que les passages de
l'Enseignement d'Amenemhat qu'il a cités sont tirés de
l'ouvrage de J. Pirenne (op.cit, 1962, p.99-103). Et ce dernier a
entamé l'étude du texte d'Amenemhat, dans son ouvrage, en faisant
des références au texte de Khéti III qui est son
antécédent dans la littérature égyptienne.
88
Comme l'ont affirmé E. Drioton et J. Vandier, la
doctrine de la divinité de pharaon, telle qu'elle avait
été amplifiée par son inclusion dans le dogme
héliopolitain, resta théoriquement inchangée pendant tout
le cours de l'histoire de l'Egypte. Toutefois, elle avait subi, dans ses
expressions, le contrecoup des vicissitudes politiques de la
monarchie377. C'est ainsi que durant l'Ancien empire, la
pureté du sang solaire était l'élément essentiel de
la légitimité. Et, pour la transmettre à leur successeur,
les pharaons prirent de préférence pour Grande Epouse ou reine,
une de leurs propres soeurs ou demi-soeurs378. A l'époque, la
succession étant basée sur la lignée paternelle, c'est le
fils aîné issu de cette union qui était
considéré comme l'héritier présomptif et il
succédait à son père au trône à la mort de ce
dernier379. Il était arrivé que le trône
fût usurpé par quelqu'un qui n'était pas de la
lignée royale. Mais dans ce cas, il prenait une fille royale comme
épouse ou bien une doctrine est élaborée pour
légitimer son pouvoir380. Mais depuis la fin de l'A.E., ce
dogme qui sous-tendait la légitimité du pharaon avait subi
maintes violations.
Nous avons vu que par la faveur de la crise de la P.P.I, le
trône d'Egypte était devenu accessible par la seule force de
l'énergie humaine. Ce fut par ce biais que les princes
héracléopolitains et thébains s'assurèrent la
dignité royale. C'est aussi par leur énergie et sur la base d'une
puissance qu'ils avaient acquise et étendue eux-mêmes, que les
Montouhotep parvinrent à réunifier l'Egypte et à permettre
le retour de la monarchie dans toutes ses dimensions. Les contemporains de ces
pharaons avaient été les témoins et les acteurs de ces
durs combats, contre le royaume héracléopolitain et les princes
locaux, qui avaient tous revêtu l'aspect d'actes
humains.381
Pour les Egyptiens de l'époque, la
légitimité de ces Montouhotep découlait alors, plus de
leur énergie que d'une doctrine élaborée en leur faveur.
Et, le nom théophore qu'ils
ont pris Montouhotep c'est- à- dire
377 Drioton E. Vandier J., op.cit, 1984, p. 88.
378 Id., Ibid, p. 89.
379 Ibidem.
380 Nous avons évoqué le cas de la Ve
dynastie pour laquelle, un des contes du Papyrus Westcar avait servi
de légitimation. Il y a aussi l'exemple de Téti, fondateur de la
VIe dynastie qui semble-t-il, n'étant pas de lignée
royale, épousa une princesse royale pour légitimer son
pouvoir.
381 Wolf W., op.cit, 1955, p.67. On retrouve
l'iconographie du triomphe des Montouhotep dans un temple de
Gébélein où Montouhotep II s'était fait
représenter, en train d'assommer à tour de rôle, ses
ennemis et le premier d'entre eux personnifiait les Egyptiens (Cf., Breasted
J.H., op.cit., paragraphe 423H).
89
(« Montou est satisfait ») montre que ces souverains
étaient conscients qu'ils étaient des hommes qui remplissaient
des fonctions à la satisfaction des dieux382. On pourrait
s'attendre à ce que la restauration de la monarchie mette fin à
ce mode de dévolution du pouvoir, hérité de la crise de la
P.P.I. Mais si nous analysons les circonstances de l'avènement de la
XIIe dynastie, il semble que la valeur de l'homme était
devenue un élément indispensable dans la transmission du pouvoir
monarchique. En effet, si l'on se réfère à sa biographie,
Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie, avant
d'accéder au trône, avait été un des plus importants
cadres de la monarchie.
D'après les titres qui figurent dans son inscription
biographique, il avait été : Gouverneur de ville, Prince
héréditaire, Comte, Juge en chef, Chef de tous les travaux, Chef
des six cours de justice, Gardien de la Porte du Sud, Magnat du souverain de
Haute et de Basse Egypte, Gouverneur de tout le Sud, qui dirige
l'administration du seigneur des Deux-Terres, Commandant de tout ce qui
commande, Vizir du roi, etc.383 Ce même Amenemhat avait
été plusieurs fois chargé par pharaon, pour diriger des
expéditions à la tête des milliers de soldats venus de
toutes les contrées du pays384. Ensuite, dans le Conte
prophétique qui servit à légitimer son pouvoir,
l'origine du fondateur de la XIIe est déclinée en ces
termes : « Voici que surgira au Sud un roi, appelé Ameny, juste
de voix. C'est le fils d'une femme de T3-Stj, c'est un enfant
de Hn-Nhn (E 57-59)...Le fils de quelqu'un se fera un renom pour
l'éternité et à jamais.»(E 61-62)385.
Dans ce texte de légitimation, le nouveau pharaon n'a aucun lien avec la
famille royale défunte ni du côté de son père encore
moins de sa mère. En fait, l'expression « fils de quelqu'un
» employée ici, était, semble-t-il, utilisée
pour désigner un homme de bonne naissance mais qui n'était pas de
sang royal386. Amenemhat semble-t-il, n'était pas non plus
issu d'une famille de princes territoriaux comme le furent les
Montouhotep387. Pourtant, au lieu de recourir au dogme de la
théogamie exploité à d'autres moments de l'histoire
égyptienne, pour donner une origine divine à ce sauveur
dépourvu de sang royal388, l'auteur de la prophétie
admet ouvertement qu'il n'est pas d'origine royale.389 C'est dire
que le sang divin, acquis par naissance, par un mariage avec une femme
pourvue
382Wildung D., op.cit., 1984, p.
70. Montou est un Dieu faucon de la Thébaïde qui semble avoir
été une divinité guerrière (Cf., Posener G.,
Sauneron S., Yoyotte J., op. cit., 1992, p. 175).
383 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 445.
384 Id., Ibid, paragraphes 442, 447 et 448.
385 Posener G., op. cit., 1956, p. 47à49
386 Id., ibid., p.49-50 ; Gardiner A., op.cit.,
1979, p.126
387 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 65.
388 Les souverains de la Ve dynastie se sont
fabriqués une origine divine en se présentant dans le conte du
Papyrus Westcar comme étant des enfants issus de l'union de
Rê et de la femme Reddjedet.
389 Posener G., op.cit., 1956, p. 52.
90
de sang royal ou bien par la faveur d'une doctrine
élaborée à cet effet, n'est pas l'élément
indispensable à la légitimité du pharaon au M.E. La
preuve, c'est que l'auteur de la prophétie insiste plutôt sur les
qualités humaines d'Ameny qui lui ont permis d'asseoir son pouvoir :
« Ceux qui étaient opposés au mal et qui
méditaient des actes hostiles ont fait taire leur bouche par crainte de
lui. Les Asiatiques tomberont par l'effet de la terreur qu'il inspire, les
Timhou (habitants de la Libye) tomberont devant sa flamme. Les ennemis
appartiendront à sa colère et les rebelles à sa
puissance... »390 Cette attitude de l'auteur peut
être interprétée comme une volonté de sa part de
montrer que la valeur de l'homme occupait désormais une position
centrale dans l'accession au trône d'Egypte. Et à ce niveau, la
biographie d'Amenemhat, confirme cet état de fait. En effet, il semble
que se fut son poids dans l'armée égyptienne ainsi que ses hautes
fonctions civiles, qui lui permirent de s'emparer du pouvoir à la suite
de la crise de succession intervenue à la fin de la XIe
dynastie.391 En s'emparant du trône ainsi, Amenemhat
Ier n'avait fait que profiter des changements subis par le dogme qui
fondait la légitimité de pharaon et dont la base avait
été, à l'A.E., l'acquisition du sang divin. On peut en
titrer la conclusion que l'avènement de la XIIe dynastie a
été une des conséquences des modifications subies par le
dogme de la royauté divine, les quelles modifications trouvent leurs
explications dans la crise de la P.P.I. Ce fut dans cette crise, que des
Egyptiens osèrent s'arroger la dignité royale sur l'unique base
de la force. Il apparut dès lors qu'il ne suffisait plus d'être de
sang royal ou de se confectionner une ascendance divine pour prétendre
à la royauté. Il fallait des qualités humaines qui
devaient permettre au souverain d'asseoir son pouvoir et de faire respecter
l'autorité royale. C'est là une évolution très
sensible du dogme de la royauté divine vers une conception beaucoup plus
humaine.
Le second aspect de l'évolution de l'image divine de
pharaon est en rapport avec la vision que les Egyptiens avaient de leur
souverain et de l'institution qu'il incarnait. Nous venons de voir que depuis
la crise de la P.P.I., la légitimité des fondateurs de dynasties
se fondait plus sur leurs valeurs humaines que sur une doctrine leur
conférant des qualités divines. Alors, plutôt que des
roi-dieux, les contemporains de ces souverains allaient voir en eux, des hommes
qui avaient acquis la dignité royale par la force de leur
énergie. Des lors, le fait de tenter de s'emparer du trône royal,
allait apparaître moins comme une attaque contre
390 Lefebvre G., op.cit 1982, p.104
391 Grimal N., op.cit, 1988, p.197. Selon N. Grimal,
il y avait d'autres prétendants au trône, contre lesquels
Amenemhat avait lutté. Il s'agit d'un nommé Antef et d'un
Ségerséni. Mais N. Grimal ne précise pas les positions
qu'occupèrent ces derniers sous les Montouhotep. Pour Amenemhat
Ier, sa biographie montre, comme l'ont remarqué G. Husson et
D. Valbelle, qu'il a été le premier vizir connu de l'histoire de
l'Egypte, à se servir de sa position au sommet de l'Etat, pour fonder
une dynastie à la tête de la monarchie pharaonique (Cf., Husson G
Valbelle D., op.cit, 1992, p.35).
91
un pouvoir de droit divin plutôt qu'à une
institution qui se présentait avant tout comme une oeuvre humaine. La
conséquence, c'est que les risques de conspiration contre le pharaon
d'Egypte devaient s'augmenter392.
C'est ainsi qu'Amenemhat Ier qui accéda au
trône par la force de son énergie, allait être victime d'une
tentative d'assassinat393. Les détails de ces actions que
nous pouvons qualifier de tentative de coups d'état, ont
été rapportés par le pharaon lui-même en ces termes
: « C'est après le repas du soir, la nuit était venue et
je prenais une heure de repos; je m'étais étendu sur mon lit,
étant extrêmement las, et mon coeur commençait pour moi
à suivre mon sommeil. Alors, des armes furent brandies, qui auraient
dû, au contraire, veiller sur moi; je fus comme le serpent du
désert. Je m'éveillai (au bruit) du combat, étant seul, et
je découvris qu'il s'agissait d'une rixe de soldats. Si j'avais pris mes
armes en mains, j'aurais pu mettre en déroute pêle-mêle ces
lâches ; mais il n'y a pas d'homme brave la nuit, ni d'homme qui puisse
combattre seul. Le succès ne peut advenir sans protection
»394.
La question de savoir si le pharaon a péri dans
l'attenta ou s'il s'en est sorti indemne se pose entre les historiens. En
effet, si pour certains, Amenemhat Ier a trouvé la mort dans
cet attentat, pour d'autres par contre il avait
survécu395.
Mais ce qui nous intéresse ici, c'est de montrer
d'abord qu'il y a eu une tentative d'assassinat contre la personne de
pharaon.396 Ensuite, l'image du pharaon qui se dégage dans ce
texte, contraste à plusieurs niveaux avec l'image divine incarnée
par les souverains de l'A.E.
392 Durant toute la période de l'A.E., le seul cas de
conspiration contre un pharaon, rapporté par un texte contemporain, est
la conspiration de harem contre Pépi Ier à la quelle
Ouni faisait référence dans sa biographie (Cf., Breasted J.H.,
op.cit, 1988, paragraphe 310 ; Roccati A., op.cit, 1982, p.
192-193).
393 En dehors de cette tentative d'assassinat qu'Amenemhat
rapporte ici, nous avons d'autres faits relevés par la
littérature contemporaine et qui attestent des risques de conspirations
qui existaient au sommet de la monarchie au cours du M.E. C'est ainsi que dans
l'Aventure de Sinouhé, le héros du roman nous apprend
que sa fuite de l'Egypte, intervenue à la mort d'Amenemhat
Ier, avait été motivée par la peur d'un
éventuel coup de force contre le corégent et successeur
désigné du souverain défunt qui était
Sésostris Ier. Alors que ce dernier était à la
tête d'une expédition dirigée contre les Libyens, la
nouvelle de la mort de son père lui parvint ; il partit en hâte
pour la Résidence royale, sans informer son armée. Mais au
même moment, un de ses frères ou demi-frères, qui avait
probablement des prétentions au trône et qui se trouvait dans
l'armée, reçut lui aussi la nouvelle par l'entremise des
émissaires venus de la Résidence. C'est de là que
Sinouhé, apprit la nouvelle. Mais ignorant que Sésostris
Ier était déjà informé, il crut qu'une
conspiration se fomentait contre ce dernier et qu'une guerre civile pouvait
éclater. Alors il préféra s'éloigner de l'Egypte
pour aller chercher refuge en Asie (Cf., Lefebvre G., op. cit., 1982,
p.4 ; Posener G., op.cit., 1956, p.68).
394 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p 1984, p. 58.
395 Les discussions sur cette question ont été
reprises par G. Posener (Cf., op. cit. 1956, p. 65 à 75 et 82
à 85).
396 Si l'on s'inscrit dans la doctrine royale qui consacre la
divinité de pharaon, cet attentat contre la personne d'Amenemhat
Ier est une illustration que ses auteurs avaient atteint le summum
de l'impiété. Tenter de tuer un pharaon d'Egypte, c'est non
seulement remettre en cause la continuité du pouvoir des dieux dont il
est le dépositaire sur terre, mais c'est aussi violer le
caractère divin de sa personne. On ne
92
D'abords, c'est le pharaon en question qui raconte les
péripéties de la tentative d'assassinat. En le faisant, il
dévoilait en même temps le mystère qui entourait sa
personne et qui faisait de lui un être craint par ses sujets qui
l'apercevaient comme un surhomme.
Ensuite, il reconnaît explicitement son
imprévoyance en disant : « Je n'avais pas prévu cela, je
n'avais pas pensé cela, mon «coeur» n'aurait
pas dû amener l'intimité de mes serviteurs
»397. En présentant ainsi le pharaon, comme un
humain qui reconnaissait qu'il pouvait manquer de perspicacité et qu'il
était incapable de pressentir un complot contre sa personne, on le
rabaissait au niveau de ses sujets. En fait, l'attitude prêtée au
pharaon, dans ce texte, n'était pas celle d'un être d'une essence
supérieure et différente.398 Et selon G. Posener,
c'est dans ce texte d'Amenemhat que s'est dégagée l'image la plus
humaine du pharaon dans toute la littérature
égyptienne399.
Ce fut, semble-t-il, pour faire face à des risques de
conspiration contre le pouvoir royal, qu'Amenemhat Ier introduisit
une innovation majeure dans la direction de la couronne :
peut comprendre ces actes qu'en les inscrivant dans la suite
des bouleversements intervenus au cours de la crise de la P.P.I. En effet,
rapportant les événements intervenus lors de la phase violente de
cette crise, Ipou-our disait que : « Le feu montera vers les hauteurs
et sa flamme s'élèvera contre les ennemis du pays...une chose a
été faite qui n'était pas arrivée auparavant : on
est tombé assez bas pour que des misérables enlèvent le
roi...celui qui, avait été enterré en Faucon divin
(pharaon) est maintenant sur une civière et ce que recelait la pyramide
est désormais vide... » (Cf., Lalouette Cl., op.cit.,
1984, p.217). Action sans précédente dans l'histoire de l'Egypte,
pour la première fois, des sujets osèrent s'attaquer à la
personne du pharaon régnant mais aussi à la sépulture du
pharaon défunt violant ainsi tout se qui caractérisait la
divinité du souverain d'Egypte.
397 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 58.
398 Cette attitude, qui contraste beaucoup avec l'image des
roi-dieux de l'A.E, est un reflet des modifications subies par la nature divine
de pharaon, dont on a tendance à décrire comme un simple humain.
