L'entrepreneuriat chez les journalistes de la presse écrite: profils et motivations dans un secteur en crise( Télécharger le fichier original )par Maëlle Lafond CELSA - Paris Sorbonne - Master I Journalisme 2016 |
ANNEXESAnnexe n°1 : Guide d'entretiensNotes : Ces entretiens se veulent semi-directifs, le but étant de laisser un maximum de marge à l'enquêté dans ses réponses, tout en gardant un certain contrôle sur la direction de l'entretien pour ne pas éluder de points. On attend qu'un certain nombre de concepts soient abordés dans les réponses : s'ils ne sont pas directement soulevés par les questions, il faudra les aborder dans un second temps. Thématiques principales : trajectoire, carrière, projets/avenir/objectifs, mythes, réalités, identité professionnelle, appartenance, autonomie, précarité, journalisme, entreprenariat, profil & motivations
42 Annexe n°2 : Entretien avec Raphaël Garrigos, cofondateur des Jours, réalisé le vendredi 17 février Maëlle Lafond : Pouvez-vous me raconter la création des Jours ? Raphaël Garrigos : On est neuf co-fondateurs des Jours, dont huit venants de Libé. Les Jours sont nés d'une nouvelle crise à Libé on va dire, c'est-à-dire en 2014, à l'arrivée de Patrick Drahi qui le rachète. Et à ce moment-là se dessine la possibilité d'un plan social qui grossit de semaine en semaine ; on se rend compte nous que ça va devenir de plus en plus compliqué de travailler dans ce journal, et on se dit qu'on a envie d'autre chose. On se met alors à se réunir chaque semaine pour réfléchir à ce qu'on veut faire ensemble et au fait de quitter Libé. C'était des choix de chacun, des choix de vie ; on avait tous un peu de bouteille à Libé et au web, on en avait fait un peu le tour. On avait déjà eu l'envie de quitter le navire, mais comme on s'était toujours vu comme journalistes à Libé plus que journalistes tout court, on ne se voyait pas partir ailleurs sauf en créant notre journal. Attention, on n'était pas malheureux, mais c'était un modelé économique bancal - d'être gratuit sur le web puis payant en papier le lendemain, la pub aussi. La frustration qu'on pouvait ressentir à Libé par rapport à ça on l'a transformée : on a fait le choix aux Jours de justement ne pas tout traiter mais de le faire bien, en choisissant un modèle économique très pur qui est celui de l'abonnement ; il n'y alors pas de dépendance à la pub - qui en plus s'effondre - seulement une dépendance à nos lecteurs. ML : Quelle a été votre trajectoire avant ? Comment êtes-vous arrivé jusque-là ? RG : On a tous fait notre début de carrière à Libé, et avant ça des études longues mais pas en journalisme. En fait deux d'entre nous ont été longtemps pigistes avant Libé. Et Augustin Naepels, directeur financier, ne venait pas de Libé : il était auditeur au départ, et est parti parce qu'il n'en pouvait plus. Il avait monté sa boîte de billetterie en ligne, on l'a reçu et il n'est plus jamais parti. Il est vital pour nous, on était des journalistes avec cette image de libé, on n'y connaissait rien à l'argent et on avait besoin de lui. ML : Dans quel cadre l'avez-vous reçu ? RG : On a reçu des développeurs, les gens de Rue 89, le scénariste de « Un village français » - car les séries sont une manière de faire du journalisme. 43 C'était « Les apéros de l'avenir », tous les jeudis avec un thème et un invité. Ça a commencé au printemps 2014 ; le plan social est arrivé en septembre suivant, puis les premiers départs volontaires se sont échelonnés de novembre 2014 au printemps 2015. A ce moment, en mars 2015, on avait juste une landing page et une newsletter hebdomadaire. Le lancement officiel des Jours c'était le 11 février 2016. ML : Quelles sont vos conditions de travail aujourd'hui ? RG : Elles sont précaires, c'est sûr. Aujourd'hui, on a 7 300 abonnés, alors que l'équilibre demande le double : tout peut se casser la gueule demain. On a commencé à se payer à l'automne dernier - ce qui est important parce qu'avant on était sur Pole emploi - on est moins bien payés alors qu'on travaille deux fois plus. Mais c'est la satisfaction de tous les jours de créer quelque chose qui nous tient. Même si Libé était déjà sans argent, là c'est un autre niveau : on a pas de téléphone fixe, pas d'ordi fixe, on paye nos forfaits. Et ce qui nous prend le plus de temps au final ce n'est pas le journalisme, c'est tout le reste : répondre aux étudiants, faire des choix sur tout ce qui est essentiel comme chercher des investisseurs, le service après-vente, monter des dossiers de fonds d'aide publics ou privés. C'est vrai que c'est peut-être cette partie administrative qu'on ne mesurait presque pas : on fait toujours autant de journalisme on a juste rajouté énormément d'administratif. On adorerait pouvoir payer quelqu'un pour le faire mais l'argent ne se trouve pas facilement ; surtout quand on lance un média, ça n'a pas bonne presse. C'est plus facile quand on lance une start-up de robotique qu'un média, parce qu'on a l'idée que ce n'est pas rentable. Cela dit pour nous il n'y a pas d'indépendance sans rentabilité. (Silence). On n'a aucun regret, et je pense même que si Les Jours devaient s'arrêter, je ne serai pas capable de réintégrer une grande rédaction. ML : Selon vous ce serait souhaitable pour les journalistes d'être formés à ces deux casquettes ? RG : Peut-être que tout le monde devrait savoir comment fonctionne un média, mais je crois qu'un jeune journaliste ne devrait pas être autre chose qu'un journaliste ; je suis toujours circonspect par ces jeunes diplômés qui montent leur entreprise directement. Nous, on avait cette chance, cette étiquette presque de 44 Libé, comme une gageure : je me rappelle, le nombre de followers montaient d'une manière vertigineuse, et les dons aussi Ð même si on n'avait rien à montrer à cette époque-là, c'était hyper indispensable d'avoir cette expérience avec nous. ML : Selon vous, qu'est-ce qui pourrait pousser des jeunes journalistes à créer leur média ? RG : On le voit, ils ont l'impression qu'il n'y aura pas de boulot dans les journaux existants, et puis ils n'ont pas envie d'y travailler Ð ce que je comprends. Mais je trouve ça risqué, sauf à avoir une idée formidable qui cartonne déjà. Il y a des choses qui fonctionnent (Ulyces, Le Quatre heures) mais ils sont déjà dans la super niche. Et puis dans le cas d'Ulyces, je crois que c'est eux qui font ça, je trouve le fait d'avoir recours au brand content pour financer l'activité journalistique un peu délicat. Après eux ils faisaient ça avec des gens beaucoup plus jeunes et polyvalents sur le web Ð ce qui a surement été un avantage pour eux. Alors que nous on avait plus cette image de journalistes venant du papier, alors qu'on était déjà au fait des évolutions numériques. ML : D'ailleurs comment s'est faite cette transition entre le papier de Libé et le web des Jours ? RG : Ca s'est fait tout seul : dès le début on s'est dit « Un, ce sera payant, et deux, ce sera sur Internet ». C'était logique, on s'est dit qu'on ne lançait pas en 2016 un quotidien papier, et puis l'économie papier est beaucoup plus lourde. Après je reste persuadée que Libé n'a pas tout fait pour sauver le papier. ML : C'est-à-dire ? RG : On avait des idées, il y a eu une grande consultation auprès des salariés au moment où Libé allait déposer le bilan ; c'est un peu là que sont vraiment nés Les Jours d'ailleurs. A ce moment, il y a eu 200 suggestions, mises sur un Google doc de 600 pages. Mais quand Joffrin est revenu et Drahi est arrivé, c'est passé à la trappe, alors on a repris nos suggestions et on est partis. On avait