2.7 L'étude Deloitte : état des lieux sur
la vision que les entreprises portent à la Blockchain
Les potentialités offertes par la Blockchain
dépassent largement le seul domaine des crypto-monnaies. D'un
modèle initialement conçu contre les institutions notamment
financières, celui-ci est en cours de réappropriation par les
grands groupes notamment financiers.
Ne pouvant mener nous même une analyse sectorielle
exhaustive, nous nous sommes tournés vers des données secondaires
issues d'études menées par des grands cabinets d'étude et
d'audit.
Nous avons retenu une qui confirme cette implication accrue de la
finance.
Cette étude75 a été
menée par Deloitte en collaboration avec l'EFMA (European Financial
Management Association) dans sa publication « Blockchain : de la
frénésie au prototype ». Les évolutions techniques
récentes rendent possibles l'utilisation de blockchains pour des besoins
spécifiques comme par exemple des segments métiers, des classes
d'actifs, avec une
74 Blockchain France (2016), la Blockchain
décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire
Netexplo, mai.
75 Deloitte (2016), Out of the blocks - Blockchain : de la
frénésie au prototype, Deloitte Conseil & EFMA, juillet.
47
gestion des droits particulière. C'est sur ce nouveau
marché émergent que Deloitte entend se positionner.
2.7.1 Le positionnement de l'industrie financière vis
à vis de la Blockchain
Cette enquête a été menée en 2016
auprès d'un large échantillon de 3000 personnes travaillant dans
l'industrie financière pour analyser l'intérêt et l'impact
potentiel de la Blockchain sur leur métier.
Quel est alors le positionnement des entreprises : 92%
estiment que leur métier va s'en trouver modifier dont 85% d'ici 2020,
mais seuls 15% y voit une menace. Elles voient la Blockchain comme un moyen de
réduire les coûts, de gagner en efficacité et d'être
un facteur de développement, de créer de nouveaux business y
compris sous la forme de start-up. Il faut noter qu'une part non
négligeable, mais minoritaire (26%), a pour motivation la peur de la
concurrence et de rater le train d'une innovation majeure.
Cependant au moment de l'étude, 28% n'avaient
commencé aucuns travaux, le reste étant en phase d'apprentissage
ou de collaboration avec d'autres groupes ou start-up. Les principaux freins
sont l'absence de responsable technique et les incertitudes sur la
réglementation (49%), ce qui confirme qu'il s'agit d'un enjeu
majeur dans le domaine financier. En revanche, les craintes à propos des
performances, de la sécurité ou de la viabilité de la
technologie sont très faibles (9% cumulés) ce qui est un point
très positif pour la Blockchain. Elle a en quelque sorte conquis les
esprits. Cela est confirmé par la demande pour des formations et le
développement de prototypes qui expriment le besoin de comprendre et
maîtriser cette technologie. C'est évidemment
l'intérêt de Deloitte car cela fait partie de son offre, mais les
pourcentages positifs sont suffisamment élevés pour être
significatifs et peu biaisés. Ce qui caractérise l'année
2016 est donc la mise en oeuvre de prototypes.
L'autre aspect souligné par Deloitte est que
l'industrie financière est convaincue des enjeux que représente
la Blockchain, mais elle la considère plus pour son potentiel à
améliorer et développer l'existant (les transferts internationaux
de monnaie en particulier) que comme une technologie « disruptive »
source d'innovations majeures pour leur métier. Comme l'avait
exprimé prosaïquement un consultant en finance, la Blockchain est
vue par la finance comme un moyen d'améliorer les performances de leurs
chevaux plutôt que de créer leurs automobiles du futur. Cette
lenteur d'adoption de la Blockchain par la finance sans doute liée
48
à une culture d'entreprise prudente et à
travailler dans des cadres réglementaires bien définis pourrait
laisser le champ libre à de nouveaux acteurs dont l'innovation est le
moteur principal tels que les Fintech ou les GAFA (Google, Apple, Facebook,
Amazon) dont certains ont d'ailleurs commencé à déposer
auprès des autorités des demandes d'agrément en tant
qu'établissements financiers. On a ainsi parlé d'instant «
Kodak » quand cette entreprise leader mondial de la photographie
argentique s'est retrouvée au bord de la faillite n'ayant pas compris
à temps que la photographie basculait massivement et de manière
irréversible vers le numérique.
De plus, selon une étude réalisée par le
cabinet Roland Berger76, les entreprises qui sont à la pointe
en matière de numérique ont une croissance de l'ordre de 6 fois
supérieure aux autres et selon le cabinet McKinsey77, le
chiffre d'affaires généré par le numérique pourrait
être de 1000 milliards d'€ d'ici 2025, si les infrastructures
numériques étaient pleinement mises en oeuvre.
Si les craintes sur la réglementation ou son absence
actuelle sont un frein pour son développement, les autorités ont
conscience que des règles trop restrictives seraient une menace pour
l'avenir de cette innovation et pourraient constituer un désavantage
compétitif. Il s'agit donc d'un enjeu très important qu'il faudra
suivre de près.