On retrouve cette situation dans d'autres écrits du M.E. Par exemple
dans le conte du Naufragé, c'est un prince, probablement un
corégent, qui est mis en scène dans une mission extérieure
qu'il a dirigé. Rien n'indique dans le texte que ce prince était
un corégent. Mais si l'on se réfère à d'autres
documents du M.E., on voit que des corégents ont dirigé des
missions à l'extérieure de l'Egypte. C'est l'exemple du futur
Sésostris Ier dans le texte de Sinouhé ou du futur
Amenemhat II qui dirigea une expédition avec un nomarque du nome d'Oryx
(Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 520). On peut dès lors
supposer que le prince dont il s'agit dans le conte du Naufragé
était un corégent. Or, selon G. Posener, si on juge
d'après le protocole royal, il n'y a pas de différence, sur le
plan dogmatique, entre le pharaon et son corégent. La XIIe
dynastie conçoit la corégence en des termes qui autorisent
à parler de « prince », « roi » ou « dieu
» (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.66). Ainsi dans le
Naufragé, il s'est agit d'un corégent qui était
tombé dans la panique après que le navire qu'il dirigeait fit
naufrage. Pour le rassurer l'auteur du conte (un simple marin), lui adresse ces
mots : « Soit tranquille prince. Nous voici arriver au pays... Notre
équipage est revenu indemne, sans qu'il y ait eu de perte pour notre
troupe... Ecoute-moi, prince, car je sui exempt d'exagération. Lave-toi,
mets de l'eau sur tes doigts, de sorte que tu puisses répondre quand on
s'adressera à toi. Parle au roi en pleine possession de toi-même
et réponds sans balbutier... » (Cf., Lefebvre G.,
op.cit., 1982, p.32-33). La même attitude est notée chez
le pharaon Chéops dans le conte du Papyrus Westcar. Quand le
magicien Djédi l'annonça la venue prochaine des souverains de la
Ve dynastie, qui devaient mettre fin à sa lignée, le pharaon
tomba aussitôt dans la tristesse ; il oublie un moment son
caractère divin et pense à l'idée que sa lignée
allait s'éteindre. Le magicien devait tenter de l'assurer en lui
signifiant que la prédication n'interviendrait que trois
génération après (Cf., Lefebvre G., op.cit.,
1982, p. 85)
399 Ibidem.
93
c'était la corégence400. En l'an 20
de son règne, il associa son fils Sésostris Ier au
trône, inaugurant ainsi une pratique qui allait être
systématiquement appliquée pendant toute la XIIe
dynastie401. En effet, malgré la divinité de sa
personne consacrée par le dogme royal, pharaon était conscient
qu'à cause de sa composante humaine, il était exposé
à l'éphémère, au contingent, à la mort et
aux risques de conspiration contre son pouvoir et sa personne402. Et
c'est par rapport à cette situation, qu'il donna des enseignements
à son fils et corégent en lui disant : « Prends garde
aux subalternes, afin que n'arrive pas (un évènement) au danger
duquel on n'aurait pas prêté attention; ne t'approche pas d'eux,
ne demeure pas seul ; n'aie pas confiance en un frère, ne connais pas
d'amis, ne te crée pas d'intimes, cela ne sert à rien. Si tu
dors, que ce soit ton propre coeur qui prenne garde de toi, car l'homme n'a pas
d'amis au jour du malheur »403. Ce passage du texte
d'Amenemhat reflète une absence de sérénité chez un
souverain préoccupé par sa sécurité. Le pouvoir
qu'il incarne était, semble-t-il, devenu une lutte de tous les instants
afin de déjouer les conspirations de palais et les assassinats. C'est
dire que le pharaon du M.E. n'était plus ce surhomme que les sujets de
l'A.E. regardaient comme un dieu.
Il apparaît ainsi à travers l'analyse de l'image
de pharaon au sortir de la P. P.I., que le dogme de la royauté divine
qui fut l'un des fondements essentiels de la monarchie sous l'A.E., avait
sensiblement évolué vers un caractère beaucoup plus
humain. La conséquence de cette évolution était que, ce
que la monarchie de l'A.E. avait acquis en puissance, grâce à la
croyance du peuple, la nouvelle institution ne pouvait le reconquérir
que par la pleine action et la personnalité de ses
souverains.404 Autrement dit, le souverain d'Egypte, au M.E.,
n'était plus d'abord un prêtre405, mais un Rex
(c'est-à-dire un souverain dont le pouvoir était
400 Leprohon R. J., « Middle Kingdom »,in,
Encyclopedia of the Archaeology of Ancient Egypt., op.cit, 1999,
p. 48. Si nous acceptons avec l'auteur que la corégence fut introduite
après la tentative d'assassinat, alors cela impliquerait qu'Amenemhat
Ier avait survécu à la tentative d'assassinat contre
sa personne. Mais dans tous les cas, la corégence, semble-t-il, a
été une réponse politique, trouvée par les pharaons
du M .E., contre les risques de conspirations. Sous l'A.E., aussi bien dans les
Annales royales que dans les textes biographiques, il na pas été
signalé de règnes simultanés dans une même dynastie.
Et, le seul cas de régence signalé durant cette époque
memphite était celle intervenue sous la jeunesse du pharaon Pépi
II (sur cette régence, Cf., supra, Deuxième partie,
chap. II, A).
401 Grimal N., op.cit., 1988, p. 199.
402 Obenga Th., op.cit., 1990, p. 440.
403 Lalouette El., op.cit., 1984, p. 57.
404 Wolf W., op. cit., 1955, p. 67.
405 Le pharaon d'Egypte, en sa qualité de fils des
dieux, se devait de prendre soin de ses pères. En ce sens, il
était par définition, le prêtre par excellence dans tous
les temples, vis-à-vis de tous les dieux. Il se devait de bâtir,
restaurer, agrandir leurs temples mais également veiller à leur
culte. En contrepartie de cette fonction sacerdotale, Pharaon recevait des
dieux, la toute puissance sur terre pour maintenir l'ordre défini par
ces derniers (Cf., Moret A., op.cit, 1926, p.187 ; Vernus P ; Yoyotte
J., op.cit, 1998, p.125; Sauneron S., op.cit., 1957,
p.28-32). Il apparaît ainsi, que les fonctions religieuses de pharaon lui
conféraient une grande part de son pouvoir. Mais au M.E., ce pouvoir que
confère la religion au pharaon devait reculer au profit d'autres moyens
d'action que sont la force et la politique.
94
fondé sur la force et la politique). C'est par la
guerre que les Montouhotep ont su imposer leur autorité sur tous les
autres princes locaux. Aussi, après son accession au trône, la
XIIe dynastie devait mettre en oeuvre des moyens politiques tels que
la propagande par le biais de la littérature ou bien la corégence
pour pérenniser son règne.
B- Changement d'orientation
politico-idéologique
Nous avions vu, en analysant la genèse de la crise de
la P. P. I., que sous l'A.E., la monarchie égyptienne était
apparue comme une institution centralisée. Ce fut dans le cadre de cette
centralisation que les pharaons memphites menèrent, dès le
départ, une politique de neutralisation des forces centrifuges
dirigées par les nomarques. Au plan religieux, le système
absolutiste des memphites avait comme base, l'idéologie solaire. Aussi,
très tôt, le culte de Rê avait été
intégré au culte royal. A partir de la Ve dynastie,
Rê allait devenir le dieu dynastique de l'Egypte. Ce système
politico-idéologique constitua la base du pouvoir monarchique durant
tout l'A.E. Son évolution fut toutefois marquée par l'opposition
de la tendance autonomiste, dirigée par les nomarques. Et ce furent les
luttes politiques entre le pouvoir central et les nomarques
représentants de l'administration provinciale, qui devaient affaiblir la
monarchie avant d'aboutir à son effondrement.
Le retour de la monarchie avec le M.E. devait s'accompagner de
changements aussi bien sur le plan idéologique que sur celui des
institutions.
Déjà vers la fin de l'A.E., au moment où
les nomarques s'accaparèrent d'une bonne partie des prérogatives
royales, on sentait en même temps un recul du culte solaire au profit des
cultes des dieux locaux. Rê avait accédé au sommet du
panthéon égyptien, par le biais de la solarisation des autres
dieux locaux favorisée par l'arrivée au trône de ses
adorateurs à partir de la Ve dynastie. Il est normal que
l'effritement du pouvoir royal se traduise sur le plan idéologique par
le recul de l'influence du dieu solaire. Ce recul devait s'accentuer avec
l'effondrement du pouvoir memphite. Ainsi, au cours de la P. P. I., il
apparaît que même si on note une certaine influence de Rê
dans le royaume héracléopolitain, il reste qu'en Moyenne et en
Haute Egypte, son prestige avait régressé au profit des dieux
locaux406. La
406 Nous avons vu dans la chronologie, que les souverains
héracéopolitains, adoptaient tous des noms de couronnement,
formés sur le suffixe Rê. Ce qui laisse supposer qu'ils
s'inscrivaient dans la tradition memphite dans laquelle Rê était
le dieu dominant. Selon J. Pirenne, ces souverains avaient conservé
95
conséquence de cette situation devait se manifester
à travers l'importance que devaient occuper certaines divinités
dans l'idéologie royale au M.E. C'est ainsi que dès leur
arrivée au trône des Deux-Terres, les Montouhotep
adoptèrent comme nom personnel, un nom théophore, formé
sur celui de Montou, divinité locale d'Ermant, d'où ils
étaient probablement originaires407.
Loin d'être des « fils de Rê », les
pharaons de la XIe dynastie se présentèrent, avant
tout, comme des serviteurs de Montou, à qui ils devaient le pouvoir et
auquel ils proclamèrent leur attachement en prenant le nom
théophore de Montouhotep (« Montou est satisfait
»)408. Cette adoption par les nouveaux pharaons d'un nom
formé sur celui de leur divinité locale est une attestation du
recul de l'influence de Rê sur la monarchie qui venait de se reconstituer
à l'avènement du M.E.
Lorsque le changement dynastique eut lieu avec la venue de la
XIIe dynastie, on note l'apparition d'autres divinités comme
dieux éponymes des nouveaux souverains. Il s'agit du dieu Amon et de la
déesse Ouseret d'où les noms théophores de :
Amenemhat (« Amon est en avant »)409
et de Sésostris (ou Sénousret dans les anciens
ouvrages) c'est-à-dire (« Le fils de la
déesse Ouseret »). En outre, dans le Conte
prophétique, considéré comme un texte de
légitimation du fondateur de cette XIIe dynastie, il y a ce
passage : « Ce sera fini pour le nome d'Héliopolis d'être
le pays du berceau de tout dieu »410. Cette phrase semble
annoncer la fin du rôle primordial d'Héliopolis en tant que
cité du dieu solaire, dans l'organisation politique et religieuse de
l'Egypte.
Désormais, c'est le dieu Amon qui devait jouer le
rôle de dieu dynastique. En effet, les pharaons de la XIIe
dynastie avaient compris que pour gagner à leur cause tout le pays, il
fallait que le pouvoir royal apparût justifié par le culte. C'est
dans ce cadre qu'ils favorisèrent la constitution du clergé
d'Amon411. Ainsi dès le règne d'Amenemhat
Ier, le clergé d'Amon
comme base de la vie politique et religieuse, la cosmogonie
solaire qu'on retrouve dans L'Enseignement de Khéti III (Cf.,
Pirenne J., op. cit., 1962, p. 57).
407 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 250.
408 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 52.
409 Grimal N., op.cit., 1988, p. 197.
410 Lefebvre G., op.cit., 1982, p. 103.
411 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 66.
96
allait comprendre quatre serviteurs divins d'Amon, quatre
pères divins et une dizaine de prêtres ouâb qui
étaient tous de grands personnages au sein de la
monarchie412.
Toutefois, si le culte d'Amon, promu à la
dignité de grand dieu, pouvait servir de base à la théorie
monarchique et se faire accepter par la piété des populations de
Haute Egypte, il ne fallait pas songer à l'imposer dans le reste du
pays413 et cela d'autant plus que le prestige des divinités
comme Rê ou Ptah restait vivace en Moyenne et Basse Egypte414.
Pour les souverains de la XIIe dynastie, il fallait éviter
l'erreur de la Ve dynastie sous laquelle on a vu Rê s'imposer
au sommet du Panthéon par le biais de la solarisation des autres
divinités. C'est dans ce sens qu'ils favorisèrent la fusion
d'Amon avec les dieux universels de l'A.E. et les divinités
locales415.
Amon devint le dieu du compromis, qui devait permettre
à la nouvelle royauté de surmonter les divergences et d'aboutir
à une nouvelle unité. En effet, de par son nom même, qui
signifie « le caché », ce dieu ne laisse
apparaître aucune particularité frappante, mais les dissimule au
contraire416. C'est ainsi que dès ses premières
évocations sous Amenemhat Ier à Karnak, il est souvent
appelé Amon-Rê417. Son temple de Karnak fut
désigné comme « Trône
412 Lalouette El., Thèbes ou la naissance d'un
empire, Paris, Fayard, 1986, p. 47.
413 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 66.
414 Ibidem.
415 Moret A., op. cit., 1941, p. 438.
416 Wildung D., op. cit., 1984, p. 66-67.
417 Id., Ibid, p. 66. Selon F. Daumas, il existe une
statuette en pierre trouvée à Karnak et qui porte au dos une
inscription où on peut lire les noms de Pépi Ier
suivis de la mention « Aimé d'Amon-Rê, Seigneur de
Thèbes ». Il en conclut que la fusion des dieux Amon et Rê
remonte à l'A.E. (Cf., Daumas F., op.cit., 1965, p.48). Si
cette affirmation de F. Daumas est vraie, elle impliquerait le fait que le dieu
Amon était membre du panthéon à l'A.E. et que sa fusion
avec Rê date de cette époque. Autrement dit, les pharaons de la
XIIe dynastie n'ont fait que reprendre à leur compte,
l'avantage politico-idéologique que présente cette fusion d'Amon
et de Rê, mais ils n'étaient pas ses initiateurs. Toutefois, la
thèse selon laquelle Amon est une divinité qui existait dans le
Panthéon à l'A.E. n'est pas partagée par tous les
égyptologues. C'est le cas de B. Sall qui lui-même, après
avoir soutenu, dans un premier temps cette thèse (Cf., Sall
B.,Recherches sur l'iconographie et les titres du dieu Amon dans les
centres religieux du royaume de Koush. Milieu du 8es. av. J.C-
milieu du 4es. av. J.C, Thèse de 3e cycle,
Sorbonne, 1981, p.32à54), a émis, dans ses récents
travaux, des réserves sur l'existence d'Amon dans le panthéon,
depuis l'A.E. Entres autres éléments soulevés par
l'auteur, il y a le fait que l'image du bélier Ovis platyura
(support matériel d'incarnation du principe divin
dénommé Amon) caractérisée par sa stature
léonine, sa toison épaisse, son museau puissant, ses cornes
torsadées s'enroulant autour des oreilles , n'est pas un
caractère hiéroglyphique à la différence de celle
du bélier Ovis longipes, avatar du dieu Khnoum qui constitue le
bilitère b3 (Cf., Gardiner A., Egyptian Grammar, Oxford,
Griffith Institute, 1978, p.448,C.4 et C.5 ; 459, E.10 et E.11 ; 462, F.7, F.8,
cité par l'auteur ). Le fait que l'image du bélier d'Amon n'est
pas utilisée comme un caractère hiéroglyphique, laisse
supposer qu'il n'a pas existé une divinité nommée Amon
à l'A.E. Ensuite, il y a le fait que les expressions telles que «
Amon d'Opet » ; « Amon de Karnak » ; « Amon, maître
des deux terres » « Amon-Rê » ; « Amon, roi des dieux
» ou « le domaine d'Amon »,par lesquelles on faisait
référence au dieu Amon au Nouvel empire, ne sont pas
attestées à l'A.E. Ce sont là, quelques uns des
éléments parmi d'autres, qui ont fait penser à B. Sall que
l'hypothèse de l'existence d'une divinité appelée Amon
dans le panthéon, à l'époque memphite, reste contestable
(Cf., Sall B.,
97
des Deux-Terres »
(Nes-taoui)418. Par ce biais, les pharaons
du M.E. réussirent à se concilier le prestige du dieu
héliopolitain tout en confortant la position d'Amon dans
l'idéologie royale. En effet, l'ordre même des noms
(Amon-Rê) donne la prééminence au dieu de Karnak.
Cette politique de conciliation vis-à-vis de Rê,
prônée par les souverains Thébains est visible aussi sous
Sésostris Ier. En l'an 3 de son règne, ce pharaon tint
une audience solennelle avec ses conseillers auxquels il communiqua son
intention d'ériger un temple pour Rê à Héliopolis.