déjà l'idée des obsessions par exemple. ML : Quels sont vos projets/objectifs aujourd'hui ? Comment voyez-vous l'avenir ? RG : Pour nous tous, notre avenir est intimement lié aux Jours parce qu'on y passe des heures carrées, notre avenir dépend de celui des Jours et vice versa. D'ici un mois, on devrait lancer une appli Ð on ne voulait pas le faire trop vite parce 45 qu'on pensait que ça coûterait très cher Ð mais on a vu que c'était une vraie demande des lecteurs. Il y aura aussi une V2 du site qui va se déployer Ð après on est sur internet donc on améliore constamment : on n'a pas de section commentaires mais on est très attachés à discuter avec les lecteurs : récemment on leur a transmis un questionnaire de « satisfaction » par exemple. On veut depuis longtemps organiser des réunions mensuelles avec les lecteurs - pas seulement qu'à Paris, surtout pas qu'à Paris - hélas on manque de temps pour le faire. Quant à mon avenir perso je le lit totalement aux Jours, j'ai encore pleins de projets journalistiques que j'ai envie de faire ou que d'autres fassent. ML : La notion de carrière fait-elle sens pour vous ? RG : La carrière c'est compliqué Ð Isabelle et moi l'idée qu'on avait c'était d'être journalistes à Libé, on l'est devenus. On est devenus ensuite chefs de service. Notre envie dans notre carrière c'était d'écrire, même maintenant dans nos postes plus éditoriaux. Et si un jour il n'y a plus les Jours, je continuerai à écrire, peut-être des livres, mais à écrire c'est sûr. ML : Donc une carrière dans l'écriture ? RG : Oui, je n'ai pas l'ambition de devenir directeur de la rédaction du Monde Ð je ne dis pas que je n'y réfléchirai pas mais ça me semble totalement surréaliste. En plus sur la carrière, dans la presse écrite ... Ce ne sont pas des métiers où on fait carrière, où on se retrouve avec des monceaux d'argents Ð enfin certains y arrivent. ML : Vous opposez faire carrière dans le journalisme et gagner beaucoup d'argent ? RG : Pas forcément, mais c'est sûr que ça ne va pas tout le temps de pair. Si j'avais voulu gagner de l'argent j'aurais accepté des propositions qu'on a pu nous faire, de travailler à la télé ou dans d'autres médias mais pour moi ce n'est plus du journalisme c'est un travail alimentaire. ML : Trouvez-vous que le regard sur l'entrepreneuriat des journalistes a changé ? RG : Je ne sais pas, je pense que c'est en train de changer Ð il y a pas mal de journaux, de gens qui se lancent : avant nous il y a quand même eu Médiapart, Rue 89, XXI, La Revue Dessinée : ça devient une vraie option un journaliste qui 46 crée son media, donc oui le regard a changé. Mais je sais que quand j'en parle aux journalistes de Libé, ils me demandent si ça va avec un regard dépité alors que ma situation est bien plus enviable à la leur. Même si ils ont une sécurité de l'emploi que l'on n'a pas, c'est sûr. C'est un vrai risque. ML : Quand on efface la ligne entre entreprenariat et journalisme, on voit les choses différemment ? RG : On ne l'a pas du tout effacée, on est d'abord journalistes : je sais quels choix éditoriaux feraient un entrepreneur et je ne les ferai pas juste parce qu'ils rapportent. A l'inverse on est quand même une entreprise donc le jour où un sujet n'intéresse plus que le journaliste, on l'arrête. Une entreprise oui mais de presse : quand on va voir Xavier Niel pour qu'il nous finance, on y va pas en tant que journaliste. Après on n'a pas été confrontés au fait de devoir écrire sur lui -mais on ne se l'interdit pas, et il nous l'a même expressément demandé. Après il a le beau rôle, mais ce n'est pas pour contrôler de l'info qu'il a investi dans Les Jours ; et ce serait malvenu avec nous. 47 Annexe n°3 : Entretien avec Laurent Mauriac, fondateur de Brief.me, réalisé le vendredi 3 mars Maëlle Lafond : Pouvez-vous me raconter la création de Brief.me ? Laurent Mauriac : L'idée est partie d'une expérience personnelle. Je suis un ancien de Rue 89, j'étais directeur général, et même immergé dans une rédaction j'avais le soir en sortant des difficultés pour savoir si ce qu'il s'était vraiment passé pendant la journée. Je me suis dit que je ne devais pas être le seul et que sauf à aller sur réseaux sociaux et les sites d'information généraliste, il n'y avait rien de synthétique pour avoir une vue d'ensemble sur la journée. En plus, le mode était sous-exploité par média, avec des newsletters qui ne faisaient que reprendre des titres pour attirer sur le site, mais pas de fonctionnement propre. ML : Comment s'est faite la transition entre Rue 89 et Brief.me ? LM : Je me suis associé avec des gens qui croyaient en l'idée et j'ai quitté Rue 89. Le but c'était de tester l'idée, de voir si et comment le projet allait prendre. ML : Le passage de journaliste à entrepreneur s'est fait naturellement donc ? LM : Oui surtout que je suis toujours journaliste, en tant que rédacteur en chef je cherche à écrire un maximum. ML : Quelles sont vos conditions de travail aujourd'hui ? LM : Etre entrepreneur ça veut dire travailler plus que les autres, qu'on ne se paye pas forcément, au début j'étais rémunéré par Pôle Emploi. Et puis évidemment ça implique beaucoup de risques et de responsabilité, vu que je ne suis plus juste journaliste mais aussi chef d'entreprise. ML : La notion de carrière fait-elle sens pour vous ? LM : Moi je parle plutôt de parcours, de parcours professionnelle, mais j'ai toujours essayé de réunir trois dimensions dans celui-ci : le journalisme, développer des projets et les nouvelles technologies. Et là avec Brief.me c'est la consécration. ML : Vous avez des projets, des objectifs à ce jour ? Pour Brief.me ou plus personnellement ? 48 LM : On n'est pas encore à l'équilibre économique donc on y travaille, mais pour l'instant je me concentre sur ça, et ça suffit à m'occuper largement. ML : Selon vous, qu'est-ce qui pousse les journalistes à créer leur média ? LM : Je dirais le fait de voir qu'il y a des besoins qui ne sont pas couverts, qu'on peut faire mieux ; nous à Libé, quand on a créé Rue 89, c'est parce que nos envies et nos idées n'étaient pas applicables pour pleins de raisons, donc c'était nécessaire. Ca a un avantage, on part d'une page blanche donc on a une liberté totale mais du coup tout est à faire : il faut se construire une marque, une réputation, et ça c'est dur. ML : Vous avez créé Brief.me avec une longue expérience en journalisme, mais que pensez-vous de ces jeunes qui se lancent dès la sortie de l'école ? LM : C'est très bien, ça se fait dans beaucoup de secteurs sans qu'on se pose la question, mais c'est bien d'avoir quand même une formation à la création d'entreprise, que ce soit pendant études ou après, comme dans la réflexion sur les incubateurs de média, avec des outils marketing etc. C'est vraiment nécessaire, car il y a une vraie différence entre être un bon journaliste et réussir sa création d'entreprise. Si nous on n'est pas les deux, il faut avoir dans son équipe des gens qui savent le faire. ML : Pensez-vous que le regard sur la création de médias ait évolué ? LM : Je ne sais pas, je suis vraiment dedans donc c'est difficile à dire, mais il y a eu une réelle inflexion de la part des pouvoirs publics, considérant que ces nouveaux projets étaient une garantie de pluralisme du journalisme. Il y a eu un certain nombre de projets de soutien à la presse, donc ça je pense que ça va dans le bon sens. C'est vrai qu'il y a de plus en plus de projets, qui fonctionnent, Médiapart est une très belle réussite donc je pense qu'il y a une banalisation de cet esprit d'entrepreneur dans le secteur des médias, donc ça va dans le bon sens. D'ailleurs c'est intéressant de voir que le SPIL est passé de quelques membres à plusieurs centaines, ça montre qu'il y a une espèce d'effervescence dans le secteur et plutôt avec des bons résultats car le ratio de défaillance est assez faible. 