Pour des raisons de sécurité, l'industrie
financière a l'habitude de travailler avec des environnements
fermés. C'est probablement ce qui explique que seul 11% envisage de
travailler en Blockchain publique et 18% en Blockchain bitcoin avec des
applications supplémentaires. Cependant la moitié envisage de
travailler avec des blockchains de consortium (semi-privée) ce qui
montre qu'elles envisagent malgré tout de développer des
échanges avec d'autres entités même s'il s'agit
d'environnements bien encadrés et à ouverture très
contrôlée. Il est probable qu'une plus grande ouverture sera
progressivement acceptée avec la montée en maturité de la
technologie. De plus, l'adoption d'un nouveau standard peut prendre
jusqu'à 3 ans. Ainsi le consortium R3 compte 45 banques participantes,
ce qui nécessite du temps pour aboutir à des accords entre ses
membres. Dans ce type d'environnement, plusieurs risques peuvent se
présenter : d'une part que le développement soit trop lent et
finisse par décourager certains membres, d'autre part que les
entreprises adhérentes se retrouvent liées à une
plate-forme propriétaire limitant leurs possibilités
76 Roland Berger Strategy Consultants (2014), Du rattrapage
à la transformation - L'aventure numérique, une chance pour la
France, Septembre.
77 McKinsey France (2014), Accélérer la mutation
numérique des entreprises - un gisement de croissance et de
compétitivité pour la France, McKinsey&Company, septembre.
49
d'évolution et d'adaptation à leurs besoins
propres. En revanche, cela peut faciliter la compréhension de la
technologie et permettre d'acquérir une compétence plus
complète et plus rapide grâce à la diversité des
contacts et des expériences possibles, les problématiques
rencontrées par ces différentes sociétés
étant proches car elles exercent les mêmes métiers. Il est
significatif que d'autres consortiums entre acteurs bancaires, assureurs et
financiers se soient créés en Grande-Bretagne ou en France pour
explorer le potentiel de la Blockchain.
Deloitte s'est intéressé aux différentes
expérimentations en cours au moment de l'enquête. Il faut noter
qu'elles concernent principalement des applications existantes
nécessitant d'être optimisées, le métier et la
réglementation s'étant complexifiés avec le temps. Le but
est de montrer concrètement les gains en termes de coût et
d'efficacité que peut apporter la Blockchain. Il s'agit de montrer aux
directions générales l'intérêt stratégique
qu'il y a à investir dans cette technologie. Cette complexification du
métier ainsi que la multiplication des intermédiaires ont non
seulement un coût financier, mais également une augmentation des
délais d'exécution des opérations qui pourraient
être fortement optimisés en opérant de pair à pair
de manière transparente avec l'exécution automatique de contrats
et la sécurisation et la traçabilité qu'apporte la
Blockchain. Cela concerne en particulier les opérations de distribution
et de règlement des valeurs mobilières ainsi que les actions en
back-office, de lutte anti-blanchiment ou de relation client. Ainsi le Nasdaq
pour les valeurs mobilières et la Bank of Ireland pour la
traçabilité de transaction dans le cadre de la
réglementation européenne MiFID II, ont réalisé
avec succès des plates-formes compatibles avec l'existant.
Mais il existe une autre tendance, minoritaire pour l'instant,
qui consiste à faire de la recherche, à expérimenter de
nouvelles solutions pour ensuite déterminer si elles répondront
à un besoin existant ou si elles ouvriront la voie à un nouveau
business.
2.7.2 Une étude de cas : la banque KBC
En complément, Deloitte a choisi comme étude de
cas la stratégie du bancassureur belge KBC qui a opté pour une
stratégie intermédiaire. Elle consiste à évaluer de
nouvelles solutions dont une doit être basée sur la Blockchain
pour répondre à un besoin du marché financier. Le but
n'est pas de développer systématiquement sur la Blockchain, mais
seulement quand elle apporte un bénéfice supplémentaire
par rapport aux techniques traditionnelles (bases de données,
transactionnel, ...). Cela a été le cas pour des projets sur les
marchés de capitaux,
50
pour des opérations bancaires courantes et sur une
plate-forme de Financement Participatif « Bolero ». Celle-ci utilise
des smart contracts pour le transfert automatique de propriétés
des titres et le versement automatique de dividendes quand les conditions sont
réunies. Elle évite par exemple de vérifier que toutes les
informations nécessaires sont à jour ou d'effectuer des
versements individuels. KBC explique qu'il aurait été possible de
développer des solutions combinant plusieurs autres techniques, mais que
la Blockchain avait permis des gains conséquents et une optimisation
significative des processus. La banque a impliqué des clients et des
entrepreneurs dans l'expérimentation pour améliorer la solution,
mais également les régulateurs belges pour les sensibiliser aux
spécificités et aux possibilités de cette technologie en
prévision des futurs textes législatifs qui devraient encadrer
ces évolutions pour garantir la confiance dans la finance sans
étouffer ces innovations.
Le potentiel de cette technologie pour les entreprises se
confirme, comme le montre cette étude de 2016 dans le secteur des
services financiers. Il devrait également s'exprimer dans d'autres
secteurs comme va le montrer notre étude de cas.
|