Et, à travers l'inscription dédicatoire de ce temple on peut lire
: C'est Harakhté [c'est-à-dire Rê sous sa forme de faucon
Horus] qui ma demandé d'exécuter ce qu'il recommande
d'exécuter. C'est lui qui ma désigné comme berger de ce
pays [...] seigneur des Deux-Terres419. Ces propos du pharaon
Sésostris Ier, ainsi que l'acte qu'il projetait de
réaliser, traduisent de sa part, une volonté de se rapprocher du
clergé de Rê.
Dans cette nouvelle idéologie royale, les autres
divinités n'étaient pas laissées en rade. C'est ainsi que
Ptah, dieu de Memphis (ancienne capitale), apparaît à
côté d'Amon et de Rê comme un grand dieu. Dans les
Bas-relief de Karnak, Sésostris Ier s'était fait
représenter enlacé par Ptah qui, en l'embrassant, unissait son
âme à la sienne420. En dehors de ce rapprochement avec
les grands dieux de l'A.E., les largesses des souverains de la XIIe
dynastie allaient apparaître à travers d'autres sanctuaires encore
existant en Haute et Basse Egypte421.
L'activité d'Amenemhat Ier est visible
à Coptos dans le temple de Min qu'il décora en partie, à
Abydos où il consacra un autel en granit à Osiris, à
Dendara où il offrit une porte en à granit Hathor et plus
significatif encore, dans le temple de Ptah à Memphis.422 En
outre,
« Amon, Heka pesedjet
», extrait du Bulletin de l'IFAN Ch. A. Diop, Dakar,
Tome51, sér. B, n°1-2, 2001 pp.11-35,). En plus de ces
réserves apportées par B. Sall sur l'existence d'Amon dans le
panthéon dès l'A.E., l'hypothèse de F. Daumas sur une
fusion d'Amon et de Rê dès l'A.E., comporte un autre handicape. En
effet, quelque soit la période où elle a été
opérée, cette fusion d'Amon, une divinité du Sud et de
Rê, une divinité du Nord, répondait à une
nécessité politico-idéologique comme on vient de le voir.
Or, malgré le fait qu'il soutienne l'existence d'Amon à l'A.E.,
F. Daumas n'a pas manqué de préciser qu'il était une
divinité obscure de la petite bourgade thébaine. Si cela
était le cas, on ne voit pas quelle était la pertinence au plan
politique, du choix d'Amon, une divinité quasi inconnue à l'A.E.,
aux cotés d'autres dieux du Sud plus connus tels que Khnoum
d'Eléphantine ou Min de Coptos. Et cela, d'autant plus que la plupart de
ces grands dieux du Sud étaient adorés dans des provinces
où les nomarques avaient acquis une certaine puissance et
commençaient à s'opposer au pouvoir memphite. (Cf.,
supra, Deuxième partie, chap. I et II). Nous pensons dès
lors que le M.E., époque où les adorateurs d'Amon
arrivèrent au trône, est la période la mieux
indiquée pour sa fusion avec Rê. Au M.E., même si Amon
n'était pas encore très connu, l'arrivée au pouvoir de ses
adorateurs lui donnait toutes les armes nécessaires pour
conquérir le sommet du panthéon égyptien.
418 Moret A., op. cit., 1941, p. 438.
419 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 502.
420 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 67.
421 Moret A., op. cit., 1926, p. 282.
422 Grimal N., op.cit.,1988, p.198
98
dans l'inscription du temple d'Héliopolis, à
laquelle nous faisions référence, on retrouve une liste des
oeuvres accomplies par le pharaon Sésostris Ier en faveur de
plusieurs divinités reparties à travers le pays423.
C'est dire qu'à travers la nouvelle idéologie
adoptée par les souverains du M.E., il apparaît certes que leurs
divinités (Montou ensuite Amon) avaient occupé une position de
choix dans la monarchie. Toutefois, leur ascension ne s'était pas
traduite par une banalisation des autres cosmogonies. En ce sens, les pharaons
du M.E. ont pu éviter l'erreur de leurs prédécesseurs de
l'A.E. (en particulier la Ve dynastie) qui avait consisté
à intégrer de manière systématique les autres
divinités dans le système solaire, quitte à heurter la foi
de leurs fidèles.
Parallèlement à cette évolution
idéologique, on va assister à de profondes transformations au
niveau des institutions monarchiques. En effet, si à l'A.E., les
pharaons s'étaient retrouvés à la tête d'un Etat
puissant qui avait réussi à faire de l'Egypte un pays
prospère et puissant, c'est parce qu'ils avaient su mettre en place une
armature institutionnelle structurée au tour du souverain. Ce
système centralisé avait été le résultat
d'une politique de neutralisation de toute volonté autonomiste de la
part des chefs de province. Le processus qui aboutit à l'effondrement de
la monarchie memphite ne fut amorcé qu'au moment où les nomarques
avaient commencé à gagner en autonomie.
Lorsque la royauté s'effondra à Memphis, ces
nomarques allaient essayer de combler le vide laissé par
l'autorité royale dans leurs provinces respectives, en s'appropriant
l'essentiel des prérogatives de pharaon. Ainsi dans chaque nome, les
anciens domaines de la couronne et les domaines sacerdotaux allaient être
rassemblés entre leurs mains et ils devinrent les centres d'action de
toute fonction sociale et politique de leurs « petits Etats
».424
Après la réunification, la première
tâche politique qui incomba au nouveau pouvoir royal était celle
de calmer l'esprit d'indépendance des chefs de
provinces425.
Pour la nouvelle monarchie, la mission historique dans
l'accomplissement de laquelle les pharaons ne devaient jamais faiblir,
consistait à réduire à néant cette aristocratie
locale et à conduire à la victoire, la notion d'Etat
adoptée par l'ensemble du peuple426. Cet enjeu politique, il
semble que les Montouhotep l'avaient compris dès le départ.
D'après J. Vandier et E. Drioton, la XIe dynastie avait
supprimé dès le départ, les nomarques
héréditaires427.
423 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 500.
424 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 53.
425 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 241.
426 Wolf W., op. cit., 1955, p. 67.
427 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 241.
99
Cette situation semble se confirmer dans la rareté des
tombes provinciales sous le règne de la XIe
dynastie428. Les quelques familles de nomarques qui
subsistèrent à l'époque ne l'ont été que par
la faveur des nouveaux souverains qui les récompensèrent ainsi de
leur fidélité429. A nouveau, les pharaons
instituèrent un système centralisé au sein duquel, les
fonctionnaires susceptibles d'être déplacés, ne
résidaient plus dans les nomes de manière habituelle et
dépendaient étroitement du pouvoir central installé
à Thèbes430. Un poste de « Gouverneur du Nord
» fut créé et en même temps on assistait au
rétablissement des anciens chanceliers ainsi que de la charge de
vizir431.
Les quelques rares biographies des fonctionnaires de la
XIe dynastie donnent une idée sur le système
centralisé de l'administration. Par exemple Henu, un cadre qui
vécut sous Montouhotep III, portait les titres de : Porteur du sceau
royal, Compagnon unique, Chef des temples, Chef du grenier et de la Maison
Blanche, Chef des Cornes et sabots, Chefs des six cours de justice, Gardien de
la Porte du Sud, celui qui est au dessus de l'administration des nomes du Sud,
Trésorier en chef, Intendant.432 On peut constater à
travers ces titres que les Montouhotep avaient réussi à restaurer
les institutions de la monarchie avec cependant, un changement majeur qui avait
été le remplacement des nomarques héréditaires par
les fonctionnaires attachés au pouvoir central.
Il semble toutefois, que cette politique de neutralisation de
l'aristocratie locale, prônée par la XIe dynastie,
n'avait pas totalement réussi433. Elle devait être la
cause de l'hostilité de cette aristocratie locale vis-à-vis des
Montouhotep. C'est ainsi que lorsque Amenemhat Ier s'empara du
pouvoir, il devait s'appuyer sur ces familles princières dont le
mécontentement était facile à exploiter434.
Dépossédés de leurs prérogatives et tenus à
l'écart du pouvoir, les anciens princes locaux ne pouvaient que
souhaiter un changement de dynastie grâce auquel, il leur serait possible
de reconquérir leurs anciens privilèges435. Cet appui
des grandes familles provinciales à Amenemhat Ier est
attesté dans l'inscription tombale de Khnoumhotep I, un prince de
Beni-Hasan. Dans cette inscription, Khnoumhotep I disait: « Then
appointed me [my lord] the King of Upper and Lower Egypt, Sehetepibre, son of
Re:
428 A propos des tombes provinciales sous la XIe
dynastie, (Cf., Vandier J., op.cit., 1954, p. 323-325).
429 Grimal N., op.cit., 1988, p. 194.
430 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 241.
431 Grimal N., op.cit., 1988, p. 194.
432 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 428.
Le caractère centralisé des institutions sous les Montouhotep est
aussi visible à travers la biographie du vizir Amenemhat que nous avons
soulignée en analysant le passage de la XIe à la
XIIe dynastie.
433 Posener G., op.cit. 1956, p. 14.
434 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 252.
435 Ibidem.
100
Amenemhet (I) living forever and ever to the office... I
went down with his majesty to...in twenty ship of cedar which he led ... He
expelled him from two regions (Egypt). »436 D'après
J.H. Breasted, le pronom « him » désigne, dans ce
texte, les rivaux d'Amenemhat Ier dans la bataille pour le
trône.437 Il semble qu'à la suite de cette main forte
que lui apportèrent les chefs locaux, Amenemhat Ier allait
favoriser leur réintégration dans les instituions royales
permettant du coup le retour de la charge de nomarque. Ce retour des nomarques
devait s'accompagner d'un rétablissement des bases de l'administration
provinciale. Le nouveau pharaon allait en effet, rétablir les limites
entre les différents nomes, remettre en place leurs bornes
frontières, distinguer leurs eaux d'après ce qui est dans les
écrits et évaluer [l'impôt] d'après ce qui
existait.438 On note en même temps la réapparition des
anciens titres de l'administration provinciale comme celui de « grand
chef de nome » qui avait presque partout disparu sous la
XIe dynastie439. Il apparaît ainsi que c'est avec
Amenemhat Ier, qu'on va assister au retour de l'administration
provinciale, dirigée par les nomarques. Toutefois les choses,
semble-t-il, ne devaient plus évoluer comme sous l'A.E. Et
d'après G. Husson et D. Valbelle, c'est au cours de la XIIe
dynastie que s'amorce la plus importante transformation de l'histoire de
l'administration provinciale en Egypte440.
En effet, pour les souverains de la XIIe dynastie,
il fallait permettre le retour des nomarques mais en même temps, tirer
toutes les leçons du processus politique qui conduisit à
l'effondrement de l'A.E. Ainsi, les nomarques allaient avoir les mêmes
prérogatives que leurs prédécesseurs de l'époque
memphite. Ils percevaient les impôts dus à la couronne, levaient
des milices pour les corvées et, en cas de guerre, devaient avec leurs
milices, se mettre au service de pharaon et s'occupaient naturellement de
l'entretien des canaux et de l'exploitation des terres441. On
constate même que les nomarques pouvaient se permettre certaines
libéralités, probablement permises par le pharaon. Par exemple,
ils conservèrent la possibilité d'utiliser leurs années de
gouvernance des nomes à côté des années de
règne de pharaon, pour établir la chronologie. Cette pratique est
attestée dans l'inscription biographique du nomarque Amenemhat de
Beni-Hasan qui vécut sous Sésostris Ier. Cette
436 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphe 465
437 Id., ibid., paragraphe 463
438Id., ibid, paragraphe 625. Dans un
passage de l'Enseignement d'Amenemhat, le souverain faisait allusion
à cette organisation administrative en disant : «J'ai
avancé jusqu'à Elephantine et, rebroussant chemin, je suis
allé jusqu'aux marécages du Delta. Ayant pris soin des
frontières du pays, j'ai surveillé son
intérieur...» (M210-11); Cf., Posener G.,
op.cit., 1956, p.76
439 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 252.
Ainsi, Khnoumhotep I allait être nommé, par Amenemhat
Ier, Prince héréditaire, Compte, Gouverneur des
plateaux orientaux dans Menet-Khufu et, enfin, Grand Seigneur du nome d'Oryx,
(Cf., Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 625-626).
440 Husson G. Valbelle D., op.cit., 1992, p. 56.
441 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 252-253.
101
inscription débute par cette formule: « Year
43 under the majesty of Sésostris I, living forever and ever;
corresponding to year 25 in the Oryx nome with the hereditary prince, count,
[Amenemhat], triomphant »442. On note aussi le
développement des nécropoles provinciales comme à Assiout,
Siout, Meir ou à Beni-Hasan443.
A travers ces faits, il apparaît que les nomarques
avaient bénéficié de certains privilèges au
début de la XIIe dynastie. Toutefois, ce ne fut plus contre
la cour, mais par sa permission que les grandes familles de nomarques connurent
de nouveau la prospérité444. Et les pharaons allaient
veiller à ce que le processus qui conduisit sous l'A.E. à
l'autonomie des nomarques ne se reproduise. Ainsi, la succession dans les
charges fut particulièrement surveillée par pharaon qui
intervenait directement. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer en
analysant la succession dans les charges au sein de la famille des nomarques de
Beni-Hasan. Dans cette famille, le premier d'entre eux, connu au M.E., avait
été Khnoumhotep I. C'est lui qui fut nommé par Amenemhat
Ier comme Gouverneur des plateaux orientaux de Menet-Khufu et Grand
Seigneur du nome d'Oryx. A sa mort, le pharaon Sésostris Ier
délégua, comme faveur spéciale, ses charges à ses
enfants. Ainsi, Nakh fut nommé à la direction de Menet-Khufu
tandis qu'Amenemhat recevait le nome d'Oryx. Au même moment, leur soeur
Beket fut mariée à Nehri, un officiel de la cour qui fut vizir,
Gouverneur de la résidence royale et probablement prince du nome voisin
de Hare. De cette union, naquit Khnoumhotep II, qui allait être
nommé, par le pharaon Amenemhat II, Comte de Menet-Khufu en remplacement
de son oncle Nakht.445
Si l'on suit l'évolution des charges dans cette
famille, on constate que seul le premier d'entre eux avait eu à cumuler
les charges de Gouverneur de Menet- Khufu et Grand seigneur du nome d'Oryx.
Ensuite à chaque fois qu'il y avait succession, pharaon intervenait dans
l'héritage en remaniant les charges et en les morcelant446.
Selon A. Moret, il est vraisemblable que cette politique avait
été appliquée partout où il y avait les grandes
familles de nomarques447.
En évitant ainsi l'hérédité
effective des charges dans les grandes familles de nomarques, le pouvoir
central mettait en même temps, fin à toute possibilité de
reconstitution de pouvoir personnel.
442 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 518.
443 Pour les nécropoles provinciales sous la
XIIe dynastie, (Cf., Vandier J., op.cit., 1954, p. 331
à 350).
444 Moret A., « L'Egypte pharaonique », in, G.
Hanotaux, Histoire de la nation égyptienne, Tome II, Paris,
Plon, 1932, p. 231.
445 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 619
à 639
446 Moret A., op. cit., 1926, p. 276.
447 Id., op. cit., 1932, p. 243.
102
Les mêmes dispositions furent prises dans les domaines
attachés à la fonction de nomarque. D'après un texte connu
sous le nom des contrats de Hepzefi, l'auteur, un nomarque de Siout qui
vécut sous Sésostris Ier, avait conclu avec des
prêtres du culte funéraire, une série de contrats.
Dans ces contrats, le nomarque s'assurait contractuellement
des obligations dues par les prêtres pour son propre culte, après
son décès. En contrepartie, il cédait un fond aux
prêtres et des revenus qui devenaient leur propriété et qui
sont transmissibles par héritage. Toutefois, Hepzefi avait établi
la différence, entre la propriété obtenue par
héritage appelée « domaine paternel » et celle qui
était attachée à sa fonction appelée « domaine
du comte »448.
Dans les contrats, il est spécifié que c'est le
« domaine paternel » qui était transmissible par
héritage dans la famille du nomarque et c'est sur lui seul qu'il avait
le droit de tester449. Ce texte de Hepzefi est une illustration que
l'Etat continuait à octroyer des terres à ses serviteurs mais, il
veillait à ce que ces concessions ne puissent contribuer comme sous
l'A.E., à la constitution de grandes propriétés.