49 Annexe n°4 : Entretien avec Pierre Leibovici, fondateur de L'Imprévu, réalisé le mardi 28 mars Maëlle Lafond : Pouvez-vous me raconter la création de L'Imprévu ? Pierre Leibovici : Il est important de savoir que j'étais pas tout seul : on était deux, Claire Bertellemi et moi-même, chez OWNI, c'est là bas qu'on s'est rencontrés. Il se trouve qu'on a continué à se voir et avec des anciens collègues après la disparition d'OWNI en décembre 2012. On a pris des chemins différents, j'ai terminé mes études, j'ai bossé pour une start-up marketing qui cherchait à développer solution marketing de fact-checking. C'est le seul écart que j'ai pu faire. Et je crois que c'est là qu'est née cette envie de créer mon média : je découvrais pleins de nouvelles choses, d'où venait ma fiche de paie pour la première fois, c'est vrai qu'en tant que journalistes on sait jamais trop. Donc cette fonction dans cette start-up m'a ouvert les yeux. Et puis de fil en aiguille, d'apéro en apéro avec les anciens collègues d'OWNI on est arrivés à la conclusion qu'on voulait créer quel chose de nouveau, pas un autre OWNI mais retrouver une liberté éditoriale ; il y a aussi un aspect qui dépasse le cadre professionnel : en tant que lecteur/spectateur on était très frustrés par l'actualité qui se répétait, par le fait qu'on oublie du jour au lendemain ce qu'il se passait ; c'est quelque chose qui m'énervait parce que je pense que c'est un problème démocratique. C'est un constat qu'on a partagé et on était un peu les seuls à vouloir lutter contre l'amnésie des médias, alors on a décidé de lutter sur le web. Au début ça devait être une sorte de blog au mieux structuré sur la forme d'une association donc pas du tout qui nous permette de vivre à temps plein hein. Et puis on avançait on avançait, on rencontrait des graphistes, des gens comme ça, jusqu'à un entrepreneur de presse : on est ressortis de là, au bout d'une heure, en se disant qu'on allait créer une entreprise de presse. Cette personne était la preuve vivante que c'était possible, et elle s'est tout de suite identifiée à notre projet éditoriale, en nous disant que la meilleure chose à faire pour que ça marche est d'essayer d'en vivre. Ça c'était en mai 2014, je travaillais au web de France 2 au web d'Envoyé spécial, Claire aussi, c'était pas un hasard. On a quitté nos postes en juillet 2014 et on s'est mis à temps pleins à ce moment là, et on y est toujours. Je ne pensais pas avoir une propension à créer une boîte, mais ça m'a clairement aidé de passer par le marketing, ça m'a donné des perspectives. Et puis on essayait de créer d'abord un média pour les lecteurs, le but ce n'était de pas de se faire plaisir en tant que journaliste donc on a décidé de se lancer. ML : Quel a été votre parcours jusque là ? PL : J'ai fait des études généralistes, puis 5 mois à Montréal en journalisme mais ce n'était pas énorme, ensuite je suis parti en stage chez OWNI avec lequel j'ai commencé à bosser par piges. J'ai continué mes études par un master 1 de communication à Paris 3, mon rédac chef m'avait dit que je n'avais pas besoin d'une école, sauf pour le réseau, mais que l'important c'était que je sois sur le terrain. D'autant que je faisais du développement web a coté, une passion d'ado que j'avais gardé, donc je ne m'inquiétais pas trop de mon insertion dans le journalisme. En M2 j'ai fait une année au Celsa en en création de contenu média, c'était assez loin du journalisme mais j'avais déjà un pied dedans. ML : Quelles sont vos conditions de travail ? PL : Elles ont été assez variables au long de l'histoire, là je suis salarié depuis quelques mois et avant je dépendais des allocations chômage puisque je travaille depuis que je suis étudiant. En terme de salaire, ça ne va pas chercher loin, on est à peu à 1 500 euros par mois et c'est pareil pour tout le monde. C'est pas énorme donc je pense que le terme sacrifice prend tout son sens, mais c'est un sacrifice qu'on fait avec plaisir évidemment. Ca a surtout pesé au début, j'ai mis 20 000 euros à la naissance de l'Imprévu, soit toute mon épargne. Après le fait d'être chez Pôle Emploi ça n'a pas été facile parce que ce n'est pas une structure qui encourage la création d'entreprise. Ça c'est ce qui pour le côté financier, après je ressens pas du tout le besoin de gagner le salaire d'un patron de presse, c'est pas du tout le but, et là je parle pour nous 3, tant qu'on arrive à gagner des abonnés et à montrer que ça marche c'est le principal. Forcément niveau horaires je bosse plus que si j'étais ailleurs c'est sûr, pendant un temps je faisais même deux jobs en même temps - France 2 plus 2 jours pour L'Imprévu, sans parler du travail le soir. Après on ne l'aurait pas fait si ça n'avait pas été notre projet, je ne suis pas du genre à compter mes heures mais je sais que dans une autre structure c'aurait été des horaires moindres. 50 ML : Selon vous, qu'est-ce qui pousse les journalistes à créer leur média ? 51 PL : Il y a tout un tas de critères qui se mélangent je pense : l'insécurité sur le marché des journalistes avant même qu'ils ne soient arrivés dessus ; c'est ce que j'entends de profs, en me disant que dans 5 ans la moitié ne sera plus journaliste. Il y a un côté « On ne veut pas que le sort qu'on nous promet nous arrive », tout simplement. Après plus pragmatiquement, il y a des exemples comme le Quatre heures et le 8e étage, qui ont montré la voie : qui n'ont pas montré que c'était rentable et que ça allait forcément marcher hein, ça c'est important ; et puis c'est pas la même ambition, aucun d'entre eux n'est à plein temps, ils n'ont pas d'ambition de se salarier. Mais des exemples nouveaux ça motive, et les anciens (Médiapart et Arrêt sur image) ça aide aussi, parce qu'eux clairement marchent grâce à leurs abonnements. Est-ce que aujourd'hui il n'y a pas aussi un cadre législatif plus favorable ? Je pense aux bourses pour l'émergence, voilà, on peut y aller même sans être spécialisé. Et puis plus largement, pour des raisons plus journalistiques je pense, il y a un certain ras-le-bol des jeunes journalistes, quant a ce qu'on leur promet comme job, parce que pour ceux qui ont un en ils se retrouvent à bâtonner de la dépêche alors qu'on peut rêver, et c'est bien normal à 23 ans, de parcourir le monde, sauf qu'on se retrouve dans le sous-sol d'un quotidien national à modifier trois mots pour le référencement d'un article. Donc je pense que ça c'est un vrai moteur pour les jeunes journalistes, de créer leur entreprise. ML : Vous avez des projets, des objectifs à ce jour ? Pour L'Imprévu ou plus personnellement ? PL : Mon avenir proche je le conçois avec L'Imprévu, j'ai beaucoup de mal à m'imaginer ailleurs, de temps en temps ça m'arrive et c'est important de se demander ce qu'il pourrait se passer ailleurs, mais je sais pas j'ai beaucoup de mal à m'imaginer, je sais pas quelle échelle, quelle temporalité, quelle géographie, je peux pas le dire. Surtout, le fait de créer une entreprise de presse ça brouille les pistes de ce qu'on sait faire, j'ai un parcours de journaliste mais là je ne le suis plus qu'à 5%. Sur une journée type j'écris très très peu, ce qui n'est pas le cas de Thomas et Claire. Je me retrouve a faire beaucoup de community management, de communication visuelle, et du développement au sens large : de la compta, des finances... Tout ça fait qu'il y a plein de pages qui s'écrivent aujourd'hui, que 52 c'est dur de se projeter si ce n'est un poste dans une autre entreprise de presse qui se créerait, un autre projet dans lequel je me lancerais. Pour L'Imprévu on est dans une année charnière, on vient de lancer le site payant, on a pas eu autant d'abonnés qu'espéré mais on se rend compte que c'était difficile avec notre positionnement. Mais on se démoralise pas surtout qu'on a pas mal de projets qui se lancent, pas mal de raison qui font que l'année va progresser et qu'on intéressera peut être des investisseurs et donc solidifier tout ce qui est finance. Donc bref, tout ça pour dire que dans 6 mois je ne saurais pas mais là on est vraiment très confiants, hormis ces abonnés qui ne sont pas aussi nombreux qu'espérés, tout est dans l'ordre. ML : La notion de carrière fait-elle sens pour vous ? PL : Là je parle vraiment pour moi, j'ai une certain ambition, pas de gagner des milles et des cents, mais plus de laisser une empreinte dans la chose qui me passionne aujourd'hui : les médias. Donc une petite empreinte, mais je constate qu'il y a des problèmes auxquels je souhaite apporte une solution. Donc peut être que ma carrière va aller dans ce sens et ce serait super, après peut-être que ça ira dans une toute autre direction, que c'est un milieu qui me dégoutera un jour et que j'aurais envie de quitter, ce qui n'est pas a exclure. En terme de carrière je pense que ça va être plus difficile qu'autre chose d'aller voir un média en lui disant « Voilà ce que je sais faire. » Savoir faire un peu de tout ce n'est pas dit que ça plaise aux recruteurs. Mais pour autant je me fais pas de soucis, je pense qu'on a acquis une certaine renommé dans le milieu des jeunes médias en ligne et c'était pas gagné, donc je pense que ça peut jouer le rôle d'une carte de visite clairement. ML : Pensez-vous que le regard sur la création de médias par les journalistes ait évolué ? PL : Cette double casquette n'est pas perçue négativement je pense, on fait beaucoup de formation à L'Imprévu avec des journalistes pas du tout dans le milieu du web, et en général c'est plutôt un parcours qui est assez valorisé. Assez incompréhensible aussi, pour certains pour qui il y a une frontière très nette et qui ne voient pas comment concilier ces deux parcours Ð ça c'est plutôt les « vieux », 53 pas en forcément en âge mais en expérience. Et puis pour des gens dans des énormes machines avec une parole qui a beaucoup de poids, le fait même que nous on essaye de faire porter une voix singulière c'est assez valorisé. Je ne dirais pas que c'est mal vu, mais il y a pu avoir rarement quelques réflexions : une fois, il y a eu bloggeur, journaliste influent, qui a critiqué ces journalistes qui veulent se faire plaisir en faisant du journalisme pour les journalistes. Chez mes anciens collègues c'est plutôt positif, même si on n'a pas énormément de contact, et chez France 2 c'est le web donc ils ne comprennent pas mais ils trouvent ça génial. 54 Annexe n°5 : Entretien avec Didier Pourquery, co-fondateur de The Conversation France, réalisé le jeudi 6 avril Maëlle Lafond : Pouvez-vous me raconter la création de The Conversation ? Didier Pourquery : À la base c'est une idée australienne, lancé par Andrew Jaspen en 2011. Et en fait le concept du site c'est un site d'actu écrit par des universitaires et chercheurs. Les journalistes sont là uniquement pour les commander, les éditer, les illustrer et les publier. Donc il a eu cette idée, de dire que ces gens-là on ne les entends pas et ils ont quelque chose à dire sur ces sujets ; alors qu'on voit toujours les mêmes à la télé, eux ont des analyses à donner. Il a eu le soutien de l'université de Melbourne puis d'autres. L'idée qu'il a eu c'est de faire un site non-profit Ð d'ailleurs tous les sites de The Conversation fonctionnent comme ça sans pub, en fonctionnant uniquement des cotisations de nos membres Ð lesquels sont des institutions, des associations, des centres de recherche plutôt publique mais pas des think tanks. Chaque fois que The Conversation s'est ouvert dans un pays, il a fallu Ð la brique de base Ð la volonté d'un journaliste qui s'est dit « Il y a moyen de faire quelque chose là. » Nous quand on l'a lancé en 2015 Ð on a commencé à travailler dessus en janvier Ð il y avait d'autres équipes anglaises, américaines, australiennes qui avaient ouvert en dehors de l'Australie et on s'est demandé si la francophonie pouvait faire quelque chose. Quand je dis on c'est Fabrice Rousselot, ancien directeur de la rédaction de Libé, avec qui j'ai bossé quand j'occupais ce poste. Lui est basé à New-York où il s'occupe de The Conversation Global. Donc on a réfléchi aux futurs membres de notre association, et on a Paris Saclay, Sorbonne-Université, PSL donc on a eu des gros qui ont décidé de nous soutenir. Paris I et II ont pas voulu, ils sont pas dans le système, et pas ailleurs on a pleins de gens qui nous soutiennent, tout ça c'est sur le site. Ce que je veux dire par là c'est qu'il a fallu aller voir pleins de gens pour monter la structure financière Ð parce que le travail est un très gros travail de repérage d'articles et de commande. D'édition aussi, parce qu'en général les articles universitaires sont très longs, il faut les couper, pour les rendre accessibles. Notre but c'est de rendre la science accessible et compréhensible. Après dans ma vie j'ai lancé d'autres journaux, j'ai un parcours où j'ai été directeur de la rédaction du Monde, mais j'aime bien aussi la nouveauté, lancer des projets. 55 En 1995 j'ai lancé Info matin qui s'est arrêté, j'ai lancé métro en 2002. J'aime bien lancer des choses nouvelles sinon on s'ennuie, et puis dans un paysage médiatique qui est en pleine recomposition, pas en crise hein, mais il faut qu'il y ait ce que j'appelle des initiatives : regardez ce que font Brief.me, Les Jours, c'est pas des gros trucs, on se dit pas qu'on est le futur Le Monde mais il y a pleins de gens qui sont en train de lancer des choses, c'est intéressant de voir comment les grosses structures doivent se renouveler, comme Le Monde et Le Figaro - aujourd'hui c'est la crise des magazines : l'Express, le Point, Marianne sont en crise - mais à coté de ce système qui est en train de se recomposer, il y a pleins de nouvelles choses. Pour moi le journalisme c'est deux choses : de la curiosité et de la générosité. Et c'est ce que je demande à mes journaliste : être curieux, c'est la base du journalisme, mais aussi être curieux de nouveauté ; et généreux c'est dire que ce qu'on a trouvé on a envie de le partager. Et dans cette volonté de partage, il y a la volonté - je dirais même l'ardente obligation - de partager. Quand mon pote Fotorino lance Le Un, il voit bien qu'il y a des gens qui s'intéressent au papier mais ils n'ont pas le temps donc ils prennent Le 1, qui permet ça en s'intéressant à un sujet par semaine. Donc je trouve que ça fait partie du boulot de journaliste que de faire passer ce qu'il a trouvé de manière innovante ; il faut pas continuer à faire les mêmes choses qu'avant parce que de toute façon on a pas le choix, il faut trouver de nouvelles façons de partager l'info. C'est aussi d'apprendre son métier dans des grandes structures, mais c'est aussi d'innover. J'ai conscience que je suis pas dans le discours des start-upers classiques, où ils disent « Ah oui c'est malin il y a un truc à faire. » Non là c'est vraiment de l'ordre du travail de journaliste. ML : Vous êtes vraiment le premier que je rencontre à avoir effacé la