Conclusion
Cette étude a permis de démontrer que les images
du territoire diffusées sur Internet sont susceptibles de
représenter des bâtiments d'habitation ; et au-delà,
de les localiser. Cette empreinte géographique peut alors, le cas
échéant, relier un individu, le propriétaire ou l'occupant
des lieux, à un logement. L'habitat devient identifiant en
lui-même. Ainsi, l'image du logement peut être
appréhendée comme une donnée à caractère
personnel. La protection relative à de telles données permet de
dépasser le cadre strict du droit à l'image du domicile et la
difficile caractérisation de l'atteinte à la vie privée.
En effet, l'individu bénéficie de cette protection dès
lors qu'il est identifié ou identifiable. Il n'a donc pas besoin
d'apporter la preuve d'un trouble anormal ou d'un préjudice.
Après avoir établi que l'image du logement
pouvait être considérée comme une donnée
personnelle, nous avons envisagé et développé des
hypothèses de fondementspoursa collecte et sa diffusion. Ainsi, les
acteurs privés pourraient motiver ces traitements par la
nécessité de photographier le territoire afin de proposer leur
service au public, à savoir l'accès à une plateforme de
données géographiques. La collecte et la diffusion d'images
représentant des habitations seraient donc fondées sur les
intérêts légitimes défendus par ces entreprises.
Pour les acteurs publics, et plus particulièrement pour l'IGN, la prise
de vues et la publication des photographies reposeraient sur d'autres
fondements, moins sujets à débat que celui envisageable pour les
entreprises. Ainsi, les traitements réalisés par l'IGN pourraient
être fondés, pour la collecte, sur l'une des missions de service
public de l'établissement, relative à la couverture en
photographie aérienne et spatiale du territoire; et pour la diffusion,
sur l'obligation légale d'ouverture des données, et plus
particulièrement des données géographiques.
Cet accès généralisé aux
photographies aériennes, spatiales ou prises depuis la voie publique par
un acteur étatique a fait l'objet d'approfondissements au sein du second
chapitre de cette étude.Si les images de bâtiments d'habitation
peuvent être considérées comme des données
personnelles, elles peuvent également constituer des documents
administratifs susceptibles d'être diffusés et
réutilisés dès lors que ces photographies ont
été prises dans le cadre d'une mission de service public. Deux
intérêts sont alors mis en balance : l'accès du public
à l'information géographique et aux données de description
du territoire; et la protection de la vie privée et des données
personnelles des individus identifiés sur les photographies. Plusieurs
alternativespermettentde concilier l'ouverture des données et la
protection des individus, notamment le consentement des personnes
concernées à la diffusion, l'anonymisation des données
nominatives ou encore l'existence d'une disposition législative
prévoyant expressément la publication des données
personnelles. Selon nous, la diffusion des photographies comprenant des
données nominatives serait fondée sur une base légale,
à savoir l'obligation de diffuser les images du territoire. Les
photographies des bâtiments d'habitation font, en effet, partie
intégrante de ces images. Il ne serait donc pas possible de flouter les
données nominatives sans dénaturer la photographie et, dès
lors, sa valeur intrinsèque. Il semblerait ainsi que
l'intérêt du public à accéder à des
informations précises et de qualité prévale sur la
protection des données personnelles des individus identifiés.Cet
effet serait néanmoins compensé par le fait que ces individus
puissent toujours agir sur le terrain de la responsabilité de droit
commun et/ou, pour le propriétaire, sur celui du trouble anormal en
matière de droit à l'image du bien. Ces recours paraissent
néanmoins bien futiles pour protéger l'intimité de
l'individu puisqu'ils s'exercent a posteriori, et donc
« trop tard ».
Dans une société où la transparence
devient la norme et où « Big Brother » se
démultiplie, l'individu est en lutte permanente contre les
ingérences dans sa vie privée. Avecledéploiement des
drones et l'amélioration constante de la précision des
photographies aériennes et spatiales, les murs opaques qu'il a
érigés pour préserver sa vie privée semblent ainsi
se fissurer un peu plus.
|