En analysant la situation politique au début de la
XIIe dynastie, il apparaît que celle-ci avait favorisé
le retour des nomarques au sein de l'Etat égyptien. Et, tout en restant
soucieux du respect de l'autorité souveraine, les pharaons ont su ne pas
se montrer orgueilleux à leur égard450. Par cette
politique, les souverains thébains réussissaient à
intégrer les grandes familles aristocratiques, dans un système
qui tendait de plus en plus vers la centralisation et qui fit perdre toute
indépendance à ces dernières451. A partir du
milieu de la XIIe dynastie, la charge de monarque commençait
à disparaître en plusieurs endroits et, sous le règne de
Sésostris III, on peut constater sa disparition effective452.
Avec cette disparition, les titres tels que heq Spat ou her Zaza
âa que portaient les « Régents des nomes » et les
« Grands chefs supérieurs » de l'époque «
féodale », cessèrent d'être en usage453. En
outre, on remarque qu'aucun monument de nomarque n'apparaît dans la basse
Vallée du Nil après le règne de Sésostris
III454.
448 Breasted J. H., op. cit., 1988, paragraphe 536.
449 Ibidem; Wolf W., op. cit., 1955,
p. 70.
450 Moret A., op. cit., 1941, p. 442.
451 Pirenne J., op.cit., 1962, p. 73.
452 Drioton E. Vandier J., op.cit., 1984, p. 253.
453 Moret A., op. cit., 1926, p. 279.
454 Ibidem.
103
La disparition des nomarques avait, semble-t-il,
été suivie par une réforme administrative. C'est ainsi
qu'une nouvelle organisation allait placer le pays sous l'autorité
directe d'un vizir, en trois ministères (ouâret) dont un
pour le Nord, un pour le Sud, et un troisième pour la « Tête
du Sud »455.
Désormais, ce sont des fonctionnaires investis
directement par le pharaon, sous l'autorité du vizir, qui devaient
remplacer les nomarques456.
Dans cette nouvelle administration, les titres portés
par les fonctionnaires déterminaient bien plus rigoureusement la
hiérarchie du fonctionnarisme que ne le faisait l'A.E. Par exemple dans
l'administration du trésor on retrouve un Directeur du cabinet (ou bien
Directeur général du cabinet de la trésorerie), un adjoint
du Directeur des trésoriers, un substitut du Directeur des
trésoriers, un scribe de ce Directeur, un scribe de la
trésorerie, un scribe en chef de la trésorerie, un Directeur des
employés de la trésorerie, un Gardien de la
trésorerie457.
Ces reformes administratives allaient susciter
l'émergence d'une classe moyenne d'agents des offices
d'Etat458. Et, l'un des traits les plus caractéristiques du
fonctionnarisme sous le M.E. était qu'à la place des hauts
fonctionnaires connus sous l'A.E., les cadres subalternes occupèrent de
plus en plus d'importance.459
Il ressort ainsi de cette analyse des institutions royales
sous le M.E., que l'une des plus grandes réussites politiques des
souverains Thébains avait été le fait de contenir le
désir autonomiste des nomarques. En le faisant, ils parvenaient, en
même temps, à éviter toute possibilité de
décentralisation pouvant affaiblir le pouvoir royal et aboutir à
son effondrement. C'est dire que les leçons du processus politique qui
avait provoqué l'effondrement de l'A.E, ont été
tirées par les pharaons du M.E.
C- Evolution des croyances funéraires
De tous les peuples de l'antiquité, c'est sans doute
les Egyptiens qui avaient attaché la plus grande importance au culte des
morts. Ce culte était étroitement lié aux croyances
455 Grimal N., op.cit., 1988, p. 206-207.
456 Daumas F., « Histoire : Période pharaonique
», in, op. cit., 1998, p. 188.
457 Erman A. Ranke H., op. cit., 1976, p. 128-129.
458 Vernus P. Yoyotte J., op.cit., 1998, p. 65.
459 Erman A Ranke H., op.cit., 1976, p.129
104
funéraires et à la conception que les Egyptiens
avaient de l'au-delà.460 Dans cette conception, l'idée
était que le défunt, allait connaître, dans sa tombe, une
nouvelle existence, avec des besoins semblables à ceux qu'il avait sur
terre461. Cette religion funéraire égyptienne,
basée sur la survie de l'homme après la mort, s'était
inspirée de la doctrine osirienne. En effet, conçu comme un homme
qui meurt et qui ressuscite sous la forme d'un dieu, Osiris était devenu
le centre d'action des conceptions sur l'au-delà462. Lorsque
le culte d'Osiris fut associé à la doctrine royale, pharaon,
après sa mort, puisqu'il était d'essence divine, fut
enterré comme Osiris tandis que son esprit, akh, rejoignait les
dieux comme l'avait fait l'esprit d'Osiris, dans
l'au-delà463. Dans les Textes des Pyramides on voit
que le pharaon défunt pouvait être assimilé à
Osiris. Par exemple dans ce passage composé pour le pharaon Téti,
on peut lire : « O Osiris Téti, Horus vient...il te
reconnaît, car Horus t'aime...Horus t'a cherché...Horus t'a fait
vivre en ton nom de Anzti...Nephthys a fait une brassée de tous tes
membres...On te remet à ta mère Nout, en son nom de sarcophage
, · [...] Horus t'a réuni tes membres, et il ne permet pas que
tu te décompose , · [...] Ah ! Osiris Téti, ton coeur est
redressé, ton coeur est fort, ta bouche est ouverte, car Horus t'a
vengé [...] Tu vis, tu es en mouvement chaque jour. »
(§609-621)464 Il apparaît ainsi, que par la
faveur des rites osiriens, le souverain défunt avait le privilège
de retrouver un « corps éternel » à l'image d'Osiris.
Mais, il faut remarquer qu'à l'A.E., à l'instar du système
politique, la religion funéraire était fortement
influencée par la théologie solaire. D'où l'idée
selon la quelle, pharaon, après avoir subi les rites osiriens,
était censé aller vivre au ciel au prés de Rê, son
père. Dans les passages des Textes des Pyramides,
consacrés à cette ascension de pharaon, on peut lire : «
Les pieds du roi frappent la terre pour prendre son essor vers le ciel. Le
voilà qui monte au ciel... il vole comme un oiseau, il se pose tel un
scarabée, sur le trône vacant qui est dans ta barque, ô
Rê ! (365)...O Rê-Atoum, ton fils est venu à toi,
le roi est venu à toi. Elève-le, entoure-le de l'étreinte
de tes bras. C'est ton fils, qui appartient à ton corps, pour
l'éternité »
460 Rachet G., op.cit., 1998, p.75-76
461 Posener G., Sauneron S., Yoyotte J., op.cit, 1998,
p.71-72
462 Pirenne J., op.cit, 1961, p.114. D'après
la légende, Osiris, à l'époque où il régnait
sur l'Egypte, avait un frère rival et violent qu'était Seth. Ce
dernier, jaloux de son frère, réussit à l'assassiner.
Ensuite pour éviter toute possibilité de recomposition du corps
d'Osiris, il décomposa le cadavre et dispersa les morceaux à
travers l'Egypte. Mais Isis, l'épouse d'Osiris, aidée de sa soeur
Nephthys, de Thot et d'Anubis, se mit en quête des débris du
cadavre de son époux. Elle fut assez habile pour les retrouver et pour
reconstituer le corps qu'elle réussit à rendre incorruptible par
le procédé de l'embaumement. Par sa magie, elle ranima Osiris qui
engendra Horus, vengeur de son père et victorieux de Seth. (Cf., Moret
A., op.cit, 1926, p.100à105)
463 Ibidem
464 Moret A., op.cit, 1926, p.199
105
(152-160). 465 Comme on le voit, ce
privilège de l'immortalité était réservé en
principe à la seule personne des pharaons. Cependant, il devait finir
par s'étendre (sous forme de privilège que les pharaons
concédaient juridiquement en tant que dieux, fils de Rê) à
la famille royale d'abord puis aux grands fonctionnaires.466 Le
signe le plus visible de cet état de fait a été le tombeau
et les éléments du culte funéraire que pharaon octroyait
à ses favoris. Et dans la plupart des cas, l'inscription
funéraire trouvée dans ces tombes de grands dignitaires
commençait par une formule mentionnant l'accord passé par le
souverain avec les dieux pour le salut du défunt.467 Il
apparaît ainsi, que dans la religion funéraire de l'A.E., la
survie dans l'au delà n'était pas accessible à tous. En
effet, l'inégalité sociale, sur terre, qui se manifestait par des
faveurs qu'accordaient les pharaons aux grands dignitaires, semble se prolonger
dans
l'au-delà. Lorsque la crise éclata, cette
religion funéraire qui reproduisait les
inégalités sociales sur terre, allait subir, à l'instar
de l'institution royale, les effets de la révolte. D'après
Ipou-our, le peuple n'avait pas hésité à violer la
sépulture du pharaon défunt468. Or, la survie du
pharaon, enterré en « faucon divin », garantissait en
même temps la survie à ses sujets, sur qui, il continuait de
régner dans l'au-delà. Ces graves faits allaient être
à l'origine des profonds bouleversements que devaient subir les
croyances funéraires à partir de la P.P.I. En effet, il
était apparu aux yeux de l'Egyptien, que le fait d'avoir un tombeau et
de bénéficier du culte funéraire, n'était pas
suffisant pour s'assurer une vie éternelle dans l'au-delà. Et,
dans la classe dirigeante de cette période, par suite d'une conception
sceptique face à la religion funéraire de l'ancienne
époque, une éthique spiritualisée s'était
formée et elle considérait la rectitude morale comme la condition
requise pour une vie d'outre tombe heureuse.469 Le souverain
Khéti III ne disait-il pas à son fils et successeur d'accomplir
la justice tant qu'il sera sur terre car celui qui meurt sans avoir commis de
mauvaises actions demeurera comme un Dieu à l'image des possesseurs du
Temps éternel (c'est-à-dire les justifiés).470
Dès lors, le tribunal des morts, présidé sous l'A.E. par
le dieu Rê, allait s'allier au tribunal des morts de la légende
d'Osiris. Et, l'idée (limitée au pharaon à l'époque
des Pyramides) que le mort, tel le dieu Osiris, ressuscitera à une vie
nouvelle, allait s'appliquer,
465 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.143-144
466 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.97
467 Ibidem Par exemple dans l'inscription
biographique d'Herkhouf on peut lire : « Une offrande que le roi donne
et une offrande qu'Anubis donne [...] qu'il (le défunt) soit
enterré dans la nécropole, au désert occidental
après être devenu très vieux en tant qu'imakhou au
près du grand dieu [...] Une offrande que le roi donne et qu'Osiris
donne, seigneur de Bousiris, qu'il (le défunt) marche en paix sur les
chemins réservés de l'Occident, sur lesquels marchent les
imakhou, et qu'il monte au dieu seigneur du ciel en tant qu'imakhou...
» (Cf., Roccati A., op.cit., 1982, p.202)
468 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.217
469 Woldering I., op.cit., 1963, p.83
470 Lalouette Cl. op.cit., 1984, p.51-52
106
en principe, à tous les hommes.471 A
l'intérieur des sarcophages en bois de cette période de crise, on
trouve des textes religieux qui forment une transition entre les Textes des
Pyramides et ceux du Livre des Morts : il s'agit des Textes
des sarcophages. Dans ces textes, on retrouve des passages tirés
des Textes des Pyramide mais complétés et
modifiés par toute sortes d'additions et de corrections à l'usage
non pas de pharaon mais de simples particuliers.472 Il
apparaît ainsi, qu'avec la crise de la P.P.I., la religion
funéraire avait connu de profondes modifications. Ce sont ces
modifications qui allaient être à la base de l'évolution
qu'on va noter dans les croyances funéraires au M.E. En effet, au cours
de cette période thébaine, la religion funéraire allait se
caractériser par deux éléments importants par rapport
à celle de l'A.E : il s'agit du développement du culte d'Osiris
et de la vulgarisation des rituels funéraires jusque là
réservés au pharaon.
En ce qui concerne la religion funéraire osirienne,
elle était, de par sa conception anthropomorphique, beaucoup plus
accessible au commun du peuple que le dogmatisme souvent abstrait des autres
théologies et, en particulier de la théologie
solaire.473 Dans le mythe, le dieu Osiris, assassiné par son
frère et rival Seth, avait été vengé par son fils
Horus et avait été ensuite rappelé à une nouvelle
vie.474 Or, pour tout homme conscient qu'un jour ou l'autre, le
souffle de la vie s'arrêtera pour lui, le sort d'Osiris devait constituer
son souhait le plus ardent. C'est ainsi que la doctrine osirienne connut un
développement général et devint la religion qui pouvait
relier toutes les classes de la société
égyptienne.475 Pour le peuple, le service d'Horus des
souverains thinites, l'érection des temples solaires, à la gloire
de Rê par les memphites, toutes ces actions n'étaient que des
pompes officielles, des hommages rendus aux dieux par le pharaon et la
cour.476 Pour les souverains thébains conscients du fait que
la centralisation religieuse à laquelle ils aspiraient, était
loin de s'appuyer sur un courant de l'opinion, le culte d'Osiris allait leur
servir d'occasion.477 Ainsi, ils vont faire pour Osiris, ce que
firent leurs prédécesseurs de la Ve dynastie pour
Rê en lui créant un culte. Mais au lieu de s'exprimer par des
monuments gigantesques, tels que les temples à obélisque, le
culte d'Osiris, de caractère plus intime et plus personnel, allait
s'effectuer dans des fêtes où le peuple tout entier était
en communion de sentiment avec le
471 Woldering I., op.cit., 1963, p.85
472 Daumas F., op.cit., 1982, p.260
473 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.245
474 Erman A Ranke H., op.cit., 1976, p.388
475 Moret A., op.cit., 1926, p.293
476 Ibidem
477 Selon J. Pirenne, le culte d'Amon sur lequel se fonda la
royauté à partir de la XIIe dynastie, n'était
pas encore étendu dans tout le pays. Aussi, la cosmogonie du dieu
Rê auquel Amon s'était associé, n'était pas non plus
une forme de culte capable d'entraîner les masses (Cf., Pirenne J.,
op.cit., 1962, p.67)
107
pharaon et la cour.478 Ce fut à Abydos,
où allaient se célébrer désormais de grandes
fêtes en l'honneur d'Osiris et durant les quelles, sa vie, sa mort et sa
résurrection, étaient mimées au cours des
représentations publiques, effectuées par des prêtres ou de
hauts personnages.479 Des pèlerins venaient de toutes les
parties du pays pour assister à cette cérémonie. Et, en
souvenir de leur pèlerinage, ils laissaient une stèle dans le
voisinage du tombeau d'Osiris, laquelle stèle devait représenter
pour eux, une sépulture fictive au près du dieu.480
Cependant, le défunt ne pourrait vivre dans l'empire
céleste d'Osiris qu'après s'être justifié de ses
actes devant le tribunal d'Osiris qui, lui-même, ne fut admis dans
l'Ennéade qu'après le jugement qui le proclama «
justifié ».481 Dès lors, les modalités
d'accès à l'au-delà osirien allaient connaître un
développement et désormais, ce n'est plus pharaon uniquement qui
devait être concerné mais tous les hommes. Nous avons vu que
déjà pendant la période de crise, des particuliers avaient
commencé à utiliser pour leur compte, de nouveaux guides de
l'au-delà qui sont peints sur les parois des sarcophages. Mais sous le
M.E., le rituel funéraire qui jadis, n'était destiné
qu'à la seule personne de pharaon, allait connaître une extension
générale. En effet, à travers les innombrables
stèles et sarcophages trouvés dans les nécropoles de cette
époque, les défunts, qu'ils soient fils de roi, grands
fonctionnaires, artisans ou paysans, demandaient, en formules identiques,
l'offrande funéraire sur terre et l'accès au ciel au près
de Rê.482 Aussi, ils proclament tous que dans l'autre monde,
ils seront des « Osiris justifiés »483 Le mort,
quelque soit sa catégorie socioprofessionnelle,
bénéficiait de la momification tel qu'Osiris et il recevait dans
l'autre vie, des coiffures, des armes, des talismans analogues à ceux
d'Osiris, par conséquent, pareils à ceux de pharaon, image
d'Osiris sur terre.484 Aussi, dans les Textes de sarcophages
rédigés non pour pharaon (comme ce fut le cas à
l'A.E. avec les Textes des pyramides) mais pour de simples
particuliers, on peut lire des passages tels que : « ô vous qui
présidez à l'au-delà souterrain et qui gardez les portes,
faites un bon chemin afin que N.485 puisse entrer, adorer Osiris et
devenir lui-même, à tout jamais, un dieu » ou bien
« ô Osiris N., tu montes au tribord du ciel et tu descends au
bâbord de la terre, parmi ces dieux qui sont en la suite
478 Moret A., op.cit., 1926, p.287-288
479 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.48-49. Parmi les hauts
fonctionnaires qui effectuèrent ces représentations, on peut
citer le vizir Montouhotep qui vécut sous Sésostris
Ier (Cf., Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes
530-534).