frontière à ce point. DP : Oui, je vais vous dire quelque chose. Moi j'ai commencé en 1980 à Libé, on essayait d'inventer un journal, sans ouvrier du livre en pré-presse, mais ça c'était pas si innovant. On a essayé d'innover dans tous les sens : c'est Libé qui a inventé la rubrique média, la rubrique portrait. On sortait des années 70 et on allait vers les années fric (rires). On a essayé de lancer une radio en 1986, de lancer une télé, pas tellement pour gagner du fric parce que ça ne gagnait pas, mais le 56 journaliste est toujours en train d'apprendre quelque chose. S'il arrête, s'il se regarde le nombril et qu'il écrit pour ses confrères, il est mort et le journalisme aussi. D'ailleurs il a crevé de cet entre soi. Et donc la curiosité c'est aussi la curiosité de nouveaux supports, de nouvelles manières de communiquer. Je fais partie du comité de pilotage de l'école W, et c'est vachement intéressant parce que ça ne forme pas forcément des journalistes, mais ça forme des gens à la créativité, à la nouveauté. Pour lancer cette école on a fait un truc totalement à l'envers, avec de la pédagogie par projet etc. et tout ça ça fait partie de notre métier. Et notre métier il doit être connecté non pas sur une corporation qui se regarde le nombril mais autour d'un système vivant. Pendant longtemps les journalistes ont eu peur de la nouveauté, je vous dis même pas les tombereaux de merde que j'ai pris sur la tête en lançant Metro. En 2002, il n'y avait pas les smartphones, et les gens ne lisaient pas, ils ne lisaient plus dans le métro. Nous on a relancé ça, et je n'ai pas à rougir de ça, on a rayonné à travers le monde, c'est des gens curieux qui ont envie de faire des choses. C'était juste du bâtonnage de dépêches avec des interviews locales. Je le faisais avec des moyens modestes, et je disais déjà que ce serait une technologie de transition, parce qu'on savait bien que les journaux allaient se lire sur écran très très vite, même si on ne savait pas à quoi ça allait ressembler. On avait une fenêtre de dix ans pour faire du gratuit. Le truc c'est qu'il faut aimer les gens pour lesquels on écrit : si on les méprise, on est pas dans cette démarche de les toucher, les intéresser, leur apporter quelque chose. Les Jours ils sont très créatifs parce qu'ils ont une communauté de lecteurs qui les ont aidé à se lancer, financièrement aussi. Ce qui est très intéressant c'est qu'on a des communautés de lecteurs - on fait quand même 2 millions de pages lues par mois, c'est pas mal ! Parce que c'est assez exigeant et même si on fait des efforts pour les rendre compréhensibles c'est long ! On a quand même 25 000 personnes qui se sont inscrites spontanément à notre newsletter, sans pub ni prospection ! Voilà cette communauté elle grandit, on a 300 nouveaux abonnés par semaine ! C'est enthousiasmant ça, ces gens qui veulent avoir dans leur boite 10 papiers de réflexion - et je trouve que rien ça ça justifie notre boulot de 7 jours par semaine, parce qu'on fait notre boulot. Maintenant on fait même de la radio, L'arbre et la pomme que j'ai enregistré hier qu'on fait une fois par mois - et pareil pour la data visualisation qu'on a lancé cette semaine, on a fait une grande 57 opération sur la France inégale, ca nous apprend à coder différemment. Bon là on rentre dans le html c'est difficile mais c'est formateur ! ML : Quelles sont vos conditions de travail aujourd'hui ? DP : Alors il y a deux solutions : la première, la classique : Estelle Sagé qui s'occupe de la rubrique Santé, elle a fait 14 ans à l'Express, elle est venue chez moi, elle avait pris la clause de l'Express. Pareil pour un journaliste de Libé et une de La Recherche. Ça c'est la première, c'est comme si ces gros groupes, quand ils font des plans sociaux, ils sèment des graines d'innovation ailleurs : c'est une manière de voir les choses. En ce qui me concerne, la prise de conscience c'est en 2014, je n'étais plus directeur adjoint du Monde et j'étais dans un couloir avec tous les anciens directeurs, où on faisait des petites chroniques, des petits trucs. Moi je m'occupais de développement - les conférences, les colloques tout ça. Je me suis dit « Mais Didier tu à 60 ans, tu vas pas attendre la retraite dans ce couloir de la mort », donc je suis parti, sans fric. J'ai jamais pris une clause de ma vie, je sais pas pourquoi. J'ai travaillé quelques temps pour monter des évènements à droite à gauche. Puis j'ai eu un contact avec l'Australie et je me suis lancé là-dessus. Effectivement c'est une énorme différence de statut Ð et de salaire bien sûr Ð après mes enfants sont grands voilà. ML : Mais c'était une trajectoire choisie et assumée. DP : Oui, clairement. Je n'ai pas fait d'école, j'ai fait Science po et l'Essec, je voulais être journaliste économique mais ça n'a pas marché. Donc j'ai bossé comme cadre dans des grandes boîtes américaines et je faisais des piges pour Libé la nuit, la double vie quoi. Et puis un jour Serge m'a dit « Allez viens, c'est bon on peut recruter quelqu'un ». Là j'ai divisé mon salaire par 3, donc j'ai une vieille histoire de baisser mon salaire quand j'ai envie de faire un truc. Je la ramène pas avec ca hein, mais c'est comme ça. C'est vrai qu'on bosse beaucoup, qu'il y a des fois on notre trésorerie ne nous permet pas de payer tous les salaires. J'ai une petite équipe, on est dix c'est quand même pas mal. C'est sur qu'il faut avoir des gens qui sont dans le projet quoi. Le truc bizarre c'est qu'on est pas actionnaire du projet, on est porteurs. Et d'ailleurs c'est interdit par les statuts, je 58 ne peux pas être salarié de l'association et porteur de part. Donc c'est difficile mais on commence à être connus, on anime des conférences des colloques. Et puis on a un autour de nom toutes ces universités qui apprécient vachement de pouvoir publier vers le grand public parce que tous ces universitaire il sont frustrés : on a pleins de chercheurs qui travaillent sur le revenu universel depuis 15 ans, et c'est pas les mecs qu'on voit dans C dans l'air. Regardez, en novembre 2015, quand il y a eu les attentats, on a publié une chercheuse de Science po qui bossait depuis 10 ans sur les djihadistes et personne ne l'avait jamais interviewée ; elle a fait un papier qui était très éclairant, il a été repris par Libé et il a fait 200 000 vues ! Bien sûr c'est lié au contexte, mais cette dame très sérieuse et elle a pu raconter quelque chose qui avait un impact. Donc voilà. ML : Ca dit quelque chose de la façon dont vous concevez votre carrière. DP : Vous savez c'est comme ça, je dis souvent aux jeunes vous allez faire 10 métiers ! Cette histoire de carrière dans les médias il faut se former à être souple, mais autour d'une colonne vertébrale qui est celle du journalisme : de la rigueur, de la curiosité, des techniques du journalisme. Et celle-là on ne peut pas l'enlever. Et autour il y a de la souplesse. Regardez moi je m'occupais du Monde magazine. C'est parti d'une idée très simple : les grands reporters quand ils rentrent ils viennent dans mon bureau et ils racontaient pleins de choses géniales. Ensuite ils allaient à leur bureau et ils écrivaient le truc et c'était chiant ! Il n'y avait pas cette espèce d'énergie qu'ils avaient déployé devant moi. Donc je me suis dit il faut absolument qu'on arrive à trouver comment faire ça ! Pour moi la routine c'était la mort. ML : Vous avez parlé de ces jeunes journalistes, selon vous qu'est-ce qui les pousse à créer leur propre média ? DP : C'est simple hein : j'avais des jeunes potes du CFJ qui avaient monté Bakchich, pourquoi ? Parce