480 Moret A., op.cit., 1926, p.295
481 Id., Ibid, p.296
482 Id., op.cit., 1941, p.444
483 Ibidem
484 Id., op.cit., 1926, p.245-246
485 Etant donné que ces formules se
répètent sur les différents sarcophages, les noms divers
des possesseurs ont été suggérés, dans la
traduction, au moyen de la lettre N.
d'Osiris, en paix et en repos, auprès de Rê,
dans le ciel ».486 Il apparaît ainsi, que les
particuliers, à l'image du pharaon défunt dans les Textes des
Pyramides, avaient la possibilité de rejoindre les dieux et de
devenir eux-mêmes des dieux dans l'au-delà.
En ouvrant ainsi au peuple l'accès à la survie
éternelle dans l'au-delà, la religion funéraire allait
connaître une nette évolution sous le M.E. Et cette
évolution, comme nous venons de le voir, découle des changements
intervenus dans les croyances religieuses à partir de la P.P.I.
108
486 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.267
109
Chapitre II : Renouveau culturel
A- L'Art
L'art et la littérature sous toutes leurs formes
avaient été pour les Egyptiens, un moyen d'expression du rapport
au monde, au divin mais aussi à la pensée.487 De ce
fait, ils constituent deux formes d'expression importante dans l'analyse de
l'évolution de la civilisation égyptienne.
Ainsi, en ce qui concerne l'art, il a traversé pendant
la longue période de l'histoire égyptienne, des alternances de
vitalité et de décrépitude. Ceci est lié au fait
qu'au-delà des circonstances ou des sentiments artistiques, cet art
avait été étroitement dépendant de la personne de
pharaon et de l'institution qu'il incarnait.488 Il constitue
à cet effet, une mesure et une expression immédiate de la
situation politique et sociale à des moments déterminés de
son histoire.
En effet, si l'A.E. est resté dans l'histoire comme une
brillante époque de la civilisation égyptienne, c'est en partie
grâce à cette gigantesque architecture de ses pyramides qui
constitue en même temps une manifestation de la grandeur de la
royauté memphite.
Ensuite, en faisant la description de la crise de la P.P.I.,
nous avons tenté de montrer cette liaison étroite entre la
production et la qualité des oeuvres d'art et la situation politique.
Ceci nous avait permis de voir que la faible production des oeuvres d'art et
leur qualité médiocre, étaient liées à
l'effondrement du pouvoir memphite. En d'autres termes, la P.P.I.,
s'était caractérisée au plan culturel, par une
régression de la production des oeuvres d'art et de leur
qualité.
Lorsque la monarchie se reconstitua au M.E., on devait
assister à une magnifique renaissance artistique.489 Mais
cette renaissance artistique devait en même temps refléter les
changements politiques et sociaux intervenus à la faveur de la crise de
la P.P.I.
Comme sous l'A.E., ce sont les monuments religieux et les
édifices funéraires royaux qui se sont les mieux
perpétués et qui attestent du retour des activités
artistiques.490 Ainsi,
487 Somet Y., op.cit., 2005 p. 117
488 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.19
489 Pirenne J., op.cit., 1962, p.93
490 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.161
110
au cours de la XI e dynastie, les pharaons avaient
entrepris des activités de construction de temples à
Eléphantine, à Gebelein, à Tod, à Ermant, à
Deir el-Bahari, à Deir el- Ballas, à Dendérah, à
Abydos etc.491 Mais de ces temples, il ne reste malheureusement que
peu de chose.492 C'est au niveau de l'architecture funéraire
royale, qu'il existe des signes les plus visibles de la renaissance artistique
à partir de la XIe dynastie. En effet, l'une des oeuvres
architecturales les plus remarquables du M.E. a été le temple
funéraire construit par les souverains Montouhotep II et III, à
Deir el- Bahari. Le pharaon Montouhotep II, après avoir
réunifié l'Egypte, choisit pour sa tombe, un des plus beaux sites
de la nécropole thébaine, il s'agit du cirque de Deir el- Bahari,
dominé par la montagne thébaine.493 Ce monument occupe
à Thèbes, une place analogue à celle de la pyramide de
Djeser à Sakkarah.494 Le site, qui est admirablement choisi,
offre un cadre à la fois naturel et imposant à l'édifice
qui se différencie de ceux des rois Antef qui ne se contentaient que de
tombes rupestres artificielles.495 L'architecte avait su respecter
les indications qui lui étaient fournies par la configuration du terrain
et, c'est dans cette harmonie de l'oeuvre avec la nature que réside en
grande partie le charme de ce temple496 (Cf., Figure I). De par son
plan, ce monument funéraire des Montouhotep est une sorte de
synthèse du complexe funéraire entre la pyramide de l'A.E. et la
tombe rupestre de la P.P.I., à laquelle le cadre et les détails
architecturaux confèrent un aspect grandiose, digne du renouveau
artistique du M.E.497 Cet édifice, unique en son genre, est
certes une preuve que la lignée royale prétendait recueillir
l'héritage des roi-dieux du temps des pyramides. Mais le
caractère monumental abstrait de l'A.E. se transforme ici pour devenir
l'ordre équilibré et l'articulation d'une architecture aux
proportions modérées, dignes d'un souverain qui demeure conscient
de sa nature humaine.498
En ce qui concerne l'architecture funéraire civile,
elle est moins développée, du fait de la rareté des tombes
civiles, preuve de la concentration de l'autorité entre les mains des
souverains de la XIe dynastie.
L'activité architecturale devait connaître une
nette évolution sous les souverains de la XIIe dynastie, qui
furent de grands bâtisseurs. Toutefois, à l'image de la
XIe dynastie, il subsiste très peu d'édifices
appartenant à la XIIe dynastie. Ainsi, en ce qui concerne
491 Grimal N., op.cit., 1988, p.195
492 Pirenne J., op.cit, 1962, p.93
493 Vandier J., op.cit., 1954, p.158
494 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p .161
495 Ibidem
496 Drioton E Vandier J., op.cit., p.248
497 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965,
p.161-162
498 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.162
111
Figure I
Le temple funéraire des Montouhotep
(XIe dynastie) juxtaposé à celui d'Hatchepsout
(XVIIIe dynastie) à Deir el-Bahari
Source : Drioton E Du Bourguet P., op.cit.,
1956, p.163
Cet édifice funéraire, des Montouhotep
est l'un des signes les plus visibles du renouveau artistique qui a
accompagné l'avènement du M.E.
112
les temples, ils ont du se répartir autour de
Thèbes et du Fayoum.499 Par exemple, à Médamoud
et à Tod, on a pu reconstituer le plan d'un temple que bâtirent
respectivement Sésostris Ier et Sésostris
III.500 A Karnak, divers indices ont permis de déterminer
l'emplacement occupé par le temple de la XIIe dynastie. Le
plan de celui-ci comprend trois salles en succession d'ouest en est, avec un
naos sur socle d'albâtre dans la dernière.501
Toujours à Karnak, on a trouvé (incorporés à un
pylône datant d'Aménophis III), les éléments d'une
chapelle jubilaire de Sésostris Ier, qui a pu être
reconstituée.502 C'est un petit temple
périptère, élevé sur une plate-forme et on y
accède, sur les deux côtés les moins larges, par un
escalier dont chacun ménage en son milieu un plan
incliné.503 C'est un monument construit en calcaire, d'une
grâce simple, sans ornements superflus, sans colonnes. Les murs du
rectangle qu'il forme, percés de grandes baies rectilignes, sont
couverts d'hiéroglyphe du plus beau style.504 Le pharaon y
est figuré avec un art d'une finesse, d'une précision dans le
détail et d'un modelé qui en font une des meilleurs oeuvres
connues de la XIIe dynastie505.
Quant à l'architecture funéraire royale, elle se
retrouve à travers les tombes des souverains de la XIIe
dynastie, disséminées en des emplacements variés entre
Memphis et le Fayoum.506 Il semble à ce niveau, que c'est la
proximité avec les anciennes nécropoles memphites ainsi que la
surface plane du désert occidental du Nord ou de l'oasis du Fayoum qui
expliquent le retour aux formes et aux éléments traditionnels de
la pyramide complétée comme à l'A.E. d'un temple
funéraire.507 Et, en ce qui concerne les temples
funéraires, l'édifice le plus connu pour la XIIe
dynastie a été celui d'Amenemhat III à Hawara dont le
souvenir a été conservé par les Grecs. Ce vaste complexe
de bâtiment comportait outre la résidence royale, les bureaux du
gouvernement central et peut-être aussi la sépulture de
pharaon.508 En faisant référence à ce complexe
funéraire d'Amenemhat III, Hérodote disait : « Je l'ai
vu, il est vraiment au-dessus de ce que l'on peut dire. Qu'on face la somme
des
499 Id., Ibid, p.169
500 Ibidem
501 Ibidem
502 Woldering I., op.cit., 1963, p.86
503 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.169
504 Pirenne J., op.cit., 1962, p.95
505 Ibidem
506 Ainsi, Amenemhat Ier et Sésostris
Ier se sont fait enterrés à Licht, Amenemhat II et
Sésostris III ont leur tombeaux à Dahchour, Sésostris II
enterré à Illahoun tandis que Amenemhat III se trouve à
Hawra ( Cf., Grimal N., op.cit., 1988, p.127-128). Selon certains
historiens, cette pratique qui consiste à changer d'emplacement des
résidences royales, sous la XIIe dynastie, était une
façon de se prémunir contre les risques de conspiration qui
minaient le pouvoir monarchique.
507 Diakhaby M., La XIIe dynastie : essai de
synthèse, mémoire de maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D.,
19891990, p. 59
508 Pirenne J., op.cit., 1962, p.96
113
constructions des ouvrages d'art que les Grecs ont
produits ; ils apparaîtront inférieurs à ce labyrinthe et
du coté du travail et du coté de la
dépense...Déjà les pyramides étaient au-dessus de
ce que l'on peut dire...mais le labyrinthe dépasse encore les pyramides.
» 509 Ce témoignage d'Hérodote sur le temple
funéraire d'Amenemhat III, est une illustration du renouveau artistique
au M.E. Toutefois, dans leur ensemble, les pyramides des souverains de la
XIIe dynastie ne peuvent pas rivaliser avec celles de leurs
prédécesseurs memphites. Ces pyramides se distinguent de leurs
modèles de l'A.E. sur la question des matériaux et de la
structure (rôle de la brique et du compartimentage), des pentes plus
fortes, des dimensions moindres et des remaniements de plans (faux niveau pour
tromper les voleurs, multiplication des couloirs et des puits).510
Selon Cl. Lalouette, l'édification des pyramides en briques avec de
modestes dimensions s'explique du fait que la crise économique et
sociale qu'avait subie le royaume ne permettait pas alors de grands travaux
d'art, en matériaux durs.511 Il semble toutefois, que
l'aspect économique n'est pas la seule explication à cette
situation. On peut trouver d'autres explications dans la crise de la P.P.I. En
effet, le caractère surhumain des pharaons de l'A.E., qui se
reflète dans leurs gigantesques sépultures, est un trait auquel
l'évolution politique avait mis un terme. Et, durant toute la
période de crise, nous avons vu que les tombeaux des souverains de
l'époque étaient de piètres édifices dont la
plupart d'ailleurs n'ont pas pu se conserver. Lorsque la monarchie fut de
retour, le souci de l'au-delà allait certes bénéficier
d'une attention particulière comme auparavant, mais sa place
privilégiée devait reculer derrière les
nécessités politiques.512 Avec le M.E., l'Etat des
pharaons ne se concrétisait plus et ne s'affirmait plus par des tombes
monumentales, dont la construction durait des années, mais se
manifestait dans un rapport équilibré entre la religion et la
politique, le monde actuel et l'au-delà.513 Certes, les
sépultures royales de la XIIe dynastie vont être
construites sur le modèle de la pyramide traditionnelle mais ceci
s'explique, comme nous l'avons vu, par un souci d'adaptation à la
surface plane du milieu où elles ont été
édifiées. Mais à travers le procédé de
construction qui a été adopté, peu onéreux en
comparaison des pyramides en pierre de l'A.E., les pharaons de la
XIIe dynastie avaient probablement voulu exprimer que leurs
sépultures étaient moins celles des rois-dieux que de souverains
conscients de leur caractère humain.
509 Hérodote, II, 48
510 Bohême M.A., op.cit., 1992, p.55-56
511 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.44
512 Wildung D., op.cit., 1984, p.73
513 Ibidem
114
Un autre fait qui trouve ses explications dans la crise,
était les bouleversements subis par les croyances religieuses. En effet,
les contemporains de cette période de crise avaient été
témoins des actes de violations de la pyramide royale. 514 Il
était apparu aux yeux de ces Egyptiens que les pratiques
funéraires fondées sur le tombeau et le rituel funéraire,
n'étaient pas les seuls moyens indispensables pour assurer la survie de
l'homme à l'au-delà. Chez les penseurs de la P.P.I, on trouve des
méditations sur la vanité des grandioses monuments
funéraires du passé. C'est ainsi que dans le Dialogue entre
l'homme et son ba, l'auteur disait que « ceux qui
bâtissaient en granit et élevaient des pyramides
(c'est-à-dire les pharaons) ont leurs tables d'offrandes aussi vides que
les morts les plus misérables ».515 Ceci pour dire
que malgré les moyens matériels mis en oeuvre, les pharaons
n'avaient pas réussi à perpétuer leur culte et à
s'assurer l'immortalité. Pour les souverains du M.E., héritiers
de ces idées sceptiques vis-à-vis du rôle de la pyramide,
l'édification de celle-ci ne devait plus constituer une
préoccupation majeure comme ce fut le cas à l'A.E.
La renaissance de l'architecture qui s'était ainsi
manifestée dés le début du M.E., allait s'accompagner d'un
renouveau véritable au niveau de la sculpture. En effet, la
stabilité et l'éclat du pouvoir royal retrouvés, ne
pouvaient que favoriser le développement de la statuaire. Pour la
nouvelle royauté, il fallait faire figure de monarchie puissante et
conférer à son image, le prestige de l'ancien royaume
divin.516 Mais comme nous l'avons vu pour l'architecture, la
statuaire est le reflet d'une certaine situation politique et sociale. Et pour
E. Drioton et P. Du Bourguet, c'est plus dans la statuaire que dans n'importe
quel art, que se manifeste le changement psychologique opéré
depuis la fin de l'A.E. dans la conception du pharaon.517 Sous
l'A.E., les statues royales traduisaient la conception que les Egyptiens de
l'époque se faisaient de la nature de leur souverain dont la
sérénité du visage et la majesté de l'attitude,
sont plus celles d'un dieu que d'un homme.518 Par exemple la statue
polychrome de Djeser ou bien celle du sphinx de Gizeh représentant le
visage de Khephren avec un corps de lion, sont un reflet de la nature
surhumaine de ces souverains. Mais au M.E., le pharaon, s'il restait
théoriquement le fils des dieux, ce n'est plus l'empreinte divine qui le
marque.519 Ainsi, au niveau de la statuaire, ses traits allaient
apparaître comme ceux d'un homme divinisé plutôt que d'un
dieu humanisé, d'un chef que d'un dieu.520 En effet,
l'artiste du M.E.
514 Sur cette question, Cf., supra, Première partie,
chap.I, B. Les lamentations d'Ipou-Our.