qu'ils avaient envie de lancer un truc qui soit un peu comme le Canard enchainé sur des sujets nord/sud, mais sur le web, ils avaient vu que c'était possible et pas trop cher. Et ça a très bien marché, enfin au début, parce qu'ils se sont adjoints des gens un peu plus costauds. Apres il n'y a pas de règle Ð quand le CFJ a lancé W, c'est pour ça : il y a peut être des jeunes qui en sortant de l'école auront envie de créer leur propre média : il faut leur donner en 59 deux ans le maximum d'outils pour qu'ils puissent le faire, en connaissant les contraintes économiques par exemple. Je vois pas pourquoi il faudrait attendre 60 ans ! Le projet c'est une équipe souvent, et une équipe qui a un réseau. Aujourd'hui, le modèle de l'entrepreneur média qui fait son truc comme Zuckerberg ou je sais pas trop qui, c'est très exceptionnel. En revanche le modèle de se dire « On est trois potes on a envie de faire un média et on va s'appuyer sur plusieurs réseaux qu'on va mettre ensemble » voilà. Je vois plutôt l'innovation entrepreneuriale dans les médias se fonder là-dessus, plutôt qu'un mec et une idée géniale. C'est vraiment une équipe et un réseau, les équipes c'est important : regardez les filles qui ont fait Cheek, elles sont très jeunes ! Bon elles ont ramé et à la fin elles se sont faites racheter mais voilà. L'école ça doit servir à ça, à se faire un réseau. Donc dans cette voie là c'est possible. Après on a des contraintes, je m'en aperçois tous les jours : on est Français, et sur Internet ça limite beaucoup la capacité à transmettre des trucs. Quand je vois que mes potes en Afrique du Sud ils vont jusqu'au Kenya parce qu'en anglais ça se diffuse à tout allure, alors que nous c'est mou-mou, la francophonie c'est moins dynamique, il faut le reconnaître. En tous cas il y a la place de faire des nouveaux médias aujourd'hui, c'est clair. Pourquoi pas faire des jeux vidéo, enfin ça existe déjà. Ca paraît tellement loin le web doc qui est d'une lourdeur incroyable à fabriquer. Aujourd'hui la technologie nous permet d'être plus souple. Et c'est pour ça aussi, qu'il faut travailler en équipe : parce qu'il y a forcément des talents et des sensibilités différentes. Il faut avoir le maximum d'antennes vers l'extérieur et ça c'est en équipe qu'on va l'avoir, pour mieux ratisser toutes les possibilités d'innovations. ML : Trouvez-vous que le regard sur l'entreprenariat ait changé ? DP : Oh oui, l'autre jour j'étais aux Assises de Tours, à une table avec Les Jours et d'autres journalistes qui ont innové : dans la salle les gens étaient très très intéressés, ils posaient des questions très concrètes. A aucun moment j'ai eu le truc que j'avais dans les années 80 « Mais expliquez moi, pourquoi un journaliste créerait son entreprise » ? Aujourd'hui c'est naturel, on peut le faire, et c'est bien mieux accepté. Parce qu'il y a eu une époque, avec la première bulle internet, où c'était un peu le foutoir. Il y avait beaucoup d'arrogance, en 1998-2000, pleins de start-ups qui se lançaient, les gens arrivaient à avoir beaucoup d'argent très vite. 60 Ca c'était avant l'éclatement en 2001. Et en fait il y a pas mal de gens qui se sont plantés, et ça a laissé des traces. Là maintenant c'est fini, il y a une nouvelle génération qui arrive aux manettes et qui est plus pragmatique, moins arrogantes. Evidemment quand on fait de l'innovation il y a toujours un moment où on se dit « Il faut y croire », c`est pas de l'arrogance. Nous personne ne nous connaît, on s'en fout, le but c'est de pousser des chercheurs, pas nos gueules ! ML : Quels sont vos projets, vos objectifs à ce jour ? Personnellement ou avec The Conversation ? DP : La j'aide mes copains à lancer The Conversation au Canda, ça c'est un premier projet. Ensuite je vais aider nos amis espagnols. Tout ça pour dire qu'il faut de plus en plus qu'on travail en réseau. A la base c'était un réseau anglophone, donc c'est un boulot en plus de traduction. Pour moi c'est hyper important ce réseau. Plus donner la parole a des chercheurs du Sud : en ce moment on a une chercheuse à Jakarta qui veut lancer The Conversation en Indonésie, et il faut les aider à leur donner une voix. Apres en France on a lancé la radio, il y a pleins de choses à faire. Et puis je pense que dans deux trois ans je passerai la main, j'aurais bouclé mon cycle de 4 ans : c'est un cycle qui fonctionne bien pour moi. 61 Annexe n°6 : Entretien avec Sébastien Bossi, co-fondateur d'Ijsberg, réalisé le jeudi 6 avril Maëlle Lafond : Pouvez-vous me raconter la création d'Ijsberg ? Sébastien Bossi : La création est intervenue en mars 2014, et a été finalisée en septembre de la même année. A l'époque on était tous encore en train de faire des études, 8 puis 5, lancé de manière indépendante, sans business plan, en ayant une idée claire de ce qu'on voulait faire et comment. ML : C'est-a-dire ? SB : On a mis de l'argent sur la table en disant qu'on ne se payerait pas pendant un an, au bout de ça soit on était rentables soit on faisait une levée de fonds. Et comme on avait plusieurs projets on s'est dit que de toute façon qu'il fallait faire une levée de fonds. On a croisé pleins de gens intéressants qui nous ont apporté leur soutien, donc au moment de la levée de fonds ils étaient là. C'est ça qui a fait qu'on a pu se retrouver avec 120 000 euros dans les caisses au bout d'un an. Moi je suis rentré au CFPJ en 2015, j'avais signé un CDD de 2 ans donc j'étais rémunéré, et grâce à la levée de fonds on savait qu'on allait être rémunérés et c'était rassurant, ça nous a permis de nous lancer tout de suite sur ces projets. A force de voir des gens et de discuter d'autres projets, on s'est rendus compte qu'en fait l'idée de base de faire des trucs cools sur Internet tout en étant cohérents ça a été de plus en plus vrai pour nous, ça passait aussi par le fait de pas s'installer dans une routine quotidienne. Parce que quand on l'a lancé il n'y avait pas Facebook, en tous cas pas avec cette force de frappe, et pas Snapchat. ML : Quelles sont vos conditions de travail aujourd'hui ? SB : On se rémunère tous depuis janvier 2016, au minimum légal. Ce n'est pas des milles et des cens certes mais on a la satisfaction d'avoir créé nos emplois, et au bout de deux ans le bilan économique sera neutre, et le bilan global clairement positif, ça sera une vraie carte de visite. Après on n'imaginait pas qu'on travaillerait autant, qu'on se demanderait comment on ferait ce mois-ci. On a de la chance qu'aucun de nos projets ne nous coûte de l'argent ou ne mette la boîte dans la merde. Tous ont été cofinancés donc ont presque été rentables de suite. 62 ML : Selon vous, qu'est-ce qui pousse de jeunes journalistes à créer leur média ? SB : Nous on sortait d'une expérience associative où on avait pris beaucoup de plaisir, on codait un peu, on était pas à côté de la plaque journalistiquement, donc ça nous semblait une bonne base pour lancer un média, on était jeunes et on s'est dit c'est le bon âge pour le faire, on n'a pas de famille à charge, il n'y a rien qui nous empêche de le faire maintenant. Et puis dans les stages où je suis passé, c'était pas la joie : soit c'était la crise, soit on faisait des trucs chiants. Après moi personnellement j'avais fait des trucs sur le web et ça marchait bien donc ça m'a donné envie de continuer. Et enfin je crois être un peu créatif et j'avais besoin de créer un cadre pour m'épanouir, et ça pas à un jeune journaliste qu'on offre cette possibilité. Pour les autres journalistes, je connais bien les gens du Quatre Heures, ils avaient eu l'opportunité à l'école et ça avait bien marché, et c'était un moyen de prendre du plaisir en arrivant sur le marché du travail. Après c'était vrai il y a 6 mois, un an, aujourd'hui ça bouge pas mal, la donne a peut-être changé, ce qui est sûr c'est que le print ne dirige plus tout et que c'est mieux qu'avant. Les autres, les plus vieux ils viennent de médias en crise, avec de l'argent de côté, pour faire du journalisme comme ils n'ont pas pu le faire. C'est beaucoup par frustration plus que de croire en un modèle d'entreprise de presse. Nous on a vraiment cette démarche entrepreneuriale ; ces anciens sont plutôt sur abonnement, pour des tas de raisons que je comprends Ð moi ça ne m'a jamais choqué mais j'ai toujours vu ça comme une barrière qu'on mettait. Hors mon but c'est qu'on soit lu, pas pour le plaisir mais parce que c'est l'objectif du journalisme. ML : Comment envisagez-vous votre avenir, personnellement ou au sein d'Ijsberg ? SB : Pour l'instant mon avenir je le vois à Ijsberg, je n'ai pas encore eu le temps d'être à plein temps, de la construire et de la booster, c'est une chance qu'on va se donner là pendant un an, un an et demi : prendre des risques, signer des contrats. L'avantage c'est que là on est plus pragmatiques, plus matures, on sait exactement ce dont on a besoin et où on veut aller. L'objectif c'est de continuer à prendre du plaisir, qu'on soit rentables et qu'on gagne de l'argent. Si on coche tous ces items on continuera, il n'y a pas de raison d'arrêter, mais à l'inverse sinon il faudra savoir dire stop. 63 ML : Vous dites que vous êtes plus pragmatiques qu'au départ. Que reste-t-il de vos idéaux d'alors ? SB : Les motivations initiales n'ont pas changé, on arrive à chaque fois à le faire et les gens y trouvent un intérêt informatif. Tu vois on n'a pas eu de flop, tout ce qu'on a fait a marché, mais après on pas cassé la baraque on est pas un nouveau Brut quoi. Après clairement on a muri dans la vision entrepreneuriale, on sait que le bilan doit être positif et on sait comment faire pour. Et puis dans la manière d'organiser les projets, on ne tourne plus autour de pot autant qu'on a pu au lancement ML : Est-ce que la notion de carrière a du sens pour vous ? SB : J'ai pas de plan de carrière, ouais y'a des trucs que je veux faire dans ma vie, mais c'est plus des trucs que je ferai si j'en ai l'occasion. J'ai eu la chance de faire très vite des choses qui ont très bien marché, et je ne pensais pas arriver à 22 ans en ayant autant d'accomplissements. Clairement j'ai bossé pour y arriver mais c'est aussi le fait du hasard. Mon seul objectif de carrière c'est de continuer à faire des trucs qui me plaisent. Ou de faire un truc qui a beaucoup d'impact, mais toujours en y prenant du plaisir. ML : Trouvez-vous que le regard sur l'entreprenariat de presse ait changé ? SB : Je pense qu'on avait sous-estimé à quel point ce serait dur, il y a énormément de gens qui aimaient bien comme c'était avant et moins comme c'est maintenant. Les modèles Ð rue89, Médiapart Ð ne sont pas des modèles d'entrepreneuriat. Ces derniers sont plus similaires aux boîtes de la Silicon Valley, et ce qu'a fait Alexandre Malsch de Melty s'en rapproche plus. Après quand tu dis aux gens que tu vas monter une entreprise, ils comprennent, que tu vas monter un média, ils comprennent. Mais quand tu leur dit que ce sera un site, alors là ils sont perdus, ils pensent que ce n'est pas une entreprise et qu'un média c'est du papier. Après il y en a de plus en plus mais c'est loin d'être la norme, je suis le seul dans mon école, ça reste donc une méga-exception. Mais oui clairement c'est mieux perçu et mieux organisé, le SPIIL aide aussi vachement. 64 Annexe n°7 : Entretien avec Clémentine Forissier, fondatrice de Contexte, réalisé le lundi 10 avril Maëlle Lafond : Pouvez-vous me raconter la création de Contexte ? Clémentine Forissier : Une des spécificités de Contexte qui est intéressante c'est que moi qui suis une journaliste je ne l'ai pas fait seule, et créer un média c'est d'abord créer une entreprise, c'est deux métiers très complémentaires mais très différents. Je ne dis pas que les journalistes n'y arrivent pas mais effectivement je pense que c'est plus difficile. Mais onc la création de Contexte comment ça s'est fait, moi j'ai travaillé pour Euractiv pendant 6 ans à Paris, ils m'ont recrutée au moment où ils lançaient leur franchise en France parce qu'il y avait un entrepreneur à l`époque qui lançait ce projet et je devais m'occuper de développer la rédaction. Donc j'ai travaillé à cela et c`est important parce que ça ma vachement appris de choses : les limites de la pub, la difficulté de trouver le bon modèle économique... Voilà on est partis on était 3 puis on a fini à 7. Au bout d'un moment avec toute cette expérience, je travaillais déjà avec Jean-Christophe Boulanger puisqu'il a racheté Euractiv, et au bout d'un moment on s'est rendus compte que le modèle « pub + sponsoring » qui est celui d'Euractiv nous limitait, et était problématique aux yeux du public, avec une image de dépendance qui nous collait a la peau, qui induisait un doute quant à notre indépendance même si on avait la certitude d'être irréprochable. Et puis la pub on est toujours en train de la chercher, et elle peut aussi introduire un biais, alors que l'abonnement, si votre contenu est bon, le taux de réabonnement est bon, surtout si il est bien ciblé. Donc on arrivait à l'idée qu'on ne pourrait pas se développer beaucoup plus avec ce modèle la. Et aussi on s'est dit que parler que d'Europe en France ça n'était pas suffisant, qu'on avait un scope éditorial qui n'était pas forcement le plus juste. On était en train de créer un sillon dans la presse pro, or on savait qu'elle avait raté sa transition vers le web et on s'est dit qu'on pouvait le faire. Il se trouve qu'on n'était pas en phase avec Euractiv donc ils nous ont retiré la franchise. On s'est demandés si on lançait notre média comme des grands ou si on partait chacun de notre coté, et on a choisi la première solution en 2013. 65 ML : Quelle a été votre trajectoire avant ? CF : Assez classique, j'ai commencé par faire du droit privé général. Au cours de ces études j'avais touché du doigt le droit européen mais ce n'était pas ma spécialité. A l'issue de ma maitrise Ð j'avais toujours fait mes stages dans le journalisme, mon premier c'était dans un magazine de déco, puis à Télérama, puis RMC, Public Sénat, des sites Internet qui se créaient et qui sont morts depuis Ð j'ai fait l'IFP à Paris 2. Après j'ai continué à faire des stages et je me suis dit Ð au départ mon truc c'était la radio Ð après une expérience en matinale que le rythme radio impliquait un rythme qui m'a un peu freinée pour être honnête. J'avais fait de la TV mais j'avais l'impression de pas pouvoir aller au bout des sujets c'était pas mon truc. Donc je me suis dirigée en presse écrite, sauf que j'avais l'impression de tout savoir faire sans rien savoir faire, et on était nombreux sur le marché du travail donc je suis allée à Bruxelles voir ce qu'il se passait du côté des institutions européennes. Il se trouve qu'une des écoles là-bas lançait une formation d'une année spécialisée en journalisme européen, j'ai été prise et je me suis installée là-bas. J'y suis restée après, j'ai commencé à faire des piges, puis j'ai été recrutée à mi temps pour la fondation Robert Schumann. Après j'ai été recrutée en France par la Revue Parlementaire, un magazine mensuel, pour 8 mois, jusqu'à l'offre d'Euractiv. Je n'ai pas hésité parce que c'était vraiment mon truc et que le rythme quotidien me