515 Posener G., op.cit., 1956, p.10
516 Woldering D., op.cit., 1963, p.100
517 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.62-63
518 Drioton E Vandier J, op.cit., 1984, p.194
519 E Drioton Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.
177-178 520Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965,
p.178
115
FigureII
Montouhotep II (M.E)
Source : Drioton E. Du Bourguet P. op.cit., 1965,
p.112
Dans cette image du pharaon Montouhotep II, on voit que
les traits du corps connaissent une certaine amplification qui traduit le
désir de l'artiste à mettre en exergue la force humaine du
souverain
116
va chercher à caractériser l'homme qui
règne et non un pharaon impersonnel.521 Pour la
XIe dynastie, deux statues royales, pratiquement les seules à
être conservées en bon état, figurent le pharaon
Montouhotep II. Ces portraits royaux du souverain Montouhotep II sont,
grâce à leur force d'expression, des sources historiques de
premier ordre. Ils disent plus sur le caractère et les ambitions de ces
souverains que leurs titulatures et les inscriptions des temples.522
Les Montouhotep, comme nous l'avons vu auparavant, avaient réussi
à réunifier l'Egypte, après une longue période de
division. Et cette réunification, avait été le
résultat d'une longue lutte, amorcée sous leurs
prédécesseurs à savoir les Antef. Ceci pour montrer que la
force et la puissance de ces Montouhotep ont été
déterminantes dans la restauration de la monarchie. C'est cette image de
force que le sculpteur va tenter de montrer dans la représentation de
ses souverains. Dans les grandes statues royales de Montouhotep II, le
sculpteur, semble-t-il, a voulu exprimer en volume presque
géométrique, la puissance du souverain avec un visage
épais, corps massif, torse droit, jambes épaisses, pieds larges
et solides ; une vigueur presque brutale se dégage de cette image
523(Cf., Figure II). Un autre élément qui frappe dans
cette représentation de Montouhotep, c'est la disproportion entre les
jambes et le corps du souverain. Pour E. Drioton et P. Du Bourguet, il ne peut
s'agir là d'un défaut de métier mais probablement,
Montouhotep était atteint d'un oedème des jambes et, dans un
souci de réalisme, le sculpteur a reproduit tel quel son
modèle.524 Le fait de représenter un pharaon
jusqu'à faire ressortir ses défauts physiques dus à une
maladie, montre que c'est le caractère humain de ce dernier qui est
plutôt mis en avant dans la statuaire.
En ce qui concerne les statues royales de la XIIe
dynastie, elles se caractérisent d'abord par le fait qu'elles
proviennent de diverses écoles de sculpture réparties entre
Memphis, Thèbes au Sud et Tanis dans le Delta. C'est cette
diversification des écoles de sculptures qui va expliquer les
différences qui seront notées à travers les statues des
souverains de la XIIe dynastie.525 Ainsi, les oeuvres
produites dans les ateliers du Nord vont avoir tendance à conserver les
traditions des sculpteurs de l'A.E., avec un style plus
idéalisé
521 Moret A., op.cit., 1941, p.455
522 Wildung D., op.cit., 1984, p.194
523 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.66
524 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.166
525 La diversification des écoles de sculpture
constitue en elle, une conséquence de la crise de la P.P.I. En effet,
comme nous l'avons vu auparavant, durant l'A.E., c'est à Memphis
où se trouvaient concentrés les ateliers de sculpture. Cela du
fait que toute la production artistique dépendait exclusivement de
l'Etat.
Figure III
A) Statue du pharaon Dieser (A.E.) B) Statue du pharaon
Chéphren protégé
par Horus ( A.E.)
Sources : A) Drioton E ;Du Bourguet P., op.cit., 1965,
p.112; B) Malek J., « The Old Kingdom », in, Shaw I.,
op.cit., 2000, p.106
La sérénité et le calme qui
apparaissent à travers ces portraits des souverains de l'A.E. sont un
reflet du caractère supra humain de ces derniers qui apparaissaient
comme des dieux aux yeux de leurs sujets.
117
Mais lorsque la monarchie disparaît sous la P.P.I., les
particuliers, notamment les chefs de provinces avaient commencé à
disposer de leurs propres ateliers d'art, dans leurs provinces. Ce qui explique
d'ailleurs que lorsque la monarchie se reconstitua à Thèbes, les
écoles d'arts locales étaient déjà prêtes
à l'accompagner. Et, l'unité qui caractérisait les oeuvres
d'art de l'A.E. va céder la place à une certaine diversité
dans le style.
118
A) Sésostris III jeune (détail)
|
B) Sésostris III dans la force de l'âge
(détail)
|
Figure IV
C) Sésostris III âgé
(fragment)
Source : Drioton E. Du Bourguet P., op. cit., 1956, p.
186-187
Le pharaon Sésostris III (M.E.) est
représenté ici suivant les différents stades de
l'évolution humaine (jeune, adulte et âgé). C'est
là, un signe qui montre qu'aux yeux des Égyptiens du M.E., le
pharaon est avant tout un homme. Comparés aux images de la figure
précédente (celles des souverains memphites), on voit que ces
visages de Sésostris III montrent qu'il y a eu une évolution dans
la conception que les Égyptiens se faisaient du pharaon entre l'A.E. et
le M.E.
119
et conventionnel.526 C'est de là que
proviendraient les dix statues analogues de Sésostris Ier qui ont
été retrouvées dans sa pyramide à Lischt,
présentant un visage jeune, serein et une expression presque souriante
du souverain.527
Dans les ateliers du Sud par contre, on va retrouver des
oeuvres qui se distinguent par un rude réalisme et par un souci de
ressemblance qui semble n'avoir jamais été poussé à
ce point.528 On note une volonté manifeste de placer le
pharaon sur le même plan que l'humanité.529 Cette
tendance se manifeste surtout dans les statuaires en ronde bosse de
Sésostris III, en provenance de Médamoud, où il est
représenté à plusieurs ages de la vie, allant de la
jeunesse aux joues rondes et douces, en passant par la maturité aux
arrêts presque agressives, jusqu'à la vieillesse aux rides
amères.530 A travers ces représentations de
Sésostris III, chaque trait isolé du visage dénote la
tension intérieure et extérieure, qui se conjuguent pour composer
le portrait visible et sensible d'un souverain conscient du caractère
problématique et éphémère de ce
monde.531 Ce qui fait la beauté de ses statues, c'est leur
caractère de vérité et de passion qui montre en même
temps qu'elles étaient conçues à une période
où la société était en pleine mutation. Et, c'est
parce qu'elles ont su rendre compte de cette impression, qu'elles peuvent
être comparées aux oeuvres les plus belles de l'A.E.532
En effet, l'image de la maturité épanouie des têtes de
souverains aux temps des pyramides, que créa la foi en l'existence
éternelle du roi-dieu, avait abouti au M.E., à ce visage
buriné par le doute et chargé de responsabilité
spirituelle.533 Ainsi, si l'on compare ces statues à celles
des souverains memphites, on voit qu'autant ces derniers apparaissent calmes,
sereins et possèdent la certitude et la noblesse d'un dieu, autant la
physionomie de Sésostris III est humaine et dominé par le souci
des luttes 534 (Cf., Figures III et IV).
On peut donc dire que la statuaire du M.E. a été
un reflet des modifications politiques intervenues depuis la fin de l'A.E.
526 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.62
527 Id., op.cit., 1981, p.71
528 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.261-262
529 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.183
530 Ibidem
531 Woldering I., op.cit., 1963, p.104
532 Pirenne J., op.cit., 1962, p.98
533 Woldering I., op.cit., 1963, p.104
534 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.60
120
B- La Littérature
Le M.E. est l'époque où la langue et la
littérature ont atteint leur forme la plus parfaite.535 En
effet, à l'image de l'art, la période thébaine a
constitué pour la littérature, une époque de renaissance.
Cette renaissance de la littérature s'est traduite à travers un
développement considérable des genres littéraires. On
retrouve, en plus des genres déjà connus à l'A.E. tels que
la poésie religieuse avec les Textes des pyramides, les
Enseignements et les récits biographiques, d'autres genres assez
nouveaux comme les contes merveilleux, les romans d'aventures ou bien les
contes mythiques.536 Au-delà de cette diversité des
genres, ce qui fait l'intérêt de la littérature du M.E.,
c'est la transformation politique, sociale et morale qui s'y reflète. En
effet, si le M.E. apparaît dans la civilisation égyptienne, comme
une période classique, c'est en partie grâce à la
qualité et à la richesse de ses oeuvres littéraires. Il
est à noter toutefois, que cette richesse qui se reflète dans la
littérature thébaine et qui traduit une nette évolution
par rapport à celle de l'A.E., trouve ses explications dans les
transformations intervenues au cours de la P.P.I.
En effet, autant que l'on peut en juger, la production
littéraire de l'A.E. reflète une sorte de sécurité
tranquille, une foi inébranlée dans la puissance et la
durée d'un royaume qui a créé la première grande
civilisation humaine connue.537 L'homme, confiant dans ses dieux et
ses institutions, vivait selon des règles morales bien établies,
qui garantissaient l'ordre du monde et de la
société.538 Et dans cette société
ancienne, la nature surhumaine des pharaons et la dévotion que leur
vouaient leurs sujets excluait tout dialogue véritable.539
Ainsi, point de discussion sur la personne de pharaon ou bien sur l'institution
royale qu'il incarne. Le faire d'ailleurs pouvait être perçu comme
un acte d'impiété vis-à-vis de pharaon à qui la
doctrine royale avait conféré une nature divine et qui
apparaît comme étant le continuateur du pouvoir des dieux sur
terre.
Cependant, la crise qui a mis fin à l'A.E. allait poser
de graves problèmes. En effet, des brèches irréparables
devaient s'ouvrir dans les conceptions sociales et religieuses.540
La paix sociale et la sécurité, que garantissait une puissante
autorité royale, avaient cédé la place à
l'anarchie, à la guerre civile et à l'invasion
étrangère.541 L'ordre établi de même
que
535 Grimal N. op.cit., 1988, p.211
536 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.53
537 Daumas. F., op.cit., 1982, p.393
538 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.32
539 Posener G., op.cit., 1956, p.15
540 Daumas F., op.cit., 1982, p.393
541 Sur cette situation chaotique de l'Egypte à la fin de
l'A.E. (Cf., supra, Première Partie, chap. I, B)
121
l'équilibre des consciences en sortirent
profondément bouleversés. Cette situation allait favoriser la
naissance d'une littérature particulière et originale, qui
dépeint l'homme, privé de ses cadres sociaux et religieux
rassurants, livré au doute et à l'angoisse.542 C'est
à cette littérature qu'appartiennent des oeuvres telle que les
Lamentations d'Ipou-our où l'auteur fait une peinture
saisissante du chaos social et politique dans lequel était
plongée l'Egypte. Il y a aussi le Dialogue entre l'homme et son
ba ou bien les Chants du harpiste qui montrent
le pessimisme dans lequel était plongé l'Egyptien de
l'époque, face à l'effondrement de cette civilisation qui
apparaissait à ses yeux comme éternelle. C'est dans cette
littérature des temps troublés qu'il faut aussi placer les
Neuf palabres du paysan volé qui a trait à la
psychologie de l'Egyptien du commun vis-à-vis de l'injustice, de
l'arbitraire et de la force qui viole le droit, à une époque
où l'autorité royale faisait défaut.543
C'est aussi durant cette période de crise que la
royauté fut obligée de sortir de son mutisme pour apprendre
à communiquer et prendre des leçons chez de simples
mortels.544 Pour ce faire, elle utilisa la littérature avec
le genre Enseignement, connu depuis l'A.E. C'est dans ce cadre qu'il faut
ranger le texte de l'Enseignement de Khéti III à son fils
Mérikarê.545 L'intérêt de ce texte se
trouve dans le fait qu'il témoigne de préoccupations autant
politiques que morales. En effet, à coté du thème
classique de l'Enseignement où c'est un père qui fait profiter
à son fils, son expérience de la vie, on a ici un souverain qui
donne à son héritier des conseils relatifs à l'exercice du
pouvoir politique. Il lui conseille par exemple d'être un « artisan
en parole » car les mots sont plus forts que n'importe quel combat ou bien
de lever de « jeunes troupes » et de multiplier en leur sein ses
partisans.546
Il apparaît à travers tous ces écris, que
la P.P.I. avait fortement marqué les esprits. Et intellectuellement,
elle avait donné lieu à une riche activité
interprétative, conduisant à des évolutions notables sur
la conception du pouvoir, les croyances funéraires et à la
naissance d'une littérature politique.547
Ce sont ces transformations intervenues dans la pensée,
que devait hériter le M.E. et qui allaient donner lieu à une
riche activité littéraire durant la période
thébaine. En fait, sur le plan de la littérature, le M.E.,
semble-t-il, n'avait pas innové mais ce sont les genres
542 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p. 9
543 Somet Y., op.cit., 2005, p.128
544 Posener G. op.cit., 1956, p.15
545Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.50
à 57
546 Id., Ibid, p. 50 et 52
547 Margueron J.-C, Pfirsch L., Le Proche- Orient et l'Egypte
antique, Paris, Hachette, 2005, p.206
122
précédents, tels que les avaient modifiés
et approfondis par les penseurs de la P.P.I., qui allaient être
cultivés.548
Il s'agit ici, de voir à travers une synthèse
des principaux genres, les manifestations d'un renouveau littéraire au
M.E.
Comme à l'A.E., parmi les genres littéraires qui
se sont développés au M.E., il y a la poésie religieuse
avec les Textes des sarcophages.549 Ces textes, comme on
l'a vu auparavant, sont issus des modifications subies par les Textes des
Pyramides pendant la P.P.I. En effet, si les Textes des pyramides
étaient des recueilles destinés exclusivement à
assurer le passage de pharaon dans le monde des dieux, ceux des sarcophages ont
été composés pour de simples particuliers et leurs
composition date à partir de la P.P.I. Ils constituent dans ce sens, une
source importante pour analyser l'évolution subie par les croyances
religieuses à partir de la fin de l'A.E.
Un autre genre qui vit le jour pendant les époques
antérieures et qui a été développé au M.E.,
est le récit biographique. Comme sous l'A.E., c'est dans la plupart des
cas, un grand personnage qui fait le récit de sa carrière dans un
style narratif, simple et net.550 Nous retrouvons la traduction de
ces écrits biographiques du M.E. dans (Ancient Records of
Egypt) de J.H. Breasted. Et à l'image des textes biographiques de
l'époque memphite, ceux du M.E. constituent une précieuse source
pour toute étude relative à la situation institutionnelle de
l'époque. Mais au M.E., le genre biographique allait évoluer de
plus en plus vers une recherche de la perfection formelle, qui devait aboutir
à la création de la biographie romancée. Celle-ci se
retrouve à travers les Aventures de
Sinouhé551, une des oeuvres les plus connues de la
littérature égyptienne. Le texte est aujourd'hui connu par cinq
papyrus et par plus de vingt ostraca. Les principaux manuscrits sont
le papyrus de Berlin (B) et le papyrus du Ramesséum (R).552
Le personnage principal de ce roman n'est sans doute pas un être
imaginaire. Contemporain d'Amenemhat Ier et de Sésostris
Ier, il dut être le héros d'aventures qui
frappèrent l'imagination de ses contemporains et furent aussitôt
après sa mort, arrangées sous une forme
romancée.553 Le sujet du roman est simple, il débute
par la titulature et le nom de Sinouhé qui va ensuite prendre la parole
dans tout le livre pour faire le récit de ses aventures. Il indique
d'abord sa position à la cour, au moment où commence l'histoire
(R 25), à la mort d'Amenemhat Ier, en l'an 30 de son
règne, quand son fils Sésostris Ier revient
548 Posener G., op.cit., 1956, p.16 ; Daumas F.,
op.cit., 1982, p.397
549 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 266 à 269
550 Daumas F., op.cit., 1982, p.39
551 Posener G., op.cit., 1956, p. 86-115 ; Lefebvre G., op.cit.,
1982, p. 1à 25
552 Posener G., op.cit., 1956, p.88
553 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.1
123
d'une campagne contre les Libyens (R 5-16). On a
déjà évoqué les circonstances qui avaient
présidé à la fuite de Sinouhé qui, faisait parti de
la campagne et avait surpris par hasard la conversation du rival de
Sésostris Ier avec le messager venu de la capitale. Cette
partie du récit, contient un fond historique qui nous plonge dans le
contexte politique de la XIIe dynastie, avec des risques de
conspirations qui existaient au sommet de la monarchie.554
Après avoir pris la fuite, en direction de l'Asie,
Sinouhé atterrit dans le pays de Qédem où, il est
recueilli par Amounenshi, le prince du Retenou (R 28-30). Ce dernier
l'interroge sur les motifs de son exil et sur les conséquences possibles
de la mort d'Amenemhat Ier(R 30-45), ce qui permet à
Sinouhé de prononcer un long éloge du nouveau pharaon,
Sésostris Ier(R 45-75).
Amounenshi va finir par lui donner sa fille aînée
en mariage et lui attribuer un territoire fertile (R75-86). Promu chef de
tribu, Sinouhé passe de longues années dans l'abondance, ses fils
grandissent et dominent chacun sa tribu, tandis que lui-même
reçoit le commandement de l'armée d'Amounenshi et fait
apprécier ses qualités militaires (R 86-109). Un preux de Retenou
vient provoquer Sinouhé en combat singulier dans l'intention de le
dépouiller de ses biens ; l'Egyptien relève le défit, et
le duel se termine par la victoire de Sinouhé qui s'empare des
possessions du vaincu.( B 109-146). Sinouhé devient ainsi riche, mais il
a la nostalgie de sa patrie et, il souhaite renter en Egypte pour rependre son
poste à la résidence royale (B 146-173). Informé de ce
désir, Sésostris envoie à l'exilé, un long message
dans lequel il lui dit de revenir en Egypte, l'assure qu'il retrouvera sa place
à la cour et lui promet une belle sépulture. (B 173-199).