convenait plus. ML : Quelles sont vos conditions de travail aujourd'hui ? CF : J'ai commencé pigiste, ce qui a mon avis est une excellente école pour démarrer parce qu'on apprend à avoir pleins d'idées et à comprendre une ligne éditoriale, on se prend des murs donc faut être assez tenace, j'ai appris énormément. Je m'étais fixée deux ans de piges, et en fait j'ai eu la chance d'être embauchée au bout d'un an et demi. Ma vie a changé quand je suis devenue salariée, en CDI dès le début, donc des contrats assez stables à chaque fois. Par contre en termes de masse de travail, il s'organise différemment : les horaires sont plus cadrées, et la masse de travail est plus importante. Ca nous arrive de bosser le soir et le week-end mais c'est plus exceptionnel, on peut souffler parce qu'on grossit, au début c'était plus compliqué même si on était tous rémunérés. C'était important pour nous, donc très vite on a lancé les abonnements. On a aussi postulé au fonds Google d'aide à l'innovation pour la presse, et ça nous a permis 66 d'avoir de la trésorerie en plus pour être sûr de pouvoir payer tout le monde le temps d'avoir un retour sur investissement. ML : Selon vous, qu'est-ce qui pousse les journalistes à créer leur média ? CF : Je pense vraiment Ð en tous cas pour des médias que je vois autour de mois type Les Jours, L'Imprévu Ð qu'il y a un retour aux sources : aujourd'hui, les rédactions des grands quotidiens nationaux ou des news magazines où vous pouvez faire votre travail correctement en allant chercher l'info en la vérifiant sont peu nombreuses, il y a de plus en plus de rédactions qui mènent mal leurs transitions, ce qui empêche les journalistes de faire leur travail comme ils l'avaient envisagé, c'est-à-dire de transmettre l'information de la manière la plus claire et la plus juste possible. Ça prends du temps et des techniques de faire ça. Et tout ça ils ne le trouvaient plus je pense, du moins en presse écrite Ð mon sentiment c'est que les journalistes ont créé les journaux dans lesquels ils auraient aimé travaillé. Et pour moi clairement Contexte ca a été ça, j'ai l'impression de travailler dans le journal qui parle de politique de la manière la plus juste possible, sans être neutre car on a forcément une ligne éditoriale qui influence la manière dont on travaille Ð mais on a un certain nombre de valeurs qui correspondent à ce que j'ai envie de faire. Je suis convaincue que si on leur pose la question ils vous diront la même chose. ML : Que reste-t-il de vos motivations initiales à l'arrivée ? CF : Tout, honnêtement. C'est encore plus motivant qu'à la création parce que je me dis qu'on va voir les moyes de se développer parce que notre contenu rencontre son public, la rentabilité sur nos rubriques devrait être atteinte cette année, et je me dis qu'on a un potentiel de développement qui est énorme pour là ou on est. Par exemple on s'était dit que pour faire du bon contenu il faudrait être au moins 3 journalistes par rubrique et on est en train d'arriver à ça. Plus on se développe plus on s'accroche et plus ce qui est la façon de faire ce métier prend forme de jours en jours. On est passés par des moments hyper durs, mais c'est lié à la gestion d'un collectif et ça fait partie de la vie d'une entreprise, mais en fait il n'y a rien où je me suis dit « Je voulais qu'on fasse ça et on y est pas arrivé », vraiment pas. C'est peut-être ça qui fait que la motivation évolue dans le sens où 67 quand vous lancez une boite vous bossez énormément et aujourd'hui je travaille moins, mieux, et c'est tant mieux. ML : Comment envisagez-vous votre avenir professionnel, en solo ou avec Contexte ? CF : Moi c'est un peu particulier parce que je suis associée donc je suis impliquée à un autre titre que si j'étais juste journaliste. Mais je m'amuse énormément, il y a pleins de possibilités de développement : à l'étranger, sur d'autres formats Ð d'un point de vue entrepreneurial Ð et d'un point de vue journalistique je pense qu'il y a pleins de choses à faire et donc ça m'intéresse énormément de rester pour y évoluer. ML : La notion de carrière fait-elle sens pour vous ? CF : Oui je pense que ça a du sens, parce que les journalistes ne sont pas des gens à part : ils ont envie de pouvoir se projeter, éventuellement de bien gagner leur vie, parfois de se projeter à des postes, que ce soit de management ou de rédactions. A l'AFP ils permettent ces évolutions en laissant les journalistes changer de services, pourquoi pas le faire chez nous. Après, et c'est mon expérience en tant que manager, les gens ont besoin de se projeter et c'est normal, et on a trop pensé que les journalistes ne sont pas comme ça. Après peut être que ça dépend du type de rédaction, dans un journal généraliste c'est peut être moins vrai vu qu'on touche déjà à tout. On a tendance aussi à sous-estimer l'importance du management dans les médias, alors que c'est un truc hyper important. ML : Trouvez-vous que le regard sur l'entreprenariat de presse en ligne ait changé ? CF : Je pense que ce qui paraissait être un truc d'hurluberlu en 2007, où on nous regardait un peu de loin, c'était le début des pure players Ð aujourd'hui on nous regarde vraiment comme des journalistes, peu importe le support. Et pleins de projets sont porteurs et attirants, il y a aujourd'hui une émulation qu'il n'y avait pas en 2007. Les gens ne se disent plus aujourd'hui que ce n'est pas possible, d'ailleurs tout est tellement remis en cause avec cette mutation dans notre milieu que le regard change dans le même temps. 68 RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS Mots-clés : Sociologie économique, science de l'organisation, entrepreneurs, presse en ligne, trajectoire, carrière, profils, motivation Résumé : Aujourd'hui, des médias naissent et meurent, mais l'avenir des journaliste n'en dépend plus autant qu'avant. Évidemment, les plans sociaux et les licenciements économiques les affectent toujours énormément. Mais il semblerait qu'il n'y ait plus ce lien d'antan entre les journalistes et leur rédaction ; à la manière du compte personnel d'activité instauré par la loi travail tout récemment, les journalistes conçoivent leur avenir de manière individuelle. Que ce soit un choix ou du fait de la conjecture, Ils ne sont plus liés à une rédaction du début à la fin de leur carrière. Dans cette logique, certains journalistes créent alors leur propre média. Les cas Libé/Les Jours, i-Télé/Explicit et L'Express/Médiacité l'ont prouvé, et ancrent ce travail dans une actualité chaude. Entrepreneur ou journaliste, ils ont choisi d'être les deux à la fois. Qui sont-ils, et pourquoi ont-ils fait ce choix ? Summary: While newspapers continue to be born and to die, journalists have taken their own path. Sure, they are still heavily impacted by social plans and economically induced layoffs. But it seems as though the yesteryear bound between the journalists and the newsroom has stretched to a new level; alike the personal activity account recently introduced by the Labor Law, journalists have started to see their future more individually Ð be it a choice or the result of a poor economy. Thus, some journalists create their own media. The cases Libé/Les Jours, i-Télé/Explicit and L'Express/Médiacité proved it, and make this a topical work. Entrepreneur or journalist, they chose to be both at the same time. Who are they, and why did they make that choice? Key words: Economical sociology, science of the organizations, entrepreneurs, digital media, careers, profiles, motivation |
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