Après avoir accueilli cette nouvelle avec joie, Sinouhé
décide de renter en Egypte (B199-204). Sésostris lui accorde une
audience, le présente à la reine et aux enfants royaux et le
nomme Ami à la cour (B204-248). On installe Sinouhé et on lui
construit une belle tombe, les dispositions sont prises pour assurer son culte
funéraire et le vieil exilé finit ses jours dans la faveur royale
(B24-310).555 Ce roman, de par la beauté du style et de la
langue, représente un véritable chef-d'oeuvre de la
littérature égyptienne. Et si on juge de par le nombre de
manuscrits, sur papyri et ostraca, datant de la
XIIe à la XXe dynastie, il était sans doute
le plus populaire au près des Egyptiens.556 Mais
au-delà de sa qualité littéraire, l'intérêt
de ce texte se trouve dans le fait qu'il contient bon nombre de thèmes
que l'on retrouve dans d'autres écrits du M.E. C'est le cas de
l'évocation
554 Sur cette question (Cf., Supra, Troisième
Partie, Chap. I, A)
555 Traduction de Posener G., op.cit., 1956, p.87-89.
556 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.95
124
des sujets tels que les difficultés de succession
où bien de l'éloge au souverain Sésostris Ier,
qui sont des thèmes qui renvoient à la littérature
politique du M.E.
En effet, s'il y a un fait qui caractérise le plus la
littérature au M.E., c'est bien le développement important qu'a
connu le genre politique. L'utilisation de la parole à des fins
politiques ne date pas du M.E. Mais comme il arrive constamment lorsqu'on
cherche les sources d'inspirations de la littérature thébaine,
c'est vers la P.P.I., qu'il faut se tourner pour trouver les origines de cet
emploi.557 Comme on l'a vu tantôt, c'est pendant cette
époque de crise, où les intérêts opposés et
les opinions contraires s'affrontaient, que l'actualité avait fait son
intrusion dans la littérature, et on avait appris à se servir des
écrits pour influer sur l'opinion.558 Ainsi, des
thèmes de l'anarchie et de la prophétie politique vont voir le
jour à travers des écrits tels que les Lamentations
d'Ipou-our. Ces thèmes vont être repris et exploités
au M.E. ce qui donne la Prophétie de Neferty.559
Aussi, le premier testament politique d'un souverain qui parle de son oeuvre et
qui donne des conseils à son héritier, a été
l'Enseignement de Khéti III à son fils
Mérikarê, cette formule est utilisée au M.E. avec
l'Enseignement d'Amenemhat à son fils
Sésostris.560 Ceci montre l'influence de la P.P.I., sur
l'épanouissement du genre politique au M.E. A remarquer que cette
littérature politique constitue une source précieuse pour
analyser les changements politico-idéologiques intervenus depuis la fin
de l'A.E.
Parmi les écrits à tendance politique
laissés par le M.E. et particulièrement par la XIIe
dynastie (on ne connaît pas d'écrit politique ayant
été produit sous la XIe dynastie)561,
l'oeuvre la plus ancienne est la Prophétie de
Neferty.562 Le texte est connu par un papyrus du Musée
de l'Ermitage de Leningrad (N°1116B).La composition de ce livre,
écrit sous
557 Posener G., op.cit., 1956, p.15
558 Ibidem
559 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.49
560 Posener G., op.cit., 1956, p.16
561 Selon G. Posener, il existe une différence de style
politique entre la XIe et la XIIe dynastie. En effet,
lorsque la monarchie fut restaurée au M.E., après une longue
période de carence, il était évident que la condition de
la royauté, la nouvelle façon de la concevoir, les sentiments
qu'elle suscitait dans la population et les habitudes que celle-ci avait
prises, tous ces faits devaient peser sur la politique des nouveaux souverains.
Mais il semble que les Montouhotep, dont la famille gouvernait Thèbes
depuis des générations et luttait avec ténacité
pour imposer son hégémonie au reste du pays, n'avaient pas saisi
les données du problème. Ils avaient continué à
recourir aux mesures de force qui ne convenaient qu'à l'état de
guerre ( à ce propos, nous avons vu comment ils avaient supprimé
les princes locaux qui étaient les chefs de leurs provinces respectives
pendant la P.P.I). La fin de la XIe dynastie s'explique en partie
par l'échec de cette politique de force. Aussi, quoique l'unité
du pays fût déjà rétablie quand Amenemhat
Ier, le fondateur de la XIIe dynastie, était
monté au trône, la tache qui l'attendait, ressemblait à
celle d'un fondateur de royaume. Il fallait recréer l'idéal de la
royauté et restituer son prestige. Ayant compris que la politique de la
force n'avait pas réussi aux Montouhotep, Amenemhat Ier et
ses successeurs allaient utiliser d'autres moyens d'actions parmi lesquels la
littérature (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.13-14).
562 Id., Ibid., p. 21
125
Amenemhat Ier, est simple. L'action se place
à la cour du souverain Snéfrou de la IVe dynastie. Ce
dernier, pour se divertir, fait chercher un voyant appelé Neferty
à qui il demande de lui dévoiler l'avenir (E1-19). Cette
première partie du document sert d'introduction à la
prophétie à travers laquelle, Néferty, décrit
d'abord les malheurs qui vont s'abattre sur l'Egypte (E20-57)563
avant d'annoncer la venue d'un sauveur du nom d'Ameny564 qui devait
ramener l'ordre et la prospérité (E57-70).565 Comme on
le voit, ce texte est un écrit à tendance politique qui nous
plonge dans le contexte difficile du passage de la XIe à la
XIIe dynastie. On a vu comment Amenemhat Ier, qui
n'était pas de la lignée royale des Montouhotep, est
arrivé au trône au détriment d'autres prétendants.
Il semble en effet, que l'auteur de la prophétie avait l'intention
d'avantager Amenemhat Ier. Pour ce faire, il recule de plusieurs
siècles et se place au temps de Snéfrou c'est-à-dire au
début de la IVe dynastie ; ce qui lui permet d'imaginer les
faits sous forme de prédication afin de dépeindre Amenemhat
Ier sous les traits d'un messie et amener le lecteur à
l'identifier aux sauveurs annoncés dans les prophéties
anciennes.566
Le second texte à tendance politique est
l'Enseignement d'Amenemhat à son fils Sésostris. Ce
texte est inscrit dans plusieurs papyrus dont, le Papyrus Millingen, les
Papyrus Sallier au British Museum et le Papyrus Berlin 3019 ; dans un rouleau
de cuivre au musée du Louvre, sur des tablettes de bois à
Brooklyn et à travers de nombreux ostraca. Mais c'est le
papyrus Millingen (désigné M) qui sert de base dans la plupart
des traductions.567 Cet opuscule de 36 lignes est divisé en
15 versets qui, dans l'ensemble, correspondent aux divisions logiques de
l'exposé.568
Après le titre (M 11-2), on lit un bref
exorde dans lequel Amenemhat invite son fils à suivre ses conseils, afin
d'avoir un règne heureux (M 12-3). Il lui recommande ainsi la
défiance à l'égard des subordonnés et des proches
(M 13-5), et il explique qu'on ne peut compter que sur
soi-même, « car le jour critique, l'homme n'a pas de partisan »
(M 15-6). Pour justifier ce pessimisme, le pharaon évoque son
expérience personnelle : il a aidé le pauvre et l'orphelin et il
n'a recueilli que l'ingratitude et l'hostilité (M 16-9). Se
tournant alors vers ses successeurs sur le trône d'Egypte, il leur
demande de se lamenter sur son triste sort
(M 19-11), puis il passe au récit de l'attentat
dont il a été victime et qui a eu lieu un soir, alors
563 Ces malheurs, comme on l'a vu, évoquent l'anarchie
qui frappa l'Egypte à la fin de la VIe dynastie et
correspondent par conséquent, à ceux qu'Ipou-our a décrit
dans les Admonitions.
564 On a déjà vu que ce Ameny a été
identifié à Amenemhat Ier, le fondateur de la
XIIe dynastie.
565 Posener G., op.cit., 1956, p.22 ; traduction
intégrale du texte avec G. Lefebvre., op.cit, 1982, p.96-109
566 Id., Ibid., p.29
567 Id., Ibid, p.61-63; Lalouette Cl., op.cit. 1984,
p.292.
568 Posener G., op.cit., 1956, p.63
126
que le souverain prenait son repos
(M111-27-9). Ensuite le pharaon fait une description de
sa carrière : il a visité Eléphantine et le Delta,
restauré la prospérité de l'Egypte et rétabli
l'ordre intérieur (M 29-31)569 ; il a subjugué les Nubiens et
rendus les Asiatiques dociles comme des chiens (M 31-3). Le pharaon
s'est construit une maison décorée de matières
précieuses
(M 33-6). Les deux derniers versets sont obscurs,
le pharaon parle à Sésostris et lui donne ses derniers conseils
(M 36-12).570 A l'image de la Prophétie de
Néferty, ce texte d'Amenemhat est un écrit politique qui
s'inspire de l'époque précédente pour répondre
à la conjoncture de son temps.571 En effet, les paroles
désabusées du souverain et les conseils qu'il prodigue à
son fils et successeur, impliquent l'existence de difficultés politiques
auxquelles était confrontée la royauté. Et, s'inspirant de
Khéti III sous la P.P.I., Amenemhat Ier allait
détourner le genre « Enseignement » de son objet
véritable pour apprendre à son fils à faire une politique
réaliste afin de pouvoir maintenir la royauté. Une fois de plus
celle-ci s'est servie de la littérature à des fins politiques.
L'autre aspect important du texte d'Amenemhat est le fait que le souverain y
apparaît comme un simple mortel et les sentiments qu'il exprime sont
aussi humains.
En dehors de la Prophétie de Néferty et
de l'Enseignement d'Amenemhat, le M.E. connaît d'autres
écrits que l'on peut ranger dans le genre politique. C'est le cas des
Enseignements loyaliste tel que celui de Séhétepibrê, un
haut fonctionnaire de Sésostris III et d'Amenemhat III.572
Sous prétexte de composer un enseignement pour son fils (comme dans les
enseignements classiques), l'auteur, un partisan de la monarchie, devait
longuement s'appesantir sur le pouvoir et les bienfaits du pharaon, en disant
par exemple que c'est lui « qui donne de quoi vivre à ceux qui
le suivent, il est généreux pour celui qui adhère à
son chemin, ses ennemis n'auront rien... ».573 C'est aussi
l'influence de la politique sur la littérature, qui a
entraîné l'apparition d'un genre nouveau, celui des hymnes royaux,
qui ont pour but de proclamer sur le modèle poétique, les biens
faits du souverain.574Sur un ensemble de papyrus retrouvé
à Kahoun, on peut lire plusieurs hymnes à Amenemhat III et
à Sésostris III.575 Ces hymnes, à l'image des
enseignements loyalistes, sont des écrits qui prônent le respect
absolu de pharaon et cherchent en même temps à remettre en valeur
la théorie de son
569 Ce passage comme on l'a vu, se réfère à
la restauration de l'administration provinciale qui avait été
supprimée par les prédécesseurs d'Amenemhat
Ier.
570 Id ., Ibid, p.63-64 ; Lalouette Cl.,
op.cit., 1984, p.57-59
571 Diakhaby M., op.cit, 89-90, p.52
572 Posener G., op.cit., 1956, p.117 ; Breasted J.H.,
op.cit, 1988, paragraphes 747-748
573 Traduction de J. Pirenne., op.cit., 1962, p.102
574 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.42
575 Ibidem
127
pouvoir divin.576 Comme on le constate, le genre
politique a connu un développement considérable au M.E.
Toutefois, si bon nombre d'écrits du temps ont été
inspirés par la propagande royale, il semble que certains étaient
destinés à divertir le peuple et appartiennent ainsi à la
littérature dite populaire.577 Ces écrits ont
été, contrairement aux textes de propagandes royales, l'oeuvre
des scribes écrivant librement.578 C'est le cas des contes
merveilleux et des récits mythiques qui regroupent un nombre important
d'écrits datant du M.E.
Parmi les contes les plus connus dans la littérature
thébaine, on peut citer ceux du Papyrus Westcar. Ce document
contient en son état actuel, quatre contes qui mettent en scènes
les pharaons de la IVe dynastie.579 L'histoire se
déroule dans la cour royale. C'est le pharaon Chéops qui, en
proie à l'ennui, fait venir ses fils et les prie de le distraire, chacun
par une histoire de son invention.580
Du premier des contes, il ne reste que la formule finale. Le
nom de son auteur ainsi que son contenu sont ignorés. Le deuxième
conte a été l'oeuvre du futur pharaon Khephren et il a trait
à l'affaire du mari trompé. C'est la femme du
prêtre-lecteur Oubaoné qui rejoint, chaque jour son amant dans un
pavillon du jardin, averti de cette situation, Oubaoné fabrique un petit
crocodile de cire sur lequel il lit une formule magique, il attend que l'amant
vienne se baigner dans le lac, pour jeter vers lui le crocodile de cire;
l'animal s'anime, grandit et le dévore.581
Le troisième conte, dû au prince Baoufrê ne
manque ni de charme, ni de fraîcheur.582 C'est le récit
d'un tour accompli par le prêtre-lecteur Djadjaemankh pour distraire le
pharaon Snéfrou (père de Chéops). Sa prouesse était
celle d'aller quérir, à pied sec, dans un lac, un bijou perdu par
une des filles qui étaient entrain de ramer pour le plaisir de pharaon.
Djadjaemankh va partager l'eau du lac en deux, placer l'une des moitiés
sur l'autre, pour retrouver l'objet perdu.583
Le dernier conte devait être celui du prince Dedefhor.
Mais ce dernier, au lieu d'inventer une histoire, préfère aller
chercher le magicien Djédi (un voyant et un prestidigitateur habile),
qu'il amène devant Chéops. Ce Djédi, après avoir
accompli quelques
576 Daumas F ., op.cit., 1982, p.405
577 Pirenne J., op.cit., 1962, p.104
578 Id., Ibid, p.109
579 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.71 ; Lalouette Cl.
op.cit., 1981, p.87 ; On retrouve la traduction intégrale du
texte avec G. Lefebvre., op.cit., 1982, p.73-90
580 Lefebvre G., op.cit., 1982, p071
581 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.86-87
582 Lefebvre G ., op.cit., 1982, p.71
583 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.87
128
tours amusants, annonce à Chéops,
l'avènement prochain des trois premiers souverains de la Ve
dynastie.584 Nous avons déjà évoqué ce
conte qui nous plonge dans les compétions dynastique de
l'A.E.585
Ces contes, en dehors de leur aspect littéraire,
reflètent une certaine image de pharaon, propre à l'opinion du
M.E. qui, avait tendance à traiter le souverain d'Egypte comme un simple
mortel. Pour ce faire, la littérature populaire va remonter à
l'A.E., au plus fort moment de l'absolutisme royal, pour montrer que ces
souverains de l'époque qui apparaissaient comme des dieux sur terre,
n'étaient en réalité que de simples hommes. Ainsi, les
Snéfrou, Chéops ou Khephren dont les gigantesques pyramides
étaient encore là pour montrer leur caractère surnaturel,
vont être traités avec une familiarité très peu
adéquate à la divinité à laquelle ils
prétendaient. La plupart des histoires racontées dans les contes,
ont été dites pour divertir des pharaons qui étaient en
manque de divertissement comme cela peut arriver à n'importe quel
être humain. Et quelques fois, on prête à ces pharaons, des
attitudes qui sont proches du ridicule. C'est ainsi que dans le
quatrième conte du papyrus Westcar, le pharaon Chéops,
ayant appris que le Magicien Djédi savait remettre en place une
tête coupée, lui demande de faire l'expérience sur un
humain. Mais le magicien va refuser d'obtempérer à cet ordre
royal en signifiant au pharaon qu'il n'est pas recommandé de faire
pareille chose à l'homme586. Et l'expérience allait
avoir lieu sur des animaux. On voit ici que le souverain est
présenté comme quelqu'un d'insouciant de la dignité
humaine et il reçoit une leçon de morale de la part de ses
sujets.
Le dernier écrit que l'on va examiner et qui appartient
à la littérature populaire est le Conte du Naufragé
appelé aussi l'Ile du serpent587. Ce conte qui
peut être rangé dans le genre épique, est connu par un
manuscrit du M.E., trouvé au Musée de l'Ermitage à
Leningrad588. Dans ce texte aussi, c'est la situation d'un prince
qui est mise en scène et qui sert de prétexte à l'auteur
pour entrer dans le récit de son aventure. Le prince en question, comme
nous l'avons vu auparavant, pourrait être un corégent donc un
pharaon. Ce dernier, avait échoué dans une mission navale qu'il a
conduite en Nubie et il a pris peur à l'idée qu'il doit rendre
compte au pharaon. Pour le tranquilliser, un compagnon qui faisait partie de
son équipage s'adresse à lui en lui disant : « Sois
tranquille prince. Nous voici arrivés au
584 Id., Ibid, p.87-88
585 Pour les détails de la venue des souverains de la
Ve dynastie (Cf., supra, Deuxième partie,
chap. II, A)
586 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.83
587 Il a été traduit par G. Lefebvre., op.cit.,
1982, p.32 à 40
588 Id., Ibid, p. 31 L'unique Manuscrit en question
est le papyrus 1115 du Musée de l'Ermitage. Le texte, en parfaite
conservation, mesure 3m. 80 de long ; il renferme 189 lignes, dont 136
verticales et 53 horizontales.
129
pays ...On rend grâce, on glorifie Dieu...Ecoute-moi
prince, met de l'eau sur tes doigts, de sorte que tu puisses répondre
quand on s'adresse à toi. Parle au roi en pleine possession de
toi-même et réponds sans balbutier... ». Ensuite, il lui
fait le récit d'une situation similaire qu'il aurait vécue
personnellement. C'est au cours d'une mission qui les conduisait vers les mines
du Sinaï ; alors qu'ils traversaient la Mer Rouge, leur navire fait
naufrage et tout l'équipage périt à l'exception du
naufragé. Il va atterrir dans une île merveilleuse dont le
maître, un serpent, le reçoit amicalement et le renvoie ensuite
chez lui, comblé de dons. De retour en Egypte, le pharaon lui fait bon
accueil et l'élève à la dignité de
Compagnon.589 Ce conte, écrit en un langage classique,
constitue un texte remarquable de la littérature
égyptienne.590 Mais au delà de cette qualité
littéraire, on peut le ranger dans la catégories de certains
écrits du M.E., qui se montrèrent assez critiques par rapport
à la divinité de pharaon. En effet, le fait de prêter
à pharaon des attitudes aussi humaines que la peur, revient à le
rabaisser au niveau de ses sujets et à ridiculiser parfois son
caractère divin. Comment un pharaon qui apparaissait comme un être
doté d'une essence supra humaine, peut avoir peur ou bien paniquer
devant certaines situations ? Nous avons vu que ce fut le cas avec
Chéops à l'annonce de la venue de la Ve dynastie ;
c'est aussi le cas d'Amenemhat Ier lorsqu'il a été
victime d'une tentative de coups d'Etat. Ces exemples montrent bien que la
conception que les Egyptiens du M.E. se faisaient de pharaon est loin de celle
de leurs prédécesseurs de l'époque memphite. Le pharaon du
M.E. continuait certes d'incarner le pouvoir divin sur terre, mais son
caractère divin avait sensiblement évolué vers une nature
beaucoup plus humaine.
L'autre aspect important du Conte du Naufragé,
se trouve dans le fait qu'il a permis à l'auteur de faire un tableau
réaliste de la vie des marins de cette époque et de la navigation
en Mer Rouge.
Au terme de cette synthèse des principaux genres
littéraires du M.E., il apparaît que dans son ensemble,
l'époque thébaine a été une période riche en
production littéraire. De par la variété et l'abondance de
ses thèmes, la littérature du M.E. montre qu'il y a eu une nette
évolution dans la pensée, depuis la fin de l'A.E. Une
évolution qui a été favorisée par
l'émergence d'un esprit nouveau, pendant la crise de la P.P.I.
589 Id., Ibid, p. 29
590 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.107
130
CONCLUSION GENERALE
Au terme de ce travail de recherches, consacré à
la crise de la P.P.I., il convient d'apporter un certain nombre de
réponses aux questions que nous nous sommes posées au
départ.
Il est en effet établi, qu'au cours de la
période dite A.E., la civilisation égyptienne a connu une phase
de gloire qui est éternisée par les pyramides. Cependant,
après près de plusieurs siècles de stabilité, l'A.E
devait sombrer dans une crise politique et sociale vers la fin de la
VIe dynastie, particulièrement après le règne
de Pépi II. Cette crise connue sous le terme de P.P.I., devait perdurer
jusqu'à l'avènement du M.E. aux environs de -2050. Elle
débuta par une phase violente au cours de laquelle l'Egypte allait
traverser une situation particulièrement difficile. En effet,
après avoir été victime d'une invasion Bédouine
dans sa partie orientale, l'Etat pharaonique allait faire face à un
soulèvement intérieur de la part des masses populaires. Ses
dernières ayant comme cibles, l'Etat et ses agents, devaient s'en
prendre aux symboles des institutions monarchiques et aux classes
privilégiées considérées comme étant
responsables de leur misère. Ces actions du peuple contre l'Etat et ses
symboles eurent comme résultat, un effondrement du système
monarchique et un bouleversement total de l'ordre établi. Une analyse de
ces événements et des différents protagonistes, nous a
permis d'arriver à la conclusion que contrairement à ce que
pensent certains historiens, le soulèvement qui a causé la ruine
de l'Etat memphite n'a pas été une révolution mais
plutôt une révolte contre l'institution royale.
A la suite de ces événements violents, la
monarchie pharaonique devait réussir à renaître avec la
VIIIe dynastie, dans le lieu même où on avait
procédé à sa mise à mort, à savoir Memphis.
Cependant, le royaume des Deux-Terres devait mettre du temps pour recouvrir le
contenu de cette appellation qui renvoie à l'union de la Haute et de la
Basse Egypte sous l'autorité d'un seul maître. En effet, tout en
se réclamant de l'héritage de la monarchie défunte, la
VIIIe dynastie disposait d'une autorité qui dépassait
à peine le pourtour de la région memphite. Face à cette
carence d'autorité, les princes locaux, d'abord ceux
d'Héracléopolis (IXe et Xe dynasties)
ensuite ceux de Thèbes (XIe dynastie), vont usurper la
dignité royale. La VIIIe dynastie, basée à
Memphis, devait finir par disparaître et l'Egypte allait se retrouver
dans une situation identique à celle qui la caractérisait avant
la naissance de la monarchie : c'est-à-dire un royaume au Nord avec les
héracléopolitains et un autre au
131
Sud avec les thébains. Une guerre interne allait
opposer ces deux royaumes qui ambitionnaient tous de réunifier l'Egypte
à l'image de ce qu'elle fut à l'A.E. Cette guerre interne ne prit
fin qu'au moment où les thébains réussirent à venir
à bout de leurs rivaux et réunifier le pays à nouveau :
c'est le début du M.E. situé vers -.2050.
La carence du pouvoir royale au cours de la P.P.I.
s'était traduite au plan culturel, par une certaine régression au
niveau de la production des oeuvres d'art ainsi que de leur qualité.
Cette situation s'explique en grande partie par le fait que le centralisme
monarchique à l'A.E, était tel que les activités d'art
avaient été complètement contrôlées par
l'Etat. L'effritement de ce dernier avait eu par conséquent des
répercussions sur la production artistique.
L'autre caractéristique et non des moindres de cette
période intermédiaire a été la crise de conscience
qui se reflète à travers la littérature de cette
époque de crise. En effet, l'écroulement d'un ordre politique et
social qui apparaissait jusqu'ici comme étant immuable, allait
entraîner l'émergence d'une nouvelle vision du monde. De ce fait,
la P.P.I., tout en étant une période d'effondrement des valeurs
anciennes, fut en même temps une époque riche en ce qui concerne
le développement de nouvelles idées. Et, lorsque la monarchie se
reconstitua par la suite, elle devait bénéficier de cet esprit
nouvel qui est né au cours de la crise.
Après avoir décrit ce que fut la P.P.I. dans ses
différentes facettes, nous nous sommes intéressés à
la situation dont l'évolution devait conduire à cette crise de
fin d'époque que fut la P.P.I. C'est l'objet de notre deuxième
partie. Certes, comme l'a affirmé J. Vercoutter : « le
problème de la disparition des civilisations est par bien des aspects,
aussi mystérieux que celui de la mort des individus »
(Vercoutter J., op.cit., 2003, p.115), mais c'est justement le
rôle de l'historien que de chercher à reconstituer à partir
des traces laissées par ces civilisations disparues, les
éléments explicatifs de leur déclin. Ainsi, la question
des causes de la crise nous a conduit à étudier
l'évolution du système monarchique sous l'A.E. En effet, si
durant cette période dite des pyramides, l'Egypte parvint à
atteindre un haut niveau de civilisation, c'est parce qu'elle s'était
dotée d'un système politique capable de mobiliser les
énergies pour une cause commune. Autrement dit il y avait en place une
monarchie fortement centralisée autour de pharaon. Mais ce
système centralisé contenait en son sein, les germes mêmes
de sa destruction, en ce sens qu'elle avait été instituée
sur les bases de la négation de tout pouvoir à tendance
personnelle. Cela dans un contexte où les anciennes aristocraties
terriennes, politiques ou cléricales, représentées par les
nomarques, prônaient un système décentralisé. La
lutte politique qui opposa les deux tendances allait, dans un premier temps,
132
être à l'avantage du pouvoir central qui
réussit à instituer un système absolutiste au sein de la
monarchie (c'est notamment sous les IIIe et IVe
dynasties). Mais à partir de la Ve dynastie, les choses
allaient prendre une nouvelle tournure par la faveur des changements
politico-idéologiques qui ont accompagné l'avènement de
cette dynastie. En fait, l'orientation cléricale prise par les pharaons
de cette dynastie allait transformer la monarchie en une théocratie. Et
à partir de ce moment, les nomarques allaient se voir confier, en plus
de leurs charges civiles, des charges sacerdotales pourvues d'importants
bénéfices. Cette situation allait permettre à ces
derniers, de renforcer leurs pouvoirs au niveau local et d'évoluer vers
une autonomie vis-à-vis de Memphis. Dés lors, allait s'ouvrir un
processus d'affaiblissement du pouvoir royal, le quel processus devait aboutir
vers la fin de la VIe dynastie, à affaiblir la royauté
et cela en dépit des mesures prises par cette dernière pour
contrer la tendance autonomiste des nomarques.
La monarchie qui s'était ainsi affaiblie par
l'opposition des nomarques allait, à la fin du règne de
Pépi II, être confronté à deux autres
problèmes ; il s'agit de la crise du trésor et des
difficultés d'adaptations à la modification des conditions
climatiques intervenues durant cette période. La misère qui va
s'abattre sur les masses populaires, du fait de ces difficultés, allait
être un élément déterminant dans la révolte
du peuple contre l'institution monarchique. C'est dire que les causes de la
crise qui a provoqué l'effondrement de l'A.E., sont à chercher
dans l'affaiblissement de la monarchie du fait de l'opposition des nomarques.
Cette situation avait non seulement aggravé les difficultés
financières mais elle a aussi rendu l'Egypte vulnérable face
à la dégradation des conditions climatiques.
La crise de la P.P.I., après avoir perdurée
pendant près de deux siècles, allait prendre fin pour laisser la
place à une autre époque politiquement stable et culturellement
riche : c'est le M.E.
L'Egypte devint à nouveau un pays uni et la monarchie
allait se reconstituer sous sa forme de l'A.E. Toutefois le pays venait de
traverser une longue période de crise au cours de laquelle, il a connu
de gaves problèmes que furent entres autres, la disparition de la
royauté, la guerre civile, l'invasion étrangère etc. Toute
cette situation devait profondément marquer la conception que les
Egyptiens se faisaient de leur civilisation. De ce fait, malgré le
retour de la monarchie les choses ne devraient plus évoluer comme dans
l'ancienne société. C'est ainsi que sur le plan politique,
l'institution royale allait être de retour telle qu'elle se
présentait à l'A.E. Mais derrière ce retour, se trouvaient
de profonds changements. En effet, la crise avait fini par
révéler que malgré le caractère divin dont elle se
prévalait, l'institution
133
royale n'avait pas pu éviter à l'Egypte de
tomber dans la décadence. Et, au cours de cette crise, cette institution
a subi de pires épreuves. Après avoir été
destituée par le peuple, la royauté allait passer entre les mains
des princes locaux qui s'affrontèrent autour de ses restes. Toute cette
situation allait peser sur la nouvelle institution royale qui s'est
reconstituée au M.E. Celle-ci, tout en continuant à
apparaître comme un pouvoir de nature divine, devait évoluer vers
une tendance beaucoup plus humaine. Les nouveaux pharaons ayant compris que la
doctrine de royauté divine avait beaucoup perdu de sa valeur, allaient
user des moyens d'action telle que la politique, pour asseoir leur pouvoir. En
outre, tirant les leçons du processus politique qui a causé la
fin de l'A.E., ces souverains allaient tout faire pour éviter que le
pouvoir des chefs locaux ne puisse nuire au caractère centralisé
de l'Etat égyptien.
A l'image de l'institution monarchique, la religion
funéraire allait elle aussi connaître des évolutions
notables. A ce niveau aussi, la crise avait révélé que
cette religion funéraire, telle que la concevait l'ancienne
société, ne présentait pas des garanties certaines pour
assurer la survie éternelle à l'homme. Ce n'était pas le
fait de se doter d'une sépulture ou de bénéficier d'un
rituel funéraire qui pouvait assurer la survie de l'homme à
l'au-delà mais c'était plutôt ses actions sur terre.
Dès lors l'inégalité des Egyptiens devant la mort, qui
faisait que seuls les privilégiés avaient les moyens de s'assurer
une survie dans l'au-delà, allait disparaître permettant en
même temps le développement de la religion osirienne.
Au plan culturel, on va assister au M.E, à une
renaissance au niveau de l'art et de la littérature. Cette situation
aussi trouve ses explications dans la crise de la P.P.I. Au plan artistique, il
y a le fait que l'art égyptien avait toujours vécu sous la
coupole de la monarchie qui était, à la base de toutes les
productions. Cependant la disparition de celle-ci au cours de la P.P.I avait
permis une certaine diversification des écoles d'art. De ce fait,
pendant la période de crise, même si l'art avait connu une
régression, il avait commencé à connaître une
certaine diversification. Au niveau de la littérature aussi, la P.P.I.,
avait été une période très riche dans
l'éclosion de nouvelles idées. Cela du fait que le bouleversement
de la civilisation avait provoqué une crise des consciences qui a
poussé les Egyptiens de l'époque à méditer sur leur
sort. Il y a eu alors un développement de la pensée
littéraire qui se caractérisa par une certaine liberté
d'esprit. Ainsi, lorsque le M.E arrive, il va hériter de cette
évolution notée dans l'art et la littérature.
La P.P.I. a été ainsi, une période de
crise certes, mais elle a occupé une place importante dans le renouveau
que va connaître la civilisation Egyptienne au cours du M.E.
134
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139
Tables des matières
Introduction générale
..
..2
Première Partie :
Présentation générale de l'Egypte sous la
crise de la Première Période Intermédiaire
......8
Chapitre I : Les bouleversements socio-politiques de
la fin de l'Ancien empire....9
A-
Le cadre chronologique de la Première
Période
Intermédiaire 9
B- La phase violente de la crise ..15
Chapitre II : l'Effondrement de la
civilisation........24
A- Désagrégation du territoire et de la
monarchie 24
B- Régression de l'art 31
C- Eveil d'une nouvelle conscience 34
Deuxième Partie : La
crise 43
Chapitre I : Le contexte .
44
A-
L'avènement de la Ve dynastie et ses
conséquences 44
B- Le processus d'affaiblissement de la royauté
..51
C- La réaction pharaonique et ses limites
56
Chapitre II : Les facteurs
générateurs dans l'éclatement de la
violence...63
A- Faiblesse des institutions .63
B- La crise du trésor ....72
C- Les effets des changements climatiques
76
Troisième Partie : Les
conséquences...81
Chapitre I : Au plan politique et religieux...82
A-
140
Evolution du concept de royauté divine
82
B- Changement d'orientation
politico-idéologique .90
C- Evolution des croyances funéraires
..100
Chapitre II : Renouveau culturel
105
A- L'art .105
B- La littérature .112
Conclusion 122
BIBLIOGRAPHIE . 126
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